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DIDACTIQUE DE L’ÉCRIT

16D474/3

Année 2015/2016

Dubravka SAULAN

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reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation
des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
(L. n°94-361 du 10 mai 1994, art.8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de
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Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni
vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.

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16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

Université de Bourgogne
CFOAD - PSIUN
Année universitaire 2015/2016

16D474 : Didactique de l’écrit

Cours de Madame Dubravka SAULAN


Envoi 3

La notion d’enthymème. Éléments internes et éléments externes.

Dans la définition proposée par Jorge Juan Vega y Vega, disponible maintenant sur
Wikipedia, l’enthymème est un syllogisme rigoureux, mais qui repose sur des
prémisses seulement probables et qui peuvent rester implicites.
« Pour Aristote, le nom d'enthymème est réservé à des déductions « tirées de
vraisemblances et d'indices... Si elles sont connues, l'auditeur les supplée. ».
Selon Quintilien et Boèce, l'enthymème est un syllogisme dont on a supprimé l'une
des deux prémisses ou la conclusion car la réalité de cette proposition est
incontestable et de ce fait gardée dans l'esprit. Selon la Logique de Port-Royal,
l'enthymème est un syllogisme parfait dans l'esprit mais imparfait dans l'expression,
et constitue donc un accident de langage.
L'enthymème est donc un raisonnement dont l'une des prémisses, c'est-à-dire une
des étapes du raisonnement, est éludée car elle est tenue pour certaine. Cette
certitude est humaine et non pas scientifique, et ne saurait donc relever d'une
quelconque démarche épistémique. Selon la nature et l'origine de cette certitude, on
distingue le tekmérion, l'eikos et le séméion.
Le tekmérion (du grec τεκμήριον, « signe de reconnaissance » d'où « preuve
probante par le raisonnement ») est un indice sûr, celui qui est ce qui est et qui ne
peut pas être autrement. Cette prémisse repose sur l'universalité de certaines
expériences. Roland Barthes indique ainsi l'accouchement d'une femme comme
tekmérion d'une relation sexuelle avec un homme.
L’eikos (du grec εἰκώς, « semblable, convenable » d'où « vraisemblable ») est un
indice basé sur le vraisemblable, « une idée générale que se sont fait les hommes
par expériences et inductions imparfaites ». Notion capitale pour Aristote, l’eikos
repose sur deux noyaux :
- l'idée de « général » humain déterminé statistiquement par l'opinion du plus grand
nombre ;
- la possibilité de contrariété, car si l'enthymème est perçu par le public comme un
syllogisme certain, le vraisemblable admet par rapport à la science un contraire.
Le séméion (du grec σημεῖον, « signe [précurseur], marque distinctive ») est un
indice ambigu, moins sûr que le tekmérion : il est un signe dont la polysémie cesse
selon un contexte d'autres signes concomitants. Roland Barthes indique comme
exemple de séméion : « Des traces de sang font supposer un meurtre, mais ce n'est
pas sûr : le sang peut provenir d'un saignement de nez, ou d'un sacrifice. » »
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Enthymème).

Dans ce sens, et pour approfondir la notion, veuillez lire l’annexe 1 (BOYER), avant
de lire la suite de ce cours.

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16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

Afin de confirmer ce qui a été dit dans le deuxième envoi (aspect cognitif de la
langue) et afin d’introduire aux éléments internes et aux éléments externes de la
(didactique de la) langue, nous reprendrons ici encore quelques lignes de Vega y
Vega :

« L’enseignement du français en particulier devrait assurer trois dimensions: a) des


contenus, b) des opérations, c) des valeurs. Côté contenus il est désormais presque
aussi facile pour tous de se les procurer sur la toile: il suffit, justement, de savoir les
trier, ce qui ne va pas sans quelques difficultés. Côté valeurs, toutes les instances
éducatives concernées s’en occupent, et ce de plus en plus (CECR, 2000). Par
contre, côté opérations, un certain flou semble s’y installer: de quelles opérations
s’agirait-il? À notre avis, un enseignement qui aurait de l’avenir devrait y concentrer
plus d’efforts, en mettant à contribution plusieurs approches croisées.

Une analyse de l’image pour améliorer toutes les compétences


La «méthode intégrale» (Vega y Vega, 1998) pour l’apprentissage des langues est
une analyse de l’image qui vise à améliorer progressivement toutes les
compétences: compréhension, expression, interaction, oral, écrit, grammaire... C’est
parce que l’image n’est pas la langue qu’il est crucial de s’y intéresser, et ce d’autant
plus que l’image est le langage préféré des jeunes.

La langue comme phénomène communicatif et cognitif


Les outils discursifs venus de la rhétorique littéraire, et en particulier le raisonnement
discursif ou enthymème, permettent aisément et efficacement d’introduire l’inférence
naturelle au sein de l’apprentissage du français, en le combinant justement avec
l’analyse de l’image. La langue est alors envisagée non pas comme un instrument
mais comme un phénomène aussi bien communicatif que cognitif. On n’apprend pas
une langue seulement pour communiquer mais pour connaitre, l’autre et les autres et
du coup soi-même. L’enthymème est donc cet outil permettant d’y intégrer ces
compétences (communicatives tout aussi bien que cognitives) : l’esprit critique et
sensible, dont découlent la gestion de l’information (le tri justement), la résolution des
problèmes, la créativité, la coopération, l’auto-apprentissage, l’ouverture esthétique,
etc.
La neurologie confirme que nous pensons en images, ce qui étaie davantage les
bienfaits du triangle propédeutique: image > raisonnement > langue. Ce très intuitif
modèle d’apprentissage s’est avéré d’autant plus efficace qu’il est susceptible d’être
appliqué à toutes les activités conscientes: manuelles, intellectuelles,
technologiques, ludiques, etc., ce qui assure une transition toute naturelle entre
l’éducation et la vie socio-professionnelle. Voilà donc le type d’opération que l’on
peut appliquer à tous les objets de connaissance, scolaires ou non. »
(https://www.hepl.ch/cms/accueil/actualites-et-agenda/archives-actualites/archives-
2013/colloque-lenseignement-du-franca/contributions/axe-1--lire-ecrire/quel-francais-
enseigner-a-lheure.html).

Avant de procéder, vous êtes invités à lire l’annexe 2 (VEGA Y VEGA).


Pour la suite de ce cours, il est conseillé d’ajouter à la liste bibliographique l’ouvrage
suivant : Samir BAJRIĆ. 2013 (2009). Linguistique, cognition et didactique. Principes
et exercices de linguistique-didactique. Paris : PUPS. C’est dans cet ouvrage que la
notion de comportement linguistique est abordée et qu’elle nous permet d’appliquer
le cognitivisme à la didactique (de l’écrit).

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La théorie du Sprachbenehmen (comportement linguistique)

Historiquement parlant, la théorie du comportement linguistique est née deux fois.


Elle fut d’abord introduite par Platon dans ses travaux d’inspiration mentaliste qui
examinent le lien entre la pensée et le langage. A ce titre, nous connaissons le
célèbre postulat de Platon consistant à dire que l’écrit n’est qu’une image
dégradée du comportement linguistique humain. Notons au passage que, dans le
contexte de notre didactique philosophique, écrire (une langue) ne signifie pas
être. C’est dans les travaux de Humboldt au XIXe siècle que cette théorie connaît
sa renaissance, notamment sous la dénomination de « Sprachbenehmen ».
La conception humboldtienne émerge au début du XIXe siècle, à l’époque on l’on
assiste au réveil de la conscience nationale un peu partout en Europe. Sa théorie
est d’ordre sociologique : on reconnaît à l’intérieur de toute communauté nationale
un comportement linguistique particulier, appelé vision du monde (Weltansicht).1
« En pensant ensemble la nation et la langue, on reconnaît l’étroite imbrication
d’un caractère originaire de la langue et d’un caractère reçu de la nation. »2 Mais
la profondeur historique de sa théorie est davantage contenue dans la phrase
suivante : « C’est en séparant les peuples que la langue rassemble. »3
Cette théorie a été une nouvelle fois reprise au XXe siècle par le linguiste
américain L. Bloomfield, avant de devenir une critique franchement anti-
mentaliste. Bloomfield lui donne un nom assez significatif : le behaviorisme - le
comportementalisme (de l’anglais behaviour)4. Dans cette perspective, étudier le
langage et la langue revient à étudier des enchaînements de stimuli et des
réactions linguistiques, liés à des stimuli et des réactions de situation. Cela signifie
que la connaissance des composantes de la situation permet de prévoir les
différents types d’énonciation. En d’autres termes, pour que quelque chose soit
signe de quelque chose, il faut des relations causales entre les éléments
linguistiques et le monde extérieur.

La question est donc de savoir si l’on peut appliquer ce concept, cette conception
de la langue, à la didactique des langues. Nous savons que les langues imposent
différemment leurs stimuli et leurs réactions linguistiques aux objets du monde. Ce
qui est central ou fréquent dans une langue est marginal ou inexistant dans
une autre et vice versa. Par conséquent, « un enseignement de langue ne
saurait en aucun cas n’être qu’un apprentissage de formes linguistiques. » 5
Maîtriser les formes linguistiques n’est qu’une composante de l’apprentissage, un
simple savoir. Cette composante, déficitaire par définition, ne permet pas au
locuteur-apprenant d’être, d’exister dans la langue qu’il apprend. L’exemple d’un
locuteur-apprenant cité par A. Coïaniz en est la meilleure preuve : « C’est après

1 La définition de la nation chez Humboldt est comparable à celle que l’on retrouve un peu plus
tard, au début du XXe siècle, lorsque s’achève la formation des nations en Europe : « La nation est
l’ensemble des hommes unis par une communauté de destin en une communauté de caractère. »,
Otto Bauer, homme politique et sociologue autrichien. Dans ce contexte, on peut s’interroger sur
un pays comme la Suisse, « pays de plusieurs langues et de plusieurs nations ».
2 W. von Humboldt, cité dans Denis Thouard, 2000, p. 139.
3 Ibid., p. 7.
4 Le béhaviorisme rejette toutes les analyses qui font appel à la psychologie dite profonde et à

l’intuition. Les béhavioristes s’en tiennent à une observation rigoureuse des manifestations
extérieures du comportement du locuteur. La théorie de Bloomfield, qui est donc une théorie
mécaniste du langage, apparaît à travers un apologue très connu en linguistique, que Bloomfield
raconte dans son ouvrage paru en 1933 et intitulé Le Langage (Language).
5 Alain Coïaniz, dans R. Galisson, 2001, p. 98.

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plusieurs années de vie en France que j’ai acquis ma personnalité en français.


Avant, je parlais. »6
Sur le plan terminologique, certains linguistes-didacticiens parlent
systématiquement et exclusivement de « comportements langagiers ». Ce terme
nous paraît contestable. Les différents comportements ne traduisent pas l’unicité
du langage (le langage est universel), mais bien la diversité des langues et, de
surcroît, celle des visions du monde correspondantes.
Dès lors, nous pouvons établir une distinction d’ordre cognitif entre maîtriser une
langue et être dans une langue :
maîtriser une langue = (structures et vocabulaire) + situation
être dans une langue = (structures et vocabulaire) + situation + comportement
linguistique.

« On ne s’exprime ni pour le plaisir d’utiliser des structures, ni pour celui de les


associer à des situations, mais bien pour réaliser des comportements langagiers
circonscrits par des conventions, animés par des intentions. »7 Ce principe peut
être confirmé, à titre d’exemple, par les énoncés suivants : Ca va ? ; Ca va. ; Ca
va ! ; … (situations et intentions différentes : Ca va ?- « Comment vas-tu ? » ; Ca
va ? – « Est-ce que cela te convient ? », « Es-tu d’accord ? », etc.).

S’approprier une autre langue, signifie par définition être confronté à un mode de
raisonnement linguistique différent. Ce dernier implique un grand nombre de
« bizarreries » d’ « étrangetés » qui sont autant de particularités étroitement liées à la
grammaire et au « génie » de la langue que l’on apprend. Nous verrons dans cet
exercice quelques-unes de ces particularités et le traitement que leur réserve la
linguistique-didactique. Nous focaliserons sur les faits de langue dits majeurs, ceux
qui affectent davantage l’apprentissage (et/ou l’acquisition) d’une autre langue. Il faut
donc savoir que tout est pertinent dans ce processus cognitif, car la langue est un
ensemble de choses infiniment diverses et nombreuses, mais certaines de ses
composantes deviennent plus saillantes que d’autres. Cet exercice nous permet de
revenir en arrière et de voir comment peut-on expliquer les faits d’apprentissage, ou
encore, parler de l’ambiguïté. Ils sont, à leur tour, empruntés à Bajrić (2013), et ont
pour but mettre sous un même faisceau interprétatif la subjectivité, le comportement
linguistique, les subtilités des faits d’apprentissage et les ambiguïtés, afin de
témoigner d’une extrême compléxité linguistique dont la didactique des langues ne
devrait pas faire abstraction.

1) Il a loué son appartement à des amis.

Manifestement, le locuteur se heurte à un cas d’ambiguïté. Une forme ambiguë dans


une langue peut ne pas l’être dans une autre. Concrètement, le locuteur doit
désambiguïser cette phrase en raisonnant (uniquement) en français, ce qui lui
permet de développer ses capacités d’énonciation, sans rester prisonnier de la
langue in esse. Plusieurs interprétations deviennent envisageables :
a) Il a emménagé dans un appartement et pour cela il paye un loyer à des amis.
(« louer » signifie « emprunter un bien immobilier contre de l’argent »)
b) Ses amis ont emménagé dans un appartement et pour cela ils lui payent un loyer.
(« louer » signifie « prêter un bien immobilier contre de l’argent »)

6 Ibid., p. 90.
7 Ibid., p. 91

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c) Il a dit du bien au sujet d’un appartement. (« louer » signifie « dire des éloges »)
S’ajoute à ces diverses interprétations une sous-détermination, contenue dans le
déterminant possessif « son ». En effet, il n’est pas possible, hors contexte, de
connaître le possesseur (genre grammatical, avant tout).

2) un excellent repas / un repas excellent


La syntaxe du français met en avant un fait de langue déterminant pour quiconque
souhaite comprendre ses subtilités : la place de l’adjectif-épithète. Nombre de
langues ignorent cette disposition formelle et sémantique, ce qui prête souvent à
confusion. A titre d’exemple, l’anglais dispose de l’unique antéposition. En français,
la place de l’adjectif-épithète conditionne le sens et / ou la valeur stylistique du nom
concerné. Ainsi peut-on comparer notre exemple un excellent repas / un repas
excellent à une ancienne ferme / une ferme ancienne. Dans le premier cas, la place
de l’adjectif-épithète traduit une différence de valeur stylistique, mais aussi une plus
grande subjectivité du locuteur (renforcement avec l’antéposition). Dans le second
cas, la syntaxe fait apparaître deux valeurs sémantiques différentes : une ancienne
ferme est un édifice qui fut une ferme jadis mais qui ne l’est plus ; une ferme
ancienne est une ferme qui a un certain âge en tant que telle. Ces subtilités de la
langue exigent de la part du locuteur une bonne connaissance du système
grammatical et une immersion dans le (vrai) discours (en dehors du cours de
langue).

3) « Le Pen dénonce les écologistes verts de rage et les communistes rouges de


honte. » (Le Figaro du 2 mai 2000)

Il s’agit d’une série de jeux de mots qui ne constituent pas pour autant une spécificité
inimitable du français. En effet, ces couleurs et les significations qu’elles recouvrent
renvoient à un héritage culturel présent et solidement ancré dans beaucoup de
langues (de nos civilisations proches). Néanmoins, l’usage de ces énoncés implique
une aisance certaine chez le locuteur, non seulement dans la maîtrise des formes,
mais aussi et du surcroît dans le vouloir-dire de la langue. L’humour et les
associations de mots commencent là où le locuteur quitte le domaine strictement
réservé à la maîtrise des formes (mots, combinatoires syntaxiques, morphologie,
etc.) et davantage axé sur les significations.

4) À la fin de la deuxième prolongation, les joueurs machinent aux tirs au but.

Le « verbe » machiner est un outil en linguistique-didactique permettant au linguiste-


didacticien d’orienter la recherche d’un « vrai » verbe. Il s’agit donc d’un support
utilisable en cours de langue sous forme d’exercice. Son utilité est multiple. Elle est
d’abord purement lexicale. Le locuteur doit trouver, au sein de la sémantique lexicale,
un ou plusieurs verbes sémantiquement pleins et aptes à remplacer le pseudo-verbe
machiner. L’on peut imaginer, à titre d’exemple, le verbe procéder. Elle est ensuite
syntaxique. Ledit verbe est prépositionnel, car il exige l’emploi de la préposition à : A
la fin de la deuxième prolongation, les joueurs procèdent aux tirs au but. La présence
de la forme amalgamée aux est censée inciter le locuteur à songer exclusivement à
un verbe prépositionnel. Il devient possible de concevoir de très nombreux exemples
en L-D en s’appuyant sur le modèle que l’on vient d’exposer.

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5) Peut-on vraiment faire confiance à un Arsène Lupin ?

Dans cet énoncé, deux faits de langue affectent l’apprentissage du français. Le


premier se confond avec un fait de société. En effet, l’apprentissage d’une autre
langue ne saurait/devrait être réduit à la seule appropriation de ses particularités
grammaticales. En l’occurrence, le personnage nommé Arsène Lupin doit être
intégré dans les connaissances que le locuteur possède de la langue-culture
française. Toutefois, ne soyons pas dupes ! Il est possible, du moins dans l’absolu,
de bien maîtriser une langue (voire de faire d’elle une langue in esse) sans savoir qui
est, par exemple, un dénommé Arthur. Le second fait de langue est véritablement
formel. Il relève donc de l’emploi de l’article en français. Le locuteur est confronté à
un emploi quelque peu particulier, de surcroît si la langue in esse ignore l’article en
tant que catégorie. Certes, les grammaires de base focalisent, heur ou malheur, sur
les emplois de l’article dits fondamentaux, c’est-à-dire exclusivement liés aux noms
communs : le / un garçon ; la / une fille, etc. Seule l’immersion dans le discours
permet au locuteur de « compléter » sa maîtrise des différents emplois des articles
un et le en français.

6) un bon vin / un bon kilo de pommes

Là encore, le locuteur est en présence d’un fait de langue concernant la syntaxe et,
par ricochet, la sémantique du français. Là encore, l’apprentissage l’oblige à se situer
au-delà des valeurs usuelles des adjectifs-épithètes. Concrètement, les grammaires
de base définissent l’adjectif bon comme « qui convient » ; « qui a les qualités utiles
qu’on en attend » ; « qui fonctionne bien », etc., c’est-à-dire le contraire de mauvais.
Or l’usage nous impose « un glissement sémantique » dudit adjectif, notamment
lorsque celui-ci embrasse une valeur quantitative : un bon kilo de pommes = « un
peu plus qu’un kilo au sens strict ». Analogiquement, rester une bonne semaine à
Paris signifie « y rester un peu plus que 7 jours ». Comme pour les exemples
précédents, cet emploi de l’adjectif implique une maîtrise non négligeable du
système grammatical. De manière générale, tout éloignement des valeurs
grammaticales de base implique un degré plus élevé de difficulté dans
l’apprentissage et, ipso facto, une prise de connaissance plus tardive par rapport aux
unités dites fondamentales. J’ajoute un autre exemple : faire signifie « fabriquer »,
« créer », « construire », etc. ; mort (dans l’énoncé il est mort) signifie « non vivant » ;
faire le mort signifie « ne pas donner de ses nouvelles », « se réfugier dans le
silence ». Le locuteur prend connaissance d’abord des unités de base que sont les
éléments faire (verbe) et mort (participe passé du verbe mourir) et ensuite, donc
« tardivement », il s’approprie la locution faire le mort…

La cognition en langue in fieri et le vouloir-dire (v. le glossaire de la


linguistique-didactique à la fin de ce document). Éléménts internes et éléments
externes.

Prenons un exemple concret. Un locuteur non confirmé en français (langue in esse :


norvégien) est invité à dîner chez des amis francophones, dans une ville française. Il
apprend le français en France, depuis deux ans et demi, de manière intensive, mais
il est très peu immergé dans les échanges linguistiques en dehors des cours.
Cependant, les cours lui ont apporté une maîtrise honorable du français
conversationnel (au moins pour ce qui est des formes linguistiques). Ce soir, il

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16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

participe pour la première fois à un repas avec des francophones locuteurs


confirmés. C’est donc la première fois dans sa vie qu’il mange « à la française »
(linguistiquement et culturellement parlant). Il « sent » qu’il va être confronté à une
multitude d’énigmes et d’interrogations d’ordre psycholinguistique. Tous ces
éléments traduisent les comportements linguistiques des francophones. Nous en
évoquerons quelques-uns :

- Quand puis-je / dois-je dire « merci » ?


À la différence des langues germaniques, caractérisées par une plus grande
« retenue »8, le génie de la langue française abonde en situations où le mot merci
est très fréquemment prononcé.
- En arrivant, dois-je exprimer quelques formules de remerciement ? Si oui,
lesquelles ? À qui précisément les adresser ?
Il est bien connu que les notions de politesse varient énormément d’une culture
linguistique à une autre9.
- « Ces gens rient tout le temps. Pourquoi ? Je ne trouve pas toujours drôle ce qu’ils
disent. » (monologue intérieur du locuteur non confirmé).
L’humour, concept difficilement définissable, traduit les préoccupations mentales des
différentes communautés linguistiques. Ces préoccupations peuvent varier d’une
langue à une autre autant que la typologie et la génétique linguistiques.
- C’est curieux ! En norvégien, on ne dit pas cela. D’ailleurs, est-ce qu’on dit quelque
chose précisément dans cette situation ?, etc.

Autant d’incertitudes, de tâtonnements, de mélanges et de tentatives. Le locuteur


non confirmé a le sentiment d’être projeté dans un univers un peu étrange. « Il n’y a
pas que la langue qui change », se dit-il ; « ces gens sont différents de nous ; ils ne
se comportent pas comme nous ; ils ne disent pas les mêmes choses que nous… »
En même temps, il se rend compte que la conversation avec des francophones
permet de valider et d’employer utilement certaines formes qui ont été apprises en
cours de langue. Cette confirmation et l’expérience de la soirée lui apportent une
information précieuse : « On ne s’exprime ni pour le plaisir d’utiliser des structures, ni
pour celui de les associer à des situations, mais bien pour réaliser des
comportements langagiers circonscrits par des conventions, animés par des
intentions » 10 . Il s’agit donc de conjuguer ensemble et dans la même langue
comportements linguistiques et intentions. Selon la tradition phénoménologique,
l’intentionnalité se définit comme la capacité de forger des représentations mentales
et de fixer ces représentations comme des buts de l’action. S’agissant, en
l’occurrence, de propriétés cognitives (représentation, discernement, raisonnement,

8 Nous voulons dire, sans aucune intention de discrimination culturelle, que le mot « merci » est moins
souvent utilisé dans ces langues-cultures, en particulier dans certaines situations. Très souvent, ces
locuteurs sont étonnés eux-mêmes en constatant la fréquence (parfois jugée excessive) à laquelle
les francophones énoncent ledit mot.
9 Selon l’écrivain franco-tchèque Milan Kundera, le russe est la langue du Sentiment, et le français la

langue de la Forme. Dans un de ses romans, il raconte une anecdote qui relève précisément de
l’interculturalité. À la fin des années 1960, il avait reçu une lettre de la part d’une secrétaire d’un
éditeur parisien qui venait de publier la traduction française de son roman La vie est ailleurs (écrit en
tchèque). Cette lettre contenait, à la fin, la formule de politesse suivante : « Veuillez croire, Monsieur,
à l’expression de mes sentiments distingués ». M. Kundera dit « avoir sauté au plafond de joie » en
apprenant qu’une « jeune Française, une Parisienne, avait des sentiments pour lui et qu’elle lui faisait
une déclaration d’amour dans cette lettre. » Cette anecdote, pleine d’humour, renforce l’importance,
en linguistique-didactique, de la notion de comportement linguistique.
10 A. Coïaniz, 2001 (1982) : 91.

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16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

etc.), cette problématique incite à s’interroger sur l’existence d’une cognition en


langue in fieri. Cette dernière constitue un véritable no man’s land
psycholinguistique. Pendant une longue période, et de surcroît si les cours sont
intensifs et l’immersion dans la langue constante, le locuteur non confirmé ressent
quelques « perturbations » d’ordre linguistique et comportemental. Ces perturbations
sont proportionnelles aux différences typologique et génétique entre la langue in
esse et la langue qu’il apprend. Plus les langues et les cultures linguistiques
diffèrent, plus il est difficile de franchir les obstacles psycholinguistiques. Ces
obstacles se présentent, globalement, sous forme de diverses interférences d’ordre
linguistique ou d’ordre comportemental.

Les premières interférences peuvent concerner n’importe quel niveau de l’analyse


linguistique. Par exemple, un francophone apprenant l’italien pourra commettre
l’interférence sémantico-lexicale suivante : * Ho comprato una biblioteca milanese,
au lieu de Ho comprato una libreria milanese (« J’ai acheté une bibliothèque
milanaise »). En effet, les mots des différentes langues ne possèdent pas les mêmes
sémantèses : français librairie = italien libreria = anglais bookshop
français bibliothèque = italien libreria = anglais bookcase français bibliothèque =
italien biblioteca = anglais library.
Les interférences d’ordre comportemental procèdent de la notion de vouloir-dire.
Nous citerons trois exemples de langues différentes :
- Un anglophone apprenant le français énonce une phrase comme : * Voir vous
autour !, ou au mieux * Je vous verrai autour !, traduction littérale du comportement
linguistique anglais : See you around !
- Un francophone apprenant l’anglais est tenté, lorsqu’il se retrouve à table par
exemple, de prononcer la phrase : * Good appetite !, traduction littérale du
comportement linguistique français : Bon appétit ! ou encore, s’il apprend l’allemand
et qu’il entre dans un lieu public (magasin, salle d’attente, etc.), l’idée de dire : Herren
Damen !, traduction littérale du comportement linguistique français : Messieurs
dames !
Les interférences comportementales n’ont rien à envier aux interférences
linguistiques : ni leur fréquence ni leur nuisance à l’apprentissage de la langue. Dans
tous les cas de figure, le locuteur non confirmé, prisonnier de traductions mentales et
du poids à travers lequel la langue in esse « appuie » sur ses structures cognitives,
se laisse « guider » par une idée simple, mais infiniment naïve et contre-productive :
dans la langue que j’apprends, « cela se dit ainsi » ou bien, « cela se dit (tout
simplement) ». La première illusion provoque les interférences linguistiques
(comment puis-je dire cela ?), la deuxième les interférences comportementales (dois-
je dire cela ?). Pour bien apprendre une langue, il convient d’éviter l’ensemble des
interférences en assimilant les formes nouvelles et en adoptant des comportements
nouveaux. Dans ce sens, nous pouvons parler des éléments internes et éléments
externes de la langue :

La langue, toute langue est un ensemble d’éléments internes et d’éléments externes.


Les éléments internes sont inhérents à la langue : son système grammatical, sa
génétique et sa typologie, son système d’articulation, les différentes valeurs
sociologiques des mots qui la composent, l’histoire de la langue, etc. Les éléments
externes sont d’une nature un peu plus complexe. Ils concernent plusieurs
domaines :

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16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

- les points par lesquels la linguistique touche à l’ethnologie, c’est-à-dire les


relations qui existent entre l’histoire d’une langue et celle d’une nation
- les relations entre la langue et l’histoire politique
- les rapports qu’entretient la langue avec les différentes institutions
- les emprunts, certains de courte durée, d’autres définitifs ; ces derniers ne
comptent plus comme tels, car ils n’existent que par leur relation avec les
mots dits autochtones, dès qu’il devient possible de parler de leur intégration
dans le système (voir la phonétique)

Nous venons d’expliquer les éléments externes de la langue par le biais des notions
de comportement linguistique. En ce qui concerne les éléments internes, ils relèvent
des sujets suivants : 1) didactique de la grammaire, et 2) expression orale et
expression écrite. Notons tout de même que l’ensemble des enjeux ne pourra pas
être élaboré dans un cours de thématique générale, comme c’est le nôtre.

Didactique de la grammaire

a) Phonétique et phonologie
Pour Saussure, la phonétique est une science historique qui analyse les
changements, changements que l’on peut situer dans le temps. La phonologie, elle,
est en dehors du temps, puisque le mécanisme de l’articulation reste toujours
semblable à lui-même. Nous allons nous intéresser à chacune de ces disciplines afin
de voir comment elles répondent aux problèmes que pose l’enseignement des
langues. Il convient tout d’abord de se rappeler quelques généralités.

Avant tout, l’histoire de la phonétique et de la phonologie dans l’enseignement du


français langue étrangère. Cette histoire a connu un destin assez curieux. Avant la
Seconde guerre mondiale, elle n’occupe qu’une petite place, puisque la maîtrise de
l’écriture l’emporte largement. Les didacticiens sont convaincus que l’on passe
facilement des compétences écrites aux compétences orales. La plupart du temps,
ce sont les professeurs de littérature qui enseignent le français. Pourtant, c’est à ce
moment que les travaux de Troubetskoï permettent à la phonologie de se fonder.
Le tournant ne se produira donc qu’à la fin des années quarante. Une langue est
désormais définie conformément à la théorie saussurienne, c’est-à-dire comme une
réalité orale. A la fin des années cinquante, apparaissent les premières conceptions
des méthodes audio-visuelles (Petar Guberina, disciple de Troubetskoï). Dans ce
conditionnement, la phonétique corrective connaît un fort développement. On
introduit massivement des laboratoires de langue un peu partout.
Curieusement, la phonétique disparaît des préoccupations des didacticiens au début
des années soixante-dix et cela au profit de la méthode dite communicative.
Finalement; l’intérêt pour la phonétique réapparaît au tournant des années quatre-
vingt-dix. Actuellement, les linguistes-didacticiens accordent une importance non
négligeables à la phonétique et à la phonologie, parce qu’ils savent, entre autres,
qu’une bonne maîtrise de la phonétique permet au locuteur-apprenant de se rassurer
dans son apprentissage de la langue.

31
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

La phonétique et la phonologie, rappelons-nous, relèvent du niveau inférieur de


l’analyse linguistique. Il existe entre les différentes langues des ressemblances, mais
aussi et surtout des dissemblances articulatoires. D’une manière générale, chaque
langue possède des voyelles et des consonnes qui lui sont propres :
français : voyelle nasale / õ / dans pont [ põ ] ; semi-voyelle / y / dans huit [ yit ]
anglais : voyelle longue / i :/ dans feet [ fi : t ], consonne ð dans the [ ð ]
italien : consonne / d3 / dans giro [ d3iro ] ; consonne / ts / dans Mi piace [ mipjatse ]
allemand : distinction entre ich [ iç ] et haben [ habn ]
langues slaves (russe, bulgare, etc.) : consonne / č / dans čelovek [ čelovek ]

b) La distinction entre phonétique et phonologie


La phonétique est la discipline qui étudie les sons sous l’angle de leur émission,
propagation et réception ; c’est-à-dire les sons tels qu’ils sont produits par le
locuteur. L’unité linguistique de la phonétique est appelée phone. On distingue :
- la phonétique auditive (ou perceptive) qui étudie la réception des sons par le
destinataire
- la phonétique articulatoire (ou physiologique) travaille du point de vue de la
production des sons, à partir d’une étude anatomique des positions des organes
phonatoires
- la phonétique acoustique travaille du point de vue de la transmission des sons

La phonétique est une discipline normative dans la mesure où elle se contente


d’établir la liste complète des phones d’une langue donnée. La liste des phonèmes
du français standard est fournie par l’Association Phonétique Internationale (API).
Cette association propose de plus une liste plus exhaustive permettant de transcrire
pratiquement n’importe quelle langue (environ 500 phonèmes et symboles). La
prononciation dite standard ou neutre est celle qui a été fondée sur l’observation des
milieux bourgeois de la région parisienne (de l’Ile de France).

La phonologie (ou la phonémique) est l’étude des sons du point de vue de leur
contribution au sens, donc du point de vue de leur rôle dans le système linguistique.
L’unité linguistique de la phonologie est le phonème. Les phonèmes sont les unités
minimales de la description linguistique dont le sens s’établit uniquement dans une
suite avec d’autres phonèmes. Par conséquent, la combinaison de phonèmes
permet de former des mots (morphèmes) et de les distinguer les uns des autres :
/ b / + / õ / = [ b õ ] ; b est une consonne sonore et bilabiale
/ s / + / õ / = [ s õ ] ; s est une consonne sourde et alvéolaire

c) L’intonation emphatique
En français comme dans d’autres langues, on définit l’emphase, la mise en relief ou
la focalisation comme un élément purement syntaxique : C’est Luc qui viendra
demain ; C’est demain que Luc viendra ; C’est avec moi qu’il s’est disputé ; Lui et
moi, on ne se parle plus, etc. Pour le locuteur-apprenant, ce type d’emphase ne
constitue aucun obstacle (majeur) dans l’apprentissage de la langue. De plus,
l’emphase syntaxique n’empiète jamais sur la compréhension ; bien au contraire, elle
la facilite. Par exemple, l’identification du sujet est rendue plus facile grâce à l’emploi
de l’emphase pronominale dans Lui et moi, on ne se parle plus.

32
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

Cependant, la phrase française dissimule un autre type d’emphase, qui n’est pas
d’ordre syntaxique, mais d’ordre phonétique. D’où la possibilité d’introduire le terme
intonation emphatique ou emphase phonétique. De quoi il s’agit ? Le locuteur
accentue un mot ou un groupe de mots dans une phrase, ce qui lui permet de
modifier légèrement ou considérablement la valeur sémantique (ou pragmatique) de
la phrase, c’est-à-dire son sens ou, du moins, son expressivité stylistique :

phrase non emphatique phrase emphatique

Maintenant, tu rentres. Maintenant, tu rentres !


(constatation) (ordre)
Maintenant, tu rentres ?
(question)
Tu parles. Tu parles ?
(constatation) (question)
Tu parles !
(contestation, ironie)

Ce type d’emphase pose de nombreuses difficultés au locuteur-apprenant,


notamment au niveau du sens que prend la phrase avec telle ou telle intonation et il
faut un temps certain pour qu’il se familiarise avec ce phénomène, qui est, répétons-
le, d’ordre phonétique. L’intérêt pour son étude est renforcé par la nature même de la
langue en question, à savoir le français parlé, le français dynamique, vivant,
quotidien, le français tel qu’on le parle. Le locuteur-apprenant doit être en mesure de
pratiquer, d’utiliser lui-même ce type d’emphase, puis de comprendre le sens des
phrases ainsi focalisées (phonétiquement). Quant au linguiste-didacticien, il est tenu
d’introduire des exercices dans son enseignement de la langue et d’expliquer au
locuteur-apprenant les spécificités des différentes emphases phonétiques.

Exercice I. Identifiez le sens des phrases suivantes dans leur version non
emphatique, puis dans leur version emphatique en indiquant à chaque fois l’élément
focalisé. N.B. Ces phrases ne contiennent aucun signe de ponctuation :

 je suis un homme heureux


 c’est le livre
 si jamais tu revois ce garçon
 moi je reste à la maison
 je suis chez moi
 tu me prends pour un con
 je n’aime pas tes manières
 ah bon
 mais il est vraiment con
 comment peux-tu me dire ça
 oh la vache
 ta mère
 ah le salaud il l’a piqué

33
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

d) Nature du signe linguistique ; l’arbitraire du signe


L’objectif de la présente étude : voir dans quelle mesure la lecture (ou une lecture
critique) du CLG (Ferdinand de Saussure, 1916) peut servir de source d’informations
et d’inspiration à la didactique des langues.
Les faits généraux sont (plus ou moins) connus. En linguistique et en sémiologie
(science des signes en général), le terme signe a un sens particulier, différent de
celui qu’il a dans l’usage courant.
Dans un premier temps, Saussure pose que « le signe linguistique unit non une
chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. »11 :

Schéma 1 :

concept
implique renvoie à
image acoustique

L’image acoustique n’est en aucun cas un simple son matériel, une chose purement
physique. Elle est avant tout une empreinte psychique, une représentation mentale
des sons qui existent en nous. La preuve : sans remuer les lèvres ni la langue, il est
possible de produire intérieurement, mentalement n’importe quelle image acoustique
en se parlant à soi-même. Ce principe est valable aussi bien pour le locuteur
unilingue que pour le locuteur-apprenant dont l’apprentissage-acquisition de la
langue se trouve au stade de la fossilisation (c’est-à-dire, aucune traduction mentale,
mais une énonciation-compréhension autosuffisante et inhérente à la langue que l’on
apprend). En ce qui concerne le locuteur-apprenant dont l’apprentissage-acquisition
de la langue est loin du stade de la fossilisation (c’est-à-dire, une traduction mentale
plus ou moins systématique et une énonciation-compréhension dépendante de la
langue maternelle et non inhérente à la langue que l’on apprend), les procédés
psycholinguistiques sont quelque peu modifiés :

Schéma 2 :

concept (langue maternelle)

implique
image acoustique (langue à apprendre) renvoie à

11 Les philosophes grecs, partisans de la théorie dite thesei, pensaient que les noms avaient été
affectés aux choses par convention.

34
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

Dans un deuxième temps, Saussure substitue aux termes concept et image


acoustique les appellations signifié et signifiant, tout en conservant le nom signe
linguistique. Ainsi le signe linguistique est-il défini comme l’ensemble d’un signifiant,
d’un signifié et de la relation qui s’établit entre eux. A ce titre, le mot (morphème
lexical) est un signe. Et c’est en ce sens que l’on peut dire, par exemple, que le mot
arbre est un signe linguistique. Mais attention : le signifiant n’est signifiant que parce
qu’il est signifiant d’un signifié ; inversement, le signifié n’est signifié que parce qu’il
est signifié d’un signifiant :

Schéma 3 :

signifié :

implique renvoie à
signifiant : arbre ou  

La théorie saussurienne accorde une grande importance au postulat suivant : « Le


lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire. » Pour Saussure, l’idée de
« sœur » n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de phonèmes qui lui
servent de signifiant. Pour le prouver, le grand maître évoque la diversité des
langues : on constate donc que les signifiants « sœur » ni « sister » ne ressemblent
au signifié « sœur ». En revanche, le signifiant [ kokoriko ] ressemble au signifié
« cocorico ». Alors, qu’est-ce que cela prouve ? Cela prouve qu’il faut relativiser
l’arbitraire du signe linguistique en parlant de l’arbitraire absolu (le cas de « sœur »)
et de l’arbitraire relatif (le cas de « cocorico », all. « kikeriki »). De même, vingt et
chêne relèvent de l’arbitraire absolu, mais dix-neuf et poirier appartiennent à
l’arbitraire relatif, etc.

Le mot arbitraire appelle cependant deux remarques. La première concerne le fait


que le signifiant ne dépend pas du libre choix du locuteur. Or, il arrive souvent (c’est,
d’ailleurs, presque une nécessité théorique) que le locuteur-apprenant, tout en
essayant de respecter le signifiant sociolinguistiquement établi, modifie celui-ci
légèrement ou considérablement.

La deuxième remarque fait appel à l’arbitraire relatif. Un signe linguistique dont


l’arbitraire relatif est souvent celui des mots morphologiquement complexes. Par
exemple, enterrement, constitué du préfixe en-, du radical terre et du suffixe -ment,
est motivé (arbitraire relatif) par rapport à terre. Un locuteur-apprenant qui connaîtrait
la valeur des trois éléments constitutifs pourrait comprendre le mot enterrement
même sans l’avoir préalablement rencontré.

Exercice 2. Etudiez dans le même sens le degré de compréhension par un locuteur-


apprenant des éléments suivants :

 pratiquement ;
 sur-le-champ ;

35
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

 autrefois ;
 incontournable ;
 antichambre ;
 bonhomme / bonne femme ;
 entretenir ;
 sale type ;
 cela ne ressemble à rien ;
 fondamentalement ;
 grand homme ;
 quelque chose ;
 ça alors ;
 tu me trompes maintenant ;
 hôtel de ville ;
 chaise longue

e) Le sociologique est dans le linguistique :

- valeur sociolinguistique des mots

- type linguistique et mentalité du groupe social

Afin de définir la portée et la spécificité de la présente étude, il faut revenir à la


source. Et la source de la linguistique porte un nom précis : c’est la sémiologie,
science des signes. Or, la langue est un ensemble de signes linguistiques
éternellement soumis aux mécanismes de la mutabilité.

Selon Saussure, la langue est aussi et de surcroît une institution sociale ; toute étude
d’une langue précise est ipso facto une étude de la psychologie sociale et de la
mentalité du groupe linguistique concerné. La langue fournit beaucoup de
renseignements authentiques sur les mœurs, les préoccupations mentales et les
institutions d’une communauté linguistique. D’une manière générale, la société est
identifiable dans la langue, la langue traduit (ou trahit) la société dans toutes ses
manifestations. A vrai dire, Saussure n’a pas beaucoup de mérite dans l’élaboration
de cette théorie, car il s’agit là d’un vieux postulat humboldtien : la langue est la
nation ; la nation est la langue. On estime que l’évolution d’une société (au sens
sociologique et anthropologique) correspond à l’évolution de la langue : une étude
contrastive portant sur les préoccupations mentales et leurs conséquences
linguistiques d’une tribu (forêt d’Amazonie) et d’une société européenne, par
exemple, permettrait de confirmer le bien-fondé de ladite théorie.

Ce phénomène peut être exploité soit dans le cadre d’une étude des problèmes
théoriques de la traduction (de la traductibilité des langues), soit dans le domaine de
la didactique des langues. Pour ce qui est de la traduction, nous allons nous
contenter d’évoquer les principes déjà connus. Comment peut-on traduire dans une
autre langue, donc dans un autre système cognitif, une préoccupation mentale,
sachant qu’elle est inimitable et que sa forme et son contenu varient en fonction d’un
certain nombre de critères : le temps, les circonstances historiques, l’espace
sociologique, etc. Songez, par exemple, à l’écart entre la traduction du mode

36
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

d’emploi d’un appareil, d’une machine et celle d’un livre comme la Bible, le Coran,
etc.

Mais nous allons nous intéresser davantage aux enjeux proprement linguistiques et
didactiques dudit phénomène. Pour cela, je reviens à la notion de langue : la langue
est une fenêtre ouverte sur la société ; l’étudier, c’est observer la société. Prenons la
langue française et essayons de distinguer, dans ce sens précis, le français dit
européen, le français africain, le français québécois, etc. Chacune de ces
« langues » (non pas au sens de leur statut linguistique, mais au sens sociologique)
traduit les préoccupations mentales des locuteurs qui les parlent. Les différences
sont d’abord intercontinentales, puis intracontinentales.
Sociolinguistiquement parlant, bien des choses séparent ce que reflète le français
parlé en Europe de ce que reflète le français utilisé sur les autres continents (par
exemple, au Québec). De même, mais dans une moindre mesure, on trouve des
nuances sociolinguistiques (parfois sensibles) entre le français parlé en France et le
français utilisé dans la Suisse romande. Si vous apprenez le français langue
étrangère exclusivement dans une institution française ou dans une institution
suisse, vous n’apprendrez pas la même « langue » ou, du moins, vous n’apprendrez
pas la même chose. Par conséquent, vos propres préoccupations mentales, une fois
que vous serez devenu francophone, seront identifiables en tant que telles.

Nombre d’éléments déterminent ou traduisent la mentalité du groupe social. Il existe


un rapport d’interdépendance entre ces éléments :

Ils sont d’abord sociologiques :

- l’histoire de la société et de sa politique intérieure (la centralisation


à la française, le système fédéral de l’Allemagne, confédéral de la
Suisse, etc.)

- le degré de démocratisation

- l’existence ou l’inexistence de certaines institutions qui se


proposent de défendre la langue

- le développement économique

- l’humour, etc.

Ensuite d’ordre psychologique (ces éléments sont entièrement ou en partie


provoqués par les éléments sociologiques) :

- certaines manières de parler qui consistent à schématiser ou à


relativiser le monde et les choses

- porter un regard critique ou non critique sur la société et sa


politique

- idolâtrer la langue nationale ou, au contraire, relativiser son


importance

37
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

- vouloir « exporter » la langue ou, au contraire, la réduire à un usage


interne, etc.

Enfin, ces éléments sont également et surtout d’ordre purement linguistique


(l’existence ou l’inexistence de certaines propriétés lexicales, syntaxiques,
sémantiques, pragmatiques, etc., très souvent issues des éléments sociologiques et
psychologiques, précédemment évoqués) :

- le lexique : les anglicismes en France et au Québec ; l’existance de


termes « intraduisibles » ressortissant à l’histoire, à la société, etc. :
les sans-culottes, le foie gras, etc.), etc.

- les catégories grammaticales : le duel de certaines langues


(slovène, arabe) permet une autre distinction entre le concret et
l’abstrait) ; l’article ou le non article des langues conditionnent la
manière dont on définit les noms et par conséquent l’espace, etc.

- la syntaxe : faire des fautes de français est un tour syntaxique


assez étrange et qui traduit une certaine composante d’ordre
psychologique et sociologique ; on dit que les germanophones sont
plus polis que les autres, parce qu’ils ne se coupent pas la parole
(verbe à la fin de la subordonné), etc.

- la sémantique : dans les sociétés anciennement communistes -


l’unipartisme-, les langues véhiculaires et/ou vernaculaires
n’opéraient pas la distinction entre la gauche et la droite politique ; le
véritable sens du terme misère dépend, entre autres, du
développement économique

- la pragmatique : l’existence ou l’inexistence de certains proverbes


témoignent de certaines préoccupations mentales incomparables à
celles des autres groupes linguistiques (ex. Träume sind Schäume -
« les rêves, c’est de la mousse ») 12 ; de même, l’existance ou
l’inexistance d’insultes à connotation sexuelle et d’autres facteurs.

12 Cela vient, peut-être, de Sigmund Freud (?)

38
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

Glossaire

Nous proposons ici un petit glossaire des concepts que Bajrić (20013, 2009)
établit (quelques-uns sont empruntés à d’autres linguistes13) pour les besoins de
ce cours :

ambiguïté : « Est dite ambiguë une expression de la langue qui possède


plusieurs significations distinctes et qui, à ce titre, peut être comprise de
plusieurs façons différentes par un récepteur. Il y a ambiguïté lorsqu’à une
forme unique correspondent plusieurs significations ». (C. Fuchs, 1996, p. 7).
bilinguisme (définition psycholinguistique) : capacité d’un locuteur à exercer
un mouvement cérébral alternatif, allant d’un système de conceptualisation à
un autre, d’une activité de pensée à une autre. ; (définition
sociolinguistique) : capacité d’un individu à utiliser deux langues avec une
correction phonétique suffisante pour éliminer tout obstacle à la bonne
compréhension de ce qu’il dit, ainsi qu’une maîtrise des structures
grammaticales comparables à celles d’un locuteur monolingue du même
milieu social et culturel.
communiquer (conception large) : émettre des sons articulés dans
l’ensemble des fonctions du langage ; (conception plus étroite) : émettre des
sons articulés au sein de la fonction référentielle, pour peu que l’on puisse
l’extraire de la masse énonciative.
connexion énonciative : lien d’ordre mental qui gère notre manière de
parler et qui s’établit entre, d’une part, l’énonciation et, d’autre part, les
phrases libres et les phrases-tiroirs.
connexion interphrastique : lien qui unit deux phrases monoverbales entre
elles et sans lequel il n’y aurait pas de phrase-texte minimale.
didactique des langues : « méthodologie de l’enseignement des langues »
ou « discipline recouvrant l’ensemble des approches scientifiques de
l’enseignement des langues et constituant un lieu de synthèse entre les
apports différents de la linguistique, de la psychologie, de la sociologie, de la
pédagogie » (R. Galisson et D. Coste, 1976, p. 151).
faits d’apprentissage : l’ensemble des problèmes qui sont provoqués par la
confrontation à des faits de langue étrangers au(x) système(s) de
conceptualisation déjà intégré(s). Par exemple, la confrontation à l’article
français par un locuteur russophone.
faits de langue : l’ensemble des traits spécifiques, grammaticaux,
notionnels et culturels, par lesquels une langue se distingue nettement de
toutes les autres, ou d’un grand nombre de langues, ou du moins de l’autre
langue (celle qui est l’objet d’apprentissage). Par exemple, l’existence en
français de voyelles nasales ou d’un système d’article.
immuabilité morphologique : celle des mots ; l’on ne saurait modifier leurs
formes.
immuabilité syntaxique : celle des phrases-tiroirs ; l’on ne saurait modifier
le nombre et la nature de leurs constituants.
inertie mentale : mécanismes mentaux naturellement censés assurer le
maintien des comportements linguistiques initiaux, par lesquels la langue in

13 Nous le précisons entre parenthèses.

39
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

esse lutte contre l’émergence dans la cognition du locuteur d’une autre


subjectivité linguistique.
intuition linguistique : capacité mentale du locuteur à appréhender
différemment les structures langagières, avant que n’interviennent les
explications analytiques. L’intuition linguistique sous-entend l’existence de
trois sous-catégories : l’intuition énonciative, l’intuition heuristique et l’intuition
analogique
langue in posse : toute langue naturelle dans laquelle le locuteur reconnaît
ou non à peine quelques sonorités.
langue in fieri : toute langue dans laquelle on peut communiquer, à des
degrés variables, mais dont on ne possède pas un sentiment linguistique
développé.
langue in esse : toute langue dont on possède l’intuition grammaticale
correspondante et un degré très élevé de sentiment linguistique.
linguistique : « étude scientifique du langage humain » (A. Martinet, 1993,
1960, p. 6).
linguistique-didactique : étude scientifique du lien entre langage et
acquisition des langues.
locuteur confirmé : tout individu dont le sentiment linguistique est
suffisamment fiable et développé pour formuler des jugements
d’acceptabilité sur des énoncés produits dans la langue.
locuteur non confirmé : tout individu dont la maîtrise de la langue, quelles
qu’en soient les raisons, se révèle inférieure à celle du locuteur confirmé.
locuteur naïf : locuteur confirmé mais non spécialiste, qui « n’exerce pas
consciemment une activité de réflexion sur la langue » (M. Yaguello, 1988, p.
156).
mots « inapprenables » : ensemble des éléments qui véhiculent les
émotions et qui sont dépourvus de tout contenu véritablement notionnel ; ce
sont, principalement, les interjections, les particules énonciatives et les
éléments s’y assimilant.
mot-phrase : désigne toute unité linguistique subduite ou non, où la saisie
lexicale s’identifie avec la saisie phrastique, sans que soit engagé
quelconque mécanisme d’holophrastie.
néoténie linguistique : théorie du « locuteur inachevé ». Analogiquement à
la théorie de l’être inachevé (L. Bolk), la néoténie linguistique renvoie à
l’incomplétude heuristique dans l’apprentissage d’une langue
paresse d’esprit : ensemble des manifestations linguistiques, articulées
(différentes constructions) et non articulées (expressions gestuelles), qui
rendent opérationnelle la loi du moindre effort.
parler (conception large) : émettre des sons articulés (faculté caractérisant
l’espèce humaine tout entière) ; (conception plus étroite) : émettre des sons
articulés et instaurer la communication verbale (faculté caractérisant la
communauté linguistique correspondante)
parler une langue (en linguistique) : pouvoir dire (ou taire) des mots et des
phrases dans cette langue, tout en rendant caduc ou secondaire le critère de
perfection linguistique. ; (en linguistique-didactique) : exister dans cette
langue ; avoir accès à sa subjectivité ; être ego dans cette langue ;
s’approprier le comportement linguistique correspondant.
phrases de langue : interjections et phrases-tiroirs

40
16D474 : D. SAULAN – Didactique de l’écrit

phrases-tiroirs : phrases dans lesquelles le nombre des constituants


immédiats employés sur la visée discursive reste constamment le même,
ainsi que l’ordre de leur apparition. Elles sont plus fréquentes dans la langue
parlée que dans la langue écrite. Exemples : Qui l’eût cru ?; Cause
toujours ! ; Ça le fait., etc.
silence des langues : toute absence de productions linguistiques (mots,
phrases, interjections, discours, mimiques, etc.) motivée par les
caractéristiques cognitives de son vouloir-dire. Il peut également être défini
comme une forme très spécifique de comportement linguistique ou, pour
ainsi dire, de comportement linguistique « virtuel ».
subjectivité des langues : ensemble des formes livrant l’expression ou
l’expressivité, par lesquelles le locuteur descend au-dessous d’une simple
description des objets du monde, afin de livrer la formulation d’un
engagement ou d’un état intentionnel.
tetralemme des langues : 1) toutes les langues sont riches ; 2) toutes les
langues sont pauvres ; 3) les langues ne sont ni riches ni pauvres ; 4) les
langues sont riches et pauvres
unité informationnelle minimale : toute unité linguistique qui appartient au
discours et qui ne rassemble qu’un minimum d’éléments nécessaires à une
compréhension plénière du sens recherché.
verbe faire : le verbe le plus fréquent en français, après les verbes qui lui
préexistent (avoir et être), et qui se substitue à un très grand nombre
d’autres verbes dont le sémantisme est plus précis. Exemple : J’ai fait tous
les magasins, mais je n’ai pas trouvé (= ai cherché dans…).
vouloir-dire : ensemble des éléments qui sont d’ordre mental et par lesquels
la langue incite le locuteur à choisir tel type d’énonciation (le dire) et
d’énoncé (le dit) plutôt que tel autre.

41
16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit

Alain Boyer
Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand

CELA VA SANS LE DIRE.


ÉLOGE DE L'ENTHYMÈME

Aucun dialogue ni aucune recherche ne prend la forme de suites de syllogismes complets


opposés les uns aux autres comme des bataillons d'armées d'Ancien Régime1. Qu'ils soient
justificatifs2, ou purement critiques3, les arguments sont rarement présentés in ordine et in
extenso : le locuteur présuppose tout un ensemble de propositions dont il considère, plus ou
moins sciemment, qu'elles sont évidentes et, au mieux, notoirement connues comme telles
[Common Knowledge). On appelle enthymème un raisonnement dont certaine(s) prémisse(s),
voire la conclusion, ne sont pas explicitées, mais dont la validité doit pouvoir être exhibée si l'on
ajoute les énoncés manquants et présupposés4. On se propose ici d'esquisser les traits généraux
d'une théorie enthymématique de l'argumentation, susceptible de relier les aspects logique et
rhétorique de cette activité spécifiquement humaine.
Dans une première partie, on rappellera certaines données historiques, sans prétendre pour
autant résoudre la petite énigme que constitue le glissement sémantique qu'a subi le terme
à'enthymème. Dans une seconde partie, on tentera d'illustrer la fécondité de la « technique
enthymématique » pour aider à l'intelligence de certaines procédures argumentatives, en parti-
culier en philosophie. Enfin, on risquera une conjecture, à savoir que des arguments caractérisés
d'habitude comme non déductifs peuvent être interprétés comme des enthymèmes, en parti-
culier dans le cas des inductions et des analogie^. La reprise réglée du thème de l'implicite et la
levée de la contrainte de certitude quant aux prémisses permettent d'assouplir certaines divisions
tranchées entre logique et argumentation6.

HERMÈS V, 1995 73

42
16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit
Alain Boyer

Du vraisemblable à l'implicite
Aristote parle de l'enthymème surtout dans sa Rhétorique. Il le définit comme un « syllo-
gisme probable», caractéristique de cette discipline, partie «politique» de la dialectique
consacrée à l'usage des arguments au sein des tribunaux et des assemblées en vue non de
démontrer mais de persuader. Le nom d'enthymème est réservé à des déductions « tirées de
vraisemblances et d'indices7 ». Le recours à l'indice ou au signe paraît être propre à la
rhétorique, puisque le syllogisme dialectique est défini comme une déduction dont les prémisses
sont seulement « probables » ou vraisemblables8. Mais Aristote d'affirmer que les prémisses d'un
enthymème peuvent n'être pas énoncées : « (Si elles sont) connues, l'auditeur les supplée. Var
exemple, pour conclure que Dorieus a reçu une couronne comme prix de sa victoire, il suffit de dire :
il a été vainqueur à Olympie ; inutile d'ajouter : à Olympie, le vainqueur reçoit une couronne ; cest
un fait connu de tout le monde ». Ce passage semble être à l'origine de l'évolution sémantique qui
conduira le terme « enthymème » à signifier purement et simplement « syllogisme incomplet »,
au rebours de la lettre péripatéticienne.
Il ne semble pas en effet qu'Aristote utilise sciemment deux définitions, puisqu'il affirme
que les maximes (gnômaï) peuvent devenir des enthymèmes si on leur adjoint «la cause, le
pourquoi9 ». Cependant10, le texte de la Rhétorique ne laisse pas d'être quelque peu ambigu, en
particulier lorsqu'Aristote cherche à différencier le syllogisme rhétorique du syllogisme dialec-
tique : tout se passe comme si cette différence avait pour objet, outre le recours aux indices et la
visée peruasive, le fait que l'enthymème est un raisonnement adapté à «la foule», et dès lors
facile à suivre, ni trop compliqué ni trop trivial. Le discours risquerait de ressembler à du
« bavardage », si l'on « énonce trop de choses évidentes11 ». En un mot, l'idée de prémisses
implicites n'est pas, pour le Stagirite, constitutive de la notion d'enthymème, mais elle en est
pour ainsi dire une caractéristique accidentelle, quoique fréquente, déterminée par des considé-
rations d'efficacité : « Du fait de la faiblesse d'esprit de l'auditeur, il faut condenser le plus possible
ses enthymèmes12 ».
Il est ainsi possible de comprendre que la tradition ait retenu uniquement la signification
« raisonnement incomplet », si tant est que la spécificité formelle du syllogisme rhétorique par
rapport au genre prochain du syllogisme dialectique n'est rien moins que clair dans Aristote.
C'est ainsi qu'après Quintilien13, Boèce14 retiendra avant tout le sens « moderne ». La Logique de
Port-Royal15 ira jusqu'à citer Aristote quasiment à contre-sens, utilisant l'un de ses exemples de
maxime « complétable » ou transformable en « enthymème » comme un enthymème au sens de
syllogisme incomplet...
Faut-il regretter cette dérive, comme si le sens retenu par les Modernes était plus pauvre
que celui d'Aristote, et rapporter cela à la progressive réduction de la rhétorique à un catalogue
de tropes16 ? Il me semble au contraire de bonne politique d'adopter le sens moderne, pour
mieux en faire ressortir la richesse théorique.

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16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit
Éloge de l'enthymème

L'empire de l'implicite
La plupart des raisonnement utilisés dans la vie courante sont des enthymèmes, figures dont
le discours publicitaire est particulièrement friand, en tant qu'art de la suggestion. Un dialogue
entièrement explicite serait à mourir de rire (ou d'ennui17). On ne s'étend pas outre mesure sur
la mortalité des hommes ou sur le fait que l'orage en montagne représente un danger, etc. Le jeu
des questions et des réponses est foncièrement enthymématique. « Pourquoi n'a-t-il pas pris sa
voiture ? Parce qu'il y avait du brouillard. » Exercice : mettre en évidence une prémisse (triviale)
qui rende ce raisonnement valide. « Pourquoi cet homme a-t-il été décapité ? Parce qu'il avait
blasphémé. » Exercice : compléter cet enthymème et conclure sur les contextes possibles d'un tel
échange. En revanche, dès qu'il s'agira d'expliquer de tels dialogues à un « persan » ou à un
enfant (ou encore à une machine « intelligente »), peu accoutumés à ce type de pratiques, il
conviendra d'expliciter, ce qui n'est pas toujours une mince affaire.
Il faut prendre garde à ne pas énoncer trop de trivialités, sauf à manquer de respect aux
bonnes règles de la conversation, telles celles codifiées par Grice. Il est nécessaire de ne pas
perdre (et faire perdre) du temps en rappelant ce que chacun sait, au risque de rendre
méconnaissable la pertinence de son argument. Mais il peut se faire qu'un discours souffre de
concision excessive, en une sorte de délire enthymématique : d'où le principe de l'abbé
Terrasson, rendu célèbre par Kant18 : Certains ouvrages seraient beaucoup plus courts s'ils
η étaient pas si courts. Autrement dit, plus c'est court, plus c'est long (à comprendre). À la limite,
un enthymème absolu serait un raisonnement sans prémisses auquel manque la conclusion,
forme pure que je propose de caractériser comme lichtenbergienne : un silence argumenté, en
quelque sorte19. Le « grand style » échappe à ces deux écueils : les figures de l'ellipse ou de la
litote, voire l'insinuation, ou même tout l'art de la séduction, participent de cette maîtrise de
l'implicite. L'enthymème est universel. Le politique n'est pas le dernier à s'en servir, mais
l'humoriste ou l'historien ne sauraient s'en passer non plus. Dès lors qu'un narrateur désire
rendre compte d'un événement, il présuppose un certain nombre de « vérités de sens commun »,
de topoî] voire de lois empiriques, sans lesquelles ses raisonnements ne tiendraient pas debout,
comme le fait une déduction en bonne et due forme20. Chaque communauté culturelle est
caractérisée par des ensembles différents, quoique non disjoints, de présomptions «implici-
tables ». Leur mise au jour constituera l'un des exercices les plus intéressants de celui qui prend
en charge l'étude de telle ou telle communauté, fût-ce la sienne propre21. Les préjugés sociaux se
cachent bien souvent dans les raisonnements partiellement explicités des locuteurs, et c'est alors
que nous pouvons les mettre en évidence, non sans prudence, puisqu'il est clair que plusieurs
prémisses différentes peuvent servir à compléter l'argument22.
Lorsqu'on interprète un texte, et singulièrement un texte philosophique, au-delà des
problèmes herméneutiques posés par le flou et l'ambiguïté des termes utilisés, il est difficile
d'échapper aux deux monstres symétriques que sont la paraphrase et le contresens (ou l'ana-

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16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit
Alain Boyer

chronisme). Vouloir à tout prix se protéger de l'un des deux nous jette dans les bras de l'autre.
Comprendre le contexte problématique de l'auteur23 et éventuellement mettre en évidence ses
adversaires théoriques ou l'armature d'oppositions qui structure (plus ou moins explicitement)
sa pensée ne suffit pas : encore faut-il dénouer l'argumentation immanente au texte sans la trahir
ni la répéter. Or la paraphrase mène aussi à la trahison, tant il est délicat de répéter sans perdre
du sens. La notion d'enthymème permet d'envisager une lecture fidèle et éclairante à la fois : le
penseur ne prend pas en général la peine d'expliciter les évidences propres à sa culture ou à sa
tradition, ou encore celles qu'il juge avoir déjà justifiées. La manière dont il joue subtilement de
l'instrument enthymématique pourrait participer de ce que Gilles Granger appelle le style : tel
insistera sur une prémisse que tel autre jugera inutile et inélégant de proférer explicitement.
Expliquer consistera à dévoiler l'implicite. Lorsque telle prémisse sera jugée nécessaire mais
contestable, le commentaire rejoindra la critique. Il me semble que cette technique retrouve ce
qu'avait de séduisant l'idée althussérienne de « lecture symptômale24 » voire celle de « révélation
du contenu latent », à condition que l'on ne fasse pas dire à un texte plus qu'il n'est nécessaire
pour rendre autant que possible ses raisonnements valides25.
À l'opposé d'une vision purement esthétique ou oraculaire de l'histoire de la philosophie, il
faut souligner la nature argumentative de cette tradition. Elle s'ordonne bien souvent autour
d'arguments « dominateurs » qui imposent la discussion, soit parce qu'ils sont présentés comme
des preuves de vérités jugées premières, mais contestées par certains (l'existence de Dieu, du
monde extérieur ou de jugements synthétiques a priori), soit parce qu'ils constituent des
paradoxes, à savoir des raisonnements apparemment valides dont les prémisses sont acceptables,
voire évidentes, mais dont la conclusion paraît étonnante, voire absurde. La preuve ontologique
et le Cogito entrent dans la première catégorie, les apories de Zenon et de Diodore dans la
seconde. La Critique de la Raison Pure, du moins jusqu'à la Dialectique Transcendantale, peut
être considérée comme une tentative de preuve a priori (sans prémisses empiriques) de l'exis-
tence de principes a priori de la possibilité de la connaissance empirique.
D'autres arguments se présentent avec brio comme des défis : ainsi des arguments humiens
contre l'assimilation de la causalité et de la nécessité logique ou contre la réduction du droit au
fait, ou encore l'argument de Quine sur l'impossibilité de la traduction radicale. Rares sont ceux
qui croient encore qu'il existe de réelles preuves (positives) en philosophie, en dehors peut-être
du Cogito interprété a minima. Le plus souvent, lorsqu'on dispose d'une preuve, elle relève de la
logique formelle26, même si son interprétation philosophique excède le régime de la démonstra-
tion. Cela dit, les (tentatives de) preuves n'ont pas été sans fécondité, ne fût-ce-qu'en permettant
de mettre au jour des distinctions conceptuelles cruciales27. Et la critique des preuves, comme
l'examen des paradoxes, passe souvent par la découverte de prémisses implicites : ainsi, dans le
cas de la preuve anselmienne, ou plutôt de sa version cartésienne, on verra Leibniz la compléter
en montrant qu'elle (pré)suppose que la notion de Dieu est au moins non contradictoire, et Kant
la réfuter en mettant en évidence une prémisse jugée fausse, à savoir que l'existence est une
qualité, ce que Frege fera également en insistant sur la confusion catégorielle inhérente à ce type
de « preuve28 ».

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16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit
Éloge de l'enthymèrne

On pourrait citer à loisir bien d'autres exemples : Aristote contestait ses prédécesseurs
quant à la question de l'être en isolant dans leurs raisonnements une prémisse inavouée, à savoir
que l'être est univoque, ce qu'il refusait. La logique des modernes refuse la subalternation, et de
ce fait répute non valides certains modes syllogistiques, parce qu'elle rejette l'idée que l'univer-
selle présuppose (au sens faible) l'existence des objets dont elle parle ; en ajoutant une prémisse
existentielle (« présupposée » au sens fort), on perd en élégance, mais on sauve ces modes
litigieux29, tout en restaurant l'idée que les contradictoires sont vraiment antithétiques. Russell
cherchait à montrer que la métaphysique idéaliste reposait sur la thèse des « relations internes »
que la nouvelle logique permettait de contester...
La philosophie vit ainsi de stratégies argumentatives, telles les stratégies sceptique, réduc-
tionniste, nominaliste, transcendantale, contractualiste, ou encore Yépochè, ces deux dernières
pouvant être caractérisées comme des expériences de pensée30. La stratégie de la mise en examen
des preuves par le dévoilement de leurs prémisses cachées est d'une importance peu contestable.
Elle vaut pour l'histoire des mathématiques (non formalisées), comme on le voit par exemple
chez Leibniz critiquant Euclide ou encore chez Frege justifiant la nécessité « du recours à une
idéographie31 ».
Un cas célèbre de principe dont le statut d'enthymème est en question n'est autre que le
Cogito. La difficulté que l'on éprouve à fixer un statut logique univoque à cette proposition si
claire n'est pas sans effet sur la fascination qu'elle exerce à juste titre. Descartes la tient semble-
t-il à la fois comme une inference et comme une évidence immédiate. Si on la reconstruit comme
une déduction en forme, il paraît nécessaire de lui adjoindre une prémisse indolore, à savoir que
quelque chose qui pense (ou plus généralement agit) ne peut pas ne pas être : par contraposition,
ce qui n'est pas ne peut pas penser, ou, plus généralement, « le néant n'a pas de propriétés »,
comme le diront Descartes32 et Malebranche33. La seconde prémisse «Je pense (que je me
promène34) » étant certaine, car la seule à résister à la stratégie du doute radical, la conclusion est
indubitable. On peut comprendre pourquoi Descartes se montre réticent à l'idée de cette
reconstruction, et ce peut-être en partie parce qu'il saisit la nature de l'enthymème : en
explicitant toutes les prémisses, on les met sur le même plan, ce qu'il convenait précisément
d'éviter35. Il faut savoir replier les enthymèmes pour en mieux saisir la force.

Induction et analogie
Un ami inductiviste me dit un jour que lorsque sa fille lui demandait si le soleil se lèverait le
lendemain, il répondait par l'affirmative, et ce parce qu'il en avait toujours été ainsi. Voilà ce
qu'est, dit-on, un argument inductif : les données n'entraînent pas la conclusion, qui les dépasse,
mais elles la rendent (plus ou moins) plausible. Nier cela serait une billevesée de philosophes,
aussi dénuée de sens (commun) que le solipsisme, irréfutable mais absurde. Au mieux, il s'agirait

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16D474 : D. SAULAN - Didactique de l'écrit
Alain Boyer

de l'expression d'un « préjugé déductiviste », déjà présent (implicitement !) chez Hume, et qui
conduirait à n'accepter que les inferences (absolument) valides. Les inductivistes tiennent qu'il
existe des règles de l'inférence non valide, telles qu'un argument inductif, ou « ampliatif », qui
conduit du particulier au général (affirmatif), puisse ne pas être assimilé à un pur sophisme. Il
me paraît clair que cet ami voulait dire que les données étayaient sa croyance dans le futur lever
du Soleil, non que les faits qu'elles décrivaient expliquaient le fait prédit : ce n'est pas parce que
le Soleil s'est levé qu'il se lèvera demain. On peut de plus soutenir, en dépit des arguments de
Mill, que ce que les données confirment directement, c'est une loi universelle du type « le Soleil
se lève tous les jours », laquelle implique qu'il se lèvera demain : seule une universelle peut avoir
ce pouvoir informatiP6. Aristote distingue l'exemple, qui passe du particulier au particulier, et
l'induction, qui passe du particulier au général, se différenciant par là de la déduction, puisque
de particularibus nil sequitur"1. Mais l'exemple n'est qu'une forme rhétorique de l'induction,
adaptée à un public peu habile dans le maniement de l'universel. Autrement dit, l'exemple est
une induction enthymématique (au sens moderne). Il serait intéressant de savoir dans quelle
mesure on peut reproduire cette ligne d'argument en soutenant que l'induction n'est qu'une
déduction enthymématique.
Ce qui légitime le raisonnement apparemment innocent de l'inductiviste, c'est quelque
chose comme ceci : l'explication de la remarquable régularité observée du cycle des jours et des
nuits tient dans l'existence d'une loi gouvernant ce cycle, laquelle implique la continuation de la
régularité en question38. Et cela constitue l'hypothèse, le pari, implicite dans son raisonnement. Il
ne lui viendrait sans doute pas à l'esprit de répondre par l'affirmative à sa fille qui lui
demanderait si elle serait toujours une enfant, en arguant qu'elle l'avait toujours été jusqu'à
présent. En l'occurrence, son savoir implicite lui suggère une réponse négative : l'enfance, aussi
vague que soit ce prédicat, n'est pas une qualité temporellement stable.
Il est des cas où l'induction ne semble pas engager l'existence d'une loi, mais seulement
quelque chose comme la représentativité des données. On peut parler de niveau zéro de
l'induction. Supposons qu'un Anglais débarquant à Calais et ne voyant que des femmes rousses
en induise que toutes (ou presque toutes) les Françaises sont rousses. Remarquons d'abord
qu'étant donné la commutativité de la conjonction, il aurait pu en induire aussi bien que toutes
les rousses sont Françaises, ce qu'il ne fait pas, parce qu'il connaît des Ecossaises rousses : en
revanche, il n'a pas rencontré de contre-exemples à sa généralisation concernant les Françaises39.
Que peut-on lui reprocher ? Rien, sinon de n'avoir pas testé sa conjecture assez rigoureusement :
qu'est-ce qui lui dit que l'échantillon de Françaises qu'il a observé est représentatif de
l'ensemble ? Si c'est sur la seule base de son observation calaisienne qu'il s'autorise à affirmer sa
généralisation, c'est qu'il suppose implicitement que la cité des Bourgeois, au moins pour ce qui
concerne la couleur des chevelures féminines, est un microcosme à peu près représentatif de la
patrie de Jeanne d'Arc. (On notera que rien ne serait changé si notre Anglais avait extrapolé à la
totalité du pays une proportion quelconque de rousses et de non rousses observée en débarquant
de Douvres). Cela dit, il ne faut pas prendre pour acquis que les croyances générales des

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Éloge de l'enthymème

individus pourraient être ramenées à de telles amplifications des données empiriques, ce qui
serait un « dogme de l'empirisme ». Supposer que la découverte scientifique puisse être stylisée
sous la forme d'inductions à partir d'observations répétées a quelque chose de navrant. On en
aura une idée plus juste si l'on pense par exemple aux audacieuses généralisations opérées par
Kepler à partir de son travail concernant uniquement Mars40 : elles présupposent que chaque
planète représente en quelque sorte toutes les autres, ce qui ne dispense en rien d'avoir à mettre
à l'épreuve cette conjecture d'homologie en étudiant le comportement de ces dernières. La
reconstruction du cheminement effectif de la pensée de notre Anglais peut-être « roussophile »
est du ressort de la psychologie cognitive41. Quoi qu'il en soit, s'il ne peut observer toutes les
Françaises, qu'il essaye au moins d'effectuer d'autres sondages en des lieux choisis au hasard
dans l'ensemble du pays, avant que de rembarquer, fort de sa conviction. La position anti-
inductiviste consiste à affirmer qu'aucun ensemble (petit) de données ne contient en lui-même
l'affirmation de sa propre représentativité (extrapolabilité). Les données impliquent la négation
de nombre d'hypothèses, mais elles ne se « prolongent » pas d'elles-mêmes aimablement vers
leurs généralisations normales (appelons cela la « thèse de Hume-Popper-Goodman »).
Une telle reconstruction enthymématique de l'induction consiste à soutenir que P« induc-
teur» présuppose une hypothèse de représentativité de son échantillon (HR), et ce pour des
raisons diverses, éventuellement par une sorte d'inertie (ou d'économie) cognitive qui l'amène à
« prendre son cas pour une généralité42 ». En présence des données, HR équivaut à la conclu-
sion. Il m'avait semblé possible d'arguer qu'elle correspondait au conditionnel (si e, alors h),
voire (si e, alors/), e désignant les données, h la généralisation,/le « complément » de e (à savoir
« toutes les Françaises non Calaisiennes sont rousses ») chéri par les inductivistes ; / est
logiquement plus fort que (si e, alors/) et surtout déductivement dépendant de e ; (si e, alors h)
est en revanche la proposition la plus faible qui, en présence de e, implique h, et elle est
déductivement indépendante de h, au sens de Popper et Miller43. Mais David Miller m'a fait
remarquer qu'une représentation propositionnelle de cette Fair Sample Hypothesis n'était pas
suffisante pour représenter correctement le passage du singulier au général. Exprimée en calcul
des prédicats, HR porte sur toutes les propriétés « projectibles » (généralisables) pertinentes :
rousse, blonde, brune, (ce qui paraît du reste indiquer qu'elle est en quelque sorte relativement a
priori, indépendante de la collecte des données). L'hypothèse universelle la plus faible capable
d'opérer le lien entre les données et la conclusion est une conséquence d'HR: comme le
démontre Miller (1994), il s'agit de celle qui correspond à « Si χ est Calaisienne et est rousse,
alors si ζ est non Calaisienne, elle est rousse » (dans un univers de Françaises). Il me semble
qu'HR simule et rationalise mieux la démarche de l'inducteur. Pourquoi supposer que l'échantil-
lon n'est représentatif que si la couleur est le roux ? Et si toutes les couleurs possibles sont
représentées dans l'échantillon, HR ne devient-elle-pas la plus faible « extrapolatrice » possible ?
On pourrait encore arguer qu'elle n'est pas nécessaire : s'il convient en tout état de cause
de... se perdre en conjectures, autant sauter directement jusqu'à la généralisation elle-même, ce
qui peut se faire à partir d'une donnée singulière, voire d'un ensemble vide de données : je puis

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Alain Boyer

conjecturer que les astrologues sont des charlatans sans en avoir rencontré un seul. Et comme
Lógica (sive ratiocinatio deductiva) non facit saltus, attribuons ce saut au jeu de l'imagination,
combiné à certaines croyances acquises (par exemple sur le statut pseudo-scientifique de
l'astrologie), quitte à faire subir les rigueurs de la critique à la candidate hypothétique par
l'inspection minutieuse de ses conséquences. Le scepticisme quant à l'idée de règles inductives
ne doit pas conduire à croire que seule la déduction jouerait un rôle dans les processus cognitifs :
si Hume a montré quelque chose, c'est qu'avec pour seule matière l'expérience et seul outil
formel la déduction, nous ne saurions ni apprendre ni anticiper quoi que ce soit. Entre la
sensibilité et l'entendement, il convient de faire intervenir au moins l'imagination44. On n'infère
pas du connu à l'inconnu, on est toujours déjà dans l'inconnu et l'on y plonge sans cesse, non
sans tenter d'éliminer les erreurs commises ce faisant pour atteindre le vrai. Le rationalisme
critique est tout sauf un pur déductivisme45.
Ainsi, un poppérien de stricte obédience ne saurait attacher beaucoup d'importance à cette
reconstruction de l'induction, vers laquelle tendent d'ailleurs certains inductivistes modérés46. Il
me semble néanmoins que l'idée que les prétendues généralisations inductives reposent sur
l'hypothèse implicite de l'homogénéité du domaine auquel appartient l'échantillon connu
permet de répondre à l'inductiviste en restant sur son terrain, celui des amplifications, tout en
l'amenant à reconnaître qu'il présuppose, fût-ce vaguement, quelque hypothèse de représentati-
vité de nature à rendre son raisonnement valide : et cette conjecture ne saurait elle-même avoir été
induite des données41. Hume et surtout Mill pensaient que le lien manquant (enthymématique)
entre les données et la loi universelle résidait dans un « principe d'uniformité de la nature » dont
on sait qu'il est pour le moins problématique et se trouverait réfuté à chaque fois qu'une
induction se révèle fausse. L'avantage d'HR est qu'elle est locale et non globale48. Il convient de
ne pas la confondre avec une hypothèse générale de représentativité de la plupart des échantil-
lons suffisamment grands, que l'on peut appuyer sur la Loi des Grands Nombres, ou Loi de
Bernoulli, mais qui ne résout en rien le problème49. Si l'on fait varier les conditions de
l'expérience, c'est précisément pour éviter que les sélections d'événements ne soient par trop
biaisées, et cela ne saurait se formaliser par une hypothèse générale de représentativité. La
théorie des sondages50 paraît corroborer ces intuitions : rien n'est plus facile que d'induire en
erreur, sauf à respecter certaines règles de statistique visant à garantir au maximum la représen-
tativité de l'échantillon, à fourchette donnée51. Il faut reconnaître que la formulation de
l'enthymème en question n'est parfois rien moins qu'évidente, dès lors qu'on utilise un langage
difficile à formaliser dans le calcul classique des prédicats du premier ordre avec égalité, par
exemple du fait de la présence de « quantificateurs » à la fois vagues et non monotones, comme
le très aristotélicien « la plupart du temps ». Il n'entre pas dans les ambitions du présent article
de présenter une telle analyse formelle. Il est vraisemblable que la forme de la conclusion
dépendra étroitement de la précision avec laquelle on aura spécifié l'échantillon.
Popper52 oppose le comportement du « joueur inductif » à celui du « joueur rationnel » : le
premier applique mécaniquement une règle inductive qui ne peut être valable que dans certaines

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Éloge de l'enthymème

conditions, alors que le second « tient compte de la structure mathématique du jeu », laquelle
peut impliquer la non-représentativité des observations passées, du fait par exemple de la
non-indépendance (ou pertinence relative) des résultats. L'inductivisme naïf s'apparente à une
superstition fallacieuse : sans même étudier les conditions de production d'une régularité, on la
prolonge dans l'inconnu. (La version vulgaire de cette propension nous donne la [pseudo-] loi
des séries.)
Le « raisonnement par analogie53 » peut également être analysé comme un enthymème. Si la
Cité (idéale) est constituée de trois classes distinctes, l'âme aura trois parties, puisque la première
est l'image de la seconde « écrite en gros ». Cela présuppose que les deux objets sont des
« modèles » d'une même structure abstraite, en l'occurrence hiérarchique et ternaire. Si A est à
un certain niveau d'abstraction isomorphe à B, une propriété déductible de la structure de Β
pourra être prédiquée de A. (Il s'agit donc, comme l'enseignait Aristote, d'une relation à quatre
termes.) De plus, l'existence avérée de l'un des modèles milite en faveur de la possibilité de
l'autre (si une structure admet un modèle, elle est cohérente). Nous ne cessons de catégoriser les
objets et de conclure analogiquement de l'un à l'autre54. La fécondité heuristique de l'analogie
n'est plus à démontrer : ainsi, le mécanisme est un superbe pari analogique. L'analogie proposée
par Huygens entre le son et la lumière permet de désubstantialiser cette dernière en en faisant un
mode d'être de l'étendue. Les équations de l'hydrodynamique sont appliquées aux « courants »
électriques (voire au trafic automobile). Or, un pari est une conjecture audacieuse, intéressante
par ses succès mais également par ses échecs, ainsi l'impossibilité de ramener les forces
électromagnétiques (vectorielles) à des forces centrales, ou la nécessité de revenir à une
hypothèse au moins partiellement corpusculaire (discontinuiste) pour rendre compte de l'effet
photo-électrique. Et Bachelard n'a pas eu tort d'insister sur le rôle d'« obstacle épistémolo-
gique » que jouent bien des analogies prises pour argent comptant55.
Il paraît possible de reconstituer le raisonnement implicite dans une analogie (voire une
métaphore). Dans toute horloge, le mouvement se transmet de proche en proche par contact
entre des rouages solides ; le monde est une (grande) horloge ; donc il n'existe pas dans l'univers
d'action à distance (mécanisme cartésien). Le cerveau est une machine intelligente ; il est donc,
comme un ordinateur, instruit par des programmes. La négation éventuelle de la conclusion
amènera à mettre en cause ou à chercher les limites de la prémisse analogique. L'analogie est un
effet de l'abstraction. Si l'on soutient que les hommes en société ont besoin d'un père, on
suppose (éventuellement de manière explicite) que d'un certain point de vue, les hommes et les
enfants sont identiques. Tant vaut cette prémisse, tant vaut la conclusion, contestée en
l'occurrence par Rousseau. Ne pas prendre en compte les dissimilarités pertinentes peut
conduire à quelque chose comme un délire analogique, lequel n'a du reste rien que de très
fécond en poésie, à supposer qu'il demeure quelque peu réglé. Mais l'effet pédagogique et
rhétorique de l'analogie ne doit pas masquer ceci qu'en prétendant à la validité, elle s'offre à la
critique comme n'importe quel argument. L'effet de séduction poétique provient de l'appel à la
reconnaissance et à l'imagination, qui facilite l'intelligibilité : comme l'avait noté Descartes, il est

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plus facile de raisonner sur une structure abstraite en ayant à l'esprit l'une de ses manifestations
concrètes les plus facilement manipulables d'un point de vue cognitif6.
L'un des arguments par analogie les plus célèbres de l'histoire de la philosophie n'est autre
que celui que Hume, dans la lignée de Spinoza, met en question sous le nom d'argument du
design. Toute œuvre est le fait d'un ouvrier : toute horloge a besoin d'un horloger ; le Monde est
une horloge ; ergo, Dieu, le Grand Horloger, existe. Kant lui-même trouvait ce type d'argument
convaincant, quoiqu'insuffisant. Or il présuppose que tout système ordonné complexe et en
équilibre est le produit d'une intelligence, ce que cherche à nier la pensée scientifique depuis au
moins Smith et Darwin. Le concept métaphorique d'horloge sans horloger (ordre spontané, au
sens de Hayek) n'est pas un oxymoron57. Contester une analogie revient à diminuer l'extension
de l'isomorphie alléguée, et donc le champ de pertinence de l'assimilation structurale supposée.

Ce qui vient d'être dit ne constitue pas une solution complète des problèmes de l'induction,
à commencer par le « paradoxe des émeraudes », qui paraît imposer une partition entre des
concepts anormaux et des concepts naturels58. Mais la piste de l'implicite vaut la peine d'être
poursuivie. Comme elle représente une sorte de compromis, elle risque de ne satisfaire personne.
Cela dit, le sort particulier de cette reconstruction n'engage pas celui de la théorie de l'enthy-
mème, dont elle n'est qu'une application possible. En bref, nous n'avons ni le temps ni le besoin
de tout dire. Nous sommes donc nécessairement des raisonneurs enthymématiques.

Alain BOYER

NOTES

1. La dialectique ressemble plus souvent à une guerre de guérilla et la recherche (même en logique !) à la solution
d'un puzzle, à une enquête policière ou encore à la quête d'une voie d'escalade, selon une métaphore qu'affec-
tionne Popper. L'idéal euclidien, nulle part ailleurs plus pregnant en philosophie que chez Spinoza, s'il ne manque
pas d'allure, peut avoir en ce domaine quelques effets « dogmatiques », comme l'a souligné très tôt Kant ; par
ailleurs, le « vrai » mos geometricus induit une fécondité « théorèmatique » absente de L'Ethique (cf. Granger,
1988, p. 181 sq.). On peut préférer les Scholies du même ouvrage, le style «méditatif» de Descartes, ou l'art
éminemment argumentatif du dialogue, avec ses suspens et ses retournements dramatiques, chez Platon, Galilée ou
David Hume.

2. Cf. Perelman (1961, p. 331) : « Toute justification n'est autre chose qu'une réfutation des raisons que l'on peut avoir
de critiquer un comportement ».
3. «Péïrastiques», dit le Stagirite (1969, 8, 169b 23).
4. Que ce soit la majeure ou la mineure qui manque, le moyen terme n'est cité qu'une fois ; mais la notion
d'enthymème peut être étendu au delà de la seule syllogistique ; cf. Kleene (1971, ch. I, § 15 : « Les arguments
incomplets »), Quine (1972, p. 181) ; F. Rivenc donne un bel exemple tiré de Descartes (1989, p. 128).

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Éloge de l'enthymème

5. L'induction et Y analogie constituent selon Kant (1970, ch. III, § 84) les deux modes de raisonnement de la « faculté
de juger réfléchissante ». Leibniz déjà remarquait leur similitude, et les fondait sur le principe de continuité
(Couturat, 1901, p. 263). Cf. aussi Vignaux (1994).
6. Cf. Vignaux (1976, p. 18 sq.) ; l'opposition qui demeure est celle de l'usage probatoire et de l'usage critique de la
logique : cf. l'article de David Miller dans ce numéro.
7. Rhet., 1357a 32, 1402a 6-7 ; et An. Pr., II, 27 ; l'appel aux « indices » peut faire penser à ce que l'on cherche à
cerner maintenant sous le nom d'« abduction » (mais dans un sens tout différent de celui d'Aristote, An Pr. II,
25) ; l'étymologie d'« enthymème » renvoie à enthumeomaï (je réfléchis), de en thumô (dans son esprit).
8. Topiques (1967), 100a 30, et les précieux commentaires de J. Brunschwig dans son Introduction ; on notera que le
Stagirite définit parfois le « probable » subjectivement (les opinions courantes ou celles des sages, Yendoxon),
parfois objectivement, ce qui arrive «le plus souvent» (cf. Popper, 1985, Add. 6).
9. Rhet., 1394a 31 ; voir 1418b 33, sur la possibilité de « transformer les maximes en enthymèmes ».
10. Comme le note B. Sève dans son bel article (1992).
11. Rhet. 1395b 26.
12. Id., 1419a 19.
13. Inst. orat., I, 10, 38 ; V, 10 et 14 ; Quintilien n'éclaircit guère la question, d'autant qu'il se réfère à une définition
encore différente, celle de Cicerón, qui décrit l'enthymème comme une « conclusion tirée de contraires » (1924,
XIII, 55), s'inspirant peut-être de Rhet. 1398b 21.
14. Boèce (1978, II, 1184 et IV, 81 ; 1988, I, p. 31, mais voir aussi V, p. 149-152, qui reprend Cicerón...) ; cf.
Green-Pedersen (1984, p. 45) et Stump (1981), qui insiste sur l'intérêt des conceptions d'Abélard (Dialéctica) et
de Pierre d'Espagne {Tractatus) ; anticipant peut-être sur certaines analyses contemporaines (Toulmin, Ducrot et
Anscombre), Abélard soutient grosso modo que les topoï sont des règles d'inférence permettant de trouver ce qui
manque dans les prémisses.
15. Arnaud et Nicole (1970), Troisième Partie, ch. 14 ; les Messieurs insistent sur ceci que «l'esprit allant plus vite
que la langue », l'une des prémisses suffit à « faire concevoir l'autre », laquelle n'apporte donc aucune informa-
tion réelle d'un point de vue pragmatique, dirions-nous moins élégamment aujourd'hui ; voir Pariente (1985,
p. 191 sq., sur la théorie des « exponibles ») ; cf. également Maritain (1933, p. 295).
16. Fontanier (1977, p. 382) parle d'« enthymémisme », figure qu'il rapproche de l'ellipse ; B. Dupriez (1984, p. 374)
et G. Declerq (1992, p. 106) citent eux aussi Racine : «Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ? » (enthymé-
misme a fortiori), vers splendide dont le déploiement des prémisses en fait apparaître une d'ailleurs assez
douteuse. On peut penser aussi à la phrase souvent citée « on mastiquait ferme », au cours du fameux repas de
L'Assommoir (Le Livre de Poche, p. 243), qui n'est pas sans « en dire long » sur ce qu'il « conviendrait » de ne
pas faire dans un repas « distingué » à l'opposé d'un repas « populaire » : de quoi réjouir l'auteur de La
Distinction. Voir aussi M. Meyer (1993, p. 120).
17. Et «qui pourrait tout dire sans un mortel ennui?», Montesquieu, L'Esprit des lois, Préface; cf. aussi Mes
Pensées, 802, in Montesquieu (1970, p. 970), où est cité Nicole : « Tous les bons livres sont doubles ».
18. À la fin de la (première) Préface de la Critique de la Raison Pure.
19. On pourrait de même parler de « (quasi-) fallaces enthymématiques », lorsque l'énoncé que l'on impose à
l'interlocuteur présuppose quelque chose qu'il ne désire point assumer, comme dans les « interrogations

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multiples », connues des Grecs, majs fameuses depuis Collingwood grâce à l'exemple de la question embarras-
sante (aporétique) : « Avez-vous cessé de battre votre femme ? ».
20. Sur la théorie des «esquisses d'explication» de Hempel et le rôle des «lois» implicites, cf. Boyer (1992,
Première Partie) ; sur la littérature, voir l'analyse proposée par B. Sève (1992) à propos de Faulkner.
21. Cf. Boudon (1990), où la notion de prémisse implicite joue un rôle considérable ; sur Simmel et l'induction, voir
p. 113 sq.
22. Règle possible : sauf confirmation indépendante, choisir l'une des propositions les plus faibles compatibles avec
les autres croyances attribuées au locuteur.
23. Le premier auteur à avoir explicitement affirmé que «toute assertion est une réponse à une question » est sans
doute Collingwood (1978, ch. V).
24. Laquelle «décèle Γindécelé dans le texte même qu'elle lit » (1968, p. 29).
25. Il s'agit donc d'un usage herméneutique du « principe de charité », cher à Quine et Davidson (voir Engel 1989).
La notion de « présupposé » (au sens fort) ici utilisée, désigne une prémisse implicite mais jugée indispensable ;
une autre notion de « présupposé » (au sens faible) renvoie à un type de conséquence logique inaperçue, par
exemple lorsque l'on veut dire que « Le roi de France est sage » présuppose l'existence (et l'unicité) d'un roi de
France : si cette phrase est vraie (ou même fausse pour Strawson), alors il y a un roi de France. Cette dernière
notion, d'ailleurs complexe et problématique (Ducrot, 1972), ne se limite pas au domaine du raisonnement.
26. Ainsi, selon Popper, le théorème de Gödel (1931) réfute la thèse du Tractatus selon laquelle « L'énigme n'existe
pas », et le théorème de Tarski sur la vérité permet de trancher le débat sceptiques/dogmatiques sur le critère
(Popper 1991, p. 474).
27. Ainsi, la mise en cause de la validité de l'inférence, l'acceptation de la conclusion ou le rejet de l'une des
prémisses engagent chacun tout un système philosophique, comme l'a magistralement montré J. Vuillemin à
propos de l'aporie de Diodore (1984) ; on en dirait autant du moderne « dilemme de Newcomb » en théorie de la
décision ou du « paradoxe de Hempel » en théorie de la confirmation.
28. Un hégélien qui pense que l'auteur de La Science de la Logique a réhabilité la preuve ontologique doit admettre
qu'il est nécessaire de répondre à cette critique.
29. Cf. Quine (1972, p. 102) et Caroll (1966, p. 75).
30. Sur le contrat rawlsien comme «stratégie argumentative», cf. Boyer (1990b). La philosophie analytique tout
entière est une impressionnante entreprise collective de nature argumentative, et l'on y côtoie toutes les stratégies
dans un foisonnement ratiocinateur splendide mais parfois vertigineux ; cf. Récanati (1984).
31. Leibniz (1966, Livre IV, ch. 17), où il est question des « enthymèmes » d'Euclide ; Frege (1971, p. 65). Cf. aussi
Lakatos (1984) : Cauchy pensait avoir prouvé que la limite d'une série convergente de fonctions continues est
continue ; en révélant la prémisse cachée de son raisonnement, on met en évidence une structure, celle dont la
prémisse est vraie (suites uniformément convergentes).
32. Principes, I, articles 10, 11 et 52 (Descartes, 1973, III).
33. Malebranche (1984, p. 38) : un mathématicien dirait plutôt l'inverse à propos de l'ensemble vide. Je remercie
Jean-Claude Pariente d'avoir attiré mon attention sur cette référence ; voir plus généralement son (1987), sans
parler de Vernant (1986, ch. 6, D), Guéroult (1968, App. 1), Hintikka (1985), et même Heidegger (1971, p. 114).
34. Cf. les Réponses aux Cinquièmes Objections (de Gassendi), 1967, p. 793, où Descartes répond aussi à Hobbes en
reprenant son exemple de la promenade.

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35. B. Sève rapproche à juste titre cette caractéristique du discours des concepts (gestaltistes) de forme/fond et de
saillance.
36. La pensée droite requiert l'universel : l'orthodoxie est catholique, en quelque sorte.
37. Rhet., 1456b ; sur l'exemple, voir Vignaux (1994). Un poppérien mettrait l'accent sur les contre-exemples. Les
exemples sont intéressants si l'on peut faire à leur propos une hypothèse de « généricité », comme dirait un
mathématicien.
38. Cf. Adler (1969, ch. 22) : « Nous sommes confiants dans le lever de soleil demain matin, non pas principalement
parce qu'il s'est levé jusqu'ici, mais parce que son lever est une implication nécessaire de la théorie (astronomique).
L'induction n'extrapole pas des événements passés aux événements futurs par une simple extension à l'avenir des
répétitions survenues dans le passé, mais en concevant un mécanisme qui explique le passé et duquel l'avenir peut
être déduit. » Rien ne pouvait « justifier » les croyances antérieures à la physique moderne quant au retour du
Soleil, sinon une propension innée ou l'espoir, nécessaire à l'action. Ce n'était qu'une conjecture, une anti-
cipation, par chance encore jamais réfutée (sous nos latitudes). La mécanique céleste nous apprenant que le
système solaire est « chaotique », on ne saurait prédire à très long terme qu'« il sera demain jour », comme dit
Pascal. Cf. aussi Wittgenstein, Tractatus, 6. 3632.

39. Cf. Popper (1974, p. 992 : réponse aux remarques de Quine).


40. Cf. O'Neil (1972, p. 81).
41. Cf. Osherson et Smith eds. (1990, ch 2 : « Categorization ») ; Kahneman & Tversky (1982) : « People have strong
intuitions about random sampling (that) are wrong in fundamental respects » ; sur les raisonnements impliquant la
saisie des « implicitations » du discours de l'autre, voir l'ouvrage important de Sperber et Wilson (1989), en part,
ch. II, 1 : « L'inference non démonstrative » ; on s'attendrait à découvrir certaines règles d'inference, si tant est,
comme le soulignait Toulmin (1993) après Ryle, qu'« il n'y a pas d'inférence sans règle d'inférence » ; en fait, les
auteurs avouent (p. 107 à 109) qu'on peut douter de l'existence de « règles d'inférence non déductives », et que la
formation d'hypothèses est une affaire « d'imagination créatrice » et leur test un processus purement déductif : en
un mot, il s'agit d'une approche de type poppérien plutôt que d'une théorie de l'inférence « non démonstrative ».
Bien entendu, la découverte des « implicitations » d'un discours ne saurait être déductive : elle relève du
guesswork (sous contraintes). Doit-on continuer à parler d'«inferences » ? L'usage des termes «inference» et
« induction » au sein des « sciences cognitives » est parfois quelque peu libéral. Mon ami n'est pas chez lui à
l'heure de notre rendez-vous ; j'en « infère (non démonstrativement) » qu'il est sorti acheter du pain... On peut
préférer les expressions « supposer » ou « faire l'hypothèse ». On parle aussi de « données inductives » là où
« empiriques » ferait l'affaire. Sur le fait que pour une psychologie non primitivement empiriste, l'apprentissage
repose sur des processus de spécification de concepts abstraits plus que sur des processus de généralisation, voir
Oléron (1972, p. 53) ; Hayek (1974) parle de « primauté de l'abstrait », ce qui consone également avec la théorie
poppérienne de l'apprentissage par essais et erreurs (Popper, 1990), plus plausible que la terne induction.

42. Cf. Declerq (1992, p. 174), à propos d'une savoureuse induction d'Alice.
43. cf. Popper & Miller (1990), et Boyer( 1990a).
44. Cf. Nietzsche (1969), le superbe § 60.
45. La réponse du rationaliste critique à la question que lui adresse P. Jacob (1987) est donc, contre toute attente,
clairement négative ! Quant à l'abduction, tant vantée depuis Peirce, elle ne diffère guère de la « méthode des
hypothèses », éventuellement guidée par des heuristiques, à moins qu'on ne l'analyse comme un « enthymème
déductif», à l'instar de la (prétendue) « inference vers la meilleure explication », comme le fait Musgrave (1989).

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46. Cf. Peirce (1957, V, « The Order of Nature », p. 114) ; Dewey (1993, p. 537) ; Cohen & Nagel (1934, ch. IX, 2 :
The Rôle of Fair Samples in Induction) ; Salmon (1963, ch. 3).
47. Dans un article fort intéressant (1987, p. 25), J. Dubucs rejette sans ménagements la « doctrine enthymématique »
avec des arguments qui mériteraient d'être mieux... explicités. Cela dit, il n'évoque pas plus que Musgrave la
possibilité de l'HR. L'une des caractéristiques de la position soutenue ici est que le passage à la conclusion
générale n'est pas un processus continu, mais « à seuil », à savoir le moment de l'émission de l'HR ; un leibnizien
y trouverait peut-être à redire, mais j'avoue ma perplexité lorsque l'on présente les choses comme si le fait de
rencontrer un logicien pédant constituait « un argument plausible pour l'énoncé qui affirme que cette propriété est
malheureusement vraie de la corporation toute entière » (Dubucs, 1987, p. 15 ; plus loin, il propose cependant une
mesure « à seuil »). Il me semble plus plausible de ne faire débuter la « plausibilité » que lorsque l'HR paraît
capable de résister aux critiques qui peuvent lui être adressées au titre de son éventuel caractère biaisé
(« corroboration » au sens de Popper).
48. Il n'y a d'autre part nul risque de régression à l'infini.
49. Cf. Ayer (1968, p. 99) ; Popper (1990, p. 319) ; Strawson (1952, p. 251).
50. Cf. J. Stoetzel et A. Girard (1973), p. 41 sq., qui citent le statisticien norvégien Kiaer comme étant l'introducteur
de l'idée d'échantillon représentatif, à la fin du XIXe siècle.
51. C'est une erreur de croire que la taille de l'échantillon doit être proportionnelle à la population sondée ; mais sa
représentativité augmente en fonction de la racine carrée de son accroissement. En revanche, son caractère « non
biaisé » doit être sérieusement contrôlé. C'est ainsi que le fameux Gallup réussit à imposer sa crédibilité après
avoir prédit la réélection de Roosevelt, alors que le Literary Digest avait prévu le contraire sur la base de plus de
mille fois plus de réponses, celles de ses lecteurs (cf. Salmon, 1963, ch. 3) ; sur les théories de Γ« inference
statistique », cf. Boudot, 1972, ch. III, en particulier p. 85 : mais le fait que les procédures d'estimation soient
« suspendues à une hypothèse » ne saurait gêner qu'un inductiviste...
52. 1990, p. 341.
53. Sans parler de l'argument d'autorité, qui est un enthymème ; quant à l'argument ad hominem, il est au cœur du
dispositif dialectique : cf. Geach (1976).
54. En ce sens, l'induction véritable est une analogie (Hegel, 1979, Add. § 190).
55. Bachelard (1977, p. 80 sq.) ; cf. Elster (1989, p. 74), sur le rôle souvent néfaste des analogies biologiques en
sciences sociales ; ce qu'on appelle Γ« individualisme méthodologique » (Boyer, 1992, Troisième Partie) est
d'abord une critique de l'analogie entre l'individuel et le collectif, en particulier du « sophisme de composition ».
56. Cf. Schlanger (1989, p. 72 sq.), qui cite les travaux de Black, Harré et Hesse, comme le faisait Ricœur (1975,
p. 302-307). On pourrait évoquer la valeur heuristique de Yecthèse, par exemple chez Euclide. Mais « ce ne sont
pas les figures qui donnent la preuve chez les géomètres, quoique le style ecthétique le fasse croire » (Leibniz,
1966, IV, ch. 1, § 9, et ch. 17, § 4). Il conviendrait de distinguer, avec Duhem (1981, p. 140-144), les modèles
(concrets) de l'analogie proprio sensu, qui peut être plus abstraite et plus féconde ; cf. aussi Perelman (1958, § 82
sq.) et C. Chevalley, art. « Analogie » in N. Bohr (1991, p. 359-373), qui renvoie à Kant et à Herz.
57. Cf. Boyer (1994).
58. Cf. Goodman (1973) ; Popper (1974) parle $ anticipations sélectionnées par l'évolution.

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90

59
16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit
LES CHEMINS DU TEXTE
(Teresa García-Sabell, Dolores Olivares, Annick Boiléve-Guerlet, Manuel García, eds.), 1998, pp. 470-481

Jorge Juan VEGA Y VEGA


(Universidad de Las Palmas de Gran Canaria)

Didactique de la langue fran^aise. De l'image au texte:


une méthode intégrale

De fa^on naturelle, tous les hommes désirent savoir. Et


le signe en est leur amour des sens [...] et par dessus
tous, on aime les sensations visuelles. En effet [...]
nous préférons la vue á tous les autres sens. La cause
en est que, de tous nos sens, la vue est celui qui nous
fait connaítre le plus et qui nous montre de múltiples
différences.
ARISTOTE, Métaphysique.

Dans le cadre d'un enseignement de langue frangaise de quelque


niveau que ce soit, un probléme important se pose á l'heure de faire participer
oralement les étudiants d'une maniére suivie, progressive et cohérente. Leurs
difficultés quant au manque de participation órale (et c'est aussi le phonéticien
qui vous parle) continuent d'étre le plus important écueil de notre systéme
éducatif. Cherchant á trouver des solutions pédagogiques, nous avons mis au
point cette méthode intégrale. Elle consiste á considérer le document iconique
(tres précisément parce qu'il ne propose explicitement pas de contenus linguistiques)
comme une source intarissable de production des différents discours.

Objectifs
Les objectifs pédagogiques de ce type d'exploitation en classe sont
múltiples. Nous pourrions en distinguer les suivants: Pragmatique (faire parler),
Logique (assurer une cohérence et progression au dit), Artistique ou Intellectuel
(éveiller la créativité, surtout pour résoudre des problémes), Opératoire (savoir
prendre des décisions face aux ambiguités) et Ludique (provoquer l'intérét pour
la langue, et pour l'image, á travers cette espéce de jeu qu'est notre analyse).
A) Premiérement, il est question d'engager l'étudiant dans une partici-
pation active au cours. Faire parler les étudiants en langue étrangére est difficile
dans la double mesure oü une certaine timidité des jeunes gens est généralisée
dans les cours, timidité liée trés souvent á la notion de «clientélisme» qu'ils sem-
blent se faire du cours: j'ai payé pour y assister, comme au cinéma, done je reste
silencieux. Et ensuite, parce que le fait de devoir s'exprimer dans une langue qui

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

n'est pas la leur (le faisant done d'une fa^on incorrecte et incompléte), bloque
davantage les étudiants. Or ceci est d'autant plus paradoxal qu'ils devraient
pratiquer au máximum la langue qu'ils sont en train d'apprendre. D'aprés notre
expérience, l'analyse de l'image, plus que la lecture des textes, se préte mieux,
des le départ, á éveiller toutes les capacités de communication: les deux causes
citées par Aristote le démontrent bien.
B) Une fois ce seuil franchi (si jamais on arrive á le franchir tout á fait!),
il s'agit de rechercher un máximum de cohérence et de progression dans la
prestation de l'éléve. Souvent, des élans d'intuition quelque peu saccadés condi-
tionnent le parfait déroulement de l'exploitation en ce qui concerne l'utilisation
exhaustive et nécessaire du document. L'éléve, peut-étre influencé par les
habitudes télévisuelles, «consommé» trop vite, et parfois de fagon inadéquate,
son document. II va droit au but, sans remarquer les détails, sans s'imprégner
convenablement du document, de ses niveaux de communication, des détails qui
le rendent intéressant ou énigmatique, etc. D'oü l'intérét de savoir doser et étan-
cher dans le possible les différentes informations que le document est censé
transmettre. La cohérence, de méme qu'une certaine progression de l'analyse,
doivent done surgir du document lui-méme et c'est l'éléve qui doit pouvoir les
assurer sans difficulté. En réalité cette méthode se présente avant tout comme
une propédeutique au document.
C) Troisiémement, il est aussi question de contribuer á la créativité de
l'éléve. L'on constate souvent dans l'intervention órale de l'éléve que, au bout de
quelques minutes, il ne trouve plus ríen á diré parce qu'il croit que l'information
essentielle (c'est surtout le concept de message, que nous proposerons plus loin) a
été déjá communiquée. En une seule phrase, il semble l'épuiser et du coup
s'épuiser lui-méme. Le manque de vocabulaire est certes un handicap, mais les
difficultés sont d'autant plus grandes que les étudiants manquent en général,
méme les plus avancés, d'une panoplie de ressorts discursifs susceptibles
d'étoffer convenablement leur prestation. Créativité done pour parler des choses
qu'on voit d'abord, ensuite de celles qu'on imagine á partir de ce qu'on voit et,
troisiémement, créativité aussi pour savoir proposer des solutions, le moment
venu, aux problémes que le document aurait pu nous poser. L'originalité ne doit
plus étre considérée comme un privilége de certains étudiants particuliérement
doués, mais comme le but, généralisé en cours, qui nous permettrait de trouver
des solutions á ces problémes posés, afficher un certain esprit critique, étre
encore sensible á l'émerveillement par l'image; bref, contribuer á une formation
beaucoup plus intégrale.
D) II est certainement vrai que le langage iconique peut étre aussi (ou
méme beaucoup plus) ambigú que le langage tout court. Si bien que parfois on
ne sait pas tres bien identifier, ou du moins de fagon univoque, certaines lignes,
certaines taches sur la surface á analyser. La peinture, de méme que la littérature,
a su parfaitement entretenir voire maitriser l'art de l'ambiguité, du double me-
ssage. Certains tableaux de Dalí, par exemple (portrait de Voltaire, les cygnes

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

éléphants, etc.), ou bien le fameux dessin créé par E.H. Will, publié dans Puck en
1915, dont le titre est déjá bien révélateur: « Mon épouse et ma belle-mére »,
placent normalement l'observateur devant l'éventualité de ne percevoir qu'une
seule des visions (douées de sens) qui se présentent á ses yeux: nos étudiants, par
exemple, n'ont vu de prime abord, dans le tableau de Will, que «l'épouse », alors
qu'une différente interprétation des lignes et des taches (de fagon guidée cette
fois-ci) a fait émerger, ensuite, la « belle(?)-mére ». Nous citerons par la suite
d'autres cas similaires qui démontrent, et qui exigent done, la présence á l'esprit
de l'étudiant d'une capacité de décision nécessaire pour savoir privilégier, á un
moment donné, une solution plutót qu'une autre, dans des cas oü l'ambiguité
n'est, évidemment, pas si bien entretenue et équilibrée que ne le sont les
exemples cités (Dalí, Will, etc.). Cette capacité est en particulier importante pour
les étudiants de traduction et interprétariat, dans la mesure oü ils sont constam-
ment en train de faire face, en lartgue, á ce type de choix presque cornéliens entre
deux ou plusieurs interprétations pour une méme séquence, méme lorsqu'il y a
un contexte. Par exemple, dans un manuel d'application de la langue com-
merciale on demande aux étudiants de traduire cette phrase: «C'est le chef des
ventes dont je t'ai parlé: je suis sür qu'il fera l'affaire». Les versións que nous
avons obtenues des étudiants frangais apprenant l'espagnol ont été surtout les
deux suivantes: versión 1: ...estoy seguro de que concluirá el negocio; versión 2:
.. .estoy seguro de que nos podrá servir; etc. C'est done pour ce type des cas qu'il faut
entraíner les étudiants á la pertinence informative de tout le document, pour
essayer de rendre, ensuite, la versión (l'interprétation) la moins ambigué contex-
tuellement. C'est parfois un manque d'attention ce qui rend le document ambigú
á leurs yeux.
E) II y aurait encore une derniére caractéristique, á notre avis essen-
tielle, dans ce processus d'apprentissage de la langue. II s'agit de faire intéresser
l'étudiant á ce qu'il apprend, lui faire aimer en quelque sorte les « métiers » de la
langue á partir de la délectation et de l'intérét que procurent les images. Qu'il
sache qu'il peut trouver un grand plaisir á exercer son métier convenablement.
Comme disaient les Classiques, il faudrait savoir joindre l'utile á l'agréable, en
insistant précisément sur le caractére plaisant de cette activité, en la présentant
comme une sorte de jeu, mais non pas comme un jeu gratuit mais un jeu dans
lequel, et á travers lequel, non seulement on apprendrait objectivement, intellec-
tuellement (on s'ouvre vers la fascination de la découverte), mais, qui plus est, on
apprendrait surtout á aimer l'objet de notre métier, la langue, parce qu'elle est
l'instrument de communication entre les étres humains, parce qu'elle développe
le respect d'autrui, transmet des émotions, ennoblit les cultures, enrichit
constamment notre imaginaire...
La fonction de l'enseignement universitaire ne devrait jamais se borner
á assurer seulement l'expédition d'un titre qui faciliterait l'accés au marché de
l'emploi. Celui qui apprend une langue étrangére (bien et agréablement) sera en
mesure de l'apprendre (idem) á son tour le moment venu...

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

II y a done le plaisir esthétique, l'art, la peinture, l'efficacité iconique


d'une belle image publicitaire, la séduisante fascination d'une couverture de
livre... On ne saurait rester indifférent face au sourire énigmatique de Mona Lisa.
Cette analyse doit done contribuer á développer les mécaniques (non
seulement intellectuelles...) que la lecture ne saurait, helas, assurer á elle toute
seule de nos jours. C'est pour toutes ces raisons que nous proposons cette méthode
progressive et diversifiée.

Acheminement
Puisque les principaux éléments qui composent le schéma de la
communication de base sont l'émetteur, le récepteur et le message, et puisque les
deux premiers sont de nature subjective et le dernier est le plus objectif, l'analyse
du document devra suivre le parcours le plus simple: aller de l'émetteur (qui
serait alors l'éléve) jusqu'au récepteur (professeur, autres éléves, public, etc.) en
passant inévitablement par le document qui serait la matiére de base. Or, puisque
l'élément commun est justement le document, l'analyse doit faire en sorte que
l'on commence par les contenus les plus simples, concrets et objectifs pour
aboutir, dans les phases terminales, aux contenus les plus complexes, abstraits et
subjectifs. Le parcours doit évoluer graduellement du connu vers l'inconnu, ou
bien, progresser du simple vers le compliqué.
Les phases de cet acheminement seraient done 6 qui se partageraient en
fonction du temps de prestation disponible. Deux extremes, plus forméis:
ouverture (0) et clóture (5) du document; et quatre (1/4) de contenu: elles
composent l'essentiel de l'analyse. Voici done toutes les phases avec deux noms:

1. Identification. Définition.
2. Description. Constatation
3. Fonction. Interprétation.
4. Narration. Amplification.
5. Argumentation. Finalité.
6. Conclusión. Commentaire

1. Identification-Définition
C'est la phase d'ouverture et présentation du document visuel. II est
question simplement de l'identifier de fa^on trés élémentaire. La question de
base est: « Qu'est-ce que c'est? », ou bien (selon les cas) « De quoi s'agit-il? ». Le
verbe de référence c'est ÉTRE. Cette phase est importante parce que l'on peut y
constater la capacité de synthése de l'étudiant, ce qui indique qu'une
compréhension générale du document a été assurée. L'éléve doit définir
rapidement le type de document qu'on lui propose selon deux paramétres
élémentaires:
a) Formel (c'est une photo, un dessin, une bande dessinée, caricature,
dessin abstrait, conversation, publicité, carte póstale, note, invitation, schéma,

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

tableau, graphiques des statistiques, etc.). Le support compte parfois (il s'agit
d'une photocopie, diapositive, reproduction d'un original, etc.). La composition
aussi: une ou plusieurs photos, dessins, vignettes, textes plus images, graphisme
textuel, etc.
b) Contenu (il s'agit d'une opinion, image comique, d'une invitation,
paysage, message publicitaire, avertissement, interdiction, manifestation, décla-
ration, proteste, etc.) En général, on définit ce qu'on y voit de fagon rapide, sans
chercher pour l'instant d'autres interprétations plus compliquées. C'est une
espéce de résumé de l'idée fondamentale.
C'est une phase qui doit étre surtout accomplie rapidement. II suffit de
se mettre d'accord sur l'essentiel du document, c'est-á-dire, ce qui, á l'évidence,
se présente comme le plus objectif et clair. II faut éviter, á ce niveau-lá de
l'exploitation, les simples opinions ou les jugements de valeur.

2. Description-Constatation
Question de base:
«Qu'est-ce qu'il y a?» ou bien «Quels sont les éléments qu'on peut
distinguer dans ce document? La notion de présence y est indispensable (cf. IL Y
A). En observant le document, il s'agit d'isoler les éléments que l'on peut iden-
tifier sans difficulté. C'est le moment idéal pour établir des niveaux d'analyse qui
puissent nous aider á ne pas manquer, dans l'énumération, au moins les éléments
du document les plus importants pour la suite de l'étude (il faut teñir compte de
la fagon dont on nous présente le document). II s'agit done d'appliquer certaines
procédures de división en fonction du type de document. Par exemple, nous
pouvons quadriller le document matériellement ou physiquement: on peut le
diviser en cinq parties (droite, gauche, haut, bas, centre) ou bien, on peut l'analy-
ser par son contenu représentatif, en fonction de la profondeur (superpositions
de plans: gros plan, premier plan,... arriére-plan, fond, etc.). Une autre méthode
d'approche du document est celle des grandes masses d'intérét informatif, en
fonction de ce qui viendra dans les autres phases. II peut y avoir d'autres divi-
sions possibles: un document á plusieurs dessins, ou une combinaison de texte et
dessins-photos, etc.
Pour l'exploitation proprement pédagogique, c'est le moment idéal de
l'application de toute la grammaire nominale (substantifs: mase. fém. sing. plur.
etc.). Nous sommes dans le royaume du mot. II faut répertorier tout ce qu'il y a,
tout ce qui est isolable. Pour commencer, il serait utile de dresser une liste de tous
les éléments (substantifs) qu'on peut détecter dans le dessin, en faisant participer
le máximum d'étudiants du groupe, et en évitant si possible les « sauts » dans
l'espace graphique, de sorte qu'aucun élément important pour la suite ne puisse
nous échapper. Cette phase est délicate parce que pour les étudiants en général
ce n'est pas la peine de signaler en paroles ce qu'ils voient; pour eux cela va de
soi, puisqu'ils l'ont sous les yeux; or, le probléme c'est que, nous l'avons dit, tout
le monde ne voit pas exactement la méme chose. Pour nos étudiants espagnols

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

tel objet était sans doute une tasse de café au lait, alors que pour une étudiante
Erasmus il s'agissait, ofeourse, d'une tasse de thé.
Une autre stratégie á suivre pour les faire décrire bien exhaustivement
c'est de leur indiquer que la description doit étre faite comme s'ils étaient en train
de l'adresser á un camarade au téléphone, quelqu'un, done, qui ne voit pas le
document, et qui a sans doute besoin de se l'imaginer le plus complétement
possible.
Á cóté done des substantifs, il faut inviter aussi les étudiants á faire des
phrases avec des adjectifs (mais attention!) objectivement. Toute interprétation
est ici á proscrire. Au début c'est un peu difficile mais c'est une gymnastique tres
intéressante de pouvoir séparer cette premiére phase de toutes les autres. Les
étudiants ont tendance á les confondre. Done, surtout des adjectifs qualificatifs:
couleurs (tres importantes pour la suite), dimensions (grand-petit, haut-bas,
long-court, large, étroit, oblong, etc.); adjectifs et pronoms démonstratifs
(proximité-éloignement), indéfinis, numéraux, et aussi la grammaire adverbiale
spatiale (tous les systémes de références que l'on puisse repérer: dedans-dehors,
loin-prés), etc.
Une fois que cette phase a livré toutes ses possibilités d'exploitation
pour l'ensemble des éléves (et seulement alors), on pourrait proposer la descrip-
tion complémentaire: tout ce qu'il n'y a pas dans le document, mais qui pourrait
y étre dans l'ordre du vraisemblable, du probable (ce qu'on pourrait trouver, par
exemple, derriére une porte, une fenétre, dans une boite, sur un paysage, etc.).
Les réseaux thématiques, et le vocabulaire qui en dérive, seront des atouts mer-
veilleux. Cette phase vraisemblable compléterait la description totale. Parfois les
éléments manquants sont trés significatifs pour l'ensemble du document. L'im-
plicite, toujours l'implicite...
N'oublions pas: il faut prendre un point de départ de l'analyse; en haut
á gauche, par exemple, ou le plan le plus proche de l'observateur, oü le plus frap-
pant; et puis, balayer, ratisser, quadriller toute la surface du document, progres-
sivement mais assez exhaustivement, méthodiquement pour qu'aucun élément
important ne puisse nous échapper.
Dans cette phase, done, il faut proposer aux étudiants des documents
trés composites, oü les notions de pluralité et de richesse en éléments soient pri-
mordiales.

3. Interprétation-Fonction
Les éléments décrits et identifiés, il est trés facile de trouver leur fonc-
tion nórmale: cet homme est un professeur qui fait son cours. Cette voiture roule
sur l'autoroute. Les gens bronzent sur la plage. La question de base est la sui-
vante: «Quelle est la fonction de chaqué élément au sein du document?». Le
verbe clef c'est FAIRE. La notion d'action y est indispensable.
II faut distinguer ici tout ce qui est actif et dynamique (les gens et leurs
activités: ceux-ci lisent le journal, ceux-lá attendent le bus), de tout ce qui est

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

passif ou statique (les objets avec lesquels on fait les choses ou qui font partie
d'un paysage: ceux-ci coupent un arbre, ceux-lá montent l'escalier, ceux-lá en-
core distribuent des tracts dans la rué). II faut entraíner les étudiants á détecter
les codes visuels qui indiquent les mouvements sur l'image; les BD en font un
usage hypercodifié: les mouvements rapides (voitures de course, fusées, etc.), les
mouvements lents, ondulatoires, les sons qui se dégagent d'une chaine hi-fi, la
fumée, les vibrations d'un moteur, les bruits, etc.
II est essentiel ici d'interpréter la nature du dessin, de savoir s'il s'agit
d'un dessin réaliste, figuratif (qui représente trés clairement un état de la réalité),
ou bien s'il s'agit d'un document á valeur symbolique ou métaphorique, ou
encore tout á fait abstrait (done privé d'information évidente). II convient alors
de trouver quelles sont (quelles pourraient étre) les fonctions de chacun des
éléments représentés et préalablement décrits (surtout pour les dessins figuratifs,
mais aussi, dans la mesure du possible, pour les symboliques). Nous reprenons
done la liste de substantifs et nous leur attribuons une fonction représentative.
C'est done la partie grammaticale d'application de la phrase. D'abord
la phrase simple. C'est le domaine du verbe (actions, états, procés, évolutions,
voix passive, etc.). Puis, la phrase complexe: les subordonnées (d'abord les rela-
tives qui feraient suite aux substantifs préalablement étudiés, et ensuite toutes les
circonstancielles qui sont en rapport avec la description). II faut distinguer ici les
fonctions de chacun des éléments de fagon isolée: ce que font les différents ac-
teurs mais de maniére encore individuelle. C'est une interprétation des fonctions
des divers éléments qui composent le document, mais pour l'instant de fa<;on
isolée. Celui-ci fait ceci, celui-lá fait cela. Toute conclusión d'ensemble serait á ce
niveau-lá interdite. Toute invention ou interprétation de ce qui n'y est pas, aussi.
II faut que tout ce qu'on peut y voir ait une fonction active ou passive, ou que cela
puisse étre défini par rapport au théme général du document, mais il ne faut pas
interpréter encore le but général du document.
Dans les dessins plus difficiles ou symboliques, des interprétations
plus aléatoires seraient non seulement conseillées mais presque nécessaires.
Dans tel dessin on voit le visage de Sigmund Freud et ensuite d'autres éléments
qui s'interprétent á la suite du premier, de sorte que, si l'on n'identifie pas le
visage, l'interprétation isolée au niveau symbolique de tous les autres éléments
reste improbable.
Certains documents particuliérement suggestifs proposent des jeux de
mots visuels: les enfants de langue allemande dessinent le soleil avec des lévres
trés belles et de trés longs cils. II y a un dessin de Loriot dans lequel on explique
l'origine de la traditionnelle Volkswagen á partir d'un insecte bien particulier
(allemand: kafer), le méme qui sert pour l'exploitation de ce dessin en espagnol:
escarabajo, en anglais: beatle et en italien maggiolino; alors que pour le frangais, il
faut changer... d'animal ! (coccinelle). II y a aussi une excellente gravure de Ro-
land Topor (cf. Les Chefs d'oeuvre du sourire, Éd. Planéte, p. 322), oü l'on voit des
ciseaux et des oiseaux... Tout un programme pour l'interprétation.

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

Ces deux premieres phases sont done les plus objectives et matérielles
en général; d'une certaine fagon, elles se complétent, comme le substantif et ses
adjectifs se compléte avec un verbe pour composer une phrase.

4. Amplification ttarratíon
A partir de l'analyse plus objective et surtout quantitative déjá réalisée,
il faut ajouter maintenant tout ce qui est, d'aprés l'observateur, important pour
chaqué document, c'est-á-dire sa qualité ou ses qualités. Nous entrons, lá, dans
une étape beaucoup plus subjective, mais il ne faut pas pour autant s'éloigner
trop du document. Les images peuvent done devenir pré-texte, mais pas trop. II
faut qu'elles constituent surtout des stimuli.
Ici la question de base serait «que se passe-t-il?». Nous sommes dans le
domaine de l'événement. II faut observer si la présentation du document est
simultanée (mono-iconicité) ou bien chronologique (pluri-iconicité). II peut
s'agir d'un seul dessin ou bien d'une bande dessinée (genre Mafalda, etc.). Alors
il faut placer le document par rapport aux paramétres temporels et aspectuels
(inchoatif, duratif, répétitif, progressif, terminatif, conclusif, résultatif, etc.). La
notion de séquence y est fondamentale. On peut diviser facilement le temps du
document en trois phases: avant, durant et aprés; ou bien passé, présent, et futur.
Et puis, on peut combiner ces six paramétres, en les faisant coincider ou non, en
prenant l'une ou l'autre, ou plusieurs perspectives, etc. II faut placer les diffé-
rentes images par rapport á chacune de ces phases. II se peut que le dessin repré-
sente une seule image. Elle peut done bien étre le «pendant». A partir de lá il
faudrait travailler avec l'éléve pour l'exploiter au máximum (toutes les valeurs
attachées au présent, au temps s'écoulant, au duratif, etc.), pour inventer ensuite
un «aprés» ou un «avant» ou les deux, de maniére vraisemblable. II peut y avoir
des éléments cachés ou implicites dans une séquence (par exemple, nous avons
l'avant et l'aprés; il faut done inventer le pendant de fagon vraisemblable). La
notion de suspense doit étre bien travaillée, et done le dosage des informations
progressives. D'oü viennent les personnages? Oü vont-ils? Pourquoi et pour quoi
sont-ils lá á faire cela? Que va-t-il se passer ensuite? Etc. C'est done le moment
d'inventer une histoire compléte á partir du seul document proposé. II faut éla-
borer un récit, une narration. C'est la diégése. Nous pouvons commencer cette
histoire en répondant aux fameuses questions du journaliste; en réalité, ce sont
celles de l'Ancienne Rhétorique (topoi, sedes argumentorum): qui? quoi? quand?
oü? pourquoi? dans quel but? avec quels moyens? ou de quelle maniére? C'est
l'une des parties les plus créatives du document. De la phrase nous passons done
au paragraphe, voire au fragment de narration, á l'épisode. Certains documents
se prétent tout particuliérement á des formules traditionnelles du type: «II était
une fois...»; d'autres par contre sont plus centrés sur la réalité de nos jours. Cela
peut inviter l'enseignant á établir pour ses étudiants espagnols la distinction
entre conté et nouvelle.

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

Cóté grammaire, il est important d'étudier toutes les subordonnées


temporelles, les conjonctions de subordination temporelles (avant que, aprés
que, une fois que, etc.), les accords temporels entre les verbes, et puis aussi, dé-
pendantes de la narration, les subordonnées causales, les consécutives, les pro-
portionnelles, les simultanées, et puis encore la valeur et utilisation de l'indicatif,
du subjonctif, les futurs du passé, les conditionnels temporels, etc.
II faut penser aussi aux possibilités d'amplification qu'a le document.
II s'agit de l'application de tout le systéme des potentiels. «Cela pourrait étre
ainsi, et alors nous aurions cela». A partir de lá, toute la subordination condition-
nelle entre en jeu: hypothétiques, réelles, possibles ou impossibles. «Si celui-ci
était roi, alors les autres... Si celui-ci était arrivé avant, alors celui-lá...».
C'est aussi le moment d'introduire les subjonctifs, mais seulement ceux
qui montrent les jeux de possibilité temporelle et objective, en écartant pour
l'instant l'adhésion, l'intervention, l'opinion de l'éléve. Par exemple, il est pos-
sible qu'il se produise cela...; ou bien, avant que...(ne explétif)..., etc. Mais il
faudrait éviter ici: Je voudrais que...
En définitive, c'est l'une des phases d'exploitation des plus créatives
du document. Mais, attention! que la subjectivité personnelle de l'étudiant n'in-
tervienne pas encore pour adhérer á telle ou telle visión. II ne faut pas se con-
tenter de ce que le dessin dit ou raconte mais, surtout, de ce qu'il cache ou pré-
supposé de fagon objective (avant, durant ou aprés): comment a-t-il pu se pro-
duire une telle fin... Imaginons-le; ou bien, comment cette histoire va-t-elle finir?

5. Argumentation Finalité
Certains documents plus que d'autres ont une finalité affichée assez
clairement. C'est, par exemple, le cas de la publicité qui manifestement est un
document á prédominance argumentative. II faut savoir le détecter tout de suite,
mais sans sauter les phases précédentes. II faut néanmoins savoir y arriver
rapidement. Si, avant, nous étions dans la phase de récit, ici nous sommes dans
le monde du message. Au-delá du texte ce sont les intentions qui comptent. Le
document est done devenu un moyen dont les fins nous intéressent tout particu-
liérement. La question de base est la suivante: Qu'est-ce que l'auteur veut diré?
C'est la partie la plus subjective. Cela affiche d'une maniére ou d'une
autre une opinion, une visión du monde, plus ou moins justifiée. Bretécher a la
sienne, Quino aussi, Serre de méme... II peut s'agir d'une critique politique, ou
d'un dessin écologiste, ou d'une caricature, ou bien encore, et surtout, d'une ima-
ge publicitaire, d'un avertissement: autant d'argumentations graphiques. Done,
il faut bien savoir les détecter, les comprendre, et apprendre á réagir par rapport
á elles.
II faut y observer quels sont les moyens de persuasión mis en place.
S'agit-il d'éléments graphiques: une belle femme, etc.? S'agit-il d'un texte á cóté
d'une image? Y a-t-il des slogans? des logos?, etc. Est-ce une argumentation
implicite? Qu'en est-il du type méme de procés argumentatif? Par exemple,

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16D474 : D. SAULAN - Dodactoquer de l'écrit

utilise-t-on certaines images en guise cTintroduction, d'autres comme dévelop-


pements, pour aboutir á des images-conclusions? D'autres possibilités sont les
séquences doubles du type cause-conséquence, ou actions explicites et effets
implicites (les enthymémes visuels existent aussi!). Trés important d'étudier les
expressions des visages: le couple bonheur-malheur (les masques du théátre
classique) sont indispensables dans toute argumentation. II faut analyser aussi la
part des fantasmes personnels, les réves, les obsessions, les émotions en général
que suscitent ces images, ce qu'elles veulent nous communiquer, etc.
II est indispensable de mettre en évidence le point de vue de l'auteur
du document. Chercher des noms, des signatures, des pseudonymes, des mes-
sages anonymes, logos, marques de l'annon^ant, etc. pour commencer. II faut
distinguer les voix, et le droit ou l'autorité de ces voix. Une fois cela, il faut iden-
tifier le théme général dont on parle (politique, écologie, sports, société, civili-
sation, etc.) et le type de critique, l'opinion qu'on propose, les états d'áme qu'on
suggére.
Enfin, il faut voir si l'on veut adopter le méme point de vue. La ques-
tion serait: sommes-nous d'accord avec l'auteur? Si c'est oui, il faut mettre en
valeur par tous les moyens possibles les arguments graphiques utilisés par
l'auteur (les couleurs, les dimensions, l'expressivité des images, leur valeur cari-
catúrale, ou de témoignage: photos des enfants qui meurent en Afrique, par
exemple), etc. Si c'est non, il faut d'abord voir quelle est la qualité et portée réelle
de ses arguments (exagére-t-il? Etc.) et quelles sont les objections que nous
pouvons y poser. Dresser une liste d'anti-arguments serait un travail intéressant.
Alors, il s'agit de batir toute une contre-argumentation avec tous les
moyens possibles. Ici le máximum de subjectivité est permis. L'éléve peut tout
interpréter maintenant. Tout le document lui appartient entiérement. Toute inter-
prétation, si partiale soit-elle, toute proposition méme trés personnelle mais
correctement construite est alors acceptable (subjonctifs de souhait, de peine, de
colére, d'adhésion; verbes d'opinion, grammaire des comparatifs, adjectifs de
subjectivité, les conditionnelles, etc.). On est done arrivé au domaine de la
critique. II faut savoir pleinement assurer la dimensión argumentative d'un
document.

6. Commentaire Final
C'est le moment le plus personnel. Une fois que l'on a suffisamment
épuisé le document en question, l'éléve se sent libre de conclure comme il le croit.
Un retour á la question et au probléme le plus important est le mieux. Si en effet
il y a un probléme posé (chómage, drogue, éducation, société, écologie, etc.), ce
serait le meilleur moment de tácher de trouver une ou plutót des solutions.
D'abord et si possible il vaut mieux proposer des initiatives réalistes et réali-
sables. Ensuite, il serait toujours utile de proposer également des alternatives
plus idéalistes voire utopiques, ce qui permet á l'étudiant d'exercer davantage sa
capacité d'imagination et de créativité. C'est ainsi qu'il peut enfin se sentir tout á

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fait libre d'exprimer son avis ou de diré un mot de clóture: un voeu, ou un


souhait, un appel á l'espoir; autant de formules qui pourraient permettre de bien
finir son intervention.

Remarques
Nous devons diré, pour finir, que les parties 1-2 se prétent á étre
travaillées plutót á Toral, alors que les suivantes, plus denses, penchent plutót du
cóté de Técrit, quitte á pouvoir récupérer celles-ci dans une séance de lecture, ou
d'interprétation plus ou moins théátralisée en cours, ou bien dans un débat col-
lectif qui ferait suite aux différentes argumentations proposées sur un sujet déter-
miné. Les quatre compétences de base (écouter, parler, lire et écrire) peuvent
done parfaitement interagir. De toute fagon cette méthode est vouée surtout á
faire parler les étudiants, convenablement et surtout créativement, si possible.
Par ailleurs, le parcours ici fait (de 0 á 5) est le parcours qui va du plus
objectif au plus subjectif. Et aussi du plus simple au plus complexe. Le parcours
inverse serait hautement á éviter (cela donnerait des discussions inútiles sur
l'avis personnel de chaqué étudiant). Done, les enseignants doivent savoir aussi
reconnaítre le niveau de langue de leurs étudiants pour exploiter convenable-
ment une telle méthode. II va de soi que les premieres phases s'adaptent mieux
aux cours inférieurs, la difficulté et la qualité des activités va done grandissant de
méme que les niveaux auxquels celles-ci peuvent s'appliquer.
II est trés important de rappeler que, bien que l'analyse ici faite tende á
séparer le plus possible chacune de ces phases dans un but surtout explicatif,
propédeutique, il ne faudrait jamais oublier le caractére global de tout document
iconique. C'est pour cette raison que nous appelons notre méthode «intégrale».
Cela dit, chaqué image présente en elle-méme une fonction prédominante (des-
criptive, narrative, argumentative, etc.) et c'est sur celle-ci qu'il faudrait surtout
insister lors de l'exploitation générale, mais les autres ne peuvent pas étre
négligées.
D'autre part, il est á observer que les phases 1 et 3 ont certains points
en commun. Les éléments (objets ou individus) qu'on a décrits en 1 sont ceux qui
probablement vont articuler la narration en 3. De la méme fa^on, les fonctions
détectées séparément en 2, surtout celles qui auraient une valeur symbolique,
vont pouvoir se développer dans l'argumentation 4.
Enfin, le type d'étudiants avec lesquels on peut travailler cette méthode
peut étre trés variable. Une expérience exceptionnelle en ce sens est celle que
nous avons menée á terme l'an dernier avec nos étudiants de langue B-2 Frangais
dans notre Faculté de Traduction et Interprétation. Cette activité d'analyse de
l'image, monographique pendant toute l'année, a été étayée par la visite des
musées, en particulier le Centre Atlantique d'Art Moderne de Las Palmas, oü
nous avons mis en pratique, avec les étudiants, nos acquis sur de véritables
tableaux, lors des expositions qui ont eu lieu: Expressionnisme allemand (deux
étudiants on fait un exposé méthodique sur l'oeuvre d'Otto Dix), Surréalisme aux

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Canaries, etc. Enfin ces deux activités ont été aussi appliquées aux séances
d'interprétariat, paralléles á ces expositions, que nous-méme avons effectué pour
ce Musée, et auxquelles nos étudiants assistaient pour ensuite établir un débat en
cours (sur l'analyse des critiques professionnels, sur les expositions, sur la mé-
thode de travail, sur les séances d'interprétariat, sur la langue, etc.). Ce type d'en-
seignement polyvalent a été, de l'avis des étudiants, trés enrichissant et révé-
lateur pour leur formation.

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