Par son influence sur la détermination des prix, la monnaie agit-elle sur le niveau de production
et sur les grandeurs réelles de l’économie ? Cette question est centrale dans la mise en œuvre
de la politique monétaire. Les modalités d’action de la monnaie sur les variables réelles
permettent l’intégration au sein d’une économie donnée. Lorsque la quantité de monnaie
existante n’a pas d’incidence sur le niveau de production, la monnaie est dite neutre. Ainsi, dans
un cadre d’analyse où les grandeurs réelles ne sont pas influencées par le niveau général des
prix, les causalités quantitatives conduisent par exemple à la neutralité de la monnaie. Dans
d’autres cadres, l’analyse met en évidence au moins deux modalités principales d’intégration
des phénomènes monétaires à savoir :
• l’intégration par les taux d’intérêt
• l’intégration par l’effet d’encaisses réelles
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des anticipations rationnelles, la Nouvelle Economie Classique montre que la monnaie est
neutre à court terme et à long terme.
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Les enchaînements peuvent être représentés graphiquement. La causalité part du marché de la
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Graphique 2.5
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L’analyse de Friedman a été améliorée suivant deux axes. Le premier axe est l’œuvre de
Brunner et Meltzer (1963 ; 1972) qui distinguent trois types de biens capitaux selon la nature
des marchés sur lesquels ils s’échangent. Le type I représente les biens de production
traditionnels ; le type II regroupe les biens capitaux tels que les logements et le type III est celui
des biens de consommation durables. D’après ces auteurs, suite à une augmentation de l’offre
de monnaie, la transmission au secteur réel débute par l’augmentation du prix des actifs
financiers du type I. Les mêmes effets de substitution jouent pour les biens du type II, mais pas
pour les biens du type III dont la stimulation s’explique par les effets de richesse. Le second
axe est le fruit des auteurs « néo-friedmaniens » qui ont cherché à améliorer l’analyse de
l’origine du mécanisme de transmission monétariste. Pour Friedman, cette origine réside dans
un excès d’offre de monnaie ; ils estiment par contre que l’origine résulte d’un écart entre
encaisses désirées à court terme et encaisses désirées à long terme.
La même idée se retrouve chez I. Fisher dans le cas symétrique d’une augmentation de la valeur
réelle des encaisses : « supposons un instant qu’un doublement de la monnaie en circulation
n’entraîne pas immédiatement une hausse des prix… ; un tel résultat bouleversera évidemment
l’ajustement que chaque individu fait des liquidités dont il dispose. Les prix étant inchangés, il
dispose maintenant d’une quantité double de monnaie et de dépôts que celle que pour sa
commodité l’expérience lui a appris à conserver en main. Il s’efforcera alors de se débarrasser
de ce surplus de monnaie et de dépôts en achetant des biens. ».
L’effet d’encaisse réelle est fondé sur l’hypothèse que les agents maintiennent un certain
rapport entre leur demande d’encaisse réelle et leurs dépenses. Don Patinkin (1965) précise les
aspects microéconomiques et macroéconomiques de ce mécanisme. En termes
microéconomiques, l’effet d’encaisse réelle peut être représenté dans le cadre de la théorie
traditionnelle du consommateur.
Graphique 2.7
Avec les encaisses réelles M/P en ordonnées et les biens x en abscisses, les courbes
d’indifférence U correspondent à des niveaux d’utilité de l’agent. Les segments AB et A’B’
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représentent les droites de budget dont les pentes sont égales au rapport entre prix monétaire du
bien x et niveau général des prix. L’agent dispose initialement d’une dotation d’encaisse réelle
et de bien donné par le point Z sur la droite de budget AB ; son utilité est maximisée au point
E1. Si les prix baissent, y compris le prix du bien x, toutes choses étant égales par ailleurs, la
droite de budget se déplace vers la droite en A’B’ et sa dotation initiale d’encaisses est
revalorisée de (M/P)0 à (M/P)0’ sans que change la dotation des bien. La dotation est désormais
déterminée par le point Z’ sur la nouvelle droite de budget A’B’. L’utilité est alors maximisée
en E2 avec des demandes supérieures de biens, et d’encaisse réelle.
Les divers énoncés de l’effet d’encaisse réelle supposent un déclenchement par une variation
de la valeur réelle des encaisses monétaires, ainsi qu’un comportement spécifique des
détenteurs d’encaisses s’inscrivant dans une période de temps plus ou moins longue. Les
conditions de réalisation de l’effet d’encaisse réelle peuvent être les suivantes :
• Puisque la valeur réelle des encaisses est donnée par M/P, le déclenchement de l’effet peut
provenir soit d’une variation de l’offre nominale de monnaie M, soit d’une variation du
niveau général des prix P. On nomme parfois l’effet d’encaisse réelle « effet de liquidité »
dans le premier cas et « effet de richesse induit par le niveau général des prix » dans le
second cas.
• La réaction des agents à une variation de la valeur réelle des encaisses est l’élément
constitutif du jeu de l’effet d’encaisse réelle. L’absence d’illusion monétaire, comme
l’absence d’anticipations cumulatives des variations de prix susceptibles de provoquer des
comportements de « fuite devant la monnaie » (cas des hyperinflations), sont des conditions
nécessaires à sa réalisation.
Alors que pour Keynes, l’existence d’un équilibre global de sous-emploi montre qu’il y a pas
de force endogène à la résorption du chômage, ce qui justifie l’intervention de l’Etat, Pigou
montre que l’effet d’encaisse réelle constitue une telle force endogène ; ce qui limite la nécessité
de recourir aux interventions publiques. En effet, la crise s’accompagne d’une baisse du niveau
général des prix caractéristique d’une insuffisance de la demande globale ; cette baisse des prix
augmente la valeur réelle des encaisses monétaires ; ce qui invite à accroître la demande globale
dont la hausse tend à résorber le chômage keynésien.
Les travaux de Patinkin font de l’effet d’encaisse réelle un mécanisme majeur d’intégration du
réel et du monétaire rompant la dichotomie walrasienne et la neutralité de la monnaie. En effet,
pour Walras, une variation du niveau général des prix expliquée par la théorie quantitative n’a
pas d’incidence sur les grandeurs réelles et ne modifie pas la position initiale d’équilibre
général. Il en est ainsi parce que les fonctions de demande de biens ne dépendent que des prix
relatifs, et que ceux-ci ne sont pas affectés par la variation du niveau général des prix du fait du
postulat d’homogénéité. Patinkin introduit le niveau des encaisses réelles dans les fonctions de
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demande de biens ; cette modification rompt avec la dichotomie puisqu’une variation du niveau
général des prix affectant la valeur réelle des encaisses détenues, affecte désormais les
demandes de biens. Il en est ainsi tant que les encaisses réelles n’ont pas retrouvé leur niveau
d’équilibre. En d’autres termes, la monnaie n’est pas neutre tant que joue l’effet d’encaisse
réelle et, dans le cadre d’une économie d’échange, celui-ci joue tant qu’il y a déséquilibre entre
offre et demande d’encaisses réelles.