Vous êtes sur la page 1sur 6

Revue Philosophique de Louvain

José Ferrater Mora, El sentido de la muerte


Paul Decerf

Citer ce document / Cite this document :

Decerf Paul. José Ferrater Mora, El sentido de la muerte. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 48, n°17,
1950. pp. 162-166;

https://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1950_num_48_17_7926_t1_0162_0000_2

Fichier pdf généré le 24/04/2018


162 Comptes rendus

Ch. MAYER, L'homme, esprit ou matière. Un vol. 23x14 de


140 pp. Paris, Marcel Rivière et Cie, 1949.
Dans ce second ouvrage — dont le titre est bien peu adéquat,
nous semble-t-il, à la thèse qui y est défendue — l'auteur reprend
l'essentiel des idées développées déjà dans l'ouvrage précédent,
sous une forme peut-être plus systématique (une série de 33 thèses,
par exemple, résume la doctrine, à la fin de l'exposé). Mais les
insuffisances, voire les contradictions, n'en sont que plus manifestes.
L'être vivant ayant été défini comme une « combinaison
chimique jouissant de la propriété d'être irritable » (p. 132), c'est-
à-dire d'éprouver des sensations agréables ou désagréables, on nous
dit que « tout au début, faute d'une explication plus rationnelle, on
est bien obligé d'invoquer le hasard de réactions chimiques
favorables pour rendre compte de la formation spontanée de nucléo-
protéines irritables », et on demande s'il n'est >« pas plus rationnel
de supposer que la conscience- de sensations agréables ou
désagréables est due uniquement à la configuration spatiale de certaines
nucléo-protéines ? » (pp. 55 et 61).
ill nous semble que si les expressions de « sensations agréables
et désagréables » et de « conscience » ont un sens, de pareilles
suppositions sont, elles, réellement dépourvues de signification.
Comment concevoir « rationnellement » que le « hasard de réactions
chimiques » ou une « configuration spatiale » puisse donner naissance
à des phénomènes de ce genre ?
Et les notions de a pensée » et d'« esprit » ne sont pas logées
à meilleure enseigne. C'est, nous dit-on, « par un long entraînement
à exercer sa pensée et à porter des jugements de valeur que l'être
vivant acquiert la raison, laquelle lui permet de percevoir des
rapports entre des sensations et, ainsi, entre les choses » (p. 133). Mais
comment peut-on « exercer sa pensée » et « porter des jugements
de valeur » sans posséder déjà la raison ? Quel sens peuvent bien
avoir de telles affirmations ?
Nous regrettons de devoir dire que, pas plus que le précédent,
ce volume ne nous paraît constituer un « ouvrage philosophique »
ayant une réelle valeur. G. DE M.

José FERRATER MORA, El sentido de la muerte. Un vol. 21 x 13


de 351 pp. Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1947.
Prenant comme hypothèse de travail qu'à l'analogie de l'être
Ouvrages divers 163

doit correspondre une analogie oie la mort, l'auteur parcourt


successivement les diverses couches du réel.
Au plan de la nature inorganique, qui à première vue semble
le domaine par excellence de la mort, là même, « mort » ne signifie
pas annihilation. Elle apparaît d'abord comme désintégration, fin
d'une liaison contingente d'éléments qui recouvrent leur
indépendance en même temps qu'ils adoptent une nouvelle formule de
groupement. Mais la cessation, ainsi entendue, demeure extérieure
à l'être ; elle lui est superposée, survient du dehors et non en vertu
d'une loi intérieure. C'est que nous l'avons envisagée du seul point
de vue de la quantité : elle n'est alors qu'extériorité et passivité
pures.
Ce premier point de vue est insuffisant : la nature inorganique
est plus que matière, quantité. Elle comporte une qualité, une
structure et cette strucure donne à chaque partie sa signification.
De ce point de vue du sens, on peut parler d'histoire, d'irréversibilité
du temps. Au point de vue de la matière pure, rien ne se crée et
rien ne se perd ; il n'y a rien de nouveau et le rationalisme des
sciences ne peut connaître de vraie cessation ni d'authentique mort.
Mais, dès qu'une idée est incarnée dans la matière, il y a du nouveau
et nous nous acheminons vers une cessation, semblable un peu à
une mort, telle que l'organique la connaît.
Ici seulement, au plan de l'organique, il y a vraiment histoire,
comportant intériorité et extension vers un dehors à partir d'un
dedans, manifestation de ce dedans et manifestation extérieure
indispensable à la réalisation même de cet être. Comment caractériser
le règne organique ? D'abord par un mouvement qui a quelque chose
de spontané, une irritabilité au stimulant. En termes plus généraux,
une orientation vers la forme de la totalité, une structure téléologique
qui résulte de ce « totalisme » du vivant. Ces caractères sont pourtant
encore vagues et non exclusifs. Ils ne permettent de reconnaître
l'organique qu'au prix d'une certaine attitude mentale : en présence
de l'inorganique, la référence de l'esprit va du dehors au dedans ;
devant l'organique, du dedans au dehors. L'organique possède, en
effet, « une certaine intériorité, c.-à-d. quelque chose qui ne peut se
comprendre purement par référence au reste ni même, comme dans
la sphère de l'idée, par identification au reste, mais qui doit toujours
être référé à soi-même ». On voit dès ici se profiler le dessin de
l'individu. Mais c'est là encore une terme équivoque. A côté de
l'individualité faible de l'être matériel, individualité qud consiste dans
164 Comptes rendus

la détermination spatio-temporelle, il y a l'individualité qui, chez un


homme, provient de lui-même ou d'une réalité supérieure. Ici il
s' agit d'une individualité à peine ébauchée, plutôt tendance qu'état.
Individualité hésitante et instable, intermédiaire entre celle de la
matière et celle de l'esprit. Nous sommes dans le domaine du
psychisme et d'une conscience minimale.
A ce niveau, quelle est la cause de la mort ? Beaucoup la
tiennent pour étrangère au vivant, survenant du dehors et réclamant
dès lors d'être justifiée comme si le vivant, de droit, était immortel.
On aboutira à cette conception si, avec le matérialisme, on réduit
le vivant à un ensemble de mécanismes. Alors, si survient la mort,
ce ne peut être qu'accident. Plusieurs théories, que l'auteur analyse
soigneusement, classe et critique, croient découvrir la cause de la
mort dans des phénomènes physico-chimiques ou dans des processus
d'ordre structural et organique, tels que la spécialisation des cellules.
Mais, à dire vrai, ces théories n'atteignent là que conséquences ou
même signes concomitants, non les causes de la mort. Qu'est-ce
que la mort, sinon un mystérieux X, qu'on hypostasie, tandis qu'on
n'arrive à le décrire que par la périphérie ? Quelle que soit
l'explication adoptée, nous approchons de la mort ; la mort elle-même nous
échappe, comme si nous voulions définir un épuisement î
Cherchons-en alors, non plus la cause, mais l'essence. Pour
Max Scheler, la mort d'un être vivant est la réalisation de sa propre
essence, un des modes d'existence du vivant. En vertu de sa
condition ontologique le temps réside en lui et se traduit dans les
variations que nous constatons entre les différents moments de la vie sous
les dehors d'un vieillissement. Ce vieillissement engendre des modes
d'être, la mort est le dernier.
Ces termes prennent un sens dans le domaine de la vie. Alors
que l'inorganique possédait un être défini, réalisant actuellement son
essence (ser ya algo) sans changement, le vivant devient ce qu'il
est déjà (alcanzar lo que ya era), il n'est pas encore, il arrive à
être. Ainsi « le dernier moment de son existence lui appartient de
manière essentielle depuis le début » comme une limite intérieure.
Il n'y a pas à chercher les causes de sa mort, à moins qu'il ne
s'agisse de conditions permettant la réalisation de sa propre essence.
Etre organique, c'est être mortel.
La mort de l'homme, semblablement, n'a de sens qu'à la
lumière d'une métaphysique de la personne. Le vivant humain ne
peut plus se définir comme un être qui devient, mais comme un
Ouvrages divers 165

être qui se spiritualise et se personnalise. Son essence, c'est la liberté,


non une liberté toute faite et donnée, mais une liberté qui se
conquiert. La vie pour lui n'est plus seulement histoire, elle est drame.
La mort d'un homme diffère donc de la mort simplement
biologique, venant au terme d'un vieillissement organique. La mort
de l'homme est un acte : elle ne termine pas seulement la vie, mais
elle affecte tous les contenus de la vie, elle les « révèle », elle réalise
la vie, en lui donnant un sens. Simmel avait déjà montré que, dans
une vie supposée sans terme, rien n'importe, rien ne l'affecte et
rien n'est décisif, puisqu'il reste toujours possible de se dédire et
de choisir le contraire. Tous les contenus partiels de la vie tirent
ainsi de la mort leur sens et leur importance. A la lumière de celle-
ci la vie apparaît un drame irréversible, notre existence acquiert
forme et figure.
A chaque vie de forger sa mort; on la forge peu à peu ; on peut
presque dire que la mort « progresse » au fil de la vie. On
personnalise sa mort au fur et à mesure qu'on personnalise sa vie et une
mort personnelle est perfection et de la mort et de la vie.
Ainsi, à chaque degré d'être, la mort acquiert plus de réalité et
avec l'homme seulement, elle prend tout son sens, au niveau de la
personne qui arrache l'homme aux influences sociales. Mais, ainsi
conçue dans toute sa richesse de sens, la mort implique, non pour
effacer la crainte qu'elle suscite mais pour être dûment expliquée,
la survie et l'immortalité.
L'auteur schématise l'histoire de l'idée de survie. Sous sa forme
la plus fruste, elle est simple souvenir dans la mémoire des
survivants. Elle devient ensuite survie authentique, d'abord dans une
vie diminuée qui n'est que l'ombre de celle-ci, puis dans une vie
de l'âme qui prolongera la vie d'ici-bas et la sanctionnera. Nouveau
progrès avec l'idée platonicienne de l'immortalité, progrès lié à toute
la métaphysique de Platon et découlant du dualisme qui sépare le
monde des Idées, des âmes et de la stabilité, de celui des illusions,
des corps et de la mort.
Enfin, avec le Christianisme, l'immortalité ne sera plus seulement
contemplation pure mais intimité de vie. On retrouve l'unité de l'être
humain et cela est gros de conséquences. Si la vie est une
ascension, elle l'est pour l'être total. Vie d'ici-bas et mort prennent un
relief nouveau : la mort est une phase de la vie et la vie dessine
notre éternité. En climat chrétien s'esquisse ainsi une philosophie de
la personne, que les concepts grecs s'avèrent incapables d'exprimer.
166 Comptes rendus

La vie n'est pas contemplation abstraite mais relation personnelle


avec Dieu, et la personne humaine est faite pour cette vie — non
plus pour la mort — pour la vie éternelle et immortalité.
A travers ces étapes d'une même idée s'élabore la notion de
l'immortalité personnelle, comme au terme d'un effort séculaire pour
•expliquer un fait qui eût paru, autrement, dépourvu de sens. Et
l'auteur expose et critique les preuves, tant métaphysiques
qu'expérimentales, de l'immortalité de l'âme.
C'est une synthèse d'envergure qu'a rédigée M. Ferrater Mora,
utilisant et situant les résultats de la philosophie et de la biologie.
Son ampleur provient partiellement d'un souci de définir ce dont il
parle et de démontrer ce qu'il avance. Cette ampleur est accentuée
par la solennité de la phrase espagnole, mais elle impatiente un
peu, parce qu'on trouve des redites et parce que la pensée se meut
si lentement qu'on a l'impression de piétiner.
Et puis tous les matériaux de cet édifice n'ont pas même valeur.
Ainsi l'auteur schématiquement, voit tous les êtres au point de
rencontre d'un double mouvement de sens inverse, l'un vers l'idéalité
(essence), l'autre vers l'existentiel (être) : plus les existants seraient
pauvres en être, plus ils seraient riches en idée. Pur schéma
simplificateur, et qui trop simplifie ! Plus justement, on devrait dire que
l'existant pauvre en être est, dans son idéalité, mieux saisi par nos
esprits, plus exhaustivement. Ceci n'est pas indice de richesse, mais
plutôt de pauvreté, et prouve que notre esprit d'abstraction est mieux
adapté à ce type d'existant.
Cet ouvrage de métaphysique rendra service à cette heure où,
malgré les efforts de la pensée rationaliste pour expliquer la mort
et la résorber, le sentiment de la mort et l'angoisse ont survécu à
toutes les démonstrations et contraint les philosophes à y revenir
comme au problème central. Paul DECERF.

Henri COLLIN, Manuel de philosophie thomiste. II. Psychologie.


Réédition par l'Abbé Robert Terribiuni. Un vol. 22,5 x 14 de 488 pp.
Paris, Librairie P. Téqui, 1949.
La presque totalité de ce second volume du Manuel de
philosophie thomiste du Chanoine Collin est consacrée à ce que l'auteur,
ou le rééditeur, appelle la psychologie expérimentale. Cette partie
de l'ouvrage comprend plus de 400 pages, alors que la psychologie
rationnelle forme l'objet du dernier chapitre, où il est question, en
25 pages, des facultés, des habitus et de l'être humain.

Vous aimerez peut-être aussi