Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
contemporaines
Visite d'un laboratoire de
recherche publique
où l'on étudie des pommes de
terre transgéniques
(Compte rendu du GeneSpotting 5)
Concrètement, ce 15 mai, nous avons eu droit à un triple comité d'accueil. D'abord, de la gare
à la gare (du début à la fin), nous avons joui d'une protection exemplaire avec au premier plan
un petit commissaire jovial, au deuxième plan ses sbires patibulaires et un peu plus en arrière
des limeurs de la BSR. Ensuite, arrivés devant l'unité de biologie végétale où nous espérions
retrouver nos interlocuteurs de la visite prospective, c'est un administrateur qui nous somma
d'aller discuter à l'endroit réservé à cet effet, avec les personnes rompues à cette discipline. Et
puis d'abord, nous lança ce cerbère d'État, «c'est un lieu privé !». L'attente sur place est
l'occasion de répondre aux 3 ou 4 journalistes régionaux et d'amorcer des discussions fort
intéressantes avec quelques étudiants venus avec plusieurs bonnes questions et pas mal
d'arguments critiques. Après une vingtaine de minutes, comme les jeunes chercheurs restent
confinés et que nous refusons de nous rendre à l'espace de discussion assigné, les trois
interlocuteurs institutionnels déboulent. Nous improvisons alors une agora entre le carrefour
et le laboratoire.
Qui est le parrain de Mr Dujardin ?
L'échange le plus instructif fut sans doute celui que nous eûmes avec le professeur Dujardin,
qui se présente comme le roi du dialogue. Face à un public pas trop informé, il est parfait. Par
exemple lorsqu'il explique avec sa morgue exemplaire que «La première chose, c'est de
comprendre», cela semble, au premier abord, relever d'une sage prudence. Mais lorsqu'on
l'interroge sur les finalités de l'expérience qu'il dirige, et sur son financement, il nous offre
deux ou trois justifications assez ahurissantes. D'abord qu'il n'est pas financé par les
industriels, qu'il ne faut donc pas parler de partenaires, mais de parrains. Que les «accords de
parrainage» permettent de «mieux cadrer certaines de (leurs) recherches». En d'autres termes,
il fait de la recherche pure, mais orientée. De la recherche fondamentale, mais avec des
applications industrielles à la clé. Et bien que son laboratoire soit intégralement financé par
des deniers publics, Patrick Dujardin refuse de nous révéler l'identité de ses conseillers et
bénéficiaires potentiels de sa recherche.
Pour faire avancer le débat, l'un de nous lui demande s'il ne pouvait pas chercher les sources
d'inspiration de ses orientations «scientifiques» ailleurs que chez ceux qui concentrent argent
et pouvoir. Il nous résumera sa démarche avec une déduction du type : «nous sommes à
l'écoute de la société, les industriels font partie de la société, donc nous sommes à l' écoute
des industriels». Ce que j'appelle du pragmatisme vichyste.
Pour noyer le poison, Mr Dujardin nous rappelle que ses sources d'inspiration sont multiples.
Et de citer l'exemple des recherches sur l'igname, plante tropicale à gros tubercule farineux.
En général, avec un public innocent, évoquer l'amélioration de l'alimentation des pauvres
sous-développés qui ont faim, cela passe très bien. Providence pour nous, déveine pour lui, un
étudiant en horticulture, informé sur les mécanismes économiques du tiers-monde, intervint
pour rappeler qu'il ne fallait pas être naïfs ou hypocrites, que l'économie là-bas fonctionnait à
deux ou trois vitesses, et que ces recherches ne serviraient qu'aux riches du tiers-monde [1].
Banaliser le transgénique
Un des buts de ceux qui bâtissent leur carrière sur le génie génétique, c'est de banaliser le
transgénique. Ainsi, lors d'une discussion sur l'arrivée en Europe de la pomme de terre, notre
interlocuteur nous explique que les consommateurs ont toujours peur des nouveautés
alimentaires, et que la pomme de terre avait pris du temps avant d'être adoptée par les
populations européennes. Nous lui rappelons, juste comme ça, que la pomme de terre non
cuite est effectivement toxique. Avec une ironie méprisante, il raconte que la patate froide
donnait des humeurs froides, etc. Bref, il s'efforce de nous montrer que cette crainte comme la
nôtre relève d'une forme d'obscurantisme post-médiéval. Nous lui disons alors que la pomme
de terre contient de la solanine qui est classée toxique mais qui disparaît à la cuisson. Il
redevient sérieux et change de sujet.
Pour en finir une fois pour toute avec la banalisation coupable des OGM, je m'efforce de lui
faire dire que même ses coreligionnaires de l'Académie des sciences qualifient la transgenèse
de «rupture». Une fois encore, il s' efforce de relativiser en évoquant la radiation, et d'autres
procédés de manipulations génétiques. D'abord, rien ne prouve que ces manipulations seront
ou sont sans effets. Ensuite, la naïveté du génie génétique, ou plutôt sa vision bêtement
mécaniste, c'est de croire que la transgenèse est plus précise. Ce qu'évoquent moins souvent
les généticiens, c'est que les séquences qui composent le génome fonctionnent en interaction
et qu'il est vraisemblablement impossible de contrôler ces interactions. Certes, certaines
transgenèses obtiennent l'effet souhaité. Mais sans savoir quelles seront les conséquences pour
le reste du génome. D'où des effets imprévus différés, à l'image des déficiences inexpliquées
de Dolly (qu'il a fallu euthanasier en janvier dernier), ou comme le déclenchement inopiné
d'une leucémie chez des «enfants-bulles» dans le cadre de la seule expérience de thérapie
génique tenue pour sérieuse. Toute modification d'une partie du génome a des répercussions
sur la totalité du génome, et les mutations provoquées sont imprévisibles. Voilà ce que ne
vous diront jamais ceux qui souhaitent faire carrière dans le génie génétique.
Il convient sans doute ici de mentionner que le FUSAGx propose un service d'interface visant
à faciliter les liens entre l'université et les entreprises, et qu'en sus, l'université soutient
financièrement les spin off,ces petites boîtes qui naissent autour des découvertes scientifiques.
C'est comme si l'université de Gembloux rêvait de voir se reproduire le cas retentissant de
Marc Van Montagu !
La question essentielle était et reste de savoir si les pommes de terre présentent ou non des
risques sanitaires. Or, le laboratoire de Dujardin mène précisément des recherches sur la
pomme de terre. Aussi, avant d'écouter les desiderata des industriels, et d'orienter ses
recherches en vue d'une exploitation industrielle visant à contrôler la dormance etc., c'est-à-
dire essentiellement à des fins alimentaires, ne serait-il pas normal de vérifier au préalable si
ce qu'on expérimente n'est pas l'amiante de demain ? Eh bien, non. Monsieur Dujardin «n'est
pas au courant» des prolongements éventuelles de la recherche menée par Pusztaï.
La science peut avoir des conséquences néfastes pour l'homme, il faut en présenter les bonnes
facettes.
L'horreur a disparu, la terreur aussi. Les nuisances qui affectent les êtres humains sont
désormais fortement différées. Les médecins nazis dans les camps expérimentaient
directement sur des prisonniers, et c'était insoutenable. Les chercheurs qui mettent au point
des molécules biochimiques ou des constructions génétiques expérimentent désormais sur
l'ensemble de l' écosystème, et les effets de cette désinvolture coupable se déclenchent parfois
de nombreuses années après. Il a fallu de nombreuses décennies avant d'admettre que
l'amiante était cause d'un cancer spécifique, tandis que des scientifiques rassuraient la
population sur l'innocuité de l'asbeste. L' amiante tue actuellement 3000 personnes chaque
année en France. Et il en va aujourd'hui du GSM et des OGM comme de l'amiante hier.
Le risque de dissémination
Toute mise en culture à grande échelle d'un végétal transgénique provoque une contamination
de l'ensemble de la filière. On le sait depuis la publication de l'étude de l'Afssa (Agence
française sanitaire pour la sécurité alimentaire) en juillet 2001, qui constatait la présence de
maïs OGM dans 41% des échantillons prélevés, et ce, malgré la très faible surface de maïs
OGM expérimentée en France.
La cohabitation des filières est soit un leurre, soit un luxe réservé aux plus grosses
multinationales détenant des infrastructures intégrées qu'elles pourraient assigner
exclusivement à une production exempte d'OGM, dont le prix serait évidemment très élevé.
Pour manger des aliments un peu moins empoisonnés et un peu moins polluants, il fallait déjà
payer plus cher avec un label Bio. Désormais, pour éviter de se voir transformé en rat de
laboratoire nourri au transgénique, il faudra payer encore plus cher. Ainsi le développement
détruit-il tout ce qui était ordinairement de qualité pour nous le resservir labellisé, sécurisé et
conséquemment onéreux.
Ce constat s'est fait plus alarmant dans un pays comme le Mexique, où l'on trouve à l'état
naturel une large variété de maïs, plante traditionnellement nourricière et sacrée. La révélation
de la contamination du maïs mexicain, par des biais inconnus (peut-être via des aliments
importés), a été confrontée à une campagne de calomnie organisée et assez hallucinante.
Donc, dès que la culture d'OGM apparaît, soit on en mange d'office (moins de 0,9 % dans le
meilleur des cas européens), soit on se paye cher une filière garantie sans, issue d'une région
exempte de cultures transgéniques.
Les alternatives
Nous ne commettrons pas l'obscénité d'évoquer un autre modèle d'agriculture. Dans une
société où l'on n'imagine rien en dehors du productivisme étatiquement assisté, ce serait vain.
Dans les fermes paysannes, de petite taille, on procède à un enlèvement manuel des
tubercules. Ici, l'alternative touche à la question du choix de l'échelle et de l'organisation de la
production et de la distribution de la nourriture dans notre société. Mais même dans le cadre
d'une production plus importante, avant la seconde guerre mondiale, les germes étaient brisés
mécaniquement. Comme dans l'entre-deux-guerres cinq variétés étaient commercialisées, les
unes plus tardives, les autres plus hâtives, il était facile de trouver des pommes de terre fermes
toute l'année sauf durant deux mois, mai et juin, où les plus tardives, déshydratées par la
montée des germes, étaient ratatinées. Mais la ménagère de cette époque savait néanmoins les
préparer : en ratatouilles, dans des plats mijotés ou en purée (stoempet autre djoute).On le
voit, ni l'emploi de poudres chimiques anti-germes (généralisé après 1945), ni le recours aux
biotechnologies ne sont indispensables à l'approvisionnement en une denrée qui connaît par
ailleurs de nombreux équivalents nutritifs.
[1] L'intellectuel qui a le mieux décrit les processus de dépossession des pays dits sous-
développés est assurément le juriste et économiste François Partant. F. PARTANT, La fin du
développement, Babel, 1997.