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Explication linéaire
Introduction
Explication
Les quelques lignes qui précèdent l’extrait préparent le lecteur à une vision
idyllique : « des sourires, des prévenances », un véritable « paradis ». C’est donc
tout naturellement que nous nous préparons à entrer dans un souvenir heureux.
Les enfants Gendron, Simone et sa sœur sont en taxi vers Vernon ; d’où le
« nous » qui inaugure le texte : « nous suivîmes la route de la corniche qui
domine le fleuve ». Ce détail référentiel, qui situe le lieu du souvenir, est très
vite oublié, puisque du « nous » nous passons au « je » de la narratrice, avouant
que le sujet du passage ne sera pas le paysage mais Clotilde : « je fus sensible
aux charmes du paysage, mais plus encore à la grâce de Clotilde ». Nous
remarquons ici l’opposition entre le « charme » et la « grâce », et continuité,
puisque le chant prépare à la grâce. Le paysage est comme une incantation, un
chant ; la grâce est ce qui brille, ce qui réjouit. Au sens biblique du terme, la
grâce est une aide donnée par Dieu pour les hommes. Clotilde prend déjà un
statut particulier ; elle est l’élue de Simone, et la suite du texte en est
l’explication. La ballade en taxi sur la corniche oubliée, nous sommes
maintenant au cœur du souvenir. L’attirance de la narratrice pour Clotilde révèle
son goût pour les rencontres intimes : « Elle m’invita, le soir, à venir dans sa
chambre et nous causâmes. » Clotilde est l’élue de Simone, de même que cette
dernière s’est sentie élue par Clotilde puisqu’elle « invita ». Les phrases qui
suivent sont un résumé de leur discussion nocturne, un discours narrativisé :
« elle avait passé ses bachots, lisait un peu, étudiait assidûment le piano ».
N’oublions pas qu’au moment où se déroule cet extrait, la narratrice a quinze
ans et demi et elle est en classe de seconde. C’est donc en jeune fille encore
« rangée » qu’elle agit. Clotilde est présentée par l’emploi de l’énumération
d’objets qui peuvent retenir l’attention de l’héroïne : les bachots, signe que
Clotilde va vers sa liberté – ce dont Simone a hâte : « je me tournai vers
l’avenir » ; lecture et musique, signes que Clotilde est intellectuelle et en plus
passionnée, d’où l’adverbe « assidûment ». Le texte se poursuit par un
rétrécissement du champ de vision sur le « secrétaire », « empli de souvenir »,
dont nous avons la liste : « des liasses de lettres, entourées de faveurs, des
carnets – sans doute des journaux intimes », des programmes de concerts, des
photographies, une aquarelle que sa mère avait peinte ». L’énumération de ces
objets posés sur le secrétaire obéit à un certain ordre. Nous allons d’abord
d’objets en rapport direct avec le réel (lettres, journaux intimes) a des objets où
le réel est filtré : photos, peinture. Pourquoi l’auteure focalise-t-elle sur les
objets ? En fait, ce n’est pas pour donner de l’authenticité aux propos, mais
plutôt parce que chaque objet remarqué sur le secrétaire est une façon de dire
quelque chose d’elle-même. Les liasses de lettres entourées de faveur ont le coté
suranné de la chevalerie ou des correspondances amoureuses. Les carnets sont
identifiés par la jeune fille émerveillée comme étant des journaux intimes, ce
qu’elle pratique elle-même. Les programmes de concerts sont l’ouverture sur
l’extérieur auquel elle aspire fortement. L’écriture se veut phénoménologique ;
d’ailleurs, elle procède par asyndète et énumération pour décrire les faits avec
précision et dans leur immédiateté, sans lyrisme si subjectivité. Ainsi, de cette
énumération sur le mode de l’exagération : « il me parut extraordinairement
enviable de posséder un passé à soi : presque autant que d’avoir une
personnalité. » Cette phrase est un commentaire de Simone adulte, qui examine
la jeune fille qu’elle était. Elle se moque de sa naïveté de jeune fille de quinze
ans, moquerie présente dans l’exagération « extraordinairement enviable. » Mais
en même temps, c’est un trait de caractère de Simone qui se révèle : rappelons
nous l’entrée au cours Désir (partie 1 p.32) : « l’idée d’entrer en possession
d’une vie à moi m’enivrait ». Aussi, la possession et la personnalité sont mises
sur le même plan ; jusque-là la narratrice se croyait un pur esprit, mais elle
découvre la matérialité qui serait témoignage d’une vie vraiment vécue. Comme
si les choses devaient témoigner de l’existence. La première partie de notre texte
se conclut par le commentaire sur cette amitié de jeunesse dans laquelle
l’utilisation des verbes est subtile et finement choisie : « je m’engouai d’elle. Je
ne l’admirai pas comme Zaza ». Nous assistons là à une sorte d’épanorthose par
laquelle elle corrige son ressenti. S’engouer, étymologiquement, signifie
s’étouffer sous la force de l’enthousiasme. Il y a effectivement enthousiasme
pour Clotilde et le propre de l’enthousiasme est d’être passager. Aussi, on peut
lire dans ce verbe « engouer » les défauts de Clotilde qui apparaîtront après le
passage. L’admiration, plus durable, demeure pour Zaza. Un premier défaut de
Clotilde est reconnu : « elle était trop éthérée », c’est-à-dire de nature céleste,
rejoignant la grâce évoquée au début du texte. Par contre, sa plus grande qualité
reste son côté typiquement « romanesque. » Clotilde est donc la jeune fille
pittoresque, singulière, celle qui excite vivement l’imagination, espace de tous
les possibles pour l’auteure, car elle a vingt ans, « ses bachots », des passions et
certainement des aventures. Aussi, conclut-elle, « elle me proposait une image
de la jeune fille que je serai demain. » Simone ne voit donc en elle que ce désir
de liberté et d’indépendance future. La suite du passage nous montrera qu’elle
s’est fourvoyée dans cette admiration, et cette image à la fois si passionnante et
déroutante que la narratrice s’est construite sur ce personnage et sur elle-même.
Conclusion