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ISBN : 978-2-84876-543-3
www.philippe-rey.fr
Du même auteur
Copyright
Dédicace
1 - La chute
Cachets
Mortel
Les choses que les gens disent aux dépressifs mais qu’ils ne disent
pas dans d’autres situations de danger mortel
Placebo négatif
La vie
Infini
L’espoir qui ne s’était pas réalisé
Le cyclone
Mes symptômes
Chiffres
Une visite
2 - L’atterrissage
Cerisiers en fleur
Inconnus inconnus
Psycho
Signes avant-coureurs
Démons
Existence
3 - Résurrection
Ce que vous pensez pendant votre première crise de panique
L’amour
Les choses qui me sont arrivées qui ont généré plus de compassion
que la dépression
Espaces blancs
La Puissance et la Gloire
Paris
Armes
Courir
Gens célèbres
4 - Vivre
Le monde
Nuages en champignon
Le grand A
Ralentir
Parenthèse
Fêtes
#reasonstostayalive
5 - Être
Conseils
Petitesse
Choses que j’ai appréciées depuis la fois où j’ai cru que je n’apprécierais
plus jamais rien
Quelques lectures
La chute
Je suis resté au lit pendant trois jours. Pourtant je n’ai pas dormi. Ma
petite amie, Andrea, m’apportait régulièrement de l’eau ou des fruits, que je
parvenais à peine à avaler.
La fenêtre était ouverte pour laisser entrer l’air frais, mais la pièce restait
chaude et immobile. Je me rappelle m’être senti stupéfait d’être encore en
vie. Je sais que cela sonne mélodramatique, mais la dépression et la panique
vous donnent suffisamment de pensées mélodramatiques pour vous occuper.
Quoi qu’il en soit, je n’avais aucun répit. Je voulais être mort. Non. Pas
exactement. Je ne voulais pas être mort, je ne voulais simplement pas être
vivant. La mort me terrifiait. Or la mort n’arrive qu’à ceux qui ont vécu. Il y
avait infiniment plus de gens qui n’avaient jamais vécu. Je voulais être l’un
de ceux-là. Le souhait classique. Ne jamais être né. Être l’un des trois cents
millions de spermatozoïdes qui ont échoué.
(Quel privilège d’être normal ! Nous marchons tous sur une corde raide
invisible, d’où nous pourrions glisser à tout moment pour tomber face aux
horreurs existentielles qui dorment dans notre esprit.)
Il n’y avait pas grand-chose dans cette chambre. Un lit avec une couette
blanche unie, des murs blancs. Peut-être un tableau au mur, mais je ne pense
pas. En tout cas, je ne m’en souviens pas. Il y avait un livre près du lit. Je l’ai
ouvert une fois, avant de le reposer. Je ne parvenais pas à me concentrer une
seule seconde. Il m’était impossible d’exprimer pleinement cette expérience
avec des mots, car elle dépassait le langage. Je ne pouvais littéralement pas
en parler. Les mots paraissaient triviaux face à cette douleur.
Je me rappelle m’être inquiété pour ma petite sœur, Phoebe. Elle vivait
en Australie. Je craignais qu’elle, mon plus proche équivalent génétique, ne
se sente comme moi. J’avais envie de lui parler, mais je savais que c’était
impossible. Quand nous étions petits, dans le Nottinghamshire, nous avions
mis au point un système pour communiquer le soir en tapant contre le mur
qui séparait nos chambres. À présent, je toquais contre le matelas, imaginant
qu’elle pouvait m’entendre à l’autre bout du monde.
Toc. Toc. Toc.
Elle peut affecter des gens – des gens riches à millions, des gens avec de
beaux cheveux, des gens au mariage heureux, des gens qui viennent d’obtenir
une promotion, qui savent faire des claquettes, des tours de magie, jouer de la
guitare, des gens qui ont la peau impeccable, dont les statuts sur les réseaux
sociaux respirent le bonheur – qui semblent extérieurement n’avoir aucune
raison d’être malheureux.
Le soleil tapait fort. L’air sentait le pin et la mer. La mer qui était juste-
là, en bas de la falaise. Et le bord de la falaise n’était qu’à quelques pas. Pas
plus d’une vingtaine, je dirais. Mon seul projet était de faire vingt et un pas
dans cette direction.
« Je veux mourir. »
Il y avait un lézard à mes pieds. Un vrai lézard. Je me sentais un peu
jugé. Le truc, avec les lézards, c’est qu’ils ne se suicident pas. Ce sont des
survivants. Si on leur arrache la queue, une autre repousse. Ils ne gémissent
pas. Ils ne dépriment pas. Ils vont de l’avant, aussi dur et inhospitalier que
soit le paysage. Je voulais plus que tout être ce lézard.
La villa était derrière moi. Le plus bel endroit où j’avais jamais vécu.
Face à moi, la plus belle vue que j’avais jamais contemplée. Une
Méditerranée scintillante, pareille à une nappe turquoise parsemée de
minuscules diamants, bordée d’une impressionnante côte de falaises calcaires
et de petites plages blanches perdues. Cela correspondait à une définition
quasi universelle de la beauté. Pourtant, la plus belle vue du monde ne
m’empêchait pas d’avoir envie de me suicider.
Environ un an plus tôt, j’avais beaucoup lu Michel Foucault pour mon
master. En particulier Histoire de la folie à l’âge classique. L’idée que la
folie doit être acceptée en tant que telle. Qu’une société craintive, répressive
qualifie de malade quiconque est différent. Car j’étais réellement malade. Je
n’étais pas fou. Je n’étais pas un peu dérangé. Ce n’était pas comme lire
Borges, écouter Captain Beefheart, fumer une pipe ou voir une barre de Mars
géante. Je souffrais. Avant, j’allais bien, et soudain ce n’était plus le cas. Je
me sentais mal. Donc j’étais malade. Peu importe que ce soit la faute de la
science ou de la société. Je ne pouvais tout simplement pas me sentir ainsi
une seconde de plus. Je devais mettre fin à mes jours.
Je m’apprêtais à le faire, tandis que ma petite amie était dans la villa,
sans se douter de rien, pensant que j’avais juste besoin d’air.
J’ai avancé, comptant mes pas, puis j’ai perdu le compte, l’esprit
éparpillé.
« Ne te dégonfle pas », me suis-je dit. Ou plutôt, je crois que je me le
suis dit. « Ne te dégonfle pas. »
Je suis arrivé au bord de la falaise. Un pas de plus, et je pouvais cesser
de me sentir ainsi. C’était ridiculement facile – un seul pas – contre la
douleur d’être vivant.
Bon, écoutez. Si vous avez pu croire que les dépressifs veulent être
heureux, vous vous trompez. Ils se foutent de ce luxe qu’est le bonheur. Ils
veulent seulement ressentir une absence de douleur. Fuir un esprit en feu, où
les pensées flambent et fument comme de vieilles possessions perdues dans
un incendie. Être normal. Ou, puisque être normal est impossible, être vide.
Or la seule manière d’être vide était pour moi de cesser de vivre. Un moins
un égale zéro.
En réalité, ce n’était pas si facile. Le plus étrange avec la dépression,
c’est que, bien que l’on ait davantage de pensées suicidaires, la peur de la
mort reste la même. La seule différence, c’est que la douleur de vivre
augmente considérablement. Ainsi, si vous apprenez que quelqu’un s’est
suicidé, sachez que la mort n’était pas moins effrayante à ses yeux. Ce n’était
pas un « choix » au sens moral. Se montrer moralisateur relève de
l’incompréhension.
Je suis resté là un moment. À rassembler le courage de mourir, puis à
rassembler le courage de vivre. D’être. De ne pas être. La mort était là, si
proche. Une once de terreur supplémentaire et la balance aurait penché de
l’autre côté. Il existe peut-être un univers où j’ai franchi ce pas, mais ce n’est
pas celui-ci.
J’avais une mère, un père, une sœur, une petite amie. Quatre personnes
qui m’aimaient. À cet instant, je ne rêvais que d’une chose : n’avoir personne
au monde. Pas une seule âme. L’amour me piégeait ici. Ils ne savaient pas
comment c’était dans ma tête. Peut-être que, s’ils entraient dans mes pensées
pendant dix minutes, ils diraient : « Ah bon, d’accord. En fait, tu devrais
sauter. Il n’y a aucune raison que tu doives endurer une telle souffrance.
Cours, saute, ferme les yeux et fais-le. Si tu étais en feu, je pourrais
t’envelopper d’une couverture, mais les flammes sont invisibles. On ne peut
rien faire. Vas-y, saute. Ou donne-moi un pistolet que je t’abatte.
Euthanasie. »
Sauf que les choses ne fonctionnaient pas ainsi. Quand vous êtes
dépressif, votre douleur est invisible.
Et puis, pour être honnête, j’avais peur. Et si je ne mourais pas ? Et si je
restais simplement paralysé, piégé, immobile pour toujours ?
Je pense que la vie offre toujours des raisons de ne pas mourir, si on
l’écoute suffisamment. Ces raisons peuvent provenir du passé – les gens qui
nous ont élevés, nos amis, nos partenaires – ou de l’avenir – les possibilités
auxquelles nous renoncerions.
J’ai donc continué à vivre. Je suis retourné à la villa, et j’ai fini par
vomir mon stress.
Une conversation à travers le temps – première
partie
« Oui, je sais, le cancer du côlon, c’est dur, mais essaie un peu de vivre
avec quelqu’un qui en souffre. Pfou ! Un vrai cauchemar. »
« OK. Bon. D’accord. Ton parachute ne s’est pas ouvert. Mais vois le
bon côté des choses. »
Placebo négatif
Les médicaments n’ont pas fonctionné chez moi. Je pense que j’en suis
en partie responsable.
Dans son livre Bad Science, Ben Goldacre fait remarquer : « Nous
réagissons aux placebos. Notre corps joue des tours à notre esprit. On ne peut
pas nous faire confiance. » C’est vrai, et cela marche certainement dans les
deux sens. Pendant la pire période, quand la dépression coexistait avec un
trouble panique aigu permanent, j’avais peur de tout. J’avais littéralement
peur de mon ombre. Si je regardais quelque chose assez longtemps – des
chaussures, un coussin, un nuage –, j’y voyais de la malveillance, une force
négative que, dans un siècle plus reculé et plus superstitieux, j’aurais pu
interpréter comme le diable. Mais ce qui m’effrayait le plus, c’étaient les
médicaments ou tout ce qui pouvait altérer mon état d’esprit (l’alcool, le
manque de sommeil, les nouvelles brusques, même les massages).
Plus tard, pendant des périodes d’anxiété moins fortes, je me suis
souvent retrouvé à trop apprécier l’alcool. Ce coussin douillet qui tapisse
l’existence est si réconfortant qu’on oublie la gueule de bois qui va suivre.
Après des rendez-vous importants, je me retrouvais seul dans des bars, à
boire tout l’après-midi jusqu’à rater le dernier train pour rentrer chez moi.
Mais, en 1999, il faudrait encore des années avant que j’atteigne ce niveau
relativement normal de dysfonctionnement.
Paradoxalement, c’est pendant la période où j’avais le plus besoin que
mon esprit aille mieux que je refusais activement d’interférer avec lui. Non
parce que je ne voulais pas aller mieux, mais parce que je ne croyais pas qu’il
était possible d’aller mieux, ou en tout cas que c’était nettement moins
probable que d’aller moins bien. Et moins bien, c’était terrifiant.
Je pense que le problème était en partie lié à un effet placebo inversé.
Dès que je prenais du Valium, je paniquais, et cette panique augmentait si je
sentais que le médicament avait le moindre effet. Même si cet effet était
positif.
Quelques mois plus tard, il m’est arrivé une chose similaire quand j’ai
commencé à prendre du millepertuis. Cela se manifestait même avec
l’ibuprofène. Ce n’était donc pas entièrement la faute du Valium. D’ailleurs,
c’est loin d’être le médicament le plus fort en circulation. Pourtant, d’autres
affirment ressentir le même niveau de déconnexion que moi avec le Valium ;
je pense donc que (dans mon cas), le médicament constituait au moins une
partie du problème.
Sentir la pluie sans parapluie
1. Tous les textes cités non disponibles en français ont été traduits par le traducteur.
La vie
Le corps humain est plus vaste qu’il n’en a l’air. Les avancées de la
science et de la technologie ont démontré que, en réalité, un corps physique
est un univers à lui seul. Chacun d’entre nous est composé d’environ cent
mille milliards de cellules. Chacune de ces cellules compte à son tour environ
le même nombre d’atomes. Cela représente beaucoup de pièces différentes.
Notre seul cerveau compte cent milliards de cellules, à quelques milliards
près.
Pourtant, la plupart du temps, nous ne ressentons pas la nature quasi
infinie de notre être physique. Nous simplifions en considérant des morceaux
plus grands. Bras, jambes, pieds, mains, torse, tête. Chair, os.
Un phénomène similaire se produit avec notre esprit. Afin de supporter
l’existence, celui-ci se simplifie. Il se concentre sur une chose à la fois. La
dépression est une sorte de physique quantique de la pensée et des émotions.
Elle révèle ce qui est habituellement caché. Elle vous déconstruit, ainsi que
tout ce que vous avez toujours connu. Il s’avère que non seulement nous
sommes composés de l’univers, de l’« étoffe des étoiles », pour emprunter
l’expression de Carl Sagan, mais que nous sommes aussi vastes et
compliqués que lui. Les psychologues évolutionnistes pourraient bien avoir
raison. Nous, les humains, avons peut-être évolué trop loin. Le prix à payer
pour être la première espèce à avoir pleinement conscience du cosmos est
peut-être la capacité d’éprouver tout un univers d’obscurité.
L’espoir qui ne s’était pas réalisé
Quand vous êtes enfermé à l’intérieur de quelque chose qui vous paraît
si irréel, vous cherchez tout ce qui peut vous donner un minimum de repères.
J’avais soif de connaissances. Soif de chiffres. Je les recherchais comme une
bouée de sauvetage en mer. Mais les statistiques sont trompeuses.
Ce qui se passe dans l’esprit peut souvent être caché. En effet, quand je
suis tombé malade, j’ai dépensé beaucoup d’énergie pour paraître normal.
Souvent, on sait que quelqu’un souffre seulement si la personne le dit, ce qui
n’arrive pas toujours avec la dépression, surtout si vous êtes un homme (j’y
reviendrai plus tard). De plus, les chiffres ont évolué avec le temps. La
dépression n’est plus ce qu’elle était. Avant, on l’appelait mélancolie, et bien
moins de gens en souffraient que de la dépression actuelle. Est-ce vraiment le
cas ? Ou bien les gens en parlent-ils davantage ?
Quoi qu’il en soit, voici quelques chiffres dont nous disposons.
Paul, mon vieux complice de vol à l’étalage, était dans le salon chez mes
parents. Je ne l’avais pas revu depuis plusieurs années, depuis le lycée. Pour
moi, cela représentait des millénaires. Il me regardait comme si j’étais mon
ancien moi. Comment faisait-il pour ne pas voir la différence ?
« Tu veux sortir samedi soir ? Allez, mec. Comme au bon vieux
temps. »
L’idée était ridicule. Je ne pouvais pas quitter la maison sans éprouver
une terreur infinie.
« Je ne peux pas.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Je ne me sens pas bien. J’ai la tête en vrac.
– C’est pour ça que tu as besoin de sortir. Si tu es déprimé. Viens avec
Andrea. Allez, mec.
– Paul, tu ne comprends pas… »
J’étais en prison. Des années plus tôt, après avoir passé quelques heures
dans une cellule pour cette barre de Crunch, j’avais développé une phobie de
l’enfermement. Je n’avais jamais pensé qu’on pouvait être enfermé dans son
propre esprit.
Conduis-toi comme un homme, ai-je pensé. Bien que ce n’ait jamais été
mon fort.
Boys don’t cry
Parlons de la virilité.
Un nombre nettement supérieur d’hommes que de femmes se suicident.
Au Royaume-Uni, le rapport est de 3 pour 1, en Grèce 6 pour 1, aux États-
Unis 4 pour 1. Voilà la moyenne. Selon l’Organisation mondiale de la santé,
les seuls pays au monde où plus de femmes que d’hommes se suicident sont
la Chine et Hong Kong. Partout ailleurs, davantage d’hommes que de femmes
mettent fin à leurs jours. C’est particulièrement étrange quand on pense que,
d’après toutes les études officielles, près de deux fois plus de femmes
souffrent de dépression.
Clairement, presque partout, être un homme fait que vous avez
davantage de probabilités de vous suicider. Voilà qui est paradoxal. Si le
suicide est un symptôme de la dépression (c’est le cas), comment se fait-il
que davantage de femmes que d’hommes souffrent de dépression ? En
d’autres termes, pourquoi la dépression est-elle plus mortelle chez les
hommes que chez les femmes ?
Le fait que les taux de suicide varient selon les périodes, les pays et le
sexe montre que le suicide n’est gravé dans la roche pour personne.
Prenons le Royaume-Uni. En 1981, 2 466 femmes s’y sont suicidées.
Trente ans plus tard, ce nombre a été pratiquement divisé par 2, avec 1 391
suicides féminins. Pour les hommes, les chiffres correspondants sont 4 129 et
4 590.
Ainsi, en 1981, la première année pour laquelle l’Office of National
Statistics possède des données, les hommes avaient seulement 1,9 fois plus de
probabilités de se tuer que les femmes. Aujourd’hui, cette probabilité est 3,5
fois plus élevée.
Pourquoi tant d’hommes se suicident-ils ? Quel est le problème ?
La réponse la plus courante est que, traditionnellement, les hommes
considèrent la maladie mentale comme un signe de faiblesse et sont réticents
à demander de l’aide.
Boys don’t cry. Les garçons ne pleurent pas. Sauf que si. Moi, oui. Je
pleure tout le temps. (J’ai pleuré cet après-midi en regardant Boyhood.) Et les
garçons – et les hommes – se suicident. Dans Bruits de fond de Don DeLillo,
le narrateur dévoré par l’anxiété, Jack Gladney, est tourmenté par le concept
de masculinité et la question de savoir s’il est à la hauteur : « Quoi de plus
inutile qu’un homme incapable de réparer un robinet cassé –
fondamentalement inutile, mort aux yeux de l’histoire, du message dans ses
gènes ? » Et si, à la place d’un robinet cassé, c’était un esprit cassé ? Peut-être
un homme inquiet de sa virilité considérerait-il qu’il devrait être capable de le
réparer seul, rien qu’avec du silence au milieu du « bruit de fond » de la vie
moderne, voire quelques litres d’alcool.
Si vous êtes un homme ou une femme avec des problèmes de santé
mentale, vous faites partie d’un vaste groupe en constante expansion.
Beaucoup des plus grands et des plus durs de tous les temps ont souffert de
dépression. Politiciens, astronautes, poètes, peintres, philosophes,
scientifiques, mathématiciens (un sacré paquet de mathématiciens), acteurs,
boxeurs, militants pour la paix, chefs de guerre et un milliard d’autres qui
combattaient leur propre bataille.
Vous n’êtes ni plus ni moins un homme, une femme, un humain parce
que vous souffrez de dépression que si vous aviez un cancer, une maladie
cardio-vasculaire ou un accident de voiture.
Que faut-il faire ? Parler. Écouter. Encourager la parole. Encourager
l’écoute. Alimenter la conversation. Rester à l’affût de ceux qui veulent
entrer dans la discussion. Répéter, encore et encore, que la dépression n’est
pas quelque chose qu’il faut « avouer », il n’y a pas à en rougir, il s’agit de
l’expérience humaine. Une expérience garçon-fille-homme-femme-jeune-
vieux-noir-blanc-gay-hétéro-riche-pauvre. Ce n’est pas vous. C’est
simplement quelque chose qui vous arrive. Et qui peut souvent se dissiper en
parlant. Des mots. Du réconfort. Du soutien. J’ai mis plus de dix ans à réussir
à parler ouvertement, correctement, à tout le monde, de mon expérience. J’ai
vite découvert que l’acte de parler est une thérapie en soi. Là où il y a de la
parole, il y a de l’espoir.
1. Gallimard, no 1 des « Cahiers Albert Camus », 1971. (Toutes les notes sont du traducteur.)
2
L’atterrissage
Comme l’affirme le Dr David Adam dans son excellent livre sur les
troubles obsessionnels compulsifs, The Man Who Couldn’t Stop : « Seul un
idiot ou un menteur vous expliquera comment fonctionne le cerveau. »
Le cerveau n’est pas un grille-pain. Il est complexe. Il ne pèse peut-être
pas beaucoup plus d’un kilo, mais ce kilo contient toute une vie de souvenirs.
C’est à la fois inquiétant et magique qu’il en fasse tant sans que nous
comprenions encore comment ni pourquoi. Comme tout le reste, il est
composé d’atomes, eux-mêmes apparus avec les étoiles il y a des millions
d’années. Pourtant, on en sait davantage sur ces étoiles lointaines que sur les
processus de notre cerveau, le seul élément de l’univers capable de penser,
justement, tout l’univers.
Beaucoup de gens continuent de croire que la dépression est une
question de déséquilibre chimique.
« Le début de la folie fut essentiellement une question chimique », écrit
Kurt Vonnegut dans Le Petit-Déjeuner des champions . « Le corps de
1
Je crois que la première fois où j’ai réellement senti que mon cerveau
était un peu étranger, un peu autre a été lorsque j’avais treize ans. C’était
quelques mois après que j’avais essayé d’effacer mon grain de beauté avec
une brosse à dents.
Je me trouvais dans le parc national de Peak District, dans le Derbyshire.
Sortie scolaire. Les filles dormaient dans une auberge de jeunesse. Les
garçons aussi normalement, mais il y avait eu une erreur de réservation, et
huit d’entre nous ont dormi dans les étables à l’extérieur, à bonne distance de
l’hôtel chauffé.
Je détestais être loin de chez moi. C’était une autre de mes grandes
angoisses. Je voulais retrouver mon lit, regarder mon poster de Béatrice Dalle
ou lire Christine de Stephen King.
Allongé sur un lit superposé, je regardais par la fenêtre le paysage noir
et marécageux sous un ciel sans étoiles. Je n’avais pas d’amis parmi ces
garçons. Ils ne parlaient que de foot, pas vraiment mon sujet de prédilection,
et de masturbation, un sujet que je connaissais un peu mieux mais dont je ne
me sentais pas à l’aise de parler en public. J’ai donc fait semblant de dormir.
Il n’y avait pas de prof avec nous, dans les étables, et il régnait une
ambiance Sa Majesté des mouches qui ne me plaisait guère. J’étais fatigué.
Nous avions marché une quinzaine de kilomètres ce jour-là, en grande partie
dans des tourbières. Le sommeil s’est abattu sur moi, aussi sombre et épais
que la terre autour de nous.
Je me suis réveillé au son de rires.
Des rires fous, déments, comme si la chose la plus drôle du monde
venait de se produire.
J’avais parlé dans mon sommeil. Rien n’est plus hilarant aux yeux d’un
garçon de treize ans que d’être témoin d’un moment incontrôlé et gênant chez
un autre garçon de treize ans.
J’avais dit quelque chose d’incohérent à propos de vaches. Et de
Newark. Newark est ma ville natale, c’était donc compréhensible. Quant aux
vaches, bon, c’était bizarre. Il n’y avait pas de vaches à Peak District. On m’a
raconté que j’avais répété : « Kelham est à Newark. » (Kelham est un village
juste à côté de Newark, où siégeait le conseil municipal. Mon père y
travaillait en tant qu’architecte, au service du plan d’urbanisme.) J’ai fait de
mon mieux pour rire de la plaisanterie. Mais j’étais fatigué, nerveux. Un
voyage scolaire n’est que l’école en condensé. Je n’aimais pas l’école depuis
l’âge de onze ans, quand j’ai cessé de fréquenter celle du village, qui
comptait en tout et pour tout vingt-huit élèves. Mon établissement actuel, le
collège Magdalene, était un endroit où je ne me sentais pas très heureux.
J’avais passé une bonne partie de la première année à feindre des maux
d’estomac auxquels personne ne croyait vraiment.
Puis je me suis rendormi. Quand je me suis réveillé, je tremblais. J’étais
debout, je sentais de l’air froid et une bonne quantité de sang coulait de ma
main. Ma main était rouge et luisait. Un éclat de verre dépassait de ma
paume. Devant moi, la fenêtre de l’étable était brisée. J’avais peur.
Les autres garçons étaient tous réveillés, mais ils ne riaient plus. Un
professeur était là aussi. Ou bien il allait arriver. Il fallait me bander la main.
Je m’étais levé dans mon sommeil. J’avais de nouveau crié – de manière
assez comique – quelque chose à propos de vaches. (« Les vaches arrivent !
Les vaches arrivent ! ») Puis j’avais pissé à côté du lit de quelqu’un. Et
j’avais cassé la fenêtre. Peu après, l’un des garçons m’avait secoué le bras et
je m’étais réveillé.
Ce n’était pas mon premier épisode de somnambulisme. L’année
précédente, j’étais entré dans la chambre de ma sœur et j’avais pris des livres
sur ses étagères, pensant être dans une bibliothèque. Mais cela ne m’était
jamais arrivé en public. Jusqu’à présent.
J’ai gagné un nouveau surnom. Psycho. J’avais l’impression d’être un
monstre. Mais ça aurait pu être pire. J’avais des parents qui m’aimaient,
quelques amis et une sœur avec qui je pouvais discuter pendant des heures.
Ma vie était assez confortable et ordinaire, mais parfois un sentiment de
solitude m’envahissait. Je me sentais seul. Ce n’était pas la dépression. Juste
une version de ce sentiment adolescent complaisant, personne-ne-me-
comprend. Évidemment, je ne me comprenais pas non plus.
Je m’inquiétais pour les choses. La guerre nucléaire. L’Éthiopie. La
perspective de monter sur un ferry. Je m’inquiétais tout le temps. La seule
chose qui ne m’inquiétait pas était celle qui aurait sans doute dû : l’inquiétude
elle-même. Il faudrait encore onze ans avant que je l’affronte.
Les jours Jenga
Onze ans après avoir brisé une fenêtre dans mon sommeil, au cours de
ces « mois de crise », comme je les appellerais plus tard, j’ai eu un tas de
temps vide pour regarder l’inquiétude en face.
Mes parents se levaient et partaient travailler, puis Andrea et moi avions
de longues journées à la maison. C’est étrange d’écrire sur cette période.
Parce qu’en fait il n’y a rien sur quoi écrire. Vu de l’extérieur, ça a été de loin
la phase la moins mouvementée de ma vie.
De l’extérieur, je parlais avec Andrea dans ma chambre d’enfant ou en
bas, à la cuisine. L’après-midi, nous nous risquions occasionnellement dehors
pour une courte promenade. Nous allions soit au magasin le plus proche, à
seulement deux ou trois cents mètres, soit – les jours les plus aventureux –
nous allions nous promener au bord du Trent, un peu plus loin, de l’autre côté
du centre-ville, ce qui impliquait que je traverse des rues que je connaissais
bien depuis mon enfance. (Comment pouvaient-elles rester identiques alors
que je me sentais si différent ?) Parfois, nous achetions un journal, une boîte
de soupe et du pain, et nous rentrions lire un peu le journal et cuisiner la
soupe. Plus tard, nous aidions à préparer le dîner. Et c’était à peu près tout.
Parler, s’asseoir, marcher. On était loin de Lawrence d’Arabie. La vie au
volume minimum pour deux jeunes de vingt-quatre ans.
Pourtant, ces jours ont été les plus intenses que j’ai vécus. Ces jours
contenaient des milliers de petites batailles. Ils sont remplis de souvenirs si
douloureux que ce n’est qu’aujourd’hui, avec une distance de quatorze ans,
que je peux les regarder en face. J’étais une épave nerveuse. On conseille de
« prendre les choses un jour à la fois ». Facile à dire, pensais-je. Les jours
étaient des montagnes. Une semaine représentait un trekking dans
l’Himalaya. Vous savez, il paraît que le temps est relatif, mais putain, oui il
l’est.
Einstein a déclaré que pour comprendre la relativité, il fallait imaginer la
différence entre l’amour et la douleur. « Quand vous faites la cour à une belle
femme, une heure passe comme une seconde. Quand vous êtes assis sur une
plaque chauffée à blanc, une seconde passe comme une heure. » Chaque
instant était chauffé à blanc. La seule chose que je désirais vraiment, à part
me sentir mieux, c’était que le temps avance plus vite. À neuf heures, je
voulais qu’il soit dix heures. Je voulais que le matin soit l’après-midi. Je
voulais que le 22 septembre soit le 23 septembre. Je voulais que le jour soit la
nuit et la nuit, le jour. J’avais toujours le globe terrestre de mon enfance dans
ma chambre. Parfois, je restais là à le faire tourner, espérant faire avancer le
monde jusqu’au milieu du prochain millénaire.
J’étais obsédé par le temps comme certains le sont par l’argent. C’était
la seule arme dont je disposais. Je pouvais additionner les heures et les
minutes comme autant de livres et de pence. Dans ma tête, dans les eaux
bouillonnantes de l’anxiété, cette conscience flottait comme un espoir. Nous
sommes le 3 octobre, vingt-deux jours depuis que c’est arrivé.
Plus s’étirait le temps où a) j’étais toujours vivant et b) je ne prenais
toujours personne pour un chapeau, plus je sentais que j’avais une chance de
m’en sortir. Mais ça ne marchait pas toujours ainsi. J’empilais les jours
comme des blocs de Jenga, imaginant que je faisais des progrès puis – boum
–, arrivait une crise de panique de cinq heures ou une journée d’obscurité
totalement apocalyptique, et les jours Jenga s’éparpillaient de nouveau.
Signes avant-coureurs
La vie est dure. Elle peut être belle et magnifique, mais elle est dure. Les
gens semblent le supporter en n’y pensant pas trop. Mais certains n’en sont
pas capables. Et puis c’est la condition humaine. Nous pensons, donc nous
sommes. Nous savons que nous allons vieillir, tomber malade, mourir. Nous
savons que ça arrivera à tous ceux que nous connaissons, à tous ceux que
nous aimons. Mais il faut aussi se rappeler que c’est la seule raison pour
laquelle l’amour existe. Les humains pourraient bien être la seule espèce à
ressentir la dépression telle que nous la connaissons, mais c’est seulement
parce que nous sommes une espèce remarquable, qui a créé des choses
remarquables – la civilisation, les langues, les histoires, les chansons
d’amour. Chiaroscuro signifie le contraste entre l’ombre et la lumière. Par
exemple, dans les tableaux de la Renaissance représentant Jésus, les ombres
étaient utilisées pour accentuer la lumière qui baignait le Christ. C’est
difficile d’accepter que la mort, le déclin et tous les sentiments négatifs
mènent à tout ce qui est bon, mais moi, j’y crois. Comme l’a écrit Emily
Dickinson, éternelle grande poétesse et occasionnelle agoraphobe anxieuse :
« Le fait qu’elle ne reviendra jamais est ce qui rend la vie si douce. »
3
Résurrection
1. Je vais mourir.
3. Ça ne finira jamais.
4. Tout va empirer.
1. C’est parti.
Boomboomboomboomboom.
Dépêche-toi, n’ai-je pas dit. Est-ce que tu sais au moins ce que tu fais ?
1. Vous êtes sur une autre planète. Personne ne comprend ce que vous
traversez. Mais en fait, si. Vous ne le croyez pas car votre seul point de
référence, c’est vous-même. Vous ne vous êtes jamais senti comme ça, le
choc de la chute vous traumatise, mais d’autres sont passés par là. Vous vous
trouvez dans un pays très sombre peuplé de millions de personnes.
2. Les choses ne vont pas empirer. Vous avez envie de vous tuer. On ne
peut pas tomber plus bas. À partir de là, vous ne pouvez que remonter.
3. Vous vous détestez. C’est parce que vous êtes sensible. Presque
chaque humain peut trouver une raison de se détester s’il y pensait autant que
vous. Nous sommes tous de parfaits salauds, nous, les humains, mais aussi
parfaitement merveilleux.
2. Écoutez.
4. Gardez à l’esprit que c’est une maladie. Certaines choses seront dites
sans réfléchir.
Il est difficile d’expliquer la dépression à des gens qui n’en ont pas
souffert.
C’est comme expliquer la vie sur Terre à un extraterrestre. Il n’y a pas
de point de référence. Il faut avoir recours à des métaphores.
Vous êtes piégé dans un tunnel.
Vous êtes au fond de l’océan.
Vous êtes en feu.
Le principal, c’est l’intensité. Elle n’entre pas dans le spectre habituel
des émotions. Quand vous êtes dedans, vous y êtes vraiment. Vous ne pouvez
pas en sortir sans sortir de la vie, car c’est la vie. C’est votre vie. La moindre
chose que vous vivez est filtrée par la dépression. Par conséquent, tout est
grossi. Au plus extrême, des choses qu’une personne normale remarquerait à
peine ont des effets énormes. Le soleil s’enfonce derrière un nuage, et vous
ressentez ce léger changement météorologique comme si un ami était mort.
Vous éprouvez la différence entre l’intérieur et l’extérieur, comme un
nouveau-né éprouve la différence entre le ventre et le monde extérieur. Vous
avalez un ibuprofène, et votre cerveau névrotique réagit comme si vous
faisiez une overdose de méthamphétamine.
Pour moi, la dépression ne m’a pas émoussé, mais m’a aiguisé,
intensifié, comme si j’avais passé ma vie dans une coquille et que cette
coquille ait maintenant disparu. C’était une exposition totale. Un esprit à vif,
nu. Une personnalité écorchée. Un cerveau dans le bocal d’acide qu’est
l’expérience. Ce dont je ne me rendais pas compte, sur le moment, ce qui
m’aurait paru incompréhensible, c’est que cet état finirait par avoir des effets
positifs autant que négatifs.
Je ne parle pas d’un truc genre Ce Qui Ne Te Tue Pas Te Rend Plus
Fort. Ce n’est tout simplement pas vrai. Ce qui ne vous tue pas vous rend
souvent plus faible. Ce qui ne vous tue pas peut vous faire boiter pendant le
restant de vos jours. Ce qui ne vous tue pas peut vous faire redouter de quitter
votre maison, voire votre chambre, et vous laisser tremblant, à marmonner de
manière incohérente, le front appuyé contre une vitre, à rêver de retourner à
l’époque avant cette chose qui ne vous a pas tué.
Non.
Ce n’est pas une question de force. Pas de cette force stoïque, va-de-
l’avant-sans-trop-réfléchir en tout cas. C’est plutôt un zoom. Cet affûtage. Ce
passage du prosaïque au poétique. Vous savez, avant l’âge de vingt-quatre
ans, j’ignorais à quel point les choses pouvaient être douloureuses, mais je
n’avais pas non plus mesuré comme elles pouvaient être agréables. Cette
coquille vous protège peut-être, mais elle vous empêche aussi de ressentir
toute la force de ces choses agréables. La dépression est peut-être un prix
sacrément élevé pour s’éveiller à la vie, et tant qu’elle a le dessus sur vous,
rien ne semble valoir la peine de le payer. Un nuage qui laisse place au soleil
reste un nuage. Mais il est assez thérapeutique de savoir que le plaisir ne se
contente pas de compenser la douleur, il peut en découler.
Espaces blancs
Nous avons passé trois longs mois chez mes parents, puis le reste de cet
hiver dans un quartier étudiant de Leeds tandis qu’Andrea travaillait en
freelance comme attachée de presse et que j’essayais de ne pas devenir fou.
Mais, à partir de, je crois, avril 2000, ces trucs agréables ont commencé
à arriver. Les mauvais trucs étaient toujours là. Au début, les mauvais trucs
étaient présents la plupart du temps. Les bons trucs ont peut-être représenté
0,0001 pour cent de ce mois d’avril. Les bons trucs, c’était juste la chaleur du
soleil sur mon visage quand je marchais avec Andrea depuis notre
appartement en banlieue vers le centre-ville. Ça a duré tant qu’il y a eu du
soleil, puis ça a disparu. Mais à partir de ce moment-là, j’ai su que c’était
accessible. J’ai su que la vie était de nouveau disponible. Ainsi, en mai,
0,0001 pour cent est devenu 0,1 pour cent.
Je m’élevais.
Puis, début juin, nous avons déménagé en centre-ville.
Ce que j’aimais dans cet appartement, c’était la lumière. J’aimais que les
murs soient blancs, que le parquet laminé artificiel imite le bois le plus blond
et que le canapé bas de gamme installé par le propriétaire soit turquoise.
Bien sûr, c’était toujours l’Angleterre. C’était toujours le Yorkshire. La
lumière était sévèrement rationnée. Mais c’était le mieux que nous pouvions
nous offrir avec notre budget, ou juste au-dessus de notre budget, et c’était
certainement mieux que notre appartement d’étudiants avec sa moquette
bordeaux et sa cuisine marron. Un canapé turquoise vaut mieux que de la
moisissure turquoise.
La lumière était tout. Soleil, fenêtres avec les stores ouverts. Des pages
avec de courts chapitres, plein d’espaces blancs et de
Courts.
Paragraphes.
Mais aussi, incroyablement, les livres. J’ai lu, lu et lu avec une intensité
que je n’avais jamais vraiment connue avant. Enfin, je m’étais toujours
considéré comme une personne qui aimait les livres. Mais il y a une
différence entre aimer les livres et en avoir besoin. J’avais besoin de livres.
Ce n’était pas un produit de luxe pendant cette période de ma vie. C’était une
substance hautement addictive. Je n’aurais pas hésité à m’endetter pour lire
(et ça a été le cas). Je crois que j’ai lu plus de livres pendant ces six mois que
pendant cinq années à l’université, et je suis certainement tombé plus
profondément dans les mondes que font naître les pages.
On dit qu’on lit soit pour s’enfuir, soit pour se trouver. Je ne vois pas
vraiment la différence. Nous nous trouvons en nous enfuyant. Ce n’est pas où
nous sommes, mais où nous voulons aller, et tout ça. « N’y a-t-il aucune issue
hors de l’esprit ? » a un jour demandé Sylvia Plath. Cette célèbre question
m’intéresse (son sens, les réponses possibles) depuis que je l’ai trouvée,
adolescent, dans un recueil de citations. S’il y a une issue, une issue qui ne
soit pas la mort elle-même, alors elle passe par les mots. Mais plutôt que de
quitter totalement l’esprit, les mots nous aident à quitter un esprit et nous
donnent les outils pour en bâtir un autre, similaire mais meilleur, proche de
l’ancien mais avec des fondations plus fermes, et souvent avec une meilleure
vue.
« L’objet de l’art est de donner forme à la vie », a dit Shakespeare. Or
ma vie – et mon esprit en vrac – avaient besoin de forme. J’avais « perdu le
fil ». Il n’y avait pas de récit linéaire de moi. Rien que le désordre et le chaos.
Alors, oui, j’aimais les récits extérieurs pour l’espoir qu’ils offraient. Les
films. Les séries télé. Et surtout, les livres. Ils étaient, en eux-mêmes, une
raison de rester en vie. Chaque livre écrit est le produit d’un esprit humain
dans une disposition particulière. Additionnez tous les livres, et vous obtenez
la somme totale de l’humanité. Chaque fois que je lisais un bon livre, j’avais
l’impression de lire une sorte de carte au trésor, et le trésor vers lequel elle
me menait était en fait moi-même. Mais toutes les cartes étaient incomplètes,
et je ne pourrais découvrir le trésor qu’en lisant tous les livres. Ainsi le
processus de me trouver était une quête sans fin. Les livres eux-mêmes me
semblaient refléter cette idée. C’est pour cette raison que l’intrigue de
n’importe quel livre peut se résumer à « quelqu’un cherche quelque chose ».
Un cliché associé aux grands lecteurs est qu’ils sont solitaires, mais,
pour moi, les livres ont été un moyen de quitter la solitude. Si vous êtes le
type de personne qui pense trop aux choses, alors rien n’est plus solitaire au
monde que d’être entouré d’un tas de gens qui ne sont pas sur la même
longueur d’ondes.
Dans mon plus profond état de dépression, je m’étais senti coincé. Je me
sentais pris dans des sables mouvants (enfant, c’était mon cauchemar le plus
fréquent). Les livres étaient le mouvement. Ils parlaient de quêtes, de
voyages. De débuts, de milieux, de fins, pas nécessairement dans cet ordre.
Ils parlaient de nouveaux chapitres. Et de laisser les anciens derrière.
Puisque, quelques mois plus tôt à peine, j’avais perdu l’utilité des mots,
des histoires et même du langage, j’étais résolu à ne jamais plus me sentir
ainsi. Je me suis nourri, nourri et nourri.
Je restais, la lampe de chevet allumée, à lire pendant deux heures après
qu’Andrea s’était endormie, jusqu’à ce que j’aie les yeux secs et piquants,
toujours à chercher sans jamais vraiment trouver, mais avec la sensation
d’être terriblement près.
La Puissance et la Gloire
1. Toutes les citations sont extraites de Graham Greene, La Puissance et la Gloire, trad. de l’anglais par Marcelle Sibon, Robert Laffont, 1948.
2. Trad. de l’anglais par Kim Trân, L’Olivier, 2012.
3. Trad. de l’anglais par Simone Hilling, Mazarine, 1987.
Paris
Ce fut un été horrible, mais la conclusion n’a pas été trop mauvaise. Les
chances de la mère d’Andrea étaient très faibles, mais elle s’en est sortie.
Nous avons même réussi à faire remplacer le biscuit qu’elle mangeait au
petit-déjeuner par un kiwi. J’avais des raisons de m’obliger à être fort. De me
mettre dans des situations où je ne me serais pas mis. Il faut être
inconfortable. Il faut avoir mal. Comme l’écrivait le poète Roumi au
XIIe siècle : « La blessure est l’endroit par où la lumière vous pénètre. » (Il a
également écrit : « Oublie la sécurité. Vis où tu crains de vivre. ») Je
canalisais également mon esprit en écrivant mon premier vrai roman. Pas
essentiellement pour des raisons de carrière (c’était une réécriture de Henry
IV de Shakespeare avec des chiens qui parlaient, pas exactement un best-
seller). Mais deux ans plus tard, grâce aux encouragements d’Andrea, il serait
vraiment publié. Je l’ai dédié à Andrea, évidemment, mais je ne lui devais pas
qu’un livre. Je lui devais toute une vie.
Armes
Mon agent.
« Vous avez un éditeur.
– Quoi ?
– Il vient de m’appeler. Vous allez devenir un auteur publié.
– Quoi ? Vraiment ?
– Vraiment. »
Cette nouvelle m’a fait tenir pendant près de six mois.
Pendant près de six mois, mon manque d’estime de moi avait été
artificiellement corrigé. Je restais allongé au lit et m’endormais en souriant,
en pensant Ouah, je suis important, je vais être publié.
Mais être publié (ou obtenir un super-boulot, ou quoi que ce soit) ne
modifie pas durablement votre cerveau. Un soir, je suis resté éveillé, moins
qu’heureux. J’ai commencé à m’inquiéter. Les inquiétudes se sont
enchaînées. Et pendant trois semaines, je me suis de nouveau trouvé piégé
dans mon esprit. Sauf que, cette fois-ci, j’avais des armes. L’une d’entre
elles, peut-être la plus importante, était de savoir ceci : J’ai déjà été malade,
puis je me suis senti mieux. Mieux, c’est possible. Une autre arme consistait à
courir. Sachant que le corps pouvait affecter l’esprit, je me suis mis à courir
de plus en plus.
Courir
croire, l’une des raisons pour lesquelles je suis persuadé que cela aide
l’esprit.)
En rentrant de courir, je m’étirais, je prenais une douche et j’éprouvais
une douce sensation de soulagement, comme si la dépression et l’anxiété
s’évaporaient lentement de moi. C’était une sensation merveilleuse. Et puis
cette espèce de monotonie que génère la course – celle qui a pour fond sonore
une respiration lourde et le rythme des pieds sur le sol – est devenue une
espèce de métaphore de la dépression. Courir chaque jour revient à livrer une
bataille contre vous-même. Le simple fait de sortir par une froide matinée de
février vous donne un sentiment de réussite. Ce débat muet avec vous-même
– Je veux arrêter ! Non, continue ! Je ne peux pas, j’arrive à peine à
respirer ! Plus qu’un kilomètre ! Je dois juste m’allonger ! Tu ne peux pas ! –
est le débat de la dépression, à une échelle plus petite, moins sérieuse.
Chaque fois que je me forçais à sortir dans la grisaille humide d’une matinée
du Yorkshire, que je me poussais à courir pendant une heure, cela me donnait
un peu de force pour vaincre la dépression. Un peu d’esprit « fais gaffe à qui
tu t’adresses ».
Ça m’aidait, parfois. Pas toujours. Ce n’est pas à toute épreuve. Je ne
m’appelais pas Zeus. Je n’avais pas de foudre magique à disposition. Mais il
est bon de bâtir, au fil des ans, des choses dont vous savez qu’elles
fonctionnent – parfois. Des armes pour la guerre qui se tasse mais qui peut
toujours s’embraser de nouveau. Écrire, lire, parler, voyager, le yoga, la
méditation et la course font partie des miennes.
agitation
sentiment de terreur
se sentir constamment « à cran »
difficultés à se concentrer
irritabilité
impatience
être facilement distrait
Mais il est intéressant de noter que la liste des symptômes physiques est
bien plus longue :
étourdissements
fatigue, somnolence
fourmillements
battements cardiaques irréguliers (palpitations)
douleurs et tensions musculaires
bouche sèche
transpiration excessive
souffle court
douleurs d’estomac
nausée
diarrhée
maux de tête
soif intense
urine fréquente
règles douloureuses ou absentes
difficultés à trouver ou conserver le sommeil (insomnie)
L’un des symptômes manquants de cette liste, mais que l’on retrouve
dans d’autres, est à la fois physique et mental. Déréalisation. C’est un
symptôme très réel qui vous fait vous sentir, justement, irréel. Vous ne vous
sentez pas pleinement en vous. Vous avez l’impression de contrôler votre
corps à distance. C’est comme la distance entre un écrivain et son narrateur
fictif, semi-autobiographique. Le centre que vous êtes a disparu. C’est une
sensation du corps et de l’esprit, qui prouve encore une fois à celui qui en
souffre que la séparation nette que nous opérons entre les deux est fausse et
simpliste. Et participe peut-être même du problème.
Gens célèbres
Qu’est-ce que cela nous enseigne ? Que la dépression peut s’abattre sur
les Premiers ministres, les présidents, les joueurs de cricket, les dramaturges,
les boxeurs et les stars hollywoodiennes. Bon, ça, nous le savons. Quoi
d’autre ? Que la célébrité et l’argent ne vous immunisent pas contre les
problèmes de santé mentale. On le savait un peu aussi. Peut-être que le but
n’est pas de nous apprendre quoi que ce soit, mais savoir que Jim Carrey a
pris du Prozac et que la princesse Leia a souffert de trouble bipolaire nous
aide car, même si nous savons que cela peut arriver à n’importe qui, on ne
nous rappellera jamais assez que cela peut vraiment arriver à n’importe qui.
Je me rappelle avoir lu dans la salle d’attente d’un dentiste une interview
de Halle Berry, dans laquelle elle parlait ouvertement de la fois où elle était
restée dans sa voiture, dans son garage, et avait essayé de se suicider par
intoxication au monoxyde de carbone. Elle racontait au journaliste que la
seule chose qui l’avait arrêtée était l’idée que sa mère la trouve.
Cela m’a aidé de la voir forte et souriante dans ce magazine. Ce n’était
peut-être qu’une illusion liée à Photoshop, mais peu importe, elle était
vivante, elle paraissait heureuse et appartenait à la même espèce que moi.
Donc, oui, nous aimons les histoires de guérison. Nous adorons la structure
narrative montée-chute-remontée. Les magazines people publient ce genre
d’histoire en boucle.
Les stars dépressives se heurtent à un fort cynisme, comme si une
certaine quantité d’argent et de célébrité immunisaient un être humain contre
la maladie mentale. On ne parle ainsi que de la maladie mentale. On ne dit
pas cela de la grippe, par exemple. Contrairement à un livre ou à un film, la
dépression n’a pas besoin de sujet.
L’un des autres effets de la dépression est souvent de vous faire sentir
coupable. La dépression dit : « Regarde-toi, avec ta belle vie, avec ton copain
/ ta copine / ton mari / ta femme / tes enfants / ton chien / ton canapé / tes
followers sur Twitter, avec ton super-boulot, avec ton absence de problèmes
de santé, avec ton voyage à Rome qui t’attend, avec ton prêt remboursé, avec
tes parents qui n’ont pas divorcé, avec ton… » etc., etc., etc.
En fait, la dépression peut être exacerbée par le fait que les choses se
passent bien extérieurement, parce que le fossé entre ce que vous ressentez et
ce que vous devriez ressentir se creuse. Si vous éprouvez le niveau de
dépression que quelqu’un éprouverait naturellement dans un camp de
prisonniers de guerre, sauf que vous n’habitez pas dans un camp de
prisonniers de guerre mais dans une jolie maison mitoyenne dans le monde
libre, vous vous dites : « Merde, c’est ce que j’ai toujours voulu, pourquoi ne
suis-je pas heureux ? »
Vous pouvez vous retrouver, comme dans la chanson des Talking
Heads, dans une belle maison, avec une belle femme, à vous demander
comment vous êtes arrivé là. À compter les heures. À vous demander
comment mieux faire. À vous demander ce qui manque. À vous demander si
tout ce que nous avons voulu dans notre vie n’était pas une erreur. À nous
demander si les smartphones, les belles salles de bains, les télévisions dernier
cri que nous pensions être la solution ne font pas partie du problème. À nous
demander si, dans le jeu de la vie, tout ce que nous croyions être une échelle
n’était pas en fait un serpent qui nous faisait glisser droit vers le fond.
Comme n’importe quel bouddhiste vous le dirait, un attachement excessif à
des choses matérielles ne créera que davantage de souffrance.
On dit que la folie est une réponse logique à un monde fou. Peut-être la
dépression est-elle en partie une simple réponse à une vie que nous ne
comprenons pas vraiment. Bien sûr, personne ne comprend entièrement sa
vie, si on y réfléchit. L’ennui avec la dépression, c’est qu’il est inévitable de
penser à la vie. La dépression fait de nous tous des penseurs. Demandez à
Abraham Lincoln.
Abraham Lincoln et le don redoutable
Mais même sans le « pistolet fumant » d’un épisode dépressif précis qui
a inspiré une œuvre de génie, il est impossible d’ignorer le nombre de grands
qui ont lutté contre la dépression. Sans même s’attarder sur les Plath, les
Hemingway et les Woolf qui se sont suicidés, la liste de dépressifs connus est
stupéfiante. Et très souvent, il existe un lien entre la maladie et leur travail.
Une bonne partie de l’œuvre de Freud s’appuie sur l’analyse de sa
propre dépression, et ce qu’il pensait en être la solution. La cocaïne
fonctionnait pour lui mais – après l’avoir prescrite à d’autres malades – il a
fini par se rendre compte qu’elle pouvait être quelque peu addictive.
Franz Kafka est un autre dépressif célèbre. Il a souffert toute sa vie
d’anxiété sociale et de ce que l’on considère aujourd’hui comme une
dépression clinique. Il était également hypocondriaque et vivait dans la peur
du changement physique et mental. Mais être hypocondriaque ne signifie pas
que l’on ne tombera pas malade et, à trente-quatre ans, Kafka a contracté la
tuberculose. Il est intéressant de noter que tout ce qui soulageait la dépression
de Kafka – la natation, l’équitation, la randonnée – était des activités
physiques salutaires.
Sans doute la claustrophobie et le sentiment d’impuissance qui émanent
de ses œuvres – souvent interprétés en termes purement politiques –
résultent-ils également du fait qu’il souffrait d’une maladie qui donne un
sentiment de claustrophobie.
Le texte le plus célèbre de Kafka est La Métamorphose. Un marchand
ambulant se réveille transformé en insecte géant qui a trop dormi et est en
retard au travail. Certes, il s’agit d’une histoire sur les effets déshumanisants
du capitalisme, mais on peut également la lire comme une métaphore de la
dépression, la plus kafkaïenne des maladies. Car, comme Gregor Samsa, le
dépressif peut parfois se réveiller dans la pièce où il s’est endormi et se sentir
complètement différent. Étranger à lui-même. Piégé dans un cauchemar.
De même, Emily Dickinson aurait-elle pu écrire son poème « J’ai senti
un enterrement dans mon cerveau » sans éprouver une profonde angoisse
mentale ? Certes, la plupart des dépressifs ne deviennent pas un Lincoln, une
Dickinson, un Churchill, un Munch, un Freud ou un Kafka (ni un Mark
Twain, ni une Sylvia Plath, ni une Georgia O’Keefe, ni un Ian Curtis, ni un
Kurt Cobain). Mais la plupart des gens non plus.
Plath.)
Un code malveillant dans le système d’exploitation de votre esprit.
Un univers parallèle.
Un combat de toute une vie.
Un produit dérivé de la mortalité.
Un cauchemar éveillé.
Une caisse de résonance.
Sombre, sans espoir et solitaire.
Une collision entre un esprit ancien et un monde moderne (psychologie
évolutionniste).
Une belle saloperie.
1. La Cloche de détresse, trad. de l’anglais par Michel Persitz, révisée par Caroline Bouet, Denoël, 2014.
La dépression, c’est aussi…
Vivre
Le yoga. J’étais yogaphobe, mais je m’y suis converti. C’est super car,
contrairement à d’autres thérapies, il traite le corps et l’esprit comme un tout.
Comme je l’ai dit, chaque fois que je paniquais, je rêvais d’un danger
réel. Si vous avez une crise de panique pour une raison précise, alors ce n’est
pas vraiment une crise de panique, mais une réponse logique à une situation
effrayante. De même, chaque fois que je ressentais une chute de moral vers
une lourde et infinie tristesse, je rêvais d’avoir une cause extérieure.
Mais, avec le temps, j’ai découvert quelque chose que j’ignorais
auparavant. J’ai découvert que le bas n’était pas la seule direction possible. Si
vous tenez bon, si vous vous accrochez, alors les choses vont mieux. Elles
vont mieux, puis elles vont moins bien, puis elles vont mieux.
Des hauts et des bas, des hauts et des bas, comme m’avait dit une
homéopathe alors que je vivais chez mes parents (ses mots avaient mieux
fonctionné que ses teintures).
Parenthèse
Pendant dix ans de ma vie, je n’ai pas pu aller à une fête sans être
terrifié. Oui, moi qui avais travaillé à Ibiza pour la plus grande et la plus folle
des fêtes hebdomadaires en Europe, incapable d’entrer dans une pièce
remplie de gens heureux, un verre de vin à la main, sans avoir une crise de
panique.
Peu après que j’ai été publié, alors que je craignais d’être bientôt oublié,
je me suis senti obligé de participer à un Noël littéraire. J’étais sobre, car
l’alcool me pétrifiait toujours, je suis entré dans une pièce et j’ai
immédiatement perdu pied, car il y avait des gens connus et intelligents
partout (Zadie Smith, David Baddiel, Graham Swift), avec leurs visages
connus et intelligents, parfaitement dans leur élément.
Bien sûr, il n’est jamais facile d’entrer dans une pièce pleine de gens. Il
y a toujours ce moment gênant où l’on tourne, telle une molécule sérieuse et
solitaire, tandis que tout le monde occupe sa place dans son petit cercle, tout
en rires et en conversations.
Je me tenais au milieu de la pièce, je cherchais quelqu’un que je
connaissais pour une raison autre que sa célébrité, mais je ne voyais
personne. Je tenais mon verre d’eau minérale pétillante (j’avais trop peur du
sucre et de la caféine pour boire autre chose) en essayant de penser que mon
inconfort faisait de moi un génie. Après tout, Keats, Beethoven et Charlotte
Brontë détestaient les fêtes. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait sans
doute des millions de non-génies historiques qui détestaient aussi les fêtes.
Pendant quelques secondes, j’ai accidentellement croisé le regard de
Zadie Smith. Elle s’est détournée. Clairement, elle me prenait pour un tordu.
La reine de la littérature me prend pour un tordu.
Cent quatre-vingt-onze ans avant cette fête, à seulement deux ou trois
kilomètres de là, Keats s’était assis pour écrire une lettre à son ami Richard
Woodhouse.
« Quand je me trouve dans une pièce avec des gens, si jamais je me
libère des spéculations sur des créations de mon propre cerveau, alors ce n’est
pas moi qui rentre en moi : l’identité de chacun dans la pièce commence à
peser sur moi de sorte que je suis en très peu de temps annihilé. »
Planté là tandis que ces bulles de dioxyde de carbone s’élevaient dans
mon verre, j’ai éprouvé une forme d’annihilation. J’ai commencé à ne plus
être totalement sûr d’être là, à flotter. Ça y était. Une rechute. Des semaines,
peut-être des mois de dépression m’attendaient.
Respire, me suis-je dit. Respire.
J’avais besoin d’Andrea. L’air se raréfiait. J’étais dans la zone sensible.
J’avais passé l’horizon des événements. Je n’étais bon à rien. J’étais perdu
dans un trou noir de ma propre fabrication.
J’ai posé mon verre sur une table et je me suis tiré de là. J’ai laissé au
vestiaire un manteau qui y est peut-être encore, pour ce que j’en sais. Je me
suis engouffré dans la nuit londonienne et j’ai couru la courte distance qui me
séparait du café où Andrea, mon éternelle sauveuse, m’attendait.
« Qu’est-ce qui se passe ? m’a-t-elle demandé. Je croyais que tu allais
rester une heure.
– Je n’ai pas pu. Il fallait que je sorte.
– Bon, tu es sorti. Comment tu te sens ? »
J’y ai réfléchi. Comment me sentais-je ? Stupide, évidemment. Mais en
plus, ma crise de panique était passée. Avant, mes crises de panique ne
passaient pas. Elles se métamorphosaient en d’autres crises de panique qui
me brisaient, telle une armée, jusqu’à ce que la dépression puisse venir
coloniser ma tête. Mais non. Je me sentais de nouveau assez normal. Une
personne normale allergique aux fêtes. J’avais eu envie de mourir, mais pas
littéralement. En fait, j’avais juste envie de fuir la pièce. Mais au moins, j’y
étais entré. En soi, c’était un progrès. Un an plus tard, je me sentirais mieux
au point non seulement d’aller à la fête, mais de m’y rendre seul. Parfois, sur
le chemin semé d’embûches de la guérison, ce qui ressemble à un échec peut
être un pas en avant.
#reasonstostayalive
J’ai demandé en ligne à des gens qui ont connu la dépression, l’anxiété,
des pensées suicidaires « Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ? » Voici
leurs raisons de rester en vie :
@Matineegirl
Amis, famille, acceptation, partager, savoir que le chien noir finira par
partir. #reasonstostayalive
@mannyliz
Tout simplement mes enfants. Ils n’ont pas demandé à naître avec une
maman qui a parfois du mal à garder sa tête.
@groznez
#reasonstostayalive Yoga. Je ne pourrais pas sans.
@Ginny_Bradwel
#reasonstostayalive Réaliser que ce n’était pas grave d’être malade et
qu’il n’y avait pas de remède miracle.
@AlRedboots
Le trou que vous laissez est plus grand que la douleur que vous subissez
en vivant. #reasonstostayalive
@LeeJamesHarrison
Pour vous contrarier de ces jours sans contrariétés et ces moments de
bonheur HD qui en résultent.
@H3llInHighH33ls
Il y a des moments et des jours où la brume se lève. Ces instants sont
radieux. #reasonstostayalive
@simone_mc
Mes #reasonstostayalive ? L’avenir. Les terres inconnues. Découvrir
d’autres personnes qui apprécient les références ringardes à Star Trek.
@Erastes
#reasonstostayalive Les jours commencent à rallonger après le
21 décembre. Quelque chose à quoi se raccrocher dans les périodes sombres.
@PixleTVPi
Ma seule raison de rester en vie est mon meilleur ami.
#reasonstostayalive
@paperbookmarks
Car même si je souffre constamment, je suis entouré par des gens qui me
soutiennent, et par les meilleurs livres. #reasonstostayalive
@ameliasnelling
#reasonstostayalive Je n’ai pas encore vu l’Islande où mes cendres
seront dispersées.
@debecca
#reasonstostayalive Pour contrarier le cancer, le trouble bipolaire et tous
les autres trucs qui essaient de me tuer jeune.
@vivatrampv
Les chirurgiens ont travaillé tellement dur pour me donner l’avenir que
je mérite. #reasonstostayalive
@lilianharpl
#reasonstostayalive Car l’autre option n’est pas flexible.
@NickiDavies
Je suis bizarre, une dépressive optimiste ! Même quand ça va vraiment
mal, je crois toujours que ça peut aller mieux. #reasonstostayalive
@Leilah_Makes
Garder des habitudes me réconforte. Ça me donne un peu de contrôle.
#reasonstostayalive
@Doc_Megz_to_be
L’avenir incertain. Cela peut provoquer de l’anxiété, mais c’est un peu
comme un livre vraiment dur à prédire. #reasonstostayalive
@ilonacatherine
Personne ne pense que vous occupez trop d’espace plus que vous quand
vous êtes au fond du trou. Fiez-vous aux autres. #reasonstostayalive
@stueygod
La musique #reasonstostayalive
@ameliasward
Les matins ensoleillés. #reasonstostayalive
@DolinaMunro
Les sandwichs au bacon. #reasonstostayalive
@mirandafay
L’air frais. L’amour inconditionnel d’un bon chien. #reasonstostayalive
@jeebreslin
Car à l’intérieur il y a un vous en or qui vous aime et veut que vous
gagniez et soyez heureux. #reasonstostayalive
@ylovesgok
Se rendre compte que je peux aider. #reasonstostayalive
@wilsonxox
Les couchers de soleil. Et ce genre musical qui accède à votre colonne
vertébrale. #reasonstostayalive
@MagsTheObscure
Le frère dont je m’occupe. C’est l’une de mes principales raisons de
donner des soins. Il est mon phare dans la tempête. #reasonstostayalive
@jaras76
Les possibilités. Surmonter le prochain défi. Le foot. #reasonstostayalive
@HHDreamWolf
Mon suicide pourrait causer la dépression de mes amis et de ma famille,
et je ne peux souhaiter ça à personne. #reasonstostayalive
@DebWonda
Tout passe – la joie suit la douleur, la chaleur fait fondre la glace.
#reasonstostayalive
@legallyyogi
Ma dernière dépression a été une grosse post-partum. C’était affreux.
Mes #reasonstostayalive ont été ma famille et savoir que ça passerait.
@ayaanidilsays
#reasonstostayalive Je dirais les meilleurs amis. Le Grand Peut-être.
@lordofl
Les chiens ont toujours besoin d’être promenés le matin.
#reasonstostayalive
@UTBookblog
L’expérience de savoir que demain sera un jour meilleur. Ma famille,
mon copain, mes amis… et ma pile de livres à lire ! #reasonstostayalive
@GoodWithoutGods
#reasonstostayalive Parce que 7×10^49 atomes ne s’organiseront plus
jamais de cette manière. C’est un privilège unique.
@Book_Geek_Says
Le soutien de ma mère et de mon copain qui s’est mis avec moi à l’un de
mes creux les plus bas il y a trois ans. #reasonstostayalive
@Teens22
#reasonstostayalive L’amour est la meilleure raison de rester en vie.
Amour pour soi, pour l’autre, pour la vie, remarquer ce qui est bon.
@ZODIDOG
#reasonstostayalive Certains jours c’est aussi simple que le ciel bleu et
le soleil. Ou la satisfaction de mon mignon chinchilla.
@Halftongue
Parfois, mes #reasonstostayalive se limitent à « les gens seraient tristes
et en colère si je mourais ». Ça, c’est les mauvais jours.
@tara18
#reasonstostayalive Nourrir mon bébé. J’ai eu une horrible anxiété et
dépression post-partum, je ne suis là que pour prendre soin de lui.
@BeverlyBambury
J’ignore toujours pourquoi je continue, mais je n’ai jamais – depuis
longtemps – pensé arrêter. Détermination macabre ? #reasonstostayalive
@wolri
#reasonstostayalive Des trucs simples – le soutien de mon mari qui ne
m’envahit pas dans les mauvais moments, ma famille et mon petit chien.
@Lyssa_1234
Ne pas vouloir faire de mal à mes parents/frères et sœurs/partenaire.
Aussi bas que je tombe, je sais que je leur manquerais.
@BlondeBookGirl
Mes #reasonstostayalive : imaginer le petit museau de mon chat si je
n’étais pas là, ma mère/sœur et tous les livres que je veux lire.
@gourenina
Savoir que ma dépression n’a jamais duré pour toujours, et qu’il y a
toujours eu une issue. #reasonstostayalive
@Despard
Ça a été mieux avant et ça le sera à nouveau. #reasonstostayalive
Les choses qui me font me sentir moins bien
Le café.
Le manque de sommeil.
Le noir.
Le froid.
Septembre.
Octobre.
Le milieu d’après-midi.
Les muscles tendus.
La vitesse de l’existence contemporaine.
Les mauvaises positions.
Être loin de ceux que j’aime.
Rester assis trop longtemps.
La publicité.
Me sentir ignoré.
Me réveiller à trois heures du matin.
La télé.
Les bananes (ça, je ne suis pas sûr, c’est sans doute une coïncidence).
L’alcool.
Facebook (parfois).
Tweeter (parfois).
Les dates limites.
Les corrections.
Les décisions difficiles (genre quelles chaussettes porter).
Tomber physiquement malade.
Croire que je suis déprimé (le pire des cercles vicieux).
Ne pas boire assez d’eau.
Regarder mon classement sur Amazon.
Regarder le classement d’autres auteurs sur Amazon.
Arriver seul à un événement social.
Les voyages en train.
Les chambres d’hôtel.
Être seul.
Les choses qui me font (parfois) me sentir mieux
L’attention.
Courir.
Le yoga.
L’été.
Dormir.
Respirer lentement.
Être avec des gens que j’aime.
Lire des poèmes d’Emily Dickinson.
Lire La Puissance et la Gloire de Graham Greene.
Écrire.
Bien manger.
Les longs bains/douches.
Les films des années 1980.
Écouter de la musique.
Facebook (parfois).
Twitter (parfois).
Sortir pour une longue promenade.
« Les bonnes actions et les bains chauds » (Dodie Smith).
Faire des burritos.
Le ciel et les murs clairs.
Lire la correspondance de Keats. (« Ne voyez-vous pas à quel point un
monde de douleur et de peines est nécessaire pour éduquer une intelligence et
en faire une âme ? »)
La banque des mauvais jours.
Les grandes pièces.
Faire quelque chose d’altruiste.
L’odeur du pain.
Porter des vêtements propres (allez, je suis écrivain, c’est plus rare que
vous ne pensez).
Penser que les choses vont bien pour moi.
Savoir que d’autres choses vont bien pour d’autres.
M’absorber dans quelque chose.
Savoir que quelqu’un d’autre lira peut-être ces lignes et que, peut-être, je
n’ai pas souffert pour rien.
Être
Anne Sexton
Ode à l’épiderme sensible
cause de tous ces buts. Les buts sont la source du malheur. Un but non atteint
provoque de la douleur, mais le fait de l’atteindre ne procure qu’une
satisfaction passagère.
En fait, quand on y pense, une vie faite de buts ne peut qu’être
décevante. Certes, elle peut vous propulser en avant, vous faire tourner les
pages de votre propre existence, mais en fin de compte, elle vous laissera
vide. Car même si vous atteignez vos buts, que se passe-t-il ? Vous avez
peut-être obtenu ce qui vous manquait, mais que se passe-t-il ensuite ? Soit
vous vous fixez un nouveau but, vous vous inquiétez de savoir comment
garder ce que vous avez obtenu, ou vous pensez – avec les millions de
personnes qui connaissent actuellement une crise de la moitié (ou du début,
ou de la fin) de vie – J’ai tout ce que je voulais, pourquoi ne suis-je pas
heureux ?
Quelle était donc la réponse de Schopenhauer ? Eh bien, si le problème
est de vouloir des choses, la solution doit être d’en abandonner. Dans son
langage, la cause de la souffrance est l’intensité de la volonté.
Schopenhauer croyait qu’en considérant le tableau d’ensemble, en
regardant l’humanité comme un tout et sa souffrance comme un tout,
l’individu se détournerait de la vie et renierait ses instincts. En d’autres
termes, le plan de Schopenhauer suppose pas de sexe, très peu d’argent, du
jeûne et beaucoup de souffrance auto-infligée.
C’est seulement ainsi – en niant totalement la volonté humaine – que
l’on peut voir la vérité que face à nous « il n’y a certainement que le néant ».
Plutôt sombre, hein ?
Eh bien, oui. Quoique Schopenhauer ne prône pas le suicide, il
recommandait une sorte de suicide vivant, où il fallait mépriser tous les
plaisirs.
Seulement, Schopenhauer était un grand hypocrite. Faites ce que je dis,
pas ce que je fais. Comme Bertrand Russell l’explique dans son History of
Western Philosophy :
1. Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, trad. de l’allemand par Auguste Burdeau, PUF, 1998.
2. Les Dits du Bouddha. Le Dhammapada, trad. par le Centre d’études dharmiques de Gretz, Albin Michel, 2004.
Conseils
8. Ne vous sentez pas coupable d’être inactif. Plus de mal est infligé au
monde par le travail que par l’inaction. Mais perfectionnez votre oisiveté.
Rendez-la attentive.
11. La haine est une émotion inutile. C’est comme manger un scorpion
pour le punir de vous avoir piqué.
16. Comprenez que les pensées sont des pensées. Si elles ne sont pas
raisonnables, raisonnez avec, même si vous êtes à bout de raison. Vous êtes
l’observateur de votre esprit, pas sa victime.
17. Ne regardez pas la télé sans but. N’allez pas sur les réseaux sociaux
sans but. Ayez toujours conscience de ce que vous faites et de pourquoi vous
le faites. N’accordez pas moins de valeur à la télé. Donnez-lui-en plus. Ainsi
vous la regarderez moins. La distraction sans frein vous mènera à davantage
de distraction.
19. Ne vous inquiétez pas pour des choses qui n’arriveront sans doute
pas.
20. Regardez les arbres, soyez proche d’arbres. Plantez des arbres (les
arbres, c’est super).
26. Aucune drogue au monde ne vous fera sentir mieux, au plus profond
de vous, qu’être gentil avec les autres.
28. Si quelqu’un vous aime, laissez-le faire. Croyez à cet amour. Vivez
pour lui, même si vous avez l’impression que c’est inutile.
29. Vous n’avez pas besoin que le monde vous comprenne. Ce n’est pas
grave. Certaines personnes ne comprendront jamais vraiment les choses
qu’elles n’ont pas vécues. D’autres si. Soyez reconnaissant.
30. Jules Verne parle de l’« infini vivant ». C’est le monde d’amour et
d’émotion qui ressemble à une « mer ». Si nous pouvons nous y immerger,
nous trouvons l’infini en nous, et l’espace dont nous avons besoin pour
survivre.
31. Trois heures du matin n’est jamais l’heure pour essayer de remettre
votre vie d’aplomb.
32. Rappelez-vous que rien n’est étrange chez vous. Vous êtes juste un
humain, tout ce que vous faites et ressentez est naturel, car nous sommes des
animaux naturels. Vous êtes la nature. Vous êtes un hominidé. Vous êtes dans
le monde et le monde est en vous. Tout est lié.
35. Soyez transparent pour vous-même. Faites une serre pour votre
esprit. Observez.
36. Lisez Emily Dickinson. Lisez Graham Greene. Lisez Italo Calvino.
Lisez Maya Angelou. Lisez ce que vous voulez. Mais lisez. Les livres sont
des possibilités. Ce sont des échappatoires. Ils vous donnent des options
quand vous n’en avez plus. Chaque livre peut être une maison pour un esprit
déraciné.
Les levers de soleil, les couchers de soleil, les mille soleils et les mondes
qui ne sont pas le nôtre mais qui brillent dans le ciel nocturne. Les livres. La
bière fraîche. L’air frais. Les chiens. Les chevaux. Les livres de poche
jaunissants. Peau contre peau à une heure du matin. Les baisers longs,
profonds, pleins de sens. Les baisers courts, superficiels, polis. (Tous les
baisers.) Les piscines froides. Les océans. Les mers. Les rivières. Les lacs.
Les fjords. Les mares. Les flaques. Les feux crépitants. Déjeuner au pub.
S’asseoir dehors et manger des olives. Les lumières qui s’éteignent au
cinéma, avec un seau de pop-corn chaud sur les genoux. La musique.
L’amour. Les émotions sans bornes. Les mares résiduelles. Les piscines. Les
sandwichs au beurre de cacahuète. L’odeur des pins par une chaude soirée en
Italie. Boire de l’eau après avoir couru longtemps. Être rassuré après avoir
craint pour ma santé. Recevoir le coup de téléphone. Will Ferrell dans Elfe.
Parler à la personne qui me connaît le mieux. La posture du pigeon. Les
pique-niques. Les tours en bateau. Voir mon fils naître. Attraper ma fille dans
l’eau pendant ses trois premières secondes. Lire Le Grand Goûter de
Monsieur Tigre et faire la voix du tigre. Parler de politique avec mes parents.
Vacances romaines (et les vacances romaines). Talking Heads. Parler de la
dépression en ligne pour la première fois et obtenir des réactions positives. Le
premier album de Kanye West (je sais, je sais). La musique country (la
musique country !). Les Beach Boys. Regarder de vieux chanteurs de soul sur
YouTube. Les listes. S’asseoir sur un banc au parc par une journée
ensoleillée. Rencontrer des écrivains que j’adore. Les routes étrangères. Les
cocktails au rhum. Sauter sur place (ils publient mon livre, ils publient mon
livre, bon sang, ils publient mon livre). Regarder tous les films de Hitchcock.
Les villes qui scintillent dans la nuit quand vous passez à côté en voiture,
comme une constellation d’étoiles tombées à terre. Rire. Oui. Rire à s’en faire
mal. Rire plié en deux, quand l’abdomen commence à faire mal à cause de
toute cette pression, de toute cette libération, puis se rasseoir en grognant et
en inspirant profondément, regarder la personne à côté et éponger la joie. Lire
un nouveau livre de Geoff Dyer. Lire un vieux livre de Graham Greene.
Dévaler une colline en courant. Les arbres de Noël. Peindre les murs d’une
nouvelle maison. Le vin blanc. Danser à trois heures du matin. Les caramels
à la vanille. Les petits pois au wasabi. Les très mauvaises blagues de mes
enfants. Regarder les oies et leurs petits sur la rivière. Atteindre un âge – 35,
36, 37, 38, 39 ans – que je ne pensais jamais atteindre. Parler à des amis.
Parler à des inconnus. Vous parler. Écrire ce livre.
Merci.
Quelques lectures 1
Bad Pharma : How medicine is broken, and how we can fix it, Ben
Goldacre (Fourth Estate, 2012).
Un regard éclairant sur l’industrie pharmaceutique et les intérêts en
jeu.
The Man Who Couldn’t Stop : OCD and the true story of a life lost in
thought, Dr David Adam (Picador, 2014).
Une étude brillante et parfois très personnelle des TOC, pleine de
renseignements sur l’esprit.
Sane New World : Taming the Mind, Ruby Wax (Hodder, 2014).
Un livre clair et instructif, qui insiste fortement sur la pleine
conscience comme manière de s’en sortir et drôle comme on l’attend de
Ruby Wax.
1. Nous avons choisi ici de garder la bibliographie originale de l’auteur – donc essentiellement anglo-saxonne – en indiquant l’édition française quand elle existe. (NdE)
Une note, et quelques remerciements
Willie Nelson a dit un jour que, parfois, on doit composer une
chanson ou donner un coup de pied dans une fenêtre. La troisième option,
j’imagine, consiste à écrire un livre.
Je ressens le besoin d’écrire celui-ci depuis longtemps. Mais cela m’a
aussi inquiété car il est évidemment très personnel, et je craignais que sa
rédaction ne me fasse revivre certains de ces mauvais moments. Pendant
longtemps, j’ai donc évoqué le sujet indirectement, à travers la fiction.
Il y a deux ans, j’ai écrit un livre intitulé Humains. C’est dans ce
roman, plus que dans tout autre, que j’ai affronté ma crise.
Techniquement, c’est une histoire de science-fiction traditionnelle – un
extraterrestre débarque sur Terre sous forme humaine et change
progressivement de vision sur l’humanité – mais en réalité je parlais de
l’aliénation de la dépression, de la manière de la surmonter et d’aimer à
nouveau le monde.
Dans une note à la fin de ce livre, l’équivalent de celle-ci, je fais un
coming out public et je parle très brièvement de ma propre expérience du
trouble panique et de la dépression. Cette petite ouverture a reçu un
accueil chaleureux, et je me suis aperçu que je m’inquiétais pour rien.
Plutôt que de me faire sentir bizarre, me montrer ouvert m’a fait prendre
conscience du nombre de personnes qui subissent des expériences
similaires à un moment ou un autre. De même que personne n’est à cent
pour cent en bonne santé physique, personne n’est à cent pour cent en
bonne santé mentale. Nous sommes tous à un degré sur une échelle.
Plus tard, cela m’a donné confiance pour écrire un peu plus à propos
de mon expérience en ligne. Mais je ne savais toujours pas si j’écrirais un
jour ce livre. La personne qui m’a dit de le faire est la grande Cathy
Retzenbrink. Cathy est l’une des plus dynamiques et, honnêtement,
brillantes défenseuses de livres, elle les soutient et – dans ce cas – les fait
exister. C’est elle qui, devant des pop-corn au wasabi chez Itsu, m’a dit
d’écrire un livre sur la dépression. Le voilà donc, Cathy, j’espère qu’il te
plaît.
Ce livre n’aurait pas été ce livre sans un éditeur. (Le principal
avantage des livres par rapport à la vie, c’est qu’on peut les retravailler,
tandis que la vie est, hélas, toujours un premier jet.) Il est indispensable de
remercier son éditeur dans cette section, mais, même si ça ne l’était pas,
l’éthique et la logique exigent que je mentionne le rôle de Francis
Blackmore dans ce livre. Nombre de ses suggestions m’ont aidé à décider
comment l’écrire. Mais surtout, je suis reconnaissant d’avoir un éditeur
qui soit à l’aise avec la nature multigenre de cet ouvrage, qui ne m’a pas
demandé : « C’est un mémoire, un livre de développement personnel ou
une chronique ? » Et qui soit à l’aise avec l’idée que ce soit un peu tout
cela à la fois.
Pour moi, Canongate est la maison parfaite. J’ai l’impression de
pouvoir faire quelque chose de différent et que, si ça leur plaît, ils me
suivront. J’ai de la chance d’être avec eux. Ils ont donné un tournant à ma
carrière, et je suis reconnaissant au légendaire Jamie Byng et à tous ceux
qui travaillent avec lui (Jenny Todd, Andrea Joyce, Katie Moffat, Jaz
Lacey-Campbell, Anna Frame, Vicki Rutherford, Sian Gibson, Jo Dingley
et toute la bande) pour avoir pris un risque avec moi et m’avoir soutenu
comme ils l’ont fait.
Bon, poursuivons cette oppressante exubérance en remerciant Clare
Conville, mon agente, qui a complètement compris le livre et m’a rassuré
alors que j’étais encore très inquiet à son sujet. C’est une personne
formidable à avoir à ses côtés, et elle a joué un rôle vital pour mettre
Rester en vie sur les bons rails.
Je remercie également tous ceux qui m’ont aidé et nous ont soutenus,
moi et mon écriture, de diverses manières au fil des ans. Tanya
Seghatchian, Jeanette Winterson, Stephen Fry, S. J. Watson, Joanne
Harris, Julia Kingsford, Natalie Doherty, Annie Eaton, Amanda Craig,
Caradoc King, Amanda Ross, et beaucoup, beaucoup d’autres. Je remercie
également tous les libraires que j’ai rencontrés et qui se sont impliqués.
Une mention évidente pour Leilah Skelton, de Waterstones Doncaster, qui
a fait des pots de beurre de cacahuète et des badges spéciaux en l’honneur
d’Humains. Merci aussi à tous ceux qui ont aidé à la promotion sur
Facebook et Twitter, surtout ceux qui ont contribué au chapitre
« #reasonstostayalive ». J’ai toujours eu une famille ouverte et aimante, et
je la remercie de m’avoir permis de rester à la surface, mais aussi d’avoir
été d’accord pour que j’écrive ce livre. Remerciements infinis, donc, et
toujours de l’amour à maman, papa et Phoebe, ainsi qu’à Freda, Albert,
David et Katherine. Merci d’être mon filet. Je vous aime tous.
Merci à Lucas et Pearl de me donner mille raisons chaque jour.
Et bien sûr, à Andrea. Pour tout.
Chercher de l’aide pour un problème
de santé mentale
Un guide pour faire les premiers pas, prendre des décisions éclairées
et obtenir le soutient qui vous convient.