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Cours n° 12

Approche évaluative en adéquation avec le CECR

Tantôt mesure, tantôt message donc, l’évaluation assume plusieurs fonctions : sélection de
l’excellence, validation des acquis, régulation des apprentissages. Dans tous les cas, elle répond à une
finalité éducative et repose sur des objectifs. Pour quoi évaluer, qui évaluer et quoi évaluer qui sont
des questions préliminaires que doit se poser tout enseignant avant de décider comment évaluer, et la
question pour quoi évaluer nous renvoie bien entendu au pour quoi enseigne-t-on, au pour qui
enseigne-t-on, que doivent savoir (faire) les apprenants, etc.

L’enseignement étant par nature contextualisé, il convient d’éviter tout dogmatisme au moment de
répondre à ces questions. Un enseignement centré sur la compréhension de l’écrit ou sur la maîtrise
des formes grammaticales peut être tout aussi légitime qu’un parcours d’apprentissage individualisé
basé sur le développement de compétences communicatives si la culture scolaire du pays l’impose ou
encore si les besoins fonctionnels des apprenants requièrent ce type de compétence. La qualité d’un
cours ou celle d’une l’institution dépendra donc de sa capacité à s’adapter explicitement et
positivement à ces contextes, c’est-à-dire à adopter une attitude congruente avec les finalités
annoncées et les moyens mis en œuvre. Ce n’est pas toujours simple.

Nous avons choisi de développer notre réflexion sur l’évaluation en langues autour d’une étude de cas,
celle du Cadre européen commun de référence pour les langues, le Cadre. Nous venons de le dire, ce
document qui va nous permettre de définir la validité du construit de nos évaluations dans cette étude
de cas n’est pas le seul document possible, et nous aurions pu imaginer par exemple de construire un
dispositif sur la base des Niveaux de compétence linguistique canadiens, (Centre des niveaux de
compétence linguistique canadien, 2006) dont l’influence outre-Atlantique est très importante.

Cependant, la plupart des institutions éducatives qui enseignent le français langue étrangère en Europe,
et dans une certaine mesure dans le monde, le font désormais sur cette base, et cet ouvrage dont nous
allons rappeler les grands principes didactiques, inspire aujourd’hui les politiques linguistiques de
nombreuses institutions en FLE mais aussi dans d’autres langues. Nous l’avons vu, c’est aussi le socle
de référence affiché des grands certificateurs européens. L’étude que nous vous proposons prétend
donc surtout vous permettre de repérer les principes méthodologiques qui vous permettront demain de
mettre en place des dispositifs évaluatifs éthiques et pertinents, qu’ils soient diagnostiques, formatifs
ou certificatifs. En évaluation, tout est affaire de choix explicites, de centrations adaptées et de
méthodologies rigoureuses.

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1. Appréhender les finalités politiques

A l’heure de la globalisation de l’information et de la mondialisation des échanges, la maîtrise


de plusieurs langues est désormais considérée comme un facteur important de réussite
sociale. Le développement de répertoires plurilingues précoces et actifs est aussi considéré
comme un vecteur de défense de la pluralité identitaire et de la mobilité internationale, et de
manière plus générale comme un ciment pour la compréhension et les échanges entre les
peuples. L’enseignement des langues répond donc aussi bien aux besoins sociaux des
apprenants qu’à un projet politique global auquel les citoyens d’un nombre croissant de pays
semblent aujourd’hui adhérer.

Rappelons que dans le domaine des langues vivantes, trois grands principes ont été retenus :

- la richesse du patrimoine linguistique de l’Europe constitue une commune qu’il convient


de protéger et de développer.
- seule une meilleure connaissance des langues vivantes facilitera la communication et les
échanges, la mobilité et la compréhension mutuelle.
- les états membres se concerteront pour parvenir à mettre en place des dispositifs politiques
coordonnés.

2. Cerner les concepts didactiques qui sous-tendent ce projet


En 2001, lors de l’année internationale des langues, le Conseil de l’Europe publiait donc ce document
qui précisait pour la première fois pour un ensemble des langues une approche conceptuelle cohérente
de ces grands principes. Le Cadre spécifie une approche plurilingue qui « met l’accent sur le fait
que, au fur et à mesure que l’expérience langagière d’un individu dans son contexte culturel s’étend
de la langue familiale à celle du groupe social puis à celle d’autres groupes (que ce soit par
apprentissage scolaire ou sur le tas), il/elle ne classe pas ces langues et ces cultures dans des
compartiments séparés mais construit plutôt une compétences communicative à laquelle contribuent
toute connaissance et toute expérience des langues et dans laquelle les langues sont en corrélation et
interagissent » (Le Cadre, 2001 : 11).

Cette conception qui se différencie du multilinguisme (connaissance et coexistence de plusieurs


langues) a davantage une visée systémique qu’analytique ; on peut en effet penser que l’individu qui
se trouve au contact d’au moins une langue étrangère avec l’intention de la maîtriser au moins
partiellement a toujours une attitude plurilingue dans la mesure où il convoquera pour parvenir à ses
fins tous les savoirs et savoir-faire à sa disposition. Par contre, les systèmes sont encore trop souvent
pensés en unités cloisonnées comme à l’école où peu de concertations sont proposées par l’Institution
entre les professeurs de langues vivantes, ceux de langue maternelle ou même d’autres matières.

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Mais, comme le soulignent les auteurs du Cadre (2001 :11) « de ce point de vue, l’enseignement des
langues se trouve modifié. Il ne s’agit plus simplement d’acquérir la maîtrise d’une, deux, voire même
trois langues, chacune de son côté avec le locuteur natif comme ultime modèle. Le but est de
développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur
place ».

Cette approche nécessitait une modélisation de l’objet langue susceptible de satisfaire à la fois les
impératifs descriptifs des linguistes et les besoins didactiques des enseignants. Pour ce faire, le Cadre a
adopté une perspective actionnelle, définie comme suit ( : 15) :

Il en propose la modélisation suivante. Les compétences générales développées par les individus
sont :

- les savoirs ou connaissances déclaratives.

- Les habiletés ou savoir-faire.

- Les savoir-être.

- Le savoir apprendre.

Les compétences à communiquer langagièrement sont :

- La compétence linguistique

- La compétence sociolinguistique

- La compétence pragmatique

Les activités langagières sont, à l’oral et à l’écrit :

- La réception

- La production

- L’interaction

- La médiation

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Nous ne reviendrons pas sur cette structure générale, qu’un certain nombre d’ouvrages présentés dans
la bibliographie vous permettront de mieux appréhender (Beacco, 2007, Rosen, 2007). Notons
simplement que le Cadre ne dit rien, pour l’instant, sur les rapports qui peuvent exister entre ces
différentes compétences.

Enfin, l’un des objectifs du Cadre étant d’apporter une meilleure lisibilité aux différents dispositifs
internationaux de certification, et s’inspirant des travaux de l’Association of Language Testers in
Europe, ALTE, il propose également une série ascendante de 6 niveaux de référence pour décrire la
compétence de l’apprenant.

Dans ce modèle, chaque niveau peut être à son tour interprété grâce à une série de descripteurs
toujours formulés selon le vieil adage qui stipule que tout objectif pédagogique inclut dans sa
formulation les éléments de son observation :

Nous noterons par ailleurs que le Cadre prête une attention toute particulière à la définition des
stratégies de production, de réception, d’interaction et de médiation et que les auteurs définissent
comme « le moyen utilisé par l’usager d’une langue pour mobiliser et équilibrer ses ressources et
pour mettre en œuvre des aptitudes et des opérations afin de répondre aux exigences de la
communication en situation et d’exécuter la tâche avec succès et de la façon la plus complète possible

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(…). On a pu utiliser le mot « stratégie » avec des sens différents. On l’entend ici comme l’adoption
d’une ligne de conduite particulière qui permet l’efficacité maximum » (Le Cadre, 2001 : 48).

3. En déduire une approche évaluative congruente

Si nous considérons que le Cadre sera donc aujourd’hui notre référence, comment proposer un
système évaluatif congruent avec cette approche ? Cela revient tout d’abord à se poser plusieurs
questions en apparence simples sur le plan des compétences individuelles générales.

A. Peut-on évaluer les savoirs ?


Comme le rappelle Scallon (2004 :36), l’évaluation de connaissances et de savoirs relève de situations
que nous qualifierons de répétition, de mémoire, ou de généralisation, dans lesquelles l’individu doit
utiliser ses connaissances pour répondre à une question.

Le Cadre (2001 :82-83) distingue la connaissance du monde, autrement nommée culture générale,
qui s’est développée au gré de l’expérience langagière du locuteur depuis et grâce à l’émergence de sa
langue maternelle. Elle comprend les classes d’identité (concret/abstrait, animé/inanimé…), leurs
relations spatio-temporelles, analytiques ou logiques, et un grand nombre de connaissances factuelles.
Très tôt le locuteur apprend ainsi intuitivement qu’un animé + un inanimé ne peuvent être
conjointement sujets d’un même prédicat : « ma charrue et moi nous labourons » est un énoncé
impossible (sauf à vouloir bien sûr jouer sur la fonction poétique du langage), tout comme « ma
cigarette et moi nous fumons ». Les savoirs socioculturels, nous les avons déjà évoqués,
correspondent à la connaissance de la société et de la culture des communautés (vie quotidienne,
conditions de vie, valeurs, croyances, langage du corps, rituels…).

C’est également dans cette catégorie que nous rangerons toutes les notions factuelles liées à la
compétence langagière, telles que le lexique, pour lequel le Cadre propose des descripteurs formulés
sur la base de « possède un choix élémentaire, possède un répertoire limité, possède une gamme
étendue » ou la grammaire, pour laquelle il propose des descripteurs tels que « peut se servir avec une
correction suffisante d’un répertoire de tournures et expressions… ». A première vue, c’est le type
d’évaluation le plus traditionnel et il ne semble pas poser de grands problème de validité.

D’une manière générale, les enseignants ont tendance à penser que l’évaluation des savoirs est plus
facile à faire que celle des savoir-faire ; sans doute est-ce dû au fait que l’interprétation des résultats
est plus fiable dans la mesure où les traits observables semblent plus évidents. Il est en effet
relativement facile de vérifier si un apprenant sait conjuguer le verbe être au présent de l’indicatif.
Ceci est dû également au fait que dans de nombreux cas les examens de savoirs reposent sur des
formes très stéréotypées d’exercices, telles que des réponses courtes ou des QCM. Nous devons
néanmoins prêter une attention toute particulière à leur conception qui recèle de nombreux pièges qui
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peuvent en limiter la validité. Nous avons vu comment les certificateurs tentent de répondre à ces
questions, et nous proposerons dans la troisième partie de ce livre quelques conseils méthodologiques
pour y parvenir. Il existe bien entendu d’autres possibilités pour évaluer des savoir, comme par
exemple une consigne de type « conjuguez le verbe manger au passé composé », qui permet de façon
univoque et précise d’observer la performance des apprenants. Naturellement, si l’on perçoit
facilement la fiabilité de ce type d’évaluation, il est également facile d’en deviner les limites. Dans
quelle mesure le savoir construit-il le savoir-faire, et dans quelle mesure savoir conjuguer le verbe
manger au passé composé permet-il de raconter une soirée au restaurant ?

B. Peut-on évaluer les savoir-faire ?


Les savoir-faire relèvent non plus de la répétition mais de la généralisation, et il est tout à fait possible
d’envisager des exercices permettant d’inférer un savoir-faire donné. Ils renvoient à la notion de
performance que nous allons préciser. En voici un exemple :

« Lisez la carte postale suivante ».

Hourtin, le 10 juillet

Chère Françoise,

Je t’écris cette petite carte postale d’Hourtin. C’est un magnifique petit village au
bord de la mer à 80 kms de Bordeaux. Il fait très beau et nous allons nous baigner
tous les jours. Pierre fait de la voile sur le lac et moi je visite les célèbres châteaux du
Médoc qui font un vin délicieux. Et toi, que fais-tu ? Tu viens me chercher à
l’aéroport mercredi ? J’arrive à 11h00.

Je pense à toi,

Bises, Isabelle

Vous allez maintenant écrire une carte postale pour répondre à Isabelle. Vous êtes en vacances et
vous lui parlez du temps qu’il fait, de la ville où vous êtes et de vos loisirs. Confirmez si vous allez
venir la chercher. (40 à 50 mots) ».

Cet exercice ne vise plus à évaluer la capacité des apprenants à conjuguer tel ou tel verbe, mais bien à
agir en répondant à une tâche contextualisée, du type de celles que l’on peut rencontrer dans la vie
quotidienne. Il n’est pas difficile de constater que la tâche ne relève pas seulement du niveau des
savoirs, sauf si la pratique quotidienne de classe en a formalisé l’usage en la convertissant en une
activité de répétition (auquel cas il s’agirait d’un savoir refaire).

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L’élève est ici placé dans une situation où le seul recours à la mémoire ne peut lui permettre de réussir
l’exercice. Vous remarquerez cependant qu’une légère modification dans l’énoncé de la consigne
pourrait nous réorienter vers une évaluation de savoirs :

« En utilisant le vocabulaire de la leçon 4, vous répondez à votre amie française. Vous lui racontez ce
que vous avez fait pendant vos vacances en utilisant le passé composé et l’imparfait, et vous répondez
à sa question en utilisant un verbe au futur simple (40 à 50 mots)».

Nous pouvons quantifier un savoir, en grammaire ou vocabulaire tout en inférant un savoir-faire, par
exemple la capacité à répondre correctement à une demande explicite (aller chercher quelqu’un,
confirmer) dans un contexte socioculturel donné, à un moment donné de la journée. Il faut cependant
noter dès maintenant que cet exercice présente une multimensionalité qui en rend l’exécution, et donc
l’évaluation, complexes (savoir-faire linguistiques : connaissance et maîtrise d’un lexique utile, savoir-
faire morphosyntaxique -expression du futur, je viendrai mercredi, etc.-, savoir-faire pragmatiques :
saluer, répondre a une demande…, etc.).

Avec ce genre d’exercice, il sera donc plus difficile d’établir la validité du construit (c’est-à-dire
d’expliciter tout ce qui sera évalué), et sans doute sera-t-il aussi plus difficile d’atteindre une bonne
fiabilité entre correcteurs, mais nous aurons indéniablement progressé par rapport à notre intention
actionnelle initiale de former des acteurs sociaux capables d’agir en contexte. Notons cependant que
les informations que nous pourrons recueillir en situation d’évaluation, donc en milieu non naturel
guidé, ne nous permettront pas in fine d’affirmer si la personne évaluée aura en situation réelle la
capacité d’utiliser ses connaissances et ses savoir-faire pour résoudre un problème dans une situation
par exemple moins imprévisible. Cette question nous amène à faire une différence fondamentale entre
compétence et performance.

C. Peut-on évaluer une compétence ?


Dans le domaine qui nous intéresse de l’évaluation, la performance sera l’expression de la compétence
dans un contexte déterminé. Lorsqu’il écrit une carte postale lors d’un examen, l’apprenant se plie à un
jeu de simulation imposé par l’institution, afin de démontrer qu’il sera capable plus tard de produire un
texte similaire à celui qu’il va proposer aux évaluateurs. L’évaluation de cette performance, pour
autant qu’elle puisse être valide et fiable, permettra au professeur d’inférer la compétence de cet
apprenant et d’affirmer qu’à un moment donné, dans un contexte donné et par rapport à une tâche
donnée, l’apprenant évalué a été capable de produire un énoncé de carte postale, ce qui permet de
supposer qu’il aura la compétence pour le faire plus tard dans la vie réelle. Rien cependant ne nous
permet d’affirmer que cette compétence est réelle, sauf à le vérifier en contexte. Cette notion clef
incitera donc l’évaluateur à la plus grande prudence lorsqu’il émettra son jugement.

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Actes de langage et performance
Dans cette approche, la notion d’acte de langage revêt une importance particulière. Austin (1970) avait
proposé une classification des actes de langage en trois catégories :

- les actes locutoires sans lesquels il n’y aurait aucune mise en œuvre du langage
(concevoir des phrases, choisir des mots…).
- Les actes illocutoires, les actes contenus dans le langage, dont la liste est par essence
infinie : décrire, interroger, répondre, ordonner, juger, promettre, prêter serment,
certifier, parier, s’excuser, pardonner, condamner, féliciter, blâmer, remercier, saluer,
inviter, accepter, insulter, menacer, argumenter, conclure, avouer, présenter une
requête, nommer à un poste…Ces énoncés ont une force dite illocutoire, et l’on
remarquera que dans certains cas ils peuvent s’accomplir sans recours au langage
verbal : le geste de la main pour saluer…
- Les actes perlocutoires, également en nombre illimité, qu’on cherche à accomplir au
moyen du langage : faire comprendre, persuader, consoler, instruire, tromper,
intéresser, impressionner, mettre en colère, calmer, faire peur, rassurer, se concilier,
influencer, troubler…

Même si la différence entre verbes illocutoires et perlocutoires peut sembler difficile à cerner dans
certains cas, les verbes illocutoires seront particulièrement utiles aussi bien dans la conception des
tâches (validité) que dans l’appréciation univoque des performances (fiabilité). Ceux sont donc ceux
que vous devrez utiliser pour rédiger vos consignes, comme nous allons le voir.

Pour évaluer une performance fonctionnelle, on peut également partir d’une compétence de calcul
interprétatif du sens que certains linguistes nomment compétence rhétorico-pragmatique, qui permet
d’attribuer à certains énoncés au sens implicite une interprétation, et pour laquelle des lois du discours
ont été établies. Ainsi, l’énoncé la poubelle est pleine qui ressemble à une simple constatation peut en
fait être une sollicitation pour que quelqu’un vide la poubelle, voire un reproche si cette tâche a déjà
été attribuée à quelqu’un, ou un simple rappel. Ducrot (1979, 1980) propose quelques lois qui auront
un effet non négligeable sur l’appréciation des performances et doivent être prises en compte dans la
conception de tâches appelant à l’interaction et / ou à l’argumentation (particulièrement importante par
exemple au niveau B2 du Cadre et au-delà) dans des contextes d’évaluation des performances en
situation. Ces lois doivent être entendues au sens de règles du jeu de la communication ; la première
loi proposée par Ducrot est la loi de sincérité : on est tenu de ne dire que ce qu’on croit vrai et même
que ce qu’on a des raisons suffisantes de tenir pour tel, faute de quoi on s’expose de parler à la légère.
Sans cette convention aucune espèce de communication, même le mensonge, ne serait possible. C’est

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pour répondre à son application que les éditeurs font porter la mention Nouvelle ou Roman sur les
couvertures des ouvrages. C’est cette même règle qui peut entraîner de fâcheux quiproquos si
l’auditeur prend au sérieux ce qui n’était qu’une plaisanterie.

La seconde loi est celle d’intérêt. On est en droit de parler à quelqu’un de ce qui est susceptible de
l’intéresser. Cette loi explique entre autres la difficulté qu’il y a à parler à un inconnu, et le recours aux
thèmes les plus généraux sans violer la convention d’intérêt (la pluie, le beau temps…). Il faut noter
qu’a priori les dépositaires de l’autorité ne sont pas soumis à cette loi, leur parole étant de facto
intéressante. C’est, en principe, le cas des enseignants. Cette loi est à mettre sur le même plan que
celle dite d’informativité qui veut qu’un énoncé doive apporter à son destinataire des informations
qu’il ignore, et que la loi d’exhaustivité qui stipule que le locuteur est tenu de donner, dans un
domaine donné, l’information maximale compatible avec la vérité.

Évaluer la performance : le concept de tâche


La perspective actionnelle, dont nous avons vu qu’elle constitue le centre de gravité du modèle que
nous avons retenu pour cette étude de cas, implique de soumettre l’apprenant à un (des) problème(s)
réaliste(s) et signifiant(s), en relation avec la vie courante (renvoyant donc à la notion d’authenticité)
et exigeant la construction d’une réponse élaborée. Même si les tâches actionnelles sont les héritières
directes de l’approche communicative, on peut cependant dire que l’on est passé d’un désir de « parler
avec l’autre » à celui « d’agir avec l’autre ». Or dans l’action, le processus est didactiquement tout
aussi important que le résultat. L’opérationnalisation du concept de tâche dans une optique évaluative
doit donc être envisagée sur plusieurs plans.

Lorsque l’évaluation est clairement mise au service de la régulation des apprentissages, il est possible
de l’intégrer dans des travaux de groupe : pédagogie du projet, réalisation en équipe de tâches de
coopération fonctionnelle, élaboration d’un produit commun, etc. Chaque apprenant se voit alors
attribuer une tâche à accomplir, comme dans tout travail d’équipe. L’authenticité des tâches est
généralement d’autant plus motivante si elle s’inspire de tâches réelles et si elle inclut une phase
imprévisible nécessitant la résolution de problèmes (réalisation d’un journal du collège, préparation
d’un voyage ou d’une sortie, organisation de la fête de fin d’année…). On peut imaginer que
l’enseignant évaluateur se mette alors en position d’observateur, attentif aux difficultés des apprenants
et aux lacunes de son enseignement. Il convient de noter, et ce n’est pas négligeable, que cette
évaluation porte à la fois sur les apprentissages (récents) et sur les acquisitions (y compris d’éléments
étudiés antérieurement). Si le groupe n’est pas trop nombreux, l’exercice est intéressant et, somme
toute, peu chronophage. C’est le principe général qui a été retenu par les concepteurs du Diplôme de
Compétences en langues, mais dans un contexte certificatif comme nous l’avons vu.

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On peut aussi proposer des simulations globales où chacun devra simuler un rôle dans un contexte
scénarisé. Une application un peu plus classique consistera à proposer des jeux de rôles, mises en
situations, canevas, c’est-à-dire des exercices de simulation à authenticité situationnelle.

Dans le cas d’une évaluation bilan, et plus encore lorsqu’il s’agit de sélectionner, l’observation d’un
individu agissant au sein d’un groupe dans le cadre d’un projet, il est plus difficile d’assurer une bonne
fiabilité de notation et donc de garantir une égalité de traitement. Il convient tout d’abord de s’assurer
que les candidats sont familiarisés avec ce type d’épreuves, sans que l’enseignement reçu ne se soit
limité à une simple parodie de l’examen (le bachotage).

Ce genre d’activité sous-tend aussi une lecture intéressante et légitime qui place les stratégies au cœur
du modèle didactique : recherche de l’autonomie, mobilisation et activation des savoirs et savoir-faire,
etc. Le Cadre ne propose hélas que peu de descripteurs pour garantir une lecture univoque des niveaux
de compétence attendus dans ce domaine, et il y a là un important sujet de recherche qui reste à
explorer, même si certaines certifications comme le DCL font ici figure de pionnier.

Faute d’études plus précises ce sujet, on peut néanmoins se demander comment les concepteurs des
grilles d’observation établissent leur modèle didactique (quels traits observent-ils et quelles valeurs
attribuent-ils aux dimensions pragmatiques, sociolinguistiques, linguistiques ou stratégiques
observées), et comment ils gèrent les parasites de l’observation individuelle dans un contexte interactif
ou plusieurs personnes interviennent en même temps (Riba, 2009). La démarche qualité que nous
promouvons ici permettra peut-être une meilleure explicitation des choix opérés.

D. Peut-on évaluer les savoirs-être ?


Ce concept regroupe les attitudes (ouverture, intérêt, capacité à relativiser un point de vue ou à prendre
ses distances), les motivations, les valeurs, les croyances, les traits de la personnalité (entreprenant,
pro actif, optimiste, confiant, rigide…) et les styles cognitifs, les façons d’apprendre, (holistique,
analytique, synthétique, visuel, mnémotechnique, etc…). Les savoir-être conditionnent le
développement d’une personnalité interculturelle, laquelle se situe au croisement de savoirs, savoir-
faire et savoir-être. L’évaluation des savoir-être se développe dans le monde de l’entreprise où
empathie, travail en équipe et leadership sont de plus en plus considérés comme des compétences
(qualités ?) de premier ordre. C’est d’une manière plus générale la façon de se poser en tant que
personne, d’appréhender les autres, les situations et la vie en général, mais aussi sa façon de réagir et
d’agir.

L’évaluation des savoir-être renvoie encore aux deux conceptions de l’évaluation que nous avons
abordées (cf. De Ketele, 1986 : 179-208) :

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- celle d’une mesure, pour laquelle on peut retenir une définition de psychométricien qui
renvoie au concept d’attitude : « organisation émotionnelle, motivationnelle,
perceptive et cognitive durable de croyances relatives à un ensemble de référents qui
prédisposent un individu à réagir positivement ou négativement aux objets ou référents
de l’attitude » (De Landsheere, 1979 : 22),
- celle d’une observation, d’un message interactif, pour laquelle on peut retenir une
définition de psychologue social renvoyant au concept de représentation : « synthèse
mentale d’informations, plus ou moins chargée affectivement, que la personne se
construit plus ou moins consciemment à partir de ce qu’il est, de ce qu’il a été et de ce
qu’il projette et qui guide son comportement (De Ketele, 1983 : 10).

En classe de langue, c’est dans leur dimension interculturelle que les savoir-être prennent tout leur
sens. Voici ce que l’on peut lire dans le Cadre au sujet de l’impact culturel de l’apprentissage d’une
langue sur l’individu (le Cadre, 2002 : 40) :

L’apprenant d’une deuxième langue (ou langue étrangère) et d’une deuxième culture (ou culture
étrangère) ne perd pas la compétence qu’il a dans sa langue et sa culture maternelles. Et la nouvelle
compétence en cours d’acquisition n’est pas non plus totalement indépendante de la précédente.
L’apprenant n’acquiert pas deux façons étrangères d’agir et de communiquer. Il devient plurilingue et
apprend l’interculturalité. Les compétences linguistiques et culturelles relatives à chaque langue sont
modifiées par la connaissance de l’autre et contribuent à la prise de conscience, aux habiletés et aux
savoir-faire interculturels. Elles permettent à l’individu de développer une personnalité plus riche et
plus complexe et d’accroître sa capacité à apprendre d’autres langues étrangères et à s’ouvrir aux
expériences culturelles nouvelles ».

Le Cadre ( : 83-84) précise que les aptitudes et les savoir-faire interculturels comprennent :

- la capacité d’établir une relation entre la culture d’origine et la culture étrangère ;


- la sensibilisation à la notion de culture et la capacité de reconnaître et d’utiliser des
stratégies variées pour établir le contact avec des gens d’une autre culture ;
- la capacité de jouer le rôle d’intermédiaire culturel entre sa propre culture et la culture
étrangères et de gérer efficacement des situations de malentendu et de conflit culturel ;
- la capacité d’aller au-delà de relations superficielles stéréotypées.

La plupart des experts s’accordent aujourd’hui pour reconnaître que le traitement de la compétence
interculturelle de communication n’est pas satisfaisant dans le Cadre. Peut-être cet ouvrage ne faisait-il

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que rendre compte de l’état des recherches à l’époque où il a été conçu. Nous complèterons cette
définition du construit hypothétique de la compétence socioculturelle par la spécification de la matière
culturelle telle que la définissent les auteurs du « référentiel pour le français, niveau B2 » (Beacco,
Bouquet, Porquier, 2004 : 327-352), même s’ils reconnaissent eux-mêmes que ces travaux
préliminaires sont sans doute voués à moyen terme aux gémonies. Ils ont identifié cinq grandes
composantes :

- la dimension sociopragmatique, actionnelle, qui décrit un savoir-agir minimum dans


une société peu connue de manière à pouvoir y gérer sa vie matérielle et
relationnelle ; cette matière culturelle donne lieu, potentiellement, à observations et
interprétations des sociétés et des groupes autres. Elle constitue la matière des
premiers malentendus ou surprises culturelles ;
- la dimension ethnolinguistique permet de caractériser le « vivre ensemble verbal »,
comme normes et régulations concernant les comportements communicatifs et qui ont
des effets directs sur la communication ;
- la dimension relationnelle qui cerne les attitudes et les compétences verbales
nécessaires à la gestion linguistique appropriée d’interactions, au-delà du savoir-
faire actionnel : curiosité, bienveillance, tolérance…
- la dimension interprétative qui concerne les représentations de la matière culturelle.
- la dimension éducative ou interculturelle, où la matière culturelle est appréhendée en
tant qu’objet de jugement, susceptible d’activer des réactions d’ethnocentrisme,
d’intolérance, d’acculturation, de dépendance culturelle, d’enfermement identitaire ou
d’aliénation.

Dans un domaine qui croise des appréciatifs idéologiques, le devoir éthique appelle donc à la plus
grande prudence dans l’évaluation des savoir-être car nous touchons à l’observation de traits latents
dont la définition n’est encore ni consensuelle ni même parfaitement calibrée. De nombreux
programmes existent sur la compétence en communication et en interaction culturelles1, mais rares
sont ceux qui font une part importante à l’évaluation de ces compétences. Nous l’avons dit, Lussier
(2008), qui souligne leur instabilité chez un même individu (qui peut clairement changer de position
très vite dans ce domaine), écarte la possibilité de confronter les savoir-être à l’évaluation sommative.

Au-delà de savoirs sur l’autre, c’est bien à une nouvelle « culture du moi » que prétendent atteindre les
didacticiens de l’interculturel, nourris des travaux les plus récents de l’anthropologie et de la

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Nous citerons par exemple le programme ICOPROMO du Centre d’enseignement des langues vivantes,
coordonné par Evelyne Glaser et John Kepler : www.ecml.at/mtp2/ICOPROMO/pdf/pdescB3F.pdf, ou encore
l’intéressant portfolio Trans’Europe Centre, TEC, réalisé dans l’académie d’Orléans-Tours en France (www.ac-
orleans-tours.fr/daric/files/portfolio-tec.rtf
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sociologie. Comme le disent Zarate et Gohard-Radenkovic (2004), « l’évaluation des compétences
interculturelles n’implique pas seulement l’apprenant, mais le dispositif d’enseignement dans son
ensemble. A travers le cas d’une situation géopolitique troublée, de celui d’une épreuve d’examen ou
d’un exercice d’observation anthropologique induisant une activité de comparaison entre deux
cultures ou de description, l’enseignant est amené à se définir comme un tiers médiateur ». De fait,
nous ferons nôtre cette affirmation et nous nous limiterons à considérer que l’évaluation des
compétences interculturelles, en dehors du fait sociolinguistique ou du renvoi à des savoirs de type
encyclopédique, ne peut se faire aujourd’hui que dans le cadre interactif de l’évaluation formative ou
tout au moins continue, car il n’existe pas (encore) d’outils valides et fiables pour envisager une
évaluation sommative de performances permettant d’inférer une compétence de médiation culturelle,
d’empathie, d’anticipation de malentendus ou encore d’objectivation (ce que les anglo-saxons
appellent « intercultural awareness ») – et les outils psychométriques n’y changent rien-. Nous
considérerons donc cette évaluation comme un processus et non un aboutissement.

Quelles méthodes valides peut-on envisager pour l’évaluation des compétences interculturelles ? La
première repose en partie sur l’auto évaluation, ou l’introspection. Deux solutions semblent s’offrir à
nous :

- le portfolio qui renvoie tout à la fois à l’explicitation de la biographie interculturelle,


verbalisation utile des expériences d’altérité, et au positionnement sur des échelles de
niveau nécessairement contestables en l’absence d’étalonnages internationaux
convaincants des descripteurs.
- La « carte », qui aspire à passer de la compétence sociolinguistique à la compétence de
médiation interculturelle. Cette approche, défendue par Zarate et Gohard-Radenkovic
est précisée par Gautheron-Boutchatsky et Kok-Escalle (in Zarate, G., Gohard-
Radenkovic, A., 2004 : 70-76). Elle vise à lever une contradiction du Cadre qui défend
la spécification des situations d’enseignement-apprentissage en fonction de la réalité
de chaque contexte et qui dans le même temps définit des compétences censées être
utilisables dans tous les contextes. Elle propose un questionnement sur les démarches
et les attitudes qui permettent d’observer une capacité à la distanciation, sans isoler
(les auteurs parlent de mutiler) les compétences les unes par rapport aux autres.

Mais un certain nombre d’exercices peuvent être imaginés, et Byram et Zarate (Byram, M., Zarate, G.,
1996) s’y sont, parmi d’autres, essayés :

- simulation de situations problématiques : situation commerciale, contrôle policier,


débat problématique…

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- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de documents authentiques : articles
de presse, documents sonores et/ou audiovisuels, publicités, avis de
mariage/décès/naissance, horoscopes, affiches politiques, menus, recettes,
caricatures…
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de questionnaires : attitudes et
préjugés, relevés des stéréotypes : « quand et où chantez-vous votre hymne
national ? », « place et rôle des médias », « religion »… ;
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de récits historiques croisés2 ;
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir d’entretiens : les représentations de
l’autre, ses stéréotypes…
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de faits de langue : jeux de mots,
calembours, blagues, proverbes, dictons, accents, parodies…
- analyse de dysfonctionnements : blagues, malentendus, tabous…

E. Peut-on évaluer les savoir-apprendre ?


Cette question est intimement liée à la précédente qu’elle recoupe en grande partie, et elle dépasse
largement le champ de l’enseignement des langues, même si le professeur de langue étrangère doit la
prendre attentivement en compte. Le Cadre rappelle (2001 : 17) que « si la notion de savoir-apprendre
est valable dans tous les domaines, elle trouve un écho particulier à propos de l’apprentissage des
langues. Selon les apprenants, savoir apprendre renvoie à des combinaisons différentes à différents
degrés de certains aspects du savoir-être, du savoir-faire et du savoir ». Tout comme pour les
attitudes et les savoir-être, nous dirons que le savoir-apprendre constitue souvent un trait évalué
implicitement dans la performance de l’apprenant, même si l’enseignant s’en défend parfois. A titre
d’exemple, la gestion du temps durant une épreuve d’examen constitue par exemple une compétence
acquise par certains pendant leur scolarité qui caractérise le « métier d’apprenant » et contribue à la
réussite de l’épreuve au-delà des compétences langagières.

La principale question se pose pour nous non en termes de faisabilité (peut-on évaluer les savoir-
apprendre ?) mais plutôt en termes de validité (doit-on évaluer les savoir-apprendre ?). Il est probable
que cela ne puisse se faire de façon utile que dans le cadre interactif de la construction des
apprentissages et de l’évaluation formatrice. De nombreux chercheurs ont démontré (Deci, Bandura,
Lepper, Weiner, cités par Monnard, Ntamakiliro et Gurtner, 1999, : 197-210) que la motivation est un
processus cognitif autant qu’émotionnel ou social. Ces auteurs affirment que « évaluer la motivation

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On peut ici prendre utilement pour exemple le très beau concept d’histoires croisées qui a donné lieu entre la
France et l’Allemagne à la publication d’un Manuel d’histoire franco allemand, Bendick, R., Le Quintrec, G.,
Henri, G., Geissoctobre, P., Paris, Nathan, Klett, 2012
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des élèves pour le travail scolaire ne peut dès lors plus se faire au travers d’une mesure unique, mais
nécessite une approche pluricritériée et graduelle ». Avant d’évaluer la motivation, suscitons-la !

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