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RHÉTORIQUE ET

ARGUMENTATION
Licence 3
Nanourougo Coulibaly

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■ Introduction

■ PETITE HISTOIRE DE L’ARGUMENTATION

■ Le tournant 20ème siècle : l’ère de la « Nouvelle rhétorique » avec Perelman

■ Qu’est-ce que l’argumentation ?


– Les théories de l’argumentation

■ Les approches de l’argumentation dans le champ francophone


– Christian Plantin
– Olivier reboul
– J Moeschler
– BERTRAND, D.
– Ruth Amossy
– Emmanuel Danblon
– Marc Angenot

■ Les facteurs de l’argumentation

■ Les preuves oratoires/affectives : ethos et pathos

■ Les outils de l’analyse argumentative

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INTRODUCTION

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Dans son art Poétique (Gallimard, 1958), Roger Caillois
Joëlle Gardes-Tamine, La ■
raconte ainsi le début de la rhétorique, c’est-à-dire où elle
Rhétorique, 2002, Paris, prend sa source :
■ On raconte qu’il y’avait à New-York, sur le pont de Brooklyn, un
Armand Colin, P.7. mendiant aveugle. Un jour, quelqu’un lui demanda combien les
passants lui donnaient par jour en moyenne. Le malheureux
répondit que la somme atteignait rarement deux dollars.
L’inconnu prit la pancarte que le mendiant portait sur la poitrine
et sur laquelle était mentionnée son infirmité. Il la retourna et
écrivit quelques mots sur l’autre face. Puis la rendant à
l’aveugle :
■ voici dit-il, je viens d’écrire sur votre pancarte une phrase qui
accroitra notablement vos revenus. Je reviendrai dans un
mois. Vous me dirai le résultat. Et le mois écoulé :
■ Monsieur, dit le mendiant, comment vous remercier ? Je reçois
maintenant dix et jusqu’à quinze dollars par jour. C’est
merveilleux.
■ Quelle est la phrase que vous avez écrite sur ma pancarte et
qui me vaut tant d’aumônes ?
■ C’est très simple, répondit l’homme,
– il avait aveugle de naissance,
■ j’ai mis à la place :
– Le printemps va venir, je ne le verrai pas.

Commentaires?

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■ C’est dans la différence entre les deux formulations,
dont l’une est strictement informative alors que
l’autre fait que l’autre fait appel aux sentiments, que
s’engouffre la rhétorique et l’argumentation. Sa
nécessité se fait sentir chaque fois qu’il faut agir sur
autrui par la parole

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■ Argumenter c’est tenter d’agir sur un auditoire, de lui
faire partager un point de vue et surtout essayer
d’orienter sa façon de voir les choses, sa manière de

ARGUMENTATION penser. Une telle définition pose la question de la parole


efficace dans une situation de communication

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■ La Rhétorique est l'analogue de la Dialectique ; [...] est la faculté
de découvrir spéculativement ce qui, dans chaque cas, peut
être propre à persuader. (Aristote)
■ La rhétorique est la science de bien parler (Quintilien)

LA ■ La rhétorique est la négociation de la distance entre les


individus à propos d'une question (Meyer 1999 : 193)

RHÉTORIQUE ■ La rhétorique est l'art de persuader par le discours (Declercq


1990 : 7)
■ La rhétorique reste l'art d'argumenter en vue de persuader un
auditoire qu'une opinion est préférable à sa rivale (Ricoeur 1986
: 155).
■ La rhétorique a pour fonction d'ajuster les idées aux gens et les
gens aux idées (Bryant 1965 : 47)

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■ Argumentation et
rhétorique
■ Lecture introductive: Ruth Amossy,
L’argumentation dans le discours 4ème édition,
préface pp, 4 à 12

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PETITE HISTOIRE
Des théories de l’argumentation

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■ La rhétorique dans l’Antiquité: la rhétorique ancienne
– Il est impossible d’adresser la question de
l’argumentation sans faire référence aux
philosophes de l’Antiquité aux sophistes qui ont eu
un apport sans commune mesure aux
développements des pratiques discursives à visée
persuasives. Ainsi, selon Aristote, Zénon serait
l'inventeur de la dialectique, méthode d’accès à la
vérité à partir d’un système de questions-réponses
impliquant aussi bien la réfutation que
l’argumentation. Les sophistes interviendront aussi
dans ce cadre et feront une grande contribution au
développement de l’argumentation.
■ Dans la foulée, il y a l’apport de Platon et de Aristote.
L’annexe suivant lève un coin de voile sur cette
effervescence. (Annexe 1)
■ La rhétorique sous l’empire romain et après: la rhétorique
classique,
La critique de Platon et la synthèse – Au Moyen Age, l’hégémonie de l’Empire Romain
aristotélicienne, in La parole persuasive. Théorie installe une nouvelle dynamique dans le
et pratique de l’argumentation rhétorique, développement de la rhétorique. Cette époque est
Bertrand BUFFON, Paris, Puf, 2002, pp38-40).
dominée par les figures de Cicéron

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LE TOURNANT 20 ÈME

SIÈCLE : L’ÈRE DE LA
« Nouvelle rhétorique » avec Perelman

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la logique des
■ Dans un monde dominé par le rationaliste positiviste, Perelman s’est
engagé à, proposer une logique alternative qui échappe à la logique
scientifique ou 1 plus 1 font 2. Il formule cette quête dans la question
suivante: comment peut-on raisonner sur des valeurs? Existe-il des

jugements de
méthodes de raisonnement acceptables permettant de préférer le bien
au mal, la justice à l’injustice, la démocratie à la dictature?
■ Jugements de fait et jugements de valeur:

valeur Il s’agit d’un jugement qui implique une appréciation, une évaluation.
Par exemple, l’énoncé «la santé est le bien le plus précieux» est un
jugement de valeur. Donc, le jugement de valeur est éminemment
subjectif car il implique nécessairement un choix. Cependant, le fait
qu’il soit subjectif ne signifie pas qu’il soit arbitraire et au-delà de
toute discussion. En fait, les jugements de valeur font constamment
l’objet de discussions, de débats.
C’est un jugement qui porte sur un fait observable, un événement,
une réalité existante ou encore les propos tenus par une personne.
Pour montrer le bien-fondé du tel jugement, il suffit de vérifier son
adéquation avec la réalité. Par exemple, dans l’énoncé «il neige
actuellement sur Trois-Rivières», nous n’avons qu’à regarder par la
fenêtre pour constater si cela est vrai ou non. Le jugement de fait (ou
de réalité) ne comporte pas d’interprétation subjective. Bien entendu,
cela n’est pas toujours aussi simple. Très souvent un fait est tenu
pour vrai sur la seule base de la valeur qu’on accorde à la source qui
fournit l’information.

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La découverte de la ■ En analysant les écrits de moralistes et de
politiciens, d’orateurs préconisant telle ligne de
rhétorique conduite, des articles de fond dans les journaux, des
justifications de toute espèce, ne serait-il pas
possible de dégager cette logique des jugements de
valeurs dont l’absence se faisait si cruellement
sentir? (,,,) Il n’existe pas de logique spécifique des
jugements de valeur, mais que ce que nous
cherchions avait été développé dans une discipline
très ancienne, actuellement oubliée et méprisée, à
savoir la rhétorique, l’ancien art de persuader et de
convaincre. (L’empire rhétorique, p. 9-10)
■ Dans les domaines où il s’agit d’établir ce qui est
préférable, ce qui est acceptable et raisonnable, les
raisonnements ne sont ni des déductions
formellement correctes, ni des inductions, allant du
particulier au général, mais des argumentations de
tout espèce, visant à gagner l’adhésion des esprits
aux thèses qu’on présente à leur esprit. (Perelman,
p. 10)

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l’ancienne rhétorique d’Aristote ■ Dans cette ancienne pratique, Perelman trouve
– « Une ligne de pensée qui aura pour effet de limiter
la définition de la rationalité au seul raisonnement
logico-mathématique, ce qui constitue « une
limitation indue et parfaitement injustifiée du
domaine où intervient notre faculté de raisonner et
de prouver ». cette critique s’appuie sur le fait
souligné par Perelman qu’il existe bien des
domaines de pratiques (à commencer par la vie
quotidienne, la morale, ou le droit) où les sujets
mobilisent pour communiquer et faire valoir leurs
points de vue une forme de rationalité nullement
fondée sur l’administration apodictique de la preuve.
Tel est le cas de toutes les formes de raisonnement
courant qui n’ont pas pour fin d’établir le vrai, mais
de se fonder sur le registre des valeurs éthiques
pour asseoir le vraisemblable. Ce domaine n’est
pas celui de la logique fondée sur le maniement de
l’argumentation démonstrative, mais sur celui de la
Georges-Elia Sarfati, Marie-Anne Paveau. Les rhétorique fondée sur le maniement de
grandes théories de la linguistique, Paris, A. l’argumentation persuasive ».
Colin, 2003, p. 219

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■ Cela fonde le courant dit de « la nouvelle rhétorique ».
– D’inspiration aristotélicienne, ce courant est la base des études
sur l’argumentation. Il est amorcé avec la parution d’un
ouvrage essentiel dans le parcours de la rhétorique : le Traité
de l’argumentation. La nouvelle rhétorique (Bruxelles : Éditions
de l’Université de Bruxelles) de Perelman et Olbrechts-Tyteca.
Les auteurs définissent cette nouvelle rhétorique comme « les
techniques discursives permettant de provoquer ou d’accroître
l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur
assentiment » (1970 : 5). Ils proposent de regarder la
rhétorique non plus sous l’angle de la manipulation ou de la
quête de la vérité mais plutôt à partir des notions de
démonstration et d’argumentation. Elle intervient donc
■ Dans les domaines où il s’agit d’établir ce qui est préférable, ce qui est
acceptable et raisonnable, les raisonnements ne sont ni des déductions
formellement correctes, ni des inductions, allant du particulier au
général, mais des argumentations de tout espèce, visant à gagner
l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur esprit.
■ La rhétorique qu’entend promouvoir Perelman est avant tout pratique :
sa fonction est de guider nos décisions, de les éclairer en fournissant
un « arsenal de preuves » qui, pour n’être pas celles de la
démonstration scientifique, n’en sont pas moins valables. Il la regarde
comme un outil capable d’ouvrir le monde des possibles ; un levier, tout
à la fois souple et solide, pour ordonner, argumenter et justifier nos «
jugements de valeur ».

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■ Cette nouvelle rhétorique concerne
■ Les discours adressés à toute espèce d’auditoire, qu’il s’agisse d’une foule
réunie sur la place publique ou d’une réunion de spécialistes, que l’on
s’adresse à un seul individu ou à toute l’humanité ;elle examinera même les
arguments que l’on s’adresse à soi-même, lors d’une délibération intime… la
théorie de l’argumentation conçue comme une nouvelle rhétorique (ou
nouvelle dialectique) couvre tout le champ du discours visant à convaincre ou
à persuader, quel que soit l’auditoire auquel il s’adresse, et quelle que soit la
matière sur laquelle il porte.
■ A termes,
– Perelman cherche à éclairer les bases et les finalités du programme
humaniste dont le but ultime est de « développer l’humain dans
l’homme », l’aider « à fonder ses propres convictions » et à
conserver sa « liberté de jugement », c’est précisément la rhétorique
qu’il a dans l’idée.
■ Il ne parle finalement que d’elle,
– de l’outil politique qu’elle représente, non pour fonder un monde
idéal, mais pour apprendre à habiter un monde commun – malgré
nos désaccords, nos différends, nos critiques mutuelles, ou plutôt
grâce à eux. Perelman se refuse d’associer le désaccord à un
malheur social synonyme de violence et de discorde, mais y voir, au
contraire, une chance réelle pour la démocratie. Une chance
d’argumenter et de justifier son point de vue avec les risques et la
liberté que cela comporte.
■ Perelman, p. 10
■ Perelman, L’empire rhétorique, p. 21

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QU’EST-CE QUE
L’ARGUMENTATION ?

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■ Le regain d’intérêt pour l’argumentation est parti
des travaux mot argumentation est susceptible
d’intervenir dans une grande diversité de
disciplines. L’argumentation est ainsi étudiée dans
plusieurs champs et les définitions foisonnent. On
peut ainsi constater avec Charaudeau qu’« il
existe sur le “marché“ de l’argumentation une
terminologie fort riche, dans laquelle des mêmes
termes renvoient à des concepts différents selon
le point de vue qui les définit. »
■ L’accent portera sur les définitions
actuelles proposées dans le champ
francophone
■ CHARAUDEAU, P. Grammaire du sens et de
l’expression. Paris, Hachette, 1992, p. 781

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– « La notion d’argumentation est envisagée comme une forme
de discours qui vise à obtenir l’adhésion d’un auditeur ou d’un
lecteur aux thèses qu’on présente à son assentiment.
L’argumentation a donc pour but de modifier les savoirs, les
croyances et les opinions d’autrui en essayant de démontrer,
en s’efforçant de convaincre, en s’attachant à
persuader. L’argumentation est ainsi une opération qui prend
appui sur un énoncé assuré (accepté), l’argument, pour
atteindre un énoncé moins assuré (moins acceptable), la
conclusion. Argumenter, c’est adresser à un interlocuteur un
argument, c’est-à-dire une bonne raison, pour lui faire admettre
une conclusion et l’inciter à adopter les comportements
adéquats. » PLANTIN, C. L’argumentation. Paris, Seuil, Coll.
Memo, 1996, p. 24.
■ Il précise plus tard que
– « l’argumentation est l’ensemble des activités verbales et
sémiotiques produites dans une situation argumentative. Une
situation argumentative est une situation discursive organisée
par une question argumentative. Une question argumentative
est une question sur laquelle des locuteurs donnent des
réponses contradictoires organisées dans un discours et un
contre-discours »
■ Plantin C. Dictionnaire de l’argumentation, ENS Editions, 2017, p. 76.

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Bertrand D ■ « L’argumentation est toujours inscrite dans un
contexte interpersonnel et dans une situation
concrète (...). Les arguments ne sont pas vrais ou
faux, ce sont des raisons plus ou moins fortes
pour ou contre une thèse proposée. Dès qu’il
s’agit de raisonner sur des valeurs, touchant le
bien ou le mal, la justice ou l’injustice, la liberté ou
la contrainte, et bien d’autres enjeux de la vie
collective et individuelle, le discours de
l’argumentation s’efforce de justifier la préférence
que l’on accorde à telle ou telle fin et que l’on
cherche à faire partager. »
■ BERTRAND, D. Parler pour convaincre.
Rhétorique et discours, Paris, Gallimard
éducation, 1999, p. 15.

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J Moechler et
■ Moeschler, affirme que :
■ « Argumenter revient à donner des raisons pour

P Breton
telle ou telle conclusion. Les raisons constituent,
lorsqu’elles sont énoncées, autant d’arguments.
Une argumentation consiste donc en une relation
entre un ou des arguments et une conclusion. »
■ MOESCHLER, J. Argumentation et conversation.
Eléments pour une analyse pragmatique du
discours, Paris, Hatier-Credif, 1985, p. 46.
■ Pour Breton, le champ de l'argumentation est
circonscrit par « trois éléments essentiels » : «
argumenter, c'est d'abord communiquer […] ;
argumenter n'est pas convaincre à tout prix […] ;
argumenter, c'est raisonner, proposer une opinion
à d'autres en leur donnant de bonnes raisons d'y
adhérer.
■ P. Breton, L’argumentation dans la communication,
Paris, la Decouverte, 1996, p. 15-16.

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■ Pour Breton, le champ de l'argumentation est
circonscrit par « trois éléments essentiels » : «
argumenter, c'est d'abord communiquer […] ;
argumenter n'est pas convaincre à tout prix […] ;
argumenter, c'est raisonner, proposer une opinion
à d'autres en leur donnant de bonnes raisons d'y
adhérer.
■ P. Breton, L’argumentation dans la
communication, Paris, la Decouverte, 1996, p. 15-
16.

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■ Selon Angenot « les humains argumentent et
débattent, ils échangent des raisons pour deux motifs
immédiats, logiquement antérieurs à l’espoir
raisonnable, mince ou nul, de persuader leur
interlocuteur : il argumentent pour se justifier, pour se
procurer face au monde une justification […]
inséparable d’un avoir-raison, et ils argumentent pour
se situer par rapport aux raisons des autres en
testant la cohérence et la force qu’ils imputent à leurs
positions, pour se positionner […], pour soutenir ces
positions et se mettre en position de résister »
■ Marc Angenot, Dialogues de sourds. Traité de
rhétorique, Paris, Mille et Une Nuits, 2008, p.441

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■ Pour Danblon « argumenter consiste à avancer
une raison en vue de conduire un auditoire à
adopter une conclusion à laquelle il n'adhère pas
au départ »
■ La fonction persuasive. Anthropologie du
discours rhétorique : origines et actualité,
paris, A colin, p. 13

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Ruth Amossy ■ reformule en l’élargissant la définition de
Perelman. Pour elle,
– l’argumentation est constituée par « les
moyens verbaux qu'une instance de locution
met en oeuvre pour agir sur son allocutaire
en tentant de le faire adhérer à une thèse,
de modifier ou de renforcer les
représentations et les opinions qu'elle leur
prête, ou simplement d'orienter leurs façons
de voir ou de susciter un questionnement
sur un problème donné. Amossy,
L’argumentation dans le discours, p. 37

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■ Ce foisonnement de définitions et d’approches ne constitue aucunement un problème en soi. Il
faut partir de là pour se construire sa propre opinion adaptée aux contextes d’utilisation. Mieux, il
y a des constantes identifiables qui tranversent les différences approches et qu’on pourrait
nommer facteurs de l’argumentation.
■ On partira alors de la définition suivante comme base de travail:

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■ Ce foisonnement de définitions et
d’approches ne constitue aucunement un
problème en soi. Il faut partir de là pour
se construire sa propre opinion adaptée
aux contextes d’utilisation. Mieux, il y a
la base de des constantes identifiables qui
tranversent les différences approches et
qu’on pourrait nommer facteurs de
travail l’argumentation.
■ On partira alors de la définition suivante
comme base de travail:

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■ On considère souvent
– qu’il y a argumentation quand une prise de position, un point de vue, une
façon de percevoir le monde s’exprime sur le fond de positions et de
visions antagonistes ou tout simplement divergentes, en tentant de
prévaloir ou tout au moins de se faire admettre. C’est dire qu’il ne peut y
avoir argumentation en dehors d’une situation où deux options au moins
sont envisageables. D’Aristote à Perelman, les rhétoriciens insistent sur
le fait qu’on n’argumente pas sur ce qui est évident. À partir de là,
Christian Plantin pose la notion de « question argumentative » qui naît
d’une divergence de points de vue sur une question donnée,
■ entraînant ipso facto
– le développement d’une argumentation entre un proposant et un
opposant (2016 : 693). C’est dans cette perspective que Marianne Doury
définit l’argumentation comme une « confrontation entre discours et
contre-discours », ajoutant que « l’argumentation est un mode de
construction du discours visant à le rendre plus résistant à la
contestation »

Amossy R, ■ (Doury 2016 : 22). Encore faut-il souligner que la situation de débat peut rester
tacite : « il existe », écrit Doury, « des textes ou des discours dans lesquels toute
référence explicite à une opposition est gommée. Ces textes, pourtant, ne

Armand Colin,
prennent sens que par rapport à un contre-discours à la lumière duquel émerge
leur dimension argumentative » (ibid. : 23).

2021,p. 64

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LES FACTEURS DE
L’ARGUMENTATION

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■ Pour établir les facteurs indispensables à une entreprise argumentative, on
peut se référer à ce propos de Perelman

■ Georges-Elia Sarfati, Marie-Anne Paveau. Les grandes théories de la


linguistique, Paris, A. Colin, 2003, p. 220

les facteurs de ■ Le but de l’argumentation est de provoquer ou d’accroitre l’adhésion d’un


auditoire aux thèses qu’on présente à son assentiment. L’orateur, s’il veut
agir efficacement par son discours, doit s’adapter à son auditoire, en

l’argumentation
adoptant pour point de départ de son raisonnement que des thèses
admises par ceux auxquels il s’adresse. L’orateur construit une
représentation de l’auditoire (auditoire universel), norme idéale de son
discours, auquel il s’adresse par la médiation de son auditoire réel. Le
propos de l’orateur est une dialectique permanente entre les données
supposées acquises et les données construites

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■ Au regard de ces propos, les facteurs fondamentaux du processus argumentatif
sont l’orateur, l’auditoire et le propos.
■ La notion d’orateur est diversement définie. Elle ramène de manière globale ici à
l’initiateur de l’entreprise de persuasion, le producteur d’un message verbal dans la
réalité de la communication. En un mot c’est tout locuteur dans une situation de
communication vivante. Dans le cadre des linguistiques énonciatives, on parlera de
sujet de l’énonciation. Dans le schéma de la communication de Roman Jakobson
ce sera l’émetteur.

les facteurs de
■ La notion d’auditoire est fondamentale à la nouvelle rhétorique. C’est celui à qui le
discours produit est destiné. Plusieurs conceptions de l’auditoire ont été proposées
notamment par Perelman puis Amossy.

l’argumentation
■ Argumenter c’est raisonner, proposer une opinion à d’autres, en leur donnant de
bonnes raisons d’y adhérer, mais en les laissant libres. L’on peut se demander
comment procède un orateur, un locuteur pour « provoquer ou d’accroître
l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur assentiment » ?
■ L’orateur, pour atteindre ou espérer atteindre ses objectifs, articule ses stratégies
argumentatives autour de:
– lui-même
– son auditoire
– propos

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■ Dans la dynamique de la rhétorique argumentative,
– l’ethos est convoqué chaque fois que le
locuteur entend donner de lui-même, cela, à
travers son discours, sa prise de parole, une
image susceptible de répondre aux attentes de
la l’auditoire.
– Le pathos est convoqué lorsque le locuteur
rhétorique construit son discours de sorte à provoquer
des émotions chez l’auditoire. Il cherche alors
à mettre son auditoire dans une disposition
argumenta émotionnelle susceptible de faciliter l’atteinte
de sa visée persuasive.

tive ■ Enfin, il a recours


– au logos quand il cherche à convaincre
l’auditoire à partir du raisonnement.

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LES PREUVES
ORATOIRES/ETHIQU
ES
Ethos et pathos

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■ La preuve éthique consiste pour l'orateur à se montrer sous un jour

L’ethos ou la
favorable, à donner une image positive de lui-même; il doit chercher à plaire
à son auditoire et doit chercher à transférer la confiance que l'auditoire lui
accorde, sur le propos qu'il défend. Pour Aristote,
– On persuade par le caractère, quand le discours est de nature à

prevue ethique rendre l’orateur digne de foi, car les honnêtes gens nous inspirent
confiance plus grande et plus prompte sur toutes les questions en
général, et confiance entière sur celles qui ne comportent point de
certitudes, et laissent une place au doute. Mais il faut que cette
confiance soit l’effet du discours, non d’une prévention sur le
caractère de l’orateur. (Rhétorique, 1356)
■ C'est l'existence d'une morale commune (doxa) qui permet à l'orateur
d'incarner dans son discours les vertus qui inspirent la confiance publique.
Cette perception positive de lui-même qu’il saura susciter chez son
auditoire rejaillira sur la perception de son discours qui sera mieux accueilli.
C’est l’usage habile du discours, plus le comportement de l’orateur, qui
importe pour s’attirer la sympathie de l’auditoire. Le discours devra en effet
s’appuyer sur la doxa, c'est-à-dire sur les valeurs communes de l’auditoire,
pour le convaincre. L’éthos se différencie de l’autorité qui est liée à des
qualités reconnues à l’orateur bien avant qu’il ne commence à parler
(expertise, position sociale, âge, célébrité…).

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■ La preuve pathétique vise à influencer et à jouer sur les passions

Le pathos
(pathos) de l’auditoire : la colère, la haine, la compassion… Cela
nécessite de connaitre les ressort psychologique de ces passions.
Aristote consacre la première moitié du livre II de sa Rhétorique à la
preuve pathétique. Il définit les passions comme étant des agents de
variation du jugement des auditeurs. « Les passions sont les causes
qui font varier les hommes dans leurs jugements et ont pour
consécutions la peine et le plaisir, comme la colère, la pitié, la crainte,
et toutes les autres émotions de ce genre, ainsi que leurs contraires. »
(Aristote, Rhétorique II, 1378 a, [1960], page 60, Les Belles Lettres)
Les passions doivent être maniées avec précaution par l'orateur et
celui-ci doit savoir quelle passion susciter et comment parvenir à la
susciter. « Les développements relatifs aux passions se doivent
diviser en trois chefs : voici ce que je veux dire : pour la colère, par
exemple, en quel habitus y est-on porté ; contre quelles personnes se
met-on habituellement en colère et à quels sujets. Si, en effet, nous
ne possédions qu'une ou deux de ces notions, sans les posséder
toutes trois, il nous serait impossible d'inspirer la colère ; et il en est
pareillement des autres passions. » (Aristote, Rhétorique II, 1378 a,
[1960], page 60, Les Belles Lettres).

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■ Si l’on revient à l’expression verbales des émotions, il est difficile, voire
impossible, d’associer tel mécanisme linguistique ou discursif de façon
systématique et univoque à telle émotion. On peut plutôt dire que l’émotion
est portée par une convergence de différents indices verbaux, qui isolement
L’expression verbale ne renvoient pas nécessairement à une émotion donnée, mais qui, pris
ensemble et considérés en contexte, construisent la dimension pathétique

des émotions ■
du discours. Ces indices sont divers :

Mobilisation d’un lexique émotionnel : « j’avais peur… », « J’étais effrayé ».


Marrianne Doury, ■ Il est fréquent d’exprimer une émotion en se référant aux manifestations

Argumentation. corporelles de cette émotion : « jétais vert de trouille », « j’avais les genoux
qui tremblaient » pour « j’avais peur » ;

Analyser les textes et ■ Interjections ; certaines interjections sont associées de façon systématique
à une émotion spécifique (« ouf ! » : soulagement ; « waow ! » : admiration)

discours, p. 137 alors que d’autres sont polyvalentes (« oh ! » : surprise, indignation,


émerveillement…) ;

■ Connotation de certains termes, qui confèrent un sens affectif aux mots


(« maman »/ « sa mère », « son toutou » / « son chien », « son petit
visage » / « son visage » ;

■ Termes d’adresse (« mon lapin », « monsieur x »…) ;

■ Certaines figures de style (métaphores, antithèses, hyperboles….)

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■ La preuve par l’ethos ou par le pathos : Exercice pratique
■ « Troyens, princes et princesses, chers amis, écoutez mes paroles ! Il est
possible qu’Hélène soit venue chez vous de bon gré ! Je ne le discute pas ;
mais Hélène avait-elle le droit de venir ? N’était-elle pas l’épouse du roi de
Sparte ? Cela vous parait-il juste, qu’à cause d’une femme, deux beaux et
florissants pays comme Troie et l’Hellade se fassent la guerre, une guerre
terrible où les hommes les plus jeunes et les plus forts, vos frères, vos amis,
vos fils seront tués par milliers ? La guerre incendie les villes, détruit les
navires, vide les demeures ; le sang coule de blessures innombrables et
rougit la mer et la terre…voulez-vous, à cause d’une femme, uniquement
pour une femme, affronter tant de maux ? Rendez cette femme qui peut
devenir la source de tant de malheurs, ô troyens ! Rendez Hélène au roi de
Sparte afin que l’Hellade et Troie puissent rester amies. »
■ Que pensez-vous du locuteur de cette séquence ? A partir de la définition de
la notion d’ethos en rhétorique, faites ressortir trois images de soi construites
par le locuteur dans ce discours prononcé lors des débats pour éviter la
guerre de Troie dans l’Antiquité.
■ Relevez les éléments du discours qui suggèrent ces images du locuteur
■ Quelles émotions le locuteur vise-t-il chez l’auditoire ?
■ Quels sont les éléments linguistiques et discursifs qui suggèrent ces
émotions ?
■ Ce discours est un échange entre Ménélas et Odysseus, héros grecs venus
reprendre l’épouse de Ménélas nommée Hélène, d’une part, et l’assemblée
des princes de Troie et le peuple, d’autre part. (Héros de la mythologie
grecque, roi de Sparte dont l’épouse fut enlevée ; selon le mythe, par Paris.
Ce qui causa la guerre de Troie et le sac de cette ville. Héros de la
mythologie grecque, roi d’Ithaque.)

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L’ANALYSE ARGUMENTATIVE:
QUELQUES OUTILS

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■ l’argumentation dans le discours se consacre à l’analyse du discours
dans sa visée et/ou sa dimension persuasive. Elle intègre dans son
processus les éléments rhétoriques, logiques et pragmatiques
■ Elle présente plusieurs approches dont notamment:
– une approche langagière. L’argumentation ne se réduit pas à
une série d’opérations logiques et de processus de pensée.
Elle se construit à partir de la mise en oeuvre des moyens
qu’offre le langage au niveau des choix lexicaux, des modalités
d’énonciation, des enchaînements d’énoncés (connecteurs,
topoï selon Ducrot), des marques d’implicite… ;
– une approche communicationnelle. L’argumentation vise un
auditoire et son déploiement ne peut se comprendre en dehors
d’un rapport d’interlocution. La construction d’une
argumentation – son articulation logique – ne peut être
dissociée de la situation de communication dans laquelle elle
doit produire son effet ;
– une approche dialogique. L’argumentation veut agir sur un
auditoire et doit de ce fait s’adapter à lui. Elle participe de
l’échange entre partenaires même lorsqu’il s’agit d’une
interaction virtuelle où il n’y a pas de dialogue effectif. Qui plus
est, elle intervient dans un espace d’ores et déjà saturé de
discours, où elle réagit à ce qui s’est dit et écrit avant elle : elle
est prise dans une confrontation de points de vue dont elle
participe même lorsqu’il n’y a pas polémique ouverte ou
dissensus déclaré ;

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■ Les indices énonciatifs
■ Les modalités d’énonciation
La modalité d’énonciation : « se rapporte au sujet parlant
(ou écrivant). Elle intervient obligatoirement et donne une
fois pour toutes à une phrase sa forme déclarative,
interrogative ou impérative. […]. [Elle] caractérise la
forme de la communication entre Locuteur et Auditeur »
Les modalités d’énonciation sont attachées aux
marqueurs syntaxiques, typographiques et prosodiques
nécessaires à la réalisation des types de phrase assertif,
interrogatif et injonctif.
Chaque acte d’énonciation implique obligatoirement la
sélection de l’une d’elles à l’exclusion des autres. On
peut donc les qualifier d’obligatoires et d’exclusives.
Le linguiste Émile Benveniste précise leur rôle :
« ces trois modalités ne font que refléter les trois
comportements fondamentaux de l’homme parlant et
agissant par le discours sur son interlocuteur : il veut lui
transmettre un élément de connaissance, ou obtenir de lui
une information, ou lui intimer un ordre ».

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■ LES MODALITÉS D’ÉNONCÉS
Les modalités d’énoncés renvoient au sujet de
l’énonciation en marquant son attitude vis-à-vis
de l’énoncé. Ces modalités traduisent les
sentiments, la crédibilité, la certitude du locuteur
par rapport au contenu propositionnel de
l’énoncé que ce dernier profère.
■ LES MODALITÉS ÉPISTÉMIQUES
– Ces modalités marquent la certitude ou
l’incertitude du locuteur par rapport au
contenu de son assertion.
■ LES MODALITÉS DÉONTIQUES
– Ces types de modalités sont de l’ordre de la
permission, de l’obligation

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■ LES MODALITÉS ALÉTHIQUES
– Les modalités qui sont du domaine du
possible, de l’impossible, du nécessaire et du
contingent sont appelées soit aléthiques soit
ontiques.
■ Les modalités appréciatives
– Ces modalités permettent au locuteur
d’exprimer sa subjectivité. Elle se déploie par
le biais des noms, adjectifs, verbes et
adverbes véhiculant l’appréciation. Elles
ramènent au vocabulaire de la subjectivité
dans le discours.
■ Les modalités énonciatives
– Modalités élocutives
– Modalités délocutives
– Modalités allocutives
■ Le lexique (champ lexicaux, les axiologies etc,)

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