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Changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société
Dossier
ACTUALITÉSÉDUCATIVES perspectives
ACTUALITÉS : Entretien avec Abdennour Bidar ET CHEZ TOI ÇA VA ? : Onfray et les Chinois
Histoire : Enseigner la Shoah FAITS ET IDÉES : Viviane Bouysse
Nipédu : Des MOOC pour former Nos publications : Ressources pour débuter
LESOMMAIRE n° 541, décembre 2017
ACTUALITÉS ÉDUCATIVES
2 Enseigner la Shoah : de 5 « Réparer ensemble le tissu 7 L’actualité de la recherche
multiples projets et pratiques déchiré du monde » 8 La chronique de Nipédu
pédagogiques 6 L’école ailleurs 9 Billet du mois
4 C’était vraiment bien !
PERSPECTIVES
n Et chez toi, ça va? 60 L’année sera longue 66 Ressources pour débuter
58 J’avais un loup-garou dans ma 61 Le temps contraint, un moteur n Depuis le temps…
classe ! n Faits et idées 68 La complexité ou la mode
58 Qui suis-je ? 62 Promouvoir l’esprit de recherche n Le livre du mois
59 Mes appréciations 64 Comprendre l’immigration par le 70 L’innovation pédagogique,
59 Onfray et les Chinois biais de la littérature jeunesse mythes et réalités (André Tricot)
60 La lampe brisée
T !
PAS DU TOU
(même s’il y en a quelques-uns…)
QUI SURTOUT ÉCRIT DANS LES CAHIERS ? Votre Des professionnels qui
photo échangent, observent, analysent,
ici tâtonnent, se trompent,
réussissent, racontent
C’EST VOUS ! ce qui se passe et ce qu’ils font,
là où ils sont…
LES CERCLES
DES CAHIERS PÉDAGOGIQUES
CERCLES.CAHIERS-PEDAGOGIQUES.COM
79,5 %
#ClasseTICE1d de filles en « Qu’est-ce que c’est que
terminale L,
Ce site recense des activités, des ressources et des contre 46,7 % l’éducation nouvelle ? C’est
outils numériques mobilisables dans le cadre des en terminale S. ne pas être dans une forme
apprentissages disciplinaires à l’école primaire. Les À la rentrée 2015, les filles (53,8 % de
séquences, séances, matériels, sites, activités en l’ensemble des lycéens), sont 89,1 % en
d’éducation qui nous
ligne sont décrits sous l’angle de la plus-value qu’ils
peuvent apporter à notre enseignement, car
terminale ST2S (sciences et technologies apprend à simplement
l’utilisation du numérique n’est pas une fin en soi.
de la santé et du social) et 6,6 % en STI2D
(sciences et technologies de l’industrie et du
obéir, à être assigné […]
Une mine de ressources et notamment un
développement durable). à soumission. »
répertoire de 300 jeux sérieux utilisables en classe.
Source : Filles et garçons sur le chemin de Edwy Plenel
https://m-url.eu/r-1j63 l’égalité, de l’école à l’enseignement supérieur, Conférence d’ouverture de la Biennale de l’éducation
DEPP, 2017, https://m-url.eu/r-1j6h nouvelle, le 2 novembre 2017.
C
les conditions à réunir pour que ce tra-
omment ne pas être irrité tion qu’elle mène dans son lycée à vail soit fécond, les dérives à éviter
lorsqu’on entend dire, à Champs-sur-Marne pour sensibiliser ses (envahissement par l’émotion, risques
chaque montée de l’extrême élèves à la condition des Roms, et que de saturation) et a évoqué les textes
droite, à chaque propagation plusieurs intervenants ont évoqué les écrits par les élèves accompagnant leurs
de théories complotistes, à théories conspirationnistes qui ne se photos[1].
chaque manifestation de racisme ou limitent pas au « complot juif ».
d’antisémitisme, qu’« il faudrait faire Mais l’essentiel des présentations DONNER DU SENS
de l’instruction civique à l’école » et d’expériences concernait bien diverses Marie-Édith André, au lycée d’Alençon
« remplir le devoir de mémoire », afin façons de travailler sur la Shoah et (Orne), a lancé le projet « Parcours de
que les jeunes « n’oublient pas les tra- l’antisémitisme avec les élèves. vie brisée. Sur les traces de la famille
gédies du XXe siècle » ? Ce qui sous- Kahn », en réponse à cette phrase trop
entend qu’elle ne le ferait pas. Les inter- souvent entendue de ces lycéens pro-
Il est essentiel de se
venants des Assises pédagogiques fessionnels : « L’histoire ça ne sert à
organisées le 14 octobre dernier par le
demander « comment rien. » Ses élèves se sont vus assigner
mémorial de la Shoah, sur le thème faire », en ne se des rôles : généalogistes, historiens, jour-
« L’histoire de la Shoah face aux défis contentant pas du nalistes, romanciers, avec déplacement
de l’enseignement », montrent tout le « quoi enseigner ». aux archives locales, mais aussi utilisa-
contraire. Durant la journée, de nom- tion des ressources du mémorial pour
breux professeurs de collège ou lycée Nicolas Monod, professeur d’histoire réaliser un journal sur les périples tra-
ou formateurs ont mis au jour toute la à Ribeauvillé (Haut-Rhin), a montré giques d’une famille juive grâce au ser-
richesse du travail qui se fait sur cette comment on pouvait visiter « autre- vice en ligne Madmagz[2].
thématique, en histoire, mais pas seu- ment » le site d’Auschwitz-Birkenau. Le Signalons aussi les magnifiques réa-
lement, au-delà de la commémoration, travail photographique effectué par ses lisations « Boites d’archives » de lycéens
même après que les derniers survivants premières ES (pendant quatre heures) de La Baule (Loire-Atlantique), sous la
auront disparu. Et comme l’a dit en permettait de s’écarter du tourisme direction de leur professeur Jean-Fran-
ouverture le président du mémorial, il mémoriel, en s’appuyant sur les seules çois Guérer, ou le projet interdisciplinaire
est essentiel de se demander « comment images disponibles de l’époque prises dans le cadre d’un EPI (enseignement
faire », en ne se contentant pas du par un soldat allemand (l’« Album pratique interdisciplinaire) d’un collège
« quoi enseigner ». d’Auschwitz ») et un inventaire très pré- toulousain, présenté par Cédric Marty.
Le mémorial, qui organise aussi de cis des lieux. Travail rigoureux, mais On peut voir les réalisations des élèves
remarquables expositions, est d’ailleurs aussi tentative réussie de « réhumaniser (gravures à partir de lettres et recueil de
associé à l’Éducation nationale pour des statistiques ». La confrontation du témoignages d’une famille dispersée et
des formations très diverses, dans un présent (ces masses de visiteurs, mais
esprit d’ouverture. C’est dans cet esprit aussi ces lieux champêtres d’au- 1 Travail visible sur le site https://m-url.eu/r-1j94.
que Sophie David-Artu a présenté l’ac- jourd’hui, où il n’y a plus rien à voir) 2 https://madmagz.com/fr
ayant subi la rafle du Vél’ d’Hiv’) sur le la contrainte s’applique mal à la sificateurs veulent abolir le temps dans
site http://echo-de-leurs-voix.org. mémoire, mais oublier est aussi un acte une sorte de présent perpétuel. Il s’agit
Une seconde partie de la journée a volontaire, et il faut s’opposer à la de rendre présent le passé, inlassable-
été surtout consacrée aux manières de volonté de l’oubli de certains. Le devoir ment, pour éviter les manipulations.
s’opposer aux complotismes. Les inter- de mémoire n’est pas tourné vers le Plusieurs des expériences pédagogiques
venants ont bien montré que c’était tout passé, il s’agit au contraire de faire le évoquées précédemment vont bien dans
sauf simple. Comment prendre au récit de ceux qui ne sont plus là à ceux ce sens et tant d’autres, dont beaucoup
sérieux, ne pas traiter d’un revers de qui ne sont pas encore là, le souvenir sont accompagnées par des institutions
manche, les théories avancées par les étant une « condition de l’avenir ». Plus comme le mémorial de la Shoah. n
élèves qui peuvent voir des complots que jamais, il faut lutter contre la ten- JEAN-MICHEL ZAKHARTCHOUK
juifs ou francs-maçons ou des manipu- tation de réécrire l’Histoire à la 1984.
lations par « les grands de ce monde » Bien sûr, les faits doivent s’accompagner
derrière de multiples évènements ? Et d’une « interprétation », mais celle-ci
comment les combattre avec efficacité, ne doit pas être une « falsification » à POUR EN SAVOIR PLUS
avec quelques heures par semaine et la manière des « faits alternatifs » de la http://www.memorialdelashoah.org/
l’arme de la raison, parfois bien fragile conseillère de Trump. Au fond, les fal-
face au rouleau compresseur de l’expli-
cation facile et séduisante ?
L’ÉCOLE DE VIDBERG
FACE AUX COMPLOTISTES
ET NÉGATIONNISTES
Il y a là un défi à relever, qui ne peut
passer par des cours magistraux ou des
leçons de morale, mais par une « éroti-
sation du savoir », pour reprendre la
formule de Michel Foucault, qui peut
utiliser l’humour ou le jeu d’invention
de faux complots. Nicolas Le Luherne,
directeur des ateliers Canopé de la
Beauce, a évoqué la « mauvaise réponse »
qu’il a offerte à des élèves favorables au
conspirationnisme pour trouver d’autres
voies, plus subtiles. Mais on peut aussi
profiter de l’anniversaire d’un évène-
ment, comme celui du procès Barbie,
pour construire une réponse à des tracts
négationnistes et organiser une boule-
versante rencontre avec les Klarsfeld
dans une grande salle lyonnaise (travail
de Géraldine Dupuy-Denis en histoire
au lycée Saint-Exupéry de Lyon).
En clôture de ces assises, Raphaël
Enthoven, se référant aussi bien à la
philosophie et au roman qu’à l’actualité
politique, posait la question complexe
du « devoir de mémoire ». Le régime de
J
pédagogiques en mai 2017. Il s’agit de ’ai vécu ma première Biennale de tion du collectif qui m’est apparue
mettre en avant les initiatives du l’éducation nouvelle. Nous étions comme l’un des fils rouges de ces ren-
personnel éducatif, en leur permettant tous un peu surpris de nous retrou- contres. Et ensuite, à table, à l’hôtel, dans
de concrétiser leurs idées de projets ou ver ensemble. Mais, comme des amis la balade nocturne à Poitiers, j’ai gouté
de développer un projet existant, grâce d’enfance qui se retrouvent après s’être le plaisir de raconter et d’écouter le récit
à un accompagnement financier et perdus de vue pendant trente ans, c’était par d’autres participants des ateliers, des
humain. L’Adosen relancera un appel à comme si on continuait une conversation débats, des tables rondes où on parlait
projets pour l’année 2018-2019 à partir interrompue la veille : le temps ne fait de la même chose à partir de contenus
de février 2018. rien à l’affaire. De la conférence d’ouver- divergents.
http://adosen-sante.com/ ture d’Edwy Plenel, qui a posé l’éduca- Il y avait beaucoup de bienveillance,
tion nouvelle au cœur des combats pour de respect, parfois même une sorte
Philosophie une société juste et démocratique, en d’élan fusionnel qui aurait pu nous noyer
LA CHAINE YOUTUBE « Philosophie nous rappelant que c’est cela le projet dans l’autocélébration et l’insignifiance
pour enfants », créée par Johanna républicain, à la conférence de clôture, des consensus prépensés : c’est bien
Hawken, propose un abécédaire de la où Philippe Meirieu a proposé douze agréable de rire ensemble d’une allusion
philosophie, en hommage à Gilles principes vigoureux pour notre projet aux incohérences du ministre ! Mais non,
Deleuze. Il se présente sous la forme de commun, en passant par la réappropria-
dialogues entre Michel Tozzi, rédacteur tion gourmande de Jules Ferry de Claude
en chef de la revue Diotime et membre Lelièvre, tout au long de ces quatre jours,
du comité de rédaction des Cahiers je n’ai cessé de me dire « voilà pourquoi
pédagogiques, et des enfants. Vingt-six je suis là, voilà le sens de mon engage-
entrées seront proposées peu à peu d’ici ment » et de croiser des personnes
la fin de l’année. connues et inconnues qui disaient la
https://m-url.eu/r-1j6m même chose.
J’ai passé un moment à la librairie,
CNAM mettant (comme chacun) la main à la
LIVINGLAB SOFA est le laboratoire des pâte. Les publications des Cahiers péda- En atelier.
usages socioéducatifs du numérique. gogiques y figuraient en bonne place, la biennale a su souvent s’extraire de
Proposé par le CNAM (Conservatoire bien sûr, le plus plaisant étant de les cette tentation paresseuse pour gratter
national des arts et métiers), il identifie voir exposées entre un DVD sur Célestin les évidences : sur l’innovation, sur la
un certain nombre d’applications du Freinet, un ouvrage sur l’histoire des formation, sur l’autonomie, sur l’auto-
web répondant initialement le plus colonies de vacances et un livre sur les socioconstructivisme, les débats ont été
souvent à des usages de communication valeurs de l’éducation, comme une belle engagés, sans complaisance, entre gens
et en imagine un « détournement » à illustration du brassage d’idées et des qui savent de quoi ils parlent, loin des
des fins pédagogiques. L’objectif des convergences parfois inattendues qui polémiques médiatiques, dans l’exigence
« outils du web » de la boite à outils est se sont exprimées dans cette biennale. de la controverse.
de favoriser l’autonomie des J’ai pris un grand plaisir à participer Vivement la deuxième Biennale de
enseignants dans la production de à des ateliers où je me retrouvais dans l’éducation nouvelle !n
contenus pédagogiques servant à mon domaine (« se mettre dans la peau YANNICK MÉVEL
l’animation de leurs cours. d’un historien »). J’ai été enthousiasmé Enseignant et formateur
https://m-url.eu/r-1j6o par le dispositif d’un atelier dont la
modalité d’animation était totalement
Art isomorphe au contenu (« casser quelque
LE METROPOLITAN MUSEUM OF ART chose que je croyais savoir ») dans un
de New York autorise le téléchargement champ proche de mes préoccupations EN COMPLÉMENT
en haute définition de ses œuvres (« le sens d’un savoir »), mais dans un
tombées dans le domaine public. Pour domaine (la biologie) où j’ignore presque Cette Biennale s’est déroulée du 2 au
faire une recherche en s’assurant que les tout. J’ai trouvé, dans un atelier centré 5 novembre à l’ESEN (École supérieure de
œuvres peuvent être utilisées sur l’accueil collectif des mineurs en l’Éducation nationale) de Poitiers, organisée
légalement, cochez la case « Public centre de loisirs, bien éloigné de mes par six mouvements d’éducation nouvelle :
Domain Artworks ». Plus de 200 000 terrains d’activité, le lycée et l’ESPE Ceméa, GFEN, ICEM, Fespi, Ficeméa et CRAP-
images en libre accès. (école supérieure du professorat et de Cahiers pédagogiques. On peut retrouver des
https://m-url.eu/r-1j6p l’éducation), de quoi nourrir ma réflexion comptes rendus dans la rubrique dédiée sur
sur l’autonomie, dans cette tension entre notre site : https://m-url.eu/r-1hf9.
épanouissement individuel et construc-
M
par l’université de Cergy-Pontoise, ême si les récentes enquêtes PISA une double vocation : accueillir les
s’adresse aux professionnels, décideurs donnent à la Corée du Sud de enfants décrocheurs et les soigner, leur
des politiques de l’éducation, mais aussi quoi se réjouir, un certain proposer une autre forme éducative qui
à qui veut comprendre les faits nombre d’indicateurs du système éducatif leur redonne le gout de l’éducation, afin
éducatifs. Le numéro 1 (septembre- sud-coréen sont dans le rouge : d’une part, de leur éviter de retomber dans la mar-
décembre 2017), « Une rentrée… sans les conduites addictives des jeunes se ginalité et l’exclusion, et les accompa-
réforme », s’interroge sur la possibilité développent, d’autre part, le décrochage gner dans une meilleure insertion. Star
d’une réforme de l’école, sur les rythmes scolaire s’amplifie, ainsi que les suicides. School fonctionne avec toutes les tech-
scolaires (de la science à l’idéologie), ou C’est le premier paradoxe d’un pays qui, niques de la pédagogie Freinet : Quoi
encore sur l’éducation au bonheur tout en ayant réussi à développer une de neuf, conseil, temps d’élaboration
comme chantier inexploré de certaine excellence scolaire, se trouve de l’emploi du temps, ateliers, etc. Elle
l’Éducation nationale. confronté à des phénomènes exprimant dispose même d’une « boutique coopé-
https://m-url.eu/r-1j6r un fort malaise social et éducatif. rative » gérée par les jeunes, où chacun
L’éducation alternative a débuté à la peut acheter des boissons, gâteaux, etc.
Droit fin des années 90 pour rénover l’école confectionnés et servis par eux !
AFIN DE SENSIBILISER LES JEUNES traditionnelle et pour trouver une solu- C’est dans cette perspective qu’il y a
AU DROIT et à leurs devoirs, le site tion aux exclus de l’école de la compé- douze ans, le docteur Kim Huyn-Soo
Éducadroit, mis en ligne par le Défenseur tition. Elle cherche à redonner un sens était venu en Europe faire le tour des
des droits, aide les enseignants à fondamental à l’éducation à travers des pédagogies différentes : Montessori en
développer chez leurs élèves le valeurs négligées dans la société et aide Italie, Steiner en Allemagne, etc. Puis,
processus de réflexion et de l’élève à murir pour devenir une per- il a rencontré le groupe Freinet français.
questionnement propre au débat sonne équilibrée[1]. Il y a différentes Aujourd’hui, Star School est devenue
contradictoire démocratique. Dix formes d’éducations alternatives, elles « un club Freinet », reconnu par la
thèmes sont abordés parmi lesquels peuvent être classées selon le lieu : dans Fimem (Fédération internationale des
« Qui crée le droit ? », « Moins de 18 ans, l’école, dans le système complémentaire mouvements de l’école moderne). Cinq
quels droits ? » ou « Les sanctions sont- à l’école, ou hors de l’école. Mais elles années de coopération tâtonnantes ont
elles les mêmes pour tous ? ». Un centre peuvent être aussi différenciées selon été émaillées d’un grand succès parte-
de ressources est proposé aux leur public : parfois ce sont des jeunes narial et ont permis un enrichissement
enseignants. ordinaires, parfois ce sont des jeunes réciproque considérable. Cette histoire
https://educadroit.fr/ inadaptés au système classique, en échec encore en construction, pleine de pers-
dans le système traditionnel. Un autre pectives nouvelles, peut nous permettre
Communauté classement permet de les distinguer de baliser des voies novatrices sur l’édu-
MAIS D’ABORD, QU’EST-CE QUE LA selon le contenu éducatif : écologie (la cabilité, et la responsabilité des adultes
TWICTÉE ? Twictée est la contraction symbiose entre l’homme et la nature), sur le monde qu’ils offrent à leurs
de « Twitter » et « dictée ». C’est un spiritualité, apprentissage du réel. enfants, sur les perspectives généreuses
dispositif d’apprentissage et Le Dr Kim Huyn-Soo est un médecin d’un système politique, social, éducatif,
d’enseignement de l’orthographe qui psychiatre originaire d’un quartier défa- humain, à l’écoute et au service de ses
utilise (entre autres !) le réseau social vorisé de Séoul qui a fait le choix de enfants.n
Twitter. Twictée donne tout son sens à s’installer dans son quartier natal, afin OLIVIER FRANCOMME
l’activité d’écriture, que ce soit par le de s’occuper des enfants en errance. Il Secteur international de l’ICEM-Pédagogie Freinet
caractère universel des enjeux a élaboré une structure originale :
orthographiques, mais également par « l’école de l’étoile » (Star School) avec
l’intention de communication contenue
dans le message publié. 1 Kim Sae-Hee, Histoire de l’éducation en Corée du
http://www.twictee.org/twictee/ Sud, mémoire universitaire non publié, Séoul, 2005.
L
fabriquer une sorte de boite noire qui fait l’efficacité différentielle de l’enseignant
es querelles de méthodes péda- plus de mal qu’elle n’aide à enseigner et qui guide les élèves et mène un ensei-
gogiques ne relèvent pas seule- à apprendre. L’une des caractéristiques gnement très structuré (« activator »), par
ment des polémiques qui font de ces étiquettes qui circulent si facile- rapport à un enseignant qui privilégie
la joie des magazines de société. ment, c’est en effet de n’être accompa- plutôt des situations où l’élève doit faire
Jusqu’au sein de la commu- gnées que de peu de documentation preuve d’initiative (« facilitator »). Cette
nauté scientifique, il n’est pas rare de lire précise ni de précautions d’utilisation comparaison a généré des milliers de
des controverses sur la pertinence de contextualisées. Il conviendrait de dispo- citations à travers le monde. Or, quand
l’approche constructiviste ou de la ser de tout un mode d’emploi précisant on regarde le détail des méta-analyses
démarche d’investigation par rapport à utilisées par Hattie pour construire ses
celle de l’instruction directe ou des catégories, on ne peut qu’être dubitatif.
méthodes explicites. Mais l’utilisation de
Ce n’est pas une raison En premier lieu, le chercheur néo-
ces catégories ou de ces étiquettes génère de désespérer de la zélandais a, de façon assez surprenante,
trop d’approximations inutiles pour servir théorie, mais plutôt de agrégé des méta-analyses de processus
vraiment la science et contribuer à toujours revenir vers les d’enseignement très disparates. En
l’étayage des pratiques éducatives. pratiques réelles. second lieu, certaines méta-analyses
Dans le langage éducatif de sens com- regroupent sous une même étiquette
mun, la notion de « méthode » est cou- à quelles conditions et dans quel écosys- floue et subjective (« éducation indivi-
ramment utilisée. Et au sein des com- tème éducatif le dispositif est pertinent : dualisée » par exemple) des centaines
munautés éducatives, on aime aussi se quels apprentissages ? quel niveau d’en- d’études dont on n’est pas certain
réclamer d’étiquettes censées recouvrir seignement ? quels élèves ?, etc. qu’elles mesuraient la même chose[5].
à la fois une démarche et des gestes ou Prévenir l’effet boite noire, c’est donc Quoi d’étonnant à cela ? Il suffit de
scénarios professionnels jugés intéres- d’abord savoir faire la part entre ce lire les résultats de la conférence de
sants. On peut ainsi évoquer « les classes qu’on pourra appeler des concepts prag- consensus récente sur la différenciation
sans notes », l’approche « par compé- matiques et des concepts scientifiques. pédagogique[6] pour comprendre que
tences », la « démarche d’investigation », la plupart des concepts que l’on utilise
l’enseignement « par projets », la « classe DU SLOGAN AUX PRATIQUES couramment ne sont pas stables et uni-
inversée », etc. On comprend l’intérêt Dans le monde scientifique aussi, on voques. Ce n’est pas une raison de
de résumer des façons de voir et de faire colle des étiquettes parfois trop rapide- désespérer de la théorie, mais plutôt de
qui peuvent soutenir des pratiques de ment. On l’a constaté à l’occasion de toujours revenir vers les pratiques réelles
transformation pédagogique ou per- l’enquête « Lire-écrire CP » coordonnée en contexte, pour vérifier que derrière
mettre des échanges autour de ces pra- par Roland Goigoux[2] : quand on scrute les concepts et les étiquettes, il y a bien
tiques. Ce recours pratique à certains de façon patiente et systématique les l’observation de régularités effectives et
termes et étiquettes mérite cependant pratiques pédagogiques et leurs effets, non un simple slogan mobilisateur, aussi
d’être considéré avec précaution. on constate des régularités et des varia- sympathique ou attractif soit-il.n
Lorsqu’on transforme en effet un mot tions, mais qui ne sont pas forcément
ou une expression en concept, on le trans- indexées par les méthodes de lecture 3 John Hattie, Visible learning : a synthesis of over
forme implicitement en théorie. Une déclarées et revendiquées. Pourtant, 800 meta-analyses relating to achievement, Rout
théorie est censée rendre compte de résul- cette séduction des étiquettes globales ledge, 2009.
tats de recherche suffisamment nom- continue à se propager jusque dans la 4 Olivier Rey, « John Hattie et le Saint Graal de l’en-
breux, bien articulés entre eux, robustes littérature scientifique consacrée. seignement », Carnet Eduveille, 2016 : https://m-url.
eu/r-1iwl
et systématiques, pour permettre la mon- Considérons par exemple Visible
5 Frédéric Yelle et al., « Ce qui est visible de l’appren-
tée en généralité ou la modélisation. Dans Learning, l’œuvre monumentale de
tissage par la problématisation : une lecture critique
bien des cas, nous ne disposons pas de des travaux de John Hattie », Enjeux, 12 (3), 2016, p. 35-
résultats de cette nature, mais seulement 1 André Tricot, L’innovation pédagogique, collection 38 : https://m-url.eu/r-1iwm
de pistes de travail, d’hypothèses et d’ex- « Mythes et réalités », éditions Retz, 2017. 6 Conférence organisée par le Cnesco et l’IFÉ : https://
périences pratiques qui semblent judi- 2 https://m-url.eu/r-1iwk m-url.eu/r-1iwn
SOMMAIRE
La construction
du problème
Quand les enseignants s’attèlent à concevoir et construire de Cornu le bélier. Un jour, Frisé se
des tâches complexes motivantes, sont-ils assez attentifs aux perdit. La femme de l’ogre qui pas-
concepts qu’elles doivent permettre aux élèves de construire ? sait par là lui dit : “Je vais t’aider à
Une vigilance essentielle, car c’est bien là le cœur des retrouver ton chemin.” Elle l’amena
apprentissages visés. chez l’ogre son mari qui n’avait pas
mangé depuis huit jours. L’ogre et
sa femme décidèrent de faire cuire
Michel Fabre, professeur émérite en sciences de l’éducation Frisé pour le manger. Quand Cornu
à l’université de Nantes
Q
s’aperçut du départ de Frisé, il alla
à sa recherche avec son ami le loup.
uand l’Éducation conditions dans un cadre théorique Cornu et le loup trouvèrent Frisé chez
nationale préconise (par exemple disciplinaire ou inter- l’ogre. L’ogre et sa femme s’apprê-
le s t â c he s c om - disciplinaire) déterminé. taient à le manger. Cornu renversa
plexes, elle retrouve C’est cet aspect que je voudrais l’ogre d’un coup de corne. Pendant
une idée forte de développer ici, en soulignant ses ce temps, le loup délivra l’agneau.
l’école nouvelle : celle de sortir de enjeux éducatifs. Il se peut qu’une Contents de se retrouver, Cornu, le
la scolastique, comme aurait dit tâche apparemment simple se révèle loup et Frisé firent une grande fête. »
Freinet, c’est-à-dire de ces exercices complexe lorsqu’on explicite la pro- Demandons à chaque élève quel
axés sur un apprentissage ponctuel, personnage est le héros de l’histoire
qui appellent une réponse et une et quels sont ses amis et ses enne-
seule, ne laissant à l’élève aucune Problématiser c’est poser, mis. Il s’agit bien d’une activité de
initiative, et dont les enjeux sont construire et résoudre problématisation : l’élève doit émettre
purement scolaires, sans rapport un problème. des hypothèses en recherchant dans
avec la vie extérieure à la classe. le texte des informations pertinentes
On peut voir là le souci de donner blématique qui la sous-tend. Inver- (les données du problème) et les
sens aux apprentissages. Mais il est sement, il ne suffit pas de concevoir interpréter en se donnant des critères
bien des manières de définir une une tâche complexe pour garantir la d’évaluation (les conditions du pro-
tâche complexe, qui, dans ses inter- teneur des apprentissages et leur blème), dont le cadre est ici la litté-
prétations pédagogiques, me semble transférabilité. rature (fables et contes), un monde
parfois plus proche de la complica- où les animaux, par exemple,
tion que de la complexité au sens UNE COMPLEXITÉ CACHÉE peuvent être humanisés.
d’Edgar Morin, laquelle est marquée Prenons l’exemple de la compré- La compréhension du système des
par l’incertitude, les contradictions hension d’un récit au premier cycle rôles exige d’effectuer plusieurs opé-
internes, les paradoxes. Elle semble de l’école élémentaire. Les élèves, rations intellectuelles, qui ne vont
toutefois impliquer l’idée d’énigme, incapables encore pour la plupart, pas de soi à cet âge. Il s’agit de se
de problème, bien que cette dimen- si l’on en croit les psychologues, de détourner des détails intéressants
sion reste souvent implicite. restituer dans l’ordre les principales (la chevelure de Frisé, la cuisine de
P ro b l é m a t i s e r c ’ es t p os e r, étapes de l’histoire, peuvent néan- l’ogre) pour mettre l’accent sur les
construire et résoudre un problème. moins comprendre les rôles des per- actions significatives, les données
La construction du problème, c’est sonnages. Soit le récit suivant : pertinentes du problème ; de caté-
le cœur de l’apprentissage, mais cela « Il était une fois un agneau qui goriser les actions concrètes : atta-
exige d’articuler des données et des s’appelait Frisé. Il était devenu l’ami cher Frisé, bousculer l’ogre doivent
être perçus comme des actes de ce que font effectivement les per- développement local ». Mais ils n’ar-
violence ; d’évaluer les catégories sonnages (par exemple, la ruse de rivent pas à synthétiser les informa-
d’action du point de vue du héros, la femme de l’ogre ne doit pas abu- tions disparates.
c’est-à-dire de leurs fonctions dans ser le lecteur). Il s’agit bien ici d’une tâche com-
l’intrigue : la violence de l’ogre et de Une tâche comme celle-ci, appa- plexe, mais sous-tendue par une
sa femme à l’encontre de Frisé est remment simple, révèle sa com- logique d’inventaire. On a affaire à
un méfait. Celle de Cornu à l’égard plexité lorsqu’elle est conçue en une somme d’informations, sans
de l’ogre est un acte de sauvetage et termes de problématisation. Toute- possibilité de distinguer l’important
(éventuellement) une punition de fois, il ne s’agit pas de se focaliser et l’accessoire, bref, ce qui pourrait
l’agresseur ; d’évaluer les person- sur la découverte de la solution (la jouer comme conditions et comme
nages selon ce qu’ils font et non ce réussite de la tâche), mais de mettre données d’un problème. Il ne peut
qu’ils semblent être : c’est la ques- l’accent sur le savoir outil (ici les y avoir décontextualisations des
tion des stéréotypes. En général, les compétences interprétatives) trans- informations collectées. Les connais-
loups mangent les agneaux, mais ici férable à d’autres situations de sances restent rivées à ce parc des
le loup est ami de Frisé ; d’expliciter même type. marais du Cotentin et paraissent
les relations qui ne sont pas évo- difficilement transférables.
quées dans le texte pour compléter CHERCHER LE CONCEPT Deuxième tentative, les ensei-
le système, ce qui implique des infé- Concevoir la tâche complexe en gnants retournent avec d’autres
rences du type « les ennemis de mes termes de problématisation ne va classes étudier le même milieu, mais
amis sont mes ennemis » ou « les pas de soi. Et pourtant, ce n’est avec, cette fois, l’intention de faire
amis de mes ennemis sont mes enne- qu’ainsi qu’elle peut révéler son problématiser les élèves. Ils en
mis ». Il en est ainsi des relations intérêt pour les apprentissages, restent d’abord à des questions géné-
implicites entre le loup et l’ogre par rales : qu’est-ce qu’un parc naturel ?
exemple. Qu’est-ce que protéger la nature ? Ils
Concevoir la tâche ne peuvent dépasser le niveau des
ARTICULER,
complexe en termes thématiques comme celle de la pro-
PROBLÉMATISER de problématisation tection des milieux fragiles ou faire
L’important, en termes de problé- ne va pas de soi. face au déclin démographique. Ils
matisation, c’est la construction du s’attachent ensuite à des problèmes
problème, c’est-à-dire l’articulation comme en témoigne ce deuxième d’acteurs locaux, sans pouvoir
des données textuelles pertinentes exemple, celui d’une série d’études remonter à une problématique
à des critères d’évaluation qui per- d’un parc naturel régional (PNG) par englobante. À cette étape, on sort
mettent de justifier les réponses. Il des classes de lycée agricole. bien de l’inventaire et de la descrip-
s’agit, du point de vue des appren- Dans une première étape, les tion. Les élèves argumentent pour
tissages, que l’élève élabore, à sa e ns e i g n a n t s re p ro d u i s e n t l a ou contre tel ou tel projet, mais on
manière et avec ses mots à lui, un démarche classique de l’étude du en reste à la juxtaposition des dif-
certain nombre de règles suscep- milieu : lecture de paysage, visites férentes opinions. Les débats
tibles de résoudre les conflits d’inter- thématiques avec intervenants exté- demeurent orientés vers les solu-
prétation et de pouvoir se sortir ainsi rieurs, mise à disposition de docu- tions. Certes, en argumentant, les
des pièges du récit. Évidemment, il mentation donnée par le parc. À élèves mobilisent implicitement,
faudra toute une série de situations l’issue de ce stage, les élèves doivent voire font émerger incidemment
de compréhension pour espérer produire un rapport présentant certaines des conditions du pro-
atteindre ce résultat. Ces règles (les « l’originalité de cette procédure de blème. Mais les enseignants, n n n
conditions du problème) sont sans
doute en assez grand nombre, mais
on peut déjà en repérer trois : la règle
d’interprétation contextuelle selon Mise au point Tentative de définition
laquelle la signification des qualifi-
cations et des actions des person- Une tâche complexe a les mieux mémoriser et de raisonnement inférentiel
nages dépend avant tout de ce qui caractéristiques suivantes : donner du sens ; aucune par des allers-retours entre
a lieu dans ce récit (d’accord, sou- elle n’est pas forcément procédure n’est induite, il la situation et le modèle ;
vent les loups veulent manger les disciplinaire, elle mobilise n’y a pas une seule procé- elle est présentée sous
agneaux, mais ici, ce n’est pas le plusieurs compétences. dure ni une seule solution, forme de consigne, le pro-
cas) ; la règle d’interprétation fonc- L’objectif est de permettre ceci dans le but de déve- blème n’est pas posé, il
tionnelle, selon laquelle ces qualités un transfert des connais- lopper le contrôle et la est à construire. Les élèves
et ces actions doivent être évaluées sances et des compé- validation, l’initiative et vont donc construire des
selon la fonction qu’elles jouent du tences d’une discipline à l’autonomie. Elle nécessite problèmes différents en
point de vue du personnage de réfé- l’autre, d’un cadre à un une analyse pour envisager fonction de leurs expé-
rence (Cornu est violent avec l’ogre, autre, d’un type de situa- des étapes, planifier le tra- riences propres. La situa-
mais c’est pour sauver Frisé) ; la tion à un autre ; elle mobi- vail ; elle est contextualisée, tion doit permettre une
règle d’interprétation pragmatique lise des compétences la représentation de la ouverture de possibles.
selon laquelle les contradictions internes et externes à situation permet de tra- SYLVIE GRAU
éventuelles du texte (entre paraitre l’école pour permettre de vailler le raisonnement Professeure de mathématiques
et formatrice académique
et être, entre dire et faire) doivent faire du lien et donc de analogique, mais aussi le
pouvoir être résolues sur la base de
O
syllabes des mots à copier sont
pposer tâches complexes assemblant les quatre triangles. Pour écrites, il suffit de les remettre en
e t t â c h es ré p u t é es un observateur non averti, la tâche ordre et il n’est pas nécessaire de le
simples opère un par- semble particulièrement simple pour faire de mémoire, puisque la frise
tage entre les activités des élèves de ce niveau : il s’agit de est disponible. Cependant, à part
proposées aux élèves. Les tâches reconstituer un puzzle de seulement une seule élève qui a déjà acquis des
complexes sont souvent définies sur quatre pièces dont l’agencement a connaissances de lecture, tous les
le plan méthodologique : elles été visible avant que les pièces ne autres procèdent à de multiples
concernent un problème qui peut soient découpées par les élèves eux- essais et n’arrivent que très diffici-
être rencontré dans la société ; elles mêmes. Or, tous les élèves mani- lement au résultat attendu. n n n
sont suffisamment ouvertes pour festent les mêmes difficultés et
susciter des procédures nombreuses n’arrivent qu’après de nombreuses
et variées ; elles permettent de mobi-
liser des connaissances anté-
Des tâches apparemment
rieures[1]. Cependant, ce partage
relève d’une anticipation sur l’effet
simples s’avèrent souvent
de ces tâches sur les élèves eux- très complexes pour les
mêmes qui, dans un cas, devraient élèves.
faire preuve d’inventivité et, dans
l’autre, devraient obtenir un résultat tentatives infructueuses à reconsti-
grâce à des techniques acquises. Une tuer le carré. Ils placent d’abord Figure 1
telle dichotomie ne résiste pas à parallèlement au bord de la table
l’observation des tâches effective- l’un des triangles avec l’angle rec-
ment mises en œuvre dans les tangle (figure 1), sans doute parce
classes : des tâches apparemment que l’angle en question ne peut être
simples s’avèrent souvent très com- qu’un coin du carré ; dès lors, les
plexes pour les élèves, et leur ana- trois autres triangles ne peuvent que
lyse s’appuie sur des savoirs didac- se chevaucher et laisser entre eux
tiques qui font parfois défaut dans des blancs. Les élèves recommencent
la profession enseignante. tous à plusieurs reprises la même
opération en changeant de triangles Figure 2
CE QUI PARAIT SIMPLE ou en plaçant le coin du triangle à
Comparons deux situations obser- l’opposé. Mais ils ne pensent à placer
vées dans une classe de CP et dans le premier triangle sur l’hypoténuse
une classe de grande section (GS). avec l’angle droit au sommet que
Des élèves de CP doivent découper très tardivement (figure 2).
un carré en papier en suivant les Dans une classe de GS en fin
deux diagonales. Ils obtiennent d’année scolaire, une dizaine
quatre triangles rectangles isocèles d’élèves doivent reconstituer, en les
identiques ; ils doivent ensuite écrivant dans un cadre, le nom de
reconstituer le carré d’origine en q u a t re j o u rs d e l a s e m a i n e
(dimanche, mercredi, vendredi,
1 Mise en œuvre dans la classe : accomplir une samedi) en mettant dans l’ordre les
Figure 3
tâche complexe, https://m-url.eu/r-1iwr. trois syllabes constituant chacun des
nnn L’une des tâches est située mémoriser les essais successifs pour révèlent complexes, parce qu’elles
dans le champ des mathématiques ne pas recommencer les mêmes mobilisent des connaissances d’énu-
et l’autre dans le champ du français, erreurs ? L’ensemble à reconstituer mération, qui sont le plus souvent
ce qui peut masquer leur ressem- n’est pas disponible en mémoire. Les transparentes. Quand des élèves sont
blance : dans les deux cas, il s’agit élèves procèdent souvent à des sortes confrontés de façon assez autonome
de reconstituer un ensemble en com- de projections virtuelles, en reco- (comme c’est le cas pour diverses
binant ses parties. Cela peut sembler piant les groupes de lettres de la raisons, dans ces observations) à des
simple, puisqu’il n’y a qu’un petit fiche à l’emplacement où ils doivent situations dans lesquelles ils doivent
nombre d’éléments à recombiner écrire dans l’ordre dans lequel ils trouver des solutions pour réussir la
pour obtenir un ensemble qui, même sont présents sur le dessin (figure 5), tâche prescrite par l’enseignant, ils
s’il n’est pas disponible sur la table et ils ne voient pas pourquoi cette rencontrent des difficultés qui ne
de l’élève au moment de la recons- solution ne fonctionne pas, alors peuvent pas toujours être résolues
titution, a été visible peu de temps qu’elle est efficiente quand il s’agit par des connaissances acquises anté-
avant (carré) ou bien est visible dans de recopier un modèle. rieurement. Autrement dit, ce n’est
un endroit proche de la table (frise). pas vraiment la tâche qui est simple
L’analyse des difficultés des élèves CONNAISSANCES ou bien complexe, mais la situation
révèle des similitudes dans la com- IMPLICITES que l’élève doit investir qui implique
plexité des situations en ce qui La tâche simple de manipulation des stratégies simples ou complexes.
concerne des connaissances qui ont est impossible ; il ne reste qu’une En situation, la matérialité et la
été désignées, d’abord en didactique tâche complexe inaccessible à qui ne manipulation d’objets matériels par
des mathématiques puis, plus large- les élèves introduisent la rencontre
ment, comme des connaissances de connaissances implicites qui ne
Ce n’est pas vraiment la tâche
d’énumération. sont pas nécessairement reconnues
Dans le cas du carré, même si
qui est simple ou bien comme telles par les enseignants.
l’élève peut déplacer les pièces et complexe, mais la situation Par ailleurs, les savoirs que les ensei-
procéder à des essais, il faudrait, pour que l’élève doit investir qui gnants pensent introduire n’inter-
être rapide et efficace, qu’il puisse implique des stratégies viennent pas toujours dans la réali-
mémoriser les essais produits, qui plus ou moins triviales. sation des tâches.
correspondent mathématiquement
aux figures 1 et 2. Mais objets du sait pas encore déchiffrer des suites À L’INSU DE L’ENSEIGNANT
monde et objets mathématiques dif- de deux ou trois lettres : oraliser les Les connaissances que les élèves
fèrent, d’un côté des coins et des segments pour les combiner. rencontrent ainsi fugitivement sont
pointes nécessairement différents les Dans les deux situations, quand enseignables, elles relèvent de
uns des autres et, de l’autre, un les élèves effectuent un nouvel l’énumération (apprendre à parcou-
même objet mathématique, l’angle essai, ils n’ont plus sous les yeux rir un ensemble systématiquement)
droit. La résistance des élèves est les essais précédents, ils répètent ou bien de l’articulation entre ora-
accentuée par le fait qu’ils ont des alors ce qu’ils ont déjà fait sans s’en lité et littératie (apprendre à ne pas
connaissances des puzzles : chaque rendre compte et cherchent à réus- effacer immédiatement ce qu’on a
pièce y joue un rôle spécifique. Ils sir par essai erreur (à rapprocher fait, mais au contraire à l’observer,
considèrent donc qu’il y a beaucoup de l’oralité), mais ils ne sont jamais à le mettre en mots pour soi-même
plus d’essais (figure 4), et, de plus, en situation de pouvoir réfléchir sur ou pour les autres ou, dans d’autres
ils ne savent pas les nommer pour ce qu’ils viennent de faire pour cas, à garder sous les yeux la trace
les mémoriser. Ils reproduisent donc pouvoir le modifier (à rapprocher de ce qu’on vient de faire). Ces
de nombreuses fois des configura- de la littératie [2]). tâches ne sont complexes que parce
tions qui sont géométriquement les On voit ici que des difficultés très que des connaissances n’ont pas
mêmes. semblables correspondent à des dis- été transmises.
Dans le deuxième cas, les éléments ciplines scolaires différentes, dans L’objectif des tâches complexes
(groupes de lettres des jours de la des tâches qui pourraient à première est de confronter les élèves à des
semaine) ne peuvent pas être phy- vue sembler simples et qui se tâches dans lesquelles ils vont devoir
siquement déplacés, ce qui fait que mettre en œuvre des connaissances
chaque essai est effacé pour pouvoir 2 Sur ces notions, voir notre ouvrage cité en réfé- en grande partie acquises précédem-
procéder à l’essai suivant. Comment rence. ment, mais dont ils ne perçoivent
Figure 5
Figure 4
E
naître ces solutions, aider les élèves
à les améliorer et à stabiliser les n 6 e, une double page de Pour les élèves qui ne connaissent
connaissances sous-jacentes à celles- notre manuel de français pas la fable, il en va tout autrement :
ci permettrait de prendre en compte comporte la fable d’Ésope n’importe quel élément de l’image
la complexité, que celle-ci apparaisse « Le renard et la cigogne », la fable peut devenir essentiel et en orienter
dans des situations spécifiques ou de La Fontaine titrée de la même l’interprétation. Or, il se trouve que
bien ordinaires. n façon, et deux illustrations : sur la sur cette lithographie, l’extrémité du
page de gauche, une lithographie bec de la cigogne porte curieusement
d’Evgenia Endrikson correspondant deux petits renflements ; et que le
au premier épisode de l’histoire et plat dans lequel (selon la fable) elle
sur la page de droite, un tableau de essaie de puiser un peu de breuvage
Jan van Kessel illustre le deuxième est ici représenté avec une sorte de
épisode[1]. goutte suspendue qui donne au
Pour préparer la lecture de cette liquide l’aspect d’une pâte. Alors,
fable en 6e, et pour proposer aux pour un certain nombre d’élèves,
cette image va signifier, à coup sûr,
que le renard se moque de la cigogne
Faire des hypothèses parce qu’elle mange du fromage et
sur ce qui se passe s’en empâte le bec. Le rictus du
entre les deux renard confirme leur interprétation.
animaux d’après la
première image VERRES DÉFORMANTS
puis la deuxième. Le tableau de van Kessel va don-
ner lieu à des interprétations elles
élèves d’entrer dans l’histoire avant aussi bien éloignées de la fable.
de lire, je leur demande de faire des Dans l’histoire, la cigogne a préparé
hypothèses sur ce qui se passe entre des morceaux de viande qu’elle pré-
les deux animaux d’après la première sente dans un récipient au long col :
image puis la deuxième. En donnant le museau du renard ne peut pas y
cette consigne, je sous-estime com- accéder. Dans le tableau, allez savoir
plètement le fait que le lecteur averti pourquoi, la cigogne (qui est plutôt
ne regarde pas ces images avec des un héron) plonge le bec dans un
yeux naïfs : il en fait (donc c’est ce vase rempli de grenouilles et d’an-
BIBLIOGRAPHIE
que je fais inconsciemment moi guilles, tandis que devant elle, le
Joël Briand, « Contribution à la aussi) une lecture sélective entière- renard fait une mine difficile à inter-
réorganisation des savoirs prénumériques
et numériques. Étude et réalisation ment orientée par la fable déjà préter. Mendie-t-il la possibilité de
d’une situation d’enseignement connue : il est évident que la pre- manger lui aussi ? Ce n’est pas ce
de l’énumération dans le domaine
prénumérique », Recherches en didactique mière illustration est située dans la que les élèves comprennent. Selon
des mathématiques, éditions La pensée maison du renard, il est évident que eux, ce doit être le renard qui pro-
sauvage, 1999.
le renard offre une sorte de soupe à pose à la cigogne de manger ce qu’il
Guy Brousseau, « L’enseignement de
l’énumération », conférence au congrès la cigogne, que celle-ci est dépitée y a dans le vase, lui-même n’ayant
ICME, 1984. parce qu’elle ne peut rien prendre. aucune raison, disent-ils à bon droit,
Marceline Laparra et Claire Margolinas, d’être attiré par des grenouilles.
Les premiers apprentissages scolaires à la
loupe, De Boeck Éducation, 2016. 1 L’envol des lettres - Français 6e, Belin éditeur, Comble de confusion, le peintre a
2016, pages 198-199, https://m-url.eu/r-1iww. représenté d’autres batraciens n n n
nnn s’ébattant sur le sol à côté du Mais les lunettes des élèves n’ont pas l’élève ait mal interprété la consigne,
vase, donc à portée du renard qui les mêmes verres que celles de l’ensei- mais il l’a exécutée avec d’autres
n’a plus aucune raison d’envier la gnant : celui-ci peut, entre les deux cadres que ceux prévus.
cigogne. images, voir un renversement de
Ici, l’activité de l’élève est bien celle situation, uniquement parce qu’il Finalement, en lisant ensuite la
demandée : faire des hypothèses sur connait déjà la fable. C’est en ce sens fable, les élèves et moi avons bien
ce qui se passe entre les deux ani- que l’activité de l’élève diffère de la ri en constatant toutes les fausses
maux d’après l’image A et l’image B. tâche énoncée : ce n’est pas que pistes auxquelles les documents ico-
nographiques nous avaient amenés.
Et nous aurons l’occasion, maintes
fois encore dans l’année, d’ap-
prendre à distinguer soigneusement,
EN COMPLÉMENT dans le manuel, le texte et les mes-
sages que font passer plus ou moins
Travail, tâche et activité volontairement les images qui lui
sont accolées, et qui sont souvent
« Ces distinctions sont issues en particulier de l’ana- tée mais toujours repensée, réorganisée, transformée tout sauf des illustrations de l’his-
lyse du travail, qui se fonde largement sur les en fonction de situations concrètes variant constam- toire, jusqu’au contresens parfois.
recherches en psychologie et ergonomie conduites ment et de chaque sujet particulier dont la biogra- Mais pour ma part, cette leçon
durant le XXe siècle. Elle opère, notamment, une dis- phie, la formation, l’expérience sont singulières. […] d’humilité a été intéressante en me
tinction entre tâche et activité, entre ce qu’il y a à C’est à cette mobilisation subjective dans les situa- rappelant, ce que je sais pourtant,
faire et ce que l’on fait. Cet écart est toujours repéré, tions, cet usage de soi que l’on réserve, en règle géné- qu’il faut toujours se demander com-
y compris dans les situations où le travail est pré- rale, le terme d’activité, marqué du double sceau de ment, et en particulier avec quelles
senté comme une simple exécution et où la prescrip- la singularité du déroulement des actions et des connaissances, l’élève va redéfinir
tion (fiche technique, procédure, instructions, etc.) sujets s’y engageant. » la tâche, et, inlassablement, essayer
prétend rendre compte de la totalité de l’action. C’est de « comprendre ce qui se joue pour
pourquoi le travail réel ne correspond jamais exacte- Extrait d’un article de Philippe Astier, « Analyse du les élèves dans une situation d’ensei-
ment à ce que la prescription en dit. Dans cet écart, il travail et pratique enseignante », Cahiers pédago- gnement[2] ». n
y a toute la contribution que chaque opérateur doit giques n° 416, « Analysons nos pratiques 2 », sep-
apporter pour donner au prescrit son effectivité. La tembre 2003, à lire sur le site des Cahiers pédago- 2 Marceline Laparra, Claire Margolinas, Les pre-
tâche n’est, ainsi, à proprement parler, jamais exécu- giques : https://m-url.eu/r-1iwz. F. C. miers apprentissages scolaires à la loupe, De Boeck
Éducation, 2016.
D
redéfinition de la tâche prescrite.
e nombreuses recherches sur s’appuie sur une représentation des Ainsi, l’élève répond à la tâche qu’il
l’analyse du travail ont moyens d’exécution de la tâche par a lui-même redéfinie. Dans le meil-
conduit à montrer que la les élèves : il attend une certaine acti- leur des cas, elle correspond étroi-
tâche effectivement réalisée ne coïn- tement à celle qu’a prescrite l’ensei-
cide pas toujours avec la tâche pres- gnant. Mais pas toujours.
crite, comme l’explique Jacques
Les élèves engagent
Leplat (voir figure 1). une activité à partir de REDÉFINITION,
En amont de l’activité de l’élève, leur représentation ou INTERPRÉTATION
l’activité de l’enseignant (partie de leur redéfinition L’exemple suivant permet d’illus-
gauche de la figure 1) répond à une de la tâche prescrite. trer l’effet de la redéfinition de la
tâche à réaliser émanant de l’institu- tâche prescrite par l’élève sur son
tion scolaire. En réponse, l’enseignant vité et un certain résultat, il imagine activité. Voici un extrait d’un exer-
choisit, ou conçoit, une tâche. Celle- que les élèves vont mobiliser les cice prévu par un enseignant pour
ci sera ensuite prescrite aux élèves. connaissances ou les compétences évaluer la capacité à exécuter des
Au cours de ce travail, l’enseignant attendues lorsqu’ils vont répondre. consignes en fin de CP (figure 2).
L
du système éducatif. C’est une classe
nnn être. S’il s’agit par exemple « c’est facile » en tâches « je ne com- c’est la passivité. Plus l’élève est
d’organiser un évènement, il faut rédi- prends rien », l’élève développe un passif, moins il s’engage dans les
ger des invitations (en lien avec le grand nombre de compétences, aidé apprentissages. Ceux qui réussissent
programme de français) ou élaborer par l’enseignant qui accompagne et à l’école sont ceux qui, quel que soit
un menu (en lien avec le programme exige un travail de qualité, mais qui le système mis en place, prennent
de SVT, sciences de la vie et de la en charge leurs apprentissages, en
Terre), ou bien encore gérer un budget deviennent auteurs. Je suis convain-
(en lien avec les programmes de
L’engagement dans les cu que le système qui permet à un
mathématiques et d’économie). Il peut apprentissages, c’est la clé : maximum d’élèves de devenir
s’y sentir en maitrise totale (« c’est mon ennemie, c’est la auteurs est le système de la classe
facile »), en maitrise imparfaite (« ça passivité. coopérative. Il permet en effet à
passe »), en non-maitrise (« je n’y l’enfant, par sa complexité, de deve-
arrive pas »), ou encore en découverte n’attend pas la perfection de l’expert. nir autonome dans les apprentis-
(« je ne comprends rien »). Ces situa- Pour l’enseignant que je suis, ce qui sages scolaires, d’augmenter sa
tions ne sont pas vécues de la même m’intéresse se situe bien plus dans puissance de vie et sa responsabili-
façon par tous les élèves en fonction la posture de l’élève face à son projet, sation. En devenant auteur de son
de leur état émotionnel face aux le travail et l’énergie qu’il y met que temps de classe, l’enfant devient
apprentissages et de leur sentiment dans l’aboutissement du projet en élève, accepte de ne pas savoir et
de compétence. lui-même. Pour l’élève, c’est bien accepte d’apprendre. n
Mon rôle d’enseignant est alors de l’inverse et c’est normal.
soutenir les efforts de l’élève par un LE SITE DE L’AUTEUR
cadre propice à le rassurer sur sa L’engagement dans les apprentis- http://www.serres.site/
capacité à apprendre. Ainsi, de tâches sages, c’est la clé ; mon ennemie,
Embarquer en littérature
grâce à la problématique
Même en lettres, les programmes préconisent de « Chaque année, les questionnements
problématiser les contenus enseignés. Si l’on peut sont abordés dans l’ordre choisi par
choisir de traiter cette recommandation comme un le professeur : chaque questionne-
artifice qui passe au-dessus de la tête des élèves, ment peut être abordé à plusieurs
on peut aussi la prendre au sérieux et en faire un travail reprises, à des moments différents
partagé avec eux. de l’année scolaire, selon une pro-
blématisation et des priorités
différentes[2]. »
Françoise Cahen, professeure de français en lycée
Q
UN ESPACE
ue ce soit au lycée ou problématique littéraire[1]. » D’INVESTIGATION
au collège, l’approche Même si le mot « séquence » Mais qu’est-ce qu’une probléma-
de la séquence en n’apparait pas explicitement dans tique, au juste ? La notion n’est pas
lettres nécessite une les nouveaux programmes de col- définie de façon très officielle, et si
problématisation. Au lycée, les pro- lège, l’idée y est présente et la pro- les programmes imposent la problé-
grammes de 2010 l’imposent : « Le blématisation lui semble bien liée : matisation des séquences, ils n’ex-
programme de première fixe qu atre le mot « questionnement » qui pliquent pas vraiment ce qu’ils
objets d’étude, qui peuvent être trai- semble se substituer à celui de entendent par là. Il faut se reporter
tés dans l’ordre souhaité par le pro- « séquence » offre l’intérêt de lier aux programmes de CAP[3] pour en
fesseur au cours de l’année. À l’inté- intrinsèquement la notion de période
rieur de ce cadre, celui-ci organise de travail à celle de problématique : 2 Volet 3, Programme cycles 3 et 4, Culture litté-
librement des séquences d’enseigne- raire et artistique, préambule.
ment cohérentes, fondées sur une 1 Programme de français de 2de et de 1re, https:// 3 Classes préparatoires au certificat d’aptitude
m-url.eu/r-1ix7. professionnelle, programmes 2010.
trouver la définition suivante dans élèves, qui ne se sentent pas concer- élèves. Elles sont même dangereuses,
un texte officiel, « une question dont nés par la question posée. « Pourquoi sur un descriptif de bac, quand elles
la réponse n’est pas donnée cette œuvre est-elle réaliste, roman- ont été écrites à postériori pour enjo-
d’avance », à laquelle il s’agit de tique, lyrique, épique, épidictique, liver la progression, parce que les
répondre d’une façon « logique et -ique, -ique, -ique ? » Savoir répondre élèves se font interroger sur ces ques-
contrôlable ». à cette question n’a pas d’intérêt à tions par l’examinateur, alors qu’elles
Pourquoi faut-il problématiser ? priori pour tous nos élèves. L’enjeu n’ont pas donné lieu à un réel ques-
Sur le site de l’académie de Créteil, de la séquence est perturbé par une tionnement en classe. Un élève voyant
un groupe d’inspecteurs a mis en notion qu’ils ne maitrisent pas. « Est- une belle problématique dans son
ligne en 2011 un document qui le ce que La Duchesse de Langeais est cahier de textes, tout en constatant
précise : « La problématique permet une œuvre romantique ou bien réa- que sa classe n’y a jamais réellement
d’éviter l’exhaustivité, de créer un liste ? » : c’est une problématique répondu, peut estimer alors que le
espace de recherche qui fasse penser intelligente que le professeur de cours de français est un leurre. Pour-
les élèves et, enfin, elle permet de français trouve stimulante ; il y a des tant, on rencontre ces situations parce
donner du sens (signification et direc- chances pour qu’elle semble moins que la problématique, loin d’être un
tion) aux lectures et activités de la questionnement préalable, peut
séquence[4]. » Ils ajoutent : « Problé- encore être utilisée après coup comme
matiser sa séquence est donc essentiel
Créer une polémique décoration ou comme descriptif dans
à la fois pour le résultat (des lectures
contenant un personnage, une liste de baccalauréat.
motivées, dynamisées et pertinentes) et même faire du procès
et la démarche mise en œuvre (les du personnage l’objectif ÉCHOS ET PASSERELLES
compétences de production des élèves, de la séquence. Pour éviter ces écueils, nous pro-
à l’oral comme à l’écrit, seront posons quelques pistes (voir encadré)
davantage mobilisées, au-delà de leur passionnante à l’élève. Un choix qui nous semblent plus propices à
seule réception plus ou moins passive différent n’empêchera cependant pas déclencher l’intérêt des élèves et une
de la lecture et de l’explication expo- le professeur de faire figurer parmi vraie démarche d’investigation : créer
sée par leur professeur). » ses objectifs de séquence des com- une polémique concernant un per-
Mais dans les pratiques courantes, pétences d’histoire littéraire, parmi sonnage, et même faire du procès du
de même que sur les différents sites lesquelles le romantisme et le réa- personnage l’objectif de la séquence,
académiques, ce concept donne sou- lisme : il ne faut pas y renoncer. en organisant un grand débat avec
vent lieu à des interprétations assez Les problématiques d’apparat, des rôles assignés à chacun (magis-
différentes. Nous défendons une vides, qui sont de beaux titres pour trats, avocats, témoins) ; formuler
approche assumée de la probléma- l’inspecteur sur le papier dans la pré- des problématiques existentielles qui
tique de séquence en lettres fondée sentation de séquence, mais aux- relient la littérature et la vie et nous
sur son analogie avec la démarche quelles on ne répond jamais dans les semblent propices à redonner du
d’investigation scientifique. faits, n’apportent rien en réalité aux sens à notre matière. nnn
Les dérives
de la scénarisation
Complexifier à tout prix. Il faut savoir reconnaitre l’effet régime de fiction historique, on sort
mode d’une pédagogie et ses dérives : les analyser des ambitions de l’enseignement de
permet de s’en prémunir sans jeter le bébé avec l’eau l’histoire qui se situe dans une
du bain. Exemples dans deux disciplines. démarche de recul, d’analyse cri-
tique et d’interprétation des traces
partiales et partielles que le passé
Stéphane Pihen, professeur d’histoire-géographie nous a léguées. Mais on pourrait
au collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine objecter que cette scénarisation
(Yvelines) motive les élèves par son aspect
E
créatif (si l’on évite les sujets sen-
n juillet 2016, les médias Ce dérapage pose une question de sibles comme le nazisme qui posent
ont sorti de la torpeur esti- fond : la scénarisation et la tâche des problèmes moraux ou éthiques).
vale les professeurs d’his- complexe sont-elles appropriées pour
toire-géographie avec un permettre d’enseigner et de créer JEU DE RÔLE ?
buzz au parfum de scandale. Un site chez les élèves les conditions propres Certains élèves, qui ne sont pour-
académique[1] avait publié une tâche à l’apprentissage de l’histoire ? tant pas en difficulté, peuvent avoir
complexe sur la Seconde Guerre On pourrait dire que l’exemple du du mal à comprendre ce qu’on
mondiale, dans le cadre d’un travail discours de Goebbels n’était qu’un attend d’eux dans ce type de
autour de la bataille de Stalingrad. dérapage occasionnel et postuler que démarche. Ceux qui ont déjà des
La consigne était scénarisée sur le la tâche complexe, comprenant une difficultés à assimiler et comprendre
mode d’un jeu de rôle, avec une scénarisation, est un outil puissant les codes scolaires se retrouvent face
production censée permettre à pour les apprentissages en histoire. à un cadre qui brouille les cartes :
l’élève de comprendre et de montrer est-on dans un travail d’analyse his-
qu’il avait compris : « Le Führer, en La réussite est principalement torique ou d’imagination ?
colère, vient de commander à Joseph réservée aux meilleurs, Quant à la question des points sen-
Goebbels un discours à faire entendre sibles comme le nazisme ou la colo-
aux troupes, sur le front, afin de les
ceux qui savent décoder nisation, qu’il suffirait d’éviter, on voit
galvaniser. Le ministre de la Propa- les attentes implicites qu’elle n’est pas si simple à penser.
gande vous demande d’élaborer ce de l’enseignant, et ce n’est Prenons un exemple tiré d’un manuel
discours en insistant sur les enjeux pas acceptable. de 6e (programmes de 2008) : « Tu es
idéologiques et territoriaux de cette un hoplite athénien à la bataille Mara-
bataille pour l’Allemagne nationale Mais la scénarisation pose un vrai thon. Raconte cet évènement où tu
socialiste. » La tâche complexe pré- problème épistémique. D’abord, de combats. » Ici, à priori, aucun souci :
sentait des documents d’accompa- quoi parle-t-on ? Si on suit l’exemple on est dans un lointain passé, les
gnement dont un extrait de Mein cité, on demande à l’élève de se enjeux mémoriels et moraux sont
Kampf pour donner des idées aux mettre dans la peau d’un personnage faibles. Et là, un élève de 6e écrit : « Je
élèves sur le ton et les concepts vivant à l’époque étudiée. fonce dans la bataille. Je plante ma
propres à bâtir un discours nazi. Mais il y a une ambigüité : est-il lance dans le ventre d’un Perse et je
demandé à l’élève un travail relevant vois son sang jaillir ! Gloire à Athènes !
DEMANDE AMBIGÜE des pratiques langagières de l’his- Tuons-les tous ! » On pourrait penser
Le tollé fut général (quoique tar- toire (expliquer, périodiser, concep- l’exemple outrancier et pourtant, cette
dif, car cette tâche complexe était tualiser et, peut-être, problématiser), production est conforme à la consigne.
présente sur le site académique ou lui est-il demandé de produire Ou bien alors, c’est qu’il revient aux
depuis 2014). Demander à des une œuvre de fiction historique élèves de deviner ce que veut le pro-
élèves de collège de se mettre dans (imaginer, utiliser des connaissances fesseur. Cette situation fait que la
la peau d’un fonctionnaire d’un pour construire un pacte narratif réussite est principalement réservée
régime totalitaire et génocidaire crédible) ? On retrouve là ce qui aux meilleurs, ceux qui savent déco-
pour produire des textes qui le sou- sépare le récit historique (qui se veut der les attentes implicites de l’ensei-
tiennent et le vantent est indéfen- un « roman vrai », pour reprendre gnant, et ce n’est pas acceptable.
dable. Le travail fut promptement Paul Veyne[2]) d’un roman historique Ce type de scénarisation prend le
retiré du site académique et un avec des éléments fictifs. En mettant risque de voir les élèves ne pas dater,
inspecteur intervint pour tenter les élèves dans la situation de pro- ne pas situer dans l’espace, ne pas
d’éteindre la polémique. duire des éléments entrant dans un nommer les acteurs, ne pas expli-
quer les causes et les conséquences,
1 Celui de l’académie de Bordeaux dédié à l’his- 2 Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, éditions de ne pas faire d’histoire, en somme.
toire-géographie, https://m-url.eu/r-1ixb. du Seuil, 1971. On demande, de plus, à des n n n
nnn élèves d’entrer dans la peau Si on veut entrer dans la com- duction d’une carte de format A1,
d’un hoplite grec sans avoir les plexité, et donc offrir une tâche com- etc.). Si avant tout on s’intéresse à
connaissances suffisantes, sans avoir plexe en histoire, on peut plutôt l’initiation à la complexité, il faut
la culture et les données nécessaires penser scénario pédagogique et non offrir aux élèves les moyens d’entrer
sur le contexte pour produire un scénario narratif. L’histoire possède dans cette complexité. Comme il est
récit intéressant sur cette expérience en elle-même une tentation et une interdit d’inventer dans une
du combat antique. C’est une écri- puissance narratives. Elle n’a pas démarche historique, il faut leur
ture de fiction et non un récit histo- besoin de scénario de film ou de donner les outils pour travailler et
rique avec tous les enjeux d’appren- ces outils, ce sont les documents
tissage intrinsèques à la discipline. historiques, les traces du passé,
Certes, des étayages peuvent rame-
Être dans une démarche comme le disait Paul Veyne. Il faut
ner les élèves vers des pratiques plus critique et une prise de recul également leur donner les moyens
historiques, mais ce serait une perte par rapport aux évènements. de les analyser, tant sur le plan expli-
de temps et d’efficacité par rapport cite que sur le plan implicite, puis
à d’autres types d’activités. roman pour pouvoir mobiliser les de mettre en mots ce qu’ils ont
élèves. En revanche, penser un scé- compris.
ÊTRE HISTORIEN nario pédagogique où les élèves
Quels scénarios proposer alors ? peuvent s’approprier l’histoire tout Tout cela ouvre la voie à de mul-
Ceux qui offrent explicitement une en étant en activité est possible, et tiples scénarios pédagogiques et à une
prise de recul et proposent aux élèves c’est bien cela l’enjeu. profusion de possibilités pour les
d’être des journalistes, des archéo- On peut jouer sur les modes de élèves, qui sont bien éloignées d’une
logues, des cartographes ou des his- productions finales (un récit histo- simple scénarisation ludique et fic-
toriens, dans une démarche critique rique, une carte historique, une émis- tionnelle par le biais du jeu de rôle. n
et une prise de recul par rapport aux sion de webradio, la préparation
évènements, par exemple. d’une conférence d’élèves, la pro-
élèves sont tour à tour des cas fictif et fait intervenir des une lettre et les élèves se
scientifiques plongés dans la personnages. Dans le premier prêtent plus volontiers à cet
Et si on commençait
par la fin ?
Où l’on voit qu’une tâche complexe peut initier le sujet, définir les mots importants,
une séquence et être suivie de tâches simples, identifier le document, confronter
dans l’optique de donner du sens aux apprentissages avec des connaissances dans le
tout en les facilitant. cours ou sur internet, etc. Ils ont
donc une forme d’autonomie et de
liberté pour répondre au problème
Jean-François Boyer, professeur d’histoire-géographie, posé. J’insiste sur le fait qu’il n’y a
formateur dans l’académie de Dijon à ce moment-là pas d’aide : le pro-
U
fesseur se contente de résoudre des
ne séquence d’histoire- connaissances de la leçon donnée, problèmes techniques (usage du
géographie commence le etc. La tâche est la même pour tous, web par exemple lorsqu’ils sont en
plus souvent par une par exemple : « Quel est l’intérêt de salle informatique ou utilisation
réflexion sur une notion ce document par rapport à la ques- des tablettes en classe en 4 e) et il
clé ou bien un brainstorming sur le tion de l’aménagement de ce terri- observe ses élèves travailler.
thème à étudier (la révolution, la toire ? » La grille ci-dessous indique À la fin de cette première étape,
guerre, habiter un espace par les compétences envisagées par le je ramasse le travail pour l’évaluer,
exemple[1]). Puis les élèves lisent un professeur pour réussir cette tâche. c’est-à-dire remplir une grille sur le
cours et répondent à des questions Les élèves n’ont pas cette grille degré de maitrise des compétences
à la maison ; des tests de quelques de compétences (ni aucune autre mises en jeu que je pensais être
minutes en classe permettent de se nécessaires avec ma lecture de la
rendre compte de la mémorisation tâche : une démarche qui me permet
des savoirs. Les professeurs placent
Une tâche complexe de me rendre compte de l’écart pos-
alors souvent la tâche complexe en
qui va jouer ici le rôle d’une sible entre mes attentes et les repré-
fin de séquence, comme une tâche évaluation diagnostique. sentations des élèves. Je ne mets
finale, avec une grille de critères et aucune note dans cette étape.
des indicateurs de réussite. aide) lorsque la tâche complexe est Dans la seconde étape, la même
donnée. Ils travaillent pendant question ouverte est donnée, mais
DISPOSITIF MOBILISATEUR trente minutes à deux heures selon cette fois-ci avec la grille de compé-
Mais en lisant les ouvrages de le sujet et selon le niveau scolaire. tences, des critères et des indicateurs
Bernard Rey[2] et en écoutant Sophie Ils ont le droit de travailler en de réussite. Le professeur peut aussi
Genelot[3], je me suis demandé com- groupe de deux à quatre et doivent intervenir dans chaque groupe pour
ment mieux intégrer cette tâche dans réfléchir à la stratégie pour résoudre aider et pointer avec l’élève ce qui
un processus d’apprentissage où le problème : penser à lire et relire a manqué dans la première n n n
l’aide personnalisée pourrait mieux
trouver sa place et son sens. J’ai
ensuite mis en place un dispositif Grille de critères de réussite de la tâche complexe
d’apprentissage dont la première
étape consiste à proposer justement
une tâche complexe qui va jouer ici
le rôle d’une évaluation diagnostique
où l’élève et le professeur peuvent
se rendre compte de l’automatisation
ou non de certaines compétences :
identifier un document, montrer
l’intérêt du document ou en
connaitre l’auteur, expliquer avec le
cours, s’interroger sur la source,
confronter et utiliser certaines
nnn étape. L’élève peut ainsi com- tâches simples sont proposées dans difficile reste toutefois de réinvestir
prendre ce qu’il a fait et ce qu’il n’a le cadre de l’aide personnalisée. très précisément des connaissances
pas pensé faire, ce qu’il a mis en C’est de cette manière que j’ai inté- venant du cours et de les mettre en
place ou non dans sa stratégie pour gré dans ma classe les heures d’aide rapport avec le problème posé.
résoudre le problème : il s’agit bien personnalisée. Nous ne sommes plus Connaitre la définition, voilà qui est
d’une évaluation formative. Car don- dans la tâche complexe, mais dans réalisé par la très grande majorité
ner une tâche complexe, c’est obliger des entrainements sur des micro- des élèves en 6e par exemple, mais
l’élève à définir et à choisir une stra- compétences repérées par le profes- ils n’utilisent pas spontanément cette
tégie pour mobiliser des ressources seur aux étapes 1 et 2. définition comme ressource pour
variées : identifier, écrire, confronter En évaluation sommative, en fonc- répondre à un problème posé dans
avec des connaissances, expliquer. tion des séquences, ils seront seuls la tâche complexe, et ils ne pensent
« Mobiliser » est l’acte intellectuel pour résoudre, en faisant appel à des pas encore à tout expliquer.
capital que l’expert a, au fil des compétences équivalentes à celles Ils ont aussi du mal à tout mémo-
années, automatisé et que l’élève, riser (faire l’effort d’apprendre par
lui, doit apprendre. cœur) et à tout comprendre. Mais
L’enseignant peut proposer une
Un objectif clair pour les je vois que pour les 6 es cette
démarche ordonnée pour la mise en élèves : il faut connecter, démarche crée petit à petit des auto-
œuvre des compétences, par exemple mobiliser les différentes matismes, sans qu’on ait besoin de
identifier le document, montrer ou ressources possibles pour mettre en place l’étayage des petites
décrire des éléments clés du docu- résoudre une question. questions (nature du sujet, descrip-
ment, apporter des explications avec tion de la scène, etc.) : ils y pensent
les connaissances venant du cours, vues lors de la tâche initiale, une tout seuls, prenant petit à petit
critiquer la source, le document ou tâche complexe similaire. Par conscience du lien entre apprendre
l’auteur. Il en va de même s’il s’agit exemple, en 6e, les élèves ont eu une (mémoriser et comprendre) des
de construire un texte. Cette seconde tâche complexe sur le monde grec connaissances et résoudre une tâche
étape expose donc les différentes et ont dû manipuler des compétences complexe.
composantes de la tâche complexe, comme identifier, expliquer l’intérêt
pour permettre à l’élève de les iden- de connaitre la source, expliquer un Ce travail en trois étapes, avec une
tifier. Le travail est ramassé pour document et le confronter au cours tâche sans aide au début pour
donner un bilan des compétences et avec les mots clés, croyance, rite et démarrer le processus, crée un
éventuellement proposer une note. mythe, etc. Ils ont travaillé sur une objectif clair pour les élèves : il faut
céramique grecque en classe et, en connecter, mobiliser les différentes
S’ENTRAINER, DEVENIR évaluation, ils ont eu une céramique ressources possibles pour résoudre
AUTONOME avec une scène différente pour une question. La liberté donnée dans
Dans la troisième étape, le profes- laquelle ils ont eu à utiliser les la première étape, puis la prise de
seur et les élèves se concentrent sur mêmes compétences pour résoudre conscience de ce qui n’est pas
des tâches simples comme repérer, la même question ouverte. encore maitrisé dans la seconde
à travers plusieurs exercices, la Avec l’expérience, on remarque donnent à l’élève le sens de ce que
nature du document ou s’interroger que les élèves prennent petit à petit va être la réussite de la tâche : un
sur l’auteur en utilisant un diction- l’habitude d’identifier, de décrire, ensemble de savoirs, savoir-faire et
naire. Le plus important est que cela d’écrire, d’expliquer à l’oral ou stratégies qui forment un tout et qui,
s’automatise par la répétition. Ces l’écrit, d’utiliser le cours. Le plus pour moi, définissent la culture. n
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2. Minitâche ou maxiprojet,
pour quels apprentissages ?
C
déterminer le début du mot, puis de
mémoriser les cinq lettres dans
e matin, Thomas veut à écrire. Là, il se lève de nouveau, et l’ordre : d’abord le « m », puis le
présenter à la classe fait deux allers-retours jusqu’à la porte « a », puis le « r ». Et ce sont bien les
une de ses construc- où se trouve la dernière feuille du jour lettres qui sont mémorisées, puisque
tions. Thomas est un avec le mot « février ». Il vient me voir le passage d’un modèle en minuscule
élève de grande sec- et nous imprimons la feuille : « luadi à un clavier en majuscule oblige à
tion dans une école parisienne pas- 20 février ». Je lui demande d’aller nommer la lettre et à établir une
sée en REP (réseau d’éducation vérifier le mot « lundi », avec l’affi- correspondance entre les différentes
prioritaire) il y a deux ans. Il part écritures d’une même lettre. Impos-
chercher la feuille du jour où il doit sible de traiter le mot comme une
écrire son prénom : cette feuille ser-
Il faut enlever les modèles suite de dessins, ça ne fonctionne
vira au moment du bilan, quand de sous les yeux des enfants pas pour la majorité des lettres.
toute la classe se regroupera pour pour que le retour à ce Une autre procédure apparait
mettre en commun le travail de la modèle devienne conscient. quand les enfants vont mettre en
matinée ; elle porte la liste des relation ce qu’ils voient et ce qu’ils
enfants qui veulent faire une chage. Avec le modèle, lettre à lettre, entendent, ce qui est un pas fonda-
présentation. le « a » est corrigé en « n » et Thomas mental. « maman » étant un mot
Mais aujourd’hui, personne ne écrit enfin, sous la date, son prénom. bien connu et mémorisé, des
s’est encore occupé de cette feuille. remarques sur le « ma » de « mardi »
Thomas décide donc de s’installer à PROCÉDURES et de « maman » montrent que des
l’ordinateur pour écrire la date. Il Écrire la date demande de gérer enfants vont mémoriser « mardi »
tape l’identifiant et le mot de passe, plusieurs procédures et plusieurs en quatre blocs : ma/r/d/i. Ainsi,
puis commence à écrire la date ressources. Parmi ces ressources, il Lina, qui a déjà écrit « vendre », se
(nous sommes le lundi 20 février), y a l’affichage des mots de référence lève pour aller voir le modèle, mais
après m’avoir demandé : « On est avec le mot « lundi », qui n’est pas se ravise et explique : « Je sais “di”,
lundi combien ? » visible de l’ordinateur, puisqu’il se c’est comme dans “mardi”. » n n n
Il commente « j’ai pas besoin d’aller trouve dans le couloir, à l’entrée de
voir le modèle » et il écrit « luadi ». la classe. Sylvie Cèbe, dans une for-
1 Sylvie Cèbe, De l’enseignement des compé-
Pour 20, il se lève et s’approche de la mation de formateurs, explique qu’il tences transversales à celui des compétences spé-
frise numérique puis revient à l’ordi- faut enlever les modèles de sous les cifiques : un itinéraire de recherches sur l’école ma-
nateur pour écrire « 20 ». Reste le mois yeux des enfants pour que le retour ternelle, Institut français de l’éducation, 2011-2012.
nnn Les enfants vont aussi mobi- procédure maitrisée de copie lettre à de suivre les progrès des enfants et
liser ce qu’ils ont compris du principe lettre est sans doute un gage de réus- d’en rendre compte, par exemple par
alphabétique. Mireille Brigaudiot[2], site, mais pas de progrès sur le che- une simple synthèse : « Aujourd’hui,
dans ses ouvrages, propose, pour min de la lecture. On peut valoriser Kinia a écrit la date. Elle commence
provoquer la découverte du principe et interpréter cet essai : « Bravo, tu as à écrire des mots en écoutant le bruit
alphabétique, de travailler sur les écouté les bruits pour écrire “jeudi” et des lettres. »
prénoms des enfants et de les « brui- je lis bien “jeudi” », puis poser un Toutes les étapes de cette tâche
ter », c’est-à-dire de vocaliser succes- écart : « L’année prochaine au CP, tu complexe qu’est l’écriture de la date
sivement mot, syllabe, phonèmes et apprendras que le “e” dans “jeudi” ont un point en commun. Elles
lettres. Elle parle des démonstrations s’écrit avec les lettres “eu”. » mettent en jeu les relations d’ordre
du maitre qui va lire et écrire les pré- Ces différentes procédures et demandent de déterminer le début,
noms. Les enfants vont se saisir, plus coexistent en même temps au sein la fin et la succession ordonnés dans
ou moins vite, chacun à leur rythme, de la classe. Du coup, quand les des contextes différents. Les enfants
de ces démonstrations. Différents enfants collaborent, ce qui arrive mobilisent des connaissances ortho-
essais en témoignent, comme « févi- graphiques relatives à la succession
rié », avec un « i » difficilement inter- Rester dans une procédure des lettres dans un mot. Ils mobilisent
prétable mais dont le « é » final pro- en outre la segmentation d’un mot
vient du prénom « Léo », le petit tigre
maitrisée de copie lettre en syllabes, la conscience phoné-
de l’album de jeunesse lu en classe. à lettre est sans soute un mique qui s’appuie sur des connais-
gage de réussite, mais pas sances des correspondances phono-
ÉCOUTER LES BRUITS de progrès sur le chemin graphiques. Dans la syllabe « di » des
Autre essai, Kinia écrit « jedi » de la lecture. jours de la semaine, l’attaque de la
sans modèle, avec le « j » qui fait syllabe, le « d », est plus difficile à
« j » comme l’initiale du prénom de régulièrement, chacun peut apporter entendre que le « i » et peut entrainer
sa copine, le « e » qui fait « e » et le ses propres connaissances, tirées de l’écriture de la syllabe en commen-
« di » qu’elle a mémorisé. Cette son prénom par exemple. Ils peuvent çant par le plus facile, le « i ».
transcription amène plusieurs aussi ensemble décomposer la tâche Relation d’ordre, encore, dans la
remarques. D’abord considérer ces et s’organiser : il est arrivé, notam- succession des jours de la semaine
productions comme des indices des ment au début, que l’un cherche les à réciter pour déduire de la date
savoirs mobilisés en s’intéressant lettres sur le clavier, tandis que d’hier celle d’aujourd’hui.
prioritairement aux procédures uti- l’autre assure les aller-retours Là encore, Sylvie Cèbe attire notre
lisées. « Jedi » pourrait en effet être jusqu’au modèle pour revenir dire attention, à nous enseignants :
le résultat d’une copie lettre à lettre les lettres du mot. Dans cette situa- soyons surs d’avoir suffisamment
erronée, procédure qu’il faudrait tion ordinaire de classe, ces obser- enseigné ces procédures avant de
alors revoir avec l’enfant. vations et ces interprétations s’in- demander aux enfants de les mobi-
Ensuite, accepter que cette nouvelle tègrent simplement dans le dispositif liser dans une situation complexe,
procédure éloigne parfois la produc- d’évaluation à l’école maternelle et pour ne pas laisser cet enseignement
tion du bon résultat. Rester dans une peuvent donner lieu à des traces dans à la charge des familles et ainsi ris-
le carnet de suivi des apprentissages. quer d’accentuer les inégalités, sur-
2 Mireille Brigaudiot, Langage et école maternelle, Ce nouvel outil, renseigné régulière- tout en REP. Elle souligne également
Hatier, 2016. ment tout au long du cycle 1, permet l’importance de la mémorisation, de
travailler avec « le modèle dans la
tête », c’est-à-dire une représentation
mentale. Se construit ainsi, en appre-
nant par exemple à subvocaliser
pour aider à mémoriser, une procé-
dure qui jouera un rôle central en
élémentaire dans la constitution du
lexique orthographique.
L
n’est pas dans les patrons de phrases
main la tête haute Mina rencontre aussi des ambigüités inté- EFFETS DE SENS
l’attend debout derrière la porte son ressantes (et voulues) dues à l’ab- Donc, non seulement ce texte n’a
mari se cache en tremblant de peur sence de ponctuation. pas de signes de ponctuation, mais,
l’étranger phosphorescent pousse la Depuis le début de l’année, nous selon la façon dont on les place, les
porte sans crainte Mina s’avance en avons travaillé plusieurs fois sur le effets de sens sont différents.
poussant un cri terrible l’extrater- rôle de la ponctuation dans la com-
restre qui mesure vingt centimètres préhension en lecture et fait des J’ai donné cette tâche pour voir
s’enfuit » exercices proches de celui-là, avec si les élèves réinvestiraient, sans
Je pose aux élèves les questions des énoncés qui restent ambigus tant consigne explicite, leurs connais-
suivantes : « Qui est dans le jardin ? qu’on ne les a pas ponctués : il y a sances sur le rôle de la ponctuation
Qui est armé ? Qui est derrière la même, dans la classe, une affiche à l’écrit. Je me rends compte que
porte ? Qui a peur ? Qui n’a pas humoristique qui proclame que « la cette tâche leur demandait d’abord
peur v? » ponctuation sauve des vies », et, en de se représenter et formuler le pro-
Les élèves de cette classe de 6e, dessous, le dessin d’une vieille dame blème, ce qui n’est pas dans les
habitués à travailler par tâches com- soulagée de voir la phrase « Allons contrats didactiques habituels : ici
plexes, se mettent au travail en il y avait des questions et, à l’école,
silence. Je leur ai précisé qu’il fallait, une question posée par le maitre
dans un premier temps, faire le tra-
À l’école, une question doit obligatoirement déclencher une
vail individuellement et sans rien
posée par le maitre doit réponse, et même la bonne réponse.
demander. Je vois, en passant entre obligatoirement déclencher Donc, tant que les tâches complexes
les rangs, qu’aucun d’eux n’écrit, une réponse, et même ne poussent pas l’activité des élèves
face aux cinq questions, et qu’il est la bonne réponse. jusqu’à la formulation du problème
impossible de répondre en l’état du par eux-mêmes, les compétences
texte donné (non ponctué). Aucun manger grand-mère ! » transformée visées ne peuvent pas être assurées.
non plus qui s’agite frénétiquement en un salvateur « Allons manger, Ce serait là un bon critère pour la
pour protester. grand-mère ! ». fameuse autonomie dont on parle
Dans un premier temps, donc, tant et qu’on ne sait pas comment
LA PONCTUATION aucun des élèves ne formule par exercer. n
SAUVE DES VIES écrit le problème posé par ce texte
Le texte est présenté sans aucune non ponctué. Ensuite, ils forment
ponctuation, ce qui rend impossible leurs groupes et échangent sur la
d’attribuer certaines indications résolution de la tâche. On entend
(comme « dans le jardin », « un pis- assez vite dans les discussions : « Il
tolet à la main », « en tremblant de n’y a pas de ponctuation, il faut en
peur », etc.) à l’extraterrestre, au mettre. » Et ils en mettent. Tous ou
personnage appelé Mina ou à son presque marquent les virgules et
mari. Il n’est donc pas possible de points aux mêmes endroits. Certains
donner une réponse aux questions groupes seulement signalent qu’il y
posées. Ou alors, la réponse serait : a plusieurs possibilités et donc plu-
« Cela dépend de la place des virgules sieurs significations possibles.
et des points. » La mise en commun fait rebondir
Certes, ce texte est un artéfact : il la réflexion et la plupart se mettent
est rare que l’ambigüité due à une à explorer toutes les possibilités de
absence de ponctuation soit portée sens en fonction des variations pos-
à ce point. Il arrive cependant assez sibles de ponctuation, dans la limite
souvent que, dans les rédactions des de la correction syntaxique et du
élèves, je ne puisse attribuer avec principe de cohérence (on ne peut
certitude un item à tel ou tel per- pas, par exemple, avoir la phrase :
L
observer, analyser, et des collections
a classe de petite section de et ceux de Dominique Valentin[2] qui personnelles de petits cailloux, de
maternelle accueille des m’ont permis de comprendre com- feuilles.
enfants qui vont partir à la ment faire d’une collection un Dans ce foisonnant ensemble, une
découverte d’eux-mêmes, déclencheur pour des apprentissages collection d’objets constituée par la
des autres et surtout d’un univers indispensables à la construction de maitresse au sein d’une boite à tré-
qui ne leur est pas familier. C’est l’autonomie de l’élève : l’observation, sors tient lieu de support essentiel.
une conquête difficile. Les expé- l’attention, la description, l’analyse, Ces objets, découverts par les
riences en arts visuels jouent un rôle la comparaison et l’organisation, enfants au fur et à mesure de la
important dans ce processus, mais aussi et surtout la verbalisation mémorisation collective des objets
puisqu’elles permettent aux enfants de ces opérations. déjà présents dans la boite, ont été
de découvrir leur pouvoir traceur, En effet, en faisant pratiquer cette choisis pour leurs divers apparie-
ce pouvoir qui les révèle en tant verbalisation, l’enseignant permet ments possibles. Il y en a une ving-
qu’êtres agissants et auteurs. à l’élève de développer ses propres taine ; ils permettent un travail essen-
Tous les enseignants de petite sec- démarches, d’élaborer sa réflexion tiel décrit dans l’ouvrage de Sylvie
tion ont pu observer ces moments et de tendre vers une autonomie Cèbe, Roland Goigoux et Jean-Louis
de découverte jubilatoires durant intellectuelle. Il ne s’agit pas de Paour, Catégo : non pas trier cette
lesquels l’enfant produit et reproduit collection mais catégoriser des sous-
ces empreintes qui sont des traces ensembles choisis par l’enseignant.
qu’il génère, des révélateurs de lui-
Travailler la flexibilité Il s’agit de travailler la flexibilité de
même ; ainsi l’enfant élabore ses de la pensée en proposant la pensée en proposant différentes
premières signatures. Il observe les différentes appartenances appartenances catégorielles pour un
effets produits, s’assure et se rassure catégorielles pour un même objet : ainsi la petite voiture
dans ses reproductions, découvre la même objet. jaune pourra être intégrée à l’en-
variété possible des résultats en semble des objets jaunes ou à celui
fonction des outils, des médiums et demander à l’enfant de réaliser des des objets qui roulent, ou encore à
des supports. tris ou des classements, mais de celui des objets qui ont le terme
l’engager dans la compréhension et « petit » dans leur désignation.
COLLECTIONNER l’identification de critères choisis ou Toutes ces propositions ayant fait
J’ai décidé, une année, de stocker possibles, étapes de l’accession à la l’objet d’un travail de collectes, de
toutes ces traces et de réfléchir à leur catégorisation : comment s’y prendre comparaisons et d’organisations
mise en valeur. Il faut dire qu’en tant pour construire une collection, accé- permettant l’élaboration de la pen-
qu’enseignante, je suis une collec- der au critère de choix d’une autre sée à travers leur verbalisation, il
tionneuse, de photos, d’images, de personne et accepter la relativité de s’agissait de voir comment les élèves
mots, d’objets. Donc pourquoi pas l’ensemble construit ? allaient mettre en œuvre les compé-
d’empreintes ? Ces supports, mis à tences développées au cours de
disposition des élèves, génèrent de CATÉGORISER l’année dans un projet de présenta-
nombreuses discussions sur les temps À partir de cette découverte, j’ai tion d’une collection personnelle.
libres ; il me semblait qu’ils pouvaient su ce qu’allaient devenir les traces Ces ressources seraient-elles suf-
devenir de véritables points de départ et empreintes conservées dans mon fisantes pour permettre à chaque
d’apprentissage. Mais comment lier tiroir. élève de s’engager dans des choix
cet intérêt pour les collections aux L’année suivante, j’ai accueilli les personnels afin de répondre à une
compétences à développer ? mêmes élèves en classe de moyenne consigne à la fois contraignante et
Ce sont les travaux de Sylvie Cèbe, section. Les compétences visées ont ouverte : « Choisissez des traces qui
Roland Goigoux et Jean-Louis Paour[1] été au cœur de mes propositions vont bien ensemble, vous devrez dire
pédagogiques et les collections, leur pourquoi elles vont toutes bien
ensemble et les poser avec de la pâte
1 Sylvie Cèbe, Roland Goigoux, Jean-Louis Paour, 2 Dominique Valentin, Découvrir le monde avec à fixer sur la feuille, mais attention,
Catégo, Apprendre à catégoriser, Hatier, 2004. les mathématiques, Hatier, 2004. on doit toutes les voir. »
E
torie tous les problèmes rencontrés
n m’inspirant des travaux de la vitesse cible (matérialisée par pour tous les groupes et les solu-
d’Eric Llobet sur la pratique un plot) ? Comment faire pour ne tions possibles. Je montre la vidéo
du relai 12 secondes[1], j’ai pas perdre autant de temps sur la complète et ils comparent leurs
tenté avec des élèves de 6 e une transmission de témoin ? solutions avec celles de la capsule :
forme de travail où ils doivent iden- Dans la troisième séance, je lance « On y était presque ! »
tifier des problèmes et chercher dif- la tâche complexe. L’objectif est de La séance suivante permet de tra-
férentes solutions possibles pour les trouver comment diminuer le temps vailler les difficultés rencontrées,
résoudre. de transmission du témoin. Les d’aménager les situations et de tra-
La première séance est consacrée élèves sont répartis par équipes de vailler de façon différenciée des
aux prises de performances indivi- quatre de niveau homogène et mixte gestes particuliers. Que gagne-t-on
duelles sur six secondes (départ (vitesses de course proches). Les à procéder ainsi ?
arrêté et lancé), ce qui donne une
vitesse moyenne. Bénicia, par Cette tâche complexe pousse les
exemple, a une vitesse de 18 km/h
La tâche complexe pousse élèves à se poser beaucoup de ques-
arrêtée et de 20 km/h lancée, sa les élèves à se poser tions et à mener un travail collabo-
vitesse cible est de 20 km/h. beaucoup de questions ratif. Ils comprennent aussi pourquoi
et à mener un travail je mets en place par la suite cer-
DEUX PROBLÈMES collaboratif. taines situations d’apprentissage plus
Dans la deuxième séance, on spécifiques et moins ludiques, néces-
prend les performances sur le relai courses sont filmées avec l’applica- sitant de la répétition : elles ont pris
2 x 12 secondes ; j’explique le règle- tion Kinovea[2], logiciel gratuit d’ana- du sens et ils s’y investissent. n
ment, et je montre une capsule lyse vidéo : les élèves peuvent ainsi
vidéo sur le principe de la course voir leur course en différé et au
de relai. Le but de cette tâche pour ralenti, ce qui permet un feedback
les élèves est d’atteindre un plot rapide. Ils ont trois passages pos-
cible sur une course de 2 x 6 sibles dans la séance avec Kinovea,
secondes (soit 12 secondes). La cible ou plus selon le temps.
diffère selon les vitesses cibles enre- À la suite du visionnage et en
g ist rées penda nt la prem ière fonction des plots atteints, ils
séance. Seize plots sont étalonnés doivent isoler un problème, le
tous les 3,33 m ; le plot cible n° 1 résoudre sur la piste d’essai et reve-
est situé 50 mètres après le départ nir avec une ou des propositions de
et après la zone de transmission. solutions. Leurs hypothèses s’ap-
Chaque plot correspond à une puient aussi sur leur vécu antérieur
vitesse à atteindre. Le plot n° 7 est et ce qu’ils voient à la télévision. Je
placé à 70 mètres du départ et cor- suis là uniquement pour une aide
respond à la v itesse c ible de éventuelle : chaque équipe a droit
21 km/h. Autre exemple, le plot à trois questions ou aides. Ils notent
n° 9 est placé à 76,67 m et corres- leurs performances sur une feuille
pond à la vitesse cible de 23 km/h. de route, puis formulent par écrit
Par exemple, Abou a une vitesse leurs hypothèses et viennent les
cible de 22 km/h et Bénicia de présenter au professeur, qui les
20 km/h. Pour leur relai, leur commente. Par exemple, pour le
vitesse cible sera de 21 km/h. Ils problème « Bénicia reçoit le témoin
devront atteindre le plot n° 7. À ce arrêtée », les élèves proposent
stade, les élèves formulent deux « Bénicia doit partir plus tôt » ; le
problèmes : comment se rapprocher professeur leur demande de préciser
1 https://m-url.eu/r-1ixg 2 https://www.kinovea.org/
V
teur, même s’il a fallu à chaque fois
oici une proposition d’EPI fesseur d’anglais, aides sur l’argu- prévenir les élèves afin qu’ils l’aient
(enseignements pratiques mentation en sciences, utilisation de sur eux. Ce porte-vues commun leur
interdisciplinaires) où la co- travaux réalisés auparavant en cours a permis aussi de compléter facile-
intervention en physique-chimie et de français et aides construites par ment leur fiche de route sous forme
SVT (sciences de la vie et de la Terre) le professeur de cette discipline, tra- de tableau ou de carte mentale (que
s’est faite à partir de documents en vail sur la voix, l’aisance corporelle choisissent souvent les apprenants
anglais : surprise des élèves. Pour et la gestuelle, compétences travail- qui se sentent plus à l’aise avec les
démarrer la séance, un extrait vidéo lées en EPS mais rarement remobi- représentations visuelles).
d’un lancement de fusée, mettant en Nous avions la crainte, en don-
évidence l’important nuage de fumée nant cette feuille de route à complé-
rejeté, nous a servi d’accroche. Il a
Ce cadre leur a permis ter, de trop guider les élèves. Mais
permis de présenter la problématique
de faire plus facilement finalement, ce cadre leur a permis
de la séance : quel est l’impact d’une du lien entre les savoirs, de faire plus facilement du lien entre
mission spatiale sur l’environne- les compétences mobilisées les savoirs, les compétences mobi-
ment ? Cela faisait bien évidemment et leurs progrès. lisées et leurs progrès. Cet outil a
écho au thème choisi pour notre EPI été indispensable pour préparer leur
en classe de 4e, centré sur la mission lisées ailleurs. Nous sommes bien passage à l’oral au brevet, car pour
InSight Mars. dans la mobilisation des compétences cet examen sont évalués, comme le
Nous avons projeté l’explication du domaine 1 du socle : les langages précise le texte officiel, la démarche
des mots scientifiques en anglais pour penser et communiquer. de projet, les connaissances et com-
avec une image pour mieux les Les professeurs de sciences pétences acquises.
expliciter. Nous voulions que cette veillaient au contenu scientifique et De plus, la progression dans la
séance se passe uniquement dans le professeur de langue jugeait la problématique nécessitait non seu-
la langue de travail. Les élèves ont qualité de la narration, les regards lement de maitriser des n n n
commencé par repérer les mots
scientifiques dans les textes en les
surlignant, puis ils ont repris une
méthode de recueil d’informations
sur tableau acquise en accompagne- DISPOSITIF
ment personnalisé. Puis, pour pré-
parer leur présentation argumenta- Un EPI sur la mission InSight Mars
tive (voir la présentation de l’EPI en
encadré), ils se sont inspirés des La planète Mars fascine. Pourquoi est-elle rouge ? Une vie a-t-elle pu habiter Mars ? De quel passé volcans
vidéos Ted-Ed[1] qui leur ont montré ou glaciers sont-ils témoins ? Ces questions nourrissent notre imaginaire et notre curiosité scientifique.
la nécessité, entre autres, de bien Aujourd’hui, nous commençons à y répondre grâce à l’exploration de sa surface par des engins automatiques
relier les éléments de leur discours et l’exploitation des données qu’ils ont recueillies. Mais on ignore quasiment tout de sa structure interne.
(en utilisant des connecteurs adé- L’objectif de notre EPI est d’amener les élèves à construire un modèle de cette structure et de le confronter
quats) pour arriver à convaincre le au modèle de la structure interne de la Terre. Les élèves travaillent dans un esprit de planétologie comparée
public. Il ne suffisait donc pas de à partir des données connues, mais aussi en suivant la préparation de la nouvelle mission InSight Mars. La
lister des arguments, il fallait production collective retenue par la classe est une revue scientifique, Rendez-vous sur la planète Mars à bord
construire une argumentation dans d’InSight, qui réunit les résultats de leur démarche d’investigation. Peut-être que certaines des théories que
le but de convaincre, et en anglais. nous aborderons seront contredites par l’apport des découvertes que nous ferons avec la mission InSight.
C’est là que la co-intervention a La démarche d’investigation mise en place est le résultat du regard croisé de toutes les disciplines impli-
pris tout son sens : présence du pro- quées (mathématiques, physique-chimie, SVT et anglais), et s’appuie sur des compétences disciplinaires
et transversales. F. M.-M. ET A. B.
1 https://ed.ted.com/
nnn notions et compétences disci- Ils ont aussi remobilisé des climatique : ce type d’enseignement
plinaires, mais surtout d’arriver à notions vues en éducation morale les amène en effet à mener un ques-
intégrer l’ensemble des connaissances et civique comme la coopération tionnement plus global sur des ques-
scientifiques dans un raisonnement internationale scientifique. En effet, tions sociétales. Beaucoup d’élèves,
complexe. Le décloisonnement était la mission InSight Mars, fil conduc- enthousiasmés par ce qu’ils décou-
par conséquent indispensable et ne teur de cet EPI, est le fruit d’une vraient, ont partagé leurs acquis
pouvait se faire que par une réflexion collaboration internationale entre avec leur famille, occasion pour les
interdisciplinaire des enseignants. les agences spatiales française, parents de mieux comprendre les
Compléter régulièrement la feuille de américaine et allemande. objectifs de l’EPI, et la réforme du
route a permis aux élèves de com- collège. n
prendre la finalité de la démarche de Les élèves ont soulevé, suite à la
projet et, par voie de conséquence, dernière élection présidentielle aux
les attendus de l’enseignement pra- États-Unis, la question du devenir
tique interdisciplinaire. des travaux sur le réchauffement
D
LES RESSOURCES
epuis plusieurs années, énergies et quelle sera leur part en Cette tâche complexe est incluse
en géographie, je fais réa- 2050 ; le document d’aide rappelle dans un EPI (enseignements pra-
liser par mes classes de qu’il faut additionner les différentes tiques interdisciplinaires) associant
5e une partie d’un cours énergies, choisir la plus importante, SVT (sciences de la vie et de la Terre),
sous forme de tâche complexe. En lister les formes desdites énergies français et géographie. Les élèves ont
2017, c’était le chapitre « Des res- selon leur origine. à rédiger un carnet de voyage de fic-
sources limitées à gérer et à renouve- Il s’agit d’une tâche complexe, car tion mêlant les trois disciplines sur
ler », dans la partie de l’étude de cas il leur faut mettre en œuvre de nom- le modèle de Vendredi ou la Vie sau-
sur l’énergie. Les élèves, après avoir vage ; ils préparent le récit scienti-
pratiqué des tâches complexes plus fique en géographie pour le rendre
guidées, doivent créer leur propre
Un éventail très large des fictionnel en cours de français. Bref,
cheminement pour mener à bien différentes compétences à un éventail très large des différentes
cette tâche. La séquence de travail mettre en œuvre dans la compétences à mettre en œuvre dans
dure trois heures et fait suite au discipline géographique. la discipline géographique.
cours sur la ressource alimentaire. Comme ils disposent de tablettes
La consigne est : « Créez le cours breuses capacités en plus des tactiles, l’ensemble documentaire
sur l’énergie à partir des documents connaissances déjà acquises lors du est proposé dans un Padlet[1] dont
dont vous disposez. » C’est la seule précédent chapitre. L’étude de cas je leur donne le QR Code. Un Padlet
consigne globale donnée sur l’en- portant sur la Chine, ils doivent loca- est une application en ligne gratuite,
semble documentaire, mais il y a liser sur la carte la ville de Shanghai un mur virtuel où on met à dispo-
des consignes particulières spéci- où se trouve le projet de ville sition des documents pour les per-
fiques à certains types de docu- durable de Dongtan, puis la situer sonnes ayant le lien. En cours de
ments, graphique, texte ou autre. sur la carte des populations. Ils travail, les élèves disposent de coups
Ainsi, dans une infographie sur les doivent également décrire et analy- de pouce soit pour l’analyse des
énergies renouvelables, il leur est ser des documents en différents
demandé quelle est la part de ces langages, notamment des cartes 1 https://fr.padlet.com/
documents, soit pour établir le plan privilégiant les documents libres de « Tu vois c’est trop bien, tu peux
du travail à présenter ; ce plan sug- droits. Pour les aider et pour indivi- recommencer si tu te trompes. »
géré par la leçon précédente sert de dualiser les apprentissages après le Qu’ajouter, après un an et demi à
repère simple pour la plupart des temps de réflexion personnelle dans leur proposer d’apprendre de leurs
élèves ; certains s’en affranchissent, ces parcours, j’ai prévu d’autres liens erreurs ? Une machine leur offre un
mais en 5e cela reste exceptionnel. adaptés aux différentes difficultés moyen de le comprendre ! Évidem-
Ce sont les ressources externes de qu’ils peuvent rencontrer : comment ment, durant les heures qui ont
la tâche complexe. lire une carte, et telle carte en par- suivi, j’ai aidé certains sur des points
Ils flashent alors le QR Code et ticulier, comment consulter un dic- précis, des formulations difficiles,
démarrent le travail, avec l’obliga- tionnaire en ligne, un manuel de des relectures pour rassurer ou vali-
tion de réfléchir à ce qu’ils vont géographie. der. Mais l’essentiel du travail, ils
faire, sans me poser de questions Je propose, dès ce temps terminé, l’ont fait seuls, en s’entraidant. La
(mais ils peuvent communiquer de venir me voir, puis, n’ayant tablette m’a poussée à modifier mon
entre eux) pendant une dizaine de aucun retour, je circule entre eux. Ils positionnement pédagogique et à
minutes. Ils ont, à ce stade de l’an- travaillent tous, sans autre besoin me mettre en retrait pour me
née, suffisamment de connaissances d’aide que technique : « Dis, pour concentrer sur ceux qui deman-
sur la notion de « ressources » pour daient plus d’attention.
avoir besoin de ce temps de
réflexion. Ce temps de lecture est
L’essentiel du travail ils l’ont Au final, l’usage de la tablette a
surtout nécessaire pour établir leur fait seuls, en s’entraidant. apporté deux sortes de plus-values
stratégie, d’abord individuelle puis à la tâche complexe (outre un
éventuellement collective, cette pos- obtenir la dictée vocale, je fais confort de lecture très appréciable,
sibilité étant ouverte dès la présen- quoi ? », « Non, mais laisse tomber, puisque les documents sont acces-
tation du travail. C’est un temps de ça fait plein de fautes. » Déconcertée sibles en couleur et peuvent être
mobilisation de la mémoire des res- mais ravie de cette autonomie toute zoomés) : les parcours d’apprentis-
sources internes, des connaissances neuve, je continue à les observer. sage sont individualisables beau-
prérequises et des capacités d’ana- Vient le temps de la rédaction des coup plus aisément ; les élèves déve-
lyse de documents. Est mobilisée récits de voyage prévus dans le cadre loppent une autonomie que, sans
aussi la connaissance plus indirecte de l’EPI. Je m’apprête à passer à doute, je ne croyais pas aussi aisée
de la façon dont est faite une leçon, toute allure d’un élève à l’autre, à ce stade de la tâche complexe chez
car il ne s’agit pas de la première comme lors d’une séquence précé- la plupart d’entre eux et qui me per-
tâche complexe de l’année. dente sans tablette. met de ne guider que ceux qui ont
Et rien, toujours les mêmes chu- plus besoin d’être accompagnés. La
DROIT À L’ERREUR chotements, pas d’affolement, pas plus grande découverte pour moi
Certains vont sur internet chercher de « madame, j’y arrive pas ». Et fut le droit à l’erreur que les élèves
des éléments supplémentaires, avec dans ce presque silence bruissant et s’accordent, un progrès très appré-
l’obligation de citer la source et en studieux, un chuchotis m’interpelle : ciable, alors que beaucoup sont si
angoissés par le risque d’échouer.
Nous avons, sur la suite de l’année,
décidé de conserver chaque version
de leur travail pour mesurer les amé-
liorations et les progrès, et beaucoup
d’entre eux ont ainsi pris conscience
qu’ils pouvaient progresser rapide-
ment en préparant des brouillons et
en se relisant. n
Et si on rendait l’exposé
interactif ?
Des écoutants qui écoutent et questionnent, des d’aide et des affiches destinées aux
exposants qui s’adressent vraiment à eux : le classique camarades, pour qu’il n’y ait pas
exposé magistral devient un apprentissage réel de l’oral, redondance.
de la communication et de la gestion des interactions.
EN AMONT
Les exposants doivent produire
Maria-Alice Médioni, enseignante au centre de langues- une fiche d’aide à remettre à leurs
université Lyon 2, membre du secteur langues du GFEN camarades en début de séance le jour
(Groupe français d’éducation nouvelle) de l’exposé. Cette fiche doit compor-
L
ter, en espagnol, la référence des
’exposé est une tâche cou- se fera sentir, anticiper les questions documents utilisés, présentés comme
rante dans la vie de la classe, qui risquent fort d’être posées par les une bibliographie (codes à respecter :
séduisante à plus d’un titre, camarades. Et, même si le groupe auteur, titre, éditeur, lieu et année
mais extrêmement difficile : décide d’une répartition des rôles, à d’édition) ; le plan du travail réalisé
pour celui ou ceux qui exposent, qui tout moment chacun doit être en (forcés d’organiser leur travail sous
ont souvent beaucoup travaillé leur capacité de relayer son camarade. forme de plan, les exposants doivent
sujet et qui n’arrivent pas à capter Ce qui est à privilégier, et c’est ce en travailler davantage la cohérence) ;
l’attention de l’auditoire ; pour ceux qui rend la tâche complexe, c’est la le vocabulaire nouveau découvert
qui reçoivent l’information et qui capacité à parler d’un sujet à pendant le travail et utilisé sur les
n’ont pas grand-chose à faire de la d’autres personnes, en tenant affiches pour que les écoutants
recherche faite par les premiers. compte de leurs réactions et de leurs puissent en disposer. Ils doivent aussi
Néanmoins, la conduite de cette questions. rédiger un court texte : « Lo que nos
activité peut être repensée, grâce à une ha interesado en este trabajo… lo que
nouvelle organisation du travail sus- Rendre tous les apprenants nos ha llamado la atención… » (Ce
ceptible d’aboutir à des progrès inté- qui nous intéresse dans ce travail…
ressants : accompagner ceux qui
acteurs et sujets dans cette ce qui a retenu notre attention…) : il
exposent dans la présentation de leur activité, en les mettant s’agit ici de leur faire exprimer un
recherche, créer une situation pour en situation d’intervenir point de vue plus personnel. Enfin,
qu’ils interviennent en direct, aider les sur le thème en débat et sur ils doivent fournir un résumé de
autres à entrer dans le sujet, à se poser l’activité elle-même. l’exposé qui sera bien utile aux écou-
les questions nécessaires pour une tants. Cette fiche m’est soumise au
bonne réception du message produit La tâche étant d’importance, le moins quinze jours à l’avance pour
par leurs camarades, rendre tous les travail sera partagé entre trois ou que je puisse réagir et suggérer des
apprenants acteurs et sujets dans cette quatre exposants. Les élèves com- modifications, et la fiche définitive
activité, en les mettant en situation mencent leurs premières recherches remise au moins une semaine à
d’intervenir sur le thème en débat et et une rencontre est programmée l’avance pour être photocopiée.
sur l’activité elle-même. Et enfin, abou- avec l’enseignant afin qu’ils puissent Parallèlement, les points essentiels
tir à une situation de construction exposer leurs objectifs, leur de l’exposé sont repris sur deux
collective, où chacun peut s’emparer démarche et éventuellement leurs affiches écrites en gros caractères,
de la recherche produite par certains. besoins. Cette rencontre est une lisibles de loin[2] Pour les niveaux
séance de régulation, d’une quin- plus outillés, les apprenants étant
COMMUNIQUER zaine de minutes par groupe, qui plus autonomes sur le plan langagier,
Tâche courante, certes, mais dont permet de se rendre compte de la ce va-et-vient entre eux et l’ensei-
il faut clarifier les attendus à la faisabilité du projet et de prendre gnant peut ne pas être systématique.
lumière de cette nouvelle organisa- les décisions qui pourront en per- Si besoin, une deuxième séance de
tion. La forme d’exposé proposée mettre la réalisation : la délimitation régulation peut être programmée,
consiste en une forme interactive plus réaliste du sujet, plus proche surtout pour les groupes qui exposent
entre des personnes, qui se sont ren- de leurs préoccupations[1], le partage les premiers et qui ont besoin d’être
dues expertes sur un thème, et les du travail, les besoins en documen- rassurés dans cette entreprise si nou-
autres. Il faut donc choisir des points tation, et le contenu de la fiche velle pour eux. Pour les suivants, la
essentiels qui rendent compte du séance d’évaluation programmée à
sujet, prévoir des illustrations la suite de chaque exposé sera pré-
(sonores ou visuelles : photos, diapos, 1 C’est ainsi que le thème « Picasso » peut deve- cieuse pour éclairer le travail.
nir « Picasso cubiste » ou « Les périodes bleue et
transparents, vidéos : les supports rose de Picasso », par exemple, ou « Les Incas » se
ont évolué au cours du temps) qu’on transformer en « La société inca » ou « La religion 2 Ces affiches, de la même façon, sont soumises
montrera au moment où la nécessité des Incas ». à l’enseignant pour qu’il puisse faire un retour.
Former à la complexité
des situations éducatives
Face à des situations qui les mettent en difficulté, familles socioéconomiquement défa-
les jeunes enseignants ont tendance à chercher des vorisées ») se comportent « mal »
explications et réponses rapides et à confondre vis-à-vis de l’élève et de sa famille.
complexe et compliqué. La formation doit plutôt les Le point commun entre leurs deux
entrainer à accepter la complexité, à problématiser indignations, c’est qu’elles se défi-
autrement, avec des outils d’analyse plus solides, nissent comme psychologisantes et
mais aussi plus déroutants. moralisantes, alors que nous aime-
rions qu’elles deviennent sociolo-
giques et épistémologiques ou didac-
Andreea Capitanescu Benetti et Cynthia d’Addona, tiques. Il nous revient donc de
chargées d’enseignement à l’université de Genève, « problématiser le monde » avec les
formation des enseignants de primaire étudiants, afin de leur en faire com-
E
prendre la complexité. Dans cette
n tant que formateurs cheur ou une rupture qui les intri- analyse, nous introduisons avec
d’enseignants en primaire, guent, qui entrainent des questions. force les enjeux des programmes,
notre objectif est d’amener Chacune d’entre elles doit être rédi- des rythmes scolaires, des tâches
les professeurs à problé- gée sur une page ou deux. En effet, scolaires, de manière générale l’orga-
matiser le terrain scolaire avec, l’écriture comme aide à l’analyse nisation des savoirs scolaires.
comme ressources, des outils théo- des situations nous semble être un Les interrogations spontanées des
riques et pratiques. Nous savons que outil intéressant afin de mettre leurs étudiants évitent totalement de
la pratique enseignante n’est pas une expériences en mots. Ceci leur per- mettre en lumière les tâches sco-
théorie appliquée : en situation de met déjà de poser une certaine dis- laires qu’ils considèrent comme
travail, le maitre agit selon une ratio- tance par rapport à des situations naturelles, évidentes, claires, légi-
nalité limitée, dans l’urgence et souvent chargées d’émotions. times à priori. Le savoir enseigné
l’incertitude de l’action. Les profes- (ou non !) n’est quasiment jamais
sionnels doivent parfois combiner DE L’INDIGNATION… évoqué dans leurs situations. Cer-
plusieurs logiques, car ils ont plus En tant que formateurs, nous tains novices disent même qu’il n’est
d’un objectif à atteindre. En outre, jugeons ces situations complexes, pas pertinent de connaitre le savoir
leur travail est parfois « empêché », alors que les étudiants les consi- en jeu dans la situation, car leur
selon la formule d’Yves Clot[1]. dèrent comme compliquées, diffi- attribution se situe en amont : du
C’est dans cette compréhension côté des prédispositions de l’élève,
de l’épaisseur du travail réel que de son envie ou non d’apprendre.
nous tentons d’emmener nos étu-
C’est dans cette Le déplacement en direction des
diants : exemple lors d’un module
compréhension de l’épaisseur savoirs, des contenus d’enseigne-
de formation qui a lieu durant leur de travail réel que nous ment, est loin d’être aisé. Est-ce que
deuxième année de formation, tentons d’emmener nos ce point aveugle cacherait une sorte
construit et pensé en alternance étudiants. de conflit de loyauté avec leur for-
durant trois mois. Au-delà d’une mateur de terrain dans le compa-
alternance spatiale (deux semaines ciles à résoudre, et recherchent sou- gnonnage de formation ? Ils
sur les bancs de l’université, deux vent des solutions simples et rapides. reviennent à l’université avec les
semaines en classe avec un forma- D’après notre expérience, les étu- explications des situations délivrées
teur de terrain, et ainsi de suite) diants s’indignent toujours du par leur formateur de terrain, sans
nous visons une compréhension monde scolaire qu’ils observent. les remettre en question. Ils ne se
entre ce que l’étudiant vit dans la Olivier Maulini et Carole Veuthey sentent pas pouvoir exprimer
classe et les apports de l’université mettent en évidence que les étu- d’autres explications, afin de ne pas
(et réciproquement). diants se focalisent sur deux aspects. être en porte à faux avec le forma-
La tâche principale demandée aux Premièrement, les élèves et les teur de terrain qui les évalue, en fin
étudiants en situation d’observation familles se comportent « mal » vis- de compte.
participante est d’identifier, sur le à-vis de l’école : soit l’élève « dys-
terrain scolaire, des situations qui fonctionne », « ne rentre pas suffi- … À L’ENQUÊTE
leur paraissent complexes : des situa- samment dans son métier d’élève » Après avoir pris en compte les
tions dans lesquelles ils repèrent un ou « l’entourage n’est pas suffisam- indignations, apporté un regard cri-
incident critique, un élément déclen- ment impliqué dans sa scolarité ». tique sur les tâches scolaires (leur
Deuxièmement, les enseignants eux- place dans le programme, leur sens,
1 Yves Clot, La fonction psychologique du travail, mêmes (« l’enseignant est trop les libellés des consignes, leur ensei-
PUF, 1999. sévère, trop dur, stigmatise les gnement), il nous faut différer l’ur-
gence de l’efficacité immédiate pour questionnements. Parfois, ils partent nous leur apprendre quelque chose
faire enquête. Notre rôle de forma- d’un problème et, à force de le sou- sur le métier d’enseignant en passant
trices consiste ainsi et d’abord à peser, ils se confrontent à bien plus notre temps à problématiser des
réorienter les questions des étu- de doutes qu’ils n’en avaient prévus situations éducatives, à les décorti-
diants : « Que faut-il comprendre de initialement. Comme l’écrivent quer, à les rendre encore plus com-
la situation que j’ai récoltée dans Mireille Cifali et Alain André, « poser plexes à leurs yeux ?
cette classe ? Sur quoi dois-je enquêter des questions sans clamer une
pour construire cette compréhension ? réponse immédiate, c’est admettre Si l’on veut passer d’une forma-
Où est sa complexité ? Qu’exige-t-elle notre ignorance en singularité tion par le conseil à une formation
des professionnels dans un contexte humaine[3] ». Cela peut rendre la par l’enquête pour appréhender la
institutionnel rempli de paradoxes réalité éducative angoissante aussi, complexité des situations éducatives,
et de contradictions, de dilemmes car on délibère beaucoup. Un équi- il faut évidemment accepter une
difficiles à trancher ? Quels sont, libre est nécessairement à trouver : certaine forme de déplacement per-
chaque fois, la place et le poids res- le processus d’enquête ne doit pas sonnel, développer un autre rapport
pectifs du prescrit, du contraint et tourner en vase clos, sans quoi l’uni- au savoir en tant qu’étudiant. Et
du consenti ? » L’urgence de l’action versité devient la tour d’ivoire tant pour le formateur, cela suppose un
et du « que faire pour bien faire » redoutée, déconnectée des réalités accompagnement des formés au
est forcément différée dans cette du terrain. L’analyse doit être prag- cœur de la complexité, au cœur de
démarche. Le bien lui-même est pro- matique, elle doit donc s’ancrer dans l’enquête, dans le but de les rendre
blématisé : qui définit ce bien, et sur le soupçon, mais aussi dans des actifs dans ce processus. Donc ni
la base de quels présupposés ? trop, ni pas assez désorientés. n
Enquêter minutieusement en Parfois, ils partent d’un
documentant les débats, voilà la
problème et, à force
démarche que nous tentons de jus-
tifier et de mutualiser dans les
de le soupeser, ils se
groupes d’analyse des situations. confrontent à bien plus
Nous conduisons un processus de de doutes qu’ils n’en avaient
recherche, presque infini, consistant prévus initialement.
à construire des hypothèses de com-
préhension du réel. C’est dans ce savoirs solides, des théories justi-
travail d’hypothèses que nous convo- fiées, des connaissances attestées,
quons les différentes théories pré- bref, une expertise professionnelle
sentées dans les cours et dans les qui se pose des questions d’autant
moments de « questions et repères plus pointues que celles-ci reposent
théoriques » que nous organisons sur un niveau de connaissance d’au-
par ailleurs sur plusieurs dimensions tant plus élevé.
du métier.
OPACITÉ
LE TEMPS DU DOUTE Pour nos étudiants les plus pressés,
Pour nous, « l’enquête est la trans- le questionnement des situations
formation contrôlée ou dirigée d’une peut être pris, non pas comme un
situation indéterminée en une situa- temps de formation nécessaire, mais
tion qui est si déterminée en ses dis- comme un temps perdu à théoriser,
tinctions et relations constitutives à (se) poser des problèmes, à concep-
qu’elle convertit les éléments de la tualiser, sans déboucher sur des
situation originelle en un tout uni- solutions et des réponses consoli-
fié[2] ». En nous inspirant de cette dées. Cette dimension de leur habitus
définition, nous essayons de concen- personnel et collectif résiste très fort
trer notre travail collectif sur l’obser- à toutes les tentatives d’intrusion,
vation et l’interprétation des diffé- d’ébranlement, de déconstruction.
rents éléments de chaque situation, En tant que formatrices, nous nous
c’est-à-dire sur ses relations consti- rendons surtout compte de l’opacité
tutives : entre les différents protago- du processus de formation pour les
BIBLIOGRAPHIE
nistes, les élèves, et les enseignants, étudiants, et, du coup, de l’opacité
Philippe Perrenoud, Enseigner : agir dans
les parents et l’école, les savoirs et du processus de théorisation. Bien l’urgence, décider dans l’incertitude :
les tâches, le cadre scolaire et la que nos objectifs soient explicitement savoirs et compétences dans un métier
société, les exigences du programme énoncés d’emblée, tous ne sont pas complexe, ESF éditeur, 1996.
Olivier Maulini, « Former les futurs
et les rapports de pouvoir, etc. compris par tous les étudiants, loin enseignants : prendre en compte leur
Les formés disent que cette s’en faut. Leur expérience de la rapport au métier », in Valérie Lussi Borer
démarche d’enquête leur impose forme scolaire fait écran ; leur rapport et Luc Ria (éd.), Apprendre à enseigner,
PUF, 2016.
beaucoup de travail, que les analyses au monde est résistant. Pouvons- Olivier Maulini et Carole Veuthey,
ont un effet multiplicateur sur leurs « Indignés, vous ? », Des jugements aux
savoirs professionnels en formation
3 Mireille Cifali et Alain André, Écrire l’expérience. des enseignants, CNAM, REF : Réseau
2 John Dewey, Logique : La théorie de l’enquête, Vers la reconnaissance des pratiques profession- éducation formation, 2017.
PUF, 1938. nelles, PUF, 2007.
P
savoir pourquoi. Qu’est-ce qui a
rofesseure de mathéma- mathématiques) de Clermont- permis aux uns de penser qu’un
tiques, j’anime également Ferrand[2] propose un exemple de traitement des données numériques
des formations de proxi- tâche que j’ai modifié pour en faire était utile ? Les professeurs de mathé-
mité dans les établisse- une situation complexe. matiques ont l’idée de faire des
ments de l’académie de Nantes. Les Les enseignants sont par groupe calculs. D’autres avouent y avoir
enseignants y font le constat que les de quatre, si possible de disciplines pensé, mais ont évacué cette possi-
élèves ne sont pas autonomes, qu’ils ou d’établissement différents. La bilité par peur de ne pas savoir faire,
ne prennent pas d’initiatives, qu’ils situation proposée est composée de ne pas avoir repéré des données ou
ne contrôlent pas assez leur travail, différentes informations : un extrait ne pas avoir compris ce qu’ils pou-
qu’ils ne s’entrainent pas suffisam- de texte de loi relatif à la distance vaient en faire.
ment, qu’ils ne résistent pas au de sécurité entre les véhicules sur
découragement. Comment permettre autoroute, une photographie d’un POINTS DE VUE
aux élèves d’apprendre à construire habitacle de voiture sur autoroute, En fait, le problème se pose diffé-
les problèmes, à traiter les tâches un panneau autoroutier rappelant remment selon les participants, sui-
complexes ? qu’il faut « deux bandes » entre les vant l’argument qui prime pour eux :
Le premier rôle de la tâche com- la sécurité, la peine encourue en cas
plexe est d’amener les élèves à d’infraction, le respect de la loi,
modéliser, c’est-à-dire à convoquer
Lire, comprendre, interpréter, l’aspect scientifique, l’explication
les savoirs scientifiques pour inter-
observer, calculer, échanger, ra t i o n n e l l e. A p rès q u e l q u es
préter, se représenter une situation. discuter, décider, écrire, échanges, on comprend que chacun
Cette compétence « renvoie pour le argumenter, formaliser, interprète la situation en fonction
mathématicien au fait d’utiliser un inventer, mimer, etc. de son propre vécu : avoir son enfant
ensemble de concepts, de méthodes, en conduite accompagnée, avoir
de théories mathématiques qui vont véhicules, une fiche technique don- vécu un accident de la circulation,
permettre de décrire, comprendre et nant les dimensions des bandes sur avoir perdu des points sur son per-
prévoir l’évolution de phénomènes le bord des autoroutes, la définition mis, avoir peur en voiture. La mise
externes aux mathématiques[1] ». du temps de perception-réaction. La en scène va mettre à jour ces repré-
Cette modélisation s’appuie sur trois consigne est de réaliser un spot sentations et permettre à chacun de
principes : le principe fonctionnel publicitaire permettant de com- comprendre le contexte dans lequel
(le modèle doit permettre un traite- prendre pourquoi le législateur il a placé la situation : une famille
ment), le principe analogique (le impose cette distance de sécurité et avec un enfant qui explique le calcul
modèle doit apporter des données pourquoi il est important de la de la distance nécessaire pour freiner
analogues à la situation étudiée) et respecter. tel qu’il l’a appris en mathéma-
le principe de sélection (le modèle Les groupes préparent une say- tiques, un conducteur qui doit ras-
nécessite d’ignorer certaines carac- nète. J’en profite pour écouter ce surer ses passagers, un jeune qui ne
téristiques). La tâche complexe doit qui se dit, comprendre les procé- veut pas perdre de points.
laisser une part de modélisation à dures mises en œuvre, identifier les L’expérience montre que les
l’élève. difficultés. Au bout de vingt minutes, groupes ne sélectionnent pas les
chacun présente sa saynète et nous mêmes informations. Par exemple,
FORMER, MODÉLISER faisons l’analyse de ce qui s’est la photographie de l’habitacle est
Pour leur faire comprendre cet passé. Je liste au tableau les diffé- rarement prise en compte, alors
enjeu, je propose une tâche com- rentes activités cognitives. L’objectif qu’elle montre dans le rétroviseur
plexe aux collègues en formation. est de permettre aux stagiaires de qu’un véhicule suit de très près. Il
Tout est organisé pour être au plus prendre conscience de toutes les est impossible de tout anticiper
près de la situation de classe. Le site compétences utiles ici : lire, com- lorsqu’on propose une tâche com-
académique de l’IREM (Institut de prendre, interpréter, observer, cal- plexe, il faut se laisser surprendre
recherche sur l’enseignement des culer, échanger, discuter, décider, par des initiatives ou des proposi-
tions différentes de celles que l’on
1 https://m-url.eu/r-1iyn. 2 https://m-url.eu/r-1iyo. pouvait attendre. L’important est de
ne pas juger les productions, mais au regard d’une solution attendue. velle activité écrite qui viendra en
de repérer quelques éléments expli- L’enseignant doit pour cela accepter prolongement. Un travail technique
catifs : quelles données ont été choi- de ne pas savoir mieux que l’élève, peut être fait sur un autre temps, il
sies et pourquoi ? Quels problèmes en ce sens qu’il ne connait pas les ne doit pas être oublié.
ont été posés ? Quelles connaissances expériences personnelles de l’élève Les tâches complexes ne sont
ont été utilisées ? qui motivent sa représentation. qu’une étape. L’explicitation des
La tâche complexe demande le Enfin, la gestion du travail de groupe savoirs mobilisés peut se faire à tra-
réinvestissement de certaines est importante. La composition des vers une activité de comparaison et
notions, mais elle peut aussi être le ilots, la disposition dans la salle, le de reformulation des différentes
prétexte à la découverte de nouvelles matériel, les consignes, le temps, les procédures. Le rôle de l’enseignant
ressources. Ici, la situation pourra étapes sont autant de paramètres est alors de mettre en évidence
en classe servir d’introduction à un qu’il faut analyser pour comprendre l’implicite des procédures et de pro-
travail sur la covariation de deux qu’une infime modification du dis- poser aux élèves un travail d’analyse
grandeurs (proportionnalité entre la positif peut tout changer. Dans notre individuel ou en groupe amenant à
distance parcourue et le temps du exemple, l’hétérogénéité dans le isoler les nécessités liées aux
parcours à vitesse constante, dis- groupe permet des entrées diffé- modèles utilisés. Il s’agit de formuler
tance d’arrêt en fonction de la rentes dans le problème. Si la resti- dans différents registres (langage
vitesse), mais elle pourra aussi être tution n’est pas simulée avec dispo- naturel ou lié au contexte, symboles,
le point de départ d’un travail sur sition de quatre chaises et d’un graphiques, schémas, etc.) la perti-
l’argumentation en éducation morale volant fictif, certains membres du nence ou non de ces modèles.
et civique, sur la production d’un groupe peuvent ne pas y participer.
court métrage en arts visuels ou d’un Si la restitution n’est pas orale, tous Les tâches complexes favorisent
travail sur le mouvement en tech- les échanges sur les procédures et
nologie, dans le cadre d’un EPI amènent les élèves à prendre des
C’est cette posture
(enseignement pratique interdisci- initiatives et à comparer les solutions
plinaire). La tâche complexe peut
de l’effacement qui permet proposées. Cela suppose de la part
intervenir à tout moment de l’ap- à l’élève de prendre de l’enseignant une analyse très fine
prentissage et permettre l’explicita- des initiatives. de l’activité des élèves. Lors de for-
tion des compétences en jeu. mations, les équipes ont l’occasion
ne participent pas à la rédaction de de tester collectivement ce type de
FLEXIBILITÉ la solution. Si des ordinateurs sont séances et de mesurer l’importance
Un dernier temps d’analyse porte accessibles, des recherches sur inter- de l’ingénierie que cela suppose.
sur le protocole et la posture de net peuvent amener de nouvelles Autant de compétences profession-
l’enseignant. L’importance de la problématiques, etc. nelles auxquelles il faut se former
confrontation entre les procédures si l’on veut que tous les élèves pro-
dans les groupes apparait clairement PROCÉDURES fitent également de ces temps d’ap-
comme étant l’élément formateur. OU PRODUCTION ? prentissage. n
La situation doit favoriser l’émer- Malgré tout, les membres ne s’in-
gence de solutions variées pour ame- vestissent pas de la même façon. La
ner à débattre. Cela suppose que production ne doit donc pas primer
l’enseignant ne ferme pas le pro- sur le processus. En d’autres termes,
blème. Certains collègues avouent le but n’est pas la qualité de la say-
que c’est ce qu’ils ont le plus de mal nète, mais la procédure utilisée et
à accepter. Pourtant, c’est cette pos- ce que les stagiaires vont pouvoir
ture de l’effacement qui permet à dire des différents choix effectués.
l’élève de prendre des initiatives. Si la production prime, les stagiaires
Apprendre à raisonner, c’est ren- et donc les élèves vont s’organiser
forcer la planification, la récupéra- pour mettre à l’écart ceux qui ralen-
tion active d’informations en tiront le travail ; les écarts peuvent
mémoire, la mise à jour de sa alors se creuser, chacun étant main-
mémoire de travail et la flexibilité tenu à son niveau d’expertise.
mentale. Dans la résolution d’une Au contraire, la situation permet-
tâche complexe doivent effective- tra une véritable différenciation si
ment incomber à l’élève la planifi- toutes les aides techniques sont dis-
cation, la recherche des informa- ponibles et que l’attention de l’ensei-
tions, la gestion de la mémoire de gnant est portée sur les procédures.
travail et la possibilité de passer d’un L’aspect éphémère du produit (ici
comportement à l’autre, ce qui signi- une production orale) peut renforcer
fie pouvoir comparer son compor- l’intérêt pour les procédures, qui
tement avec celui d’un autre, envi- peuvent donner lieu à un écrit visant
sager de nouveaux possibles. l’institutionnalisation de connais-
L’autre aspect essentiel est le non- sances nouvelles. La mise en com-
jugement, la posture empathique mun a un intérêt si les procédures
qui amène à questionner sur les et les productions sont différentes et
procédures, sans jamais les critiquer si l’analyse sert à lancer une nou-
Experts en herbe(s)
Comment un travail interdisciplinaire qui s’appuie, entre autres, démarche d’investigation, coopérer
sur des situations complexes peut aider les élèves à reprendre au sein d’un groupe) et organisent
confiance en eux, à se remotiver dans des situations originales le travail de façon à ce que les res-
et à progresser ? sources soient construites en classe
et connectées entre elles pour pré-
parer leur réinvestissement futur. Ici,
Pierre-Yves Le Roux, Olivier Galy, professeur et maitre les opérations comme délimiter,
de conférences à l'université de la Nouvelle-Calédonie, Laboratoire observer, sélectionner, expliquer qui
Lire EA 7483 jalonnent le parcours d’accès aux
compétences sont explicitement tra-
Brigitte Do, professeure de lettres modernes au collège Ste-Marie- vaillées. Une fois le scénario et la
de-Paita, Nouvelle-Calédonie consigne rédigés, les critères de réus-
site sont établis en lien avec les onze
Nous souhaitons remercier tout particulièrement M. Deruennes, directeur items retenus pour l’évaluation, en
de l’établissement, et M. Ginestar, professeur de mathématiques, sans qui veillant à ce qu’ils correspondent
N
cette aventure n’aurait pas eu lieu. aux ressources travaillées en classe
et maintenant disponibles : par
ous avons proposé à aujourd’hui de faire un état des lieux exemple, connaitre et utiliser les for-
une classe de 6e de de ce site en tant qu’experts de l’envi- mules du périmètre et de l’aire d’un
consolidation de vivre ronnement. Par équipe de trois, vous carré, ou savoir observer et question-
une année scolaire délimitez une surface de vingt-cinq ner puis exploiter les résultats d’une
ponctuée par quatre mètres carrés. Dans cet espace, vous recherche en utilisant un vocabulaire
situations complexes. Pourquoi ? observez la végétation, puis vous en scientifique à l’écrit ou à l’oral.
Pour que les élèves transfèrent et faites un inventaire complet et précis
valident des compétences non PROJET
acquises à l’entrée en 6e et sur les- INTERDISCIPLINAIRE
quelles nous travaillons toute l’année
L’approche par compétences, Les enseignants envisagent aussi
(maitriser des connaissances dans il faut bien le dire, cette situation complexe comme une
divers domaines scientifiques ; les révolutionne notre manière évaluation de leur travail : la ques-
mobiliser dans des contextes diffé- d’enseigner. tion qui se pose n’est pas « est-ce
rents et dans des activités de la vie que mes élèves ont tout compris ? »,
courante ; faire preuve d’initiative). afin d’expliquer comment ce site s’est mais plutôt « est-ce que mes élèves
C’est une réelle aventure profession- développé après l’exploitation vont avoir le “déclic”, être capables
nelle, car l’approche par compé- minière. Vous avez deux heures. » de mobiliser telles ou telles connais-
tences, il faut bien le dire, révolu- Un protocole a été mis en place sances pour résoudre le problème
tionne notre manière d’enseigner. sept semaines avant l’évènement par posé ? ». Car il ne s’agira pas de res-
Nous présentons ici la quatrième les enseignants de la classe, qui se tituer des connaissances, mais de
situation complexe, intitulée « mis- sont entendus sur les compétences choisir et combiner des ressources
sion environnementale ». Le scénario à travailler dans chaque discipline pour mettre en œuvre des compé-
proposé est celui-ci : « Vous voilà sur (mobiliser ses connaissances pour tences nécessaires à la réalisation
un ancien site minier d’extraction de comprendre une question liée à de l’activité, qui comporte ici trois
nickel ; la province Sud vous demande l’environnement, pratiquer une volets : délimiter un périmètre d’ob-
servation, observer et sélectionner élèves. Par exemple, lorsque les élèves il leur est cependant difficile d’exploi-
les informations prioritaires et reçoivent la consigne de délimiter un ter leurs données après le temps d’ob-
exploiter les résultats. périmètre de vingt-cinq mètres carrés, servation et d’inventaire. De retour en
Les enseignants ont rédigé en nous ne leur donnons pas d’emblée le classe le lendemain, ils se remettent
commun le scénario, la consigne et matériel dont ils auront besoin (la au travail écrit sous la forme d’une
la grille d’évaluation. Ils ont réper- rubalise) : c’est à eux de se rappeler carte mentale pour mettre en forme
torié tout le vocabulaire commun qu’ils l’ont utilisé en mathématiques les différentes étapes de leur travail :
qu’ils ont utilisé, pour que les élèves délimiter, observer, sélectionner, expli-
puissent se dire : « Tiens, j’ai déjà quer. Ils auront à présenter à l’oral, en
vu, entendu ce mot, ce verbe d’ac- Ils s’organisent sur cinq minutes, l’impact de l’activité
tion, cette expression ; ah mais oui, des routines de travail minière sur l’environnement et la flore
je l’ai travaillé en maths et en EPS ! » collaboratif développées endémique de la Nouvelle-Calédonie.
Les élèves savent qu’ils seront éva- depuis le début de l’année. Cette activité, avec sa composante
lués à l’extérieur du collège durant la orale, permet aux élèves d’expliciter
septième semaine, dans un cadre de et en éducation physique et sportive la démarche entreprise sur le terrain
sortie de classe dans le bassin minier, et de se frayer un chemin dans l’en- la veille, mais aussi de revivre entre
et cela instaure bien sûr une ambiance semble des connaissances engrangées eux les anecdotes et d’exprimer les
complètement différente d’une éva- durant la période. Ils peuvent dès lors moments de doute et leur ressenti. Ils
luation sur table en classe. Ils entrent prendre conscience de l’intérêt de ce ont pour la plupart validé les compé-
dans la situation d’autant plus facile- qu’ils apprennent à l’école, car ils vont tences requises, et de leur côté les
ment qu’ils ne semblent pas du tout mobiliser leurs connaissances pour les enseignants ont pu constater l’effi-
angoissés et s’organisent sur des rou- transférer dans une situation authen- cience de l’évaluation en situation
tines de travail collaboratif développées tique et dans leur environnement fami- complexe avec, à la clé, une cohésion
depuis le début de l’année. Notre pos- lier. Ils endossent aussi le rôle que leur renforcée de la classe. n
ture d’enseignants est elle aussi parti- donne le scénario et qui les valorise. POUR EN SAVOIR PLUS
culière. Nous sommes positionnés en En deux heures, si les élèves déli-
Aude Perron, Une année en 6e C, https://
accompagnateurs, parfois en déclen- mitent le terrain, observent la végéta- vimeo.com/198739908
cheurs du cheminement cognitif des tion et sélectionnent des informations,
En trois temps,
trois mouvements
Proposition d’un déroulement d’une tâche complexe expliquée en grand groupe, afin de
en trois phases, pour veiller à ce que tous les élèves s’assurer que les élèves s’en font une
s’exercent à mobiliser leurs connaissances, représentation correcte et qu’ils ont
une compétence cruciale pour progresser. compris le but du travail demandé.
Cela limite la surcharge cognitive liée
à une telle activité. Le partage des
Delphine Longchamp, conseillère pédagogique, tâches est ensuite explicité et les
circonscription de Landerneau (Finistère) élèves peuvent s’engager individuel-
L
lement dans l’activité. J’organise
e problème proposé à des résoudre un problème impliquant ensuite le travail en trois phases ins-
élèves de CM1-CM2, que je des grandeurs géométriques et algé- pirées par les travaux des chercheurs
résume ici, est celui du briques en utilisant des nombres Bernard Rey, Vincent Carette et Anne
choix d’un carrelage dans entiers et des nombres décimaux. Defrance et Sabine Kahn[1].
une maison partagée en trois blocs, Dans cet article, je m’attacherai Je laisse d’abord aux élèves un
en respectant un budget donné et seulement à la question des aides temps de recherche suffisant, pen-
diverses contraintes. Les élèves dis- apportées par le maitre au long du dant lequel j’observe et n’interviens
posent du plan de la maison avec dispositif, les difficultés pouvant por- que pour questionner ceux n n n
ses dimensions, de divers modèles ter sur la mobilisation des ressources
de carrelages avec leurs prix, et d’un nécessaires, sur le transfert des
1 « Le défi de l’évaluation des compétences »,
plan de travail en plusieurs étapes. connaissances engagées ou encore Dossier d’actualité de l’IFÉ n° 76, juin 2012. Voir
Cette tâche complexe permet de sur les connaissances elles-mêmes. aussi les outils d’évaluation de l’enseignement
développer l’aptitude des élèves à La tâche est d’abord proposée et fondamental belge, https://m-url.eu/r-1iyq.,
AJUSTEMENTS
PROGRESSIFS
Suite à mes observations et aux
nouvelles sollicitations des élèves,
dans un second temps, je regroupe
ceux qui n’ont pas su démarrer la
résolution. Je vais alors guider et
faire interagir les élèves du groupe Extrait du document pour l’élève : le plan de la maison.
Groupes et différenciation :
exemple
Oser mettre en œuvre des situations-problèmes et faire un temps de travail individuel, au
en sorte qu’elles profitent à tous : une tâche calme, pour que chacun puisse se
complexe bien menée permet à l’enseignant de gérer lancer à son rythme, mais les élèves
l’hétérogénéité tout en favorisant la coopération. ont rencontré des difficultés à
résoudre la tâche seuls, et cela les
amène à interroger leurs voisins.
Cyril Lascassies, enseignant en collège et formateur Vient donc le temps de la confron-
dans l’académie de Toulouse tation des pistes qu’ils ont entrevues.
«
C
Pour susciter des controverses fruc-
alculer et comman- je ne cherche pas à en comprendre tueuses, il me semble préférable
der le nombre de les raisons pour y remédier : est-ce d’avoir des groupes hétérogènes.
pots de peinture que le sujet n’a pas de sens pour Les observations que je viens de
nécessaires pour l’élève ? Auquel cas, lui faire refor- faire pendant le temps de travail indi-
peindre les murs, le plafond et la muler peut souvent suffire. Est-il en viduel peuvent parfois me permettre
porte de la classe, en sachant que surcharge cognitive face à la multi- de constituer des équipes. Par
l’on utilise des peintures différentes plicité des documents ? Est-ce qu’il exemple, un élève qui a commencé
à chaque fois et qu’il reste 375 € se sent incapable de relever le défi ? par calculer les surfaces des murs,
dans la caisse de l’école. Vous avez Peut-il alors simplement lister les regroupé avec un qui ne sait pas
à votre disposition les indications connaissances qui lui semblent encore le faire. J’y ajoute un autre
d’un peintre et les tarifs du mar- nécessaires ? Je peux proposer qui a commencé à prélever les infor-
chand de peinture[1]. » quelques questions intermédiaires, mations sur le pot, leur indiquant
Cette situation problème sollicite afin qu’il ait quelque chose à partager ainsi qu’il y a plusieurs chemins pos-
bien évidemment des capacités telles sibles pour résoudre telle situation
que le calcul de surface, la propor- problème, etc. Mais il est impossible
L’élève reconnait-il
tionnalité, mais aussi les langages d’observer tous les élèves de la classe
pour penser et communiquer : lire
une situation de pendant ce temps individuel court.
les informations utiles sur le pot de proportionnalité ? Arrive-t-il J’accepte donc de n’en avoir évalué
peinture, ne pas tenir compte des à l’utiliser ? Accepte-t-il qu’une poignée et je privilégie le
informations inutiles pour cette tâche des avis différents du sien ? hasard pour constituer nos groupes.
(comme le temps de séchage entre
deux couches), rédiger un bon de lors du travail de groupe. Mais atten- ENSEIGNANT RESSOURCE
commande, organiser les informa- tion à ne pas me substituer à l’élève Je m’interdis d’intervenir trop tôt
tions dans un tableau pour faciliter et à son raisonnement ; attention à dans les équipes, collectant des
la lecture, etc. Sans oublier des atti- ne pas prendre en charge la modéli- échanges qui vont servir lors de la
tudes : s’organiser (commencer par sation mathématique que l’élève doit phase de synthèse collective, et j’éva-
lire les informations ou par calculer opérer lui-même, le privant d’une lue les élèves à partir d’indicateurs
les surfaces ?), faire preuve de per- réflexion que j’estime centrale ici. observables : l’élève reconnait-il une
sévérance, d’esprit critique (si nous Un début de bavardage me signale situation de proportionnalité ? Arrive-
n’obtenons pas les mêmes résultats, qu’il est temps de passer à une dis- t-il à l’utiliser ? Accepte-t-il des avis
qui a raison ? Le meilleur élève en position en ilots. En effet, j’ai exigé différents du sien ? Participe- n n n
maths, celui qui a trouvé en premier,
moi ?), respecter les idées des autres
et les règles de vie collective, etc. Le tétra-aide
Sur le chemin
de l’autonomie
Amener tous les élèves à se lancer dans la résolution est de réutiliser le tableau pour
de problèmes, à prendre conscience de leurs erreurs, chaque travail de résolution de pro-
à progresser : un engagement du professeur qui leur blème à prise d’initiatives.
laisse le temps d’apprendre et leur propose un guidage Cette première étape permet aux
adapté à leurs besoins. élèves de s’approprier l’évaluation
par l’explicitation des attentes. Il est
arrivé, en formation, lorsque je pré-
Anne-Marie Sanchez, professeure de mathématiques sentais ce dispositif, que certains
en collège et formatrice académique, Versailles collègues en soient heurtés, pensant
D
que les élèves choisissaient ce sur
epuis quelques années, Cette liste sera réutilisée dans les quoi ils allaient être évalués. Or, il
j’ai choisi de travailler la travaux ultérieurs. s’agit bien ici d’une question de
résolution de problèmes Une année, par exemple, c’était : formulation.
mathématiques « à prise soin, orthographe, grammaire, lisi-
d’initiatives », en m’appuyant sur bilité et qualité de la rédaction DONNER LE TEMPS
l’évaluation formatrice à la manière regroupés dans le critère « présen- D’APPRENDRE
de Georgette Nunziati[1]. Dans les tation » ; dans le critère « travail du J’évalue l’activité du groupe pour
classes de 3e, mon objectif est de groupe », on trouvait : mise au tra- chaque indicateur par des phrases
donner à chaque élève le temps vail, bruit et participation de cha- appréciatives, en vert si c’est positif
nécessaire (l’année s’il le faut) pour cun ; dans le critère « calculs », il y et en rouge sinon. En voici un exemple
réussir seul ces problèmes. Comme avait justesse des résultats et pré- dans le tableau page suivante.
la prise d’initiatives est, pour beau- sence de tous les calculs ; enfin le Les indicateurs n’étant pas hiérar-
coup, une prise de risques, l’étayage critère « compréhension » compre- chisés comme dans une échelle des-
est au départ assez fort pour les nait la pertinence (pas de hors-sujet) criptive, le bilan relève ce qui est le
rassurer : travail en groupe, mise à et la validité des arguments. plus important. Dans l’exemple
disposition des manuels, de calcu- proposé, si les élèves avaient eu cet
latrices. Le désétayage va passer par exercice au DNB (diplôme national
la diminution progressive de la taille
Le désétayage va passer du brevet), ils n’auraient eu aucun
des groupes, mais aussi par la plus par la diminution progressive point, alors qu’ils mobilisent correc-
grande implication de chacun dans de la taille des groupes, tement les acquis nécessaires à la
l’activité. C’est là que la forme de mais aussi par la plus grande résolution. Il est donc indispensable
l’évaluation intervient ; ces activités implication de chacun qu’ils poursuivent le travail de
ne sont jamais notées, la pression dans l’activité. réflexion par un bilan à la fois per-
évaluative ne doit pas interférer avec sonnel et de groupe. Je leur
l’apprentissage de la recherche ; Une autre année, les élèves ont demande de remplir la dernière ligne
l’évaluation sans pression doit au choisi : « techniques mathématiques » du tableau.
contraire aider l’élève à s’approprier (opérations, proportionnalité, appli- C’est cette verbalisation qui per-
les attentes liées à la tâche. cations de propriété géométrique) ; met une réelle progression, puisque
« présentation » (soin, lisibilité, les attentes ne sont pas celles des
AVEC LES MOTS DES ÉLÈVES orthographe, rédaction) ; « travail du exercices d’application ou des pro-
Le premier problème donné est groupe » (comportement, bruit, blèmes de fin de chapitre. Il ne s’agit
l’occasion de définir avec la classe implication de chacun, répartition plus ici d’apprendre les ressources
les indicateurs de réussite que je vais du travail) ; « traduction de l’énon- du programme, mais de les mobiliser
observer dans leurs productions, cé » (prise en compte des données, sur une situation complexe. À partir
mais aussi dans leur manière de tra- recherche-idées-figure, mise en rela- de ces évaluations, les élèves choi-
vailler (étape de l’évaluation dia- tion avec ce que l’on sait, conclusion sissent ce qu’ils vont travailler en
gnostique). Cela nous donne une avec réponse à la question). priorité : un choix basé sur une
liste d’indicateurs écrits au tableau, Les mots sont différents chaque réflexion argumentée.
que nous regroupons en critères. Je année, puisque ce sont ceux des
mets cette liste au propre et l’utilise élèves ; je ne me permets que de DIMINUER PEU À PEU
pour évaluer leur première recherche. compléter s’il manque un indicateur L’ÉTAYAGE
essentiel. Ils correspondent bien à Nous sommes donc ici dans les
ce qui est évalué dans les résolutions attendus du socle commun. Le posi-
1 Lire son article, « L’évaluation formatrice »,
Cahiers pédagogiques n° 280 de janvier 1990, ou
de problèmes. Les indicateurs sont tionnement attendu est à fixer pour
sa reprise dans le hors-série numérique n° 39, génériques, de manière à ne pas être la fin de cycle, c’est ce qui permet
« L’évaluation en classe » d’avril 2015. trop contextualisés, puisque le but de travailler sur le long terme. n n n
nnn Les différentes résolutions projets) et domaine 3 (maitriser gramme, sur des temps dédiés. Il per-
proposées dans l’année me per- l’expression de sa sensibilité et de ses met non seulement ces progrès, mais
mettent de prendre des informations opinions, respecter celle des autres). aussi de donner du sens à ces acquis.
sur le niveau de maitrise des élé- Je ne remplis pas, à ce stade, ce qui L’évaluation formatrice mise en place
ments signifiants des domaines et est en dessous du seuil de validation, est alors au service de l’apprentissage
composantes du socle, au fur et à c’est-à-dire, ici, ce qui concerne le de cette compétence fondamentale
mesure de l’observation de la réus- domaine 4, la résolution de problème, par : une évaluation diagnostique pro-
site des élèves. Les tableaux d’éva- posée par les élèves, qu’ils peuvent
luations sont collés dans les cahiers À part le travail du groupe, s’approprier ; des appréciations valo-
des élèves, en cas de doute je peux risant les points forts pour les rassu-
toujours les consulter. À part le tra-
je n’évalue pour le socle que rer ; un retour réflexif de leur part,
vail du groupe, je n’évalue pour le
ce qu’ils ont réussi seuls, mais verbalisant les points où faire porter
socle que ce qu’ils ont réussi seuls, ils ont l’année pour y arriver. leurs efforts ; leurs choix des priorités
mais ils ont l’année pour y arriver. de travail ; le temps long sans pression
puisque l’entrée dans le problème a évaluative.
ÉVALUATION DU SOCLE été réussie, mais avec aide. Les pro-
Pour l’évaluation donnée en grès attendus devront porter sur ce Il reste sans doute à étendre ce
exemple dans le tableau ci-dessous, point. Ils devront également veiller à temps long au temps du cycle, ce
je pourrai évaluer ainsi le socle com- se passer progressivement de l’étayage qui nécessitera une organisation
mun si le travail est individuel : « très du groupe, en prenant confiance en collégiale que je n’ai pas encore pu
bonne maitrise » pour le domaine 1, eux personnellement. tester. n
compétence 3 (utiliser les nombres, Ce dispositif est pensé sur l’année.
utiliser le calcul littéral, exprimer une Je constate qu’il permet aux élèves de
grandeur calculée dans une unité s’impliquer et pour beaucoup de pro-
adaptée, passer d’un langage à un gresser dans la résolution de pro-
autre, utiliser et produire des repré- blèmes à prise d’initiatives, qui est la
sentations d’objets) ; pour un travail compétence mathématique. Il est
collectif, « très bonne maitrise » pour mené en complément de l’acquisition
domaine 2 (coopérer et réaliser des des savoirs et savoir-faire du pro-
D
travail régulier avec eux en situa-
es flacons sans étiquette sont différenciations. En effet, je conçois tions problèmes, et aussi d’une dif-
disposés sur ma paillasse. mon rôle dans cette activité comme férenciation pédagogique apportée
L’objectif de cette tâche celui d’un facilitateur : apporter aux en fonction des besoins.
complexe est de retrouver les consti- élèves qui en ont besoin des aides
tuants de chaque solution, afin spécifiques qui vont leur permettre QU’EST-CE QUE JE FAIS
d’écrire sur chacun d’eux les éti- d’avancer dans la résolution du pro- QUAND J’AIDE ?
quettes mentionnant ses consti- blème. Il est clair cependant que Je continue à m’interroger sur les
tuants, en respectant l’écriture scien- l’élève à qui j’apporte une aide n’at- formes d’étayage que j’introduis.
tifique d’une solution. teint pas le même degré de maitrise Signifient-elles, pour poser la ques-
Les élèves ont vu en classe le prin- de la compétence qu’un élève qui tion franchement, que la vraie com-
cipe du test d’identification des ions, l’aurait fait seul. Ainsi, si je refor- plexité est réservée aux élèves qui
et l’ont déjà mis en pratique une pre- mule le problème pour ceux qui ne ont déjà compris ? Il est certain que
mière fois. Les compétences travail- l’ont pas saisi, je leur permets d’en- je suis, comme enseignant, face à un
lées sont celles de la démarche scien- trer dans la démarche, mais ils dilemme : sans aide, les élèves n’en-
tifique : proposer une hypothèse pour échappent à une étape aussi intéres- treront pas dans la tâche. Et certains
répondre à une question scientifique, sante que la réalisation elle-même ! risquent même d’avoir un compor-
concevoir une expérience pour la tement gênant. Avec l’aide, la tâche
tester, interpréter des résultats expé- devient moins complexe, mais ils se
rimentaux, en tirer des conclusions
Je suis, comme enseignant, familiarisent avec ce genre de situa-
et les communiquer en argumentant. face à un dilemme ; tion, arrivent au bout du défi et leur
S’y ajoutent celles de la pratique des sans aide, les élèves motivation est renforcée.
langages. Cette situation est complexe n’entreront pas dans la tâche. Lors d’une séance suivante, les
dans le sens où les élèves vont devoir élèves ayant eu des difficultés sur
mettre en œuvre ces diverses compé- Une autre aide consiste à réexpli- les tests d’identification des ions
tences pour accomplir plusieurs pro- quer le tableau du test d’identifica- réussissent à 90 %. La différencia-
cédures : mettre en œuvre un test, tion des ions à l’oral. Il s’agit d’un tion que j’ai ménagée a-t-elle donc
observer, décrire ses résultats, analy- tableau synthétique à trois colonnes : été bénéfique pour eux ? Je remarque
ser. Je ne leur fournis pas de marche nom de l’ion et sa formule, nom du tout de même, dans certains cas
à suivre toute faite ni de tableau à détecteur, résultat observé (test posi- particuliers, une tentation chez cer-
compléter. tif). Ou encore à remontrer le geste tains de demander trop facilement
Pour avoir testé cette activité expérimental jusqu’à l’analyse des de l’aide, alors qu’ils n’en ont pas
depuis plusieurs années, je m’aper- résultats. forcément besoin. Heureusement,
çois que les élèves se heurtent sou- Une forme d’aide intéressante est une connaissance fine de mes élèves
vent aux mêmes obstacles. D’abord, le monitorat par des élèves qui ont et une proximité dans la classe me
l’entrée dans la démarche scienti- terminé la tâche et ont l’avantage permettent de débloquer des situa-
fique : quelle est la question scien- d’expliquer avec leurs propres mots. tions. Je compte aussi sur des phases
tifique implicite qui va donner du Il est demandé aux élèves moniteurs de réflexion individuelle puis col-
sens à ce travail ? Ici, la question à de réexpliquer une procédure, un lective en début de séance pour faire
formuler est : « Quels sont les ions geste ou une notion, et non pas de émerger les représentations, et sur
contenus dans les solutions ? » Mais donner la réponse. Pour clarifier les échanges entre pairs ou le travail
c’est aussi la pratique du geste expé- cette posture, je réfléchis à l’écriture de groupe pour qu’ils puissent
rimental (très concrètement, mani- d’une fiche ressource comportant confronter leurs hypothèses et les
puler debout, se protéger et travailler une liste des attendus pour les élèves faire évoluer. n
avec des quantités adaptées) qui, à en situation complexe (« Quel com-
ce stade, n’est pas maitrisée par portement dois-je adopter en tâche
tous. Enfin, la lecture et l’analyse complexe ? Quand dois-je demander
du tableau des tests des ions et de l’aide ? Qui peut m’aider ? Com-
l’interprétation des résultats peuvent ment aider les autres ?, etc. »).
également poser un problème à Cette année, plus des 80 % de mes
certains. élèves de 3e réussissent la tâche sans
Cette anticipation des difficultés aide. C’est rassurant, et cela me per-
va me permettre de proposer des met d’évaluer positivement des com-
L
Sommes-nous capables d’identifier
orsque nous demandons à nir sa stratégie de résolution, son plan. ce qui a empêché l’élève d’avancer ?
nos élèves de 1re S de trou- C’est l’étape d’analyse de la tâche Le théorème de Pythagore, l’élève
ver ce qui est le plus cher qu’il a redéfinie à l’étape précédente. ne l’a-t-il pas appris ? Pas compris ?
dans une tasse de thé, entre Il lui reste alors à mettre en forme, à Ou bien n’a-t-il pas pensé à l’utiliser
le sachet et l’eau chaude, ce qui rendre son travail présentable, et à parce qu’on ne lui demandait que
nous intéresse, ce n’est pas seule- réaliser la production finale. C’est d’aider Ératosthène à déterminer le
ment la réponse, c’est le processus, l’étape de communication. Appropria- rayon de la Terre sans dire quels
car ce qui compte, c’est ce que les tion et analyse se font au brouillon calculs réaliser ?
élèves mettent en œuvre en cher- (traces intermédiaires fort utiles à Évaluer les apprentissages unique-
chant la réponse. Cela ne signifie conserver pour analyser le chemine- ment dans la production finale ne me
pas pour autant que le résultat soit ment des élèves), la communication donne donc que peu d’informations
négligeable. Ainsi, les ingénieurs de étant la production finale : une copie, sur ce que l’élève sait faire. Et s’il ne
la NASA ont travaillé avec enthou- une vidéo ou encore un poster. parvient pas à dépasser l’étape d’ap-
siasme parce que le projet était moti- propriation (celle qui consiste à com-
vant, mais ils ne seront fiers de leur prendre l’énoncé), les compétences
travail que si l’astronaute arrive sur
Évaluer les apprentissages à mobiliser dans les deux autres
la Lune (et en revient !). uniquement dans la étapes ne seront jamais évaluées.
En réalité, ce que nous voulons production finale ne donne
faire apprendre à nos élèves, c’est que peu d’informations sur STRATÉGIES
bien à résoudre une tâche complexe, ce que l’élève sait faire. DÉBLOQUANTES
c’est-à-dire développer leur capacité Pour évaluer tout ce qu’on veut
à arriver au résultat. Et cela repose Ces étapes ne sont pas aussi stric- faire apprendre aux élèves, on va
sur un ensemble de connaissances tement disjointes que cela, mais donc regarder le processus de la réa-
et de compétences. Étant ensei- elles requièrent des connaissances, lisation, et pas seulement son abou-
gnants de sciences physiques, nous des savoir-faire, des attitudes diffé- tissement. Avec une classe de trente
donnons ici des exemples ancrés rentes, donc des apprentissages, élèves, cela ne se fait pas en temps
dans les sciences expérimentales, chacun à mobiliser au moment limité. On peut commencer par sépa-
mais la démarche globale est tout à opportun. Mobiliser, c’est-à-dire par rer les étapes dans le temps, afin de
fait transposable (et transposée) exemple être capable de penser à pouvoir proposer des feedbacks per-
dans d’autres disciplines. utiliser le théorème de Pythagore mettant aux élèves de ne pas rester
dans une situation nouvelle, sans bloqués. C’est ce que l’on fait pendant
ORGANISER, MOBILISER que ce soit demandé, uniquement l’épreuve expérimentale du bac[1] où
Ce qui fait qu’une tâche est com- parce que la situation semble favo- le but est d’amener l’élève au bout
plexe, c’est qu’on n’a pas intuitive- rable à cette utilisation. du sujet, quitte à lui donner indica-
ment l’idée du processus et de la tions ou réponses intermédiaires.
réponse, on est obligé de se donner LIMITES DE L’ÉVALUATION Poussons alors cette idée au bout :
une stratégie, et de passer par plu- SOMMATIVE puisqu’on évalue en accompagnant,
sieurs étapes de travail. Pour savoir Si nous sommes dans le cadre le feedback devient un moment de
si faire chauffer l’eau coute plus cher d’une évaluation sommative en temps signal d’erreur, de réexplication ou
que le sachet de thé, l’élève com- limité, nous allons chercher à évaluer d’approfondissement, c’est-à-dire un
mence par essayer de cerner le sujet, ce que nos élèves sont capables de moment d’apprentissage ou de
chercher dans ses connaissances ou réinvestir dans la situation nouvelle mémorisation pour l’élève : une éva-
dans des documents ce qui pourrait que nous leur proposons (si la situa- luation à visée formative.
être utile pour résoudre ce problème. tion n’est pas nouvelle, on n’évalue Pour cela nous avons, au cours
C’est l’étape d’appropriation (pour pas une compétence, mais une capa- des années, développé plusieurs
reprendre le vocabulaire des com- cité à restituer). Mais nous n’allons stratégies et outils dans nos classes.
pétences évaluées en sciences expé- pas pouvoir évaluer chacun des Nous essayons d’abord de choisir
rimentales) ; et il s’approprie le sujet apprentissages, notamment ceux des des sujets motivants, les plus
en le problématisant. étapes intermédiaires, comme concrets possible et proches de la vie
Puis il va organiser les informations, « extraire l’information », dans leur
faire les calculs dont il a besoin, défi- production. Certes, si le résultat est 1 https://m-url.eu/r-1iyu
réelle des élèves, ou au contraire sur- back, l’élève reprend sa copie en élèves le temps de le travailler en
prenants et insolites. Par exemple, analysant de manière explicite son équipe avec des ressources, tout en
« qu’est-ce qui coute le plus cher entre erreur et en la corrigeant. Lorsque montrant leurs travaux intermé-
mon sachet de thé et l’eau chaude l’élève réussit à montrer qu’il a diaires à l’enseignant pour un feed-
versée dans la tasse ? », « peut-on atteint le niveau master ou expert back. Puis, le contrôle lui-même et
charger un iPhone avec des citrons et sur un indicateur (sur un premier la correction se passent de façon
si oui, combien ? » (la question est jet ou suite à une correction avec classique, à partir de l’un des sujets
très sérieuse !) ou « comment éclairer analyse d’erreur), nous le validons travaillés. Dans la stratégie aval, le
sa roue arrière pour changer son pneu sur un support numérique, le but travail d’apprentissage aura lieu
lorsqu’on crève dans le désert ? ». Il étant que tous les élèves aient validé après le contrôle.
se peut aussi que les élèves choi- les indicateurs importants à la fin Tout commence classiquement :
sissent eux-mêmes leur sujet, ce qui du trimestre. C’est en regardant son nous communiquons aux élèves un
n’est pas toujours possible au vu des nombre de validations augmenter programme de révisions et une date
impératifs des programmes. que l’élève visualisera ses acquisi- de contrôle. Pendant le contrôle (qui
tions et ses progrès. peut être une tâche complexe ou
DE NOVICE À EXPERT non, comme un sujet de bac blanc
Nous préparons l’évaluation en Nous décidons des par exemple), les élèves sont seuls
début de séquence. Nous décidons et sans ressources externes. Puis, le
des compétences que les élèves vont
compétences que les élèves professeur corrige les copies en
travailler dans la tâche complexe. Pour vont travailler. Pour ces numérotant les erreurs des élèves,
ces compétences, nous définissons compétences, nous il leur en distribue une photocopie.
des indicateurs de réussite. Ils doivent définissons des indicateurs Et c’est là que le vrai travail d’ap-
être suffisamment larges pour qu’une de réussite. prentissage commence. Chaque
vingtaine suffise à couvrir l’année. élève va pouvoir travailler sur sa
Par exemple, « utiliser le calcul litté- À la fin de la tâche complexe, c’est photocopie avec ses pairs et l’ensei-
ral », « employer le registre du français cette fois la production elle-même gnant pendant une à deux semaines,
scientifique » ou « dessiner un schéma qui est évaluée surtout, afin de gar- afin de comprendre et corriger ses
avec des rayons de lumière ». der intacte la motivation des élèves. erreurs. Ensuite, un autre temps de
Puis, pour chaque indicateur, nous C’est un moment privilégié pour contrôle en temps limité et sans res-
définissons des critères de validation faire de l’évaluation par les pairs. sources a lieu, pendant lequel l’élève
explicites que nous communiquons Après la tâche complexe, nous recevra sa copie et procèdera à la
aux élèves dès le début de la tâche pouvons éprouver le besoin de faire correction. À la fin de cette séance,
(voire de l’année). C’est en compa- un contrôle en temps limité sans les copies sont de nouveau corrigées
rant son travail aux critères de vali- ressources (comme un bac blanc par et les notes augmentées en fonction
dation que l’élève peut savoir s’il est exemple). Afin de profiter au maxi- de la réussite des élèves.
novice, master ou expert. Nous défi- mum du potentiel d’apprentissage
nissons également pour chaque indi- de ce genre d’exercice, nous avons Au final, les tâches complexes sont
cateur les erreurs les plus courantes développé deux stratégies. un outil puissant d’apprentissage,
qui sont à éviter (voir figures 1 et 2). En stratégie amont, le travail combinées à l’évaluation formative.
Pendant la réalisation de la tâche d’apprentissage de l’élève aura lieu Pour que cette évaluation soit un
complexe, nous corrigeons réguliè- avant le contrôle. Afin qu’il soit le levier des apprentissages, il est indis-
rement les travaux intermédiaires plus efficace possible, nous commu- pensable d’évaluer ce qui a de l’im-
des élèves : brouillons, premiers jets niquons un ou plusieurs sujets mobi- portance et donc de se demander en
ou exercices d’entrainement. Sur ces lisant les mêmes compétences (une amont ce que l’on souhaite que les
travaux intermédiaires, nous repé- tâche complexe donc) une à trois élèves apprennent. n
rons les erreurs, et suite à ce feed- semaines avant. Cela laisse donc aux
Figures 1 et 2
E
rience de l’évaluation par les pairs
nseignante d’anglais en nous », « parce que ça pourrait don- a été appréciée. Cette façon de tra-
lycée professionnel, je suis ner envie à d’autres élèves de s’ins- vailler, plus rassurante, leur a appor-
souvent confrontée au peu crire ici ». Après avoir défini les lieux té une aide précieuse, les guidant
d’intérêt que les élèves et autres informations à présenter, pendant l’accomplissement de la
portent à l’apprentissage de cette les élèves se sont réparti le travail tâche, puis, au moment de l’auto-
langue. La mise en place de projets par groupes : présenter le foyer, les positionnement, leur permettant de
est un bon moyen de les motiver. ateliers, le self, les dortoirs, etc. mieux cerner les points acquis et
Cependant, si les avantages en sont Chaque tâche complexe s’est évi- ceux qui restaient à travailler.
certains, cette pratique engendre demment déclinée en tâches inter-
également son lot de questionne- médiaires qui, elles aussi, ont fait ET LES ACQUIS ?
ments, notamment sur l’évaluation l’objet de négociations à l’intérieur Au-delà de ces choix pour l’éva-
et les acquis. des groupes : quelles informations luation, reste la question du
Prenons l’exemple d’un projet « qu’ont-ils appris ? », toujours pré-
élaboré avec une classe de 2de tra- occupante. Pour nous enseignants,
vaux publics et présenté ainsi à la Des savoirs, des savoir-faire, il s’agit du critère majeur qui nous
classe. « Afin de préparer les journées des savoir être transférables fait savoir que nous sommes de bons
portes ouvertes de l’établissement, dans la vie réelles, sans aucun enseignants ou pas. Le tout étant
vous créez un blog pour présenter doute. alors de savoir ce que nous voulons
votre lycée. Habitant en Bretagne, qu’ils apprennent. Des savoirs, des
vous savez que des familles anglaises collecter et comment ? De quel savoir-faire, des savoir être transfé-
(mais aussi irlandaises et même lexique a-t-on besoin et comment rables dans la vie réelle, sans aucun
quelques familles venues des pays chercher ce qu’on ne connait pas ? doute. Cependant, au-delà des conte-
de l’Est qui parlent souvent bien Que photographier ? Comment pré- nus et des programmes, il me semble
l’anglais, mais peu le français) se senter une page de blog ? que notre mission consiste égale-
sont installées dans la région. Vous ment à développer leur curiosité, y
présenterez donc votre blog en COÉVALUATION compris en dehors de l’école, en leur
anglais à leur attention. » S’agissant de l’un de mes tout donnant le gout d’apprendre et
premiers projets, j’avoue que je l’estime de soi.
DES QUESTIONS n’étais pas très à l’aise avec l’éva- Les évaluations faites à chaud ont
ET DES RÉPONSES luation. Que devais-je évaluer : tout montré des compétences linguis-
Il s’agit d’un projet au sens enten- le travail des élèves, leur implication, tiques acquises par presque toute la
du par Christian Puren[1]. Il a été le résultat ? Quels critères prendre classe, mais de manière variable
proposé à la classe, qui l’a accepté en compte ? pour chacun. En somme, rien de
à l’unanimité et en a pris les com- Si la note est encore actuellement vraiment nouveau par rapport à des
mandes. Les premières questions, un passage (presque) obligé, d’autres cours plus traditionnels. Quant à la
débattues en commun, ont porté sur formes d’évaluation peuvent être question de savoir s’il en est vérita-
le contenu de l’information à faire utiles aux élèves. J’ai donc procédé blement resté quelque chose au bout
apparaitre sur le blog. La question à deux moments distincts : une éva- de quelque temps, les leçons qui ont
« que voulons-nous présenter de luation notée sous forme de présen- suivi n’ont pas forcément permis de
notre établissement pour en faire la tation orale faite devant la classe, s’en rendre compte. En revanche,
promotion ? » a entrainé celle du chaque groupe présentant son tra- d’autres bénéfices, non linguistiques,
« pourquoi ? ». Le plus souvent, les vail. Les critères de notation, annon- ont été observés.
réponses ont été « parce que c’est cés au début du projet, après que Du point de vue méthodologique,
quelque chose qui compte pour les tâches complexes ont été définies les élèves ont eu à (re) voir comment
par les élèves, étaient ceux du ordonner et structurer leur présen-
1 https://m-url.eu/r-1iyw CECRL (Cadre européen commun tation, ce qui est particulièrement
important pour eux, puisque la pre- glais, c’était une première. C’est là, motivation. Ce type de projet présente
mière épreuve de bac pro consiste je pense, le plus grand bénéfice un réel intérêt en ce qu’il parait
en la présentation orale d’un thème qu’ils en ont tiré : ils ont compris moins contraignant qu’un cours tra-
de leur choix, préparé par eux- l’utilité du travail en coaction[2]. Ce ditionnel. Et pourtant… En réalité,
mêmes. Les présentations qui ont projet a généré des moments d’en- les contraintes étaient encore plus
conclu des leçons ultérieures ont traide qui ont soudé la classe encore importantes, car il n’est pas facile de
montré que cet entrainement leur un peu plus. Il a été à la fois sécu- dresser son propre plan de cours à
avait été globalement profitable. risant et exigeant : plus les élèves cet âge. Mais les élèves décidaient de
travaillent ensemble, plus ils y l’organisation de leur travail, et dis-
LIBERTÉ ET MOTIVATION prennent gout, plus ils acceptent de poser d’une grande liberté d’action
Ensuite, ils ont acquis des straté- fournir l’effort exigé par la tâche. génère aussi une motivation forte.
gies de travail transférables, dans Enfin, en favorisant l’apprentissage
d’autres activités d’anglais mais de l’autonomie, il a été facteur de Dans la mesure où ils ont tout
aussi dans d’autres disciplines (par construit du début jusqu’à la fin, ils
exemple, comment collecter et trans- ont toutes les raisons d’être fiers
2 Christian Puren, « De l’approche par les tâches
mettre des informations). Plus à la perspective coactionnelle », Les Cahiers
d’eux-mêmes et prennent gout à
important, ils ont appris à travailler de l’APLIUT, vol. XXIII, n° 1, 2004, en ligne : l’apprentissage de la langue. n
ensemble. En ce qui concerne l’an- https://m-url. eu/r-1iyx
La métacognition
s’enseigne aussi
Faire apprendre grâce à des tâches complexes, oui, ficacité et de convention mathéma-
à la condition essentielle d’inclure dans l’apprentissage tique, l’enseignante contribue à la
des moments où on prend le temps d’expliciter avec rendre plus consciente et à l’installer
les élèves les buts poursuivis et les stratégies mises en pour la suite. Connaitre les stratégies
œuvre. Sans cela, on renforce les inégalités, car certains applicables pour une catégorie déter-
élèves en resteront à la tâche accomplie sans accéder minée de tâches fait partie des
aux savoirs et compétences qui en sont le cœur. connaissances dites métacognitives
nécessaires à toute activité mentale
complexe.
Jacques Crinon, professeur à l’université Paris-Est Créteil
P
LECTEURS EN CHASSE
endant une séquence paquets de cinq et des paquets de Rendons-nous à présent dans une
consacrée à la numération deux. Pour que tout le monde se classe de 6e, dont les élèves lisent
décimale au cours prépa- comprenne, il faut de toute manière une courte nouvelle de Yak Rivais,
ratoire, les élèves sont établir une règle du jeu, une conven- Safari[2]. L’enseignant a segmenté le
devant un tas de buchettes. Ils tion. La règle du jeu adoptée, c’est texte et demande aux élèves, à
doivent se mettre d’accord pour de faire des paquets de dix. Elle ser- chaque étape de la lecture, d’écrire
savoir combien il y en a. À la séance vira aussi pour écrire les nombres. ce qui se passe dans l’histoire (qui
suivante, ils racontent par écrit ce Un paquet de dix buchettes repré- fait quoi et où ?), en le formulant
qui s’est passé et lors d’une troi- sente une dizaine. La suite de la avec leurs propres mots. La discus-
sième séance, ils en discutent. Pour séance permet de passer à une écri- sion porte en particulier sur ce qui
trouver le nombre de buchettes, ils ture mathématique permettant de s’est modifié dans leur perception
avaient proposé différentes manières se souvenir de ce qu’il y a dans les des personnages, à quel moment de
de les compter : de un en un, c’est paquets et de le manipuler[1]. leur lecture, et à partir de quelles
un peu long. Certains ont compté En faisant revenir sur les stratégies informations présentes dans le texte
de cinq en cinq, d’autres de dix en employées et en justifiant le choix ou de quelles connaissances exté-
dix, un a même proposé de compter d’une des stratégies, en termes d’ef- rieures à ce texte. nnn
de vingt en vingt. Pourquoi pas,
explique l’enseignante. Les Chinois, 1 Cette situation de classe est empruntée à Muriel 2 Dans Histoires de toutes les couleurs, choisies
qui utilisent un boulier, font des Fénichel et Catherine Boilleaut. par Robert Boudet, L’école des loisirs, 1983.
nnn Le titre de la nouvelle laisse est large : jugement subjectif de dif- graphique qui ne leur ont jamais été
attendre le récit d’une chasse spor- ficulté de la tâche ou de familiarité enseignées[3]. Ces connaissances sur
tive, de grands fauves, dans un pays avec celle-ci, planification d’une les régularités du système, ils les
exotique peut-être. Dans les premiers tâche et retour sur l’adéquation des construisent parce qu’ils sont exposés
paragraphes, une lecture attentive résultats aux buts fixés. à de nombreux textes écrits et qu’ils
permet de situer le texte dans l’uni- Plusieurs remarques peuvent être sont équipés pour procéder à des
vers de la science-fiction : noms des formulées à partir des exemples catégorisations implicites. Mais parce
chasseurs (Jmm, Khrz), appareils présentés. qu’ils bénéficient d’un enseignement
futuristes (« sonarrelief »), évocation En premier lieu, la métacognition explicite et systématique sur le code
de l’entrée dans l’atmosphère d’une est de l’ordre d’une conscience de ce et qu’ils peuvent ainsi avoir accès à
autre planète par l’engin dans lequel qu’on fait lorsqu’on résout un pro- des procédures conscientes, leurs
se trouvent les trois chasseurs, y com- blème (au sens large, car comprendre apprentissages implicites deviennent
pris le narrateur (le texte est écrit à ou produire un texte, faire des mathé- de plus en plus efficaces, en lien avec
la première personne). Le safari a-t-il matiques, s’engager dans une une pratique fréquente de la lecture
donc lieu sur une autre planète ? démarche scientifique d’explication et de l’écriture.
On suit alors la traque d’une d’un phénomène sont des activités
« bête », d’abord débusquée de sa de résolution de problème). Aussi EXPLICITER LES BUTS ET LES
« tanière » avant d’être poursuivie. n’est-il pas étonnant que, pour favo- MOYENS
Le narrateur décrit les réactions de riser cette conscience, on propose aux Composante essentielle de l’activité
celle-ci, le « liquide rouge visqueux » élèves d’écrire et de discuter sur la et de la réussite de l’activité, la méta-
qui s’écoule de ses narines lorsqu’elle cognition doit donc faire l’objet d’un
est blessée, et ainsi de suite, sans étayage lors des séances d’apprentis-
oublier le plaisir ressenti par le chas-
Rendre leur lecture flexible, sage, et même constituer l’objectif
seur ou son étonnement face à cer-
c’est-à-dire modifier en cours principal de certaines séances. Mul-
taines réactions de sa proie. Il s’avère de lecture la représentation tiplions les occasions pour montrer
que les animaux chassés par ces qu’ils se font de la situation comment on s’y prend pour réussir
extraterrestres sont des humains, sans décrite. dans l’activité en cours, pour rendre
que cela soit jamais explicite dans le plus clairs aux élèves les concepts et
texte, qui épouse d’un bout à l’autre manière de s’y prendre. Tenter de les savoirs requis, pour expliciter et
le point de vue du narrateur. développer les capacités métacogni- faire expliciter aussi les buts poursui-
Le but du travail est ici d’aider les tives passe par des activités langa- vis, en termes d’apprentissages visés
jeunes lecteurs à rendre leur lecture gières, notamment d’argumentation. et d’activités mentales sollicitées, et
flexible, c’est-à-dire à modifier en non pas seulement de tâches par-
cours de lecture la représentation STRATÉGIES EXPLICITES tielles à accomplir et à entrainer.
qu’ils se font de la situation décrite, Quel est le rôle de la métacognition
lorsque des éléments nouveaux ne lors des apprentissages ? C’est une Peu d’enseignants aujourd’hui se
sont pas compatibles avec les images composante de l’activité mentale mise soucient d’apporter ou de susciter de
mentales qu’ils s’étaient construites en œuvre pour effectuer une tâche telles explicitations, comme le montre
d’abord. Cet animal « aux pattes complexe. Lorsqu’une tâche est une étude récente sur l’enseignement
antérieures larges », armé d’une simple, automatisée, on n’observe du lire-écrire au cours préparatoire[4].
« espèce de double tube ridicule […] pas de processus métacognitif : ainsi, Les pratiques de 131 enseignants ont
qui crache des boulettes métalliques lorsqu’on sait lire, récupérer en été observées pendant trois semaines
à grand bruit » ne peut pas être le mémoire la forme ou le sens d’un mot réparties sur les trois trimestres de
fauve auquel avait d’abord fait pen- et l’écrire ou le comprendre ; ou l’année 2013-2014. Parmi les données
ser le script attendu d’un safari. encore écrire un nombre entier recueillies figurait la fréquence de
lorsqu’on a acquis la valeur de posi- tâches donnant lieu à une ou plusieurs
CONSCIENCE ET CONTRÔLE tion des chiffres dans le système déci- explicitations (des buts, des concepts
Nous touchons à un autre aspect mal. Au contraire, pour un élève de ou des stratégies). Cette fréquence varie
de la métacognition, le contrôle de CP en cours d’apprentissage du sys- de un à quatre-vingt-cinq par semaine,
sa propre activité, ici de compréhen- tème d’écriture des nombres ou de la avec une moyenne de vingt-quatre ; la
sion en lecture. Les lecteurs efficaces combinatoire des lettres permettant moitié des enseignants observés se
modulent la vitesse de leur lecture, d’orthographier tel mot, voire du tracé situent à moins de vingt explicitations
reviennent en arrière pour ajuster des lettres, il s’agit bien de tâches par semaine. En va-t-il autrement à
leur représentation mentale aux nou- complexes, non encore automatisées. d’autres niveaux de la scolarité ? n
velles informations tirées du texte, Le recours à des stratégies explicites
évaluant la pertinence de cette repré- de résolution et de régulation de l’acti-
sentation par rapport à l’ensemble vité y joue alors un rôle.
des données. Les mauvais lecteurs Cela signifie-t-il que tous les 3 Sur la place des apprentissages implicites, ou
n’ont pas recours à ces stratégies apprentissages sont explicites et statistiques, dans le domaine de la langue écrite,
métacognitives de contrôle. réflexifs ? Non. Diverses études expé- on pourra relire avec profit l’article de Jean Émile
Gombert, « La place des apprentissages impli-
Outre les connaissances (quelles rimentales ont mis en évidence
cites », Cahiers pédagogiques n° 422, mars 2004.
stratégies appliquer pour résoudre l’importance des apprentissages
4 Voir Jacques Crinon et alii, « Clarté cognitive et
tel type de problème et comment les implicites. Ainsi par exemple, de apprentissage du lire-écrire au CP : quelles pra-
appliquer ?) et la régulation des acti- jeunes élèves de CP possèdent des tiques enseignantes ? », Pratiques n° 165-166,
vités, le champ de la métacognition connaissances sur le système ortho- 2015. En ligne : http://pratiques.revues.org/2586
L
Une tâche peut-elle être complexe
pour un élève mais pas pour un
es contributions réunies liques, culturelles ; elle s’inscrit plu- autre ? Inversement, une tâche objec-
dans ce dossier donnent tôt dans un temps long, avec l’idée tivement simple peut-elle finalement
à voir la richesse de la de plusieurs étapes à entreprendre ; s’avérer complexe, par exemple
notion de tâche com- elle vise à donner du sens aux quand elle demande la mobilisation
plexe, en termes de dis- apprentissages des élèves, notam- de savoirs non anticipés ou non
positifs d’enseignement, d’appren- ment par la construction de liens enseignés auparavant ? Ces questions
tissage et d’évaluation, dans des entre les activités en classe et des amènent déjà à considérer que la
contextes multiples, de la maternelle situations ou problèmes de la vie complexité n’est pas intrinsèque à
à l’enseignement supérieur, y com- la tâche, mais relative au couplage
pris pour penser la formation pro- La complexité n’est pas entre tâche et activité de l’apprenant
fessionnelle des enseignants. Elles dans un contexte socioculturel don-
illustrent parfaitement les orienta-
intrinsèque à la tâche, né (porteur de savoirs, de pratiques,
tions conceptuelles différentes que
mais relative au couplage de normes, de contrats plus ou
l’on retrouve dans l’abondante lit- entre tâche et activité de moins explicites, de significations
térature qui existe sur la notion de l’apprenant dans un contexte collectives). Le contexte social et
tâche, par exemple dans une socioculturel donné. matériel de la classe (entre autres)
approche didactique qui appréhende apparait déterminant, souvent pensé
la tâche comme un outil pour ensei- quotidienne ou de la société ; elle dans les articles en termes de colla-
gner matérialisant les savoirs en jeu, vise la responsabilisation de l’élève boration entre élèves et de res-
ou dans une approche de psycholo- et le développement de son autono- sources mises à leur disposition,
gie de l’apprentissage qui insiste sur mie ; elle s’inscrit dans un environ- parfois plus généralement en termes
les processus impliqués dans la réa- nement social et culturel qui lui est de communauté d’apprentissage.
lisation de la tâche par l’apprenant. constitutif. Dans ce contexte, un questionne-
Ces différentes approches sont sou- Si, à priori, une définition relati- ment des auteurs concerne la posture
vent combinées avec une approche vement partagée semble se dégager de l’élève qui, pour réaliser une tâche
ergonomique qui, entre autres, sou- des articles, il apparait très vite que complexe, doit accepter de ne pas
ligne la distinction à faire entre tâche les auteurs vont au-delà de la défi- immédiatement savoir, de construire
prescrite et tâche effective. nition des caractéristiques de la un autre rapport à la réussite, com-
Malgré leur diversité, la majorité tâche et l’associent à différentes parativement à des activités scolaires
des articles semble s’accorder sur notions : la compétence, la mobili- de mémorisation, restitution, appli-
un ensemble d’attributs qui carac- sation de ressources, le projet (qui cation. Quelles sont les difficultés
térisent la tâche complexe : il n’y a est souvent interdisciplinaire), la d’une telle posture pour les élèves ?
pas une seule et unique façon de la démarche d’investigation, la problé- Comment les accompagner ?
résoudre ; la tâche complexe néces- matisation ou l’idée de problème à Ce qui frappe en lisant ce dossier,
site la mobilisation de ressources résoudre, entre autres. Les dévelop- c’est que, pour la grande majorité
internes et externes de nature pements portent non seulement sur des auteurs, il s’agit de soutenir le
diverse, tant cognitives, sociales, la description de ces dispositifs et développement de la personne de
affectives, conative (engagement de leurs finalités, mais ils font égale- l’élève, au-delà des compétences
l’élève) que matérielles, symbo- ment la démonstration que ces dis- définies dans les programmes n n n
Relecture
nnn et plans d’études. Les auteurs réponses (certains les négocient pairs, avec l’enseignant). Mais
parlent de flexibilité de la pensée, d’ailleurs avec les élèves), et, plus quand impliquer l’élève dans cette
de créativité, d’esprit d’initiative, de généralement, un cadre au dévelop- évaluation formative ? Faut-il l’envi-
s’autoriser à penser autrement, de pement d’un apprentissage auto- sager dès le début de la séquence
faire des choix personnels, du gout nome et autorégulé. d’enseignement (pour une évalua-
d’apprendre, ou encore de savoir tion diagnostique par exemple) ?
travailler ensemble, pour ne citer UNE PÉDAGOGIE EXPLICITE, Comment le faire sans dévoiler les
que ces éléments. Ces compétences OUI MAIS COMMENT ? enjeux de la tâche complexe, sans
sont souvent associées à un discours Ceci amène à une préoccupation, donner un mode d’emploi qui
sur l’autonomie de l’élève. Dans récurrente tout au long du dossier, à décomplexifierait la tâche ? Et que
cette perspective, un autre champ propos des objectifs d’apprentissage faut-il évaluer ? Quelles formes
de compétences est également cité, visés par les tâches complexes, car d’évaluation privilégier ? Enfin, com-
relevant de la métacognition et de l’enseignant se doit d’être au clair ment articuler l’évaluation somma-
l’apprentissage autorégulé (pour avec ce qui est important d’apprendre tive chiffrée avec des évaluations
l’élève, se fixer des objectifs, contrô- (tant sur le plan disciplinaire, inter- soutien d’apprentissage ? Telles sont
ler l’avancement de son travail, por- disciplinaire que transversal) par les questions soulevées par ce dos-
ter un jugement sur les difficultés rapport aux programmes, plans sier qui apportent des éléments de
rencontrées et les moyens de les d’études et projet plus global de for- réponse à partir des pratiques que
surmonter, développer des stratégies mation de l’apprenant : les élèves les contributeurs ont expérimentées
d’apprentissage et de régulation). sont-ils parvenus à identifier les dans leurs classes ou dans des situa-
enjeux d’apprentissage ou ont-ils tions de formation professionnelle.
QUEL DEGRÉ D’AUTONOMIE ? détourné (sans le savoir) la tâche de
Les questionnements débouchent ses objectifs ? Car il ne suffit pas de Comme on le voit, les réflexions
sur la description de dispositifs expé- proposer aux élèves des tâches com- et problématisations, au sens de
rimentés dans des classes, en don- Michel Fabre, sont nombreuses et
nant à voir les nombreuses décisions riches, stimulantes pour penser des
enseignantes en termes de structu-
Il faut verbaliser les dispositifs d’enseignement, appren-
ration et d’organisation temporelle,
raisonnements et stratégies, tissage et évaluation qui s’appuient
matérielle (parfois numérique), les mettre en regard des sur des tâches complexes. En guise
sociale : à quel moment proposer moyens utilisés et des buts de conclusion, nous relèverons un
une tâche complexe ? Comment arti- visés, donner des repères dernier questionnement de plusieurs
culer des temps de travail individuels explicites aux élèves. auteurs : les tâches complexes sont-
et en petits groupes, et les temps elles adaptées à tous les élèves ou
collectifs de mise en commun, de plexes pour qu’ils infèrent correcte- risquent-elles de renforcer des iné-
construction collective ? Quelle arti- ment ce qui est attendu d’eux et galités entre eux ? Ce questionne-
culation concevoir avec un ensei- qu’ils développent les compétences ment éthique, mais aussi éminem-
gnement explicite ? Quel contrat visées. Les tâches complexes ne ment pédagogique, est crucial. Il
didactique et pédagogique construire garantissent pas non plus un transfert impose une mise à distance critique,
avec les élèves dans ces différentes dans les situations extrascolaires des- sans concession, auquel ce dossier
configurations, déterminant les rôles, quelles pourtant elles s’inspirent. contribuera certainement. n
les droits et les devoirs des uns et Un travail d’explicitation est indis-
des autres, les outils à utiliser, les pensable, de mise en mots, de
aides à solliciter, etc. ? confrontation, de soutien, de vali-
Les descriptions sont riches et dation, pensé dans une articulation
ouvrent certainement à des perspec- entre enseignement implicite et
tives d’innovation, y compris dans explicite. Autrement dit, il ne s’agit
le cadre d’activités à priori clas- pas seulement pour les élèves de
siques, qui se situent entre constance réaliser la tâche, encore faut-il des
et changement. Dans ces descrip- retours systématiques sur les diffé-
tions, on constate l’importance de rentes façons de la réaliser. Il faut
l’observation active de l’enseignant verbaliser les raisonnements et stra-
et de ses choix de différenciation tégies, les mettre en regard des
afin de soutenir au mieux les che- moyens utilisés et des buts visés,
minements singuliers de ses élèves. donner des repères explicites aux
Les auteurs ne s’accordent cepen- élèves et accorder aussi une atten-
dant pas tous sur la nature de l’inter- tion particulière au processus d’ins-
vention de l’enseignant. Pour titutionnalisation des savoirs en jeu.
quelques-uns, la tâche complexe doit Les auteurs qui considèrent qu’il
être « libre de consignes », ne pas est indispensable d’expliciter aux
énoncer les attendus ; les élèves élèves les objectifs d’apprentissage,
doivent les « deviner seuls ». Pour les critères d’évaluation et les indi-
d’autres, il n’est pas concevable de cateurs de réussite accordent une
ne pas communiquer les objectifs, importance toute particulière aux
les critères et indicateurs qui offrent démarches d’évaluation formative
un cadre à la justification de leurs dialogique et d’autoévaluation (entre
La place des tâches qu’on s’interroge sur ses moda- Une gymnastique
complexes dans la classe lités et finalités, pour le rendre de précision
inversée pleinement efficace.
Loïc Coudray
Marie Soulié Où l’on revisite la différenciation
La tâche complexe peut se com- Enfants conférenciers, pédagogique pour relever le défi
prendre comme un élément d’un une communauté de proposer des tâches complexes
ensemble plus vaste qui s’appuie d’apprenants sans mettre en difficulté les
fortement sur l’appropriation des élèves qui le sont déjà, ou que
connaissances et des démarches Christophe Blanc, Agnès nous percevons ainsi.
par les élèves d’un bout à l’autre Bourbonnais, Géraldine
de l’apprentissage. Quid du rôle Marchand, Martine
de l’enseignant, alors ? À lui de Troisfontaine, Marianne Apprendre à penser
concevoir des situations, brèves
Aurenche ce qu’on fait
ou de plus grande ampleur, et
des ressources qui permettront Dans le dispositif Enfants confé- Sylvie Grau
à tous d’arriver au but, en s’ap- renciers, les élèves d’une classe A Par « malentendus scolaires » on
puyant le plus souvent sur la viennent au musée travailler désigne les écarts entre les
coopération au sein des groupes. autour d’une dizaine d’œuvres. attentes de l’enseignant en
À charge pour eux de revenir termes d’apprentissages et les
deux mois plus tard pour guider représentations que certains
S’appuyer sur l’oral leurs pairs, des élèves d’une élèves se font de l’activité deman-
classe B. Un trinôme d’élèves de dée. En prendre conscience doit
Shahin Ait-Aissa
la classe A prendra alors en amener l’enseignant à modifier
La présence nécessaire et évi- charge un trinôme d’élèves de la ses pratiques pour ne pas accen-
dente de l’oral dans les tâches classe B pour effectuer une visite tuer les inégalités.
complexes demande pourtant en autonomie.
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PERSPECTIVES Etcheztoiçava?
“ Qui suis-je ?
”
C
onsigne : « Répondez à la question “Qui suis-je ?”, Élève 1 : Mais non, je suis pas intolérant !
en vous interrogeant sur votre identité, vos gouts, Professeur : Ne pas aimer les gens différents de toi
vos peurs, vos origines, etc. » juste parce qu’ils sont différents, c’est de
Élève 1 : « Madame, je peux écrire “j’aime pas les l’intolérance !
homosexuels” ? Élève 2 (laconique) : Moi, j’aime bien les
Professeur : Tu peux écrire “je suis intolérant” dans lesbiennes. »
tes défauts. Éclat de rire général. Ah, les hormones… n
“ Mes appréciations
”
P
our ma première année de suppléance, tout était d’un exercice. Je n’ai pas fait le lien tout de suite
nouveau. J’allais assister à mon premier conseil avec la remise des carnets. De plus, en corrigeant
de classe, côté enseignante, cette fois. Pour ce leur dernier devoir, je me suis rendu compte que le
baptême, j’ai choisi d’être très précise et bienveillante travail était nettement
dans mes appréciations. Mettre un point négatif et meilleur. Je me suis rendu
un point positif et encourager, m’a-t-on dit. Je ne l’ai Un sujet plus intéres- compte que le travail
d’ailleurs peut-être pas assez entendu chez les aguerris sant pour eux ? Sans
du métier. Mais je me suis appliquée, en reprenant doute. Un rythme de tra-
était nettement
chacune des appréciations des devoirs passés, en vail plus rodé ? Certaine- meilleur.
tâchant de me remémorer chaque comportement et m e n t . M a i s j e res t e
progression en classe. Toujours avec le souhait que convaincue que mes appréciations fournies et bien-
l’élève, même celui qui a pris le plus mauvais départ, veillantes, gentiment raillées par mes nouveaux col-
puisse changer de cap et se mettre à travailler. lègues, ont eu un impact bénéfique, favorisé à la fois
J’ai été assez surprise, une semaine plus tard envi- une prise de conscience et de confiance en soi per-
ron, de voir s’installer rapidement des élèves plus mettant à certains de réagir positivement. Le chemin
réceptifs et attentifs. Plus étonnée encore lorsqu’un est encore long dans mon apprentissage, mais je me
élève, qui ne s’était que peu manifesté jusqu’à pré- réjouis de ce premier résultat. n
sent, s’est proposé pour intervenir au tableau lors
À VOS PLUMES ! Pour parler du métier tel que vous le vivez, évoquer ses moments de crise ou de plaisir, saisir sur le vif le quotidien ou
l’extraordinaire, prenez contact avec nous en envoyant vos écrits à agnes.berthe@cahiers-pedagogiques.com
mienne ! » lors d’un travail de dictée négociée l’année s’éduque ». Elle a commenté : « L’éducation et le débat,
dernière, ou bien, à l’occasion de l’annonce de la ça sert à ce que les gens en France soient moins débiles
victoire de la classe à un petit défi lecture intercol- et puissent être plus forts ensemble. Par exemple, face
lèges, « c’est normal qu’on ait gagné, les autres, c’est aux Chinois. » Je lui ai signalé que de mon point de
que des Segpa (sections d’enseignement général et vue, Onfray ne parlait pas des Français, mais des
professionnel adapté !) ». hommes et des femmes en général. Haussement
Lisa a apprécié Onfray, elle a beaucoup souri. Elle d’épaules. C’est déjà ça. n
a relevé notamment « autrui », « le cerveau, ça
“ La lampe brisée
” Je sentais que cela
J
e me rappelle cette fin d’année 1973, ma première maladresse ? Un crochepied ?
année d’enseignement comme si c’était hier, au circulait bien entre Mon cadeau était en mor-
collège Les Cotterets, à Fougères. les élèves. ceaux. Yannick s’est mis à
Je sentais que cela circulait bien entre les élèves, pleurer, la classe à gronder
des messages à voix basse, des papiers, des cachote- le malheureux garçon. Nous avons rassemblé le tout,
ries : j’ai fait comme si je n’avais rien vu. une magnifique lampe émaillée aux couleurs pastel
Le jour venu, les élèves m’ont dit qu’ils voulaient rose, bleu et vert, en fait une grotte marine avec des
tous me parler ; avec plein de sourires, ils m’ont remer- coquillages.
ciée du travail que nous avions fait ensemble. Ils se Je n’ai pas réussi à consoler la classe. Ils se sont à
sont ensuite tournés vers le fond de la classe, avec plein nouveau cotisés pour m’offrir, le dernier jour, une
de sourires. Le grand moment allait commencer. charmante petite carafe en terre cuite et ce n’est pas
Yannick T. (je me souviens bien de son nom et de Yannick T. qui me l’a donnée.
son visage, un adolescent tout en bras et en jambes, L’émotion est intacte, une de mes plus fortes émo-
un peu vouté), rouge d’émotion, s’est alors levé. Il a tions professionnelles. J’en ai encore le sourire aux
remonté l’allée avec un gros paquet dans le bras et lèvres. n
s’est effondré dans un bruit d’assiettes cassées. Une
mention AB au DNB (diplôme national du brevet) Alors là, ma tête explose ! J’ose un « et qu’en fais-tu
en fin d’année ». Quand elle surprend ma mine si c’est anonyme ? » Elle me répond : « Tu sais très
déconfite, elle ajoute : « Quand je dis mention TB au bien ce que cela veut dire chez un ado : l’anonymat,
DNB, je dis aussi mention TB au bac, et personne ne on finit toujours par savoir le nom de la personne. »
va me contredire. Je suis J’ose encore. « Mais qu’en fais-tu de ces écrits ? » Je
C’est la première dans ce collège depuis très l’agace, je sens l’animosité s’installer. Elle me répond :
longtemps. » « Je gère tout, je n’ai besoin de personne. Ils savent
réunion où aucun C’est la première réunion qu’ils peuvent compter sur leur professeure principale. »
collègue n’ose parler. où aucun collègue n’ose par- J’essaie encore : « En cas de révélation, nous avons
ler. Et pour finir cette pièce l’obligation de parler, nous sommes une équipe. » Elle
de théâtre, elle annonce qu’elle met en place dans sa me coupe : « Non, moi je gère. » Je lance des regards
classe une boite où chaque mois les élèves écrivent, à la collègue psychologue : silence de son côté.
s’ils le souhaitent, anonymement ou pas, tout ce qu’ils La sonnerie retentit, les collègues partent. Et moi,
veulent. « Les élèves le savent. Je suis un prêtre. S’ils je suis atterrée. J’ai la tête qui bourdonne et le ventre
notent de ne rien dire, ils savent que je ne dirai rien. » qui se serre. L’année sera longue. n
MONICA LEVY. Professeure de mathématiques et référente décrochage scolaire, lycée Senghor, Magnanville (78)
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La rubrique « Faits et idées » présente des sujets remarqués à la rédaction les semaines
précédentes, témoignages, portraits, faits d’actualité, prises de position, etc.
Dans ce numéro, nous vous proposons un entretien avec Viviane Bouysse sur l’articulation
entre recherche et enseignement, une sélection de livres jeunesse sur le thème de l’immigration,
et la présentation de notre hors-série numérique gratuit destiné aux enseignants débutants
et téléchargeable.
Les relations entre enseignants et chercheurs sont souvent pluraliste, pourquoi pas au sein du
compliquées. Quel est votre point de vue ? conseil supérieur des programmes,
Je résumerai ici mes propos lors du colloque. Dans en fonction des connaissances vali-
les métiers de l’enseignement, nous avons en partage, dées (provisoirement, donc de
me semble-t-il, des convictions quant à l’importance manière révisable). Aujourd’hui, par
de la connaissance : décider sans savoir ne serait pas exemple, on pourrait poser à ce titre
une marque de professionnalisme, ne pas vouloir l’obligation de travailler le code et
savoir non plus ; et quand on réclame plus de la combinatoire dans l’apprentissage
recherche en éducation, ce n’est pas pour n’en rien de la lecture au cours préparatoire,
faire quand elle apporte des savoirs validés. Aussi les modalités restant au choix des
peut-on dire que la connaissance éclaire la pratique, enseignants.
elle ne la dicte ni ne la fonde. « La science parle à Philippe Meirieu, dans une autre
l’indicatif, pas à l’impératif », pour rappeler Poincaré. conférence du colloque de la Fname,
Pour l’enseignement, les savoirs sur lesquels nous faisait le lien avec mon propos, en
nous appuyons renvoient à une pluralité de sciences soulignant la part que pourraient avoir les ensei-
de référence que l’on peut classer en trois grandes gnants dans la recherche en éducation qui me semble
familles (je reprends là une typologie utilisée par actuellement souvent très descendante (quand les
Roland Goigoux) : les neurosciences, les sciences du résultats parviennent jusqu’aux praticiens) et non
comportement (psychologie cognitive et psychologie motivée par des questions (voire des hypothèses)
du développement ; sociologie ; sociolinguistique) et des acteurs de terrain.
les sciences de l’intervention (didactiques discipli- La connaissance Au-delà, sans vouloir
naires et professionnelle ; pédagogie ; sciences de faire des enseignants des
éclaire la pratique,
l’éducation). chercheurs, il me semble
Pour faire apprendre, chaque élément de la situation
elle ne la dicte que leur posture profes-
et du contexte a un effet sur ce qui se produit. Le ni ne la fonde. sionnelle peut intégrer
système mis en place travaille à la fois sur l’organi- un esprit de recherche,
sation didactique (savoirs de référence, disciplines, dans lequel joueraient une curiosité investigatrice
didactiques) et sur l’organisation des apprentissages et une conscience réflexive plus développée encore,
(pédagogie), et cela dans un collectif (à la différence et un autre facteur important, le dialogue avec
de la médecine qui traite des cas toujours isolés) lui- d’autres (croiser des idées en parlant des mêmes
même inclus dans un système social qui instruit iné- phénomènes ; confronter des raisonnements spon-
galement les enfants et, phénomène important, dans tanés ; cultiver « la proximité critique », comme le
le temps. Pour agir avec pertinence, il faut articuler dit Bruno Latour).
ce qui a été séparé pour le temps de la recherche, d’où
une information nécessairement multiréférencée. Comment vous situez-vous dans le débat sur les apports
Il serait hypocrite de ne pas évoquer l’ambigüité possibles des neurosciences ? Vous avez notamment dit qu’il
persistante de la notion de « liberté pédagogique » y a des choses qu’on ne peut ignorer, qu’on ne peut pas faire
qui, mal comprise, peut être un refuge pour ne pas comme si on ne savait pas.
changer, quand il serait nécessaire de le faire. Elle L’influence du paradigme des neurosciences ne
crée une responsabilité, celle de faire les choix les cesse de croitre et l’on ne peut l’ignorer dans les
plus éclairés adaptés à la situation. J’ai utilisé la notion recherches utiles à l’enseignement, voire à l’éducation
de « références opposables » pour évoquer des en général. Les neurosciences sont un domaine vaste,
contraintes qui pourraient être posées au sein même puisque les travaux portent sur les mécanismes cogni-
des programmes dans certaines conditions ; elles pour- tifs et aussi sur les fonctionnements émotionnels
raient être déterminées par un « conseil scientifique » impliqués dans les apprentissages.
Aujourd’hui, pour ne citer que quelques exemples, n’intervient pas assez systématiquement, ou de mots
il me semble qu’il y a consensus sur l’importance écrits de manière erronée qui restent sous les yeux
d’un travail systématique et structuré sur le code et d’une classe une journée durant, voire plus dans les
la combinatoire au début de l’apprentissage de la affichages. Qu’apprennent par exemple des élèves de
lecture, sur l’importance d’une éducation précoce des cycle 2 dans ces lectures processionnaires à haute
fonctions exécutives (l’attention, la mémoire, la pla- voix, s’ils entendent durablement leurs camarades
nification, l’inhibition, etc.), sur l’importance de ânonner et maltraiter les mots ?
comportements bienveillants en éducation (ce qui ne Le travail sur l’erreur est une affaire complexe : les
signifie nullement le laxisme). erreurs des uns devenues publiques peuvent en effet
Mais les neurosciences ne nous donnent pas de mode contaminer le groupe (je reprends à mon compte
d’emploi ; quand on passe au registre du faire, on est l’image évoquée par « erreurs virales »), dont des élèves
dans un domaine que l’on peut qualifier d’application qui ne les auraient pas commises spontanément.
et là, il faut réarticuler les apports de ces sciences qui,
comme les autres, travaillent en opérant des coupes Vous insistez beaucoup sur la métacognition, les activités
dans le réel, avec d’autres apports, compte tenu de la réflexives. Peut-on vraiment les mettre en place très tôt, dès
complexité de la scène enseignement-apprentissage. l’école maternelle ?
L’exposé d’Olivier Houdé, lors du congrès de la Il est important que les enfants soient initiés très
Fname, ouvre à mes yeux des pistes de travail qui tôt à cette forme réflexive de l’activité, ce qui se pra-
articuleraient de manière très féconde les apports des tique d’ailleurs dans les familles que certains cher-
neurosciences et les didactiques : la tension qu’il décrit cheurs qualifient de « relationnelles » où les activités
entre les « heuristiques » (des stratégies très rapides font l’objet d’échanges avec arguments et commen-
et très efficaces dans certaines situations) et les « algo- taires. En section de
rithmes » (des stratégies plus lentes, réfléchies, qui petits, l’activité réflexive
supposent donc un effort cognitif, toujours efficaces)
Le collectif classe est souvent d’abord celle
renvoie, dans de nombreux cas, à ce qu’on traite est un milieu dont on du maitre qui pense à
comme un dépassement nécessaire d’obstacles n’a pas fini d’étudier haute voix devant les
didactiques. la complexité. enfants en se mettant à
Ce dépassement, c’est ce qu’Olivier Houdé aborde leur portée ; ce mime
de fait en parlant de « l’inhibition » ; il faut déconstruire d’un acte mental invisible est important. Elle devient
l’heuristique devenue dominante à un moment pour celle des enfants, soit en anticipation d’une activité
faire accéder à des acquis sûrs. L’identification de ces à venir, soit, à postériori, en bilan d’une activité réa-
obstacles (non provoqués par des erreurs dans les lisée. Alors la prise de conscience de ce qui est connu
démarches d’enseignement mais inhérents à la matière (savoir que l’on sait) ou de démarches pour réussir
même enseignée à une étape du cursus) et des algo- est possible.
rithmes pertinents, relève précisément du travail des
didacticiens. N’est-ce pas ce qui devrait être au cœur Question d’une maitresse E : que pensez-vous de l’idée
des formations, ce qui l’est peut-être sans que ce soit actuelle selon laquelle les regroupements seraient stigma-
explicite ? Une illustration de cette problématique tisants et n’auraient que des effets négatifs sur les élèves,
pourrait être donnée avec le « saut » cognitif qu’exige au regard de ce besoin de temps qu’ont les enfants et, plus
la découverte des nombres décimaux après l’expertise encore, les enfants en grande difficulté ?
acquise sur les nombres entiers ; ce travail relève plei- Je ne pense pas qu’il soit possible de généraliser :
nement de la didactique. les maitres spécialisés, plus que les autres sans doute,
On se dit parfois que les neurosciences explicitent savent à quel point les cas sont différents. Tout effort
ce qui agit à travers ce que l’on fait déjà sans le savoir, fait en faveur de la résolution des difficultés d’un
mais c’est toujours mieux de savoir ce pourquoi ce élève qui s’appuie sur une analyse précise de la situa-
que l’on fait peut être efficace ou pas. C’est une autre tion (identification de la nature et de l’origine des
porte d’entrée dans l’univers des savoirs profession- difficultés) peut être productif si les apports de tous
nels, qui apporte un nouvel éclairage et suggère des les intervenants sont articulés au sein d’un projet et
extensions possibles. si l’on est parvenu à ce que l’enfant soit partie pre-
nante de ce projet. L’objectif étant toujours l’autono-
Vous avez évoqué le rôle des erreurs. Certes, elles sont une mie de l’élève en situation scolaire réelle, il faut que
étape dans l’apprentissage, mais vous avez aussi parlé de le désétayage soit effectué, que l’enfant n’ait pas à
ces erreurs « virales » qui, finalement, peuvent se répandre effectuer seul le transfert d’acquis d’une situation (le
dans la classe si le maitre n’y veille pas. regroupement extérieur à la classe) à l’autre ; la tran-
J’ai évoqué le rôle des erreurs incidemment, en lien sition doit être sécurisée quand les prises en charge
avec un apport des neurosciences qui insiste sur ont été externalisées, et cela implique autant le maitre
l’importance de « messages d’erreur » non différés de la classe que l’intervenant spécialisé. n
pour éviter que celui qui apprend apprenne l’erreur Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
n Pour commencer
Extraits de l’avant-propos des coordonnateurs. Yannick Mével, enseignant d’histoire-géographie, formateur à l’ESPE (école supérieure du profes-
sorat et de l’éducation) Lille-Nord de France et Dominique Seghetchian, professeure de français en collège.
U
ne certitude : le métier d’enseignant ne pourra Lorsqu’on débute, la première préoccupation est
vous être livré clés en main ! Mais il serait vain d’apprivoiser l’environnement, d’aménager l’espace,
de s’en tenir à des formules comme « avec l’expé- d’installer et ancrer la bonne relation, de construire
rience vous apprendrez » ou « il n’y a pas de bonnes sa posture professionnelle. C’est au cœur de la pre-
réponses, seulement de bonnes questions ». Certes, mière partie.
l’enseignant est généralement seul dans sa classe, res- La deuxième partie du dossier envisage une préoc-
ponsable des élèves et de leurs apprentissages (lourde cupation qui apparait très vite quand on débute : qu’on
responsabilité, belle responsabilité), mais il gagne en la nomme « autorité », « gestion de classe », « climat
confort, en efficacité et en bonheur professionnel scolaire » ou plus simplement « relation avec les
lorsqu’il se tourne vers des collègues et des partenaires, élèves », particulièrement ceux qui apparaissent comme
tant pour rechercher leur appui que pour partager avec résistants. Comment reconnaitre et identifier leurs dif-
eux pratiques ou projets. ficultés, accompagner les Pinocchio pour qu’eux aussi
Les auteurs de ce dossier occupent des fonctions apprennent ?
variées, ils sont en début ou en fin de carrière, leurs Dans une troisième partie, les auteurs proposent des
propositions prennent aussi les formes les plus diverses : situations d’enseignement susceptibles de répondre à
fiches conseils, témoignages, écrits collaboratifs, etc. cette préoccupation fondamentale : faire apprendre tous
La sincérité des témoignages est rassurante : vous les élèves sans renoncer à l’exigence.
n’êtes pas seul à connaitre tel problème, il n’est pas Enfin, une dernière partie ouvre des pistes et présente
en vous, c’est une problématique professionnelle à des ressources pour sortir de l’isolement, dans une
apprivoiser avant de la maitriser. De nombreuses démarche volontaire de formation initiale ou continue.
contributions fournissent une multitude d’outils pour Il s’agit ici de cette autoformation qui vient compléter,
le court et moyen terme, ainsi que des pistes à creuser, poursuivre et parfois compenser (pour ceux qui entrent
des espaces à explorer dans un deuxième, voire un dans le métier sans formation initiale notamment) le
troisième temps. travail entrepris par la formation professionnelle insti-
tuée (dans les ESPE, les circonscrip- l’importance). Nous présentons CRAP-Cahiers pédagogiques prend toute
tions, les établissements formateurs ; quelques choix parmi les ressources sa place. n
l’accompagnement par les tuteurs dont multiples dans l’univers numérique
l’ensemble du dossier montre toute comme dans un monde associatif où le
C
onnaissez-vous l’histoire de breux sont les enseignants qui se recon- tenter de mieux connaitre l’enfant qui se
Pinocchio ? Le conte de Collodi naitront en Gepetto. Certes, tous les cache derrière l’élève, de voir l’école avec
peut être lu comme une méta- élèves ne résistent pas de la même ses yeux à lui et de lui donner la parole.
phore de la relation pédagogique, en manière, et il s’en trouve même bon Comment ? En rédigeant un petit texte
ce qu’il met en scène le cœur de toute nombre qui entrent laissant la parole à
situation éducative : la tension inévi- volontiers, et même avec Pinocchio. Le stage ter-
table entre le projet éducatif de l’adulte plaisir, dans les intentions miné, chacun a amené
et la résistance légitime de l’élève. éducatives que l’on a son Pinocchio et lit aux
Tout commence dans l’atelier de maitre pour eux. autres le texte rédigé au
Cerise, le menuisier du village, qui trouve Faire face sereinement préalable.
dans sa réserve une simple buche de bois aux résistances des « Bonjour, je m’appelle
ordinaire, dont il décide de faire un pied élèves alors qu’on veut Aurélia, j’ai 7 ans. Et
de table. Mais à sa grande stupeur, la leur bien, et comprendre aujourd’hui, je suis
buche se met à crier au premier copeau. cette tension non comme contente de vous parler de
Maitre Cerise se remet au travail, mais un accident fortuit mais moi. Je recommence mon
la buche poursuit ses cris et ne se laisse comme une part de année, car j’ai du mal à
pas tailler. C’en est trop pour le menui- l’ADN du métier, voilà travailler et à me concen-
sier, pris d’épouvante face à cette situa- sans doute l’une des dif- trer. J’ai sans cesse besoin
tion surnaturelle. On frappe à sa porte : ficultés majeures que de gigoter, de chipoter et
c’est Gepetto, un vieux compère et voisin. rencontrent nos étudiants de me lever. J’ai du mal
Trouvant le temps long, il a eu l’idée de en formation initiale. à rester assise. »
confectionner un pantin et s’est mis à la Car lorsqu’on est sta- « Bonjour, moi, c’est
recherche d’un bout de bois pour mener giaire ou débutant, on est Noah. Aujourd’hui,
Photographie Christian Watthez
à bien son projet. Maitre Cerise a tôt fait d’abord centré sur son maman m’a encore réveil-
de se débarrasser de la gêneuse récalci- propre devenir et sur sa lé pour aller à l’école. Je
trante, qui ne se laisse pas davantage propre action. Dans ces ne comprends pas pour-
façonner par Gepetto. conditions, difficile de quoi je dois y aller :
vivre avec sérénité et l’école, c’est nul. Les
DU BOIS DONT ON NE PEUT détachement l’opposition, autres enfants se moquent
RIEN FAIRE parfois agressive, d’un de moi, parce que je ne
À chaque étape de la création du pan- élève. Comment amener sais pas faire les mêmes
tin, Gepetto voit son travail payé d’ingra- les étudiants à voir en l’élève résistant choses qu’eux. »
titude : à peine a-t-il fini la bouche qu’elle non plus un empêcheur d’enseigner, Au fil des lectures, apparaissent ainsi
se moque de lui et lui tire la langue, la mais plutôt un défi à relever, un levier des visages d’enfants en marge de
main, qu’elle lui tire les cheveux, la qui fera grandir professionnellement ? l’école ; à la fois tous différents et très
jambe, qu’elle lui assène un méchant souvent semblables par la souffrance
coup de pied. Et pourtant, Gepetto ne À CHACUN SON PINOCCHIO qui se cache derrière la rébellion ou le
désire rien d’autre que le bonheur de Je leur lis quelques extraits des trois découragement.
son pantin, en le libérant de sa condition premiers chapitres du roman de Collodi. « Nos Pinocchio, qu’ont-ils en com-
brute de buche mal dégrossie. C’est une révélation : aucun étudiant ne mun ? Qu’ont-ils de différent ? Comment
« Et il est vrai, nous dit Philippe Mei- soupçonnait l’existence d’un autre les aider à mieux vivre leurs journées
rieu, qu’il est parfois difficile de croire Pinocchio que celui de Disney ! Une d’école, à mieux entrer dans leur métier
que l’autre, celui que l’on veut éduquer, discussion s’engage sur le parallèle entre d’élève ? » Nous tentons de prendre du
faire entrer, pour son plus grand bien, le destin scolaire de certains élèves et recul en mettant des mots sur les res-
dans la communauté des hommes, l’histoire de cette buche qui ne se laisse sentis de chacun face à son Pinocchio.
puisse exister en face de nous, résister pas façonner, entre la rébellion de Pinoc- Ce travail d’empathie a bougé quelque
et parfois même souffrir de notre entre- chio et la résistance de certains enfants chose au plus profond de chaque sta-
prise émancipatrice[1]. » face aux attentes de l’enseignant. giaire. Et même si certains ont rencontré
Mais Gepetto ne se résigne pas et Mais au fait, des Pinocchio, en plus de difficulté que d’autres à voir
poursuit son œuvre patiemment, avec comptent-ils parmi leurs élèves ? Chacun l’école avec les yeux de Pinocchio, tous
détermination et bienveillance. Nom- choisit son propre Pinocchio, un enfant ont été marqués par ce déplacement de
de la classe pour qui il n’est pas facile point de vue. n
d’entrer dans le métier d’élève. Le but Christian Watthez est maitre assistant au département
1 Philippe Meirieu, Frankenstein pédagogue, ESF édi- pédagogique HELHa, de Leuze-en-Hainaut (Belgique)
teur, 1996. est de prendre le temps du stage pour
La complexité ou la mode
Quand le praticien oublie la complexité du réel
A
ujourd’hui, le modèle de la l’inéluctable reproduction à la marge
pensée complexe est la sys- de l’acteur dans le microsystème. On
JANVIER 1995. À la témie. Une dérive pédago- chemine de la démocratie à la Répu-
télévision, la journaliste Arlette gique, c’est une variable iso- blique. Après Alain Savary, Jean-Pierre
Chabaud demande à Jacques Chirac lée du système, et considérée Chevènement. Quand on a trop libéra-
s’il maintient sa candidature à comme dominante dans l’explication et lisé, on revient au caractère structurant
l’élection présidentielle qui aura lieu l’action : un délit d’antisystémie. de la loi. Quand tout était politique,
en mai. C’est que les sondages le Croire qu’on va remplacer le maitre tout redevient pédagogique. Quand on
donnent largement perdant ! Chirac par les nouvelles technologies d’ensei- a privilégié le relationnel, c’est le
semble passé de mode. Pourtant, il gnement, alors que reste nécessaire sa méthodologique qui pointe son nez.
l’emportera. Certains prétendent que médiation ; que tous les élèves vont Quand on a trop fait dans la méthodo-
ce candidat sans programme a été réussir avec des méthodes plus actives, logie transversale, on recentre sur les
porté par le succès médiatique de sa alors qu’elles favorisent davantage les savoirs précis, etc.
marionnette des Guignols de l’info : plus favorisés ; qu’on va résoudre les Le retour du balancier, c’est la
de « putain deux ans ! » à « mangez difficultés de l’école avec des maitres revanche de la variable oubliée. Et
des pommes ! », cette marionnette théoriquement mieux formés, ou avec comme dit Jean Houssaye, celles que
aurait renversé le regard des des enseignants rompus à la dynamique l’on condamne à faire les mortes feront
électeurs sur l’homme : de de groupe ; que la différenciation par les folles. On renverse donc la domi-
l’ambitieux ringard au brave type les fonctionnements intellectuels rend nante, préparant d’autres dérives.
sympa. Et de dénoncer là une Le deuxième effet pervers est le rejet
dangereuse dérive de la politique et
Le retour du du bébé avec l’eau du bain : condamner
un principe essentiel ou un pôle indis-
des médias. Au cœur de leur temps,
comme il se doit, les Cahiers
balancier, c’est la pensable au nom d’une dérive possible
pédagogiques interrogent également,
revanche de la ou constatée. L’abus du saucissonnage
dans le dossier du mois, les « modes
variable oubliée. de la pédagogie par objectifs comporte-
et dérives en pédagogie ». Jacques mentalistes fait dénigrer toute approche
André et Cécile Delannoy, qui secondaire la prise en compte des dif- par objectifs. On condamne l’évaluation
coordonnent le dossier, l’ouvrent férences socioculturelles, etc. formative, parce que certains passent
ainsi : « Souffler dans le sens du vent L’antidote intellectuel à la dérive plus de temps à évaluer qu’à faire
“antisciences de l’éducation”, qui pédagogique passe par deux principes : apprendre (évaluationnite). On critique
souffle parfois fort dans les milieux distinguer ce qui ne doit pas être les réunions de concertation, parce
journalistiques, dans certains cabinets confondu. L’autorité et l’arbitraire, qu’elles peuvent dégénérer en réunion-
ministériels, dans les milieux l’autodiscipline et le laxisme, l’ensei- nite inefficace. On fustige la différencia-
universitaires, dans certains milieux gnement et le gavage, la formation et tion parce que, prenant acte des diffé-
politiques, ce serait céder aussi à une l’animation socioculturelle, ce qui relève rences, elle risque de ne pas chercher à
mode ! » Ne pourraient-ils pas écrire de mon pouvoir effectif dans une classe, les dépasser. On refuse l’idée d’une
exactement les mêmes mots qui est de ma responsabilité, et ce qui didactique de la philosophie, parce
aujourd’hui ? Et l’article signé par relève de l’environnement familial et qu’elle pourrait subordonner cette dis-
Michel Tozzi que nous reproduisons social, qui me dépasse et ne doit pas cipline aux sciences de l’éducation, etc.
ici, ne pourrait-il pas servir à me culpabiliser, etc. ; le deuxième prin- La possibilité même d’une dérive
interpréter certains effets de langage cipe consiste à articuler ce qui ne doit discrédite ce dont elle est la dérive. La
d’aujourd’hui autour des pas être séparé. Car les faux problèmes paresse intellectuelle refoule un élément
neurosciences, et certains résident dans une pensée antidialec- en avançant comme antidote un autre
engouements remplis de confusion tique, qui procède par dichotomies élément jugé essentiel, mais qui pourra
sitôt qu’est prononcé le nom exclusives et abusives : l’instruction ou lui aussi dériver !
magique de Maria Montessori ? l’éducation, la pédagogie générale ou Comme toute démarche rigoureuse,
Michel Tozzi nous rappelle ce qui fait les didactiques disciplinaires, la forme la recherche en éducation fait des hypo-
l’objet du dossier que le lecteur a ou le fond, l’universalité de la raison thèses, construit des théories, crée des
aujourd’hui entre les mains : chaque sans prise en compte des différences, concepts. Les concepts s’expriment,
dérive procède d’un renoncement ou la prise en compte des particularités comme produits de la pensée, dans et
paresseux à la pensée complexe. sans visée de l’universel. par le langage. La formation, en diffu-
YANNICK MÉVEL Faute de quoi, on se heurte à deux sant les concepts de la recherche péda-
effets pervers. Le premier est le retour gogique, fait donc circuler des mots.
du balancier. Si l’on veut faire de l’édu- Des mots nouveaux, qui, par cette nou-
cation, on rappelle qu’il faut de l’ins- veauté, vont créer des effets de mode.
truction. On passe de la sociologie de Venant de la recherche, ce vocabulaire
La Défense enflammée, Thomas Paris, photographie, juin 2012. « Je vais souvent chercher au loin l’inspiration, mais la trouve
parfois à côté de chez moi : ce soir-là, j’avais droit à un concert de reflets du coucher de soleil sous la Grande Arche et sur les
immeubles de l’esplanade. J’ai cherché une composition qui apporterait un peu d’ordre à ce qui aurait pu être une cacophonie et
ai construit cette image, qui reste pour moi une des plus belles preuves que la magie existe. » https://www.thomasparisphoto.fr
G
premier degré, formé les râce au nouveau concept, original à monter un projet,
enseignants et mené des et stimulant, proposé par l’édi- mais il n’est pas
recherches sur leur activité
quotidienne. Dans cet ouvrage, il
teur, nous avons là un exemple toujours sûr qu’elle
s’intéresse à la classe et à ses éclairant de ce que peut produire un soit efficace sur le
principaux « formats chercheur rigoureux et sans complai- plan des savoirs. Ni
pédagogiques » (le cours dialogué, sance, mais jamais donneur de leçon. l’utilisation du
le travail individuel écrit et la André Tricot a beaucoup de sympathie, numérique, ni l’in-
lecture collective au tableau) hier
et aujourd’hui, dans l’intention de il nous l’a souvent dit, pour les mou- version de la classe
les changer demain. vements pédagogiques comme celui qui ne constituent des
publie les Cahiers pédagogiques, mais panacées.
C’était mieux avant ! pour autant, il sait qu’en éducation, En fait, André Tricot étudie surtout
Michel Serres, éditions Le
Pommier, 2017
rien n’est simple et que les bonnes les conditions dans lesquelles cela peut
Dans ce savoureux petit livre,
intentions ne suffisent pas. C’est pour- apporter un plus, sans tomber ni dans
Michel Serres ne parle pas de quoi il fait le point, en croisant de nom- la technophilie ni dans le refus de
l’éducation ou le fait par allusions, breuses études (souvent en anglais), l’informatique, bien sûr. L’approche
mais, dans le contexte présent des sur une série de dispositifs, méthodes, par compétences, qui permet bien de
montées du déclinisme, comment manières de travailler en classe qui se fixer des buts à un enseignement et de
ne pas signaler cette apologie du
« bel aujourd’hui » et ce rappel du veulent innovants, en s’interrogeant sur repérer progrès et difficultés chez les
monde dur que pouvait être « le leur efficacité à court et long terme. Et élèves, pose cependant de redoutables
bon vieux temps » ? c’est la grandeur des pédagogues que problèmes dont sont conscients, d’ail-
d’accepter ce genre d’interpellations leurs, les enseignants qui s’y mettent,
Les pédagogies
qui conduisent à affiner les choses, à passé une phase d’enthousiasme du
alternatives pour les nuls
Catherine Piraud-Rouet, se méfier des dérives, à ne pas être pri- néophyte.
éditions Les Nuls, 2017 sonnier de croyances confondues avec Au fond, la notion d’« innovation »
Un ouvrage documenté, avec un des savoirs ou à ne pas tomber dans le ne ressort pas indemne de ce livre, que
regard très positif, sur ces dogmatisme qui refuse la diversité et seule une lecture paresseuse pourrait
pédagogies dites alternatives, donc la complexité. considérer comme une remise en cause
parfois si décriées. Certains qui
André Tricot, qui travaille à l’ESPE des pédagogies actives et centrées sur
s’expriment à tort et à travers sur
l’éducation et la pédagogie (école supérieure du professorat et de l’apprenant. Dans son introduction,
pourraient mettre à jour leurs l’éducation) de Toulouse et au labora- l’auteur précise : « Ce n’est en aucun
(faibles) connaissances en lisant toire Cognition, langues, langages, ergo- cas un livre contre l’innovation pédago-
ce livre pour être un peu moins nomie, examine ainsi un certain nombre gique que vous avez entre les mains.
« nuls ».
d’assertions, non pour les remettre C’est simplement une analyse critique,
« Musique et forcément en cause, mais pour relati- fondée sur l’idée que l’enseignement
éducation » viser leur portée, pour les mettre à dis- peut relever d’une certaine rationalité
dossier de la Revue tance, le chercheur étant là souvent et, à ce titre, subir ou bénéficier des
internationale d’éducation pour décevoir l’amateur de solutions connaissances scientifiques. »
(n° 75), éditée par le CIEP
(Centre international d’études
magiques et radicales. De nombreuses références bibliogra-
pédagogiques), Ainsi, faire manipuler les élèves ne phiques et des résumés de recherches
septembre 2017 conduit pas nécessairement à mieux diverses étayent des propos exprimés
Un dossier constitué de textes apprendre et peut être source de perte toujours avec clarté et sens de la
développant des aspects de temps, mais la manipulation est plus nuance. Voilà encore un livre qui méri-
psychosociaux et qu’utile dans l’acquisition de savoir-faire, terait bien plus de notoriété que tous
neuroscientifiques de l’apport de
la musique dans l’éducation. Il comme le montre l’exemple très concret ces libelles bâclés et sans vraies réfé-
prône la réintroduction d’une de l’« orthosport ». Certaines innovations rences, qu’ils soient favorables ou défa-
proposition musicale conséquente sont couteuses en énergie et donc moins vorables à l’innovation. Lire ce livre doit
dans le champ éducatif à tout efficaces que d’autres plus classiques. faire partie de l’hygiène du pédagogue
niveau. Comme le dit le
coordonnateur du dossier,
Non, expliquer n’empêche pas forcément engagé. n
Emmanuel Bigand, de comprendre, pour démentir un slogan JEAN-MICHEL ZAKHARTCHOUK
neuroscientifique, « le vrai enjeu parfois utilisé par des mouvements
de la musique, c’est le lien ». d’éducation nouvelle. La pédagogie de
projet, sur laquelle il y a trop peu
D’autres recensions sur notre site
d’études, est très utile pour apprendre
QUESTIONSÀ
chercheurs génèrent des
ANDRÉ TRICOT connaissances. Les ensei-
gnants élaborent des solu-
Certains, malveillants sans doute, pour- tions. Comme les ingé-
raient présenter votre livre ainsi : au nieurs, les professeurs
fond, les pédagogies nouvelles n’ont doivent à chaque fois éla-
pas prouvé leur efficacité et, dans bien borer une situation d’en-
des cas, innover est contreproductif. seignement unique, en
Qu’en pensez-vous ? fonction des objectifs
Je crois que seul ce que l’on aime d’apprentissage, des
beaucoup mérite d’être critiqué. savoirs à enseigner donc,
Réciproquement, critiquer ce qui mais aussi des élèves, de
ne nous intéresse pas me semble leur nombre, du temps,
une activité totalement vaine. Mon des moyens, des outils dis-
livre critique quelque chose qui me ponibles, du moment de
tient donc énormément à cœur : la journée, etc. Les
l’innovation pédagogique. connaissances scienti-
Ce livre essaie de critiquer des idées pour que les élèves apprennent fiques sont à disposition des ensei-
générales et plus précisément le fait mieux ». Mais, me semble-t-il, nous gnants pour élaborer cette solution,
que l’on puisse les considérer ne sommes pas très bons quand il grâce notamment aux formateurs
comme des panacées. Comme des faut accumuler des connaissances des ESPE (école supérieure du pro-
solutions générales. Pour essayer dans ce domaine. Ce qui nous fessorat et de l’éducation), à l’IFE
une analogie, est-ce que nous nous conduit à redécouvrir, avec pas mal (Institut français de l’éducation), aux
demandons si l’algorithme de réso- de naïveté, des idées souvent formidables conférences de consen-
lution d’une équation du second anciennes. sus du Cnesco (Conseil national
degré est une bonne idée ? Évidem- d’évaluation du système scolaire),
ment non ! Cette connaissance sert etc. Mais la connaissance n’est
à résoudre certains problèmes, pas Nombreux jamais la solution. Ce ne sont pas les
n’importe lesquels : on peut définir sont ceux qui mathématiciens ou les physiciens
son domaine de validité (l’ensemble se demandent qui conçoivent des ponts entre les
des problèmes ax2 + bx + c = 0 « comment mieux deux rives d’un fleuve, ce sont les
avec a ≠ 0). En pédagogie, nous enseigner pour ingénieurs. Mais comment concevoir
devons faire collectivement cet que les élèves un pont sans connaissances mathé-
effort : définir sous quelles condi- apprennent mieux ». matiques et physiques ?
tions telle connaissance est valable,
quels problèmes d’enseignement et Vous-même avez présidé le groupe de
d’apprentissage elle permet de Vous citez de très nombreux travaux de travail élaborant les programmes de
résoudre. recherche (pas souvent traduits d’ail- cycle 2. Quelle part ont eu les travaux
Ainsi, faire travailler les élèves en leurs). Quel rôle doit avoir la recherche de recherche dans l’élaboration de ces
groupe est une bonne idée. Si et par rapport à la pédagogie, au moment programmes ?
seulement si un certain nombre de où un ministre dit s’appuyer sur des Oui, nous avons auditionné de très
conditions sont réunies. Car cela quasi-preuves scientifiques ? nombreux chercheurs. Mais aussi
peut être aussi, dans d’autres condi- Oui, j’ai même consacré toute ma des enseignants, des formateurs, des
tions, tout à fait contreproductif. vie professionnelle à la recherche inspecteurs, des conseillers pédago-
Faire manipuler les élèves, les faire sur les apprentissages et à la forma- giques, nous avons rédigé avec eux
découvrir, leur faire faire des projets tion des enseignants. Alors que je tous, puis soumis les différentes
sont autant d’idées dont les condi- n’avais jamais été enseignant (hor- versions de notre texte à d’autres
tions de validité sont limitées. Tous mis à l’université), j’ai été recruté à chercheurs, formateurs, enseignants,
nos efforts doivent être, selon moi, l’IUFM (institut universitaire de for- etc. Et nous avons retravaillé le texte,
dévolus à l’identification claire de mation des maitres) de Bretagne il encore, et encore. Au total, une cen-
ces limites. J’ai aussi voulu critiquer y a vingt ans, et depuis, toute mon taine de personnes ont participé à
le fait que certaines idées pédago- énergie est dévolue à essayer de la rédaction de la proposition de
giques sont présentées comme inno- générer de nouvelles connaissances programmes du cycle 2. Les contri-
vantes alors qu’elles ont souvent et à mettre des connaissances à dis- butions de ces personnes sont
plusieurs siècles. Depuis que l’ensei- position des enseignants. Ce qui est publiques. Ignorer les chercheurs me
gnement existe, nombreux sont ceux absolument passionnant. La grande semble aussi dangereux que leur
qui se demandent « comment ensei- erreur consiste à confondre les donner le pouvoir. n
gner », « comment mieux enseigner connaissances et les solutions. Les Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
Une revue indépendante, pour une école plus juste et plus efficace
Croiser sans dogmatisme les réflexions, pratiques et expériences de chacun, enseignants et personnels
du secondaire et du primaire, chercheurs, formateurs, éducateurs, parents
Discuter sans réserves de tout ce qui pose problème dans le champ professionnel, des réformes en cours,
du fonctionnement de l’école dans toutes ses dimensions
Dépasser les simplismes, parce que les raccourcis sur le niveau qui monte ou qui baisse ou sur l’école
d’antan n’ont jamais fait avancer d’un iota les apprentissages et l’éducation de la jeunesse d’aujourd’hui
Ces principes qui animent l’équipe des Cahiers pédagogiques sont également ceux du Cercle de recherche et d’action péda-
gogiques (CRAP), l’association qui les publie. Adhérer au CRAP-Cahiers pédagogiques, c’est donc soutenir la revue, c’est aussi
participer, par des rencontres, des échanges par une liste de diffusion électronique, à la vie d’une association d’acteurs du
monde éducatif soucieux de faire évoluer leurs pratiques, de réfléchir sur les problèmes de l’école pour mieux la faire progresser.
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