DIDACTIQUE DU français
Textes littéraires et Apprentissage du
français langue étrangère
16D492/2
(Cours et devoir)
Année 2015/2016
Claire DESPIERRES
En vertu du code de la Propriété Intellectuelle – Art. L. 335-3 : Est également un délit de contrefaçon toute
reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des
droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi.
(L. n° 94-361 du 10 mai 1994, art. 8) – Est également un délit de contrefaçon la violation de l’un des droits de
l’auteur d’un logiciel définis à l’article L. 122-6.
Les cours dispensés par le C.F.O.A.D. relèvent du présent article. Ils ne peuvent être ni reproduits ni
vendus sous quelques formes que ce soit sous peine de poursuite.
Sujet de devoir
Conclusion
ou
- envoi électronique claire.despierres@u-bourgogne.fr
DOSSIER 2
DIDASCALIES
Oswald et Zénaïde
FINISSEZ VOS PHRASES ! Ou UNE HEUREUSE
RENCONTRE
Jean Tardieu
1
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
2
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
LES DIDASCALIES1
La première partie comprend l'ensemble des dialogues. Autrement dit, ce qui sera
joué et appris par les acteurs qui seront sur scène. C'est la partie essentielle du
texte de théâtre.
En marge des dialogues, les auteurs dramatiques ajoutent, dans des proportions
plus ou moins grandes, des indications scéniques, appelées également
« didascalies ».
1
Cette présentation s’appuie notamment sur une séquence construite par Mustapha Krazem
(Université de Bourgogne) pour l’Université Ouverte des Humanités (UOH) qui sera prochainement
mise en ligne.
3
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MARCELINE, en soupirant
Cependant, si une distinction visuelle est obligatoire, la forme qu’elle revêt est
variée. Les caractères peuvent être différents, on peut utiliser des italiques ou bien
encore se servir de parenthèses.
Les noms de personnages peuvent être en début de réplique ou bien centrés sur
une ligne précédent la réplique
Quel que soit le procédé choisi, la seule fonction est oppositive : ce qui importe
c’est de distinguer ce qui est dialogue et indications. Les procédés ne sont pas en
eux-mêmes porteurs de signification.
Le second point est plus stylistique car il permet de mieux appréhender l'écriture
dramatique des auteurs
En effet les auteurs n'emploient pas les didascalies avec la même fréquence.
De façon générale, les didascalies sont moins utilisées dans le théâtre du 16ème
que dans le théâtre contemporain, une étude quantitative révèle néanmoins des
variations assez perceptibles.
Le théâtre du 19eme est très friand d'indications, notamment parce qu'à cette
époque le métier de metteur en scène est en train de s'installer progressivement.
C'est ainsi par exemple que Le dindon de Feydeau en livre 1149 !
4
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Pour simplifier, nous dirons que la première approche est scénographique tandis
que la seconde est textuelle
L’approche scénographique
• didascalies initiales
PERSONNAGES
Le Commissaire
Le Notaire
En revanche, le spectateur apprend les liens entre Léonor et Isabelle un peu plus
tard.
• didascalies fonctionnelles :
Il s’agit des indications utiles à la représentation mais qui n’affectent pas la façon
de jouer de l’acteur. Ces indications sont donc objectives/ Elles ne sont pas
censées être interprétées.
LE COMTE, à Bazile. –
LE COMTE, à part.
6
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MARCELINE, seule....
Puisque nous sommes au théâtre, y compris par la lecture, il est normal et attendu
de lire des indications décrivant l'espace, les décors, la présence d’objets.
(Entre le valet)
Plus marginalement, nous rencontrons des didascalies très techniques telles des
consignes d'éclairage.
• didascalies expressives :
On classe dans cette catégorie les didascalies contenant des effets voulus par
l’auteur : le ton, le rythme, le sentiment, la réception par l’interlocuteur. Elles sont
destinées à être interprétées, ce qui les distingue de la catégorie précédente. Voici
deux exemples, l'un de Beaumarchais, l'autre de Pagnol.
LE COMTE, furieux. -. Taisez-vous donc. (A Figaro, d'un ton glacé.) Mon cavalier
répondrez-vous à mes questions ? (5/12)
7
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(Pagnol, Fanny)
• didascalies textuelles :
FIGARO : Voilà le signal de la marche ! à vos postes, les belles, à vos postes !
Allons Suzanne donne-moi le bras (4/7)
L'approche textuelle
La seconde classification est plus près du texte. Elle provient des travaux de
Thierry Gallèpe. D’ailleurs davantage qu’une classification, il vaudrait mieux parler
d’une grille d’observation. Il ne s’agit pas de placer les didascalies dans des
catégories hermétiques mais plutôt d’évaluer pour chaque didascalie la pertinence
d’une série de critères
Nous ne présenterons pas ici l’ensemble des paramètres car certains recoupent
largement ceux déjà présentés. Nous nous limitons à décrire ceux qui
n’apparaissent pas dans la première classification.
• La place en texte
Une didascalie peut se situer à tous les endroits du texte théâtral. Avant le texte
proprement dit, dans la présentation des personnages ainsi que dans la
présentation des lieux ; en tête de scène ou d’acte, et même après le texte
théâtral, soit pour décrire une atmosphère finale, soit simplement pour préciser que
le rideau tombe.
Une attention plus particulière doit être portée aux didascalies qui sont liées
directement aux répliques des personnages. Elles se répartissent aussi bien avant
la réplique
8
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que pendant :
PANISSE
ou après
MANICAMP
Taisez-vous, taisez-vous
(Embrassons-nous Folleville)
• le scope de la didascalie
(Figaro)
Donne-moi ta main, Camille, je t’en prie (On ne badine pas avec l’amour)
9
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soit partiellement
• L’incidence
- Didascalies méta-énonciatives.
ou non:
(Les paravents)
- Didascalies méta-interactionnelles
Elles concernent les interactions entre les personnages, la façon dont s’organisent
les dialogues entre les personnages.
VLADIMIR (à Pozzo)
10
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Est-ce possible ?
Elles renvoient également à tous ce qui concerne les éléments non verbaux
nécessaires à la compréhension des relations entre les personnages. Ces
éléments peuvent prendre la forme d’un regard, d’une posture, une mimique…
(Patate)
- Didascalies méta-situationnelles
Crépitement de mitrailleuses
(Le balcon)
(Cyrano de Bergerac)
(Electre)
(L’arrestation)
11
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- Didascalies techniques
(Colinette)
Les didascalies peuvent être encore observées sous l'angle de leur objectivité.
D’une part les didascalies qui n’ont pas à être interprétées mais seulement
montrées:
D’une part les indications qui demandent une interprétation des acteurs
(didascalies subjectives).
Ah ! (4/3)
Dans son ouvrage, Thierry Gallèpe, face à l’intérêt tout relatif parfois de
l’application de certaines didascalies par la mise en scène, introduit un « principe
de gradation des contraintes ». Certaines indications sont absolument
incontournables, comme celles-ci provenant encore de Figaro :
12
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Pour d'autres didascalies, une plus grande souplesse d'application est autorisée.
Dans notre exemple, la comtesse peut moduler sa voix et même ne pas respecter
la didascalie sans que la compréhension de l'intrigue soit altérée.
La comtesse….Il n’y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites.
(On frappe à la porte, elle élève la voix). Qui frappe ainsi chez moi ? (2/9)
(Les paravents)
(98) Soeur Epine, avec la joie d’un communiste qui vient de rencontrer dans
le désert un membre du parti
• la référence du pronom ON
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Le premier “ on ” est construit dans la situation entre les personnages, tandis que
le second participe des deux énonciations.
• L’antécédent du pronom “ il ”
LE PROF, tue l’élève d’un grand coup de couteau bien spectaculaire (La
leçon)
14
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Les auteurs dramatiques peuvent privilégier l’un ou l’autre de ces espaces. Parfois
(rarement), ils se concentrent exclusivement sur l’espace des personnages :
Pendant une partie de l’acte, l’auto se déplace. On part des abords d’une
petite gare pour s’élever ensuite le long d’une route de montagne. (Knock)
D’un point de vue strictement linguistique, il est pertinent d’observer que la relation
auteur/spectateur-lecteur est marquée. Il s’avère que l’espace implicite est celui de
la scène. Les indications spatiales sont organisées face à la scène sans qu’il soit
besoin de le mentionner. Implicitement la scène est présente. C’est ainsi qu’il faut
interpréter les termes “ gauche ”, “ droite ”, “ au fond ”, “ devant ”
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
• Le temps verbal
Par la fenêtre ouverte, le soleil entre violemment dans la pièce (Port Royal)
De quelle valeur du présent s’agit-il ? Sans entrer dans le détail 2, on peut séparer
ces valeurs en deux : celles qui incluent le présent de l’énonciateur, valeurs de loin
les plus fréquentes, (autrement dit la durée du procès inclut le moment de
l’énonciation) et celles qui ne l’incluent pas, comme le présent historique ou de
narration.
2
On peut consulter pour cela la grammaire de Bonnard : Code du Français Courant, Magnard
1982
16
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Ils sont toujours interprétés dans un sens qui les situe par rapport à un présent
immédiat. Les passés composés ont notamment toujours un aspect accompli, ce
que confirment les occurrences de formes complètes d’infinitifs et de participes
passés. Une conséquence de cet aspect accompli est que les passés composés
peuvent être remplacés par l’auxiliaire d’aspect “ venir de ” (aspect récent). Nous
trouvons d’ailleurs parfois cette formulation.
Toutes les originalités constatées dans les didascalies ne renvoient pas forcément
à la double énonciation théâtrale. Cette dernière ne suffit pas toujours. Pour
d’autres particularités, il semble que c’est le support nécessairement écrit qui
autorise les écarts canoniques.
Une première observation des didascalies montre une assez grande variété de
formes. A côté d’exemples construits à partir de phrases canoniques (sujet verbe
complément, on remarque de nombreuses réalisations sans verbe, parfois se
réduisant un seul mot. C’est ainsi que seul ou silence se manifestent très souvent.
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Apparaît une jeune fille jolie sous un uniforme genre armée du salut (La
baby-sitter)
• les gérondifs.
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Rappelons finalement que toute réplique peut être précédée du verbe “ dire ”. De
nombreuses didascalies précisent les modalités avec lesquelles le “ dire ” doit être
réalisé, didascalies, rappelons-le, que Gallèpe nomme “ méta-énonciatives ” :
3
Contrairement aux adjectifs, les adverbes de manière ne peuvent pas être le support prédicatif
d’une phrase averbale.
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APPLICATION 1
PERSONNAGES
OSWALD, vingt ans, fiancé de Zénaïde
ZÉNAÏDE, vingt ans, fiancée d'Oswald.
MONSIEUR POMMÉCHON, soixante ans, père de Zénaïde
LE PRÉSENTATEUR.
ZÉNAÏDE, haut. Qui est là ? (A part.) Pourvu que ce ne soit pas Oswald, mon
fiancé ! Je n'ai pas mis la robe qu'il préfère ! Et d'ailleurs, à quoi bon ? Après tout
ce qui s'est passé !
LA VOIX D'OSWALD, au dehors. C'est moi, Oswald !
ZÉNAÏDE, à part. Hélas, c'est lui, c'est bien Oswald ! (Haut.) Entrez Oswald ! (A
part.) Voilà bien ma chance ! Que pourrai-je lui dire ? Jamais je n'aurai le courage
de lui apprendre la triste vérité !
Entre Oswald. Il reste un moment sur le seuil et contemple Zénaïde avec émotion.
OSWALD, haut. Vous, vous, Zénaïde! (A part.) Que lui dire de plus ? Elle est si
confiante, si insouciante ! Jamais je n'aurai la cruauté de lui avouer la grave
4
Publié en1966 et réédité chez Gallimard, coll. Folio en 1990.
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Consignes
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Quel est le thème de la scène ? A votre avis quels éléments du théâtre classique
sont-ils ici parodiés ?
Eléments de corrigé
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OSWALD, Il fait jour! Vous l'avez déjà dit, Zénaïde! ZÉNAÏDE, à part. Je n'en puis plus!
ZÉNAIDE, Vous disiez ?
OSWALD, Moi? Rien!
ZÉNAÏDE. Ah! bon! Je croyais...
OSWAID, C'est-à-dire...
ZÉNAÏDE, Quoi donc?
OSWALD, Oh! peu de chose!
ZÉNAÏDE, Mais encore?
OSWALD, Presque rien!
ZÉNAÏDE, Vraiment ?
OSWALD, Oui, vraiment! D'ailleurs je vous écrirai!
Etc.
Commentaire
Pauvreté de l’échange qui se borne à des banalités (valeur phatique : le temps qui
passe), voire à des bribes de phrases. Contraste avec la richesse des apartés tant
sur le plan de l’expressivité, de l’intensité des sentiments que de la richesse
poétique. Jeu sur la convention théâtrale mais aussi réflexion sur le langage et la
communication verbale.
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Quel est le thème de la scène ? A votre avis quels éléments du théâtre classique
sont-ils ici parodiés ?
Thème de l’amour contrarié, scène de dépit amoureux entre les jeunes gens mais
aussi de la feinte (thème de la mise à l’épreuve de l’amour ici par les parents) le
tout s’achève sur le coup du théâtre et le retournement heureux de la situation.
Autant de motifs classiques largement présents par exemple chez Marivaux.
Même les jeux de scène sont parodiques.
Prolongements didactiques
Du texte au jeu
Par leur brièveté, leur relative simplicité sur le plan lexical et leur grande fantaisie,
les pièces de Tardieu se prêtent bien à des activités de mise en jeu. Celles-ci,
sans prétendre aller jusqu’à une véritable interprétation théâtrale, ni à une mise en
scène achevée, permettent dans le prolongement du travail du texte de mieux
saisir la dimension communicative du texte, de susciter des interactions dans la
classe et de fournir un support pour le travail de la prononciation et de la fluidité
orale.
• Etape 1
Après avoir fait un travail d’analyse des didascalies sélectionnant les destinataires
(voir la consigne 1) et des didascalies de mouvement et de bruitage, faire réaliser
un filage dit « à l’allemande » en termes de théâtre, c’est-à-dire demander aux
acteurs choisis de ne jouer que les jeux de scène sans dire le texte, en les
enchaînant (déplacements mouvements) afin de se représenter concrètement le
déroulement kinésique de la scène.
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• Etape 2
Faire jouer la scène par les personnages, avec les déplacements et les gestes
mais en réduisant le dialogue aux répliques qu’ils s’adressent l’un à l’autre (et en
supprimant tous les apartés). Prévoir un régisseur qui jouera le rôle de la pendule.
• Etape 3
Les deux chœurs devront trouver chacun un rythme commun entre les choristes
(de préférence au début, régulier dans le débit et recto-tono sur le plan de la
hauteur).
On peut ensuite introduire des variantes par exemple un chœur dans l’aigu pour
Zénaïde, un dans le très grave pour Oswald. Tous les paramètres peuvent varier :
hauteur, rapidité, volume (du chuchotement au cri).
Avec des apprenants qui ont des difficultés en ce domaine, le travail peut être
préparé à la maison pour que les mots difficiles aient été préalablement repérés et
« mis en bouche ».
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Application 2
Les didascalies (2)
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pourquoi je suis toujours très. Je pense encore à mon pauvre. Il allait, comme ça,
sans, ou plutôt avec. Et tout à coup, voilà que ! Ah la la ! Brusquement !
Parfaitement. C'est comme ça que. Oh ! J'y pense, j'y pense ! Lui qui ! Avoir eu
tant de ! Et voilà que plus ! Et moi je, moi je, moi je !
Monsieur A, Pauvre chère ! Pauvre lui ! Pauvre vous !
Madame B, soupirant. Hélas oui ! Voilà le mot ! C'est cela !
Une voiture passe vivement, en klaxonnant.
Monsieur A, tirant vivement Madame B en arrière. Attention ! Voilà une !
Autre voiture, en sens inverse. Klaxon.
Madame B, En voilà une autre !
Monsieur A, Que de ! Que de ! Ici pourtant ! On dirait que !
Madame B, Eh ! Bien ! Quelle chance ! Sans vous, aujourd'hui, je !
Monsieur A, Vous êtes trop ! Vous êtes vraiment trop !
Soudain changeant de ton. Presque confidentiel.
Mais si vous n'êtes pas, si vous n'avez pas, ou plutôt : si, vous avez, puis-je vous
offrir un ?
Madame B, Volontiers. Ça sera comme une ! Comme de nouveau si...
Monsieur A, achevant. Pour ainsi dire. Oui. Tenez, voici justement un. Asseyons-
nous !
Ils s'assoient à la terrasse du café.
Monsieur A, Tenez, prenez cette... Etes-vous bien ?
Madame B, Très bien, merci, je vous.
Monsieur A, appelant. Garçon !
Le Garçon, s'approchant. Ce sera ?
Monsieur A, à Madame B. Que désirez-vous, chère ... ?
Madame B, désignant une affiche d'apéritif. Là... là : la même chose que... En tout
cas, mêmes couleurs que.
Le Garçon Bon, compris ! Et pour Monsieur ?
Monsieur A, Non, pour moi, plutôt la moitié d'un ! Vous savez !
Le Garçon, Oui. Un demi ! D'accord ! Tout de suite. Je vous.
Exit le garçon. Un silence.
Monsieur A, sur le ton de l'intimité. Chère ! Si vous saviez comme, depuis
longtemps!
Madame B, touchée. Vraiment ? Serait-ce depuis que ?
Monsieur A, étonné. Oui ! Justement ! Depuis que ! Mais comment pouviez-vous ?
Madame B, tendrement. Oh ! Vous savez ! Je devine que. Surtout quand.
Monsieur A, pressant. Quand quoi ?
Madame B, péremptoire. Quand quoi ? Eh bien, mais : quand quand.
Monsieur A, jouant l'incrédule, mais satisfait. Est-ce possible ?
Madame B, Lorsque vous me mieux, vous saurez que je toujours là.
Monsieur A, Je vous crois, chère !... (Après une hésitation, dans un grand élan.) Je
vous crois, parce que je vous !
Madame B, jouant l'incrédule. Oh ! Vous allez me faire ? Vous êtes un grand !...
Monsieur A, laissant libre cours à ses sentiments. Non ! Non ! C'est vrai ! Je ne
puis plus me ! Il y a trop longtemps que ! Ah si vous saviez ! C'est comme si je !
C'est comme si toujours je ! Enfin, aujourd'hui, voici que, que vous, que moi, que
nous !
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Consignes
2) Les didascalies
Eléments de corrigé
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2) Les didascalies
- Groupe Adjectival
Avec admiration / sur le ton de l’intimité / avec emphase / dans un chuchotement rieur /
etc.
Réconfortant / riant franchement (p. présent + adverbe) / offrant son bras / soudain
changeant de ton / etc.
Ils se regardent l’un et l’autre en souriant / Ils s’assoient à la terrasse du café / etc.
- Phrase averbale
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Prolongements didactiques
A l’oral en classe entière, les apprenants en cercle, chacun dit une réplique en
la complétant. Le texte initial ne doit pas être modifié et les constructions de
phrase doivent être correctes. On essaie de rester cohérent avec les
informations précédentes. Si l’exercice est proposé avant d’avoir lu l’ensemble
de la scène, le résultat est parfois assez surprenant.
Bibliographie complémentaire
PRUNER Michel, Les théâtres de l'absurde, Armand Colin, Lettres Sup., 2005
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
A retrouver sur
http://www.evene.fr/livres/actualite/theatre-absurde-ionesco-beckett-godot-
cantatrice-2289.php?p=2
A comme Absurde
Premier constat : les pièces du théâtre de l'absurde ne racontent rien. Il n'y a pas d'histoire
à proprement parler. Certains diront qu'elles n'ont "pas de sens", et que c'est justement
pour cette raison qu'on les qualifie d'absurdes. Ce n'est qu'à moitié vrai. Ici, le terme
"absurde" renvoie d'abord à l'absurdité... de l'existence humaine - ni plus ni moins. A l'idée
que l'Homme, condamné à la mort, est impuissant devant l'univers et sa propre destinée.
C'est ce sentiment que Ionesco, Beckett et Arthur Adamov mettent en scène, à travers des
dialogues eux-mêmes insensés.
B comme Beckett
On connaît son nom, certaines de ses pièces, et les idées reçues à son sujet vont bon
train. Ecrivain d'origine irlandaise, Samuel Beckett est souvent présenté comme l'une des
figures de proue du théâtre de l'absurde. Chacune de ses œuvres met en scène une
humanité perdue, prisonnière d'un corps meurtri, au bord du néant. Abordé par les
universitaires sous un angle essentiellement métaphysique, Beckett a toujours affirmé qu'il
ne visait pas un message de cette nature : "Tout ce que j'ai pu savoir, je l'ai montré (...).
Quant à vouloir trouver à cela un sens plus large et plus élevé, à emporter après le
spectacle, avec les programmes et les esquimaux, je suis incapable d'en voir l'intérêt,
mais ce doit être possible." (1) Il reçoit le prix Nobel de littérature en 1969, mais, exaspéré
par les mondanités et l'industrie littéraire, considère la nouvelle comme une véritable
"catastrophe".
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représentée pour la première fois en 1952, elle met en scène les élucubrations de la
famille Smith et de la famille Martin. Ici, pas d'intrigue. Les dialogues ont abdiqué toute
logique, les personnages sont plus décalés les uns que les autres. D'abord décriée par la
critique - qui n'aime pas ne pas comprendre -, la pièce suscite rapidement l'intérêt de
penseurs tels que Jean Tardieu ou André Breton. C'est aujourd'hui un classique français,
joué sans interruption depuis 1957 au théâtre de la Huchette de Paris.
D comme Désillusion
E comme Existentialiste
Ionesco, Beckett et les autres n'ont pas l'exclusivité du sentiment de l'absurde. Celui-ci se
rattache au courant de pensée dit "existentialiste", qui s'est développé en France sous
l'impulsion de Jean-Paul Sartre. Les existentialistes ont eux aussi l'intuition de l'absurdité
de la vie, mais, contrairement aux dramaturges de l'absurde, ils l'expriment à travers un
discours parfaitement lucide et cohérent : "Jamais je n'ai eu si fort qu'aujourd'hui le
sentiment d'être sans dimensions secrètes, limité à mon corps, aux pensées légères qui
montent de lui comme des bulles" (Sartre, La Nausée). Malgré cette philosophie
commune, Eugène Ionesco, Samuel Beckett ou encore Arthur Adamov refuseront d'être
apparentés aux existentialistes.
G comme Godot
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
H comme Humour
I comme Ionesco
L comme Langage
Le langage est le fait central des pièces du théâtre de l'absurde. Certains critiques vont
même jusqu'à le qualifier de "personnage principal". Déconstruit, malmené, constamment
menacé d'extinction ou d'explosion, il est un objet d'incompréhension et de fascination. Il
prend la place de la sacro-sainte intrigue, en étant ce qui permet aux spectacles de durer.
Dans les pièces de Ionesco, pas de logique d'exposition, de nœud et de dénouement :
seules les répliques invraisemblables, les bavardages improductifs, s'amoncellent et
déroulent le temps. Preuve que parler longtemps pour ne rien dire - ou en tout cas rien
d'explicite -, c'est possible.
M comme Mouvement
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P comme Pantins
R comme Réalisme
Les dramaturges des années 1950 mettent fin à une conception réaliste du théâtre qui
avait cours depuis des siècles. Le théâtre miroir (celui de Molière, ou même de Victor
Hugo) s'appuyait sur la cohérence de l'intrigue, du langage et des personnages pour
parler en termes explicites de la société des hommes - et donner une leçon. Chez
Ionesco, Beckett et autres Adamov, le décalage constant des répliques, des réactions
voire de l'univers dans son ensemble, tient toute forme de réalisme à distance. Le miroir
que ces dramaturges tendent à leurs spectateurs est volontairement brisé, pour pousser
ceux-ci à réfléchir sur leur condition par eux-mêmes.
Les dramaturges de l'absurde ont fait du XXe siècle un tournant dans l'histoire des arts de
la scène. Depuis plus de cinquante ans, l'ensemble de la production théâtrale est influencé
par les œuvres d'Eugène Ionesco et de ses comparses. De Roland Dubillard à Valère
Novarina, les héritiers sont aussi divers que nombreux. Un retour aux principes étriqués
du théâtre traditionnel paraît aujourd'hui inenvisageable. Une révolution artistique a eu
lieu.
(1) Samuel Beckett, Lettres à Michel Polac, janvier 1952, repris sur la 4e de couverture
d'En attendant Godot, Paris, Editions de Minuit, 1952.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
DOSSIER 3
Pragmatique
La cantatrice chauve
Eugène IONESCO
Texte intégral de la pièce sur le site
http://archithea.over-blog.com/article-23223426.html
Extraits de la pièce en ligne dans la mise en scène de Jean-Luc
Lagarce, 1991.
http://www.lagarce.net/scene/extraits/idspectacle/378/idc
ontent/12269/from/
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Dans le premier dossier, nous avons envisagé des questions d’énonciation et traité
des caractéristiques du dispositif énonciatif propre au théâtre et des relations qui
s’instaurent entre certains éléments de l’énoncé et la situation d’énonciation.
Enonciation et pragmatique ont des points de convergence. L’énonciation, on l’a
vu, prend en compte le fait même de produire un discours.
La pragmatique (du grec pragma : action) qui traite, selon C. Morris, de la relation
des signes à l'utilisateur, étudie la dimension du langage comme action, car quand
on parle, on ne fait pas que parler, on agit par les mots. Ce courant est issu de la
philosophie analytique anglaise. 6 Ainsi, si je dis « Il fait chaud », cet énoncé est
susceptible d’avoir différentes valeurs, il peut signifier suivant les contextes :
5
Cf. mon cours de linguistique de l’énonciation que quelques-uns d’entre vous ont suivi en L3.
6
Les deux ouvrages suivants sont des textes fondateurs dans le domaine de la pragmatique :
J.L. Austin : How to do things with words, O.U.P., 1962, traduit en français par Quand dire c’est
faire ; Editions du Seuil, 1970.
J. R. Searle : Speech Acts, C.U.P., 1969, traduction française ; Les actes de langage, Hermann,
1972.
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16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Austin est parti des verbes dits performatifs pour montrer qu'il existait un rapport
entre les mots et les actes. Il a montré qu’il y avait, dans la catégorie générale des
verbes, des sous-catégories. Il distingue ainsi entre performatifs et constatifs.
Ces verbes se distinguent des autres en ceci qu'ils constituent un acte du seul
fait de leur profération.
ex : je te baptise.
Des verbes tels que : affirmer et observer paraissent à première vue constatifs.
Cet énoncé est en effet purement constatif par opposition au verbe parier :
En fait, ce qui paraît simple a priori, devient vite problématique car la catégorie
performative est élastique.
40
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Dans le prolongement des travaux d’Austin, Searle a essayé d’aller plus loin pour
distinguer entre le dit et le dire et décrire ce qui, dans le langage, donne lieu à de
l’action, en sortant de la distinction entre verbes performatifs et verbes constatifs. Il
a poursuivi ainsi la réflexion engagée par Austin sur les trois
niveaux d’appréhension du sens :
- Le locutoire
- L’illocutoire
- Le perlocutoire
1. Dans cette pièce il fait 21° : C’est le niveau locutoire. Ce que je dis
n’excède pas le sens strict de l’énoncé.
Cela donne une valeur illocutoire à l’énoncé. Je dis quelque chose qui
s’adresse à quelqu’un, sous forme d’un faire. Ce n’est plus seulement de l’ordre du
verbal.
Exemple de contexte : Ma femme me dit : ouvre la fenêtre. Cet ordre a pour effet
que je m’énerve.
41
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Ce n’est pas une simple question. En fait, c’est une demande : Est-ce que tu peux
me prêter ton briquet ?
Le sens littéral et le sens dérivé recouvrent à peu près la distinction entre locutoire
et illocutoire. Le décalage entre le sens littéral et le sens dérivé relève des
conventions non seulement culturelles mais aussi langagières.
42
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Ce n’est pas la valeur de capacité attachée au verbe pouvoir qui est sélectionnée
ici.
Les textes de théâtre sont quant à eux saturés d’actes de langage, qui ont d’une
part une fonction informative grâce aux assertifs (ils donnent des indications par
exemple sur la situation sur les personnages, sur les événements antérieurs)
d’autre part font progresser l’intrigue. Analyser les actes de langage dans un texte
de théâtre, c’est comprendre comment se construit la relation entre le discours et
l’action dramatique.
SCAPIN. - passant devant lui avec un air fier. Ah! mon pauvre Scapin. Je suis mon
pauvre Scapin à cette heure qu'on a besoin de moi.
43
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Georges : Alors si le cœur t’en dit… Mais je n’ai pas grand-chose à t’offrir… Si, j’ai
des œufs, on peut faire une…
Paul : Je ne suis pas venu exprès, ça se trouvait comme ça… J’avais un moment
j’en ai profité.
Georges : Je te remercie.
44
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
• Les actes de langage effectués par le locuteur s’ils sont non marqués
explicitement sont parfois soulignés par l’interlocuteur :
Catherine. – Lorsque nous nous sommes mariés, il n’est pas venu, et depuis, le
reste du temps, les occasions ne se sont pas trouvées.
L’acte de langage peut être accompli sans qu’aucun marquage (verbe performatif,
sémantisme ou mode du verbe, type de phrase) ne le signale explicitement. C’est
alors au lecteur d’en inférer l’existence et d’interpréter l’énoncé. Pour cela il recourt
à ses compétences linguistiques, communicationnelles et culturelles.
45
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Paul : Du coup, je ne t’ai même pas dit bonjour. Paul vient embrasser son père.
(Tu as bien fait […] Calaferte)
Maman Tchich : Et un garçon bien élévé doit le respect à une fille, surtout si elle
est sa sœur, et nous sommes tous de la même famille.
Lorsque j'entends cette phrase, je ne me contente pas de répondre par oui ou non,
je décode que mon interlocuteur me demande du feu. En faisant cela, je coopère,
j’aide à la réussite de l’échange. S’inspirant de Kant, Grice montre que le principe
de coopération obéit à quatre règles conversationnelles :
46
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
• la règle de quantité
Cette règle a à voir avec le mensonge. « que votre contribution soit véridique »
(idem). Je réponds a priori sincèrement et sans intention de tromper mon
interlocuteur.
47
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Quand on prend la parole, il faut tenir compte de ce qui a été dit , de ce qu’on a dit
soi-même et de ce qu’ont dit les autres, sans quoi on risque la répétition, ou
l’incohérence : si on me demande où se trouve le garage Volvo, je n’indique pas
l’hôpital. On ne saute pas du coq à l’âne.
Chaque fois que l’on parle, on ne respecte pas de façon idéale ces règles.
Bérénice
Titus
Mais…
Bérénice
Achevez.
Titus
Hélas !
Bérénice
Parlez.
Titus
Rome… l’Empire…
Bérénice
Eh bien ?
48
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Titus
Arnolphe
Agnès
Fort belle
Arnolphe
Le beau jour !
Agnès
Fort beau !
Arnolphe
Quelle nouvelle ?
49
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Agnès
Arnolphe
Agnès
Non
Arnolphe
Vous ennuyait-il ?
Agnès
Jamais je ne m’ennuie.
Arnolphe
Agnès
7
La fonction phatique du langage est ainsi décrite par Jakobson : « Il y a des messages qui servent
essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à vérifier si le circuit
fonctionne […], à attirer l’attention de l’interlocuteur ou à s’assurer qu’elle ne se relâche pas […].
Cette accentuation du contact - la fonction phatique, dans les termes de Malinowski- peut donner
lieu à un échange profus de formules ritualisées, voire à des dialogues entiers dont l’unique objet
est de prolonger la conversation. « Linguistique et poétique », in Essais de linguistique générale, R.
50
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Agnès en répondant par la reprise a minima d’un segment phrastique fait mine
d’ignorer la valeur conversationnelle des assertions d’Arnolphe, elle enfreint donc à
la fois la règle de pertinence (elle devrait enchaîner et relancer l’échange à son
tour) et la règle de quantité (ses réponses sont extrêmement laconiques)
- question, elle aussi du domaine des interactions codées (quelles nouvelles ?).
C’est une question ouverte mais la réponse d’Agnès ne correspond pas aux
attentes d’Arnolphe qui se moque comme d’une guigne du chat. Agnès le sait, sa
réponse est une forme d’évitement (règle de pertinence non respectée).
Malgré une mauvaise volonté évidente, on constate quand même que le principe
général de coopération n’est pas totalement enfreint par Agnès. Sur le plan de la
communication inter-personnages, Agnès doit faire preuve d’un minimum de
respect à l’égard d’Arnolphe, sur le plan du fonctionnement théâtral, il est
nécessaire que le dialogue se poursuive pour que la pièce ne s’arrête pas tout
simplement.
Jakobson, éds. de Minuit, 1963. p.217. Je vous recommande la lecture de cet ouvrage qui fait
partie des textes fondateurs de la linguistique (cette lecture peut se faire après les examens…)
51
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Ducrot de son côté, s’intéresse au décalage entre le dire et le dit. Il s’y intéresse du
point de vue de l’argumentation car pour lui l’argumentation est inscrite dans la
langue : chaque fois que l’on parle, c’est pour agir sur l’autre.
5.1. La présupposition
Elle est inscrite dans l’énoncé lui-même. Les présupposés sont des informations
qui sont données, non comme nouvelles, mais comme déjà connues ou admises
de l’interlocuteur ; elles sont présentées sur le mode du cela va de soi. Les
présupposés ne sont pas l’objet de l’échange et échappent aux enjeux interlocutifs
Cette inscription de l’argumentation dans la langue ne se fait pas par les mots
pleins du lexique mais par des mots comme : toujours, encore, même, presque…
Ces mots s'inscrivent souvent dans ce que Ducrot appelle des échelles
argumentatives :
- même : Même Jean est venu : (= posé : la venue de Jean / présupposé : tout le
monde est venu)
52
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Il a presque la moyenne : (= il a 9 sur 20) est orienté positivement (il faut lui donner
sa chance)
Il a à peine la moyenne (= il a 11 sur 20) est orienté négativement (il n’arrivera pas
à suivre)
On constate ici l’écart entre sens locutoire (information sur la note) et illocutoire
(argumentation en faveur ou contre un passage dans la classe supérieure).
Ex.: Il est huit heures peut signifier suivant la situation : il faut manger, allumer la
télévision, sortir…
Le sous-entendu peut toujours être dénié par le locuteur (je n’ai jamais dit ça, c’est
toi qui prends tout de travers)
- Tu es jolie ce soir.
53
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Au théâtre, les règles d’alternance des tours de parole et la manière dont est
sélectionné le locuteur qui prendra la parole sont marquées
8
Hymes, D. H, Vers la compétence de communication (titre original :Toward linguistic competence,
1973), trad. de F. Mugler, note liminaire de D. Coste, Paris, Hatier CREDIF, 1984.
9
E. Goffman, Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974, trad. d’A. Kihm.
54
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Clarisse. – Ben quoi maintenant que Monsieur Hochepaix m’a vue (remontant au-
dessus du canapé pour s’adresser à monsieur Hochepaix qui est remonté
également pendant ce qui précède) enfin, monsieur Hochepaix ! je suis en
chemise, c’est entendu ! mais enfin est ce que je suis inconvenante ? Est-ce que
j’en montre plus qu’en robe de bal ?
Hochepaix, conciliant. - Mais non, Madame ! (Mais n’te promène donc pas toute
nue ! Feydeau)
10
André Petitjean, (1984) « La conversation au théâtre », in Pratiques nº41, p. 63-88.
11
« L’absurde dans les dialogues de Ionesco »
http://aclif.org.ro/publications/PDF/2010/01_CatherineKERBRAT-ORECCHIONI.pdf (consulté le
17.11.2011)
55
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
• Les interruptions
« peuvent être signalées par un commentaire métacommunicatif (tel que « Faut
pas interrompre, chérie »), mais ce sont le plus souvent les points de suspension
qui se chargent de suggérer, à la fin d’un tour (qui peut être syntaxiquement
complet ou incomplet) que ce tour a été interrompu ».
56
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Applications
La Cantatrice chauve a été représentée pour la première fois au Théâtre des Noctambules,
le 11 mai 1950, par la Compagnie Nicolas Bataille.
http://archithea.over-blog.com/article-23223426.html
PERSONNAGES
M. SMITH
Mme SMITH
M. MARTIN
M1ne MARTIN
MARY, la bonne
SCÈNE I
Intérieur bourgeois anglais, avec des fauteuils anglais. Soirée anglaise. M. Smith, Anglais,
dans son fauteuil anglais et ses pantoufles anglaises, fume sa pipe anglaise et lit un journal
anglais, près d’un feu anglais. Il a des lunettes anglaises, une petite moustache grise,
anglaise. A côté de lui, dans un autre fauteuil anglais, Mme Smith, Anglaise, raccommode
des chaussettes anglaises. Un long moment de silence anglais. La pendule anglaise frappe
dix-sept coups anglais.
55
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
1 Mme SMITH : Tiens, il est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du poisson, des
2 pommes de terre au lard, de la salade anglaise. Les enfants ont bu de l’eau anglaise. Nous
3 avons bien mangé, ce soir. C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres et
4 que notre nom est Smith.
6 Mme SMITH : Les pommes de terre sont très bonnes avec le lard, l’huile de la salade n’était
7 pas rance. L’huile de l’épicier du coin est de bien meilleure qualité que l’huile de l’épicier d’en
8 face, elle est même meilleure que l’huile de l’épicier du bas de la côte. Mais je ne veux pas
9 dire que leur huile à eux soit mauvaise.
11 Mme SMITH : Pourtant, c’est toujours l’huile de l’épicier du coin qui est la meilleure...
13 Mme SMITH : Mary a bien cuit les pommes de terre, cette fois-ci. La dernière fois elle ne les
14 avait pas bien fait cuire. Je ne les aime que lorsqu’elles sont bien cuites.
16 Mme SMITH Le poisson était frais. Je m’en suis léché les babines. J’en ai pris deux fois.
17 Non, trois fois. Ça me fait aller aux cabinets. Toi aussi tu en as pris trois fois. Cependant la
18 troisième fois, tu en as pris moins que les deux premières fois, tandis que moi j’en ai pris
19 beaucoup plus. J’ai mieux mangé que toi, ce soir. Comment ça se fait? D’habitude, c’est toi
20 qui manges le plus. Ce n’est pas l’appétit qui te manque.
22 Mme SMITH : Cependant, la soupe était peut-être un peu trop salée. Elle avait plus de sel
23 que toi. Ah, ah, ah. Elle avait aussi trop de poireaux et pas assez d’oignons. Je regrette de
24 ne pas avoir conseillé à Mary d’y ajouter un peu d’anis étoilé. La prochaine fois, je saurai m’y
25 prendre.
27 Mme SMITH : Notre petit garçon aurait bien voulu boire de la bière, il aime s’en mettre plein
28 la lampe, il te ressemble. Tu as vu à table, comme il visait la bouteille? Mais moi, j’ai versé
29 dans son verre de l’eau de la carafe. Il avait soif et il l’a bue. Hélène me ressemble : elle est
30 bonne ménagère, économe, joue du piano. Elle ne demande jamais à boire de la bière
31 anglaise. C’est comme notre petite fille qui ne boit que du lait et ne mange que de la bouillie.
32 Ça se voit qu’elle n’a que deux ans. Elle s’appelle Peggy.
33 La tarte aux coings et aux haricots a été formidable. On aurait bien fait peut-être de prendre,
34 au dessert, un petit verre de vin de Bourgogne australien mais je n’ai pas apporté le vin à
35 table afin de ne pas donner aux enfants une mauvaise preuve de gourmandise. Il faut leur
36 apprendre à être sobre et mesuré dans la vie.
55
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
38 Mme SMITH : Ms. Parier connaît un épicier bulgare, nommé Popochef Rosenfeld, qui vient
39 d’arriver de Constantinople. C’est un grand spécialiste en yaourt.
40 Il est diplômé de l’école des fabricants de yaourt d’Andrinople. J’irai demain lui acheter une
41 grande marmite de yaourt bulgare folklorique. On n’a pas souvent des choses pareilles ici,
42 dans les environs de Londres.
44 Aline SMITH : Le yaourt est excellent pour l’estomac, les reins, l’appendicite et l’apothéose.
45 C’est ce que m’a dit le docteur Mackenzie-King qui soigne les enfants de nos voisins, les
46 Johns. C’est un bon médecin. On peut avoir confiance en lui. Il ne recommande jamais
47 d’autres médicaments que ceux dont il a fait l’expérience sur lui-même. Avant de faire opérer
48 Parier, c’est lui d’abord qui s’est fait opérer du foie, sans être aucunement malade.
49 M. SMITH : Mais alors comment se fait-il que le docteur s’en soit tiré et que Parker en soit
50 mort?
51 Mme SMITH : Parce que l’opération a réussi chez le docteur et n’a pas réussi chez Parker.
52 M. SMITH : Alors Mackenzie n’est pas un bon docteur. L’opération aurait dû réussir chez
53 tous les deux ou alors tous les deux auraient dû succomber.
55 M. SMITH : Un médecin consciencieux doit mourir avec le malade s’ils ne peuvent pas guérir
56 ensemble. Le commandant d’un bateau périt avec le bateau, dans les vagues. Il ne lui survit
57 pas.
59 M. SMITH : Pourquoi pas? Le bateau a aussi ses maladies; d’ailleurs ton docteur est aussi
60 sain qu’un vaisseau; voilà pourquoi encore il devait périr en même temps que le malade
61 comme le docteur et son bateau.
62 Mme SMITH : Ah! Je n’y avais pas pensé... C’est peut-être juste... et alors, quelle conclusion
63 en tires-tu?
64 M. SMITH : C’est que tous les docteurs ne sont que des charlatans. Et tous les malades
65 aussi. Seule la marine est honnête en Angleterre.
67 M. SMITH : Naturellement.
68 Pause.
69 M. SMITH, toujours avec son journal : Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à
70 la rubrique de l’état civil, dans le journal, donne-t-on toujours l’âge des personnes décédées
71 et jamais celui des nouveau-nés? C’est un non-sens.
55
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
73 Un autre moment de silence. La pendule sonne sept fois. Silence. La pendule sonne trois
74 fois. Silence. La pendule ne sonne aucune fois.
75 M. SMITH, toujours dans son journal : Tiens, c’est écrit que Bobby Watson est mort.
76 Mme SMITH : Mon Dieu, le pauvre, quand est-ce qu’il est mort ?
77 NI. SMITH : Pourquoi prends-tu cet air étonné? Tu le savais bien. Il est mort il y a deux ans.
78 Tu te rappelles, on a été à son enterrement, il y a un an et demi,
79 Mme SMITH : Bien sûr que je me rappelle. Je me suis rappelé tout de suite, mais je ne
80 comprends pas pourquoi toi-même tu as été si étonné de voir ça sur le journal.
81 M. SMITH : Ça n’y était pas sur le journal. Il y a déjà trois ans qu’on a parlé de son décès. Je
82 m’en suis souvenu par association d’idées!
84 M. SMITH : C’était le plus joli cadavre de Grande-Bretagne! Il ne paraissait pas son âge.
85 Pauvre Bobby, il y avait quatre ans qu’il était mort et il était encore chaud. Un véritable
86 cadavre vivant. Et comme il était gai!
89 Mme SMITH : Non, c’est à sa femme que je pense. Elle s’appelait comme lui, Bobby, Bobby
90 Watson. Comme ils avaient le même nom, on ne pouvait pas les distinguer l’un de l’autre
91 quand on les voyait ensemble. Ce n’est qu’après sa mort à lui, qu’on a pu vraiment savoir qui
92 était l’un et qui était l’autre. Pourtant, aujourd’hui encore, il y a des gens qui la confondent
93 avec le mort et lui présentent des condoléances. Tu la connais?
96 M. SMITH : Elle a des traits réguliers et pourtant on ne peut pas dire qu’elle est belle. Elle est
97 trop grande et trop forte. Ses traits ne sont pas réguliers et pourtant on peut dire qu’elle est
98 très belle. Elle est un peu trop petite et trop maigre. Elle est professeur de chant.
104 Mme SMITH : Pourquoi ne leur offririons-nous pas un des sept plateaux d’argent dont on
105 nous a fait cadeau à notre mariage à nous et qui ne nous ont jamais servi à rien ?
66
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
107 Mme SMITH : C’est triste pour elle d’être demeurée veuve si jeune.
109 Mme SMITH : Il ne leur manquait plus que cela! Des enfants! Pauvre femme, qu’est-ce
110 qu’elle en aurait fait!
111 M. SMITH : Elle est encore jeune. Elle peut très bien se remarier. Le deuil lui va si bien!
112 Mme SMITH : Mais qui prendra soin des enfants? Tu sais bien qu’ils ont un garçon et une
113 fille. Comment s’appellent-ils ?
114 M. SMITH : Bobby et Bobby comme leurs parents. L’oncle de Bobby Watson, le vieux Bobby
115 Watson, est riche et il aime le garçon. Il pourrait très bien se charger de l’éducation de
116 Bobby.
117 Mme SMITH : Ce serait naturel. Et la tante de Bobby Watson, la vieille Bobby Watson,
118 pourrait très bien, à son tour, se charger de l’éducation de Bobby Watson, la fille de Bobby
119 Watson. Comme ça, la maman de Bobby Watson, Bobby, pourrait se remarier, Elle a
120 quelqu’un en vue?
124 Mme SMITH : De Bobby Watson, le fils du vieux Bobby Watson l’autre oncle de Bobby
125 Watson, le mort.
126 M. SMITH : Non, ce n’est pas celui-là, c’est un autre. C’est Bobby Watson, le fils de la vieille
127 Bobby Watson la tante de Bobby Watson, le mort.
130 Mme SMITH : Quel dur métier! Pourtant, on y fait de bonnes affaires.
134 Mme SMITH : Ah! trois jours par semaine? Et que fait Bobby Watson pendant ce temps-là?
136 Mme SMITH : Mais pourquoi ne travaille-t-il pas pendant ces trois jours s’il n’y a pas de
137 concurrence?
138 M. SMITH : Je ne peux pas tout savoir. Je ne peux pas répondre à toutes tes questions
139 idiotes!
66
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
142 Mme SMITH : Les hommes sont tous pareils! Vous restez là, toute la journée, la cigarette à
143 la bouche ou bien vous vous mettez de la poudre et vous fardez vos lèvres, cinquante fois
144 par jour, si vous n’êtes pas en train de boire sans arrêt!
145 M. SMITH : Mais qu’est-ce que tu dirais si tu voyais les hommes faire comme les femmes,
146 fumer toute la journée, se poudrer, se mettre du rouge aux lèvres, boire du whisky?
147 Mme SMITH : Quant à moi, je m’en fiche! Mais si tu dis ça pour m’embêter, alors... je n’aime
148 pas ce genre de plaisanterie, tu le sais bien!
149 Elle jette les chaussettes très loin et montre ses dents. Elle se lève 1.
150 M. SMITH, se lève à son tour et va vers sa femme, tendrement : Oh! mon petit poulet rôti,
151 pourquoi craches-tu du feu! tu sais bien que je dis ça pour rire! (Il la prend par la taille et
152 l’embrasse.) Quel ridicule couple de vieux amoureux nous faisons! Viens, nous allons
153 éteindre et nous allons faire dodo!
66
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Application 1
Maximes conversationnelles
Consignes
1) Dans la scène 1, scène d’exposition, quelles sont les informations qui sont
fournies au lecteur / spectateur des lignes 1 à 32 (localisation, personnages,
situation) ?
De quelle manière le sont-elles ? quel est le destinataire de ces informations ?
(intrascénique ? / uniquement extrascénique ? )
c) Mme Martin : Je peux acheter un couteau de poche pour mon frère, mais vous
ne pouvez acheter l’Irlande pour votre grand-père.
M. Smith : On marche avec les pieds, mais on se réchauffe à l’électricité ou au
charbon.
(Scène 2)
63
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Application 2
Tours de parole
Consigne.
Mme MARTIN
Eh bien, aujourd’hui, en allant au marché pour acheter des légumes qui sont de plus en plus
chers…
Mme SMITH
M. SMITH
Mme MARTIN
J’ai vu, dans la rue, à côté d’un café, un Monsieur, convenablement vêtu, âgé d’une
cinquantaine d’années, même pas, qui…
M. SMITH
Qui, quoi ?
Mme SMITH
Qui, quoi ?
M. SMITH, à sa femme
Mme SMITH
M. MARTIN
64
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Eléments de corrigé.
Application 1
Maximes conversationnelles
On a vu que le déficit d’information des destinataires extrascéniques que sont les lecteurs /
spectateurs, ignorants de tout, par rapport aux personnages destinataires intrascéniques,
supposés maîtriser au moins une partie de ces données, nécessite de recourir à différentes
stratégies pour informer le spectateur sans trahir de manière trop voyante la maxime de
quantité (ou informativité). Effectivement quand je rencontre quelqu’un que je connais, je n’ai
pas l’habitude de lui rappeler comment je m’appelle.
On apprend ainsi que les personnages s’appellent Smith, qu’ils vivent à Londres, qu’ils ont
deux enfants, une fille Peggy et un garçon et une bonne appelée Mary.
Ainsi dans « les enfants ont bu de l’eau anglaise », l’existence des enfants est présupposée,
le posé portant sur le prédicat (boire de l’eau anglaise). Le spectateur apprend donc
65
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
l’existence des enfants tandis que le personnage M. Smith n’apprend que ce qui est posé, ce
qui semble « sauver » la règle d’informativité.
En revanche rien ne vient justifier pragmatiquement des énoncés comme « notre nom est
Smith », ou « nous habitons les environs de Londres ».
Comme le souligne Catherine Kerbrat, dans « le début de la pièce, […] Mme Smith,
incontestablement, monologue — mais en quel sens ? Le terme est en effet ambigu, pouvant
renvoyer soit à un véritable self talk (discours exclusivement autoadressé), soit à un discours
adressé mais par un locuteur qui monopolise entièrement la parole. En fait, il y a trois
manières différentes d’interpréter (et de mettre en scène) le tout début de notre pièce:
- ou Mme Smith s’adresse à son mari (interprétation qui s’impose à partir de la cinquième
tirade : « Toi aussi tu en as pris trois fois »), et son discours transgresse alors la maxime de
quantité dans la mesure où M. Smith le sait bien, qu’ils ont mangé de la soupe, du poisson,
des pommes de terre au lard etc. (notons qu’à la différence des énoncés strictement factuels
les énoncés évaluatifs tels que « Mary a bien cuit les pommes de terre, cette fois » ne
tombent pas sous le coup de l’accusation de non informativité);
- ou elle ne s’adresse qu’à elle-même en une espèce de radotage en forme de bilan auto-
satisfait (il est si bon d’être Anglais) et l’anomalie change alors de nature, que vient en
quelque sorte justifier le stéréotype de la femme bavarde, voire logorrhéique;
- Mme Smith peut enfin s’adresser directement au public (étant bien entendu que celui-ci est
toujours le destinataire principal mais généralement indirect du discours qui s’échange sur
scène : par rapport à ce circuit de destinataires ses propos sont informatifs (quoique d’un
intérêt assez limité), mais le procédé va à l’encontre de la convention classique dite « du
quatrième mur » (celui, invisible mais infranchissable, qui sépare la scène et la salle),
convention que Ionesco viole d’ailleurs ouvertement à la fin de la scène IV avec l’apparition
de la bonne qui « entre doucement en scène et s’adresse au public ». À propos de cette
première séquence on parlera donc prudemment de « semi-monologue », laissant au
metteur en scène et aux acteurs le soin de faire basculer l’interprétation dans un sens ou
dans un autre, en fonction du comportement non verbal adopté par les personnages ».
D’autres informations sont carrément contredites par les didascalies, ainsi l’horloge sonne
dix-sept coups tandis que madame Smith en conclut :
A noter bien entendu que la principale entorse à cette maxime de quantité est sans doute le
titre lui-même car tout au long de la pièce, jamais on ne saura qui est le personnage
éponyme (celui qui donne son titre à la pièce) « la cantatrice chauve » et ce n’est pas ce bref
échange vers la fin de la pièce qui viendra combler l’attente du spectateur :
66
16D492. Textes littéraires et apprentissage du français. Claire Despierres
Mme SMITH
2) Dans les trois exemples la maxime de pertinence est grossièrement bafouée sans que
cela dérange le moins du monde les personnages :
b) Le passage du coq à l’âne est évident bien que les énoncés soient reliés par
un connecteur logique censé articuler les deux propositions.
Quant à la Maxime de qualité: « Que votre contribution soit véridique : n’affirmez pas ce que
vous croyez être faux ; n’affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves. », elle est
aussi constamment violée par les personnages.
Pour ne citer qu’un exemple, dans la scène 7, les Smith mentent sans vergogne, prétendant
s’être changés pour justifier leur retard aux yeux des Martin, affirmation contredite par la
didascalie :
Mme et M. Smith entrent à droite, sans aucun changement dans leurs vêtements.
Mme SMITH : Bonsoir, chers amis! excusez-nous de vous avoir fait attendre si longtemps.
Nous avons pensé qu’on devait vous rendre les honneurs auxquels vous avez droit et, dès
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que nous avons appris que vous vouliez bien nous faire le plaisir de venir nous voir sans
annoncer votre visite, nous nous sommes dépêchés d’aller revêtir nos habits de gala.
Application 2
Tours de parole
Selon C. Kerbrat « on ne peut pas dire que les dialogues de Ionesco s’affranchissent
complètement des règles conversationnelles : on y trouve au contraire bien représentés
toute sorte de phénomènes caractéristiques des conversations et à ce titre abondamment
décrits dans la littérature interactionnelle — qu’il s’agisse du fonctionnement du turn taking,
de l’organisation thématique, de l’enchaînement des répliques pour former des paires
adjacentes et des échanges étendus, des routines de politesse, ou des négociations en tous
genres : à un certain niveau (superficiel), « ça fonctionne ». […]
Dans cette scène VII […] se côtoient les deux types d’interruptions :
La première interruption de Mme Smith n’aide en rien à la conduite du récit, elle ne peut que
déstabiliser la narratrice et M. Smith a raison de morigéner sa bavarde épouse. En revanche,
les deux interruptions suivantes doivent plutôt être considérées comme les manifestations
d’une intense implication dans le récit, ce qui ne peut être qu’encourageant pour la
narratrice. M. Smith fait donc preuve d’une double mauvaise foi envers sa femme lorsqu’il la
sermonne de nouveau alors que l’interruption est cette fois dépourvue de son caractère «
délictueux » et surtout que c’est lui qui a commencé, comme sa femme ne manque pas de le
lui signaler en accompagnant sa remarque d’une qualification insultante (« mufle ») qui fait
pendant à celle de son mari(« tu es dégoûtante ») : une fois de plus, les Smith se laissent
aller au plaisir de se chamailler, jusqu’à ce que M. Martin interrompe ces interruptions en
rendant la parole à sa propriétaire légitime (qui se trouve être aussi son épouse légitime). »
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Dossier n°4
Bibliographie complémentaire
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Afin d’être vraisemblable, le théâtre doit mettre dans la bouche des personnages des
répliques qui correspondent à la situation de communication représentée, le plus
souvent celle de la conversation plus ou moins familière entre les protagonistes. Leur
façon de s’exprimer doit aussi être cohérente avec différents critères tels que leur
statut social, leur âge etc. On pourrait penser que l’illusion ne fonctionne que si les
personnages semblent s’exprimer de manière naturelle mais c’est l’un des paradoxes
du théâtre de nous faire accepter une langue aussi raffinée que celle des vers de
Racine ou des versets claudéliens. En effet c’est uniquement par convention que
nous « oublions » que ces personnages emploient un langage qui n’a rien de
commun avec celui de l’échange oral.
Quand les textes présentent un grand nombre de traits mimétiques de l’oralité, même
si ceux-ci ne sont pas propres à la langue « populaire » mais d’un emploi ordinaire
(absence du « ne » de négation par exemple), l’effet produit par le fait de leur
dimension écrite est celui d’une langue non-standard, marquée comme sociolecte.
« la production d’effets de voix populaires, dans les romans ou dans les œuvres
dramatiques, est une fiction littéraire qui repose sur des faisceaux de faits de langue
- de type phonique, morphologique, syntaxique et lexical – tels qu’ils sont perçus ou
identifiés par les auteurs et par les lecteurs comme socialement connotés. Soit que
ce marquage socio-culturel provienne du seul fait de transposer dans l’ordre du
scriptural des opérateurs de mimésis d’oralité, soit qu’il soit induit par la présence de
fautes « typantes » par rapport aux normes de la langue standard.
Nous observerons dans cette présentation quelques effets de langue orale, puis plus
précisément des faits de langue populaire dans le théâtre actuel.
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• Reprises et répétitions
- […] pour être testés sur les chemins de Suède, une trentaine de pavés
français donc […] ont été acheminés pour être testés pour être testés là on
les teste (Habitations. Minyana).
• Reformulations
- A base de polyuréthane avec une autre formulation ça veut dire une autre
densité de mousse […] c’est-à-dire une mousse dite à cellule fermée […] la
mousse PU, c’est la terminologie du polyuréthane (Habitations. Minyana).
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- […] deux trois jours de livraison pour que le vaccin soit (il tousse) nos
emballages […] (Habitations. Minyana).
- […] tout est relatif parce que ça coûte combien si les bovins d’Argentine sont
(il tousse) donc le vaccin […] (Habitations. Minyana).
• les auto-corrections
- […] il part aux Etats-Unis non au Canada (Habitations. Minyana).
• ou réorientations du discours
- […] mais c’est qu’on a enfin moi j’essaye d’avoir un rôle (Habitations.
Minyana).
[…] je cours après toi pour récupérer MA thune, mon fric, tu piges, le mien […]
(Chroniques, Durringer)
• Les guillemets et italiques, qui signalent une prise de distance avec le propos
mentionné, confèrent au segment concerné une réalisation intonative
spécifique
[…] Bon, je ne vais pas vous déranger plus longtemps puisque vous avez
« des choses à faire ». (Chroniques, Durringer)
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par les points de suspension : pause liée à une hésitation ou véritable silence,
ou au contraire coupes et interruptions.
[…] La balle noire… (Il lève la tête, regarde dans le vide devant lui. Intrigué.)
Balle noire ?...
[…] Hm… mémorable… quoi ? (Il regarde de plus près, lit.) Equinoxe,
mémorable équinoxe. (La dernière bande. S. Beckett).
Je ne sais même pas comment on pourrait les nommer… des … ? ! […] Des
salopards ! (Du pain plein les poches. Matei Visniec).
• Négation
• Interrogation
[…] parce que mec qu’est-ce que tu crois ? comment avoir une idée sur
quelqu’un sans avoir baisé avec elle ?
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• l’extraction et la thématisation
L’ordre des mots à l’oral est dicté par des effets de mise en relief entraînant des
annonces ou des reprises pronominales :
Dislocations à droite :
(du C.O.D.) […] Ma tante à l’aurait bien aimé ça, faire des voyages (Les
belles-sœurs. Tremblay)
Dislocations à gauche :
(du sujet)
[…] moi aussi, je t’ai toujours admirée (Le vrai monde. M. Tremblay)
- […] avec Toshiba, on s’est dit […] (Habitations. Minyana).
- […] et les chiffres que je donne y sont […] réels sur le marché (Habitations.
Minyana).
[…] Bon, je ne vais pas vous déranger plus longtemps puisque vous avez
« des choses à faire ». (Chroniques, Durringer)
[…] Ben, oui, déjà, c’est ben pour dire, hein ? (La duchesse de Langeais.
Tremblay).
- […] ça n’accepte techniquement qu’une chute voilà point ]…] il sera posé
point barre
- ]…] les transporteurs […] c’est des bœufs quoi c’est des bœufs (Habitations.
Minyana).
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2.1. Prononciation
[…] Vous pensez que j’vas me mettre à brâiller comme une grosse italienne
pis que j’vas me garocher à terre en m’arrachant les trois poils qui me restent
sur la tête, hein ? (La duchesse de Langeais. Tremblay).
[…] et les chiffres que je donne y sont […] réels sur le marché (entraînant la
confusion entre le pronom ils et l’adverbial y)
CANNE : […] Peut-être qu’il n’a pas de propriétaire. Ça doit être un chien
vagabond. Y a plein de ces chiens vagabonds, non ? (Du pain plein les
poches. Visniec),
Pis pour puis : […] Vous pensez que j’vas me mettre à brâiller comme une
grosse italienne pis que j’vas me garocher à terre en m’arrachant les trois
poils qui me restent sur la tête, hein ? (La duchesse de Langeais. Tremblay).
Ben pour bien : Ben, oui, déjà, c’est ben pour dire, hein ? (id.)
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2.2. Morpho-syntaxe
• Interrogation
Forme avec redoublement du pronom et restauration de l’ordre sujet verbe de la
phrase assertive c’est que / c’est qui, très employée à l’oral :
Où c’est que t’as mis ma sœur ? (Une envie de tuer sur le bout de la langue,
Durringer).
• Les interjections
Pouah ! j’ai le cœur qui se lève ! (Les baigneuses. Lemahieu).
2.4. Le lexique
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• lexique familier :
[…] au jour d’aujourd’hui / ils se retrouvent avec nos emballages […] sur le
dos / dans le même caca / moins de casse (Habitations. Minyana).
• voire argotique :
[…] c’est un peu couillon […] d’emballer vite et mal […] ça arrive
flingué (Habitations. Minyana).
[…] Vous n’avez nulle idée de la façon dont aboie un chien […] / Arrêtez vos
conneries. […] / C’est pas des conneries, monsieur. Du pain plein les poches.
Visniec,
• Langage « branché »
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CONCLUSION
L’étude des corpus oraux authentiques retranscrits est souvent assez difficile.
L’abondance des marqueurs et la spécificité des signes utilisés par les linguistes de
l’oral nécessitent un apprentissage peu « rentable » dans un cours de FLE. Les
textes littéraires (romanesques ou théâtraux) fournissent un corpus d’un accès
beaucoup plus aisé pour aborder les spécificités de l’oral. Les effets de sens y sont
grossis et soulignés par un faisceau de marques convergentes, cependant on se
gardera de présenter ces textes comme des représentations « fidèles » du français
oral (éventuellement on peut donner une retranscription authentique à titre de
comparaison).
Vous pouvez consulter un document mis en ligne par les linguistes de l’oral de
l’université de Louvain (Belgique)
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DEVOIR
(à rendre au 1er février au + tard)
Texte support « Les nègres ». Extrait de Moi je crois pas, J.C. Grumberg.
La pièce de J.C. Grumberg Moi je crois pas, écrite en 2010, se présente comme une
suite de dialogues brefs et indépendants mettant en scène un couple qui s’affronte
sur des sujets anodins. Chaque scène commence par cette même réplique Moi je
crois pas !
Pièce au comique grinçant, elle montre des personnages pétris d’idées reçues, de
préjugés et de bêtise, abrutis par la télévision qui est allumée tout au long de la
pièce.
J.C. Grumberg est né en 1939, il a écrit notamment les pièces L’Atelier et Zone libre,
ainsi que le scénario du Dernier Métro de Truffaut.
Il a reçu plusieurs Molière ainsi que les grands prix de l’Académie française et de la
SACD pour l’ensemble de son œuvre.
Questions
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La pièce de J.C. Grumberg Moi je crois pas, écrite en 2010, se présente comme
une suite de dialogues brefs et indépendants mettant en scène un couple qui
s’affronte sur des sujets anodins. Chaque scène commence par cette même
réplique Moi je crois pas !
Pièce au comique grinçant, elle montre des personnages pétris d’idées reçues,
de préjugés et de bêtise, abrutis par la télévision qui est allumée tout au long
de la pièce.
J.C. Grumberg est né en 1939, il a écrit notamment les pièces L’Atelier et Zone
libre, ainsi que le scénario du Dernier Métro de Truffaut.
Il a reçu plusieurs Molière ainsi que les grands prix de l’Académie française et
de la SACD pour l’ensemble de son œuvre.
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