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Cours n°2

Le Cadre européen commun de référence pour les langues et l’évaluation (partie 2)

Nous avons vu que le Cadre européen propose une représentation d’ensemble de l’usage et
de l’apprentissage des langues basée sur une approche dite actionnelle, dans la mesure où
elle considère l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à
accomplir des tâches dans des circonstances et dans un environnement donnés, à l’intérieur
d’un domaine d’action particulier.

En termes d’évaluation, cette approche suppose des choix particuliers qu’un évaluateur
soucieux de congruence aura soin de préciser. Nous allons donc en premier lieu
approfondir deux questions particulières relatives, premièrement à ce qui est évalué,
deuxièmement au comment les performances sont interprétées. De nombreuses lectures
proposées tout au long de ce cours complèteront votre formation. Nous renvoyons en
premier lieu à l’intéressante conférence de Fleming (2006).

Peut-on évaluer les savoirs ?


Comme le rappelle Scallon (2004 :36), l’évaluation de connaissances et de savoirs relève de
situations que nous qualifierons de répétition, dans lesquelles l’individu répond de
mémoire, ou de généralisation, dans lesquelles l’individu doit utiliser ses connaissances
pour répondre à une question.

Le Cadre (2001 :82-83) distingue la connaissance du monde, autrement nommée culture


générale, qui s’est développée au gré de l’expérience langagière du locuteur depuis et grâce
à l’émergence de sa langue maternelle. Elle comprend les classes d’identité
(concret/abstrait, animé/inanimé…) leurs relations spatio-temporelles, analytiques ou
logiques, et un grand nombre de connaissances factuelles. Très tôt le locuteur apprend ainsi
qu’un animé + un inanimé ne peuvent être conjointement sujets d’un même prédicat : « ma
charrue et moi nous labourons » est un énoncé impossible (sauf à vouloir bien sûr jouer sur
la fonction poétique du langage), tout comme « ma cigarette et moi nous fumons ». Les
savoirs socioculturels correspondent à la connaissance de la société et de la culture des
communautés (vie quotidienne, conditions de vie, valeurs, croyances, langage du corps,
rituels…). C’est également dans cette catégorie que nous rangerons toutes les notions
factuelles liées à la compétence langagière, telles que le lexique, pour lequel le Cadre
propose des descripteurs formulés sur la base de « possède un choix élémentaire, possède
un répertoire limité, possède une gamme étendue » ou la grammaire, pour laquelle il
propose des descripteurs tels que « peut se servir avec une correction suffisante d’un
répertoire de tournures et expressions… » . A première vue c’est le type d’évaluation le
plus traditionnel et il ne semble pas poser de problème de validité.
1
D’une manière générale, les enseignants ont tendance à penser que l’évaluation des savoirs
est plus facile à faire que celle des savoir-faire ; sans doute est-ce dû au fait que
l’interprétation des résultats est plus fiable dans la mesure où les traits observables
semblent plus évidents. Il est en effet relativement facile de vérifier si un apprenant sait
conjuguer le verbe être au présent de l’indicatif ou s’il connaît la capitale du Cameroun.
Ceci est dû également au fait que dans de nombreux cas les examens de savoirs reposent
sur des formes très stéréotypées d’exercices, tels que des réponses courtes ou des
questionnaires à choix multiples, QCM. Nous devons néanmoins prêter une attention toute
particulière à leur conception qui recèle de nombreux pièges qui peuvent en limiter la
validité. Nous reviendrons sur ce thème dans le cours n°6.

Quelques conseils s’imposent, en particulier dans la conception d’épreuves d’évaluation


sommative. Afin de rendre les items valables, il convient de prêter une attention toute
spéciale aux conseils de rédaction suivants.

Dans la rédaction des items à réponse construite

 s’assurer que la tâche correspond à un objectif clairement défini


C’est la base ; pas de validité sans le respect de cette règle élémentaire. L’évaluateur et le
correcteur doivent connaître ces objectifs, et dans de nombreux cas l’évalué aussi.

 Proposer une tâche qui entraîne une performance observable


Les réponses à des questions trop vagues sont pratiquement impossibles à corriger.

 Elaborer une consigne univoque

Dans sa rédaction une consigne ne peut prêter à confusion. Elle doit être rédigée en termes
clairs, dans une langue adaptée au niveau de l’épreuve, et sans ambiguïté. On évitera ainsi
les formulations interro-négatives ou les éléments inutiles.

 Concevoir des amorces bienveillantes, destinées à aider le candidat à


comprendre l’objet de l’exercice
La forme de l’exercice ne doit pas, dans la mesure du possible, être en soi une difficulté.
Ainsi, si des apprenants n’ont jamais été confrontés aux QCM, l’exercice n’aura que peu de
validité ; ceci n’est cependant pas en contradiction avec le fait de faire appel à des
situations nouvelles ou à des problèmes inédits car l’évaluation ne peut se réduire non plus
à un conditionnement comportemental réducteur. Dans tous les cas, la collecte des données
doit se faire au bénéfice des candidats, et tout doit être fait pour qu’ils puissent réaliser la
meilleure performance possible, sans contrainte extérieure additionnelle. On veillera ainsi à
mettre l’idée principale dans l’amorce.

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 Eviter les questions de détail
Parce qu’elles ne font souvent appel qu’à la mémoire, les questions de détail sont à utiliser
avec précautions, sauf dans le cas de concours où cela servira de stratégie de classement
normatif. La référence à un point sans importance peut en effet remettre en question la
validité de l’épreuve dans la mesure où l’on évaluera la capacité mnémotechnique et non un
savoir constitué convocable dans une tâche plus complexe.

De même peut-on éviter les questions qui feraient appel au calcul mental, comme celle-ci
proposée en compréhension orale pour valider le « savoir l’heure » :

« - Pierre, quelle heure est-il ?

- Quinze heures. Ne t’inquiète pas j’arrive dans une demi-heure. Tu crois qu’on
en a pour longtemps à nettoyer l’appartement ?
- Deux heures et demies environ »
A quelle heure Pierre et son ami finiront-ils de nettoyer l’appartement ?

 Eviter les questions d’opinion ou de sentiments personnels, ainsi que celles de


thème controversés qui peuvent indisposer
La question personnelle n’est pas en soi à rejeter. Dans le cadre d’une perspective
actionnelle, elle remet en jeu une forme d’authenticité que chacun peut apprécier, mais il
doit être aisé d’établir quelle réponse est la bonne sur la base d’éléments observables.
Enfin, dans l’administration de tests sur une large échelle géographique et culturelle, il
convient de ne blesser personne en évoquant des sujets délicats sous une forme
culturellement trop marquée. Ceci reste particulièrement valable, je le répète, dans le cadre
de l’évaluation sommative et certificative où aucun dialogue ne permettra de remédier à un
éventuel malentendu.

 Vérifier que la réponse ne nécessite pas de savoirs ou de savoir-faire supérieurs


au niveau de l’épreuve
 Définir, dans le cas de réponses longues, la place accordée à l’évaluation des
formes vs l’évaluation du fond
 S’assurer qu’il n’y a qu’une seule réponse possible
Dans le cas d’exercices à trous sans choix de réponse, il est très difficile de s’assurer
qu’une seule réponse est possible. En effet, la polysémie du langage et les multiples
formulations possibles rendent admissibles toutes les réponses que l’usage valide, même si
ce ne sont pas celles attendues, et à condition qu’elles s’intègrent parfaitement
syntaxiquement et sémantiquement au reste du texte.

 Contextualiser les énoncés


Eviter les énoncés courts et décontextualisés. Ils offrent en général une foultitude de
réponses possibles et perdent de leur validité actionnelle.
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 Prévoir un temps et un espace de réponse suffisants

Dans la rédaction des items à réponse choisie

On trouve dans cette catégorie des questionnaires à choix multiples, QCM, des exercices
d’appariement (fléchage), vrai/faux, choix d’items pour compléter des exercices à trous…

 La clé (la bonne réponse) doit répondre strictement à la question posée, sans
ambiguïté possible, sans toutefois proposer une réponse trop évidente.
 Il ne doit y avoir qu’une seule réponse correcte, mais plusieurs réponses
plausibles et de même niveau
Cet aspect est beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît. Souvent, pour le rédacteur, il est
(très) clair que la question ou l’affirmation qu’il a formulée n’a qu’une seule solution. Or,
une simple relecture par une tierce personne permet souvent de constater que plusieurs
options constituent une bonne réponse (réponses entièrement ou partiellement vraies), le
discours étant souvent polysémique. Or pour un examen, il n’est pas possible d’accepter
l’une ou l’autre interprétation.

Au moment de la rédaction, il est donc conseillé

- de se relire après quelques jours, pour poser un regard neuf sur le travail,
- et de faire appel à un regard extérieur à chaque fois que cela est possible.
 Mettre l’idée principale dans l’amorce
Il est préférable de placer l’idée principale dans l’amorce de l’item pour que le candidat,
même s’il n’est pas familiarisé avec les QCM, comprenne immédiatement ce qu’on lui
demande.

 Elaborer consignes et amorces bienveillantes et univoques


L’emploi des négations est à éviter dans l’amorce ou la question qui précède les
propositions de réponse (formules interro-négatives). En effet, cela rend artificiellement la
question plus difficile, ce qui n’est pas le but de l’examen. Les tournures restrictives (ne…
que ; seulement, etc.) et les verbes tels que craindre, redouter, avoir peur que, (à cause du
« ne » explétif qui peut être confondu avec une négation « ne pas ») sont ambigus : ils ne
sont pas exclus mais doivent faire l’objet d’une grande attention.

 Proposer au moins deux distracteurs univoques


Dans un appariement ou un QCM, on ne peut proposer un seul distracteur et une bonne
réponse (comme par exemple VRAI / FAUX). Une réponse au hasard a en effet une chance
sur 2 d’être la bonne. Comme nous le disons plus loin dans le chapitre relatif à la validation
empirique, le nombre de distracteurs est conditionné à un certain nombre de lois statistiques
à prendre en compte. Par ailleurs, les expressions comme certains, parfois, prêtent à
confusion à cause de leur polysémie (certains, c’est 2 ? 10 ? Plus ? moins ?).

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 Proposer des items indépendants les uns des autres (en termes de contenu)
La réponse à un item, ou les informations données dans un item, ne doivent pas permettre
de répondre à un autre item : aucun item ne doit répondre indirectement à une question
précédente ou ultérieure.

 Eviter les ruptures isotopiques au niveau grammatical


Il est important d’avoir des items homogènes en termes de contenu sémantique et de
structures grammaticales, car cela permet de mieux calibrer la difficulté induite par les
choix de réponse et évite d’introduire des disparités qui pourraient perturber l’évaluation de
la compétence linguistique. On doit pouvoir lire l’amorce suivie de chaque réponse
indépendamment, et sans qu’il n’y ait de rupture de construction grammaticale.

 Proposer des items de même longueur


Pour ne pas être trop évidente, la clé ne doit pas attirer l’attention visuellement.

Souvent, c’est l’option la plus longue qui est la clé (car le rédacteur veut éviter toute
ambiguïté). En cas de différence de longueur, le risque est double :

- soit on donne une information au candidat qui lui permettra de trouver la bonne
réponse avec une autre compétence que sa compétence en langue,
- soit on le dirige vers une mauvaise voie : les meilleurs candidats choisissent parfois
les distracteurs fonctionnant mal (ils détectent l’irrégularité et pensent qu’il s’agit
d’un piège).

 Ordonner les options selon un ordre logique ou lexicographique


Il importe que l’ordre des propositions retenu paraisse arbitraire, afin de ne pas inviter les
candidats à se demander quelle logique cachée a présidé à la rédaction des items (ce qui
d’une part leur ferait perdre du temps et d’autre part les mettrait sur une fausse piste).

 S’assurer que le document doit rester la seule source permettant de répondre à


la question.
On ne doit pas pouvoir répondre à la question sans avoir besoin de lire le texte ou écouter le
document sonore ni devoir faire appel à des connaissances personnelles (extérieures au
contenu du texte) pour pouvoir répondre.

 Respecter les règles de ponctuation


On ne peut prétendre évaluer des compétences en langue si nous ne donnons pas
l’exemple ! Voici les règles généralement retenues par la profession.

a. Lorsque l’amorce est un début de phrase, elle se termine par des points de suspension.
Chaque proposition de réponse commence par une minuscule et se termine par un point.

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Lorsque toutes les options se terminent de façon identique, on les laissera sans ponctuation
en fin de ligne et on mettra en facteur commun ce qui peut l’être, avec un alinéa, après des
points de suspension :

b. Lorsque l’amorce est une phrase indépendante, elle se termine par un point ou un point
d’interrogation, et chaque réponse commence par une majuscule (et se termine par un
point). C’est donc l’usage suivi pour : Vrai / Faux / On ne sait pas et Oui / Non / On ne sait
pas (Vrai. / Faux. / On ne sait pas.).

 Contextualiser les énoncés


Eviter les énoncés courts et décontextualisés. Ils offrent en général une foultitude de
réponses possibles et perdent de leur validité actionnelle.

 Prévoir un temps et un espace de réponse suffisants


Ces règles de bon sens semblent faciles à respecter. Il n’en est rien. Nous conseillons
donc à l’enseignant en classe soit d’utiliser des exercices déjà conçus et testés, soit, s’il en
conçoit lui-même, de les tester auprès de ses collègues avant toute utilisation formelle en
classe, de les conserver soigneusement et de les modifier au fur et à mesure des erreurs
qu’il constate.

Dans le cas d’évaluations certificatives, des procédures complémentaires doivent être mises
en place, coûteuses et parfois complexes. Ainsi la validation qualitative d’énoncés ou de
consignes peut-elle se faire selon l’approche dite de Thurstone. Ce pionnier américain de la
psychométrie a inventé une méthode de comparaison par paires de l’échantillon ; on
demande ainsi à des experts de coter l’intensité supposée d’énoncés et l’on applique ensuite
un calcul probabiliste aux données collectées. On peut ainsi placer les énoncés sur ce que
Thurstone appelle une échelle d’attitude qui permet de travailler sur des jugements
subjectifs tels que le jugement esthétique ou encore l’appréciation générale. Mais il ne
s’agit que d’une phase de validation qualitative qui complète celle de la validité de contenu
dont nous venons de parler. Elle doit être complétée par une validation empirique.

Peut-on évaluer les savoir-faire ?


Les savoir-faire relèvent non plus de la répétition mais de la généralisation, et il est tout à
fait possible d’envisager des exercices permettant d’inférer un savoir-faire donné. En voici
un exemple :

« Lisez la carte postale suivante :

6
Hourtin, le 10 juillet

Chère Françoise,

Je t’écris cette petite carte postale d’Hourtin. C’est un magnifique petit village au
bord de la mer à 80 kms de Bordeaux. Il fait très beau et nous allons nous baigner
tous les jours. Pierre fait de la voile sur le lac et moi je visite les célèbres châteaux du
Médoc qui font un vin délicieux.

Je pense à toi,

Bises, Isabelle

A partir de cet exemple, vous allez maintenant écrire vous-même une carte postale. Vous
êtes en vacances en France. Vous écrivez à une amie française. Vous parlez du temps, de la
ville et de ce que vous avez visité (40 à 50 mots) ».

Cet exercice ne vise plus à évaluer la capacité des apprenants à conjuguer tel ou tel verbe
ou à mobiliser tel ou tel répertoire lexical, mais bien à répondre à une tâche contextualisée,
du type de celles que l’on peut rencontrer dans la vie quotidienne, afin d’inférer (avec
toutes les limites que cet exercice suppose) s’ils seront capables plus tard d’effectuer la
même tâche dans la vie « réelle ».

Vous remarquerez qu’une légère modification dans l’énoncé de la consigne pourrait nous
réorienter vers une évaluation de savoirs :

« En utilisant le vocabulaire de la leçon 4, vous écrivez une carte postale à une amie
française. Vous parlez du temps et de la ville où vous vous trouvez. Vous racontez ce que
vous avez visité en utilisant le passé composé et l’imparfait (40 à 50 mots)».

Il n’est pas difficile de constater que la tâche de la carte postale ne relève pas seulement du
niveau des savoirs, sauf si la pratique quotidienne de classe en a formalisé l’usage en la
convertissant en une activité de répétition (auquel cas il s’agirait d’un savoir refaire).

L’élève est ici placé en situation d’habileté, et le seul recours à la mémoire ne peut lui
permettre de réussir l’exercice. Il lui revient d’utiliser spontanément la tactique qui
convient pour réaliser cette tâche, ce que Scallon considère comme l’une des

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caractéristiques majeures des exercices d’évaluation relevant des savoir-faire (Scallon,
2004 :42).

Peut-on évaluer une compétence ?


Nous pouvons donc quantifier un savoir, en grammaire ou vocabulaire, et inférer un savoir-
faire, la capacité à saluer dans un contexte socioculturel donné ou à un moment donné de la
journée, mais ces informations permettent-elles en soi d’affirmer que la personne évaluée
aura en situation réelle la capacité d’utiliser ses connaissances et ses savoir-faire pour
résoudre un problème dans une situation prévisible ou imprévisible ?

Ces considérations nous ramènent à ce que Chomsky, et sans doute avant lui Saussure,
pressentait dans sa définition d’une notion de performance. Dans le domaine qui nous
intéresse de l’évaluation, la performance sera l’expression de la compétence dans un
contexte déterminé. Lorsqu’il écrit une carte postale lors d’un examen, l’apprenant se plie à
un jeu de simulation imposé par l’institution, afin de démontrer qu’il sera capable plus tard
de produire un texte similaire à celui qu’il va proposer aux évaluateurs. L’évaluation de
cette performance, pour autant qu’elle puisse être valide et fiable, permettra au professeur
d’inférer la compétence de cet apprenant et d’affirmer qu’à un moment donné, dans un
contexte donné et par rapport à une tâche donnée, l’apprenant évalué a été capable de
produire un énoncé de carte postale ce qui nous permet de supposer qu’il aura la
compétence pour le faire plus tard dans la vie réelle. Rien cependant ne nous permet
d’affirmer que cette compétence est réelle, sauf à le vérifier en contexte.

Bref rappel historique.


Le Cadre définit (2001 :15) les compétences comme « l’ensemble des connaissances, des
habiletés et des dispositions qui permettent d’agir ». Comme le rappelle Rosen (in Beacco,
Bouquet, Porquier, 2004 :17), Chomsky (1965/1971 : 12-13) a été l’un des premiers à
proposer un déplacement des préoccupations du linguiste, abandonnant l’étude centrale de
la langue pour s’intéresser au locuteur : « L’objet premier de la linguistique est un locuteur
idéal, appartenant à une communauté linguistique homogène, qui connaît parfaitement sa
langue, et qui, lorsqu’il applique en une performance effective sa connaissance de la
langue, n’est pas affecté par des conditions grammaticalement non pertinentes, telles que
la limitation de mémoire, distractions, déplacement d’intérêt ou d’attention, erreurs
(fortuites ou caractéristiques. (…) Nous établissons donc une distinction fondamentale
entre la compétence (la connaissance que le locuteur-auditeur a de sa langue) et la
performance (l’emploi effectif de la langue dans des situations concrètes) ».

Pour Chomsky, « la compétence d’un sujet parlant français est donc l’ensemble des
possibilités qui lui sont données de construire et de reconnaître l’infinité des phrases
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grammaticalement correctes, d’interpréter celles d’entre elles qui sont douées de sens, de
déceler les phrases ambiguës, de sentir que certaines phrases, éventuellement très
différentes par le son, ont cependant une forte similitude grammaticale, et que d’autres,
proches phonétiquement, sont grammaticalement très dissemblables » (Ducrot, Todorov,
1972 :158).

Pour pertinente qu’elle soit, cette distinction issue de la linguistique structurale s’inscrivait
en réaction contre le mentalisme, le psychologisme ou le behaviorisme et participa à la
rupture de la linguistique avec des courants dominants de la psychologie.

Dans le domaine de l’évaluation, cette ère que Spolsky, (in ALTE 2005 :21) désigna
comme l’ère de la psychométrie structuraliste et que l’on peut délimiter des années 50 à la
fin des années 60, fut marquée dans le monde anglo-saxon par l’émergence de tests à choix
multiples, s’inscrivant dans une vision structuraliste du langage, qui du phonème au
morphème conduit au mot puis à la phrase. Comme le précisent Lussier et Turner (1995,
chapitre 2), c’est aussi la période où l’on tenta pour la première fois d’objectiver au
maximum les instruments de mesure.

Mais c’est surtout la notion de compétence pragmatique, issue des travaux de philosophes
du langage tels que Austin ou Grice, qui introduira la notion fondamentale de compétence
de communication et son corollaire des actes de langage (utilisation du langage comme
une action, et non plus seulement comme un message) et des actes de parole (l’énoncé
effectivement réalisé par un locuteur déterminé dans une situation donnée) développant
l’idée que le langage dans la communication n’a pas principalement une fonction
descriptive mais une fonction actionnelle. Hymes paracheva l’émergence de ce concept
qu’il pressentait depuis 1964 dans un article resté célèbre, « The Etnography of
Communication » publié dans la revue The American Anthropologist (Bachmann,
Lindenfeld, Simonin, 1981 : 63), dans son « Models of the Interaction of Language and
Social Setting » publié en 1967 et revu en 1972 – modèle S.P.E.A.K.I.N.G : setting,
participants, ends, acts, key, instrumentalities, norms, genre - ; ce modèle permettait une
approche fonctionnelle de la communication qui fit avancer de nombreux champs
didactiques de l’acquisitionisme à l’évaluation. Charaudeau dira à ce propos (2000 :36) :
« il nous faut désormais tenir compte d’une compétence pragmatique qui nous oblige à
regarder les faits de langage comme des actes tournés non point vers le monde pour en
rendre compte (théorie représentationnelle) mais vers l’autre du langage pour le mettre en
position d’avoir à penser et à faire (théorie actionnelle) ».

Ajoutons à cela les développements de la sociolinguistique dus aux travaux de Bernstein


sur les codes, de Halliday sur la syntaxe fonctionnelle et de Labov qui sur la base de son

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étude sur la stratification sociale de l’anglais parlé à New York établit une référence
méthodologique qui lui permit d’identifier des phénomènes d’insécurité linguistique, ou
d’hypercorrection, mettant en évidence les rapports de force sociaux que le langage
représente et véhicule. L’approche de Labov esquissait une problématique nouvelle pour la
linguistique, dont les évaluateurs n’allaient pas tarder à s’emparer. Goffman, et avec lui les
ethnolinguistiques, allaient compléter cette approche en développant à travers l’étude des
conversations une analyse des implicites sociaux (Goffmann, Hall) et l’émergence d’une
grammaire des conversations et de l’analyse interactionnelle.

Threshold Level (Van Ek, 1975) constituera en ce sens la première manifestation de cette
approche communicative qui inspire largement le format actuel des « référentiels pour le
français » du Conseil de l’Europe. Les actes de parole y sont analysés en contenus
propositionnels appelés notions et en rôles illocutifs appelés fonctions.

« Dans son essence, le modèle est très simple, parce qu’il analyse le comportement
langagier en deux composantes seulement : la réalisation d’intentions énonciatives et
l’expression de (ou la référence à des) notions. Ce qu’on fait en se servant du langage peut
être décrit comme la verbalisation de certaines intentions. Au moyen de la langue, on
affirme, on pose des questions, on donne des ordres, on fait des remontrances, on persuade,
on présente des excuses, etc. En réalisant de telles intentions, on exprimer certaines
notions où l’on s’y réfère. On veut, par exemple, s’excuser d’être en retard, d’être en
retard à une réception, d’être en retard à la réception qui a eu lieu hier, etc. » (Van Ek
1977 :5).

On peut donc construire un catalogue d’objectifs qui contiennent les composantes


suivantes :

- les situations dans lesquelles on se sert de la langue étrangère ;


- les activités langagières dans lesquelles s’engagera l’apprenant ;
- les intentions énonciatives que l’apprenant réalisera ;
- ce dont l’apprenant sera capable en ce qui concerne chaque sujet à traiter ;
- les notions générales que l’apprenant pourra manier ;
- les notions spécifiques que l’apprenant pourra manier ;
- les formes linguistiques dont l’apprenant pourra se servir ;
- le degré de maîtrise que l’apprenant pourra atteindre.
(Van Ek, 1975 : 105)

Cette nouvelle approche théorique redonnait au sujet actant sa véritable place et elle ne fut
pas sans conséquence sur les méthodes évaluatives anglo-saxonnes d’une part, puis
française, et le sujet reprenait une place active dans le processus évaluatif. Qui parle à qui ?
Dans quels buts ? Peut-on se contenter d’évaluer les aspects linguistiques même s’ils sont
plus faciles à isoler ?...

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Morrow (1979) fut l’un des premiers à souligner la nécessité d’évaluer la performance dans
des situations quotidiennes quand il affirma que les tests de langage devaient refléter les
usages suivants du langage (in Brown, Hudson, 2002 : 20) :

1. le langage est utilisé en interaction ;


2. l’interaction est généralement non prédictible ;
3. le langage a un contexte ;
4. le langage est utilisé dans un contexte ;
5. il doit y avoir un besoin pour évaluer une performance ;
6. le langage est authentique et non simplifié ;
7. le succès du langage est basé sur des comportements.1

Mais ce sont surtout Canale et Swain (1980) qui proposèrent une modélisation encore
largement utilisée dans les tests de langues aujourd’hui pour évaluer la compétence
langagière qu’ils décomposèrent en trois parties :

- Compétence grammaticale
- Compétence sociolinguistique
- Compétence stratégique

Les examens du DELF et du DALF et la plupart des exercices d’évaluation de


performances en production reposent aujourd’hui sur ce modèle.

Bachman (1990 : 87), enfin, présenta une vision homogène du concept d’habileté
langagière de communication qui a servi de base à l’élaboration du Cadre européen:

1
Language is used in interaction ; interactions are usually unpredictable ; language has a context ; language is
used for a purpose ; there is a need to examine performance ; language is authentic, not simplified ; language
success is behavior based.
11
Fundamental Considerations in Language Testing, Lyle Bachman, figure 4.2, 1990:87

En déplaçant le centre de gravité des préoccupations pédagogiques, nous parlerons


désormais de centration, une nouvelle dynamique se mettait en place qui relégua les
exercices basés sur les savoirs au profit de ceux basés sur des savoir-faire. Cette démarche
conduisit ainsi le ministère français de l’Education nationale à créer en 1985 le DELF,
diplôme d’étude en langue française, et le DALF, diplôme approfondi de langue française,
gérés par le CIEP, examens basés sur des tâches proposées dans quatre activités langagières
spécifiques (compréhension, production, orales et écrites), dans lesquelles la compétence
linguistique n’était plus évaluée à part, mais comme une composante générale du test. Ces
certifications ont eu une grande influence quant à l’introduction de méthodologies
communicatives en classe de français de par le monde. Leur adaptation au Cadre européen
en 2005 a permis de poursuivre cette tendance et d’introduire une perspective actionnelle
dans la classe de langue.

Peut-on évaluer les savoirs-être ?


Ce concept regroupe les attitudes (ouverture, intérêt, capacité à relativiser un point de vue
ou à prendre ses distances), les motivations, les valeurs, les croyances, les traits de la
personnalité (entreprenant, pro actif, optimiste, confiant, rigide…) et les styles cognitifs
(holistique, analytique, synthétique, …). Il conditionne le développement d’une
personnalité interculturelle, laquelle se situe au croisement de savoirs, savoir-faire et

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savoir-être. L’évaluation des savoir-être se développe dans le monde de l’entreprise où
empathie, travail en équipe et leadership sont de plus en plus considérés comme des
compétences (qualités ?) de premier ordre. C’est d’une manière plus générale la façon de se
poser en tant que personne, d’appréhender sa propre personne, les autres, les situations et la
vie en général, mais aussi sa façon de réagir et d’agir.

Nous rappellerons pour commencer qu’un certain savoir-être est souvent évalué de façon
implicite par l’enseignant ; c’est celui qui fait référence à ce que nous appelons le métier
d’apprenant et que De Ketele définit en faisant référence au « mauvais élève » ou au « au
bon élève » ; « le bon élève est souvent celui qui écoute (ou qui fait semblant avec talent 2),
celui qui participe aux activités scolaires, celui qui ne dérange pas ou celui qui n’est pas
grossier » (De Ketele, 1986 : 181). Ce biais renvoie tout aussi bien à la fiabilité de la
notation (puisque qu’il ne sera pas sans conséquence dans une évaluation normative) qu’à
sa validité puisqu’il altère sensiblement le construct de l’évaluation (ce qu’on est supposé
évaluer).

L’évaluation des savoir-être renvoie à deux conceptions opposées de l’évaluation (cf. De


Ketele, 1986 : 179-208) :

- celle d’une mesure, pour laquelle on peut retenir une définition de


psychométricien qui renvoie au concept d’attitude : « organisation
émotionnelle, motivationnelle, perceptive et cognitive durable de croyances
relatives à un ensemble de référents qui prédisposent un individu à réagir
positivement ou négativement aux objets ou référents de l’attitude » (De
Landsheere, 1979 :22),
- celle d’une observation, d’un message interactif, pour laquelle on peut
retenir une définition de psychologue social renvoyant au concept de
représentation : « synthèse mentale d’informations, plus ou moins chargée
affectivement, que la personne se construit plus ou moins consciemment à
partir de ce qu’il est, de ce qu’il a été et de ce qu’il projette et qui guide son
comportement (De Ketele, 1983 : 10).

En classe de langue, c’est naturellement dans leur dimension interculturelle qu’ils prennent
tout leur sens. Là plus qu’ailleurs le devoir éthique appelle à la plus grande prudence. Nous
touchons à la fois l’observation de traits latents dont la définition n’est encore ni

2
C’est nous qui l’ajoutons !
13
consensuelle ni même parfaitement calibrée, et nous sommes dans un domaine qui croise
des appréciatifs idéologiques. C’est par ailleurs et sans conteste l’un des points les plus
faibles du Cadre européen. Avant de se poser la question sur le « comment évaluer la
volonté ou la capacité à relativiser son point de vue », il convient de se demander en quoi et
pourquoi cet objectif est pertinent et congruent dans une situation donnée, faute de quoi
nous risquons de tomber dans un angélisme didactique qui risque de rendre caduc tout
l’effort consenti par un manque d’appréciation du caractère culturellement marqué de ce
concept.

Neumer (Neumer, 2003 : 17-63 in Byram, 2003) a retracé l’émergence du concept de la


représentation des autres au sein de l’enseignement des langues, de la méthodologie dite de
la grammaire-traduction, à nos jours, où une didactique de l’interculturel s’est mise en
place.

De nombreux programmes existent sur la compétence en communication et en interaction


culturelles3, mais rares sont ceux qui font une part importante à l’évaluation de ces
compétences.

Au-delà de savoirs sur l’autre, c’est bien à une nouvelle « culture du moi » que prétendent
atteindre les didacticiens de l’interculturel, nourris des travaux les plus récents de
l’anthropologie et de la sociologie. Comme le disent Zarate et Gohard-Radenkovic (Zarate,
G., Gohard-Radenkovic, A., 2004) : « l’évaluation des compétences interculturelles
n’implique pas seulement l’apprenant, mais le dispositif d’enseignement dans son
ensemble. A travers le cas d’une situation géopolitique troublée, de celui d’une épreuve
d’examen ou d’un exercice d’observation anthropologique induisant une activité de
comparaison entre deux cultures ou de description, l’enseignant est amené à se définir
comme un tiers médiateur ». De fait, nous ferons nôtre cette affirmation et nous nous
limiterons à considérer que l’évaluation des compétences interculturelles, en dehors du fait
sociolinguistique ou du renvoi à des savoirs de type encyclopédique, ne peut se faire
aujourd’hui que dans le cadre interactif de l’évaluation formative ou tout au moins
continue, car il n’existe pas (encore) d’outils valides et fiables pour envisager une
évaluation sommative de performances permettant d’inférer une compétence de médiation
culturelle, d’empathie, d’anticipation de malentendus ou encore d’objectivation (ce que les
anglo-saxons appellent « intercultural awareness »). Nous considérerons donc cette
évaluation comme un processus et non un aboutissement.

3
Nous citerons par exemple le programme ICOPROMO du Centre d’enseignement des langues vivantes,
coordonné par Evelyne Glaser et John Kepler : www.ecml.at/mtp2/ICOPROMO/pdf/pdescB3F.pdf, ou encore
l’intéressant portfolio Trans’Europe Centre, TEC, réalisé dans l’académie d’Orléans-Tours en France
(www.ac-orleans-tours.fr/daric/files/portfolio-tec.rtf
14
Voici ce que l’on peut lire dans le Cadre au sujet de l’impact culturel de l’apprentissage
d’une langue sur l’individu (le Cadre, 2002 : 40) :

L’apprenant d’une deuxième langue (ou langue étrangère) et d’une deuxième culture (ou
culture étrangère) ne perd pas la compétence qu’il a dans sa langue et sa culture
maternelles. Et la nouvelle compétence en cours d’acquisition n’est pas non plus
totalement indépendante de la précédente. L’apprenant n’acquiert pas deux façons
étrangères d’agir et de communiquer. Il devient plurilingue et apprend l’interculturalité.
Les compétences linguistiques et culturelles relatives à chaque langue sont modifiées par la
connaissance de l’autre et contribuent à la prise de conscience, aux habiletés et aux savoir-
faire interculturels. Elles permettent à l’individu de développer une personnalité plus riche
et plus complexe et d’accroître sa capacité à apprendre d’autres langues étrangères et à
s’ouvrir aux expériences culturelles nouvelles ».

Le Cadre (le Cadre, 2002 : 83-84) précise que les aptitudes et les savoir-faire interculturels
comprennent :

- la capacité d’établir une relation entre la culture d’origine et la culture


étrangère ;
- la sensibilisation à la notion de culture et la capacité de reconnaître et
d’utiliser des stratégies variées pour établir le contact avec des gens d’une
autre culture ;
- la capacité de jouer le rôle d’intermédiaire culturel entre sa propre culture et
la culture étrangères et de gérer efficacement des situations de malentendu et
de conflit culturel ;
- la capacité d’aller au-delà de relations superficielles stéréotypées.

Nous complèterons cette définition du construct hypothétique de la compétence


socioculturelle par la spécification de la matière culturelle telle que la définissent les
auteurs du « référentiel pour le français, niveau B2 » (Beacco, Bouquet, Porquier, 2004 :
327-352), même s’ils reconnaissent eux-mêmes que ces travaux préliminaires sont sans
doute voués à moyen terme aux gémonies. Cette référentialisation met en évidence avec
une relative aisance la compétence sociolinguistique définie comme connaissances et
habiletés exigées pour faire fonctionner la langue dans sa dimension sociale :

- maîtrise des marqueurs de relations sociales : salutation, prise de congé,


mode d’adresse, usage et choix des exclamations ;
- règles de politesse ;
- différences de registres ;
- différences de dialectes et d’accents ;

15
- …

De même, la catégorisation de savoirs sur la culture cible ne pose guère de problèmes dans
ses aspects matériels et pratiques (hymne national, devise du pays, mode d’organisation
politique…). Nous remarquerons simplement que ces savoirs constituaient la base des
premiers enseignements de la « civilisation », et qu’ils font partie des pré requis définis
dans de nombreux pays pour l’accès à la résidence ou à la nationalité. Ces savoirs sont donc
des unités minimales de la constitution du groupe. Leur définition relève du politique, et
leur évaluation ne pose bien entendu que peu de problèmes techniques. Tous les
didacticiens savent néanmoins depuis longtemps que ces savoirs déclaratifs n’ont pas
toujours l’impact souhaité et qu’ils ne constituent pas en soi la construction d’une
compétence à l’intégration.

Il convenait donc de tenter la spécification de compétences de nature culturelle qui aillent


au-delà de ces deux concepts. Les auteurs du référentiel ont vite mesuré le caractère
hybride d’une telle spécification qui relève de plusieurs champs disciplinaires, de
l’ethnolinguistique à la psychologie cognitive et/ou sociale. Ils ont identifié cinq grandes
composantes :

- la dimension sociopragmatique, actionnelle, qui décrit un savoir-agir


minimum dans une société peu connue de manière à pouvoir y gérer sa vie
matérielle et relationnelle ; cette matière culturelle donne lieu,
potentiellement, à observations et interprétations des sociétés et des groupes
autres. Elle constitue la matière des premiers malentendus ou surprises
culturelles ;
- la dimension ethnolinguistique permet de caractériser le « vivre ensemble
verbal », comme normes et régulations concernant les comportements
communicatifs et qui ont des effets directs sur la communication ;
- la dimension relationnelle qui cerne les attitudes et les compétences verbales
nécessaires à la gestion linguistique appropriée d’interactions, au-delà du
savoir-faire actionnel : curiosité, bienveillance, tolérance…
- la dimension interprétative qui concerne les représentations de la matière
culturelle.
- la dimension éducative ou interculturelle, où la matière culturelle est
appréhendée en tant qu’objet de jugement, susceptible d’activer des
réactions d’ethnocentrisme, d’intolérance, d’acculturation, de dépendance
culturelle, d’enfermement identitaire ou d’aliénation.

16
Cette référentialisation est sans aucun doute empreinte elle-même d’ethnocentrisme
européen, et les modes de construction de ces compétences seront différents selon que
l’apprenant se trouve en situation interculturelle de simulation, d’hospitalité ou de contact
contraint, selon que l’impact de l’évaluation conditionne l’obtention d’un titre de séjour ou
qu’elle soit dénuée de tout enjeu social. La compétence de communication interculturelle
constitue par ailleurs sans doute également un enjeu majeur de toutes les filières dites
bilingues qui offrent l’enseignement de disciplines non linguistiques en langue étrangère.
Enfin, nous noterons à la suite de Beacco et Porquier (Beacco, Porquier, 2007 : 155) que
« les compétences culturelles et interculturelles mises en jeu dans la découverte d’une
autre culture et utilisées pour comprendre celle-ci ou pour agir en son sein son largement
indépendantes de la compétence langagière en langue cible des apprenants ».

Quelles méthodes valides peut-on envisager pour l’évaluation des compétences


interculturelles ?

La première repose sur l’auto évaluation, ou l’introspection. Deux solutions semblent


s’offrir à nous :

- le portfolio qui renvoie tout à la fois à l’explicitation de la biographie


interculturelle, verbalisation utile des expériences d’altérité, et au
positionnement sur des échelles de niveau nécessairement contestables en
l’absence d’étalonnages internationaux convaincants des descripteurs.
- La « carte », qui aspire à passer de la compétence sociolinguistique à la
compétence de médiation interculturelle. Cette approche, défendue par
Zarate et Gohard-Radenkovic est précisée par Gautheron-Boutchatsky et
Kok-Escalle (in Zarate, G., Gohard-Radenkovic, A., 2004 : 70-76). Elle vise
à lever une contradiction du Cadre qui défend la spécification des situations
d’enseignement-apprentissage en fonction de la réalité de chaque contexte et
qui dans le même temps définit des compétences sensées être utilisables dans
tous les contextes. Elles proposent un questionnement sur les démarches et
les attitudes qui permettent d’observer une capacité à la distanciation, sans
isoler (les auteurs parlent de mutiler) les compétences les unes par rapport
aux autres.

Mais un certain nombre d’exercices peuvent être imaginés, et Byram et Zarate (Byram, M.,
Zarate, G., 1996) s’y sont, parmi d’autres, essayés :

- simulation de situations problématiques : situation commerciale, contrôle


policier, débat problématique…
17
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de documents
authentiques : articles de presse, documents sonores et/ou audiovisuels,
publicités, avis de mariage/décès/naissance, horoscopes, affiches politiques,
menus, recettes, caricatures…
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de questionnaires :
attitudes et préjugés, relevés des stéréotypes : « quand et où chantez-vous
votre hymne national ? », « place et rôle des médias », « religion »… ;
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de récits historiques
croisés4 ;
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir d’entretiens : les
représentations de l’autre, ses stéréotypes…
- repérages et interprétation de faits sociaux à partir de faits de langue : jeux
de mots, calembours, blagues, proverbes, dictons, accents, parodies…
- analyse de dysfonctionnements : blagues, malentendus, tabous…

Tous ces exercices donnent lieu à des performances orales ou écrites dans lesquelles des
traits latents peuvent être repérés.

Peut-on évaluer les savoir-apprendre ?


Cette question est intimement liée à la précédente qu’elle recoupe en grande partie, et elle
dépasse largement le champ de l’enseignement des langues, même si le professeur de
Français langue étrangère ou d’anglais doit en avoir conscience. Le Cadre rappelle (2001 :
17) que « si la notion de savoir-apprendre est valable dans tous les domaines, elle trouve
un écho particulier à propos de l’apprentissage des langues. Selon les apprenants, savoir
apprendre renvoie à des combinaisons différentes à différents degrés de certains aspects du
savoir-être, du savoir-faire et du savoir ». Tout comme pour les attitudes et les savoir-être,
nous dirons que le savoir-apprendre constitue souvent un trait évalué implicitement dans la
performance de l’apprenant, même si l’enseignant s’en défend parfois. L’apprenant capable
de gérer son temps ou ses axes de recherche parce qu’il est capable de pondérer et de
prioriser les objets ou les projets, celui qui peut convoquer une expérience ou un savoir
antérieur parce qu’il met en perspective ou qu’il infère une relation entre deux éléments
didactiques, celui-là aura naturellement une propension à la réussite. Là encore nous ne
pourrons que proposer une approche évaluative interactive et formatrice, basée sur des
descripteurs de compétence ou des récits de vie et autre entretiens, afin de construire cette
compétence.

4
On peut ici prendre utilement pour exemple le très beau concept “histoires croisées” qui a donné lieu entre la
France et l’Allemagne à la publication d’un manuel d’histoire commun aux deux nations ou à des travaux
France/Québec. Cf. www.ciep.fr
18
Le savoir-apprendre est particulièrement important dans le cas d’apprenants débutants qui
basent souvent leur apprentissage sur des représentations simplistes du fait langagier. Le
souhait souvent manifesté d’avoir recours à la traduction n’est pas simplement une solution
de facilité face à un problème de compréhension, c’est aussi la manifestation d’un désir
d’équivalence qui voudrait que les langues bien que différentes aient une corrélation
sémantique simple, un mot dans une langue correspondant à un autre mot dans une autre
langue5. La dure réalité conduit à la remise en cause de ces certitudes, et peut expliquer des
situations de frustrations ou même d’abandon. Il convient donc d’aider l’apprenant à choisir
les stratégies les plus adaptées à la construction des savoirs ou savoir-faire envisagés, et une
évaluation formative régulière, basée sur l’observation tout autant que sur le dialogue en est
sans doute l’une des meilleures méthodes.

La principale question se pose pour nous non en termes de faisabilité, peut-on évaluer les
savoir-apprendre, mais plutôt en termes de validité, doit-on évaluer les savoir-apprendre. Il
est probable que cela ne puisse se faire de façon utile que dans le cadre interactif de la
construction des apprentissages et de l’évaluation formatrice. De nombreux chercheurs ont
démontré (Deci, Bandura, Lepper, Weiner, cités par Monnard, Ntamakiliro et Gurtner,
1999, : 197-210) que la motivation est un processus cognitif autant qu’émotionnel ou
social. Ces auteurs affirment que « évaluer la motivation des élèves pour le travail scolaire
ne peut dès lors plus se faire au travers d’une mesure unique, mais nécessite une approche
pluricritériée et graduelle ». Avant d’évaluer la motivation, suscitons-la !

Travaux

Informez-vous

En vous rendant sur le site du Centre international d’études pédagogiques, CIEP,


www.ciep.fr, découvrez les certifications proposées par le ministère français de l’Education
nationale en français langue étrangère. Identifiez les diplômes et les tests proposés (DILF,
DELF, DALF, TCF) dans leurs différentes versions (professionnel, primaire, scolaire, pour
le Québec, relations internationales, etc.).

Vous aurez soin de découvrir également les différentes missions de cet organisme qui
exerce un rôle important dans les domaines de la politique linguistique et éducative en
France comme à l’étranger.

5
De nombreux dictionnaires – électroniques ou papier – entretiennent d’ailleurs cette conviction et
connaissent chez les débutants un succès commercial certain.
19
Repérez
Exercice 1. Indiquez à quelle activité langagière et à quel niveau appartiennent les
descripteurs suivants6.

1.

Activité langagière niveau

2.

Activité langagière niveau

3.

Activité langagière niveau

4.

6
Corrigé

1. Production orale. Monologue suivi. B2. Cadre : 49

2. Production orale. Production orale générale. B1. Cadre :48

3. Stratégies de production. Contrôle et correction. C1. Cadre :54

4. Compréhension des écrits. Lire pour s’informer et discuter. A2. Cadre :58

5. Interaction orale. Coopération à visée fonctionnelle. A1. Cadre :65

20
Activité langagière niveau

5.

Activité langagière niveau

Exercice 2.

Identifiez dans des méthodes FLE des exercices d’évaluation relevant de l’évaluation des
savoirs, puis d’autres relevant de l’évaluation des savoir-faire.

Consultez une méthode des années 80 (« Sans frontière », 1985) puis une méthode des
années 2000 (« Campus », « Alter Ego »), et procédez au même repérage des différents
types d’exercices proposés. Quelle évolution constatez-vous ?

Exercice 3.

Evaluez les items suivants. Pour chacun, repérer les biais existants et proposez des
solutions pour les améliorer.

1.

Est-ce que vous connaissez …………… café de la rue de la Paix ?

… crocodile aime la viande.

2.

Objectif : évaluer si les apprenants sont capables de relater un événement, faire un


récit ou raconter un fait.

21
Consigne : En utilisant des verbes du premier et du troisième groupe conjugués au
passé composé et/ou à l’imparfait, vous rédigerez un texte structuré racontant vos
dernières vacances.

****

Corrigé

1.

Absence de consigne (du type « lisez les phrases suivantes et complétez », ou encore
« complétez en utilisant le, la… »).

Phrases décontextualisées donc exercice peu actionnel avec plusieurs solutions possibles :

Est-ce que vous connaissez mon/son/ce/le… café de la rue de la Paix ?

Ce/le/un crocodile aime la viande.

2.

Cet exercice oscille entre une centration sur la compétence linguistique et la compétence
pragmatique. Cette indécision peut constituer un biais dans la mesure où l’apprenant peut
avoir envie ou besoin de convoquer d’autres temps verbaux. Pénalisera-t-on alors le recours
à un présent de l’indicatif ?

Aucun type de texte n’est spécifié et l’exercice perd de sa validité actionnelle. Dans quel
cadre et pour qui doit-il raconter ses dernières vacances ? S’agit-il d’écrire une lettre à un
ami ou une carte postale ? Un mail ? Ou simplement une dissertation ? L’absence
d’indication ôte à l’exercice toute possibilité d’évaluer la compétence sociolinguistique.

Un guide pour la conception d’items a été mis en ligne libre de droits par ALTE :
http://www.alte.org/downloads/index.php

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