Né en 1924, directeur d'études à l'Ecole

des hautes études en sciences sociales,

Jacques Le Goff est l'un des plus grands
spécialistes du Moyen Age, dont Il a
profondément renouvelé l'étude et
l'interprétation. Il est codirecteur de
la revue Les Annales, bastion de cette
• nouvelle Histoire • dont il a largement popularisé les
m éthodes. Médaille d'or du CNRS en 1991 (récompensant des
travaux situés sous • une triple référence : l'interdisciplinarité,
la transmission du savoir, la foi en l'Europe •), Il est responsable
d'une collection sur l'Histoire de l'Europe qui parattra dans
les différentes langues de la Communauté européenne.

Télérama N• 2226 • 9 septembre 1992

 ille d'Agénor. roi de Phénicie, Eu-
rope aurait été enlevée par Zeus.
métamorphosé en taureau. qui la
conduisit en Crète, où. de ses
amours avec le roi des dieux. na-
quit Minos. Voilâ comment l'Eu-
rope. ainsi baptisée par les géographes grecs
de l'Antiquite. entre dans le mythe, par la
grâce de la plus ancienne strate de haute cul-
ture de l'Occident. la culture grecque. Et
pourtant. la geographie n'imposait pas la spé-
cificité de ce continent. Le dessin de leurs
côtes individualise fAfrique ou les Amériques.
L'Europe n'est que la pointe de l'immense
continent asiatique, quïl faut donc appeler
eurasiatique. mais vers l'Est. les Grecs ne
fiXent pas à l'Europe une frontière précise.
Les steppes de l'actuelle Russie. les hauts pla-
teaux qui séparent l'Anatolie des vallées de
l'Euphrate et du Tigre sont la zone indécise
où l'Europe son de l'Asie. Les Grecs ont
pourtant une nette conscience de l'opposi-
tion qui existe entre les deux continents et
leurs habitants.
Selon ses théories. qui accordent un rôle
déterminant au climat sur la nature physique
et morale des individus et des sociétés. le cé-
lèbre médecin grec Hippocrate (fin ve. début
rve avant J .-C.) estime que les Européens
sont courageux mais belliqueux. tandis que
les Asiatiques sont sages. cultives mais sans
ressort : les Européens tiennent â la liberté et
sont prêts à se battre pour elle, leur régime
politique préféré est la démocratie ; les Asia-
tiques acceptent aisément la servitude en
échange de la prospérité et de la tranquillité.
ils s'accommodent de régimes despotiques.
Ce schéma idéologique, qui subsistera ~
T616rama N°2226 • 9 septembre .1992 9
 .,...._ jusqu'aux Lumières et au-delà (les Aquincum, aux portes de l'actuelle ge l'ensemble des Etats chrétiens à l'aide
marxistes sont les héritiers de la théorie Budapest). L' Empire répand une d'un double réseau : celui des diocèses
du despotisme asiatique). reflète la men- langue qui donnera naissance à pu.is des paroisses, et celui du monde
talité d'une époque marquée par la lut- l'ensemble des langues romanes, une monastique, où triomphe au début du
te des cités grecques contre l'Empire langue européenne de culture, le latin. IXe siède une même règle, celle de saint
perse, mais offre à la naissance de la Respectant les nations. il accorde, Benoit. Nations et unité européenne
conscience européenne, l'idée démo- avec l'empereur Caracalla au début du sont liées.
cratique. me
siècle de notre ère, le titre. dant
Quelques thèmes majeurs de l'His- on est fier, de citoyen romain. Un
toire de l'Europe sont ainsi posés dés saint Paul déjà, qui bénéficiait de ce
l'Antiquité. Les données géographiques titre, se sentait avec une égale fierté
sont fondamentales, avec un problème juif et romain . Mais, sous son
E n l'an 800
qui deviendra et restera majeur : quelles apparente unité, J'Empire romain a
sont les limites de l'Europe à l'Est ? figé un grand clivage : celui entre
Mais tout aussi détenninant est rapport l'Occident latin et l'Orient grec.
à Rome,
Charlemagne, couronné empereur,
de la civiUsation grecctue : elle propo- C'est pourtant pendant une période semble donner à l'Europe chrétienne,
se des valeurs fondamentales qui sont où les termes d'Europe et d'Européens une unité politique. Mals l ' Empire
aussi des instruments intellectuels et sont très peu employés que l'Europe carolingien est un échec : il a
éthiques : la nature, la raison. la science, connaît sa première vraie préfiguration approfondi le fossé qui va s'établir au
la liberté. (un chroniqueur du vme siècle, quj centre orien.taJ de l' Europe. sur la
souligne la victoire de Charles Martel à vieille frontière entre le monde latin et
Po'itiers en 732. oppose les Européens le monde grec. Une coupure très
aux musulmans). Elle est le fruit d'une ancienne et profonde de rEurope
L'Empire genèse paradox.ale et contradictoire.
D'un côté. les possibilités d'unité poli-
s •éta bi it pour longtemps entre le
christianisme latin romain et le

roma 1•n tique, partiellement atteintes sous rEmpi-

semble marquer re romain, semblent s'évanouir, les
un dérapage de l 'Europe : Il est invasions barbares esquissant l'Europe
christianisme grec orthodoxe. En
1054. le schisme de Photius annonce
la ruuture.
centré sur la Méditerranée, Il des nations : Espagne wisigothique, Ce fossé, c'est celui qu' avivera au
englobe de larges portions de l'Afrique Gaule franque, Angleterre anglo-saxon- xxe siècle le monde communiste à
et de l'Asie. Mais son centre, c'est ne. Ttalle lombarde. D'autre part, un direction soviétique. héritier inconscient
l'Italie. pays européanissime. Il fait puissant facteur d'unification s'installe du monde grec orthodoxe, fossé qui
mordre sa civilisation unitaire sur de et va modeler l'espace européen. impri- survit à la chute de l'Empire soviétique.
vastes régions : Portugal, Espagne, mer peu à peu en profondeur à ses Un cas saisissant le montre : le fossé
nord de l'Angleterre, Gaule, vallée du habitants des croyances et des pratiques passe entre. à J'Ouest, la Croatie romai-
Rhin jusqu'à Maastricht (l'empreinte communes : c'est le christianisme. Son ne, catholique, el ce qui sera à l'Est la
romaine, toujours visible dans nombre empreinte s'établit d'autant mieux qu'une Serbie orthodoxe. C'est un des grands
de villes européennes, esl surtout seule organisation. l'Eglise. et à sa tête problèmes de l'Europe.
urbaine), vallée du Danube (jusqu'à le pape, qui lentement s'impose, diri- Pourtant, tout au long du Moyen Age,

l 'Europe
grignote
l'Afrique et
l'Asie. Sous une
apparente unité,
l'Empire romain
fige un grand
clivage:
Occident lati n et 1 4§um-Campanie
Orient grec. Il Apul!e-Calabre VIII 8nilie
Ill l..uc:anie-8rut IX Uglrle
IV SaJMiutn X VéJlêtie-lsuie
V Picenum Xl Tranpadane
VI Ombrie
D Langue latine 0 Langue grecque

l.O Télérama N • 2226 - 9 septembre 1992

 Le oecidenrai en 1'Q04
) .) '
la réunification des deux Europe, des
deux moitiés de la chrétienté, est a
c0
1 l'ordre du jour. Soit par les conquètes. n
éphémères. de l'empereur byzantin Jus- c
ünien au ve siècle. ou des chevaliers
latins avec la prise de Constantinople en 3
CT>
1204. Soit par les tentatives pacifiques,
tout aussi éphémères, de réunion des
Eglises. en 1274. en 1439. Pourtant.
l'unité de l'Europe passe encore
=
,...
aujourd'hui par les progrès de l'œcu-
ménisme. et il serait navrant que la
politique actuelle de la Papauté. qui.
depuis le Moyen Age, a beaucoup fait
pour !'.Europe, puisse les rendre plus
difficiles.
L'épisode de l'Empire carolingien n'est
Monde occidental latin qu'un avatar de la construction euro-
péenne, mais les résultats de son parta-
Monde musulman ge, après le traité de Verdun (843) et
ses rectifications, acceoruent la préfigu-
1204-1261 : Constantinople est la capitale de l'Empire byzantin... ration d'une Europe politique. lourde de
succès comme de conflits : le couple
France-AJlemagne s'y précise. mais
J'instable Lotharingie, un royaume arti-
ficiel qui s'étire de la Mer du Nord a.ux
Alpes. centré sur la Lorraine, y intro·
duit une pomme de discorde redoutable.
L'Italie. de son côté. y figure surtout
comme une proie que l'Allemagne au
Moyen Age, la France à la Renaissance,
les grands Etats européens jusqu'au XJX•
siècle guigneront pour le plus grand mal-
heur, là aussi. de l'Europe.
Ces traités de partage du IXe siècle
mettent pourtant en lumière une don-
nee fondamentale de l'Europe : pointe
occidentale du continent eurasiatique,
les différents types de sol. d'écoMmie,
de civilisation y convergent. par bandes
c::cJ Monde occidental latin
étagées du nord au sud. Les Etats créés
- Empiœ byz.antin par les Carolingiens s'efforcent d'avoir,
Monde musulman dans t1n découpage vertical, un mor-
ceau de chaque bande. Cette diversité
... 1453 : aux mains des Turcs, Istanbul devient la capitale de l'Empire ottoman. géographico-historique, pour être res-
Le mondê'oecidentaf en ..1--rvv
pectée, réclame des constructions com-
plémentaires et harmonieuses, qui
préservent la personnalité et la riches-
se de chacun. Cela. malheureusement.
ni Charlemagne, ni Charles Quint, ni
Louis XIV. ni la Révolution française,
ni Napoléon ne l'ont compris.
L'Europe cependant s'ébauchait aus-
si au contact d'adversaires et de concur-
rents. Comme pour les conflits internes
à l'Europe, on ne voit en général dans
ces contacts que des affrontements.
L'Islam, dés le vrne siècle, mord sur
l'Europe et fait de la plus grande par-
tie de l'Espagne le prolongem~nt ......._
~ Morlde occidental latin

~ Présence raHne en Orient - Oemier bastion byzantin

Empire ottoman ~ Territo1re byzantin sous ei!1Prise ottomane

Tél érama N• 2226 • 9 septembre 1992 11

 ..,....._ du monde musulman asiatico-afri-
cain. A partir du xve siècle. ce seront
les Turcs qui grignoteront à son extré-
mité sud-orientale un morceau de l'Euro-
pe. Il appartenait à l'Europe de préserver
et de reconquérir son indépendance
vis-à-vis de ces agressio.ns. mais il ne
faut pas oublier que ces contacts, sous
une fom1e pacifique. profitèrent à l'Euro-
pe. Par l'Espagne et par la Sicile au
Moyen Age parvinrent en Europe les
techniques. les sciences, la philosophie
que les Arabes avaient héritées des
Grecs. des Indiens. des Iraniens. des
Egyptiens, des Juifs. Ces apports per-
mirent à l'Europe occidentale, qui a su
les assimiler, les adapter, les recréer et
tirer d'elle-même d'autres ressources.
de réaliser l'extraordinaire essor médié-
val qui lui fit dépasser la puissance et
égaler la civilisation des grandes aires
politico-culturelles chinoise, indienne,
musulmane. byzantine.
Le Moyen Age a équipé l' Europe :
techniquement et économiquement.
pour déboucher aux xrve.xvesiècles sur
une « économie mondiale &, malgré de
gros obstacles (dont celui de la multi·
plicitè des monnaies) ; intellectuelle-
ment, en créant ou recréant un type
d'écoles supérieures (les universités).
une méthode scientifique rationnelle
12 Télérama N• 2226 • 9 septembre 1992
(la scolastique). un an à l'échelle euro-
péenne (roman. puis gothique) qui
accueille les images sans les adorer, des
valeurs animées par un christianisme
évoluant selon le sens de l'Histoire
(équilibre entre l'homme et la nature, la
raison et la foi. promotion - insuffi-
sante - du travail. éthique - fragile -
de la vie économique. cherchant à
mettre un frein sans l'entraver au capi-
talisme naissant). IL lui donne des fon-
dations chrétiennes. encore essentielles
aujourd'hui. mais qui ne doivent pas
étouffer les apports postérieurs de la
Réforme, des Lumières. de la libre pen-
sée, de la morale laïque. sans oublier
l'apport pluriséculaire des judaïsmes.
Mais l'Europe médiévale montre aus-
si les problèmes. les contradictions, les
dérapages, les erteurs et les crimes des
pratiques et de l'esprit européens. Sous
prétexte de plus de justice par la
recherche de l'aveu (impulsion donnée
à toute la psychologie européenne jus-
qu'à Freud), elle invente l'Inquisition et
légalise la torture ; limitant les tares de
la féodalité, elle institue l'Etat, plus jus-
te, mais en fait une idole en intronisant
la raison d'Etat. Elle hésite entre le repli
sur soj (suivi de « purifications »
internes : persécutions des juifs. des
homosexuels. chasse aux sorcières) et
Après les guerres
napoléoniennes, le Congrès
de Vienne redesslne la carte
de l'Europe. Sous la tutelle
des grands empires, mals au
détriment des peuples.
l'expansion pacifique (commerce) ou
agressive (croisades). 1492 est symbo-
lique de J'Europe : fin de l'Islam européen
par la reconquête de Grenade. juifs chas-
sés d'Espagne au nom de la « pureté de
sang ,> , découvertes ambivalentes de
l'Amérique caractéristiques de l'Europe-
Janus, un visage tourné vers la toléran-
ce et l'ouverture, l'autre vers l'intolérance,
la conquëte et l'esclavagisme.
J'ai insisté sur ces temps anciens de
l'Europe car je crois qu'on voit mieux
ainsi les données d'une longue durée
qui pèse pour le meilleur et pour Je pire
sur l'Europe d'aujourd'hui. Mais l'His-
toire n'est pas que continuité, elle est
aussi rupture et nouveauté. avec l'apport
de la volonté et du travail des hommes.
L es Temps
modernes
s'ouvrent sur une grande rupture de
l ' unité européenne : la Réforme.
Mais catholicisme et protestantisme,
tous deux réformés malgré l'horreur
des guerres de religion. restent deux
versions proches du christianisme.
L'humanisme est rupture avec la
scolastique, mais diffuse dans toute
l'Europe une nouvelle strate culturelle
commune. Erasme, l' humaniste
critique européen de 1500, est
redevenu aujourd'hui le symbole de
l' Europe de la pensée. L'imprimerie
diffuse des livres où les langues
vernaculaires remplacent peu à peu le
latin. Mais Venise, Lyon. Bâle.
Nuremberg, Anvers et, aux xvue.
xvme siècles, les Provinces-Unies (les
Pays- Bas) impriment pour toute
l'Europe et. grâce au colportage, pas
seulement pour l'élite culturelle.
Les guerres. mues par les Etats de
l'Ancien Régime puis par les Etats-
nations. déchirent, ruinent assassinent
l'Europe dans une sorte de crescendo
infernal. des guerres d'Italie, de la
Renaissance aux deux grandes guerres
du xxe siècle {la première essentielle-
ment européenne, la seconde surtout
meurtrière en Europe).
Pourtant. l'unité culturelle de l'Euro-
pe ne cesse de s'enrichir : le baroque,
les Lumières sont un mouvement euro-
péen. Le despotisme éclairé (expres-
sion non péjorative pour désigner un
régime autoritaire mais qui ne veut
imposer que les progrès de la raison)
apparaît dans l'Europe du xvrne siècle
comme la formule politique magique
qui semble, de Lisbonne à Saint-Péters-
boufg, s'inspirer des philosophes. La
 mode littéraire qui s'emballe pour un
pays en répand ses productions dans
Yalta sépare l'Europe
en deux blocs. Il faudra c
l'Europe entière. L'Italie. l'Espagne. la attendre 4 5 ans pour que 0
n
France, l'Angleterre. avant la Révolu-
tion française, sont en vedene. Au Xl)(t
t ombe le • rideau de f er • et
qu'explosent tardivement
c
siècle, la philosophie allemande et le les nationalismes à l'Est. 3
roman russe sont les lectures de l'Euro- C1>
pe toute entière. L'Europe après Yalta (1945) ::1
La RevolUiion française a été une r+
Bloc 'Ouest • • • • • • 'R<Ieau de fef
éveilleuse prodigieuse de l'Europe. par
la Déclaration des droits de l'homme.
l'abolition de la feodalitè, l'esprit répu-
blicain, mais elle meconnait la puis-
Pays neulnls
sance de la religion. dérape vers la
guerre et un nationalisme d'une VIru-
lence jusqu'alors inconnue et donne la
terrible image de la Terreur. Si Napo-
léon, face â des régimes monarchiques
archaïques. propage en Europe quelques-
uns des bienfaits de la Révolution. il
donne surtout l'exemple de ce que
l'Europe ne doit pas être : une Europe
de la conquête et de la domination d'un
Etat et d'un homme.
Le XJXC siècle. qui s'ouvre sur un
nouveau mouvement culturel euro~n. le
romantisme. connaît la rholution
industrielle, et l'Europe donne au
monde un exemple de ses réussites et
de ses tares. Au niveau politique et
social. un peu panout. plus ou moins
fort. des aspirations vers plus de
justice sociale animent des groupes.
des partis. des revoltes. Le soctalisme
- europëen toujours. car l'Amerique L'Empire russe. puis soviétique. et la instruments politiques et economiques
n'est encore qu' un appendice de monarchie habsbourgeoise (1) ont main- (notamment monetaires) qui lui ont
l'Europe - est en marche. pour le tenu dans la dépeodance des nations. qui manqué dans le passé.
meilleur et pour le pire. La démocratie chercltent maintenant (et parfois de la Les objectifs sont. dans l'ordre : la
se consolide. a l'ouest de l'Europe, pire façon) à realiser leur révolution paix, la prospérité, la justice. et d'abord
sunout sous la forme parlementaire nationale du XIXe siècle. L'Europe ne la justice sociale. Les héritages de l'Euro-
bourgeoise. Un dérapage s'intensifie, vit pas partout à la même heure de pc sont essentiellement des héritages
celui qui conduit l'Europe de l'Histoire. de culture et de valeurs. mais elle ne
J'expansion au colonialisme. les préservera et ne les renouvellera que
L'Euro pe, quoiq ue toujours sur des bases ëconomiques et politiques
civilisatrice. devient aussi un continent-
bourreau, bourreau de l'Afrique. de
l'Asie du Sud-Est et du Proche-Orient.
Duxxe solides. Elle devra toujours avoir à
l'esprit les dérapages du passé pour évi·
ter les mauvaises tentations.
Un autre dérapage ne sera vu que plus
tard, celui de la science vers le
scientisme, qui radicalisera le racisme,
sièc1e' Depuis plus de vingt siècles existe
on volt surtout une Europe potentieUe. L'occasion n'a
aujourd'hui les horreurs des guerres, jamais èté aussi urgente (et possible)
tentera de légitimer un cr socialisme du goulag, de la Shoah, des camps de la réaliser qu'aujourd'hui. EUe est à
scientifique • et cherchera à expulser la de concentration. des haines nationales créer. sur ses héritages. Ce sera long
morale de la science. et ethniques. On pourrait en dresser et difficile. Elle doit rester ouverte.
Sunout, le XIXe siecle est le siécle un bilan heureusement plus nuancé. notamment en faveur du tiers-monde.
de l'explosion du nationalisme. qui evo- En conclusion : l'Europe, fone de Enfin. à nouveau pour l'Europe s'offre
lue aussi entre un progrès et un déra- ses héritages dans la longue durée. une aventure (au sens de ce qui est â
page : la légitime reconnaissance du confrontée à ses problèmes interieurs et venir) qu1 en vaut la peine •
droil des peuples â disposer d'eux- extérieurs (les crises du socialisme et Jacques l e Goff
mêmes et les excès de la folie nauona- du capitalisme. la fragilité de la démo-
liste. L'une des difficultés de la cratie, l'existence de deux géants : les (1) OU les Auv~ehrens seuls. PlltS avec les Hongroos.
dominent leS Tç~ues. res Sklvllques. Jes PolonaiS
construction européenne vient de ce Etats-Unis et le Japon). n'a pas de pro- de GaiiÇie, les Slo\~. les Ctoates. les Bosnlaques
que la plupan des pays européens. â jet plus nécessaire et plus exaltant que et, Jusqu'en 1866, 1es ltalli!IIS de Lombartlie-Vénéue.
l'Ouest, ont tàit leur nécessaire révolu- l'unité européenne. Cene unité devra
tion nationale au XIXe siècle. tandis respecter les diversités nationales, qui
que deux dominations très répressives sont une des richesses de l'Europe,
écrasaient. â l'Est. de nombreux peuples. mais elle devra également se munir des
T616ramo N• 2226 • 9 septembre 1992 13