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DES PSYCHANALYSTES
Érès | « Essaim »
2020/2 n° 45 | pages 28 à 36
ISSN 1287-258X
ISBN 9782749268088
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-essaim-2020-2-page-28.htm
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Le Louvre, © Pierre Jeanson, 2018 © Érès | Téléchargé le 16/05/2021 sur www.cairn.info (IP: 177.182.174.200)
1. Nous remercions Claudia de Lemos, Erik Porge et Marie-Lou Lery-Lachaume pour leur lecture
généreuse et stimulante. Nous remercions Marie-Lou, par ailleurs, pour son soutien concernant
la langue française.
2. J. Lacan, « La science et la vérité », dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 858.
est surmontable, c’est pour autant que le sujet par l’Autre peut s’identifier
ailleurs 3. »
Dans le texte « Propos sur la causalité psychique », on trouve la figure
de l’ombre en référence à la relation entre folie et liberté : « Loin donc que
la folie soit le fait contingent des fragilités de son organisme, elle est la
virtualité permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle
soit pour la liberté “une insulte”, elle est sa plus fidèle compagne, elle suit
son mouvement comme une ombre 4. » Dans ce contexte, plutôt que de se
présenter à nous comme un obstacle, la figure de l’ombre indique un lien
indissociable entre folie et liberté, c’est-à-dire un élément qui ne saurait
être éliminé.
Toujours dans ce même texte, un autre usage est fait de la figure de
l’ombre, assignée cette fois à l’espace imaginaire où rien ne se reflète :
« Quand l’homme cherchant le vide de la pensée s’avance dans la lueur
sans ombre de l’espace imaginaire en s’abstenant même d’attendre ce qui
va en surgir, un miroir sans éclat lui montre une surface où ne se reflète
rien 5. » L’absence d’ombre vient ici figurer plus directement ce qui se
révèle être en jeu lorsque le sujet avance dans le dépouillement de l’espace
imaginaire, touché ou touchant un imaginaire non spéculaire.
D’autres moments pourraient être mentionnés quant à l’emploi de
cette figure par Lacan, de même qu’il serait important d’indiquer certains
de ses emplois dans la littérature et la philosophie. Une telle approche
nous conduirait à établir une distinction entre reflet et ombre, ainsi que
ses effets sur la théorie des identifications. En outre, un tel parcours nous
conduirait à travailler le privilège de l’un sur l’autre au long de l’histoire
de la pensée. Cependant, ce n’est pas cela qui configure le point crucial des
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7. Ibid., p. 254.
des analystes fait partie de la propre formation, c’est justement parce qu’il
y a un décalage (béance : une ouverture large, profonde) entre, d’une part,
tout ce qu’on peut affirmer au sujet de la formation et, d’autre part, ce qui
est en jeu dans l’acte analytique. Un acte – et ici il s’agit de l’acte qui fait
le passage de l’analysant à l’analyste – ne peut être reconnu qu’après coup
et, étant donné qu’il n’y a pas de sujet dans l’acte, cette condition introduit
une espèce d’ombre sur le passage. Le rapport entre la tâche et l’acte reste
voilé, nous dit Lacan plusieurs fois. Dans le séminaire sur l’acte, il nous
indique ainsi que la tâche concerne ce que l’analysant doit faire (associa-
tion libre) et que l’acte appartient au psychanalyste et, en même temps,
il spécifie que l’acte proprement analytique concerne le passage de l’ana-
lysant à l’analyste, justement parce qu’il y a un passage entre la tâche et
l’acte. Dès lors, comment cerner ce passage ? Comment ce raccord se fait-il
à partir de/avec l’objet a ?
Dans le texte « La psychanalyse. Raison d’un échec » (1967), Lacan,
soulignant le registre de l’échec, étaye également la distinction entre la
tâche et l’acte. Il affirme que « la tâche, c’est la psychanalyse. L’acte, c’est ce
par quoi le psychanalyste se commet à en répondre. On sait qu’il est admis
que la tâche d’une psychanalyse l’y prépare : ce pour quoi elle est qualifiée
de didactique. Comment de l’une à l’autre passerait-on, si la fin de l’une ne
tenait pas à la mise au point d’un désir poussant à l’autre ? Rien sur ceci n’a
été articulé de décent 8. » Si l’on se souvient que Lacan a écrit cela la même
année que la Proposition, il convient de se demander aujourd’hui en quoi
la situation a été modifiée en ce qui concerne ce mystère.
Une deuxième question concerne la conséquence qu’il y a à admettre le
décalage entre la terminaison de l’analyse et l’acte : chaque analyste devra
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8. J. Lacan, « La psychanalyse. Raison d’un échec », dans Autres écrits, op. cit., p. 346.
De l’ombre au vide
Pour aborder l’objet a en tant que cause réelle du sujet, il faut habiter
une autre forme de discursivité (habiter le langage d’une autre manière
ou bien l’engager, voire s’y engager différemment), dans laquelle l’expé-
rience analytique et la théorie peuvent révéler, dans les impasses de notre
réalité, la béance de ce qui nous affecte et face à quoi le signifiant échoue.
L’effectivité de la cause du désir nous affecte ; la preuve en est l’angoisse.
Le raccord qui doit être produit par chaque analyste, à partir du gond
caractérisant le passage entre sa condition d’analysant et celle d’analyste,
exige d’autres formes de discursivité : il s’agit ici d’invention.
Considérer que c’est l’objet a qui soutient le passage de la tâche du
psychanalysant au psychanalyste exige que nous fassions maintenant
retour au statut de cet objet dans le champ de la psychanalyse. Lacan, on
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sujet, au lieu de l’Autre se saisisse dans cette forme spéculaire qui introduit
pour lui la distinction du moi et du non-moi 10. »
La pulsion invoquante met en jeu l’objet voix comme l’une des formes
de l’objet a, de même que le sein, les fèces et le regard. Or, si l’on considère
qu’il y a une connexion des objets a, ainsi que Lacan l’a amplement fait
voir dans le séminaire sur l’angoisse, il convient d’observer que la citation
mentionnée ci-dessus nous impose également de penser quelque chose
ayant une préséance, pour ne pas dire une primauté par rapport à l’objet
regard, ce quelque chose acquérant un privilège par rapport aux autres
formes. Un tel privilège peut être reconnu dans l’affirmation de Lacan
selon laquelle la pulsion invoquante entretient le plus intime des rapports
avec l’expérience de l’inconscient, ainsi que dans la forme même par
laquelle passe la définition des pulsions en tant que ce qui, dans le corps,
constitue l’écho du fait qu’il y a un dire.
De surcroît, Lacan affirme que c’est à cet extérieur, lieu de l’objet,
qu’appartient l’idée de cause. L’effectivité de cette cause ne comporte
pas d’image et c’est à cela que tient l’impossibilité de la représentation.
Si l’objet a, dans sa fonction de cause, ne comporte aucune représentation ;
s’il ne peut donc être ni positivisé ni décrit, puisqu’il se réfère à la perte
constitutive du sujet et non au cadre du phénomène, il nous faut nous
interroger sur la manière dont on peut l’aborder. Théoriquement, nous
disposons du recours à la topologie, mais du point de vue de l’expérience
du terme d’un parcours analytique, terme qui convoque l’analyste à témoi-
gner de cette perte, comment faire ? Et cela tout particulièrement dans le
contexte où chaque analyste devra produire la pièce (le « raccord ») qui
révèle le passage d’une position à l’autre, car la charnière (le gond) de ce
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11. J. Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », art. cit., p. 244.
12. E. Porge, Voix de l’écho, Toulouse, érès, 2012.
13. Idée généreusement suggérée par Marie-Lou, attirant mon attention sur le verbe « dissiper ».
14. J. Lacan, « L’étourdit », dans Autres écrits, op. cit., p. 449.