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Le guévarisme –
sous l’étoile du Che
Le pouvoir
Pour le Che, le devenir libertaire que constitue la mission du
révolutionnaire ne peut se réduire à la raison d’État. Il ne peut se
faire complice des répartitions du monde. Pour lui, le révolution-
naire est au contraire celui qui développe de multiples chemins
de libération et son rôle (ou son essence) n’est nullement de déci-
der depuis le pouvoir et pour celui-ci comment doit être la vie ou
qui doit être sacrifié au nom de la raison d’État.
Ainsi, le point de vue du pouvoir ne peut pas coïncider avec
celui de l’émancipation de la puissance. Le premier est par
définition structurel et ne dépend pas de la bonne ou mauvaise
volonté de celui qui l’assume. Deux hypothèses peuvent
s’opposer par rapport à la relation entre la contestation et le
pouvoir, si le pouvoir est conçu selon la vision classique de la
modernité, comme un ensemble d’appareils et de structures du
pouvoir central ; c’est-à-dire comme le pouvoir visible et effi-
cace à partir duquel se définit, s’oriente et se fonde la réalité
d’une nation ou d’un pays.
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Il refusa le pouvoir
Un siècle plus tôt, un compatriote du Che procédait selon la
même logique que lui : le général San Martín – chef des armées
anticolonialistes qui avaient libéré la moitié de l’Amérique
latine –, se trouvant face à Bolivar à Guayaquil, déclara que sa
mission de libérateur était terminée et qu’il devait dès lors se
retirer. Il énonça en fait sans ambiguïté ce qui allait être sa
ligne de conduite jusqu’à la mort : « Le sabre du libérateur
devient celui du tyran si le premier ne se retire pas à temps. »
Le libérateur – que ce soit celui du joug colonial espagnol
ou celui de la dictature de Batista – ne peut subséquemment
occuper le pouvoir parce que son aura de libérateur induit une
asymétrie bien trop importante entre lui-même et les autres. Et
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Désirer l’impossible
Pour la plupart de nos contemporains, face aux problèmes
sociaux, politiques, écologiques ou économiques, l’alternative
paraît claire.
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L’homme nouveau
Le débat et la théorisation sur le concept d’homme nouveau
ont surgi d’un litige bien concret survenu quand le Che était
ministre de l’Économie. Deux positions se sont alors affron-
tées : le ministre guérillero se prononçait pour ce qu’il appelait
les « stimulants moraux », auxquels la tendance prosoviétique
opposait les « stimulants matériels ». Derrière la banalité appa-
rente de cette opposition qui pourrait sembler une simple dis-
corde sur un détail technique, se cachent deux positions
politiques, mais aussi et surtout deux conceptions philosophi-
ques et éthiques complètement opposées.
Si le Che ne développe pas plus amplement cette question
dans ses travaux théoriques, c’est sûrement pour éviter de cris-
talliser de manière trop visible cette divergence profonde et
pour ne pas déclencher des ruptures précoces, car il était sans
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Du romantisme au volontarisme
Le corollaire politique sur lequel tous les guévaristes étaient
d’accord – et qui se fondait sur les bases de l’homme nouveau
– contenait un élément romantique qui s’articulait parfaitement
bien avec les mouvements de contre-culture et avec les ancien-
nes philosophies indiennes : c’était la conviction de lutter sans
croire qu’un monde futur sans injustices et plein de bon-
heur soit possible. On luttait en vue d’un changement qui
devait se concentrer sur des pratiques concrètes ici et mainte-
nant et non en vue d’une possibilité historique d’une future
société « qui ne connaîtrait pas le mal ».
Il y a avait dans le mouvement alternatif cet élément pro-
fondément romantique et révolutionnaire de la non-croyance
en un triomphe final et absolu. Dans cette vision-là, l’utopie et
la rédemption étaient des éléments qui structuraient le présent
et non la promesse. Nous nous rejoignions sur ce point que
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dre à lui dès son arrivée par des grèves et des mouvements
actifs qui allaient prendre des formes insurrectionnelles ; les
villes et le centre où le PC devait s’occuper de coordonner les
luttes de mineurs avec celles des villes et des champs ; et le
front militaire où était le Che avec ses colonnes. À ces forces
devaient s’ajouter des colonnes de soutien qui devaient arriver
d’Argentine et peu à peu d’autres endroits du cône Sud.
L’axe central du projet dépendait du PC bolivien, car il devait
assurer l’infrastructure, les contacts et la propagande. C’est
dire que Guevara, suivant le conseil de Fidel, avait confié une
partie vitale du projet au PC local qui était alors dirigé par un
ancien mineur, appelé Monjes. Après l’arrivée du Che en Boli-
vie, non seulement le PC commençait à manifester des « dys-
fonctionnements » mais aussi après une longue attente qui
désorganisa passablement l’installation des guérilleros, il mon-
tra clairement son intention d’abandonner le projet.
L’excuse donnée par Monjes était que lui-même devait diri-
ger ces opérations – ce à quoi le Che s’opposa. En réalité
l’argument de Monjes était un pur mensonge pour justifier que
le PC abandonne le Che et ses combattants au pire moment, les
laissant dans une situation impossible : une fois la colonne
déployée en pleine forêt bolivienne. Les mineurs lancèrent
cependant la grève et menèrent à bien des actions très difficiles
de soutien aux combattants ; mais sans la logistique du PC qui
devait leur permettre d’entrer en contact avec les autres, la
coordination devint impossible.
Il est impossible d’imaginer que le PC bolivien ait agi de sa
propre initiative en désobéissant aux ordres de Moscou ou de
La Havane. Il faut admettre que le Che fut d’abord abandonné
par ces centres de pouvoir. La suite de l’histoire, on la connaît
bien : Guevara n’arrive pas à croire que la trahison du PC et de
ses chefs soit définitive et décide alors de continuer l’action,
sans penser un seul instant qu’il pourrait vaincre avec cette
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La constitution de l’ERP
Vers 1965 est créé en Argentine ce qui allait devenir le
principal mouvement de contre-pouvoir et de guérilla dans
l’histoire du pays : issu du PRT (Parti révolutionnaire des
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fut sans aucun doute l’un des événements les plus puissants et
heureux qui marquèrent le début du mouvement guévariste en
Argentine. La réalité émergeait enfin dans un pays où le
racisme était si ancré dans le quotidien qu’un professeur par
exemple – en dépit d’une peau aussi mate que la terre – pouvait
traiter tranquillement d’« Indien » un élève qui n’apprenait pas
ses leçons. Dans l’Argentine qui se rêvait blanche, être indien
était purement et simplement une insulte.
La société d’Européens imaginaires remarquait uniquement
l’existence d’Indiens parmi ses précaires, ses femmes de cham-
bre, ses balayeurs, ses soldats, ses chômeurs et bien entendu,
parmi ses criminels… Ainsi, pour l’Argentine réelle – qui ne
correspondait pas avec le modèle majoritaire construit par les
élites néocolonialistes et soutenu par la gauche – ne s’ouvraient
que deux chemins : la négation de soi, consistant à travestir sa
propre identité afin de se conformer au formatage de l’Argen-
tine européenne où la culture s’identifiait seulement à l’Occi-
dent ; ou bien la soumission à un chef qui incarnait le
péronisme, et finirait par négocier tôt ou tard avec le pouvoir
en place.
Contrairement à la gauche, le guévarisme n’adhéra jamais à
l’antipéronisme, mais il ne passa pas non plus d’accords avec
les gouvernements des chefs qui formaient la base du péro-
nisme. Outre les Indiens, l’ERP rassembla aussi, comme nous
l’avons dit, nombre de jeunes des villes, d’ouvriers, d’étu-
diants, de hippies, d’artistes et de musiciens qui se rebellaient
contre les modèles sociaux existants et contre les modes de vie
que le système leur imposait. La contre-culture que des vents
nouveaux de liberté répandaient s’exprima également à travers
l’antipsychiatrie qui sut imposer sa voix révolutionnaire dans
un pays où – miracle ou aberration de l’histoire – la psychana-
lyse a toujours occupé une place très importante. La compo-
sante hippie et de contre-culture joua un rôle central dans les
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nes qui avaient investi leurs propres vies dans la guérilla dis-
parurent eux aussi.
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Le présent
Nous, qui refusions d’une manière ou d’une autre la logique
dure de l’affrontement entre l’« armée du Mal » et celle du
« Bien », agissions à partir d’un ensemble de mouvements,
d’expériences et de réalités marginales – même si beaucoup
d’entre elles ont été quantitativement importantes.
Parmi les mouvements qui ont su rester en marge de la
vision manichéenne de la lutte entre les deux blocs, se trou-
vaient entre autres le mouvement féministe, qui ne tomba
jamais complètement dans les griffes de la sphère d’influence
communiste, et le mouvement indigéniste qui y échappait fon-
damentalement à cause de l’incroyable mépris que lui mani-
festaient les mouvements communistes internationaux. En
effet, contre toute logique, les Indiens furent victimes d’une
double discrimination dans le mouvement révolutionnaire : en
partie à cause de K. Marx lui-même – en cela prisonnier de
son époque et de l’ethnocentrisme occidental – qui ne retrou-
vait pas du tout dans les revendications concrètes et immédia-
tes des populations indigènes le fantasme abstrait d’un
« prolétariat international ».
La contre-culture incarnée par ces mouvements spontanés et
divers qui commençaient à proliférer hors de la sphère
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Le devenir
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Ici et maintenant
Le ciment qui lie l’ensemble des mouvements alternatifs des
années 1960 pourrait se définir – mieux que par leurs pratiques
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Le protagonisme social
Le Che, dont la position est très proche de la critique déve-
loppée avec génie par Marcuse dans L’homme unidimension-
nel, fut sans doute capable d’observer la réalité sans se laisser
aveugler par l’idéologie. Cela lui permit de penser le change-
ment social comme une question très proche de la préoccupa-
tion anthropologique sur le « protagonisme social ». Marcuse
écrit que dans le monde capitaliste comme dans les sociétés
socialistes, l’homme existe dans une sorte de réduction de lui-
même, c’est-à-dire dans une forme unidimensionnelle qui est
la dimension utilitaire de la survie.
Il ne s’agira pas dans l’émancipation d’assumer la direction
de la survie utilitariste, mais plutôt d’arracher l’homme à cette
existence unidimensionnelle.
Très tôt, le Che manifesta son refus des sociétés disciplinai-
res qui maintiennent artificiellement la polarisation simpliste
de la période révolutionnaire afin de nier la complexité ; et il
essaya de comprendre de quelle façon les hommes pouvaient
s’unir et collaborer les uns avec les autres une fois la crise révo-
lutionnaire finie. Il savait par expérience que, face à l’adver-
sité, les hommes s’unissent, mais contrairement à Fidel et aux
communistes, son souci était de savoir comment faire pour que
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D’hypothèses et de pratiques
Dans un texte intitulé Les cadres, le grand dirigeant vietna-
mien Lê Duan explique que quand deux cadres révolutionnaires
discutent sur n’importe quel sujet, il est impossible que tous
deux aient raison, il y en aura un qui donnera des arguments
allant dans le sens de l’histoire et pas l’autre. Il est intéressant,
dans cet exemple au simplisme dogmatique, de voir s’exprimer
ouvertement quelque chose qui caractérise l’une des croyances
centrales de l’homme occidental, même au-delà du milieu mili-
tant et révolutionnaire, à savoir la conviction profonde que,
dans chaque situation et face à tous les problèmes, l’homme doit
pouvoir trouver, découvrir ou inventer une solution. Ceci pré-
suppose naturellement qu’il y a toujours une solution, quoi qu’il
arrive. Cette omnipotence totalement imaginaire est typique de
ceux qui, d’une manière ou d’une autre et à quelque titre que
ce soit, s’occupent et se préoccupent de ce qu’on pourrait appe-
ler le devenir du monde et de la société, protégés par la certitude
de quelques canons indiquant pas à pas et sans ambiguïté le
politiquement correct.
À l’extrême opposé de ce pragmatisme illusoire, l’avatar phi-
losophique de l’héritage guévariste consiste à pouvoir répondre
que si « faire quelque chose » devant l’horreur ou devant les
menaces revient à s’efforcer de changer volontairement le cours
des choses, alors on doit admettre que dans la plupart des cas la
seule chose qu’on puisse faire est de ne « rien » faire. Or, il n’est
jamais possible de ne rien faire ; et en plus nous ne savons rien :
rien sur le devenir ni sur les causes, rien sur le côté d’où pourrait
arriver la solution des choses.
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La gratuité du risque
Comment arracher du cœur du militant ou de l’homme poli-
tique le désir profond de manipuler la réalité et finalement de
la dominer ? Comment l’éloigner et l’extraire de cette position
imaginaire et dangereuse à partir de laquelle il fonde fréquem-
ment son engagement et sa volonté de changement ? Que faire
pour éviter qu’il ne devienne pas comme ces hommes qui pas-
sent leur vie à vouloir fabriquer la « machine à bonheur » et
qui finissent submergés par le malheur le plus profond, selon
le schéma que nous connaissons bien aujourd’hui, après un siè-
cle d’expériences révolutionnaires ? Au lieu de faire une apo-
logie de l’ignorance, il s’agit de comprendre qu’au-delà du
confort qu’on puisse trouver dans certains savoirs, au fond, il
ne nous est rien donné à savoir, à espérer, à croire : rien. Et
c’est justement cette inconsistance qui doit fonder notre enga-
gement, notre pari, notre prise de risque.
Ce sera sans doute plus dur et moins agréable d’emprunter
le chemin de l’engagement en abandonnant l’illusion plus ou
moins simpliste qu’à chaque pas on sait ce qui doit être fait, et
en acceptant que face à n’importe quelle situation concrète le
savoir, tous les savoirs, sera une condition absolument néces-
saire mais jamais suffisante. Pourtant, c’est seulement de cette
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Possible ou compossible
Le fait qu’un désir soit possible ne garantit en rien qu’il soit
réalisable. Il est par exemple possible d’imaginer un monde où
les hommes vivent en paix, où les gens soient solidaires entre
eux et l’oppression des femmes inexistante, etc., mais cette
possibilité existe sans être du tout réalisable dans la réalité
concrète. Si nous ignorons la différence entre le possible et le
réalisable, nous nous condamnons au volontarisme qui a, entre
autres défauts, celui d’être inévitablement éphémère. Le Che
lui-même tomba dans ce travers en prétendant catalyser le réa-
lisable à force de volonté.
Leibniz traite de ce sujet lorsqu’il établit la différence entre
le possible et le compossible, cette deuxième catégorie étant
un sous-ensemble de la première. Pour lui, est possible tout ce
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Pâtir ou agir
Dans notre civilisation marquée par les trois grandes reli-
gions monothéistes, la souffrance est assurément une valeur
sûre. Le fait de souffrir confère toujours un certain pouvoir.
Même dans la conversation la plus banale, celui qui raconte sa
souffrance s’installe automatiquement dans une position
« supérieure », centrale, où les autres lui doivent le respect et
l’attention, parce qu’il a souffert…
La souffrance – peut-être par ce goût de vérité – donne aux
vies des gens une sorte de dimension particulière de profon-
deur. Ceci ne cesse d’étonner les hommes et les femmes des
cultures non monothéistes : ils sont scandalisés par notre valo-
risation de la souffrance. Comment ne pas trouver aberrant et
impudique le fait que des milliers de gens exhibent fièrement
en pendentifs, dans leurs foyers et dans leurs temples, l’image
d’un pauvre juif agonisant, cloué à un instrument de torture ?
Que pourrait bien penser un visiteur venu d’une autre pla-
nète ou d’une autre époque en voyant l’idée que nous nous
faisons de Dieu ? L’exhibition du Dieu torturé et mort lui
paraîtrait, plutôt qu’un acte d’adoration, l’acte dissuasif le
plus efficace contre toute vocation de foi : « Vous qui vous
prétendez fils de Dieu, voici le destin qui vous attend : plus
vous m’aimerez, plus vous serez torturés. Depuis deux mille
ans, c’est comme cela et ce sera ainsi jusqu’à la nuit des
temps. » La violence implicite qui réside dans l’exhibition de
la souffrance est si flagrante que, même au sein du christia-
nisme, des voix se sont élevées pour condamner la pratique ;
les Cathares, par exemple, s’opposaient au port de la croix
car ils voyaient dans le symbole uniquement l’objet réel,
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Les « sans »
« Avec les pauvres de la terre, je veux tenter ma chance » :
José Martí écrivait cela et tous les jeunes, les Indiens, les tra-
vailleurs et les paysans de l’Amérique latine et indienne répé-
taient en cœur : Guantanamera, guajira guantanamera. Les
pauvres et les oubliés en général ne sont pas aux yeux du Che
des messies ou des sujets avant-gardistes d’un projet ou d’un
modèle du monde ; ils incarnent au mieux le défi d’un vrai
désir de justice et d’un monde pour tous et avec tous. En ce
sens, la lutte n’est pas un acte de philanthropie mais un refus
de la consistance équivoque et fallacieuse propre à la vie qui
nous fait sentir propriétaires de ce que nous ne possédons pas.
Les pauvres, les « sans » sont le témoignage constant du carac-
tère d’exil et d’inconsistance de la condition humaine ; ils évo-
quent la fragilité en tant que condition ontologique.
Mais la pauvreté n’est pas le reflet de la bonté, elle évoque
très concrètement le « commun », ce qui est ontologiquement lié.
Cette figure nous « réveille » en ce sens qu’elle nous fait aban-
donner cette illusion si perturbatrice pour Héraclite qui dit :
« Dans la foule, au lieu de saisir ce qui rassemble, chacun se
laisse vivre comme s’il avait son intelligence propre », niant ainsi
le logos universel qui nous lie au-delà de la séparation illusoire.
Pour les hommes éveillés, il n’y a, selon Héraclite, qu’un seul
monde possible ; tandis que les endormis vivent en croyant seu-
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Le 30e anniversaire
En août 1997, un journaliste de Radio France et moi pre-
nions nos sacs à dos et nous envolions en direction de La Paz,
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Vers la dispersion
Avec Guevara, c’est toute une époque qui s’achève. La disper-
sion biologique de son corps s’accompagne d’une vraie disper-
sion épistémologique ; c’est un éclatement des points de repère
et des points cardinaux qui ordonnaient les actions des êtres
humains. Après le Che, c’est une autre époque qui commence.
Peut-être que ce qui semblait clair au Che était clair de
manière structurelle dans ce monde-là, à cette époque-là. Une
époque et une culture avec ses pratiques et son environnement,
constituent le « soubassement » à partir duquel émerge un pay-
sage déterminé, une disposition, un moment de l’être. Ce pay-
sage emblématique du Che, qui est marqué par une certaine
relation des hommes avec le monde, des hommes entre eux, et
avec leur histoire, disparut dans l’élan de la dispersion ; et avec
lui disparut la croyance en ce que nous pourrions appeler le
« sujet humain », l’homme qui fait l’histoire.
Guevara incarna un mode de protagonisme marqué par
l’affrontement contre les différents centres de pouvoir et par le
courage qui accompagnait ces luttes. « Prendre le ciel d’assaut »
requiert dans un premier temps de savoir où est le ciel… Paral-
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De solitudes
À la division du monde en deux blocs a succédé ce que nous
présentions avec Florence Aubenas comme une « construction
topologique du pouvoir », c’est dire que le monde se présente
comme un paysage étendu et peuplé de forteresses, avec des
îles de confort au milieu de larges « no man’s lands » de l’insé-
curité. Mais en même temps, cette disposition est fractale : il y
a des « no man’s lands » dans les forteresses et des forteresses
dans les bidonvilles et aucune frontière ne semble pouvoir arrê-
ter le chaos et l’inertie croissante de la dispersion. La pensée ne
réussit à trouver dans la réalité aucun point stable à partir duquel
sédimenter un discours, une analyse, une position de principe.
Paradoxalement, et contrairement à ce qui arrivait au début
de cette époque obscure et confuse des années 1980,
aujourd’hui il y a beaucoup de personnes qui désirent profon-
dément lutter, s’engager, militer ou tout simplement « faire
quelque chose contre l’horreur » ; mais personne n’a l’air de
savoir quoi faire, sauf certains « gardiens du temple » qui paient
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Remerciements
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Introduction ........................................................................................ 7
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