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«Mon papa part en mission à l'étranger...

» : le témoignage poignant d'un


officier français

Par Tribune FigaroVox
Publié le 24/10/2018 à 11:36,
Mis à jour le 24/10/2018 à 15:46

Pour les familles de militaires, le départ pour une opération extérieure («Opex») est toujours un moment éprouvant. Photo d'illustration. 94913473/pressmaster -
stock.adobe.com

FIGAROVOX/TEMOIGNAGE - Un officier français dévoile un aspect méconnu des missions


opérationnelles de nos soldats : le déchirement du départ pour les familles.

L'auteur est un officier d'active dans un régiment d'infanterie de l'armée de Terre. Il est actuellement déployé en mission
opérationnelle à l'étranger avec son unité.

La sécurité des militaires français envoyés à l'étranger, et de leurs familles en France, exige que ce témoignage reste
anonyme. En effet, des menaces sont régulièrement proférées contre nos soldats sur les réseaux sociaux. Nous devions
cette précision aux lecteurs de FigaroVox.

Chloé l'a bien compris. Son papa s'en va. Elle lui a fait un dessin et récupéré une vieille boîte de bonbons au miel qu'elle
lui a donné «pour son voyage». Elle a quatre ans seulement, mais c'est la deuxième fois que son père, militaire dans une
unité opérationnelle de l'armée de Terre, quitte la maison pour une mission de plusieurs mois. Bien sûr, son papa est
souvent absent. Il part régulièrement s'entraîner plusieurs semaines sur des camps de manœuvre. On a du mal à l'avoir
au téléphone (ça ne capte pas toujours bien) mais on sait qu'il n'est pas loin. Idem pour les missions Sentinelle, où Papa
part à Paris pour protéger la population contre les terroristes. Mais là, c'est une autre affaire: quatre mois, ça fait 120
dodos, lui a dit Maman. Il ne sera pas là à Noël, ni pour son anniversaire.

Quatre mois, ça fait 120 dodos, lui a dit Maman. Il ne sera pas là à Noël, ni pour son
anniversaire.

Léo, lui, gazouille dans son transat. À 14 mois, on dirait qu'il ne se rend pas compte. Mais quand son père l'a pris dans
les bras pour lui expliquer qu'il partait, il l'a regardé drôlement et a tout écouté. Avec cet air sérieux et inimitable qu'ont les
bébés, parfois.

Mais c'est Lucas qui a le plus de mal. À huit ans, c'est le quatrième départ qu'il encaisse. La dernière fois son père était
parti six mois d'affilée. Alors quatre mois d'absence, ça a l'air facile. Sauf que pour Lucas c'est de plus en plus dur. En
grandissant, il comprend que son père va prendre des risques et qu'il peut lui arriver quelque chose. À l'école il a entendu
parler d'attentats au Proche-Orient. Même si Papa lui a expliqué qu'en mission les soldats ont des gilets pare-balles et
des fusils pour se défendre, Lucas n'est pas rassuré. Ça fait plusieurs soirs qu'il pleure sous sa couette, en serrant ses
peluches dans ses bras.

Six heures du matin. Tout le monde est debout pour dire au revoir à Papa. Même le bébé qu'on a tiré du sommeil. C'est
important qu'il voie partir son père, c'est la psychologue qui l'a dit. Les sacs sont dans l'entrée, on a du mal à parler.
Chloé agrippe son père, Lucas est blotti sur le canapé, Léo pleurniche car il veut son biberon. Debout dans le salon, Julie
essaie de ne pas trop penser à tout ce qui l'attend. Elle sait que dès que son mari aura passé la porte, le poids des
responsabilités va peser plus lourdement sur ses épaules. Les impôts, la crèche, les courses, la voiture qui tombe en
panne, le lave-linge qui fuit, les enfants perturbés à l'école, les pleurs, les doutes, elle va devoir s'occuper de toute seule.
Elle se console en pensant à Estelle, son amie infirmière dans l'armée. Elle aussi vient de partir pour quatre mois, en
Afrique, en laissant derrière elle ses deux enfants et son compagnon.

Pour ceux qui restent à la maison, l'absence du militaire est une blessure silen-
cieuse, difficile à partager.

Partir en mission fait partie de l'ADN des militaires français. Ils sont prêts en permanence à tout quitter pour servir leur
pays aux quatre coins du monde, là où le devoir les appelle. Quitte à sacrifier ce qu'ils ont de plus cher. Pour ceux qui
restent à la maison, l'absence du militaire est une blessure silencieuse, difficile à partager. La peur, l'angoisse, l'attente.
Le soulagement précieux mais trompeur des conversations vidéo. Le décompte immobile des jours qui passent.

Dans la voiture qui le conduit au régiment, Éric essuie les larmes de son fils qui ont coulé sur sa tenue de combat. La
gorge nouée, il se concentre sur la route en réfléchissant à ce qu'il aurait pu oublier dans son sac. Au loin se dessinent
déjà les bâtiments de la caserne. Le jour se lève.

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