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La Revue de médecine interne 34 (2013) 444–446

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Cas clinique des Printemps de la Médecine interne

Traiter une toux, c’est simple. . .


Chronic cough in a 48-year-old man
P. Bélénotti a,∗ , A. Benyamine a , J. Séguier a , P. Astoul b , P. Grandval c , J.-Y. Gaubert d , J. Serratrice a ,
P.-J. Weiller a , B. Terrier e , A. Lachaud a
a
Service de médecine interne, hôpital de la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13685 Marseille cedex 5, France
b
Service d’oncologie thoracique, Pavillon Mistral, hôpital Nord, chemin des Bourrelys, 13915 Marseille cedex 20, France
c
Service de gastro-entérologie, hôpital de la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13685 Marseille cedex 5, France
d
Service de radiologie, hôpital de la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13685 Marseille cedex 5, France
e
Service de médecine interne, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France

i n f o a r t i c l e

Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 4 juin 2013

Mots clés :
Toux chronique
Système nerveux autonome
Amylose

Keywords:
Chronic cough
Autonomic nervous system
Amyloidosis

1. L’observation météorisé et sensible. L’auscultation pulmonaire était normale. Le


Holter-ECG, l’échographie cardiaque, le scanner thoracique lu à
Un homme, âgé de 48 ans, était adressé pour une toux évo- plusieurs reprises, étaient normaux. Les épreuves fonctionnelles
luant depuis quatre mois. Cette toux était non productive, parfois respiratoires avec test à la métacholine et une fibroscopie avec
émétisante, coqueluchoïde, et le gênait pour exercer son métier lavage bronchiolo-alvéolaire étaient normaux.
d’infirmier de bloc opératoire. Il avait comme antécédent un flutter Une manœuvre clinique simple et un bilan biologique permet-
atrial traité par radiofréquence quatre ans auparavant et 100 mg de taient de faire le diagnostic de cette toux chronique.
flécaïnide par jour. Il avait fumé un paquet de cigarettes par jour
pendant 25 ans et arrêté depuis trois ans. Il n’avait pas d’animaux et 2. L’avis de l’expert consultant
son dernier voyage remontait à un an au Bangladesh. Il avait beau-
coup limité sa prise alimentaire de peur de tousser et surtout de Benjamin Terrier, service de médecine interne du Pr Guillevin,
vomir et avait donc maigri de 100 à 93 kg en quatre mois. Il signalait hôpital Cochin, Paris.
également des difficultés sexuelles et se sentait tellement fatigué Cette observation repose sur plusieurs éléments cliniques
qu’il se disait « de moins en moins capable de faire son travail où d’évolution semi-récente:
il était debout toute la journée, et avait eu un malaise l’obligeant à
s’allonger ». Il rapportait aussi une modification du transit avec une • toux sèche coqueluchoïde ;
alternance de diarrhée modérée (six selles/jour) et de constipation. • amaigrissement avec vomissements alimentaires et alternance
À l’examen clinique, il était asthénique, la pression arté- diarrhée-constipation ;
rielle était à 130/80 mmHg, la fréquence cardiaque régulière à • probable impuissance ;
76 battements par minute. Il n’y avait pas d’hépatosplénomégalie • asthénie intense ;
ni d’adénopathie palpable. En revanche, l’abdomen était un peu • malaises semble-t-il en orthostatisme.

L’examen clinique était quant à lui très peu informatif.


∗ Auteur correspondant. La toux était donc l’élément clinique initial et au premier plan.
Adresse e-mail : pauline.belenotti@ap-hm.fr (P. Bélénotti). Les différentes hypothèses devant une toux sèche d’évolution

0248-8663/$ – see front matter © 2013 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.04.009
P. Bélénotti et al. / La Revue de médecine interne 34 (2013) 444–446 445

Tableau 1 Nous étions donc face à un syndrome dysautonomique possi-


Causes de dysautonomie.
blement en rapport avec une amylose survenant chez un patient
Dysautonomies aiguës Dysautonomies chroniques originaire du Bangladesh, sans notion de pic monoclonal, de mala-
Syndrome de Guillain-Barré Primitives die inflammatoire chronique ou d’hémodialyse. L’hypothèse d’une
Traumatisme médullaire Dysautonomie familiale de Riley-Day amylose à transthyrétine (TTR) était d’autant plus probable qu’une
Neuropathie autonome Atrophie multisystématisée mutation de la TTR Ile73Val a été mise en évidence chez une famille
paranéoplasique originaire du Bangladesh, responsable d’un tableau clinique avec
Porphyrie Hypotension orthostatique idiopathique
une dysautonomie sévère débutant après la cinquième décade [6].
Toxiques, médicaments
(vincristine,. . .) L’observation présentée correspond donc à une amylose à TTR. La
Botulisme Secondaires manœuvre clinique simple est la manœuvre de Valsalva, qui per-
Tétanos Diabète met de mettre en évidence l’atteinte dysautonomique en étudiant
Éthylisme chronique
la réponse de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle
Maladie de Parkinson
Neuropathie autonome paranéoplasique
à cette manœuvre. Le bilan biologique minimaliste, outre le bilan
Maladie de Lyme d’éventuelles atteintes de l’amylose (protéinurie, bilan hépatique,
Traumatisme médullaire troponine, NT-pro-BNP), est le dépistage de la transthyrétine (TTR)
Sclérose en plaques mutée par biologie moléculaire avec diagnostic de la mutation res-
Amyloses
ponsable du tableau clinique. Et TraiTeR une toux dans ce contexte
est en effet simple, reposant sur les inhibiteurs de la pompe à pro-
tons et les prokinétiques, mais également très compliqué si l’on
chronique sont nombreuses [1–4] : reflux gastro-œsophagien, considère le traitement étiologique de la maladie reposant sur la
écoulement nasal postérieur, asthme et autres hyperréactivités transplantation hépatique orthotopique.
bronchiques, tabagisme, médicaments (au premier plan desquels
les inhibiteurs de l’enzyme de conversion), bronchectasies, cancer
3. La démarche diagnostique des auteurs
bronchopulmonaire, pneumopathie interstitielle, infections respi-
ratoires (tuberculose, coqueluche), corps étranger, compression
Ce patient présente une toux chronique émétisante et inva-
des voies aériennes supérieures, et plus rarement une entéro-
lidante avec un net retentissement sur l’état général. En raison
colopathie inflammatoire (Crohn, rectocolite hémorragique), une
de l’intoxication tabagique, une pathologie néoplasique était déjà
maladie de Horton, ou une amylose trachéo-bronchique. Les élé-
écartée par la normalité de la fibroscopie bronchique et du
ments paracliniques disponibles concernant l’exploration de la
scanner thoracique. Le traitement par radiofréquence d’une fibril-
toux retrouvaient un scanner thoracique normal, des épreuves
lation auriculaire peut se compliquer d’une toux chronique liée
fonctionnelles respiratoires avec recherche d’une hyperréactivité
une sténose des veines pulmonaires. Cette toux était associée
bronchique, et de la fibroscopie bronchique avec lavage bronchiolo-
à une altération de l’état général et de la fonction sexuelle.
alvéolaire, permettant d’éliminer parmi les diagnostics évoqués:
Pour la dysfonction érectile, l’échographe vésicoprostatique, les
asthme et autres hyperréactivités bronchiques, tabagisme, médica-
dosages hormonaux et un écho-doppler étaient normaux. La
ments, bronchectasies, cancer bronchopulmonaire, pneumopathie
prise de sildénafil n’avait d’ailleurs été d’aucune efficacité sur
interstitielle, infections respiratoires, corps étranger, compression
les troubles. La manœuvre clinique simple était une recherche
des voies aériennes supérieures.
positive d’hypotension orthostatique (pression artérielle couché
L’argument de fréquence, les caractéristiques de la toux
140/80 mmHg, debout 80/60 mmHg) évoquant une dysautono-
et la notion de toux et vomissements postprandiaux ren-
mie.
daient l’hypothèse du reflux gastro-œsophagien, éventuellement
Le bilan biologique comportait une électrophorèse des protéines
associé à une gastroparésie, hautement probable. L’association
sériques et une immunofixation qui mettait en évidence une IgG
de cette symptomatologie à une impuissance, une alternance
lambda monoclonale avec un rapport kappa/lambda effondré. La
diarrhée-constipation, une asthénie intense et une hypotension
biopsie de glande salivaire accessoire montrait un aspect typique
orthostatique pouvaient s’intégrer dans le cadre d’une atteinte du
d’amylose AL à chaîne lambda. L’étude des vitesses de conduc-
système nerveux autonome. L’antécédent de flutter atrial quatre
tion nerveuse par électro-neuro-myographie (ENMG) confirmait
ans auparavant pouvait également s’intégrer dans le cadre de
une neuropathie sensitive. L’étude de la variabilité de l’espace RR
ce syndrome dysautonomique. Une dysautonomie semblait donc
à l’ENMG, permettant l’exploration de la voix parasympathique
être la clé du diagnostic. Les causes de dysautonomie sont résu-
du système nerveux autonome, confirmait la dysautonomie. En
mées dans le Tableau 1 [5]. Les causes aiguës et les causes
effet, lors des manœuvres de Valsalva, la réponse du système ner-
chroniques primitives étaient exclues. Les causes chroniques
veux autonome étant une tachycardie, l’espace RR, analysé par
secondaires étaient également exclues à l’exception des amy-
l’ENMG (trois électrodes placées sur les dérivations cardiaques),
loses. Les amyloses, quel que soit leur type, permettaient en effet
est raccourci par rapport à l’espace RR de base. De même, lors de
d’expliquer le syndrome dysautonomique expliquant lui-même
l’inspiration profonde, la réponse du système nerveux autonome
l’ensemble de la symptomatologie, l’amylose pouvant également
entraîne une bradycardie responsable d’un allongement de l’espace
être responsable d’une atteinte trachéo-bronchique (toux chro-
RR. Chez notre patient, lors de ces deux manœuvres, l’espace RR
nique sèche) et atriale (antécédent de flutter) spécifique. Il était
gardait la même longueur, sans réponse adaptive du système ner-
ensuite fait état d’un voyage au Bangladesh un an auparavant.
veux autonome. Le patient était traité par melphalan, bortézomib,
Cette information pouvait être interprétée de deux façons: soit les
et dexaméthasone avec une disparition de la toux après quatre mois
symptômes étaient expliqués par une pathologie infectieuse
de traitement.
acquise au Bangladesh, soit le patient était d’origine Banglade-
shi en visite chez sa famille restée au pays. La seconde option a
été préférée, la notion de pathologie cardiovasculaire (antécédent 4. La discussion
de flutter sous traitement anti-arythmique) étant peu compatible
avec les faibles infrastructures médicales présentes au Bangladesh, Il s’agit donc d’un cas de toux chronique faisant découvrir
destination plutôt réservée aux routards qu’aux patients avec car- une amylose AL à chaînes légères lambda. Cette toux sèche et
diopathies. invalidante à explorations pulmonaires normales était sensible
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au traitement spécifique. L’amylose peut être découverte par une Références


toux mais celle-ci est alors localisée à l’arbre trachéo-bronchique
[7], diagnostiquée par une fibroscopie voire visible au scanner, [1] Birring SS. Controversies in the evaluation and management of chronic cough.
Am J Respir Crit Care Med 2011;183:708–15.
ce qui n’était pas le cas chez notre patient. Une toux chronique [2] Pavord ID, Chung KF. Management of chronic cough. Lancet 2008;371:1375–84.
chez un patient connu pour avoir une atteinte du système nerveux [3] Auliac JB, Bota S, Nouvet G. Causes méconnues de toux chronique. Rev Mal
autonome (SNA) est compatible avec une manifestation dysautono- Respir 2002;19:207–16.
[4] Kassem H, El Gharbi T, Hamadi K, Dresco E, Turner L. Toux chronique révélant
mique, mais il est difficile de rechercher une atteinte du SNA lorsque une maladie de Horton. Rev Med Interne 2011;32:e76–8.
la toux en est la manifestation prédominante ou révélatrice. La toux, [5] Freeman R. Autonomic peripheral neuropathy. Lancet 2005;365:1259–70.
comme élément d’une atteinte du système nerveux autonome est [6] Booth DR, Gillmore JD, Persey MR, Booth SE, Cafferty KD, Tennent GA, et al.
Transthyretin Ile73Val is associated with familial amyloidotic polyneuropa-
communément décrite dans les cas de syndrome d’Holmes-Adie thy in a Bangladeshi family. Mutations in brief no. 158. Online. Hum Mutat
[8–10] ou de ganglionopathie autonomique autoimmune [11]. Dans 1998;12:135.
la série d’Hayashi et Ishii, sur 29 patients atteints de ganglionopa- [7] Chu H, Zhao L, Zhang Z, Gui T, Yi X, Sun X. Clinical characteristics of amyloidosis
with isolated respiratory system involvement: a review of 13 cases. Ann Thorac
thie autonomique autoimmune, 34 % présentait une toux chronique
Med 2012;7:243–9.
[11]. Après quatre mois de traitement spécifique, le patient ne [8] Kosztyła-Hojna B, Popko M. A rare case of Holmes-Adie syndrome in a 60-year-
présentait plus d’hypotension orthostatique ni de toux, confor- old patient with a chronic cough cured in a laryngological way. Pol Merkur
tant cette hypothèse. Devant une toux chronique avec explorations Lekarski 2007;23:371–4.
[9] Ford PA, Barnes PJ, Usmani OS. Chronic cough and Holmes-Adie syndrome.
cardiaque, pulmonaire, et gastro-entérologique négatives, il faut Lancet 2007;369:342.
évoquer une pathologie du système nerveux autonome. [10] Kimber J, Mitchell D, Mathias CJ. Chronic cough in the Holmes-Adie syndrome:
association in five cases with autonomic dysfunction. J Neurol Neurosurg Psy-
chiatry 1998;65:583–6.
Déclaration d’intérêts [11] Hayashi M, Ishii Y. A Japanese case of autoimmune autonomic ganglionopathy
(AAG) and a review of AAG cases in Japan. Auton Neurosci 2009;146:26–8.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-
tion avec cet article.

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