Pierre Donadieu
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/economierurale/1923
DOI : 10.4000/economierurale.1923
ISSN : 2105-2581
Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)
Édition imprimée
Date de publication : 6 mai 2007
Pagination : 10-22
ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Pierre Donadieu, « Le paysage, les paysagistes et le développement durable : quelles perspectives ? »,
Économie rurale [En ligne], 297-298 | janvier-avril 2007, mis en ligne le 01 mars 2009, consulté le 30
avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/1923 ; DOI : 10.4000/
economierurale.1923
’idée de paysage a-t-elle encore un ave- analysera la diversification des réponses des
Lconstatant
nir ? On n’en doute pas un seul instant en
depuis vingt ans son développe-
professionnels du paysage à l’État et aux
pouvoirs publics. Enfin, l’objet de la qua-
ment politique et professionnel dans les trième partie sera d’esquisser ce que devient
pays de culture occidentale, notamment en aujourd’hui la pratique de projet des concep-
Europe (Donadieu et Scazzozi, 2007). Non teurs paysagistes sollicités par les pratiques
seulement le paysage serait une notion d’uti- de gouvernance qui inscrivent la construc-
lité publique, mais il aurait un rôle à jouer tion des paysages matériels ordinaires dans
dans la mise en œuvre des valeurs du déve- le débat public sur le développement
loppement durable. Il aurait ainsi à contri- durable.
buer, demain plus qu’aujourd’hui, au « bien-
être des populations », si l’on en croit la
Convention européenne du paysage signée
La conception du paysage :
à Florence et ratifiée par la France en
entre art et science
décembre 2006. Dans les langues d’origine européenne, le
Cette question est d’autant plus impor- mot paysage exprime, avec des nuances
tante que les acteurs politiques s’intéres- selon les cultures (nord et sud européennes
sent de plus en plus aux compétences des en particulier), l’étendue spatiale que l’on
professionnels du paysage. Quels rôles voit d’un seul regard : son image peinte,
jouent en France ces métiers dans l’action décrite ou photographiée autant que la réa-
publique ? Qui sont les professionnels du lité matérielle qui peut lui être associée.
paysage ? Entre les logiques mondialisées Selon l’historien du paysage Baridon (2006),
des acteurs économiques de la production de « un paysage est une partie de l’espace
l’espace et la mise en œuvre des gouver- qu’un observateur embrasse du regard en
nances territoriales, comment les profes- lui conférant une signification globale et
sionnels du paysage s’adaptent-ils ? un pouvoir sur ses émotions ». Dans la cul-
Cet article, centré surtout sur la France, ture chinoise traditionnelle, où le terme
montrera, dans les deux premières parties, shanshui (montagnes et eaux) désigne la
que le sens du mot paysage a évolué pour peinture de paysage, l’idéel et le matériel ne
signifier aujourd’hui non seulement la pro- sont pas dissociés. Cette dualité entre la
duction géographique d’un espace et la per- réalité objective et l’interprétation qui en
ception globale d’une étendue, mais aussi ce est faite fonde le rapport humain au monde
qu’elle devrait être, notamment en tant que sensible occidental. En Occident, contrai-
cadre de la vie humaine et sociale. Puis que rement à l’Orient, la rationalité cartésienne
le succès contemporain de la notion de pay- isole ce qui est vu du résultat de la vision :
sage est la conséquence de politiques la perception et la représentation, notam-
publiques qui l’ont instrumentalisée et en ment avec l’aide de la perspective pictu-
tirent parti aujourd’hui. La troisième partie rale. C’est pourquoi, en Occident, il existe,
surtout depuis le XIXe siècle, deux pôles dis- tion polysensorielle au monde serait man-
tincts d’interprétation profane de la rela- qué. C’est ce que développent les
tion visuelle au monde visible : l’art et la démarches phénoménologiques 2 . Ces
science. modes d’interprétation du paysage pré-
sentent cependant des faiblesses. Le pre-
1. L’art du paysage mier réduit le monde vécu à ses appa-
L’artiste est, selon le sociologue Francastel rences, et néglige l’invisible (les forces
(1970), celui qui, « traduit dans un langage économiques, naturelles et politiques
particulier une vision du monde commune à notamment). Il en est de même du second
l’ensemble de la société dans laquelle il point de vue qui, en outre, est peu com-
vit ». C’est à partir de cette vision que tra- municable et partageable.
vaille l’artiste peintre de paysage immergé
dans un contexte culturel et social. Ainsi 2. Les sciences du paysage
produites, des images de paysage ont été Le point de vue de la science sur le paysage
données à voir à la société. Elles existaient a été affirmé surtout à partir du XIXe siècle.
sur les murs des villas romaines puis, après Il a mis en avant une connaissance repro-
le Moyen-Age, ont été largement diffusées ductible de faits géographiques observables
grâce à l’invention de la perspective eucli- parallèlement aux interprétations artistiques.
dienne par les architectes italiens Brunel- Les premiers géographes comme Alexandre
leschi et Alberti. Baridon1 fait ainsi des de Humboldt (1759-1869) proposaient des
tableaux du peintre Ambrogio Lorenzetti interprétations rationnelles des étagements
intitulés « Effets du bon et du mauvais gou- de la végétation en Amérique du Sud, mais
vernement en ville et à la campagne » et montraient aussi des scènes pittoresques
visibles au Palazzo Pubblico de Sienne, le dessinées, naturelles et sociales. À la suite
point de départ de la renaissance de la pein- de Paul Vidal de la Blache (1903), le pay-
ture de paysage occidental. sage, en tant qu’il donnait à voir et à com-
Le cube scénique et sa projection en deux prendre les relations déterministes entre les
dimensions supposaient l’unicité du point de faits de nature et les faits de société, fut un
fuite et la conservation de la position entre objet de prédilection de la géographie. Jugé
les objets. Cet espace scénique, qui repré- ensuite peu fiable en tant que concept trop
sente l’espace tel que l’œil le perçoit, a dis- incertain, il aurait pu disparaître de la scène
paru dans l’art pictural avec Paul Cézanne scientifique à la fin du siècle dernier. Il fut
et Vincent Van Gogh, mais n’est pas mort. redéfini par le géographe Georges Bertrand
Il perdure dans les usages sociaux de au sein de la notion de complexe paysager
l’image. Il continue à inspirer la scénogra- dans lequel il était associé à celles de géo-
phie théâtrale de l’espace urbain et archi- système et de territoire. Il y exprimait,
tectural, et des jardins et, nous le verrons, les comme le rappelle le géographe Yves
architectes paysagistes. Luginbühl (2004) « la part culturelle, patri-
Sans le point de vue de l’art sur les pay- moniale et identitaire de la pensée du rap-
sages et les jardins qui modèle les regards, port avec le monde qui entoure l’individu et
le monde sensible, dont le sens esthétique la société »3.
est privilégié, ne serait pas compréhen-
sible pour un regard occidental. C’est la
thèse culturaliste (Roger, 1997). Sans l’uni- 2. Voir les n° 11 (Cheminements, 2004) et 12 (La
vers intime de l’expérience sensible du danse, 2007) des Carnets du paysage (Revue bian-
nuelle éditée par les éditions Actes Sud et l’Ecole
corps dans l’espace, l’essentiel de la rela-
nationale supérieure du paysage, ENSP, de Ver-
sailles).
1. Baridon (op.cit). 3. Voir en particulier la page 2.
des universitaires, écologues et géographes, L’art des jardins en Europe se situait dans le
et des « paysagistes d’aménagement »6. prolongement de celui de la peinture, de la
Ces nouveaux professionnels, spécialistes sculpture et de l’architecture, autant que du
d’approches dites « sensibles » autant que théâtre, de la musique, du roman et de la
scientifiques et techniques furent désignés poésie. Il était au service des princes et de la
par l’État (le premier ministère de l’Envi- bourgeoisie commerciale, puis industrielle,
ronnement en 1971) comme les experts dont il fabriquait le décor idyllique et emblé-
capables de répondre à la demande sociale matique de la vie publique et privée (Bari-
de paysage et de cadre de vie, et aux com- don, 1998).
mandes des pouvoirs publics dans ce Deux phénomènes majeurs vont susciter
domaine. une mobilisation de ces hommes de l’art par
les pouvoirs publics et les États. L’indus-
La commande publique trialisation naissante en Europe va poser
et les paysagistes la question de l’organisation des villes où
affluaient les populations ouvrières. Puis, les
Si on connaît assez bien l’histoire récente de conquêtes coloniales vont poser, de la
la commande faite aux architectes en France même façon, le problème de la planification
(Moulin et al, 1974), celle qui a été adres- des villes à créer. C’est en Angleterre que
sée aux professionnels du paysage a été
le théoricien des jardins J.-C. Loudon
également éclairée par les travaux des socio-
(1783-1843) recommanda l’embellissement
logues (Dubost, 1984, 2002 ; Barraqué,
de l’espace public dès le début du XIXe siècle
1985). Ces praticiens ont d’abord été appe-
pour créer des villes saines, agréables et
lés jardinier, jardiniste, architecte de jardin
préservées des épidémies, principes qui,
et architecte paysagiste jusqu’en 1940, puis,
avec d’autres (les égouts, la propreté de
à partir de 19627, paysagiste diplômé par le
l’espace public, notamment) seront repris
gouvernement (DPLG) et ingénieur pay-
sagiste. dans le réaménagement de Paris par le
préfet Haussman et l’ingénieur A. Alphand
1. Les pouvoirs publics et les architectes (1817-1891). Aux États-Unis, A.-J. Downing
paysagistes (1815-1862), puis l’architecte paysagiste
Jusqu’au XIXe siècle, la commande quasi F.-L. Olmsted (1822-1903) fonderont
unique était celle des jardins et parcs appar- ensuite les principes d’une planification
tenant aux familles royales et aristocratiques des villes ménageant de vastes espaces
et dépendant de palais, châteaux, manoirs et publics verts, notamment à Boston et
villas. Elle concernait des architectes, autant N e w -York. Au Maroc, au début du
e
que des jardiniers et des peintres et, le plus XX siècle, l’idée de ville-parc sera expéri-
souvent, des autodidactes (Racine, 2002). mentée en vraie grandeur dans les villes
européennes du Protectorat avec l’archi-
tecte paysagiste J.-C.-N. Forestier (1861-
6.Cf. Luginbühl (op. cit). 1930) et l’urbaniste H. Prost, notamment à
7. Date de la création du diplôme de paysagiste
Rabat (Bennani, 2006). De même, après la
DPLG pour les élèves de la section du paysage et de
l’art des jardins de l’Ecole nationale supérieure Seconde Guerre mondiale, l’enjeu politique
d’horticulture de Versailles (Donadieu et Bouraoui, de la fondation d’une capitale comme Bra-
2004). Le titre de paysagiste n’est pas protégé silia mobilisera, à la fin des années 1960,
comme celui d’architecte par un ordre profession- autour d’une utopie urbaine, l’urbaniste
nel. Il désigne autant les entrepreneurs paysagistes
que les ingénieurs et les architectes paysagistes.
Lucio Costa, l’architecte Oscar Niemeyer et
Ces derniers exercent leur métier en majorité sous le paysagiste Roberto Burle-Marx (Monte
la forme de la profession libérale Juca, 2005).
Dans tous ces cas, chaque État ou chaque tectes, qui l’ont apprise souvent au contact
ville désignait ses praticiens pour leur confier des paysagistes (Masboungi, 2002). Pour
une mission d’intérêt public : la fabrication ces professionnels, le paysage est une don-
de tout ou partie d’une cité. Aux architectes née interprétée de chaque site qui désigne la
paysagistes, il demandait particulièrement la relation humaine à l’espace proche et loin-
mise en place des réseaux verts d’espace tain. L’utiliser suppose souvent d’inscrire
publics destinés à la circulation automobile l’usager de l’espace dans un rapport « spec-
(parkways), aux loisirs et aux sports (parcs, tatorial » avec les éléments naturels (le ciel,
jardins, squares, stades), ou à d’autres ser- la montagne, la mer, l’arbre, la rivière, etc.)
vices d’intérêt général (cimetières). L’État, ou artificiels du paysage. C’est pourquoi la
par son représentant, comme le général pratique de la promenade, qui centre l’ex-
Lyautey au Maroc, pouvait demander aussi périence de l’espace sur celle du corps en
une véritable planification de la future ville mouvement, comme dans le cas de la danse,
en prévoyant les réserves foncières desti- prend une telle importance dans l’art du
nées, soit à être construites, soit à ne pas paysage et du jardin.
l’être, afin de ménager des espaces libres De ce point de vue, l’architecte paysagiste
d’accès au public et de vision des scènes s’affirme comme un scénographe qui orga-
remarquables (les montagnes de l’Atlas à nise l’espace sensible de l’usager, par
Marrakech, par exemple). exemple avec des parcours pédestres desti-
La figure de l’architecte paysagiste a été nés autant à éprouver les corps qu’à propo-
d’abord celle d’un concepteur et d’un maître ser des lieux différents.
d’œuvre de projet de jardins privés et d’amé- Autant le jardin et l’aménagement pay-
nagement d’espaces publics urbains. sager sont le domaine exclusif d’action du
D’abord autodidacte, sa formation fut jardinier et du paysagiste, autant la planifi-
ensuite dispensée à l’École nationale d’hor- cation du paysage (landscape and urban
ticulture de Versailles à partir de 1874. Sa planning, urban design) est partagée aujour-
pratique, qui acquit rapidement une audience d’hui avec les scientifiques. À l’époque de
internationale (Durnerin, 2002), se sépara J.-C.-N. Forestier et de F.-L.Olmsted, l’en-
progressivement de celle de l’entreprise jeu politique était la fabrication de villes
paysagiste comme dans le cas de l’archi- nouvelles faites pour le commerce et l’in-
tecte, qui était, et reste aujourd’hui, à la dustrie et pour accueillir des émigrants.
fois un modèle et un concurrent. À partir des Urbanistes et paysagistes pensaient la trame
années 1980, les paysagistes DPLG se sont verte et aquatique de la ville comme un
inspirés de la pratique de pionniers fran- « système de parcs » prometteur de mieux-
çais comme J.-C.-N. Forestier pour reven- être individuel et social, par rapport aux
diquer une compétence de conseiller de la villes insalubres qui n’en disposaient pas
maîtrise d’ouvrage publique, notamment (Leclerc, 1994). Il en fut de même dans les
dans le domaine de la planification urbaine villes nouvelles françaises des années 1970
et de l’aménagement du territoire. avec des paysagistes comme Gilles
Vexlard, Michel Corajoud et Jean-Claude
2. Le paysage comme outil de Saint-Maurice (Blanchon, 1999).
l’aménagement du territoire Pour contribuer à une réponse des concep-
Les figures professionnelles précédentes, teurs paysagistes aux questions formulées
qui font référence chez les paysagistes fran- aujourd’hui en termes de développement
çais d’aujourd’hui, montrent que la notion durable par les pouvoirs publics, l’outil des
de paysage a toujours fait partie de la culture projets de paysage est donc ancien. Mais il
des praticiens du jardin, mais aussi de ceux ne peut reposer ni sur les mêmes valeurs, ni
de la ville, comme les urbanistes et les archi- sur les mêmes modes de mise en œuvre
d’urbanisme des collectivités locales et ter- • À l’artiste, ils empruntent une familiarité
ritoriales. Elles sont mobilisées en France par avec l’espace plastique des formes paysa-
les travaux des écologues du paysage, qui gères à reconnaître et à créer, ce que reven-
s’inscrivent dans les réseaux de l’Interna- diquent aujourd’hui les tenants du land-
tional Association for Landscape Ecology scape urbanism (Waldheim, 2006 :
(IALE)- France créée en 2001. Donadieu, 2006).
• À l’architecte autant qu’à l’urbaniste, la
2. L’héritage urbaniste et paysagiste culture de concepteur de projet.
Un second courant européen, issu en France • À l’ingénierie les outils techniques de la
du Musée social et des idées du sociologue réalisation d’un projet.
et économiste français Frédéric le Play • À la géographie, l’écologie, la sociologie
(1806-1882), s’est traduit au début du siècle et l’histoire la capacité à formuler un dia-
dernier par les travaux des urbanistes et gnostic sur l’évolution matérielle d’un ter-
paysagistes français associés à la planifica- ritoire, ses causes et ses conséquences
tion de villes au Maroc, à Cuba et en Argen- sociales et environnementales.
tine, mais aussi en France (Toulon, Paris). Enfin, ils s’inscrivent dans la tradition des
Ce fut le cas de H. Prost et J.-C.N. Forestier concepteurs paysagistes qui savent répon-
dont les travaux ont déjà été évoqués. À la dre depuis A. Alphand et F.-L. Olmsted,
même époque, le modèle de la cité-jardin en par un projet de paysagiste, à une com-
France était diffusé par Henri Sellier, émule mande publique des collectivités urbaines.
de l’architecte anglais Unwin inspiré par
3. Le rôle des concepteurs paysagistes
les théories de son compatriote E. Howard
sur la garden city. C’est à ce courant d’idées Dans tous les cas précédents, l’apport des
et de pratiques professionnelles, inspiré par concepteurs paysagistes sous leurs diffé-
des finalités sociales et politiques que, après rentes compétences (planificateur, archi-
une période d’oubli, les architectes paysa- tecte, ingénieur, artiste, jardinier) n’est pas en
gistes français ont fait référence à partir des principe redondant avec celui des scienti-
années 1980, et de manière plus institu- fiques, qui n’ont pas en général de compé-
tionnelle en 19958. tences de projeteur au sens du dessin de pro-
Ce qu’ont apporté les « paysagistes jet des architectes10. Il en est le complément
d’aménagement » formés au Centre national indispensable, non en termes de décoration
d’études et de recherches du paysage des espaces aménagés (pratique souvent cri-
(CNERP) de Trappes de 1972 à 1978, ainsi tiquée, car elle vient trop tard en aval des pro-
que, ensuite, les paysagistes DPLG des cessus de projet), mais en termes de mise en
écoles de paysagistes, a été inscrit dans l’hé- cohérence formelle et fonctionnelle des dif-
ritage d’un métier en construction au niveau férents types de projets qui construisent un
mondial : celui d’architecte paysagiste9. territoire, cohérence pensée en amont de
Héritiers d’une culture d’architecte de jar- ceux-ci. D’un côté des concepteurs paysa-
dins, les paysagistes DPLG ont fait valoir gistes, plutôt scénographes, qui s’appuient
auprès de leurs commanditaires publics une sur les connaissances scientifiques des états
pratique hybride entre quatre domaines :
artistique, architectural, technique et scien- 10. Toutefois, selon les écoles de concepteurs pay-
tifique. sagistes, les diverses compétences nécessaires peu-
vent être plus ou moins développées. Sont ainsi
différenciées des écoles à dominante de projets
8. Circulaire 95-23 sur les plans de paysage. dessinés (l’ENSP de Versailles qui forme des pay-
9. Avec en particulier la mise en place de la fédé- sagistes DPLG) ou de compétences scientifiques et
ration internationale des architectes paysagistes techniques (l’Institut national d’horticulture d’An-
(IFLA). gers qui forment des ingénieurs paysagistes).
contenu de ces entretiens, c’est que l’ap- durable au sein de gouvernances territo-
proche de paysage débouche immédiate- riales. Il est cependant difficile, au stade
ment sur des questions de territoire. Le pay- actuel des recherches, de savoir quels résul-
sage est à la fois une porte d’entrée et un tats précis ont obtenus les collectivités qui
écran : on cherche le paysage et on trouve se sont inscrites dans l’éthique du dévelop-
le territoire. Ce que les paysagistes appel- pement durable. L’évaluation de la construc-
lent « projet de paysage » est une approche tion de « paysages durables » n’est pas
de type territorialiste qu’Alberto Magnaghi encore opérationnelle. Il est possible néan-
appellerait « projet local auto-soutenable ». moins de déceler quelques tendances.
Ainsi il semblerait pouvoir faire la synthèse
de deux héritages des politiques publiques 3. Vers un paysage durable ?
dans ce domaine : la protection des espaces Trois modèles, repérés dans une recherche
naturels et des paysages remarquables d’un sur des collectivités du centre de la France
côté, et l’intégration de la qualité paysagère par les chercheurs du Centre national du
dans le développement urbain de l’autre. machinisme agricole, du génie rural et des
L’un est presque exclusivement lié aux poli- eaux et forêts (Cemagref) de Bordeaux
tiques patrimoniales initiées par l’État, (Moquay et al, 2004), semblent assez bien
l’autre semble beaucoup plus résider dans exprimer les tendances générales des pra-
les savoir-faire professionnels et dans l’in- tiques actuelles :
terface politiques locales/logiques habi- – le paysage-décor, héritier des origines
tantes et témoigne de la montée du souci du picturales du paysage est une production
cadre paysager dans les préoccupations « en soi » destinée surtout à la consomma-
habitantes. » tion esthétique et à fabriquer des images
La démarche paysagère est également valorisantes pour leurs commanditaires et
mise en avant dans le cas des chartes et leurs destinataires : c’est le cas du marketing
plans de paysages des parcs naturels régio- urbain consommateur de mises en scène
naux qui fixent les valeurs cadres de la pro- urbaines (les éclairages nocturnes des villes
duction des paysages : la conservation des et des monuments historiques par exemple) ;
patrimoines locaux, architecturaux, paysa- – le paysage-territoire est la résultante visible
gers et naturels, et le développement éco- des actions publiques et privées de projets
nomique notamment (Gorgeu et Jenkins, locaux portant sur les processus sociaux,
1995). En revanche, elle est loin d’aboutir environnementaux et économiques de pro-
partout, surtout quand les mutations sug- duction de paysages ordinaires ou remar-
gérées ne conviennent pas aux intéressés, quables à l’échelle de collectivités publiques ;
que les élus sont réticents ou que les évolu- – le paysage identitaire ou paysage culturel
tions des paysages sont trop complexes à est produit en tant que bien commun ou
maîtriser, surtout à une échelle intercom- patrimonial par et pour un groupe social
munale du fait des nombreux pouvoirs poli- qui y reconnaît ses repères symboliques,
tiques qui interfèrent. À ce niveau existe par exemple ceux d’une identité paysagère
réellement un déficit de connaissance de régionale ou locale. Les politiques de pré-
l’aboutissement du processus de projet et des servation des paysages culturels ruraux euro-
manières de l’évaluer. péens menacés de disparition en sont un
Dans ces deux exemples, la notion de bon exemple.
paysage est devenue un instrument des pou- Ils coexistent souvent dans la réalité d’un
voirs publics – de l’État, à la Région et à la territoire et sont mobilisés par les profes-
commune. L’outil du projet de paysage joue sionnels du paysage, qui interviennent
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de médiation des valeurs du développement tions collectives du cadre de vie.
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