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Brève Présentation

Incendies est le second volet d’une tétralogie intitulée Le Sang des promesses et introduite en 2005,
par le dramaturge libano-canadien Wajdi Mouawad. La pièce de théâtre narre l’histoire de trois
histoires qui cherchent leur débuts, de trois destins qui cherchent leur origine pour tenter de
résoudre l’équation de leur existence. Par l’intermédiaire du testament de leur mère enfermée dans
un mutisme inexpliquée depuis 5 ans, deux jumeaux, Simon et Jeanne, se découvrent l'existence
d'un père et d’un frère qu’ils vont devoir retrouver au Liban pour respecter ses dernières volontés et
leur remettre à chacun une enveloppe. Elle explore des thèmes rudes typique du théâtre
contemporain avec une puissance qui m’a serré la gorge : l’horreur de la guerre civile au Liban, le
traumatisme, l’importance du savoir, le mystère de l’origine et la réconciliation avec le passé.

Raisons

Ma première lecture remonte à deux ans et en toute honnêteté, comme le style d’écriture de Wajdi
Mouawad est assez complexe, mon immersion partielle dans l’intrigue ne m’a pas permis de
savourer Incendies dans son intégralité. J’ai jugé le début in medias res, c’est-à-dire de faire de la
mort le point de départ de l’intrigue, trop soudain. Ou encore, la pièce de Mouawad dans son
ensemble m’a paru déconcertante puisque l’espace scénique fait coaliser différentes temporalités et
lieux, c’est le cas par exemple durant l’incendie du bus de réfugiés : sur scène les bruits des
marteaux piqueurs de la banlieue québécoise se font assourdissants, mais évoquent parallèlement
les tirs des miliciens sur l'autobus au Liban, et les arrosoirs des pelouses du notaire « crachent du
sang et inondent tout ». Pourtant si j’ai choisi cette lecture cursive pour mon entretien c’est en partie
parce que sa relecture m’a permet d'établir une distance critique avec ma personne d’il y a deux,
m’a offert la possibilité d’effectuer un travail d’introspection et de constater mon évolution
personnelle sur le plan émotionnel. A ma deuxième lecture, j’ai pu relever des subtilités qui
témoignaient de ce changement de perception comme l’omniprésence du chiffre 3, les leitmotiv, la
dualité des identités… De ce fait j’ai ainsi pu redécouvrir Incendies comme une seule et même unité
où tout se répond. Comme Nawal le dit il faut « essayer de lire dans le vol des oiseaux les augures
du temps. Deviner. » car lire Incendies tend à nous inscrire dans une démarche constante
d’investigation.

Scolairement, j’estime avoir un esprit scientifique, et le fait d’inclure une doctorante en


mathématiques dans la liste des personnages qui appréhende le réel et rationalise le monde par les
mathématiques, m’a particulièrement plu car cela a permis de rendre le récit plus vivant en
incorporant un domaine qui me captive. Dans « Théorie des graphes », Jeanne donne un cours sur
« l’application théorique de la famille vivant dans le polygone K », et inconsciemment, tout au long
du récit, j’étais dans cette démarche de tracer le graphe de visibilité et donc de trouver la forme du
polygone K concordant. Je suis admirative du choix pertinent de Wajdi Mouawad d’utiliser une
matière aussi complexe que les mathématiques pour mettre en relief la complexité des liens
familiaux. Malgré la science exacte que sont les mathématiques et qui nous mène à des certitudes
« 1+1 ne font pas 1,9 ou 2,2. Ils font 2 », des conjectures existent et elles ne manquent pas de nous
ébranler dans nos fondements car 1+1 peut également valoir 1, tout comme le père et le frère
peuvent représenter une même personne.

Qu’avez-vous à dire sur le chiffre 3 ?


Comme dit précédemment Incendies est une production articulée et mûrement élaborée par l’auteur.
D’emblée la récurrence du chiffre 3 est un indice semé à notre insu qui annonce le dénouement.
Nawal Marwan lègue trois objets : la veste en toile verte avec 72 à l’endos, le cahier rouge et le
stylo noir. Dans « Théorie des graphes et vision périphérique » Ralph, l’entraîneur de Simon,
présage déjà qu’ « Il y a trois choses à observer ». Jeanne poursuit en contrepoint « Il existe donc
trois paramètres ». Nawal exige qu’on lui lance trois seaux d’eau fraîche en guise d’adieu. En outre
lorsqu’elle revient pour remplir sa promesse envers sa grand-mère, celle de graver son nom, Nazira,
sur son épitaphe, elle fait son retour 3 ans après son départ. On remarque les horreurs de ce récit ont
pour la majorité un lien étroit avec ce chiffre 3, à titre d’exemple on peut citer l’épisode du
massacre des camps où un milicien préparait l’exécution de trois frères « Je compte jusqu'à trois, à
trois je les tire tous les trois ! ». Finalement, l’intrigue entière repose sur la délivrance de trois lettres
à leur destinataire : le père, le fils, les jumeaux.
Qu’avez-vous à dire sur la thématique du silence ?

Le silence dans la pièce revêt de nombreuses formes qui méritent une attention particulière et une
analyse poussée.

Le silence salvateur : Pour revenir à l’épisode du massacre des camps, cette hypotypose a vraiment
été source de réflexion chez moi car elle résonne étrangement avec l’histoire de Nawal : le prénom
de l’enfant sauvé, Nidal, ressemble étrangement à celui de Nihad. En l’occurrence, le silence de la
mère est ce qui lui permet de maintenir ses trois fils en vie car choisir d’en épargner un équivaut à
consentir au meurtre des autres. Plus tard Nawal choisira l’option du silence, pour sauver l’amour
qu’elle a pour son fils et briser le cycle de la violence « Mais là où il y a de l’amour, il ne peut y
avoir de haine. Et pour préserver l’amour, aveuglément j’ai choisi de me taire ».

Selon moi, lorsque Nawal dit dans sa lettre à Nihad « Au-delà du silence, il y a le bonheur d’être
ensemble » cela signifie que le silence de ses enregistrements est une possibilité de reconstruction
d’autant plus la pièce se termine sur l’écoute des cassettes dans une pluie torrentielle comme si cette
même pluie permettait à l’incendie intérieur de ses enfants de s’éteindre.

Le message sous le silence : Selon Jeanne, la solution se situe dans la compréhension, et


parallèlement la compréhension se situe dans le silence de sa mère : « Il y a quelque chose dans le
silence de ma mère que je veux comprendre, que MOI, je veux comprendre !
Le silence comme symbole de douleur : La vérité de ce drame familial ne peut qu’engendrer le
silence comme l’énonce Nawal « Le silence est pour tous devant la vérité ».

Par exemple, dans « La voix des siècles anciens », après l’entrevue avec Chamseddine qui apprend
à Simon l’identité de son père et de son frère, qui ne font qu’un, il garde le silence plusieurs jours
durant « Et les étoiles se sont tues en moi […] en toi le silence des étoiles et celui de ta mère. En toi.
»
Ce même silence est celui dans lequel plonge succinctement Jeanne lorsque Fahim, le concierge de
l’école autrefois garde de la prison de Kfar Rayat, achève le récit de l’accouchement de Nawal. Ses
premiers mots sont : « Oui, c’est très bien ».

Le silence de la honte : J’ai observé que le silence dans Incendies n’était pas le contraire de la
parole mais la négation de celle-ci. La première expérience de négation que Nawal éprouve
commence lorsque sa mère Jihane dit « Oublie ton ventre ! … Ce que tu vois ne compte pas ! Cet
enfant ne te regarde pas. Il n’existe pas. Il n’est pas là. ». Ici le silence souffert sous sa mère était un
acte d’oppression. Similairement, les questions que Sawda pose à ses parents au sujet du massacre
de son village sont écartées. Elle demande « Pourquoi a-t-on quitté le Sud ? » mais, soit ils ne disent
rien, soit ils disent simplement « Oublie »

Quel est ton personnage préféré ?


Je n’ai pas de personnage préféré mais Nihad Harmanni est de loin le plus déchirant d’Incendies car
c’est l’incarnation actuelle du destin de milliers d’enfants nés en contexte de guerre qui grandissent
sans développer d’empathie, formés dès le plus jeune âge à tuer et baignés dans les atrocités.
L’ambivalence de ce personnage a provoqué chez moi un désarroi. En premier lieu, la haine ne peut
qu’être alimenté par la mise à nu de la violence de ce tortionnaire pour qui le chant est un
divertissement au même titre que le meurtre. Dans « L’homme qui joue » dans un anglais
approximatif, Nihad interprète les premiers accords de The Logical Song de Supertramp (dont les
paroles interrogent l’identité « Please tell me who I am ») mais soudainement son attention est
attirée par quelque chose au loin et presque mécaniquement il tire 5 fois de suite et retourne vaquer
à ses occupations, comme si ce photographe abattu n’était pas une vie mais un gibier. Dans « Les
principes d’un franc-tireur », dans son dialogue imaginaire avec Kirk, il affirme « I kill children. No
problème. Is like Pigeon, you know. ». Même lors de son procès, Nihad revêt une personnalité
abjecte et sadique puisqu’il dit « Ceux que j’ai giflés et celles que j’ai violées avaient toujours un
visage plus émouvant après la gifle et après le viol, qu’avant la gifle et qu’avant le viol ».
Finalement c’est le témoignage de Nawal lors de son procès qui a achevé d’accroître mon dégoût «
lorsque l’eau mélangée à l’électricité, lorsque les clous sous les ongles, lorsque le pistolet chargé à
blanc dirigé vers moi […] L’urine sur mon corps, la vôtre, dans ma bouche ». Ce témoignage
pourrait aussi bien être celui de Souha, une militante communiste arrêtée pour tentative d’assassinat
sur Antoine Lahd, que celui d’innombrables femmes à l’heure actuelle. Il n’est pas fictif mais
constitue une réalité : les femmes sont encore aujourd’hui les cibles privilégiées de la cruauté de
l'ennemi.
Mais Nihad est devenu ce qu'il est par un enchaînement de circonstances : le poids des origines
incertaines, une identité déchirée, l’absence d’une figure maternelle. Ce tout a provoqué ses
comportements inhumains. Même le dramaturge « Enfant, il guettait le passage des miliciens pour
s’occuper de leurs armes et se faire un peu d’argent de poche. Enfant, il rêvait du jour où il aurait sa
propre kalachnikov ». Chamseddine nous informe qu’ « il l’a cherchée des années, sans trouver.
Alors il s’est mis à rire à propos de rien. Plus de cause, plus de sens. ». Sa quête échouée d’identité
est l’élément déclencheur de son attitude nihiliste et du changement en bourreau, Abou Tarek.
D’autres propos de Chamseddine sont poignants car on apprend qu’ « Il ne l’a pas tuée car elle
chantait et il aimait sa voix ». Comme si l’enfant logée en Nihad trouvait un confort émotionnel
dans la voix de sa mère, qu’il ne reconnait pas mais que son inconscient a identifié.
Autre point de confrontation : le nez de clown que lègue Nawal à son fils. Chez Nawal, ce nez
symbolise à la fois l’amour de Wahab et l’amour qu’elle a pour son fils, il est le point de réunion
entre ces trois êtres. Mais il est paradoxalement source de rancœur chez Nihad, qui donne une
interprétation hostile à ce nez, celle que sa vie n’est qu’une mascarade. Ce nez est la matérialisation
même de son indignité aux yeux de sa mère « Ma dignité à moi est une grimace laissée par celle qui
m’a donné la vie ».
Le personnage le moins aimé ?
Sans doute Jihane, la mère de Nawal, qui perpétue l’image de l’enfant illégitime et de la mère
comme une preuve de l’infâmie et du déshonneur. Elle dit à sa fille « Tu reviens avec ton ventre
souillé, et tu te tiens droite devant moi […] Tu reviens de la forêt ». L’adjectif « souillé », venant de
sa mère, à quoi se superpose ensuite l’humiliation de s’agenouiller sans quoi elle aurait été forcée
de quitter le domicile familial est, je pense, un acte de barbarie et impardonnable. Jihane est
condamnable pour avoir arraché l’enfant de Nawal de son ventre, puis de ses bras et enfin de sa vie
et me paraît responsable du malheur de Nawal, de Nihad, de Jeanne et de Simon.
Des informations sur la guerre du Liban ?
L’intrigue se déroule sur une toile de fond historique : la guerre du Liban de 1975 à 1991. Le
confessionalisme est un système politique qui prédomine au Liban (le pouvoir politique y est réparti
entre les différentes communautés religieuses, c’est-à-dire que le président est chrétien maronite, le
premier ministre est musulman sunnite, le président de la chambre des députés est un musulman
chiite et son vice-président est un chrétien orthodoxe). Mais l’afflux massif de palestiniens après la
déclaration d’indépendance d’Israël change la démographie du pays, les chrétiens sont de plus en
plus minoritaires. De plus, le Liban se retrouve impliqué dans le conflit israélo-palestinien quand le
sud du pays devient une base de combattants palestiniens. La guerre civile se déclenche ensuite à la
manière décrite par le médecin dans « Orphelinat de Kfar Rayt » c’est-à-dire que « l’histoire peut se
poursuivre de fil en aiguille, de colère en colère, de peine en tristesse, de viol en meurtre, jusqu’au
début du monde ».
Les arts sont un moyen important où des sujets difficiles comme les atrocités de la guerre peuvent
être apportés à la vie. Selon moi Incendies pose la question du « vivre ensemble » entre différentes
confessions ou communautés, en évoquant de manière poignante les horreurs de la guerre civile et
le chaos dans lequel elle peut plonger un pays qui résonne avec le monde réel : le conflit israélo-
palestinien, le génocide des ouïghours, le sort des chrétiens en Afghanistan... C’est précisément le
cadre imprécis de la pièce « le pays natal »,« le pays de votre mère » qui engendre un sentiment
d’abstraction qui permet de dénoncer la notion entière de guerre que Nawal définit comme un « jeu
d’imbéciles [qui] se nourrit de la bêtise et de la douleur qui t'aveugle".
C’est notamment l’absurdité de la guerre qui est exposée : nul ne se souvient de la cause de cette
violence mais tous participent à cette « addition monstrueuse de la douleur ». « Ma mémoire
s’arrête là » dit le médecin de l’orphelinat « Quelle guerre ? » demande Sawda.
Quels liens entre cette œuvre et le parcours associé « crise personnelle, crise familiale » ?
Il faut envisager Incendies comme un moyen de penser la crise.
De prime abord, la crise se manifeste à la lecture du testament et porte sur l’amour qu’ils n’ont
jamais reçu : “l’absence” injustifiée ainsi que le secret jamais révélé vécu comme une trahison.
Simon laisse éclater sa colère contre sa mère, tandis que Jeanne, probablement en prise avec une
colère plus froide, ne manifeste aucune émotion. Ce dernier déplore son impassibilité, sa négligence
voire son déni du rôle de mère en les désignant par les appellations exempts d’amour « enfants
jumeaux nés de mon ventre » « le jumeau et la jumelle » qu’il transfigure en « tas de vomissure ».
Comme elle s’est affranchie de son devoir de mère, il refuse de lui accorder ce titre et ne veut pas
honorer ses volontés. Ses propos à l’égard de sa défunte mère sont d’une violence et d’une vulgarité
insolite « Je lui cognerais le cadavre ! » « On va y cracher dessus ! »
La crise des jumeaux trouve néanmoins une fragile résolution dans la vérité de leur origine, un
soulagement, car elle facilite la compréhension de la difficulté de leur mère d’aimer l’ « infecte
torture » qu’ils représentent. Toutefois de l’horreur est né de la beauté car Nawal a su dépasser le
fait de voir en ses progénitures le rappel du drame qu’elle a vécu et les qualifie de « beaux,
intelligents, sensibles, [qui] portent en eux les victoires et les défaites ». Même si la boucle est
bouclée, les jumeaux doivent encore apprendre à assumer leur origine.
Le personnage de Nawal est, dans Incendies, victime d’un tel déchirement, en ce qu’elle ne peut
concilier la promesse d’amour sans réserve faite à son fils et le désir de justice qu’elle réclame, pour
elle-même et pour les autres victimes des tortures de ce même fils : le diptyque « Lettre au père » /
« Lettre au fils » « Je parle au fils car je ne parle pas au bourreau », signifiant par sa juxtaposition
que ces deux moitiés de la vérité ne sauraient être dissociées, et qu’aucune ne saurait l’emporter sur
l’autre.
La notion d’« incendie » même est synonyme de « crise » car ce terme peut avoir pour signification
“bouleversement […] violent, susceptible de troubler l’ordre établi ». Le terme « incendie » évoque
la violence du rite de passage menant à l’âge adulte provoqué par la quête des origines, il s’agit
d’un feu destructeur, en ce qu’il entraine une « déconstruction », mais également créateur, en ce
qu’il permet la naissance d’un nouvel être avec une nouvelle identité notamment par la découverte
de leurs vraies prénoms.
-Crise d’identité de Nihad.
Avez-vous gardé en mémoire 1 phrase ? Pourquoi l’avez-vous retenu(e) ?
Les deux leitmotiv de cette pièce de théâtre sont « Maintenant que nous sommes ensemble, ça va
mieux » et « l’enfance est un couteau planté dans la gorge ».
“L’enfance est un couteau planté dans la gorge” sont les paroles de Nawal à 14 ans adressée à
Wahab pour lui annoncer sa grossesse, leurs dernières paroles d’adieux alors que Nawal n’est âgé
que de 15 ans, les dernières paroles d’une mère à ses jumeaux dans son testament. J’identifie cette
phrase comme une métaphore du silence, c’est-à-dire, que l’enfance soit un couteau planté dans la
gorge ne signifie rien d’autre que la violence d’un passé dont on est dépossédé empêche la voix de
s’élancer et nous prive aussi d’un avenir. La beauté du récit émerge alors dans le dénouement final
qui finit sur la note positive dans la lettre au fils « L’enfance est un couteau planté dans la gorge et
tu as su le retirer. A présent, il faut réapprendre à avaler sa salive ». L’ironie, en tant que lectrice
est que le couteau qui était retiré de la gorge de Nawal semblait se planter dans ma gorge de telle
sorte qu’il m’a fallu un moment pour me sortir de cet état aphasique. Je suis restée, dans le sens
propre du terme, sans voix.
« Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux » sont les dernières paroles de Wahab qui
clôturent leur dernier dialogue. Ces paroles sont mémorables puisque ce sont également celles qui
briseront le silence de Nawal à l’hôpital le jour et l’heure de l’anniversaire des jumeaux.
Qu’avez-vous à dire de manière formelle sur l’œuvre ?
Dans Incendies, le langage des personnages est généralement élaboré de manière très épurée, très
simple, sans effets de style, ou au contraire avec de nombreuses familiarités voire des injures
(surtout pour Jeanne et Simon), les lettres de Nawal, écrites en vers libres, en prose, très imagées et
très touchantes, sont de très beaux moments de poésie. Plusieurs registres s’entremêlent : comique
avec la faconde verbeuse d’Hermile Lebel et sa torture de certaines expressions de la langue
français « c’était pas la mer à voir » « l’enfer est pavé de bonnes circonstances » « comme des
chevaux sur la soupe » « Rome ne s’est pas construire en plein jour » « endive sous roche », lyrique
avec les répliques de Nawal qui ont un aspect philosophique et ancien « Ne haïr personne, jamais, la
tête dans les étoiles, toujours. » sont les valeurs que revendique Nawal face à la colère de Sawda
après le massacre des camps. Sa lettre au fils est particulièrement poétique du fait des nombreuses
images qu’on y trouve (oiseaux et confins), l’anaphore de « Je t’ai cherché », l’accumulation
d’adverbe « Là-bas, ici, n'importe où », rime « horreur » // « bonheur » …
Quel passage de l’œuvre vous a le plus marqué(e) ? Pourquoi ?
La scène qui m’a le plus heurtée est la scène 19, située au cœur de la pièce, qui en compte 38. Par sa
place centrale, elle résonne avec l’importance que Wajdi Mouawad accorde à l’épisode de
l’incendie du bus, un souvenir d’enfance. La scène est rapportée par un témoin direct, Nawal elle-
même, dans l’émotion du moment, lorsqu’elle s’adresse à Sawda. Ce récit m’a bouleversé par à
cause des détails précis et saisissants. La scène était décrite de manière si vivante qu’on a
l’impression d’y assister. Il me reste encore en tête aujourd’hui la vision d’horreur, les images
insoutenables de la peau de la mère, déjà morte, et de l’enfant, encore vivant, qui fondent et qui
subit une mort lente et cruelle. Ce témoignage pointe du doigt la monstruosité inhumaine des
guerres. Si Wajdi Mouawad choisit de ne pas ancrer l’épisode précisément dans le contexte de la
guerre civile du Liban, c’est pour donner à son texte une portée universelle. Mort lente et cruelle de
l’enfant
Des œuvres en commun ?
Le mystère entoure la naissance de Nihad et sa conception à l’instar d’Œdipe qui fut abandonné par
Laïos et Jocaste. Un jour l’oracle lui prédit un parricide. Il renonce à retourner vers ceux qu’il croit
être ses parents. Sur le chemin de son errance il tue un voyageur (son père), sauve la ville du
Sphinx, et en devient le roi en épousant Jocaste (sa mère) avec qui il aura des enfants. Lorsqu’il
apprendra que l’oracle s’est réalisé, il se crèvera les yeux.
On pourrait rapprocher certains personnages d’Œdipe et d’Incendies : ∙
Le devin Tirésias = Chamseddine ∙
Le messager = le gardien de la prison, le guide.
Le berger (l’esclave)= le berger (Malak)

Les liens avec Juste la fin du Monde


-Cette pièce de théâtre, comme Juste la fin du monde, invite à l’imagination, se prolonge par-delà la
dernière page. Comment Nihad et les jumeaux supporteront la violente réalité, comment vivre après
la révélation de l’horreur ?
-Comme Suzanne, Simon tend à vouloir vivre une relation exclusive avec elle. Il refuse qu’elle tisse
des liens avec d’éventuels autres membres de leur famille, il veut réduire le noyau familial à eux
deux. « ... Pas de père, pas de frère, juste toi et moi. » p71 + « Non ! ça me concerne aussi. Tu n'as
plus que moi et je n'ai plus que toi. Et tu fais comme elle fait. Tu deviens comme elle » p54.
-Le silence s’instaure entre les répliques, dans le manque d’écoute des personnages qui renforce
l’échec de la communication. Le silence n’est pas nécessairement une absence de parole. Il se
manifeste aussi dans le lien brisé entre les personnages. Page 97.
-Compte tenu des problèmes de communication que connaissent les personnages, comment
peuvent-ils témoigner ? Comment dire ?. Quels mots pour décrire la catastrophe ? On retrouvera
cette thématique dans Juste avant la fin du monde de Lagarce. Comme la maladie de Louis « Il y a
des vérités qui ne peuvent être révélées qu’à condition d’être découvertes. »

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