Nabila Oulebsir
Les usages du patrimoine
Monuments, musées et politique coloniale
en Algérie (1830-1930)
Qu’est-ce que le patrimoine dans une société en quête d’invention d’une esthétique nouvelle reflètent enfin
de repères ? Quel passé celle-ci va-t-elle privilégier la liberté politique acquise par la colonie et se
dans sa lecture de l’histoire ? C’est à ces questions vives matérialisent par l’adoption d’un style architectural
que cet ouvrage nous invite à réfléchir. régional, le néomauresque. Alors qu’ils semblaient
Dans le cas précis de l’Algérie, la notion de patri- annoncer une reconnaissance des populations
moine accompagne un mouvement d’appropria- autochtones, ces prémices restent sans lendemain :
tion et d’identification où la sélection des objets et c’est une « Algérie latine » qu’exalte le moment du
leur conservation jouent un rôle essentiel. Centenaire, commémorant la conquête à grand
Pendant la monarchie de Juillet, on peut suivre renfort de manifestations tandis que les revendi-
l’exploration d’un territoire où convergent des cations politiques qu’expriment les nouvelles élites
savants, des artistes et des militaires captivés par les autochtones, formées en majorité à l’école républi-
vestiges antiques. Le regard exercé à la poétique des caine, présagent le déclin du temps colonial.
ruines, peintres et architectes élaborent des images de Outre l’abondance de ces événements, jalons d’un
lieux et de paysages et manifestent le premier senti- siècle de colonisation, Les usages du patrimoine nous
ment à l’origine d’une conscience patrimoniale. introduisent tant à l’histoire des institutions – sociétés
Celle-ci, confrontée au vandalisme colonial, et savantes, comités de préservation, structures patrimo-
malgré quelques mesures réparatrices engagées par la niales, établissements scientifiques – qu’à la trajectoire
nouvelle administration, reste longtemps balbutiante. artistique et intellectuelle de nombreux acteurs :
Un demi-siècle passe avant que soit créé un Service conservateurs, architectes ou universitaires.
des monuments historiques et que les musées
– jusqu’alors dépôts d’objets précieux et de vestiges La question du patrimoine en Algérie a toujours été
ramassés au gré des expéditions – assurent leur un facteur d’échanges, de négociations, mais aussi de
mission en tant que lieux de conservation et d’expo- tensions entre les deux rives de la Méditerranée. Elle
sition des collections. Sous Napoléon III, la nous donne aujourd’hui l’occasion de reconsidérer,
métropole marque un intérêt nouveau pour les en même temps que le passé colonial de la France, le
formes de l’Orient, rendues accessibles par les voyages passé français d’El-Djezaïr.
d’architectes et mises en scène à Paris par les exposi-
tions universelles. Le passé médiéval arabe de Historienne et architecte, Nabila Oulebsir est maître
l’Algérie, perçu à travers le prisme de la civilisation de conférences à l’université de Poitiers (Faculté de
andalouse par un architecte néogothique, Edmond Sciences humaines et arts. Département d’histoire de
Duthoit, fait désormais l’objet d’une valorisation parti- l’art et archéologie). Elle enseigne l’histoire de l’archi-
culière. Vers 1900, à la Belle Époque, les conditions tecture et du patrimoine en France.