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NOTE DE VEILLE
Douze ans de prison, ainsi qu’une inéligibilité à vie, ont été requis lundi contre la vice-présidente argentine Cristina
Kirchner, qui nie l’intégralité des faits de corruption qui lui sont reprochés.
Ludovic Lamant
23 août 2022 à 18h46
Le jugement ne sera sans doute connu qu’à la fin d’année, à l’issue des plaidoiries de la défense. Mais les réquisitions formulées
lundi à l’encontre de la vice-présidente Cristina Kirchner ont fait l’effet d’un coup de semonce dans la politique argentine, à un
peu plus d’un an du scrutin présidentiel : douze ans de prison et une inéligibilité à vie.
La péroniste de gauche, 69 ans, est jugée dans un procès en distanciel ouvert en 2019, mais retardé à cause de l’épidémie de
Covid, pour « association illicite et administration frauduleuse aggravées ». Cette affaire de corruption porte sur une attribution
de marchés publics dans son fief politique de la province de Santa Cruz, en Patagonie, alors qu’elle était cheffe de l’État (2007-
2015). Douze autres coaccusés sont jugés à ses côtés.
La vice-présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner lors d'une session publique du Sénat, à Buenos Aires, le 10 août 2022. © Photo Juan Mabromata / AFP
Dès lundi, Cristina Kirchner, qui est aussi présidente du Sénat depuis 2019, s’est dite victime d’« un peloton d’exécution
médiatique et judiciaire ». Mardi, dans la matinée, elle s’est exprimée lors d’une intervention retransmise sur les réseaux sociaux
durant plus d’une heure trente, depuis ses bureaux du Sénat, flanquée d’un drapeau argentin et, sur le mur du fond, d’une
photographie d’elle et de son mari Nestor, l’ancien président décédé en 2010 (voir la vidéo ci-dessous).
Montrant des coupures de presse ou lisant des fils de conversation WhatsApp versés au dossier, elle a répété, comme elle l’avait
déjà affirmé en ouverture du procès en 2019, que « le verdict était déjà écrit ». « Ce ne sont pas des accusations mais une fiction.
Rien n’est prouvé », a-t-elle encore lancé, assurant que ce procès était non pas le sien mais celui du péronisme tout entier.
Le procureur Diego Luciani a dénoncé « un authentique système de corruption institutionnel », allant jusqu’à dire qu’il s’agissait
ici de « la plus grande manœuvre de corruption de l’histoire du pays ». D’après lui, Cristina Kirchner, parce qu’elle s’est enrichie
aux dépens de l’État, « a déçu les attentes des citoyens qui ont voté pour elle » et n’était motivée que par la recherche d’un
« enrichissement individuel ». L’autre représentant du ministère public, Sergio Mola, a évoqué « des irrégularités systématiques
dans 51 appels d’offres sur 12 ans ».
D’ordinaire parcourue d’infinies divisions, la famille péroniste, y compris l’actuel président Alberto Fernández, a
immédiatement serré les rangs. Dans un communiqué, la Casa Rosada a condamné une « persécution juridique et médiatique »,
assurant qu’« aucun des actes imputés à la vice-présidente n’a été prouvé ». Le ministre des affaires étrangères, Santiago Cafiero,
dénonçant une manœuvre de la droite avant la présidentielle de 2023, n’a pas tardé à faire le parallèle avec la situation des
anciens présidents brésilien et bolivien, Lula et Morales.
Même le ministre de l’économie, Sergio Massa, qui vient de prendre ses fonctions, est monté au créneau, estimant qu’« il est
absurde de considérer que le chef d’une administration est responsable de chacun de ses fonctionnaires ». Le quotidien espagnol El
País n’a pas manqué d’ironiser : « Ce fut une sortie élégante, de la part de quelqu’un qui fit campagne pour la présidence [en 2015 –
ndlr] en promettant qu’il mettrait Kirchner en prison. »
Lundi soir, des soutiens du camp « K » – pour Kirchner – se sont rassemblés devant le domicile privé de l’ancienne présidente,
dans le quartier chic de la Recoleta, et des heurts se sont produits avec les forces de l’ordre. Hebe de Bonafini, présidente –
controversée – des Mères de la place de Mai, a plaidé pour un « rassemblement populaire » en soutien à Kirchner, tandis que
Luis D’Elía, syndicaliste et figure du mouvement piquetero, ces ouvriers qui bloquent les routes du pays en signe de protestation,
assurait que la vice-présidente est « innocente ».
« Les “K” veulent jouer cette procédure judiciaire dans la rue », commentait lundi soir le journaliste Jorge Lanata, qui fut le
premier directeur du quotidien de gauche Página 12. Ce dernier juge « réparatrices » les réquisitions formulées lundi, parce
qu’elles prouvent que la justice argentine, aussi critiquée et lente soit-elle, peut fonctionner : « Il est important pour notre
démocratie que cela aille jusqu’au bout, jusqu’au verdict, qu’un pouvoir puisse juger le membre d’un autre. »
Preuve d’une ambiance particulièrement tendue à Buenos Aires, un soutien de Kirchner au sein de la justice a cru bon de faire le
parallèle entre le procureur Diego Luciani, qui a rédigé les réquisitions du procès en cours, et Alberto Nisman, procureur retrouvé
mort en 2015 après avoir accusé Cristina Kirchner d’avoir cherché à étouffer l’enquête sur un attentat commis sur le sol argentin
en 1994. Des députés et juristes soutiens du camp péroniste ont aussi fait valoir que l’accusation d’« association illicite » était
inconstitutionnelle.
La vice-présidente bénéficie à ce stade d’une immunité. En cas de condamnation, seule la Cour suprême pourrait la lever. Selon
le décompte de l’Agence France-Presse, Cristina Kirchner a été mise en cause ces dernières années dans une dizaine de dossiers
distincts, entre pots-de-vin, blanchiment de fonds, préjudice spéculatif occasionné à l’État ou entrave à la justice. Elle a bénéficié
de non-lieux, deux récemment fin 2021. Cinq procédures restent en cours.
Ludovic Lamant
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