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BALUBA
LES

HISTOIRE, COSMOLOGIE ET SÉMIOLOGIE D’UN PEUPLE BANTU


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LUKANDA Lwa MALALE

LES

Ò
BALUBA
HISTOIRE, COSMOLOGIE ET SÉMIOLOGIE D’UN PEUPLE BANTU

Préface
BANZA MUKALAY NSUNGU

Avant-texte
PR MANDA TCHEBWA
Postscriptum
PR JOSEPH IBONGO
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© L’Harmattan, 2015
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-343-06036-1
EAN : 9782343060361
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A mes chers enfants


Gracia Banza Ngoy,
Armelle Mwika Mbuyu,
Flore Lukanda et Josué Lukanda
Pour qu’à travers vous
Brillent de mille feux et se pérpétuent
Dans les cœurs des générations à venir
L’amour et la sacralité de la culture africaine
Dans sa verdeur et dans son authenticité

LUKANDA Lwa MALALE


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COSMOLOGIE ET
SÉMIOLOGIE D’UN
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Préface
BANZA MUKALAY NSUNGU
Ministre de la Jeunesse, Sports, Culture et Arts
Président de la Conférence des Ministres de la Culture de
l’Union Africaine

C’
est avec un plaisir renouvelé que je m’engage
à préfacer ce bel ouvrage, et ce à double titre.
D’abord parce que, comme passionné de la
culture, m’étant consacré dès ma jeunesse
j O·pFULWXUH OLWWpUDLUH HW VFLHQWLÀTXH MH VHQV
toujours en moi comme un appel pressant à la solidarité en
faveur des ouvriers de l’écriture chaque fois que le besoin s’en
ressent.
Ensuite, ayant la conduite du Ministère en charge de la Culture
et des Arts, le devoir d’Etat me soumet à l’obligation citoyenne
de la sauvegarde, de la protection et de la promotion du pa-
trimoine culturel national de la République Démocratique du
Congo.
C’est cette entreprise, ô combien exaltante, qui est à l’œuvre
ici. Au-delà des nécessités d’imprimatur, soumis à cette double
caution,ce livre s’inscrit dans une ère nouvelle : celle de la Re-
naissance culturelle africaine, mais aussi celle de la reconstruc-
tion mentale de ce vaste et beau pays qu’est la République
Démocratique du Congo, au cœur de l’Afrique. Pays qui, dans
le contexte politique actuel, astreint à la cohésion nationale et
à sa précieuse intégrité territoriale, nous invite à un devoir de
solidarité et de mémoire partagées.
Autant dire que l’intérêt du présent ouvrage, sa nouveauté et
le caractère inédit des informations qu’il livre aux lecteurs ap-
pellent, de ma part, une attention particulière en ce qu’il nous
offre l’occasion d’approfondir la connaissance de nous-mêmes,
dans notre rapport au passé, sinon à notre réservoir d’ima-
ginaires. De plus, il est révélateur des prémices d’une pensée
sacrée qui, chez tout africain, au fait des réalités profondes de
ses ancêtres, permet de tenir sa conscience en éveil face aux
enjeux civilisationnels d’aujourd’hui.

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COSMOLOGIE ET
SÉMIOLOGIE D’UN
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Venant d’un chercheur aussi assidu que Lukanda Lwa Malale, cela
ne me surprend guère. Surtout quand je sais que c’est depuis plu-
sieurs années qu’il passe son temps à fouiner sans désemparer,
avec la patience et l’obsession d’un orpailleur, dans les gravats
chaotiques des mémoires et imaginaires émiettés de son peuple.
Loin des clichés faciles, le résultat auquel il a abouti ce jour, pé-
dagogique et divertissant en même temps, est une contribution
essentielle à la (re)lecture de l’histoire des peuples baluba. Su-
jet à interprétation passionnée, parfois polémiste, qui, sous cette
énième version de chercheur, ouvre de nouvelles perspectives
dans la compréhension de notre être et notre savoir-être d’hier,
ainsi que celle des développements culturels, géographiques et lin-
guistiques postérieurs.
C’est donc normal que l’on retrouve ici aussi, au cœur de cette
intéressante recherche, la persistance d’une certaine quête iden-
titaire attelée à une historiographie instruite et passionnante. Voi-
là que l’histoire du peuple muluba, dans ses séquences les plus
emblématiques, livre à notre attention ses principaux itinéraires
migratoires, renseignée par des traditions orales et des sources
scripturaires variées et inédites. La vie, inventive et quasi sacra-
lisée, est présente dans toutes ses déclinaisons sociales et utili-
taires : religieuse, rituelle, initiatique, économique, artistique, sa-
pientielle, etc.
De plus, l’auteur conduit avec maestria une recherche soutenue
dans les domaines du symbolisme, de la cosmogonie et de la sé-
miologie en tant que la civilisation qui a su forger un tel savoir est,
en elle-même, une forge sacrée. Lieu d’un savoir où depuis la nuit
des temps, constamment l’homme s’interroge devant l’énigme de
l’univers, se questionne sur ses rapports avec ses déités, ses sem-
blables et sa destinée ; lieu qui cumule sacralité et temporalité
dans une trame existentielle qui, pour être mieux comprise,
FRQÀQH UpVROXPHQW DX[ UHVVRXUFHV pVRWpULTXHV GH O·DUW GX
décryptage du caché-montré particulièrement connu de la
seule instance initiatique qui a cours au buluba depuis les
temps immémoriaux, le bumbudye.
Ici, le temps et l’espace se croisent dans une dynamique
de refondation en suscitant un ardent désir d’appropria-
tion des valeurs et vertus immémoriales, transmises de
génération en génération via de multiples supports tant
matériels qu’immatériels.

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Valeurs qui, transcendant l’intemporalité, ont su affronter les


colonats et leurs concasseurs d’âmes et de mémoires d’autrui ;
valeurs et vertus qui ont réussi à faire face, non sans y laisser
quelques plumes, à la mondialisation et sa hargne uniformisant
d’être, doublée d’une extraordinaire capacité à cloner les ma-
nières de penser, d’être et de vivre.
$YHFO·DXWHXU QRXVYRLFLWUDYHUVDQWOHVWHPSVEDODQoDQWÀqUHPHQW
les deux balans, dynamisés par une parole intelligente, sage, por-
teuse de mémoire et d’identité, mais alors dans un souci de res-
sourcement constant, récusant au passage toute veléitté au rejet
de la tradition d’autrui et des valeurs dont elle est prodigue. On
sait combien il est dangereux, face au rouleau compresseur de l’ac-
culturation, sinon de la transculturation, de se mettre
en travers de l’avancée du train de la modernité. Mais
rien non plus n’empêche de revisiter son passé, ses
rites ainsi que les symboles qui en émergent en ce
qu’ils sont la manifestation d’une certaine conscience
religieuse. Cela est une autre manière de résister à la
tyrannie des machines à cloner les êtres et les âmes,
sous les auspices d’une même instance de régulation
culturelle — à l’échelle planétaire.
En cela, je salue l’effort fourni par l’auteur pour gar-
der la fraîcheur et la passion de la langue kiluba telle
qu’étudiée et promue dans ses travaux. C’est que, lui
aussi a compris, comme ses prédécesseurs, qu’une
langue est le support par excellence de toute culture.
Au demeurant, n’est-ce pas la langue qui porte l’âme
d’un peuple ? C’est par la langue, comme le précise
de manière heureuse Clémentine M. Faïk-Nzuji dans
son La puissance du sacré (livre abondamment cité par
Lukanda), rien que dans la dénomination des sym-
boles, il s’est chaque fois avéré que la langue demeure
ce « lieu par où passe l’homme pour établir une com-
munication avec des réalités surnaturelles et avec ses
semblables ; et qu’elle est, entre autres, ce par quoi on
reconnaît, ce qui révèle et initie, ce qui introduit à un autre niveau,
ce qui rend manifeste, ce par quoi on accède à la connaissance, ce
TXLOLEqUHpWDEOLWO·RUGUHHWO·pTXLOLEUHªFHTXLFRQVWUXLWHQÀQO·rWUH
et ses modes d’être.
Voilà pourquoi cette langue (le kiluba DUWLFXOpHGDQVWRXWHVDÀQHVVH
et sa majesté originelles, se retrouve dans cet ouvrage en posture
quasi impériale dans les dédales de l’histoire de ce peuple, tout à la
fois, comme instrument de son identité et comme support de sa
civilisation, bien ancrée dans sa conscience souveraine.

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Comme il serait malheureux de perdre tant de trésors forgés sur


des millénaires par des devanciers que rien n’obligeait pourtant à
nous léguer de si belles choses… ! Si, ne serait-ce qu’au nom de leur
amour pour nous, nous leurs descendants inconnus. Mais à quelle
condition ?
A condition que chacun de nos enfants rentre à l’école du savoir ancien.
Pourtant une question demeure : Combien de jeunes vont-ils encore
aujourd’hui au village, fût-ce par simple curiosité ? Combien de jeunes
s’intéressent-ils encore aux us et coutumes hérités des temps anciens ?
Est-il possible de déceler assurément, au sein des politiques et intel-
lectuels contemporains, quelque disposition pour l’appropriation de
QRWUHKLVWRLUHDQFHVWUDOH"&HVGpÀVV·LPSRVHQWHQFRUHjFKDFXQHGH
nos familles modernes.
Inspiré par une telle problématique, tel semble être le pari que
V·HVW À[p O·DXWHXU HQ V·HQJDJHDQW GDQV FHWWH HQWUHSULVH WLWD-
nesque. Pari qui nous enjoint — à nous hommes politiques, pa-
rents, citoyens bantu — à un devoir de mémoire à l’endroit de
nos ancêtres, assorti d’un devoir de solidarité face aux impé-
ratifs éthiques de préservation de notre patrimoine commun.
Cette injonction-là est celle à laquelle nous soumet (nous les
Bantu) la Charte de la Renaissance africaine par un appel im-
périeux à procéder à l’inventaire systématique du patrimoine
culturel matériel et immatériel, notamment dans le domaine de
l’histoire et des traditions, des savoirs et savoir-faire, des arts
et de l’artisanat, dans le but de les préserver et les promouvoir
en faveur de la postérité.
C’est, me semble-t-il, à cet impératif que répond valablement
cet ouvrage. Qui se veut ici comme une invitation exaltante
à partager une pensée profonde et féconde dans un élan qui
SHUPHWGHUHJDUGHUOHSDVVpDYHFÀHUWpHWKXPLOLWp,O\DOjjOD
UpÁH[LRQFRPPHXQHDXWUHPDQLqUHGHPpULWHUGHODELHQYHLO-
lance de nos honorables devanciers Baluba, pères fondateurs
d’une civilisation glorieuse.

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Masques blancs des Baluba,


Territoire de Kabalo

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Un devin (Mbuki)

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Avant-texte
MANDA TCHEBWA
Directeur général du CICIBA

L’
histoire du peuple muluba est
une savane à multiples sentiers.
Il n’est pas sûr que toutes ses
pistes aient été explorées suf-
ÀVDPPHQW (Q H[DPLQDQW OD
dimension historique, cosmologique et
sémiologique de cette civilisation congo-
laise vieille de plus deux mille trois cents ans avant Jésus-Christ,
Lukanda Lwa Malale, l’auteur de ce « Beau livre » intitulé Les
BALUBA. Histoire, cosmologie et sémiologie d’un peuple bantu,
prend sans nul doute un pari assez osé. Celui de nourrir notre
regard commun d’une nouvelle conscience historique assortie
d’une nouvelle intelligence face aux multiples questionnements
restés jusque-là sans réponses.
A l’intersection de plusieurs disciplines des sciences sociales,
cet ouvrage, écrit d’une main alerte et limpide, arrive à point
nommé en ce qu’il explore avec la conviction inébranlable d’un
chercheur tenace ce qui, dans les réduits sombres des cercles
initiatiques, se chuchote généralement sous le sceau de l’inter-
dit.
Le reste repose sur un acte de foi. La foi d’un chercheur
confronté à un devoir d’historisation, accroché mordicus à la
mémoire des temps anciens, bien conscient qu’une entreprise
mémorielle est toujours un sésame qui peut nous ouvrir ou
nous fermer certaines portes.
L’essentiel était donc d’essayer d’y accéder, fût-ce au prix de
transgresser certains interdits. L’objectif étant ici, comme le
préconisait dans un contexte similaire Théophile Obenga du
Congo d’en-face, de mettre en perspectives « une culture ap-
pelée non à se sédimenter dans les abîmes du repli identitaire,
mais à s’enrichir dans le moule du partage universel des valeurs
humaines ».
Vous avez donc entre les mains un livre beau et savant à la fois.
Il s’agit, à mieux y voir, d’un « livre grand public » qui, en temps
normal, n’aurait guère besoin d’un avant-texte si instruit.
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0DLV YX O·LQWpUrW VFLHQWLÀTXH DQWKURSRORJLTXH KLVWRULTXH HW


culturel qu’il induit, de même au regard de la qualité de sa
recherche, il m’enjoint à juste titre de lui consacrer un mo-
ment de dévotion. C’est que nous avons affaire ici à un livre
rémanent et refondateur de cosmogonie, où le mémorable,
l’ésotérique et l’historique se mêlent au cœur de l’imaginaire
kiluba en tissant une trame passionnante.
A la fois corps spatial et présence cathartique dont les tra-
ditions sont parfois si peu comprises ou peu connues sinon
PpFRQQXHVYRLFLTXHGpÀDQWOHVFDQRQVWHPSRUHOVOHPDVTXH
revient au centre de la ronde initiatique pour nous convier aux
mystères cachés des ancêtres.
Au détour de quelques belles pages de ce livre, à la rencontre
du masque kifwebe DSSHOODWLRQTXLVLJQLÀH©FHTXLpORLJQHOD
mort », en langue initiatique Kiluba), il nous est donné d’aller à la
découverte de symboles cryptés dans une sorte d’ « anamnèse
reconstructrice » si familière aux initiés de
cette confrérie, ces gardiens éternels du
temple commis à la transmission et à la
pérennité du savoir, du savoir-être, du sa-
voir-dire, du savoir-faire, du faire-savoir, du
savoir-faire-faire ancestral. On passe ainsi,
selon l’acception des phénoménologues,
du « stade généalogique ou idéologique »
des faits immatériels à une véritable com-
préhension du « comment » des choses
sacrées qui, en réalité, ne sont jamais sépa-
rées de la temporalité des hommes.
Il y a bien plus : la panoplie de signes sa-
crés convoqués dans cet ouvrage, en tant
que semences de la connaissance cryptée,
Q·DSDVÀQLGHQRXVVXEMXJXHUULHQTXHSDU
la sophistication qu’elle inspire, doublée de l’hermétisme de
VHV FRGHV HW VHV © YLUWXDOLWpV VLJQLÀDQWHV ª GRQW SDUODLW 3DXO
Zumthor. C’est dire jusqu’à quel point, loin de toute gémellité
noématique, « l’architectonique d’un savoir étagé, discernable
dans la notion même de savoir «profond», a partie liée avec
un dénivellement du rapport unissant l’initié (le maître) et le
non-initié (l’élève) », pour parler comme Mamoussé Diagne.
L’univers des signes et symboles, à travers sa sémiologie voilée,
s’offre à notre lecture justement comme une invitation à nous
penser dans notre authenticité la plus abyssale. Dans la foulée,
nous voici conviés à arpenter la vie cryptée de nos ancêtres en
jouant au décrypteur des choses cachées dans les profondeurs

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sans fond de l’histoire d’un peuple pourtant si humble. A cet


égard, il me tarde de soutenir que ce livre illustre parfaitement
le lemme césairien selon lequel la voie la plus courte pour
accéder à l’avenir passe par l’approfondissement du passé, via
l’école des signes d’une société, signes qu’il importe de saisir ici
à la fois comme fondement de la connaissance, manifestation
de la conscience religieuse et lieu où l’homme se questionne
en permanence devant les mystères de la vie. C’est là une ma-
nière idoine, renchérit Césaire, de trouver « la force, toujours,
de regarder demain ».
C’est assez dire qu’un ouvrage est ici offert à nos estimes de
quêteur des choses du passé, éclairé par les lumières et les
mystères de ceux qui n’ont pu inventer que leur manière som-
maire d’être venus au monde sur le dos de l’arc-en-ciel, Nkon-
golo — du nom de l’ancêtre mythique par qui le Muluba se sait
venu de l’univers des astres régaliens.
Voilà pourquoi, le disant, je me dois de soutenir que ce livre
nous interroge, qui plus est, sur nos propres racines, d’abord
congolaises ensuite africaines et bantu, autant qu’il nous invite
à inscrire dans l’échelle démiurgique ce mémorable nom ainsi
que l’épopée (prétexte à méta-historicité) qui, entre mythe et
divinité, en fonde l’immémoriale origine.
Quand j’entends encore résonner sous la plume de
Lukanda Lwa Malale ces chants initiatiques nappés
d’un panégyrique savoureux, voués aux différents hé-
ros fondateurs des Baluba, je ne doute pas un seul
instant qu’il fasse bon de célébrer son adhésion au
Buluba i Bukata (qui n’est autre chose que l’expression
de la grandeur, la noblesse et la dignité ici légitimées
par son appartenance au peuple muluba). Je ne doute
pas non plus que notre passé soit chargé de tant de
trésors mémoriels pour qu’ils restent inexploités. Ne
serait-ce qu’à ce titre, tout le plaisir est pour moi de
convier nos enfants et nos petits-enfants à commu-
nier, à nos côtés, à cette source intarissable de notre
rWUH SUHPLHU GRQW QRXV JUDWLÀH FHW RXYUDJH &H HQ
ayant conscience qu’un peuple qui méprise son his-
toire s’invite à l’extinction de sa mémoire, sinon à sa
propre mort.
Tapis aujourd’hui à l’ombre de l’immortalité, nos an-

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cêtres sont certes partis pour un voyage sans retour, mais ils
ont cependant le mérite de nous avoir appris une chose es-
sentielle : c’est en observant, dans une formidable religiosité,
les lever et coucher héliaques des astres du ciel que se révéla
un jour, bien à la mesure de leur piété, l’existence d’un Etre
supérieur, incréé, immanent, omnipotent, omniscient… Vidyé
Mukulu. Lui qui, depuis, préside à la destinée du peuple mulu-
ba. Puissance et lumière inextinguibles, l’Etre suprême apparaît
dans ce livre dans toute sa majesté comme la source de la vie,
en somme de toute vie. De Malemba à Kabongo, de Bukama à
Kanyama, de Kamina à Kabalo, de Kalemie à Manono, de Pwe-
to à Nyunzu, de Mitwaba à Sandoa, de Kabinda à Kabamba
Ngombe, de Moba au Lac Moéro, de la Lubilanji au Kwango en
passant par la Luluwa, du Zambèze au Lac Nyassa, de la Luvua
à la Tshopo, etc., partout, depuis la nuit des temps, le peuple
muluba voue à l’unisson une profonde dévotion à Vidyé Mukulu.

En mettant Vidyé Mukulu au cœur de la cosmologie des Baluba,

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l’auteur aborde en effet les choses sacrées de sa communauté


avec tout le respect qu’il sied de conférer à l’Etre fondateur de
son peuple, bien loin de la condescendance altière de l’ethno-
logie conquérante et impériale des temps premiers.
&·HVWTXHLFL/XNDQGD/ZD0DODOHTXLFRQQDvWELHQOHÀQPRW
GHO·KLVWRLUH VLQRQOHPRWGHODÀQ VHUHIXVHGHIDLUHGHO·HWK-
nologie naïve, biaisée ; en fait de l’ethnologie à la commande. Il
UHIXVHGHYRLUVRQSHXSOHFRQÀQpHQSRVWXUHGHEDQDO©REMHW
d’étude ». Car il a totalement conscience que son peuple mé-
rite d’être connu et reconnu par le biais d’un échange convivial,
fondé sur le respect mutuel. Or l’approche ethnologique des
temps premiers est, à certains égards, comme « une science
blanche » avide du culte de l’étrange, arc-boutée sur ses certi-
tudes narcissiques, en plus de se s’atteler à des postures dog-
matiques. Dans la dialectique confuse du beau et du laid, dont
elle fut si prodigue hier, elle n’aura vu, au bas mot, que du laid.
« Beau » et « laid », bien entendus ici « au sens européen de ces
mots absurdes », selon les mots de Marcel Griaule.
N’importe comment, « le monde n’est plus blanc et ne le sera
plus jamais », disait James Baldwin. N’en déplaise à l’ethnolo-
gie blanche HOOH TXL SHQGDQW ORQJWHPSV D HX j VH PpÀHU GX
« beau » africain parce que perçu, sous le regard étonné du
« découvreur de l’autre» comme, « une manifestation rare,
c’est-à-dire monstrueuse d’une civilisation ». Autant qu’elle se
PpÀDLWG·HOOHPrPHGDQVXQHFHUWDLQHFRQGHVFHQGDQFHWKpR-
rique, en tant que « science blanche » entachée constamment
de tant de préjugés à l’égard des autres.
Heureusement pour nous, tel n’est pas le cas de l’étude ci-pré-
sente de Lukanda Lwa Malale. Véritable trésor d’érudition où,
dans une ravissante harmonie, se livrent en s’entrelaçant l’his-
toire (dans sa double dimension diachronique et synchronique),
la sémiologie, la cosmologie, l’ésotérique et l’exotérique, l’art
et la géographie d’un peuple ouvert à sa propre majesté. Il s’y
déploie assurément un savoir soumis à l’instruction d’un cher-
cheur patient, méticuleux et objectif qui, quoique confronté aux
sources archéologiques, historiques et orales multiples, parfois
controversées, n’oublie pas que pour que sa noèse puisse trou-
ver un ancrage plus convainquant au sein de son lectorat, il se
doit d’observer deux règles de base dans sa quête historique :
savoir délimiter son sujet dans le temps et dans l’espace ; et
s’efforcer d’être à l’écoute studieuse des « hommes aux che-
veux blancs » — ces « savants » de nos villages en chaumes
— si l’on veut mieux camper humblement la conscience de
l’histoire interrogée.

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de MANDA TCHEBWA
Directeur général du CICIBA

De plus, à l’élégance du ton, l’auteur a pris le parti de s’allier


la rigueur de l’interprétation du savoir commun de la commu-
QDXWpHQUHVWDQWÀGqOHDX[VFKqPHVpQRQFLDWHXUVRULJLQHOV&H
qui en fait justement un savoir d’autorité marqué du sceau des
ancêtres.
A la faveur de la parution d’un tel ouvrage, dussé-je énerver
O·KXPLOLWpGHVRQDXWHXUMHVXLVHQGURLWG·DIÀUPHUTX·XQHDYDQ-
FpHVLJQLÀFDWLYHDGpVRUPDLVFRXUVGDQVOHGRPDLQHGHODUH-
cherche anthropologique sur les peuples Baluba, renversant ce
qui jusque là tenait lieu de paradigme épistémologique.
Revoici donc Lukanda Lwa Malale, cette fois hors des cénacles
informels Baluba. Le voici sous la cape d’un sachant imbattable.
Ce personnage si attachant, abonné à toutes les rencontres où
se discutent, voire se disputent le buluba i bukata, est ici entre
les mains « inquisitrices » du lectorat, animé, je l’imagine, par
la ferme et exaltante conviction de nous inviter au destin de
l’accompagner dans l’exhumation du passé de son peuple par
la vertu de l’euristique.
Il est heureux de constater que là où l’on s’attend à rencontrer
XQKLVWRULHQDQWKURSRORJXHDXWLVWHF·HVWSOXW{WXQVFLHQWLÀTXH
hautement docte qui, se fondant sur une rare érudition en lien
avec les cultures kiluba, déploie un formidable arsenal épis-
témologique où se croisent, hors de toute dissonance, moult
disciplines des sciences sociales. Ce qui, me semble-t-il, est une
manière plus avisée pour l’auteur d’assumer la totalité de sa
recherche en prenant soin de ne pas verser dans une béance
dogmatique. Dans un nul autre destin impérial, il ne veut dire sa
limite que dans les limites de ses sources inédites.
Ceci me conforte dans une certitude : le mode de recherche
de Lukanda n’est pas destiné à construire une certaine « au-
tobiographie » de son groupe ethnique. Loin s’en faut. Pour
lui, la pensée sacrée qui est à l’origine de toute civilisation, est
la clé qui ouvre la porte, non seulement aux choses cachées,
mais aussi à l’intemporel et à l’immortel. Ce qui, à bien des
égards, différencie de manière fondamentale l’humanité (es-
pace producteur par excellence de culture et d’humanisme)
et l’animalité (lieu instinctif de mésintelligence). A ce titre, fort
d’avoir « fait du terrain » au contact de la réalité profonde,
Lukanda lwa Malale nous donne, à nous « hommes policés »
(au sens grec du terme) plutôt un bel exemple de convivialité
épistémologique apte à promouvoir une complémentarité des
mémoires culturelles.

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En ce moment où, en RDC, sous l’impulsion du président Jo-


seph Kabila Kabange, l’on parle « cohésion nationale », soucieux
de recoller des tessons de verre brisés par des antagonismes
LQWHUQHVVDQVÀQLOHVWGRQQpGHYRLUTXHSDUOHGpWRXUGHOD
science, il est possible de réaliser ce que n’ont pu accomplir les
« seigneurs des guerres », c’est-à-dire une certaine unité de vue
qui n’est pas forcément l’uniformité de vues autour d’un projet
de société commun. Celui de construire une nation en lieu et
place d’allumer du feu, voire des feux. Cela à défaut d’avoir su
tirer la meilleure morale de la sagesse ancestrale que voici :
« Celui qui fait un bond dans le feu a (toujours) un autre bond
à faire ». Ceci veut dire que chaque fois qu’il nous est donné
de nous heurter à la problématique de la cohésion nationale,
il s’impose à notre sagesse le devoir de nous remémorer que
c’est sur une terre ferme que l’on a la possibilité de construire
une vie sereine, loin de toute menace contingente d’incendie.
Il me parait évident que la longévité d’un peuple ne dépend
LQÀQH que de sa manière propre à aborder les feux du temps.
Feux usuellement engendrés par des luttes et antagonismes
internes à la base de tant de schismes dont l’histoire est si
familière.
Au plan de l’évolution purement historique des faits, il me
tarde de relever un bel exploit : cette remarquable diachronie
qui, dans la démarche de l’auteur, nous convie dans la chronolo-
gie des consciences et des intelligences à un truisme : le peuple
muluba est un et pluriel. Adossé au temps, le temps a donc
commencé par forger un peuple premier, puis des peuples dé-
rivés, poly-fragmentés, que sont :

BALUBA 21
LES HISTOIRE,
COSMOLOGIE ET
SÉMIOLOGIE D’UN
PEUPLE BANTU
Avant-texte
de MANDA TCHEBWA
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Directeur général du CICIBA

les Baluba de la province Orientale (Wagenia), les Baluba du


Maniema (Wazula, Aluba, Bangubangu…), les Baluba de Loma-
mi (Basonge, Lubangule,…), les Baluba du Kasaï (Bena Kanyoka,
Balubilash, Bena Luluwa…), les Baluba du Nord-Est (Bahemba,
Bayasi, Bakalanga, Balumbu, Baholoholo…), les Baluba du Ban-
dundu (Bayaka, Bapende…), les Baluba du Mozambique (Ro-
zui)… Tous enfants d’Ilunga Nshi Mikulu, l’ancêtre primordial !
Usant des ressources de la linguistique et de l’histoire compa-
rées, et emboitant en cela le pas à son éminent devancier le
congolais Théophile Obenga, Directeur Général honoraire du
CICIBA, dans sa reconstruction du passé historique kiluba, Lu-
kanda remonte, lui aussi, ses investigations jusqu’au proto-ban-
tu, situant par la même occasion les origines des Baluba dans la
proximité de l’ère préchrétienne. Epoque où, encore cerné par
une écologie inviolée, le Muluba, peuple issu d’une branche tar-
dive des bantus venus du nord, probablement de la périphérie
du massif JUDVVÀHOGLHQ, a partie liée avec un envi-
ronnement végétal et animal en parfait équilibre.
Là même où il était possible de croiser, il y a peu
encore, l’éléphant, le palmier à huile, l’antilope,
des cours d’eaux et des étangs à forte densité
halieutique, etc.
Dans le même ordre de considération, il importe
de noter que les devanciers de l’actuel peuple
Muluba, au faîte de leur maturation, connaissaient
le fer, à partir duquel ils fabriquaient des outils
XWLOLWDLUHVFRPPHOHVKDFKHVOHKRXHVOHVÁqFKHV
les arcs, les couteaux, les sceptres royaux, les
lances, etc. Ils naviguaient au moyen des pirogues
monoxyles. Ils portaient des habits et assaison-
naient leur nourriture de sel. Ils buvaient du vin
de palme ou de maïs au moyen de lutuwo (courge
en cucurbitacée). Ils battaient monnaie en utilisant des cauris. Ils
fabriquaient des croisettes de cuivre. Sur le plan politique, ils
étaient gouvernés par des chefs de droit divin, les Balopwe, mo-
narques tout-puissants administrant le bulopwe. Ils étaient as-
sistés par des ministres-devins, faiseurs de pluie, sorciers-gué-
risseurs, etc. Le peuple Muluba était donc un peuple civilisé
avant l’heure !
(QYRLOjXQHFLYLOLVDWLRQVLUDIÀQpHTXLDWWHVWHjQ·HQSRLQWGRX-
ter, d’une si grande maîtrise de son destin, portées par la puis-
sance ésotérique de ses sociétés initiatiques, en l’occurrence
celle des Bambudyé adonnés à des rites magiques bigarrés nés
d’une cosmologie des plus originales. Et c’est bien cette belle
civilisation que nous avons le loisir de découvrir du fond de ses
âges multiples dans cette intéressante recherche.

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,O\GpÀOHpJDOHPHQWDYHFXQDPRXULQÀQLSRXUOHVP\WKHVVDFUp
et profane (ce dernier entendu comme une forme laïcisée du
conte), les us et traditions du terroir baluba, des paysages et des
époques, ponctuées par mille épopées religieuses, dynastiques,
corporatives, etc. Il s’y révèle, en plus, des objets-signes, des
rites et poétiques (sacrés et profanes), des noms génériques
des lieux, des hameaux dérivés, des lignées et lignages royaux
DIÀQV HW OHXUV UDPLÀFDWLRQV GHV FDVWHV VRFLDOHV RX FRUSRUD-
tives toujours fondées sur une solidarité exemplaire… Autant
d’occurrences socio-anthropologiques qui, à travers mythes et
épopées, tissent une trame historique à l’aune d’une logique
narrative qui n’est jamais rectiligne. Quoique brouillée par tant
de migrations, l’histoire de ces peuples, « divers » mais pour-
tant « un », telle qu’elle se décline sous la plume de Lukanda
Lwa Malale, ne nous soustrairait nullement au devoir de relire
VRQpYROXWLRQDYHFWDQWGHVXEMXJDWLRQGHÀHUWpHWG·LQWpUrW
Pour peu qu’on y consacre une attention renouvelée, on convien-
drait que ce sont justement ces mouvements migratoires lanci-
QDQWV TXL VRQW j OD EDVH GHV pFKDQJHV HW GH OD GLYHUVLÀFDWLRQ
des us, coutumes et autres créations vernaculaires intrinsèque-
ment riches et nobles, que porte l’imaginaire diffracté des Baluba.
Créations de l’esprit dans lesquels s’articulent aussi bien l’en-
treprise sapientielle (proverbes, devinettes, devises didactiques,
mythes étiologiques, etc.) que les manières si instruites et savam-
PHQWFRGLÀpHVGHWUDYDLOOHUOHPDVTXHULWXHOODVWDWXDLUHVDFUpH
les objets lithiques et la poterie, tout comme le maniement des
canons pictographiques, l’esthétique de la vannerie et l’organisa-
tion des activités sociales (pêche, chasse, noces, intronisation des
chefs, etc.).
A cet égard, il est permis de penser que cette recherche prend à
contre-pied tous ceux qui, parmi les sceptiques, auront tendance
à parler des Baluba comme un peuple unique, spatialement im-
planté dans un arpent de terre surgi par hasard dans la périphé-
rie de l’espace dépressionnaire upembien, son épicentre originel
tel que consacré par les études archéologiques du professeur
belge Pierre de Maret de l’ULB dans son ethnogenèse muluba.
En cela, ce beau livre se révèle être, à mes yeux, une contribution
essentielle à la meilleure connaissance de l’histoire vraie des Ba-
luba et appelle, de la part du lecteur, à sa meilleure appropriation
en ce qu’elle lui imprime une excellente orientation historique.
Car cette histoire, après avoir longtemps campé l’oralité avec les
fortunes que l’on sait, est désormais écrite avec une excellente
maîtrise, de l’intérieur, par un « naturel » issu biologiquement et
spirituellement de la tradition en question.

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Il est peut être à craindre, comme l’indique François de Mei-


deros, que face au mythe de l’écrit l’on ne continue à opposer
ce dernier, à tord d’ailleurs, qu’au seul mythe de l’oralité sur
fond de rejet mutuel. L’un, fort de la légitimité que lui confère
en termes diachroniques et synchroniques la certitude de la
dation, s’arrogeant pour le coup le droit de revêtir une valeur
quasi sacrée ; l’autre, à l’inverse, taxée d’instrument de fabu-
lation en raison de la malléabilité des mythes oraux et des
éléments symboliques dont il est si coutumier.
C’est précisément pour cela que je salue l’agilité intellectuelle
de Lukanda, lequel se fondant sur des matériaux locaux de pre-
mière main (chants, poèmes, apophtegmes, maximes, sentences,
et autres proverbes kiluba à l’appui), jette ici les bases d’une lit-
térature étiologico-anthropologique originale, porteuse d’une
admirable authenticité. Cela résulte d’un effort critique remar-
quable qui mérite d’être mis au crédit de l’auteur en ce qu’il
FRQVWLWXHXQDFTXLVVLJQLÀFDWLI
Une évidence s’impose d’elle-même ici : ce livre est celui qui
vient imposer la boussole la mieux ajustée possible vers le vrai
1RUGGHV%DOXEDFHDSUqVDYRLUVXIÀVDPPHQWFDGUpO·HVSDFH
du sens de sa marche à travers les savanes escarpées de son
histoire intime.
A mes yeux, Les Baluba. Histoire, cosmologie et sémiologie d’un
peuple bantu demeure un véritable livre de foi, doublée d’une
entreprise révélatrice d’une pensée africaine profonde géné-
rée par une civilisation digne de mémoire et de respect dont
je vous invite à partager les lumières.

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Liminaire
LUKANDA Lwa MALALE

U
n éclaircissement préliminaire mérite d’être apporté quant au
contexte de production du présent ouvrage. Dans cet ordre,
mérite-t-il d’être pris en compte clairement une évidence  : ce
livre s’inscrit dans l’orientation esthétique d’une collection
dite « Beau Livre ». Ce qui m’enjoint à emprunter les canons
éthiques d’un ouvrage de type «  vulgarisation  », puisque destiné à un public
indifférencié. Celui du savant tout comme celui de Monsieur-tout-le-monde.

De la sorte, ses péripéties épistémiques tout en privilégiant l’intertextualité


puisent principalement ses matériaux de base dans l’immense et immémorial legs
oral des Baluba tel qu’il s’est transmis par le biais des canaux initiatiques de la
confrérie mbudye. A la fois confrérie initiatique et source légitime du pouvoir et
du savoir millénaire du peuple muluba, le bumbudye en est son support de trans-
mission par excellence située au-delà d’une simple instance de mémorialisation.

De mon point de vue, le bumbudye est le lieu où le Muluba et son histoire d’être
se conservent, se bonifient et transmettent en transcendant la Memoria sui. Mé-
moire transversale et partagée, qui plus est va au-delà de soi, donc au-delà de ses
propres déterminismes en ce qu’elle est, tout à la fois, instance de refondation
permanente et socle de la « bulubaïté ». C’est en somme le bumbudye qui est
détenteur de l’histoire, de l’éthique matricielle et de la dimension universelles des
valeurs fondatrices de l’identifié du peuple muluba. Raison pour laquelle cette
confrérie occupera le centre nodal de cette production dont le parcours épisté-
mique s’articule autour de trois grands moments.

Le premier moment est un rappel portant sur l’histoire du peuple muluba qu’il
m’incombe de présenter dans sa dimension diachronique de manière à mieux
fixer ses origines (mythiques et temporelles), ses migrations, sa « polyfragmen-
tation sociétale » (selon les mots du professeur Manda Tchebwa), linguistique
et spatiale. C’est partant de cette dynamique qu’il nous sera donné de découvrir
un peuple et ses multiples identités au cœur de sa pensée « ontomythologique »,
selon le terme du professeur Bonaventure Mvé-Ondo. Apparaît soudain une ci-
vilisation majestueuse, féconde et immanente à elle-même, arc-boutée avec une
fierté intangible sur une généricité matricielle unique.

Le second moment de cette recherche renvoie, lui, bien au-delà de l’histoire, à un


long voyage au cœur de la cosmologie des Baluba. C’est un instant de découverte
tous azimuts dans un au-delà qui n’est pas que mystérieux, mais surtout imageant
puisque nappé de petites perles de sagesse et d’érudition.

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D’où le recours obligé à une herméneutique exigeante, laquelle bousculant toute


obscurité contingente se veut plus soucieuse du respect des règles interprétatives
du lieu. La cosmologie muluba nous invite ici à revivre les temps mythiques sous
le sceau de la loi de la « métamorphose » dont parlait Mvé-Ondo, loi « qui va du
visible à l’invisible, de signes à leur envers, de la pensée du secret à la révélation »,
d’êtres mythiques aux personnages réels de l’histoire temporelle du peuple.

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Le troisième moment, plus symbolique et sémiologique, nous introduit


dans l’univers des signes sacrés du peuple muluba. Univers qui théorise et
organise la perception des puissances vitales au sein de la communauté à
l’aune de leur immanence et leur spontanéité ésotériques. Le monde des
choses cachées est ici mis à rude épreuve entre volonté de révéler et souci
d’éviter la transgression. Se situant au-delà de l’épopée, cet univers est ce-
lui qui nous dévoile, mieux qu’on ne peut l’imaginer, les ressources abys-
sales d’une pensée immémoriale dont la structure formulaire est tributaire
d’une oralité sensée, opérant parallèlement à une scripturalité insoupçon-
née que véhicule le lukasa (son support sacré). Ce qui le dispense de l’op-
probre de la péjoration qu’implique une désignation du genre « peuple
sans écriture » qu’on aurait tendance à attribuer aux civilisations bantu.
Cette écritoire sacrée des bambudye, avec son alphabet original et ses
règles d’élaboration inédites, est, on le verra, capable de fabriquer l’excep-
tionnel et le merveilleux, l’inédit et le mémorable. En un mot, une logique
fondatrice de sa propre interprétation et sa « dignité théorique ».
Affranchis de la seule autorité des sciences conventionnelles, pour partie
ce sont mes multiples savoirs d’initié « villageois » qui président avec la
même assurance à l’aventure qui m’a conduit à la production de ce livre.
Ouvrage qui n’est pas soumis qu’au seul primat d’un discours de nature
ontologique (en tant que lieu où l’homme se découvre dans sa nanodi-
mension d’être), mais aussi à une exigence humaniste. C’est l’homme, et
lui-seul, qui justifie tant d’effort de recherche, de compréhension de son
mode de pensée et son rapport au cosmos, à la transcendance, à la divinité.
Tout son savoir, il l’a forgé, comme figé, dans sa manière simple de com-
muniquer avec son frère, avec autrui et avec les êtres spirituels.

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Ainsi, l’usage des citations en langue kiluba qui s’invitent de manière ré-
currente dans le corps du texte est dicté par un désir ardent d’authentifier
la pratique énonciative des concepts en tirant un meilleur parti de l’origi-
nalité des concepts et des subtilités linguistiques (du reste intraduisibles à
l’identique, en une autre langue que le kiluba, avec la même saveur) qu’in-
duit dans une optique heuristique le parler des anciens.
Plutôt que de me complaire dans une interprétation des concepts en me
fiant à leur premier degré sémantique, il s’est imposé à moi la nécessité de
transcrire les expressions d’origine en respectant les logiques discursives
de leur production en contexte.
Au sujet de l’iconographie illustrative, il sied d’en dire un mot dans la
mesure où une bonne part de ses ressources provient des sources diverses.
Je suis redevable, particulièrement, à l’Institut des Musées nationaux du
Congo (IMNC) du choix et du raffinement de la recherche iconogra-
phique sur un domaine où je ne m’attendais pas à y trouver tant de mer-
veilles consacrés aux Baluba.
Une grande dette a été surtout contractée vis-à-vis du Professeur Manda
Tchebwa, Directeur général du CICIBA, passionné des cultures bantu et
créoles, et homme de grande érudition doublé d’un encadreur scientifique
patient, de qui j’ai dû emprunter non seulement l’intuition de base, la
dialectique et les règles heuristiques, mais aussi une bonne partie de sa col-
lection privée d’images.
Nombre de cartes, dessins et autres croquis inédits présentés ici sont le
fruit d’une excellente synergie articulée avec le Chef des travaux Francine
Mava de l’Académie des Beaux-arts de Kinshasa, à qui je redis toute ma
gratitude.
L’intérêt d’insérer tant d’éléments visuels dans le corps de cet ouvrage par-
ticipe des exigences de tout « Beau Livre » quant à l’équilibre qu’il sied
de maintenir entre le désir de voir et celui de lire. Deux critères décisifs
dans le succès d’une étude adossée à une problématique de la complexité
comme celle qui nous a conduit à ce résultat.
Qu’il me soit permis par la même occasion de redire toute ma recon-
naissance à Son Excellence Monsieur le Ministre de la Jeunesse, Sports,
Culture et Arts, Banza Mukalay Nsungu, pour son appui multiforme à la
réalisation de cette œuvre. La même dette, je la dois au Fonds de Promo-
tion Culturelle (FPC) de la République Démocratique du Congo dont
l’appui financier à la réalisation de ce livre a été
déterminant.
D’une Afrique qui rêve d’être ce qu’elle a toujours
été, je tire une leçon qui vaille : nulle autre part que
dans les sillons de notre passé propre et commun
n’est trouvable ce qui nous fonde comme muluba
et bantu.
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AU CŒUR DU

BULUBA Ò LE PAYS ET
LES HOMMES

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Ouverture
Lukanda Lwa Malale

Muluba
witele Muluba, présente-toi 1

«  Muluba witele  » est la formule traditionnelle par laquelle tout


Muluba se présente à l’autre depuis la nuit des temps. Cela par le
biais d’un hymne héroïque qui transcende clans et lignages. Cet
hymne cimente l’homogénéité démographique et consolide l’unité
géographique des Baluba. C’est par lui et en lui que le Muluba se
reconnait et reconnait les siens. Ecoutons-le se présenter à nous à
travers cet hymne :

1. Lukanda Lwa Malale, Nnu-


mbi ne Mitontwe (Poèmes
Kiluba) éditions Kivunge,
Lubumbashi, 1995, pp 7-8.

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MULUBA WITELE HOMME MULUBA, PRESENTE-TOI

I ami Mulub’a kasala C’est moi l’homme Muluba


Toujours coiffé d’une huppe
Nansha ka mukuku Truffée des plumes même ordinaires
Comme celles du coucou (oiseau)

Munkan’a Nshi Mikulu Le petit-fils de Nshi Mikulu


Ilunga muci mubedi Le nommé Ilunga
Le premier arbre
Wakunine Sh’a Kapanga Que Dieu avait planté
Bonso ke misambo Tous (les autres peuples)
Sont des embranchements

Muluba waluba mashinda Muluba l’égaré


Qui perd les chemins
Waluba’nka Il perdit même
Ne diya kwabo Celui qui mène chez eux
Muluba lubanga mu kanwa L’homme Muluba
Qui se trompe en paroles (de la bouche)
Kakaluba kashinda Jamais il ne perd le sentier
Nansha ke kabunde Même touffu et oblitéré
Ulaula Il le dépisterait
Kayi kwabo Et irait chez-eux
Muluba elwanga lukoyo Le Muluba à qui on tend un piège
Umwele lukindi Dès qu’on lui lance un proverbe
Waumvwe Il sait en saisir le sens
Muluba wa nkindi Muluba aux proverbes
Yelwa mu maoma Qui se véhiculent
A travers les tam-tams
Mu kanwa Proférés par la bouche
Baakayuka Ils (les non initiés au Buluba)
... En saisiraient le sens
...

Comme cela transparaît à travers ce chant fondateur, le Muluba participe d’une


civilisation de la noblesse qui lui est propre : le « buluba ».

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buluba
LE

Chez les locuteurs du Kiluba, ce vocable a deux sens :


Ò LE PAYS DES BALUBA
Le premier est celui auquel nous réfère Colle  en tant que (a)
« contrée » et (b) « langue » du « Buluba »2.
Au sens traditionnel, cet espace englobe aussi bien les Baluba de
Lubangule, de Kabamba Ngombe, de la Collectivité «Shankadi»
au Kasaï Oriental que les Baluba du Haut-Lomami, le Lwalaba, le
Haut-Katanga, le Tanganika, Kolwezi… Quant aux Basonge, Bena
Kanyoka, Babemba, Bazula, Balomotwa, Bena Luluwa, Bakwa Ka-
lonji…, eux ne font pas partie de cette aire géographique. D’autant
que certains d’entre eux nomment selon les cas, comme pour se
différencier du Buluba, leur aire géographique et culturelle : le Bu-
songe, le Busanga, le Bubemba, …

Qu’on désigne leur civilisation sous les termes Buluba, Uluba, Uru-
ba, Uruwa3, c’est la même chose et c’est exactement le même mot,
qui ne peuvent être percues ici que sous la figure de ce que les lin-
guistes appellent variances libres articulées autour des consonnes l
et r, b et w.

2. P. Colle, Baluba 1, Bruxelles, 1913,


p.1.
3. Il sied de rappeler ici qu’en Kiluba,
l et r permutent fréquemment. De
même, b et w interfèrent parfois
GDQVOHSDUOHUVDQVHQPRGLÀHUOH
sens.

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Ò QUALITÉ D’ÊTRE MULUBA


Buluba signifie, dans un deuxième sens, la qualité d’être Muluba. Cette
posture essentielle comporte sept caractéristiques ou sept marques.
Ò La première marque se formule ainsi  : «  Buluba i kiluba  ».
Formule qui signifie à la fois qualité, marque, caractère, essence
Muluba et langue kiluba, ce dernier étant le véhicule de la civili-
sation des Baluba en tant que peuple.
Ò La seconde marque est ainsi exprimée  : «  Buluba i disao  »4.
Cette distinction est conférée au sortir de l’initiation des jeunes
gens. Le versant féminin de ce rite est le butanda ou le bu-
mwadi.
Ò La troisième marque est ainsi traduite : « Buluba i bulopwe ».
Procèdant du pouvoir impérial, cette distinction est ce par quoi
le peuple Muluba incarné par le Mulopwe (roi de source tem-
porelle et divine à la fois) s’unifie politiquement.
Ò La quatrième marque est ainsi exprimée : « Buluba i mbala :
i kujila kudya kidyedye. Marque fondée sur l’observance stricte
de la loi du feu sacré5 , qui interdit de manger n’importe où,
n’importe quand, n’importe quoi, avec n’importe qui. C’est à
ce titre que tout muluba mâle est appelé de Mwine Mbala, c’est-
à-dire maître ou initiateur du Mbala, en tant qu’il participe au
Bulopwe (pouvoir temporel) de sa « nation ».
Ò La cinquième marque est incarnée dans le «  Buluba i buka-
langa ». C’est la civilisation. C’est le reflet de l’émancipation.
C’est, en d’autres termes, la maîtrise des règles d’une vie so-
ciale harmonieuse, de bienséance, de politesse et d’hygiène (=
« bukundwe », « dyangi » en kiluba). D’où le nom « Baka-
langa » originellement attribué, selon Burton, au peuple connu
aujourd’hui sous l’appellation Baluba.
Ò La sixième marque est le  « Buluba i mwenji ». Allusion à la
fierté et à la noblesse du Muluba qui recuse tout asservissement,
toute humiliation, toute hypothèque de l’honneur. C’est cette
noblesse que l’hymne héroïque « muluba witele » exprime en
ces termes :

4. Lukanda Lwa Malale, Disao, Initiation


africaine des jeunes gens à la vie chez les
Baluba, éd. Kivunge, Kinshasa-Lubumbashi,
inédit.
5. Lukanda Lwa Malale, Mbala, feu sacré
du pouvoir chez les Baluba, éd. Kivunge,
Kinshasa-Lubumbashi, 2006, inédit.

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« I ami muluba wa kamuninwa kudya, nansha nzala ikungwile »


Traduction : « C’est moi l’homme Muluba qu’on ne peut asservir par/
et pour le manger, même si la faim me tenaillait à percer l’estomac ! »
Ò La septième marque se formule comme suit  : «  Buluba i
bwana » (le Muluba est la liberté incarnée ».
D’où, cette exaltation multiséculaire :
« Wa ku bwana kealanga, beala i ke badi kwabo »
Traduction : « Celui qui jouit de la qualité d’homme libre du buluba
n’éprouverait quelque intérêt à s’en prévaloir outrancièrement ; seuls
les apatrides s’enorgueillissent! » 
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Après avoir défini le Kiluba et le Buluba, il est indi-


qué maintenant de donner sens à un autre concept
équivoque, celui de « Muluba »

Ò QU’EST-CE UN MULUBA ?
En kiluba, « Muluba » dérive du verbe kuluba dans
sa triple sémantique :
Kuluba i kujimina = se perdre, s’égarer…
Kuluba i kwilwa = oublier, perdre de vue un pro-
blème, ne plus se souvenir de quelque chose.
Kuluba i kujilula, kutupa mbila = commettre une 6. « Muluba lubanga mu kanwa » : « Toi qui as
faute, enfreindre une règle, aller à l’encontre d’une mangé et qui as nié d’avoir mangé ».
Repentance de « l’égaré » devant l’Etre
loi, d’un décret...6 Suprême :
« Kuluba kwine ndubile » : « Fautif ? Oui je le
De ces trois acceptions, la troisième est celle qui rend suis,Vidyé ».
Une telle supplique se situe dans le cadre des
mieux la désignation du Muluba–peuple. paroles sacrées contenues dans les invocations
(mitompo) que les ancêtres adressaient au
Muluba est donc fils de la promesse divine : temps premiers à Dieu en quête du pardon
divin : «Vidye Kalombo, kuluba kwine ndubile,
«Mwana wa mulao» (= « l’enfant soumis aux in- ne kujilula nako njilwile. Mbutwile kya nsungu i
ka? Ndubulule a Mfumw’ami. Mbutwile kekala
terdits »). nsungu. Mbutwile sanswa mwan’andi. Nansha
kilubi i kyan’aye», Dieu Maître-Initiateur. Une
faute ? Oui, je l’ai déjà commise ; et la loi ?
Oui, je l’ai déjà transgressée. Parent, pourquoi

Ò « LWAMI LUDIMI NE BWAMI as-tu une telle colère ? Réhabilite-moi (efface


mes fautes), ô mon Seigneur. Car un parent

BUMUNTU » : L’AFFIRMATION ON-


n’est jamais source de colère. Un parent aime
WRXMRXUV VRQÀOVTXHOTXHpWRXUGLTX·LOVRLW

TOLOGIQUE PAR LA LANGUE (fautif), il demeure son enfant…

7a. Il est à noter que les locuteurs du Kiluba sont


parfois choqués lorsque certains linguistes,
C’est par le kiluba, dans sa polyphonie sémantique, ethnologues ou historiens et autres hommes
que l’être muluba affirme son essence temporelle. de science utilisent des expressions du genre
« Art luba, Empire luba … » pour marquer
Cet aspect appelle de notre part un certain éclair- la notion d’appartenance à la civilisation des
Baluba. Cela est tout simplement péjoratif. Car
cissement. OHPRW/XEDVDQVSUpÀ[HGpWHUPLQDWLIVLJQLÀH©
maladie ». Parler de l’art Luba veut simplement
LE KILUBA (INSTANCE ESSEN- dire, littéralement, « l’art maladie ». Ce qui
serait perçu comme une injure, une offense. Il
TIELLE) COMME MARQUE DU BULU- est correct de dire : l’art kiluba, le roi Muluba,

BA l’empire des Baluba…

7a. Kisuku kya Kiluba, marmite de style kiluba; Mu-


Comme marque déterminative, son premier sens jikilo wa kiluba, la manière d’enterrer les morts
chez les Baluba,...
cumule la qualité, le caractère, l’essence, la nature
même du Buluba.
Bref, tout ce qui est propre aux Baluba se dit briè-
vement kiluba.7a

LE KILUBA COMME PERSONNE MU-


LUBA
Dans les hymnes héroïques régionaux exprimés dans
l’ancienne langue, le mot Kiluba est utilisé à la place
de Muluba7b, pour désigner même une personne.

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Voici un exemple :

« I abe kyalaba-kiluba : ufika kwabo kwa Ngoyi Mani, waboya sokolo, ufika
kwabo ku Ncimbu, waboya musupi.»

C’est-à-dire :

« C’est toi qui, à la fois, es Muluba riverain (Kyaalaba) et Muluba terrien


(Kiluba). Quand tu arrives chez-toi, à Ngoy Mani, tu uses du sokolo (houe)
pour déterrer les tubercules. Quand tu t’en retournes à ta patrie, le Ncimbu,
tu retrouves la pagaie8. »

LE KILUBA COMME LANGUE DES BALUBA


Le même terme signifie la « langue des Baluba », du moins celle qui est par-
lée dans le Territoire limité au Sud-Ouest par la rivière Lubilanji, depuis sa
frontière au Katanga avec les Bachokwe et les Balunda jusqu’au Nord Ouest
au Kasaï ; à l’Est, du lac Moéro au lac Tanganika ; au Nord, depuis la région
de Kongolo jusque Kalemie-Kisengwa ; au Sud jusqu’à Kanzenze-Kolwezi,
hormis les poches résiduelles des Batabwa installés sur les marges du Lac
Tanganika.

 Nous avons indiqué le frontières


actuelles du Congo pour permettre
au lecteur de situer plus facilement
l’ancien empire des Baluba

8. Lukanda Lwa Malale, Mitontwe ya


madilo a (Oraison funèbre pour Mulopwe
Ilunga Mwila Kikangala), éd. Kivunge, Lubum-
bashi-Kinshasa, 2006, pp.6-13.

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Premiere partie

aspects
histo-
riques

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Chapitre I

LE PEUPLE
MUKALANGA
LE POUVOIR TEMPOREL A
LA COUR DU MULOPWE
« Ku ngalwilo » : « Au commencement était…les Bakalanga»

L
’histoire des Baluba commence par un récit génésiaque
immémorial qui a partie liée avec l’intervention de Vidye
Mukulu, l’Être Suprême des Baluba. Une des versions de
ce mythe fondateur recueillie à la cour impériale de Mu-
lopwe Kasongo wa Nyembo
par Kalenda Mwamba raconte :

«Depuis toujours, et avant nos Nkambu-


lula (nos ancêtres lointains), il existait un
Etre Suprême, Invisible, qui vivait dans
l’espace, parce qu’il est le vent qu’on ne
voit jamais : mwanda i luvula kebamu-
monengaho. Il s’appelle Vidie Mukulu,
grand Dieu, Shiakapanga, Créateur ou
encore Vidie Muine Bumi Maître de la
vie, car il a créé tout ce que nous voyons
sur la terre, dans les eaux et dans l’espace.
Tout est produit de son champ et de son éle-
vage bionso mbidimua ne bimunua biandi. Il vivait seul dans son
immense champ, entouré de ce qu’il avait créé. Le désir lui vint un
jour de créer son image (kifwani-fuani kiandi). Il fit tomber une pluie
abondante qui remplit les vallées et créa ainsi les rivières et fleuves.
De cette pluie descendit un homme, il l’appela Mwikeulu, descendu du ciel.

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Seul dans la forêt, où ses seuls compagnons et chiens de garde étaient le lion,
le léopard et le chacal, Mwikeulu sentit cette solitude lui peser lourdement.
Apitoyé, Shiakapanga dit : Pa ntanda pasaka muntu ne muntu nandi  :
pour mieux vivre sur terre, il faut deux êtres de la même espèce. Shiakapanga
commanda alors le Bufuku : la nuit, sur terre. Il fit connaître sa volonté à
Mwikeulu et lui recommanda de l’observer. Entre autres, il lui formula les
préceptes suivants:

Ò Bulunda i buanga, budi ne kafuilo; ubadye kioba-


kujidikile ubebuihaya : l’amitié est comme le mé-
dicament, il faut observer les prescriptions, faute de
quoi le résultat escompté ne sera pas obtenu.
Ò Ami vidye obe, ekiobe kiulu wikikuluila : kiabulua
makena wikidia nswa : je suis ton Dieu, ta termitière
que tu soigneras. Si elle manque des termites, elle te
donnera des termites ailés.
Ò Tumbisha tukulu, ulalemo mafuku : respecte les
vieillards, tu vivras longtemps.
Ò Kantu ka bene, i kantu mambo ; Wikapa mukwe-
nu, wikapa bulongo : prendre le bien d’autrui pro-
voque des palabres, à moins que ton frère ne te le
donne.
Ò Mukajia mukuenu i kaseba ka kabundi : kakekalua
bubidi : la femme d’autrui est comme la peau de Ka-
bundi (léopard), on ne peut s’y asseoir à deux.
Ò Tambo wasuile kubinga, waona kutapana : le lion
qui pourtant voulait avoir raison a bien perdu le
procès en tuant.
Ò Mukaji ku muiko kokikamutenga ; umutenge uba-
mone malua : les rapports sexuels ne peuvent avoir
lieu en période de menstrues; si tu touches la femme,
tu verras le malheur. - Kueji ukelema mulu i diso
dia Vidie dikulonda : la lune qui brille au ciel, c’est
l’œil de Dieu qui te poursuit (…).
Ceci dit, Shiakapanga plongea Muikeulu dans un
profond sommeil. En rêve, ce dernier vit un être qui
lui ressemblait et qui était couché derrière lui. Il se
réveilla soudain et constata que son rêve était réalité.
Stupéfait, il lui dit : Lê ! Wi ani ? Hé ! Qui es-tu ?
Ò Ndi Muine Mukunko-Kibumbabumba. Je suis
un être femelle destiné à produire, répondit l’autre.
9. Kalend’a Mwamba, Shaba, Kasaï,
A son tour, elle demanda à Mwikeulu qui il était.
où en sont nos coutumes, Ducu- Celui-ci répondit : Diami ne Mwine Mbala Kiuba-
lot-Gembloux, 1981, pp. 22-25. kaubaka. Je suis un être mâle destiné à bâtir »9 .

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Voilà comment les Baluba fixent leur entrée dans l’aventure ter-
restre. Tout en saluant le mérite de l’auteur de ce récit pour avoir
sauvé cette version essentielle du récit kiluba sur la genèse du monde
humain, il me semble utile de faire remarquer que l’auteur confond
les noms des bekeulu10 (forme contractée de bamwika wa mulu, les
esprits descendus du ciel) et les noms des premiers parents, qu’il
identifie, non par leur nom d’essence intime, mais par leur diji-
na dya pa nja ou dijina dya musasu (nom de magnificence ou
de manifestation extérieure), comme celui de kyubakaubaka
(édificateur par excellence du monde) accordé à l’homme
et celui de kibumbabumba (potière émérite) concédé à la
femme.
Ces noms de magnificence (majina a pa nja) sont ceux
attribués aux deux premiers parents du genre humain
que les Baluba considèrent comme leurs ancêtres. Il
s’agit, en l’occurrence, de  l’homme (Kyubakaubaka
Ilunga nshi mikulu) et de la femme (Kibumbabumba
Mbuyu Kibumbwe Longo). Une fois canonisé par l’usage humain,
le nom Ilunga a toujours été associé au statut régalien du bulopwe
(pouvoir divin). C’est à ce titre que tous les empereurs du Buluba
portent cette appellation au titre d’attribut de souveraineté : Ilunga
Mbidi Kiluwe, Kalala Ilunga, Kibinda Ilunga...

LE POUVOIR SACRÉ ET LA
DIMENSION SACERDOTALE
Le bulopwe, on vient de le voir, cumule, dans son exercice, la dimen-
sion temporelle et divine et ses références sacerdotales.
Concernant la dimension sacerdotale de l’origine muluba, c’est
en nous référant au récit du sacrificateur traditionnel Ngoyi Kito-
bo Shele Nyuma que nous trouvons une explication plus édifiante
quant à ce :
« Kalemba Mawezi wanen’amba : leka mbumbe’ko
muntu wakumpingakanya pa lukongo lwa baya Ka-
lunga, wakulemeka Bavidye ne ami’wa kumo. Waya- 10. La tradition rapporte au sujet des Bekeulu qu’un
jour, dans le ciel, il y eut une violente tempête.
ta biloba byadi mu nshi mikulu wabumba. Waela’mo Ces êtres célestes tombèrent sur la terre sous
l’apparence humaine portant chacun une longue
kya buntu, mwatwela muvwe wa Nshi Mikulu Ilun- queue. S’en étant débarrassés, ils épousèrent les
ga. Waimana ke muntu wa mashi ne meema. Kaitwe ÀOOHVGHVKRPPHVTX·LODVDYDLHQWWURXYpHVVXU
terre. Celles-ci leur donnèrent des enfants.Voici
bu Ilunga Nshi Mikulu. Ye dyandi dya mu nda. Dya qu’un autre jour se produit un effroyable trem-
blement de terre assorti d’une secousse terrible.
pa nja nandi i Ilunga wa buta katembo lupinda mwi- 7HUULÀpVVDQVSHUGUHXQHPLQXWHOHV%HNHXOX
reprennent leurs queues et regagnent l’univers
finko. Kalemba Mawezi wamupa mudilo. Kabezya céleste, abandonnant femmes et enfants.
11. Informations recueillies par nous auprès du no-
Mpungu wamupa lupinda lwa bisuku. Leza Malan- nagénaire Kitobo Ngoy Mukulu Shele Nyuma de
go, ne Vidye, ne mikishi nabo bamupa mpemba ne mi- Malemba Nkulu en 1987. Kibumbwe : dans les
contrées de Kabalo, Manono, Nyunzu, Kongolo,
toto. (…) »11 on parle de Mbuyu Kibumbe. Il s’agit du passif
de Kubumba rendu de deux manières sans pour
DXWDQWPRGLÀHUOHVHQV

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Traduction : Kalemba le Tout-Puissant dit :

« Il convient que je modèle l’homme de manière à ce qu’il soit


capable de remplacer la génération des citoyens d’outre tombe,
d’honorer les esprits divinisés et de m’honorer à ma vraie dimen-
sion. Il prit la terre argileuse et la pétrit. Il y marqua de sa puis-
sance et l’ombre vitale de l’Esprit divinisé Nshi Mikulu y pénétra.
Sur ce, l’être ainsi modelé se leva et devint un homme vivant avec
du sang et de l’eau. Il reçut le nom de Ilunga Nshi Mikulu. Tel
est son nom intime. Ordinairement, il sera connu sous le nom de
Ilunga wa buta Katembo lupinda mwifinko. Kalemba Mawezi lui
remit le feu sacré du pouvoir. Kabezya Mpungu lui offrit le jeu de
vases sacrés remplis de puissance. Leza Malango ainsi que Dieu et
les esprits divinisés lui accordèrent, quant à eux, le Kaolin blanc
et les invocations sacerdotales. »

Après l’homme, à ce stade primordial de la vie, vint la femme. Au


sujet de la création de la femme, le même informateur poursuit :

« Kalemba Mawezi waimvwana kudila kwa mukishi dijina dyao


Mbuyu Kibumbwe12 Longo. Wadidile’mba nasake ubumbe mun-
tu ekale bu wandi mukwashi. Ino Kalemba Mawezi wayata diima
dya ku meema wabumba, waelekeja bu muntu. Mwatwela muvwe
wa Mbuyu Kibumbwe Longo. Waimana ke muntu mumi. Kaitwe
bu Mbuyu Kibumbwe Longo, ye dyandi dya mu nda. Dya pa nja i
Mande Kapudi wa kufwa na kinu, ne mwinshi, kya satwe lubenji.
Nshi Mikulu nandi wadi upempula mu bupempudi bwa bavidye.
Enka pa kujoka, watana yao Mbuyu Kibumbwe Longo. Nan-
di wafukata ku maulu a Nshi Mikulu. Wanena’mba: nalubula
mwanana neshinga kadi. Kishima tentu’mba: wamona shobe
obe kamonwe na kevu, wakobakila njibo keemushikeete. Kupwa
nabya, wamuyata ne kaadi uselele ka kivwe.
Nshi Mikulu papo kanene po. Wapicila enka ku mbala wafuka-
ta kaipangula kudi Kalemba Mawezi’mba: Le uno onamona wa
kimfwa kyami I ani? Nandi wamulondolola’mba: I mukwashi
obe onakupa. Ukalala ku nyuma kobe ne mukabutula mukevudi-
ja. (…)13 ».

12. Kibumbwe : dans les contrées de Kabalo, Manono,


Nyunzu, Kongolo, on parle de Mbuyu Kibumbe. Il
s’agit du passif de Kubumba rendu de deux manières
VDQVSRXUDXWDQWPRGLÀHUOHVHQV
13. Kitobo Ngoyi Mukulu Shele Nyuma de Malemba
Nkulu en 1987, informateur.

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Traduction : « Alors Kalemba Mawezi entend la complainte de l’es-


prit divinisé femelle Mbuyu Kibumbwe Longo. Dans sa solitude
lancinante, l’homme seul supplie le Créateur : « Je voudrais que tu
fasses de moi son aide (Ilunga Nshi Mikulu) ». Sur ces mots, Kalem-
ba Mawezi arrache de la terre argileuse d’une berge. De celle-ci, il
façonne un être de forme humaine. L’ombre vitale de l’esprit divini-
sé Mbuyu Kibumbwe Longo y pénétrè. Le nouvel être ainsi insufflé
se leve et devient un être humain vivant. Il reçoit le nom de Mbuyu
Kibumbwe Longo. Tel est son nom d’essence intime. Voici Mande
Kapudi, la femme primordiale, détentrice du mortier, du pilon et du
van (la mère nourricière) ».
Le faisant, Nshi Mikulu entreprend ensuite une tournée au sein de
sa créature. Il commence par rendre visite aux esprits divinisés, puis
aux autres créatures. A son retour de tournée, il retrouve Mbuyu Ki-
bumbwe Longo. Celle-ci se jete aux pieds de Nshi Mikulu et dit :
«  Je salue mon Seigneur tout enduite de poussière (en signe d’allé-
geance et de piété) ». Puis elle enchaîne : « Qu’il est merveilleux de
voir son propre père porter une telle charge, en plus du souci qu’il a de
construire une maison où il fait bon d’habiter ensemble ».
Après, elle décharge l’homme. Quant à Nshi Mikulu, il garde un
moment de silence. Faisant face au sanctuaire (Mbala), il interroge
Kalemba Mawezi  : «  Qui est cet être que voici et qui est à mon
image ? ». Kalemba Mawezi lui répond : « C’est ton aide que je
t’ai donnée. Elle se couchera derrière toi. Vous engendrerez et mul-
tiplierez. (…).
La citation suivante, se référant au récit Kiluba de la création, nous
renseigne sur le sens complet de ce nom :
« La première femme reçut le nom de Mbuyu Kibumbwe Longo.
Longo est la forme raccourcie de dilongo, argile, glèbe, terre. Ki-
bumbwe est la forme passive du verbe Kubumba et il signifie être
façonné, être modelé. Mbuyu, c’est l’eau. Ainsi, l’explication com-
plète de ce nom est : la personne modelée à partir de l’argile tirée
au bord d’un cours d’eau. L’essentiel est de remarquer que l’eau in-
tervient dans la création de Mbuyu Kibumbwe Longo. C’est ainsi
que dans le pays des Baluba, refuser à un assoiffé à boire passe pour
plus criminel que lui refuser toute autre nourriture consistante !14»
Comme le terme Mbuyu signifie l’eau, il y a lieu de préciser que l’aî-
né des jumeaux est appelé aussi Mbuyu (l’eau) et le second Kapya
(le feu). Deux éléments essentiels qui neutralisent les puissances
occultes et qui rendent anti sorciers les jumeaux dans la pensée tra-
ditionnelle.
14. Lukanda Lwa Malale, Mbala, feu sacré du
pouvoir chez les Baluba, op. cit. p.72

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Les Baluba qui avaient émigré vers le Sud-est du continent africain,


notamment en bordure du Lac Nyassa, en dépit de l’allitération
linguistique inhérente à la distance spatiotemporelle, connaissent
l’histoire de Nshi Mikulu qu’ils nomment Kiti Mukulu en tant
qu’ancêtre originel du genre humain. A ce sujet,  Père COLLE écrit :
«Autrefois, les Européens et les Baluba vivaient ensemble dans le Bu-
luba (Uruwa). Ils avaient un père commun, mais leur père les faisait
travailler beaucoup. Ses fils alors se fatiguèrent de cette situation. Ki-
timukulu l’aîné et tous les autres qui étaient tous chefs de villages, se
levèrent pour aller chercher ailleurs une vie plus douce. Les Baluba
blancs passèrent la mer et allèrent en Europe où ils ont eu beaucoup de
biens. Pour nous, arrivés sur le bord de la mer, nous eûmes peur et le fils
de Kitimukulu mourut ».15
Si on se fie à ce récit, on pourrait affirmer que, originellement, les
Baluba ne proviennent ni de l’Afrique du Nord, ni de l’Egypte pha-
raonique, ni d’Israël lévitique, ni de la Mésopotamie, ni du Nigéria,…
Les Baluba Noirs et les Baluba Blancs, issus du même grand ancêtre,
s’étaient portés ensemble vers le Nord (la Méditerranée !). Les Blancs
avaient traversé la mer et avaient atteint l’Europe ! Quant aux Baluba
Noirs, apeurés devant l’immensité de la mer, ils ne traversèrent pas.
Ils revinrent sur leurs pas en direction du pays natal. Plusieurs Baluba
Noirs restèrent en cours de route et avaient fini par former les nations
des Noirs disséminés entre la Méditerranée et le pays initial des Baluba
au Katanga. D’autres groupes encore sont allés plus loin en direction
du Sud et ont engendré les Babemba, les Bashona, les Moravi, les Ro-
zui, les Bacewa, les Ndebele, les Bazulu…16
L’émigration des peuples noirs du Nord de l’Afrique vers le Sud consé-
cutive à la formation du désert du Sahara tant racontée pourrait être
une autre version de ce retour progressif des Baluba Noirs cherchant à
rentrer dans le pays de leurs pères, le Buluba actuel.
Ce qui justifie ce vers tiré de l’hymne héroïque par lequel le Muluba
se présentait au monde, hymne qu’on apprenait dans les camps de cir-
concision où se déroulait le rite d’initiation des jeunes gens à la vie :
Munkan’a Nshi Mikulu Le petit-fils de Nshi Mikulu
Ilunga muci mubedi Le nommé Ilunga
Lui le premier arbre
Wakunine Sh’a Kapanga Que Dieu avait planté
Bonso ke misambo Tous (les autres peuples)
Sont des embranchements

15. P., COLLE, op. cit., p.46. Texte


recueilli au NYASSALAND par
deux missionnaires blancs au-
près du Chef Mwamba, d’origine
Muluba.
16. Ibidem

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LE MYTHE DE LA FAUTE
ORIGINELLE
Selon la cosmogonie, le Muluba est un «  égaré  » victime d’une
faute originelle dite le « buluba ». Cette dernière notion a fait l’ob-
jet de plusieurs interprétations dont voici quelques-unes parmi les
plus connues :

 VERSION DE THÉODORE THEUWS


Un récit de la chute de l’homme Muluba, recueilli par T. Theuws,
montre celui-ci mangeant les fruits rouges et noirs que Vidye lui
avait défendus sous peine de souffrir et de mourir.17 Ce qui est à
remarquer, surtout dans ce récit est que l’homme ment à Dieu. Il
confirme ainsi sa qualité de Muluba ulubanga mu kanwa, (=« Mu-
luba est dit coupable pour avoir enfreint la loi par les œuvres de la
bouche.)
Avec un peu plus de détails, nous avons ainsi relaté l’explication que
donnent les Baluba sur l’origine et la cause de la mort (et du mal) :
«  La tradition accorde une réponse fondamentale qui replonge
l’homme à la genèse de l’humanité. Dieu, en créant le premier
homme, nommé Ilunga Nshi Mikulu, il ne lui voulait que du Bien.
Il se fit découvrir à lui, non seulement comme Sh’a-Kapanga, l’or-
donnateur, le créateur, mais aussi comme Kalombo, le Maître, l’en-
seignant, le docteur, le guide, l’initiateur. Il se magnifia ainsi : « I
ami vidye kalombo kyebalombwele, bashala nabo kebeye»,

17. T., TheuwsTextes luba, 1933, pp.62-63

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Traduction : « C’est moi l’Esprit Maître qui les initia et ils restèrent
des apprentis. »
Le Créateur aimait l’homme qu’il avait créé libre. Il l’initia en lui
apprenant à pratiquer le bien pour mieux vivre et à éviter le mal pour
ne pas souffrir et mourir. Le Révérend Père Théodore THEUWS,
missionnaire dans le pays des Baluba, avait recueilli ce texte de
l’édiction de la loi divine et de sa transgression par l’homme. Dieu
présenta à l’homme qu’il venait de créer deux arbres, l’un portant
les fruits rouges et l’autre des fruits noirs. Il lui recommanda de ne
pas manger de leurs fruits afin de jouir d’une vie pleine, heureuse et
abondante. S’il les consommait, il devait souffrir et mourir. Dieu
le quitta et retourna momentanément à sa cité. Quand il revint,
il trouva que l’homme avait mangé de l’arbre des fruits défendus.
Lorsqu’il lui demanda s’il avait touché aux fruits noirs et rouges,
l’homme nia qu’il ne les avait pas mangés et ainsi la mort et la mi-
sère entrèrent dans le monde.18

La mort est entrée dans le monde par un acte de désobéissance de


l’homme suivi d’un mensonge. C’est ce qui explique le sens du mot
Muluba dans la tradition. Il est Muluba waluba mashinda, le cou-
pable qui se perd sur la voie, c’est-à-dire
18. Ibidem, pp. 62-63. (encadré) Le même mythe sur qui enfreint la loi divine. Il a oublié la loi
l’origine de la souffrance comme conséquence lo-
gique découlant de la transgression d’interdit ori- qui devait le conduire à la cité de son père
ginel nous est rapporté par Clémentine Madiya
Faik-Nzuji de cette manière: “Après que le ciel fut
Dieu : «Waluba’nka ne diya kwabo»19.
séparé de la terre, les hommes s’installèrent vaille
que vaille sur la terre encore déserte: les uns
Il clarifie que son kilubo, sa faute, a été
dans les vallées, les autres dans la plaine, d’autres commise à travers la bouche, et qu’il n’est
HQFRUHVXUOHVÁDQFVGHVPRQWDJQHVDXERUGGHV
cours d’eau.Leur désobéissance avait entraîné pas un égaré sur le chemin physique tracé
parmi eux maux et souffrances de toutes sortes:
maladises, famines, homicides, querelles entre sur la terre.
parents, vols etc.”
19. Lukanda Lwa Malale, Nnumbi ne Mi-
tontwe(Poèmes Kiluba), éd. Kivunge, Lubumbashi,
1995, p.7.

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Le premier homme avait, par


la bouche, mu kanwa, mangé
les fruits défendus et par la
même bouche, menti qu’il ne
les avait pas consommés. La
bouche tue l’homme et cette
bouche peut aussi le sauver.
C’est pourquoi l’image de la
nourriture, par référence à la
consommation originelle de
ces fruits noirs et rouges dé-
fendus, fait partie intégrante
de la définition de l’homme
Muluba en tant qu’un astreint
à la loi d’un manger scrupuleusement réglementé pour ne pas mou-
rir. Tel est le sens du terme muluba».

L’expression de kuluba mu kanwa est au cœur du Buluba et tout


effort d’intelligence de ce terme qui ne la prend pas en compte
s’écarte d’avance de son objet.
Cet aspect de la question a donné lieu à plusieurs interprétations
historiques de la part d’un certain nombre de chercheurs africains
et occidentaux dont nous ne partageons pas personnellement les
opinions :
 VERHULPEN
« L’origine de termes Baluba et Kiluba est inconnue. Il semble que
l’origine de ce mot doit être recherchée selon certaines traditions in-
digènes dans un sobriquet donné à Nkongolo et aux guerriers qui
l’accompagnaient à cause de leurs férocités, de leurs ravages, de leurs
tromperies. »20 ,

 COLLE :  « les Baluba sont les sujets du grand chef LUBA » 21

 KAVUMA DITUNGA :
«Mukalenga Mbidi Ciluwa umbukile pende mwine mu cimwangi
amu, ne bana bende kuyabo ku mayi a mbu Atlantique, ekubanda
wenda ulonda njila ya nyama too ne ku muaba ukadibo basa kudi
b.k. (…) mbidi-ciluwa ne bana bende, ne bankana bende, badi ba-
tungunuka ne luendu, bajukile mu buloba buvwabo too, benda ba-
londa amu kuvwa diba dipatukila, ne bashimate amu mu njila wa
nyama ya nzevu, too ne pafikila bo ku buloba bwa cijila ku mayi a
dijiba dia Nsamba, ke kusombabo. bamane kufika, bakamonangana
ne batwa. bu muvuabo kabayi bumvuangana ku mwakulu, batwa ba-
20. E.Verhulpen., op. cit. p.31.
21. P., Colle., op. cit., p. 1

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vua babamba mu mwakulu wabo ne“banu bantu eBaluba dishinda,


mmumwe ne: “aba bantu mbapanga njila wa kudibo baya. ke mwaku
wa batwa au kutulamata, tukadi bashala nawone: aba mBaluba.
nanku baluba mbapate dina diabo adio ku dijiba dia Nsamba mu bu-
loba bua Kamina. »22

Trad.: « Le Seigneur Mbidi Ciluwa partit au cours de cette migra-


tion avec ses enfants. Il se dirigea vers l’Océan Atlantique, puis alla
en amont suivant la piste des animaux jusqu’au lieu où sont installés
les B. K. (…) Mbidi Ciluwa et ses enfants ainsi que ses petits en-
fants poursuivirent leur voyage, quittant le pays où ils étaient, sui-
vant toujours la direction de l’orient, n’abandonnant point la piste
des éléphants jusqu’à ce qu’ils parvinrent à la terre des interdits, aux
eaux du lac de Nsamba, et ils s’installèrent. Une fois arrivés, ils ren-
contrèrent les pygmées. Comme ils ne se comprenaient point au ni-
veau de la langue, les pygmées disaient à leur sujet dans leur langue :
«Banu bantu ebaluba dishinda», c’est-à-dire «aba bantu mbapange
njila wa kudibo baya». Autrement dit : « Ces gens ont perdu le che-
min qui les mène où ils vont ».

C’est ainsi que cette parole des pygmées se colla à nous, et nous res-
tâmes avec : «Aba Mbaluba», ceux-ci sont des Baluba. Donc, les
Baluba ont reçu leur nom au Lac de Nsamba dans le territoire de
Kamina. 

 MPOYI MWADYAVITA :
«Baluba-Lubilanji badi bamba boobo ne : «pa mwebeji Bulanda
kudi ye (Mbidi Kiluwa) ufumina, kwandamuna ye ne : «Muluba
dishinda! », mmomumwe ne ndi mujimine njila. kuluba dishinda
mmomumwe ne ndi mujimine njila. Ke kudi kufumine diina dya Ba-
luba» 23

Trad. : « Les Baluba-Lubilanji déclarent quant à eux : lorsque Bu-


landa lui (Mbidi Kiluwa) demanda d’où il provenait, il lui répondit
: «muluba dishinda», j’ai perdu le chemin! Kuluba dishinda veut
dire (en Ciluba) kujimina njila, perdre le chemin, s’égarer sur la voie.
Là est l’origine du nom Baluba ».
Pour nous, le peuple Muluba a existé avec sa langue Kiluba bien
avant l’avènement et de Nkongolo Mwamba, et de Mbidi Kiluwe,
et de Kalala Ilunga… Des preuves historiques existent en faveur de
cette affirmation, telles que nous montrent les périodes d’expansion
de ce peuple à travers son histoire.
22. Kavuma Ditunga, Kale ne kalele ka bisamba bietu, histoire et préhistoire
de nos tribus, éd. Franciscaine, Mbuji Mayi, 1980, pp.8-9..
23. Mpoyi Mwadyavita, Luendu lwa Baluba, difunda dibidi, Kananga, 1987, p.21.
vunge, Lubumbashi, 1995, p.7.

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Chapitre II
L’ORIGINE
CONTROVERSÉE DE

NSANGA A
LUBANGU
N
ombre de thèses couramment consacrées à l’his-
toire des Baluba privilègient «  Nsanga a Luban-
gu » comme foyer matriciel du peuple muluba. Et
c’est même, partant de cette position, que certains
historiens ont été amenés à distinguer aujourd’hui
deux catégories des Baluba : les « originaux » et les « dérivés ».

Ò LES PRÉMICES
Pour raison de clarté et d’honneté scientifique, il nous tarde de vous
présenter dans un premier temps les différentes thèses émises à ce su-
jet, qui du reste ne constituent que des théories de scientifiques vic-
times à leur corps défendant de la malléabilité de la tradition orale,
qui méritent d’être étayées encore davantage. Ce, avant d’émettre en
dernier ressort notre modeste avis sur la question.

Signalons d’abord que le premier à avoir codifié l’existence de deux


sortes de Baluba, c’est De Jonghe, un colon belge qui vécut au Kasaï.
Voici comment il formule sa classification :

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« Il y a deux sortes de Baluba :


1) les vrais Baluba, c’est-à-dire ceux du Sud ou du Sud-est, généralement
connus sous la dénomination des Baluba de Shankadi (Shankadi est
le mot par lequel ils se saluent) ou de Baluba lolo (lolo signifie mère) ;
2) les Baluba de l’Ouest, communément appelés Balubilashi ou Bambo.
Les Baluba de l’Est ne les appellent plus Baluba. Ils habitent le long
du Lubilash et dans les districts du Sankuru et du Kasaï »23
Autrement dit, les «vrais Baluba » (désignés comme « Baluba propre-
ment dits par Colle24 et « véritables Baluba » par Verhulpen25), d’après
cet auteur, sont ceux qui, aujourd’hui, parlent kiluba, alors les « Baluba
dits dérivés » sont les locuteurs contemporains du ciluba26.
Evoquant les Balubilash ou Bambo, François Neyt dit à leur sujet :
«  Les Songe, au Nord-est, les appellent Bambo, mais eux-mêmes se di-
signent sous les noms précis de familles et des clans : les Bakwa Kalonji, les
Bakwa Kalonji ka Tshimanga et parentés, les Bakwa Ndoba, les Bakwa
Bowa, les Bakwa Kalonji Ka Mpuka »27.
D’autres peuples environnants leur accordent traditionnellement des
noms particuliers :
«  Ceux du Kiluba les appellent Bahemba28
parlant Cihemba. Les Basonge et les Bakete
les nomment Bambo parlant Bwambo29. Les
Bachokwe de l’Angola et du Congo parlent 24. De Jonghe, cité par J. Maes et O. Boone, Les
peuplades du Congo, Imprimerie neuve, 1935, p.
des Bakaloshi30. Les Bakuba les désignent 112.
sous le nom de Bayete31 ou Beete. Les Bangon- 25. R. P. Colle, Baluba I, Albert Dewit, Bruxelles, 1913,
p. 67.
go les identifient sous les expressions Beya au 26. E.Verhulpen, Baluba et Balubaïsés, Anvers, 1936, pp.
64 et suiv.
pluriel, Mweya au singulier parlant Lweya. 27 Il importe de préciser qu’en termes de dation,
selon l’indication qu’en donne J.Vansina, « pour
Les Bangende les nomment Beete, au plu- toute la région du Kasaï, il n’y a actuellement ni tra-
ditions, ni autres documents qui remontent au-delà
riel Mweete au singulier parlant Lweete. Les du XVIIIe siècle. Cependant, on peut supposer
que toute la région située à l’Ouest des Lulua et
Bushong et les Bapiang les appellent Banget au Nord-Ouest des Kaniok était occupée par les
au pluriel, Nget au singulier parlant lunget. Kete du Sud et du Nord. Les Luba du Kasaï vivaient
dans un triangle compris entre les pays Lubilash,
Les Mbangani ou Babindi les appellent Ba- Bushimai et Kaniok et il se peut qu’ils aient déjà
DORUVFRPPHQFpjV·LQÀOWUHUFKH]OHV/ZDOZD0EDO
kula. Les Batetela les reconnaissent sous le Sala Masu, Kongo du Bas Lweta et de la vallée du
Kasaï. A l’Est, le pays était occupé principalement
vocable Alembi. Les Rund les appellet Aturoj par les Songye ». J.Vansina, op. cit., p. 60.
28. F. Neyt, Luba aux sources du Zaïre, Musée Dapper,
au pluriel, Karov au singulier... D’autres noms Paris, 1994, p. 223.
29. Tshimbombo Mudila, La famille bantu Luluwa et le
étaient collés à une partie ou à l’ensemble des développement, Rome, 1975, pp. 90-92.
locuteurs du Ciluba : les Bena Moyo, les Bashi- 30. E.Verhulpen, op. cit., p. 338.
31. Information recueillie auprès de maman Arminda
lange32… »33 Aurelio, une Angolaise de la tribu du Sud Umbundu.
32 Information recueillie auprès de Crispin Luho-
hongu wa Nkamba, un prince mukete de Bakwa
Nkenge, au Kasaï Occidental.
33. J. Maes et O. Boone, op. cit., p. 110.

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Dans la même dynamique, est apparue récemment dans la foulée


une expression nouvelle qui, comme pour différencier les Baluba,
insiste sur une dimension géographique : Baluba du Kasaï.
Ndaywel rapporte à ce sujet la position que voici :
«  Hilton Simpson, membre de la fameuse expédition Torday-Joyce,
visita Lusambo en 1908 et nota à l’époque qu’il existait une quanti-
té d’indigènes mêlés, n’appartenant à aucun village et que les Blancs
du Kasaï appelaient Luba, mais qui en réalité n’appartenaient pas
plus à cette tribu qu’à une autre. Tout ce groupe devint les Luba. (Hil-
ton-Simpson, M. M. W., 1911 : 72)34.
Il est à signaler ici que la naissance de la province du Kasaï comme
délimitation administrative est post-coloniale. Et que les habitants
de la Lubilash ne pouvaient pas traditionnellement s’identifier par le
nom d’un cours d’eau dont ils n’habitaient pas les abords. Le Kasaï
est une rivière éloignée.
Au Kasaï oriental aujourd’hui habitent les Baluba du Kasaï locu-
teurs du Kiluba sur l’entièreté de la région du Sud jusqu’à la Lubi-
lash. Citons les Baluba Lubangule dans le Territoire de Kabinda, les
Baluba Shankadi dans le Territoire de Ngandajika, les Bene Kabam-
ba Ngombe ou Bene Matamba dans la zone de Mwene Ditu, les Ba-
yambayamba et Bahumi dans le Sankuru.

 RAPPORT AUX BALUBA LUBILASH


Quant au terme Baluba Lubilash lui-même, disons qu’il est chargé
d’une certaine ambiguïté dans la mesure où il désigne autant les lo-
cuteurs du kiluba, installés dans les régions qui bordent cette rivière,
notamment les Baluba de Kabamba Ngombe, ou dans l’extrême Sud
du Katanga, les autochtones de la chefferie de Bene Samba de Lubi-
lash35 et les Bene Kalundwe du Territoire de Kanyama, autant que
les locuteurs actuels du Ciluba résidents dans la contrée de l’entre
Lubilashi-Lubi-Mbuji-Mayi  ! Dire que les locuteurs du kiluba ha-
bitent exclusivement au Katanga et que ceux du Ciluba sont canton-
nés uniquement dans les provinces du Kasaï ne correspond pas à la
réalité de terrain.

34 Lukanda Lwa Malale, Les baluba, une


histoire à réécrire, inédit, 2014.
35. Olga Boone, Carte ethnique du
Congo, quart Sud-Est, Mussée
Royal de l’Afrique centrale,
Bruxelles, 1960.

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 QUID DE L’ORIGINE DES LOCUTEURS DU CILUBA ?

En étendant la recherche plus loin, on s’aperçoit, comme l’in-


diquent d’autres auteurs, que l’origine des locuteurs du Ciluba se
situe à un nœud anthropologique intermédiaire issu des rencontres
contingentes survenues en amont de l’histoire des migrations. Une
des hypothèses émises, quant à ce, est celle d’Edmond Verhulpen qui
propose cette version :

« On peut admettre aussi que les Baluba du Kasaï soient des Basonge
ayant asservi des populations diverses.  » Dans la même logique,
ajoute-t-il : « Baluba du Kasaï, Bena Luluwa et Basonge seraient ve-
nus du Buhemba, du pays du Maniema »36. Une théorie parmi tant
d’autres !
Ici, on n’est pas loin de la position soutenue par Kabamba Nkamany
a Baleme pour qui :
« Selon les récits des anciens Songye, les Luba (Bambo) et les Lulua
sont les descendants des jumeaux de Pidi Songye qui, ayant pratiqué
l’inceste, ont été chassés et s’étaient frayés leur propre chemin errant
dans la brousse »37
Au nombre des tenants de l’origine orientale de ce peuples, il y a
Nsomwe Tshiswaka (un Musonge) qui, lui aussi, les fait provenir
du Lac Tanganika38 où, d’après lui, se situerait le Sanga a Lubangu
originel.
Une autre version, assez invraisemblable, est celle qu’avance V. Ilun-
ga qui soutient que les Baluba du Kasaï, à travers leur ancêtre (?)
Mbidi Ciluwa, viennent du Rwanda39.
Pour sa part, Kavuma Ditunga ramène le même peuple, à travers
leur ( ?) ancêtre Mbidi Ciluwa, plutôt du côté de l’Atalantique !

36. Idem, p. 14.


37. Kabamba Nkamany a Baleme, Zaïre. Le
Busongye, minorité pharaonique? Aide
PpPRLUHSRXUXQHDFWLRQDIÀUPDWLYH
Nkamanyland, Kinshasa, 1996, p. 41.
38. NSomwe Tshiswaka, Bulumbwe. Tradition
initiatique africaine. Cas du Zaïre, Lubum-
bashi, 1966, p. 52.
39. Muya Bia Lushiku Lumana, Les Baluba du
Kasaï et la crise congolaise (1959-1966),
Lubumbashi, 1965

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Ò POINTS DE VUE DES LOCUTEURS


ORIGINAIRES DU KASAÏ
Parmi les chercheurs originaires du Kasaï, la position la plus répan-
due est celle qui soutient que les Baluba du Kasaï seraient venus du
Katanga d’où ils se seraient séparés avec les locuteurs du Kiluba…
A cet effet, l’histoire de Nsanga a Lubangu a été présentée pour ra-
conter les migrations des Baluba du Kasaï. Pour certains auteurs,
Nsangaa Lubangu fut un grand arbre lusanga portant une entaille
lubangu pour indiquer la bonne direction aux suivants40. D’autres
accordent à ce vocable le sens d’un rassemblement des Baluba en
signe de paix avant de décider à l’amiable de leur séparation.41
Pour d’autres, c’est la déformation linguistique 42 du terme nsamba
qui serait devenu nsanga au Kasaï, mot qui désigne le lac Nsamba
entre Kabongo et Kamina, au Katanga.43
Pour d’autres encore, lubangu signifie simplement l’Orient.
Quelques-uns le localisent au Kasaï Oriental chez les Bakwa Mu-
lumba44, d’autres dans une localité près de Mbuji-Mayi nommée
Citenga wa Mbombo45. L’existence chez les Karund, dans le Terri-
toire de Kapanga à Sakapemba d’un arbre de la dispersion46, d’après
la tradition de là, pourrait suggérer que le Nsangaa Lubangu se loca-
lise chez les Balunda.
40. Kavuma Ditunga, Kale ne kalele ka bisamba bietu,
éd. Franciscaine, Mbuji-Mayi, 1980, pp.35-38.
41. Tshimbombo Mudiba, op.cit. pp.68-72
42. I. Ndaywel, op.cit. p.144
43. Mpoyi Mwadyavita, op.cit. p.19
44. Tshimbombo Mudiba, op.cit. pp.68-72
45. Kavuma Ditunga, op.cit. pp.35-38
46. Crine-Mavar, op.cit. p.70
47. Nsomwe Tshiswaka, le Bulumbwe, tradition
initiatique bantu, cas du Zaïre, Lubumbashi, 1986,
p. 52.

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D’autres auteurs encore le situent au bord du lac Tanganika47, sans


toutefois préciser si c’est au Kivu ou au Katanga, pour la rive occi-
dentale ; au Burundi ou en Tanzanie, pour la rive orientale. Mettre
en rapport Nsangaa Lubangu avec le Tanganika nous renvoie à l’ex-
plication qu’en donne Nsomwe Tshiswaka autout de l’argument
suivant :

«  …Il s’agit du lac Tonganyika et non Tanganika, comme on le


nomme. En effet, en luba shaba (Katanga) Tonga signifie « étoile » et
Tonganyika signifie « l’étoile mère ». Tonga signifie aussi diamant ou
mutoto. Le Lac s’appelle Tonganyika. La terre située autour de ce lac,
dans le dorsal de ce continent et dont Mvidye Kalombo prit possession,
il l’appela  : Nsenga ya Lubangu. Nsenga signifie terre ou domaine,
Lubangu est l’appellation de la couronne des Balopwe qui est encore
portée de nos jours par beaucoup de chefs coutumiers à travers notre
pays. Les premiers traducteurs ont écrit que Nsenga = Nsanga. Ce qui
ne signifie rien quand on y ajoute le reste »48

D’autres chercheurs l’implantent aux abords des lacs Kisale et


Upemba, au centre du Katanga, à l’endroit où les fouilles archéolo-
giques avaient révélé, au village Nsanga, la présence des Baluba vers
le VIIIe siècle après Jésus-Christ49…

Quant à Loth Malemba Tshimanga, il avance que les Baluba du Ka-


saï viennent des Juifs, descendant du Fils de Jacob nommé Ruben50.
Ainsi situe-t-il le Nsangaa Lubangu au Proche-Orient. Dans la fou-
lée, il avance que le terme luba est une allitération linguistique du
nom de ce prince juif Ruben. Les Ba-Ruben seraient ainsi devenus
Ba-Luba!
Au sujet de ces migrations hypothétiques, certains auteurs les si-
tuent avant la formation des Empires des Baluba au Katanga(Lire
Neyt François, op.cit. p.211), n’ayant pu trouver aucun symbole de
pouvoir centralisé au Kasaï. D’autres soutiennent, par contre, que
ces mouvements migratoires furent provoqués par la guerre ayant
opposé Nkongolo Mwamba et Kalala Ilunga51.
D’autres encore font remonter ces migrations longtemps après
l’érection des empires successifs, jusqu’au XVIIe siècle finissant !52
A cette palette de raisons, s’ajoutent les que- 48. Nsomwe Tshiswaka, Le Bulumbue. Tradition
relles lancinantes entre princes héritiers pour la initiatique Bantu. Cas du Zaïre, Lubumbashi, 1986,
p. 52.
succession au trône53. Sans oublier les calamités 49. Mpoyi Mwadyavita, op.cit. p.19
50. Lufungula, Notes inédites, 1982.
naturelles dues aux crues et aux inondations 51. Verhulpen E., op.cit. p.70
52. Mabika Kalanda, cité par Muya Bia Lushiku
survenues dans les zones lacustres du Katanga. Lumana, op.cit. p.23-24
53. Kavuma Ditunga, op.cit. pp.35-38

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Une des causes majeures serait, évidemment, le premier « schisme »


historique entre les Baluba Lubilash et les Bena Luluwa:
« Les traditions de ces deux groupes ethniques concordent sur ce point
qu’ils ont une origine commune et qu’ils se sont séparés parce que les
hommes de Bena Luluwa refusaient de travailler aux champs …»54
Evoquons également, d’une part, la situation découlant d’une pé-
riode des disettes55 que certains historiens avancent pour justifier la
dispersion, et d’autre part, l’argument en faveur d’une séparation à
l’amiable, donc volontaire entre frères. Ce qui aurait occasionné pour
certains le renoncement au nom Baluba! 56
Voici l’explication que fournit Mabika Kalanda à ce sujet :
« …Une grande masse des Baluba se décida à quitter le Katanga en
direction du Kasaï. Cette masse était d’abord celle des extrémistes qui
voulaient rompre à jamais avec Ilunga Mbidi et son peuple, puis vint
celles des gens qui fuyaient la famine plutôt que l’autorité du grand
Mulohwe. Les extrémistes étaient décidés d’abandonner tout ce qui
pouvait rappeler leur communauté avec ceux qui restaient sur la terre
des ancêtres. Ils ne voulurent pas s’appeler Baluba et choisirent d’autres
noms pour se désigner ou reprirent les appellations ayant précédé la
constitution du premier empire : ainsi les Basonge, les Bakunda… Les
autres s’intitulèrent qui Bene Kanyoka, qui Bene Konji. Les plus mo-
dérés gardèrent hardiment la dénomination qui rappelait leur origine
à tous : ce sont les tribus Bakwa Kalonji, Bena Tshiyamba, Bakwa Di-
shio, Bakwa Bowa, etc. et continuèrent à s’appeler Baluba. Les Bena
Lulua ont renoncé à cette appellation à la fin du XIXe siècle »57

Ò INCERTITUDE PERSISTANTE
Pour sa part, Vansina Jan58 suggère qu’il ne serait pas impossible que les
Baluba du Kasaï59 aient été des Basonge60 vaincus et refoulés vers l’ex-
trême Ouest en fuyant les guerres des conquêtes61 que les Baluba locu-
teurs du Kiluba menaient en pays des Basonge62, au XVIIIe siècle, avec
54. De Jonghe, A propos de
l’empereur Mwine Kadilo.
la politique indigène. Le
respect de la coutume. In L’on comprend que face à cette ambiguïté Ndaywel ait pu écrire  :
Congo, Tome I, N°1/1921 ,
p.751 « L’occupation du Kasaï constitue une page particulièrement contro-
55. Muya Bia Lushiku Lumana,
op.cit. pp.23-24
versée de l’histoire luba »63
56. Tshimbombo Mudiba,
op.cit. pp. 68-72 Abondant dans le même sens, pour sa part, Muya Bia Lushiku avait-il
57. Mabika Kalanda, op. cit.
58. Lire les travaux de cet fini par admettre: « Jusqu’à présent, aucune hypothèse n’est venue éclai-
auteur
59.Lire pages afférentes rer la situation. La dernière tentative d’explication des migrations luba
60.Lire pages afférentes
61. Lire pages afférentes est celle de Jan Vansina. Celui-ci laisse planer l’incertitude en concluant
62. Vansina, op.cit., p.122
63. Ndaywel, op.cit. p.142

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que l’origine des migrations du Katanga vers le Kasaï n’est pas connue. »64
Une évidence : jusqu’à ce jour, la discussion sur l’origine de ces mi-
grations à partir du Katanga demeure vive entre chercheurs.
À partir de l’expansion multidirectionnelle des locuteurs
du Kiluba, il est vraisemblable d’imaginer qu’une partie
des Baluba se soit dirigée au Nord-ouest. Autant dire que
les deux sortes de Baluba, ci-haut évoquées, ne peuvent se
réduire uniquement aux locuteurs du Kiluba et Ciluba65,
les communautés dérivées ayant engendré dans leurs mi-
grations, à des époques différentes, plusieurs branches de groupes
anthropologiques (en dehors de la seule direction empruntée par
les Baluba du Kasaï) revendiquant la même conscience culturelle
et historique articulée autour d’une langue commune d’origine, le
kiluba.
Notons aussi que les données archéologiques en notre possession
(cfr. découverte de la statue d’Osiris) montrent que des transactions
de toutes sortes existaient depuis plus de 2300 ans avant Jésus-Christ
entre la Mésopotamie, l’Arabie, l’Égypte antique et le Buluba.
Quant aux données linguistiques, elles révèlent que les Babemba se
sont séparés avec les locuteurs du Kiluba il y a plus de 2000 ans, soit
à la naissance de Jésus-Christ à Betheléem.
Les mêmes données linguistiques indiquent la profondeur de plus
de 1200 ans depuis la séparation entre le Ciluba et le Kiluba. Af-
firmation qui bat en brèche la thèse soutenue par les tenants de la
matricité originelle des Baluba autour de l’événement de Nsangaa
Lubangu fixé entre 1600 et 1650 ( donc un épisode contemporain
créé par certains chercheurs autour des années 59 et 60) cherchant à
greffer l’histoire de la séparation entre les Baluba aux temps des em-
pires. Ce qui n’est pas conforme à la vérité historique. Car, comme
précisé plus-haut par l’argument linguistique, cette séparation est

64. Muya Bia Lushiku Lumana, op.cit. p.24


 3UpFLVRQVLFLTXHOHSUpÀ[HFK WVKFK Q·HVWjPRQDYLVTX·XQHSURQRQ
FLDWLRQDOOLWpUpHGXSUpÀ[HNLHQXVDJHGDQVODSOXSDUWGHVSDUOHUVGHOD
zone bantoue du Congo. De même que l’on dit le Kikongo, le Kisonge,
le Kilamba, le Kiswahili, de même il est permit de parler du rapport
phonémique entre chibemba et Kibemba. En réalité, Kiluba et Ciluba ne
devraient pas renvoyer à deux langues différentes des Baluba comme
F·HVWOHFDVDXMRXUG·KXL/HSUpÀ[H.,V·LQWHUFKDQJHDQWOLEUHPHQWDYHF
le phonème chi tout en s’ancrant dans une même réalité linguistique.
Donc Kiluba et Ciluba, comme tant d’autres langues de la même parenté
linguistique, procèdent d’une langue unique des Baluba (le Kiluba).
Ainsi, Tundu Kyalu déclara-t-elle: «Bien que les autochtones (Kalundwe)
nomment leur langue le «Tshiluba», nous avons adopté pour notre travail
l’orthographe «Kiluba» pour la distinguer du Tshiluba du Kasaï qui est
bien différent du leur». (TUNDU KYALU : 1980, pV).

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intervenue il y a plus de 1200 ans.


Nous nous gardons, à cet égard, de citer les Cewa, les Bisa, les Wage-
nia, les Pende, les Zoulou, les Wazula…, autres embranchements
Baluba découlant de cette « polyfragmentation echélonnée » (cf.
Manda Tchebwa, 2014) sur tant d’années d’histoire des migrations.
Que retenir de telles dissensions ? Si ce n’est, ainsi que l’indique non
sans raison Crine-Mavar que  : «  Toutes ces dissidences (des peuples
lunda) eurent pour point de départ un lieu voisin de Sakapemba que
les arrund ont immortalisé poétiquement : le lieu de l’arbre de la dis-
persion »66, terme utilisé par les défenseurs de Nsanga Lubangu pour
désigner l’arbre à entaille aux pieds duquel la dispersion des peuples
s’effectua !
Du coup entre fléxibilité mémorielle due à la malléabilité de la tra-
dition orale et aux effets de fabulation subséquents, chaque commu-
nauté se révendiquant la légitimité de l’origine muluba s’est fabri-
quée son foyer originel centripète, son Nsangaa Lubangu, fût-ce au
prix de l’articuler spatialement sur des territoires difficilement justi-
fiables du point de vue de la vérité historique.
Le problème de la locatisation de ce fameux foyer matriciel nous ra-
mène ainsi à la même question, presque sans réponse, que se posait,
il y a quelques temps encore, Tshimbombo Mudiba en ces termes : « 
Quelle est la place ou la région exacte où se situerait le célèbre Nsan-
gaa Lubangu qui a été au centre de dispersion des lubas ? Les Lu-
luwa, interrogés, le placent à l’Est du pays Luluwa, certains chez les

66. Crine-Mavar, op.cit., p.70

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Bena Kalala, d’autres chez les Bakwa Mulumba, Bena Tshiyamba (Kasaï
oriental). Lorsqu’on interroge les vieux des luba du Kasaï oriental, eux,
ils fixent le Nsangaa Lubangu à l’Est de leur Territoire dans la région
du Shaba. C’est ainsi que selon les renseignements recueillis par Kabese
Bernard, le Nsanga Lubangu serait au pays de Mutombo Mukulu dans
la région du Shaba, là où les Bantoulogues placent le centre de dispersion
des Bantu. Le problème reste posé et l’énigme demeure insondable ». Le
point certain est que tous les luba du Kasaï viennent de l’Est du Zaïre
où ils avaient connu une grande dispersion au pays de Nsangaa Lubangu
(le chêne à entaille) qui demeure leur point de repère inoubliable, mais
aussi impossible à localiser exactement. Coïncide-t-il avec le point de dis-
persion des Bantu situé au bord du lac Kisale, là où certains auteurs fixent
le Centre de dispersion des Bantu ? On ne peut encore donner une réponse
satisfaisante »67

 A NOTRE AVIS
Un tel débat nous ramène à une seule réalité : l’histoire de Nsanga a
Lubangu, présentée sous cet angle, est insoutenable car les auteurs sont
incapables, à cette étape de la recherche, de nous dire ce qu’il en est au
juste de cette fameuse origine tant controversée.
A notre avis, les Balubilash et les Bena Luluwa sont des Baluba de la
deuxième catégorie68 au même titre que l’ensemble des autres peuples
de parenté muluba, que ce soit ceux du Malawi, de la Zambie, de la
Tanzanie, du Zimbabwe, de la Province orientale, du Maniema, du Sud
Kivu, du Bandundu…
En ce qui nous concerne, nous ne soutenons pas l’histoire de Nsan-
gaa Lubangu pour les raisons suivantes : a) les données archéologiques
ont montré que les transactions commerciales et les contacts profonds
avaient existé il y a plus de 2300 ans entre la Mésopotamie, l’Egypte
ancienne, l’Arabie antique et le Buluba69 ; b) les données linguistiques
ont révélé pour leur part que la séparation entre le kiluba et le ciluba
s’opéra il y a de cela 1200 ans.
Jugez-en par vous-même : l’écart chronologique est impressionnant face
aux tenants de la thèse matricielle de Nsanga Lubangu (1620-1650)70 .
Et puis, une langue nouvelle différente de la langue mère ne peut pas
67. Tshimbombo Mudiba, op.cit., pp.68-72
se former en moins d’un siècle. Car,68. Monseigneur
D’après Edmond Verhulpen, Decitant
Clerc Auguste
Vervaecke, « les Bena Luluwa
(apparentés aux Baluba) viendraient de l’Est du Lomami, du Katan-
arrivant à Mikalayi en 1894, écrivit la grammaire deIlslaauraient
ga, du pays des Baluba. langue quittédes Bena
ce pays parce qu’un de

Luluwa en 1897. Le Kiluba (L33) n’estleurspas ancêtres, Muyembe, aurait été battu par les Baluba au cours
le cena Luluwa (L31). Il faut
d’une guerre malheureuse. Les Bena Lulua seraient des Bapemba.
L’ancêtre Muyembe, battu par les Baluba, est peut-être le roi
beaucoup de temps pour qu’une langue d’une poignée des migrants se
Kongolo, d’origine Muyembe (Bayembe ou Basonge), battu par les
Bakunda d’Ilunga
dote des règles lexico-syntaxique différente de celleMbili, lede
fondateur
leurduorigine
second empire(ledes Baluba ».
Verhulpen, op. cit., p. 70.
Kiluba ) et de celle des autochtone69.trouvé
Banque du sur place
Congo au Kasaï
Belge 1909-1959, éd. L (Bakete,
; Cuypers-Bruxelles, cité
par Gilbert Mbangu a Mukkand, Le Katanga et son destin, éd. Gmb
Balwalwa, Babindi...) investa, Lubumbashi, 1995, p.1.

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Jugez-en par vous-même : l’écart chronologique est impressionnant


face aux tenants de la thèse matricielle de Nsanga Lubangu (1620-
1650)70 .
Et puis, une langue nouvelle différente de la langue mère ne peut
pas se former en moins d’un siècle. Car, Monseigneur De Clerc Au-
guste arrivant à Mikalayi en 1894, écrivit la grammaire de la langue
des Bena Luluwa en 1897. Le Kiluba (L33) n’est pas le cena Luluwa
(L31). Il faut beaucoup de temps pour qu’une langue d’une poignée
des migrants se dote des règles lexico-syntaxique différente de celle
de leur origine (le Kiluba ) et de celle des autochtone trouvé sur
place au Kasaï (Bakete, Balwalwa, Babindi...)

70. Mpoyi Mwadya Vita, op. cit. pp 19-20.

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Chapitre III

LA DYNAMIQUE
EXPANSIVE
EN DIRECTION DE
LA MER DU NORD

A
utrefois, l’empire des Baluba, porté
dans ses ambitions politiques par
des grands monarques conqué-
rants, imposa sa domination sur un
vaste territoire qui allait du lac Tan-
ganika au Kwango, sur plus de 1500km !71
La première poussée est assurément celle ayant
conduit les Baluba jusqu’à la mer du Nord de
l’Afrique. Se référant à la légende que Mwamba,
grand chef des Babemba, rapporta (en 1892) à
deux missionnaires du Nyassa, Père Colle écrit :
«D’après ce vieux chef d’une grande famille, le
peuple tout entier des Baluba s’est porté vers la mer, à une époque in-
déterminée, puis une partie est revenue en arrière, se fixant définitive-
ment dans l’Ubemba. (…) Les familles issues de Muluba, c’est-à-dire
les Baluba dont parle Mwamba, se seraient dirigés vers le Nord ou le
Nord-Ouest. A leur retour, ils se seraient établis à l’Ouest des Balu-
ba restés au pays et les auraient tous considérés comme descendants du
Mufemba. (…) Tout cela tend à prouver.
1. Que le pays primitif des Baluba est situé à l’Ouest, loin de leur pays
actuel.
2. Qu’une première poussée s’est faite vers les lagunes du Kamelondo.
3. Qu’une poussée s’est faite en même temps, ou plus tard vers le Nord
ou le Nord-Ouest jusqu’à la mer.
71. Banza Mwepu, Le mythe des origines
desBaluba, Dikasa, Lubumbashi, 2001, p. 72.

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4. Que tout le monde est revenu sur ses pas sauf quelques groupes qui
sont restés en route.
5. Qu’un groupe nombreux, dirigé par Kitimukulu, est allé s’établir
en Ubemba, d’où il a donné naissance aux groupes Babemba et Ba-
tabwa établis depuis le Nyassa jusqu’au Tanganika.
6. Que les Baluba restés aux lagunes ont pris l’habitude de désigner
sous le nom de Bahemba leurs frères établis à l’Est. Suivons les péré-
grinations de nos Baluba, devenus Babemba »72.
Comme on le voit, Colle fait reculer encore plus loin
dans l’histoire l’antériorité des Baluba, peut-être de
milliers d’années avant Jésus-Christ, en soutenant que
les Européens et les Baluba vivaient ensemble (à une
date difficile à fixer) dans le Buluba (Uruwa) autour
d’un père. Et que les Baluba blancs, si tant est qu’ils
existaient réellement, se fixèrent en Europe dans une
migration ultime. Quant à leurs frères noirs, arrivés au
bord de la mer, pris de peur, ils ne purent la traverser.
C’est dans ces entre-faits que le fils de Kitimukulu mou-
rut.73 Alors s’amorça le mouvement de retour vers le
Sud, jusqu’à la mère patrie.
Sur le chemin de retour vers le pays premier, entre la
Méditerranée et le Katanga, bien des peuples issus de
ces migrations sont restés en cours de route créant des
nouveaux foyers culturels autour des nouvelles nations
et des tribus spécifiques.
Ceux qui ont dépassé la partie australe de l’actuelle pro-
vince du Katanga ont poursuivi leur voyage en direction du grand
Sud. D’eux sont nés les Babemba, les Bashona, les Moravi, les Rozui,
les Bacewa, les Ndebele, les Bazulu…74
Mais au délà de l’Egypte, les fouilles archéologiques attestent éga-
lement l’étroite relation entre les Baluba, l’Europe antique et le
Proche Orient. Cette séquence historique nous est connue grâce aux
travaux de Gilbert Mbangu a Mukkand  qui nous renseigne que :

72. R. P. Colle, op. cit., pp. 47-49.


73. Idem, p.46. Texte recueilli au Nyassaland
par deux missionnaires blancs auprès du
Chef Mwamba, d’origine Muluba.
74. Ibidem.

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«  La découverte en 1887 aux environs de Bukama, par 50 centi-


mètres de profondeur dans le sol, d’une petite statuette du Dieu égyp-
tien Osiris intrigua fort les spécialistes. Soumis à l’égyptologue belge
Capart, son analyse autorisa à penser que des caravanes partant de
cette région avaient établi au loin depuis des siècles des contacts avec des
marchands phéniciens, Grecs, Egyptiens et Arabes. Le précieux objet
datait d’environ 2300 ans avant Jésus-Christ. »75
A ce même sujet, Ndua Solol quant à lui nuance quelque peu au
sujet de ces liens entre la statuette et le peuple Muluba actuel :
« Certes, et on a raison de le répéter, une civilisation exhumée en un
lieu donné n’a pas nécessairement un lien avec les populations qui
occupent actuellement cet endroit. »76
Comme les Baluba existaient physiquement dans cette contrée bien
des siècles avant la naissance de Jésus-Christ, et même à l’époque où
les ancêtres des Blancs et des Noirs vivaient encore en Afrique cen-
trale, c’est donc eux qui avaient noué des contacts avec les peuples
du Nord de l’Afrique et du Proche-Orient !
Sur ce point, Gilbert Mbangu est, nous semble-t-il, en accord avec
notre avis :
« L’existence du commerce est confirmé par la découverte de cauris
et de perles de verre et surtout, la création d’une véritable monnaie :
à savoir les croisettes de cuivre, retrouvées même sur les lointains
rivages de l’Atlantique et de l’Océan Indien »77
Il y a donc lieu d’admettre que du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest,
toute l’Afrique était en contact avec les Baluba.

EN DIRECTION DU SUD
 LES BALUBA DU SUD KATANGA ET DU
NORD DE LA ZZAMBIE
Au sujet de cette catégorie des peuples bantu Cornevin déclare :
« Toute une série des peuples du Sud Katanga et
de la Rhodésie du Nord se réclament d’une ori-
gine louba, les Bemba, Lamba, Lala au Congo,
les Ounga, Lamba, Kaonde en Rhodésie sont les 75. Banque du Congo Belge 1909-1959, éd.
plus importants. La langue kilouba est l’une des L ; Cuypers-Bruxelles, cité par Gilbert
Mbangu a Mukkand, Le Katanga et son
quatre grandes langues véhiculaires du Congo. destin, éd. Gmb investa, Lubumbashi,
1995, p.1.
Elle est employée pour l’enseignement primaire 76. Ndua Solol, op.cit. p.130
dans les provinces du Katanga et du Kasaï. »78 77. Mbangu a Mukkand Gilbert, ibidem
78. Cornevin, R., L’histoire du Congo, Paris,
Berger-Levrouet, 3ème éd., 1970, p.47

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Dans le même ordre, Jan Vansina affirme :


« Les Kaonde disent qu’à l’origine, ils étaient des Lubas provenant
du Nord et ils parlent Luba »79. Pour E.Verhulpen, «selon certaines
traditions, les Basanga et les Banweshi seraient apparentés aux Ba-
kaonde et aux Balamba. Après avoir constitué jadis un seul et unique
groupe ethnique parlant une langue luba, ils se seraient divisés pour
former des Basanga (Chef Pande), des Bakaonde (Chef Kaindu), des
Balamba (Chef Kifongo) et des Banweshi (Chef Sampwe)80.
Quant à Banza Mwepu Mulundwe, qui a consacré une recherche in-
téressante à cette question, il signale les faits suivants :
« 1. les Cewa de Zambie (…) se réclament d’ancêtres Baluba.
2. Les Bemba du Nord-Est de la Zambie prétendent eux-mêmes
qu’ils descendent du Muluba Kichi-Mukulu (…)
3. Comme les Babemba, les Basanga se disent descendre du Muluba
Mutombo Kola (…).
4. Les Kaonde de la vallée du Zambèze, proches parents des Basan-
ga et des Babemba, affirment eux aussi descendre des Baluba dont,
plus que tous les autres, ils conservent plus fidèlement la langue et la
conscience de leur origine commune»81.

 LES BALUBA DE LA ZAMBIE, DE LA


TANZANIE, DU MALAWI, DU ZIMBABWE, DU
MOZAMBIQUE, DE L’AFRIQUE DU SUD…
Le deuxième mouvement d’expansion des Baluba est celui qui s’est
naturellement porté vers le Sud. Certains savants, comme Thomas
Reefe, situent la séparation entre les langues Kibemba et Kiluba en
reculant la généricité pratiquement à l’ère chrétienne. Ce qui attise
davantage le débat autour de la séparation des peuples d’origine mu-
luba :
«Linguists and historians have examined the languages of the sa-
vanna and using lexicostatistical analysis, have suggested the relative
chronological distance at which some of them diverged from on ano-
ther. The percentages of correlations in vocabulary between langagues
of the luba-bemba cluster suggest that the parent languages of the luba
of shaba and the bemba diverged some 2000 years ago. The language of
the luba kasai diverged from that of
79. Vansina Jan, Les anciens royaumes de la savane, Léopoldville, IRES, 1965, the luba of shaba some 1200 years
p.127.
80. E.Verhulpen, op.cit. p.394. ago. While hemba separated as re-
81. Banza Mulundwe, Le mythe des origines des Baluba, éd. Dikasa, Lubumbashi,
2001, pp. 35-38. cently as 500 years ago»82:
82. T. Reefe, The Rainbow and Kings. A history of luba empire, to 1891,
University of California Press, Berkeley and Los Angeles, California, London,
England, USA, 1981, p.74.

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On peut inférer ici que les Babemba étaient au départ des Baluba
qui parlaient Kiluba, avant la naissance de Jésus-Christ ! Ces indi-
cations semblent corroborer les investigations de Père Colle, en rap-
port avec les pérégrinations des Baluba devenus in fine Babemba ! 
Mais au-delà de Babemba, selon Banza Mwepu Mulundwe, la filia-
tion des Baluba dans leurs expansions australes a donné naissance à
bien d’autres peuples de cette région qui continuent à se revendi-
quer l’origine muluba. Tels que :
« 6. Les Rozui (Lozi) du Zimbabwe, près de Stanley Falls, sont d’ori-
gine Luba-Lunda.
7. Les Shona (Bakalanga : Vakaranga) du Zimbabwe, parents des
Baluba, donc, comme eux, originaires de l’Ouest du lac Tanganika,
et des rives du lac Kisale, occupèrent la région allant du Zambèze
au Limpopo et du Kalahari, à l’Océan Indien, vers le XVe siècle.
On leur doit les merveilleuses 350 ruines de Zimbabwe (Nzibo ya
mabwe, palais ou grande maison de pierres en kiluba), (…). »83
C’est en lisant J. Vansina qu’il est donné de rapprocher davantage
une telle proximité généalogique :
« Les peuples du plateau rhodésien étaient organisés en petites
chefferies, exactement comme dans la partie supérieure de la vallée
du Luapula. Leurs chefs étaient sans doute d’origine Luba ou Hem-
ba, et portaient le titre de mulopwe wa bantu, chef du peuple, mu-
lopwe signifiant évidemment chef dans la langue Luba. Ceci s’accorde
parfaitement avec les traditions des peuples Cewa et Maravi vivant
plus au sud-est, qui se disent originaires eux aussi du pays Luba «.84
Notons ici que si en Kiluba, les lettres v et b, r et l permutent libre-
ment, cependant le sens demeure le même. C’est le lieu de préciser
qui plus est que : «  Les Shona (Bakalanga  : Vakaranga) du Zim-
babwe sont parents des Baluba Bakalanga dans le district du Tanga-
nika d’où ils sont originaires ».
Le terme kiluba « Ngoni », oiseaux, est le nom par lequel les Bazulu
de l’Afrique du Sud s’identifient. L’expression « Ngoni ya madju-
lu » ou « Ngoni a mazulu » signifie les « oiseaux (descendus) du
ciel ».

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Evoquant les mêmes « peuples dérivés » du buluba et leurs symbo-


liques sous-jacentes, l’auteur précité indique : « A la fin du XVIIIe
siècle, les Ngoni (Ngoni ya madyulu : oiseaux fils du ciel : Ngoni a Ma-
zulu), avec à leur tête l’intrépide Chaka, passèrent le Limpopo et se
lancèrent à l’assaut de la pointe sud du continent africain. (…) Les
Ngoni (Zulu) du Natal, descendants des Shona du Zimbabwe, origi-
naires de la vallée du Congo, s’apparentent donc eux aussi aux Balu-
ba »85 .
Il s’agit en l’occurrence des Maravi, des Rozui, des Babemba, des
Wasenga, des Nyanja, des Aushi, des Lala, des Ambo, des Luano, des
Lamba, des Balemba, des Basisi, des Bakaonde, des Balima… Jusque
chez les Ndebele, les Ngoni a Mazulu ou Zulu…, la culture des Ba-
luba a marqué de son empreinte la vie de ces peuples sud-africains.
En nous référant aux indications chronologiques fournies par cer-
tains chercheurs, il apparaît clairement l’origine kiluba des Babem-
ba, elle non plus, n’est pas à mettre en doute. Voici la précision qu’en
fournit Jan Vansina :

«La première immigration semble avoir été celle des Bemba. Les
quelques indications chronologiques dont nous disposons semblent
situer leur sortie du pays Lunda au cours du règne de Cibinda Ilunga
dont ils étaient des suivants Luba. Ceci explique pourquoi les cher-
cheurs qui étudient la tradition des Bemba se sont toujours opposés
au sujet de l’origine de ce peuple, les uns prétendant qu’il est d’ori-
gine Lunda, les autres lui attribuant une origine Luba. La meilleure
source Bemba connue à ce jour, le panégyrique de Nkole wa Ma-
pembwe, second roi ou Citimukulu, manifeste son accord avec la
tradition citée lorsqu’il dit: «Nkole wa Mapembwe…tu étends le
pays Lunda. Tu es un vrai chef Luba ».86
Un autre éclaircissement s’impose ici : l’émigration des Baluba, de-
venus par la suite des Babemba, est assurément antérieure à la forma-
tion des Empires. Ce, en nous fondant sur la dation des historiens,
en l’occurrence ceux qui remontent la séparation entre le Kiluba et
le Kibemba à plus de deux mille ans87.
Toujours est-il que, de nos jours encore, lorsqu’un Muluba locuteur
du kiluba arrive à la cour royale de Kiti Mukulu en Zambie, autorité
qui se reconnaît de la descendance de l’ancêtre originel Nshi Miku-
lu, il y est accueilli en tant que fils du pays.
83. Banza Mulundwe, op. cit. pp. 35-38.
84. J.Vansina, op. cit., p. 68.
85. Idem, p. 38.
86. J.,Vansina, op. cit., p. 68
87. Reefe Thomas, The Rainbow and Kings. A history of luba empire
to 1891, University of California Press, Berkeley and Los Ange-
les, California, London, England, USA, 1981, p.74.

BALUBA 69
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EN DIRECTION DU
NORD-EST
 LES BALUBA DE LA PROVINCE ORIENTALE
Les migrations du Nord du pays, jusqu’à la ligne de l’Equateur, nous
conduisent à présent sur les traces des Wagenia. Cet épisode nous est
ici rapporté avec de précieux détails sous la plume de Crine-Mavar:
« A une époque très ancienne, les ancêtres des pêcheurs Wagenia,
originaires de la contrée lacustre du Shaba (Katanga) central, des-
cendirent le Lualaba jusqu’au-delà de Kongolo et occupèrent toutes
les îles du fleuve. Le calcul lexico statistique attribue une profondeur
de 740 années à la séparation intervenue entre wagenia (Baenya) de
Kisangani et Wagenia du Shaba (Katanga). Ce qui nous reporterait à
1230. Une date qui prend valeur d’un possible, parce que justement
coincée entre 800 (installation d’un fond de population pré-luba
Shankadi) et 1450 (avènement de l’empire des Baluba shankadi).88
Le même auteur ajoute plus loin :
“A une époque contemporaine des premières tentatives d’organisation
de l’empire des Baluba Shankadi, des pêcheurs originaires de la contrée
lacustre du Shaba (Katanga) central descendirent encore le Lualaba et
se disséminèrent le long des rives et sur les îles du fleuve, depuis Bukama
jusqu’au-delà du 5ème parallèle nord. Ces pêcheurs connus sous l’appella-
tion générique de Wagenia descendent de l’ancêtre Kikulu Manda (…).
Quelque fois, on les désigne du nom de Balaba (dérivé de Lualaba) ou
encore du nom de Waluba-Wagenia. Leur économie, presque exclusi-
vement axée sur la pêche, les poussa depuis des temps immémoriaux à
entretenir des relations avec des populations riveraines, chez lesquelles
ils écoulaient ou échangeaient les produits de leur pêche. »89

88. Crine-Mavar, op. cit., pp. 23. 59.


89. Ibidem.

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BALUBA
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Et l’on peut le vérifier aujourd’hui encore : les Baluba de Bukama, de


Malemba, de Ankoro …, du moins ceux qui résident dans les abords
du Fleuve Lwalaba (Congo), sont appelés Balaba, Baluba de Lwa-
laba. De même, les Wagenia s’identifient aux Baluba de la Province
orientale. Faisons remarquer que s’ils s’appelent Waluba Wagenia
jusqu’en province Orientale, c’est que le terme waluba (Baluba) est
anterieur à 1230 après Jesus-Christ.

 LES BALUBA DU MANIEMA ET DU KIVU


Avant l’implantation des Basonge entre le Maniema, le Sankuru et le
Katanga actuel, toute cette contrée parlait kiluba. Les Baluba occu-
paient un territoire qui s’étendait jusqu’au Maniema.
De la sorte, comme nous renseigne Verhulpen :
«Les Bena Kalebwe ou Bekalebwe, Basonge du Lomami, ont vu sur le
sol à leur arrivée, les Bena Kibeshi ou Bena Eki, Basonge venus avant
eux dans le pays et ayant rencontré les Bena Musolo (gens de Kapepula)
et les Bena Nsamba, parlant Kiluba. Les Bena Kibeshi auraient déjà
parlé à cette époque une langue Basonge, influencée par le Kiluba.»90
Autant dire que toute la population des Basonge occupant la contrée
située au-delà de l’actuelle ville de Kabinda, jusqu’à la frontière des
Batetela, parlait kiluba.
A l’aube de l’implantation de l’empire, le Buluba (Uruwa), selon
Verhulpen, touchait jusqu’aux peuples du Maniema, cela par le biais
des campagnes militaires : « Il (Ilunga Kalala) trouva moyen d’assu-
jettir jusqu’aux lointaines régions du Kalebwe et du Songi et d’y im-
planter la légende de sa renommée (…) »91.
Kalala Ilunga avait, on le voit bien ici, atteint le Maniema avec ses
conquêtes armées et assujetti les peuples de cette contrée à l’empire
kiluba.
Nous connaissons cet épisode à travers les travaux du même Crine-
Mavar :
«  Poussant toujours plus avant vers le nord, les envahisseurs Baluba
shankadi désormais placés sous le commandement de Buki pénétrèrent
dans la seigneurie basonge : Bena Kiloshi, comprise dans le quadrilatère
formé par Katea, Kongolo, le Mont Sampwe et Kitule. Ils séjournèrent
massivement dans cette seigneurie qui resta l’un de leurs postes avancés.
Ils y nouèrent d’abord des alliances avec leurs hôtes, ainsi qu’avec les

90. E.Verhulpen., op.cit., p. 80.


91. Idem, p.394.
92. Crine-Mavar, op. cit., p. 49

BALUBA 71
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Bena Wangongwe, les Bena Kumbi et les Bena Kayayi, en vue d’étendre
leur domination sur les tribus de la civilisation du triangle nord-est. »92
Comme pour appuyer cette analyse historique, Vansina déclare :
«Dans les années 1860, Tippu Tib entendit dire de lui : «Jadis, nous
avons entendu dire par nos aînés que le chef suprême d’Urua, nommé
Kumwimba (Kumambe) et par après Ilunga Kabale (Rungu Kabare)
régna sur tout le pays Urua jusqu’à Mtoa (sur le Lac Tanganika) y com-
pris le pays Manyema (Maniema méridional) et les rives de la rivière
Lomami (Rumani). Il avait entrepris de mener la guerre sur toute cette
région et il atteignit Utetela (Kusu sud- oriental)…». 92b
Et plus loin, il ajoute :

«A l’époque où Rungu Kabare était chef, il était le plus puissant des chefs
Warua et leur souverain. Il avait mené la guerre dans toutes les régions
du Maniema. Seul le Lac Tanganika l’arrêta.» 93
C’est à la lumière de tels témoignages qu’il est permis de soutenir que
les Bahemba du Maniema sont une branche des Baluba (leurs chefs
étant des Warua = Baluba). De la sorte, ils autorisent d’être classés
dans l’aire culturelle Kiluba. On en retrouve les affinités jusque dans
le domaine des arts, dans lequel ils respectent à merveille les canons de
l’art kiluba.
Il suffit ici de relire William Fagg pour s’en convaincre :
« On les (masques de bois représentant un chimpanzé)  trouve parmi
les groupes niembo et mambwe des Hemba qui, bien que parlant leur
propre dialecte bantu, le Kihemba, sont ici traités pour la classification
artistique comme partie intégrante du grand complexe luba. En art, les
Hemba sont les plus luba des luba ».94
Quoi de plus normal quand on sait, comme l’indique T. Reefe, que
« le Kihemba se sépara du Kiluba récemment, il y a de cela seulement
500 ans95.

92.Vansina. J., op it. p123


93. J.Vansina, op. cit., p. 123.
94. F. William, Masques d’Afrique, dans les collections du Musée
Barbier Müller, éd. Fernand Nathan LEP, 1980, Suisse, p.144.
95. T. Reefe, The Rainbow and Kings. A history of luba empire,
to 1891, University of California Press, Berkeley and Los
Angeles, California, London, England, 1981, p.74.

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On peut en dire autant des Songi, Wasongola, Aluba, Wazula, Wa-


zimba, Bangubangu, Bahemba… Tous ces peuples du Maniema ont
connu l’empreinte de la langue et de la culture des Waruwa (Baluba).
Comme cela apparaît à travers ce développement, le Maniema est
une région habitée par les peuples issus de trois grands ensembles
ethniques, à savoir : les Baluba au Sud, les Anamongo à l’Ouest et les
Balega au Nord.96
A noter que les Baluba résident principalement dans les Territoires
de Kabambare et de Kasongo ainsi que dans une partie du Territoire
de Kibombo. Ils y partagent la terre avec les Bakusu, branche des
Anamongo venus de la région des Batetela (Sankuru) qu’ils croi-
sèrent à la faveur d’un mouvement migratoire opéré en direction du
Sud.
Est-il que la plus importante invasion des Baluba au Maniema a lieu
à l’époque de Mulopwe Kasongo dit Mwine Kibanza, successeur
d’Ilunga Kalala, deuxième Mulopwe des Baluba, ayant régné vrai-
semblablement au XIIIe siècle de notre ère.
Poussé par l’aventure et par l’esprit des conquêtes vers le Nord, à la
suite d’une importante campagne militaire, Kabango, le fils du sou-
verain Kasongo, réussit à conquérir par la force le pays qui s’étend
aujourd’hui du Territoire de Kongolo jusqu’à la frontière des Bale-
ga de Pangi. Arrivé en pays Balega, il se présenta comme prince, fils
du souverain des Baluba, et revendiqua la souverainété muluba sur
toute la forêt vierge qu’il venait de traverser!
A cette même occasion, séduite par la beauté, la noblesse, l’élégance
et la corpulence du prince étranger, la princesse Lega en tomba
amoureuse. Elle finit par l’épouser, ce après une grossesse que les
deux amants ne pouvaient plus autrement dissimuler ! De l’union
entre un fils des Baluba Sinda (=ceux qui ont perdu le chemin) et la
Princesse Lega naquirent cinq fils. Que l’on considère aujourd’hui
comme les ancêtres des actuels Bangobango97: Bahombo, Bahem-
ba98, Lulindi, Kanyengele, Ngunda.
96. Les informations qui suivent nous ont été fournies par le Directeur de la
Coopération Culturelle au Ministère de la Culture et Arts à Kinshasa, Nyembo
Simaundu Félix, un naturel Bangubangu.
97. Le terme Bangobango ou Bangubangu est une allitération linguistique dési-
gnant les enfants de Kabango au Maniema (cf. encadré). C’est pourquoi, les
BanguBangu pratiquent des relations de plaisanterie « oncle-neveu » avec les
Balega (Bayomba). Ces faits sont rappelés rituellement lors des deuils, au cours
desquels les oncles (bayomba) réclament leurs droits avant tout enterrement.
 /DSUpVHQFHGHV%DKHPEDDLOOHXUVTX·DX.DWDQJDVHUDLWMXVWLÀpHSDUOHUpFLWTXH
voici : « A la suite d’un partage controversé de gibier entre deux frères Bahem-
ba, le grand frère voulant à tout prix avoir la meilleure part, le petit frère se
résolut à quitter sa famille en prenant la direction de l’actuelle Kongolo. S’étant
À[pVXUFHVGHUQLqUHVWHUUHVLO\UHFRQVWLWXDXQHQRXYHOOHFRPPXQDXWpKHPED
fractionnée aujourd’hui en Bahemba Bena Nkuvu, Bena Nyembo, Bena Yambula,
Bena Mambwe… Noms qui se rapportent aux huit enfants qu’il engendra et qui,
depuis, forment les huit chefferies actuelles ».

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Quant aux membres de la communauté de Kabango,


ils ne rentrèrent plus dans le pays des Baluba. Ayant
opté de résider dans le Maniema, ils y prirent femmes.
De là, l’émergence des tribus Babuyu, Aluba (Balu-
ba), Wazula, Kasenga. Wazimba résidant dans le ter-
ritoire de Kasongo y ont pour frères de même souche
les Nonda, (fils d’un frère de Kabango dont le nom
est perdu). Les Aluba sont une branche des Baluba
qui avaient traversé le fleuve pour s’implanter dans
le territoire des Bakusu tandis qu’une autre branche
poursuivra la descente avec le fleuve. Ce sont les wage-
nia de la province orientale. Ce qui permet de dater
ces migrations, autour de 1230 après jésus-christ.

Comme preuve de cette parenté-fraternité eth-


nique, les Bangubangu avancent :
6L XQ YR\DQW XQ VDFULÀFDWHXU RX XQ GHYLQ 0X-
bangubangu entre en transe lors des cérémonies
cultuelles ancestrales, l’esprit qui s’empare du
nécromancien s’exprimera sûrement en kiluba.
Pour preuve : l’esprit qui se manifeste donne gé-
néralement les noms de ses ancêtres Baluba en
évoquant l’histoire d’Ilunga Mbidi.
La langue Bangubangu est émaillée de nombreux
termes kiluba, surtout en ce qui concerne les
termes des cérémonies sacrées et des rites forts
fondant les institutions sociopolitiques.
Dans les partiques magico-religieuses, les Bangu-
bangu utilisent les mêmes fétiches que les Baluba.
Le sortilège, nommé Mulonge wa Nyembo (terme
d’origine kiluba connu jusque chez les Balega), y
est fort redouté en tant qu’il entraîne généra-
lement la mort de la victime. La même identité
cultuelle apparaît dans certaines cérémonies
comme la célébration du mariage coutumier,
l’exhibition des danses Mbuli, Nganga, Lubwilo…
sont les mêmes. Tout comme le tam-tam Ngoma,
les danses, les chansons et les chorégraphies re-
lèvent d’un legs commun.

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 LES BALUBA DU LOMAMI


Précisons ici que le kiluba pur se parlait aussi au-delà de la cité ac-
tuelle de Kabinda, voire à Mpanya Mutombo et au-delà, à la fron-
tière directe avec les Batetela99. De l’avis de Kabamba Nkamany :
« Jusqu’ici personne n’a réussi à situer l’origine exacte des Songye.
Leurs légendes les plus récentes les apparentent à la tribu « Bakalan-
ga » du Maniema et décrivent leur berceau comme étant un Pays bril-
lant (probablement à cause des richesses minérales) et dont le climat
est doux. »100
Toutefois, après avoir signalé qu’il n’était pas aisé de déterminer
avec exactitude l’origine du peuple Musonge, le même auteur se veut
rassurant lorsqu’il ajoute le complément d’information que voici :
« Le peuple Songye d’aujourd’hui fait partie intégrante du peuple zaï-
rois. Un grand groupe est reparti de l’actuel Zimbabwe en passant par
Nsanga a Lubangu, en transitant par l’Empire des Baluba Shankadi
pour enfin s’installer aux emplacements actuels, lors des mouvements
migratoires du XVII e siècle. »101
Il s’agit-là, de notre point de vue, d’une affirmation contestable. En
effet, lors de nos recherches sur terrain en 2001, au Zimbabwe, sur la
parenté entre les Baluba et les Bashona, il nous est apparu clairement
exprimé dans les propos de ceux-ci, que leurs ancêtres à eux prove-
naient de l’Afrique centrale, du pays des Baluba locuteurs du kiluba.
Autant qu’il nous souvienne, avec Banza Mulundwe, il nous a été
donné de voir précédemment que :
« Les Shona (Bakalanga : Vakaranga) du Zimbabwe, parents des Ba-
luba, donc, comme eux, originaires de l’Ouest du lac Tanganika, et des
rives du lac Kisale, occupèrent la région allant du Zambèze au Lim-
popo et du Kalahari à l’Océan Indien vers le XVe siècle. On leur doit
les merveilleuses 350 ruines de Zimbabwe (Nzibo ya Mabwe : Palais
ou grande maison de pierre en Kiluba), d’inspiration architecturale
nubienne et d’origine nègre suméro-égyptienne comme les Bantu eux-
mêmes, leurs auteurs ».102
Il est permis d’inférer avec le Révérend Père Samain que les Ba-
songe, dans leur ensemble, sont d’origine Muluba, dans la mesure
où ils «proviennent des Baluba du Lomami, des environs du lac
Samba, entre Kabongo et Kamina, de sorte qu’on les considère comme
un rameau des Baluba »103. Evi-
99. E.Verhulpen, op.cit., , p. 80. demment, par Baluba du Sud,
100. Kabamba Nkamany, op. cit., p.1.
101.idem, p.94. il convient d’entendre les locu-
102. Banza Mwepu Mulundwe, Le Mythe des origines des Baluba,
éd. Dikasa, Lubumbashi, 2001, pp. 37-38. Nous laissons de teurs du Kiluba.
côté la question que soulève cet auteur sur l’origine des
Baluba.

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 LES BALUBA DU TRIANGLE NORD-EST


Sous ce segment de notre étude, une précision s’impose d’emblée :
Waruwa et Baluba désignent un même mot qui, variance linguistique
oblige, a subi l’interchangement libre des consonnes b et w, r et l104.
C’est faute de saisir les choses à cette aune que Delhaise (en 1908) et
Ndaywel (1996), évoquant les peuples Bakunda, Balumbu, Baboyo…,
ont pu les disqualifier de leur appartenance au Buluba.
Le premier écrit :
«On les (Waruwa) appelle à tort Baluba ; ils n’ont rien de commun
avec cette tribu.»105
Et le second de renchérir :
«Les meilleurs spécialistes de la région disent que les Kunda avec un
certain nombre d’autres peuplades - Boyo, Lumbu, Kalanga, Tumbwe,
etc. - sont des habitants du Buhemba mais distincts des Luba-Hemba.
On entend par-là des populations du Buhemba subordonnées à l’em-
pire luba en ce sens qu’elles se réclament de son histoire. Ces hemba mé-
ridionaux qualifiés dans le langage de Verhulpen de «Lubaïsés» pra-
tiquent la filiation matrilinéaire du moins dans la succession cheffale;
ils se démarquent des Lubas proprement dits qui sont patrilinéaires. Le
terme résiduel des hemba purs regroupe donc tous les septentrionaux
qui ne se réclament pas de l’empire Luba et qui, en réalité, sont des
non-Luba. Il y a donc lieu de conclure que le récit de l’arrivée du chas-
seur (Mbidi Kiluwe) symbolise une intervention extra-luba, en l’oc-
currence hemba. Celle-ci obéissant à un tout autre principe politique
émanant du pays de l’entre Lwalaba-Tanganika.»106

103. P. Samain, La langue Kisonge, Bi Congo, cité par Verhulpen,


op.cit. p.71.
 $XMRXUG·KXLHQFRUHHWRQSHXWOHYpULÀHUVXUWHUUDLQ
selon les zones dialectales du Buluba, les consonnes b et
w, d, l et r s’interchangent librement. Par exemple : bukula
à Kongolo, la farine, se prononce wukula à Lwabo dans le
territoire de Kamina ; mwan’a bute à Kabanga ka Umpafu
dans le Territoire de Ngandajika, l’aîné, se dit mwan’a
wute à Kabondo Dianda dans le Territoire de Bukama ;
mudilo à Lubangule dans le Territoire de Kabinda, le feu,
se prononce mulilo chez les Bakwejimu dans le Territoire
de Kongolo et mudiro à Butumba dans le Territoire de
Bukama ; kutala à Kabongo centre, regarder, se dit kutara
à Kibanda dans le Territoire de Bukama, à Kamayi dans le
territoire de Kabongo, à Kalundwe dans le Territoire de
Kaniama
105. Delhaise, Bull. soc. Roy. Belge Géogr., 1908, 261, cité par J.
Maes et O. Boone, op. cit., p.34.
106. I. Ndaywel, op. cit., pp.135-136.

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Plus loin en notes infrapaginales, Ndaywel signale que


dans les écrits les plus anciens ces populations sont quali-
fiées également d’Aruwa (Waruwa).

Or, Aruwa n’est rien d’autre que Baluba, selon le principe


de la variance libre des consonnes et des voyelles ci-haut
évoquée par nous. Position que nous partageons avec Père
Colle qui, lui aussi, évoquant Buluba (Uruwa) affirme que
ces mêmes indigènes « appellent la contrée qu’ils habitent :
Buluba »107 .

C’est de cette sorte que Tippo Tipo a pu soutenir 107b que


l’empereur Ilunga Kabale (Rungu Kabare) régnait sur le
Uruwa (Buluba) et qu’il était le chef suprême des War-
uwa (Baluba). Si les Bakunda sont des Waruwa, c’est qu’ils
sont authentiquement Baluba. Ils le sont restés jusqu’avant
l’avènement de l’empire. Preuve une fois de plus que le Bu-
luba est antérieure à l’avènement de l’empire en tant qu’or-
ganisation politique générique.
Pour corroborer cette réalité, trois proverbes Kisonge nous
apportent une lumière encore plus éclatante :
1. « (Shi) ka muluba m’musonge. (Shi) ka musonge m’muluba : anka
musonge na muluba m’bakunda. (= « Si ce n’est pas un Muluba,
c’est un Musonge. Si ce n’est pas un Musonge, c’est un Muluba.
En fait, un Musonge et un Muluba, ce sont tous deux des Bakun-
da »).
2. «Musonge m’muluba, shi ka Muluba, M’mukunda», (= «  un
Musonge est un Muluba. S’il n’est pas Muluba, il est donc
Mukunda. »)
3. «Musonge m’muluba, Muluba m’mukunda. Nyuma ka mu-
ngi mbili», (= «  un Musonge est un Muluba. Un Muluba est
un Mukunda. Car la courbe de son dos n’a de pareille que lui-
même. ») 108
Dans cet ordre, il est permis de penser que les Basonge appartiennent
au groupe Baluba du Lomami et aux Bakunda — que certains au-
teurs identifient sous la figure géographique des Baluba du triangle
Nord-Est.
107. P. Colle, Baluba 1, Bruxelles, 1913, p.1.
107b. J.Vansina, op. cit, p123.
108. Proverbes récoltés auprès de Kasongo Ngoy Pauni, un
Musonge de Kongolo et professeur de philosophie à
l’Université de Lubumbashi.

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De même, devrions-nous nous interroger : Mbidi Kiluwe (le père du


deuxième empereur des Baluba, Kalala Ilunga), aurait-il été un sujet
extra-luba lorsqu’on l’identifie parfois comme un sujet Mukunda
(peuple situé entre les Territoires de Moba et Manono Est) ? Les Ba-
kunda (originellement Baluba) dont un descendant a été Mulopwe,
le sont aussi politiquement à la suite de leur assujettissement pos-
térieur au pouvoir central des Balopwe. Comme quoi, les Waruwa
demeurent ethniquement Baluba.
En portant le même débat sur les Bahemba dits « purs », dont Del-
haise et Ndaywel affirment qu’ils n’ont absolument rien de com-
mun avec les Baluba. Ici il nous incombe tout simplement, à la suite
de William Fagg, de soumettre cette problématique plutôt à une
approche comparative à partir de l’analyse de certaines techniques
artistiques, comme indiqué plus haut109.
Et au niveau de la langue, l’argument le plus plausible est celui évo-
qué ci-haut par Thomas Reefe109b.
Rappelons que le kihemba est une langue apparentée au Kiluba,
langue qui se parlait (avant Jésus-Christ !) jusqu’au Maniema.
Avec Verhulpen, il est même donné de voir que ceux à qui on dé-
nie la légitimité du buluba l’assument eux-mémes sans amibguité :
« Les indigènes de l’entre Lualaba-Tanganika, au Katanga, se disent
Baluba dans les camps des soldats pour se différencier des Basonge, des
Mongo, des Gombe, des Batetela, etc. Ils se disent Balumbu, Bakunda,
Babui, Bakalanga, Batumbwe dans leur propre pays pour se différen-
cier des Baluba du Lomami et des groupes voisins. »110

109. F. William, op. cit, p 144.


109b. T. Reefe. The Rainbow and Kings. A history of luba
empire, to 1891, University of California Press,
Berkeley and Los Angeles, California, London,
England, USA, 1981, p.74.

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EN DIRECTION DU
NORD-OUEST
 LES BALUBA DU KASAÏ ET LES BENA LULUWA

Généralement, selon la logique soutenue


par les tenants de la thèse du primat de
Nsanga a Lubangu comme foyer originel
des migrations primordiales des Baluba
vers le Kasaï (1600-1650), d’après le pro-
fesseur Mabika Kalanda, il est dit ceci :
« a) un premier groupe, les Bena Kanyoka
et les Bena Luluwa arrivent au Kasaï au
début du XVIIe siècle. b) un second avance
vers Dimbelenge au courant du XVIIe siècle. La population des Bakuba est
Ce sont lesBakwa Luntu ou Bena Konji. c) composée entre autres des Ba-
Un troisième groupe, enfin, quitte à la fin luba « La population même du
du XVIIe siècle, à la suite d’une disette. Il royaume (KUBA) avait une ori-
gine diversifiée faite pratique-
s’agit des groupements de Bakwa Kalonji, ment de tous les ressortissants des
Bakwanga, Bakwa Dishi, Bena Tshiyamba populations limitrophes : Kete,
et autres encore »111 Lele, Ding, Luba, Luluwa, Mon-
go, etc. Mais les deux cultures do-
Kalonji Ditunga, le futur Mulopwe de
minantes s’avèrent être celle d’ori-
l’Etat autonome du Sud Kasaï, lui-même gine Septentrionale et donc de
très adonné à la quête étiologique des ori- type Mongo et celle d’origine Oc-
gines de son peuple, présente une version cidentale qui approche les Kuba
particulière sur cette séquence migratoire des populations du Bas-Kasaï»1.
des Baluba du Kasaï  : «  Partie du Nord
du Katanga, dit-il, à la recherche de nou- I. NDAYWEL, Histoire du Zaïre, de
l’héritage ancien à l’âge contemporain,
velles terres, ces populations s’étirèrent en éd. Duculot Sa. 1997, Louvain-La-neuve,
une très longue file composée de familles p. 112.
et clans qui formèrent plus tard les tribus
composant. Les premiers immigrants se
fixèrent dans la région comprise entre
les rivières Moyo et Lulua. Ils furent
d’abord identifiés comme étant des Bena 110. E.Verhulpen, op.cit., p. 64.
111. Mabika Kalanda, cité Muya Bia Lushiku,
Moyo. Avec l’extension démographique, op.cit. pp.23-24
ils débordèrent la rivière Lulua et occu- 112. A. Kalonji Ditunga Mulopwe, Congo 1960.
La sécession du Sud Kasaï. La vérité du
pèrent de grands espaces au-delà, jusqu’à Mulopwe, ed. Kakangaji, Paris, L’Harmattan,
atteindre la rivière Kasaï. A l’arrivée des 2005, p. 64.

premiers explorateurs, les Allemands Po-


gge et Von Wisman, ils reçurent le nom de
Bena Lulua »112

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Mais une question demeure : sont-ils tous des Baluba ? Pour Kalonji
Ditunga, les choses sont on ne plus claires : « Qu’il s’agisse des Luba
et des Lulua, tous sont de Bena Nsanga Lubangu. Ils ont tous une
même origine et, avant l’arrivée des colonisateurs, ils n’avaient jamais
connu de conflits entre eux. La dénomination « Lulua » s’est généra-
lisée après la colonisation et à cause d’elle »113
Si sous l’appellation Bena Nsanga Lubangu, on entend « Baluba »,
il est cohérent d’indiquer que les Bena Lulua font effectivement
partie au même titre que leurs congénères de l’ensemble générique
des Baluba. A ce sujet, il sied de signaler la grande unanimité qui se
dégage autour de cette théorie de la part des auteurs européens et
africains. En voici quelques-uns :

 Luluwa
VAN ZANDIJCK  : «  Jusqu’en 1870, toutes les fractions de Bena
portaient encore le nom de Baluba » . 114

 commerce
VERVAECKE : « Jusqu’en 1865, lorsque Kalamba commença son
avec les Tshiokwe, toutes les fractions Luluwa s’appelaient
des lubas »115

 trict
SAMAIN : « Les basongye proviennent des Baluba du Sud du dis-
de Lomami, des environs du lac Samba entre Kabongo et Kami-
na, de sorte qu’on les considérerait comme un rameau des Balubas »116

 saï
VERHULPEN : « On peut admettre aussi que les Baluba du Ka-
soient des Basongye ayant asservi des populations diverses (…) » 117

comme indiqué précédemment et, qu’en remontant en amont de


leur migration pré Nsanga Lubangu « les Baluba du Kasaï, les Ba-
kwa Luntu, les Bena Kaloshi, les Bena Luluwa, ont des traditions
selon lesquelles ils seraient originaires de l’Est, du pays Lomami »118
Une des grandes faiblesses que vont accuser les descendants de l’em-
pire luba pré Nsanga a Lubangu à la suite de tant de migrations
diffractées, c’est la perte de la noblesse qu’induit le bulopwe. A en
croire Kambay Bwatshia et Mudinga Mukendi, « Le Bulopwe avec
sa notion de pouvoir central ayant disparu au Kasaï, les structures de
son organisation ainsi que ses emblèmes caractéristiques furent repris
au niveau de chaque « Tshisha » (clan). On pouvait donc distinguer,
à part le chef, les « Bakalenga » (qui ont le droit d’acquérir le pouvoir

113. Idem, p. 63.


114. P.Van Zandijcke, Pages d’histoire du Kasaï,
p. 7, cité par Mpoyi Mwadyavinta, op. cit., p.
241.
115. R.Varvaecke, « Les Bena Luluwa », in Revue
Congolaise, Bruxelles, 1910, p. 69.
116. R. P. Samain, La langue kisongye, cité par E.
Verhulpen, op. cit., p. 17.
117. E.Verhulpen, op. cit., p. 17.

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ou qui l’exercent), les « Bilolo » qui ont le pouvoir économique,


religieux, législatif et judiciaire), les « Shabikuka » qui sont les
anciens dignitaires, les « Lwaba » qui sont les prétendants au
pouvoir »119  
De tout ce qui précède, il semble que nous soyons confronté
ici, au-delà de l’ambiguité dérivant de la localisation du site
centripète (de la migration Baluba/Baluba Kasaï) qu’induit la
diversité de tant de supputations, à un problème fondamental
de dation. Ce qui rendrait l’argument « sangalubanguien »
difficile à soutenir. Pour le coup, c’est un argument d’ordre lin-
guistique qui, nous semble-t-il, peut aider à clarifier cette ques-
tion. La séparation entre le kiluba et le ciluba, ayant été fixée
dans le temps (soit au VIIIe siècle après J.- C.) par l’archéologie
linguistique (T. Reefe:1981, p.74.), il nous incombe d’affirmer
que le début de l’émigration d’une branche des Baluba vers
l’actuelle province du Kasaï remonterait à cette époque. Donc,
bien avant l’organisation des empires des Baluba au Katanga.
C’est même partant de cet argumentif linguistique que Verhu-
lpen en est arrivé à expliquer que :
« La différence entre le Kiluba du Kasaï et le Kiluba-Hemba
s’expliquerait par le fait que le kiluba du Kasaï serait un ancien
kiluba ayant subi des influences Basonge ainsi que des influences
des populations trouvées sur place au Kasaï, Bakete, Balalwa
(sic)120 etc. et que le kiluba Hemba serait un ancien kiluba ayant
subi les influences Basonge dans le bassin du Lomami et du Lwa-
laba, des influences Babui (Bakunda etc.) entre le Lwalaba et le
Tanganika et plus tard au Lomami, et des influences Babemba
(Batumbwe et Batabwa) dans la région du Tanganika121.
Ceci veut dire simplement que : Kiluba + Kisonge + Kikete
+ Kilwalwa + Kibindi +… ont engendré le Ciluba (Tshiluba)
dans sa forme actuelle. Une telle évolution socio-linguistique
n’a pu se produire que sur le long terme, si tant est que la pro-
fondeur chronologique se situe dans la fourchette de 2300 ans
(naissance de la civilisation des Baluba, d’après l’archéologie)
et 800 ans (première séparation entre le kiluba et le ciluba).

118. Idem, p. 58.


119. Kambay Bwatshia et Mudinga Mukendi, Le «
Citancisme » au cœur de l’évolution de la société
luba-Kasaï. Sens et non-sen d’une mentalité,
Kinshasa, 1991, pp. 21-22.
120. S’agit-il des Balwalwa actuels ?
121. E.Verhulpen, op.cit., p.45-47.

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 LES BALUBA BIIN KANYOK


Â
Comme l’a montré Mabika Kalanda, les Kanyok font partie des pre-
miers migrants qui, se séparant du foyer primordial katangais, ont
e
pris la direction du Kasaï actuel dès le XVII siècle.
A leur sujet, De Jonghe écrit :
« (…) Des traditions dignes de foi font descendre ces deux peuplades
(Bene Kanyoka et Basonge de Lumpungu) de Baluba du Sud (=locu-
teurs du kiluba). Consultons les cartes d’il y a quarante ans (1880),
cartes dressées par les premiers voyageurs qui parcoururent les premiers
ces régions, nous y trouvons un empire des Baluba. Mais à côté de cet
empire figure le royaume de Mozembe de Bena Kanyoka. Donc, il y a
40 ans, les Baluba et les Bena Kanyoka formaient de groupes politiques
séparés.»122
Et le professeur Timothée Mukash Kalel d’ajouter :
« Selon la tradition orale, les Kanyòk (Biin Kanyòk comme ils s’ap-
pellent eux-mêmes) sont une branche de Baluba de Kasong a a Nyem-
bw ou Baluba du Katanga, branche qui, à la recherche de gibier et des
terres fertiles, a traversé la rivière Lubilanji pour s’installer où elle est
maintenant. Cette branche reconnaissait l’autorité du grand chef Mu-
loh’ Kasong, avec lequel elle entretenait les relations de vassalités ».123  
Toujours est-il que la date à laquelle les Kanyòk cessèrent de s’appe-
ler Baluba n’est pas connue.

 LES BALUBA DU BAS-CONGO


L’expansion des Baluba vers l’actuel Bas-Congo est un fait histo-
rique indiscutable.
Une bonne lumière nous est apportée quant à ce par Jan Vansina :
«Durant cette période de l’histoire, et peut-être plus tôt, ces Luba
(Kasaï) s’étaient répandus peu à peu, sans doute lignage par lignage,
dans la vallée du Lulua et vers le sud-ouest dans les terres des Mba-
gani, des Mbal, des Kongo, des Lwalwa et même des Sala Mpasu. Ils
rencontrèrent des groupes Kete dans tout le territoire situé à l’Ouest
du Lulua et les absorbèrent lentement. (…) Il est important de se
rappeler que vers 1880, les émigrants étaient encore des Luba Kasaï
exactement pareils à ceux qui étaient restés dans leur pays d’origine
et que la division tribale entre les Lulua et les Luba, si importante
122. De Jonghe, op. cit., p. 751.
123. Mukash Kalel, Essai de grammaire Kanyok
(L32) : phonologie, morphologie, syntaxe,
pp.iii-iv, 2014.

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aujourd’hui, est d’une origine plus récente. Selon les traditions, ces
migrations furent occasionnées par de grandes famines dans la ré-
gion comprise entre Lubi et Lubilash, puis plus tard par des guerres
avec le principal royaume Luba et enfin après 1850 par les troubles
créés par les trafiquants d’esclaves Cokwe et Arabes. »124
Après avoir traversé le Fleuve Congo, les Baluba abordèrent son em-
bouchure et générèrent une nation dans la région de Pointe Noire :
« les Bavili de la République du Congo » 125.
Ces derniers racontent que leur ancêtre, provenant de la République
Démocratique du Congo, se nommait Kibambe Lomami, c’est-à-
dire Kibambe «  l’originaire de la contrée où coule la Lomami  ».
Nom courant chez les Basonge du Lomami ou chez les Baluba du
Haut-Lomami.

EN DIRECTION DE L’OUEST
 LES BALUBA DU LWALABA
Dans cette direction de l’Ouest, très nombreux furent les Baluba
qui envahirent et transformèrent le pays des Balunda (Arrund). Ici
aussi, c’est une fois de plus Crine-Mavar qui nous en donne un meil-
leur éclairage :

« En fait, les infiltrations des Baluba Shankadi furent numérique-


ment plus importantes que les traditions historiques, trop exclusi-
vement axées sur Tshibind Irung, ne le laissent supposer de prime
abord. Après le mariage de Ruwej avec Tshibind Irung, plusieurs
membres de l’escorte du Muluba furent revêtus d’une dignité qu’ils
exercèrent transitoirement au profit du couple chéfal. Ces digni-
taires résidèrent au village chéfal et furent les fondateurs éponymes
de nombreux titres : mentionnons notamment : Mwadi mwish, le
cuisinier (du Mwat Yav), Mbwambu, le fabricant de toxines pour
les flèches, Balond et Nfurusang, gardiens de la porte avant l’enclos
(impérial), Kambaj, sacrificateur etc. D’autres membres de l’escorte
de Tshibind Irung furent faits seigneurs ou Ayilol  ; mentionnons
notamment : Mwin Tshitazu, Mwin Isun, Mukaleng Rumbu, Mwin

124. J.Vansina, op. cit., p. 16.


125. Informations recueillies auprès du
spécialiste aéraunautique Loembet, un Vili
de Pointe Noire très au fait des choses de
sa culture.

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Ijidiji, Mwin Tshibalok, etc. Actuellement encore,


toutes ses seigneuries inaugurées par des purs Balu-
ba Shankadi dessinent une masse compacte, loca-
lisée à l’Est de la Kalagne, sur ces terres qui furent
le théâtre de la rencontre de Ruwej avec Tshibind
Irung, surtout le théâtre d’événements qui détermi-
nèrent les naissances de l’empire lunda. (…)  Ainsi,
conséquence capitale du mariage de Ruwej avec
Tshibind Irung, de nombreux Baluba Shankadi
furent créés dignitaires et résidèrent au village ché-
fal. Parce que le prestige de Tshibind rejaillissait
sur eux, parce qu’ils étaient nombreux, parce que
l’importance de leurs charges imposait le respect,
parce qu’ils épousèrent des femmes aruund, tous
ces dignitaires contribuèrent lentement à la diffu-
sion et à l’implantation des concepts patrilinéaires
dans le système quasi matrilinéaire des Aruund
d’alors. »126
Il est donné d’imaginer ici que c’est partant d’une
petite chefferie, regroupant quelques villages, que
les Baluba vont générer, ainsi que l’indique Théo-
phile Obenga, un empire puissant et rayonnant par
sa puissance armée, qui plus est porté par un génie
politique remarquable dans le chef de l’un des leurs
fils prestigieux devenu souverain des Balunda :
« Autrement dit, ce sont les luba qui apportent leur
institution royale et leurs techniques d’organisation
aux lunda, qui fondent à leur tour, au XVIIe siècle,
un vaste royaume du Kwango au lac Moéro. » 127
Comme le précise pour sa part Marie-Louise Bas-
tin :
«  L’arrivée du prince (Kibinda Ilunga) au pays Lunda apporta les
fondements de la sacralité du pouvoir, une organisation étatique plus
structurée et des techniques de chasse plus élaborées et efficaces, basées
sur un armement davantage perfectionné, ainsi que l’utilisation des
charmes propices à la découverte du gibier. »128

126. Crine-Mavar, op. cit, pp. 68.69.


127. T. Obenga, Histoire du monde bantu, in Racines Bantu,
CICIBA, Libreville, 1991, pp. 146-147.
 0/%DVWLQLQ0XQWXUpYXHVFLHQWLÀTXHHWFXOWXUHOOHGX
CICIBA, Libreville, 1986, p.154

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A ce même propos Théophile Obenga ajoute :


«  Les traditions orales sont complexes, traditions rela-
tives aux royaumes lunda (aruund) qui sont considérés
comme l’expansion luba vers le sud, sous le commande-
ment des chefs Musokantanda, Shinde et Kanongesha,
qui élargirent les frontières du royaume jusqu’aux
sources du Zambèze. Autrement dit, les luba apportent
leur institution royale et leurs techniques d’organisation
aux lunda, qui fondent à leur tour, au XVIIe siècle, un
vaste royaume du Kwango au lac Moéro. » 129
C’est là que l’on comprend la position de Vansina
lorsqu’il affirme :
«  La meilleure source Bemba connue à ce jour,
le panégyrique de Nkole wa Mapembwe, second
roi ou Citimukulu, manifeste son accord avec la
tradition citée lorsqu’il dit: «Nkole wa Mapem-
bwe…tu étends le pays Lunda. Tu es un vrai chef
Luba ».130
C’est dire que c’est en versant leur sang tout en usant
de leur génie militaire que les guerriers et chefs d’ar-
mées Baluba ont pu étendre l’empire luba-lunda dans
toutes les directions.
Une interrogation demeure, cependant, celle que soulève Burton :
“Sa soeur (de Mbidi Kiluwe) Mwanana qui, en l’absence de son frère, crai-
gnait de demeurer dans un milieu hostile, avait réuni une escorte et s’était
mise en devoir de réjoindre Mbidi Kiluwe, mais elle avait perdu ses traces
au Lovoi et, poursuivant son voyage, elle avait atteint la région des Balun-
da où elle devint une des femmes du chef. De nos jours encore, le peuple luba
considère Mwata Yamvo, chef des lunda, comme un parent par alliance ou
“buko”, tandis que le chef Kabongo l’appelle “mon frère”131.
De quel chef était devenue épouse cette soeur de Mbidi Kiluwe? S’agis-
sait-il du père de Lweji? Si tant est que celle-ci porte un nom kiluba, celui
d’une rivière et de l’esprit tutélaire de cette rivière qui coule sur la terre
du village Nkimbi, chef-lieu du Groupement de Ngangole, Territoire de
Kabongo! Pour nous en convaincre, il suffit de réécouter un couplet de
l’hymne héroïque de ce terroir, précisément dans le passage que voici :
«Wa ku bafwa kebeje kwiya. Beyumba kuta ka nyambwe. Kwabo ku
nshimbi ne lweji »
129. T. Obenga, Histoire du monde bantu, in Racines
Bantu, CICIBA, Libreville, 1991, pp. 146-147.
130. J.Vansina, op. cit., p. 68
131. W. Burton, op.cit. p. 392

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Trad. « L’autochtone du pays où les défunts ne tardent pas à venir (=


renaître par le nom). Pays où on pratique la pêche à l’hameçon dans les
cours d’eau de la (rivière) Nshimbi et de la (rivière) Lweji ».
Est-ce parce qu’elle avait dans ses veines le sang Muluba que Lweji était
tombée amoureuse d’un homme qui lui rappelait l’origine noble de sa
mère Mwanana ? Est-ce pour vivre à côté de sa parente que Kibinda Ilun-
ga s’était fixé définitivement à la cour du chef des Balunda ? Ce n’est pas
impossible !
Toujours est-il que l’histoire, selon Crine-Mavar, dépose dans ce sens :
« Assise au milieu de ses Tubungu, Ruwej reçut Tshibind derrière lequel
se pavanait la haie des membres de sa suite. La jeune chéfesse considéra
longuement le chef de ces étrangers et pensa qu’il ne manquait pas d’attrait.
Puis, elle lui indiqua une natte et selon la coutume, elle lui offrit du vin de
palme. Mais Tshibind ne but pas. Les gens de sa suite apprirent à Ruwej
que Tshibind était prince de l’empire des Baluba Shankadi et que, selon
leur coutume, il ne pouvait boire ni manger en public. »132
Le même Crine-Mavar nous informe, et la précision est importante,
qu’avant d’atteindre la région des Lunda, il préexitait un autre peuple
qui avait été investi par les Baluba :
« Pendant que Tshibind Irung et son escorte s’implantaient parmi les
Aruund, des événements fort semblables à ceux que nous venons de
relater se déroulèrent parmi les Ampimin. Un jour, un chasseur origi-
naire des contrées riveraines du lac Upemba atteignit le territoire des
Ampimin et fut présenté à la chéfesse Mwadi Kapuk. L’étranger reçut
fort naturellement le nom de Tshibind Mpemba (littéralement : le chas-
seur de l’Upemba) et eut l’air de plaire à la chéfesse qui l’épousa. De cette
union naquit un fils, Makonga, qui hérita du pouvoir et fut le fondateur
éponyme du titre de Kayembe Mukulu, le chef suprême des Ampimin. Au
cours d’une guerre contre les Amalas, à Tshimbalanga, Makonga combat-
tit si fougueusement et taillada tant ses adversaires qu’il mérita le nom de
Kayembe (celui qui taillade) dérivé de dyembe, la lame.» 133
Dans la même région, cette fois à l’Est du Territoire de Sandoa dans le
district de Lwalaba, vivent, aujourd’hui encore, les Baluba de Kayembe
Mukulu ou Ampimin ; ils parlent kiluba.

132. Crine-Mavar, op. cit., p. 66.


133. Crine-Mavar, op. cit., pp. 67-68.

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 LES BALUBA DU BANDUNDU


De la même façon que l’expansion de l’empire lunda était soute-
nue par les chefs et les guerriers Baluba vers le Sud et le Sud-est de
l’Afrique, le mouvement migratoire de la branche baluba qui se diri-
gea vers l’Ouest fut porté et dynamisé par des conquérants.
A propos de cet épisode de la conquête baluba dans le Bandundu,
l’historien congolais Nlandu Désiré note:
« Les migrants venus du Katanga étaient des conquérants conduits
par le Mwant Mweni Put Kasongo. Ils se retrouveront en confronta-
tion avec les originaires (autochtones du Kwango) qui étaient les Suku,
Mbala, Nsamba, Mpindi, Ngongo et Hungana. Toutes ces tribus ont
été repoussées du Kwango vers le Kwilu, sauf les Suku qui sont en par-
tie implantés dans le territoire de Feshi. Ces premiers conquérants de
l’espace Kwango se nommaient les Baluwa. De là le terme Iluwa, la
guerre vient, la bagarre vient.»134
La guerre des conquêtes a donc partie liée avec le terme « Iluwa »
ou « Muluba ». Entre autre tentative d’explication du terme Mulu-
ba proposée par Edmond Verhulpen, persiste celui de guerrier : «Le
nom de Baluba avait été donné aux guerriers qui accompagnaient
Nkongolo en raison de leur férocité, de leur tromperie et de leur ra-
vage»135.
Quoiqu’ayant perdu une partie du sens étymologique, il persiste
une certaine équivalence entre les termes Baluwa et Baluba  ; les
consonnes b et w s’inter changeant librement.
Est-il que dans la langue kiluba, se bagarrer, combattre, faire la
guerre se dit kulwa. La contraction de w et de u aurait donné kulwa
au lieu de kuluwa. Les Baluwa, en kiyaka, sont venus avec l’iluwa,
c’est-à-dire les conflits, les bagarres, les guerres.
Les Baluba sont des guerriers, en fait des conquérants qui avaient
soumis la population locale au moyen de la force armée. De là, il est
permis de penser qu’à la suite de ces conquêtes politiques, la culture
actuelle des Bayaka résulte du mélange des cultures kiluba, lunda
et de celles des populations aborigènes trouvées sur place dans le
Kwango.

134. D. Nlandu, historien originaire de


Kasongo Lunda, District du Kwango
au Bandundu. Propos recueillis à
Kinshasa le 25 octobre 2008.
135. E.Verhulpen, cité par Lufungula, 1981.
Inédits.

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 LES BALUBA DE L’ANGOLA ET


DU RIVAGE DE L’ATLANTIQUE
Un autre peuple qui a porté
la culture des Baluba jusqu’à
l’Océan Atlantique est le peuple
Mupende. On en sait un peu plus
sur ce peuple grâce aux recherches
de Mudiji Malamba qui, dans ses
travaux consacrés aux langages des
masques africains, livre deux ver-
sions sur l’origine des Bapende :

«  La première reste tenace et a


été recueillie par le Dr Harveaux
et par le R.P. Bittremieux, chez
les Phende orientaux. Ils disent  :
« Tajile gu Tandji nu Milumbu »,
nous sommes venus de Tandji et
de Milumbu, c’est-à-dire selon les
commentaires des rapporteurs de
Harveaux, des principaux peuples
conquérants. Bittremieux, sans ci-
ter ses sources, affirme que « Tan-
djili dia Milumbu » désigne la Lukuga, le lac Tanganika ou d’autres
eaux salées. L’itinéraire suivi par les Phende, selon lui, descendait du
Nord, passait par les sources des grands fleuves, c’est-à-dire le Katan-
ga, Tandji et Milumbu, Gipiti (Egypte ? 136), les sources du Zambèze,
le Nord du Fleuve Kwanza en Angola, tel serait le trajet parcouru par
les Phende selon Gusimana.»137
136. Il pourrait s’agir ici du
Kipito, Kipiti, Gipiti,
La zone où se draine la Lukuga, entre le lac Tanganyika et le Fleuve
Kya Baluba, voie de Lualaba, se trouve dans le Buluba Hemba (Uruwa) : « Il existe ef-
passage des Baluba se
dirigeant vers le sud, fectivement des Bampende aujourd’hui encore au Katanga. La ré-
jusqu’au lac Bangwelo
et le Nyasaland. gion de la lukuga, du lac Tanganika ou des eaux salées est habitée
137. Mudiji Malamba
Gilombe, Le langage par des Baluba-Bakunda qui s’appellent aujourd’hui encore bam-
des masques
africains, études des pende et ceux-ci vivent juste à côté des Balumbu, dans le Buluba
formes et fonctions
symboliques des «
ou Uruwa. »138 Pour sa part, Crine-Mavar l’atteste ainsi : « Quand
Mbuya » des Phende, l’accent est mis sur la personnalité des groupes locaux, on parlera par
Faculté Catholique
de Kinshasa, 1989, exemple de Bena Kahela (pour désigner la seigneurie Lengwe), de
pp.24-25.
138. Lukanda Lwa Malale, Baseba (pour désigner les seigneuries Kabeya, Kalima, Kilega, Kiten-
La parenté ethnique
entre les Bapende getenge, Pende, Munema), de Babinga (pour désigner la seigneurie
et les Baluba, éd.
Kivunge, Lubumbashi- Maloba), de Baleo (pour désigner la seigneurie Kabamba) etc.
Kinshasa, 2012, p.35,
inédit.

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Par ailleurs, quand l’accent est mis sur la collectivité de ces mêmes groupes
locaux, on parlera indistinctement de Bakunda Bena Kamania »139
Comme nous venons de le montrer dans les précédents développe-
ments, ces groupes anthropologiques Baluba venus du Nord-est du
Katanga essaimèrent dans le Sud Katanga jusqu’aux sources de Zam-
bèze. De là, ils progresseront vers l’Angola jusqu’à l’Océan Atlantique.
Voici clairement ce que déclare Mujimbu Sha Kalau à ce propos:
« Le groupe humain venu de Zambèze fut un mélange des peuples. Une
femme appelée Kona eut une union biandrique polyandrique d’une part
avec Konde Dia Ilunga (Luba) et d’autre part avec Nawezi, roi lunda.
De ce mariage sortirent deux enfants, un garçon appelé Nguadi Katete
ou Mukhinda Mbangoi et une fille appelée Ngombe. D’après la tradition
orale, Mukhinda Mbango ou Ngwadi Katete fut le Fondateur de la com-
munauté qui deviendra plus tard Akwa-Ndongo (Bapende). »140
Remarquons qu’à la genèse du peuple Mupende intervient un person-
nage Muluba, Konde dia Ilunga. La femme Kona qui lie une union ir-
régulière, d’après la coutume kiluba, est appelée Kona. Littéralement :
la gaffeuse, la gâcheuse, celle qui a gâté, a mal agi. La coutume pres-
crit la monogamie, tolère la polygamie, mais s’oppose énergiquement
à la polyandrie. Les anciens
disent :
«  Nsambakeno ku mukaji
umo idi lufu »,
Trad. «  Autant d’hommes
qui fréquentent à la fois une
seule femme apportent la
mort ! »
Ceci se passe de commen-
taire.
Aussi qualifie-t-on ainsi une
femme qui est à la base des
rivalités entre les hommes :
«  Kyaumanya bapwene,
nansha badi mu nda mwa
in’abo, beshola nsonde kebelekanga » 
139. Crine-Mavar, op. cit., pp.51-53. C’est nous qui soulignons.
Trad. «  Source des discordes, une 140. Mijimbu Sha Kalau Omer, op.cit. p. 13

telle femme contribue à diviser frères


et alliés jusqu’à susciter des actes de
mort» 

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Cette femme Kona était assurément


une Muluba. Le qualificatif lui serait
accordé comme surnom résultant de
la faute qu’elle avait commise. Son
nom de naissance est sans doute au-
jourd’hui perdu.141
C’est donc en toute légitimité que
nombre des populations du Zambèze
continuent à revendiquer leur origine
muluba. Venant du Nord-est du Ka-
tanga vers le Sud, puis vers l’Ouest,
ce peuple distinct et/ou frère des Ba-
lunda dut autrefois forcer le passage afin d’entrer dans le pays qui se
nomme aujourd’hui l’Angola :
“Toutes les traditions s’accordent donc pour affirmer que les Phende sont
partis du Sud-Est, aux sources du Zambèze, pour s’établir sur la côte de
Luanda. La tradition qui mentionne Tandji et Milumbu dit qu’ils ont
eu à vaincre sur leur passage des peuplades lunda qui s’opposaient à eux.
Celle parlant de Kola voit dans les Lunda des frères bien avant l’arri-
vée à Kola. Ces événements se situeraient bien avant la fin du XVe siècle
puisque les portugais en découvrant l’Angola après 1484, y trouvèrent les
ancêtres des Phende établis depuis un temps passablement long”142
Porteurs de la culture kiluba-lunda, les Baphende la transposèrent sur
le territoire angolais jusqu’à Luanda, au bord de l’Océan Atlantique,
avant qu’elle ne s’étende ensuite vers le Nord pour enfin baigner les
provinces du Bandundu et du Kasaï Occidental (Tshikapa). A travers
les cultures Pende et Yaka, on retrouve la même dans le Bas Congo,
après une transition entre le Bandundu, le Kasaï et l’Atlantique.

Comme quoi, la quasi-totalité des peuples implantés en Afrique au


Sud de l’Equateur jusqu’en Afrique du Sud, de l’océan Indien à l’océan
Atlantique, a eu quelque contact avec les Baluba.

Nombre de travaux érudits, comme ceux de Kabamba Nkamany a Ba-


leme, l’attestent assez clairement:

“Le peuple songye, selon Vansina, serait dans l’emplacement actuel de-
puis le XVe siècle; il est probable qu’avant 1500 avant Jésus-Christ, il y ait
eu un empire luba qui s’étendait du Tanganika au Kwango, regroupant
des peuplades luba disséminées un peu partout dont le peuple songye”143

141. Lukanda Lwa Malale, La parenté ethnique


entre les Bapende et les Baluba, idem p.23.

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Chapitre IV
LE MYSTERE
DES FOUILLES
ARCHEOLOGIQUES
DE L’UPEMBA
ETAT DE LA QUESTION

A
u-delà des sources orales, l’archéologie figure parmi les
modes d’interrogation les mieux indiqués de l’histoire
susceptible de concourir à l’élucidation des brumes de
l’histoire d’un peuple.
A cet égard, le peuple muluba n’a pas échappé à ce ques-
tionnement. Des travaux crédibles consacrés à cette vieille civilisation
par des scientifiques de haut niveau nous donnent des indications très
précieuses.
Commençons par Théophile Obenga. Voici ce que nous en dit  le
legs oral de ce peuple:
« Quant aux traditions luba, elles renseignent, on le sait, sur l’histoire
de plusieurs chefferies et royaumes du nord-est de l’Angola, du sud
du Zaïre et du nord de la Zambie. De fait, des fouilles archéologiques,
entreprises en 1957, ont justement permis de découvrir sur les rives du lac
Kisale, non loin de Manono, au nord du Shaba, une immense nécropole
où les morts étaient enterrés avec des poteries, des bijoux et des croisettes de
cuivre (qui serviront de monnaie aux luba du Shaba). Tout cela indique
que vers 800 de notre ère, il y avait anciennement, dans ce pays luba,
une population dense d’agriculteurs et de pêcheurs, travaillant le fer et le
cuivre, et commerçant avec des peuples voisins éloignés. »144
144. T. Obenga, Histoire du Monde Bantu,
p.145, cité in Théophile Obenga et Simão
Souindoula, Racines Bantu, CICIBA,
Libreville, 1991, p.145

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Le même auteur
poursuit :
«  Ces groupe-
ments de popu-
lation étaient liés
par le commerce
et vraisemblable-
ment aussi par
des mariages. Du
Nord venaient le
raphia et l’huile
de palme ; du Lwalaba le poisson ; du Sud le cuivre et le sel, et du
Centre-Sud l’huile de mbavu (bois rouge). Les échanges étaient as-
sez développés pour que l’on commence à se servir de monnaies, au
plus tard en l’an 1000. Dans la dépression de l’Upemba, la croisette
de cuivre fut utilisée comme monnaie vers 1300. Après 1700, les
croisettes disparurent et au XIXe siècle, ce sont des perles importées qui
servent de monnaie. »145
Ces vestiges attestent une présence des plus anciennes des Baluba
dans le pays. On retrouve, bien relevées, les mêmes caractéristiques
dans le travail des archéologues J. Nenquin et Hiernaux, repris par
Mpoyi Mwadyavita :

145. H. Deschamps, Histoire générale de l’Afrique


V, l’Afrique du XVIe au XVIIIe siècle,
Présence Africaine, éd. Unesco, Paris, 1998,
p.393.

BALUBA 93
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« Bavwa basangane nkita ibidi munda mwa bulaba, lumwe mu sanga,


ku dijiba Kisale, lukwabo ku Katoto, ku mwelelu wa Lwalaba, pamwe ne
Bukama. Munda mwayo muvwa mifuba ya bantu, nkanu ya cyombo
(…). Bena meeji badi bajandula ne : mifuba ayo mmifwanangana
ne ya Baluba ne Basonge ba mpidyeu »146

Trad. :« On avait trouvé deux tombeaux sous la terre, l’un à


Sanga près du lac Kisale, l’autre à Katoto au bord du fleuve
Lwalaba, près de Bukama. A l’intérieur de ces tombes, on a
découvert les ossements humains, les bracelets en cuivre, (…)
Les savants ont attesté que ces ossements ressemblent aux os
des Baluba et des Basonge actuels ».

La découverte de la statuette d’Osiris dont Gilbert Mbangu a


Mukkand nous parlait ci-haut participe de cet ordre euristique :
« La découverte en 1887 aux environs de Bukama, par 50 centimètres
de profondeur dans le sol, d’une petite statuette du Dieu égyptien Osiris
intrigua fort les spécialistes.»147
Etaient-ce réellement des objets Baluba ?
Certains auteurs mettent en doute en niant la « lubaïté » (le Bu-
luba) de ces populations dont les fouilles ont été opérées à San-
ga148 et à Katoto. Tel est le cas de François Neyt pour qui :
« De plus, selon les traditions recueillies aux abords des lacs,
les Luba eux-mêmes attribuent les tombes kabambiennes et
kisaliennes à des populations non luba. Ce serait les «Ziba»,
gens du lac, au teint rougeâtre et à la stature élevée ; ils étaient aussi ap-
pelés dans la région de Malemba Nkulu et Mulongo les «Mumbawewe»,
vieilles poteries ou encore «Nkulu tuba», ce qui signifie ancêtre, aïeul » 149
Pour sa part, Crine-Mavar soutient :
«En 1911, au cours de travaux de terrassement entrepris dans la contrée
lacustre du Shaba (Katanga) central, des ossements humains associés à un
mobilier funéraire furent mis à jour. Il apparut par la suite, que la rive
droite du Lualaba, depuis Bukama jusqu’à Kabumbulu, était un véritable
champ de tombes.

146. Mpoyi Mwadyavita, op. cit., pp. 18-19.


147. Banque du Congo Belge 1909-1959, éd. L ;
Cuypers-Bruxelles, cité par Gilbert Mbangu
a Mukkand, Le Katanga et son destin, éd.
Gmb investa, Lubumbashi, 1995, p.1.
148. Les natifs du lieu prononcent Nsanga et non
Sanga, pour désigner la localité en question.
149. F. Neyt, Luba aux sources du Zaïre, Musée
Dapper, Paris, 1994, p. 226.

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La tradition nous rapporte une surprenante coutume de ces anciennes


populations connues sous le nom de Bakayumba (du lac Kayumba) ou
de Bapemba (du lac Upemba). Quand l’individu sentait sa fin proche,
il creusait une fosse dans laquelle il déposait tous ses biens. A toute extré-
mité, il y descendait et se faisait recouvrir de terre. Le mobilier funéraire
comprenait des objets en fer, aujourd’hui oxydés et transformés en blocs
informes, des poteries, des perles tubulaires bleu foncé, des croisettes en
cuivre, en forme de H ou X, et dont les dimensions varient entre 2 et 35
centimètres et même davantage. »150
Dans la même logique négationniste, J. Hiernaux écrivait en ce qui le
concerne ce qui suit :
«La poterie est toute autre, tant en ses formes qu’en sa décoration ; les
croisettes en cuivre, si nombreuses à Sanga, sont absentes à Katoto
; par contre, on y trouve, en cuivre également, de curieuses pende-
loques qui se portaient en collier ou en bracelet… des fers de houe, de
grands coquillages portés entiers en bandoulière ou dont seule la base sert
d’ornement, semblables dans ce dernier cas au «Kiloungou » que portent
actuellement certains chefs. » 151

 L’AUTHENTICITÉ DE LA « LUBAÏTÉ »
LA PERPÉTUATION DES PRATIQUES ET DE
LA MÉMOIRE COLLECTIVE
Les différents travaux archéologiques effectués sur les anciens sites
de peuplements des Baluba ont conduit à une évidence : les tradi-
tions des Baluba ont pu se maintenir en se diffusant à une grande
échelle sur tous les territoires originels et ceux conquis lors de
l’expansion de l’empire. Ce, via la langue, l’esthétique buccale152,
les procédés rituels (ou cultuel), et à travers bien d’autres pra-
tiques contingentes (bisela) qui ont pu se maintenir en l’état bien
des siècles après.
Dans l’habillement, l’alimentation, l’identification carnée (par voie de
sacrification) ou olfactive, comme dans les créations artisanales ou ar-
tistiques, la « lubaïté » s’exprime avec la même expressivité.

150. Crine-Mavar, Histoire traditionnelle du Shaba. Cultures au Zaïre


et en Afrique, RZSH-ONRD, n°1, Kinshasa, 1973, p.19.
151. J. Hiernaux, « Note sur une campagne de fouilles à Katoto (1959)
», Zaïre, vol. XIV, 2 mars 1960.
152. Tout porteur de dents limées au niveau des gencives supérieures
est désigné, chez les Baluba, sous le terme de musonge meno ou
mukule meno (l’appellation Basongye tirerait son origine de cette
pratique buccale). Par contre, toute personne privée de gencives
inférieures extraites est dite buzole meno.
152b. Lukanda Lwa Malale, Les baluba : une histoire à réécrire, pp
31-37

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Les objets eux-mêmes, quant à leurs matières, leurs formes et leurs


qualités, témoignent d’une continuité certaine selon les sites où ils
ont été exhumés. Plus de cinquante sites ont fait l’objet des fouilles
importantes : Nsanga, Katoto, Katongo, Kikulu, Mulongo, Malem-
ba, Kamina Base… L’usage de la datation au carbone 14 a permis
de situer l’ancienneté de certains objects entre les VIe et XIe siècle.
Certaines tombes, fouillées assez tardivement, n’ont pu révéler leurs
secrets qu’au XXe siècle.
Au regard des formes et des désignations vernaculaires des objets
exhumés, il se révèle que toutes ces choses attestent une continui-
té usuelle au sein du peuple baluba depuis l’âge du fer jusqu’à nos
jours. La preuve ? C’est que, hier comme aujourd’hui, ces objets ont
gardé, presque partout, les mêmes noms exprimés en kiluba :
Ò les croisettes de cuivre (mpinda ya mikuba)
Ò la hache ordinaire (kasolwa)
Ò la hache d’apparat (kibikye)
Ò la houe (lukasu)
Ò le bracelet (lukano)
Ò l’enclume (nyundo)
Ò la porteuse de coupe (kabila)
Ò l’hameçon (bulobo)
Ò les perles (malungo)
Ò le cauris (mibela)
Ò l’anneau (lumpete)
Ò la clochette (ludibu, dikelende)
Ò la carapace d’escargot (nyonga)
Ò le panier (kitundu, kitenge)
Ò le harpon de chasse (nkubulo)
Ò la casserole (kisuku), etc.
Tant au niveau de la symbolique que la sacralité que l’on confère à
l’un ou l’autre de ces objets, chaque fois que les membres de la com-
munauté usagers de ces choses venues d’un autre âge ont l’occasion
de les manipuler, il surgit toujours de leur subsconscient comme un
désir profond de commémorer une « ontomythologie » commune.
Mais face à eux, nombre d’enfants éduqués sous les lumières de la
ville n’ont, quant à eux, qu’une seule fixation… sur des objets issus
de leur modernité :

«Tumonanga bitumbanga, ketumonanga byendaila».

Trad. : « L’œil ne retient facilement que ce qui aujourd’hui devient


célèbre, difficilement une célébrité perenne. »

Comme quoi, si les renommées naissent et passent, les styles et les


modes de vie ne sont pas non plus figés à jamais. 152b

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Chapitre V

L’HISTOIRE
IMPÉRIALE
A L’ORIGINE DE L’EMPIRE :
LES BAKALANGA

A
u sujet de l’origine ethnique du premier empereur
Muluba, Nkongolo Mwamba, plusieurs opinions
circulent. Certains historiens soutiennent qu’il était
natif du Buluba153, d’autres affirment qu’il fut un
conquérant Musonge venu du Maniema154, d’autres
enfin avancent que son origine est simplement inconnue155.
Quant à nous, nous appuyant sur les arguments linguistiques, gé-
néalogiques, anthroponymiques, théonymiques, cosmogoniques,
anthropologiques, ethnologiques, sociologiques, philosophiques…
nous sommes arrivés à nous convaincre
qu’il était Muluba, natif de père, de mère 153. J. Sendwe, Coutumes et Traditions des
et d’ancêtres Baluba nommément iden- Baluba Shankadji, CEPSI, 24, Lubumbashi,
1954, pp. 113-115 ;Voir aussi P. Colle.,
tifiés156. op. cit., p. 353; Burton, op. cit., pp. 384-
388. K.Y. Tundu, op. cit., p. 14.
Les Baluba s’appelaient aussi Bakalanga, 154. B. Crine-Mavar, Histoire traditionnelle
du Shaba, in Revue zaïroise des sciences
c’est-à-dire les «  civilisés, les polis, les de l’homme- O.N.R.D, n°I, 1973, p.17-18.
émancipés, les gens aux mœurs policées, Tshimbombo Mudiba, La famille Bantu
Luluwa et le développement, Rome,
aux yeux ouverts ». 1975, pp.66-67. Ndaywel I., op.cit.. p. 133.
Kaka Ginahatu et Tshibala Ngalamulume,
En nous référant aux travaux de Jan Van- Histoire du Zaïre, classe de 5ème
sina, il nous revient que : primaire, 1990, éd. C.E.E.C., Kinshasa,
1986, pp.54-55.
155. Greindl, Introduction à l’histoire de
« A cette époque, un émigrant nommé l’Afrique Noire, Tome I, Des Origine
Kongolo apparut dans le pays des Kalan- à 1800, éd. du Mont Noir, Kinshasa-
Lubumbashi, p.130. J.Vansina, Les Anciens
ga pour devenir le fondateur de ce qu’on Royaumes de la Savane, IRES, 1965, p. 56.
a appelé le premier Empire luba. Il n’y a 156. Lukanda Lwa Malale, Les BALUBA, une
histoire à réécrire, éd. Kivunge, pp. 95-
pas de tradition unique concernant les ori- 132, inédit.
157. J.Vansina, Les Anciens Royaumes de la
Savane, IRES, 1965, p. 56.
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gines ou la provenance de Kongolo. Les versions qu’on a pu


recueillir montrent seulement à quel point nous manquons
d’une étude générale des traditions orales luba. Les traditions
subsistant encore disent qu’il était originaire soit du Nord-
est, de la région où se trouve maintenant la ville de Kongolo,
soit du Nord-Ouest, de chez les Bene Kalundwe de Mutom-
bo Mukulu. Une des traditions prétend même qu’il était né à
proximité de ce qui allait devenir sa capitale »157.

SOUS LE RÈGNE DE NKONGOLO


Ressentant la même difficulté de trancher sur la provenance
de cet empereur, L. Greindl dit :
«L’origine du royaume est attribuée à un certain Kongolo,
immigrant venu du Nord, sans autre précision»158.
L’étude patiente que nous avons consacrée à cette question
nous a amené à valider la cédibilité des versions de Jason
Sendwe, de Burton et de Père Colle. Car à nous aussi, il
nous semble plausible que :
« Le héros de l’empire Muluba a été Nkongolo Mwamba, fils
de Muleya Monga et de Mwamba ; il eut deux sœurs, Mabela
et Bulanda. Il dut son nom de Nkongolo à son teint rouge
pâle. Nkongolo naquit près du lac Boya, à dix kilomètres de
la chefferie de Kabongo. Ce fut un dictateur, un conquérant
au pouvoir tyrannique. L’histoire dit que Nkongolo sentit sa vocation
de fondateur de l’empire au spectacle d’une colonne des fourmis rouges
vainquant et dépouillant une colonne des fourmis blanches. Il rassem-
bla tous les Baluba sous une direction unique  (…)».159
A ce même propos, Burton renchérit : Dès avant sa naissance, Nkon-
golo devait s’appeler Kumwimba, mais, lorsqu’il vint au monde, il
avait la peau si claire qu’on lui donna le nom de « Arc-en-ciel »160 ,
Nkongolo en kiluba : « Il dut son nom de Nkongolo à son teint rouge
pâle »161.
Ses parents et arrières-grands parents, ses sœurs et ses enfants bien
connus, portant des noms à dense charge spirituelle connue des seuls
Baluba, nous permettent de découvrir que Nkongolo était un vail-
lant et intrépide guerrier, compliqué et implacable dès son jeune âge.

158. Greindl, Introduction à l’histoire de


l’Afrique Noire, Tome I, Des Origine
à 1800, éd. du Mont Noir, Kinshasa-
Lubumbashi, p.130.
159. J. Sendwe, op. cit., p. 113.
160. W. Burton, op. cit., p.384.
161. J. Sendwe op. cit., p.113.

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LA SOIF DES CONQUÊTES


« Sa légende (de Nkongolo) rapporte de nombreux traits de cruauté et
d’orgueil ; il n’hésitait pas à faire couper le nez, les oreilles ou les seins
de sujets récalcitrants et fit construire des tours élevés, à l’aide desquels il
espérait atteindre le ciel. »162
Sa soif de conquêtes militaires toujours plus vive lui impose une
vie d’itinérance qui le conduit partout, du Nord au Sud, de l’Est à
l’Ouest du Buluba. Sa capitale impériale fut Mwibele, village situé