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CHAPITRE 04

SPÉCIFICITÉS DE
L'ANESTHÉSIE POUR
LA CHIRURGIE
CARDIAQUE

Mise à jour : Décembre 2018

La forme renouvelée du PAC, nécessite d’importants investissements que les auteurs,


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© CHASSOT PG

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Auteurs

Pierre-Guy CHASSOT Ancien Privat-Docent, Maître d’enseignement et de recherche,


Faculté de Biologie et de Médecine, Université de Lausanne
(UNIL), CH - 1005 Lausanne. Ancien responsable de l’Anesthésie
Cardiovasculaire, Service d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier
Universitaire Vaudois (CHUV), CH - 1011 Lausanne

Dominique A. BETTEX Professeure, Faculté de Médecine, Université de Zürich


Cheffe du Service d’Anesthésie Cardiovasculaire,
Institut für Anästhesiologie, Universitätspital Zürich (USZ), CH -
8091 Zürich

Carlo MARCUCCI Privat-Docent, Maître d’enseignement et de recherche, Faculté de


Biologie et Médecine, Université de Lausanne, CH - 1005 Lausanne
Responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service
d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
(CHUV), CH - 1011 Lausanne

Lectures conseillées
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BARRY AE, CHANEY MA, LONDON MJ. Anesthetic management during cardiopulmonary bypass: a systematic review. Anesth Analg
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Recommandations

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2
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Remarques générales
Ce chapitre décrit le déroulement d'une intervention standard de chirurgie cardiaque. Ce type
d'opération présente des contraintes particulières et des options propres à chaque institution. Il serait
trop fastidieux de décrire toutes ces dernières en détail. Seules les techniques d'anesthésie les plus
courantes sont abordées dans cette partie, en tenant compte de deux remarques générales.

 Dans les hôpitaux d'enseignement, les attitudes recommandées sont sous-tendues par la
nécessité d'avoir une grande marge de sécurité vu le manque d'expérience du personnel en
formation. Dans les cliniques, au contraire, la compétence des praticiens expérimentés en
anesthésie cardiaque permet d'accélérer et de simplifier les routines.
 Les institutions des pays en voie d'industrialisation ne disposent pas des mêmes facilités
techniques que celles des pays riches et ne peuvent souvent pas appliquer les standards de
qualité recommandés par les sociétés professionnelles occidentales.

Des exposés plus approfondis relatifs à la circulation extra-corporelle (CEC), à la chirurgie à cœur
battant et aux différentes pathologies sont traités dans les chapitres correspondants.

Caractéristiques de l'anesthésie cardiaque

Les patients

Par définition, les patients de chirurgie cardiaque souffrent d'une cardiopathie sévère: ischémie
coronarienne, valvulopathie, dysfonction ventriculaire ou maladie congénitale. Ils sont classés le plus
souvent dans les catégories ASA III ou IV. Leur fragilité est telle que la majeure partie d'entre eux
serait récusée pour une intervention de chirurgie générale. Ils nécessitent donc une prise en charge
conséquente et un monitorage invasif. Leur état se caractérise essentiellement par trois éléments.

 Dépendance étroite d'un équilibre hémodynamique particulier entre la précharge, la


postcharge, la fréquence cardiaque et la contractilité myocardique;
 Couplage serré avec la stimulation sympathique, qui peut être bénéfique (insuffisance
cardiaque) ou dangereuse (ischémie coronarienne);
 Perte de la faculté d'adaptation aux variations hémodynamiques (volémie, résistances
artérielles, inotropisme, pression intrathoracique, etc); la baisse de la fraction d'éjection en est
un bon marqueur.

Alors que leur capacité fonctionnelle de base paraît encore satisfaisante, ces malades précaires ont
perdu toute réserve, parce que leur capacité fonctionnelle maximale s'est effondrée (Figure 4.1) [1].

Les patients cardiopathes ne peuvent plus compenser la moindre altération de leurs conditions
hémodynamiques. On peut réaliser une chirurgie majeure chez ces patients avec un taux de succès
élevé, à la condition que leur homéostase soit rigoureusement maintenue. L'anesthésie, la chirurgie et
la circulation extra-corporelle (CEC) doivent se dérouler sans le moindre à-coup. Comme chez les
personnes âgées, le plus petit incident entraîne immédiatement des complications majeures.

Intervenir sur le cœur fait que l'on prend en charge deux patients différents avant et après la CEC, car
les conditions hémodynamiques sont profondément modifiées par le geste chirurgical. La correction
de la cardiopathie peut avoir des retombées immédiates variables.

 Effet immédiat bénéfique: court-circuit d'une sténose coronarienne proximale serrée et


rétablissement du flux myocardique distal, normalisation de la postcharge après
remplacement valvulaire pour sténose aortique, par exemple;
3
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Aggravation des conditions de travail ventriculaire: après la correction d'une insuffisance
mitrale, par exemple, le VG passe d'une situation à précharge élevée et postcharge basse, bien
tolérée, à celle d'une restriction au remplissage et d'une augmentation de la postcharge, qui est
mal supportée.

%
Figure 4.1: Evolution de la réserve 100
fonctionnelle en rapport avec l'âge.
L'âge est un exemple typique de la
réduction progressive de la réserve 80
fonctionnelle lorsque s'installe une
fragilité hémodynamique. La
capacité basale est peu altérée, mais 60
la capacité fonctionnelle maximale Réserve
fonctionnelle
est dramatiquement réduite; les
patients ont perdu toute faculté 40
d'adaptation aux variations des
conditions de charge ou à l'effet
inotrope négatif des agents
20
d'anesthésie [d'après référence 1].
Capacité basale
Age (années)

10 20 30 40 50 60 70 80

De plus, la CEC, la cardioplégie, le syndrome inflammatoire systémique et les manipulations subies


par le cœur tendent à diminuer momentanément les performances du myocarde. Après une poussée
catécholaminergique passagère au sortir de CEC, la fonction systolo-diastolique diminue et atteint son
nadir entre la 4ème et la 6ème heures postopératoires, puis récupère progressivement jusqu'à 24 heures
(voir Insuffisance ventriculaire post-CEC) [2]. Il faudra donc adapter l'anesthésie à ces variations de
la performance myocardique (Figure 4.2).

Figure 4.2: Evolution de la


%
fonction cardiaque après
pontage aorto-coronarien 100
en CEC [d'après référence
2]. Cette courbe est
construite à partir de
plusieurs références; pour
cette raison, la performance
myocardique, évaluée de
manière différente et à des
50
temps différents selon les
%
études, n'est pas exprimée
en unités mais en
pourcentage de la valeur
préopératoire.
Pré-op CEC 0 h 5h 12 h 24 h

Les principaux facteurs de risque qui péjorent le pronostic de la chirurgie cardiaque sont nombreux
(voir Chapitre 3 Facteurs de risque préopératoires).

4
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Choc cardiogène ;
 Insuffisance ventriculaire (FE < 0.3) ;
 Dysfonction rénale (créatinine 120-200 µmol/L, clairance de la créatinine 50-80 mL/min) ou
insuffisance rénale (créatinine > 200 µmol/L, clairance de la créatinine < 50 mL/min) ;
 Age (> 75 ans) ;
 Opération en urgence, réopération ;
 Opération combinée (PAC + opération valvulaire), opération complexe ;
 Sténose sévère du tronc commun, lésions tritronculaires, angor instable ;
 Status polyvasculaire ;
 Diabète (glycémie > 10 mmol/L) ;
 Sexe féminin.

L’évaluation préopératoire et les indices de risque pour la chirurgie cardiaque sont développés en
détail au Chapitre 3 (voir Evaluation préopératoire en chirurgie cardiaque, Indices de risque).

L'anesthésie

L’anesthésie cardiaque a ceci de particulier qu’elle exige une bonne connaissance des cardiopathies,
de l’acte chirurgical et de la circulation extra-corporelle pour pouvoir être efficace. La collaboration
avec le chirurgien est plus étroite que dans les autres disciplines ; dans la chirurgie à cœur battant,
cette collaboration est même la clef du succès de l’intervention. En contrepartie, l’anesthésiste ressent
clairement que ses préoccupations concernant l’hémodynamique sont entièrement partagées par
l’opérateur. Ces vingt-cinq dernières années, cette coopération s’est étendue aussi à la cardiologie,
notamment grâce à l’échocardiographie peropératoire. Ainsi, l’anesthésiste se trouve au sein d’une
réelle activité pluridisciplinaire et assume peu à peu un rôle d'interniste-consultant en salle
d'opération. Il ne faudra donc pas s’étonner de trouver beaucoup de données relevant de la chirurgie
et de la cardiologie dans cet ouvrage.

Une autre caractéristique de la chirurgie cardiaque est d’intervenir sur la pompe centrale de
l’organisme, et souvent de l’arrêter momentanément, alors que les autres organes sont parfaitement
fonctionnels et ont une espérance de vie normale. Ce fait implique de faire preuve de beaucoup
d’opiniâtreté en cas de défaillance myocardique ou d’arythmies malignes, car le potentiel de
récupération de l’individu peut rester intact tant que la perfusion est artificiellement assurée. Le fait
d’être confronté à l’adversité n’est pas une raison pour baisser les bras : dans la situation aiguë de la
salle d’opération, peu de critères permettent de décider ex abrupto qu’une situation est dépassée. Tous
les centres de chirurgie cardiaque ont connu des cas de défaillance myocardique aiguë ou de
fibrillation ventriculaire itérative jugés perdus qui ont parfaitement récupéré après quelques jours
d’assistance circulatoire ou plusieurs dizaines de défibrillations. Une myocardite virale aiguë peut
tuer en trois jours, alors que quelques semaines d’assistance ventriculaire permettent une récupération
suffisante pour assurer une survie normale. La persévérance et la ténacité sont donc des facteurs
essentiels dans la prise en charge de ces malades et dans le succès de l'opération.

La chirurgie

En chirurgie cardiaque, les périodes de stimulation sympathique et/ou douloureuse alternent avec des
périodes très calmes. Les principaux épisodes de stimulation sont les suivants.

 Intubation endotrachéale (stimulation sympathique);


 Désinfection (stimulation par la solution froide sur la peau);
 Incision cutanée (stimulation douloureuse);
 Incision et écartement du sternum (stimulation douloureuse);
 Dissection péri-aortique et canulations (stimulation sympathique, arythmies);
 Refroidissement en CEC (stimulation sympathique);

5
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Réchauffement (réveil);
 Sortie de CEC (stimulation sympathique);
 Relâchement de l'écarteur sternal (stimulation douloureuse);
 Pose des drains (stimulation douloureuse);
 Pose des fils métalliques sternaux (stimulation douloureuse);
 Mise au lit (changement brusque de position, risque de réveil).

Pour maintenir la stabilité hémodynamique et freiner la poussée hypertensive associée à la


tachycardie, les moments de stimulation sont gérés par approfondissement de l'anesthésie (stimulation
sympathique) ou de l'analgésie (stimulation douloureuse). A d'autres moments, comme lors de la
canulation et de la décanulation aortique, il est au contraire recommandé de maintenir un certain
degré d'hypotension artérielle (PAM 50-60 mmHg).

La chirurgie cardiaque évolue actuellement dans plusieurs directions différentes [3].

 Le vieillissement de la population et la tendance à prendre en charge des patients de plus en


plus lourds nécessitent une technologie complexe et des investissements importants. Reculer
les limites du faisable peut être fascinant pour les médecins et nécessaire aux progrès de la
médecine. Cependant l'énergie et les dépenses qui y sont investies laissent parfois planer un
doute sur leur pertinence en terme de santé publique.
 Les avancées technologiques et le manque de donneurs d’organes ont poussé à utiliser de plus
en plus fréquemment des systèmes d'assistance ventriculaire à moyen et à long terme.
 Les succès de la cardiologie invasive ne laissent au chirurgien que les échecs des dilatations
et les patients coronariens les plus gravement atteints parce qu'au-delà des possibilités
techniques de la PCI (Percutaneous coronary intervention).
 Depuis quelques années, la possibilité de créer un circuit rapide (Fast-track anaesthesia) pour
les patients qui subissent une intervention bien codifiée et peu invasive permet de réduire
l’équipement et la durée de la ventilation mécanique postopératoire, et d’appliquer des
techniques nouvelles comme l’anesthésie loco-régionale. Le but est d'offrir les mêmes
prestations tout en réduisant les investissements et la durée des séjours hospitaliers.
 Dans la même optique, les endoprothèses vasculaires aortiques, l'implantation valvulaire
endocavitaire (TAVI: transcatheter aortic valve implantation) ou la plastie mitrale percutanée
(Mitraclip™) visent à simplifier la prise en charge et à offrir des thérapeutiques
minimalement invasives à des malades dont la mortalité en CEC serait excessive (les
interventions sans CEC sont traitées dans le Chapitre 10 Chirurgie à cœur battant).

Caractéristiques de l'anesthésie cardiaque

Les patients de chirurgie cardiaque sont hémodynamiquement fragiles, dépendent de conditions


circulatoires précises et sont dépourvus de toute capacité de réserve fonctionnelle. Ceci oblige à
maintenir très rigoureusement leur équilibre hémodynamique. Le succès des interventions n'est
garanti qu'en l'absence de tout incident.

Le malade endormi en début d'intervention est dans une situation très différente de celle qui sera la
sienne après la correction chirurgicale en sortant de circulation extra-corporelle. Une fois le problème
cardiaque résolu, la capacité de récupération de l'organisme est conservée, car seule la pompe
d'alimentation centrale est déficiente. De ce fait, il est capital de faire preuve de beaucoup de ténacité
dans la réanimation cardiaque peropératoire.

La double tendance à opérer des cas de plus en plus lourds et à réduire l'invasivité chirurgicale
réclame de l'anesthésiste des cométences accrues en cardiologie et en chirurgie cardiaque.

6
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Ces nouvelles voies de développement sont autant de défis pour l'anesthésiste, mais elles lui offrent
d'innombrables possibilités de s'investir dans des domaines qui lui sont inconnus et dans lesquels ses
connaissances hémodynamiques et ses prestations échocardiographiques deviennent capitales pour la
réussite de l'entreprise. De simple service de soutien, l'anesthésie acquière ainsi un nouveau rôle dans
la thérapeutique.

Références

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Facteurs de risque

Les principaux facteurs de risque pour la chirurgie cardiaque sont décrits par différents scores dont
l'impact est variable et dont l'adéquation dépend de la population sélectionnée pour les établir. Les
principaux facteurs de risque pris en compte dans ces indices sont les suivants:

 Insuffisance ventriculaire, choc cardiogène, infarctus récent, angor instable;


 Opération en urgence, opération complexe, opération sur l'aorte thoracique, réopération;
 Insuffisance rénale (créatinine > 200 mcmol/L, clairance < 50 mL/min), pneumopathie,
diabète insulino-dépendant, AVC, status polyvasculaire;
 Age (> 75 ans), sexe féminin.

Il existe une vingtaine d’indices de risque différents en chirurgie cardiaque. Les deux plus souvent
utilisés sont l’EuroSCORE établi sur des patients d’Europe occidentale, et le score de la Society of
Thoracic Surgeons (STS Score), établi sur des patients nord-américains.

Le STS Score s’adresse à des populations nord-américaines. Il est basé sur l’analyse d’une banque de
données concernant plus de 2 millions de patients. Il comprend une quarantaine de facteurs, dont une
version abrégée retient 28 critères associés à des points de pondération permettant de calculer la
mortalité (voir Tableau 3.2). Les facteurs de pondération et la méthode de calcul étant la propriété
commerciale de la STS, l’évaluation de la mortalité doit se faire en ligne sur le site de la société
(http://209.220.160/STSWebRiskCalc261/) (www.sts.org).

L’EuroSCORE (European System for Cardiac Operative Risk Evaluation) comprend 18 facteurs de
risque. Il est basé sur les données cliniques d’un collectif de 19’030 patients issus de 128 centres
chirurgicaux de 8 pays européens [9]. L’EuroSCORE permet une prédiction de la mortalité opératoire
à 30 jours en additionnant les points obtenus. Lorsque aucun facteur de risque n’est présent, la
mortalité de base est de 0.4% pour les PAC simples et de 1% pour le remplacement d’une valve. Il
présente une tendance à surestimer la mortalité dans les scores bas (< 6 points) et à la sous-estimer
dans les scores élevés. Il en existe une version plus sophistiquée (Logistic EuroSCORE) dont la
précision est meilleure et dont le calcul se fait par l'intermédiaire du site internet
(http://www.euroscore.org/calc.html) [8]. Pour élargir la base de référence et améliorer la prédiction
de mortalité, ce score a été récemment révisé (EuroSCORE II) au sein d'une population plus large
(23'451 patients de 43 pays), ce qui a amélioré sa valeur prédictive (coefficient de corrélation: 0.81)
[7]. Les facteurs de risque retenus sont les suivants.

 Risque NYHA (degré de dyspnée) II, III et IV;


 Angor, stade IV uniquement;
 Diabète insulino-requérant;

7
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Age, à partir de 60 ans;
 Genre féminin;
 Artériopathie extracardiaque (claudication, sténose carotidienne, intervention sur l'aorte
abdominale ou des artères périphériques);
 BPCO;
 Mobilité réduite;
 Antécédents de chirurgie cardiaque (impliquant une ouverture du péricarde), reprise;
 Insuffisance rénale, basée sur la clairance de la créatinine (3 degrés par ordre de gravité : 51-
85 mL/min, en dialyse, < 50 mL/min);
 Endocardite active (antibiothérapie en cours);
 Etat préopératoire critique (massage cardiaque, TV, inotrope en cours, contrepulsion, anurie);
 Dysfonction ventriculaire gauche (3 degrés : FE 0.3-0.5, 0.2-0.3, < 0.2);
 Infarctus récent (< 90 jours);
 Hypertension pulmonaire (2 catégories : PAPsyst 31-55 mmHg, > 55 mmHg);
 Opération en urgence (3 catégories : dans le même séjour hospitalier, immédiate dans les 24
heures, sauvetage lors de réanimation);
 Gravité de l'intervention (4 catégories : PAC isolés, procédure simple autre que PAC,
opération double, opération triple ou davantage);
 Chirurgie de l'aorte thoracique.

Ces facteurs sont mentionnés avec leur valeur de pondération dans le Tableau 3.1B [7].

La fragilité (frailty) d'un patient est une notion difficile à quantifier car elle relève davantage du
jugement clinique. Elle est constituée de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives,
inactivité, perte pondérale, malnutrition, dépendance, lenteur de la marche (> 6 sec pour 5 m),
dépression, altérations cognitives, épisodes de délire, dont on peut constituer un index. Il est alors un
prédicteur indépendant du risque opératoire, augmentant de 2 à 4 fois la mortalité [2]. Le hazard ratio
(HR) est de 4.9 pour les complications cardiovasculaires; pour la mortalité, il est de 2.6 – 3.7 dans les
opérations en CEC et de 3.2 dans les TAVI (pose de valve aortique par cathétérisme) [1,10].
L'association avec les maladies cardiovasculaires est élevée (OR 4.1) [1]. La fragilité est une
vulnérabilité extrême liée à l'effet cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence
est de 16% entre 80 et 84 ans, et de 26% au-delà de 85 ans [4]. Cette perte de la résilience entame
tellement les réserves physiologiques que des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations
disproportionnées de l'état clinique. Le diagnostic de fragilité est très important parce que ces patients
sont gravement péjorés par le stress majeur d'une intervention cardiaque, quand bien même leur âge
chronologique n'est pas en soi une contre-indication [3].

Des taux pré- et post-opératoires élevés de BNP (Brain natriuretic peptide > 790 ng/L) et de troponine
T (TnT > 0.8 mcg/L) sont des prédicteurs indépendants de complications cardiaques jusqu'à une année
après chirurgie en CEC (HR 2.44 et 2.13, respectivement) [6]. Après des pontages aorto-coronariens,
chaque élévation de 50 fois du taux de TnT augmente de 28% la mortalité à 30 jours [5].

Facteurs de risque

Principaux facteurs de risque en chirurgie cardiaque:


- Insuffisance ventriculaire, infarctus récent, angor instable
- Opération en urgence, opération combinée, opération sur l'aorte thoracique, réopération
- Insuffisance rénale (créatinine > 200 mcmol/L, clairance < 50 mL/min), pneumopathie,
hypertension pulmonaire, diabète insulino-dépendant, AVC, status polyvasculaire
- Age (> 75 ans), sexe féminin, état débilité ou critique
- Elevation du taux de BNP et/ou de troponine

8
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 3.1 B
EuroSCORE II

NYHA
Classe II 0.7
Classe III 2.1
Classe IV 3.3
Angor stade IV 1.5
Diabète insulino-requérant 2.4
Age 4.5
Genre féminin 2.3
Artériopathie extracardiaque 4.8
BPCO 1.5
Mobilité réduite 1.4
Antécédents d'opération cardiaque 9.1
Insuffisance rénale
En dialyse (équilibré) 2.1
Clairance créatinine 50-85 mL/min 2.4
Clairance créatinine < 50 mL/min 5.9
Endocardite active 3.0
Etat préopératoire critique 7.4
Dysfonction du VG
Modérée (FE 0.3-0.5) 3.0
Sévère (FE 0.2-0.3) 3.2
Très sévère (FE < 0.2) 5.4
Infarctus récent 1.1
Pression systolique pulmonaire
31-55 mmHg 1.4
> 55 mmHg 2.1
Degré d'urgence
Dans les jours suivants 2.7
Dans les 24 heures 4.0
Sauvetage 4.1
Gravité de l'intervention
Non-PAC, procédure simple 0.1
Intervention double 4.3
Intervention triple ou plus 6.6
Aorte thoracique 2.9

Les chiffres représentent le facteur de pondération de chaque item. [D'après: Nashef SA,
Roques F, Sharples LD, et al. EuroSCORE II. Eur J Cardiothorac Surg 2012; 41:734-45].

Références

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9
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Stratégie anesthésique

La stratégie anesthésique est guidée par quatre principes essentiels.

 Concevoir les contraintes hémodynamiques de la cardiopathie; de bonnes bases de


physiopathologie sont indispensables à cette compréhension.
 Déterminer les priorités de la prise en charge et la position d'équilibre hémodynamique
optimale avant et après la correction chirurgicale.
 Choisir la technique la mieux adaptée en fonction de la gravité du cas et des suites
postopératoires présumées: type et médicaments d'anesthésie, médicaments cardio-
vasculaires, monitorage et équipement.
 Intégrer à ces choix les critères de sécurité et de coût, car le maximum n'est pas l'équivalent
de l'optimum.

Actuellement, l'arsenal thérapeutique est devenu suffisamment vaste pour que l'on puisse adapter la
technique aux conditions hémodynamiques particulières de chaque patient et aux stratégies
économiques de l'établissement. En effet, les nouvelles contraintes financières obligent à plus de
discrimination dans les choix. Il est impératif d'alléger la prise en charge des cas simples pour pouvoir
offrir les meilleures prestations aux patients qui en ont le plus besoin. Ceci est une application de la
loi de Pareto (Vilfredo Pareto, 1848-1923, économiste enseignant à l'Université de Lausanne), qui
stipule que, pour maintenir sa rentabilité, une entreprise doit assurer le 80% de sa production avec le
20% de son budget, car le 20% restant est une production à très haute valeur ajoutée qui engloutit le
80% de ses investissements. Transposée à l’anesthésie, cette loi des 20/80 veut que les cas standards
soit assurés avec une technique simple et économique, de manière à pouvoir disposer de toutes les
ressources nécessaires pour les patients à haut risque. Si l'on gaspille le budget dans la préparation de
médicaments inutiles et de monitorage dont les données n'ont aucun impact sur le devenir du patient,
on se retrouve à cours de moyens pour les situations où un équipement sophistiqué et des perfusions
onéreuses font la différence entre la survie et le décès.

Par exemple, un malade souffrant d'une sténose aortique serrée mais jouissant d'une fonction
ventriculaire conservée bénéficiera d'une technique simple et économique, alors qu'un patient atteint
d'une cardiomyopathie ischémique avec une FE < 0.3 et un vaste anévrysme ventriculaire à réséquer
méritera un monitorage maximal et des médicaments spécialisés. L'attitude "une même formule pour
tous" (one size fits all) est certainement la manière la moins pertinente d'envisager l'anesthésie. Le
problème est évidemment de différencier avant l’intervention les cas simples de ceux qui sont
potentiellement complexes; cet aspect sera abordé plus loin (voir Choix du monitorage).

Malheureusement, l'anesthésiste est influencé dans ses choix par deux phénomènes insidieux et
puissants qui sont devenus particulièrement nocifs ces dernières années.

 Sous couvert d'arguments prônant la sécurité du patient, l'industrie procède à un lobbyisme


outrancier auprès des instances officielles (Commissions Européennes à Bruxelles, FDA à
Washington) pour imposer de nouveaux produits et instruments, forcer l’utilisation d’objets à
usage unique et empêcher les réalisations locales. Les coûts générés pour les institutions
hospitalières par la multiplication des gadgets technologiques et des consommables à usage
unique sont sans rapport avec les bénéfices apportés à la sécurité des patients.
 Le corps médical et l'administration hospitalière sont terrorisés à l'idée d'être accusés par leurs
pairs, la presse ou un tribunal de n'avoir pas fait le maximum pour un patient. Pour être
juridiquement inattaquable, on devient à la fois contre-productif et dangereux, car, passé un
certain seuil de complexité, la médecine défensive cumule les inconvénients et les
complications d'une technique trop lourde pour le cas, sans profiter des avantages dont
bénéficierait un cas plus difficile. Dans la plupart des cas, la littérature scientifique démontre
clairement quelles sont les techniques bénéfiques et quelles sont celles qui ne présentent
aucun impact. L’absence de preuves d’efficacité et les recomandations des sociétés médicales

10
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
sont un rampart suffisant contre les menaces de procès pour ne pas tomber dans le piège du
juridisme qui pollue la médecine nord-américaine.

Pour qu'une intervention de chirurgie cardiaque se déroule sans incident, tous les acteurs doivent
jouer la même mélodie, même si chacun a sa partition propre. Il est donc capital que la stratégie
choisie soit connue de tous (voir Choix de la technique d'anesthésie). C'est la raison d'être des
protocoles et des routines, souvent particuliers à chaque institution. Il est nécessaire de respecter ces
standards, même s'ils n'ont qu'une valeur locale, car ils répondent à des exigences universelles.

 Respecter les normes de sécurité en anesthésie [13];


 Assurer des prestations optimales à tous les patients;
 Garantir un niveau de qualité constant et régulier;
 Maintenir la cohérence et la clarté au sein de l'équipe soignante (chirurgien, instrumentiste,
perfusionniste, anesthésiste, intensiviste, personnel en formation);
 Simplifier et accélérer le travail en limitant l'improvisation;
 Assurer une marge de sécurité satisfaisante;
 Dans les institutions d'enseignement, guider le travail du personnel en formation, développer
la rigueur professionnelle et le goût du travail bien fait.

La technique d’anesthésie choisie a-t-elle un impact sur le devenir des patients ? La réponse est triple.

 La rigueur professionnelle avec laquelle une technique est appliquée a autant d’influence que
le choix de cette technique elle-même. Au sein de certaines limites, la qualité de la
performance offerte par l’anesthésiste compte plus que les substances ou le monitorage
utilisés. La meilleure technique est celle avec laquelle on est le mieux à l'aise. Dans une étude
récente sur les pontages aorto-coronariens, les patients des anesthésistes dont les
performances sont situées dans les percentils inférieurs (< 25%) ont un taux de complications
deux à trois fois plus élevé que ceux des anesthésistes classés dans les percentiles supérieurs
(> 75%) ; la différence varie de 1.82 fois à 3.36 fois selon le degré de risque propre du
malade [3]. La densité des connaissances, la qualité du travail en salle d’opération et le
respect des règles de l’art sont donc des conditions essentielles pour garantir le succès de
l’intervention (voir Rôle de l'anesthésiste).
 Chez les malades qui ont des réserves suffisantes, la technique ne change pas les résultats,
hormis en cas d'erreur grossière. Chez ceux qui sont compromis, la marge de sécurité est très
faible, voir nulle; seuls des moyens sophistiqués et une technique bien adaptée permettent de
réaliser une intervention majeure avec succès. Le moindre incident, la moindre erreur
d'appréciation, peuvent tout compromettre, car on se trouve dans une situation à couplage
serré (voir Chapitre 2, Analyse systémique). C'est également dans ce contexte que l'effet
additif des précautions et des améliorations apparemment mineures peut créer des différences
jusque dans la mortalité.
 Un certain nombre de mesures semblent avoir un impact sur le devenir des patients, sous
forme de protection myocardique (préconditionnement) ou pulmonaire (ventilation
protective), de baisse des complications postopératoires (désinfection buccale,
dexmédétomidine) ou de diminution de la mortalité (contrôle de la glycémie, acide
tranexamique, levosimendan).

Sur ce troisième point, quelques éléments du ressort de l'anesthésie semblent pouvoir diminuer la
morbi-mortalité après chirurgie cardiaque, bien que la liste s'en modifie constamment au gré des
études randomisées et des méta-analyses [2,7,8,10]. Actuellement, les mesures suivantes ressortent en
tête pour leur effet bénéfique sur la mortalité [9].

 Halogénés en cas de revascularisation coronarienne;


 Contrôle de la glycémie par de l'insuline;
 Ventilation protectrice;
 Optimisation hémodynamique périopératoire (agents inotropes, CPIA);

11
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Leukodéplétion des transfusions sanguines;
 Acide tranexamique (par rapport à l'aprotinine);
 Levosimendan (par rapport aux catécholamines).

Il ressort clairement de la littérature que les halogénés protègent contre l'ischémie myocardique en
chirurgie de revascularisation coronarienne, par des mécanismes cellulaires analogues à ceux du
préconditionnement (voir Chapitre 5 Préconditionnement) [5,16]. Comparés à l'anesthésie
intraveineuse (TIVA), ils tendent à diminuer la mortalité (OR 0.51-0.55) et les complications
pulmonaires (OR 0.71) [6,8,15]. Alors que le préconditionnement ischémique par clampages et
déclampages itératifs de l'aorte avant la cardioplégie est difficile à réaliser et peu performant [12], le
préconditionnement à distance avant la CEC par des épisodes itératifs d'ischémie d'une durée de 5
minutes au niveau du bras par gonflage et dégonflage d'une manchette à pression donne des résultats
surprenants: après pontages aorto-coronariens, les troponines sont diminuées (OR 0.83) et la mortalité
est abaissée (OR 0.27) [14]. De plus amples travaux sont requis pour déterminer si cette technique
parfaitement anodine permet effectivement d'améliorer les résultats à long terme. Pour l'instant, elle
semble ne modifier que la préservation myocardique mais non la morbi-mortalité des patients [4,11].
L'efficacité de la désinfection buccale à la chorhexidine et des α2-agonistes (dexmédétomidine) sur la
baisse de mortalité opératoire est récemment mise en doute [9]. Depuis que deux grandes études
randomisées ont démontré leur inefficacité, les statines préopératoires ne figurent plus dans la liste
des substances bénéfiques [1,17].

Au cours des opérations cardiaques, les situations de stress sont fréquentes. Comme pour toute
réanimation, il est important de disposer d’algorithmes d’intervention codifiant les mesures à prendre,
de manière à éviter une improvisation le plus souvent désastreuse ; c’est à cela que servent les
protocoles. Il est capital d’éviter de se laisser piéger dans un effet tunnel qui consiste à scotomiser
toute information n’allant pas dans le sens de l’option thérapeutique sélectionnée. Garder la capacité
de remettre les choix en question est vital dans les situations complexes et instables comme une sortie
de CEC difficile. C'est là le rôle essentiel d'une équipe multidisciplinaire (voir Chapitre 2
Améliorations possibles).

Stratégie anesthésique

Quatre principes pour définir la stratégie en anesthésie cardiaque:


- 1) Comprendre les contraintes hémodynamiques de la cardiopathie
- 2) Déterminer les priorités cardio-circulatoires et le degré de risque du malade
- 3) Choisir la technique d'anesthésie en fonction de ces critères
- 4) Intégrer les données de sécurité et de coût.

L'investissement maximal n'est pas le meilleur rapport coût / bénéfice (maximum ≠ optimum). Passé
un certain seuil de complexité, les inconvénients et les complications d'une technique lourde
deviennent plus importants que les bénéfices obtenus. La technique et le monitorage doivent être
adaptés à la gravité du cas et au suivi postopératoire. L’attitude "une même formule pour tous" (One
size fits all), qui consiste à extrapoler à tous les cas la prise en charge adaptée aux patients les plus
lourds, est totalement contre-productive.

La rigueur avec laquelle est conduite l'anesthésie a plus d'impact sur le devenir des patients que le
choix de la technique elle-même. Toutefois, la protection myocardique offerte par les halogénés
(préconditionnement) est une indication à les utiliser préférentiellement dans les cas de
revascularisation coronarienne. Le contrôle strict de la glycémie, la ventilation protective et
l'optimisation hémodynamique (levosimendan) tendent également à diminuer la mortalité opératoire.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Références

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Choix du monitorage

Les techniques de surveillance peropératoire sont analysées en détail dans le Chapitre 6. On ne


mentionnera ici que trois points qui sont sujets à discussion en anesthésie cardiaque : l’impact du
cathéter artériel pulmonaire, la place de l’échocardiographie transoesophagienne (ETO) et le rôle du
monitorage neurologique.

D’une manière générale, maximaliser le monitorage n’est pas synonyme d’améliorer la surveillance.
L’utilité d’une technique de monitorage tient aux décisions thérapeutiques qu’elle a permis de
prendre, et aux conséquences de ces dernières sur le devenir du patient. Un monitorage sans impact
est un monitorage inutile. D’autre part, les connaissances de l’anesthésiste et du réanimateur sont
essentielles pour tirer des conclusions thérapeutiques adéquates. Ainsi, un système dont on n’est pas
coutumier n’est habituellement d’aucune portée. L’informatique offre d’innombrables possibilités
d’analyse ; l’industrie multiplie les systèmes de surveillance et les données chiffrées. Mais il reste
préférable de se fier à des techniques que l’on maîtrise bien plutôt que de compliquer la prise en
charge avec des données dont on ignore l’interprétation. Il est également bon de se souvenir que la
couleur du patient ou celle du champ opératoire, la température ou la moiteur des extrémités, les
mouvements ventilatoires ou l’état des pupilles, sont les éléments premiers de la surveillance, parce
que ce sont des données directes dont l’accès ne réclame aucun intermédiaire technique ni calcul
sophistiqué. Quel que soit le perfectionnement des dispositifs techniques, la meilleure surveillance
reste celle d'un(e) anesthésiste vigilant(e) constamment présent(e) à la tête du malade [16].

Le problème majeur de l’indication aux différents systèmes de monitorage tient au fait qu’ils doivent
être mis en place avant l’évènement qu’ils sont supposés surveiller. Or ils ne sont utiles que si cet
évènement se réalise. Leur indication repose donc sur la probabilité qu’a cet évènement de se

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
produire. Si la probabilité est haute ou basse, le choix est simple, mais lorsque la probabilité est
moyenne, la décision repose sur le jugement clinique de l’anesthésiste. En cas d’hésitation sur la
nécessité d’un système de monitorage dans un cas particulier, il est plus prudent de l’installer que d’y
renoncer et de pécher par excès plutôt que par défaut.

Cathéter artériel pulmonaire

Le terme moniteur vient d’un mot latin signifiant avertir. Un moniteur est une sentinelle, dont
l’impact sur le devenir des patients repose exclusivement sur les conséquences thérapeutiques que
l'on en tire, donc sur les connaissances du personnel soignant. Il existe tout un éventail de monitorage
hémodynamique allant du plus simple (cathéter artériel) au plus sophistiqué (débit cardiaque/SvO2
continus). L'abondante littérature qui existe sur l'impact du cathéter artériel pulmonaire (CAP) de
Swan-Ganz est une bonne illustration des dilemmes qui se posent en anesthésie cardiaque (voir
Chapitre 6 Justification et impact) [6,7,11,12].

 Il n'a jamais été prouvé que l'emploi systématique du CAP dans de larges catégories de
patients modifie leur devenir. Les études les plus récentes démontrent que l’utilisation du
CAP en chirurgie de revascularisation coronarienne est associée à une augmentation de la
mortalité (OR 1.68) et des complications cardiaques, cérébrales et rénales (OR 1.58-2.47)
[13], ou à un effet neutre [3].
 L'apport du CAP est important dans des catégories ciblées ou chez les patients
hémodynamiquement instables, mais insignifiant ou pathogène dans les catégories à bas et
moyen risque [6].
 L'impact thérapeutique tient à l'interprétation des données faite par le personnel médical; or
l'évaluation de données complexes est souvent erronée.
 Il est courant de ne pratiquer qu’une mesure de la pression artérielle pulmonaire, mais plus
rare de rassembler la totalité des informations fournies par le CAP (volume systolique,
résistances, travail ventriculaire, SvO2). Les deux mesures les plus importantes obtenues d'un
CAP sont le volume systolique, qui est une donnée primaire alors que le débit cardiaque est
modifié par les variations de la fréquence, et la SvO2, qui traduit l'adéquation du débit
cardiaque aux besoins de l'organisme.
 Dans les cas à haut risque l’impact de la SvO2 est considérable, ce qui fait que la proportion
de Swan-SvO2 (type Vigilance™) tend à augmenter. Bien que le nombre total de CAP utilisés
en soins intensifs tende à diminuer, il devient routinier d’utiliser de préférence une mesure
continue de la SvO2. Certains centres ont abandonné le CAP simple et n'utilisent que des
CAP-SvO2 à mesure continue aussi bien en anesthésie qu'en soins intensifs.
 Le taux de complications lié au CAP n'est pas négligeable; il ne se justifie que si les
informations retirées ont une haute valeur ajoutée importante; le cas échéant, le CAP devient
un facteur de risque supplémentaire sans apporter de bénéfice.
 Le maximum n'est pas synonyme d'optimum, car multiplier les données rend plus difficile la
sélection de celles qui sont importantes. La présence de nombreuses données pousse à soigner
des chiffres au détriment d'une vue d'ensemble de la situation.
 Le PAC tend à augmenter les manipulations hémodynamiques, la prescription d’agents
inotropes et le volume de remplissage [13]. Or ces facteurs tendent à augmenter la morbi-
mortalité.

Le cathéter pulmonaire n’a un impact thérapeutique significatif que dans les circonstances où il est
clairement indiqué. En-dehors de ces dernières, il n’apporte rien et peut même aggraver le pronostic,
comme le démontrent toutes les grandes séries dans lesquelles les patients sont équipés de CAP sans
discrimination. L’attitude qui consiste à maximaliser le monitorage chez tous les malades par souci de
sécurité et de simplification est contre-productive : il est délétère d’extrapoler aux cas simples une
surveillance utile aux cas lourds, parce que l’impact thérapeutique est inexistant mais les
complications bien présentes. Une prise en charge proactive et agressive est bénéfique dans les

14
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
situations où la marge de sécurité est très réduite, mais elle augmente la morbidité, voire même la
mortalité, lorsqu’elle s’adresse à des cas où la marge de manœuvre est grande.

Il est donc évident que la pose d'un CAP doit répondre à certaines indications, et non à une routine
aveugle. Il est possible résumer ces indications en trois points (Tableau 4.1).

 Pathologies de la circulation pulmonaire (HTAP, pneumopathie, insuffisance droite);


 Situations de surcharge de la circulation pulmonaire (stase gauche, hypervolémie);
 Situations où la mesure du volume systolique (VS) et de la SvO2 sont indispensables
(interventions cardiaques complexes, situations hémodynamiques instables ou susceptibles de
le devenir).

Tableau 4.1
Indications générales au cathéter artériel pulmonaire de Swan-Ganz

Pathologies de la circulation pulmonaire


o Insuffisance ventriculaire droite
o Hypertension artérielle pulmonaire (PAPmoy > 35 mmHg)
o Maladie pulmonaire majeure : BPCO, asthme, etc
o Altération de la perméabilité capillaire pulmonaire (SDRA, SIRS)

Surcharge de la circulation pulmonaire


o Stase gauche : valvulopathie mitrale, insuffisance et/ou dilatation du VG
o Hypervolémie : insuffisance rénale terminale, anasarque

Nécessité de mesurer le volume systolique / débit cardiaque et la SvO2


o Opérations engendrant de grandes modifications hémodynamiques (résection ventriculaire,
valvulopathie décompensée, correction de CIV, aorte thoracique, etc)
o Bas débit cardiaque, choc cardiogène, assistance ventriculaire
o Situations susceptibles de devenir hémodynamiquement très instables
o Situations avec RAS très basses, très hautes ou très instables

La potentialité d'une instabilité hémodynamique est la principale difficulté dans la décision "to Swan
or not to Swan": comment déterminer si un cas est susceptible de devenir instable ? Or un monitorage
ne prend tout son sens que s'il est présent avant l'événement qu'il est supposé prévoir. L'installer au
moment où tout va mal ne sert qu'à gérer la catastrophe, non à la prévenir. De plus, les conditions de
mise en place d'un CAP sont bien meilleures à l'induction que lors d'une sortie de pompe difficile.
Comme pour toute méthode de précaution, on réalise donc un pari, parce que l'enchaînement de cause
à effet est ici inversé. Normalement, l’effet suit la cause ; dans le cas d’un monitorage préventif,
l’effet (le CAP) précède la cause (le choc cardiogène). Seule la survenue de la catastrophe peut
prouver que le mode de surveillance choisi était utile. Il n’y en a aucune évidence avant que ne
survienne l'évènement. La décision ne peut être prise que dans l'indécidabilité. Supprimer cette
incertitude en équipant tous les patients du monitorage maximal fait tomber dans l'arbitraire de la
maximalisation mentionné précédemment.

Dans la réalité clinique, toutefois, les indications au CAP sont un peu plus généreuses que ne le
voudrait la logique pour deux raisons.

 Dans les hôpitaux d'enseignement, la manipulation de la Swan-Ganz et l'interprétation des


données fournies font partie de l'apprentissage clinique;
 Dans le suivi postopératoire en soins intensifs, la présence du CAP peut être plus précieuse
qu’en salle d’opération, car il fournit un monitorage automatique et continu, nécessaire au lit
du malade.

15
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Impact du cathéter artériel pulmonaire (CAP)

L’impact d’un système de surveillance tient à l’interprétation des données fournies et aux décisions
thérapeutiques que l’on en tire. Quarante-cinq années d’utilisation du cathéter pulmonaire de Swan-
Ganz démontrent qu’il n’est clairement utile que dans des indications précises (altérations
importantes de la circulation pulmonaire, chirurgie à fort retentissement hémodynamique chez des
patients à haut risque). Par contre, son utilisation systématique n’améliore pas le pronostic des
patients, ou tend même à l’aggraver. Plusieurs considérations entrent en ligne de compte dans son
efficacité :
- Respect des indications particulières ;
- Connaissances du personnel dans l’interprétation des données hémodynamiques ;
- Algorithmes thérapeutiques liés aux résultats du monitorage ;
- Utilisation bien entraînée dans l’institution ;
- Nécessités de l’enseignement clinique ;
- Possibilités financières de l’institution.

En cas de doute sur l’indication, il est préférable de pécher par excès et de mettre en place le CAP. Le
CAP n’est pleinement utile que s’il est présent au moment de la complication hémodynamique. De ce
fait, son indication contient toujours une part d’aléatoire puisqu’il n’est pas possible de savoir à
l’avance si la complication se produira à coup sûr.

Indications au CAP proposées ici:


- Pathologies de la circulation pulmonaire (cœur droit, HTAP, pneumopathie)
- Surcharge de la circulation pulmonaire (stase gauche, hypervolémie)
- Situations où la mesure du VS et de la SvO2 est indispensable

Echocardiographie transoesophagienne

L'échocardiographie transoesophagienne (ETO) est devenue une aide routinière pour l’évaluation et
la surveillance de la fonction ventriculaire, mais aussi pour des diagnostics peropératoires de nature
cardiologique. Toutefois, l’analyse de l’imagerie ETO demande une formation particulière (voir
Chapitre 25 Formation en ETO). L’apport de l’échocardiographie en anesthésie cardiaque porte sur
plusieurs points principaux.

 Diagnostic étiologique d’une instabilité hémodynamique ;


 Monitorage hémodynamique dans quatre domaines : anatomie fonctionnelle, fonction
ventriculaire, volémie, ischémie myocardique ;
 Applications spécifiques à la chirurgie cardiaque :
• Evaluation anatomo-pathologique avant la circulation extra-corporelle ;
• Contrôle de reconstruction après CEC ;
• Positionnement de canules, endoprothèses, chirurgie minimalement invasive, etc ;
• Débullage en fin de CEC ;
 Enseignement de l’hémodynamique et recherche clinique.

En chirurgie cardiaque, l’impact de l’ETO sur la prise en charge des patients est considérable [5].

 Modifications de stratégie avant la CEC 7%


 Correction supplémentaire après CEC 3%
 Décisions médicales/pharmacologiques 15%
 Correction de volémie 20%
 Impact sur l’enseignement 30%
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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
L’ETO est donc formellement recommandée (recommandation de classe I, voir Figure 1.10) pour
l’évaluation d’une instabilité hémodynamique réfractaire, pour la chirurgie de reconstruction
valvulaire ou ventriculaire, pour la chirurgie congénitale complexe, et pour la pose d’endoprothèses
valvulaires [6]. L’ETO est souhaitable (recommandation IIa) pour la surveillance de la fonction
ventriculaire, de la fonction valvulaire, de la cinétique segmentaire et de la volémie.

Malgré le coût des machines et la nécessité d’une formation accréditée par un examen reconnu,
l’ETO peropératoire tend à devenir la règle pour les centres qui pratiquent la chirurgie cardiaque.

Swan-Ganz versus ETO

On met souvent en compétition différents types de monitorage entre eux. L'exemple classique est
l'opposition entre le cathéter de Swan-Ganz et l’ETO. Or ces appareils de surveillance sont
essentiellement complémentaires parce qu'ils offrent des vues différentes de l'hémodynamique. Le
CAP mesure des pressions et des débits, alors que l'ETO mesure des surfaces, des volumes et des
flux. D'autre part, le CAP est un monitorage automatique et continu, alors que l'ETO ne fournit des
renseignements que lorsque l'attention est dirigée sur son écran. Leurs spécificités et leur
complémentarité sont bien démontrées par leur évaluation du remplissage. Cette différenciation
s’éclaire en superposant dans le même graphique la courbe de Frank-Starling et la courbe de
compliance du ventricule gauche (Figure 4.3) [15].

Volume
Pression Indices éjectionnels Pressions de remplissage
dynamiques (PVC, PAPO)
(PA, PiCCO) Swan-Ganz
B
ETO
A

A Courbe de ΔVS’ B
Starling
ΔP’

ΔVS

ΔP
ΔP Courbe de
compliance

ΔV

Pression ou volume télédiastolique


© Chassot 2017

Figure 4.3 : Les deux phases de la courbe de Frank-Starling et de la courbe de compliance déterminent les
meilleures techniques de monitorage. Ces deux phases sont séparées par un pointillé jaune vertical. A : A
gauche, en hypovolémie, ce sont les indices éjectionnels dynamiques (variations ventilatoires de la pression
artérielle et du volume systolique VS) ou les mesures indépendantes de la compliance (surfaces des cavités à

17
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
l’ETO, oscillations du septum interauriculaire) qui sont les plus pertinentes. En effet, la relation précharge /
volume systolique est bien marquée pendant la phase de recrutement de la courbe de Starling. La courbe de
compliance étant quasiment plate en hypovolémie, les variations de pression de remplissage (ΔP) occasionnées
par les variations de volume télédiastolique (ΔV) sont voisines de zéro; PVC et PAPO ne sont d'aucune utilité.
B : En hypervolémie au contraire (à droite), ce sont les pressions de remplissage fournies par la Swan-Ganz
(PVC, PAPO) qui deviennent utiles, parce que la courbe de compliance est redressée: même si elle n'est pas
linéaire, la relation entre les ΔP et les ΔV devient significative. Comme la courbe de Starling est plate en
hypervolémie, les indices dynamiques ne sont plus performants, les variations du remplissage occasionnées par
la ventilation mécanique ne se traduisent plus par des variations de la performance systolique. A l'écho, les
cavité apparaissent pleines et ne s'agrandissent plus avec le remplissage, seule la pression télédiastolique y
augmente [15].

 En hypovolémie, la courbe de compliance est quasi-horizontale : les variations du volume de


remplissage ne se traduisent que par des variations négligeables de la pression veineuse
centrale (PVC) et de la pression artérielle pulmonaire d'occlusion (PAPO); par contre, la
surface des cavités cardiaques et les oscillations du septum interauriculaire mesurées à l'ETO,
qui ne dépendent pas de la compliance, reproduisent fiablement le degré de remplissage du
coeur. D'autre part, la courbe de Starling est dans sa phase de recrutement ; de petites
variations de remplissage se traduisent par de fortes modifications du volume systolique
(VS); en ventilation mécanique, cela se traduit par d'amples variations de la PAsyst, du VS et
du flux aortique au cours du cycle respiratoire.
 En hypervolémie, la courbe de Starling est au-delà de son genou ; les variations de
remplissage ne modifient plus le volume systolique. La courbe de compliance est au contraire
redressée, et même de faibles variations du volume auriculaire se traduisent par des variations
significatives de la PVC ou de la PAPO.

Il apparaît donc que les mesures échocardiographiques et les mesures dynamiques liées aux variations
du remplissage en ventilation mécanique (variations de la PAsyst, du VS et du flux aortique) sont très
efficaces pour diagnostiquer l’hypovolémie, mais ne sont pas utiles lorsque le malade est en
hypervolémie (stase ventriculaire, œdème, congestion). A l’inverse, les pressions de remplissage
(PVC, PAPO) ne sont d’aucune utilité pour diagnostiquer l’hypovolémie, mais sont essentielles pour
gérer l’adminsitration liquidienne des malades en hypervolémie (insuffisance ventriculaire,
valvulopathie, insuffisance rénale, etc). L'ETO et le CAP sont donc complémentaires car chacun est
pertinent à l'une des extrémités du spectre de la volémie.

Choix du monitorage hémodynamique

Les différents systèmes de surveillance hémodynamique ne sont pas en compétition entre eux mais
offrent au contraire des fenêtres complémentaires pour observer les phénomènes circulatoires. Ils ont
leurs indications propres car ils fournissent chacun des prestations spécifiques, de même qu’on
n’enfonce pas un clou avec un trourne-vis mais avec un marteau ! On peut ainsi concevoir un
monitorage intégré comprenant différents outils choisis en fonction des risques encourus par le patient
(voir Figure 6.83).

 L'ECG avec surveillance automatique du segment ST pour le diagnostic des arythmies et de


l'ischémie myocardique (sous-endocardique et transmurale);
 La pression artérielle invasive pour la pression de perfusion et l'estimation de la postcharge;
 Le cathéter pulmonaire de Swan-Ganz pour le volume de perfusion (VS), pour la précharge
(PVC, PAPO) en cas d'hypervolémie et pour la mesure de la SvO2 (adéquation du DC aux
besoins métaboliques);
 Le PiCCO pour la précharge (thermodilution transpulmonaire, mesures itératives) et le VS
(mesure automatique et continue);

18
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 L'ETO pour la fonction ventriculaire, pour la précharge en cas d'hypovolémie, pour
l'ischémie en cas de lésion segmentaire, pour le diagnostic étiologique d'une hypotension
réfractaire et pour le suivi cardiologique peropératoire;
 En chirurgie cardiaque, l'ETO pour de multiples indications spécifiques (corrections
anatomiques ou valvulaires, endochirurgie, guidage de canulations, etc);
 En ventilation mécanique, les indices dynamiques (variations de la PA, du VS, des
oscillations septales interauriculaires) comme marqueurs d'une hypovolémie susceptible de
répondre au remplissage.

L'écran du moniteur doit être modifié pour un affichage préférentiel des variables sélectionnées
comme importantes (amplification ou superposition de certains canaux, par exemple). Quelle que soit
la technique utilisée, l'impact d'un monitorage tient à la pertinence des questions qu'on lui pose et aux
conséquences thérapeutiques qu'on en déduit. La qualité de l'interprétation des résultats est
entièrement déterminée par les connaissances de l'anesthésiste et du réanimateur. Leur insuffisance
est la source même du manque d'impact des différents systèmes de surveillance.

Choix du monitorage hémodynamique

La technique de monitorage est adaptée aux conditions hémodynamiques particulières du patient et


aux complications susceptibles de survenir en cours d'intervention ou dans le suivi postopératoire. Le
monitorage est choisi en fonction des décisions thérapeutiques qui seront prises selon les données
fournies. Seuls les cas sévères tirent un réel bénéfice d'un monitorage complexe.

Les indications au cathéter artériel pulmonaire (CAP) sont triples: 1) pathologies de la circulation
pulmonaire, 2) stase gauche, hypervolémie, 3) situations où la mesure du volume systolique et de la
SvO2 sont indispensables. La PVC et la PAPO sont inadaptées à l'évaluation de l'hypovolémie.

L’apport de l’ETO porte sur 4 points : 1) diagnostic étiologique d’une instabilité hémodynamique, 2)
monitorage hémodynamique (anatomie fonctionnelle, fonction ventriculaire, volémie, ischémie), 3)
applications propres à la chirurgie cardiaque, et 4) enseignement cardiologique et hémodynamique.

Monitorage neurologique

Le risque d’éveil peropératoire est plus élevé en chirurgie cardiaque (0.02-1.5% des cas) qu’en
chirurgie générale (0.005-1% des anesthésies générales) pour plusieurs raisons [10,14].

 L’instabilité hémodynamique des patients limite les doses d’agent hypnogène utilisable ;
 Les besoins en hypnogènes sont sous-estimés chez les malades fragiles ou hypotendus;
 Les hautes doses d’opiacés induisent une obnubilation, mais pas un sommeil ;
 La curarisation nécessaire à l'intervention augmente de 16 fois le risque d'éveil par rapport à
une anesthésie sans myorelaxant [10] ;
 Les variations de température (CEC hypothermique, réchauffement) modifient l’état de
conscience ;
 Les critères cliniques de réveil (mydriase, transpiration, respiration diaphragmatique,
mouvements spontanés, tachycardie et hypertension artérielle) sont inutilisables parce qu’ils
sont modifiés par les conditions opératoires : les opiacés provoquent un miosis serré, la
transpiration est liée au réchauffement de CEC, les mouvements sont bloqués par les curares,
l’hémodynamique dépend davantage des manipulations pharmacologiques que de la
stimulation centrale.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
On peut s’assurer que la profondeur de l’anesthésie est adéquate en maintenant un apport constant
d’agent anesthésique (perfusion de propofol en mode AIVOC ou halogéné à 0.7-1 MAC) et en
utilisant un système de monitorage de l’activité cérébrale dérivé de l’EEG. L'adéquation de l'analgésie
par rapport à la stimulation sympathique peut être évaluée par des indices de variabilité du pouls
(SPI) ou de la fréquence cardiaque (HRV) (voir Chapitre 6 Surveillance neurologique) [6,8].

 L'index bispectral (BIS™) analyse 4 variables d'un tracé EEG bipolaire et les transforme en
un nombre compris entre 0 et 100 qui représente la profondeur de l'anesthésie. Une valeur de
100 correspond à l'éveil et celui de 0 au coma. Le point critique entre amnésie et souvenir se
trouve vers 65; la zone de sommeil clinique probable correspond aux valeurs situées entre 40
et 60.
 L’EEG brut (raw EEG) ou en analyse spectrale (transformation de Fourrier) repère la
présence d’ondes delta lentes caractéristiques de l’anesthésie profonde. Il est plus rapide et
plus précis que le BIS, mais son interprétation demande une certaine formation, ce qui n’est
pas le cas pour le BIS.
 L'index de variabilité du pouls (SPI, surgical plethysmographic index) traduit le degré de
stimulation sympathique; il est corrélé à l'équilibre entre la stimulation douloureuse et
l'antinociception de l'anesthésie. Une valeur située entre 20 et 50 indique en général une
adéquation de l'analgésie [4].
 La mesure de la variabilité de la fréquence (HRV heart rate variability) évalue la modulation
de la performance cardiaque par le système nerveux autonome. Le risque de complications et
de mortalité cardiovasculaires augmente lorsque la variabilité baisse [9].

En chirurgie majeure et en chirurgie cardiaque, les protocoles basés sur le BIS ne se sont pas révélés
supérieurs à ceux basés sur la concentration expiratoire d’halogéné pour prévenir l’éveil
peropératoire, comme le démontrent deux grandes études prospectives récemment publiées [1,2]. Le
BIS n’a permis ni de modifier la concentration de gaz halogéné ni de diminuer l’incidence de réveil
en cours d’intervention. De plus, la moitié des cas avérés d'éveil sous anesthésie sont survenus chez
des malades monitorés avec un BIS, et les trois quarts sous TIVA [10]. La surveillance du BIS paraît
donner une fausse sécurité sur la profondeur réelle de l'anesthésie. Son efficacité est donc très
incertaine [1,6].

Choix du monitorage neurologique

Même si le BIS permet d’ajuster la profondeur de l’anesthésie, aucune étude ne démontre qu’il puisse
diminuer l’incidence d’éveil peropératoire en chirurgie cardiaque. Le SPI évalue l'adéquation de
l'analgésie.

Références

1 AVIDAN MS, JACOBSOHN E, GLICK D, et al. Prevention of intraoperative awareness in a high-risk surgical population. N
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2 AVIDAN MS, ZHANG L, BURNSIDE BA, et al. Anesthesia awareness and the bispectral index. N Engl J Med 2008; 358:1097-
108
3 CHIANG Y, HOSSEINIAN L, RHEE A, et al. Questionable benefit of the pulmonary artery catheter after cardiac surgery in
high-risk patients. J Cardiothorac Vasc Anesth 2015; 29:76-81
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modulation on cardiac activity during general anaesthesia. Eur J Anaesthesiol 2014; 31:76-84
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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
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derived Bispectral Index during cardiac surgery. Anesth Analg 2012; 114:533-46
9 LAITIO T, JALONEN J, KUUSELA T, et al. The role of heart rate variability in risk stratification for adverse postoperative
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10 PANDIT JJ, ANDRADE J, BOGOD DG, et al. 5th National Audit Project (NAP5) on accidental awareness during general
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11 ROIZEN MF, BERGER DL, GABEL RA, et al. Practice Guidelines for pulmonary artery catheterization. An updated report by
the American Society of Anesthesiologists Task Force on pulmonary artery catheterization. Anesthesiology 2003; 99:988-1014
12 SANDHAM JD, HULL RD, BRANT RF, et al. A randomized, controlled trial of the use of pulmonary artery catheters in high-
risk surgical patients. N Engl J Med 2003; 348:5-14
13 SCHWANN NM, HILLEL Z, HOEFT A, et al. Lack of effectiveness of the pulmonary artery catheter in cardiac surgery. Anesth
Analg 2011; 113:994-1002
14 SERFONTEIN L. Awareness in cardiac anesthesia. Curr Opin Anaesthesiol 2010; 23:103-8
15 SPAHN DR, CHASSOT PG. Con. Fluid restriction for cardiac patients during major noncardiac surgery should be replaced by
goal-directed intravascular fluid administration. Anesth Analg 2006; 102:344-6
16 SGAR-SSAR. Société Suisse d'Anesthésie et de Réanimation. Standards et recommandations pour l'anesthésie. Version 2012,
révisée 2014. SGAR, Postfach 604, CH-3000 Berne (info@sgar-ssar.ch)

Stabilité hémodynamique

L’appareil circulatoire est conçu pour répondre aux besoins très variables de l’organisme.
Physiologiquement, les valeurs hémodynamiques se modifient constamment avec la respiration,
l'effort ou le stress. D’ailleurs, la non-variabilité de la pression artérielle ou de la fréquence cardiaque
est typique des patients dont la tolérance et l'adaptabilité à l’effort sont sérieusement diminuées. La
pression artérielle ou le volume systolique sont normalement instables au sein de certaines limites.

La présence d'une maladie cardiovasculaire introduit une donnée supplémentaire: la modification


d’un paramètre peut être bénéfique dans une direction et dangereuse dans la direction opposée. Selon
la pathologie, le résultat sera différent. Ainsi, la bradycardie diminue avantageusement la mVO2 du
coronarien, même si le débit cardiaque baisse, alors que la tachycardie lui est néfaste. En cas
d’insuffisance aortique, au contraire, la bradycardie tend à dilater le VG en prolongeant la
régurgitation, alors qu’une accélération fractionne celle-ci en plus petits volumes diastoliques. Pour
chaque patient, la question est de déterminer dans quelle direction influencer l’hémodynamique pour
lui être bénéfique. Sans y répondre en détail, il est possible de tracer quelques lignes directrices.

 La situation d'équilibre est celle du malade compensé et asymptomatique bénéficiant d’une


thérapeutique préopératoire optimale.
 En cas de souffrance ischémique du myocarde, on cherche à réduire la consommation d'O2
(mVO2) et à augmenter l'apport d'O2 (DO2); à cet égard, la tachycardie est doublement
pénalisante puisqu'elle élève la mVO2 et abaisse le DO2 (raccourcissement de la diastole).
 Lors de polyvalvulopathies ou d'association entre coronaropathie, insuffisance ventriculaire et
valvulopathie, le point d'équilibre hémodynamique est déterminé par l'affection dominante.
Le remodelage des cavités cardiaques et l'anatomie fonctionnelle décrite par
l'échocardiographie sont les meilleurs repères pour déterminer les contraintes prioritaires.
D'une manière générale, les sténoses sont beaucoup plus contraignantes que les insuffisances.
 Les marqueurs significatifs d'une souffrance ventriculaire (modifications du segment ST,
dilatation ventriculaire, diminution de la fraction d’éjection, par exemple) doivent
immédiatement déclencher la thérapeutique correspondant à la situation, même si les valeurs
hémodynamiques classiques ne sont pas modifiées (fréquence, pression, débit, etc).
 Plus sévère est l’atteinte du malade, plus faible est sa tolérance à l’égard des variations
hémodynamiques et plus l'attitude est celle d'une tolérance zéro.
 L'hémodynamique optimale est différente pour chaque valvulopathie (voir Tableaux 11.16 et
11.17). Toute modification dans une direction à risque doit être traitée immédiatement et
agressivement alors qu’une modification dans une direction favorable présente une
importante marge de sécurité (Figure 4.4 et Figure 4.5).

21
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Caractéristiques Hémodynamique à rechercher

Figure 4.4 : Sténose aortique


Caractéristiques Précharge élevée
HVG concentrique
hémodynamiques et Dysfonction diastolique Fréquence 50 - 65 b/min
situations à rechercher Précharge ↑ Vasoconstriction systémique
chez les malades DC dépend de précharge et de Rythme sinusal
contraction auriculaire Plein - régulier - fermé
souffrant de sténose
Risque ischémique
valvulaire. Fonction: D télédiast VG
DC : débit cardiaque.
D : diamètre. Sténose sous-aortique dynamique
HVG : hypertrophie
ventriculaire gauche. HVG concentrique Précharge élevée
Petite cavité VG (hypovolémie, Vasoconstriction systémique
VS : volume systo-
vasoplégie, ↓ postcharge, ↑ contractil) Contractilité diminuée
lique. Gradient > 25 mmHg dans la CCVG Plein - mou - fermé
HTAP : hypertension
artérielle pulmonaire. Sténose mitrale
OAP : œdème aigu du
poumon. VS fixe et bas Vasoconstriction systémique
DC ↓ si fréquence ↑ ou ↓ Pas de tachycardie ni de bradycardie
Précharge élevée Maintien de la précharge
HTAP, OAP Ventilation contrôlée bénéfique
Plein - normocarde - fermé - ventilé

Précharge & postcharge


élevées
Fréquence normale
© Chassot 2017

Figure 4.5 : Caractéristiques Hémodynamique à rechercher


Caractéristiques hémo-
Insuffisance mitrale
dynamiques et situa-
tions à rechercher chez HVG excentrique, dilatation VG Normovolémie
les malades souffrant Précharge élevée Vasodilatation systémique
d’insuffisance val- IM ↑ si PA systémique ↑ Stimulation inotrope
IM fonctionnelle proportionnelle à PA IPPV bénéfique
vulaire. DC : débit
DC dépend de postcharge basse Plein - tonique - ouvert
cardiaque. Fonction systolique surestimée
D : diamètre. Fonction: D télésyst VG
HVD : hypertrophie
ventriculaire droite. Insuffisance aortique
HVG : hypertrophie
HVG excentrique, dilatation max VG Précharge élevée
ventriculaire gauche. Précharge élevée Vasodilatation systémique
VS : volume systo- IA ↑ si PA diastolique ↑ Tachycardie
lique. IM : insuffisance Bradycardie ↑ volume régurgité Stimulation inotrope
mitrale. IA : insuf- Fonction diminuée (D télésyst VG) Plein - rapide - ouvert
fisance aortique.
IT : insufffisance Insuffisance tricuspidienne
tricus-pidienne.
HVD, dilatation VD (effet Bernheim) Vasodilatation pulmonaire
PAP : presion artérielle IT ↑ si PAP ↑ Précharge ↑ si HVD
pulmonaire. Précharge selon fonction VD Précharge ↓ si insuff congestive VD
PA : pression artérielle Valvulopathie gauche dominante PAP basse - IPPV à basse
systémique. pression - ALR
IPPV : ventilation en
pression positive. Précharge élevée & postcharge basse
ALR : anesthésie loco- Fréquence ↑ si fuite diastolique
régionale. © Chassot 2017

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
L’agressivité dans la correction d’une variation hémodynamique doit être basée sur la rapidité avec
laquelle s’installe la modification et sur le risque qu’elle représente pour la pathologie propre du
patient. Le repère n’est pas une valeur prédéterminée, mais la vitesse de variation de la donnée
observée. Les altérations circulatoires sont corrigées avec anticipation en suivant deux principes
(Figure 4.6).

Correction
Correction
Sous-
correction

Sur-correction

© Chassot 2015

Figure 4.6: Corrections d’une variable dynamique, en l'occurence la pression artérielle. Celle-ci doit être
maintenue dans la zone verte ; les zones rouges représentent l’hyper- et l’hypotension. La courbe bleue démontre
une prise en charge inadéquate. Au départ, la pression est dans la partie inférieure de la zone verte (flèche). Une
chute de pression est l’objet d’une correction tardive mais importante, qui induit une hypertension ; une nouvelle
correction avec un hypotenseur fait dangereusement chuter la pression. Ceci peut continuer le roulis rythmique
tant qu’on n’interrompt pas le processus avec une sous-correction précoce qui n’empèche certes pas la pression
de dévier encore, mais qui la ramène dans la zone verte au lieu de basculer de l’autre côté. La courbe blanche
illustre une prise en charge équilibrée. La pression est maintenue dans le tiers supérieur de la zone verte, et des
sous-corrections très précoces empêchent de fortes variations.

 Réagir immédiatement dès que s'amorce une modification hémodynamique, en suivant les
tendances instantanées et non la valeur absolue du chiffre. L'administration d'un
hypertenseur, par exemple, se fait dès que la pression commence à baisser, et non lorsqu'elle
a atteint son nadir; à ce moment, la circulation est très ralentie, et l'effet du médicament se
fait désirer ; on risque de donner des doses cumulatives en attendant d'obtenir une réponse, et
de déclencher une poussée hypertensive lorsque la substance se met à circuler.
 Sous-corriger par rapport au besoin théorique, de manière à éviter l'effet rebond qui crée une
sorte de roulis rythmique, chaque dose de médicament administrée renvoyant le paramètre à
l'extrême opposé.

Dans la chirurgie à haut risque comme la chirurgie cardiaque, l’attitude visant à intervenit de manière
préemptive sur l’hémodynamique pour créer la situation la plus favorable selon la pathologie du
patient conduit à une réduction de moitié de la mortalité et des complications cardiovasculaires
postopératoires [4]. Dans les momments critiques comme la sortie de CEC, il s’agit de placer le
patient dans les conditions optimales de précharge, de postcharge, de fréquence et de contractilité en
fonction des contraintes imposées par la physiopathologie de l’affection cardiaque dont il souffre.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
D’une manière générale, la gestion de l'hémodynamique occupe pleinement l'anesthésiste, qui ne doit
pas en être distrait par le souci d’assurer le sommeil du patient. Il est donc judicieux de gérer
l'anesthésie proprement dite en autopilote par l'administration continue d'un agent à dose constante,
que ce soit une perfusion (propofol, midazolam) ou un gaz (isoflurane, sevoflurane à environ 1
MAC), et par l'addition régulière ou continue d'un opiacé (fentanyl, sufentanil, alfentanil,
remifentanil). Des moniteurs comme l'indice bispectral (BIS™) et le SPI (Surgical Pleth Index)
peuvent être utiles, mais ne sont malheureusement pas des garanties fiables de la profondeur du
sommeil et de l'analgésie [1,2,3,5]. L'incidence d'éveil peropératoire, qui est de 0.005-0.5% en
chirurgie générale, est de 0.2-1.5% en chirurgie cardiaque, soit 3-10 fois plus élevée [6]. Les
moments les plus critiques sont le démarrage de la CEC (hémodilution aiguë des agents d'anesthésie),
le réchauffement (reprise de l'activité consciente lorsque la température cérébrale dépasse 32°C) et les
périodes d'instabilité hémodynamique. Il est donc capital d'assurer le sommeil avec une
administration continue d'hypnogène tout au long de l'opération. Une fois le sommeil garanti, les
variations hémodynamiques sont contrôlées par des agents vasopresseurs, vasodilatateurs ou
inotropes spécifiques, et non en modifiant la profondeur de l'anesthésie.

Stabilité hémodynamique

Chaque cardiopathie présente des contraintes hémodynamiques particulières et un point d'équilibre


défini. L'anatomie fonctionnelle visualisée à l'échocardiographie est le meilleur moyen de déterminer
quelles sont les contraintes hémodynamiques dominantes.

Maintenir la stabilité hémodynamique consiste à:


- Définir le point d'équilibre optimal en fonction de la pathologie ;
- Maintenir ces conditions hémodynamiques idéales ;
- Corriger immédiatement toute variation en-dehors de cette position d'équilibre ;
- Utiliser dans ce but des agents hémodynamiques (vasopresseur, vasodilatateur, etc) et
non les agents d'anesthésie.

Pour assurer le sommeil du patient et pouvoir se concentrer sur la gestion cardio-vasculaire,


l'anesthésie est maintenue en "auto-pilote" par l'administration continue d'un agent intraveineux ou
d'un gaz halogéné.

Références

1 AVIDAN MS, JACOBSOHN E, GLICK D, et al. Prevention of intraoperative awareness in a high-risk surgical population. N
Engl J Med 2011; 365:591-600
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modulation on cardiac activity during general anaesthesia. Eur J Anaesthesiol 2014; 31:76-84
4 HAMILTON MA, CECCONI M, RHODES A. A systematic review and meta-analysis on the use of preemptive hemodynamic
intervention to improve postoperative outcomes in moderate and high-risk surgical patients. Anesth Analg 2011; 112:1392-402
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derived Bispectral Index during cardiac surgery. Anesth Analg 2012; 114:533-46
6 SERFONTEIN L. Awareness in cardiac anesthesia. Curr Opin Anaesthesiol 2010; 23:103-8

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Rôle de l'anesthésiste

La position de l’anesthésiste en chirurgie cardiaque a fortement évolué au cours des deux dernières
décennies. Son impact s'est étendu dans trois domaines: l'aspect médical de la prise en charge
péropératoire, l'amélioration du devenir des patients et la médecine périopératoire.

Concernant le premier point, l’introduction de l’échocardiographie en salle d’opération et la maîtrise


progressive qu’il en a acquise ont permis à l'anesthésiste de mieux comprendre la physiopathologie de
ses patients et l’ont familiarisé avec de nombreux aspects cardiologiques et chirurgicaux de son
quotidien. D'autre part, la sous-spécialisation en soins intensifs lui a permis d'acquérir des
compétences nouvelles en médecine aiguë. Ces activités ont peu à peu fait de lui un collaborateur
central dans de multiples décisions médicales et ont initié une tendance nouvelle qu'on retrouve
également dans d'autres domaines chirurgicaux : l’anesthésiste devient un substitut de l'interniste en
salle d’opération. De simple pourvoyeur de sommeil, il devient un clinicien de référence. Certes, il ne
possède pas les mêmes connaissances qu'un cardiologue, mais il maîtrise particulièrement les
situations instables et aiguës propres au bloc opératoire ou à la réanimation, qui sont très éloignées du
quotidien de la cardiologie. Il en découle trois conséquences pour l'anesthésiste.

 Acquérir une formation adéquate en échocardiographie, certifiée par une accréditation (voir
Chapitre 25 Formation en ETO), et avoir de bonnes connaissances de base en cardiologie et
en hémodynamique;
 Comprendre les principes et les contraintes des opérations, être à l'aise avec le
fonctionnement de la CEC et des machines d'assistance circulatoire;
 Entretenir une collaboration étroite avec les cardiologues, les chirurgiens, les intensivistes et
les perfusionnistes de son institution.

Le succès d’une opération n’est pas celui d’un individu, mais le fruit d’un travail d'équipe dans
laquelle chacun a une part indispensable (voir Chapitre 2 Gestion de l'équipe). Cet aspect
pluridisciplinaire est certainement une des facettes les plus enrichissantes de l’anesthésie cardiaque.
Dans cette situation nouvelle, l’anesthésie cardiaque devient une sous-spécialité à part entière de
l’anesthésie. Les technologies minimalement invasives qui se développent rapidement vont encore
renforcer cette tendance, car elles requièrent des compétences spécifiques de la part de l’anesthésiste,
et leur succès est largement lié à la synchronisation des tâches entre l'opérateur et lui.

Le deuxième point concerne l'influence de l'anesthésie sur le devenir des patients. Elle porte sur deux
éléments: le choix de la technique et la qualité du travail. Certaines stratégies peuvent améliorer le
résultat de l'opération. Les halogénés, par exemple, offrent une protection contre l'ischémie
myocardique en chirurgie de revascularisation coronarienne, par des mécanismes cellulaires
analogues à ceux du préconditionnement (voir Chapitre 5 Préconditionnement) [2,6,12,16]. Comparés
à l'anesthésie intraveineuse (TIVA), ils tendent à diminuer la mortalité (OR 0.51-0.55) et les
complications pulmonaires (OR 0.71); ils semblent aussi améliorer la qualité de la revascularisation
[1,5,15]. D'autres mesures ont un effet favorable sur la survie immédiate: contrôle de la glycémie,
ventilation protective, optimisation hémodynamique périopératoire (levosimendan), acide
tranexamique, gestion transfusionnelle [7,8,9,10].

Le succès d'une intervention ne tient pas seulement à la stratégie choisie mais aussi à la rigueur avec
laquelle elle est appliquée. Il ne suffit pas de sélectionner la bonne technique, il faut encore bien
conduire le cas. La qualité de la performance offerte par l’anesthésiste compte autant que les
substances ou le monitorage utilisés. En 1985, un article retentissant avait montré que, sur 1'023
pontages aorto-coronariens, les patients de l'un des 9 anesthésistes concernés avait un taux de
tachycardie, d'ischémie myocardique et d'infarctus postopératoire outrageusement plus élevé que la
moyenne [14]. Cette étude était la première à faire un lien objectif entre la qualité des prestations de
l'anesthésiste et le devenir des patients. Une deuxième publication similaire sur un autre collectif
arrivait à la même conclusion: la performance anesthésique conditionne la morbi-mortalité des
malades [11]. Plus récemment, deux travaux sur les pontages aorto-coronariens ont abouti à des

25
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
résultats sensiblement différents. La première étude a trouvé que les anesthésistes dont les
performances sont situées dans les percentiles inférieurs (< 25%) ont un taux de complications deux
à trois fois plus élevé que ceux des anesthésistes classés dans les percentiles supérieurs (> 75%) ; la
différence varie de 1.82 fois à 3.36 fois selon le degré de risque propre du malade [4]. Mais ce travail
a dû être rétracté à cause de vices statistiques, ne laissant qu'un résultat tronqué: les anesthésistes les
moins performants n'influencent négativement la survie que chez les malades à haut risque [3]. La
deuxième étude a trouvé que l'état clinique des patients (EuroSCORE) a une valeur prédictive de 95%
pour la mortalité postopératoire; 4% de la variablitié est liée au chirurgien et à peine 1% à
l'anesthésiste [13]. Mais là aussi, des problèmes statistiques amputent la validité des résultats [3].
Trente ans séparent la première étude des deux dernières publiées; pendant cette période, une
importante évolution a eu lieu sur trois plans.

 Sophistication des aides technologiques; l'échocardiographie et l'échographie de ponction se


sont largement répandues; le monitorage, la ventilation et l'arsenal pharmacologique se sont
considérablement perfectionnés. Ces aides sont devenues si disponibles et si sûres que même
des anesthésistes aux performances modestes peuvent prendre en charge des cas de chirurgie
cardiaque sans en pénaliser les résultats. La technicité améliore les prestations, mais abaisse
le niveau des compétences cliniques et rend dépendant d'un armamentarium sophistiqué.
Depuis toujours, chaque avancée technologique correspond à la perte d'un ancien savoir-faire.
 Publication des recommandations (Guidelines); de nombreux protocoles établis par des
experts et cautionnés par les sociétés de la spécialité proposent la meilleure stratégie dans les
situations les plus fréquentes. La part d'improvisation est réduite au minimum.
 Tolérance zéro; le contrôle rigoureux des paramètres hémodynamiques (pression, débit,
contractilité, etc) et métaboliques (échanges gazeux, glycémie, troponines, etc) assure une
grande stabilité au milieu des perturbations qu’inflige une opération majeure. Il devient
possible d’agir de manière préemptive. Cette attitude est cruciale pour la prise en charge des
malades à risque dont la réserve physiologique est si faible que la moindre déviation entraîne
une catastrophe.

Ainsi les patients à bas risque opérés de pontages électifs ou de remplacements valvulaires simples ne
sont guère affectés par les performances de leur anesthésiste [3]. Néanmoins, l'expérience clinique et
l'acuité de la surveillance gardent toute leur influence sur le devenir des patients à haut risque, dont la
survie est directement liée à la qualité des performances médicales. Dans les conditions de sécurité
des pays industrialisés, des routines bien appliquées permettent certainement de mener à bon port
80% des patients. Il reste toutefois deux situations qui influencent peu les statistiques mais qui
réclament toute l'habileté et toute la perspicacité de l'anesthésiste: les 20% de cas à haut risque ou de
cas au cours desquels survient un problème inattendu et qu'il faut savoir débrouiller, et le travail dans
les conditions moins favorables ou franchement difficiles des hôpitaux que la pauvreté empêche de
disposer des conditions techniques idéales.

Le troisième point a pour objet la médecine périopéraoire. L'anesthésie a progressivement étendu son
domaine au-delà du bloc opératoire pour s'intéresser simultanément à la préparation préopératoire du
malade et à sa prise en charge postopératoire en surveillance intensive. D'une fonction de "gas-
passer", l'anesthésiste évolue vers celle de perioperative physician. Cette attitude est particulièrement
logique en chirurgie cardiaque. Par rapport au médecin-traitant, au cardiologue et à l'intensiviste, il
est le seul à bien connaître les problèmes rencontrés en cours d'intervention, à saisir l'impact des
pathologies et des traitements en cours sur le déroulement de l'opération, et à maîtriser la continuité
entre le bloc opératoire et le suivi en soins intensifs. Ayant lui-même une formation d'intensiviste,
l'anesthésiste cardiaque devient le pivot central dans le suivi en continu du patient au cours de sa
trajectoire hospitalière. Il incarne parfaitement la volonté actuelle de mettre le malade au centre des
préoccupations et de transformer la médecine fragmentée en spécialités cloisonnées dans une
médecine personnalisée axée sur les spécificités de chaque patient. Ceci est particulièrement vrai pour
l'évolution postopératoire immédiate, qui est conditionnée par les évènements survenus en salle et les
thérapeutiques initiées pour y faire face. Cette prise en charge relève d'une médecine intensive très
spécifique à la chirurgie cardiaque, qui réclame un personnel médical et infirmier parfaitement au

26
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
courant de cette spécialité. La continuité entre le bloc et les soins intensifs ne peut être assurée que
par la même équipe d'anesthésie. Il n'est pas possible d'être efficace si l'on change de grille de lecture
dès qu'on franchit le sas du bloc opératoire.

En salle de chirurgie cardiaque comme dans n’importe quelle salle d’opération, l’anesthésiste est un
passeur. Il prend en charge un malade et lui fait traverser la chirurgie jusqu’à son réveil, comme un
batelier fait traverser le fleuve à son passager et l’amène à bon port sur l’autre rive. Sa principale
responsabilité est d’honorer ce contrat tacite qui le lie au malade. Même s’il a des obligations vis-à-
vis du chirurgien et de l'hôpital, c’est avant tout vis-à-vis du patient qu’il est moralement responsable,
et c’est à lui qu’il doit toute sa perspicacité et toute son aide.

Rôle de l'anesthésiste en chirurgie cardiaque

Grâce notamment à l'échocardiographie, l'anesthésiste a de plus en plus un rôle d'interniste-consultant


en salle d'opération, ce qui implique une formation adéquate en ETO et des connaissances étendues
en cardiologie, en hémodynamique et en technique d'assistance circulatoire.

Les progrès technologiques ou pharmacologiques et la publication de nombreuses recommandations


(Guidelines) ont facilité la tâche de l'anesthésiste, dont les performances ont moins d'influence sur les
résultats que par le passé pour la chirurgie habituelle. Les cas complexes, cependant, requièrent toute
l'habileté et toute la perspicacité d'un excellent clinicien.

Références
1 DE HERT S, VLASSELAERS D, BARBE R, et al. A comparison of volatile and non volatile agents for cardioprotection during
on-pump coronary surgery. Anaesthesia 2009; 64:953-60
2 GARCIA C, JULIER K, BESTMANN L, et al. Preconditioning with sevoflurane decreases PECAM-1 expression and improves
one-year cardiovascular outcomes in coronary artery bypass graft surgery. Br J Anaesth 2005; 94:159-65
3 GERSTEIN NS, PETERSEN TR, RAMAKRISHNA H. Evaluating the cardiac anesthesiologist's role in surgical outcomes – A
reappraisal based on recent evidence. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:283-90
4 GLANCE LG, KELLERMANN AL, HANNAN EL, et al. The impact of anesthesiologists on coronary artery bypass graft
surgery outcomes. Anesth Analg 2015; 120:526-33
5 HILLIS LD, SMITH PK, ANDERSON JL, et al. 2011 ACCF/AHA Guideline for coronary artery bypass graft surgery: Executive
summary. Anesth Analg 2012; 114:11-45
6 LANDONI G, BIONDI-ZOCCAI GGL, ZANGRILLO A, et al. Desflurane and sevoflurane in cardiac surgery: A meta-analysis
of randomized clinical rials. J Cardiothorac Vasc Anesth 2007; 21:502-11
7 LANDONI G, AUGOUSTIDES JG, GUARRACINO F, et al. Mortality reduction in cardiac anesthesia and intensive care: results
of the first International Consensus Conference. Acta Anaesthesiol Scand 2011; 55:259-66
8 LANDONI G, GRECO T, BIONDI-ZOCCAI G, et al. Anaesthetic drugs and survival: a Bayesian network meta-analysis of
randomized trials in cardiac surgery. Br J Anaesth 2013; 886-96
9 LANDONI G, PISANO A, LOMIVOROTOV V, et al. Randomized evidence for reduction of perioperative mortality: an updated
consensus process. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:719-30
10 LANDONI G, RODSETH RN, SANTINI F, et al. Randomized evidence for reduction of perioperative mortality. J Cardiothorac
Vasc Anesth 2012; 26:764-72
11 MERRY AF, RAMAGE MC, WHITLOCK RM, et al. First-time coronary aretry bypass gtrafting: The anesthesist as a risk factor.
Br J Anaesth 1992; 68:6-12
12 PAGEL PS. Myocardial protection by volatile anesthetics in patients undergoing cardiac surgery: A critical review of the
laboratory and clinical evidence. J Cardiothorac Vasc Anesth 2013; 27:972-82
13 PAPACHRISTOFI O, SHARPLES LD, MACKAY JH, et al. The contribution of tha anaesthesist to risk-adjusted nortality after
cardiac surgery. Anaesthesia 2016; 71:138-46
14 SLOGOFF S, KEATS AS. Does perioperative myocardial ischemia lead to postoperative myocardial infarction? Anesthesiology
1985; 62:107
15 UHLIG C, BLUTH T, SCHWARZ K, et al. Effects of volatile anesthetics on mortality and postoperative pulmonary and other
complications in patients undergoing surgery: a systematic review and meta-analysis. Anesthesiology 2016; 124:1230-45
16 ZAUGG M, SCHAUB MC, FOËX P. Myocardial injury and its prevention in the perioperative setting. Br J Anaesth 2004; 93:21-
33

27
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie
Seuls les effets hémodynamiques des agents d’anesthésie seront abordés ici, dans la mesure où ils sont
déterminants pour le choix de la technique d'induction et de maintien du sommeil. Les effets
pharmacocinétiques propres à la CEC sont traités plus précisément dans le chapitre consacré à cette
dernière (voir Chapitre 7 Pharmacologie de la CEC).

L'anesthésiste doit garantir au patient le sommeil et l'analgésie, et au chirurgien des conditions


opératoires adéquates. Lors d'une chirurgie majeure, les dosages des substances utilisées ont des effets
hémodynamiques importants et conduisent à une dépression respiratoire qui nécessite une assistance
ventilatoire (IPPV: intermittent positive pressure ventilation), laquelle entraîne à son tour des
modifications hémodynamiques supplémentaires.

Les agents d'anesthésie interfèrent avec l'hémodynamique par effet direct sur le coeur et les vaisseaux
ou par effet indirect via le contrôle neuro-humoral. In vitro, la plupart des substances utilisées ont un
certain effet inotrope négatif. In vivo, cet effet est souvent très faible, mais il se combine à une
dépression sympathique centrale variable et à une altération des baroréflexes, qui modifient les
conditions de précharge et de postcharge. Le résultat final sur la pression artérielle et le débit
cardiaque est une combinaison indissociable de ces différents éléments. En clinique, l'effet central est
d'autant plus marqué que le tonus sympathique de base était élevé en préopératoire. La dépression
sympathique est maximale avec le thiopental, suivie par le propofol, puis par les halogénés; l'effet est
quasi-nul pour l'étomidate [1]. La kétamine et le protoxyde d'azote induisent une stimulation
sympathique. La modification des baroréflexes est la plus importante pour le thiopental, moins
marquée pour le propofol et presque inexistante pour l'étomidate (Figure 4.7).

Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie

Les agents d'anesthésie interfèrent avec les régulations du système nerveux autonome, par ordre
d'altération décroissante: thiopental, propofol, isoflurane, étomidate. La kétamine, le desflurane et le
N2 O sont des stimulants sympathiques.

Références

1 EBERT TJ, KANITZ DD, KAMPINE JP. Inhibition of synpathetic neural outflow during thiopental anesthesia in humans.
Anesth Analg 1990; 71:319-26
2 EBERT TJ, MUZZI M, BERENS R, et al. Sympathetic responses to induction of anesthesia in humans with propofol or
etomidate. Anesthesiology 1992; 76:725-33

28
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
+20
Figure 4.7: Effets Th Pr Iso Et
hémodynamiques 0
centraux de différents
agents d'anesthésie (en
pourcent). -20 N 2O
A: Dépression de
l'activité sympathique -40 A
centrale pour le
thiopental (Th), le
propofol (Pr), -60
l'isoflurane (Iso),
l'étomidate (Et) et le Modification en % de la
valeur de contrôle
protoxyde d'azote.
B: Dépression de la
réponse des
Th Pr Et Th Pr Et
barorécepteurs à un
vasopresseur (phényl- 0
éphrine 150 mcg).
C: Dépression de la
-20
réponse des baro-
récepteurs à un
vasodilatateur (nitro- -40
prussiate 100 mcg)
[D'après référence 2]. -60

B C
-80

Modification en % de la
valeur de contrôle

Rappel pharmacocinétique

Le volume de distribution (Vd) est un volume virtuel sans corrélation avec les volumes anatomiques
de l'organisme; il représente le volume apparent nécessaire pour expliquer la concentration
plasmatique d'une substance. Un produit très liposoluble aura une faible concentration plasmatique et
un très grand volume de distribution, particulièrement chez les obèses; ce grand Vd est le reflet d'une
importante absorption tissulaire, qui laisse peu de produit en circulation à disposition des mécanismes
d'élimination et qui constitue un stockage prolongeant le temps de récupération. Un produit maintenu
dans le liquide extracellulaire par une forte liaison protéique ou une ionisation importante aura un
faible Vd. La baisse des protéines de fixation a pour effet apparent d'augmenter le volume de
distribution.

La demi-vie d'une substance est le temps nécessaire pour que la concentration de celle-ci diminue de
moitié. On estime que les concentrations plasmatiques sont négligeables après 3 demi-vies (diminution
du taux plasmatique à 12.5% de sa valeur de départ) et nulles après 5 demi-vies (diminution à 3.15%).

Le modèle pharmacocinétique le plus simple est un modèle à deux compartiments, qui est utilisable
pour la majeure partie des médicaments d'anesthésie (Figure 4.8A). Après une injection intraveineuse,
l'équilibre de la substance entre le compartiment central (1) et le compartiment périphérique (2)
commence immédiatement; sa rapidité est fonction des constantes de diffusion K 1→2 et K 2→1. La
substance est éliminée depuis le compartiment central (Ke). La décroissance de la concentration
plasmatique suit deux phases (Figure 4.8B) [1,3].

29
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Substance

Figure 4.8: éléments de


pharmacocinétique. K12
A: modèle à deux Compart
Compartiment
compartiments, où K12 et central périphérique
K21 sont les constantes K21
de diffusion entre le
Ke
compartiment central et le A
compartiment péri-
phérique, et Ke la
constante d'élimination Concentration
(clairance).
B: concentration plasma- A
tique (Cp) d'une -αt -βt
Cp = Ae + Be
substance injectée par
voie intraveineuse (au
temps 0); la concentration B
Pente β de la phase
baisse de manière bi-
d’élimination
exponentielle en suivant
la phase de redistribution
α et la phase d'élimi- Pente α de la phase
nation β. B de distribution

Temps après injection

 Décroissance initiale rapide (phase de distribution α), correspondant au passage du plasma (1)
vers les tissus (2);
 Décroissance lente (phase d'élimination β), correspondant à l'élimination de la substance
(clairance) à partir du compartiment central; la demi-vie est la tβ1/2.

La clairance est le volume plasmatique totalement épuré de la substance par unité de temps, ou le
rapport entre la quantité de médicament éliminée par unité de temps et sa concentration plasmatique.
C'est la somme des éliminations rénale et hépatique, conditionnées par le degré de liaison protéique
des substances (Tableau 4.2).

Les concepts de demi-vie d’élimination et de volume de distribution ne permettent pas de rendre


compte efficacement de tous les effets cliniques d’une substance, notamment à cause des transferts
entre les compartiments périphériques et le compartiment central. La notion de demi-vie contextuelle
(context sensitive half-times : CST1/2 ) est plus adaptée, puisqu’elle décrit le temps nécessaire à la
diminution de 50% de la concentration d’une substance perfusée en continu pour maintenir un taux
circulant constant (Figure 4.9) [10]. Elle est significativement plus longue que la demi-vie
d'élimination bi-exponentielle.

La vitesse de distribution d'un médicament entre les différents compartiments dépend de plusieurs
phénomènes.

 Perfusion tissulaire: débit cardiaque, vasodilatation, vasoconstriction; la perfusion est plus


élevée dans les organes à autorégulation (cœur, cerveau, reins, foie) que dans les autres
organes et que dans les tissus somatiques (muscles, glandes, peau, graisse).
 Liaison aux protéines plasmatiques: la diffusion et l'activité d'un médicament dépendent de sa
fraction libre non liée aux protéines. Si la concentration protéique baisse (hypoprotéinémie,
hémodilution), la fraction libre augmente, donc la diffusion et l'effet clinique sont plus

30
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
importants. Les médicaments acides sont préférentiellement liés à l'albumine et les substances
basiques à la glycoprotéine acide α1 (Tableau 4.2).
 Diffusion: décroissance bi-exponentielle.

Tableau 4.2
Pharmacocinétique des agents intraveineux

Taux de liaison aux protéines plasmatiques


 Propofol 98%
 Sufentanil 92%
 Alfentanil 91%
 Thiopental 85%
 Fentanyl 84%
 Etomidate 76%
 Vecuronium 75%
 Remifentanil 70%
 Lidocaïne 65%
 Atracurium 50%
 Morphine 40%
 Rocuronium 30%
 Pancuronium 15%
Taux d'extraction hépatique
 Coefficient bas (< 0.3): thiopental
 Coefficient moyen (0.3 – 0.7): etomidate, kétamine,
vécuronium, rocuronium
 Coefficient élevé (> 0.7): propofol, morphine, fentanils,
midazolam, lidocaïne

[D'après: Albrecht E, éd. Manuel pratique d'anesthésie, 3ème edition. Paris:


Elsevier-Masson, 2015, 53-113]

Figure 4.9: Représentation Temps pour diminution de 50% (min)


graphique de la demi-vie
contextuelle (context-sentitive 100
half-time) des principaux Fentanyl
opiacés synthétiques utilisés en
perfusion. Les courbes 75 Alfentanil
représentent le temps nécessaire
à la diminution de moitié du
taux plasmatique circulant de 50
chaque substance après une
perfusion de durée variable Sufentanil
[10]. Alors que le fentanyl et le 25
sufentanil s'accumulent au Remifentanil
cours de leur perfusion,
l'alfentanil et le remifentanil
conservent des demi-vies
contextuelles stables. Celle du
remifentanil est d'environ 5 Début 100 200 300 400 500 600
minutes. Durée de perfusion (min)

L'effet anesthésique est déterminé par la concentration cérébrale de la substance. Pour un agent
intraveineux, il est proportionnel à la concentration plasmatique et pour un agent par inhalation à la

31
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
concentration alvéolaire. La vitesse d'induction et de réveil avec un gaz halogéné dépend de plusieurs
éléments.

 La solubilité du gaz dans le sang; la vitesse augmente si la solubilité est basse dans le sang
(coefficient de partition sang/gaz bas) et dans les graisses (coefficient de partition huile/eau
bas).
 La différence de pression partielle du gas entre les alvéoles et les capillaires pulmonaires; la
vitesse augmente si cette différence est élevée ; plus la concentration alvéolaire d'un halogéné
s'élève rapidement, plus l'induction est accélérée.
 Le débit cardiaque; la vitesse d'induction augmente si le débit cardiaque diminue. En effet, le
bas débit sanguin pulmonaire diminue les échanges gazeux; la pression alvéolaire du gaz se
modifie donc lentement, ce qui maintient élevée la Fi alvéolaire du gaz: l'induction est donc
accélérée. Ce phénomène n'est important que pour les agents à forte solubilité.

Effets de la vieillesse

Le remaniement physique lié à l'âge est caractérisé par une série de phénomènes qui sont bien évidents
dès 75 ans, mais qui apparaissent progressivement dès 65 ans. Ces modifications ont des conséquences
pharmacocinétiques importantes (voir Chapitre 21, Le patient âgé) [17].

 Diminution de 35% de la masse musculaire: ↓ Vd des substances lipophiles, ↑ sensibilité aux


curares, retard de récupération de la curarisation.
 Diminution de 15% de l'H2O totale: ↓ Vd des substances hydrophiles et ionisées (curares,
catécholamines).
 Hypoprotéinémie et hypoalbuminémie (↓ 20%): ↑ fraction libre et de l'activité des agents,
particulièrement marqué pour le propofol (taux de liaison protéique 98%).
 Diminution du métabolisme hépatique de 35%: retard d'élimintaion de la morphine, des
fentanils, du midazolam, du propofol.
 Diminution de l'excrétion rénale de 35%: élimination retardée.

En pharmacodynamique, on voit que la MAC des halogénés baisse de 0.6% par année d'âge; elle est
diminuée de 35% à 75 ans [6] :

 Isoflurane : 0.9% au lieu de 1.2%


 Sevoflurane : 1.5% au lieu de 1.9%
 Desflurane : 5% au lieu de 6.5%

Pour maintenir l'équilibre hémodynamique, il est donc capital de réduire les doses d'environ 50% chez
la personne âgée (> 75 ans), et de ralentir l'administration intraveineuse à l'induction.

Effets de l'insuffisance cardiaque

Il n'est pas rare que l'on doive endormir un malade en insuffisance cardiaque. Dans cette situation, la
baisse du débit et la rétention hydro-sodée conduisent à une augmentation du volume sanguin et du
volume extracellulaire, à une baisse du volume intracellulaire (perte de masse musculaire), et à une
hypoalbuminémie relative. La pharmacocinétique est donc modifiée chez les patients en insuffisance
ventriculaire [14].

 Prolongation de la phase de distribution intraveineuse.


 Variation globale du volume de distribution (Vd) :
• ↓ du Vd des substances à distribution intracellulaire (opiacés, diazépines) ;
• ↑ du Vd des substances à distribution exclusivement extracellulaire (curares,
catécholamines).
32
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Modification de la distribution tissulaire: débit relatif augmenté dans le compartiment central
(cerveau, coeur, poumons) et diminué dans le compartiment périphérique (vasoconstriction
dans les viscères, les muscles et la peau) ; le Vd apparent est diminué.
 Baisse de la clairance des substances par plusieurs mécanismes :
• ↓ du flux plasmatique rénal (FPR), redistribution du FPR du cortex vers la
médullaire et ↑ de la résorbtion tubulaire ; la clairance rénale est diminuée;
• ↓ du débit hépatique, stase hépatique, ↓ du métabolisme ; la clairance
hépatique (fentanils, morphine) est diminuée.
 Hypoalbuminémie : ↑ fraction libre des substances très liées aux protéines comme le
propofol ; l'effet clinique est augmenté.

Lorsqu’on administre une dose conventionnelle d’une substance, les taux plasmatiques sont plus
élevés que chez un individu normal (diminution du volume de distribution effectif et de la clairance),
et les effets centraux cérébraux et cardiaques sont amplifiés. De plus, la baisse du débit sanguin
pulmonaire influence la pharmacocinétique des gaz: elle accélère l'induction et en augmente les effets
cardiocirculatoires.

Effets de la CEC

L'hémodilution qui s'installe en début de CEC diminue brusquement la concentration des substances
en solution dans le compartiment central (Pharmacocinétique, p 104). Ceci entraîne deux phénomènes:

 Diminution soudaine de la concentration libre des substances; ceci implique un risque de


réveil et de décurarisation (Figure 4.10) [5,11] ; les variations de concentration sont de l'ordre
de 10-55% selon les substances et selon leurs volumes de distribution [18]. L'effet est plus
marqué pour celles qui ont petit Vd.

Conc 100
(ng/ml)
Risque de réveil

30

20

10

Début
CEC

0 0.5 1.0 1.5 2.0 5.0


Temps (minutes)

Figure 4.10: Profil de concentration plasmatique du fentanyl au début d'une CEC. La chute du taux est brêve;
l'équilibre est rétabli en 2 minutes [modifié d’après Hynen M. Binding of fentanyl and alfentanil to the
extracorporeal circuit. Acta Anaesthesiol Scand 1987; 31:706-10].

33
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Diminution de 30-40% de la concentration d'albumine et d'α-glycoprotéine acide; le taux libre
des substances fortement liées (fentanyl 84%, midazolam 94%, propofol 98%, par exemple)
augmente significativement, alors que celui des substances faiblement liées (vecuronium 30%,
morphine 35%) se modifie peu [18].

Ces deux effets peuvent se compenser partiellement; ils n'ont pas la même cinétique et sont
transitoires, car ils durent le temps nécessaire à une rééquilibration à partir du réservoir représenté par
les tissus périphériques [9]. Le Vd des agents d'anesthésie, qui sont des substances lipophiles, est
beaucoup plus grand que le volume de la CEC. Pour les curares, qui sont des substances hydrophiles,
le Vd est moins grand, la liaison protéique plus faible, et la dilution soudaine plus importante; le risque
de décurarisation est donc significatif, et d'autant plus que le volume circulant du patient est plus petit.

L'hypothermie ralentit la distribution des substances entre les différents compartiments, inhibe leur
biotransformation, et réduit leur clairance par le foie et par les reins; à 27°, cette réduction est de 50%.
Ainsi l'inhibition des rhodanases hépatiques retarde la métabolisation du nitroprussiate, et la
concentration plasmatique des substances administrées en perfusion continue augmente. L'affinité
pour les récepteurs est diminuée lorsque la température baisse. La vasoconstriction induite par le froid
détourne le flux sanguin vers les organes à haut débit (cerveau, foie, rein) et réduit le volume de
distribution des substances qui ont un faible Vd; c'est le cas pour les curares, dont le taux augmente en
CEC hypothermique. De plus, l'hypothermie augmente graduellement l'eau intracellulaire et diminue
le volume plasmatique.

La solubilité des gaz augmentant lorsque la température baisse, l'hypothermie accroît la quantité
d'halogénés dilués dans le sang et baisse leur pression partielle tissulaire. Le coefficient de partition
sang:gaz des halogénés s'élève. Il faut donc augmenter leur concentration pour obtenir le même effet
(augmentation de la MAC apparente): en-dessous de 30°C, la concentration sanguine de l'isoflurane
est la moitié de la fraction inspirée affichée sur le vaporisateur [19]. Toutefois, les besoins en agents
d'anesthésie sont réduits par l'hypothermie, puisqu'il n'y a plus d'activité consciente en dessous d'une
température cérébrale de 32°. La MAC réelle des halogénés diminue linéairement entre 37° et 20°, où
elle devient nulle [2]. De plus, l'hémodilution réduit le coefficient de partition sang:gaz, de sorte que
ces effets tendent à s'annuler mutuellement [19]. Par ailleurs, les membranes d'oxygénateur en
polypropylène absorbent les halogénés mais assurent leur diffusion, alors que les membranes en
polyméthylpentane leur sont imperméables [20].

Les poumons métabolisent et éliminent une série de substances: noradrénaline, isoprénaline, lidocaïne,
bupivacaïne, fentanyl, stéroïdes, prostaglancines, chlorpromazine, imipramine [19]. Ils servent de
réservoir aux substances liposolubles basiques comme le fentanyl, le sufentanil, le propofol ou la
lidocaïne; elles y restent stockées pendant la CEC puisqu'il n'y a plus de circulation pulmonaire. Elles
seront relarguées au moment du déclampage et de la reventilation, ce qui cause une augmentation du
taux plasmatique et un approfondissement momentané de l'anesthésie (Figure 4.11) [15].

La captation de la dopamine et de la nor-adrénaline par les poumons cesse lorsque ces derniers sont
exclus; leurs taux sériques augmentent pendant la période de clampage. Le flux hépatique diminue en
CEC à cause de l'hypothermie et de la dépulsation. Ceci a un effet significatif sur la métabolisation des
substances qui ont un coefficient d'extraction hépatique important (fentanyl, vecuronium) ou moyen
(alfentanil). La clairance du lactate est diminuée de 30% par la CEC [13].

Les composants des circuits de CEC, particulièrement les oxygénateurs, absorbent certaines
substances lipophiles comme le fentanyl, l'alfentanil, le midazolam ou le propofol [11,12]. Toutefois,
cet effet est d'une portée réduite à cause du grand volume de distribution de ces substances et de la
rééquilibration entre les compartiments. L'hémofiltration, par contre, est efficace pour soustraire un
grand nombre de substances du compartiment central de la circulation, puisqu'elle extrait toutes les
molécules jusqu'à 20'000 Dalton, ce qui inclut l’eau, les électrolytes, la quasi-totalité des agents
pharmacologiques et la plupart des déclencheurs inflammatoires.

34
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
20
Conc Artère
(ng/ml) radiale

10
Artère
pulmonaire

Déclampage Ventilation

0 0.5 2.0 5.0 10


Temps (minutes)

Figure 4.11: Modifications du taux plasmatique de fentanyl lors de la recirculation pulmonaire [modifié d’après:
Bentley JB, Conahan TJ, Cork RC. Fentanyl sequestration in lungs during cardiopulmonary bypass. Clin
Pharmacol Ther 1983;34:703-6].

L'héparine en forte concentration (300 UI/kg) induit une libération de lipoprotéine-lipase et de lipase
hépatique, ce qui hydrolyse les triglycérides plasmatiques en acides gras non-estérifiés (FFA: free fatty
acids) qui augmentent de 15-20% [8]. Ces acides gras libres se lient aux protéines plasmatiques et
déplacent les substances qui y sont fixées, ce qui en augmente la concentration libre; ce processus a
lieu en quelques minutes.

Après la CEC, il persiste une augmentation du volume de distribution due à la surcharge liquidienne et
une diminution des clairances hépatiques et rénales dues à la dysfonction postopératoire de ces
organes; l'effet de substances comme les fentanils ou le propofol est prolongé [4]. Pour le propofol,
par exemple, on relève les valeurs suivantes [7] :

 Le Vd passe de 4 L/kg avant la CEC à 7.4 L/kg en CEC;


 La clairance plasmatique avant, pendant et après CEC est respectivement de 28, 26 et 16
mL/kg/min;
 La tβ1/2 avant, pendant et après CEC est respectivement de 5, 6 et 7.8 heures.

Toutes ces modifications ont relativement peu d'impact dans les situations habituelles, mais prennent
de l'importance chez les personnes de faible poids (< 50 kg, enfants), chez les personnes âgées (masse
cellulaire et taux de protéines plasmatiques diminués), et chez les malades débilités (insuffisance
cardiaque chronique).

Pharmacodynamique

Du point de vue pharmacodynamique, un patient pâtira de la modification iatrogène d'une composante


hémodynamique d'autant plus qu'il utilisait cette dernière comme mode de compensation pour sa
cardiopathie. La baisse de précharge due au midazolam ou au propofol, bien tolérée par un coeur
normal, induit une chute du débit cardiaque et une hypotension sévères lorsque le ventricule dépend de
cette précharge pour maintenir sa fonction (hypertrophie concentrique, insuffisance diastolique, etc)
[16]. Le fait qu'une substance ait peu d'effet inotrope négatif ne garantit nullement la stabilité

35
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
circulatoire, car la performance cardiaque dépend étroitement de la précharge, de la postcharge, de la
fréquence, du tonus sympathique et des réflexes vasoactifs autonomes. En clinique, la contractilité
n'est guère dissociable de ces éléments, qui peuvent chacun être perturbés par les substances
administrées, par la ventilation et par les conditions opératoires. Le retentissement d'un médicament ou
d'une manoeuvre d'anesthésie sur la perfusion des organes dépend essentiellement de son impact sur le
couplage ventriculo-vasculaire. Enfin, la curarisation et la ventilation en pression positive (IPPV)
modifient significativement les conditions de charge du ventricule droit et du ventricule gauche.

Pharmacocinétique et pharmacodynamique

Le volume de distribution (Vd) représente le volume virtuel nécessaire pour expliquer la


concentration plasmatique d'une substance. La demi-vie est le temps nécessaire pour que la
concentration diminue de moitié ; la concentration plasmatique est négligeables après 3 demi-vies
(12.5%) et quasi-nulle après 5 demi-vies (3.1%). La demi-vie contextuelle décrit le temps nécessaire
à la diminution de 50% de la concentration d’une substance perfusée en continu. La clairance est le
volume plasmatique totalement épuré de la substance par unité de temps.

La vieillesse induit une diminution de la masse musculaire (↓ Vd lipophile), de l’eau totale (↓ Vd


hydrophile), des protéines (↑ fraction libre), et de l’élimination hépatique et rénale (↓ clairance).
Cela commande de réduire les doses d'environ 50% et de ralentir la vitesse d'administration iv.

L’insuffisance cardiaque ralentit la perfusion et en modifie la distribution : ↓ perfusion musculaire,


cutanée et viscérale, ↑ perfusion centrale (cœur, cerveau, poumon), ↓ Vd intracellulaire, ↑ Vd
extracellulaire, hypoprotéinémie (↑ fraction libre), ↓ clairance. Ralentir la vitesse d'administration iv.

La CEC modifie significativement la pharmacocinétique :


- Hémodilution et hypoprotéinémie brusques par le volume d’amorçage (risque de réveil et
de décurarisation en début de CEC)
- Hypothermie (↓ distribution périphérique, ↓ clairance, ↑ solubilité des gaz, mais
diminution des besoins)
- Exclusion des poumons : stockage de fentanil et propofol, relargage à la reventilation
arrêt de métabolisation de la noradrénaline
- Héparinisation (déplacement des substances fixées aux protéines)
- Absorption dans les plastiques

Références

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3 BARASH PG, CULLEN BF, STOELTING RK, GAERTNER E. Précis d’anesthésie clinique. Paris:Arnette, 2008, 1115-1204
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cardiac surgery: Assessment of the prospective predictive accuracy and the quality of anesthesia. J Cardiothorac Vasc Anesth
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intravenous anesthetic drugs. Anesthesiology 1992; 76:334

36
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
11 HYNYNEN M, HAMMAREN E, ROSENBERG PH. Propofol sequestration within the extracorporeal circuit. Can J Anaesth
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JANVIER G, LEHOT JJ (ed). Circulation extracorporelle: principes et pratique, 2ème édition. Paris: Arnette Groupe Liaison SA,
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Cardiothoracic Anesthesia. Oxford: Oxford University Press, 2015, 69-82
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during cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 2002; 97:133-8

Agents intraveineux

Tous les agents d'anesthésie intraveineux sont responsables d'une baisse des performances
hémodynamiques proportionnelle à leur dosage. Si la kétamine y fait exception, c'est à cause d'une
forte stimulation sympathique centrale; lorsque cette dernière est absente, la kétamine a un effet
cardiodépresseur important. D'une manière générale, les agents habituellement utilisés en anesthésie
cardiaque (étomidate, midazolam, propofol, fentanils) ont des effets inotropes négatifs peu marqués;
les modifications hémodynamiques sont plutôt liées aux effets de ces substances sur les mécanismes
de contrôle vasomoteur central, sur la précharge et sur la postcharge (Tableau 4.3) [12].

Tableau 4.3
Effets hémodynamiques des agents intraveineux

Substance Précharge PA PAP Fréquence Contractilité

Midazolam ↓↓ ↓↓ ↓ ↑ ↓
Etomidate - ↑ - ↑ -
Propofol ↓↓↓ ↓↓↓ ↓ ↓ ↓
Kétamine ↑ ↑↑↑ ↑↑↑ ↑↑ ↓↓*
Thiopental ↓↓ ↓↓↓ ↑ ↑↑ ↓↓↓
Fentanyl ± ↓ ↓↓ ↓ -
Sufentanil ± ↓↓ ↓↓ ↓↓ -
Rémifentanil ± ↓↓ ↓↓ ↓↓↓ ↓

* : effet direct sur le cœur in vitro, surcompensée par la stimulation sympathique centrale in vivo
PA : pression artérielle systémique. PAP : pression artérielle pulmonaire

L'association d'un hypno-inducteur et d'un opiacé (propofol ou midazolam + fentanil) potentialise


considérablement la dépression cardiocirculatoire, alors que chaque substance administrée séparément
a peu d'effet. Par exemple, la pression artérielle systolique baisse de 25 mmHg avec du propofol pur et
de 50 mmHg avec la combinaison propofol + fentanyl [5]. A dose équimolaire, le thiopental est l'agent
qui inhibe le plus fortement la fonction myocardique; le propofol et le midazolam ont une position
intermédiaire, alors que l'étomidate est certainement l'agent qui perturbe le moins l'hémodynamique
(Figure 4.12 et Figure 4.13).

37
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Fréquence PAM
Figure 4.12: (b/min) (mmHg)
Effets
hémodynamiques
80
des agents
100
d'induction
intraveineux. E:
patient éveillé
avant l'induction; 60
A: patient
anesthésié après
80
l'induction. Le
minimum de E A E A
perturbation est
obtenu avec
Vol syst indexé mVO 2
l’etomidate. Par 2
(mL/m ) (mL/min/100g)
ordre croissant
d’effet 60
hémodynamique: 20
etomidate < 50
propofol <
kétamine < 40 15
thiopental [d'après
référence 12]. 30

10
20

E A E A

Thiopental Etomidate Propofol Kétamine

Les concentrations plasmatiques nécessaires à obtenir le sommeil sont très différentes pour chaque
agent, passant de 3 micromoles/mL pour l'étomidate à 50 micromoles/mL pour le propofol et 100 pour
le thiopental [12]. Le sommeil lui-même s'accompagne d'une baisse de l'activité sympathique centrale
qui diminue invariablement les performances hémodynamiques, mais qui réduit aussi les besoins
métaboliques de l'organisme. Dans ces conditions, l'équilibre est maintenu, même si le débit cardiaque
est abaissé (IC < 2 L/min/m2). Mais cet équilibre est rompu en dessous d'un certain seuil, ce qui se
traduit par la modification de plusieurs marqueurs, qui représentent autant de signaux d'alarme.

 Baisse du débit cardiaque: ↓ SvO2, ↑ lactate;


 Hypotension artérielle: ↓ saturation cérébrale (ScO2), ↓ segment ST, ↓ diurèse;
 Péjoration du rapport DO2/VO2 myocardique: modifications du segment ST, altérations de la
cinétique segmentaire;
 Dépression myocardique: ↓ fraction d'éjection, dilatation ventriculaire.

Aucun des agents intraveineux n'a d'effet protecteur significatif sur le myocarde. Seuls les halogénés
présentent une certaine capacité à diminuer les effets de l'ischémie myocardique
(préconditionnement).

38
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Fréquence PAM
(b/min) (mmHg)
Figure 4.13:
Effets
hémodynamiques 80
de l'isoflurane et 100
des opiacés. E:
patient éveillé
60
avant l'induction;
A: patient
anesthésié après 80
l'induction
[d'après référence E A E A
12].
Vol syst indexé mVO 2
2
(mL/m ) (mL/min/100g)

60
20
50

40 15

30
10
20

E A E A

Fentanyl Sufentanil Isoflurane

Midazolam

Le midazolam (Dormicum®) est très populaire comme agent d'induction et de maintien du sommeil,
notamment à cause de l'amnésie qu'il occasionne. Cependant, son activité hypnogène est prolongée,
retardant ainsi le délai d’extubation. De plus, il favorise le délire postopératoire. Comme toutes les
benzodiazépines, il provoque une anxiolyse à faible dose, une sédation à dose plus importante, et le
sommeil lorsque plus de 60% des récepteurs sont occupés. Il induit une sympathicolyse centrale
associée à une baisse des catécholamines circulantes. Ses effets hémodynamiques, peu marqués en soi,
deviennent significatifs en association avec un fentanil ou dans les situations où l’équilibre
hémodynamique est très dépendant de la stimulation sympathique. Le pic de l'effet est atteint en 3
minutes [21].

 Diminution du tonus sympathique central: ↓↓ précharge, ↓ postcharge, ↓ DC; elle est d'autant
plus délétère que le patient maintient son équilibre par cette stimulation neuro-humorale
(insuffisance ventriculaire, choc cardiogène).
 Comme l'effet le plus important est la baisse de précharge, l'hypotension est beaucoup plus
sévère si le malade est hypovolémique ou s'il dépend de la précharge pour maintenir son
volume systolique (insuffisance diastolique, HVG, valvulopathie).
 Le midazolam provoque un abaissement simultané et parallèle du flux coronaire (- 24%) et de
la mVO2 (- 26%) à 0.2 mg/kg; il ne modifie donc ni l'autorégulation coronarienne ni
l’équilibre DO2/VO2 myocardique.
 La dose prescrite pour l'induction (0.3 mg/kg) abaisse la précharge (- 25%), les RAS (- 10%)
et le dP/dt (- 10%); la pression artérielle et le volume systolique diminuent de 20%; il peut
s'ensuivre une tachycardie réflexe. Une dose sédative (0.05 mg/kg) est sans effet
hémodynamique significatif.

39
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Utilisation optimale en anesthésie cardiaque:
• Sédation pour cathétérisme artériel: 1-3 mg iv;
• Appoint à l'induction: 0.05-0.1 mg/kg;
• Induction : 0.2-0.3 mg/kg ;
• Maintien du sommeil en cours d'opération: bolus 0.1-0.2 mg/kg ou perfusion
1.0-2.0 mcg/kg/h ;
• Doses hypnogènes dès le réchauffement de la CEC: 5-15 mg.

Comme agent d'anesthésie, le midazolam exclut la possibilité de réveil rapide (fast-track). Il est plutôt
réservé aux cas complexes nécessitant une ventilation postopératoire prolongée ou une assistance
circulatoire.

Etomidate

L'étomidate (Hypnomidate®, Etomidat Lipuro®) ne provoque aucune altération significative, ni dans


l'hémodynamique, ni dans l'équilibre DO2/VO2 myocardique. C'est l'inducteur de premier choix pour
toutes les situations où la stabilité hémodynamique doit être garantie : valvulopathies décompensées,
dysfonction ventriculaire, choc cardiogène, hypovolémie, etc (voir Figure 4.12 et Tableau 4.3) [29].
Le maintien de la réactivité sympathique et des baroréflexes est un avantage incontestable, mais il se
double de l'inconvénient de ne pas amortir les poussées hypertensives secondaires à l'intubation, à la
douleur ou à la stimulation chirurgicale viscérale. Une dose d’induction de 0.3 mg/kg ne provoque une
apnée que dans 50% de la population ; de ce fait, la moitié des patients continue de ventiler malgré
l'apparition du sommeil. D'autre part, l’étomidate provoque une stimulation extrapyramidale
caractérisée par des mouvements athétosiques et une rigidité musculaire. Cet effet est atténué si
l'étomidate est précédé d'un fentanil, mais il peut donner l’impression que le malade ne dort pas, alors
qu’il survient précisément lorsque les taux intra-cérébraux de la substance sont suffisants pour induire
le sommeil. L’étomidate abaisse la pression intracrânienne, ne présente aucune réaction allergique et
ne libère pas d’histamine.

Le pic d'activité survient < 1 minute après l'administration intraveineuse de 0.3 mg/kg; la
redistribution rapide de la substance, reflétée par son large volume de distribution apparente (5 L/kg),
lui assure un effet clinique très court (2-3 minutes); ceci implique de répéter la dose d'induction avant
l'intubation si l’on utilise un myorelaxant autre que le suxaméthonium ou le recuronium à double dose.

 A la posologie d'induction (0.15-0.3 mg/kg), l'étomidate ne modifie aucun des paramètres


hémodynamiques usuels de manière significative (PA, VS, DC, RAS, RAP, PVC, PAPO)
[23]; cependant, en cas d'association à de hautes doses d'opiacés, ces valeurs peuvent être
abaissées momentanément de 10 à 15% [35].
 Un discret effet inotrope négatif a été trouvé chez l'animal pour des doses 10 fois supérieures
aux doses cliniques [17]; cet effet, identique chez le coeur sain et le coeur défaillant, est
totalement réversible par une stimulation béta; il est donc sans signification clinique.
 L'équilibre entre l'apport et la consommation d'O2 myocardique n'est pas altéré; il existe un
léger effet vasodilatateur coronarien de type nitré.
 Utilisation optimale:
• Induction de l'anesthésie: 0.15-0.3 mg/kg;
• Approfondissement rapide du sommeil en cas de besoin soudain.

Le défaut majeur de l'étomidate est un blocage de la 11-β-hydroxylase nécessaire à la synthèse du


cortisol à partir du cholestérol. Après un bolus de 0.3 mg/kg, la réponse à l’ACTH est maximalement
abaissée à la 4ème heure et reste déficiente pour une durée de 12-24 heures [2,6,33]. Cet effet est
cumulatif et dose-dépendant, mais entièrement réversible au-delà de 24 heures. Même chez les
patients en état critique, cette insuffisance cortico-surrénalienne ne s’accompagne généralement ni
d’une augmentation des besoins en agent vasopresseur [4,23], ni d'une aggravation du pronostic [14].
Si la déficience surrénalienne a une traduction clinique, une substitution avec 100 mg

40
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
d’hydrocortisone (Solucortef®) toutes les 8 heures compense la dysfonction surrénalienne. Cette
dépression de l’axe cortico-surrénalien a été découverte en premier lieu avec les doses itératives et les
perfusions continues, mais elle survient déjà avec une seule dose d’induction [39]. Elle a fait couler
beaucoup d'encre, parce que certains travaux rétrospectifs tendent à montrer qu'elle est associée à une
aggravation des épisodes septiques, de l’incidence d’insuffisance polyorganique et parfois de la
mortalité, notamment chez les patients de soins intensifs [15,20]. De plus, la corticothérapie ne semble
pas modifier le pronostic dans ces cas [26]. Cependant, les principaux essais randomisés et contrôlés
démontrent que la dépression surrénalienne due à l'étomidate n'est pas associée à une hypotension
réclamant des vasoconstricteurs, ni à une prolongation de l'assistance ventilatoire, ni à une
surmortalité, que ce soit à l'induction en chirurgie cardiaque ou lors d'intubation aux soins intensifs, y
compris chez des patients septiques [13,22,38]. L'étude la plus récente (130 cas de chirurgie cardiaque
randomisés etomidate ou propofol) ne montre aucune différence dans les besoins en vasopresseurs, ni
dans la durée de la ventilation, ni dans la mortalité à 30 jours; dans la chirurgie valvulaire, l'utilisation
de vasopresseurs est légèrement supérieure dans le groupe propofol [4]. De plus, 12-57% des patients
sous propofol, thiopental, kétamine ou midazolam présentent également une dépression cortico-
surrénalienne [4,16,23]. L'étomidate n'est pas non plus asssocié à une augmentation d'incidence de la
fibrillation auriculaire [19].

L’étomidate est l’hypno-inducteur de premier choix dans les situations où l’hémodynamique est
instable, quoique son usage soit discuté en cas de sepsis [24]. Son indication est basée sur une
pondération des risques entre le danger d'un effondrement cardiocirculatoire à l'induction et celui d'un
hypocorticisme iatrogène. Comparé à la kétamine ou au propofol, l’étomidate ne modifie pas la
morbidité postopératoire, mais est associé à une plus grande stabilité hémodynamique
[9,10,12,14,20,23]. Il reste la meilleure option pour l'induction des cas instables ou fragiles en
chirurgie cardiaque [38]. Deux nouveaux dérivés sont testés actuellement, le carbo-étomidate et le
méthoxycarbonyl-étomidate [1]. Leur particularité est de conserver les effets anesthésiants et la
stabilité hémodynamique mais d’être dépourvu d’inhibition cortico-surrénalienne. Le second (ABP-
700) est déjà en essai clinique (dose d'hypno-induction: 0.3 mg/kg); il est aussi stable que l'etomidate
du point de vue hémodynamique, mais ne modifie aucunement la réponse à la stimulation par l'ACTH;
il induit le sommeil en 30 secondes, puis est rapidement hydrolysé par les estérases sériques [36].

Propofol

Le propofol (Propofol Fresenius®) permet d’assurer l’induction et le maintien de l’anesthésie avec la


même substance. Il a pris de plus en plus de place en anesthésie cardiaque avec la volonté de
raccourcir la prise en charge en soins intensifs. Son intérêt majeur tient à ses capacités d'assurer un
réveil rapide après une perfusion continue (demi-vie contextuelle: 6-10 minutes) et une extubation
précoce dans des conditions confortables pour le malade. Son utilisation assure une continuité parfaite
entre le sommeil en salle d'opération et la sédation aux soins intensifs. A l'induction, la combinaison
d’une baisse de précharge (↓↓↓), de postcharge (↓↓) et de contractilité (↓) diminue la pression
artérielle de 15 à 40% lors de l'administration de 1.0 - 2.5 mg/kg de propofol. Le mécanisme est lié à
un effet vasodilatateur veineux important et artériel moins marqué, à un frein de la cardio-accélération
et à une réduction de l'activité sympathique centrale [18,32]. De ce fait, le propofol est mal adapté aux
patients dont l'équilibre hémodynamique est dépendant de la précharge (hypertrophie ventriculaire,
insuffisance diastolique, valvulopathies) et du tonus sympathique (insuffisance systolique,
valvulopathies décompensées). La baisse de pression systémique peut compromettre la pression de
perfusion coronarienne chez le patient ischémique (Figure 4.12 et Tableau 4.3). Le pic de l'effet a lieu
de < 1 à 2.5 minutes selon la dose et la vitesse d’injection.

 Baisse de la précharge: dans la baisse du volume d'éjection systolique (-20%), la


vénodilatation centrale a beaucoup plus d'importance que l'effet inotrope négatif, qui est faible
[8,34]. La variation respiratoire du volume systolique augmente de 30% à cause de la baisse
du retour veineux [8]; le retentissement cardiocirculatoire du propofol est analogue à une
hypovolémie soudaine, donc très dépendant de la volémie préalable du patient [25].

41
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Baisse de la postcharge: les RAS diminuent modérément; l'effet est maximal à la troisième
minute ; il a davantage de retentissement en cas d'hypovolémie.
 Effet inotrope négatif faible: baisse de 10% du dP/dt lorsque le propofol est utilisé seul chez
l'individu sain, plus marquée en cas d'association aux opiacés ou au N2 O. Cet effet est
dépendant de la dose et de la vitesse d'injection; il devient très significatif chez le patient âgé
et en cas d'insuffisance ventriculaire [27]. Le VD y est particulièrement sensible: son Emax
baisse de 45% [3]. Sur le myocarde isolé, la baisse de contractilité, variable selon les espèces
animales, est plus importante que celle provoquée par l'étomidate mais inférieure à celle du
thiopental [3,35]; l'hypoxie et l'ischémie renforcent cet effet [30].
 La baisse de précharge, de postcharge et de contractilité est potentialisée par la faible
tachycardie compensatrice due au resetting du baroréflexe: la fréquence reste inchangée à des
valeurs de pressions déjà basses. De plus, l'activité du système autonome sympathique est
significativement déprimée [10].
 L'interaction avec les opiacés potentialise la vasodilatation des vaisseaux de résistance et de
capacitance; l'effet hypotenseur est accentué. Les malades ayant une mauvaise fonction
ventriculaire y sont plus sensibles que les patients sains [11].
 La baisse des conditions de charge ventriculaire diminue la consommation d'O2 du myocarde
(-31%) et le flux coronaire (-26%); pour autant que la chute de la PAM ne compromette pas la
perfusion coronarienne, l'autorégulation est préservée; le métabolisme myocardique n'est pas
altéré [37]. L'absence de tachycardie est un avantage important dans les cas de
coronaropathies. Cependant, lors d'hypovolémie, le propofol diminue la perfusion coronaire
au-delà de la baisse de la mVO2. Il n'a pas d'effet protecteur myocardique de type
préconditionnement.
 Bien que d'installation moins brutale, les modifications hémodynamiques induites par la
perfusion continue (5 - 10 mg/kg/heure) sont superposables à celles du bolus d'induction.
 Utilisation optimale en anesthésie cardiaque:
• Induction par administration intraveineuse lente chez les patients
hémodynamiquement stables avec fonction ventriculaire conservée.
• La dose d'induction standard (2.0-2.5 mg/kg) est diminuée de préférence à 0.5-1.5
mg/kg à raison de 30-40 mg/10 secondes, puis perfusion.
• Perfusion d'entretien pendant l'opération (5-12 mg/kg/heure, basé sur le poids du
corps effectif), notamment dans les cas susceptibles d'être extubés dans un bref
délai.
• Anesthésie iv à objectif de concentration (AIVOC) : la valeur-cible est 2-6 ng/mL
à l’induction et 1-3 ng/mL pour l’entretien.
• Sédation postopératoire.

L'équilibre hémodynamique des malades souffrant de cardiopathie sévère dépend étroitement du tonus
sympathique et des conditions de charge ventriculaire. Même s'il modifie peu la contractilité, le
propofol est réservé préférentiellement aux cas normovolémiques, sans dysfonction systolique ni
diastolique, et sans ischémie active. La baisse de précharge est un problème en cas de valvulopathie.
L'administration doit être titrée de manière très progressive. Les concentrations-cibles de l’AIVOC
correspondent aux valeurs basses des doses recommandées, telles qu’elles ont été définies pour des
interventions de chirurgie générale, mais il n’existe aucun modèle fiable pour la CEC et la période
post-CEC.

Barbituriques

Le thiopenthal (Pentothal®) est traditionnellement proscrit lorsque l’hémodynamique est compromise


(Figure 4.12 et Tableau 4.3).

 Effet inotrope négatif: à une dose de 5 mg/kg, la fraction d'éjection baisse de 30% et le volume
télédiastolique du VG augmente de 35% [7]. Cette baisse marquée et immédiate de la
contractilité est dose-dépendante; elle est due à la diminution de la pénétration du Ca2+ dans la

42
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
cellule pendant la phase de plateau du potentiel d'action. Les effets hémodynamiques
dépresseurs sont particulièrement marqués chez les patients hypovolémiques ou en
insuffisance cardiaque systolique et/ou diastolique.
 Baisse de la pression dans le système veineux capacitif et inhibition des baroréflexes: la
pression de remplissage du VD diminue immédiatement; il y a séquestration liquidienne
centrale. Cet effet est particulièrement à craindre chez les patients qu'une insuffisance
diastolique rend extrêmement dépendants des conditions de remplissage; il est catastrophique
en cas d'hypovolémie: le débit cardiaque chute de 69% [28]. Le β-blocage amplifie les effets
de l'inhibition des baroréflexes.
 Effet chronotrope positif: accélération importante du rythme sinusal (10-35%) secondaire à
une inhibition du système parasympathique et à une stimulation du système sympathique.
Cette tachycardie importante provoque obligatoirement une augmentation de la mVO2,
dangereuse pour le coronarien.

Son effet inotrope négatif, sa baisse de précharge et son blocage des baroréflexes font du thiopental un
agent totalement inadapté au patient hémodynamiquement compromis. Dans un souci de sécurité, cette
substance ne peut pas être recommandée de routine en anesthésie cardiaque.

Kétamine

La kétamine (Ketalar®) provoque une stimulation sympathique centrale caractérisée par une sécrétion
augmentée de nor-adrénaline; elle est la cause d’une hypertension systémique (+ 40%) et pulmonaire
(+ 45%), et d’une tachycardie importante (+ 50%). Même si le flux coronaire augmente parallèlement
chez l'individu sain, l'élévation de la mVO2 occasionnée par ces deux phénomènes est largement
excessive pour le patient coronarien (Figure 4.12 et Tableau 4.3). La kétamine a un effet inotrope
négatif direct sur le myocarde qui est masqué par la stimulation sympathique, mais qui devient
apparent en cas d'insuffisance cardiaque chronique et dans les situations où la réponse sympathique est
inhibée, épuisée, ou déjà maximalement utilisée (patients de soins intensifs, cas septiques, par
exemple) [31]. Bien qu'elle soit indiquée pour l'induction de patients en choc hypovolémique avec un
cœur normal, la kétamine est contre-indiquée en cas de choc cardiogène (↓ contractilité),
d'insuffisance ventriculaire (↑ postcharge), d'ischémie myocardique (↑ fréquence et postcharge) ou
d’hypertension pulmonaire (↑ RAP). Elle peut être utile en appoint dans certains cas (potentialisation
des hypnotiques et des opiacés) ou pour l’induction en cardio-pédiatrie.

 Utilisation optimale:
• Induction 1-2 mg/kg ;
• Appoint : 0.25 mg/kg; perfusion d'entretien: 10-45 mcg/kg/min.

Effets hémodynamiques des agents d’anesthésie intraveineux

Bien que chaque substance ait ses effets propres, les agents d’anesthésie provoquent en général un
léger effet inotrope négatif, une baisse du tonus sympathique central, une modification de la
précharge, de la postcharge et des baroréflexes. Tous abaissent les performances hémodynamiques
mais diminuent aussi les besoins. Les effets cardiodépresseurs peuvent être masqués par une
stimulation sympathique centrale (kétamine, N2 O). Ils sont potentialisés par l’association avec des
opiacés. La stabilité hémodynamique à l’induction avec les différents agents est par ordre
décroissant : étomidate > midazolam > propofol > kétamine > thiopental.

43
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Etomidate : pas de modifications hémodynamiques significatives, mais baisse de la synthèse de
cortisol pour 12-24 heures (réversible) ; recommandé pour tous les cas complexes, instables ou en
insuffisance ventriculaire. Pas de surmortalité ni de surmorbidité liée à l’insuffisance cortico-
surrénalienne.

Midazolam : ↓↓ précharge, ↓ postcharge, ↓ DC du à la sympathicolyse centrale ; adéquat si doses


progressives et induction lente, mais réveil prolongé.

Propofol : ↓↓↓ précharge, ↓↓ postcharge, ↓ contractilité, fréquence stable ; adéquat si doses


progressives et induction lente chez malade hémodynamiquement stable et peu précharge-
dépendants.

Thiopental : ↓↓ précharge, ↓ postcharge, ↓↓ contractilité, ↑ fréquence ; dangereux dans les cas


instables ou en insuffisance ventriculaire ; le moins adapté à l’anesthésie cardiaque.

Kétamine : ↑ tonus sympathique central, ↑ RAS et RAP, ↑ fréquence, mais effet inotrope négatif
propre important (apparaît en cas d’épuisement sympathique). Pas d’indications claires en-dehors de
la pédiatrie.

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Agents volatils

Pour l'induction comme pour le maintien de l'anesthésie, les agents volatils halogénés présentent des
effets hémodynamiques communs avec des variations individuelles (Tableau 4.4) [1,5].

Tableau 4.4
Effets hémodynamiques des agents d’inhalation

Substance MAC (%) RAS RAP Fréquence Contractilité

Halothane 0.75 - ↓ ↓↓ ↓↓↓


Isoflurane 1.17 ↓↓↓ ↓↓ ↑ ↓
Sevoflurane 1.8 – 2.1 ↓↓ ↓ ↓ ↓
Desflurane 6.6 ↓↓ ↑↑↑ ↑↑ ↓*
N2O 104 ↑ ↑↑ ↑↑ ↓

* : peut être masquée par la stimulation sympathique lors des augmentations de la fraction inspirée

 Effet inotrope négatif dose-dépendant; il est secondaire à une diminution de l'entrée passive du
Ca2+ par modification de la perméabilité des canaux calciques, et à une perturbation du trafic
calcique au niveau du réticulum endoplasmique; la quantité de calcium ionisé disponible pour

45
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
se lier à la troponine C est diminuée, donc la force de contraction l'est également [30]. L'effet
cardiodépresseur varie par ordre décroissant selon l'agent:
halothane > enflurane > isoflurane, sevoflurane > desflurane.
 Effet lusitrope négatif; la baisse de compliance du VG se traduit par un ralentissement de la
phase de relaxation isovolumétrique [12]. Les effets inotrope et lusitrope négatifs sont d'autant
plus marqués que le ventricule est dysfonctionnel.
 Diminution de la postcharge; l'effet vasodilatateur artériel varie selon les agents:
isoflurane > sevoflurane > halothane > desflurane.
 Inhibition des barorécepteurs: halothane > isoflurane > desflurane > sevoflurane.
 Aucun halogéné n'altère la précharge de manière significative.
 Augmentation de la fréquence cardiaque; elle est due à l'hypotension artérielle (isoflurane) ou
à la stimulation sympathique (desflurane); l'halothane provoque une bradycardie.
 Débit cardiaque; l'halothane et l'enflurane le diminuent par dépression myocardique; pas de
modification avec l'isoflurane, le sevoflurane et le desflurane (< 2 MAC).

D'une manière générale, les halogénés diminuent la sécrétion de catécholamines à l'état basal, et
limitent la réponse sympathique centrale aux stimuli chirurgicaux. Ils présentent la particularité
d’inhiber la myorelaxation vasculaire induite par le NO• dépendant de l'endothélium vasculaire, mais
sont sans effet sur la vasodilatation non-dépendante de l'endothélium induite par le nitroprussiate [25].

Halothane

L'halothane (Fluothane®) n'est plus commercialisé en Europe ni en Amérique du Nord pour l'usage
clinique, mais il reste utilisé en médecine vétérinaire et dans le tiers-monde. Il a un effet global
identique à celui d’un β-bloqueur. Son effet inotrope négatif important est proportionnel à la
concentration administrée; à 1.0%, le débit cardiaque baisse de 20%; à 1.5%, il baisse de 35%; la
pression télédiastolique du VG s'élève. La baisse de la PAM (-25% à Fi > 1.0%) est essentiellement
due à la dépression myocardique. Cet effet est d'autant plus marqué que la performance myocardique
est faible [8]. Les RAS sont inchangées alors que les RAP baissent [21]. La fréquence cardiaque est
peu modifiée si la fréquence de base est lente, mais abaissée en cas de tachycardie sinusale
préexistante; le risque de passage en rythme nodal ou en bloc AV est très élevé. L’halothane
sensibilise le myocarde aux arythmies d’origine adrénergique. Il peut causer une forme d’hépatite
gravissime.

Isoflurane

L’effet le plus marqué de l'isoflurane (Forene®) est une baisse des RAS: - 25% à Fi 1.2%, - 33% à Fi
1.8% et - 50% à Fi 2.3% [13]. L'éjection du VG est facilitée (↑ FE), ce qui est bénéfique en cas
d'insuffisance ventriculaire ou d’hypertension, mais la vasodilatation systémique diminue la pression
de perfusion coronarienne et peut aggraver un shunt D→G chez les congénitaux. Cette vasodilatation
porte également sur le lit pulmonaire: les RAP baissent si elles sont élevées, la vasoconstriction
pulmonaire hypoxique est inhibée (risque d'hypoxémie par effet shunt en cas de ventilation
monopulmonaire). La fréquence cardiaque augmente de 15 à 20% à 1 MAC (1.15% à FiO2 1.0), sauf
chez le sujet âgé; cette tachycardie, liée à l’absence d’effet sur les barorécepteurs, contribue au
maintien du DC. L’isoflurane peut provoquer un syndrome de vol coronarien dans certaines
configurations (voir plus loin).

L'effet inotrope négatif est non significatif chez le sujet sain parce que largement compensé par la
baisse de la postcharge du VG; même s'il est nettement moindre que celui de l’halothane, cet effet peut
devenir apparent en cas défaillance ventriculaire extrême [23]. Il est plus marqué sur le VD que sur le
VG; l’isoflurane n'est donc pas recommandé en cas d'insuffisance droite isolée [28]. En clinique, il
reste toutefois l’agent le mieux adapté aux situations qui bénéficient d'une baisse des RAS et d'un
maintien de la fréquence cardiaque:
46
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Hypertension artérielle;
 Insuffisance aortique et mitrale;
 Insuffisance ventriculaire gauche ;
 Dissection et anévrysme de l’aorte thoracique.

Sevoflurane

Le sevoflurane (Sevorane®) induit une inhibition sympathique centrale à 1 MAC (1.7%): bradycardie,
mais baisse modeste RAS et du débit cardiaque [7]. Par rapport à l'isoflurane, il a moins d'effet
vasodilatateur artériel, pas de tachycardie, et pas d'effet de vol coronarien [3]. Son absence d’odeur en
fait un bon moyen d’induction en ventilation spontanée au masque. En chirurgie cardiaque, il est le
premier choix dans les situations où la vasodilatation artérielle et la tachycardie sont néfastes:

 Ischémie coronarienne;
 Chirurgie à cœur battant;
 Sténose aortique et mitrale.

Desflurane

Les effets du desflurane (Suprane®) à doses équi-anesthésiantes (la MAC est de 6-7% chez l'homme)
sont voisins de ceux de l'isoflurane, mais le maintien du débit cardiaque et de la pression artérielle sont
essentiellement dus à la tachycardie et à la stimulation sympathique qui apparaissent > 0.5 MAC [3].
Une augmentation des RAS et des RAP apparaît lors de l'accroissement de la fraction inspirée, comme
c'est le cas à l'induction ou à l'approfondissement de l'anesthésie [10,26]. Cette stimulation
sympathique s'accompagne d'une élévation soudaine de la PAP, qui est dangereuse en cas
d'insuffisance droite ou d'hypertension pulmonaire, même si elle ne dure que 10-15 minutes [6].
L'avantage du desflurane est une grande rapidité d'induction et de réveil, mais la tachycardie, la
stimulation sympathique et l’augmentation de la PAP en font un agent peu adapté à l’anesthésie
cardiaque, notamment chez le coronarien. Il n'a sa place que dans les cas à bas risque qui peuvent
bénéficier d'une extubation immédiate.

Protoxyde d’azote (N2O)

Le N2O a occupé une place à part comme co-anesthésique servant à potentialiser l'effet des autres
substances, mais il présente des effets systémiques importants.

 La stimulation sympathique centrale contribue à la stabilité hémodynamique chez le sujet sain,


mais peut aggraver l'ischémie myocardique [22].
 L'effet inotrope négatif est peu important (-10 à -15%) lorsque la fonction ventriculaire est
bonne, mais devient significatif en cas d'insuffisance cardiaque ou d'association à d'autres
substances (halogénés, par ex.); il peut alors induire une décompensation [24].
 L’augmentation des RAP, particulièrement marquée si celles-ci sont déjà élevées, peut
conduire à une décompensation droite; toutefois, les RAP ne sont pas modifiées chez le
nouveau-né [15].

Le N2 O ne présente aucun intérêt en anesthésie cardiaque. De plus, il est associé à un risque d’embolie
gazeuse lors des canulations et pendant la CEC, parce qu'il diffuse plus rapidement que l'azote dans les
microembolies propres à la CEC, qui sont ainsi transformées en embolies potentiellement
significatives. Le N2 O aggrave le risque neurologique.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Xénon

Le xénon est un gaz inerte non toxique et peu soluble dont la MAC est 71%. Il est dépourvu d'effets
hémodynamiques et serait bien adapté à l'anesthésie cardiaque s'il n'était pas excessivement coûteux et
si son administration ne réclamait pas un appareillage spécial complexe.

Halogénés et ischémie coronarienne

Les halogénés présentent quatre effets particuliers qui ont des retombées sur la circulation et
l'ischémie coronariennes.

 Vasodilatation coronarienne dans l'ordre de puissance : isoflurane > desflurane > sevoflurane
> halothane.
 Risque de vol intracoronarien défavorisant la perfusion des territoires ischémiés (décrit avec
l'isoflurane à ≥ 2 MAC dans des conditions anatomiques particulières).
 Réduction du métabolisme cardiaque avec baisse de la mVO2 analogue à celle d'un β–blocage
(essentiellement avec l'halothane).
 Effet de préconditionnement protecteur en cas d'ischémie/reperfusion.

Ces effets ne peuvent être bénéfiques que dans la mesure où la chute de la PAM, les variations de la
fréquence cardiaque et l'augmentation de la pression télédiastolique du VG ne compromettent pas la
perfusion coronarienne [16,23].

L'halothane ne provoque qu'une minime vasodilatation coronarienne, sans relation avec la dose
administrée, et sans déséquilibre significatif du rapport DO2/VO2 myocardique. Par contre, il abaisse
la PAM de 25% (à Fi >1.0%), essentiellement à cause d'une chute des performances myocardiques.
Aux doses cliniques habituelles, l’halothane diminue le risque ischémique et se comporte comme un
β-bloqueur.

Une vasodilatation exogène présente le risque d'induire une situation de vol : il s'agit d'une
redistribution du flux vers des zones saines où la résistance baisse, à partir de zones ischémiées où le
flux ne peut pas augmenter parce que le territoire est déjà maximalement vasodilaté. Ce phénomène
survient dans certaines conditions anatomiques particulières (Figure 4.14).

 La pression de perfusion dans un territoire myocardique en aval d'une obstruction


coronarienne tronculaire totale dépend de la pression d'un réseau collatéral dont
l'autorégulation est préservée ; si ce réseau est issu d'un vaisseau lui-même sténosé à 50-70%,
le degré de vasodilatation supplémentaire nécessaire à induire le vol est faible ; cette situation
est présente dans 13% des cas angiographiés [4] ;
 La pression systémique est basse (PAM abaissée de plus de 25%) ;
 La dépression myocardique (↓ mVO2) induite par l’agent est moins importante que la
vasodilatation coronarienne.

Le faible effet inotrope négatif et la tachycardie induite par l'isoflurane contribuent certainement à ce
découplage de l'apport et de la demande en O2, qui ne se manifeste qu'avec des agents dont la
cardiodépression est faible par rapport à la vasodilatation; ce phénomène peut se traduire par une
ischémie peropératoire [29]. Les patients qui souffrent d'une architecture coronaire propre au vol
semblent présenter davantage d'épisodes ischémiques préopératoires, mais ne sont pas affectés par le
phénomène dans la période périopératoire [20]. L'expérience a montré que l’usage de l’isoflurane < 2
MAC n’augmentait pas l’incidence d’épisodes ischémiques peropératoires tant que la pression de
perfusion coronarienne est maintenue (PAM ≥ 75 mmHg).

48
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Figure 4.14 : Repré-
sentation schématique du A B
phénomène de vol.
A: situation normale. Le
territoire 1 est alimenté par
la collatérale horizontale
venant de 2; 1 est
vasodilaté en permanence,
puisque derrière une
obstruction à 100%. 100% 100%
B: administration d’un
vasodilatateur artériel 50% 50%
comme l’isoflurane. Le
territoire 2, situé en aval
d’une sténose modérée,
réagit normalement aux
vasodilatateurs; si les
résistances baissent en 2 (R
↓), le flux baisse en 1, qui
est maximalement vaso- R↓
dilaté, car le sang coule
préférentiellement en 2 où 1 2 1 2
les résistances diminuent.
© Chassot 2015
C’est le phénomène de vol.

Le sevoflurane baisse la mVO2 sans chute du débit coronaire; le rapport des flux épicardique et
intramyocardique est maintenu [11]. Ses effets sont superposables à ceux de l’isoflurane, mais il induit
moins de tachycardie et moins de vasodilatation artérielle; il ne provoque pas de vol coronarien [33].

A doses équi-anesthésiantes, les effets hémodynamiques coronariens du desflurane sont superposables


à ceux de l'isoflurane, à l'exception d'une stimulation sympathique importante lors de l'accroissement
de la fraction inspirée [10,26]. En temps qu'agent principal d'anesthésie, le desflurane est responsable
de davantage de déséquilibre hémodynamique et d'ischémie myocardique que les autres agents [14].

Le préconditionnement est une amélioration de la tolérance à l'ischémie par de brefs épisodes


d'occlusion du flux suivis de périodes de reperfusion (voir Chapitre 5 Préconditionnement). Un effet
protecteur identique a été démontré expérimentalement avec quatre agents anesthésiques (halogénés,
opiacés, xénon, hélium) et certains médicaments (nicorandil, cyclosporine), mais seuls les halogénés
ont une activité clinique prouvée. En chirurgie de revascularisation coronarienne et en chirurgie
valvulaire, les halogénés améliorent la récupération de la fonction myocardique, diminuent le risque
d'infarctus et réduisent les lésions tissulaires (baisse des troponines) [9,27,31]. L'effet est maximal si
l'halogéné est utilisé tout au long de l'opération, y compris en CEC. La morbidité et la mortalité
tendent à diminuer [2,18,19,32,34]. La littérature de ces dernières années montre qu’il existe
suffisamment d’évidences cliniques et expérimentales pour recommander l'utilisation systématique
d'agents halogénés lors d'anesthésie pour les pontages aorto-coronariens, comme le préconisent les
recommendations américaines [17]. En l'état actuel de nos connaissances, on peut affirmer que le
maintien de l’anesthésie par les halogénés présente des avantages supérieurs à ceux des agents
intraveineux pour la chirurgie de revascularisation coronarienne.

49
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Effets hémodynamiques des agents volatils

Effet cardiodépresseur : halothane > enflurane > isoflurane, sevoflurane > desflurane ;
Vasodilatation artérielle : isoflurane > sevoflurane > halothane > desflurane ;
Inhibition des barorécepteurs: halothane > isoflurane > desflurane > sevoflurane ;
Fréquence cardiaque (tachycardie) : isoflurane > desflurane > sevoflurane > halothane ;
Aucun halogéné ne modifie la précharge.

L’halothane est l’équivalent d’un β-bloqueur. L’isoflurane est vasodilatateur et tachycardisant ; il


peut induire un syndrome de vol coronarien à Fi > 2 MAC si l’anatomie coronarienne le favorise
(cliniquement sans signification) et si la PAM est < 65 mmHg. Le desflurane est un stimulant
sympathique qui augmente les RAS et les RAP lorsqu’on en augmente la Fi. Le sevoflurane est le
plus stable.

Tous les halogénés ont un effet protecteur contre les lésions myocardiques ischémiques
(préconditionnement). De ce fait, les halogénés sont préférables aux agents intraveineux pour la
chirurgie de revascularisation coronarienne.

Le N2 O est un stimulant sympathique (↑ RAS et RAP) avec un effet inotrope négatif ; il augmente la
taille des microbulles.

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Opiacés

L’intérêt majeur des opiacés synthétiques tient à leur relative stabilité hémodynamique, même à doses
élevées, et à leur capacité à bloquer la réactivité sympathique (anesthésie stess-free). En effet, les
hautes doses de fentanyl (75-100 mcg/kg) diminuent significativement les réactions neuro-humorales
au stress chirurgical. On n’a jamais pu démontrer que cette inhibition présentait un intérêt clinique
manifeste à long terme, mais il est certain qu’elle est le marqueur d’une anesthésie centrale profonde
qui est bénéfique dans les cas de dysfonction ventriculaire majeure, d’hypertension pulmonaire ou de
cachexie cardiaque. Aucun de ces opiacés ne provoque de libération histaminique. Avec les doses
d’induction habituelles, la stabilité de la pression artérielle et du débit cardiaque est maintenue au prix
d’une légère augmentation de la précharge à cause de l’effet sympathicolytique central (voir Figure
4.13) [10]. Comme l’intensité de la stimulation chirurgicale varie au cours de l’intervention, il est
important d’adapter les doses d’opiacés aux différents événements peropératoires et d’éviter les doses
massives à l’induction suivies d’une longue pause sans adjonction.

Les opiacés induisent une obnubilation proportionnelle à leur dose, mais ne sont pas des substances
hypnogènes. Le risque est un réveil conscient pendant l’anesthésie, non repérable par le BIS™ qu’ils
influencent peu. Le SPI (Surgical Pleth Index) est plus adéquat pour évaluer la profondeur de
l'analgésie aux opiacés, mais il reste approximatif. L'utilisation de dosages élevés (Fentanyl 50-100
mcg/kg) diminue le risque d'éveil mais ne l'élimine pas; par contre, cette technique exclut un réveil
rapide. Il est donc essentiel d’assurer le sommeil par l'adjonction continue d'un hypnotique comme le
propofol, le midazolam ou un halogéné. Toutefois, cette association tend à provoquer une hypotension
artérielle par potentialisation des effets de chaque substance: le débit cardiaque et la PA baissent par
chute de la précharge et des RAS, bien que la contractilité soit peu modifiée; cette potentialisation est
bien visible avec le midazolam ou le propofol [2,9].

La fraction libre des opiacés diffuse à travers la barrière hémato-encéphalique en fonction de la


liposolubilité et du gradient de concentration de la substance [1]. Le fentanyl et le sufentanil ont un Vd
de 50-60 L, alors que l'alfentanil et le remifentanil ont un Vd d'environ 10 L; ces derniers agissent plus
vite et ont un effet plus court. La demi-vie d'élimination plasmatique est de 3.5 heures pour le fentanil,
2 heures pour le sufentanil, 1.5 heure pour l'alfentanil et 10 minutes pour le rémifentanil. Les poumons

51
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
captent 75% du fentanyl injecté, mais le relarguent progressivement. Ce relargage est massif au
moment du rétablissement de la circulation pulmonaire en fin de CEC (voir Figure 4.11).

Les hautes doses d'opiacés (fentanyl > 50 mg/kg, sufentanil > 30 mcg/kg), qui furent très à la mode
dans les années quatre-vingt-dix, restent indiquées dans les cas complexes et instables qu'il n'est pas
prévu d'extuber dans le postopératoire, comme les malades requérant une assistance circulatoire ou
ventilatoire. Chez les patients qui n'ont pas de raison de rester ventilés au-delà de quelques heures, il
est judicieux de restreindre la dose totale d'opiacé: fentanyl < 25 mcg/kg, sufentanil < 12 mcg/kg.

Fentanyl

Le fentanyl (Fentanyl®, Sintenyl®) n'a d'effets hémodynamiques qu'en relation avec l'inhibition
sympathique centrale et la prédominance vagale qu'il entraîne ; l’hypotension artérielle est
proportionnelle à la dose chez les patients sans pathologie cardiovasculaire (ASA I-II), mais non chez
les malades souffrant de cardiopathie ou d'instabilité hémodynamique (ASA III ou IV) [13]. Bien que
le plus ancien de sa classe, il reste celui qui assure le maximum de stabilité en cas de cardiopathie.

 L'effet inotrope négatif est absent si le fentanyl est utilisé seul, même à hautes doses (50-100
mcg/kg) [16]; un effet inotrope négatif faible peut apparaître lors de combinaison aux
benzodiazépines et au N2O.
 Les résistances vasculaires périphériques et veineuses centrales ne sont pas modifiées, même à
hautes doses [16]; elles peuvent s'abaisser lorsque le tonus sympathique basal est élevé, en cas
d'hypertension ou d'hypovolémie. Un synergisme lors d'association au midazolam ou au
propofol entraîne une hypotension par baisse des RAS et du tonus veineux capacitif [2].
 Effet chronotrope négatif d'origine centrale (stimulation du noyau du vague): la fréquence
cardiaque baisse en moyenne de 10%. Une bradycardie extrême, avec pause sinusale de 10 à
20 secondes, n’est pas rare lors de la laryngoscopie (stimulation vagale) chez les patients β-
bloqués qui n'ont pas reçu d'atropine ni de scopolamine à la prémédication et qui sont relâchés
avec un curare sans effet vagolytique. La parade est une anesthésie topique de la base de la
langue (spray de lidocaïne 2-4%).
 Le fentanyl est sans effet sur la réactivité des vaisseaux coronaires et sur le métabolisme
myocardique; il n'est pas associé non plus à la production de lactate par le myocarde [3].
 Le fentanyl atténue les crises de vasoconstriction pulmonaire du nouveau-né dès 5-10 mcg/kg;
à doses élevées (bolus de 500 mcg), il est le médicament de premier choix pour abaisser la
réactivité vasculaire en cas d’hypertension pulmonaire chez l’adulte.
 La stimulation extrapyramidale peut induire une rigidité de la musculature du tronc qui rend la
ventilation au masque aléatoire, voir impossible; cet effet est directement lié à la dose
administrée et à la vitesse d'injection.

Sufentanil

Le sufentanil (Sufenta®) a des effets très voisins de ceux du fentanyl. Il assure une anesthésie plus
stable à cause d’un blocage de la stimulation sympathique plus important, mais il est responsable de
davantage d’hypotension artérielle à cause de la baisse des RAS [12].

 Il protège mieux des poussées hypertensives et tachycardisantes; il garantit une bonne stabilité
hémodynamique chez les hypertendus à fonction ventriculaire normale. Chez les patients à
mauvaise fonction myocardique et/ou tonus sympathique basal élevé, le sufentanil provoque
un effet dépresseur et une baisse de la pression artérielle plus importants que le fentanyl [12].
 Aux doses cliniques habituelles (15-25 mcg/kg au total, perfusion 0.2-1.5 mcg/kg/h), son effet
hypnotique est intermédiaire entre celui du fentanyl et celui de l'alfentanil.
 Il ne modifie pas le rapport DO2/VO2 myocardique [14].

52
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Sa concentration baisse de 30-55% en début de CEC; les taux plasmatiques sont plus bas en
mode pH-stat qu'en mode alpha-stat [4,7].

Alfentanil

L'alfentanil (Rapifen®) a des effets hémodynamiques identiques à ceux du fentanyl, mais l'induction
présente moins de stabilité et la réflexivité sympathique peropératoire est moins bien atténuée [12];
l'association aux diazépines provoque la même potentialisation.

 La bradycardie sinusale est marquée, et peut être très brusque: la fréquence baisse de 10 à
25%.
 L'importante stimulation extrapyramidale peut provoquer une rigidité de la musculature
thoracique à l'induction empêchant toute ventilation et contraignant à une curarisation
immédiate.
 L'effet hypnotique central est plus marqué que celui du fentanyl.
 L'avantage principal est la courte durée d'action: elle permet d'utiliser l'alfentanil en perfusion
(3 mcg/kg/min); la CEC modifie considérablement sa pharmacocinétique: la tβ1/2 triple après
la remise en charge (vitesse de perfusion post-CEC: 1 mcg/kg/min); la demi-vie contextuelle
est de 60 minutes [11].

Rémifentanil

Le rémifentanil (Ultiva®) est très adapté à l’anesthésie intraveineuse totale au moyen de perfusion
continue car, étant métabolisé par les estérases plasmatiques, sa demi-vie d’élimination contextuelle
(context-sensitive half-life) reste la même (3.7 - 5 minutes) quelle que soit la durée de la perfusion
(voir Figure 4.9). Ceci permet une excellente adéquation peropératoire aux stimuli douloureux ;
malheureusement, l’analgésie postopératoire cesse rapidement (environ 20 minutes) et brusquement
dès l’arrêt de la perfusion [5]. De tous les opiacés de type fentanil, le rémifentanil est la substance qui
présente le moins de stabilité hémodynamique [8].

 Baisse modérée de tous les paramètres hémodynamiques avec une dose d’induction de 2-5
mcg/kg : pression artérielle (- 25%), fréquence cardiaque (- 20%), débit cardiaque; même avec
une dose de 1 mcg/kg, la bradycardie peut être profonde (< 30 batt/min) et présenter un risque
de dilatation ventriculaire sur prolongement excessif de la diastole [6].
 Possible effet de préconditionnement avec amélioration de la tolérance à l'ischémie
myocardique lors de revascularisation coronarienne [15].
 La dose d’induction recommandée est basse et progressive (≤ 1.0 mcg/kg), et doit être
accompagnée d’un hypno-inducteur.
 Le dosage optimal en perfusion pour la chirurgie cardiaque est de 0.1 – 1.0 mcg/kg/min (demi-
vie contextuelle: 3 minutes) ; le sommeil est assuré par un autre agent (propofol en perfusion,
halogéné).
 Anesthésie iv à objectif de concentration (AIVOC) : la valeur-cible est 0.5-1.0 ng/mL à
l’induction et 4-8 ng/mL pour l’entretien. Ces concentrations-cibles correspondent aux valeurs
basses des doses recommandées pour l’induction; en chirurgie cardiaque, des cibles plus
élevées ont été proposées pour l’entretien (jusqu’à 15 ng/mL), mais il n’existe aucun modèle
fiable pour la CEC et la période post-CEC.

Comparé aux autres opiacés dans le cadre de la chirurgie cardiaque, le rémifentanil accélère
l’extubation et le séjour hospitalier sans différence sur la mortalité [8]. Associé au propofol, il est
indiqué essentiellement dans les opérations brêves (< 4 heures) chez des patients hémodynamiquement
stables candidats à une extubation rapide. Il est pratique pour la sédation profonde lors d’interventions
minimalement invasives (endoprothèses, valvuloplasties percutanées, etc).

53
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Effets hémodynamiques des opiacés

Les opiacés du groupe des fentanils sont assez stables du point de vue hémodynamique ; ils sont
bradycardisants, provoquent une sympathicolyse centrale et ne libèrent pas d’histamine. Ils induisent
une obnubilation, mais non un vrai sommeil (BIS™ non discriminant). Ils sont responsables d’une
stimulation extrapyramidale entraînant une rigidité thoracique (ventilation difficile sans curare).

La fréquence cardiaque baisse de 10% avec le fentanyl et le sufentanil, de 15% avec l’alfentanil et de
≥ 25% avec le remifentanil. Le sufentanil cause davantage de sympathicolyse que le fentanyl. Le
remifentanil est le moins stable (hypotension et bradycardie). Le choix de la substance et la dose
totale sont adaptés à l’état hémodynamique du malade, à la longueur de l’opération et à la durée
probable de la ventilation postopératoire. Plus la dose totale de fentanyl ou de sufentanil augmente,
plus l'extubation est retardée.

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Myorelaxants

Le suxaméthonium est le seul curare dépolarisant en usage clinique. Il est utilisé en cas de séquence
rapide (urgence, estomac plein, reflux gastro-oesophagien) ou de difficulté de ventilation/intubation.
Son délai d'action est de 30-60 secondes selon le débit cardiaque. La stimulation des récepteurs
nicotiniques et muscariniques peut entrainer des variations de la pression artérielle et une bradycardie.
Le potassium augmente en moyenne de 0.5-1.0 mmol/L.

54
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Les curares non dépolarisants sont plus nombreux. Hormis le pancuronium qui est vagolytique, ils
n'ont pas d'effet sur le système nerveux autonome et sont neutres du point de vue hémodynamique.
Cette absence de stimulation sympathique ne contrecarre pas la bradycardie induite par les opiacés. Il
est donc fréquent d’assister à une chute importante de la fréquence cardiaque, particulièrement chez
les patients β-bloqués [1]. Cette bradycardie est accentuée par la stimulation vagale de la
laryngoscopie, qui peut conduire à une pause sinusale correspondant à un arrêt cardiaque. A
l’exception probable du rocuronium, tous les curares peuvent libérer de l’histamine. Les curares sont
des substances hydrophiles et ionisées qui restent dans l'espace extracellulaire. Leurs dosages doivent
être adaptés à la faible masse musculaire et au grand volume extracellulaire des vieillards et des
patients en insuffisance ventriculaire congestive. Les données pharmacologiques concernant les
curares figurent plus loin dans le Tableau 4.5.

La baisse de pression artérielle et de débit cardiaque qui accompagne l'installation de la myorelaxation


n’est pas liée à un effet pharmacologique propre des curares. Elle est due à l’augmentation de la
pression intrathoracique (ventilation en pression positive), à la baisse de la pression abdominale
(myorelaxation) et à la perte de la contention veineuse (pooling) par les muscles périphériques. Ces
effets sont d’autant plus marqués que le patient est hypovolémique ou que son volume systolique
dépend de la précharge (insuffisance diastolique, valvulopathie). La meilleure parade est l'élévation
des membres inférieurs (autotransfusion de 300-500 mL).

Pancuronium

Le pancuronium (Pavulon®) induit une vagolyse et une stimulation sympathique par inhibition du
recaptage des catécholamines. Ainsi, la tachycardie (+10%) et la légère augmentation des RAS
permettent au pancuronium de maintenir stables le débit cardiaque et la pression artérielle lors de
l’induction avec des doses élevées d’opiacés. Son utilisation est recommandée dans les situations où la
bradycardie est dangereuse comme l’insuffisance aortique, mais est à éviter chez les malades
ischémiques [2]. La réponse ventriculaire des patients en fibrillation auriculaire est imprévisible et
peut entrainer une tachycardie très dangereuse pour la mVO2 et pour le débit cardiaque. Le
pancuronium est excrété à 70% par les reins et à 30% par voie biliaire.

Vecuronium et rocuronium

Le vecuronium (Norcuron®) n’a pas d'effets hémodynamiques; il est bon marché et d'utilisation
extrêmement courante. Son excrétion est biliare (60%) et rénale (40%). Le rocuronium (Esmeron®) ne
subit aucun métabolisme; il est excrété principalement par voie biliaire (> 70%) et modestement par
voie rénale (< 30%).

Atracurium, cisatracurium et mivacurium

L'atracurium (Tracrium®) et le cisatracurium (Nimbex ®) sont métabolisés par la réaction d'Hoffmann


et par les estérases non spécifiques du plasma, alors que le mivacurium (Mivacron®) est métabolisé par
les pseudocholinestérases. Ces curares sont des agents de choix en cas d'insuffisance hépatique et/ou
rénale. L'atracurium peut causer une hypotension artérielle par libération d'histamine.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Effets hémodynamiques des curares

Les curares sont sans effets hémodynamiques propres, sauf le pancuronium qui augmente la
fréquence de 10% (vagolyse). La pression artérielle chute au moment de la curarisation à cause de
l’augmentation de la pression intrathoracique (ventilation en pression positive), de la baisse de la
pression abdominale (myorelaxation) et de la perte de la contention des veines des membres
(veinodilatation et baisse de précharge). Ces effets sont d’autant plus marqués que le patient est
hypovolémique ou que son volume systolique dépend de la précharge.

Choix des agents d'anesthésie

La première technique recommandée en anesthésie cardiaque consistait en doses élevées de morphine


(1-3 mg/kg iv) ; elle a été remplacée dès 1979 par une anesthésie basée sur de hautes doses de fentanyl
(100 mcg/kg). Malgré l'analgésie intense et l'obnubilation profonde qu'ils provoquent, la morphine et
le fentanyl n'ont pas d'effet hypnotique correspondant à une réelle anesthésie au sens de la définition
du terme : "Etat d'inconscience réversible induit pharmacologiquement dans lequel le patient ne
perçoit pas et ne se souvient pas des stimuli nociceptifs" [18]. Le prix de leur stabilité hémodynamique
est un risque d’éveil peropératoire.

La triple nécessité d'assurer aux patients le sommeil, l'analgésie et la relaxation musculaire, a conduit à
la combinaison habituelle d'un agent hypnotique, intraveineux ou inhalé, d'un opiacé et d'un curare. Il
n’est guère possible d’obtenir ces trois aspects avec une seule substance sans encourir des effets
cardiocirculatoires majeurs. D’où la notion d’anesthésie balancée, qui consiste à utiliser de manière
flexible plusieurs agents de classes différentes, voire de combiner l’analgésie loco-régionale à
l’anesthésie générale.

Pour faire son choix entre les différentes possibilités, il est important de se poser cinq questions avant
une intervention de chirurgie cardiaque :

 Quelle est la contrainte hémodynamique prédominante ?


 Quelle est la fonction myocardique ?
 Quel est le risque ischémique ?
 Quel est le délai prévisible du réveil et de l'extubation ?
 Quelles sont les contraintes non-cardiaques (comorbidités) ?

De plus, l'inflation du coût des soins et les restrictions budgétaires orientent les choix vers les solutions
les moins onéreuses lorsque cela est possible sans atteindre à la qualité des prestations. Comme il
existe un très large éventail de situations différentes, seul le jugement clinique, épaulé par
l’échocardiographie et par l’expérience, peut définir les risques et les priorités pour l'intervention, et
établir des prévisions pour la période postopératoire.

Agent analgésique

La technique basée sur de hautes doses de fentanyl (50-100 mcg/kg) reste celle qui offre la plus grande
stabilité hémodynamique. Il existe un effet plateau dans la courbe dose-réponse, situé à un taux
sérique de 20 ng/ml chez l'homme, au-delà duquel on ne peut plus approfondir l'analgésie, même si
elle est plus durable [23]. Cette technique est réservée aux patients dont la fonction ventriculaire est
médiocre (FE < 0.3), dont l'équilibre hémodynamique est précaire (valvulopathies décompensées,
infarctus menaçant, décompensation ventriculaire, etc) ou dont l'intervention est complexe (opérations

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
combinées, longues CEC, transplantation, assistance ventriculaire, etc). L'expérience clinique montre
que la technique au fentanyl comme agent principal est d'autant moins adéquate que le patient est
jeune, que sa fonction myocardique est bonne, que sa réactivité sympathique est élevée et qu'on désire
le réveiller tôt. Dans les cas ASA I-II, le fentanyl induit une hypotension qui est dose-dépendante,
alors que la stabilité est mieux conservée dans les cas ASA III-IV [19]. Les agents hypnogènes
prennent toute leur importance dans ces situations pour garantir le sommeil et pour diminuer la
quantité totale d'opiacés administrés. Le Tableau 4.5 résume les dosages des principales substances
utilisées.

Tableau 4.5
Pharmacologie des principaux agents utilisés en anesthésie cardiaque

Substance Induction standard Risque élevé Délai Durée Perfusion

Etomidate 0.3 mg/kg 0.2-0.3 mg/kg <1 5


Propofol 2-2.5 mg/kg 1 mg/kg <1 5-10 3-5 mg/kg/h
Midazolam 0.1-0.3 mg/kg < 0.1 mg/kg 3 30 2-5 mg/h

Fentanyl 5-10 mcg/kg 10 mcg/kg 4-6 30-60


Sufentanil 1-2 mcg/kg 0.2-0.5 mcg/kg 2-6 40-60 0.01 mcg/kg/min
Alfentanil 25-50 mcg/kg 25 mcg/kg 1.5 5-10 3 mcg/kg/’ préCEC
1 mcg/kg/’ postCEC
Remifentanil 1 mcg/kg 0.2-0.5 mcg/kg 1 5-10 0.2-0.5 mcg/kg/min

Pancuronium 0.1 mg/kg 5 80-120


Vécuronium 0.1-0.2 mg/kg 4 30-60
Cisatracurium 0.15-0.2 mg/kg 2-3 30-60
Atracurium 0.5 mg/kg 2-3 30-45
Mivacurium 0.2 mg/kg 2-3 15-20
Rocuronium 0.6-1.2 mg/kg 2 30-60

Induction standard: cas à risque faible, hémodynamiquement stable. Risque élevé: instabilité hémodynamique, dysfonction ventriculaire,
valvulopathie sévère, risque ischémique. Délai: délai entre l'injection intraveineuse et le pic d'activité en minutes. Durée: durée d'activité
clinique moyenne en minutes.

Les effets hémodynamiques de l'alfentanil (Rapifen®) sont identiques à ceux du fentanyl, mais
l'induction présente un peu moins de stabilité: les risques de bradycardie, de baisse du tonus
sympathique et de rigidité thoracique sont beaucoup plus importants. L’alfentanil est un moins bon
suppresseur de la réactivité sympathique que le fentanyl ou le sufentanil [14]. L'avantage principal de
la substance est sa courte durée d'action qui rend possible l’administration en perfusion continue. La
dose d'induction recommandée est de 25-50 mcg/kg, suivie d'une perfusion de 3 mcg/kg/min jusqu'à la
CEC, puis de 1 mcg/kg/min après la CEC.

Le sufentanil (Sufenta®) offre plus de garantie contre les poussées hypertensives, mais induit
davantage d'hypotension lors de l'induction; les suites postopératoires sont plus stables qu'avec le
fentanyl, et l’analgésie est de bonne qualité [9]. Les doses d'induction varient de 0.5 à 2.0 mcg/kg
(total 50 mcg/kg); les doses supplémentaires sont de 0.2-0.5 mcg/kg. Il paraît particulièrement indiqué
dans les cas présentant une tendance hyperdynamique, ou chez les patients pour qui toute stimulation
sympathique est dangereuse: hypertension, ischémie coronarienne, insuffisance aortique, etc. Il
présente par contre moins de stabilité que le fentanyl chez les malades dont l’hémodynamique est très
dépendante du tonus sympathique: insuffisance congestive, valvulopathie décompensée, hypovolémie,
etc.

La place du remifentanil (Ultiva®) en anesthésie cardiaque est liée à la tendance vers une extubation
précoce des patients. Sa rapidité d’action (1.5 minute) et de récupération après une perfusion continue

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
(respiration spontanée en 10 minutes quelle que soit la durée de la perfusion) en fait un bon candidat
pour les réveils rapides [4]. Mais les doses d’induction (2-5 mcg/kg) et de perfusion (0.1-0.5
mcg/kg/min) recommandées en chirurgie générale ne sont pas utilisables sans risque en anesthésie
cardiaque: la bradycardie et l'hypotension qu'elles provoquent ne sont pas toujours compatibles avec la
stabilité hémodynamique recherchée [1]. Il est préférable de doubler le remifentanil d’un agent
hypnotique de manière à pouvoir baisser les doses d’induction à 0.2-1.0 mcg/kg et l’entretien à 0.1-0.2
mcg/kg/min.

Les hautes doses d'opiacés (fentanyl > 50 mg/kg, sufentanil > 30 mcg/kg) sont plutôt indiquées dans
les cas complexes et instables qu'il n'est pas prévu d'extuber dans le postopératoire, comme les
malades requérant une assistance circulatoire ou ventilatoire. Chez les patients qui n'ont pas de raison
de rester ventilés au-delà de quelques heures, il est judicieux de restreindre la dose totale d'opiacé
(fentanyl < 25 mcg/kg, sufentanil < 12 mcg/kg) ou d'utiliser une perfusion de rémifentanil. Pour éviter
une apparition trop brusque des douleurs dans le postopératoire, on peut assurer le confort et
l'analgésie par de la morphine administrée i.v. (0.1-0.2 mg/kg) en fin de CEC ou pendant la dernière
heure de l'intervention chirurgicale. On peut également envisager la dexmédétomidine (voir
Vasodilatateurs), car elle possède un effet sédatif et co-analgésique dépourvu de dépression
respiratoire.

Agent hypnogène

L'utilisation judicieuse de l’étomidate, du midazolam, du propofol ou d’un halogéné assure le


sommeil, réduit la dose totale d'opiacé, stabilise la réactivité hémodynamique et permet d’envisager
une extubation rapide. Lorsqu'on adjoint une benzodiazépine à un fentanyl, on risque une
cardiodépression significative par potentialisation des effets de la substance ajoutée. L'association
fentanyl (25 mcg/kg) - midazolam (0.1-0.2 mg/kg) modifie peu la contractilité mais diminue
sensiblement les résistances vasculaires artérielles et surtout baisse considérablement le tonus du
système vasculaire capacitif; la PAM chute de 24-32%, essentiellement à cause de la baisse de
précharge [6]. Elle nécessite un remplissage vasculaire adéquat, particulièrement lors de l'initiation de
la ventilation en pression positive. Ces modifications peuvent être dramatiques lorsque le patient
dépend largement de la précharge pour maintenir son débit cardiaque: hypertophie ventriculaire,
insuffisance diastolique, valvulopathie, hypovolémie, etc. L'ordre de l'administration semble jouer un
rôle important : la dépression hémodynamique est moins marquée si la diazépine suit l'administration
du fentanyl de 15 à 20 minutes [20]. Le midazolam à doses hypnogènes (0.3 mg/kg) est certainement
une des causes principales d’intubation prolongée et de délire postopératoire. La place du midazolam
devrait être restreinte aux situations suivantes.

 Complément de prémédication pour le confort des patients anxieux lors de l’installation et de


la préparation (bolus 1 - 3 mg iv) ;
 Dose hypnogène dès le réchauffement de la CEC dans les cas où une extubation rapide n’est
pas prévue (bolus 5 - 15 mg, perfusion 2-5 mg/heure) ;
 Appoint lors d’hyperréactivité sympathique pendant la phase pré-CEC ou post-CEC chez les
patients à risque ou manifestement insuffisamment endormis et chez qui une extubation rapide
n’est pas prévue (bolus 5 mg, à répéter si nécessaire).

L’étomidate est l’hypno-inducteur de premier choix dans les situations où l’hémodynamique est
délicate et reste la meilleure option pour l'induction des cas instables ou fragiles en chirurgie cardiaque
[22]. Bien que réversible après 24 heures, l’hypocorticisme iatrogène qu’il provoque le rend peu
adapté en cas de sepsis [16]. Comparé au midazolam ou au propofol, l’étomidate ne modifie pas la
morbidité ni la mortalité postopératoire, mais est associé à une plus grande stabilité hémodynamique
[2,3,8,10,11,15].

Parmi les halogénés, l'isoflurane est certainement la substance la plus utilisée pour circonvenir les
écarts hyperdynamiques lors des stimulations chirurgicales importantes (sternotomie, dissection

58
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
périaortique, etc.) chez les patients hypertendus et/ou hyperréactifs. Dans cette utilisation, l'isoflurane
ne modifie pas l'incidence d'ischémie myocardique peropératoire [12]. En effet, l'augmentation de la
postcharge induit une élévation de la mVO2, et une extraction accentuée d'O2; l'élévation de la
saturation en O2 du sinus coronaire sous isoflurane correspond ici à une normalisation du travail
cardiaque et non à une maldistribution du flux coronarien. Il faut bien sûr veiller à ce que la PA
moyenne ne descende pas en dessous de sa valeur habituelle (PAM ≥ 75 mmHg). Comme il agit
principalement sur les résistances systémiques, l'isoflurane est l'appoint de choix chez les patients dont
la fonction myocardique est abaissée ou dont l'éjection ventriculaire dépend d'une postcharge basse:
insuffisance mitrale ou aortique, dilatation ventriculaire, insuffisance congestive, etc. Il est aussi un
excellent moyen de maintenir le sommeil et de régler les poussées hypertensives en CEC. Lorsqu'il est
important que les résistances périphériques soient maintenues plutôt élevées (sténose aortique ou
mitrale, cardiomyopathie obstructive, ischémie coronarienne), le sevoflurane s'impose comme agent
hypnogène, car il n’a pas l'effet vasodilatateur artériel de l'isoflurane.

Le propofol est en principe réservé aux patients hémodynamiquement stables ne souffrant pas de
coronaropathie grave. Si la fonction ventriculaire est conservée (FE > 0.5), le propofol à l’induction et
en perfusion garantit le sommeil avec des dosages d'opiacés relativement bas; l'intérêt de cette
technique est de pouvoir procéder à une extubation précoce et d'alléger les soins postopératoires [5].
Son désavantage est une baisse de pression essentiellement due à la chute de la précharge, plus intense
que celle du midazolam. Ce phénomène rend les patients très dépendants du volume de remplissage, et
augmente d’au moins 500 mL les besoins liquidiens peropératoires. Il est particulièrement marqué
chez les patients qui souffrent d'ischémie coronarienne ou de sténose aortique, à cause de l'insuffisance
diastolique. La baisse des performances hémodynamiques est plus importante dans ce groupe que dans
celui des insuffisances valvulaires ou des cardiopathies congénitales [17]. Lors de revascularisation
coronarienne, les halogénés sont préférables au propofol pour le maintien de l'anesthésie à cause de
leur effet préconditionnant qui limite les lésions ischémiques myocardiques [7]. Pour réduire l'intensité
de la dépression hémodynamique, on peut démarrer le propofol en perfusion sans dose de charge ; la
vitesse de perfusion est adaptée à la pharmacocinétique (démarrage et entretien) et aux besoins
(stimulation, hyper- ou hypotension artérielle) [21] :

 Démarrage (10 minutes) : 10-30 mg/kg/heure (1-3 mL/kg/heure) ;


 Entretien peropératoire y compris en CEC: 5-10 mg/kg/heure (0.5-1.0 mL/kg/heure, objectif
de concentration: 1.5-4 ng/mL).

En anesthésie cardiaque, l'utilisation du propofol est indiquée principalement dans les situations
suivantes [5] :

 Fonction ventriculaire conservée : FE > 0.5 (ou > 0.4 en cas de β-blocage);
 Absence d’ischémie instable ;
 Normovolémie ;
 Valvulopathie ou cardiopathie congénitale simple avec ventricule normal ;
 Au réchauffement de CEC si une extubation rapide est envisagée.

La combinaison du propofol et de l'alfentanil ou du remifentanil en perfusions continues permet de


bien adapter la profondeur de l'anesthésie et de l'analgésie aux variations d'intensité des stimulations
chirurgicales et douloureuses [13]. La perfusion de propofol est continuée pendant toute l'intervention,
CEC incluse, alors que celle de l’opiacé est en général arrêtée dès la mise en pompe et reprise avant la
mise en charge. Toutefois, les perfusions continues d'alfentanil ou de remifentanil, relativement
onéreuses, n'offrent pas d'avantages évidents; elles ne garantissent pas une stabilité hémodynamique
meilleure que celle du fentanyl ou du sufentanil et n’assurent pas une meilleure antalgie
postopératoire.

59
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Critères de choix

Plutôt que de s'en tenir à une technique unique et indiscriminée, il est préférable de profiter de
l'éventail des substances à disposition pour s'adapter aux contraintes hémodynamiques de chaque
patient et lui offrir les conditions de stabilité optimale. A l’instar du couteau suisse dont les possibilités
sont multiples mais dont aucune n’est excellente, la technique d’anesthésie polyvalente bonne pour
tous les cas (One size fits all) n’existe pas parce qu’elle est pareillement inadaptée à chaque situation.
Il est plus logique de choisir entre les différents agents en fonction de leurs effets particuliers par
rapport à la pathologie du malade et aux conditions hémodynamiques que l'on recherche (Tableau 4.6).

Tableau 4.6
Critères de choix hémodynamiques des agents d'anesthésie

Midazolam ↓↓ précharge
↓↓ stimul sympathique centrale
Propofol ↓↓↓ précharge
↓↓ postcharge
↓ fréquence cardiaque
↓ fonction systolique
Etomidate pas de modifications significatives
Thiopental ↓↓↓ précharge
↓↓ postcharge
↑↑ fréquence cardiaque
↓↓ contractilité
Kétamine ↑↑ stimulation sympathique
↑↑ postcharge (RAS et RAP)
↓↓ contractilité
Fentanyl ↓ fréquence cardiaque
± précharge
↓ postcharge
Sufentanil ↓↓ fréquence cardiaque
± précharge
↓ postcharge
Rémifentanil ↓↓↓ fréquence cardiaque
± précharge
↓ postcharge
Isoflurane ↓↓↓ postcharge
↑ fréquence cardiaque
Sevoflurane ↓ postcharge
↓ fréquence cardiaque
Desflurane ↑ stimulation sympathique
↑↑ RAP

 Midazolam: ↓ tonus sympathique central, ↓ précharge;


o Induction lente, hypotension en association avec les fentanils;
o Sommeil prolongé, ↑ délire postopératoire ;
o Indications: hypertension artérielle, sédation à l'induction, sommeil peropératoire si
intubation prolongée, opération de longue durée;
 Propofol: ↓↓ précharge, ↓ postcharge, ↓ fréquence;
o Titration progressive à l'induction, perfusion continue ;
o Attention si valvulopathie ou dysfonction diastolique (maintenir la précharge);
o Contre-indications: instabilité hémodynamique, dysfonction ventriculaire,
hypovolémie;
 Etomidate: aucune modification hémodynamique significative;
o Agent d'induction le plus stable et le plus sûr;
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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
o Indications: valvulopathie, dysfonction ventriculaire, ischémie myocardique instable,
cardiopathie complexe, instabilité hémodynamique;
o Blocage réversible de la sécrétion cortico-surrénalienne pendant 12-24 heures ;
o Attention si état septique (substitution stéroïdienne);
 Thiopental: ↓↓ précharge, ↓↓ postcharge, ↓↓ contractilité, ↑ fréquence;
o Dangereux en-dehors des cas où l'hémodynamique est normale, la perfusion
coronarienne conservée et la FE > 0.6;
 Kétamine: ↑ tonus sympathique central, ↑ postcharge, ↓↓ contractilité;
o Indications: choc hémorragique ou tamponnade si fonction ventriculaire normale;
o Contre-indications: épuisement sympathique, dysfonction ventriculaire, valvulopathie,
hypertension pulmonaire;
 Isoflurane: ↓↓ postcharge, ↑ fréquence;
o Indications: hypertension artérielle, insuffisances valvulaires, ischémie coronarienne
(préconditionnement);
 Sevoflurane: ↓ postcharge, ↓ fréquence;
o Halogéné le plus stable et le plus sûr;
o Indications: ischémie coronarienne (préconditionnement), sténoses valvulaires;
 Desflurane: ↑ stimulation sympathique, ↑ RAP;
o Indications: opération courte, extubation rapide, préconditionnement;
o Contre-indications: hypertension pulmonaire, insuffisance ventriculaire;
 Fentanyl: ↓ fréquence, ↓ postcharge;
o Opiacé le plus stable et le plus sûr;
 Sufentanil: ↓↓ fréquence, ↓ postcharge;
o Indications: hypertension artérielle, ischémie coronarienne, insuffisance valvulaire;
 Rémifentanil: ↓↓↓ fréquence, ↓ postcharge;
o Indications: opération courte, extubation rapide, FE > 0.5;
o Contre-indications: insuffisance aortique, insuffisance mitrale majeure, dilatation
ventriculaire.
 Pancuronium: ↑ fréquence;
o Indications: insuffisance aortique, bradycardie.
 Cisatracurium: pas d’effets hémodynamiques;
o Indications: insuffisance hépatique et rénale.
 Vecuronium, rocuronium: pas d’effets hémodynamiques.

Ces considérations générales ne tiennent pas compte des protocoles de chaque institution ni des
routines de chaque anesthésiste, qui sont un élément majeur dans le succès d'une opération. La clef de
la stabilité hémodynamique est d'utiliser des médicaments que l'on maîtrise parfaitement.

En-dehors des cas complexes, on dispose souvent de plusieurs choix pour obtenir le même résultat.
Dans cette situation, l'impact financier de la technique devient un critère de sélection capital. Le coût
d'une heure d'anesthésie générale passe de 12 € en moyenne pour la combinaison isoflurane-fentanyl à
45 € pour l'association propofol-rémifentanil, sans compter les investissements en pompe et en
matériel de perfusion (Tableau 4.7).

Dans une période où les coûts de la santé explosent, il n'y a vraiment aucune raison de quadrupler le
prix d'une activité s'il n'y a pas un avantage formel pour le patient (stabilité peropératoire, extubation
immédiate, etc). Bien qu'ils puissent paraître surannés, certains médicaments peu onéreux sont
parfaitement adaptés à l'anesthésie cardiaque, mais les sirènes de l'industrie pharmaceutique savent
fort bien jouer avec le goût des médecins pour la nouveauté et imposer les substances qui leur sont de
plus grand profit.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Choix des agents d’anesthésie

La nécessité d’assurer le sommeil, l’analgésie et l’immobilité quelles que soient les conditions
hémodynamiques oblige à utiliser un agent d’anesthésie en continu, un opiacé en fonction des
stimulations douloureuses, et un curare. L’éventail des substances à disposition permet d’adapter la
technique d’anesthésie à l’individualité hémodynamique de chaque patient.

Tableau 4.7
Coûts comparatifs d'une heure d'anesthésie (FiO2 1.0)

Isoflurane (1 MAC) 8.-


Sevoflurane (1 MAC) 14.-
Desflurane (1 MAC) 18.-
Midazolam 2.-
Propofol 22.-
Fentanyl 4.-
Sufentanil 5.-
Remifentanil 23.-
Alfentanil 58.-
Morphine 1.-
Bupivacaïne 3.90 (set de péridurale : 25.-)
Morphine/sufentanil 4.80 (set de rachi : 29.-)
Dexmédétomidine 5-10.-

Coûts d’agents inotropes à l’heure de perfusion (dilution standard CHUV)

Adrénaline 3.-
Dopamine 7.-
Dobutamine 25.-
Milrinone 20.-
Lévosimendan 120.-

Prix exprimés en CHF. Valeur Novembre 2017.

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63
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Conduite de l'anesthésie pour la chirurgie cardiaque

Les attitudes et les stratégies anesthésiques proposées dans ce chapitre sont le fruit de l'expérience des
auteurs. Elles se sont révélées sûres et efficaces entre leurs mains. Elles n'excluent nullement que
d'autres manières de prise en charge soient tout aussi performantes, notamment en fonction du type
d'institution où a lieu l'intervention. Dans les hôpitaux d'enseignement, les attitudes recommandées
sont sous-tendues par la nécessité d'avoir une grande marge de sécurité vu le manque d'expérience du
personnel en formation, alors que dans les cliniques spécialisées, la compétence des praticiens
expérimentés permet d'accélérer et de simplifier les routines sans faire prendre de risque excessif aux
malades. D'autre part, les institutions des pays défavorisés ne disposent pas des mêmes facilités
techniques que celles des pays riches et ne peuvent souvent pas appliquer les standards de qualité
recommandés par les sociétés professionnelles occidentales sans que cela puisse leur être reproché.

Pour éviter de surcharger le texte, les aspects pratiques de l'anesthésie telle qu'elle est pratiquée par les
auteurs sont décrits dans l'Annexe A (Aspects pratiques de l'anesthésie cardiaque chez l'adulte).

Prémédication

Visite préopératoire

La visite préopératoire est le premier contact du patient avec l’anesthésiste (voir Chapitre 3,
Evaluation préop en chirurgie cardiaque). C’est l’occasion d’établir une relation thérapeutique basée
sur la confiance et le respect mutuel. C’est aussi le moment d’expliquer au malade les différentes
procédures de l’anesthésie et leurs risques, le déroulement de l'induction et le réveil aux soins
intensifs. Il est important de discuter avec lui de ses propres options lorsque des choix sont possibles.
Sans pour autant l’effrayer, il faut aborder avec le patient la question de la réanimation, au cas où une
situation grave devait s’installer. Il est capital de connaître son opinion de manière à pouvoir respecter
son autonomie s’il n’était plus en état de communiquer. Ce dialogue est complété par un document
écrit co-signé par le patient et l’anesthésiste. Ainsi, ce dernier s’engage à prendre en charge le malade
comme un guide de montagne assume la sécurité et la survie de son client. Quelles que soient les
pressions de l’institution, de l’horaire ou du chirurgien, l’anesthésiste a un contrat moral avec son
patient, et avec lui seul. Il est évident que cela vaut aussi dans le cas où il n’aurait pas prémédiqué lui-
même le malade.

Pour avoir tout son sens et assurer un réel confort au malade, la prémédication ne doit pas être elle-
même désagréable (piqûre, nausées, mauvais goût), et doit avoir lieu suffisamment tôt par rapport au
transfert en salle d’opération; l’effet de la morphine s’installe en 20 minutes, et celui des diazépines
orales en 30 minutes; il est donc capital de prémédiquer les patients au moins 45 minutes avant leur
arrivée en salle d’opération. Parmi les nombreuses prémédications en usage, on peut relever deux
types principaux.

 Benzodiazépine per os, tel le midazolam (Dormicum®), l'oxazépam (Seresta®), témazépam


(Normison®) ou le lorazépam (Temesta®): amnésie, anxiolyse, confort pour le patient,
sédation profonde, pas d'analgésie, hémodynamiquement stable, risque de réaction paradoxale
chez les vieux ; au dessus de 65 ans, diminuer les doses de moitié et éviter le midazolam.
 Combinaison de morphine (0.1 mg/kg) et de scopolamine (0.2-0.4 mg) i.m.: analgésie,
sédation, amnésie, risque d'hypotension et de confusion au-dessus de 65 ans. Désavantage
majeur : inconfort de la piqûre ; avantage : analgésie, effet vagolytique.

La deuxième solution provoque moins d'inhibition sympathique que la seconde lors de l'induction
d'une anesthésie avec un fentanyl; il se manifestera moins de bradycardie, ou une tendance à la
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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
tachycardie si l'on utilise du pancuronium [30]. L'effet anticholinergique central de la scopolamine
peut avoir un intérêt par sa capacité présumée à diminuer l'intensité de la rigidité musculaire
thoracique due aux doses élevées de fentanyl et à l'étomidate, qui relèvent d'une stimulation extra-
pyramidale cholinergique. La prémédication doit être modifiée chez les personnes âgées (> 65 ans) ou
débilitées: pas de morphine ni de midazolam, préférence pour l’oxazépam (15 mg).

Une antibiothérapie prophylactique est prescrite de routine pour au moins 48 heures, car la chirurgie
cardiaque est une chirurgie propre, comportant un élément immunodépresseur (la CEC) et souvent
l'implantation de matériel prothétique. L'antibiotique est administré à la prémédication ou
préférentiellement par voie intraveineuse avant l'induction. Dans les deux cas, on cherche à ce que les
taux sériques soient optimaux au moment de l'incision. Bien que le choix de l’antibiotique soit propre
à chaque institution, on peut formuler des recommandations simples [11,14].

 Une céphalosporine de 1ère ou de 2ème génération chez les patients non-MRSA. Alternative :
clindamycine (Dalacin® 600 mg), amoxicilline + acide clavulinique (Augmentin® 2.2 g) ;
 La vancomycine seule ou en association chez les patients suspects ou prouvés positifs pour un
MRSA ;
 Une prescription particulière en fonction de l’antibiogramme lorsqu’une infection est en cours
ou en voie de stérilisation;
 Rinçage de la bouche au gluconate de chlorhexidine 0.12%.

Anémie préopératoire

La visite préopératoire est également la dernière occasion d’évaluer les risques de l’intervention et de
corriger les situations qui peuvent l’être (voir Chapitre 3 Consultation préopératoire). Parmi celles-ci,
l’anémie est une des plus fréquentes, puisqu'elle est décelable dans 31% des cas [16]. Or sa présence
entraîne une aggravation de la mortalité (OR 1.42); celle-ci s'élève de 16% par 10 g/L de baisse dans
la concentration d'Hb [16]. En chirurgie coronarienne, l’anémie préopératoire (Hb < 100 g/L) est un
facteur de risque indépendant pour les transfusions (OR 2.75) et pour les complications
postopératoires cardiaques, rénales ou cérébrales (OR 1.71-2.0) [16,19]. Le taux d’hémorragie, de
complications pulmonaires et d’infections augmente respectivement de 4 fois (OR 4.37), de 3 fois (OR
2.85) et de 2 fois (OR 1.84) lorsque l’Ht est < 22% [13]. Les patients anémiques ont une plus grande
susceptibilité pour l’insuffisance rénale postopératoire que ceux qui ont une Hb normale avan t
l’opération (incidence 4.1% versus 1.6%), mais ils sont aussi deux fois plus enclins à développer
une insuffisance rénale secondaire aux transfusions (6.6% versus 3.2%) (voir Figure 28.9) [12,19].
L’anémie préopératoire est donc dangereuse car doublement pénalisante : 1) elle augmente plus de
deux fois la morbidité et la mortalité postopératoires, et 2) elle augmente les chances d’être transfusé,
donc de subir une aggravation supplémentaire de morbi-mortalité. L'anémie aggrave le risque
opératoire mais la transfusion, au lieu de le corriger, ajoute un facteur délétère supplémentaire.

Traitement cardiologique préopératoire

Le traitement déjà mis en euvre pour stabiliser le patient indique le degré d'altération fonctionnelle et
la direction dans laquelle doivent tendre les modifications liées à l'anesthésie. La majeure partie des
patients est sous une pharmacothérapie complexe : β-bloqueur, dérivé nitré, inhibiteur de l’enzyme de
conversion (IEC), bloqueur calcique, antiplaquettaire, statine, anti-arythmique, etc. La question se
pose souvent de savoir quels médicaments conserver jusqu'à l'opération et lesquels arrêter, et avec quel
délai. Comme ce problème est traité en détail dans l'évaluation préopératoire (voir Chapitre 3,
Médication préopératoire en chirurgie cardiaque), on n'abordera ici que les points essentiels [28].

 Les β-bloqueurs sont traditionnellement associés à une diminution de la mortalité, des


évènements ischémiques peropératoires et de l’incidence de FA postopératoire. Ils ne sont pas
interrompus, mais ajustés pour maintenir une fréquence cardiaque de 60-65 batt/min [28]. Ils

65
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
sont complétés à la demande par des doses répétées ou une perfusion d'esmolol. En cas de
bradycardie excessive, il est aisé d’accélérer la fréquence cardiaque avec une catécholamine
ou avec le pace-maker épicardique. Pour la chirurgie coronarienne, ils sont classiquement
prescrits de routine au moins 24 heures préopératoires et en continu dans le postopératoire,
sauf en cas de dysfonction ventriculaire sévère (FE < 30%) [14]. Cependant, une analyse
récente de la base de données STS n’a mis en évidence aucun gain du β-blocage sur la
mortalité, le taux d’AVC ou l’insuffisance rénale (OR 0.96-1.04) après pontage aorto-
coronarien chez les patients qui ne souffrent ni d’infarctus ni d’ischémie myocardique active
[5]. Bien qu'il n’offre pas de protection contre la FA dans cette étude, le β-blocage reste
conseillé pour la prévention des arythmies postopératoires [28]. Les substances de choix sont
le métoprolol, le bisoprolol, le carvedilol et le nébivolol [28].
 Les statines améliorent le pronostic de la chirurgie coronarienne (baisse de l’incidence de FA
et d’AVC) et semblent diminuer la mortalité postopératoire [20], bien que certaines études
récentes ne confirment pas ces résultats [32]. Elles présentent un risque d'insuffisance rénale,
particulièrement chez les patients souffrant de néphropathie [2,32]. Elles doivent être
maintenues jusqu’à l’intervention et reprises dès que possible en postopératoire chez les
patients qui sont sous traitement avec une fonction rénale normale, mais il est probablement
imprudent d'initier un traitement avant l'intervention chez ceux qui n'en prennent pas et qui
souffrent d'une élévation chronique de la créatinine (voir Autres agents) [14,28].
 Le blocage du système rénine-angiotensine par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion
(IEC), les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (ARA) et les inhibiteurs directs de la
rénine (aliskiren) met la pression artérielle sous la seule régulation du système sympathique et
de la vasopressine; la sensibilité à l'hypovolémie augmente. Comme l'anesthésie inhibe le
système sympathique, la seule régulation de la pression qui subsiste est celle de la
vasopressine, qui est un système lent. La pression artérielle devient très dépendante de la
précharge (volémie), particulièrement chez les malades qui ont une courbe de Starling
redressée (fonction systolique normale, dysfonction diastolique, HVG); de plus, l'anesthésie
provoque une veinodilatation centrale qui pénalise encore la précharge. Sur le long terme, les
IEC et les ARA freinent la réponse sympathique; ils ont donc davantage d'effet
hémodynamique chez les patients qui les consomment depuis longtemps [4]. Sous IEC et
ARA, les épisodes hypotensifs sont fréquents et profonds dès l'induction de l'anesthésie; ils se
doublent d'une chute des RAS: 30% des patients sous IEC sont hypotendus à l'induction et
22% présentent un degré significatif de vasoplégie pendant et après la CEC [6,26]. La
recommandation est donc de stopper ces médicaments 24 heures avant l'intervention lorsqu'ils
sont prescrits pour une hypertension artérielle et chez les malades hémodynamiquement
instables [4,28]. Leur interruption ne provoque pas d'effet rebond et n'influence pas la
mortalité [15,22]. Par contre, il est possible de les maintenir lorsqu'ils font partie du traitement
d'une insuffisance ventriculaire systolique (baisse de postcharge), parce que dans ce cas la
courbe de Starling est aplatie et peu sensible à la volémie (Figure 4.15) [9]. Ils sont repris au
plus vite après l'intervention car ils semblent réduire l'incidence de fibrillation auriculaire [25].
 Un nouvel agent (Entresto®) constitué de l’association de valsartan et de sacubitril, un
inhibiteur de la néprilysine (substance physiologique qui dégrade les peptides natriurétiques),
est en passe de devenir un élément majeur dans le traitement de l'insuffisance ventriculaire. En
l'absence de données concernant le périopératoire, il est prudent d'appliquer les mêmes règles
que pour les IEC, en sachant qu'on est en présence de deux vasodilatateurs au lieu d'un. Dans
l'attente d'une expérience clinique suffisante, il est probablement prudent d'interrompre
l'Entresto® 24 heures avant l'opération.
 Les anticalciques sont des vasodilatateurs des vaisseaux de résistance (artères) mais non de
capacitance (veines centrales); l'hypotension est fonction des RAS (traitement:
vasoconstricteur α). Il est préférable de les maintenir.
 Les a2-agonistes (clonidine, dexmédétomidine) limitent la tachycardie et l'hypertension, et
induisent de plus une sédation et une analgésie; ces effets sont tout bénéfice en peropératoire,
et diminuent l'incidence de complications cardiaques postopératoires. Toutefois, ils inhibent la
libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques, et interfèrent de ce fait avec
l'activité de la dopamine, qui est atténuée, et celle de la dobutamine, qui est accentuée [24].
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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Pression

Hypovolémie Normovolémie

Figure 4.15: Relation schématique entre la volémie et la pression artérielle [9]. L'individu normal (A) maintient
sa pression sur une large plage de volémie par l'action de l'angiotensine II: vasoconstriction des vaisseaux de
résistance et de capacitance; la pression ne chute qu'en hypovolémie extrême. Chez le malade traité avec des IEC
(B), la pression devient dépendante de la volémie et varie linéairement avec elle, parce que le mécanisme
compensatoire de l'angiotensine II est bloqué. Le malade en insuffisance cardiaque traité avec des IEC (C)
présente une dépendance identique mais sa courbe est plus plate parce que la pente de sa courbe de Starling est
plus faible; le risque d'hypotension est moindre.

Médicaments préopératoires en chirurgie cardiaque

β-bloqueurs :
- Maintien et contrôle de la fréquence cardiaque à < 65 batt/min (sauf si FE < 30%)
- Recommandés en pré- et postopératoire pour la chirurgie coronarienne chez les patients
souffrant d’infarctus myocardique ou d’ischémie coronarienne active
Statines:
- Maintien et reprise en postopératoire
- Recommandées 1-2 semaines préopératoires pour la chirurgie coronarienne
Inhibiteurs de l’enzyme de conversion et anti-angiotensine II :
- Stop si prescrits pour hypertension artérielle
- Maintien si prescrits pour insuffisance ventriculaire
Anti-calciques : maintien
Dérivés nitrés : maintien
Anti-arythmiques : maintien
Digitale : stop
Diurétiques : stop
Antidiabétiques : stop antidiabétiques oraux le jour opératoire, insuline selon besoin (en peropératoire:
perfusion continue)

 Il est préférable d'interrompre les diurétiques à cause du risque d'hypovolémie,


d'hypokaliémie, d'hyponatrémie et d'hypomagnésémie.
 La digitale est maintenue si elle est prescrite pour ralentir la réponse ventriculaire dans les
tachyarythmies supraventriculaires; en cas d'insuffisance ventriculaire, elle est interrompue.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 D'une manière générale, tous les anti-arythmiques sont maintenus en préopératoire, bien que
ceux du groupe I prolongent l'effet des curares. L'amiodarone prévient efficacement la FA
mais provoque un bloc sympathique α et β qui peut être à l'origine d'hypotension et de
bradycardie.
 Les β-boqueurs, le sotalol et l’amiodarone réduisent l’incidence de FA postopératoire, dont le
taux est de 25-50% sans traitement.

Anticoagulants

Les anticoagulants sont interrompus avant l'intervention pour une durée qui correspond à 5 demi-vies
vu le risque hémorragique élevé d'une opération en CEC (voir Tableaux 8.11 et 8.12) (pour plus de
détails, voir Chapitre 8 Les anticoagulants). Les délais d’interruption préopératoire habituellement
proposés avant la chirurgie cardiaque sont les suivants [3,10,14,18,28].

 Héparine non-fractionnée 4-6 h


 HBPM prophylactique 12 h (24 h si clairance créatinine < 50 mL/min)
 HBPM thérapeutique 24 h (48 heures si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Fondaparinux (Arixtra®) 72 h (4-6 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Dabigatran (Pradaxa®) 48-72 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Apixaban (Eliquis®) 48 h (3-4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Edoxaban (Lixiana®) 48 h (3-5 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Rivaroxaban (Xarelto®) 5-10 mg 24 h (3 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
15-20 mg 48 h (3-4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
 Sintrom®, Coumadine® 5 jours (contrôle INR à J-5 et J-1)
 Marcoumar® 10 jours (contrôle INR à J-10 et J-1)
 Désirudine (Iprivask®) 10 h
 Bivalirudine (Angiox®) 4-10 h
 Danaparoïde (Orgaran®) 48 h
 Argatroban (Argatroban Inj®) 4h

Les anticoagulants coumariniques sont remplacés 3 à 5 jours auparavant par de l'héparine non-
fractionnée (10'000-20'000 UI/jour) que l’on interrompt 6-12 heures préopératoires ; on recherche un
aPTT égal à 1.5 fois la valeur de départ. L’INR ne doit pas descendre en dessous de 1.5 en cas de
prothèse mécanique aortique et de 2.0-2.5 en cas de prothèse mécanique mitrale sans protection par
une héparine. La substitution n'est pas nécessaire pour les nouveaux anticoagulants oraux ni pour les
situations à risque thrombo-embolique faible à modéré (CHA2 DS2 ≤ 2), mais elle est impérative pour
les situations à haut risque (prothèse valvulaire mécanique, FA avec sténose mitrale, CHA2 DS2 ≥ 4,
thrombo-embolie < 4 semaines) [28]. Une perfusion d'héparine en cours pour un infarctus menaçant
n'est pas stoppée avant l'opération, mais continuée jusqu'à la canulation artérielle de CEC; elle peut
également être remplacée par une dose de 5'000 UI d'héparine à l'induction. L’héparinisation
intraveineuse continue pendant 2 à 4 jours préopératoires peut épuiser les réserves en antithrombine III
de l’organisme et empêcher une anticoagulation efficace en CEC, car la chute de l’antithrombine est
de 5-10% par jour. Le traitement est l’administration de concentré d’antithrombine, sous forme
humaine purifiée ou recombinante ; la dose recommandée est 500-1'000 UI pour un adulte.

Antiplaquettaires

Les antiplaquettaires sont le pivot thérapeutique de la prise en charge des patients souffrant de plaques
instables ou porteurs de stents (voir Tableau 3.9A). Ils ne doivent être interrompus que le temps
minimal requis pour éviter un risque hémorragique excessif lors de l'héparinisation en CEC. Les
recommandations concernant l'aspirine sont les suivantes [28,29].

 Maintien de l’aspirine (75-160 mg/j) en préopératoire (PAC et OPCAB) ;

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Interruption de l’aspirine 3-5 jours avant l’intervention dans les cas à haut risque
hémorragique et chez les patients qui refusent les transfusions ;
 L’aspirine n’est jamais interrompue chez les porteurs de stents coronariens, ni chez les
patients souffrant de syndrome coronarien aigu.

La bithérapie antiplaquettaire (aspirine + clopidogrel/prasugrel/ticagrelor) est un prédicteur


indépendant du risque hémorragique (OR 1.8-4.7) et des besoins transfusionnels (OR 2.2-5.7) [10,11].
Les recommandations actuelles concernant les durées d’interruption des antiplaquettaires avant des
pontages aorto-coronariens sont les suivantes (pour plus de détails, voir Chapitre 29,
Recommandations pour la chirurgie cardiaque) [3,7,10,14,17,18,28,29,31].

 Ticagrelor (Brilinta®, Brilique®) 3-5 jours (selon risque hémorragique)


 Clopidogrel (Plavix®) 5 jours
 Prasugrel (Efient®) 7 jours
 Cangrelor (Kengrexal®) 1-2 heures
 Eptifibatide (Integrilin®) 4 heures
 Tirofiban (Aggrastat®) 4 heures
 Abciximab (RheoPro®) 24 heures

Par contre, le double traitement antiplaquettaire n’est interrompu que 48-72 heures lorsqu’il est
prescrit pour un syndrome coronarien aigu ou pendant la phase précoce de ré-endothélialisation après
une angioplastie percutanée simple (< 2 semaines) ou après pose de stents (stents passifs : < 4
semaines; stents actifs 1ère génération: < 6 mois; stents actifs 2ème-3ème génération: < 1-3 mois). La
revascularisation à coeur battant est particulièrement indiquée dans ces circonstances parce que moins
hémorragipare [14,23].

Lors de décision difficile, l’utilisation de tests d’activité thrombocytaire (Multiplate™, VerifyNow™,


etc) permet de mieux cibler la thérapeutique optimale en fonction du risque opératoire et du risque
thrombogène [21,29]. Ces tests ont une meilleure valeur prédictive que le délai entre l’opération et la
dernière prise de clopidogrel. Un faible répondeur souffrira moins de l’interruption du clopidogrel
qu’un malade qui y est très sensible. D’autre part, la durée d’interruption peut être réduite car un faible
répondeur saigne moins qu’un individu normal sous antiplaquettaire [8]. Ces variations individuelles
sont beaucoup moins prononcées avec le prasugrel et le ticagrelor.

Pour éviter un trop long défaut de couverture antithrombotique chez les patients à haut risque
ischémique sans augmenter excessivement le risque hémorragique, on peut remplacer le
clopidogrel/ticagrelor/prasugrel par un agent antiplaquettaire de courte durée d’action [29]. Le
tirofiban (Aggrastat®, 0.1 mcg/kg/min) et l’eptifibatide (Intergilin®, 1-2 mcg/kg/min) sont des anti-GP-
IIb/IIIa avec une demi-vie de 2-2.5 heures. Après avoir stoppé le clopidogrel/ticagrelor 5 jours, ou le
prasugrel 7 jours avant l’intervention, le tirofiban ou l’eptifibatide sont administrés en perfusion dès le
5ème ou le 4ème jour préopératoire, et sont arrêtés 6-8 heures avant l’opération [27]. Celle-ci a lieu
pendant la fenêtre de récupération fonctionnelle des plaquettes, ce qui réduit le risque hémorragique.
Le cangrelor intraveineux est une alternative très intéressante, puisque sa demi-vie est de 9 minutes et
que son activité disparaît en < 1 heure. Commencée 3-5 jours auparavant, la perfusion (0.75
mcg/kg/min) n’est interrompue que 1-2 heures avant l’opération; la récupération de la fonction
plaquettaire est totale au moment de l’intervention [1]. La perfusion est redémarrée dans les 12-24
heures postopératoires, et le clopidogrel, le ticagrelor ou le prasugrel prennent le relai dès que
possible, en général dans les 24-48 heures. L’aspirine n’est pas interrompue.

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69
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Anticoagulants en chirurgie cardiaque

Interruption préopératoire des anticoagulants :


- Héparine non-fractionnée 0-6 h (maintenir perfusion si syndrome coronarien aigu)
- HBPM prophylactique 12 h
- HBPM thérapeutique 24 h (48 heures si clairance créatinine < 50 mL/min)
- Coumarines 5 jours (Marcoumar® 10 jours)
substitution par de l’héparine dès que INR < 2.0
- Fondaparinux (Arixtra®) 72 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
- Dabigatran (Pradaxa®) 48-72 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
- Apixaban (Eliquis®) 48 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
®
- Edoxaban (Lixiana ) 48 h (4 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)
- Rivaroxaban (Xarelto®) 48 h (≥ 3 jours si clairance créatinine < 50 mL/min)

Antiplaquettaires en chirurgie cardiaque

Gestion préopératoire de l’aspirine :


- Maintien de la prévention secondaire (75-160 mg/j) en préopératoire (PAC et OPCAB)
- Interruption 3-5 jours avant l’intervention dans les cas à haut risque hémorragique et chez les
patients qui refusent les transfusions
- Pas d’interruption chez les porteurs de prothèses valvulaires mécaniques ou de stents
coronariens, ni chez les patients souffrant de syndrome coronarien aigu
Gestion préopératoire de la bithérapie (aspirine + clopidogrel/prasugrel/ticagrelor) :
- Interruption du ticagrelor : 3-5 jours (selon risque hémorragique)
- Interruption du clopidogrel : 5 jours
- Interruption du prasugrel : 7 jours
- Interruption maximale de 24-48 heures (préférentiellement pas d’arrêt) en cas de syndrome
coronarien aigu ou de stents coronariens récents (BMS : < 4 semaines, DES : < 1-3 mois
selon le type de stent)

Substitution du clopidogrel/prasugrel/ticagrelor par un antiplaquettaire de courte durée en perfusion


(eptifibatide, tirofiban, cangrelor) en cas de risque hémorragique et de risque thrombotique très
élevés ; maintien de l’aspirine.

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Choix de la technique d'anesthésie

Les différentes cardiopathies que l'on rencontre en clinique peuvent être schématiquement réparties
entre deux catégories situées aux extrémités de l'éventail.

 Cas complexes à risque opératoire élevé (ASA IV):

o Patient âgé (≥ 75 ans);


o Patient hémodynamiquement instable, choc cardiogène, contrepulsion aortique;
o Ischémie sévère: angor instable, CIV post-infarctus, anévrysme important de la paroi
ventriculaire;
o Valvulopathie décompensée, polyvalvulopathie sévère;
o Défaillance ventriculaire gauche (FE < 0.35 sans β-blocage) ou dilatation du VG (Dtd
> 4.0 cm/m2, Dts > 2.5 cm/m2);
o Défaillance ventriculaire droite, hypertension artérielle pulmonaire (PAPmoy > 35
mmHg);
o Mise en place d'assistance circulatoire;
o Chirurgie étendue de l'aorte thoracique;
o CEC longue ou sous hypothermie profonde (< 25°C), arrêt circulatoire;
o Affection médicale grave (insuffisance rénale dialysée, BPCO sévère, etc).

71
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Cas simples (ASA II):

o Patient de moins de 65 ans en bon état général;


o Fraction d'éjection > 0.5 (ou > 0.4 en cas de β-bloquage), pas de remodelage
ventriculaire, PAP normale;
o Ischémie stable: angor I-II, nombre de pontages prévus < 4;
o Cardiopathie simple sans retentissement significatif sur la fonction ni la géométrie
ventriculaires (CIA, FOP);
o Durée de CEC < 100 minutes, clampage aortique < 90 minutes, température
maintenue ≥ 32° C en CEC;
o Intervention élective;
o Absence de comorbidité.

La majorité des patients se situe entre ces extrêmes. Quelques remarques s'imposent avant de décrire
les principales techniques d'anesthésie cardiaque.

 Un protocole unique pour tous les patients ne permet pas une gestion adéquate de la
multiplicité des situations que l'on rencontre.
 La connaissance des contraintes hémodynamiques et cardiologiques de chaque cas est la base
à partir de laquelle on peut choisir la tactique optimale.
 Dans les cas compensés, la marge de manœuvre est grande; presque n'importe quelle
technique d'anesthésie peut convenir, si elle est correctement utilisée.
 Dans les cas à haut risque, la marge de sécurité est très réduite; le moindre faux-pas peut
entrainer la catastrophe. La gestion peropératoire demande une technique très précise, un
savoir-faire étendu et beaucoup d'anticipation.
 N'importe quel cas simple peut se compliquer à la faveur d'un événement inattendu et devenir
aussi difficile à gérer qu'un cas lourd.
 Dans les services d'enseignement, de nombreux intervenants n'ont pas une expérience clinique
suffisante pour apprécier les risques; de ce fait, il est prudent d'y recommander les attitudes
qui offrent la plus grande marge de sécurité.
 Des protocoles institutionnels et des algorithmes de panne offrent des schémas simples pour
les situations de stress comme une sortie de pompe difficile, une défaillance ventriculaire, une
hémorragie incoercible ou une hypoxémie réfractaire. Ces checklists sont plus fiables que la
mémoire et empêchent d’oublier un diagnostic différentiel ou une manœuvre importante.

La manière de faire proposée ici est de choisir entre quatre solutions différentes en fonction de la
gravité du cas, et d'adapter la technique aux contraintes hémodynamiques prépondérantes du malade
(Tableau 4.8). Ces catégories ne sont pas cloisonnées, et de multiples combinaisons sont possibles.
C'est en dernier ressort le jugement clinique de l'anesthésiste qui oriente le choix entre ces différentes
catégories. Bien qu'il ne soit guère fiable, le BIS™ est le seul instrument d'usage courant dont on
dispose pour évaluer la profondeur de l'anesthésie.

Cas complexes (ASA IV)

La précarité de ces patients demande une stabilité hémodynamique peropératoire qui prime sur les
considérations postopératoires. L'anesthésie est basée sur de hautes doses d'opiacés (type stress-free).
L'extubation est tardive (> 12 heures), car ces patients bénéficient de la ventilation en pression positive
(défaillance ventriculaire gauche, stase pulmonaire).
 Sédation pour l'équipement: midazolam 0.03-0.05 mcg/kg.
 Induction à l'étomidate (0.2-0.3 mg/kg) et fentanyl 3-5 mcg/kg.
 Entretien avec fentanyl (dose totale 20-50 mcg/kg) ou sufentanil (0.2-1.0 mcg/kg/h).
 Sommeil assuré par isoflurane ou sevoflurane (environ 1 MAC), ou par du propofol (5
mg/kg/h, concentration visée: 1.5-3 ng/mL) ; alternative: midazolam 5-15 mg en CEC ou
perfusion 1.5-2.0 mcg/kg/h.

72
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Le monitorage est de type invasif: ETO, voie centrale multilumière et cathéter artériel pulmonaire,
SvO2 , saturation cérébrale en oxygène (ScO2), double cathéter artériel selon les cas (aorte thoracique,
transplantation, assistance ventriculaire, pathologies complexes). Chez les coronariens, la préférence
est donnée aux halogénés en continu pour pouvoir bénéficier du préconditionnement. La saturation
cérébrale en O2 informe en temps réel sur la perfusion tissulaire. La valeur normale de la ScO2 est de
60-75%. Une baisse de 20 points ou plus traduit une inadéquation du DO2 [3,8].

Tableau 4.8
Critères de choix pour la technique d'anesthésie

Cas complexes (ASA IV)

o Induction à l'etomidate
o Fentanyl (dose totale 20-50 mcg/kg) ou sufentanil (0.2-1.0 mcg/kg/h)
o Sommeil assuré par l'isoflurane ou le sevoflurane (environ 1 MAC), ou propofol (5-10 mg/kg/heure), ou
midazolam (1-2 mcg/kg/h)
o Monitorage invasif: double cathéter artériel, voie centrale et cathéter artériel pulmonaire, SvO 2, ScO2

Cas intermédiaires (ASA III)

o Induction à l'etomidate ou au propofol en dose réduite et administration lente (0.5-1.0 mcg/kg)


o Fentanyl 20-30 mcg/kg ou sufentanil 10-20 mcg/kg
o Sommeil assuré par isoflurane ou sevoflurane (environ 1 MAC) en cas de revascularisation coronarienne,
ou propofol (5-10 mg/kg/heure) si chirurgie non-coronarienne
o Cathéter artériel, voie veineuse centrale (2-3-lumières), introducteur de Swan-Ganz; ScO2 ; ScO2 si
sténose carotidienne, opération complexe ou chirurgie de l'aorte thoracique
o Le cathéter artériel pulmonaire est recommandé en cas de surcharge pulmonaire (insuffisance VG,
valvulopathie mitrale, hypervolémie), d'insuffisance du VD ou d'HTAP, et de situation hémodynamique
instable

Cas simples (ASA II ou III)

o Induction au propofol (1.0-2.0 mcg/kg)


o Fentanyl ≤ 25 mcg/kg, sufentanil ≤ 15 mcg/kg
o Sommeil: isoflurane ou sevoflurane (environ 1 MAC) en cas de revascularisation coronarienne, ou
propofol (5-10 mg/kg/heure) si chirurgie non-coronarienne
o Pas de midazolam
o Equipement standard (cathéter artériel, voie veineuse centrale)

Cas en circuit rapide (fast-track)

o Induction et maintien au propofol (5-10 mg/kg/heure)


o Induction au propofol et maintien avec un halogéné (≥ 1 MAC) en cas de revascularisation coronarienne
o Analgésie: fentanyl < 15 mcg/kg, sufentanil < 10 mcg/kg, rémifentanil en perfusion (0.2-0.5 mcg/kg/min)
o Alternative: rachi-analgésie (sufentanil-morphine) ou péridurale (bupivacaïne)
o Curare: rocuronium (0.6-1.0 mg/kg, entretien 0.1 mg/kg), cisatracurium (0.1-0.4 mg/kg, entret 0.03 mg/kg)
o Pas de midazolam ni de morphine
o Equipement standard (cathéter artériel, voie veineuse centrale)

Transfert aux soins intensifs: perfusion de propofol si utilisée en perop, dexmédétomidine si halogénés en perop
L'équipement standard comprend: ECG, capnographie, SpO2, cathéter artériel, voie veineuse centrale (2-lumières),
ETO, cathéter urinaire; BIS™ et SPI si disponibles. ScO2 : saturation cérébrale en O2 (NIRS), indiquée si disponible,
recommandée en cas de sténose carotidienne ou de chirurgie de l'aorte thoracique.

Cas intermédiaires (ASA III)

Les critères de stabilité peropératoire (hémodynamique et ischémique) peuvent composer avec les
conditions postopératoires. L'extubation a lieu dans les 4 - 8 heures postopératoires.

73
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Sédation pour l'équipement: midazolam 0.03-0.05 mcg/kg.
 Induction à l'étomidate (induction rapide : 0.2-0.3 mg/kg), ou au propofol (induction lente :
0.5-1.0 mg/kg à raison de 30-40 mg/10 secondes); fentanyl 3-5 mcg/kg.
 Entretien avec fentanyl (dose totale 20-30 mcg/kg) ou sufentanil (0.5-1.5 mcg/kg/h).
 Alternative : fentanyl 1’000-1'500 mcg jusqu’à l’ouverture sternale, puis perfusion de
rémifentanil (0.2-1.0 mcg/kg/min).
 Sommeil assuré par du propofol (5-10 mg/kg/h, concentration visée: 1.5-4 ng/mL), ou du
sevoflurane/isoflurane chez les coronariens (environ 1 MAC).

Chez les coronariens, la préférence est donnée aux halogénés plutôt qu'au propofol pour pouvoir
bénéficier du préconditionnement et de leur effet protecteur contre les dégâts cellulaires de
l’ischémie/reperfusion myocardique [5]. Le monitorage est adapté aux contraintes du cas; le cathéter
artériel pulmonaire est recommandé en cas de surcharge pulmonaire (insuffisance VG, valvulopathie
mitrale, hypervolémie), d'insuffisance du VD ou d'HTAP, et de situation hémodynamique instable
(exemple: cœur battant); le PiCCO peut être une alternative pour la mesure du volume systolique et de
la précharge (volume sanguin intrathoracique, Vtd global, eau pulmonaire extravasculaire). Le
monitorage de la ScO2 de chaque hémisphère est recommandé en cas de sténose carotidienne ou de
chirurgie de l'aorte thoracique, mais il est toujours pertinent pour évaluer la perfusion tissulaire.

Cas simples (ASA II ou III)

L'absence de pathologie médicale sérieuse et le bon pronostic postopératoire permettent de se


contenter de doses modestes d'opiacés, en assurant l'anesthésie par un gaz ou du propofol. L'extubation
est rapide (< 4 heures postopératoires) [5].

 Induction au propofol (1.0-2.0 mg/kg lent) ; en AIVOC, la valeur-cible est 2-4 ng/mL à
l’induction et 1.5-3 ng/mL pour l’entretien.
 Fentanyl ≤ 20 mcg/kg, sufentanil ≤ 15 mcg/kg (perfusion 0.5-1.0 mcg/kg/h).
 Alternative : fentanyl 500-1'000 mcg jusqu’à l’ouverture sternale, puis perfusion de
rémifentanil (0.2-1.0 mcg/kg/min).
 Sommeil: isoflurane ou sevoflurane (environ 1 MAC) en cas de revascularisation
coronarienne, ou propofol (5-10 mg/kg/heure, valeur-cible 1.5-4 ng/mL) si chirurgie non-
coronarienne.
 Pas de midazolam.

L'équipement est peu invasif: cathéter artériel et voie veineuse centrale (2-lumières), ETO.

Cas en circuit rapide (fast-track)

Lorsque les conditions requises sont remplies (voir Tableau 4.19), la technique d'anesthésie est
adaptée à un réveil rapide et à une extubation dans la première heure postopératoire (pour autant que
les critères d’extubation soient remplis).

 Induction au propofol (1.0-2.0 mg/kg lent) ; en AIVOC, la valeur-cible est 2-4 ng/mL ;
maintien au propofol (5-10 mg/kg/heure ; valeur-cible : 1.5-4 ng/mL).
 Induction au propofol et maintien au sevoflurane ou à l’isoflurane (≥ 1 MAC) en cas de
revascularisation coronarienne.
 Analgésie (doses cumulatives): fentanyl < 15 mcg/kg, sufentanil < 10 mcg/kg ou rémifentanil
en perfusion (0.2 – 1.0 mcg/kg/min).
 Alternative: rachi-analgésie (sufentanil-morphine) ou péridurale (bupivacaïne-fentanyl) (voir
Anesthésie loco-régionale).

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Curare (administré à la demande): rocuronium (0.6-1.0 mg/kg, entretien 0.1 mg/kg/dose),
cisatracurium (0.1-0.4 mg/kg, entretien 0.03 mg/kg/dose).
 Pas de midazolam ni de morphine.

L'équipement est peu invasif: cathéter artériel et voie veineuse centrale (2-lumières), ETO. La CEC est
normotherme (≥ 34°C) et dure < 100 minutes; le réchauffement est complet au sortir de salle
d'opération (≥ 36.5°C). Le circuit rapide présuppose une infrastructure hospitalière adaptée: passage
rapide en unité de surveillance intensive postopératoire, transfert accéléré en chambre, séjour
hospitalier inférieur à 1 semaine [4].

Revascularisation coronarienne

Que ce soit en CEC ou à cœur battant, les bénéfices avérés du préconditionnement et du


postconditionnement par les halogénés incitent à recommander l'isoflurane ou le sevoflurane comme
agent d'anesthésie chez tous les coronariens [1,5, 6,7,9,10,11]. Comme il augmente les résistances
vasculaires pulmonaires, le desflurane n’est pas l’agent idéal pour l'anesthésie cardiaque. L'halogéné
est administré en continu à environ 1 MAC pendant toute l'intervention, y compris pendant la CEC
[2]. Autant que possible, cette concentration est maintenue constante, éventuellement augmentée
pendant les phases très stimulantes (incision, sternotomie, ouverture de l'écarteur sternal,
refroidissement, relâchement de l'écarteur, mise en place des fils métalliques). Dès le transfert, la
sédation postopératoire s'effectue avec de la dexmédétomidine ou du propofol, les ventilateurs de
soins intensifs disposant rarement de vaporisateurs pour halogénés.

Chez les coronariens, deux tendances actuelles restreignent l'accès de l'artère radiale pour le
monitorage: celle des cardiologues de canuler la radiale pour la coronarographie et l'angioplastie, et
celle des chirurgiens de prélever un greffon artériel au membre supérieur pour un pontage aorto-
coronarien. Il est donc plus judicieux pour l'anesthésiste de placer le cathéter artériel en voie fémorale.

Choix de la technique d’anesthésie

La nécessité d’assurer le sommeil, l’analgésie et l’immobilité quelles que soient les conditions
hémodynamiques oblige à utiliser un agent d’anesthésie en continu, un opiacé en fonction des
stimulations douloureuses, et un curare. L’éventail des substances à disposition et le choix du
monitorage permettent d’adapter la technique d’anesthésie à l’individualité hémodynamique de
chaque patient.

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Induction

Les checklists font partie des éléments introduits ces dernières années pour améliorer la sécurité dans
les blocs opératoires. La plus utilisée est celle de l’OMS, qui porte sur 19 données concernant
l’identité du patient, ses particularités médicales, le site opératoire, le matériel et les problèmes
anticipés (voir Figure 2.6) [13]. On y procède à trois temps différents de l’intervention :

 Sign in : avant l’induction ;


 Timeout : avant l’incision ;
 Sign out : en fin d’intervention, avant le transfert du patient.

L’utilisation systématique de ce contrôle en chirurgie a réduit la mortalité de moitié et le taux de


complications graves de 11% à 7%, soit une diminution de 36% [6].

La checklist d'anesthésie concerne également l'appareillage et la présence des agents choisis pour le
cas (Tableau 2.1). Les substances habituellement utilisées pour la gestion de l'hémodynamique doivent
être à disposition, si possible déjà diluées dans des seringues ou sur des pompes de perfusion (voir
Annexe A).

 En seringue pour administration en bolus: éphédrine, phényléphrine, phentolamine ou


nitroglycérine, lidocaïne, atropine, éventuellement adrénaline;
 En perfusion: dopamine ou dobutamine, nor-adrénaline, éventuellement adrénaline;
 Antiarythmiques: magnésium, lidocaïne, amiodarone;
 Cas à haut risque (défaillance VG et/ou VD, HTAP): adrénaline, milrinone (perfusions).

A l'arrivée en salle d'opération, la volémie des patients souffrant de cardiopathie est souvent anormale.

 Hypovolémie: jeûne, diurétique, hypertension artérielle, vasodilatateurs;


 Hypervolémie: insuffisance ventriculaire congestive, insuffisance rénale, shunts, sténose
mitrale.

On ne saurait trop insister sur la sensibilité au stress des patients cardiaques. Il est particulièrement
important de leur offrir une induction dans une atmosphère calme et sécurisante. Une petite dose de
midazolam (1-3 mg) peut être nécessaire pour compléter la prémédication et apporter le confort au
patient pendant la pose des cathéters. La prophylaxie antibiotique est essentielle en chirurgie
cardiaque. Elle consiste en général en une céphalosporine (Zinacef® 1.5-3.0 g, Mandokef 1 g);
alternative: clindamycine (Dalacin® 600 mg), amoxicilline (Augmentin 2.2 g). Elle doit être
administrée au moins 45 minutes avant l'incision. C'est donc le premier geste à réaliser dès que la voie
veineuse (calibre 17G) est en place. Cette dose devra être répétée 4-5 heures plus tard, éventuellement
en salle d'opération si l'intervention se prolonge.

Le cathéter artériel est mis en place avant l'induction sous anesthésie locale et conditions de stérilité
chirurgicale; le site de ponction est choisi en fonction des caractéristiques de l'opération (prélèvement
artériel, canulation de CEC, clampage aortique) et du patient (accessibilité, qualité du vaisseau); il

76
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
peut être double (voir Chapitre 6 Monitorage de la pression artérielle). Les intérêts respectifs des voies
radiale et fémorale sont les suivants.

Tableau 2.1
Liste de vérification avant l'induction de l'anesthésie

Patient
 Nom
 Date de naissance
 Allergies
 Consentement éclairé
 Traitements préopératoires
Procédure
 Opération
 Technique d'anesthésie choisie
 Si ALR: contre-indications respectées
Médicaments, équipement
 Fonctionnement du respirateur contrôlé, gaz frais ok
 Aspiration fonctionnelle
 Monitorage: matériel selon techniques choisies, affichage adéquat
 Perfusions, pompes pour médicaments
 Poches de sang préparées, éventuellement facteurs de coagulation
 Présence des médicaments nécessaires (anesthésie, hémodynamique)
 Eventualité d'une intubation difficile: technique prévue, matériel à
disposition
 Matériel et médicaments de réanimation, défibrillateur et palettes
 Pace-maker externe fonctionnel
 Circuit de CEC prêt, perfusioniste disponible
 Antibiotique perfusé
Organisation
 Personne responsable du cas
 Personne appelable (no téléphone)
 Gestion des éventuels remplacements
 Chirurgien disponible

D'après: 1) Tscholl DW, Weiss M, Kolbe M, et al. An anesthesia preinduction checklist to improve information exchange, knowledge of critical information,
perception of safety, and possibly perception of teamwork in anesthesia teams. Anesth Analg 2015; 121:948-56
2) Alston RP. Anesthesia for adult cardiac surgery. In: Alston RP, Myles P, Ranucci M, eds. Oxford Textbook of Cardiothoracic anesthesia. Oxford: Oxford
University Press, 2015, 203-20

 Cathéter radial : accès aisé sauf en état de choc, bonne tolérance dans le postopératoire,
maintien facile de la stérilité pendant plusieurs jours. Etant une artère musculaire périphérique,
la radiale est sujette à une vasoconstriction intense en cas de CEC hypothermique ou de
perfusion de vasoconstricteur ; la courbe est alors amortie et la PA affichée est abaissée de 30-
50% par rapport à la pression dans l’aorte (voir Figure 4.22E).
 Cathéter fémoral : l’artère fémorale est palpable et canulable même en cas de choc cardiogène
ou hypovolémique ; en peropératoire, elle reproduit fidèlement la pression aortique parce que
l’axe ilio-fémoral possède une paroi élastique et non musculaire. Bien que les conditions de
stérilité soient difficiles à assurer pendant plusieurs jours, la voie fémorale reproduit
fidèlement la pression de perfusion cérébrale et coronarienne (PA aortique).

Avant la canulation artérielle, il est judicieux de se renseigner sur l'utilisation préalable d'une radiale
pour la coronarographie, sur d'éventuels prélèvements artériels pour les pontages aorto-coronariens
(laisser libre le bras choisi à cet effet) et le côté des prélèvements veineux saphènes ou d'une
canulation fémorale de CEC/assistance (ponctionner l'autre fémorale). Dès que la canule est en place,
il est utile de prélever un échantillon de sang pour obtenir les valeurs de base du malade (gazométrie à
l'air ambiant, glycémie, etc). La voie veineuse centrale et/ou le cathéter artériel pulmonaire (PAC) sont

77
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
en général posés une fois le malade endormi (voir Chapitre 6 Voie veineuse centrale). La sonde
d'échocardiographie transoesophagienne (ETO) est introduite dès le passage du tube endotrachéal, de
manière à contrôler le positionnement des guides de voie centrale.

Séquence d'induction

Devant assurer le sommeil, l'analgésie et l'immobilité, l'induction de l'anesthésie nécessite un


hypnogène, un opiacé et un curare (voir Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie).

 L'induction de l'anesthésie est assurée par un agent hypnogène (etomidate, propofol). La durée
du sommeil profond (stade ≥ III) ne dépasse pas 2-3 minutes avec une dose unique de ces
substances. Comme cette durée est plus courte que celle requise pour la relaxation complète
avec les curares habituels (3-5 minutes), il est nécessaire de répéter la dose pour assurer le
sommeil pendant l'intubation.
 L'effet dépresseur cardiocirculatoire des agents d'induction est par ordre croissant: etomidate <
midazolam < propofol < thiopental. Malgré son inhibition momentanée de la synthèse
corticostéroïdienne, l'étomidate est l'agent de premier choix en cas de cardiopathie majeure,
car il est dépourvu d'effet hémodynamique. Dosages recommandés: étomidate 0.2-0.3 mg/kg,
propofol 0.5-1.5 mg/kg lent, midazolam 0.2 mg/kg.
 La durée de la ventilation au masque avec un halogéné entre l'induction et l'intubation permet
d'assurer une profondeur d'anesthésie suffisante pour le passage du tube endotrachéal avec le
desflurane, mais elle est limite pour le sevoflurane et insuffisante pour l'isoflurane.
 Administré au cours de l'induction, l'opiacé choisi potentialise l'effet de l'hypno-inducteur et
atténue les réflexes autonomes déclenchés par la laryngoscopie et par l'intubation. Bien
qu'elles provoquent une profonde obnubilation, les hautes doses d'un fentanil n'assurent pas le
sommeil.
 Tous les fentanils induisent une stimulation extrapyramidale et une rigidité musculaire
importante prédominant au tronc. Cet effet est très variable selon les malades; il est fonction
de la dose et de la vitesse d'administration; il peut être atténué par une précurarisation et par la
scopolamine en prémédication.
 Lorsqu'elle compromet l'assistance ventilatoire au masque, cette rigidité contraint à une
curarisation rapide: suxaméthonium 1.5 mg/kg, mivacurium 0.2 mg/kg, cisatracurium 0.2
mg/kg, rocuronium 1.2 mg/kg ou vécuronium 0.2 mg/kg (doubles doses). Il est important de
s'assurer que le malade dorme dès qu'il est curarisé.
 Administrer une haute dose d'opiacé au cours de l'induction n'est pas rationnel du point de vue
pharmacocinétique ni efficace du point de vue clinique [3]. Il est bien plus logique de
n'injecter qu'une dose réduite (2-5 mcg/kg de fentanyl, 1-2 mcg/kg de sufentanil, 0.2-0.5
mcg/kg de remifentanil) et de faire correspondre les supplémentations itératives aux moments
des nociceptions maximales (fentanyl, sufentanil) ou d'utiliser une perfusion continue
(rémifentanil, sufentanil). On évite ainsi les périodes d’hypotension où les taux sériques sont
excessifs par rapport à la stimulation chirurgicale [11].
 Dans les cardiopathies stables (pontages aorto-coronariens avec fonction ventriculaire
conservée, RVA simple, etc), il est possible d'extuber précocement le patient (< 2-4 heures
postop). Pour ce faire, la technique d'anesthésie doit être adaptée dès l'induction: restriction
des doses d'opiacés, curare à durée d'action < 60 minutes, pas de midazolam hormis une
sédation pendant les canulations (voir Choix de la technique d'anesthésie).

Il arrive que des patients ischémiques soient excessivement tachycardes avant l'induction, malgré leur
thérapeutique habituelle ou par sous-dosage des β-bloqueurs et des anticalciques. Le plus prudent est
de sédater lentement ces malades avec 1-3 mg de midazolam, puis d'observer le degré de réduction de
la fréquence obtenu. Le plus souvent, l'adjonction de 2-5 mcg/kg de Fentanyl suffit pour obtenir la
normocardie. On peut alors les intuber sous protection d'une anesthésie topique de la trachée. Il est
exclu de les intuber si la fréquence cardiaque reste > 90 batt/min. La tachycardie (> 95 batt/min) est
directement liée à l'incidence de souffrance myocardique. Dans une population chirurgicale non-

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
sélectionnée, elle est associée à une augmentation de l'infarctus postopératoire (OR 1.71) et de la
mortalité (OR 3.16) [1]. Dans l'insuffisance cardiaque, elle péjore le pronostic vital [4]. Chez le
coronarien, elle augmente la consommation d'oxygène myocardique (mVO2) et diminue son apport
(DO2) par raccourcissement de la diastole. On dispose de quatre moyens pour ralentir le rythme
cardiaque.

 Anxiolyse (midazolam) et sommeil (propofol en perfusion lente; fentanyl, sufentanil ou


rémifentanil); peu d'effet hémodynamique.
 Béta-bloqueur: doses répétées d'esmolol (10 mg) jusqu'à une fréquence de 60-65 batt/min;
effet inotrope négatif.
 Bloqueur calcique: verapamil, diltiazem; lent, effet inotrope négatif prononcé et prolongé.
 Ivabradine (Procoralan ® 2.5-5 mg per os): frein à la dépolarisation spontanée du nœud du
sinus, sans effet sur la contractilité ni l'hémodynamique [10]. Le pic d'activité est obtenu 1
heure après l'absorption, la demi-vie d'élimination est de 2 heures.

Une pression de perfusion coronarienne adéquate est cruciale pour le maintien de l'apport d'oxygène.
Physiologiquement, la perfusion coronarienne du ventricule gauche est assurée par la différence entre
la pression diastolique aortique, le mieux représentée en clinique par la PAM mesurée par un cathéter
artériel, et la Ptd du VG, définie par la PAPO (PPC = PAM – PAPO). Pendant une anesthésie aux
halogénés, une PAM inférieure à 65 mmHg ou une pression de perfusion coronarienne de moins de 50
mmHg sont associées à une ischémie peropératoire [8]. Il est donc logique de considérer que la PAM
ne doit pas descendre au-dessous de 75 mmHg, pour conserver une marge de sécurité. Les patients
souffrant de sténoses coronariennes risquent une ischémie myocardique dès que leur PAM est
inférieure à leur fréquence cardiaque, c'est-à-dire lorsque le rapport PAM / FC est < 1. La
laryngoscopie représente une stimulation vagale importante et l'arrivée du tube dans la trachée
déclenche une stimulation sympathique violente. Les deux réactions peuvent être amorties par une
anesthésie topique préalable avec de la lidocaïne 2-4%; cette manœuvre évite de trop approfondir
l'anesthésie et limite les risques de bradycardie grave pendant la laryngoscopie ou de poussée
hypertensive et tachycarde après l'intubation trachéale. Il faut attendre 2-4 minutes après le spray pour
que l'effet soit maximal. Par rapport à l'administration intraveineuse, le taux sérique de lidocaïne est
plus faible et plus tardif (7 minutes), alors que l'efficacité est identique [12].

Dans les cas où l’induction et la ventilation en pression positive représentent un risque excessif
(embolie pulmonaire aiguë, par exemple), il est possible de procéder aux canulations de CEC par voie
fémorale sous anesthésie locale et de n’endormir le malade que lorsque la CEC est prète à démarrer. Il
faut toutefois équiper le patient (voies veineuses, cathéter artériel et introducteur de cathéter
pulmonaire, sonde urinaire) avant de commencer l’intervention.

Intubation difficile

En anesthésie cardiaque, les modes d'induction sont adaptés aux conditions hémodynamiques. Il arrive
cependant de se trouver dans la situation d'une intubation difficile, pour laquelle la combinaison d'un
fentanil et d'un pachycurare est particulièrement inadaptée. La prudence commande de prévoir une
technique d'induction permettant un maintien - ou un retour rapide - en ventilation spontanée en cas de
difficulté. De très nombreuses directives proposent des algorithmes d'intubation difficile. Les
recommandations anglaises, par exemple, suggèrent quatre phases stratégiques, comme l'algorithme en
vigueur dans les institutions de Suisse Romande (algorithme FLAVA, Figure 4.16) [5].

 Plan A: préoxygénation, induction, curarisation, laryngoscopie directe (3 essais maximum);


pression cricoïdienne directionnelle (manœuvre de Sellick) pour améliorer la visibilité des
cordes vocales; essais avec lames, manches et mandrins adaptés (Cook™, S-Guide™, etc).
 Plan B: en cas d'échec du plan A, passage au vidéolaryngoscope et/ou au masque
laryngé/Fastrach™; intubation à travers le dispositif avec ou sans vidéo par fibre optique.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Plan C: en cas d'échec du plan B, ventilation forcée au masque facial, dispositifs
extraglottiques; réveil et décurarisation en cas d'opération élective.
 Plan D: en cas d'échec du plan C et opération vitale ou ventilation impossible, oxygénation
transtrachéale sous pression par cathéter, puis cricothyroïdotomie et passage d'une canule
ventilatoire.

Figure 4.16 : Exemple d’un algorithme d’intubation difficile (FLAVA: Fondation Latine des Voies Aériennes,
2014).

En s'inspirant des algorithmes en vigueur, on peut proposer la séquence suivante pour la chirurgie
cardiaque élective.

 Gargarisme et anesthésie pharyngo-laryngée par lidocaïne topique 2-4%;


 Infiltration bilatérale du nerf laryngé supérieur (1 cm en dessous de la grande corne de l'os
hyoïde) avec 5 mL lidocaïne 1-2%;
 Eventuellement anesthésie transtrachéale par la membrane cricothyroïdienne (4-5 mL
lidocaïne 4%);
 Installation optimale de la tête et du cou du patient;
 Pas de fentanyl ni de sufentanil (risque d'hypoventilation et de rigidité thoracique);
 Sédation au midazolam (1-3 mg iv) ou perfusion de propofol à vitesse lente si la
prémédication est insuffisante;
 Préoxygénation généreuse.

Trois alternatives le plus souvent recommandées dans les situations électives:

 Intubation vigile au fibroscope sous anesthésie locale (spray laryngé).

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Induction + ventilation spontanée au masque O2 / sevoflurane (6 - 8% pendant 5 – 8 minutes);
intubation sous contrôle de la vue ou au fibroscope en respiration spontanée.
 Induction au propofol (1-2 mg/kg) + suxaméthonium (1 mg/kg) ou rocuronium (1.2 mg/kg);
intubation sur long mandrin malléable (Cook™, S-Guide™, etc) ou par vidéolaryngoscopie
(Airtraq™, Glidoscope™, etc). Le rocuronium peut être antagonisé par le sugammadex
(Bridion®) en cas d'échec.

Pendant les manœuvres d'intubation, une personne doit surveiller en permanence le comportement
hémodynamique, l'ECG et la SpO2 du patient. Il arrive que l'examen préopératoire cause quelque
inquiétude à l'anesthésiste au sujet de l'intubation, sans pour autant que celle-ci soit qualifiable de
difficile. Il ne faut à aucun prix se laisser piéger dans la situation du malade endormi et curarisé, dont
la glotte est invisible et la ventilation au masque inefficace. La prudence s'impose. Dans le doute, une
induction au moyen de propofol ou une ventilation spontanée au sevoflurane après une anesthésie
topique, permettent de contrôler l'adéquation de la ventilation au masque, de faire une laryngoscopie
de visualisation et de prendre une décision tactique: intubation sous pachycurare ou sans curare,
mandrins spéciaux ou vidéolaryngoscopie, fibroscopie en spontanée, éventuellement appel à un
spécialiste ORL, ou réveil.

Curarisation

En anesthésie cardiaque, la relaxation pariétale n'est pas nécessaire pour la sternotomie, car la
résistance à l'ouverture du sternum n'est pas musculaire; elle a lieu au niveau des articulations
chondro-costales. Par contre, la curarisation est requise pour d'autres raisons.

 Intubation;
 Paralysie diaphragmatique lors des cardiotomies gauches; un inspirium par le diaphragme
entraînerait une aspiration d'air dans les cavités gauches, avec risque d'embolie systémique au
rétablissement de la circulation;
 Raisons chirurgicales: microchirurgie, chirurgie à cœur battant, thoracotomie, etc;
 Suppression des frissons (hypothermie, réchauffement) qui augmentent la VO2 jusqu'à 400%;
en CEC, une curarisation profonde permet de diminuer la VO2 de 30% [7]; par analogie, la
curarisation est efficace en cas de désaturation veineuse (↓ SvO2) sur bas débit cardiaque.

En anesthésie cardiaque, ni l'hémodynamique (déterminée par la CEC), ni l'état des pupilles (en miosis
sur les hautes doses d'opiacé), ni la transpiration (due au réchauffement de la CEC) ne sont des signes
permettant de juger d'un éventuel réveil. De plus, de nombreux cas d'éveil sous anesthésie surviennent
sans modifications de la pression artérielle. Le seul critère fiable est la possibilité de manifester
l'inadéquation de l'anesthésie par des mouvements spontanés. Avec un curare, plus rien ne prouve que
le malade dorme de manière adéquate. Comme les systèmes de surveillance neurologique (EEG
automatisé continu, BIS™, SPI, etc) ne sont malheureusement pas des repères satisfaisants (voir
Chapitre 6, Monitorage cérébral) [2], il est donc logique de sous-curariser les patients, ou de ne les
curariser qu'en fonction des besoins, et non des les maintenir dans un état de paralysie totale
permanente. On peut ainsi conserver une forme de monitorage de la profondeur de l'anesthésie par la
survenue de mouvements spontanés. Cette difficulté à évaluer le sommeil est un argument pour le
garantir par l'administration continue d'un hypnogène: halogéné à 1 MAC, perfusion de propofol,
doses répétées ou perfusion de midazolam.

Modifications hémodynamiques

D'une manière générale, tous les agents d'anesthésie baissent le tonus sympathique neuro-humoral, les
baroréflexes, la précharge et les résistances artérielles, mais ils ont en général peu d'effet inotrope
négatif direct. A cela s'ajoute la curarisation et la ventilation en pression positive. Il est donc normal

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
que la pression artérielle et le débit cardiaque baissent à l'induction. Tout l'art de l'anesthésie est de
limiter cette chute. La clef pour assurer une induction stable est triple:

 Lenteur d'administration des médicaments d'induction;


 Réduction des doses d'hypno-inducteur;
 Correction immédiate des variations hémodynamiques.

La pression artérielle systémique (PA), la fréquence cardiaque (FC) et le volume systolique (VS)
peuvent être considérablement modifiés. Ces écarts ont un impact variable selon la cardiopathie.

 Hypotension artérielle: particulièrement dangereuse en cas d'ischémie coronarienne et de


sténose valvulaire; la PAM doit être maintenue > 75 mmHg dans ces deux situations, mais
doit rester > 60 mmHg dans tous les autres cas.
 Hypertension artérielle: dangereuse en cas d'insuffisance mitrale ou aortique et d'anévrysme
ou de dissection aortique; dans ces pathologies, maintenir la PAM à environ 60-70 mmHg.
 Tachycardie: dangereuse en cas d'ischémie coronarienne et de sténose valvulaire; maintenir la
fréquence à 60-65 batt/min dans ces cardiopathies.
 Bradycardie: dangereuse en cas d'insuffisance aortique et de dilatation ventriculaire
(dysfonction VG, insuffisance mitrale).
 Baisse du débit cardiaque: dangereuse si la SvO2 baisse < 65%. Entre l'induction et l'incision,
l'anesthésie est très profonde par rapport à l'absence de stimulation douloureuse. L'index
cardiaque peut s'abaisser de manière impressionnante (1.5 -1.8 L/min/m2) sans que cela ne
représente de risque, parce que les besoins de l'organisme sont particulièrement bas à ce
moment. Tant que la SvO2 reste normale, le rapport DO2/VO2 reste équilibré.
 Chez les coronariens, le rapport PAM / FC (rapport de Buffington) doit rester > 1.

L’hémodynamique est un système multifactoriel complexe qui présente une certaine inertie ; il est
donc important d’anticiper les écarts et d’opérer de petites corrections très rapidement, dès l’apparition
de faibles changements dans la variable observée. Il suffit d'une faible dose d'hyper- ou d'hypo-tenseur
pour contrecarrer une modification de PA si la correction est faite dès que la variation s'installe, sans
attendre le nadir ou le pic de pression. L'administration de vasopresseur ou de vasodilatateur doit
répondre à la vitesse de la variation hémodynamique et non à sa valeur absolue (voir Figure 4.6).

 En cas d'hypotension sévère, le débit circulatoire est tellement ralenti que le médicament
injecté agit très lentement, ce qui incite à répéter les doses; lorsque l'effet recherché s'installe,
on court le risque d'un bascule vers une poussée hypertensive.
 La sous-correction par rapport au besoin théorique permet d'éviter l'effet rebond qui crée une
sorte de roulis rythmique, chaque dose de médicament administrée renvoyant le paramètre à
l'extrême opposé. Ceci n'est possible que si la correction a lieu dès que la déviation
commence.

Après l'induction et la connexion au respirateur, une hypotension artérielle est le phénomène le plus
courant. Le traitement immédiat porte sur plusieurs points.

 Elévation des jambes à la verticale. C'est la méthode la plus simple, la plus rapide et la plus
réversible d'augmenter la précharge (autotransfusion de 300-500 mL) et la postcharge
(colonne de sang artériel représentant 60-80 mmHg) chez un malade curarisé. En effet, si le
thorax reste horizontal lorsque le retour veineux augmente par l'élévation des membres
inférieurs, le volume de l'OD s'élève mais la pression intrathoracique (Pit) n'est pas modifiée.
La pression transmurale de l'OD (Ptm = POD - Pit) s'accroit et la précharge du cœur droit
augmente, donc le DC s'élève [9].
 En position de Trendelenburg, au contraire, le poids des viscères abdominaux augmente la Pit
du même ordre de grandeur que l'augmentation de la POD due au retour veineux, parce que le
diaphragme est relâché par la curarisation. De ce fait, la Ptm de l'OD ne change pas, et la
précharge effective du cœur n'est pas modifiée; le DC est inchangé [9]. La position de

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Trendelenburg augmente la pression veineuse cérébrale; en cas d'hypotension artérielle sévère,
la pression de perfusion cérébrale (PPc = PAM – Pjugulaire) peut devenir insuffisante. Enfin,
s'il est fixé à la tête du patient, le capteur de pression se retrouve en dessous du niveau du
cœur lors du Trendelenburg; il affiche alors une élévation de la pression qui est purement
artificielle.
 Ephédrine: bolus de 5.0 mg; à faible dose (< 5.0 mg), l'effet vasoconstricteur prédomine sur
les veines centrales, ce qui augmente la précharge; à dose plus élevée (5-10 mg), les effets
vasoconstricteur artériel et chronotrope positif sont dominants. L'éphédrine est indiquée
lorsque l'hypotension est liée à une hypovolémie relative ou associée à une bradycardie.
 Phényléphrine: (bolus de 50-100 mcg); ce vasconstricteur artériel pur induit une bradycardie
réflexe; il est indiqué en cas d'hypotension associée à une tachycardie, en cas d'ischémie
myocardique ou de sténose valvulaire, et en cas d'arythmie (fibrillation auriculaire). Une
absence de réponse hypertensive à la phényléphrine doit faire suspecter la présence d'une IA,
d'une IM ou d'une dysfonction du VG.
 Administration de volume (250-500 mL cristalloïde ou colloïde); c'est un pis-aller, car
l'augmentation du volume circulant avec un substitut plasmatique n'est pas souhaitable avant
l'hypervolémie dilutionnelle causée par la CEC.

Une élévation de la PA à l'intubation est banale si elle n'est que passagère. Si elle se prolonge ou se
transforme en poussée hypertensive, un traitement adapté au contexte s'impose.

 Approfondissement de l'anesthésie: isoflurane 5% (vasodilatation artérielle).


 Phentolamine (Régitine®): bolus 1 mg (vasodilatation artérielle); risque de tachycardie.
 Nitroglycérine (Perlinganit®): bolus 50-100 mcg (veinodilatation centrale, baisse de la
précharge).
 Esmolol (Brevibloc®): bolus 10 mg, si la FC est > 70 batt/min et la FE > 0.5.
 Nitroglycérine et esmolol sont recommandés chez les patients souffrant d'ischémie
coronarienne pour qui la tachycardie est dangereuse.
 Nitroprussiate de Na (Nipruss®): 0.5 – 3 mcg/kg/min en perfusion (vasodilatation artérielle) si
l'HTA reste incontrôlable.
 Anesthésie topique des cordes vocales, du larynx et de la trachée 2 minutes avant l'intubation
si l'HTA se déclenche à l'induction; spray laryngé de lidocaïne 2-4% intratrachéal.

Tous les médicaments utilisés pour gérer la pression, le débit et le rythme cardiaque sont des agents de
courte durée d'action, car leur activité ne doit pas déborder sur la CEC ni, a fortiori, sur la période qui
suit la mise en charge.

La combinaison d'un hypno-inducteur non tachycardisant (etomidate, propofol) et d'un fentanil


bradycardisant (remifentanil > alfentanil > sufentanil > fentanyl) augmente le risque de bradycardie,
particulièrement en présence de β-blocage et en l'absence d'atropine/scopolamine à la prémédication.
On peut stabiliser la FC avec de l'éphédrine (bolus 10 mg) ou du pancuronium pour la curarisation (0.1
mg/kg). Mais dans les conditions ci-dessus, la laryngoscopie peut déclencher un ralentissement
extrême ou une pause sinusale de durée variable (mais toujours trop longue !). On peut y remédier de
plusieurs façons.

 Interruption immédiate de la manœuvre de laryngoscopie.


 Coup de poing sur le thorax pour déclencher une extrasystole, à répéter si nécessaire.
 Anesthésie topique de la base de la langue et des cordes vocales avec un spray laryngé de
lidocaïne 2-4%, puis nouvel essai après au moins 2 minutes.
 Atropine (0.5 mg); le degré de cardio-accélération est imprévisible; l'atropine est contre-
indiquée en cas de FA car elle peut déclencher une tachyarythmie incontrôlable.
 Isuprel (bolus 10 mcg); en cas de bradycardie réfractaire ou de bloc AV.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
La stimulation mécanique de la base de la langue (laryngoscopie) et de la face supérieure des cordes
vocales provoque un réflexe vagal, alors que la stimulation de la face inférieure des cordes vocales, du
larynx et de la trachée (intubation) induit une stimulation sympathique.

Pose de la voie centrale

Il est exceptionnel que la voie veineuse centrale ou le cathéter pulmonaire doivent être installés sous
anesthésie locale avant l’induction. Après l’intubation, il est judicieux d’introduire la sonde d’ETO de
manière à pouvoir contrôler en temps réel la position du mandrin dans l’OD. On procède ensuite à la
pose de la voie centrale (voir Chapitre 6, Techniques de ponction).

 Installation tête déclive, bras ipsilatéral le long du corps ;


 Désinfection de 2 sites de ponction (jugulaire et sous-clavière), conditions de stérilité
chirurgicale ;
 Cas simples : cathéter 2-3 lumières ;
 Introducteur et cathéter pulmonaire de Swan-Ganz selon indications (Tableau 4.1) ;
 Cas complexes : cathéter pulmonaire de Swan-Ganz + voie centrale ;
 Alternative : pose d’un cathéter 3-lumières et d’un introducteur en jugulaire interne droite (ou
autre veine centrale selon les possibilités).

En jugulaire interne, le voisinage de la carotide impose de s’assurer de la position exacte de la veine


avant de procéder à la pose du cathéter. Deux méthodes sont à disposition : le repérage préalable à
l’aiguille fine (21G) ou la ponction guidée par ultrasons (voir Chapitre 6, Guidage par ultrasons). Le
cathéter artériel pulmonaire est avancé en position bloquée dès qu'il est mis en place de manière à
disposer de données hémodynamiques de base, sauf en cas de sténose aortique serrée ou de risque
élevé d'arythmie grave (fibrillation ventriculaire, bloc complet), auquel cas il n'est descendu qu'après
l'ouverture du péricarde.
Simultanément à celle de la voie centrale, il est habituel de procéder à la pose de la sonde urinaire.
Celle-ci est suivie de la mise en place des sondes de température oesophagienne et rectale (si la sonde
urinaire ne comporte pas de mesure de température incorporée).

Installation

Une fois l'équipement terminé, l'installation du patient sur la table d'opération est soigneusement
vérifiée, car il restera invisible sous les champs pendant plusieurs heures. Tous les points d'appui sont
rembourrés, car l'hypothermie et les épisodes d'hypotension augmentent le risque d'escarre,
particulièrement au niveau des talons, du bassin et de l'occiput. Les raccords et les tubulures de
perfusion sont vérifiés, car ils seront inaccessibles une fois les bras le long du corps. Le zéro des
capteurs de pression est contrôlé. Les yeux sont enduits de pommade ophthalmique protectrice. Les
lésions nerveuses ne sont malheureusement pas rares et très gênantes pour le malade dans les mois qui
suivent l'intervention.

 Plexus axillaire: hyperextension d'un bras, rétraction sternale excessive; compression par des
bourrelets adipeux chez les obèses dont les bras sont serrés contre le thorax.
 Nerf cubital: compression entre l'olécrâne et le bord de la table d'opération.
 Nerf radial: compression contre le cadre lorsque le bras y est fixé.
 Nerf médian: compression par des tubulures ou robinets.
 Doigts et mains: compression, rotation ou hyperextension.

Il est prudent d’installer les obèses avec les bras écartés en croix pour éviter une compression du
plexus axillaire. Il en est de même pour les insuffisants rénaux porteurs de fistules artério-veineuses ;
celles-ci doivent rester libres et palpables pendant toute l’intervention.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Induction de l’anesthésie

Avant l’induction : contrôle de l’appareil d’anesthésie, du matériel et des médicaments à disposition ;


mise en place de la voie veineuse et du cathéter artériel, de préférence fémoral. Administration de
l'antibiotique. Veiller au confort du patient dans une atmosphère calme.
Un opiacé (3-5 mcg/kg de fentanyl, 1 mcg/kg de sufentanil, 0.2-0.5 mcg/kg de remifentanil) atténue
la réaction sympathique de l’intubation mais peut induire une rigidité thoracique obligeant à une
curarisation rapide.

L’effet cardiodépresseur des agents d’induction est par ordre croissant: etomidate < midazolam <
propofol < thiopental. Vu leur pharmacodynamique, la dose hypnogène doit être répétée avant
l’intubation (délai de 4-5 minutes), sauf si le sommeil est approfondi avec du sevoflurane entre
l’induction et le passage du tube (le délai est trop court pour l’isoflurane). En cas de bradycardie :
anesthésie topique de la base de la langue ; en cas de tachycardie/HTA : anesthésie topique du larynx
et de la trachée.

Chez le coronarien, maintenir la FC ≤ 60-65 batt/min avec de l’esmolol si les agents d’induction n’y
suffisent pas ; maintenir le rapport PAM / FC > 1.
Maintenir la PAM à 75 mmHg. Si hypotension : jambes verticales, éphédrine ou phényléphrine selon
la FC ; éviter de perfuser > 500 mL. Si hypertension : isoflurane 5%, nitroglycérine, phentolamine,
esmolol selon la FC. Ne pas intuber pendant une poussés sympathique.

Passage de la sonde d’ETO avant la pose de la voie centrale (contrôle de la position dans l’OD).
Contrôle soigneux de l’installation du patient (points d’appui, compressions nerveuses, etc).

Références

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Ventilation

Instauration de la ventilation contrôlée

En inspirium spontané, le débit de la veine cave inférieure (VCI) s’élève parce que la pression
abdominale (pression d’amont) augmente à cause de la descente du diaphragme, alors que la pression
transmurale de l’OD (pression d’aval) baisse à cause de la dépression intrathoracique. Le flux sanguin
augmente à travers le cœur droit et l’artère pulmonaire [17]. Le diaphragme est donc une pompe
essentielle pour assurer la précharge du cœur droit. Le flux de la VCI, qui représente plus des 2/3 du
retour à l'OD, dépend de la pression abdominale et du volume sanguin splanchnique. En normo- et en
hypervolémie, l’augmentation inspiratoire de la pression abdominale comprime la VCI et augmente la
pression d’amont pour le retour veineux, mais en hypovolémie, la VCI peut atteindre sa pression
critique de fermeture et collaber, freinant ainsi brusquement la précharge droite (voir Chapitre 5,
Interactions cardio-respiratoires) [18].

En ventilation contrôlée (IPPV : intermittent positive pressure ventilation) chez un patient endormi et
curarisé, la pression intrathoracique augmente à l’inspirium mais non la pression abdominale, car le
diaphragme et la musculature de la paroi de l’abdomen sont paralysés. La pression d’amont (Pabd) de
la VCI ne se modifie pas, alors que la pression d’aval (Pit) augmente : le retour vers l’OD est diminué.
La pompe diaphragmatique est perdue. Ce phénomène est d'autant plus marqué que la pression
veineuse est basse à cause d’une hypovolémie. Il est donc normal, après une induction très stable, de
voir la pression artérielle chuter au moment de la curarisation et de la ventilation en pression positive,
alors que le curare choisi n’a en lui-même aucun effet hémodynamique. Plusieurs phénomènes
interviennent.

 Baisse de la Pabd et perte de la pompe diaphragmatique.


 Augmentation de la Pit moyenne.
 Disparition de la contention des grandes veines des membres par la musculature squelettique
(pooling veineux périphérique).
 Redistribution des volumes sanguins centraux avec diminution du volume intrathoracique et
augmentation du volume extrathoracique (stockage de sang dans le lit splanchnique). Ce
phénomène correspond à une perte de précharge effective, alors que la PVC et la PAPO ont
tendance à s'élever à cause de l'augmentation de la pression intrathoracique moyenne (Figure
4.17) [21].

De plus, les agents d'anesthésie diminuent le tonus sympathique central et les réflexes issus des
barorécepteurs. L'affaiblissement de ces régulateurs du débit cardiaque rend ce dernier
particulièrement dépendant de la précharge. La baisse du volume intrathoracique fait que le ventricule
fonctionne sur la partie ascendante de la courbe de Frank-Starling: la performance systolique varie
directement en fonction du volume de remplissage. Ainsi, le fait d'utiliser des substances presque sans
effet inotrope négatif n'empêche pas d'assister à des chutes de pression artérielle importantes à
l'induction. Ceci est particulièrement marqué dans les situations où la dysfonction diastolique est
fréquente comme le grand âge (> 70 ans), l'hypertrophie ventriculaire concentrique (hypertension
artérielle, sténose aortique) ou l'ischémie myocardique, parce que la courbe de Starling est très
redressée et le volume systolique très dépendant de la précharge dans ce cas (voir Figure 4.23A).

Une autotransfusion par élévation des membres inférieurs est la parade la plus physiologique à
l'hypotension ventilatoire. Elle est accompagnée de petites doses d'éphédrine (5 mg) ou de
néosynéphrine (100 mcg, dose maximale 1 mg) selon la fréquence cardiaque. Chez un malade
curarisé, la position de Trendelengurg est beaucoup moins efficace à cause de la paralysie
diaphragmatique: le poids des viscères abdominaux pèse contre le diaphragme et augmente la pression
intrathoracique (Pit); malgré l'élévation du retour veineux, la pression transmurale de l'OD (POD –
Pit) ne se modifie pas et la précharge utile n'augmente pas. Le réglage du ventilateur doit permettre
une normoventilation tout en maintenant la Pit moyenne la plus basse possible, car c'est elle qui est
responsable des effets hémodynamiques. La Pit moy est la résultante de toutes les pressions du cycle

86
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
respiratoire intégrées dans le temps. Elle baisse si la pause expiratoire est prolongée (rapport I/E bas),
mais augmente si l'inspirium est prolongé (rapport I/E élevé). Elle s'élève en fonction de la PEEP.

Volume
Figure 4.17: L'induction de
circulant
l'anesthésie et la ventilation en ml/kg
pression positive provoquent un
déplacement de volume de 5
0
l'intérieur vers l'extérieur de la
cage thoracique, alors que la
PAPO et la PVC augmentent de 4
15 - 25%. Ce déplacement est 0
de l'ordre de 300 – 600 mL.
Dans ces conditions, les 3
0
VSET
mesures de pression sont un
piètre repère de la précharge
cardiaque et de la volémie [18]. 2
VSET: volume sanguin extra- 0
thoracique. VSIT: volume
sanguin intrathoracique. V: 1 VSIT
ventilation. VPP: ventilation en 0
pression positive.

Patient éveillé Patient endormi


V spontanée VPP

Manœuvre-test

La manière dont un malade va supporter la ventilation en pression positive est toujours une inconnue.
Une manière élégante de s'en faire une idée est de réaliser une manœuvre de Valsalva une fois le
cathéter artériel en place et d'observer l'évolution de la pression artérielle (PA) lorsque le patient
bloque sa respiration et élève sa Pit pendant au moins 20 secondes (voir Chapitre 5, Effets
hémodynamiques de la ventilation).

En cas d’insuffisance systolique du VG, l'hémodynamique reste stable. L'élévation de la Pit


(équivalant à une augmentation de précharge et à une baisse de postcharge pour le VG) est transmise
au VG et à la PA systémique ; cet accroissement est soudainement perdu lorsque la Pit est relâchée.
Mais comme le coeur travaille sur une courbe de Starling quasi horizontale, la diminution du retour
veineux n'affecte pas son débit; le baroréflexe n'est pas activé [6]. C’est la raison pour laquelle les
malades en insuffisance systolique gauche présentent une étonnante stabilité hémodynamique à l’IPPV
(Figure 4.18A). Chez un patient souffrant de défaillance diastolique, la pression artérielle est au
contraire effondrée au cours du Valsalva. La baisse du retour veineux au VD n'assure plus une
précharge suffisante au VG, qui fonctionne sur une courbe de Starling très redressée ; la moindre
baisse de précharge se traduit par une ample chute de volume systolique. D’autre part, la faible
compliance du VG ne permet pas une compensation par la fréquence. Les insuffisants diastoliques
(âge > 70 ans, HVG, ischémie) sont les patients les plus instables à l’induction de l’anesthésie (Figure
4.18B).

En cas d'insuffisance ventriculaire droite, il existe trois cas de figure qui imposent des stratégies
ventilatoires différentes.

 Dysfonction primaire du VD (infarctus, cardiomyopathie) avec PAP normale ; l'augmentation


de la postcharge du VD par l'IPPV est mal supportée.

87
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Défaillance aiguë entraînant une insuffisance congestive du VD sur excès de postcharge
(embolie pulmonaire, BPCO, PEEP excessive, etc) ; l’effet d’une augmentation de la Pit est
mal prévisible, soit qu'elle suffise à faire défaillir le VD s'il est au bout de ses réserves, soit
qu'elle représente peu d'augmentation supplémentaire de la postcharge du VD s'il a encore un
peu de marge.
 Hypertension pulmonaire chronique avec hypertrophie ventriculaire droite ; la priorité est de
baisser les RAP; l'augmentation de la Pit représente une très faible surcharge pour le VD qui
travaille chroniquement contre une postcharge élevée; l'IPPV est non seulement bien tolérée
mais encore nécessaire pour baisser les RAP par hyperventilation.

1 3

1 3

Relâche-
A B Valsalva ment du
Valsalva

Figure 4.18 : Manœuvre de Valsalva en cas de dysfonction ventriculaire gauche. A : insuffisance systolique
sévère ; l'hémodynamique est stable. Les phases 1 et 2 sont normales: l'élévation de la Pit (équivalent à une
augmentation de précharge et à une baisse de postcharge pour le VG) est transmise au VG et à la PA
systémique ; cet accroissement est soudainement perdu lorsque la Pit est relâchée (phase 3). Mais comme le
coeur travaille sur la partie horizontale de sa courbe de Starling, la diminution du retour veineux de la phase 2
n'affecte pas son débit; le baroréflexe n'est pas activé; il n'y a pas d'effet rebond en phase 4 [Extrait de:
Braunwald E. Heart disease. A textbook of cardiovascular medicine. Philadelphia : W. B. Saunders Co, 1997,
445-70]. B : insuffisance diastolique (patient souffrant de cardiomyopathie restrictive sévère) ; la pression
artérielle est effondrée. 1: blocage de la respiration et surpression endothoracique. 2: le faible retour veineux au
VD n'assure pas une précharge adéquate au VD. 3: baisse de la pression endothoracique et reprise de la
ventilation spontanée. Normalement, le débit du VG devrait augmenter pendant la phase 1 grâce à l'amélioration
du retour veineux à l'OG. Manœuvre de Valsalva normale: voir Chapitre 5, Figure 5.99.

La valeur prédictive de la manœuvre de Valsalva est partiellement biaisée par le fait qu'elle est réalisée
par un malade non curarisé, c'est-à-dire toujours en possession de sa pompe diaphragmatique et de la
contention musculaire de ses veines. La pression abdominale n'est plus maintenue après curarisation.
La différence dans le résultat hémodynamique du test de Valsalva et de l'IPPV est d'autant plus
marquée que le patient est plus hypovolémique.

Ventilation peropératoire

Les poumons courent des risques élevés en chirurgie cardiaque du fait de la CEC: longue période sans
ventilation, perfusion durablement réduite, lésion d'ischémie-reperfusion, stimulation du complément
par les surfaces étrangères, forte production de cytokines inflammatoires ayant pour conséquence une
augmentation de la perméabilité capillaire, une vasoconstriction pulmonaire et une
bronchoconstriction. A cela s'ajoutent les atélectasies, l'œdème intersticiel fréquent dans les

88
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
pathologies du cœur gauche, et les lésions liées à la transfusion (transfusion-related acute lung injury
TRALI) ou celles induites par la ventilation mécanique per- et post-opératoire (ventilator-associated
lung injury VALI). Ces dernières sont dues au stress répétitif de l'ouverture-fermeture des alvéoles
avec le volume courant habituel du respirateur (volutrauma) et à la pression appliquée dans les voies
aériennes (barotrauma). Les respirateurs d'anesthésie offrent essentiellement deux modes ventilatoires
[2].

 Mode volume-contrôlé: un volume courant (Vc) prédéterminé est insufflé à flux constant
indépendamment de la compliance; la ventilation-minute est assurée quelle que soit la
pression générée (limite supérieure de pression ajustable); une pause inspiratoire (15-25% de
l'inspirium) assure un plateau de pression (Pplat) qui permet de calculer la compliance
pulmonaire (C = Vc / (Pplat – PEEP) [3].
 Mode pression-contrôlée: la pression inspiratoire étant prédéterminée, le Vc est le résultat de
l'interaction entre la pression d'insufflation, les résistances aériennes et la compliance du
système. Les poumons sont protégés du barotrauma et la ventilation est indépendante des
fuites éventuelles, mais seule un alarme assure que le Vc reste satisfaisant.

Pour limiter les traumatismes liés à l'hyperinflation et réduire les atélectasies liées à l'hypoventilation,
on préconise actuellement une forme de ventilation dite protectrice, caractérisée par un volume
courant faible (6-8 mL/kg de poids idéal) et une PEEP conséquente (5-10 cm H2 O, pression de plateau
20-28 cm H2 O), accompagnés de manœuvres de recrutement (insufflation manuelle de 30 secondes à
30 cm H2O toutes les 30 minutes). La fréquence respiratoire est réglée entre 10 et 15 par minute pour
obtenir une légère hypocarbie (pH 7.4-7.5) [1,23]. Lorsque le thorax est ouvert, la PEEP est réduite à
2-5 cm H2O pour limiter l'expansion pulmonaire dans le champ opératoire [12]. A thorax fermé, les
manœuvres de recrutement, ou manœuvres de capacité vitale, induisent une hypotension significative;
à thorax ouvert, elles gênent l'opérateur [14]. Il est donc important de les réaliser en surveillant
scrupuleusement le moniteur et le champ opératoire. Par rapport à la ventilation conventionnelle (VC
10-12 mL/kg), cette manière de procéder diminue significativement l'incidence de VALI (RR 0.3-0.4),
de pneumonie (RR 0.6) et d'atélectasie (RR 0.6) [10,13]. Le taux moyen de complications pulmonaires
postopératoires varie toutefois de 10% à 25% des cas [19]. Il est lié pour moitié au status respiratoire
du patient et pour moitié aux évènements peropératoires et à la prise en charge anesthésique [12]. Pour
davantage de détails sur les modes ventilatoires, se référer au Chapitre 23, Ventilation.

Le mélange O2/air s'impose en chirurgie cardiaque. La FiO2 est fonction des besoins ; elle varie entre
0.3 et 0.6, car une FiO2 > 0.6 augmente dangereusement la production de radicaux libres ou de
peroxydes (lésion pulmonaire hyperoxique) et l'étendue des atélectasies de résorption. Il n'y a aucun
bénéfice à ce que la PaO2 soit > 100 mmHg et la SpO2 > 97% [14]. Toutefois, une FiO2 > 0.6 peut être
provisoirement nécessaire dans les périodes d’anémie aiguë et d’instabilité hémodynamique. Le risque
d’augmenter le volume des microbulles qui se forment pendant la CEC est une contre-indication au
N2 O, indépendamment de ses effets hémodynamiques. Les réglages de routine du ventilateur sont les
suivants [1,19,23]:

 FiO2 0.3 – 0.6 pour obtenir une SaO2 ≥ 98% (PaO2 ≥ 100 mmHg), mais FiO2 maximale 0.7
(PaO2 < 200 mmHg) pour éviter les lésions d'hyperoxie;
 Volume courant (VC) 6-8 mL/kg de poids idéal;
 Fréquence 8-15 cycles/min pour PaCO2 35-40 mmHg;
 Pression de plateau (Pplat) : 15-20 cm H2 O (< 30 cm H2O);
 Rapport I:E 1:2-3 (durée expiratoire adéquate pour éviter l'auto-PEEP);
 Mode ventilatoire en pression- ou en volume-contrôlé ;
 PEEP : 5 cm H2 O ; le niveau de PEEP est réglé selon la tolérance hémodynamique (minime en
cas de dysfonction ventriculaire droite) et chirurgicale (envahissement du champ opératoire
par des poumons surgonflés, étirement du greffon mammaire) ;
 En cas de ventilation hyperoxique ou d’interruption de la ventilation, procéder à une
manœuvre de recrutement : insufflation continue de 30 secondes à 30 cm H2 O.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Les malades atteints de cardiopathies souffrent fréquemment d'hypertension artérielle pulmonaire
(HTAP). L'hyperventilation et l'hypocapnie (PaCO2: 30-32 mmHg; pH: 7.5) sont les moyens les plus
simples de baisser les RAP sans modifier les RAS. Dans le contexte d'une hypertension pulmonaire,
l'alcalose respiratoire est de rigueur. Au contraire, l'hypoventilation, l'hypercapnie, les atélectasies,
l'acidose et l'hypothermie sont des déclencheurs majeurs de poussées d’HTAP. L'hyperventilation doit
débuter immédiatement, dès que commence la ventilation au masque, quelle que soit la valeur de la
PetCO2 mesurée par le capnographe. En effet, au masque, la PetCO2 échantillonnée à la connexion
n'est pas représentative de la PaCO2; sa valeur normalement basse à cause du brassage par le haut
débit de gaz frais donne une fausse impression de sécurité.

Pendant le prélèvement de l'artère mammaire interne, il est possible de diminuer les mouvements
respiratoires gênants pour l'opérateur en procédant à une ventilation à haute fréquence et bas volume
courant.

 Fréquence ventilatoire à 25-30 cycles/min.


 Volume courant (VC) de 200-350 ml (3-4 mL/kg).
 La FiO2 est augmentée à 0.8.
 Pour compenser l'effet espace-mort, on augmente la ventilation-minute de 1.5 L/min;
 Pour faciliter l'expirium, on diminue le rapport I/E à 1:4 pour assurer un temps expiratoire
suffisamment long (risque d'air trapping).
 Comme la PetCO2 ne représente plus la PaCO2 dans ces conditions, il faut contrôler
l'adéquation des échanges gazeux avec des gazométries artérielles.
 Avant de reprendre la ventilation normale, procéder à une manœuvre de capacité vitale
(maintien manuel au ballon d'une pression inspiratoire de 30-40 cm H2 O pendant 20-30
secondes) pour ré-expandre les poumons.

Ventilation et CEC

Bien que la ventilation ne soit pas nécessaire aux échanges gazeux pendant la CEC, les poumons
laissés à eux-mêmes collabent et s'atélectasient; le drainage lymphatique s'effondre. Lorsque l'aorte est
clampée, le débit dans l'artère pulmonaire s'arrête et le flux des artères bronchiques, qui ne représente
que 5% du flux pulmonaire, diminue de 50% [14]. Le mode ventilatoire au cours de la CEC est un
sujet de débat irrésolu. Aucune étude n'a jusqu'ici clairement démontré la supériorité d'une technique
sur une autre.

Une routine est de laisser un bas débit continu d'O2 et d’air (1 L/min, FiO2 0.3-0.5) sans PEEP. La
CPAP (continuous positive airway pressure) à 5-10 cm H2 O, la ventilation mécanique à bas volume
courant (3-4 mL/kg), ou les manœuvres de capacité vitale en cours de CEC, améliorent certes les
paramètres de l'oxygénation au moment de la sortie de pompe, mais cet effet ne se prolonge pas et n'a
aucun impact sur le devenir des patients [5,9,16]. Une récente méta-analyse confirme l'amélioration
momentanée du gradient alvéolo-artériel par la CPAP mais l'absence d'impact de la ventilation sur les
complications pulmonaires et sur la durée de l'assistance respiratoire postopératoire [22]. Bien que la
ventilation en CEC réduise la réaction inflammatoire pulmonaire, rien dans la littérature ne permet
donc de recommander une quelconque forme de ventilation autre qu'un flux passif de mélange O2/air
[4,8]. En revanche, les manœuvres de capacité vitale (30-40 cm H2 O pendant 20-30 secondes) sont
essentielles au moment de la reprise de la ventilation avant la mise en charge; comme l'expansion des
poumons peut exercer une tension excessive sur un greffon mammaire, il faut bien surveiller le champ
opératoire au cours de ces manoeuvres. D'autre part, la ventilation mécanique est bénéfique dès que le
coeur éjecte du sang, avant ou après le clampage aortique.

Lorsque le cœur bat en CEC (aorte non-clampée ou déclampée), le sang qui perfuse les coronaires est
pour une grande partie du sang propulsé par le VG, donc revenu des poumons par les veines
pulmonaires; son contenu en O2 augmente si les poumons sont ventilés. Il en est de même lors de CEC

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
partielle (fémoro-fémorale, par exemple). Dans ces conditions, il est recommandé d'assurer une
ventilation réduite.

 FiO2 0.3-0.5;
 Volume courant 3-4 mL/kg;
 Fréquence respiratoire 6-8 cycles/minutes;
 Pas de PEEP.

Si le perfusionniste administre un halogéné dans l'oxygénateur alors que le malade est ventilé, il est
important d'en ajouter la même fraction inspirée sur le respirateur, sans quoi l'halogéné est éliminé par
les poumons simultanément à son administration dans la CEC.

Lorsque les cavités cardiaques gauches sont ouvertes (chirurgie valvulaire, par exemple), l'air peut
s'infiltrer dans les cavités et se loger dans les veines pulmonaires, l'oreillette gauche ou le ventricule
gauche; lors de la mise en charge, cet air va emboliser par voie systémique. Pour cette raison, on
administre volontiers un flux continu de CO2 (5-10 L/min) dans le champ opératoire pour remplacer
l'air ambiant par un gaz plus soluble dans le sang (CO2 → HCO3-) et donc moins emboligène. Il est
important de contrôler la présence d'air dans les cavités gauches à l'échocardiographie et de procéder à
une vidange efficace (ponction directe, aspiration par la canule de cardioplégie aortique, secousses)
avant la mise en charge. Une ventilation sous pression (manoeuvre de purge) et une stimulation de la
fonction ventriculaire permettent une bonne élimination. Une position de Trendelenburg accentuée
limite l'embolisation carotidienne.

Au moment de la reventilation en fin de CEC, une manoeuvre d’insufflation à capacité vitale


maximale est nécessaire pour diminuer le risque d’atélectasies ultérieures [15]. La compliance
pulmonaire est en général abaissée, et les pressions de ventilation supérieures à leurs valeurs initiales;
les poumons font facilement de l’air-trapping. La normoventilation, voire l'hyperventilation, doivent
être maintenues en dépit de ce phénomène. Comme cette surpression cède progressivement, il est
important de reventiler assez tôt avant la mise en charge, afin d'avoir résolu le problème pulmonaire au
moment de la reprise de la circulation normale. L'activation des kinines, des cytokines et du
complément par le contact avec les surfaces étrangères du circuit de CEC est responsable de ces
modifications, qui s'accompagnent aussi de vasoconstriction pulmonaire. La situation peut être
aggravée par la protamine, qui est un puissant vasoconstricteur pulmonaire et un bronchoconstricteur.
Une première gazométrie artérielle est pratiquée 5-10 minutes après la fin de CEC; si les échanges
gazeux sont insuffisants, il est indiqué de:

 Aspirer les sécrétions ;


 Contrôler que la ventilation soit bilatérale ;
 Ventiler manuellement les poumons sous contrôle de la vue pour réexpandre les zones
éventuellement atélectasiées ;
 Modifier les réglages du ventilateur; PEEP à 5-10 cm H2 O ;
 Nouvelle gazométrie après 30 minutes.

Si les échanges ne se sont pas améliorés et que le bilan liquidien est excessivement positif, il est
judicieux d'administrer un diurétique (mannitol 0.5 gm/kg, furosémide 10-20 mg). Oublier de
reventiler le patient avant la mise en charge est un événement possible mais catastrophique ; la
meilleure prévention de cet accident réside dans l’application stricte d’un protocole incluant la mise en
route du respirateur dès le déclampage de l’aorte ou dès que le coeur bat spontanément. Ceci permet
en outre de profiter de l'oxygénation et de l'assistance circulatoire de la CEC en cas de bronchospasme
ou d'altération grave de la compliance parenchymateuse. Par sécurité, il est judicieux que le (la)
perfusionniste s'assure auprès de l'anesthésiste que le patient soit ventilé avant de baisser le débit de
pompe. En se souvenant que toutes les alarmes ont des pannes, que tous les moniteurs ont des
artéfacts, mais que seules la couleur du malade et celle de son sang fonctionnent toujours !

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Postopératoire

En peropératoire, les problèmes liés à la ventilation en pression positive sont essentiellement


hémodynamiques ; la baisse du débit cardiaque est en grande partie réglée par une augmentation du
volume circulant. En soins intensifs, l’IPPV à plus long terme déclenche une série de phénomènes
néfastes associés à une insuffisance et à une infection pulmonaires (VALI) [11].

 Interactions avec les résistances bronchiques et la compliance alvéolaire ;


 Distension alvéolaire, barotraumatisme et redistribuion du flux ventilatoire ;
 Modification fonctionnelle du surfactant ;
 Gène au drainage lypmphatique et élévation chronique de la pression veineuse ;
 Altération de la perfusion capillaire et déplacement liquidien transcapillaire vers l’interstitium.

La péjoration des échanges gazeux incite à ventiler plus agressivement, ce qui aggrave encore la
situation. De nouveaux modes ventilatoires ont été introduits récemment pour essayer de diminuer
l’intensité du SDRA et de la pneumonie liés à l’IPPV (voir Chapitre 23, Complications pulmonaires).
Moins de 10% des patients de chirurgie cardiaque réclament une ventilation postopératoire prolongée.
La grande majorité peut être extubée de manière précoce (2-4 heures postop). Comparée à des délais
conventionnels (6-10 heures), cette manière de procéder diminue les risques ventilatoires et infectieux,
mais raccourcir encore la durée de ventilation à < 90 minutes n’amène plus d’amélioration [11,19].
Chez les malades transfusés, l'incidence de TRALI est de 2.5% en chirurgie cardiaque [20]. Quelques
interventions peuvent aider à prévenir les complications pulmonaires [7,19].

 Ventilation protectrice ;
 Manœuvres de recrutement ;
 Hémofiltration;
 Seuil de transfusion restrictif (Hb < 90 g/L) ;
 Désinfection buccale à la chlorhexidine ;
 Succion sous-glottique ;
 Extubation précoce;
 Ventilation non-invasive (NIV);
 Analgésie non-médicamenteuse (infiltrations parasternales, blocs intercostaux, péridurale
cervico-thoracique).

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Ventilation en pression positive (IPPV)

Pré-induction : évaluation de la tolérance probable à l’IPPV : variation de la PA (cathéter artériel) au


cours d’une manœuvre de Valsalva. Après curarisation, la pompe diaphragmatique est perdue ;
l’inspirium en IPPV augmente la pression intrathoracique (Pit) sans variation de la pression
abdominale (Pabd) ; la précharge baisse.
L’IPPV provoque : ↑ Pit moyenne, ↓ retour veineux par la VCI, ↑ pooling veineux périphérique,
translocation de volume intrathoracique → extrathoracique, ↓ précharge du VD, ↑ postcharge du
VD, ↓ postcharge du VG. Si insuffisance du VG : IPPV bénéfique (↓ postcharge). Si insuffisance
VD : IPPV mal tolérée (↑ postcharge droite). Si HVD + HTAP chronique : IPPV bien tolérée.

Normoventilation à FiO2 0.3-0.6 (0.8 en cas d’anémie aiguë ou d’état de choc), VC 6-8 mL/kg, Pplat
15-20 cm H2 O, PEEP 5 cm H2O selon tolérance. Si HTAP : hyperventilation normobarique.
Pendant le prélèvement mammaire : ventilation à petit volume courant (VC 250-300 mL, 3-4 mL/kg)
et haute fréquence (25-30 cycles/minute) avec long expirium (rapport I:E 1:4).
Pendant la CEC (aorte clampée, cœur arrêté) : arrêt de la ventilation ; flux (1 L/min à FiO2 0.3-0.6).
Pendant la CEC partielle (aorte déclampée, cœur battant): ventilation réduite; VC 3-4 mL/kg,
fréquence 6-8 c/min, FiO2 0.3-0.6, pas de PEEP.
Reventilation : manoeuvre de capacité vitale (30-40 cm H2 O pendant 20 secondes) sous contrôle de
la vue dans le champ opératoire. Contrôle des échanges gazeux (gazométrie artérielle).

Période précédant la circulation extra-corporelle

Avant l'incision, ou avant la sternotomie, une série de mesures est effectuée; celles-ci constituent les
valeurs de base pour le comparatif après CEC (Tableau 4.9).

 Gazométrie artérielle, glycémie (sauf si déjà prélevé avant l'induction);


 Hb, Ht, électrolytes, pH, lactate;
 ACT, ROTEM™; thrombocytes et test d'agrégabilité plaquettaire si anomalie ou traitement
antiplaquettaire autre que l'aspirine;

93
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Hémodynamique complète (Swan-Ganz), thermodilution transpulmonaire (PiCCO);
 Examen ETO complet.

Tableau 4.9
Contrôles en début d'intervention (avant CEC)

Patient

 Checklist: timeout
 Antibiotique donné
 Patient endormi: isoflurane ou sevoflurane (environ 1 MAC) ou propofol en perfusion; BIS < 50
 Analgésie: fentanyl (bolus) ou sufentanil (perfusion)
 Perfusions: Ringer-lactate, Ringerfundin, Plasmalyte (régime restrictif)
 Gestion de l'hémodynamique par médicaments dédiés (vasopresseur, vasodilatateur)
 Hémodilution: prélèvement de 1-2 poches de sang (avant l'héparinisation)

Equipement fonctionnel

 ECG, pulsoxymètre, BIS, ScO 2 (si disponible)


 Cathéter artériel, voie veineuse centrale, ETO, cathéter pulmonaire (si indiqué), PiCCO (si indiqué)
 Sonde urinaire, températures

Examens et mesures

 Gazométrie artérielle, glycémie, électrolytes, pH, lactate


 Hb, Ht, ACT, ROTEM; thrombocytes et test d'agrégabilité plaquettaire si traitement antiplaquettaire
 Hémodynamique complète (Swan-Ganz, PiCCO)
 Examen ETO complet
 Pendant la canulation aortique: PAM 50-60 mmHg

Machine d'anesthésie

 Ventilation: volume courant 6-8 mL/kg, FiO2 0.4-0.6 (ou selon besoin), PEEP < 5 cm H2O
 Pendant la sternotomie: apnée
 Pendant le prélèvement mammaire: volume courant 3-4 mL/kg, fréquence 25-30/min, I:E 1:4, FiO2 0.8, PEEP 0
 Contrôle du défibrillateur

Anticoagulation

 Administration d'acide tranexamique (30 mg/kg) dès la sternotomie


 Administration d'héparine (300 UI/kg) par voie centrale avant les canulations de CEC, annoncée à haute voix
 ACT de contrôle après 2-3 minutes
 Départ en CEC seulement si ACT > 400 secondes

Prise en charge

La période entre l'induction et la CEC est le moment dévolu à l'examen échocardiographique (ETO) et
aux mesures hémodynamiques (débit cardiaque, travail ventriculaire, etc). Cependant, cette période
réclame une attention maximale parce que la malade est sous le plein effet de sa cardiopathie.

 La valeur de PAM recherchée dépend de la pression artérielle de base du patient


(hypertension, coronaropathie) et de son status (sténose carotidienne, valvulopathie).
 Chez le patient coronarien, la survenue d’épisodes d’ischémie peropératoire avant la CEC,
souvent associés à une tachycardie, est un facteur de risque pour l’infarctus postopératoire [3].
Il est donc capital de maintenir le meilleur rapport DO2/VO2 possible, en assurant une PAM ≥
75 mmHg et une FC < 65 batt/min avec les agents vasoactifs indiqués.
 En cas de valvulopathie, les conditions de charge sont ajustées à l'hémodynamique recherchée
pour chaque situation (voir Figure 4.4 et Figure 4.5).

94
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Lors de dysfonction ventriculaire, il peut être nécessaire de débuter une perfusion de
catécholamine pour maintenir le débit cardiaque, dont l'adéquation est surveillée par la SvO2,
la ScO2 et le taux de lactate. Comme le patient est profondément endormi et curarisé, les
besoins de l'organisme sont faibles; un index cardiaque de 1.5 à 1.8 L/min/m2 peut y suffire. Il
faut donc éviter de vouloir normaliser ce chiffre en dehors de son contexte, ce qui pourrait
augmenter dangereusement la mVO2.
 En présence d'hypertension pulmonaire et/ou d'insuffisance droite, on veille à abaisser les
RAP (hyperventilation, NO•, etc); en présence de shunt (cardiopathies congénitales), on ajuste
les RAS et les RAP de manière à minimiser l'effet du shunt.
 La pression artérielle est maintenue momentanément basse (PAM 50-60 mmHg) pendant la
canulation aortique, particulièrement si l'aorte ascendante est calcifiée et fragile.
 Une ou plusieurs gazométrie(s) artérielle(s) permet(tent) de contrôler les échanges gazeux, la
glycémie, le lactate et d'obtenir une valeur de base de l'ACT (normal: 105-150 secondes) et du
ROTEM™. Si la glycémie s'élève > 10 mmol/L, une perfusion d'insuline est démarrée (voir
Contrôle métabolique) [6].
 Le sommeil est assuré par un débit continu d'halogéné à environ 1 MAC, par une perfusion de
propofol, ou par des doses itératives de midazolam. Bien qu'ils quantifient une certaine
probabilité de sommeil et d'analgésie, le BIS et le SPI ne sont pas des garanties contre l'éveil
et la douleur peropératoires. Vu la paucité des signes cliniques sous de hautes doses d'opiacés
et lors des manipulations de l'hémodynamique, il est prudent de maintenir les patients sous-
curarisés de manière à pouvoir juger de l'adéquation de l'anesthésie par l'apparition de
mouvements respiratoires ou somatiques.
 L'administration liquidienne est très restrictive, car la CEC apportera un volume considérable
de cristalloïde; il est préférable de régler l'hypotension par des agents médicamenteux que par
du remplissage, sauf en cas de perte sanguine importante. Il est judicieux d'éviter les colloïdes
parce qu'ils seront plus utiles après le CEC et dans le postopératoire, dans la mesure où leur
utilisation est encore admise (voir Besoins liquidiens).
 En cas d'hémodilution aiguë (autotransfusion), le prélèvement de sang est effectué entre
l'incision et l'héparinisation (voir Epargne sanguine et transfusion).

Après l'intubation, les moments de stimulation sympathique et/ou douloureuse maximale alternent
avec des périodes plus calmes. Ces instants de stimulation demandent de l'attention pour éviter un
réveil, une poussée hypertensive ou une tachycardie excessive.

 Incision cutanée ;
 Sternotomie et coagulation de l'os sternal; débrancher momentanément le ventilateur pendant
la sternotomie pour éviter les lésions pulmonaires par la scie sternale ;
 Ouverture de l'écarteur de sternotomie; la rétraction du sternum coude fréquemment le cathéter
veineux central ou artériel pulmonaire lorsqu'il est placé par voie sous-clavière ;
 Dissection péri-aortique ;
 Canulation aortique et auriculaire (tachy-arythmies fréquentes).

Les trois premières sont des stimulations douloureuses; leur gestion demande une analgésie suffisante.
Les deux dernières sont des stimulations sympathiques déclenchées par le plexus péri-aortique et les
manipulations de l'OD; elles sont jugulées par un approfondissement de l'anesthésie et par des agents
vasodilatateurs et/ou β-bloqueurs. Face à cet aspect en dents de scie, on doit régler l'administration des
agents d'anesthésie de manière à empêcher toute stimulation hémodynamique excessive pendant les
phases stimulantes, sans pour autant causer une dépression circulatoire en-dehors d'elles. L'amplitude
de ces variations est d'autant plus grande que la fonction cardiaque est bonne, et d'autant plus amortie
que le myocarde est insuffisant. Les patients en dysfonction ventriculaire (FE < 0.3) peuvent même
donner une fausse impression de stabilité hémodynamique, alors qu'ils sont dans l'impossibilité de
réagir par une tachycardie ou une poussée hypertensive. La sternotomie est un moment délicat car la
scie sternale peut endommager non seulement les poumons mais aussi le VD ou l'OD que seul protège
le péricarde, paroi mince facilement franchie par un instrument tranchant. Ce risque est
particulièrement élevé lors de reprise, surtout si le péricarde antérieur n'a pas été refermé lors de la

95
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
première intervention. La paroi libre du VD et l'appendice auriculaire droit sont alors accolés au
sternum par la fibrose cicatricielle. L'anesthésiste doit être prêt à faire face à un choc hémorragique
majeur et à un départ en pompe accéléré.

L'écarteur mis en place pour faciliter le prélèvement de l'artère mammaire interne (AMI) gauche
soulève le sternum ipsilatéral, mais, selon le modèle utilisé, enfonce plus ou moins le bord du sternum
opposé et comprime l'OD. Le résultat est l'équivalent d'une tamponnade droite: baisse de précharge et
de volume systolique, hypotension artérielle, tachycardie. Pendant le travail sur l'AMI, il peut être
judicieux de diminuer le volume courant pour faciliter le travail de l'opérateur (voir ci-dessus
Ventilation peropératoire). En cas de ministernotomie haute, l'écarteur peut comprimer isolément
l'artère pulmonaire et occasionner une défaillance ventriculaire droite aiguë avec effondrement du
débit cardiaque.

Si l'intervention a lieu en CEC, il est préférable de laisser dériver progressivement la température du


malade, qui se refroidit de manière plus homogène si l'hypothermie s'installe lentement. Si l'opération
se déroule à cœur battant, il faut au contraire veiller à maintenir le patient strictement
normothermique: matelas chauffant, élévation de la température de salle d'opération, réchauffement
des gaz et des perfusions, etc. Si un cathéter pulmonaire est en place, on le retire de 5-10 cm (ballonnet
dégonflé) pour que son extrêmité soit en AP.

Avant de procéder aux canulations artérielle et veineuse, ou avant de couper et clamper l'artère
mammaire interne, l'héparine est administrée par voie intraveineuse ou intracardiaque (voir ci-dessous
Anticoagulation) et, s’il est utilisé, le N2 O est arrêté, car sa présence augmente la taille des bulles
éventuelles. La préparation de l'aorte pour sa canulation implique une dissection à travers le plexus
péri-aortique. Cette manœuvre est responsable d'une décharge sympathique intense qui provoque une
poussée hypertensive au moment où la pression artérielle devrait au contraire être abaissée pour
diminuer les risques de déchirure (PAM < 70 mmHg). Si le sommeil et l'analgésie sont assurés, il est
nécessaire d'administrer un hypotenseur comme la phentolamine (bolus de 1 mg), et parfois de ralentir
la fréquence avec un β-bloqueur comme l'esmolol (bolus 10 mg). Dès que la canule aortique est en
place et soigneusement débullée (contrôle visuel par le chirurgien et l'anesthésiste), le perfusionniste
peut administrer du volume par aliquot de 50-100 mL (liquide d'amorçage de la CEC) pour rétablir la
pression; il en est de même en cas d'hypotension sur hypovolémie. Le placement correct de la canule
dans la lumière aortique est contrôlé par la présence dans la canule d'une pression pulsatile de même
valeur que celle du cathéter artériel; une pression non-pulsatile fait craindre une dissection aortique.

La canulation de l'OD déclenche en général une tachyarythmie susjonctionnelle par stimulation


mécanique. Beaucoup de malades passent en FA à ce moment. Bien que la pression artérielle et le
débit cardiaque chutent considérablement, la seule parade est l'interruption des manoeuvres
chirurgicales et le démarrage rapide de la CEC. Il n’y a pas lieu d’instaurer un traitement
médicamenteux. Pour restreindre l’hémodilution, il est routinier de remplacer une partie du volume
d’amorçage de la CEC (800-1500 mL de cristalloïdes) par le sang du patient, en drainant celui-ci dans
le circuit de CEC par la canule artérielle implantée dans l’aorte (retro-priming). Cette manière de
procéder occasionne une hypovolémie momentanée qui peut nécessiter l’administration de
vasopresseur. Le diagnostic différentiel et le traitement de l'hypotension et de l'hypertension artérielle
peropératoire sont résumés dans le Tableau 4.10 et le Tableau 4.11, respectivement.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.10
Hypotension peropératoire (PAM < 60 mmHg)

Diagnostic différentiel

Compression chirurgicale de cavités cardiaques


Hypovolémie
Dysfonction ou ischémie ventriculaire
Arythmie
Vasoplégie
Anesthésie excessivement profonde par rapport au degré de stimulation
Pneumothorax sous tension
Effet de tamponnade
Problème technique sur la ligne artérielle

Traitement

Si fréquence < 60 batt/min: éphédrine 5-10 mg (bolus, à répéter)


Si fréquence > 60 batt/min: phényléphrine 100 mcg (bolus à répéter, max 1 mg)
Si signes d'hypovolémie à l'ETO et PAPO < 12 mmHg:
• 100-250 mL cristalloïde ou solution d'amorçage de la CEC
• 100-250 mL colloïde (volume par 24 h limité, abstention recommandée)
Sans signes d'hypovolémie à l'ETO et PAPO > 12 mmHg: contrôle de la fonction
ventriculaire (ETO) et du débit cardiaque (Swan-Ganz, PiCCO)
Si FE ↓ et IC < 2 L/min/m2:
• Dobutamine 5-10 mcg/kg/min
• Adrénaline 0.05-0.1 mcg/kg/min + milrinone 0.5 mcg/kg/min
Si RAS ↓ (post-CEC):
• Noradrénaline 0.01-1 mcg/kg/min
• Vasopressine (Pitressine) 1-3 U/h
• Hydrocortisone (Solu-Cortef) 100 mg
• Bleu de méthylène 1-2 mg/kg en 20 min

Tableau 4.11
Hypertension artérielle peropératoire (PAM > 90 mmHg)

Diagnostic différentiel

Décharge sympathique sur anesthésie trop superficielle


Dissection périaortique
Surcharge liquidienne par la CEC (surtransfusion)
Hypoxie, hypercapnie
Sevrage de β-bloqueurs ou d'alcool
Choc électrique de cardioversion ou de défibrillation
Causes rares: tempête thyroïdienne, phéochromocytome, hyperthermie maligne

Traitement

Approfondissement de l'anesthésie
• Si stimulation douloureuse: bolus de fentanyl ou sufentanil
• Si stimulation sympathique: ↑ isoflurane, sevoflurane ou propofol
Vasodilatateurs
• Phentolamine 1 mg (bolus, à répéter)
• Nitroglycérine 50-100 mcg (bolus, à répéter)
• Nicardipine 0.5 mg/min (maximum 15 mg/h)
Persistance malgré bolus répétés
• Nitroglycérine 0.5-5.0 mcg/kg/min (préférence chez le coronarien)
• Nitroprussiate 0.5-3.0 mcg/kg/min (si RAS élevées)
Si fréquence > 90 batt/min
• Esmolol 10 mg (bolus, à répéter)

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Période avant la CEC

L’anesthésie est conduite en fonction de la cardiopathie dont souffre le patient. Chez le coronarien,
surveiller et traiter tout épisode d’ischémie myocardique et maintenir le rapport PAM/FC > 1. En cas
d’insuffisance ventriculaire, administrer une catécholamine selon besoin.
Moments de forte stimulation (approfondir l’anesthésie et l’analgésie) : incision, sternotomie et
écartement du sternum, dissection périaortique, canulation. Baisser la PAM à 50-60 mmHg pendant
la canulation aortique (risque de déchirure).
Administration liquidienne restrictive ; traiter l’hypovolémie de préférence par des vasopresseurs.

Anticoagulation pour la CEC

Héparine

La CEC nécessite une anticoagulation totale pour éviter les accidents thrombotiques (voir Chapitre 8
Coagulopathie peropératoire). La dose de charge d’héparine est de 300 UI/kg pour les opérations en
CEC et de 250 UI/kg pour les interventions à cœur battant. Le pic d'activité est atteint en un seul
temps circulatoire; la demi-vie est d'environ 2.5 heures. La valeur minimale de l’ACT (activated
coagulation time) pour démarrer la CEC est de 400 secondes pour les circuits standards, et de > 300
secondes pour les circuits pré-héparinés. Elle est de > 300 secondes pour la chirurgie à cœur battant.
Pour les TAVI et les Mitraclip, la dose d'héparine est 100 UI/kg et l'ACT attendu > 250 secondes. La
dose d'héparine est administrée avant la canulation aortique par la voie veineuse centrale (anesthésiste)
ou directement dans l'OD (chirurgien), après aspiration pour contrôler le retour de sang; elle est suivie
d'un rinçage pour être sûr que la totalité de la dose soit injectée et par l'annonce à voix haute que
l'héparine a été donnée; le chirurgien et le perfusioniste savent ainsi que l'on peut dès lors récupérer le
sang par les aspirations de CEC. L'ACT de contrôle est mesurée 3 minutes plus tard. Si l'ACT est <
400 secondes, on ne commence pas la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 –
10'000 UI). L'anticoagulation continue par héparinisation intraveineuse pendant 2 à 4 jours
préopératoires peut épuiser les réserves en antithrombine III de l’organisme, et empêcher une
anticoagulation efficace en CEC; l'ACT n'atteint pas la valeur recherchée. Le traitement est
l’administration d'antithrombine III (Kybernin®, Atenativ®, 800-1'000 UI pour un adulte).

Un antifibrinolytique diminue les risques hémorragiques, particulièrement chez les patients sous
antiplaquettaires [5,9]. L'aprotinine (Trasylol®) a été utilisée à cet effet pendant une douzaine d'années,
mais il s'est révélé que, outre le risque de choc anaphylactique, elle augmente le taux d'insuffisance
rénale d'ictus, d'évènements cardiaques et de mortalité par rapport à l'acide tranexamique ou à l'acide
ε-amino-caproïque [8]. La plupart des centres ont choisi de remplacer l’aprotinine par l’acide
tranexamique (Anvitoff®, Cyclokapron®). Bien que légèrement moins efficace pour diminuer les
pertes sanguines et les reprises chirurgicales dues à une hémorragie, il ne déclenche pas de réactions
allergiques ni de dysfonction rénale postopératoire. Les dosages décrits dans la littérature varient de 10
à 100 mg/kg. Il est important d’administrer une première dose avant la CEC (15-30 mg/kg), suivie
d’une perfusion (2-25 mg/kg/h) ou d’une répétition de la première dose dans la CEC, et d’une dose
après la CEC [10]. La dose habituelle est de 30 mL/kg et la dose maximale est de 150 mg/kg.
L’augmentation des doses accroît le risque de convulsions postopératoires [6].

Le sang récupère une capacité de coagulation normale dès que 60% des plaquettes sont fonctionnelles,
mais il n’y a pas d’antidote aux antiplaquettaires. Lorsque ces derniers sont irréversibles, leur effet ne
disparaît que par le renouvellement des plaquettes (10%/jour). Dans l’attente, seule une transfusion de
thrombocytes frais peut rétablir la coagulabilité sanguine. Le taux plasmatique d’une substance étant
négligeable après 3 demi-vies, on peut estimer que les plaquettes transfusées fonctionneront

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
normalement, alors que celles du patient sont encore bloquées, dans un délai de 24 heures après la
dernière prise de clopidogrel, (demi-vie du métabolite actif: 8 heures) et de 12 heures après la dernière
prise de prasugrel (demi-vie du métabolite actif: 4 heures).

En ce qui concerne les substances qui ont une action réversible, le délai de 3 demi-vies est suffisant
pour que les thrombocytes du patient récupèrent une fonction adéquate. Les délais suivants permettent
donc d’opérer dans des conditions normales :

 72 heures après l’arrêt de l’abciximab (demi-vie 23 heures) ;


 36-48 heures après l’arrêt du ticagrelor (demi-vie 7-12 heures) ;
 6 heures après l’arrêt de la perfusion d’eptifibatide ou de tirofiban (demi-vies 2 heures) ;
 20-60 minutes après l’arrêt de la perfusion de cangrelor selon la durée du traitement (demi-vie
6 minutes, mais risque de cumul).

A cause de sa liaison réversible avec le récepteur, le ticagrelor a cependant la capacité de diffuser entre
les plaquettes en fonction de l’équilibre de masse, de se lier aux nouvelles plaquettes mises en
circulation, et de migrer sur les plaquettes fraîchement transfusées. Sa forte liaison aux protéines
plasmatiques assure également un vaste réservoir de substance susceptible d’interférer avec les
récepteurs disponibles. Dans ce cas, l’inhibition de l’agrégabilité est directement proportionnelle au
taux sérique pour toutes les plaquettes. La transfusion plaquettaire perd alors de son efficacité. Bien
qu’il n’augmente pas le risque hémorragique par rapport au clopidogrel, le ticagrelor altère
considérablement l’efficacité d’une transfusion plaquettaire pendant les 2-3 jours qui suivent la
dernière prise, si bien que l’hémorragie, lorsqu’elle survient, est plus difficile à juguler [7]. Une
opération conduite dans des délais plus courts peut nécessiter la transfusion de plaquettes. Toutefois,
une perfusion de thrombocytes actifs en grand nombre peut déclencher une thrombose au niveau de
plaques instables ou dans des stents non encore endothélialisés [1]. Ce risque impose d'opérer dans un
état d'hypocoagulabilité.

Examens

La disponibilité de nouveaux appareils pour évaluer la chaîne coagulatoire en salle d'opération, comme
le thromboélastogramme, permet de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en
fonction des déficits spécifiques décelés au lieu de perfuser une abondance de divers agents de
manière indiscriminée. L’utilisation de ces tests au sein d’un algorithme basé sur l’administration
ciblée de procoagulants permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de
produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle (voir Chapitre 8,
Tests peropératoires) [3,4,11].

 ACT (valeur normale 110-150 secondes);


 Thromboélastogramme (ROTEM™);
 Fibrinogène si Fibtem < 15 mm;
 Numération thrombocytaire et test d'agrégabilité plaquettaire (VerifyNow™, Multiplate™) si
anomalie des plaquettes ou traitement antiplaquettaire autre que l'aspirine;
 Temps de coagulation (Tc), TP, TPT et activité anti-Xa si anticoagulation orale préopératoire.

L'ACT est contrôlé 3 minutes après l'administration de l'héparine avant la CEC, puis aussi souvent que
nécessaire pendant la CEC. Il est recontrôlé 10 minutes après l'administration de protamine.
Idéalement, le thromboélastogramme est répété trois fois au cours d'une intervention.

 Au début de l'intervention avant la CEC, comme valeur de base (facultatif).


 Après le déclampage aortique, avant la mise en charge, essentiellement Fibtem et Heptem. Le
cas échéant, préparation des facteurs de coagulation déficitaires, notamment du fibrinogène si
le Fibtem est < 15 mm (voir Figure 8.19) [3,11].
 Après l'administration de protamine (environ 10 minutes).

99
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Dégeler du PFC ne se justifie que lorsqu'on s'attend à une hémorragie majeure (chirurgie de l'aorte
thoracique ou de la paroi ventriculaire, reprise, anticoagulation préalable, etc), mais non pour son
apport en facteur de coagulation, qui est très faible. Une proportion PFC:sang de 1:1 est recommandée
en cas d'hémorragie massive après chirurgie cardiaque [2].

Anticoagulation et CEC

Anticoagulation par héparine non-fractionnée pour la chirurgie cardiaque:


- CEC: 300 UI/kg ACT visé: > 450 secondes
- Pontages à cœur battant (OPCAB): 250 UI/kg ACT visé: 350 secondes
- TAVI et Mitraclip: 100 UI/kg ACT visé: 250 secondes
Administration d’un antifibrinolytique (acide tranexamique 15-30 mg/kg) avant et après la CEC

Tests de coagulation: ROTEM (avant CEC, avant mise en charge et après protamine), test
d'agrégabilité plaquettaire (si anomalie thrombocytaire ou traitement antiplaquettaire), TC, TP, TPT,
anti-Xa si traitement anticoagulant oral.

Références

1 CHASSOT PG, MARCUCCI C. Thérapie antiplaquettaire. Potentiels et dangers des nouveaux agents. Cardiovasc 2010; 9:9-12
2 DELANEY M, STARK PC, SUH M, et al. Massive transfusion in cardiac surgery: The impact of bood component ratios on
clinical outcomes and survival. Anesth Analg 2017; 124:1777-82
3 GÖRLINGER K, DIRKMANN D, HANKE AA ; et al. First-line therapy with coagulation factor concentrates combined with
point-of-care coagulation testing is associated with decrease allogeneic blood transfusion in cardiovascular surgery.
Anesthesiology 2011 ; 115 : 1179-91
4 GÖRLINGER K, FRIES D, DIRKMANN D, et al. Reduction of fresh frozen plasma requirements by perioperative point-of-care
coagulation management with early calculated goal-directed therapy. Transfus Med Hemother 2012 ; 39 :104-13
5 HARDER S, KLINKHARDT U, ALVAREZ JM. Avoidance of bleeding during surgery in patients receiving anticoagulant and/or
antiplatelet therapy. Clin Pharmacokin 2004; 43: 963-81
6 KOSTER A, SCHIRMER U. Re-evaluation of the role of antifibrinolytic therapy with lysine analogs during cardiac surgery in the
post aprotinin era. Curr Opin Anaesthesiol 2011; 24:92-7
7 KOZEK-LANGENECKER SA, AFSHARI A, ALBALADEJO P, et al. Management of severe perioperative bleeding :
Guidelines from the European Society of Anaesthesiology. Eur J Anaesthesiol 2013; 30:270-82
8 MANGANO DT, TUDOR I, DIETZEL C, et al. The risk associated with aprotinin in cardiac surgery. N Engl J Med 2006;
354:353-65
9 McILROY DR, MYLES PS, PHILLIPS LE, SMITH JA. Antifibrinolytics in cardiac surgical patients receiving aspirin: a
systematic review and meta-analysis. Br J Anaesth 2009; 102:168-78
10 UMSHEID CA, KOHL BA, WILLIAMS K. Antifibrinolytic use in adult cardiac surgery. Curr Opin Hematol 2007; 14:455-67
11 WEBER CF, GÖRLINGER K, MEININGER D. Point-of-care testing : a prospective randomized clinical trial of efficacy in
coagulopathic cardiac surgery patients. Anesthesiology 2012 ; 117 : 531-47

L'anesthésie pendant la circulation extra-corporelle

Bien qu'il soit tenté de considérer ce temps comme une période de repos pour lui, l'anesthésiste a une
série de contrôles à effectuer pendant la CEC: au démarrage de la pompe (Tableau 4.12), en cours de
CEC (Tableau 4.13) et avant la mise en charge (voir Tableau 4.14). D'autre part, il doit continuer à
assurer le sommeil, l'analgésie et la myorelaxation du patient dans une situation où les critères
habituels sont perdus (fréquence cardiaque et respiratoire, pression artérielle, PetCO2, etc). De plus, la
CEC introduit d'importantes modifications pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. Pour être
rapidement efficaces en pompe, les médicaments doivent être administrés dans le circuit veineux de la
CEC, ou éventuellement par la voie centrale, mais jamais par une voie veineuse périphérique où la
circulation est très ralentie, notamment en hypothermie. Les perfusions continues restent brancées sur
la voie centrale.

100
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.12
Contrôles au démarrage de la CEC

Patient

 ACT > 400 secondes


 Patient endormi: isoflurane 1-2% ou sevoflurane 1.5-2% sur l'oxygénateur de CEC, propofol en perfusion (5 mg/kg/h)
ou midazolam (5-15 mg). BIS: 40-60
 Face: couleur, asymétrie (canule artérielle sélective), œdème et chemosis (canulation VCS)
 Contrôle fréquent des pupilles
 PAM 60-80 mmHg, PVC < 5 mmHg, PAP < 15 mmHg
 SpO2 > 97% (artéfacts fréquents), SaO2 100% (circuit artériel de CEC, contrôle l'oxygénateur, non le patient),
 couleur du malade et du champ opératoire, nette différence de couleur entre les canules artérielles et veineuses
 ScO2 > 60% des deux côtés (monitorage de la perfusion cérébrale, mais seule mesure de l'oxygénation tissulaire).
Si elle chute (10-25 points), augmenter la PAM et contrôler la gazométrie; une baisse de ≥ 20 points est un signal
d’alarme de souffrance cérébrale. En hypothermie, la ScO 2 doit s'élever.
 SvO2 > 70% (retour veineux CEC)
 Si hypotension ou désaturation sévères: retour en charge immédiat
 Si air dans la canule artérielle: clampage immédiat et retour en charge

Médicaments

 Arrêt des perfusions


 Arrêt des catécholamine(s), anti-arythmiques, dérivés nitrés, etc
 Analgésie assurée (fentanyl, sufentanil, remifentanil)
 Curarisation selon besoins
 Vasoconstricteur (néosynéphrine) à disposition
 Les médicaments en perfusion sont administrés sur la voie centrale, les bolus sont injectés dans la machine de CEC

Machine d'anesthésie

 Maintenir la ventilation en cas de désaturation


 En CEC partielle: ventilation réduite de moitié (VC 3-4 mL/kg, fréquence 6-8/min, pas de PEEP)
 Dès le plein débit de CEC: ventilation stoppée; débit de gaz frais 0.5-1 L/min, Fi O 2 0.3-0.5, pas de PEEP
 CPAP < 5 cm H2O si nécessaire
 CEC partielle ; en cas d'utilisation d'un halogéné, maintenir la même Fi sur l'oxygénateur et sur le respirateur tant que
celui-ci est en fonction

Moniteur

 Zéro des capteurs vérifiés, températures oesophagienne et rectale/vésicale en place


 Alarmes stoppées, volume sonore à zéro; vidange de l'urimètre
 Retrait du cathéter de Swan-Ganz de 5-10 cm (maintien en AP), ballonnet dégonflé
 Si cardioplégie rétrograde, branchement sur une ligne de pression dédiée (P 10-20 mmHg) et contrôle ETO
 Si double canulation cave: mesure de la pression sur le bras latéral de l'introducteur ou le canal proximal du cathéter
de PVC (pression veineuse cérébrale)
 ETO: contrôle du VG (dilatation sur IA) et de sa vidange (drainage OG, VG ou veine pulmonaire supérieure droite)

Hypotension (PAM < 40 mmHg) au démarrage de CEC

 Baisse de viscosité (démarrage trop brusque, hémodilution importante)


 Vasoplégie
 Insuffisance aortique (dilatation VG)
 Débit insuffisant, mauvais retour veineux
 Shunt resté ouvert, aspiration excessive (canule cardioplégie, filtre artériel)
 Dissection de l'aorte (pression élevée sur la ligne artérielle de CEC)

101
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.13
Contrôles en cours de CEC

Surveillance patient

 Sommeil assuré (> 30° oesophage) par halogéné (revascularisation coronarienne),


propofol (5 mg/kg/h) ou midazolam. Contrôle par le BIS (40-60)
 Curarisation si: ouverture cavités gauches, frissons, mouvements, SvO2 < 60%
 PAM 50-80 mmHg
 PaO2 100-150 mmHg, PaCO 2 40 mmHg (en normothermie)
 SpO2 et SaO 2 98-100%, SvO2 ≥ 70%, couleur du malade et du champ opératoire
 ScO2 > 60% (des deux côtés)
 Ht, glycémie, status acido-basique, K+
 Gradient de température (ΔT°) < 10°C entre températures rectale et oesophagienne
 Silence électrique sur l'ECG
 Les médicaments en perfusion sont administrés sur la voie centrale, les bolus sont
injectés dans la machine de CEC
 Seuil de transfusion en CEC: Ht ≤ 21% (≤ 25% dans les cas à haut risque)

Surveillance machine de CEC

 Pression sur la ligne artérielle (max: 3 x PAM)


 SaO2 (oxygénateur de CEC), SvO2 (retour veineux de CEC), SpO2 (patient, dépulsé),
ScO2 (perfusion tissulaire)
 Niveau du réservoir veineux
 ACT > 480 sec (circuits pré-héparinés: > 350 sec)
 FiO2, halogéné
 Gradient de température (ΔT°) < 10°C entre l'échangeur thermique et le sang
 Refroidissement: ΔT° < 10°C entre l'entrée et la sortie de l'échangeur thermique
 Réchauffement: T° maximale du sang 37°C, vitesse de réchauffement: 1° par 3-5 min

Surveillance machine d'anesthésie

 FiO2 0.3-0.6 (pas de N2O), ), flux continu passif avec débit de gaz 0.5-1.0 L/min
 P ventil < 5 cm H2O, ballon du circuit respiratoire dégonflé

Surveillance moniteur

 Températures (rectale/vésicale, oesophagienne ou cérébrale, Swan-Ganz)


 Gradient de température (ΔT°) < 10°C entre températures rectale et oesophagienne
 ECG: silence électrique
 ScO2 > 60%; BIS < 40 et SPI < 50 en normothermie (BIS non fiable en hypothermie)

Le circuit de CEC est constitué, dans l’ordre : du drainage veineux (par gravité) (1) vers le réservoir
(2) où aboutit aussi le sang des aspirations, de la pompe (centrifuge ou à galet) (3) qui propulse le sang
vers l'oxygénateur à membrane (4) auquel est couplé l'échangeur de chaleur (5) et souvent un
vaporisateur d'halogéné, et de la canule artérielle munie d'un filtre et d'un piège à bulle (6) (Figure
4.19 et Figure 4.20) [11]. Sur la machine de CEC, des capteurs surveillent le niveau du réservoir, la
SvO2 , la SaO2 (contrôle de l'oxygénateur), l’éventuel passage de bulles et la pression sur la ligne
artérielle. La PaO2 recherchée est 100-300 mmHg, la PaCO2 35-40 mmHg et la PvO2 > 40 mmHg,
mesures faites à 37°C. Le volume d'amorçage, qui est de 0.8-1.5 L, cause une hémodilution qui
diminue la viscosité du sang. On peut diminuer le volume d’amorçage par un remplissage rétrograde
depuis le patient ou par une réduction du volume total de la machine (MECC: minimal extra-corporeal
circulation). En hypothermie, la viscosité reste stable lorsque l’Ht a la même valeur en pourcent que la
température en degrés C°. L'hémodilution et la baisse de viscosité provoquent une hypotension
passagère en début de CEC. La concentration en Hb est habituellement 60 – 80 g/L pendant la CEC.
Le seuil de transfusion est habituellement fixé à Ht < 21%.

102
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Figure 4.19:
Représentation schéma-
tique d'un circuit de CEC
avec un oxygénateur à
membrane. Celui-ci
6
présentant une certaine
résistance, il est placé après
la pompe. 1
1: canule de drainage
veineux.
2: réservoir veineux.
3: pompe principale. 3 5
4: oxygénateur à 2
membrane.
5: échangeur de chaleur.
6: filtre et canule artérielle.
4

O2
© Chassot 2015

Au démarrage de la CEC, le perfusioniste relâche le clamp veineux et draine le sang de l'OD dans la
machine. Simultanément, il accélère le débit de la pompe artérielle. Celle-ci pousse en premier la
solution d'amorçage du circuit, ce qui représente une hémodilution aiguë pour le patient. Lorsque le
plein débit est atteint, on peut arrêter le respirateur d'anesthésie (voir Ventilation). Trois points sont à
prendre en compte à ce sujet.

 Avant et après le clampage aortique, le cœur bat et entretient une certaine circulation
pulmonaire. Il est donc judicieux de maintenir une ventilation réduite en ajustant, par exemple,
les paramètres du ventilateur à la moitié des valeurs à cœur battant (FiO2 0.5, VC 3-4 mL/kg,
fréquence 5-8 cycles/min).
 Lorsque l'aorte est clampée, l'absence de circulation pulmonaire justifie un arrêt complet du
respirateur. Rien dans la littérature ne permet de recommander une quelconque forme de
ventilation autre qu'un flux passif de mélange O2/air (1 L/min, FiO2 0.3-0.5).
 Les manœuvres de capacité vitale (30-40 cm H2O pendant 20-30 secondes) sont essentielles
au moment de la reprise de la ventilation avant la mise en charge; on surveille soigneusement
le champ opératoire au cours de ces manœuvres pour éviter de gêner l'opérateur ou d'exercer
une traction délétère sur le(s) greffon(s) mammaire(s).

Les principaux incidents en cours de CEC sont l’hypoxémie, l’hypotension, l’hyperkaliémie et la


résistance à l'héparine. Parmi les accidents, l’embolie gazeuse, la thrombose dans le circuit et la
dissection de l'aorte sont les plus redoutés.

Hémodynamique

Bien qu'il n'y ait pas de consensus universel à ce sujet, on considère en général que le débit de pompe
normal est de 2.4 L/min/m2 à 35-37°C (70 mL/kg/min) et de 1.8 L/min/m2 à 28°C [18].
L'autorégulation est différemment préservée selon les organes. Le flux sanguin cérébral est maintenu
constant sur une plage de débit de 1.0 à 2.4 L/min/m2, alors que le flux dans les viscères abdominaux

103
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
baisse dès que le débit est inférieur à 2.0 L/min/m2. Les viscères peuvent déjà souffrir d'ischémie (↓
DO2) alors que les reins et le cerveau sont encore suffisamment perfusés (DO2 normal) [5]. En-dehors
de ces zones d'autorégulation, le flux devient pression-dépendant. Chez l'hypertendu, la plage
d'autorégulation est déplacée vers le haut.

Ligne de cardioplégie
Ligne
artérielle Aspiration aortique

Aspiration
cardiotomie

Solutions
Aspiration VG cardioplégiques

Moniteur
Réservoir de
SvO2 cardiotomie
Filtre

Clamp
Détecteur veineux
de bulles

SaO2
Pompes aspirations Pompe de
cardioplégie
Réservoir
Détecteur veineux
Filtre de niveau
artériel Filtre Débitmètre
+ trappe gaz (P centrifuge)
à bulles Oxygénateur Pompe
Détecteur
de bulles artérielle

FiO2 Echangeur
thermique
O2
Air
Débit
Vaporisateur mètre Blender

Figure 4.20: Représentation synthétique d'un circuit complet de CEC avec tous ses éléments [Extrait de:
Gravlee GP (ed). Cardiopulmonary bypass: principles and practice, 2nd edition. Philadelphia: Lippincott,
Williams & Wilkins, 2000, Figure 5.1].

Bien que le maintien du débit de pompe soit prioritaire sur celui de la pression, il est recommandé de
garder une PAM de 50-80 mmHg. Une pression basse (50-60 mmHg) a des avantages:

 ↓ traumatisme des éléments figurés du sang;


 ↓ hémorragie et ↓ besoins en transfusion;
 ↓ circulation collatérale, notamment bronchique;
 ↓ charge embolique cérébrale.

Dans la mesure où la perfusion rénale et splanchnique est suffisante, cette pression dans la zone
normale-basse est satisfaisante pour les cas à risque faible et les malades normotendus. En présence
d'athéromatose vasculaire, de diabète, d'hypertension artérielle, d’insuffisance rénale, de sténose

104
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
carotidienne, et d'un âge avancé (> 70 ans), il est préférable de maintenir la PAM dans la zone
normale-haute (70-80 mmHg) pour trois raisons:

 ↑ perfusion tissulaire (cérébrale, hépatique, rénale);


 ↑ circulation collatérale;
 ↓ séquelles neurologiques.

En CEC, la PAM est réglée par des bolus de néosynéphrine ou de phentolamine, une perfusion de
noradrénaline, ou une augmentation momentanée de la Fi isoflurane à 2-5%. A partir de la formule des
résistances artérielles (RAS = 80 (PAM – POD) / DC en dynes s cm-5), on peut aisément calculer les
RAS en CEC puisque le DC est le débit de pompe (DP) et la POD considérée comme nulle:

RAS = 80 • (PAM / DP)

Le sommeil est maintenu par l’administration continue d’un halogéné à 1-1.5 MAC, une perfusion de
propofol (5 mg/kg/heure) ou des bolus de midazolam (5-15 mg). La curarisation est recommandée en
cas de frissons, d’ouverture des cavités gauches, d’arrêt circulatoire ou de chute de la SvO2 < 60%.
Lorsque le patient est curuarisé, il faut s’assurer que son sommeil soit garanti. Toutes les perfusions
sont interrompues pendant la CEC.

Pharmacocinétique et pharmacodynamique

La CEC interfère avec la pharmacocinétique et la pharmacodynamique des médicaments par plusieurs


phénomènes [3,20].

 Hémodilution par le volume d’amorçage et augmentation du volume de distribution (Vd) ; la


diminution des concentrations est de l'ordre de 10-55% selon les substances. Les taux
plasmatiques se ré-équilibrent secondairement par redistribution à partir des tissus [12]. Ceci
implique un risque de réveil et de décurarisation au démarrage de la CEC. Pour les curares,
qui sont des substances hydrophiles restant à l'extérieur des callules, le Vd est petit, la liaison
protéique faible, et la dilution soudaine d'autant plus importante [7].
 Baisse de la quantité de substance fixée sur les protéines et augmentation du taux de
substances libres dans le plasma par hémodilution et hypoprotéinémie relative. L’héparine
déplace également les substances liées aux protéines par la libération d'acides gras libres
qu'elle provoque (relargage de lipoprotéine-lipase) qui ont une forte affinité pour les protéines
plasmatiques. Ce déplacement contribue à augmenter le taux libre des substances à forte
fixation protéique (propofol, midazolam, opioïdes).
 L’hypothermie ralentit l’absorption, l’affinité pour les récepteurs et le métabolisme des
substances (diminution des clairances, diminution de la réaction d'Hoffman). La demi-vie
d'élimination du fentanyl est allongée de 25% par la CEC. Celle de l'alfentanil est presque
triplée: elle passe de 72 minutes avant la CEC à 195 minutes après la remise en charge [13];
ceci oblige à réduire la vitesse de perfusion de l'alfentanil de 3 mcg/kg/min avant la CEC à 1
mcg/kg/min après la pompe.
 La solubilité des gaz augmente à froid. Mais l'hypothermie diminue aussi les besoins en agents
d'anesthésie.
 Séquestration pulmonaire : les poumons servent de réservoir aux substances liposolubles
basiques comme le fentanyl, le sufentanil, le propofol ou la lidocaïne; elles y restent stockées
pendant la CEC puisqu'il n'y a plus de circulation pulmonaire [19]. Elles sont relarguées au
moment où la circulation est rétablie, avec une augmentation momentanée de leurs taux
circulants. La noradrénaline est partiellement métabolisée dans les poumons ; cette
métabolisation cesse pendant l’exclusion pulmonaire.
 Diminution des flux dans les organes par hypothermie, vasoconstriction, hypotension et
dépulsation. Les substances sont séquestrées dans les muscles pendant le bas débit et
relarguées au réchauffement.
105
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Absorption des substances lipophiles comme les opiacés, le propofol et les halogénés par les
plastiques de la CEC. Cet effet est difficilement quantifiable car les matérieux utilisés sont en
constante évolution et l'on dispose rarement de données fiables à leur sujet.
 Soustraction d'un grand nombre de molécules de petite taille au compartiment central de la
circulation par l'hémofiltration (molécules < 20'000 Dalton).
 La réaction inflammatoire systémique importante déclenchée par la CEC altère le
fonctionnement cérébral (dysfonction cognitive) et diminue les besoins en agents
anesthésiants [4,10].

La solubilité des gaz augmentant lorsque la température baisse, l'hypothermie accroît la quantité
d'halogénés dilués dans le sang et baisse leur pression partielle tissulaire. Le coefficient de partition
sang:gaz des halogénés s'élève. Il faut donc en augmenter leur concentration pour obtenir le même
effet (augmentation de la MAC apparente): en-dessous de 30°C, la concentration sanguine de
l'isoflurane est la moitié de la fraction inspirée affichée sur le vaporisateur [22]. Toutefois, les besoins
en agents d'anesthésie sont réduits par l'hypothermie, puisqu'il n'y a plus d'activité consciente en
dessous d'une température cérébrale de 32°; la MAC réelle des halogénés diminue linéairement entre
37° et 20°, où elle devient nulle [1]. Ces deux effets tendent donc à se compenser l'un l'autre.

L'administration d'halogénés dans le circuit de CEC pose plusieurs problèmes, parce que les
fabriquants n'ont jusqu'ici jamais intégré de vaporisateur dans leurs machines [4].

 Le type d'oxygénateur a son importance. Les oxygénateurs à membrane de polypropylène


microporeux, les plus couramment utilisés, absorbent partiellement les halogénés mais la
diffusion de ces derniers n'est pas entravée. Les oxygénateurs à membrane de
polyméthylpentane, au contraire, bloquent le passage des halogénés; ils sont principalement
utilisés dans les circuits de longue durée comme l'ECMO, mais rarement en salle d'opération
[23].
 Sous leur forme liquide, les halogénés endommagent considérablement les plastiques de la
CEC. Le vaporisateur doit donc toujours être placé en contre-bas de la machine.
 Pour éviter de polluer la salle d'opération, les halogénés doivent être évacués à partir de
l'orifice de sortie des gaz de l'oxygénateur. C'est à ce niveau que l'on devrait mesurer leur
fraction expirée (Fe), qui est étroitement corrélée à la MAC réelle reçue par le patient alors
que la fraction inspirée (Fi) affichée sur le vaporisateur l'est beaucoup moins; mais cette
mesure n'est pas routinière et présente quelques difficultés techniques.
 La tolérance vis-à-vis du montage artisanal d'un vaporisateur sur la machine de CEC varie
selon les pays. Alors que ce montage est bien accepté en Amérique du Nord, l'attitude est plus
restrictive dans l'Union Européenne, dont une directive soumet toute modification ou ajout au
circuit de CEC à une approbation officielle qui en certifie la sécurité [6].

Le sommeil est assuré principalement de trois manières.

 Gaz halogéné à 1-1.5 MAC, distribué par un vaporisateur placé sur l'arrivée des gaz frais dans
l'oxygénateur; isoflurane et sevoflurane font jeu égal du point de vue de la pharmacocinétique
(demi-vie terminale 10 minutes) et de la protection myocardique [8]. Etant plus vasodilateur,
l'isoflurane est pratique chez les hypertendus.
 Perfusion de propofol (3-5 mg/kg/h); idéal pour assurer un réveil rapide et une continuité avec
la sédation postopératoire, le propofol n'offre cependant pas la cardioprotection
(préconditionnement) qu'assurent les halogénés chez les coronariens [14]. D'autre part, il
n'existe pas de modèle pharmacocinétique adéquat pour la perfusion à objectif de
concentration en CEC, qui est conduite habituellement de manière empirique [4].
 Midazolam (bolus itératifs de 5 mg, perfusion de 1.5-2.0 mcg/kg/h); comme il retarde
l'extubation, le midazolam est réservé aux cas complexes qui justifient une ventilation
postopératoire prolongée.

106
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
En l'absence des critères habituels de sommeil (rythme, pression, mouvements, etc), le BIS™ est une
des rares données sur la profondeur de l'anesthésie. Malheureusement, celui-ci est peu fiable en CEC,
car il s'abaisse avec la température et remonte au réchauffement, de manière très variable selon les
individus [4,21]. Une valeur de BIS™ excessivement basse (< 30) traduit en général une anesthésie
trop profonde; couplée à une hypotension simultanée ("double low"), cette donnée présente un lien
avec la mortalité lorsqu'elle dure > 60 minutes [15]. Même s'il peut prévenir un surdosage en
anesthésiant, le BIS™ n'est pas en soi un moniteur de l'ischémie cérébrale [2]. Il est utile par défaut
plutôt que par pertinence. Pour autant que la curarisation ne soit pas nécessaire, comme elle l'est lors
de cardiotomie gauche ou de désaturation veineuse centrale, il est utile de maintenir les patients sous-
curarisés de manière à ce que l'apparition de mouvements puisse alerter d'une anesthésie insuffisante
[9].

Hypothermie

L'hypothermie diminue le métabolisme de 7% par °C. Elle augmente la solubilité des gaz, donc induit
une alcalose par baisse de la PaCO2. Elle modifie de manière variable les constantes de dissociation
(pKa): le pouvoir tampon du bicarbonate est perdu < 28°C, mais celui des protéines (fonction
histidine) est conservé. Le gradient entre la température du sang et celle de l'eau de l'échangeur
thermique ou entre les températures rectale et oesophagienne doit rester < 10°C. En hypothermie,
l'activité neuronale disparaît à des températures différentes selon le niveau hiérarchique: le cortex
cesse toute activité consciente dès 31°C, l'hypothalamus et les régulations circulatoires sont actifs
jusqu'à 25°C; le bulbe s'endort vers 20-22°C. Le silence électrique (EEG isoélectrique) est atteint à
20°C [17]. En CEC à 28-30°C, le malade peut être inconscient mais manifester une réactivité
autonome: poussée hypertensive, activité diaphragmatique. L'anesthésiste doit combiner deux
attitudes:

 Endormir plus profondément le patient: midazolam, propofol, halogéné;


 Traiter symptomatologiquement l'effet-cible: vasodilatateur ou vasoconstricteur, curare.

La stimulation douloureuse étant quasi-nulle en CEC, les opiacés sont de peu d'utilité. Ils restent
indiqués en cas d'hypertension pulmonaire au déclampage, ou lors d'anesthésie stress-free sous hautes
doses de fentanyl. Dès le réchauffement (> 31°C), l'activité consciente peut reprendre; il faut donc
s'assurer du sommeil et de l'analgésie en administrant du midazolam, du propofol en perfusion, ou un
halogéné sur l'oxygénateur. Ce point est particulièrement important au moment de la défibrillation, qui
est un stimulus massif. Il est judicieux d'éviter une vasoconstriction lorsque la température remonte,
afin que les échanges thermiques tissulaires soient rapides et homogènes. Le réchauffement ne doit pas
dépasser 4°C/20 minutes ni le gradient de température artère – oesophage la valeur de 2-3°C. Un
réchauffement trop rapide conduit à une hyperthermie cérébrale (38-39°C) qui se prolonge plusieurs
heures et qui aggrave les troubles neurologiques.

Cardioplégie

Une fois l'aorte clampée, le coeur est arrêté par une solution de cardioplégie froide enrichie en K+ (20
mEq/L) et distribuée par voie antégrade (canule dans la racine de l'aorte, canulation directe des ostia
coronariens) ou rétrograde (sinus coronaire) à raison de 100-300 mL/min. Il en existe plusieurs types
[16] :

 Solutions cristalloïdes froides (4-6°C) hyperosmolaires; contiennent 15-20 mEq K+/L,


bicarbonate, histidine, procaïne, mannitol;
 Cardioplégie au sang; la proportion sang:solution cardioplégique est de 5:1 ; contient 10-20
mEq K+/L, mais aussi du glucose, les tampons physiologiques, et transporte de l'O2; peut être
froide (4-6°C) ou normothermique;
 Sang de CEC (selon température du perfusat) enrichi de K+ au pousse-seringue;

107
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Le refroidissement du cœur est rendu uniforme par adjonction d’un bain de cristalloïde froid
(4°C) dans le péricarde.

Lorsqu’elle est administrée par la racine de l’aorte, la cardioplégie ne perfuse les coronaires que si la
valve aortique est étanche. En cas d’insuffisance aortique (IA), même minime, une partie fuit dans le
VG et peut le mettre sous tension puisqu’il n’éjecte plus. Il est de la plus haute importance de
surveiller la taille du VG à l’ETO pour éviter toute dilatation aiguë pouvant conduire à une défaillance
sévère du ventricule. En cas de fuite aortique, le VG est contenu manuellement par l'opérateur et la
cardioplégie est fractionnée pour permettre la vidange du ventricule. On peut aussi recourir à la
fibrillation ventriculaire induite par un fibrillateur électrique. Le silence électrique sur l'ECG est une
garantie d'un arrêt efficace du métabolisme myocardique. Toute reprise d'une activité électrique sur le
moniteur doit immédiatement être signalée au chirurgien. La cardioplégie est réadministrée toutes les
30-45 minutes.

A la fin des manipulations intracardiaques (pontages, mise en place de prothèse, etc), l'aorte est
déclampée et la circulation coronarienne est rétablie. Souvent le cœur se remet à battre spontanément,
mais il arrive aussi qu'il fibrille. On procède alors à une défibrillation au moyen de palettes internes (5-
20 J). Si la fibrillation persiste, la puissance est augmentée, mais la valeur maximale possible par cette
voie est 50 Joules. Du magnésium (1-2 g) et de la lidocaïne (1.5 mg/kg) sont administrés dans la CEC.
Si le rythme reste instable, ajouter 150-300 mg d'amiodarone par voie veineuse en 20 minutes.
Certaines fibrillations réfractaires demandent des dizaines de défibrillations successives.

Anesthésie pendant la CEC

Le sommeil est maintenu par l’administration continue d’un halogéné (1-1.5 MAC), une perfusion de
propofol (3-5 mg/kg/heure) ou des bolus/perfusion de midazolam (5-15 mg). La curarisation est
recommandée en cas de frissons, d’ouverture des cavités gauches, d’arrêt circulatoire ou de chute de
la SvO2 < 60%.

On considère en général que le débit de pompe normal est de 2.4 L/min/m2 à 35-37°C (70
mL/kg/min) et de 1.8 L/min/m2 à 28°C. Le flux sanguin cérébral est maintenu constant sur une plage
de débit de 1.0 à 2.4 L/min/m2, alors que le flux dans les viscères abdominaux baisse dès que le débit
est inférieur à 2.0 L/min/m2.

On maintient une PAM de 60-70 mmHg. En présence d'athéromatose vasculaire, de diabète,


d'hypertension artérielle, d’insuffisance rénale, de sténose carotidienne, et d'un âge avancé (> 70
ans), il est préférable de maintenir la PAM à 70-80 mmHg. La PAM est réglée par des bolus de
néosynéphrine ou de phentolamine, une perfusion de noradrénaline, ou une augmentation
momentanée de la Fi isoflurane à 2-5%. En CEC : RAS = 80 • (PAM / DP) où DP = débit de pompe.

En cas d’insuffisance aortique, même minime, contrôler la taille du VG (ETO) pendant


l’administration de la cardioplégie et veiller à l’absence de dilatation ventriculaire. Surveiller ensuite
l’adéquation de la cardioplégie par le silence électrique sur l’ECG.

S’assurer du maintien du sommeil pendant le réchauffement. L’activité cérébrale consciente, absente


< 30°C, peut reprendre lorsque le patient se réchauffe.

Références

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Sevrage de la CEC

Préparation au sevrage

Le sevrage de la CEC est un moment critique qui doit être préparé et effectué en synergie entre
chirurgien, perfusionniste et anesthésiste. Le plan thérapeutique est discuté et établi à l'avance, de
manière à éviter les discussions contradictoires et les pertes de temps au moment où des décisions
rapides s'imposent. La communication est de toute première importance. Toutes les manœuvres se font
en coordination et chacun annonce à haute voix celles qu'il entreprend (Figure 4.21) [1].

La check-list des contrôles à effectuer avant la mise en charge figure dans le Tableau 4.14. Un certain
nombre de conditions doivent être remplies avant la mise en charge.

 Température centrale (œsophage) > 36°C, température rectale > 35°C. Les températures naso-
pharyngienne et tympanique, qui représentent la T° cérébrale, sous souvent plus élevées (≥
38°C) à cause de la dérive hyperthermique du cerveau lors d'un réchauffement rapide; elles ne
sont pas un bon critère pour la mise en charge.
 Placement de l'électrode ventriculaire d'entraînement par le pace-maker; l'électrode auriculaire
est en général fixée après la décanulation veineuse.

109
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
CEC:
Déclampage assistance,
de l’aorte Reventilation réchauffement

Défibrillation Vidange T°rect


de l’air > 35°

Catécholamines
Pace-
maker

Mise
en
charge

Artère: dP/dt, pression


Anastomoses proximales
ETO: FE, dimension VG, IM,
Chirurgie du coeur droit
ETO + vision: taille VD, IT
Swan/PiCCO: VS, DC
© Chassot 2015

Figure 4.21: Déroulement des évènements précédant la fin de la CEC et la mise en charge. Cadres rouges:
activités chirurgicales; cadres bleus: activités anesthésiques.

 Rythme sinusal ou électro-entraîné par les électrodes de pace-maker à 65-80 batt/min ; la


bradycardie ne permet pas de maintenir le débit cardiaque ni la pression artérielle, qui sont
optimaux à 80-85 batt/min ; chez les coronariens, le risque ischémique en cas de tachycardie
est diminué après revascularisation.
 Une tachycardie sinusale à ≥ 100 batt/min est en général liée à l'hypovolémie auriculaire et à
la présence des canules veineuses dans l'OD; elle cesse avec le remplissage de l'oreillette. Si
ce n'est pas le cas, il faut suspecter plusieurs possibilités: hypoventilation (hypoxie,
hypercapnie), réveil, excès de catécholamines, anémie, ischémie. Si le traitement de ces
causes est inefficace, il est possible de verser du liquide froid sur le nœud du sinus.
 Tachyarythmie sus-jonctionnelle (flutter, FA): cardioversion synchrone par les palettes
internes (2-10 J), amiodarone (150-300 mg en 20 minutes); les β-bloqueurs sont à éviter à
cause de leur effet inotrope négatif.
 Calcium (5 mg/kg CaCl2 par la canule aortique ou la voie centrale): efficace en cas
d'hypocalcémie (Ca2+ < 1 mmol/dL) ou d'hyperkaliémie, mais peut provoquer un spasme au
niveau des greffons artériels et aggraver les lésions de reperfusion myocardique.
 Magnésium (1-2 gm MgCl2): indication large en cas d'arythmie, car la CEC est responsable
d'une hypomagnésémie et le Mg2+ est inoffensif.
 Ventilation: les poumons sont ré-expandus par des manœuvres de capacité vitale (insufflation
à 30 cm H2 O pendant 20 secondes) sous le contrôle de la vue dans le champ opératoire; une
manœuvre trop brutale ou une distension pulmonaire exagérée peut déchirer l'anastomose de
l'artère mammaire interne. Les sécrétions sont soigneusement aspirées. Le malade est ventilé à
FiO2 0.5-0.8, sans halogéné (interruption momentanée en cas de dysfonction ventriculaire
pour éviter l'effet inotrope négatif à la mise en charge). La FiO2 est réglée de manière à assurer
une SpO2 > 98% (dans la mesure où sa lecture est fiable), contrôlée par une gazométrie (PaO2
≥ 100 mmHg). Une FiO2 excessive peut aggraver les lésions de reperfusion myocardiques. Il
est bon de reprendre la ventilation dès que le cœur bat, si cela ne dérange pas le travail
chirurgical, car la géométrie du flux qui sorte de la canule de CEC fait que le sang qui
vascularise les coronaires provient essentiellement du sang éjecté par le VG, donc en
provenance des poumons. La PetCO2 mesurée par le moniteur d'anesthésie est très basse parce
que les échanges gazeux se font encore dans l'oxygénateur de la CEC. Le perfusioniste et le
chirurgien doivent s'enquérir de la reprise effective de la ventilation avant la mise en charge.

110
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.14
Contrôles avant la mise en charge

Patient

 Patient uniformément réchauffé: T° rectale/vésicale ≥ 35°, T° oesophagienne 36°


 Sommeil assuré (propofol, halogéné, midazolam); BIS < 60
 Ventilation efficace, poumons réexpandus (manœuvres de capacité vitale et contrôle
visuel dans le champ opératoire), aspiration des sécrétions
 SpO2 et SaO 2 98-100%, SvO2 ≥ 70%, couleur du malade et du champ opératoire
 L'halogéné est momentanément interrompu en cas de dysfonction du VG; il sera repris sur le
respirateur lorsque la fonction ventriculaire sera satisfaisante
 Rythme sinusal à 70-90 batt/min, ECG normalisé
 Fils de pace-maker ventriculaires et auriculaires, stimulation si bloc AV ou bradycardie
 PAM > 60 mmHg et < 120 mmHg
 PAP: valeurs normales ou correspondant à l'HTAP préopératoire
 Pas d'hémorragie active incontrôlée
 Status acido-basique équilibré, kaliémie < 6.0 mmol/L, Hb > 70 g/L, calcémie > 1.0 mmol/L,
glycémie < 10 mmol/L
 Status coagulatoire: ACT, ROTEM™ (Fibtem, Heptem), thrombocytes
 Cœur droit fonctionnel à la vision directe
 ETO: débullage efficace; fonction ventriculaire, cinétique segmentaire, volume des cavités et
éventuelle insuffisance valvulaire correspondant aux images attendues en fonction de la
pathologie

Médicaments

 Catécholamine(s) choisie(s) administrée(s) sur voie centrale (ou OD de la Swan-Ganz)


 Sommeil assuré (midazolam dans la pompe, propofol en perfusion, halogéné le cas échéant)
 Analgésie assurée (fentanyl, sufentanil, remifentanil); morphine (0.1-0.2 mg/kg) si extubation
prévue > 4 heures
 Dexmédétomidine (0.2-1.0 mcg/kg/heure)
 Perfusions rétablies et voies veineuses fonctionnelles
 Poches de sang à disposition, Cell-Saver™ fonctionnel
 Si nécessaire: fibrinogène, plaquettes, facteurs de coagulation

Machine d'anesthésie

 Manœuvres de capacité vitale pour éliminer les atélectasies (30-40 cm H2O pdt 20-30 sec)
 Ventilation: volume courant normal (6-8 mL/kg), pressions de ventilation normales
 Ventilation à FiO2 0.5-0.8
 Pas d'agents volatils halogénés si valvulopathie sévère ou dysfonction ventriculaire grave
 Défibrillateur et pace-maker fonctionnels

Moniteur

 Cathéter de Swan-Ganz: courbe de pression artérielle pulmonaire (ballonnet dégonflé);


retirer le cathéter jusqu'à obtention de la PAP si présence d'une courbe de pression bloquée
 Zéro des capteurs vérifiés
 Alarmes ré-enclenchées et fonctionnelles, volume sonore rétabli
 Affichage de la PVC (capteur de pression dédié)
 Avant la mise en charge, le chirurgien et le(la) perfusioniste s'enquièrent que le malade soit
bien ventilé

 Contrôle du débullage des cavités gauches à l'ETO; le cas échéant, compléter le débullage par
secousses, aspiration par la canule de cardioplégie, modification de position, ponction directe,
etc.
 Les bulles peuvent facilement emboliser dans la coronaire droite et les pontages aorto-
coronariens, puisque ces vaisseaux s'abouchent sur la face antérieure de l'aorte ascendante qui
est au zénith chez une personne en décubitus dorsal. Cette embolisation occasionne une
dysfonction droite et une surélévation aiguë du segment ST dans les territoires concernés; à

111
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
l'ETO, elle s'accompagne d'altérations de la cinétique segmentaire et d'infiltration aérique très
échogène dans la paroi ventriculaire (voir Figure 25.102). Ces modifications sont de courte
durée (< 15 minutes) et disparaissent en augmentant la contractilité (agent inotrope) et la
pression de perfusion (vasoconstricteur) ou en ponctionnant le vaisseau à l'aiguille fine si les
bulles sont visibles.
 Agents inotropes: une catécholamine doit être prête à l'usage sur un pousse-seringue. Selon les
circonstances (voir ci-dessous), le choix se porte sur la dopamine, la dobutamine ou
l'adrénaline ; il est possible d’adjoindre de la noradrénaline (si RAS basses) ou de la milrinone
(si RAS hautes, insuffisance droite ou HTAP).
 Une vasoplégie est fréquente après une CEC hypothermique ou normothermique; prévoir une
perfusion de noradrénaline (0.1-1.0 mcg/kg/min), et si nécessaire de vasopressine (1-4 U/h).
 Remplissage: volume de la CEC ; ce sang, riche en K+ à cause de la cardioplégie, contient de
l’héparine ; son Ht est bas car c’est celui de la CEC. On évite les cristalloïdes (hémodilution
excessive) et les colloïdes (risque de coagulopathie avec les amidons et d'insuffisance rénale
avec les HES) tant que le circuit de CEC n'est pas vide.
 Seuils de transfusion:
• 70-80 g/L si bonne fonction, revascularisation complète, absence de valvulopathie et
d'hémorragie ;
• 90 g/L si dysfonction ventriculaire, ischémie potentielle, âge > 70 ans, insuffisance
respiratoire, rénale ou hépatique.
 Coagulation: contrôle de l'ACT, du fibrinogène, du facteur XIII et du thromboélastogramme
(FIBTEM, HAPTEM); le cas échéant, préparation des facteurs de coagulation déficitaires,
notamment du fibrinogène si le FIBTEM est < 15 mm. Dégeler du PFC se justifie
essentiellement lorsqu'on s'attend à une hémorragie massive (chirurgie de l'aorte thoracique ou
de la paroi ventriculaire, reprise, etc), mais non pour son apport en facteur de coagulation, qui
est très faible (voir Figure 8.19) [7,9].

Le champ opératoire et l'écran de l'ETO offrent une vue directe de la fonction des cavités cardiaques et
de leur remplissage.

 Par la sternotomie, on voit l'OD et le VD; ceci permet d'apprécier le rythme cardiaque (rythme
synchrone, FA, bloc AV complet), le volume et le degré de distension des cavités droites, et la
contractilité de la paroi libre du VD. Le VD est dilaté s'il déborde en hauteur la ligne
d'incision du péricarde au niveau du diaphragme.
 A l'ETO, on apprécie la fonction globale et segmentaire du VG, le volume des cavités, le
degré d'hypo- ou d'hypervolémie, l'éventuelle dilatation ventriculaire et la présence d’une IM
ou d’une IT. On mesure les indices fonctionnels du VG et du VD; on contrôle le
fonctionnement des valves (prothèses, fuite résiduelle, fuite paravalvulaire). Le flux mitral
renseigne sur le rythme (flux E et A ou flux unique) et sur l'efficacité de la contraction
auriculaire (importance de la composante A).

Le principe de Frank-Starling implique que le ventricule doit être correctement rempli pour avoir une
contractilité normale. Tant qu'il est vide, le VG ne peut pas retrouver sa force de contraction. S'il était
dilaté en préopératoire, son volume de remplissage restera agrandi en sortant de pompe.

Dans les situations où un soutien inotrope est nécessaire, il est conseillé de débuter la perfusion de
catécholamines assez tôt avant la mise en charge, de manière à ce que les taux myocardiques soient
efficaces au moment où le cœur doit assumer le débit cardiaque. Le meilleur moment est pendant le
réchauffement, après le déclampage de l’aorte (Figure 4.21). La dose de charge de milrinone est
administrée dans la CEC si possible > 20 minutes avant la mise en charge. Il n’y a pas lieu de perfuser
des agents inotropes avant le déclampage de l’aorte puisque les coronaires ne sont pas perfusées ; les
seuls effets seront vasculaires périphériques (vasodilatation ou vasoconstriction) et métaboliques
(hyperglycémie, acidose).

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
La vasoconstriction artérielle périphérique est souvent suffisante pour amortir la pression dans l'artère
radiale: la pression lue est 25-50% plus basse que la pression aortique. Ce phénomène survient dans
33-45% des cas, surtout chez les patients de petite taille, après une CEC hypothermique (< 32°C) ou
un long clampage aortique, et lors d'utilisation de vasoconstricteurs artériels [3,6]. De ce point de vue,
un cathéter placé dans une artère fémorale donne des renseignements beaucoup plus fiables. Il en est
de même de la forme analogique de la courbe artérielle qui, en l'absence de lésion sur la valve
aortique, donne une bonne idée du volume systolique et de la puissance d'éjection du VG (Fig 4.22).

Si l'on superpose à l'écran les courbes d'artère systémique et d'artère pulmonaire en conservant la
même échelle, on peut estimer visuellement deux données importantes.

 La pression de perfusion coronarienne est la différence entre la PAdiast systémique et la


PAPdiast (ou la PAPO);
 Le travail ventriculaire droit est l'équivalent de la différence entre la PAPmoy et la PVC.

Déroulement de la mise en charge

La mise en charge doit être d'autant plus lente et progressive que la fonction ventriculaire est
diminuée. Il est habituel de procéder par paliers d'un litre/min et de juger de la tolérance du cœur.
Toute défaillance doit faire ralentir la cadence et ajuster le soutien inotrope. Toute dilatation
ventriculaire droite ou gauche est le signe d'une surcharge excessive. La survenue ou l'aggravation
d'une IM ou d'une IT sont d'excellents indices d'une défaillance imminente [1,4,5].

 Le premier temps consiste à freiner le retour veineux au réservoir de la CEC de manière à


laisser un certain remplissage dans l'OD. Ce volume va être éjecté par le VD et servir de
précharge au VG. Le débit cardiaque augmente au fur et à mesure que sa précharge s'élève.
L'ETO est un meilleur guide du remplissage gauche que la PAPO, parce que le ventricule
souffre d'une certaine dysfonction diastolique après la CEC (œdème myocardique,
cardioplégie, manipulations mécaniques); dans ces conditions, le même volume de
remplissage correspond à une pression plus élevée. L'ETO renseigne également sur la taille
des ventricules, leur fonction et la performance des valves.
 Le deuxième temps consiste à diminuer progressivement le débit de la CEC par la canule
aortique de 0.5 à 1.0 L/min par minute.
 Lorsque l'hémodynamique est stable (PAsyst 80-100 mmHg, PAP normale) alors que la
pompe n'est plus qu'à 1.0 L/min depuis au moins 1 minute, le perfusionniste interrompt la
pompe et clampe les canules veineuse et artérielle.
 Si la situation reste stable (PAsyst > 90 mmHg, IC > 2.0 L/min/m2, image ETO satisfaisante),
on enlève la(les) canule(s) veineuse(s) de l'OD.

La précharge est ajustée en ajoutant du volume par la canule artérielle, par aliquots de 50-100 mL,
jusqu'à ce que la pression artérielle et le débit cardiaque ne se modifient plus, ce qui signale qu'on a
atteint le plateau de la courbe de Frank-Starling. L'affichage de la PVC en continu permet de voir
comment le VD accomode ce remplissage. En cas d'insuffisance ventriculaire, la courbe de Starling
est très aplatie, et les variations de précharge ne modifient guère le débit cardiaque (Figure 4.23A).

Il faut alors jouer sur la contractilité (agents inotropes) et les RAS ou les RAP (vasoconstricteurs ou
vasodilatateurs). La valeur de pression artérielle à maintenir varie selon les circonstances.

 PAM ≥ 80 mmHg, PAsyst > 100 mmHg en cas d'HTA, de sténose carotidienne, de maladie
cérébro-vasculaire ou d'insuffisance rénale;
 PAM 60-70 mmHg, PAsyst 90-100 mmHg en cas de dilatation du VG ou de risque de
déchirure de la paroi aortique au niveau des bourses et des sutures;
 PAM 50-60 mmHg pendant la décanulation aortique et la suture de la bourse pariétale.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Figure 4.22: Représentation de A B
courbes artérielles dans
différentes situations.
A: courbe normale.
B: abaissement du dP/dt et de la
pression pulsée (PAs – PAd) en
cas de dyfonction du VG.
C: courbe étroite de
l'hypovolémie (petit volume
systolique).
D: courbe d'une artère rigide C D
(artériosclérose) avec double
pic systolique (flèche) du au
retour précoce de l'onde
réfléchie.
E: enregistrement sur le même
capteur de la courbe dans
l'artère fémorale (équivalente à
celle de l'aorte) et de la courbe
de l'artère radiale; cette dernière 120
est si altérée après une CEC
hypothermique que la pression
affichée est 40-50% plus basse 80
que la pression centrale réelle.
E 40

© Chassot 2015

Figure 4.23A :
Courbes de Frank- Volume
systolique Normal
Starling du VG
illustrant la relation
entre la précharge et la
performance systo-
lique. Courbe normale
(en vert), courbe en cas
de dysfonction Dysfonction
diastolique
systolique (en rouge),
et en cas de
dysfonction diasto- ΔVS
lique (en bleu). La
courbe de Starling du
VD (en pointillé) est Dysfonction
très plate, ce qui systolique
signifie que le débit du ΔP
VD normal ne dépend VD
que très peu de la
précharge.
Volume télédiastolique
© Chassot 2017

Lorsque les sources hémorragiques majeures ont été taries, le feu vert est donné par le chirurgien pour
la neutralisation de l'héparine par la protamine. Pour éviter la catastrophe d'une injection accidentelle

114
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
en cours de CEC, la protamine n'est jamais préparée à l'avance. Le rapport protamine:héparine varie de
0.5:1 (0.5 mg pour 100 UI) à 1:1 (1 mg pour 100 UI). Le risque de saignements secondaires est plus
faible lorsque le rapport protamine:héparine est de 0.8 que lorsqu'il est > 1.3 [8]; en dose excessive
(rapport > 1.3:1), la protamine a un effet anticoagulant. Un dosage basé sur l’héparinémie réelle du
patient (système Hepcon/HMS™), sur la thromboélastographie (HEPTEM) ou sur un algorithme
pharmacocinétique est plus performant que l'évaluation par l'ACT [2]. Il est habituel d'administrer la
moitié de la dose calculée après la décanulation de l'aorte, puis de procéder à la décanulation de l'OD,
et de terminer ensuite la deuxième moitié de la protamine. Cette cadence est annoncée à haute et
intelligible voix par l'anesthésiste. La protamine provoque une vasodilatation systémique et une
vasoconstriction pulmonaire dont l'intensité est proportionnelle à la vitesse d'injection, qui ne doit pas
dépasser 50 mg/min (dilution dans 100 mL NaCl 0.9% administrés en ≥ 10 minutes). Un choc
anaphylactique peut survenir chez les patients qui ont déjà été en contact avec la protamine
(réopération, diabétique sous insuline protamine-zinc), qui y sont allergiques (allergie aux poissons)
ou qui ont été vasectomiés. En général, l'administration de protamine s'accompagne d'une hypotension
systémique neutralisée par l’adjonction d’un vasoconstricteur et de volume de remplissage. Les cas
sévères demandent la perfusion d'un anti-histaminique, d'un corticostéroïde, d'adrénaline, de
prostaglandine E1 et éventuellement de bleu de méthylène [2]. Dès que l'anesthésiste annonce que
l'administration de protamine commence, le chirurgien cesse d'aspirer le sang par les aspirations de
cardiotomie et utilise celle du CellSaver™. Après la fin de la protamine, on procède à une série de
mesures (Tableau 4.15).

 ACT, ROTEM, test d'agrégabilité plaquettaire (si indiqué), fibrinogène (si Fibtem < 15 mm);
 Hb, Ht, thrombocytes;
 Gazométrie, glycémie, électrolytes, équilibre acido-basique, lactate;
 Administration d'acide tranexamique (30 mg/kg);
 Test de l'électro-entraînement par le pace-maker;
 Retransfusion du perfusat contenu dans la machine de CEC après concentration par le
CellSaver™ (Ht environ 50%);
 Retransfusion des flacons prélevés par hémodilution.

Bien qu'une catécholamine doive toujours être prête en sortie de CEC, un soutien inotrope n'est pas
obligatoire pour tous les patients. Lorsque la fonction est bonne, la CEC courte et l'intervention sans
incident, il est parfaitement possible de mettre en charge sous surveillance échocardiographique sans
perfusion de cardiopresseur. Mais ceci n'est adéquat que si l'on garde à l'esprit que la situation est très
évolutive et que la fonction myocardique baisse pendant les 5-6 premières heures après la CEC. Il faut
donc être constamment prêt à modifier son attitude et à démarrer une catécholamine dès que la
situation n'est plus parfaitement contrôlée. Il ne faut à aucun prix laisser s’installer une dysfonction
ventriculaire, car on entre immédiatement dans un cercle vicieux : le bas débit cardiaque entraîne une
hypotension artérielle et une ischémie coronarienne, conduisant à une réduction supplémentaire de la
fonction venriculaire et du débit cardiaque. Dans la majorité des cas, cependant, une catécholamine est
nécessaire pour maintenir l'équilibre hémodynamique à cause de la dysfonction ventriculaire passagère
qui survient après la CEC (voir Insuffisance ventriculaire post-CEC). Lorsque la perfusion est en
cours, la vitesse d’administration des catécholamines est adaptée en permanence aux circonstances et à
l'évolution de la fonction systolique. Comme la vasodilatation est fréquente après la CEC, notamment
chez les malades sous inhibiteurs de l'enzyme de conversion ou antagonistes du récepteur de
l'angiotensine, il est coutumier d'utiliser une perfusion de nor-adrénaline pour maintenir une pression
de perfusion adéquate, pour autant que la fonction du VG soit satisfaisante.

L'œdème lié à la CEC, la cardioplégie et les manipulations subies par le cœur sont responsables d'une
insuffisance diastolique caractérisée par un défaut de compliance des ventricules. D'intensité variable,
cette dysfonction diastolique est toujours présente pendant les premières heures postopératoires. Il faut
en tenir compte dans l'interprétation des pressions de remplissage. En effet, au même volume
télédiastolique correspond une pression plus élevée que normalement. Le patient peut être
hypovolémique avec une PVC ou une PAPO apparemment normales (Figure 4.23B). Il arrive qu'un

115
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
remplissage normal requiert une PVC de 10-12 mmHg et une PAPO de 15-18 mmHg,
particulièrement chez les patients souffrant d'hypertrophie ventriculaire.

Pression

Compliance
diminuée

P’
’ Compliance
normale
P

V’ V’’ V V’’ Volume

© Chassot 2017

Figure 4.23B : Courbe de compliance normale du VG (en vert) et lors de dysfonction diastolique (en violet).
Dans ce deuxième cas, la pression P correspond un volume ventriculaire plus petit (V’) que la norme (V) ; le
sujet peut être hypovolémique avec une POD (PVC) ou une POG (PAPO) normale. La normovolémie d’un sujet
souffrant de dysfonction diastolique (V’’ violet) est une pression de remplissage (P’) qui correspond à une
hypervolémie (V’’ vert) chez un sujet normal.

L'hyperkaliémie (5.0-6.5 mEq/L) est fréquente après une CEC, parce que la solution de cardioplégie
contient 20 mEq/L de K+. En l'absence d'arythmie, elle ne justifie pas de thérapeutique. Le traitement
est recommandé lorsque la kaliémie est > 7.0 mEq/L ou qu'elle entraine des conséquences
hémodynamiques ; il consiste en calcium (CaCl2 bolus 5-10 mg/kg) et en perfusion d’insuline +
glucose. L'hypomagnésémie est courante et contribue aux arythmies. Il est habituel de prescrire 2 gm
de MgCl2. Pour limiter le bilan hydrique et soustraire des déclencheurs inflammatoires, il est fréquent
de prolonger l’ultrafiltration (UF) de la CEC par un montage modifié (MUF modified ultrafiltration)
mis en route après la fin de la CEC. Le sang est capté sur la ligne artérielle (canule aortique), aspiré
par la pompe du circuit de l’ultrafiltration (15-30 mL/kg/min), hémofiltré et renvoyé dans la canule
veineuse d’où il regagne l’OD, parce que la canule veineuse en direction du réservoir est clampée. Le
circuit du sang est réduit à : aorte – pompe d’UF – appareil d’UF – canule veineuse – OD (voir Figure
7.15B). Le reste de la CEC (réservoir, pompe maîtresse, oxygénateur, etc) est hors-circuit. Ce système
retarde la décanulation et l’administration de la protamine, et réclame beaucoup d’attention pour
maintenir le remplissage de la CEC et la volémie du patient, mais il diminue significativement le
syndrome inflammatoire systémique.

Sortie de pompe difficile

La mise en charge est facile dans 50% des cas, difficile dans 35-40% et très difficile dans 6-15% [4].
La mortalité postopératoire est directement liée au déroulement de la sortie de pompe : elle est
respectivement de 0.7%, 4.5% et 22.4% dans les cas faciles, difficiles et très difficiles. Certains
éléments préopératoires prédisent une sortie de pompe malaisée.

 Dysfonction ventriculaire (FE < 0.35), dilatation du VG et/ou du VD;


 Choc cardiogène (soutien inotrope ou assistance ventriculaire pré-CEC);
 Hypertension pulmonaire;
 Ischémie active, infarctus menaçant (surélévation ST persistante);

116
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Age > 70 ans, sexe féminin;
 Comorbidités : BPCO, insuffisance rénale ;
 Opération en urgence, réopération, longue CEC.

Des évènements survenus en cours de CEC peuvent également occasionner des problèmes majeurs en
sortant de pompe.

 Revascularisation coronarienne incomplète, difficultés techniques sur les anastomoses.


 Sidération (non-reprise fonctionnelle malgré le rétablissement de la circulation), phénomène
de no-reflow (absence de perfusion périphérique alors que le vaisseau épicardique débite
correctement).
 Lésion de reperfusion: accumulation de Ca2+ ionisé dans le sarcoplasme, libération de radicaux
libres (peroxydes) qui lèsent les lipoprotéines, œdème cellulaire; sur l'ECG, on voit des ondes
T inversées et pointues.
 Prothèse valvulaire de taille insuffisante (patient-prosthesis mismatch), ailette bloquée, fuite
paravalvulaire. Lors de remplacement mitral: rupture pariétale postérieure du VG, suture
accidentelle de la CX. Lors de remplacement aortique: déchirure de l'anneau aortique.
 Cardioplégie insuffisante, fibrillation ventriculaire persistante.
 Dilatation aiguë d'un ventricule: insuffisance aortique, retour veineux excessif, vidange du VG
(venting) mal assurée.
 Résection myocardique étendue.
 Hypotension prolongée (PAM < 50 mmHg) ou débit insuffisant par rapport à la température.
 Longue durée de CEC (> 3 heures), clampage aortique de > 2 heures.
 Syndrome inflammatoire systémique massif.

De nombreuses étiologies concourent à rendre une sortie de pompe difficile. On peut les classer par
leurs mécanismes physiopathologiques [5].

 Réduction du retour veineux (POD, POG basses) :


o Hémorragie ;
o Hémothorax, hémopéritoine ;
o Veinodilatation : vasoplégie, choc anaphylactique, sepsis (endocardite) ;
 Augmentation de la pression auriculaire droite/gauche :
o Insuffisance VD et/ou VG systolique ;
o Insuffisance VD et/ou VG diastolique ;
o Prothèse mitrale ou tricuspidienne trop petite ou défectueuse ;
 Restriction au remplissage (POD en général élevée) :
o Tamponnade ;
o Pneumothorax ;
o Syndrome du compartiment abdominal ;
o Syndome cave (compression, canule) ;
o Fermeture constrictive du péricarde et du sternum ;
 Obstruction à l’éjection
o Sténose dynamique de la CCVG ("effet CMO") ou de la CCVD ;
o Prothèse aortique trop petite ou défectueuse ;
 Défaut de couplage ventriculo-artériel :
o Vasoplégie systémique (↓ RAS) (protamine, SIRS, IEC, sepsis, endocardite) ;
o Poussée d’HTAP (↑ RAP), hypoxémie, hypercapnie.

Retour en pompe

Il arrive que le cœur ne puisse pas assurer un débit satisfaisant. Cette défaillance peut survenir
immédiatement ou dans les minutes qui suivent la CEC. Elle se manifeste par plusieurs phénomènes.

117
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Hypotension artérielle persistante (PAsyst < 80 mmHg);
 Dilatation aiguë du VG et/ou du VD;
 Chute de la performance ventriculaire à l’ETO (baisse de la FE) ;
 Insuffisance mitrale de degré > III (ETO), onde "v" massive sur la PAPO;
 Elévation de la PVC et de la PAPO;
 Chute du débit cardiaque: IC < 1.5 L/min/m2;
 Chute de la SvO2 et/ou de la ScO2 < 55% ;
 Ischémie avec surélévation ST et altérations persistantes de la cinétique segmentaire;
 Acidose métabolique, échanges gazeux insuffisants.

Le traitement de cette défaillance doit être agressif. Si les catécholamines à haute dose ne sont pas
suffisantes, le retour en CEC s'impose rapidement. Si le malade est déjà décanulé ou que
l'administration de protamine a débuté, il faut immédiatement injecter par voie centrale une dose
complète d'héparine (300 U/kg) et masser le ventricule dans le champ opératoire pour assurer le débit.
La recanulation est stressante, difficile et hémorragipare. Dès que la CEC commence, on interrompt
les perfusions de cardiopresseurs. Une fois le débit rétabli par la pompe, il existe plusieurs possibilités.

 Soutien en assistance circulatoire pendant 20-30 minutes; efficace s'il s'agissait simplement
d'une mise en charge trop brutale;
 Reprise chirurgicale: réfection de pontage, correction de la prothèse/plastie valvulaire, geste
additionnel;
 Gestion des problèmes ventilatoires (selon gazométrie);
 Mise en place d'une contre-pulsion intra-aortique (CPIA); le plus adapté en cas d'ischémie
myocardique et/ou d’insuffisance mitrale;
 Mise en place d'une assistance cardio-respiratoire: ECMO (extracorporeal membrane
oxygénation);
 Mise en place d'une assistance ventriculaire (voir Chapitre 12, Assistance ventriculaire).

Lors de défaillance droite, il est judicieux de ne refermer ni le péricarde ni le sternum afin d'éviter
l'effet tamponnade de la fermeture sternale sur le VD. La plaie est protégée par une pièce de tissu
synthétique cousue à la peau.

Références

1 ALSTON RP. Anaesthesia for adult cardiac surgery. In: ALSTON RP, MYLES P, RANUCCI M, Eds. Oxford Textbook of
Cardiothoracic Anesthesia. Oxford: Oxford University Press, 2015, 203-20
2 BOER C, MEESTERS MI, VEERHOEK, VONK ABA. Anticoagulant and side-effects of protamine in cardiac surgery: a
narrative review. Br J Anaesth 2018; 120:914-27
3 BOUCHARD-DECHÊNE V, COUTURE P, SU A, et al. Risk factors for radial-to-femoral artery pressure gradient in patients
undergoing cardiac surgery with cardiopulmonary bypass. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:692-8
4 DENAULT AY, BUSSIERES J, CARRIER M, et al. The importante of difficult separation from cardiopulmonary bypass: the
Montreal and Quebec Heart Institute experience. Exp Clin Cardiol 2006; 11:37
5 DENAULT AY, DESCHAMPS A, COUTURE P. Intraoperative hemodynamic instability during and after separation from
cardiopulmonary bypass. Semin Cardiothorac Vasc Anesth 2010; 14:165-82
6 FUDA G, DENAULT A, DESCHAMPS A, et al. Risks factors involved in central-to-radial arterial pressure gradient during
cardiac surgery. Anesth Analg 2016; 122: 624-32
7 GÖRLINGER K, DIRKMANN D, HANKE AA ; et al. First-line therapy with coagulation factor concentrates combined with
point-of-care coagulation testing is associated with decrease allogeneic blood transfusion in cardiovascular surgery.
Anesthesiology 2011 ; 115 : 1179-91
8 MEESTERS MI, VEERHOEK D, DE LANGE F, et al. Effect of high or low protamine dosing on postoperative bleeding
following heparin anticoagulation in cardiac surgery. Thromb Haemost 2016; 116:251-61
9 WEBER CF, GÖRLINGER K, MEININGER D. Point-of-care testing : a prospective randomized clinical trial of efficacy in
coagulopathic cardiac surgery patients. Anesthesiology 2012 ; 117 : 531-47

118
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Sevrage de la CEC

Au déclampage de l’aorte, le rythme cardiaque reprend spontanément en quelques minutes ou le


cœur fibrille ; dans ce cas, défibrillation par palettes internes (5-20 J, maximum 50 J), à répéter
autant de fois que nécessaire (les lésions de reperfusion peuvent entraîner des TV/FV itératives),
avec administration de Mg2+, de lidocaïne et/ou d’amiodarone.
Reprendre la ventilation après des manoeuvres de capacité vitale (surveiller dans le champ
opératoire). Surveiller SpO2, SvO2, couleur du patient et du champ opératoire.
Mise en place des électrodes de pace-maker.
Contrôle du débullage (ETO).
T° centrale (œsophage) > 36°C, T° périphérique (rectale) > 35°C.
Stabilisation du rythme cardiaque.
Evaluation de la fonction et du volume ventriculaires dans le champ opératoire (VD), à l’ETO (VG)
et par la courbe artérielle (l’artère radiale peut être tamponnée par vasoconstriction, l’artère fémorale
est plus fiable).
Utilisation préemptive judicieuse des catécholamines, qui sont débutées assez tôt (mais pas avant le
déclampage), de manière à avoir atteint leur taux thérapeutique au moment de la mise en charge. Il
est possible de sortir de pompe sans amines si la fonction ventriculaire est bonne (contrôle ETO), la
PA normale et le rythme régulier, mais la situation est très évolutive (diminution progressive de la
fonction jusqu’à la 6ème heure post-CEC) et le besoin inotrope doit être réévalué en permanence. Il ne
faut à aucun prix laisser s’installer une dysfonction ventriculaire et un bas débit cardiaque.

La mise en charge se fait par palliers progressifs en diminuant d’abord le retour veineux vers la CEC
et ensuite le débit de la pompe. Une mise en charge trop brusque provoque une défaillance
biventriculaire aiguë. Lorsque l'hémodynamique est stable (PAsyst 80-100 mmHg, PAP normale)
alors que la pompe n'est plus qu'à 1.0 L/min depuis au moins 1 minute, le perfusionniste interrompt
la pompe et clampe les canules veineuse et artérielle. Décanulation veineuse immédiate, puis
décanulation artérielle (baisser PAsyst < 70 mmHg) dès que l’hémorragie et l’hémodynamique sont
bien contrôlées, en général après administration de la moitié de la dose de protamine ; cette
substance induit une baisse des RAS et une augmentation des RAP.

En cas d’hypotension persistante (PAsyst < 80 mmHg), de bas débit (IC < 1.5 L/min/m2), de
dilatation ventriculaire (ETO), d’IM majeure nouvelle, de SvO2 < 55% malgré une thérapeutique
maximale, on retourne en CEC pour assistance circulatoire, correction chirurgicale éventuelle et mise
en place d’une contre-pulsion intra-aortique (CPIA), d’une ECMO ou d’une assistance ventriculaire.

Période suivant la CEC

Décanulations

La canule veineuse de l'OD est enlevée en premier. La canule aortique est enlevée avant ou après la
première demi-dose de protamine, selon les centres, mais jamais après l'injection de toute la dose, car
les risques de thrombose et d'embolie artérielle seraient trop grands. La paroi de l'aorte est souvent
fragile, particulièrement chez les malades âgés et artériosclérotiques. Il est important que la pression
artérielle soit basse à ce moment-là (PAM 50-60 mmHg) pour éviter une déchirure lorsque la bourse
est serrée. L'ablation des canules de l'OD améliore le retour veineux.

Il est fréquent que le chirurgien soulève le cœur pour contrôler l'hémostase et les anastomoses latérales
ou postérieures. Cette manipulation bloque momentanément le retour veineux et induit des arythmies
ventriculaires polymorphes; la pression artérielle s'effondre. Le seul traitement est le repositionnement

119
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
du cœur. Il n'y a pas lieu d'utiliser des anti-arythmiques ou des agents cardiopresseurs, car leur pic
d'activité coïnciderait avec la décharge sympathique qui suit la manœuvre et conduirait à une poussée
hypertensive majeure. La vitesse de récupération de la pression artérielle au repositionnement du cœur
est un bon indice de la performance ventriculaire: lorsque celle-ci est médiocre, cette durée est
prolongée.

Après la CEC

Le relâchement de l'écarteur sternal est le premier geste qui s'accompagne d'une stimulation
douloureuse; il est suivit de la coagulation du sternum, de la pose des fils métalliques et de la
fermeture de la cage thoracique. Une dose adéquate d'opiacé est nécessaire pour bloquer la réponse
sympathique et empécher le réveil. Malgré des problèmes hémodynamiques souvent difficiles, il est
capital de s'assurer que le patient soit correctement endormi. La meilleure manière d’assurer
l’anesthésie est un débit continu d'halogéné sur le ventilateur ou une perfusion de propofol par voie
centrale; elle peut aussi être garantie par des injections itératives ou une perfusion de midazolam. Le
N2 O est contre-indiqué à cause du risque d'hypertension pulmonaire et d'aggravation des embolies
gazeuse. Il n'y a pas de "vitesse de croisière" pour le débit des catécholamines dans le postopératoire
immédiat, car la situation est très rapidement évolutive.

La curarisation n'est pas nécessaire pour fermer une sternotomie car la musculature thoracique ne
contribue pas à l'écartement du sternum. Par contre, les frissons sont une indication à un curare parce
qu'ils augmentent la VO2 jusqu'à 400%; le cœur en phase de récupération n'est pas à même de fournir
cet excès de travail [3]. S'il n'a pas été suffisamment réchauffé en CEC (T° rectale > 35°, T°
oesophagienne > 36°), le corps reviendra lentement à la normothermie aux dépens d'une élévation du
DC à un moment où ce dernier est limité, ce qui est également une situation défavorable. D'autre part,
la vasoconstriction hypothermique persistante augmente les RAS, donc la postcharge et le travail du
VG; elle séquestre des territoires musculaires qui restent peu vascularisés, mais qui représentent des
réserves de sang froid remis en circulation au fur et à mesure qu'ils reprennent une perfusion normale.

L'acide tranexamique (30 mg/kg) est administré après la normalisation de l'ACT par la protamine.
Malgré ces deux mesures, les antiplaquettaires préopératoires, la CEC et la réaction inflammatoire
systémique conjuguent leurs effets dans un tableau complexe d'hypocoagulabilité. Dans cette situation,
le thromboélastogramme (ROTEM™) est d'une très grande utilité pour sélectionner la meilleure
thérapeutique: plaquettes, desmopressine, fibrinogène, complexe prothombinique, facteur VIII, facteur
XIII, facteur VIIa, etc. L’utilisation systématique du thromboélastogramme et des tests de fonction
plaquettaire à la sortie de pompe est un progrès incontestable dans la gestion globale des transfusions
et des dérivés sanguins [6,32].

La prise en charge hémodynamique comporte plusieurs volets (Figure 4.24 et Tableau 4.15).

 Précharge: la dysfonction diastolique post-CEC augmente les pressions (PVC et PAPO) pour
le même volume de remplissage; toutefois, la distension des ventricules est la catastrophe à
éviter. L'ETO permet de suivre adéquatement le volume des cavités cardiaques. L'inspection
visuelle à travers la sternotomie montre le VD et l'OD; le VD est dilaté s'il déborde en hauteur
le bord de l'incision péricardique au niveau du diaphragme.
 Postcharge: elle est mesurée par les RAS et les RAP; elle est réglée par la profondeur de
l'anesthésie, les vasodilatateurs systémiques (isoflurane, phentolamine, nitroprussiate,
nitroglycérine) ou pulmonaires (prostaglandines, milrinone, NO•), et les vasoconstricteurs
(phényléphrine, nor-adrénaline, vasopressine). L’hypotension artérielle signe aussi bien une
baisse des RAS qu’une dysfonction du VG ; un vasopresseur seul améliore le chiffre de la PA
mais aggrave la défaillance gauche.
 Contractilité: le débit cardiaque visé est un IC ≥ 2.2 L/min/m2; les catécholamines sont
choisies en fonction des RAS, des RVP et de la prédominance des récepteurs α ou β dans le
myocarde. En effet, l'insuffisance ventriculaire et la CEC diminuent la population de

120
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
récepteurs β, ce qui amoindrit l'efficacité des amines qui agissent par l'intermédiaire de ce
récepteur. L'activité de la milrinone et du levosimandan est indépendante des récepteurs
catécholaminergiques.
 Fréquence cardiaque: idéalement située entre 70 et 80 batt/min pour assurer un DC
satisfaisant, elle est réglée en fonction des contraintes hémodynamiques propres à la
cardiopathie. La dysfonction diastolique rend le débit particulièrement sensible au variations
de fréquence: il baisse aussi bien lorsque la FC augmente (diastole trop courte pour le
remplissage lent des défauts de relaxation) que lorsque la FC baisse (ventricule trop rigide
pour augmenter son Vtd et compenser la bradycardie).

Nitroglycérine
Haute Contre-Trendelenburg
Phlébotomie (canule)
Précharge
Volume de CEC
Basse Colloïde
Transfusion

Phentolamine, clevidipine,
Haute nitroglycérine, nitroprussiate,
uradipil. Inodilatateur

Néosynéphrine
Postcharge Basse Noradrénaline
Vasopressine

HTAP Hyperventilation, NO, iloprost,


milrinone, noradrénaline

Stop inotrope
Haute Halogéné
Esmolol
Contractilité
Catécholamines
Basse Milrinone, levosimendan
CPIA, ECMO, assistance

Anesthésie, analgésie
Haute Esmolol
Fréquence
Pace-maker
Basse Isoprénaline

Magnésium
Défibrillation/cardioversion
Rythme Anormal
Lidocaïne, amiodarone
Pace-maker
© Chassot 2017

Figure 4.24: prise en charge hémodynamique dans la période qui suit la CEC. Les cinq paramètres essentiels
sont constamment ajustés pour obtenir la meilleure performance en terme de pression artérielle (cathéter artériel
systémique, cathéter de Swan-Ganz), de débit cardiaque (thermodilution, PiCCO) et de fonctionnement
myocardique (ETO).

121
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Rythme: le rythme sinusal procure le meilleur débit, particulièrement en cas de dysfonction
diastolique où la contraction auriculaire assure 25-50% du remplissage ventriculaire. La
présence d'une onde P sur l'ECG garantit un rythme sinusal électrique, mais ne signifie pas
que la contraction auriculaire soit efficace. Seule la visualisation du flux mitral à l'ETO permet
de constater la contribution réelle du flux A au Vtd du VG. Avant la fermeture du péricarde,
on s'assure que les électrodes ventriculaire et auriculaire entraînent correctement, que les
seuils sont bas et que le pace-maker est fonctionnel.

Tableau 4.15
Contrôles entre la mise en charge et la fermeture

Patient

 Sommeil assuré (propofol en perfusion, halogéné chez les coronariens), BIS < 60
 Analgésie assurée (fentanyl, sufentanil, remifentanil)
 Perfusions: Ringer lactate, Ringerfundin, Plasmalyte (régime restrictif)
 Expandeur plasmatique: albumine 5%, PPL; HAES: prohibé selon les pays ou institutions
 Cœur droit fonctionnel à la vision directe
 Fermeture péricarde-sternum: effet tamponnade
 Annonce du cas aux soins intensifs

Examens et mesures

 Gazométrie artérielle et veineuse, glycémie, électrolytes, pH, lactate


 Hb, Ht, thrombocytes (si hémorragie ou antiplaquettaires)
 Hémodynamique complète (Swan-Ganz, PiCCO)
 Bilan hydrique (perfusions, apport de la CEC, hémofiltration, diurèse)
 Examen ETO complet: fonction VD-VG, volémie, cinétique segmentaire, résultat de l'intervention

Médicaments

 Agent(s) inotrope(s) choisi(s) administré(s) sur voie centrale (ou OD de la Swan-Ganz)


 Noradrénaline si hypotension et fonction VG normale
 Protamine (½ après décanulation OD, ½ après décanulation aortique)
 Acide tranexamique (15-30 mg/kg)
 Répéter 1 dose d'antibiotique dès que > 4 heures d'opération

Machine d'anesthésie

 Ventilation: volume courant 6-8 mL/kg, FiO2 0.4-0.6 (ou selon besoin), PEEP ≤ 5 cm H2O
 Contrôle de l'électro-entraînement du pace-maker

Coagulation et transfusion

 Après la protamine: ACT, ROTEM™, thrombocytes, fibrinogène (si Fibtem < 15 mm)
 Test d'agrégabilité plaquettaire (Multiplate™, VerifyNow™, etc) si traitement antiplaquettaire
 Vasopressine si dysfonction thrombocytaire mais nombre normal
 Thrombocytes si hémorragie et: thrombos < 100'000, Fibtem > 15 mm, ou traitement antiplaquettaire
 Seuil de transfusion: Hb < 80 g/L (< 90 g/L si ischémie ou dysfonction sévère) ou selon hémorragie
 Retransfusion du CellSaver, transfusion du sang prélevé par hémodilution en pré-CEC (après protamine)
 Fibrinogène (20-50 mg/kg) pour Fibtem > 15
 Facteurs de coagulation selon besoin (F XIII)
 PFC seulement si transfusion massive (rapport PFC:sang de 1:1)

L'ischémie myocardique résiduelle après pontages aorto-coronariens se manifeste par un sus-décalage


ST persistant sur l'ECG et des altérations de la cinétique segmentaire non régressive à l'ETO. Elle a
plusieurs origines possibles.

 Revascularisation coronarienne incomplète.


122
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Sidération (non-reprise fonctionnelle malgré le rétablissement de la circulation), phénomène
de no-reflow (absence de perfusion périphérique alors que le vaisseau épicardique débite
correctement).
 Lésion de reperfusion: accumulation de Ca2+ ionisé dans le sarcoplasme, libération de radicaux
libres (peroxydes) qui lèsent les lipoprotéines, œdème cellulaire; sur l'ECG, on voit des ondes
T inversées et pointues.
 Spasme des coronaires ou des pontages artériels sur une surstimulation sympathique α, une
alcalose respiratoire, une stimulation plaquettaire (libération de thromboxane) ou une lésion de
l'endothélium (sécrétion d'endothéline et répression du NO•).
 Distension et subocclusion du pontage mammaire par un volume courant excessif ou une
PEEP exagérée.
 Embolie athéromateuse intracoronarienne (l’embolie gazeuse n’est pas persistante).
 Défaut sur une anastomose, thrombose coronarienne aiguë.

Plusieurs mesures sont à prendre si les symptômes ischémiques persistent > 15 minutes.

 Augmentation de la pression de perfusion (nor-adrénaline) pour PAM > 80 mmHg;


 Mesure du flux dans les pontages au moyen d'une sonde Doppler;
 Reprise chirurgicale et réfection des anastomoses;
 Perfusion de nitroglycérine (50 mcg/min); certains centres le font systématiquement pour
toutes les interventions de revascularisation coronarienne;
 En cas de spasme: diltiazem (Dilzem®) 0.1 mg/kg/heure en perfusion sans dose de charge;
clevidipine (Cleviprex®) 1-2 mg/h en perfusion, à doubler toutes les 3-5 minutes jusqu’à
l’effet désiré (dose maximale : 32 mg/h) [13].
 Administration intracoronarienne de papavérine ou d'adénosine.

Une sténose dynamique de la chambre de chasse du VG survient facilement après une CEC lorsque
s’associent quatre phénomènes :
 Hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) concentrique;
 Diminution de la taille de la cavité ventriculaire en systole (hyovolémie, stimulation β) ;
 Stimulation β-adrénergique excessive ;
 Baisse de la postcharge (vasoplégie, remplacement d’une valve aortique sténosée par une
prothèse).

Dans ces conditions, la zone de coaptation de la valve mitrale est déplacée antérieurement et la partie
distale du feuillet antérieur, destabilisée, est poussée vers la chambre de chasse où elle est aspirée par
effet Venturi pendant l’éjection ; ce phénomène est appelé systolic anterior motion (SAM) (voir
Chapitre 13, Cardiomyopathie hypertrophique). Le feuillet antérieur vient alors occlure partiellement
la CCVG et le débit systolique baisse brusquement. C’est l’effet CMO, appelé ainsi par analogie au
mécanisme de la cardiomyopathie obstructive (Figure 4.25 et Figure 4.26) [10].

Cliniquement, l'effet CMO se caractérise par une hypotension artérielle et un bas débit cardiaque qui
s’aggravent avec les catécholamines. C’est une situation que seule l’échocardiographie permet de
diagnostiquer, mais qui est particulièrement traître parce que le réflexe normal face à un bas DC est
d’augmenter la stimulation adrénergique. Or le seul traitement est une augmentation de la volémie
(remplissage), une vasoconstriction (phényléphrine, noradrénaline) et une diminution de l'effet β (arrêt
des catécholamines, esmolol). En cas d’hypertrophie du VD, le même phénomène peut se produire
dans la chambre de chasse droite [3].

La fermeture du péricarde et du sternum comprime le cœur et augmente la pression intrathoracique;


c'est l'équivalent d'une tamponnade momentanée avec accentuation des interactions cardio-
respiratoires. Cette manœuvre est mal supportée lorsque le patient est hypovolémique ou lorsque le
cœur est dilaté par une défaillance. Il est nécessaire d'augmenter la précharge (remplissage) et le
soutien inotrope (catécholamines) pour maintenir la pression artérielle et le débit cardiaque. Si un choc
cardiogène s'installe, on rouvre le sternum et le péricarde. Lors de défaillance droite ou de pathologie
123
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
pulmonaire, il est judicieux de ne refermer ni le péricarde ni le sternum afin d'éviter cette compression
du VD. L'ETO permet de contrôler l'absence de tamponnade par des caillots, qui serait une indication
à la réouverture immédiate pour drainage, et l'absence de modification de la cinétique segmentaire, qui
signerait la coudure ou la compression d'un pontage. Si le sternum est laissé ouvert, la plaie est
protégée par une pièce de tissu synthétique (GoreTex™, Dacron™) cousue à la peau, et le sternum
sera refermé 48-72 heures plus tard.

A B

OG

Point
Aorte Aorte fixe

CCVG

MPP
MPP
MPA

Ant Post Ant Post


HVG

© Chassot 2018
ゥ Chassot
2010

Figure 4.25 : Contraction du VG. A : Situation normale. L’augmentation de la pression intra-ventriculaire en


systole applique les deux feuillets de la valve mitrale l’un contre l’autre (flèches violettes) ; la contraction de la
paroi et des muscles papillaires (MPA : muscles papillaire antérieur, MPP : muscle papillaire postérieur) tend les
cordages et maintient la valve mitrale dans son plan d’occlusion (flèches vertes). Ceci constitue le squelette
interne du ventricule. Le sang est expulsé dans la chambre de chasse du VG (CCVG). La contraction débute à
l’apex et se termine dans la chambre de chasse. B : Rétrécissement de la cavité ventriculaire. Si la course de la
paroi postérieure et du MPP est trop longue (surstimulation β, vasoplégie) ou si le ventricule est trop petit
(hypovolémie, hypertrophie concentrique), la paroi postérieure se déplace vers l’avant (flèche verte) ; le point de
coaptation de la valve mitrale est déplacé antérieurement vers l’aorte et se rapproche de la CCVG. Le feuillet
antérieur est alors repoussé vers la CCVG lorsque la pression intraventriculaire augmente pendant la systole
(flèche violette). Traitillé blanc : angle mitro-aortique. L’angle mitro-aortique est un point fixe puisqu’il est situé
au niveau du trigone fibreux, qui est le centre de gravité mécanique du cœur sur lequel sont ancrées les valves
mitrale, aortique et tricuspide. Si l’anneau mitral se rétrécit, le seul déplacement possible est celui de sa partie
postérieure, qui est essentiellement musculaire, et qui se retrouve alors tirée vers l’avant.

Afin d’améliorer le confort et l’analgésie postopératoires des cas dont on ne prévoit pas une extubation
accélérée, il est judicieux d’administrer de la morphine i.v. (0.1-0.2 mg/kg) en fin de CEC ou pendant
la fermeture, à un moment où le status cardiocirculatoire est stable. En vue d'un réveil rapide, une
perfusion de dexmédétomidine (0.2-1.5 mcg/kg/heure) agit comme sédation et potentialisation de
l'analgésie [14,23]; elle est particulièrement indiquée après une anesthésie aux halogénés. Dans le cas
d'un maintien par une perfusion de propofol (1.5-2.5 mg/kg/h), celle-ci est continuée jusqu'aux soins
intensifs. Le BIS et le SPI n'étant pas des garanties contre l'éveil et la douleur peropératoires, il est
prudent de maintenir les patients sous-curarisés de manière à pouvoir juger de l'adéquation de
l'anesthésie par l'apparition de mouvements respiratoires ou somatiques et à pouvoir procéder plus
rapidement à l'extubation. L'examen ETO final est réalisé après la fermeture du sternum, de manière à
déceler d'éventuelles complications: tamponnade, hémothorax, pneumothorax, compression ou
défaillance ventriculaire, etc.

124
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
A B

IM OG
Aorte

CCVG

CCVG

MPP VG

Ant Post
HVG

© Chassot 2018

Figure 4.26 : Effet CMO en cas de restriction de la cavité ventriculaire gauche et d’avancement excessif de la
paroi postérieure. A : la pression de la phase de contraction isovolumétrique pousse le feuillet vers l’avant en
direction de la CCVG. Dès que l’éjection commence, la partie distale de ce feuillet peut être aspirée dans la
CCVG par effet Venturi et induire un phénomène appelé systolic anterior motion (SAM). Le feuillet antérieur
vient alors occlure partiellement la CCVG et le débit systolique baisse brusquement. C’est l’effet CMO, appelé
ainsi par analogie avec le mécanisme de la cardiomyopathie obstructive. La réouverture de la valve mitrale en
mésosystole provoque une insuffisance mitrale méso-télésystolique (IM). B : illustration échocardiographique
transoesophagienne (vue mi-œsophage 5 cavités 0°) ; la flèche indique la coudure du feuillet mitral antérieur
(SAM) qui vient obstruer la chambre de chasse gauche (CCVG). Les cuspides de la valve aortique sont ouvertes.

Dysfonctions organiques post-CEC

La CEC est liée à une série de dysfonctions postopératoires, bien qu'elle n'en soit pas la cause unique
[27].

 Insuffisance rénale transitoire dans 22% des cas, nécessitant une dialyse dans 3.5% (1-6.5%)
[5,9]. Les facteurs de risque sont : dysfonction rénale préopératoire (créatinine > 200 µmol/L,
clairance < 50 mL/min), transfusion sanguine (> 2 unités), produit de contraste (< 5 jours
préop), hypotension/hypovolémie/bas débit peropératoire, hypothermie profonde, longue
durée de la CEC; le débit urinaire en CEC n'a pas de valeur prédictive [20] (voir Chapitre 23
Complications rénales) [21].
 Oedème pulmonaire non cardiogénique suite à l'augmentation de la perméabilité capillaire, à
la baisse du surfactant, à la ventilation contrôlée, à l'accumulation liquidienne péricapillaire,
aux atélectasies et aux transfusions (TRALI: transfusion-related acute lung injury).
L'incidence des complications pulmonaires est de 10-25% des cas; un SDRA survient dans
1.3 - 1.7% des CEC (voir Chapitre 23 Pneumopathies postopératoires) [17,30].
 Hypoxie secondaire:
o Oedème pulmonaire cardiogénique (défaillance gauche, valvulopathie mitrale);
o Pneumothorax, hémothorax;
o Obstruction bronchique (sécrétions, sang, déplacement du tube endotrachéal);
o Atélectasie;
o Effet shunt (inhibition de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique par les
vasodilatateurs artériels, foramen ovale perméable en cas de surcharge droite).
o Rupture d'une artère bronchique par le gonflement intempestif du ballonnet de Swan-
Ganz alors que le cathéter est encore en position bloquée.
125
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Séquelles neurologiques [22,24,31]:
o Type I (ischémie transitoire, accident vasculaire cérébral, coma; incidence 1-5%),
dues principalement à des embols (athéromatose de l'aorte ascendante, débris dans les
aspirations, air) ;
o Type II (neuropsychologiques diffuses, délire; incidence > 30%) plutôt liée à
l'hypoxie cérébrale et à l'hypotension en CEC;
o Facteurs de risque: anamnèse d'AVC, athéromatose aortique, maladie polyvasculaire,
diabète, âge > 70 ans. Les séquelles neurologiques sont liées en premier lieu à la
charge embolique, alors que l'hypotension joue un rôle plus modeste chez l'adulte.
 Diminution de la perfusion hépato-splanchnique: risque d'endotoxémie et d’insuffisance
hépatique ; la clairance du lactate est diminuée de 30% par la CEC [19].
 Syndrome inflammatoire systémique: voir ci-dessous.

Syndrome inflammatoire systémique

Une intervention de chirurgie cardiaque déclenche une vigoureuse réponse de défense de la part de
l'organisme, caractérisée par un relargage massif de cytokines pro-inflammatoires (TNF-α, IL-1α, IL-
1β, IL-6, IL-8) et anti-inflammatoires (IL-10, TNF 1-2SR). A l'image de la réaction inflammatoire
locale en cas de dommage tissulaire, la réaction systémique produit une vasodilatation, un exsudat
capillaire et de la fièvre. Par ses liens avec la voie du complément, elle active la cascade de la
coagulation, la fibrinolyse et la libération de bradykinine, d'histamine, de leukotriènes ainsi que
d'entotoxines issues des bactéries du tube digetif, mais elle stimule le système immunitaire et diminue
la vulnérabilité aux infections [16]. Les endotoxines, les kinines, le système du complément et les
cytokines sont les éléments humoraux de la réaction; ces médiateurs activent les neutrophiles et les
cellules endothéliales. L'adhésion des leucocytes à ces dernières est l'étape initiale de la réaction; elle
est déclenchée par l'expression de molécules spécifiques à la surface des deux types de cellules; les
leucocytes peuvent alors migrer dans l'espace extravasculaire, où ils libèrent leurs toxines (protéases et
radicaux libres) qui détruisent les pathogènes mais endommagent les tissus voisins [8,18,26,28]. Le
syndrome inflammatoire systémique (Systemic Inflammatory Reaction Syndrome ou SIRS) est
l'aboutissement commun de cette pléthore de modifications hématologiques, sériques, immunes,
protéiques et toxiques. Il est déclenché par un série de phénomènes: l'intrusion chirurgicale, le contact
du sang avec les surfaces étrangères du circuit de CEC et avec l'air, l'héparinisation, les aspirations de
cardiotomie, l'hypothermie, l'ischémie, l'exclusion des poumons, les variations de flux, de pression et
de débit (voir Chapitre 7, Syndrome inflammatoire systémique). Environ 20% des patients à bas risque
développent des complications liées au SIRS (Figure 4.27) [12].

Sans en dresser une liste exhaustive, on peut citer un certain nombre d'éléments qui entrent en jeu dans
la genèse du SIRS, qui se caractérise cliniquement par l'accumulation liquidienne interstitielle,
l'oedème cérébral, la péjoration des échanges gazeux et des fonctions rénales, des troubles de la
coagulation et différentes complications organiques postopératoires (insuffisance polyorganique)
[26,28].

 Les effets des de cytokines pro-inflammatoires (TNF-a, interleukines IL-1α, IL-1β, IL-6 et IL-
8) sont partiellement compensés par la stimulation des cytokines anti-inflammatoires (IL-10,
TNF-1SR, TNF-2SR) dont le but est de contenir l'ampleur de la réaction.
 L'activation de la cascade du complément par la voie alternative (C3a et C5a) stimule les
leucocytes qui adhèrent aux parois endothéliales par le truchement de molécules spéciales, les
sélectines et les intégrines. Ils sécrètent des cytokines, des enzymes protéolytiques et des
radicaux libres, et provoquent l'adhésion plaquettaire. L'activation de la cascade du
complément est aussi responsable de la mise en route de la chaîne intrinsèque de la
coagulation [29].
 L'activation de la cascade de coagulation; le contact avec des surfaces étrangères active le
facteur XII (Hageman factor) en facteur XIIa en présence de prékallikréine et de kininogène;

126
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
celui-ci active à son tour le facteur XI et la cascade de coagulation se met en marche (voir
Figure 8.1) [18].

Endotoxines Bas débit


Contact avec Complément Dépulsation
des surfaces Cytokines Ischémie
étrangères Kallikréine Reperfusion
Facteur XIIa

Activation et adhésion
leucocytes-endothélium

Activation Migration leucocytes


plaquettes Libération protéases +
radicaux libres (ROS)

Thrombose Lésions des organes-cibles:


Ischémies poumons, reins, cerveau, foie, coeur

© Chassot 2018

Figure 4.27: Représentation schématique des mécanismes mis en jeu dans la genèse du syndrome inflammatoire
systémique par la CEC [d'après références 8 et 18].

 La libération de kallikréine par le contact avec les surfaces étrangères engendre celle de la
bradykinine; cette dernière augmente la perméabilité capillaire, contracte la musculature lisse,
et provoque une hypotension. La bradykinine est directement en cause dans la genèse de
l'oedème cérébral [7].
 La libération d'endothéline, qui est un puissant vasoconstricteur, est stimulée par la CEC; elle
est liée à l'hypertension pulmonaire. La thromboxane A2 sécrétée par les leucocytes activés est
aussi un vasoconstricteur et un stimulant de l'aggrégation plaquettaire.
 Les radicaux libres (ROS: Reactive Oxygen Species) contiennent un nombre impair d'électrons
sur leur orbite externe: peroxide (O2•-), H2 O2, hydroxyl (•OH); ils se forment lors d'activation
leucocytaire ou lors de reperfusion après ischémie. Normalement réduits par des antioxydants
naturels (superoxide dismutase, catalase, glutathion, vitamine E), ils débordent dans le liquide
127
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
extracellulaire lorsqu'ils sont produits en masse et attaquent les phospholipides des
membranes, le DNA, et les protéines [11].
 L'élimination des cytokines est un phénomène primairement rénal; ceci implique un effet de
rétro-action réciproque entre le syndrome inflammatoire et la dysfonction rénale [1].
 La durée de CEC, la profondeur de l'hypothermie et le degré d'hémodilution ont tous été
évoqués comme facteurs aggravants, mais ils ne paraissent avoir qu'un rôle secondaire dans la
genèse du SIRS [8]. Les lésions mécaniques de la pompe, de l'oxygénateur et des filtres, le
contact du sang avec les surfaces étrangères (circuits) et avec l'air (aspirations, réservoir
veineux), sont les éléments déclenchants principaux. Plus de 50% des neutrophiles sont
séquestrés dans les poumons durant le réchauffement; leur dégranulation contribue aux
dommages cellulaires pulmonaires [17].
 La libération d'endotoxines par les bactéries Gram-négatives qui hantent le tube digestif est
liée à la baisse de débit splanchnique en CEC et en hypothermie; le flux dans la muqueuse
gastrique, par exemple, est diminué jusqu'à 60% [20].
 La libération de cytokines pro-inflammatoire démarre dès la sternotomie [15]. D'autre part, la
chirurgie à coeur battant est associée à une réduction, mais pas à une disparition, des taux
postopératoires de marqueurs de la réaction inflammatoire [2]. Le circuit de CEC est donc un
facteur déclenchant majeur, mais il n'est pas le seul responsable de la réaction inflammatoire.
Celle-ci est un corollaire de tout acte chirurgical.

Les effets hémodynamiques du SIRS dépendent largement de l'équilibre entre la libération des
médiateurs pro-inflammatoires et celle des médiateurs anti-inflammatoires [12]. Certaines populations
affichent une réaction pro-inflammatoire dominante, telles les personnes âgées ou celles qui souffrent
de dysfonction ventriculaire gauche. Le syndrome inflammatoire est donc une réponse physiologique à
une agression tissulaire, destinée à promouvoir les défenses infectieuses et la cicatrisation. Elle est
normalement auto-limitée par ses éléments anti-inflammatoires, mais peut échapper à ce contrôle
lorsque le stimulus est trop important, telle une intervention majeure couplée à un contact prolongé
avec des surfaces étrangères.

Syndrome vasoplégique

La vasoplégie est un état de choc distributif caractérisé par des RAS effondrées (500-800
dynes/s/cm5), une hypotension sévère (PAM < 50 mmHg) et une hypoperfusion des organes malgré un
débit cardiaque conservé ou élevé. Elle survient dans 5-25% des cas après CEC [4,25].
L’étiopathogénie est certainement multifactorielle, mais on décèle un certain nombre de facteurs de
risque [25].

 Médication préopératoire: inhibiteur sde l'enzyme de conversion, béta-bloqueurs;


 Etat inflammatoire accentué comme dans certaines comorbidités ou dans l'insuffisance
ventriculaire gauche (FE basse);
 CEC: longue durée, libération d'endotoxines, lésion d'ischémie-reperfusion (radicaux libres),
activation du complément, déclenchement du syndrome inflammatoire systémique (cytokines,
NO, prostaglandines, thromboxane, etc);
 Post-CEC: sécrétion élevée de NO•, production abaissée de vasopressine;
 Vasodilatation de la protamine.

Le syndrome vasoplégique survient aussi après chirurgie à cœur battant (sans CEC), mais trois fois
plus rarement. Il nécessite un traitement vascoconstricteur intense : nor-adrénaline, adrénaline,
vasopressine, bleu de méthylène (voir Vasopresseurs). Les vasopresseurs non-catécholaminergiques
tendent à diminuer le besoin en catécholamine et le taux d'insufisance rénale postopératoire, mais rien
de prouve qu'ils diminuent la mortalité [25]. Comme la chute des RAS facilite l'éjection du VG, le
traitement vasopresseur doit s'accompagner d'une surveillance échocardiographique de la tolérance du
ventricule à l'augmentation de sa postcharge.

128
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Période suivant la CEC

Le relâchement de l’écarteur sternal est la première stimulation douloureuse après la CEC


(approfondir l’anesthésie et l’analgésie) ; la fermeture du sternum ne réclame pas de curarisation. Par
contre, le curare est indiqué pour stopper les frissons (↑ VO2).
La fermeture du péricarde et du sternum est l’équivalent d’une tamponnade qui demande une
augmentation momentanée de la précharge et éventuellement un support inotrope du VD. En cas de
défaillance droite, il est recommandé de laisser le sternum ouvert.

Le débit cardiaque et la performance ventriculaire sont réglés en ajustant la précharge (volume de la


CEC, colloïdes, transfusions), la postcharge (vasopresseur ou vasodilatateur), la contractilité
(catécholamines), la fréquence et le rythme (antiarythmiques, pace-maker). Les besoins en support
inotrope sont très variables après une intervention cardiaque et doivent être réévalués en permanence.
L’hypotension artérielle signe aussi bien une baisse des RAS qu’une dysfonction du VG ; un
vasopresseur seul améliore le chiffre de la PA mais aggrave la dysfonction ventriculaire.

Une ischémie myocardique se manifeste par une surélévation ST (ECG) et des altérations de la
cinétique segmentaire (ETO). Ses causes sont une embolie gazeuse (lésion passagère), une
sidération, une revascularisation incomplète, un spasme, une thrombose, une lésion de reperfusion,
un défaut d’anastomose ou une distension du greffon mammaire par une ventilation excessive.
Traitement : augmenter la PAM (> 80 mmHg), nitroglycérine, diltiazem, reprise chirurgicale, CPIA.

L’intervention cardiaque et la CEC sont à l’origine d’un syndrome inflammatoire systémique majeur.

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Insuffisance ventriculaire post-CEC

Caractéristiques de l'insuffisance systolique du VG post-CEC

Toute intervention cardiaque en CEC porte transitoirement atteinte à la fonction ventriculaire. La


fonction systolique baisse progressivement pour atteindre son nadir vers 5-6 heures après la CEC ;
c'est la période à laquelle les médiateurs inflammatoires (interleukines, TNF, etc) sont les plus élevés
(voir Figure 4.2) [46]. La récupération prend en général 8 à 24 heures, mais parfois plusieurs jours;
elle est d'autant plus lente que la fonction préopératoire était moins bonne. Une insuffisance
ventriculaire aiguë au sevrage de la CEC survient dans environ 20% des cas [1,10]. Sa probabilité est
prédite par plusieurs éléments pré- et peropératoires [1].

 Dysfonction ventriculaire (FE < 0.35); la mortalité opératoire des PAC est de 1% lorsque la
FE est > 0.4, de 2-4% pour une FE entre 0.25 et 0.4, et de 5-8% lorsqu'elle est < 0.25 [55]; la
mortalité en cas de dysfonction gauche isolée, toutes opérations confondues, est de 9.7% [38].
 Dilatation du VG (Dtd court-axe > 4.0 cm/m2).
 Dysfonction du VD, hypertension pulmonaire (HTAPmoy > 35 mmHg); la fonction du VD est
un meilleur critère pronostique que la valeur de la PAP ; lorsqu’elle est associée à une
défaillance gauche, l’insuffisance ventriculaire droite entraîne une mortalité de > 20% [23,38].
Elle est responsable de 21-37% de la mortalité en sortant de CEC [11,19].
 Soutien inotrope ou assistance ventriculaire préopératoire.
 Hypertension pulmonaire.
 Ischémie active, infarctus menaçant.
 Age > 70 ans, sexe féminin.
 Insuffisance rénale préopératoire, diabète.
 Cachexie, malnutrition.
 Opération en urgence, réopération, opération complexe (résection de paroi ventriculaire, CIV,
polyvalvulopathie).
 Difficultés de cardioplégie, difficultés techniques, revascularisation incomplète.
 Clampage aortique > 2 heures.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
A ces phénomènes s'ajoutent les conséquences hémodynamiques accompagnant la mise en charge et la
fermeture de la paroi thoracique.

 Ventilation en pression positive et augmentation de la postcharge du VD (la compliance


pulmonaire est abaissée en fin de CEC par oedème alvéolo-capillaire) ;
 Variations volémiques (hémorragies, hypovolémie), anémie aiguë ;
 Fermeture du péricarde et du sternum (compression externe provoquant un "effet
tamponnade") ;
 Réchauffement interne (augmentation de la VO2 ).

Dans les corrections de valvulopathies, l'aggravation hémodynamique momentanée dépend du type de


pathologie. Les lésions ayant entraîné une dilatation ventriculaire (insuffisance aortique ou mitrale)
induisent des dysfonctions importantes. Une insuffisance mitrale sévère peut survenir ou s'aggraver en
sortant de CEC: c'est un excellent marqueur de la dysfonction aiguë du VG. Après correction d'une
insuffisance mitrale, le VG est dans une situation difficile à cause de l'augmentation brusque de sa
postcharge due à la suppression de la "soupape de pression" que représentait l'insuffisance valvulaire ;
il souffre également d’une baisse de précharge (recul sur la courbe se Starling) secondaire à la
disparition du retour diastolique du volume de la régurgitation. Dans le cas de sténose mitrale, le
problème est lié au petit volume ventriculaire gauche, dont la distensibilité est diminuée. Par contre, la
baisse immédiate de la postcharge après correction de sténose aortique assure une récupération
fonctionnelle rapide, dans la mesure où l'hypertrophie ventriculaire n'a pas gêné la préservation
myocardique. Le taux de BNP et de NT-pro-BNP postopératoire est un bon marqueur du risque de
complications cardiaques [34].

Les besoins en agents inotropes et en volume sont constamment variables après la CEC; aucun régime
ne peut être défini par avance, car la situation est très évolutive. Il faut réévaluer en permanence les
besoins du patient, changer d'amines selon l'hémodynamique, et suivre les besoins en vasopresseur
selon les résistances vasculaires. Une sortie de pompe sans amines n’est nullement une garantie de
pouvoir s’en passer pendant la suite du postopératoire. Pendant les premières 10 - 20 minutes suivant
la CEC, les modifications rapides de température dans l'artère pulmonaire conduisent à une sous-
estimation substantielle du débit cardiaque par thermodilution [3]. La réaction inflammatoire
systémique est souvent responsable d'épisodes prolongés de vasoplégie [25]. En cas de tachycardie,
l'usage de β-bloqueurs est extrêmement dangereux pour deux raisons: 1) la dysfonction ventriculaire
sous-jacente est révélée soudainement et la performance cardiaque s'effondre, et 2) le rythme accéléré
peut être le seul moyen de maintenir le débit face à un volume systolique bas (sténose mitrale, HVG
concentrique). Par prudence, il est conseillé de n’utiliser que l’esmolol dans cette situation (demi-vie :
9 minutes).

Insuffisance ventriculaire diastolique

Une dysfonction diastolique est très courante après CEC, mais très souvent sous-estimée. Son
incidence est variable selon les critères échocardiographiques utilisés pour son évaluation ; elle oscille
entre 10% et 83% des cas, ce qui représente une prévalence 5-10 fois plus élevée qu’en préopératoire
[2,49]. Son intensité a une valeur pronostique pour l'évolution fonctionnelle immédiate [5]. La
mortalité annuelle liée à l’insuffisance diastolique est la moitié de celle liée à l’insuffisance
systolique : 5-10% au lieu de 10-15% [47,54]. La dysfonction diastolique est également un prédicteur
indépendant de la fibrillation auriculaire postopératoire (OR 4.21) [2]. L’insuffisance diastolique est
liée à plusieurs phénomènes.

 Œdème myocardique ;
 Cardioplégie ;
 Manipulations du cœur ;
 Ischémie myocardique, syndrome de reperfusion, sidération myocardique ;
 Syndrome inflammatoire systémique ;

131
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Péjoration d’une dysfonction diastolique préalable : HVG, ischémie, cardiomyopathie.

Cette baisse de compliance des cavités ventriculaires conduit à une augmentation des pressions pour le
même volume de remplissage et rend le débit cardiaque davantage dépendant de la précharge (voir
Figure 4.23B), et le ventricule fonctionne sur une courbe de Starling très redressée (voir Figure 4.23A)
[8]. Il arrive qu'un remplissage normal requiert une PVC de 10-12 mmHg et une PAPO de 15-18
mmHg, particulièrement chez les patients souffrant d'hypertrophie ventriculaire. L’élévation de la
POG retentit en amont, augmente la stase intersticielle et accroît la postcharge du VD [12].

La dysfonction diastolique du VG peut aussi être secondaire à une surcharge droite qui entraîne un
basculement du septum interventriculaire vers la gauche en diastole et restreint le remplissage du VG
(effet Bernheim) (voir Figure 12.8A).

Insuffisance ventriculaire droite

L’insuffisance droite survient à cause d’une baisse de contractilité du VD (ischémie, infarctus,


cardiomyopathie, sepsis) ou d’une augmentation de sa postcharge (hypertension pulmonaire, SDRA,
défaillance gauche, maladie mitrale, CIV, embolie pulmonaire). Le VD décompense lorsque la
PAPmoy persiste entre 40 et 50 mmHg pendant plus de 2 heures [57]. Lorsque le VD défaille, la PAP
tend à baisser parce que la force éjectionnelle du ventricule diminue ; la contraction droite telle qu’elle
s’apprécie à l’ETO est donc un meilleur critère de risque que la valeur de la PAP. La thérapeutique de
l’insuffisance droite est basée sur plusieurs éléments (voir plus loin) [19].

 Ventilation : hyperventilation normobarique, FiO2 élevée, hypocarbie, alcalose respiratoire ;


 Anesthésie : sommeil et antalgie profonds, normothermie ;
 Optimisation de la précharge droite : volume, nitrés ou diurétiques selon la PVC ;
 Baisse de postcharge (traitement de l’hypertension pulmonaire) : NO, prostacyclines,
inhibiteurs des phosphodiestérases-5;
 Maintien de l'assistance septale du VG et de la pression de perfusion coronarienne droite :
noradrénaline ;
 Augmentation de la contractilité : dobutamine, milrinone-adrénaline, levosimendan.

Thérapeutique de l'insuffisance ventriculaire gauche

La thérapeutique de l'insuffisance cardiaque post-CEC porte sur plusieurs points d'impact


interdépendants [18]: précharge, postcharge (systémique et pulmonaire), rythme cardiaque, fonction
inotrope. L'amélioration de cette dernière se paie toujours d'une augmentation de la consommation
d'oxygène myocardique (mVO2 ) (voir Chapitre 12, Traitement de l'insuffisance ventriculaire).

 Précharge : l'insuffisance diastolique courante après CEC modifie la courbe de compliance des
cavités cardiaques; les pressions de remplissage (PVC, PAPO) sont plus élevées pour le même
volume intracavitaire. La courbe de Starling de l'insuffisance diastolique étant très redressée,
le volume systolique est très dépendant de la précharge, et la tolérance à l'hypovolémie est très
faible (Figure 4.23A). L’augmentation de précharge est limitée par le risque de dilatation
ventriculaire, situation particulièrement dangereuse parce qu'elle augmente la mVO2, menace
le flux sous-endocardique et effondre le débit cardiaque.
 Postcharge basse : une chute des RAS est fréquente après CEC (réchauffement, vasoplégie,
protamine, longue CEC, IEC préopératoire, diabète, etc). Bien qu'elle soit bénéfique pour le
VG, cette baisse de postcharge doit rester limitée car elle compromet la perfusion dans les
coronaires et dans tous les organes. Traitement habituel :
o Phényléphrine (Néosynéphrine®): bolus 100 mcg ; la dose maximale recommandée
hors-CEC est de 1 mg ; la raison est l’absence totale d’effet inotrope β de la substance

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
qui ne fait qu’augmenter les RAS et la postcharge du VG, d’où le risque de
défaillance gauche.
o Nor-adrénaline (Artérénol®): perfusion 0.03-0.5 mcg/kg/min ; la stimulation des
récepteurs α myocardiques (inotropes positifs) et le faible effet β1 assurent un appoint
inotrope qui aident le VG lorsque sa postcharge augmente.
o Vasopressine (Pitressin®): en cas de choc distributif réfractaire (PAM < 55 mmHg,
RAS < 600 dynes•s•cm-5), la vasopressine (1-4 U/h) peut améliorer la situation [31]; à
ces doses, la vasopressine provoque moins de vasoconstriction coronarienne, rénale et
splanchnique que la noradrénaline pour le même résultat sur la pression systémique
[42]. D’autre part, elle conserve ses propriétés vasoconstrictrices malgré l’hypoxie et
l’acidose.
o Bleu de méthylène : il peut aider à rétablir le tonus vasculaire en situation grave, mais
présente des risques : hypertension pulmonaire, neurotoxicité, vascoconstriction
coronarienne et rénale [29].
 Postcharge élevée : le risque est une dilatation du VG, un disruption des sutures aortiques et
une augmentation des pertes sanguines. La baisse d'impédance augmente l'éjection du VG
lorsque celui-ci est dysfonctionnel. Les vasodilatateurs utilisés en première ligne sont à
prédominance artériolaire.
o Isoflurane 2-5% momentanément;
o Phentolamine en bolus (Régitine® 1-2 mg iv);
o Nitroprussiate en perfusion (Nipruss® 0.1-5 mcg/kg/min);
o Nitroglycérine (0.5-5.0 mcg/kg/min) si l'hypertension est associée à une élévation de
précharge ou à une HTAP;
o Un inodilatateur comme un inhibiteur de la phosphodiestérase-3 (milrinone) ou le
levosimandan est indiqué lorsque l'élévation de pression artérielle est associée à une
dilatation et à une dysfonction du VG ou à une hypertension pulmonaire.
 Contrôle du rythme : les arythmies doivent être traitées électriquement le plus rapidemnent
possible. Le rythme idéal en sortant de CEC est un entraînement sinusal de 70-80 batt/minute.
o En cas de dissociation AV: pace-maker bicaméral, isoprénaline (bolus de 10 mcg). La
synchronisation de la contraction auriculaire est d'autant plus importante qu'il existe
des altérations de la compliance ventriculaire.
o FA ou tachyarythmie sus-jonctionnelle: cardioversion peropératoire (2-10 J par
palettes internes); la cardioversion mérite d'être tentée, y compris chez un patient en
FA chronique, car le rythme sinusal, même temporaire, améliore l'hémodynamique
pendant les heures où elle est la plus compromise. La substance de première intention
est l'amiodarone (Cordarone®), en perfusion de 10-15 mg/kg/24h; on débute par 150
mg/20 minutes iv, à répéter selon besoin. L'esmolol (Brevibloc®) est le seul β-
bloqueur envisageable en postopératoire à cause de la briéveté de sa demi-vie (9
minutes); il faut néanmoins l'utiliser avec précaution, et seulement lorsque la
tachycardie est excessive ou dangereuse.
 Stimulation inotrope : si l'index cardiaque est inférieur à 2.2 L/min/m2 et/ou la PAPO
supérieure à 18 mm Hg, si la SvO2 est < 60%, si la fraction d'éjection est < 0.5 ou si l’image
ETO montre une dysfonction ventriculaire, il est nécessaire d'assurer un support inotrope. Les
caractéristiques des agents cardiostimulants sont décrites plus loin (Médicaments
cardiovasculaires), ainsi que dans le Tableau 4.16 et le Tableau 4.17.

En salle d'opération, il est facile de compléter les traitements médicamenteux par un système
d'assistance ventriculaire dont le but est de maintenir la circulation en déchargeant le ou les ventricules
pour leur offrir une possibilité de récupération (voir Chapitre 12, Assistance ventriculaire).

 Contrepulsion intra-aortique (CPIA) : elle diminue la postcharge du VG et augmente la


pression diastolique, donc la perfusion coronarienne. C’est la technique de premier choix pour
soutenir un VG défaillant par ischémie ou par dilatation avec une IM modérée-à-sévère, mais
elle ne fonctionne correctement que si le rythme est régulier et inférieur à 120 batt/min, et que
si les résistances systémiques sont maintenues. Elle est contre-indiquée en cas d'insuffisance

133
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
aortique, de dissection, ou d'athéromatose grave de l'aorte thoracique descendante. Dans le
cadre de la chirurgie coronarienne, la CPIA diminue significativement la mortalité lors de
sortie de pompe difficile (RR 0.27-0.38); elle est moins efficace dans les pontages à cœur
battant (RR 0.56) [35].
 ECMO (Extra-Corporeal Membrane Oxygenation): une pompe centrifuge couplée à un
oxygénateur et branchée sur les vaisseaux fémoraux ou sur les canules de CEC assure une
assistance à la fonction ventriculaire et aux échanges gazeux ; elle est indiquée pour 5-10 jours
en cas de défaillance cardio-respiratoire. Les résultats sont d’autant meilleurs que le traitement
est mis en route plus tôt après l’événement qui a déclenché le choc cardiogène : une pression
systémique systolique < 90 mmHg, un pH < 7.2 et une FE < 35% en pré-implantation sont des
prédicteurs de faillite [21].
 Assistance ventriculaire externe par un système à court terme, comme par exemple l'Abiomed
BVS 5000i™ (flux pulsatile), l’Impella™ (flux continu) ou le TandemHeart™ (flux continu) ;
les deux derniers sont introduits par voie percutanée sous repérage fluroscopique et/ou
échocardiographique. Bien que les résultats à long terme des ces dispositifs ne créent pas de
différence majeure avec ceux de la CPIA et de l’ECMO, leur taux de complications est plus
faible et leur support hémodynamique est incontestablement supérieur : l’augmentation du DC
est plus importante et la décharge du VG est meilleure (PAPO plus basse), le gain sur la
mVO2 est supérieur [45].
 Quel qu’en soit le type, une assistance ventriculaire n’est pas un substitut aux agents inotropes
ni au maintien de la précharge. En effet, une défaillance droite survient dans environ 25% des
cas d’assistance monoventriculaire gauche (voir Chapitre 12, Anesthésie et assistance
ventriculaire) [27]. Elle est prise en charge comme une insuffisance du VD: milrinone-
adrénaline, levosimendan, alcalose respiratoire, NO•, prostacyclines, etc. Le bon
fonctionnement du VD est indispensable car ce dernier fournit la précharge du VG et du
dispositif d’assistance, dont le débit dépent directement du remplissage ventriculaire [33].
 Les systèmes d'assistance ventriculaire réclament une anticoagulation, ce qui peut évidemment
devenir problématique en postopératoire [17].

Choix des agents inotropes

Toutes les substances à effet inotrope positif ont un mécanisme commun : l'augmentation des
variations systoliques du Ca2+ intracytoplasmique ou de leur effet sur la troponine C. Leurs sites
d'action sont différents.

 Les catécholamines stimulent les récepteurs β1 et β2, et augmentent la synthèse de l’AMPc


(second-messenger) par stimulation de l'adényl-cyclase ;
 Les stimulants des récepteurs α1 ont un effet inotrope positif par augmentation de l’IP3 ;
 Les inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (IPDE-3) bloquent la dégradation de l’AMPc ;
 La digitale augmente l’entrée de Ca2+ au niveau des récepteurs Na/Ca2+
membranaires (inhibition de la Na+-K+-ATPase) ;
 Le levosimandan augmente la sensibilité de la troponine C au Ca2+.

L’insuffisance ventriculaire chronique et le stress prolongé (longue CEC, instabilité hémodynamique


continue en soins intensifs) conduisent à un remaniement des récepteurs myocardiques : baisse des
récepteurs β1, augmentation des récepteurs β2 et α1 (inotropes positifs) [6,15]. Ces données ont des
impacts majeurs sur la thérapeutique catécholaminergique.

 La réponse aux amines β1 est diminuée ; la dopamine et la dobutamine atteignent rapidement


leur plafond d’activité. L'adrénaline, qui stimule les récepteurs β1, β2 et α1, est la seule
catécholamine efficace pour le traitement de la décompensation aiguë d'une insuffisance
cardiaque chronique ou dans les situations critiques après CEC. La noradrénaline (effet α1

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
majeur et β1 secondaire) a davantage d’effet inotrope positif que sur un coeur normal à cause
de l’excès de récepteurs α1.
 La déplétion chronique en nor-adrénaline du myocarde diminue l'efficacité des amines
indirectes telles la dopamine ou l'éphédrine.
 Les inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (amrinone, milrinone) sont efficaces lors
d’insuffisance ventriculaire ou de β-blocage parce qu'ils agissent par une voie indépendante
des récepteurs β ; il en est de même de la noradrénaline et du levosimendan.
 La combinaison adrénaline + milrinone est un stimulant inotrope efficace sur le ventricule
défaillant, qu’il soit gauche ou droit.

Tableau 4.16
Effets comparatifs des différentes catécholamines

Substances Fréquence α1 α2 β1 β2 δ

Adrénaline ↑ +++ ++ ++ ++ -
< 0.03 mcg/kg/min ↑ + + + +
0.03-0.15 mcg/kg/min ↑ ++ + ++ +
> 0.15 mcg/kg/min ↑↑ ++++ + +++ +
Dopamine ↑↑ ++ + ++ + +++
1-3 mcg/kg/min + +++
3-8 mcg/kg/min ↑↑ + ++ + +++
> 8 mcg/kg/min ↑↑ +++ ++ + (+)
Dobutamine ↑ - - +++ ++ -
Dopexamine ↑↑ - - (+)* +++* ++
Noradrénaline ↓ +++ ++ + - -
Isoprénaline ↑↑↑ - - +++* +++* -
Ephédrine ↑ + + + + -

*: vasodilatation pulmonaire

Dosages des catécholamines

Dopamine: 1-3 mcg/kg/min effet δ prédominant, effet β discret


3-8 mcg/kg/min effet β > α
≥ 10 mcg/kg/min effet α > β
Dobutamine 1-10 mcg/kg/min effet β1 > β2
Adrénaline 0.01-0.1 mcg/kg/min effet α + β
> 0.05 mcg/kg/min effet α > β
I Isoprénaline bolus 10 mcg effet β pur
0.01-0.05 mcg/kg/min
Noradrénaline 0.01-1 mcg/kg/min effet α >> β
Dopexamine 3-5 mcg/kg/min effet δ prédominant, effet β discret

Le renouvellement des récepteurs est constant ; la demi-vie moyenne des récepteurs β est de 8 à 12
heures [7] ; leur nombre s’adapte en permanence à l’environnement neuro-humoral. De plus, toute
stimulation catécholaminergique prolongée déclenche l’activation des systèmes cellulaires inhibiteurs,
physiologiquement destinés à limiter ou terminer l’effet inotrope. Sur un cœur sain, la tolérance
s’installe en moins d’une heure [22]. L’internalisation et la désensibilisation (down-regulation) des
récepteurs β est l’affaire de 24-72 heures [7]. La désensibilisation β1 survient après quelques heures
d’une perfusion de catécholamines β1 (voir Chapitre 5, Terminaison de l’effet et Insuffisance
ventriculaire). Il est donc naturel qu’il n’y ait pas de dosage fixe pour les catécholamines, et que
l’efficacité de ces substances s’amenuise avec le temps.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Indépendamment de leur dosage, l'efficacité des catécholamines dépend donc de plusieurs éléments :

 La densité et la sensibilité des récepteurs membranaires ;


 La répartition des types de récepteurs ;
 L’activité de recapture synaptique ;
 La disponibilité du Ca2+ sarcoplasmique ;
 L'équilibre acido-basique (l’acidose inhibe leur action) ;
 La concentration locale de la substance, variable selon l’hémodynamique et le site
d’administration (voie périphérique versus voie centrale) ;
 La durée de l’insuffisance cardiaque ou du choc cardiogène.

Le choix du support inotrope post-CEC est vaste : il y a à peu près autant de recettes que de centres de
chirurgie cardiaque ! Toutes sont efficaces lorsqu'elles reposent sur la pharmacologie des substances et
les conditions hémodynamiques du patient (Tableau 4.16). Le Tableau 4.17 est simplement un
exemple parmi d'autres.

Tableau 4.17
Exemple de protocole d'utilisation des inotropes après une opération en CEC

FIN DE LA CEC Insuffisance


T°rectale > 35° hémodynamique sévère
Ventilation ok PAM < 70 mmHg
Insuffisance cardiaque
Activité cardiaque Fréquence inadéquate
congestive préopératoire
spontanée FE < 0.6
Dysfonction / dilatation du
ETO: anat. et/ou fonction
VG
anormales
Valvulopathie sévère
Dysfonction systolique ou
diastolique
Bloc AV
Diurèse < 1 mL/kg/h
Fréquence < 60/min
Inadéquation hémodynamique
Dobutamine 5-10 mcg/kg/min +
noradrénaline 0.1-1.5 mcg/kg/’

Pace-maker
Isuprel 10 mcg bolus Dobutamine
3 - 10 mcg/kg/min Si insuffisant :
Adrénaline 0.03 – 0.5 mcg/kg/min
+ milrinone 0.5 mcg/kg/min
Fréquence > 70 et < 100/min Maintenir adrénaline au minimum
PAM > 80 mmHg nécessaire
FE > 0.6 Si RAS basses ou vasoplégie: Surveiller et corriger l’acidose et
ECG ok - Néosynéphrine 100 mcg bolus la glycémie
ETO: anat.+ fonction normales (max: 1 mg)
- Noradrénaline 0.1-1.5
mcg/kg/min
- Si néc : Vasopressine 1-4 U/h Si insuffisant :
Mise en charge sans amines Retour en CEC
A reconsidérer en permanence Contrepulsion intra-aortique
selon l’évolution (normalement Levosimendan (délai 2-4 h)
la fonction ventriculaire Si RAP élevées, HTAP, insuff VD:
baisse pendant les 5-6 - Dobutamine → 10 mcg/min
heures post-CEC) - Milrinone 0.5 mcg/kg/min + adrénaline
- Noradrénaline 0.1-0.5 mcg/kg/min
- NO 4-20 ppm Si insuffisant: ECMO,
- Levosimendan 0.1-0.3 mcg/kg/min Assistance ventriculaire

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Mais les agents inotropes ne sont pas une panacée. Leur utilisation en périopératoire s’est avérée être
associée à une augmentation de la mortalité à 1 an (HR 2.5), du risque d’infarctus (HR 2.1) et du
risque d’ictus (HR 2.4) [39]. Le bénéfice des catécholamines après chirurgie cardiaque est donc limité
à l’amélioration à court terme de la défaillance ventriculaire lorsque celle-ci est avérée (voir Chapitre
12 Défaillance VG aiguë périopératoire, Impact des agents inotropes).

Catécholamines

Les catécholamines ne sont pas toutes équivalentes, car elles présentent des différences dans la
sélectivité de leurs actions au niveau des récepteurs.

 Dopamine: agent pratique pour les sorties de pompe simples à cause de l'effet β1, du léger
effet α (maintien des RAS) et de l'effet δ (augmentation du flux splanchnique et rénal) si le
dosage reste < 5 mcg/kg/min; au-delà de 5 mcg/kg/min, la vasoconstriction α augmente
davantage que l'effet β et la dopamine devient essentiellement un vasopresseur plus
arythmogène que la noradrénaline. Cette variabilité la rend impropre à la gestion des
défaillances ventriculaires sévères. La dopamine est bon marché, mais relativement
tachycardisante aux faibles dosages. Son effet protecteur rénal est inexistant [37]. Elle est
plutôt tombée en désuétude.
 Dobutamine: stimulant exclusivement les récepteurs β, elle a un effet inotrope positif (effet
β1) mais abaisse les RAS (effet β2); ces effets ne se modifient pas avec le dosage, mais
obligent en général à adjoindre une perfusion de nor-adrénaline au-delà de 5 mcg/kg/min. La
dobutamine est plus onéreuse mais moins tachycardisante que la dopamine. La tolérance
pharmacodynamique se manifeste dès 48-72 heures d’utilisation. La dobutamine est la seule
catécholamine qui maintienne le flux coronarien proportionnel à la mVO2, du moins lorsque
les coronaires épicardiques peuvent se vasodilater.
 Adrénaline: effet équilibré α et β, très bon marché; au-delà de 0.05 mcg/kg/min, l’effet α
domine sur l’effet β. Mais elle induit une hyperglycémie, une acidose, une tachycardie et des
arythmies; par rapport à la combinaison dobutamine-noradrénaline, elle diminue la perfusion
digestive.
 Nor-adrénaline: effet essentiellement α vasoconstricteur artériolaire systémique; peu d'effet
vasoconstricteur pulmonaire car les récepteurs α sont rares dans le lit pulmonaire. La
noradrénaline présente un effet inotrope positif en cas d'insuffisance ventriculaire chronique à
cause de la prépondérance de récepteurs α dans le myocarde dysfonctionnel.
 Isoprénaline: le plus puissant stimulant β1 et β2; tachycardisant et vasodilatateur artériel
systémique et pulmonaire, l'isoprénaline est indiquée essentiellement dans les blocs AV et les
bronchospasmes.

Les substances qui ont plusieurs actions, comme la dopamine ou l'adrénaline, ne permettent pas de
différencier les effets entre eux, surtout lorsque leur proportion varie selon le dosage. Les
catécholamines à effet "pur" (dobutamine, noradrénaline) sont plus aisées à ajuster en fonction du
paramètre hémodynamique sur lequel on veut agir. L'effet β2 (dobutamine, adrénaline) est responsable
d'une vasodilatation, d’une hyperglycémie et d'une acidose métabolique. Quelle que soit la substance
utilisée, l'augmentation de la contractilité se solde toujours par une augmentation de la mVO2. Seules
les sensibilisateurs calciques et les techniques d'assistance ventriculaire augmentent le débit sans
élever le travail cardiaque.

Inhibiteurs des phospho-diestérases-3

Une inhibition des phosphodiestérases-3 (IPDE-3) qui catabolisent l’AMPc augmente le taux
cytoplasmique de cette dernière, donc conduit à une stimulation inotrope par augmentation de la
[Ca2+]i systolique. Cette voie ne passe pas par les récepteurs β. Les IPDE-3 ont un impact particulier

137
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
sur l’inhibition du phospholamban et sur la fonction du réticulum sarcoplasmique, ce qui a pour effet
d’élever la [Ca2+]i systolique mais d’abaisser la [Ca2+]i diastolique, d’où une amélioration de la
fonction systolique (effet inotrope) et de la fonction diastolique (effet lusitrope). Ces substances
conservent une efficacité en cas de baisse du nombre ou de la réactivité des récepteurs β membranaires
ou en cas de β-blocage. Les IPDE sont des inodilatateurs : ils présentent un effet inotrope positif, et un
effet vasodilatateur sur les vaisseaux de résistance (artères systémiques et pulmonaires) et de
capacitance (grandes veines centrales). Ils ne provoquent pas de tachycardie (absence d’effet
chronotrope). Les indications essentielles sont [24] :

 La dysfonction gauche sévère avec dilatation ventriculaire pouvant profiter d’une baisse de
postcharge systémique;
 L’insuffisance ventriculaire droite avec hypertension pulmonaire ;
 Les coeurs sévèrement déplétés en récepteurs β tels les insuffisances ventriculaires de longue
durée, les greffons cardiaques, et les cas après une CEC prolongée ;
 Les patients β-bloqués.

Leur administration nécessite un remplissage accru pour maintenir une précharge adéquate, sauf si la
baisse de cette dernière est un des buts recherchés. La dose de charge n'est pas systématique ; l'éviter
atténue l'effet hypotenseur systémique. L'administration d'IPDE chez des patients hypovolémiques
entraîne une hypotension sévère difficile à gérer. La milrinone (Corotrop®) s'administre en perfusion
(0.4-0.75 mcg/kg/min) précédée ou non d'une dose de charge (50 mcg/kg). Comme cette dernière
provoque une hypotension significative, une manière de procéder est d'injecter la dose de charge dans
la CEC en cours de réchauffement, car l'hypotension est facile à maîtriser à ce moment. La
combinaison adrénaline + milrinone est particulièrement efficace en cas d'insuffisance ventriculaire
chronique, réfractaire ou accompagnée d'HTAP. La milrinone est contre-indiquée en cas
d’insuffisance rénale.

Levosimendan

Le levosimendan (Simdax®) est un sensibilisateur calcique qui possède plusieurs effets concourant à
améliorer le débit systolique (effet inotrope positif) [41].

 Effet sensibilisateur de la troponine C au calcium; l'augmentation de la force de contraction a


lieu sans élévation du taux de Ca2+ intracytoplasmique;
 Activité anti-phosphodiestérase-3;
 Effet vasodilatateur artériel par l'ouverture des canaux KATP des cellules musculaires lisses
artériolaires;
 Cardioprotection par activation des canaux KATP des mitochondries, mécanisme analogue à
celui du préconditionnement.

Le levosimendan n’entraîne pas de tachycardie ni d’augmentation de la mVO2 [41]. Il reste efficace


chez les patients β-bloqués [30]. Son action clinique est donc particulièrement favorable dans le cadre
de la chirurgie cardiaque et des soins intensifs: amélioration de la contractilité, augmentation du
volume systolique du VG et du VD, baisse de la PVC, de la PAP et de la PAPO, baisse de la
postcharge (vasodilatation artérielle), préservation du rapport DO2/VO2 coronarien. Sa demi-vie est de
1-1.5 heure, mais son métabolite actif (OR-1896) a une demi-vie est de 75-80 heures. Son effet se
prolonge sur une semaine [52]. Ses principaux effets secondaires sont l'hypotension, les céphalées, les
extrasystoles et l'hypokalémie; une inhibition plaquettaire est possible [43]. Le levosimendan est le
seul agent inotrope qui soit associé à une diminution de la mortalité à long terme (voir ci-dessous
Impact sur la mortalité). En chirurgie cardiaque, celle-ci est réduite de moitié chez les patients en
insuffisance ventriculaire qui bénéficient du levosimendan (OR 0.48) [32,36]. Ce bénéfice est d’autant
plus marqué que la fonction ventriculaire est plus mauvaise. Le risque d’insuffisance rénale
postopératoire est significativement diminué [20,53].

138
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Indications cliniques [52] :

 Insuffisance du VG avec RAS et/ou RAP élevées ;


 Insuffisance droite avec HTAP ;
 Revascularisation coronarienne avec défaillance ventriculaire réfractaire ;
 Bas débit cardiaque chez les patients β-bloqués ou déplétés en récepteurs β ;
 Probable inefficacité des autres agents inotropes.

Le levosimendan est efficace si certaines conditions sont remplies [52,53].

 Normovolémie et normokaliémie.
 RAS maintenues (PAsyst > 100 mmHg), si nécessaire avec de la nor-adrénaline ou de la
vasopressine.
 Administration précoce dans l’évolution de la décompensation ventriculaire; en chirurgie
cardiaque, l'idéal est un démarrage de la perfusion en préopératoire, à l'induction ou en CEC.
 Dose de charge (facultative) de 6 mcg/kg (de préférence pendant la CEC, à cause du risque
d’hypotension). D’une manière générale, la plupart des auteurs s’accorde à dire que le bolus
de charge devrait être évité à cause de l’hypotension artérielle qu’il induit. Sans dose de
charge, le plein effet apparaît après 2 heures.
 Perfusion sur une seule période de 24 heures (0.05-0.2 mcg/kg/min, préférence : 0.1
mcg/kg/min) ; en chirurgie cardiaque, il est judicieux de débuter la perfusion à l’induction, au
plus tard en CEC.
 Si un autre inotrope est nécessaire, la préférence est donnée à la dobutamine.

Une deuxième perfusion n’est pas envisageable avant 3-10 jours. Bien que le prix du traitement soit
son principal inconvénient (une fiole de 12.5 mg revient à CHF 1’160.-), la réduction de la durée
d’hospitalisation (-1.31 à -1.6 jour de soins intensifs) et de l'utilisation d'assistance circulatoire ou
d'hémodialyse compense probablement son coût [28,53]. Le levosimendan ne devrait pas être envisagé
seulement comme une intervention de sauvetage dans les cas dépassés, mais au contraire assez tôt
dans les cas de défaillance ventriculaire sévère gauche et/ou droite qui peuvent bénéficier d’une
inodilatation et d’une maîtrise de la consommation d’O2 [20]. Ainsi la perfusion démarrée la veille de
l'intervention, ou tout le moins avant l'induction de l'anesthésie, assure le meilleur bénéfice lors de
chirurgie cardiaque chez des patients souffrant de défaillance ventriculaire sévère [53]. Lors de choc
cardiogène postopératoire, une perfusion pendant les premières 24 heures d'une assistance circulatoire
par ECMO double les chances de sevrage (HR 0.41) et de survie à 30 jours (HR 0.52) [13]. Toutes les
méta-analyses confirment que le lévosimendan diminue la mortalité de 20-30% (OR 0.69-0.82) [44].
Pour plus de détails, voir Agents inotropes non-catécholaminergiques.

Autres substances

Le calcium (dose: 2-4 mg/kg) élève la concentration de Ca2+ extracellulaire et antagonise les effets de
l'hyperkaliémie intra-myocardique après cardioplégie, mais n'améliore la fonction cardiaque que chez
les patients hypocalcémiques (transfusion rapide de sang citraté) ou sous anticalciques. Il présente un
antagonisme avec les stimulants β et un synergisme avec les stimulants α (augmentation de la
pression, mais pas d'effet inotrope). Une hypercalcémie aiguë lors de la revascularisation peut
provoquer une surcharge intracellulaire aggravant les lésions ischémiques et la dysfonction
diastolique, rigidifiant le myocarde (stone heart), et induisant une vasoconstriction des greffons
artériels.

La thyroxine (T3) (tri-iodo-thyronine) améliore la performance ventriculaire par stimulation de


l’adénylyl-cyclase (augmentation de l’AMPc) et par des voies différentes de l’AMPc ; elle est utile
chez les malades dont le système neuro-humoral est épuisé, comme les malades de soins intensifs, les
donneurs d'organe ou après les longues CEC [40]. Son action est contre-carrée par les anti-calciques.
Les doses sont de 0.03-0.5 mcg/kg/min, ou de 0.0275 mcg/kg en 4 doses. Bien qu'une baisse du taux

139
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
d'hormone thyroïdienne circulante soit associée à l'insuffisance ventriculaire postopératoire, sa
substitution donne des résultats contradictoires allant de l'amélioration du DC à l'absence d'effet [9].

Thérapeutique de l'insuffisance ventriculaire droite

L’insuffisance droite est secondaire à une affection propre du VD (infarctus, cardiomyopathie) ou à


une augmentation de sa postcharge, ce qui est le plus fréquent. Après une CEC, cette défaillance droite
relève de plusieurs causes que l'on peut regrouper en cinq catégories.

 Hypertension artérielle pulmonaire précapillaire (HTAP): péjoration d'une HTAP préexistante


(HTAP primaire idiopathique, cardiopathies congénitales, âge, obésité, SAS, cocaïne, HIV,
anorexigènes), injection de protamine.
 Hypertension pulmonaire postcapillaire (HTP) : pathologies du cœur gauche engendrant une
stase pulmonaire (dysfonction du VG, maladie mitrale, prothèse mitrale inadéquate).
 Pathologies pulmonaires et hypoxie (embolie pulmonaire, BPCO, SDRA, asthme, syndrome
inflammatoire, PEEP excessive, atélectasies, hypoventilation, acidose); compression des
vaisseaux pulmonaires par un pneumothorax.
 Augmentation de précharge : surcharge de volume par communication interauriculaire (CIA),
interventriculaire (CIV), insuffisance tricuspidienne ou fistule artério-veineuse.
 Cardiomyopathie du VD : infarctus, ischémie aiguë, défaillance droite sur assistance
circulatoire du VG, dépression contractile du choc septique (endotoxines, cytokines, SIRS),
cardiomyopathie arythmogène, cardiopathie congénitale.

Dans le cadre de l’anesthésie, la prise en charge d’une défaillance droite demande une surveillance
invasive avec cathéter pulmonaire de Swan-Ganz (mesure de la PAP, des RAP, du VS, du RVSW et
de la FEVD) et échocardiographie transoesophagienne. La thermodilution sous-estime le DC réel en cas
d’insuffisance tricuspidienne majeure et le surestime lorsque l’IT est due à une défaillance droite, mais
la SvO2 conserve sa relation avec le DC dans les deux cas. Avant d’aborder la thérapeutique, il est
important de préciser quelques points [26,56].

 La défaillance droite est un événement dangereux et difficile à traiter, qui entraîne un


pronostic très sombre ; il est capital de rester très vigilant face à ce risque, particulièrement
après une CEC, et d’avoir une attitude proactive dans toutes les situations à risque.
 Les organes souffrent doublement en cas de défaillance droite : le bas débit baisse la pression
d’amont et la stase veineuse augmente la pression d’aval. La pression de perfusion (Partère –
Pveine) est très diminuée.
 La ventilation en pression positive doit opposer le minimum d’impédance à l’éjection du VD :
pression de plateau minimale, PEEP seulement si indispensable, FiO2 0.5-0.8.
 L’hypercapnie permissive provoque une vasoconstriction pulmonaire alors que
l’hyperventilation abaisse les RAP ; l’équilibre est donc à rechercher dans une hypocapnie
normobarique avec le volume courant minimal pour maintenir une PaCO2 ≤ 35 mmHg.
 Le débit du VD est très dépendant du rythme sinusal ; un pace-maker peut être nécessaire pour
optimiser le traitement ; une fréquence de 80-90/min raccourcit la diastole et diminue le risque
de dilatation ventriculaire. Le risque d'arythmie ventriculaire est proportionnel au degré de
dilatation du VD.

Le traitement de l'insuffisance ventriculaire droite comprend plusieurs points [50,51]. Il doit être
agressif, car la défaillance du VD aggrave dangereusement le pronostic et augmente fortement la
mortalité postopératoire. Vu l’interdépendance très étroite entre le VD et le VG, la thérapeutique de
l’insuffisance droite aiguë doit viser avant tout à rééquilibrer le jeu des pressions et des volumes entre
les deux ventricules (rapport PAM/PAPm ≥ 4, septum interventriculaire convexe vers la droite)
(Tableau 4.18).

140
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.18
Traitement de l'insuffisance cardiaque droite aiguë

Hyperventilation normobarique
• Hypocapnie : PaCO2= 25 – 30 mm Hg, alcalose: pH = 7.5
• FiO2 = 1.0
• V courant 6-8 ml/kg, pression ventilatoire (Pmoy) 6-10 cm H2O
Optimalisation de la précharge
• ↑ PVC 15 mmHg si dimensions normales du VD
• ↓ PVC si dilatation du VD, insuffisance tricuspidienne et stase droite
• Nitroglycérine (0.05-5 mcg/kg/min) si PVC haute
Maintien de l'interaction interventriculaire et de la pression de perfusion coronaire
• Nor-adrénaline (0.1-0-5 mcg/kg/min) si hypotension systémique
• Vasopressine (1-4 U/h)
• CPIA si bas débit systémique
Stimulation inotrope
• Dobutamine (Dobutrex®) 3-10 mcg/kg/min
• Adrénaline 0.01 – 0.1 mcg/kg/min
• Milrinone (Corotrop®) dose de charge 50 mcg/kg, perf 0.5-0.75 mcg/kg/min
• Levosimendan (Simdax®) 0.1-0.3 mcg/kg/min (perf unique sur 24 heures)
• (Isoprénaline (Isuprel®) bolus 10 mcg, perfusion 0.01 à 0.1 mcg/kg/min)
NO : 10 – 30 ppm dans le circuit inspiratoire du ventilateur (non recommandé en cas

d'HTP sur stase gauche


Prostaglandines
• Iloprost® en spray nasal à répéter toutes les 3-4 heures
• Epoprosténol (Flolan®): 2-5 ng/kg/min en perfusion
• Treprostinil sous-cutané
Sidénafil (Revatio®) 10 mg 3 x/j per os ou 10 mg iv en perf
Non-fermeture ou réouverture du péricarde et du sternum.
Assistance ventriculaire droite, ECMO

 Optimisation de la précharge ; le VD dysfonctionnel peut nécessiter une PVC jusqu’à 10-12


mmHg pour assurer son débit systolique. En revanche, si la défaillance a déjà entraîné une
dilatation ventriculaire et une stase en amont, il faut au contraire diminuer la précharge :
dérivés nitrés, diurétiques, position de contre-Trendelenburg.
 Baisse de la postcharge : comme le VD est très sensible à la postcharge, la diminution de
l'impédance augmente efficacement le volume éjecté ; on utilise à cet effet les substances qui
présentent un effet vasodilatateur pulmonaire majeur. A l'exception de l'hyperventilation
normobarique et du NO•, les hypotenseurs pulmonaires s'accompagnent d'une hypotension
systémique qui peut potentialiser la dyskinésie septale et diminuer la pression de perfusion
coronarienne. Les vasodilatateurs pulmonaires (NO, prostacyclines, IPDE-5) sont
potentiellement dangereux dans les hypertensions pulmonaires liées à une stase gauche
(défaillance du VG, maladie mitrale), car ils augmentent le flux et la congestion en amont de
l’OG ; le risque est un OAP. Les agents inhalés (NO, iloprost) n'ont pas d'effet systémique. La
baisse de la PAP n’est pas obligatoirement un succès thérapeutique, car elle peut être due à
une perte fonctionnelle du VD.
 Stimulation de la contractilité : amines sympathicomimétiques à effet β1 (dobutamine,
isoprénaline), inhibiteurs de la phosphodiestérase-3 (amrinone, milrinone), sensibilisateur
calcique (levosimandan). La dopamine et la digitale sont contre-indiquées parce qu’elles
augmentent les RAP.
 Maintien du gradient de pression entre les deux ventricules (rapport PAM/PAPm ≥ 4.0) et de
la géométrie du VD pour éviter le basculement septal vers la gauche et épauler la contraction
du VD par celle du VG. Une dyskinésie septale entraîne la perte de 30-40% de l’efficacité
éjectionnelle droite. Si le VD devient globulaire par un bombement vers la gauche, les
myofibrilles longitudinaux, qui sont le moteur principal de l’éjection droite, perdent leur
alignement normal et leur contraction devient moins efficace. L’augmentation de la

141
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
postcharge gauche (vasoconstricteur systémique) tend à rétablir la position normale du septum
interventriculaire (arrondi vers la droite) et à améliorer l’assistance par le VG.
 Maintien de la perfusion coronaire droite : une perfusion de nor-adrénaline et/ou de
vasopressine est indiquée afin de maintenir un gradient suffisant entre la pression aortique et
la pression systolique du VD ; la faible population de récepteurs α pulmonaires et l’absence de
récepteurs à la vasopressine dans les poumons font que la pression systémique s’élève mais
non la pression pulmonaire.
 Assistance ventriculaire externe par un ventricule artificiel ou par une contrepulsion intra-
pulmonaire ; la contre-pulsion intra-aortique peut être utile pour maintenir la pression de
perfusion coronarienne.
 Non fermeture du péricarde et du sternum, ou réouverture en postopératoire. Lorsque la Ptd du
VD est ≥ 15 mmHg, la paroi ventriculaire est en butée contre le péricarde ; l’ouverture de
celui-ci augmente la compliance du VD et relâche la compression opérée sur le VG par le
bascule du septum interventriculaire ; cette technique permet de tolérer la dilatation due à la
dysfonction droite sans augmentation de pression.

Le marqueur de l’efficacité du traitement n’est pas une baisse de la PAP, mais une baisse de la PVC et
une augmentation du volume systolique. Le traitement de l'hypertension pulmonaire est résumée dans
le Tableau 4.19.

Tableau 4.19
Traitement de l’hypertension pulmonaire

Approfondissement de l'anesthésie (fentanyl, sufentanil), réchauffement du patient

Hyperventilation: PaCO 2 30 mmHg, pH > 7.45


Hyperoxie: FiO2 1.0
IPPV avec basse P intrathoracique (Pmoy: 6-10 mmHg) Traitement aigu sans effet
NO• : 10-30 ppm dans le circuit inspiratoire vasodilatateur sur les RAS
Aérosol de prostanoïde (iloprost 20 mcg en 15 min)
Sulfate de magnesium (5-10 mmol)

Catécholamines β: dobutamine, isoprénaline


Anti-phosphodiesterases-3: milrinone (0.5 mcg/kg/min)
Noradrénaline, vasopressine (↑ aide du VG et ↑ perf coron) Traitement de
Adaptation de la précharge du VD (PVC) l'insuffisance du VD
Ouverture/non-fermeture du péricarde et du sternum
Contrepulsion intra-aortique (↑ pression coronarienne)

Perfusion d'époprostenol (2-5 ng/kg/min)


Adénosine (6-12 mg iv)
Anti-phosphodiesterases-5: dipyridamole (0.5 mg/kg iv) Traitement aigu et
sildénafil (50-100 mg/j per os) + L-arginine chronique avec effet
Anti-endothéline: bosentan (125-250 mg/j per os) vasodilatateur sur les RAS
Anti-angiotensine: losartan (50-100 mg/j per os)
Bloqueurs calciques (nifedipine, 15% de répondeurs)

Sont à éviter: dopamine, digitale, desflurane.

Impact des agents inotropes sur la mortalité

Malgré leur bénéfice manifeste à court terme, il s’est avéré ces dernières années que l'utilisation des
agents inotropes tend à augmenter la mortalité à long terme. Après chirurgie cardiaque en CEC, la
mortalité hospitalière est plus que doublée (OR 2.3-3.0) chez les malades exposés à un agent inotrope,
après appariement en fonction de la gravité des cas; le taux d’insuffisance rénale est presque triplé

142
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
(OR 2.7) [14,48]. Dans un registre danois, la mortalité à 1 an ajustée en fonction du risque est
également doublée (OR 2.5) chez les malades sous inotropes; l’utilisation de ces agents augmente le
risque d’infarctus (HR 2.1), d’ictus (HR 2.4), d’arythmie (HR 3.1) et d’insuffisance rénale (OR 7.9)
[39]. Dans ces travaux, ne sont pris en compte que les perfusions d’inotropes de plus de 3 heures. Plus
récemment, une vaste méta-analyse portant sur 177 études (28’280 patients) s’est révélée moins
pessimiste [4]. Dans cette étude, les agents inotropes ne modifient pas la mortalité (RR 0.98), sauf le
lévosimendan qui la diminue (RR 0.80); dans les situations particulières de la vasoplégie, de la sepsis
et de la chirurgie cardiaque, ils tendent même à améliorer la survie (RR 0.73, 0.76 et 0.70,
respectivement). Le levosimendan est le seul agent inotrope qui soit associé à une diminution de la
mortalité à long terme (OR 0.35-0.82) en cardiologie, en soins intensifs ou en chirurgie cardiaque, et à
une baisse de l’incidence d’insuffisance rénale postopératoire [4,16,20,28,36,43]; toutefois, deux
essais randomisés récents sont moins optimistes (voir Agents inotropes non-catécholaminergiques). A
l’évidence, les catécholamines sont néfastes dans le cadre de l’insuffisance cardiaque chronique, mais
la situation n’est pas vraiment claire après une intervention de chirurgie cardiaque. Leur administration
devrait probablement rester limitée à l’amélioration à court terme de la défaillance cardiaque lorsque
celle-ci entraîne une dilatation ventriculaire et/ou une hypoperfusion organique (Figure 4.28) [4].

Mortalité cumulée (%)

16

Inotropes postop
4
12
3
Inotropes périop
8
Inotropes perop
2
4 1
Pas dʼinotrope

100 200 300 400


Durée (jours)

Figure 4.28: Mortalité postopératoire cumulée à 1 an après chirurgie cardiaque en fonction de l’utilisation des
agents inotropes (dopamine, dobutamine, milrinone, adrénaline) dans un registre de 6’005 patients consécutifs
appariés en fonction de la gravité des cas (1’170 avec inotropes et 1’170 sans inotropes) [d’après réf 39]. 1:
absence d’inotropes. 2: utilisation d’agents inotropes seulement en peropératoire (≤ 3 heures). 3: utilisation per-
et postopératoire. 4: utilisation seulement dans le postopératoire. L’utilisation d’inotropes à court terme en salle
d’opération pour la sortie de CEC ne modifie pas significativement la mortalité. Par contre, la prolongation de
ces agents dans le postopératoire est liée à une augmentation significative de la mortalité (OR à 30 jours: 3.7, OR
à 1 an: 2.5). Les évènements suivants se sont révélés liés à l’utilisation des inotropes: infarctus (OR 2.1), ictus
(OR 2.4), et insuffisance rénale (OR 7.9). Cet exemple est illustratif des risques liés à l’utilisation indiscriminée
des catécholamines et des IPDE-3.

L'utilisation routinière d'agents inotropes pendant plus d'une dizaine d'heures est certes pénalisante en
terme de mortalité. Il n'en reste pas moins que ces agents sont nécessaires pour assurer la survie dans
la défaillance ventriculaire aiguë liée à la chirurgie cardiaque, à la sepsis ou à diverses situations
graves en peropératoire ou aux soins intensifs [43]. Le bénéfice attendu des agents inotropes doit donc
être soigneusement mis en balance avec leur risque de morbi-mortalité. Dans le postopératoire de

143
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
chirurgie cardiaque, en particulier, ils tendent à aggraver les lésions d’ischémie-reperfusion par
surcharge de Ca2+ cytoplasmique et par augmentation de la mVO2. Ceci pénalise particulièrement les
patients subissant une revascularisation coronarienne. D’autre part, une composante d’hypovolémie et
de vasoplégie est souvent présente après CEC, pour laquelle les inotropes ne sont d’aucun apport.
L’ETO est d’un grand secours pour discriminer ces différentes étiologies. Le besoin réel en inotropes
est estimé à environ 25% des cas [14]. Malheureusement, l’absence de protocoles institutionnels est
très générale et dans 90% des cas, ils sont prescrits selon les préférences de l’anesthésiste et selon son
intuition clinique.

Dysfonction ventriculaire post-CEC

Une intervention cardiaque en CEC porte transitoirement atteinte à la fonction ventriculaire. La


fonction systolique et la fonction diastolique baissent progressivement pour atteindre leur nadir vers
5-6 heures après la CEC ; la récupération prend 8 à 24 heures. Cette dysfonction est d’autant plus
sévère que l’atteinte ventriculaire était préexistante et que l’opération était longue et complexe.

Thérapeutique de l’insuffisance gauche par ordre croissant d’importance :


- Optimalisation de la précharge, de la postcharge, de la fréquence et du rythme
- Dopamine jusqu’à 5 µg/kg/’
- Dobutamine (5-20 µg/kg/’) + noradrénaline (0.05 – 0.5 µg/kg/’)
- Adrénaline (0.01-0.3 µg/kg/’) + milrinone (0.5 µg/kg/’)
- Levosimendan 0.05-0.3 mcg/kg/min (24 heures)
- CPIA
- ECMO, assistance ventriculaire

Thérapeutique de l’insuffisance droite :


- Optimalisation de la précharge du VD
- Vasodilatateur pulmonaire : NO•, iloprost (inhalation), nitroglycérine (0.1-5.0 µg/kg/’)
- Equilibration de l'interdépendance ventriculaire (rapport PAM/PAPm > 3): noradrénaline,
vasopressine
- Maintien de la perfusion coronarienne : noradrénaline (0.05 – 0.5 µg/kg/’), CPIA
- Dobutamine (5-20 µg/kg/’)
- Milrinone (0.5 µg/kg/’) + adrénaline (0.01-0.3 µg/kg/’)
- Levosimendan 0.05-0.3 mcg/kg/min (24 heures)
- Non-fermeture du péricarde et du sternum
- Assistance ventriculaire, ECMO

Références

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temperature decreases after cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 1992; 77:31-37
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Arythmies post-CEC

Fibrillation auriculaire

La fibrillation auriculaire (FA) est fréquente après chirurgie cardiaque : son incidence est de 10-40%
des cas (voir Chapitre 20, FA en chirurgie cardiaque). Elle apparaît en général au 2ème-4ème jour
postopératoire, en synchronisation avec le pic de la réaction inflammatoire. Le principal facteur de
risque est l’âge : l’incidence est de 18% à 60 ans et de 50% à 80 ans [5]. La dysfonction diastolique, la
dilatation de l'OG et l’élévation du BNP ou du NT-proBNP sont des facteurs associés habituels. La FA
supprime l’activité propulsive de l’oreillette et abaisse le débit cardiaque par diminution de la
précharge télédiastolique du ventricule. Bien que des oreillettes dilatées et faiblement contractiles
soient peu utiles hémodynamiquement, le maintien du rythme sinusal garantit une meilleure stabilité
électrique, diminue le risque d’embolie systémique et peut éviter l’anticoagulation [3].

Plusieurs substances ont une activité prophylactique possible contre la survenue de FA : statines
(traitement préopératoire), béta-bloqueurs, amiodarone, stéroïdes, magnésium. Mais aucune n'a une
efficacité irréfutable. La résolution spontanée de la moitié des épisodes de FA postopératoire oblige à
bien peser les risques d’une prophylaxie systématique par rapport à ceux de l’arythmie [5]. En
peropératoire, le magnésium, dont le taux sérique est réduit après CEC, est quasi sans danger, mais
sont efficacité reste contestée ; les essais les mieux contrôlés tendent à infirmer son effet préventif sur
les tachy-arythmies supraventriculaires [2]. Le traitement de la FA est indiqué chez les patients qui
étaient en rythme sinusal avant l’intervention et chez ceux qui ne la tolèrent pas du point de vue
hémodynamique [6].

 Cardioversion (2-10 J par palettes internes, 50-150 J par voie transthoracique) ;


 Magnésium (MgCl2 10-20 mmoles ou 2-4 g iv) ;
 Amiodarone (Cordarone® 2.5-5 mg/kg iv en 20 min, puis 15 mg/kg en 24 heures) ;
 Esmolol (Brevibloc® 0.5 mg/kg iv en 1 min ; perfusion 0.05-0.2 mg/kg/min);
 Vernakalant (Brinavess®) (3 mg/kg iv en 10 min), première substance de classe I et III à
sélectivité auriculaire qui soit efficace après chirurgie cardiaque, apparemment très sûre [1].

Fibrillation ventriculaire

Il est coutumier que le cœur fibrille après le déclampage aortique. Cette fibrillation peut se résoudre
spontanément, mais il est habituel de devoir défibriller le patient avec un choc de 5 à 10 J par des
palettes internes. Si le premier choc est inefficace, on adjoint volontiers du Mg2+ (2-4 g) et de la
146
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
lidocaïne (1.5 mg/kg) par la voie centrale ou par la CEC. On augmente la puissance jusqu’à 50 J
(maximum) au cours de chocs itératifs. L’amiodarone est le premier choix pharmacologique en cas
d’instabilité : dose de charge 150-300 mg iv lent, suivi de 150 mg additionnels en perfusion [4]. Il est
important de normaliser tous les éléments métaboliques: électrolytes, pH, glycémie, ventilation, etc. Il
arrive parfois que les lésions de reperfusion myocardique se traduisent par des tachycardies et des
fibrillations ventriculaires à répétition. Il est capital de persister à défibriller le patient, même des
dizaines de fois si nécessaire, car ces lésions sont totalement réversibles après quelques heures. Il
s’agit d’avoir assez de ténacité pour passer le cap, après quoi la plupart des malades est eurythmique et
jouit d’une survie normale.

Bradycardies et blocs AV

La fréquence idéale est située entre 70 et 85 batt/min. Lorsqu’elle est inférieure à ces valeurs, la
fréquence cardiaque est réglée en utilisant le pace-maker externe et les fils épicardiques implantés en
fin d’opération. Le meilleur débit est obtenu en mode auriculo-ventriculaire (DDD) (voir Chapitre 20
Pace-makers). A défaut, on peut utiliser des bolus (10 mcg) ou une perfusion (0.01-0.05 mcg/kg/min)
d'isoprénaline (Isuprel®).

Arthmies post-CEC

Fibrillation auriculaire: incidence 10-40% après CEC. Substances à effet potentiellement


prophylactique: statines, béta-bloqueurs, amiodarone, stéroïdes, magnésium. Traitement:
cardioversion, magnésium, amiodarone, esmolol.

Fibrillation ventriculaire: défibrillation(s) (5-50 J par palettes internes), magnésium, lidocaïne,


amiodarone (bolus + perfusion). Chocs itératifs autant de fois que nécessaire.

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Réveil et extubation

La responsabilité de l'anesthésiste ne s'arrête pas à la sortie du bloc opératoire. La technique qu'il a


choisie influence de manière déterminante la période postopératoire immédiate: qualité du réveil et de
l'analgésie, frissons, ischémie, hypertension, etc. Il doit garder à l'esprit que les économies réalisées en
salle d'intervention se paient souvent en soins intensifs: on ne peut pas restreindre les opiacés, les
agents intraveineux et/ou les halogénés et s'attendre à un réveil confortable et progressif. Si l'on
recherche une accélération du postopératoire, il faut prévoir une analgésie adéquate dès la sortie de
CEC, par exemple par une perfusion de dexmédétomidine ou par une technique loco-régionale (voir
ci-dessous Antalgie).

147
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Transfert

Les patients de chirurgie cardiaque sont en général transférés pour le postopératoire dans une unité de
surveillance intensive. Le transfert est toujours un moment vulnérable pendant lequel la surveillance
se relâche et au cours duquel les manœuvres thérapeutiques sont limitées. L'ECG, la pulsoxymétrie et
la pression artérielle doivent rester monitorées en permanence; les perfusions en cours et les pompes
de médicaments continuent à fonctionner au régime prescrit, et les substances de réanimation
(adrénaline, vasopresseur, anti-arythmiques) font partie du trajet. La remise du cas à l'arrivée dans le
service de soins postchirurgicaux est grandement facilitée par l'utilisation d'une feuille de transmission
préformatée comprenant les principaux messages intéressant les intensivistes (Figure 4.29).

Antifibrinolytique
Antifibrinolyt

Figure 4.29: Exemple d’une feuille de transmission pour patient de chirurgie cardiaque transféré dans l’unité de
surveillance intensive postopératoire (CHUV, Lausanne, 2006).

 Données du patient (âge, diagnostic, allergies, etc);


 Technique d'anesthésie, ventilation, cathéters en place, problèmes éventuels (intubation,
ponctions, réactions allergiques);
 Opération effectuée: schéma des pontages ou de la reconstruction chirurgicale, type de valve,
résultats immédiats, complications éventuelles;
 Drains et pace-maker;
 Description succincte de l'ETO pré-CEC et post-CEC;
 Instabilité hémodynamique et traitements pour y remédier, problèmes en sortie de pompe;
 Bilan des apports et des pertes: perfusions, amorçage de CEC, ajouts en pompe,
hémofiltration, diurèse;
 Transfusions et dérivés sanguins;
 Médicaments en cours (inotropes, vasopresseurs, NO, hypotenseurs pulmonaires, etc);
 Status paraclinique: équilibre acido-basique, glycémie, coagulation (ACT, ROTEM);
 Sédation, antalgie;
 Problèmes rencontrés et problèmes attendus;
 Délai prévisible d'extubation.

148
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Extubation

L'assistance ventilatoire prolongée (8-24 heures) a longtemps été considérée comme une routine
inhérente à la chirurgie cardiaque, parce qu'elle diminue la consommation d'oxygène, soulage de VG,
permet une sédation profonde et autorise les hautes doses d'opiacés en peropératoire. Cependant, la
présence du tube endotrachéal est en lui-même un stimulant sympathique et une cause majeure de
complications broncho-pulmonaires et de pneumonie (VALI: ventilation-associated lung injury). Le
patient est plus confortable une fois extubé. D'autre part, le coût et la durée du séjour en soins intensifs
après l'intervention est un facteur économique qui devient de plus en plus important [6]. Ces
impératifs ont montré qu’il existe une fenêtre d’opportunité pour l’extubation, au moment où le patient
est réchauffé, réveillé et stable, mais avant que le tube ne représente une gène et soit la cause de
complications pulmonaires, c’est-à-dire entre la 2ème et la 8ème heure [13].

La possibilité de réveil rapide et d'extubation précoce (< 2 heures postopératoires) est la règle chez les
patients à risque faible ou intermédiaire subissant des interventions simples ou minimalement
invasives qui se sont déroulées sans incidents (voir Tableau 4.8).

 Patients de < 70 ans pour opérations courantes;


 Pas de comorbidité (insuffisance rénale, AVC);
 Fraction d'éjection > 0.5 (ou > 0.4 en cas de β-bloquage);
 Cardiopathie sans altération de la fonction ni de la géométrie ventriculaire;
 PAP normale,
 Intervention élective;
 Opérations minimalement invasives (même si âge > 70 ans);
 Correction de malformation simple (CIA, FOP, par exemple);
 Nombre de PAC < 4;
 RVA simple;
 Temps de CEC < 90 minutes, clampage aortique < 60 minutes;
 Température maintenue > 32° C en CEC;
 Normothermie après CEC.

Le fait d’extuber sur table, parfaitement faisable en soi, présente plus d’intérêt pour l’anesthésiste que
pour le patient ! La table d’opération est moins confortable qu’un lit, l'ambiance y est stressante, et le
temps requis pour remplir les critères d'extubation retarde le déroulement du programme opératoire ;
de plus, l’heure de salle d’opération coûte 5-10 fois plus cher que l’heure de soins intensifs [9,24]. Un
réveil dans l'heure qui suit l'opération ne modifie pas le pronostic par rapport à une extubation
immédiate, mais assure le confort et le respect des critères d'extubation. Ceux-ci sont les suivants [22].

 Patient éveillé, confortable, calme et coopérant (SAS = 4) ;


 Patient normotherme (T° rectale > 36°C) ;
 Absence de frissons ;
 Hémodynamique stable :
o Index cardiaque > 2.2 L/min/m2 ;
o PAM ≥ 70 mmHg ;
o Fréquence ≤ 100 batt/min ;
 Absence d'ischémie aiguë ;
 Absence d'arythmies majeures ;
 Absence d'hémorragie:
o Hb > 80 g/l ;
 Ventilation spontanée efficace :
o Volume courant > 5 mL/kg ;
o Fréquence < 20/min et > 8/min ;
o PEEP ≤ 5 cm H2 O ;
 Echanges gazeux adéquats :
o SpO2 > 95% ;

149
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
o PaO2 / FiO2 > 300 (dès ≥ 200 si la situation clinique le permet) ;
o pH ≥ 7.32, PaCO2 < 45 mmHg (sauf en cas d’hypercarbie chronique) ;
 Radiographie thoracique dans les normes (pas de pneumothorax ni d’épanchement pleural) ;
 Drainages thoraciques et péricardiques ramenant < 100 mL/h (ou 200 mL/h pendant les deux
premières heures postopératoires).

Ces critères, qui varient selon les institutions, ne sont que des repères à interpréter en fonction de
chaque cas selon l’âge, la fonction pulmonaire préopératoire, les comorbidités et le type d’opération.
Vu le temps nécessaire à sevrer le patient du ventilateur et à remplir les critères ci-dessus, l'extubation
a lieu le plus souvent en-dehors de la salle d’opération.

L'extubation tardive (> 6 heures après l'intervention), nécessaire pour les cas "lourds", permet de
passer le cap dangereux sous une sédation (midazolam, propofol) et une analgésie profondes
(morphine, fentanyl, sufentanil). Cette technique diminue la postcharge du VG et la stimulation
sympathique; par exemple, l'analgésie intensive par perfusion de sufentanil pendant 18 heures (1
mcg/kg/heure) réduit significativement l'incidence d'ischémie par rapport aux injections traditionnelles
de morphine [20]. Cependant, la lourdeur et le coût de cette prise en charge, associés aux
complications inhérentes à la ventilation prolongée, en font une attitude excessive pour les cas
standard.

Extubation précoce

Pour pouvoir remplir les conditions d'extubation dans les 2 premières heures après une CEC, la
technique d'anesthésie doit être modifiée dès l'induction (Tableau 4.20) [11] :

 Réduction des doses totales d'opiacés, perfusion d’alfentanil ou de rémifentanil, pas de


morphine iv ;
 Restriction du midazolam à 1-3 mg en sédation de pré-induction ;
 Anesthésie assurée par isoflurane, sevoflurane ou propofol ;
 Correction de l'hypertension peropératoire par vasodilatateur, et non par approfondissement de
l'analgésie ;
 Utilisation de techniques loco-régionales: opiacés intrathécaux par voie lombaire, péridurale
thoracique haute avec agent anesthésique local, infiltration parasternale, blocs intercostaux ou
paravertébraux ;
 Maintien rigoureux de la normothermie.

La technique chirurgicale doit également être adaptée à une récupération rapide [16]:

 Pas d'hypothermie en CEC: température maintenue > 32°C ;


 Cardioplégie optimale (sang, normothermie, etc) ;
 Réchauffement complet à la fin de l'opération: T° rectale > 36°C ;
 Chirurgie à cœur battant, sans CEC ;
 Réchauffement de la salle d’opération à 24°C ;
 Technique opératoire rapide et atraumatique.

Le risque inhérent à l'extubation précoce est de sevrer le patient de l'assistance ventilatoire au moment
de la plus grande instabilité hémodynamique et de la plus haute incidence d'ischémie. En effet, la
diminution de la fonction ventriculaire après la CEC est à son nadir entre la 4ème et la 6ème heure
après l'intervention (voir Figure 4.2) [28]; le métabolisme cardiaque est perturbé jusqu'à la 4ème heure
après CEC [32]. Le risque d'ischémie myocardique est le plus grand pendant les 8 premières heures.
Les frissons du réchauffement, qui augmentent la VO2 jusqu’à 400%, sont une gigantesque demande
hémodynamique pour le patient; ils doivent absolument être évités, au même titre que les poussées
hypertensives ou douloureuses. Comme l’IPPV diminue la postcharge effective du VG, le sevrage de
la ventilation représente une augmentation de travail pour ce ventricule ; il peut donc précipiter une

150
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
défaillance gauche. Dans la mesure où le travail cardiaque est normal et la ventilation spontanée
satisfaisante, l'assistance respiratoire mécanique n'est probablement pas l'élément critique dans la
période postopératoire; mais ceci implique un contrôle rigoureux du confort, de la mVO2 et de la
pression artérielle (vasodilatateurs, vasoconstricteurs, volume, etc.). Dans ces conditions, l'incidence
de l'ischémie n'est probablement pas dépendante du régime de ventilation [27].

Tableau 4.20
Recommandations pour les techniques d'anesthésie
loco-régionale ou de circuit rapide (Fast-track)

Indications
• Age < 70 ans
• Absence de comorbidité
• PAP normale
• FE VG > 0.5 (> 0.4 sous β-bloqueur)
• Dimensions ventriculaires normales
• Angor stable (I-II)
• CEC < 100 min, clampage < 90 min
• T° rectale > 32°C en CEC, normothermie post-CEC
• Chirurgie à coeur battant
• Chirurgie minimalement invasive (même si âge > 70 ans)
• Chirurgie simple (≤ 3 PAC, CIA, FOP, RVA simple)
• Intervention élective
Contre-indications
• Aspirine, antiplaquettaires ou liquémine préopératoires
• Coagulopathie
• Hypothermie
• Opération complexe, CEC > 100 minutes
Rachi-analgésie
• Ponction lombaire unique à l'induction
• Injection 50 mcg sufentanil + 0.5 mg morphine
ad 5 ml avec NaCl 0.9%
Péridurale
• Ponction cervicale ou thoracique haute la veille
• Bupivacaïne (bloc 5 ml 0.5%, puis 2 ml/h 0.75%)
Alternatives : lévobupivacaïne, ropivacaïne
Anesthésie
• Agent d'induction (propofol), curare
• Spray laryngé lidocaïne 4%
• Maintien de la normothermie
Agents d'appoint
• Anesthésie maintenue par propofol en perfusion
• Restriction des opiacés, pas de midazolam, pas de morphine iv
• Alfentanil ou rémifentanil si analgésie insuffisante
• Isoflurane ou phentolamine si hyperTA
• Néosynéphrine ou noradrénaline si hypoTA
• Esmolol si tachycardie isolée
• Sédation: dexmédétomidine (0.2-1.0 mcg/kg/h)

Quel que soit le délai d'extubation, l'accélération de la phase postopératoire immédiate (Fast-track
recovery) s'inscrit dans une politique d'ensemble de simplification et de diminution des coûts
hospitaliers, qui se répercute aussi au niveau des étages d'hospitalisation: raccourcissement du séjour
en soins intensifs et du séjour hospitalier, passage par une salle de surveillance intensive, économie au
niveau du personnel soignant [6,7,11]. Elle n'est possible que dans le cadre d’une prise en charge
globale de l’admission jusqu’à la sortie de l’hôpital, et que pour une population soigneusement
sélectionnée qui subit des interventions simples en début de mantinée [8]. Lorsqu’on parle du coût de
l’opération, rappelons que les complications postopératoires sont les principaux facteurs de dépenses

151
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
en chirurgie cardiaque [7]. Tous les scores de risque confirment que les éléments suivants sont des
prédicteurs indépendants de complications cardiaques [18].

 Intervention d'urgence;
 Ré-opération;
 Age supérieur à 70 ans;
 Angor stade III-IV;
 Fraction d'éjection inférieure à 0.4, insuffisance ventriculaire;
 Insuffisance organique associée: BPCO, insuffisance rénale ou hépatique;
 Maladie vasculaire périphérique;
 Diabète insulino-requérant;
 Obésité.

Antalgie

La moitié des patients déclare souffrir d’une douleur sternale sévère, particulièrement à la toux et au
mouvement [21]. Cette douleur persiste pendant une semaine puis s’amenuise, mais se déplace
souvent en direction des épaules. Le confort et l'analgésie postopératoires sont assurés de manière à
minimiser le stress pour le patient (voir Chapitre 23, Douleurs postopératoires) [3,31].

 Sédation avec perfusion de propofol ou de dexmédétomidine (Dexdor®, Precedex ® 0.2 – 1.0


mcg/kg/heure pendant 24 heures), pas de curarisation. La dexmédétomidine a un effet sédatif
et co-analgésique qui permet de diminuer les doses d'opiacés; elle réduit l'incidence de délire
postopératoire, mais induit une bradycardie et une hypotension [29]. Une proportion voisine
de 5% des patients développe une hyperthermie à 39-40°C sous dexmédétomidine après
chirurgie cardiaque: surveiller la température et interrompre le médicament dès que celle-ci
dépasse 38.5°C [17].
 Morphine, perfusion 1-2 mg/heure ou PCA; Fentanyl® en PCA.
 Oxycodone (Targin®), 10-40 mg/12 heures per os.
 Antalgiques non-morphiniques:
o Tramadol (Tramal®), 100 mg iv 3-4 x/24 heures.
o Kétorolac (Toradol®), 30 mg iv 3x/24 heures; dose maximale: 90 mg/24 heures
pendant 2 jours.
o Métamizole (Novalgin®), 0.5-1.0 g iv 3-4 x/24 h.
o Paracétamol, 1 g iv toutes les 6-8 heures.
o Kétamine (Ketalar®), 10-20 mg/h en perfusion.
o AINS oraux: acide méfénamique, ibuprofen, etc ; les anti-COX-2 sont à éviter car ils
augmentent significativement le risque cardiovasculaire [25].
o Gabapentine (Neurontin®) en doses progressives : commencer avec 100 mg 2x/j et
augmenter jusqu’à 2'400 mg/j maximum. La gabapentine est un antiépileptique plutôt
réservée aux douleurs neurogènes ou chroniques, mais elle diminue jusqu'à 60% les
besoins en antalgique sans impact significatif sur la sédation ou le délai d'extubation
[15].
o Alternative à la gabapentine : prégabaline (Lyrica®), 50 mg 3x/j, jusqu’à 600 mg/j.
 Analgésie péridurale thoracique : elle offre la meilleure qualité d’analgésie et de confort,
atténue la réponse au stress et diminue les complications respiratoires [4,5]. Vu le danger
qu’elle présente lors de l’anticoagulation en CEC, son rapport risque/bénéfice reste incertain
[14,23,30]. Le risque d'hématome épidural (1:3'552 cas) est supérieur à celui des péridurales
thoraciques placées en chirurgie générale (1:5'493 cas) [12,19]. Au niveau cervico-thoracique,
le dosage habituel est de 2 mL/h de bupivacaïne 0.75%. Le cathéter péridural est mis en place
la veille de l'intervention. La péridurale est réservée de préférence pour les opérations sans
CEC (voir Analgésie péridurale).
 Analgésie intrathécale : une injection unique (morphine 0.5 mg + sufentanil 50 mcg) par voie
lombaire pratiquée immédiatement avant l’induction suffit à octroyer 5 à 24 heures d’antalgie

152
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
postopératoire. Le risque hémorragique est faible vu que l'héparine est administrée plus d'une
heure après l'injection (voir Analgésie intrathécale) [2,26].
 Blocs de champ et infiltrations loco-régionales : de plus en plus pratiqués en fin d'intervention,
ils offrent une excellente analgésie et sont particulièrement utiles dans les protocoles
d'extubation précoce; avec la mise en place d'un cathéter, leur bénéfice peut se prolonger sur
48 heures.
o Bloc paravertébral : injection unique avant l'extubation dans le triangle bordé par la
plèvre, l’apophyse transverse vertébrale et les muscles paravertébraux (niveau D5-D6
ou D6-D7) de 15-20 mL de lidocaïne 0.5%, de bupivacaïne 0.5% (2.5 mg/kg) ou de
ropivacaïne 0.2% (3 mg/kg); ce bloc est peu risqué, même chez des malades
anticoagulés. On peut laisser un cathéter en place pour une administration continue
(ponction par aiguille de Tuhoy 18 G à l'induction au moins 1 heure avant
l'héparinisation de CEC ou avant le réveil lorsque l'ACT est normalisé) [33]. Pour être
efficace lors de sternotomie, le bloc doit être bilatéral.
o Blocs intercostaux : utiles pour l’antalgie immédiate après une incision de
thoracotomie, ils sont inefficaces contre la douleur d’une sternotomie qui nécessiterait
de bloquer une dizaine de niveaux des deux côtés.
o Infiltration intercostale parasternale bilatérale par l'opérateur en fin d'intervention
(bupivacaïne, ropivacaïne); la technique est peu invasive, l'antalgie adéquate et la
réduction des opiacés significative [10]. La seule inquiétude est un éventuel risque
d'infection sternale [1].
 Les techniques loco-régionales sont concentrées sur les douleurs d’origine thoracique, mais
n’ont aucun effet sur celles liées aux prélèvements vasculaires périphériques.
 Technique chirurgicale : la manière d’opérer a une influence considérable sur les douleurs
postopératoires.
o Mini-incisions (mini-sternotomie supérieure, mini-thoracotomie, incisions de
thoracoscopie, prélèvement endoscopique de la saphène).
o Rétraction progressive et dosée du sternum en évitant toute fracture.
o Coagulation très localisée du lit de l’artère mammaire interne lors de son prélèvement
en évitant de léser les nerfs intercostaux.
o Ablation précoce des drains thoraciques.

Réveil et extubation

Les critères d’extubation sont :


- Patient éveillé, confortable, normotherme, sans frissons ;
- Hémodynamique stable et adéquate, absence d’ischémie aiguë et d’arythmie majeure ;
- Absence d’hémorragie, drainage thoracique < 100 mL/heure ;
- Ventilation spontanée satisfaisante et échanges gazeux normaux ;
- Radiographie du thorax dans les normes.

La durée d'intubation doit être réduite au minimum nécessaire. L’extubation dans les 2-6 premières
heures est la routine pour les cas non-compliqués. Une assistance ventilatoire est incontournable en
cas d’instabilité hémodynamique, de défaillance gauche, de surcharge liquidienne ou de pathologie
pulmonaire ; elle dure en général de 6 à 24 heures, mais peut se prolonger dans les cas difficiles.

Une extubation précoce réclame une adaptation de la technique d’anesthésie (restriction de la dose
totale d’opiacés, pas de midazolam ni de morphine, préférence pour halogéné ou propofol,
dexmédétomidine, analgésie loco-régionale) et chirurgicale (intervention courte et minimalement
invasive, normothermie, cœur battant sans CEC). Pour les cas complexes, la priorité est à l’équilibre
hémodynamique ; la technique d’anesthésie implique alors une assistance respiratoire postopératoire
de 8 à 24 heures ou davantage.

153
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
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Circuit rapide (fast-track)

Alors que les cas de plus en plus complexes réclament de lourds investissements et de longs séjours en
soins intensifs, les cas plus standards sont susceptibles d'être pris en charge de manière simplifiée et
accélérée. Le raccourcissement de la durée en ventilation contrôle/assistée est un avantage en terme de

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
complications pulmonaires et en terme de coût. Le principal bénéfice financier est de diminuer la
durée de séjour en soins intensifs. Mais pour créer un circuit rapide, il ne suffit pas d'extuber
précocement; c'est toute l'organisation du séjour hospitalier et toute la prise en charge anesthésique qui
doivent être repensées [1,6].

Les malades susceptibles d'être inclus dans ce système doivent répondre à un certain nombre de
critères (Tableau 4.21) [3,10].

Tableau 4.21
Recommandations pour la technique d'anesthésie
en circuit rapide (Fast-track)

Indications
• Chirurgie élective
• Pontages aorto-coronariens (≤ 3 PAC), RVA simple, fermeture CIA ou FOP
• Absence de comorbidité majeure
• Chirurgie à cœur battant ou minimalement invasive
• CEC < 100 min, clampage aortique < 90 min
• Hypothermie légère (≥ 34°C) ou normothermie
• FE VG conservée, PAP normale
• Angor stable
• Réchauffement complet en fin d'opération (> 36°C)
Contre-indications
• Patient inadéquat
• Coagulopathie, hémorragie massive
• Comorbidités majeures
• Dysfonction ventriculaire, hypertension pulmonaire, polyvalvulopathie
• Reprise, urgence
• Opération complexe, combinée
• CEC > 100 minutes, hypothermie, arrêt circulatoire
• Indisponibilité hospitalière
Anesthésie
• Induction au propofol
• Maintien: propofol ou sevoflurane
• Analgésie: doses restrictives de fentanyl, ou sufentanil, perfusion de remifentanil
• Curare: rocuronium, cisatracurium
• Pas de midazolam ni de morphine
• HTA, tachycardie: médicaments spécifiques, non approfondissement de l'anesthésie
• Infiltration/blocs avec anesthésie locale en fin d'intervention
Maintien de la normothermie
• Réchauffement de la salle d'opération
• Air pulsé chaud, matelas chauffant, réchauffement des perfusions
Réveil et extubation précoces
• Critères d'extubation remplis
• Extubation ≤ 2 heures postopératoires
• NIV, CPAP, physiothérapie
• Traitement antalgique et anti-nauséeux intense, dexmédétomidine
• Réhabilitation active, mobilisation précoce
Passage < 8 heures en soins intensifs et transfert en unité de surveillance continue
En cas de complication, retour au circuit standard, intubation prolongée et séjour en soins intensifs

 Chirurgie cardiaque élective, technique opératoire rapide et atraumatique;


 Pontages aorto-coronariens ou RVA simples, fermeture de CIA ou de FOP;
 Chirurgie à cœur battant ou CEC de < 100 minutes;
 Hypothermie légère (≥ 34°C) ou normothermie;
 Absence de comorbidité majeure;
 Fonction ventriculaire conservée, pression pulmonaire normale;
 Angor stable;

155
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Contre-indications:
o Patient débilité, psychiquement ou neurologiquement inadéquat;
o Coagulopathie, traitement antithrombotique préopératoire autre que aspirine;
o Comorbidités majeures;
o Dysfonction ventriculaire, assistance ventriculaire, angor instable, polyvalvulopathie,
hypertension pulmonaire;
o Reprise, urgence;
o Intervention complexe ou combinée, chirurgie aortique, endocardite;
o Longue CEC prévue, hypothermie, arrêt circulatoire;
o Indisponibilité du personnel ou des structures hospitalières.

Lorsque les conditions requises sont remplies, la technique d'anesthésie est adaptée à un réveil rapide
et à une extubation dans les deux premières heures postopératoires (pour autant que les critères
d’extubation soient remplis) (6,7).

 Induction au propofol (1.0-2.0 mg/kg) ; en AIVOC, la valeur-cible est 2-4 mcg/mL ; maintien
au propofol (5-10 mg/kg/heure ; valeur-cible : 1-3 mcg/mL);
 Induction au propofol et maintien au sevoflurane ou à l’isoflurane (≥ 1 MAC) en cas de
revascularisation coronarienne;
 Intubation: spray laryngé de lidocaïne 4% pour réduire la poussée hypertensive;
 Analgésie (doses cumulatives): fentanyl < 15 mcg/kg, sufentanil < 10 mcg/kg ou rémifentanil
en perfusion (0.2 – 1.0 mcg/kg/min);
 Alternative pour l'analgésie: péridurale cervico-thoracique (bupivacaïne-fentanyl) ou rachi-
analgésie (sufentanil-morphine) (voir Anesthésie loco-régionale) ;
 Curare: rocuronium (0.6-1.0 mg/kg, entretien 0.1 mg/kg par dose), cisatracurium (0.1-0.4
mg/kg, entretien 0.03 mg/kg par dose);
 Pas de midazolam ni de morphine.

L'équipement est peu invasif: cathéter artériel et voie veineuse centrale (2-lumières), ETO. La CEC est
normotherme ou légèrement hypotherme (T° ≥ 34°C) et dure < 100 minutes; le réchauffement est
complet au sortir de salle d'opération (T° ≥ 36.5°C). Les patients opérés à cœur battant sont maintenus
à ≥ 36.5°C tout au long de l'intervention. Pour réaliser ce maintien de la température, on agit sur
plusieurs points: réchauffement de la salle d'opération (24°C), chauffage par air pulsé autour du
malade, matelas chauffant, réchauffement des perfusions. La volémie est ajustée avant de quitter la
salle d'opération de manière à éviter l'hypotension d'une hypovolémie et la surcharge pulmonaire d'une
hypervolémie. L'hypertension ou la tachycardie sont traitées par des agents hémodynamiques et non
par approfondissement de l'anesthésie. En fin d'intervention, des techniques loco-régionales sont un
appoint efficace pour les premières heures d'antalgie [4].

 Bloc paravertébral : injection dans le triangle bordé par la plèvre, l’apophyse transverse
vertébrale et les muscles paravertébraux de 15-20 mL de lidocaïne ou de bupivacaïne ; ce bloc
est peu risqué, même chez des malades anticoagulés ; on peut laisser un cathéter en place pour
une administration continue. Pour être efficace lors de sternotomie, le bloc doit être bilatéral.
 Blocs intercostaux : utiles pour l’antalgie immédiate après une incision de thoracotomie, ils
sont inefficaces contre la douleur d’une sternotomie qui nécessiterait de bloquer une dizaine
de niveaux des deux côtés, sauf en cas de ministernotomie où le bloc de 3-4 niveaux suffit.
 Infiltration intercostale parasternale bilatérale en fin d'intervention (bupivacaïne, ropivacaïne);
l'antalgie est efficace et la réduction des opiacés significative.

Le réveil en salle d'opération est possible, mais elle est moins confortable pour le patient que dans une
salle de soins. Elle ralentit le programme opératoire pour remplir les critères d'extubation (voir Réveil
et extubation); or l'heure de salle d'opération coûte beaucoup plus cher que l'heure de soins intensifs.
D'autre part, un réveil dans l'heure qui suit l'opération ne modifie pas le pronostic ni la durée de séjour
en unité intensive par rapport à une extubation immédiate [5,9]. Le patient est pris en charge dans les

156
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
soins postopératoires par un personnel entrainé à ce type de chirurgie selon un protocole d'antalgie, et
de physiothérapie bien établi [1,2,6,12].

 Disponibilité médicale de soins intensifs;


 Monitorage hémodynamique complet;
 Laboratoire au lit du malade (gazométrie, électrolytes, glycémie, ACT, thromboélastographie);
 Extubation dans les deux heures après l'arrivée de salle d'opération selon les critères de
routine;
 Ventilation non-invasive (NIV), CPAP au masque;
 Physiothérapie respiratoire;
 Antalgie (score de douleur < 4):
o Opiacé en PCA (selon protocole intitutionnel);
o Tramadol (Tramal®), 100 mg iv 3-4 x/24 heures;
o Kétorolac (Toradol®), 30 mg iv 3x/24 heures; dose maximale: 90 mg/24 heures
pendant 2 jours;
o Paracétamol, 1 g iv toutes les 6-8 heures.
 Sédation: dexmédétomidine (Dexdor®, Precedex® 0.2 – 1.0 mcg/kg/heure);
 Traitement anti-émétique: métoclopramide (Primperan ® 10 mg iv), odansétron (Zofran® 2-4
mg iv en 10 min);
 Réhabilitation active, mobilisation précoce;
 Reprise alimentaire dès 24 heures.

Le circuit rapide présuppose une infrastructure hospitalière adaptée: passage rapide en unité de
surveillance intensive postopératoire, transfert accéléré en chambre, séjour hospitalier inférieur à 1
semaine [6,8]. Pour être efficace sur le plan logistique, le patient en circuit rapide doit être opéré en
début de matinée et l'intervention terminée avant midi. Il peut alors quitter les soins intensifs en fin
d'après-midi pour rejoindre une unité de surveillance continue à l'étage. De cette manière, sa place en
soins intensifs est disponible pour un cas lourd opéré en deuxième position. Il est évident que ce
système à flux tendu ne fonctionne qu'en absence de toute complication anesthésique ou chirurgicale
et pour autant que la place soit disponible aux soins intensifs et à l'étage d'hospitalisation, mais on peut
s'attendre à une baisse des coûts de l'ordre de 25% par rapport à une hospitalisation standard [10,11].

Il est évident que la survenue d'une complication (hémorragie, hypoxie, défaillance ventriculaire,
arythmie, etc) interrompt le processus rapide et replace le patient dans un déroulement standard avec
intubation prolongée le temps nécessaire à la solution du problème et séjour en soins intensifs de la
durée exigée par la gravité du cas.

Circuit rapide

Un circuit rapide en chirurgie cardiaque s'adresse aux patients souffrant d'une cardiopathie stable et
subissant une intervention simple et bien codifiée. L'anesthésie est adaptée à un réveil et à une
extubation rapides (< 2 heures postop) selon un protocole qui peut varier selon les institutions, mais
qui comprend plusieurs points importants: sélection des malades, choix de substances à effets courts,
normothermie, passage rapide en soins intensifs, suivi en salle de surveillance intensive, antalgie
efficace, réhabilitation active.

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Besoins liquidiens

La nécessité de se maintenir en équilibre entre l’hypovolémie ou la congestion, et le peu d’évidence


scientifique sur le meilleur régime de perfusion, font que la balance liquidienne choisie est très
variable selon les institutions et selon les anesthésistes. Il existe même des différences culturelles entre
les pratiques Nord-américaines qui tendent vers un remplissage préférentiel en cristalloïdes, et les
pratiques européennes plus restrictives et précédemment plus orientées vers l’utilisation de colloïdes.

La CEC représente un apport liquidien considérable pour l'organisme : 1.5 à 3 litres pour un adulte. Ce
volume peut être réduit à 800-1'000 mL avec la miniaturisation de la CEC (MECC, minimal
extracorporeal circulation). A cela s'ajoute le volume perfusé pour l'entretien et la compensation
hémodynamique [33]. La prise de poids est en moyenne de 2 kg ; elle est déterminée essentiellement
par le volume de liquide perfusé, le volume d’amorçage de la CEC, la durée de la CEC et la diurèse
totale. De ce fait, il est recommandé de restreindre les perfusions hydro-électrolytiques avant la CEC
en se tenant au minimum nécessaire pour maintenir un volume circulant adéquat (500-750 mL de
cristalloïdes pour un adulte de corpulence normale). Il est préférable de traiter l’hypotension artérielle
par d’autres moyens que le remplissage vasculaire.

 L’élévation des membres inférieurs est une méthode simple, rapide et réversible
d’autotransfuser 300-500 mL de volume circulant à l'induction ;
 L'éphédrine à faibles doses (2.5-5.0 mg iv) a un effet alpha préférentiel sur les grandes veines
centrales: cette veinoconstriction diminue le stockage sanguin central et augmente le volume
circulant ;
 La phényléphrine (bolus 100 mcg) rétablit la pression de perfusion par augmentation des RAS.

Après la CEC, la situation est différente. Les pertes cristalloïdes internes sont importantes à cause de
la vasodilatation (protamine, dérivés nitrés, vasoplégie) et de la fuite liquidienne intersticielle liée à la
dysfonction endothéliale (ischémie, reperfusion, altération du glycocalyx), aux lésions d'ischémie-
reperfusion ou au syndrome inflammatoire systémique (capillary leak syndrome) [4,17].
L'accroissement de la perméabilité capillaire dans les premières heures suivant la CEC facilite
l'extravasation non seulement des cristalloïdes mais aussi des colloïdes [35]. Ces besoins liquidiens
accrus en fin d’intervention sont encore augmentés par les pertes hémorragiques réclamant un
remplacement du volume circulant.

L'hémofiltration est couramment utilisée pour limiter l’apport liquidien pendant la CEC (Continuous
hemofiltration) et réduire l'hémodilution après la mise en charge (Modified ultrafiltration ou MUF)
(voir Chapitre 7 Hémofiltration). L’hémoconcentrateur, monté sur le circuit artériel de la CEC, est un
cylindre contenant des fibres creuses semi-perméables dont les pores ont une dimension d’environ

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
20’000 daltons; ils dialysent les liquides et les petites molécules sous l’effet de la pression. Les
plaquettes, l'albumine et les facteurs de coagulation sont conservés; une grande partie des médiateurs
inflammatoires est éliminée. Le système permet de soustraire du volume circulant jusqu'à 150 mL par
minute (3-5 L H2 O par heure).

Liquides de remplacement

Deux questions sous-tendent le choix du liquide de perfusion : 1) cristalloïde ou colloïde ? et 2) quel


colloïde ? Les cristalloïdes diffusent dans tout le liquide extracellulaire, si bien que seul le 20% du
volume reste dans l’espace intravasculaire. L'expansion plasmatique est plus soutenue avec le NaCl
qu'avec le Ringer-lactate: respectivement 56% et 30% à 6 heures. Les colloïdes sont retenus plus
longtemps dans l’espace intravasculaire et y maintiennent mieux la pression osmotique: après 1 heure,
68% du NaCl ont fui dans l'espace interstitiel, mais seulement 16% du HES [6,13,18]. Dans les cas
extrêmes, les solutés hypertoniques comme le NaCl 7.5% (2'565 mOsm/L) améliorent la
microcirculation et diminuent la rétention hydrique postopératoire ; l’expansion volémique correspond
à trois fois la quantité perfusée en une heure (4 mL/kg) [15]. Mais le problème du NaCl est double: la
solution est acide; elle provoque une surcharge en ions Na+ et surtout Cl- que le rein doit éliminer;
cette acidose hyperchlorémique double le risque d'insuffisance rénale postopératoire (OR 1.9) [29].
D'autre part, le NaCl semble altérer l'hémosate davantage que les solutions tamponnées (Ringer-
lactate™, Plasma-Lyte 148™, Plasma-Lyte A™, Plasmasol™, Plasmafundin™). D'une manière
générale, ces dernières sont préférées pour la routine, mais l'impact des différents cristalloïdes sur le
devenir postopératoire a été très peu exploré en chirurgie cardiaque [14,27,33]. En centre d'urgence et
en soins intensifs, les solutions cristalloïdes balancées comme le Ringer-lactate ou le Plasma-Lyte
induisent moins de dysfonction rénale que le NaCl 0.9% (OR 0.91); en soins intensifs, elles présentent
également un léger avantage en terme de mortalité [37,38].

Les colloïdes ont un effet négatif sur la coagulation qui est dose-dépendant; ils présentent un risque
d'insuffisance rénale et de choc anaphylactique, car ils sont tous dérivés de sources non-humaines
[12,13]. En chirurgie cardiaque, l'albumine 5% et le HES 6% interfèrent significativement avec la
formation et la résistance du caillot par rapport au Ringer lactate; ils sont responsables d'une
augmentation du taux de créatinine, mais leur utilisation diminue de 11% (HAES) à 25% (albumine)
la balance liquidienne par rapport au cristalloïde seul [39]. Toutefois, cette différence dans
l'extravasation liquidienne tend à s'amortir lorsque la membrane capillaire est lésée par une longue
CEC, un état inflammatoire massif ou une sepsis. Dans ces conditions, la quantité totale de liquide
perfusé a davantage d'importance que le type de perfusat [32]. Même si le volume circulant est mieux
préservé avec des colloïdes qu’avec des cristalloïdes, les fonctions pulmonaires ne paraissent pas
modifiées par ce choix tant que la surcharge est évitée.

Il existe plusieurs classes de colloïdes, dont l’efficacité pour le maintien du volume circulant et de la
pression osmotique est variable [4,18,32,33,35,39].

 Albumine (4-5% iso-oncotique, 20% hyperoncotique) : bon effet oncotique, absence de


réactions allergiques, mais très onéreuse ; demi-vie de 20 jours. Pas d’effet sur la morbi-
mortalité comparée aux autres solutions, sauf dans les cas de lésions cérébrales, où l’albumine
aggrave le pronostic.
 Dextrans (polysaccharides) : augmentation significative du saignement, risque élevé de
réaction anaphylactique, risque d’insuffisance rénale en cas de déshydratation. Le rapport
risque/bénéfique est très défavorable.
 Gélatines (dérivées du collagène bovin): pas d’effet sur la coagulation, mais excrétion rénale
rapide et maintien du volume très limité dans le temps (< 2 heures) ; risque de réaction
allergique.
 Hydroxy-éthyl-amidons (HES/HAES) de 1ère et 2ème génération (polymère de glucose de poids
moléculaire élevé avec haut degré de substitution) : excrétion lente, altération de la fonction

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
plaquettaire et de la coagulation (pertes sanguines augmentées de 35%) [25] ; dose maximale
limitée à 1.5 g/kg/j ; risque de dysfonction rénale en cas de dépassement de cette limite.
 Hydroxy-éthyl-amidons (HES/HAES) de 3ème génération (poids moléculaire bas et faible
degré de substitution) : pas d’accumulation plasmatique, risque de dysfonction rénale
persistant, moins d’effet sur la coagulation lors de CEC ; dose maximale : 3 g/kg/jour.

La plupart des études ne montre pas de différence significative entre les différentes solutions en ce qui
concerne leur capacité à maintenir le volume circulant. En cas d’hypovolémie, la correction de la
volémie tend à améliorer la fonction rénale, mais en présence d’une dysfonction rénale, les colloïdes
s’accumulent et peuvent provoquer une néphropathie aiguë. La logique veut que les cristalloïdes soient
destinés à compenser les pertes liquidiennes extracellulaires et les colloïdes, en premier lieu les HES
de 3ème génération, soient réservés à la compensation de l’hypovolémie [12,18]. Le rapport
cristalloïdes/colloïdes est habituellement de 1.5 à 4.7; il est en général le plus élevé en cas d'utilisation
d'albumine et le plus bas avec les dextrans [13]. Malheureusement, la littérature récente de soins
intensifs tend à démontrer que les HES augmentent significativement le taux d’insuffisance rénale (20-
35%), le risque hémorragique (40-50%) et, en cas de sepsis, la mortalité (17%) [13,24,29]. De ce fait,
le Comité de pharmacovigilance de l’European Medicines Agency (EMA) a jugé en 2013 que les
risques liés aux HES outrepassent les bénéfices que l’on peut en attendre, et a recommandé de retirer
ces substances du marché européen. Cette décision abrupte étend au domaine peropératoire une
précaution probablement justifiée en soins intensifs, en dépit de l’absence de données confirmant ces
craintes en salle d’opération [9,26]. De son côté, la FDA (Federal Drug Agency, USA) a préconisé le
retrait des HES en soins intensifs, ainsi qu'en chirurgie cardiaque en CEC à cause de la coagulopathie.
En conséquence, les perfusions doivent être gérées essentiellement avec des cristalloïdes, additionnés
ou non de gélatines (Physiogel™) ou d’albumine. L’inocuité des gélatines n’est pourtant pas prouvée,
puisqu’elles sont associées à des chocs anaphylactiques et à une incidence augmentée d’insuffisance
rénale en cas de choc septique. L’albumine est probablement la moins dangereuse, mais elle reste plus
onéreuse et moins disponible. La condamnation des HES 6% est d'autant plus discutable qu'ils ne sont
pas incriminés dans une augmentation du taux d'insuffisance rénale ni de mortalité dans le contexte
chirurgical non septique comme la chirurgie cardiaque [9]. La version moderne du HES (6% 130/04)
n'est pas non plus associée à une augmentation de l'insuffisance rénale postopératoire en chirurgie
cardiaque (OR 1.01) lorsque la fonction rénale est normale [45]. Une revue de 17'742 patients montre
que le HES est sans effet sur l'incidence de mortalité, de dialyse rénale et d'ischémie myocardique,
alors que l'albumine augmente le risque d'hémodialyse [36]. La coagulopathie induite par les HES,
gênante pour l’hémostase, est probablement un facteur de risque supérieur à celui de l’insuffisance
rénale, qui ne se révèle en général que chez les patients souffrant de néphropathie (OR 1.4 dans ce cas)
[11]. Actuellement en Europe, approximativement la moitié des centres n'utilisent que des
cristalloïdes, environ un quart y ajoute une gélatine et un quart un HES ou de l'albumine [31]. Etant
donné que les besoins en volume de remplissage sont plus importants après la CEC qu’avant celle-ci,
il est prudent de ne pas gaspiller les colloïdes avant la pompe, sous peine de ne plus pouvoir en utiliser
dans le postopératoire. En cas d’hypotension, l’ajustement peut se faire avec des médicaments
vasopresseurs.

En résumé, aucun perfusat n'apparaît clairement supérieur aux autres dans le contexte chirurgical non
septique. La quantité totale de liquide perfusé est probablement plus importante que le type de solution
utilisé. En peropératoire, le HES augmente les troubles de la coagulation et le risque d'insuffisance
rénale, mais il ne modifie pas la mortalité en chirurgie non-septique. Comme les bénéfices des
colloïdes sont discutables, les cristalloïdes tamponnés (Ringer-lactate™, Plasma-Lyte 148™, Plasma-
Lyte A™, Plasmasol™) sont la solution la plus raisonnable par défaut [6,32]. Les colloïdes ne sont pas
indiqués en dehors du traitement de l'hypovolémie aiguë.

Administration liquidienne dirigée (Goal-directed fluid therapy)

Si elle est gérée selon une recette fixe, l’administration liquidienne peut aussi bien conduire à une
hypovolémie qu’à un remplissage excessif selon le status du patient et la nature de l’opération. Le but

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
d'une administration liquidienne dirigée (ALD) est de guider la gestion des perfusions d’après le
monitorage vasculaire et en suivant un protocole précis. Ceci garantit une meilleure adéquation entre
les perfusions et les besoins, à la fois en volume et en synchronisation dans le temps. Il n’existe que
quelques études contrôlées comparant la gestion traditionnelle des perfusions avec l’ALD en chirurgie
cardiaque, mais toutes concordent à démontrer une diminution des besoins en catécholamines, de la
durée de ventilation contrôlée, du temps de séjour en soins intensifs et parfois de la morbidité avec
l’ALD [10,16,20,21,23,30,35,40,42,44]. Toutefois, aucune ne note un gain significatif sur la mortalité.
Une récente méta-analyse des essais les mieux contrôlés souligne que l’ALD diminue
considérablement le taux de complications postopératoires (HR 0.33) et le séjour hospitalier (- 2.2
jours), mais n’abaisse pas significativement la mortalité (HR 0.69) [3]. La crainte d'une surcharge
hémodynamique pousse souvent à un régime liquidien restrictif, dont le corollaire est un bas débit
systémique, première cause de l'insuffisance polyorganique postopératoire. L'ALD permet de
déterminer et d'individualiser le volume de retour veineux dont le cœur du malade a besoin pour
assurer un débit optimal. Il s'agit en fait d'une "restriction liquidienne dirigée" basée sur des indices de
perfusion organique et de transport d'O2 [8]. En chirurgie cardiaque, par exemple, le suivi des
variations respiratoires du volume systolique (VS) et l'administration de volume (250-500 mL)
seulement lorsqu'elles sont > 15% permet de diminuer de 36% l'apport liquidien peropératoire sans
aggravation de l'incidence d'insuffisance rénale postopératoire [28]. L'ALD a d'autant plus d'impact
que la situation du patient est plus critique. La question principale est de définir quels sont les
paramètres optimaux à utiliser dans ce but et quelle est leur valeur idéale souhaitable pour un malade
donné.

Le but de la gestion liquidienne dirigée est de titrer la précharge pour, in fine, optimaliser le transport
d'O2 en périphérie. Pour la guider, on dispose de cinq groupes de données physiologiques (voir
Chapitre 06, Monitorage de la volémie) [12].

 Les pressions de remplissage du VD (PVC) et du VG (PAPO), qui dépendent de la


compliance des cavités ; elles sont élevées en cas de dysfonction diastolique, et sont de
mauvais critères en cas d’hypovolémie. Bien que très utilisées à cet effet, elles sont de
médiocres moniteurs pour gérer l’administration liquidienne et sans aucune utilité pour
l'évaluation de l'hypovolémie [12].
 Les indices statiques qui évaluent des volumes et ne dépendent donc pas de la compliance :
images bi- ou tri-dimensionnelles en ETO (faseyement du septum interauriculaire, dimensions
des cavités cardiaques et des veines caves), volume télédiastolique global, volume sanguin
intrathoracique ou eau intrapulmonaire dans le système PiCCO™. L’évolution de ces données
pour chaque malade est un meilleur critère de volémie que leur valeur absolue.
 Les indices éjectionnels : volume systolique (cathéter de Swan-Ganz, PiCCO™), vélocité des
flux d’éjection (ETO) ; le VS est un indice de remplissage plus fiable que le débit cardiaque
(DC), parce que la tachycardie compense la perte de volume pour maintenir la stabilité du DC.
 Les indices dynamiques en IPPV : variations respiratoires de > 15% de la pression artérielle
systolique ou de la pression pulsée (cathéter artériel, calcul automatique du ΔPP par les
nouveaux moniteurs), du volume systolique (PiCCO™), du flux aortique (écho Doppler) et de
la dimension des veines caves (ETO), persistance des oscillations du septum interauriculaire
aux deux temps respiratoires (ETO). Ces indices ont une bonne corrélation avec la réponse au
remplissage à thorax fermé (r = 0.8-0.9) [2,34,46], mais leur fiabilité est très réduite en
présence d'arythmies, d'insuffisance droite, de faible volume courant (VC < 10 mL/kg), de
haute fréquence respiratoire, de pression intrathoracique basse, ou lorsque le sternum est
ouvert [7,19,43]. Une élévation de la pression intra-abdominale ou intra-thoracique exagère
les variations respiratoires du volume systolique gauche. Dans 25% des cas, les variations
respiratoires de la pression pulsée ne permettent de tirer aucune conclusion [5]. La tendance
vers une ventilation protectrice à bas volume courant diminue la portée des indices
dynamiques, qui ne sont performants que lorsque le VC est ≥ 10 mL/kg; le passage
momentané à un VC élevé est nécessaire pour que les variations ventilatoires du VS ou de la
pression artérielle soient interprétables.

161
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Les indices de perfusion tissulaire : on peut juger la perfusion tissulaire par des indices tels
que la couleur et la température de la peau des mains, le débit urinaire, la microcirculation
linguale, le taux de lactate, le pH, la saturation cérébrale en O2 (ScO2), la saturation veineuse
centrale (SvO2), la différence artério-veineuse en CO2, ou le transport d'O2 (DO)2 . Les patients
qui retrouvent dans le postopératoire leur valeur de DO2 initiale souffrent de moins de
morbidité (OR 0.81) [1].
 L'épreuve de charge (fluid challenge) : on augmente momentanément le retour veineux par
l'élévation des jambes (autotransfusion réversible de 300-500 mL) ou l'administration de 250-
500 mL de soluté (surcharge irréversible); seuls 50% des patients hypotendus qui réagissent
positivement à cette manœuvre (augmentation > 15% du volume systolique) sont réellement
hypovolémiques, parce que l'hypotension n'est pas synonyme d'hypovolémie [22].

Ces données doivent être réinterprétées en permanence, car le rapport entre le contenu volémique et le
contenant vasculaire n'est jamais stable en chirurgie cardiaque. Pour les interpéter judicieusement, on
se base sur deux mécanismes fonctionnels fondamentaux des ventricules (voir Figure 4.3) [41].

 La courbe de compliance est curvilinéaire. En hypovolémie, elle est quasi-horizontale : les


variations du volume de remplissage ne se traduisent que par des variations négligeables de
la PVC et de la PAPO. En hypervolémie, elle est au contraire redressée, et même de faibles
variations du volume auriculaire se traduisent par des modifications significatives de la PVC
ou de la PAPO.
 La courbe de Frank-Starling a une phase de recrutement et un plateau. En hypovolémie, elle
est dans sa phase de recrutement ; de petites variations de remplissage donnent lieu à
d’amples variations du volume systolique (VS); en ventilation mécanique, cela se traduit par
de forte modifications de la PAsyst, de la PA pulsée, du VS, du diamètre des veines caves et
du flux aortique au cours du cycle respiratoire. En hypervolémie, la courbe est au-delà de
son genou ; les variations de remplissage ne modifient plus le volume systolique.

Lorsque le ventricule fonctionne sur une courbe de Frank-Starling normale (Figure 4.23A), il est très
sensible aux variations de pression endothoracique générées par la ventilation en pression positive s’il
est hypovolémique (partie gauche de la courbe, pente forte), mais non s’il est normovolémique (partie
droite de la courbe, pente faible ou nulle). L’amplitude des variations de la pression différentielle
(PAdiff = PAsyst – PAdiast, ou pulse pressure) est un bon indice de réponse positive au remplissage
lorsque la fonction ventriculaire est conservée [22]. Les critères dynamiques en IPPV (variations de la
PAsyst, de la PAdiff ou du VS, oscillations du septum interauriculaire) sont d'excellents indices de
remplissage en hypovolémie.

Lorsque le ventricule souffre de dysfonction systolique, sa courbe de Frank-Starling est anormalement


aplatie et les variations ventilatoires de la pression artérielle sont peu prononcées. Par contre, sa
courbe de compliance (relation pression/volume diastolique) est très redressée (Figure 4.23B) ; de ce
fait, de faibles variations de volume diastolique se traduiront par d’importantes variations de pression
de remplissage. La PVC et la PAPO sont donc d'excellents critères pour la gestion des perfusions en
hypervolémie.

Lorsque le ventricule souffre de dysfonction diastolique, sa courbe de Starling est anormalement


verticale, et le genou quasi inexistant ; les variations ventilatoires de la PA et du VS sont importantes y
compris en normovolémie. D’autre part, la courbe de compliance est redressée : au même volume de
remplissage correspond une pression plus élevée que normalement. Les valeurs de PVC et de PAPO
en normovolémie correspondent à celles d’une hypervolémie chez un individu normal ; elles tendent à
sousestimer la volémie réelle.

On voit donc que les mesures échocardiographiques et les mesures dynamiques liées aux variations
du remplissage en ventilation mécanique sont très efficaces pour diagnostiquer l’hypovolémie, mais
ne sont pas utiles lorsque le malade est en hypervolémie (stase ventriculaire, œdème, congestion). A
l’inverse, les pressions de remplissage (PVC, PAPO) ne sont d’aucune utilité pour diagnostiquer

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
l’hypovolémie, mais sont essentielles pour gérer l’administration liquidienne des malades en
hypervolémie (insuffisance ventriculaire, valvulopathie, insuffisance rénale, etc) (voir Figure 4.3)
[41]. En insuffisance diastolique, les pressions de remplissage sont surélevées. Il va sans dire que
cette formulation simplifiée doit être complétée par les multiples facteurs qui interviennent dans
l’appréciation de la volémie : cardiopathies valvulaires, pertes liquidiennes en cours, apport hydro-
électrolytiques de la CEC, œdème myocardique, mode ventilatoire, etc.

Besoins liquidiens

La CEC représente un apport liquidien important. De ce fait, la restriction hydrique est de rigueur
pour les perfusions (500-1'000 mL cristalloïdes). Les colloïdes sont réservés autant que possible à la
période post-CEC (leur volume par 24 heures est limité), mais l’utilisation du HES est restreinte par
les nouvelles réglementations.

Aucun perfusat n'apparaît clairement supérieur aux autres dans le contexte chirurgical non septique.
En chirurgie cardiaque, le HES (retiré du marché aux USA et dans l'UE) augmente les troubles de la
coagulation et le risque d'insuffisance rénale, mais il ne modifie pas la mortalité. Les gélatines et les
dextrans ont un profil risque/bénéfice défavorable. L’albumine est sûre mais dispendieuse. Comme
les avantages des colloïdes sont discutables, les cristalloïdes sont la solution la plus raisonnable par
défaut. Les colloïdes ne sont pas indiqués en dehors du traitement de l'hypovolémie aiguë.

Avant la CEC, l’hypotension artérielle est réglée par des vasopresseurs plutôt que par du
remplissage. A l’induction, l’élévation des jambes autotransfuse 300-500 mL sans apport externe.

La forme de la courbe artérielle, l’imagerie ETO (surface télédiastolique du VG, oscillations du


septum interauriculaire) et les variations ventilatoires de la pression artérielle (systolique, pulsée), du
faseyement interauriculaire ou du volume systolique sont des critères d’hypovolémie très supérieurs
à la PVC et à la PAPO. Ces deux dernières ne sont de bons critères de remplissage qu’en
hypervolémie et en insuffisance ventriculaire. Une administration liquidienne dirigée, basée sur les
signes sus-mentionnés, permet une meilleure adéquation aux besoins que des protocoles fixes.

Une gestion liquidienne dirigée par des données hémodynamiques (VS, DC, PAdiff, volume sanguin
intrathoracique, variations respiratoires en IPPV, ETO) et par l’oxygénation tissulaire (ScO2, SvO2)
diminue significativement le taux de complications et raccourcit le séjour hospitalier par rapport à
des perfusions administrées selon une routine standard, mais elle a peu d'effet sur la mortalité.

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164
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Epargne sanguine et transfusions (voir Chapitre 28, Transfusions)

La transfusion sanguine est une thérapeutique qui présente des risques non seulement infectieux
(contamination bactérienne ou virale) mais encore immunologiques (réaction antigénique analogue à
une transplantation de cellules), pulmonaires (TRALI : transfusion-related acute lung injury), rénales
et cardiovasculaires (voir Chapitre 28, Risques liés aux produits sanguins). Ces dernières années,
plusieurs études conduites en chirurgie cardiaque ont clairement démontré que la transfusion est un
déterminant indépendant de la mortalité postopératoire (+ 32% à 1 an et + 16% à 5 ans), des infections
(OR 3.38) et du risque cardiovasculaire (OR 3.3 pour l’infarctus, l’AVC et l’insuffisance rénale)
[7,19,26] ; le risque augmente proportionnellement au nombre de flacons transfusés [15]. Même à long
terme, la mortalité des patients transfusés est plus élevée (OR 1.7) que celle de ceux qui de le sont pas
(voir Chapitre 28, Impact de la transfusion, Figures 28.5 et 28.6) [7]. Ces observations concernent
essentiellement les patients polytransfusés, car l'administration de 1-2 poches de sang déleucocyté ne
semble pas affecter le pronostic vital à long terme [16].

Toutefois, même si la tansfusion est dangereuse, l’anémie n’est pas tolérable en dessous d’une certaine
limite (voir Chapitre 28, Risques liés à l’anémie et Figure 28.8). Après ajustement pour l'âge et le
score APACHE, la mortalité augmente par un facteur de 2.5 pour chaque 10 g/L d'Hb en dessous de
60 g/L [2]. Elle est multipliée par 4 et par 10 lorsque le taux d'Hb est respectivement de 90 et de 70
g/L chez des malades en insuffisance cardiaque [4]. En chirurgie coronarienne, l’anémie préopératoire
(Hb < 100 g/L) est un facteur de risque indépendant pour les complications postopératoires cardiaques,
rénales et cérébrales (OR 1.71-2.0) [13,14,18]. Le taux d’hémorragie, de complications pulmonaires et
d’infections augmente respectivement de 4 fois (OR 4.37), de 3 fois (OR 2.85) et de 2 fois (OR 1.84)
lorsque l’Ht de départ est < 22% [10]. Le taux d’AVC et d'insuffisance rénale postopératoire
s'aggrave linéairement lorsque l'Ht peropératoire le plus bas est < 24%, mais, à valeur similaire d'Ht,
les patients transfusés présentent systématiquement une péjoration de leur fonction neurologique et
rénale par rapport à ceux qui ne le sont pas [9,11]. Les pertes sanguines aggravent donc le pronostic,
mais les transfusions ne le corrigent malheureusement pas. L'anémie péjore la situation, mais la
transfusion, au lieu de la corriger, ajoute un facteur délétère supplémentaire (voir Figure 28.9).

Le but d’une transfusion érythrocytaire est d’améliorer le transport d’O2. Les indications n’en sont pas
seulement une valeur précise d’hémoglobine, mais la présence d’une oxygénation insuffisante
[24,25] :

 Saturation artérielle (SaO2) < 90% ;


 Saturation veineuse centrale (SvO2) ≤ 50%, PvO2 < 32 mmHg (4.3 kPa) ;
 Saturation tissulaire en O2 diminuée de > 20% ; la saturation cérébrale bilatérale (ScO2) est un
repère particulièrement utile ;
 Baisse brusque de la VO2 de > 10% ;
 Coefficient d'extraction d'O2 de plus de 50% ;
 Sous-décalage du segment ST > 0.1 mV, bloc de branche intermittent ;
 Nouvelles altérations cinétiques segmentaires à l'échocardiographie ;
 Tachycardie (fréquence > 130% ou > 120 batt/min) ; sous anesthésie générale, la tachycardie
est principalement liée à l’hypovolémie, non à l’anémie ;
 Hypotension (PAM < 75% ou < 60 mmHg, PAM < 80 mmHg si hypertension artérielle,
maladie coronarienne ou cérébro-vasculaire) ; l’hypotension est essentiellement liée à
l’hypovolémie.

Pour autant que le malade soit normovolémique et que l’hémorragie aiguë soit tarie, les valeurs
suivantes d’Hb peuvent servir de repères comme seuils de transfusion (voir Chapitre 28,
Recommandations) [1,3,8,17,21,25].

 En CEC : Hb < 60 g/L ;


 Adulte sans comorbidité pour une opération non hémorragique : 70 g/L ;

165
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Personnes âgées, débilitées, souffrant de sténose coronarienne, de néphropathie, d'insuffisance
ventriculaire ou d’AVC : 80-90 g/L ;
 Fièvre, sepsis, BPCO, SDRA : 80-90 g/L ;
 Cyanose (shunt D-G, hypertension pulmonaire) : 100 g/L.

Au cours d’hémorragie active ou massive, la transfusion est indiquée en fonction de la rapidité des
pertes sanguines et non en fonction du taux d’hémoglobine. Sous anesthésie générale, la tachycardie
est en général absente, ou n’est pas proportionnelle au degré d’anémie [24]. Comme l’hypotension,
elle est le plus souvent un signe d’hypovolémie, non d’anémie. D’autre part, l’hémodilution de la CEC
tend à surestimer le besoin en transfusion érythrocytaire si l’on ne se base que sur la valeur de l’Hb
[23].

Ces recommandations s'entendent chez des patients en cours d'opération, qui sont étroitement
surveillés, endormis et le plus souvent curarisés. Elles s'appliquent à des situations
hémodynamiquement stables, au cours desquelles l'hémorragie est contrôlée. Lors d'hémorragie active,
il est capital de réagir tôt aux pertes sanguines et de suivre la tendance du taux d'Hb et non sa valeur
absolue. Il en est de même lorsque le saignement se prolonge de manière continue. Dans ces
conditions, le jugement clinique de l'anesthésiste a autant de poids que les recommandations
théoriques. Dans le postopératoire, il est habituel de considérer des seuils sensiblement plus élevés,
parce que la consommation d'O2 est très augmentée durant cette période: les frissons sont fréquents, la
stimulation sympathique est importante, le patient est tachycarde, algique et catabolique. Le risque de
devoir transfuser un patient est augmenté principalement dans les situations suivantes [8].

 Anémie préopératoire ;
 Hémorragie peropératoire ;
 Traitement antiplaquettaire ou anticoagulant préopératoire ;
 Réopération, chirurgie complexe, longue CEC ;
 Age avancé du patient ;
 Insuffisance rénale.

La transfusion érythrocytaire n'est qu'un élément au sein d'un éventail de mesures destinées à épargner
ou compenser les pertes sanguines. Pour être efficace dans l'économie des transfusions allologues, ces
différents moyens doivent être intégrés dans une stratégie multimodale d'épargne sanguine (voir
Chapitre 28, Stratégie globale de la gestion du sang) [8,17,25,27].

Préopératoire :
o Correction des coagulopathies, gestion optimale des anticoagulants/antiplaquettaires
o Correction de l’anémie : préparation par fer, acide folique, vitamine B12,
érythropoïétine
o Prédonation de sang autologue
Peropératoire :
o Seuils de transfusion bas: 70-80 g/L Hb selon pathologies (60 g/L en CEC < 35°C)
o Evaluation du transport d’O2 (SaO2, SvO2) et de l’oxygénation tissulaire (ScO2)
o Utilisation de sang déleucocyté (déjà généralisé)
o Hémodilution aiguë isovolémique (Ht 28-30%)
o Récupération de sang (Cell-Saver™)
o Hémodilution limitée en CEC (mini-circuits, microplégie)
o Circuits pré-héparinés (Heparin-coated) et biocompatibles
o Ultrafiltration continue et ultrafiltration modifiée
o Normothermie peropératoire, mais augmentation du DO2: ventilation à FiO2 0.8-1.0
o Baisse de la VO2: anesthésie et curarisation profondes
o Augmentation du débit cardiaque: catécholamines
o Pression artérielle contrôlée, pression veineuse basse
o Chirurgie: hémostase compulsive, colles tissulaires, agents hémostatiques
o Opération sans CEC : pontages à cœur battant (OPCAB), endoprothèse, endovalve

166
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
o Détermination des besoins par thromboélastographie (ROTEM™) et test
d’agrégabilité plaquettaire
o Agents antifibrinolytiques (acide tranexamique, acide ε-amino-caproïque),
desmopressine
o Facteurs de coagulation isolés (VIII, IX, XIII, antithrombine III), fibrinogène, PCC)
o Maintien de l’équilibre acido-basique et de la calcémie
o Transfusion plaquettaire
o Sauvetage: PCC activé, facteur VIIa
o Protocole de transfusion massive (disponibilité de sang/PFC/plaquettes dans un
rapport fixe)
Postopératoire :
o Baisse de la stimulation sympathique
o Normothermie
o Baisse de la VO2 (lutte contre frissons, fièvre, douleur)
o Limitation et micro-échantillonnage des prises de sang
o Substances antifibrinolytiques (acide tranexamique, acide ε-amino-caproïque)
o Facteurs de coagulation (thromboélastogramme), fibrinogène
o Erythropoïétine (EPO), fer, acide folique, vitamine B12

Depuis quelques années, un changement de paradigme s'est opéré au sujet de la transfusion: au lieu de
se focaliser sur le sang allologue comme un produit utile, le centre d'intérêt s'est déplacé sur le patient
comme une unité dont la masse sanguine doit être préservée. Cette stratégie, vue comme une gestion
globale du sang (PBM, patient blood management), repose sur trois piliers [6].

 Optimisation de la masse érythrocytaire.


o Investigations préopératoires précoces (> 4 semaines);
o Traitement de l'anémie avant l'intervention (fer, EPO);
o Gestion des anticoagulants et des antiplaquettaires.
 Réduction de la perte sanguine.
o Pharmacothérapie (acide tranexamique), normothermie, normocalcémie;
o Cell-saver, hémodilution normovolémique;
o Colle tissulaire, hémostase;
o Utilisation dirigée des facteurs de coagulation.
 Amélioration de la tolérance du patient à l'anémie.
o Transport d'O2, ventilation débit cardiaque;
o Seuil de transfusion restrictif (Hb < 80 g/L).

La manière de gérer les coagulopathies liées aux pertes sanguines a beaucoup évolué ces dernières
années, notamment grâce à l’utilisation du thromboélastogramme sous ses formes simplifiées
(rTEG™, ROTEM™, par exemple) qui est devenue aisée, rapide et indépendante des laboratoires
d’hématologie ; elle fait partie intégrante des mesures d’épargne sanguine, particulièrement chez les
malades qui sont opérés sous CEC (voir Chapitre 8, Tests peropératoires). Cette possibilité de
déterminer le status coagulatoire du patient en salle d’opération ou aux soins intensifs (Point-of-care
testing) est une avancée considérable dans la gestion globale des produits sanguins, car elle offre
plusieurs avantages [1,17,20].

 Remplacement spécifique du ou des facteur(s) déficients(s) ;


 Identification des patients qui peuvent bénéficier d’un traitement pharmacologique ;
 Confirmation d’une perte sanguine de nature chirurgicale lorsque le test est normal ;
 Abandon de l’attitude indiscriminée qui consistait à administrer un maximum de produits
(PFC, thrombocytes, facteurs sous plusieurs formes) en ignorant lequel était efficace ;
 Diminution de la consommation de concentrés érythrocytaires par meilleure gestion de
l’hémostase.

167
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Le thromboélastogramme (rTEG™, ROTEM™) et les tests d’agglutination plaquettaire (Multiplate™,
VerifyNow™, Plateletworks™, etc) ont permis de construire des algorithmes pour une gestion
cohérente des produits sanguins (voir Figure 8.19). Cette manière de procéder diminue le taux de
transfusion érythrocytaire (OR 0.50), plaquettaire (OR 0.22) et de plasma (OR 0.20), mais augmente le
taux d’administration de fibrinogène [12].

On tend maintenant vers une utilisation précoce de facteurs de coagulation ciblés et vers un frein à
l’adminsitration indiscriminée d’érythrocytes, de thrombocytes et de plasma frais décongelé (PFC)
(voir Chapitre 8, Facteurs de coagulation). Ce dernier n’est formellement indiqué qu’en cas
d’hémorragie intracrânienne chez des patients sous anticoagulant et en cas de transfusion massive (> 6
poches de sang en 6 heures) [22]. Dans cette dernière situation, un rapport PFC:sang de 1:1 diminue le
risque de mortalité et de dysfonction multiorganique après chirurgie cardiaque [5]. Comme leur
concentration est faible dans le PFC (il faut 1.5-2 L de PFC pour les normaliser), les facteurs de
coagulation sont administrés préférentiellement sous forme de concentrés isolés, en fonction des
besoins du patient déterminés par dosage ou par thromboélastographie. Le PFC est efficace comme
expandeur plasmatique et comme apport oncotique dans les hémorrages profuses.

Epargne sanguine et transfusions

Comme elles comportent des risques infectieux, pulmonaires et immunologiques et qu’elles


augmentent la morbi-mortalité, les transfusions ne sont indiquées qu’en fonction de leur rapport
risque/bénéfice. Leur indication est le rétablissement du transport d’O2. L'anémie aggrave le risque
opératoire, mais la transfusion, au lieu de le corriger, ajoute un facteur délétère supplémentaire. Le
but est donc d’économiser le sang du malade.

Seuils de transfusion (situation hémodynamique stable):


- 60 g/L en CEC (Ht < 21%)
- 70 g/L si bonne fonction, revascularisation complète, absence de valvulopathie majeure et
d'hémorragie
- 80-90 g/L si dysfonction ventriculaire, ischémie coronarienne, cardiopathie valvulaire,
âge > 70 ans, insuffisance respiratoire, rénale ou hépatique
- 100 g/L si HTAP ou shunt cyanogène
En cas d’hémorragie massive, le rythme des transfusions est adapté à celui des pertes sanguines.

La gestion des transfusions fait partie d’un ensemble de mesures d’épargne sanguine (correction de
l’anémie préopératoire par EPO, fer et acide folique, FiO2 élevée, hémodilution, récupération
érythrocytaire, normothermie, hémostase chirurgicale compulsive, opération sans CEC, agents
hémostatiques et procoagulatoires, thromboélastographie, etc).

Les plaquettes, le fibrinogène et les facteurs de coagulation sont administrés en fonction de données
objectives (crase, thromboélastogramme, test d’agrégation plaquettaire, etc). Le PFC n’est donné ni à
l’aveugle ni prophylactiquement ; vu la quantité nécessaire à normaliser les facteurs (1.5-2 L), le
PFC n’est pas une méthode recommandée pour corriger les défauts de coagulation en chirurgie.

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Les quatre clefs d’une stratégie multimodale d’épargne sanguine

1 - Correction de l’anémie préopératoire


2 - Limitation des pertes sanguines peropératoires
3 - Seuil de transfusion restrictif (Hb < 80 g/L)
4 - Utilisation dirigée des facteurs de coagulation

Contrôle métabolique

Ces dernières années, plusieurs études ont démontré l’importance d’un contrôle rigoureux de la
glycémie pour la maîtrise des complications postopératoires chez les diabétiques (type I et type II)
comme chez les non-diabétiques (voir Chapitre 21, Impact du contrôle de la glycémie). En soins
intensifs chirurgicaux, la morbidité et la mortalité sont diminuées significativement lorsque la
gylcémie est maintenue normale (4.4 – 6.1 mmol/L) au lieu d’être > 11 mmol/L [10,17]. Dans les

169
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
soins intensifs médicaux, en revanche, il n’y a pas de différence de mortalité [10,18]. En chirurgie
cardiaque, où la glycémie monte presque linéairement avec la durée de la CEC, le bénéfice maximal
est enregistré avec des glycémies situées entre 6 et 8 mmol/L [6,7,14]. Chez le patient diabétique, le
risque de complications cardiaques augmente de 17% pour chaque unité de glycémie au-dessus de 6.1
mmol/L [14,16]. Mais le risque opératoire est davantage lié au contrôle de la glycémie qu’à la
présence de diabète. Chez les patients diabétiques comme chez les non-diabétiques, des glycémies
persistant à > 14 mmol/L (250 mg/dL) quadruplent la mortalité (OR 3.9), triplent l’incidence
d’infarctus (OR 2.7) et doublent les complications pulmonaires et rénales (OR 2.3) par rapport au
maintien de la glycémie < 11 mmol/L (200 mg/dL) [1]. L’hyperglycémie peropératoire (> 11 mmol/L)
augmente de 50% la morbidité et de 90% la mortalité [4]. Pendant les 3 premiers jours
postopératoires, elle est également un prédicteur indépendant de mortalité [8], que le patient soit
diabétique ou non [11]. Un contrôle strict de la glycémie en chirurgie de revascularisation
coronarienne diminue le besoin en support inotrope, l’incidence de FA et le taux d’infection de plaie
[12]. Il réduit la mortalité (OR 0.24) chez les malades à haut risque, mais non dans les cas simples
(EuroSCORE < 4) [3].

Toutefois, des études randomisées récentes ont montré qu’un contrôle très serré de la glycémie (4.8-
6.2 mmol/L) aboutissait à davantage d’épisodes d’hypoglycémie et à un taux d’ictus plus élevé qu’un
contrôle standard (< 10 mmol/L) [5,9]. Sous anesthésie générale, l’hypoglycémie est clairement un
danger plus grave que l’hyperglycémie, car elle passe inaperçue entre deux échantillonnages de sang.
Seules des glycémies fréquentes permettent de s’en prémunir. Basées sur l’expérience de ces dix
dernières années, les recommendations actuelles pour la chirurgie cardiaque sont donc les suivantes
[13,15].

 Les patients diabétiques doivent bénéficier d’une perfusion continue d’insuline pour maintenir
leur glycémie en permanence < 10 mmol/L.
 Chez les patients non-diabétiques, on peut tolérer une glycémie jusqu’à 10 mmol/L (180
mg/dL) ; un traitement par insuline ne devient nécessaire que lorsque la glycémie se maintient
en peropératoire ≥ 11 mmol/L.
 En salle d’opération, une glycémie maintenue entre 6.0 et 10 mmol/L (110-180 mg/dL) est
probablement la plus sûre.
 En soins intensifs, la glycémie recherchée est < 8.5 mmol/L (150 mg/dL).
 Un contrôle strict de la glycémie (5-6 mmol/L, 90-110 mg/dL) n’est pas bénéfique en
peropératoire car il fait courir davantage de risque d’hypoglycémie.
 Un malade incapable de signaler son malaise courre un risque élevé d'hypoglycémie
dangereuse dès que sa glycémie voisine 4 mmol/L. Chez un patient endormi, l'administration
de glucose simultanément à l'administration d’insuline est un facteur de sécurité face au risque
d'hypoglycémie.

Le contrôle le plus efficace est obtenu par une perfusion d’insuline continue commencée dès le début
de l’anesthésie. Deux régimes sont possibles. Le premier est une modification du Schéma de Portland,
qui ne comporte pas d'apport glucidique; il est exposé dans le Tableau 21.11. Le deuxième comprend
une perfusion d'insuline rapide comme le premier, avec en plus une perfusion simultanée et
permanente de glucose pour éviter toute hypoglycémie (on utilise de préférence des solutions de
glucose concentrées à 20%-50% pour limiter l’apport hydrique). Chez le diabétique, la quantité
d’insuline est calculée sur la base de la consommation quotidienne du malade traduite en unité par
heure et augmentée de 1.2 à 1.5 fois, ou de 1-5 U/heure [2]. La vitesse de perfusion est réglée pour
maintenir la glycémie en dessous de 8-10 mmol/L en contrôlant les valeurs toutes les 30-60 minutes,
avec contrôle simultané de la kaliémie.

 Pas d'insuline préopératoire le matin, glycémie à l'arrivée en salle d'opération (début de


matinée);
 Perfusion continue d’insuline (100 UI dans 50 mL glucose 5% en pousse-seringue) : débit
horaire de base = dose quotidienne totale / 24 multipliée par 1.2-1.5;

170
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Perfusion indépendante de glucose 10%, 20% ou 50% (selon restriction hydrique) à vitesse
variable;
 Arrêt pendant la phase hypothermique de la CEC (< 32°C);
 Glycémies de contrôle toutes les 30-60 minutes; cible: 6-10 mmol/L;
 1 UI insuline iv abaisse la glycémie de 1.5-2.0 mmol/L;
 Rapport glucose / insuline :
- 1-2 g glucose / UI insuline pour abaisser la glycémie;
- 3 g glucose / UI insuline pour maintenir la glycémie stable;
- 5 g glucose / UI insuline chez les non-diabétiques (hyperkaliémie).

Contrôle métabolique

Maintien de la glycémie peropératoire entre 6.0 et 10 mmol/L ;


Perfusion d'insuline ou d'insuline/glucose (± potassium) dès que la glycémie est > 10 mmol/L ;
Le risque d’hypoglycémie est plus dangereux que celui d’hyperglycémie tant que la valeur ne
dépasse pas 10 mmol/L ;
En soins intensifs, maintien de la glycémie < 8.5 mmol/L.

Références

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mortality and morbidity in diabetic and nondiabetic patients undergoing cardiac surgery. Circulation 2008; 118:113-23
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171
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Situations particulières

Reprises chirurgicales

La technique est fondamentalement la même que pour l'opération de base. Cependant, les problèmes
chirurgicaux peuvent être considérables: accolement des structures, greffons veineux difficiles à
identifier, difficultés de cardioplégie (persistance de la perfusion myocardique par un greffon
mammaire interne), risque d'ischémie aiguë par lésion ou compression des greffons veineux
antérieurs, ou par coudure du greffon mammaire lors de l'ouverture du sternum. L'intervention est plus
longue et le risque significativement plus élevé que celui de l'opération première. L'accolement des
structures antérieures du cœur à la face interne du sternum fait courir un risque majeur de déchirure de
l'OD ou du VD avec la scie sternale; il faut être prêt à un départ en CEC de toute urgence. Pour
l'anesthésiste, cette situation se caractérise par des hémorragies importantes, par des arythmies
fréquentes, et par des risques ischémiques accrus contre-indiquant le circuit fast-track. Il faut s’assurer
de :

 Voies veineuses de gros calibre permettant des transfusions rapides;


 Plaques de défibrillateur externe collées au malade et branchées;
 Risque accru de réaction à la protamine, maximale pendant les 6 premiers mois après une
exposition préalable;
 Poches de sang, fibrinogène et plasma frais décongelé à disposition pour la sortie de CEC;
contrôle par thromboélastogramme.

Lorsqu'un greffon mammaire interne est encore fonctionnel, l'écartement du sternum peut couder le
vaisseau et induire une ischémie antérieure immédiate; il est primordial de surveiller le segment ST en
V5 pendant la dissection du médiastin antérieur. Comme l'artère mammaire vient de la sous-clavière,
il est difficile de maintenir une cardioplégie efficace lorsqu'un greffon mammaire réalimente en
permanence le myocarde par du sang de la CEC. Il faut donc disséquer et clamper le greffon
mammaire; comme cela n'est pas toujours possible ni recommandé, on refroidit tout l'organisme en
hypothermie profonde (18-20°C) de manière à ce que le sang de la mammaire ait la température la
plus basse possible. Une alternative possible est d'opérer à cœur fibrillant (voir plus loin). Cette
technique n'implique pas de protection cérébrale, mais il faut s'attendre à un risque hémorragique
augmenté (altérations de la crase et de la fonction plaquettaire liées au froid). Pour éviter de devoir
disséquer des zones opérées, on peut aborder le coeur par thoracotomie droite (remplacement mitral,
par exemple) ou gauche (remplacement aortique, pontage sur l'IVA ou la CX, par exemple); dans ce
cas, il faut placer un tube 2-lumières gauche (ou un tube à bloqueur bronchique) et ventiler
sélectivement le poumon controlatéral pendant la phase de dissection.

Chirurgie minimalement invasive

Dans le but de simplifier et de raccourcir la période postopératoire, on a investigué de nouvelles


stratégies chirurgicales: au lieu d'un abord par sternotomie, on a pratiqué l'intervention par une petite
thoracotomie antérieure sous l'assistance vidéo d'une caméra de thoracoscopie; la CEC, lorsqu'elle est
nécessaire, est réalisée par canulation aortique, sous-clavière ou fémorale (artérielle et veineuse) sous
assistance ETO. Les indications retenues sont les suivantes.

 Pontage isolé de l'AMI sur l'IVA: minithoracotomie antérieure gauche, intervention à coeur
battant, pas de CEC ;
 Fermeture de FOP et de CIA: minithoracotomie antérieure droite, cardioplégie ou arrêt en
fibrillation ventriculaire, avec CEC ;
 Chirurgie de la valve mitrale: minithoracotomie antérieure droite, cardioplégie ou arrêt en
fibrillation ventriculaire, avec CEC ;
 Chirurgie de la valve aortique: ministernotomie médiane haute, canulation de CEC standard
ou fémorale.

172
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Chirurgie robotique : quatre bras articulés robotiques commandés depuis une console (par
exemple système Da Vinci™) permettent des interventions par voie endoscopique comme des
anastomoses coronariennes, une plastie de la valve mitrale ou une fermeture de CIA. La
manoeuvrabilité est excellente, mais les temps opératoires sont prolongés. La CEC est assurée
par canulation fémorale et le clampage aortique par voie directe ou au moyen d’un ballon
intra-aortique. Le taux de conversion en opération à ciel ouvert est de 5% dans les centres
coutumiers de la technique [1].

Les conditions chirurgicales sont plus difficiles qu’avec les techniques traditionnelles; la collaboration
anesthésiste - chirurgien doit être encore plus étroite, de manière à offrir un champ opératoire optimal:
poumon rétracté, coeur peu mobile, etc. Hormis les raisons esthétiques lors de fermeture de FOP et de
CIA chez la jeune adulte (cicatrice sous-mammaire peu visible), la chirurgie minimalement invasive
n'est pas encore largement appliquée. Pour l'anesthésiste, cette attitude est toutefois très stimulante, car
elle demande des prestations qui sont inhabituelles pour l'anesthésie cardiaque: ventilation
monopulmonaire, diminution aiguë du métabolisme cardiaque, analgésie loco-régionale, antalgie
postopératoire [5]. Ces interventions présentent des spécificités pour l'anesthésiste [6].

 Il est nécessaire de canuler une artère radiale; une artère fémorale est utilisée pour la
canulation artérielle de la CEC et l'autre est gardée en réserve en cas de problème sur la
première. Dans les interventions à cœur battant, la région inguinale est préparée de manière à
pouvoir procéder à une canulation d’urgence en cas de passage en CEC.
 La voie centrale (cathéter 2-lumières) ne doit pas dépasser l'origine de la veine cave supérieure
en cas de canulations caves séparées (FOP, CIA, valve mitrale).
 Pour les thoracotomies, l'intubation se fait avec un tube 2-lumières gauche (éventuellement
avec un tube à bloqueur bronchique) dont la position est contrôlée par fibroscopie; lors de
sternotomie, (valve aortique) l’intubation est standard. Sauf exception, la ventilation
monopulmonaire n’est pas nécessaire pour le monopontage de l'AMIG sur l'IVA par
thoracotomie gauche antérieure (intubation standard).
 L’accès pour des palettes de défibrillation étant impossible, il faut prévoir des plaques de
défibrillateur externes, collées avant le champage.
 La technique d'anesthésie doit permettre un réveil précoce (fast-track anesthesia): halogéné,
dose réduite d'opiacé, dexmédétomidine, pas de midazolam, analgésie loco-régionale,
normothermie, extubation immédiate.
 Prévenir le refroidissement en emballant le malade avec de l’ouate de rembourrage; augmenter
la température de la salle (24°C) et chauffer les perfusions; coller des plaques de défibrillateur
externe avant le champage.

Pendant les premières 24 heures, la thoracotomie est plus douloureuse que la sternotomie. L'antalgie
postopératoire est donc un point capital pour le confort des patients. Le cathéter épidural offre une
qualité d’analgésie optimale, assurée par péridurale continue. A défaut, des blocs paravertébraux ou
intercostaux (bupivacaïne 0.25%) réalisés en fin d’intervention assurent 12 heures de confort, mais les
opioïdes et les AINS restent nécessaires.

Monopontage AMIG → IVA (Mid-CAB)

Cette intervention se fait à coeur battant, sans CEC, par thoracotomie antérieure gauche. Le membre
inférieur gauche est laissé libre pour un éventuel prélèvement de la veine saphène. Après
héparinisation (100 U/kg), l'anastomose est réalisée sous vue directe à l'aide d'écarteurs spéciaux.
Pendant la confection de cette dernière, le territoire vascularisé par l'IVA n'est plus perfusé (durée: 15
- 30 minutes). La technique est un pontage termino-latéral classique, ou un pontage libre entre l’AMIG
et l’IVA par un greffon d’artère radiale [10]. Aucune autre coronaire n'est abordable par cette voie.
Néanmoins, le MIDCAB connaît un regain d'intérêt avec le développement des techniques hybrides
qui allient chirurgie et angioplastie coronarienne (PCI). Ces techniques tentent de profiter des
excellents résultats à long terme du pontage mammaire sur l’IVA (jusqu'à 98% de perméabilité à 10

173
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
ans) et des avantages de l’angioplastie avec stents sur les autres vaisseaux [4,7,9]. L'intérêt de cette
hybridation tient à plusieurs éléments [2].

 Bénéfice du pontage mammaire sur l'IVA;


 Absence de manipulation de l'aorte et faible taux d'AVC (identique à celui de l'angioplastie);
 Risque abaissé de transfusion et d'infection;
 Suites postopératoires simples et récupération rapide.

La réussite dépend évidemment de la combinaison anatomique des coronaires: sténose complexe de


l'IVA proximale avec bonne reprise périphérique, et lésions des autres troncs compatibles avec une
pose de stents. D'autres conditions interviennent: absence de contre-indications aux antiplaquettaires,
artériosclérose de l'aorte ascendante la rendant impropre au clampage, patient à haut risque pour une
opération en CEC, manque de conduits pour des pontages, interventions antérieures, thorax hostile [3].
L'intervention est envisagée soit en deux temps (pontage chirurgical puis pose de stents 4-7 jours plus
tard) soit en un seul temps; la deuxième option implique d'administrer la dose de charge de la
bithérapie antiplaquettaire en cours d'opération (en général aspirine + clopidogrel), avec un risque
hémorragique évident [12].

Le but de la stratégie anesthésique est quadruple:

 Prévention, monitorage et traitement de l'ischémie myocardique;


 Stabilité hémodynamique;
 Conditions chirurgicales optimales (ventilation restreinte, coeur peu mobile, etc);
 Extubation précoce et confort postopératoire.

Pour diminuer significativement la mVO2 pendant la durée de l'ischémie, on a eu recours aux mêmes
mesures que pour les pontages à coeur battant (voir Chapitre 10 Problèmes associés à l'OPCAB).

Le souci majeur de ces interventions est le résultat à long terme [8]. Pour le MidCAB, la perméabilité
de l'anastomose est plus délicate qu'en CEC, puisque 10-15% des patients souffrent d’une récidive
ischémique secondaire à une stricture chirurgicale à 5 ans [8,11].

Fermeture de FOP et de CIA

Ces opérations ont lieu par thoracotomie antérieure droite, sous CEC fémoro-fémorale droite (l'axe
fémoral gauche est laissé libre en cas de problème technique à droite). Pour pouvoir ouvrir l'oreillette
sans afflux de sang, la veine cave supérieure est canulée séparément, soit directement, soit par voie
fémorale (guidage par ETO). Pour laisser la VCS libre à cet effet, la voie veineuse centrale ne doit pas
dépasser la veine innominée (cathéter sous-clavier gauche à 12-15 cm, ou jugulaire interne droit à 10-
12 cm). Afin de diminuer les risques d'embolisation gazeuse systémique, le patient est placé en
position de Trendelenburg dès l'ouverture des cavités cardiaques. L'immobilisation du coeur est
obtenue par cardioplégie ou en induisant une fibrillation ventriculaire (voir plus loin). La défibrillation
(150-360 J) est réalisée au moyen de plaques externes collées avant le champage.

Chirurgie de la valve mitrale

Un remplacement ou une plastie de la valve mitrale sont possibles par thoracotomie droite, sous CEC
fémoro-fémorale et fibrillation ventriculaire continue ou arrêt sous cardioplégie. Si l'on procède par
une atriotomie gauche, on peut n'utiliser qu'une canule veineuse (canule fémorale spéciale remontée
dans l'OD et la VCS) si l'absence de FOP est confirmée par l'échocardiographie peropératoire. Cette
voie est particulièrement utile en cas de reprise après une première intervention faite par sternotomie.

174
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Endoprothèses valvulaires

Le remplacement valvulaire aortique pour sténose ou la plastie de la valve mitrale pour insuffisance
peuvent s’effectuer de manière minimalement invasive par voie endovasculaire percutanée lorsque le
risque opératoire est excessif en CEC : voir Chapitre 10 Implantation valvulaire aortique (TAVI) et
Plastie mitrale percutanée (Mitraclip™).

Arrêt cardiaque en fibrillation ventriculaire

Cette technique présente les avantages d’arrêter le coeur sans avoir à réaliser un clampage aortique ni
une perfusion de cardioplégie; les cavités cardiaques peuvent être ouvertes sans risquer que de l’air
soit propulsé dans les vaisseaux artériels; le patient doit toutefois être placé en position de
Trendelenburg. La perfusion coronarienne doit être impérativement maintenue, car la mVO2 est
identique à celle d’un rythme régulier à une fréquence d’environ 70 batt/min. La pression moyenne
recommandée en CEC est 60 - 80 mmHg; la température est maintenue à ≥ 34°C. Une vidange du VG
doit être assurée, sans quoi le ventricule risque une dilatation aiguë, une ischémie sous-endocardique
et des dégâts potentiellement irréversibles: drainage par ponction directe, cathéter introduit par la
veine pulmonaire supérieure droite. Une insuffisance aortique est une contre-indication à la technique.
La taille du VG est surveillée en continu par ETO.

Une pastille épicardique reliée à un fibrillateur permet d'induire une fibrillation ventriculaire (FV) à
complexes fins, moins dispendieuse en O2 que la FV spontanée à complexes larges. Le courant utilisé
est du 60 Hz, sous un voltage de 0.5 - 5 V. La surveillance des dimensions ventriculaires gauches par
l'ETO est capitale; toute dilatation par rapport aux valeurs de départ (diamètre ou circonférence en
court-axe) commande une vidange immédiate et un contrôle de l'étanchéité de la valve aortique. La
défibrillation (150-360 J) est accompagnée si nécessaire de lidocaïne 1% (1.5 mg/kg) et de magnésium
(MgCl2 bolus de 5 mmoles, à répéter selon besoin) pour faciliter le retour en rythme sinusal. Avant la
remise en charge, on procède aux manoeuvres de purge en position de Trendelenburg en ventilant les
deux poumons; on contrôle soigneusement le débullage des cavités gauches à l’ETO.

Situations particulières

Réopérations : risque hémorragique, risque d'ischémie aiguë par lésion des greffons veineux
antérieurs, ou par coudure du greffon mammaire, difficultés techniques chirurgicales, difficultés de
cardioplégie.

Chirurgie par mini-sternotomie ou mini-thoracotomie : technique à cœur battant ou en CEC avec


arrêt par cardioplégie ou en fibrillation ventriculaire
- Monopontage AMI – IVA par thoracotomie antérieure à cœur battant
- Fermeture de FOP ou de CIA par thoracotomie latérale droite
- Chirurgie mitrale par thoracotomie latérale droite
Technique : tube endotrachéal 2-lumières et ventilation monopulmonaire, canulation de CEC par
voie fémorale, réveil rapide, antalgie postopératoire adéquate (par ex. péridurale thoracique).

Références

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176
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Anesthésie loco-régionale
L’analgésie loco-régionale (ALR) est séduisante par ses capacités à offrir un grand confort au malade
à un coût peu onéreux, et de permettre un circuit de prise en charge rapide (fast-track). La technique
est particulièrement cohérente avec les options de chirurgie à cœur battant. L’idée de base est triple:

 Atténuation de la réponse au stress par une sympathectomie cardiaque;


 Analgésie postopératoire sans support ventilatoire;
 Diminution des complications pulmonaires.

Lors de revascularisation coronarienne, le risque ischémique périopératoire devrait être diminué,


l'hémodynamique plus stable, et l'extubation plus précoce [1]. A cet effet, on a recours à deux types de
médicaments, les opiacés et les anesthésiques locaux, et à deux techniques différentes: la
rachianalgésie par ponction lombaire unique, et la péridurale continue cervicale ou thoracique haute.
Toutefois, l'ALR rachidienne ne s'est jamais imposée en chirurgie cardiaque à cause du risque
d'hématome spinal lié à l'anticoagulation de la CEC [2].

Références

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115:25-32

Risque de l’ALR rachidienne

Le risque majeur de l'anesthésie loco-régionale en chirurgie cardiaque est celui de l'hématome


intrarachidien au cours d’interventions pendant lesquelles le malade est anticoagulé: ACT > 450 sec
en CEC et > 300 sec à coeur battant. Les études réalisées jusqu’ici ont été conduites avec des patients
à risque relativement bas et n’ont pas la puissance nécessaire pour juger de l’incidence réelle des
complications [4]. Les estimations sont donc fondées sur des évaluations théoriques. Le risque
d’hématome spinal compressif silencieux terrorise avec raison les anesthésistes [1,14]. Le calcul de ce
risque dans le cadre de la chirurgie cardiaque donne une incidence d'hématome péridural variant de
1:1'500 à 1:10'000 [8]. Un audit de 2'113 cas sans accident neurologique diminue cette valeur à
1:4'000 [2]. L’estimation la plus basse est de 1 :12'000 [15] et la moyenne probablement de 1:2'700
[11]. Il n'existe qu'environ 25 cas isolés d'hématome péridural thoracique décrits jusqu'ici dans le
cadre de la chirurgie cardiaque en CEC, sur approximativement 90'000 cas réalisés. Ce chiffre donne
une incidence de 1:3'552 [10]; celle-ci est supérieure à celle des péridurales thoraciques placées en
chirurgie vasculaire (1:5'493 cas) [7], mais voisine de celle des rachianesthésies single-shot (1:3'610)
[8]. Rappelons que sans anticoagulation l’incidence d’hématome spinal est de 1:220'000 par voie
intrathécale et de 1:150'000 par voie péridurale [6,12]. Le risque théorique d'abcès s’élève jusqu’à
1:2'000 si le cathéter reste en place plus 48 heures [13]. En cas d’hypotension artérielle, la
compression extrinsèque de la moëlle par le volume de liquide de la péridurale peut favoriser une
complication rare : l’infarcissement médullaire [5]. D’une manière générale, la situation est moins
dangereuse pour la chirurgie de revascularisation à cœur battant, car le niveau d’anticoagulation
recherché est moindre.

Par précaution, le cathéter est mis en place la veille de l’intervention; aucune ponction répétitive n'est
tolérée en cas de difficulté. Une ponction hémorragique commande de renvoyer l’opération. Les
agents anti-vitamine K sont arrêtés 5-10 jours à l'avance pour obtenir une normalisation de l'INR, si la
pathologie thrombo-embolique l'y autorise. Par manque d'expérience clinique en périopératoire, l'ALR
177
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
rachidienne est déconseillées chez les patients sous un nouvel anticoagulant oral (dabigatran, xabans).
L'aspirine cardio (100-300 mg/j) peut être maintenue en chirurgie vasculaire, mais la prudence veut
qu'elle soit stoppée cinq jours en chirurgie cardiaque. Les patients qui présentent un angor ou une
sténose instables sont en général sous bithérapie antiplaquettaires (aspirine + clopidogrel, prasugrel ou
ticagrelor) ; ces substances sont essentielles à la prévention des thromboses sur des plaques instables
ou des stents coronariens non encore endothélialisés (< 6 semaines pour les stents passifs et < 6-12
mois pour les stents actifs) [3,9]. Il est trop dangereux de les arrêter uniquement pour faire bénéficier
le malade du confort d’une analgésie loco-régionale. Dans ce cas particulier, le rapport risque/bénéfice
penche indubitablement du côté de la prophylaxie antiplaquettaire.

Pour maintenir le risque neurologique aussi bas que possible, il est impératif de respecter les
recommandations d’usage pour l'ALR rachidienne en chirurgie cardiaque [4].

 Absence de coagulopathie ;
 Absence de traitement anticoagulant ou de bithérapie antiplaquettaire;
 Arrêt de l'aspirine au minimum 5 jours;
 Tests de coagulation normaux ;
 Cathéter péridural placé la veille de l’opération ; abandon en cas de ponction hémorragique et
opération renvoyée de 24 heures ;
 Ponction C6-C7 ou D3-D4 médiane ;
 ACT peropératoire maintenu en dessous de 500 secondes ;
 Pas d’anticoagulation ni d’antiplaquettaire tant que le cathéter est en place ;
 Tests de coagulation normalisés avant de mobiliser le cathéter ;
 Recherche compulsive des troubles neurologiques éventuels et indication agressive à l'IRM en
cas de doute.

Risque de l'anesthésie loco-régionale rachidienne

Vu le danger qu’elle présente lors de l’anticoagulation en CEC, le rapport risque/bénéfice de l'ALR


rachidienne reste incertain en chirurgie cardiaque. Le risque d'hématome épidural (1:3'552 cas) est
supérieur à celui des péridurales thoraciques placées en chirurgie vasculaire (1:5'493 cas). Conditions
de sécurité : pas de coagulopathie ni d’anticoagulation, arrêt des antiplaquettaires 5-7 jours, ponction
la veille de l’opération, surveillance complusive des troubles neurologiques.

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Physiopathologie

En bloquant les niveaux C7 à D5 au moyen d’un anesthésique local, on provoque une sympathectomie
cardiaque qui a plusieurs conséquences [7,15].

 Vasodilatation coronarienne, avec une redistribution du flux en faveur de l’endocarde et une


augmentation du flux collatéral (augmentation du DO2 ); elle se traduit par une diminution de
l’angor [2]; mais la disparition de la symptomatologie est aussi artificiellement due à un bloc
afférent [11].
 Sympathicolyse cardiaque: induite par le bloc, elle a un effet bénéfique sur la souffrance
ischémique myocardique. Le rapport du flux coronarien à la mVO2 est plus favorable [7,11] ;
la libération de NT-proBNP ou de Troponin I est moindre dans certaines études [6,10], mais
pas dans toutes [1]. Le taux de FA baisse [15].
 Modification de la contractilité propre du myocarde; la mVO2 diminue; conjointement au
point précédent, cet effet améliore le rapport DO2/VO 2 du myocarde, donc diminue le risque
ischémique. En peropératoire, l’incidence clinique d’ischémie est abaissée [14]. Le volume
systolique peut augmenter par un effet Starling lié à une augmentation de la PVC [6]. Mais la
baisse de la fonction ventriculaire peut devenir dangereuse chez les patients dont les
performances myocardiques sont critiques et dépendent de la stimulation sympathique
centrale, car la fonction systolique du VG diminue jusqu'à 50% [5].
 Amélioration de la fonction diastolique, même si les indices de fonction systolique ne sont pas
modifiés [13].
 Bloc du réflexe cardio-accélérateur; l’absence de tachycardie compensatrice, bénéfique en soi,
contribue cependant à la baisse du débit cardiaque effectif en cas d’hypotension; la fréquence
cardiaque globale diminue d'environ 15 battements/minute [12]. Le taux de tachy-arythmies
sus-jonctionnelles diminue [9].
 Diminution de la réponse métabolique et endocrinienne au stress; les marqueurs de la réaction
de stress sont abaissés: noradrénaline, adrénaline, cortisol, taux de lactate dans le sinus
coronaire [4,7,8] ; il n’y a cependant pas de diminution de la réaction inflammatoire
systémique à la CEC [3].
 Vasodilatation systémique et hypotension; malgré le bénéfice d’une baisse de postcharge, le
ventricule peut souffrir d’une diminution de la pression de perfusion coronaire lorsque la
pression diastolique aortique est abaissée de plus de 50% de sa valeur initiale. Si le tonus
résistif diminue dans les territoires bloqués, une vasoconstriction réactionnelle est possible
dans les autres territoires, entraînant secondairement une augmentation globale de la
postcharge. L’hypotension est très fréquente, puisque des vasoconstricteurs et des perfusions
accrues sont nécessaires dans 50-90% des cas [6,14].
 L’inhibition sympathique a peu d’effet sur le lit vasculaire pulmonaire pour deux raisons : le
plexus pulmonaire est essentiellement contrôlé par le nerf vague, et l’activité sympathique
vasoconstrictrice (récepteurs alpha) est faible dans les poumons. Le bloc C7-D4 inhibe la
vasodilatation pulmonaire active chez le sujet sain; les résistances pulmonaires (RAP) peuvent
augmenter sensiblement. En cas d’hypertension pulmonaire, au contraire, la vasoconstriction
sympathique est plus marquée et le bloc tend à abaisser les RAP.

179
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Le tableau est différent lorsqu’on utilise des opiacés, puisque la sympathectomie est absente; la
réactivité hémodynamique est au contraire parfaitement conservée. Cette réactivité, associée à une
analgésie adéquate, est intéressante chez les patients critiques dont l’équilibre circulatoire est maintenu
grâce au tonus sympathique de base; chez eux, en effet, l’hypotension et la baisse de performance
inotrope due à l'ALR avec anesthésiques locaux peuvent être catastrophiques. Par contre, cette
réactivité maintenue oblige à davantage de corrections hémodynamiques avec un vasodilatateur ou un
vasoconstricteur. Les effets secondaires des opiacés sont caractérisés par la dépression respiratoire, le
prurit, les nausées et les vomissements.

Anesthésie péridurale cervico-thoracique

La péridurale haute (C6-D4) provoque une sympathectomie cardiaque et une analgésie sans
dépression respiratoire. Effets cardiaques : vasodilatation coronarienne (↑ DO2), baisse de la
contractilité (↓ mVO2), bloc cardio-accélérateur (FC basse), vasodilatation et hypotension
systémique, possible augmentation des RAP chez le sujet sans HTAP.

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180
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Analgésie péridurale

Qu’elle soit cervicale ou thoracique haute (préférence pour questions de facilité technique : C7-D1), la
péridurale a été utilisée de manière sporadique depuis les années quatre-vingts en chirurgie cardiaque.
Elle est pratiquée dans 7% des cas en Amérique du Nord [6]. Après plus de 60 études contrôlées et
près de 90'000 cas réalisés, essentiellement lors de pontages aorto-coronariens à bas risque, la place de
cette technique reste assez marginale à cause du risque d'hématome péridural lors de l'héparinisation
de la CEC [2,3,8,11,13,16,18,19].

Les avantages cliniques relevés dans les principales études randomisées, dans cinq méta-analyses
[1,4,11,13,20] et deux revues [3,15] sont les suivants:

 Amélioration de l'antalgie, diminution de 50% du score de douleur et de sédation ;


 Raccourcissement très significatif du temps d'extubation ;
 Diminution des complications respiratoires de 25% ;
 Diminution du taux d'arythmies (FA) de 20-50% ;
 Diminution de l’ischémie peropératoire (40%) et de l’incidence d’infarctus postopératoire
(25%) ;
 Faible diminution des troubles cognitifs immédiats.

L'effet sur la mortalité et l'incidence d'infarctus est discutable, car on note une tendance à la
diminution, mais aucune étude n’atteint un degré de signification indiscutable (RR 0.78 et 0.7,
respectivement) [1,11,20]. Il n'y a pas de baisse dans l'incidence d’ictus ou d’insuffisance rénale
[13,16,17,18,19,20]. Certains auteurs mentionnent toutefois un bénéfice sous forme d’une baisse du
taux d’événements ischémiques et d'arythmiques périopératoires [12,20]. Mais les études ne sont
guère comparables, portent sur un petit nombre de cas, et les populations sont différemment
sélectionnées. La péridurale offre certainement une excellente analgésie et une grande qualité de
confort postopératoire [2] ; elle atténue la réponse au stress et améliore le rapport DO2/VO2
myocardique. La réduction du taux de complications respiratoires peut être un avantage majeur
particulièrement précieux chez les malades souffrant de BPCO, de syndrome restrictif ou d'obésité
morbide [18]. Pourtant, l’efficacité clinique et le rapport risque/bénéfice de la péridurale restent
incertains [7]. Dans les dernières études publiées, la péridurale ne diminue ni la durée de ventilation
postopératoire ni le temps de séjour en soins intensifs par rapport aux techniques intraveineuses de
fast-track ; elle n’améliore pas significativement le confort des patients [16,19]. Elle ne raccourdit pas
la durée de séjour hospitalier [15].

Cependant, l’invasivité de la technique et le risque d’un hématome péridural sous anticoagulation sont
certainement des freins majeurs à son utilisation à large échelle. D'après le nombre de cas rapportés,
on estime le risque à 1:3552 cas [11]. Des effets comme la réduction du délai d'extubation, la baisse de
la mVO2 et la diminution des arythmies sont aisément obtenus par d'autres techniques moins
invasives, comme, respectivement, l’anesthésie fast-track (faibles dose d’opiacés de courte durée
d’action + halogéné ou propofol), la dexmédétomidine, les β-bloqueurs et l'amiodarone [13,19]. Le
confort postopératoire, habituellement supérieur avec la péridurale, peut être très voisin avec des
techniques conventionnelles, mais au prix d'un score de sédation plus profond [5,12,19]. La meilleure
indication à la loco-régionale est la chirurgie sans CEC par thoracotomie (MIDCAB par exemple),
parce que cette voie d’abord est beaucoup plus douloureuse que la sternotomie. Lors de pontages
aorto-coronariens, les prélèvements de l’artère radiale et de la mammaire interne sont situés dans les
métamères bloqués par la péridurale thoracique, mais non la dissection de la veine saphène interne aux
membre inférieurs ; dans ce cas, une analgésie systémique supplémentaire est nécessaire pour assurer
le confort du patient. Quant à la possibilité de réaliser une intervention cardiaque sous péridurale seule
chez un malade éveillé, elle relève de l'exploit pour l'anesthésiste mais non du bénéfice pour le patient
[9,10,21].

La technique de la péridurale est la suivante :

181
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Ponction C7-D1 ou D2-D4 la veille de l’intervention ;
 Installation du bloc : 4 mL bupivacaïne 0.75% + 4 mL fentanyl en 12 min ; alternative : 5-7
mL bupivacaïne 0.5% + sufentanil 2.5 mcg/mL ;
 Entretien : bupivacaïne 0.75% + 50 mcg fentanyl à 2 mL/h ; alternative : bupivacaïne 0.25%
ou ropivacaïne 0.25% + sufentanil 1 mcg/mL à 4-6 mL/h ;
 Induction de l’anesthésie : etomidate ou propofol ;
 Intubation sous protection de lidocaïne topique ;
 Maintien de l’anesthésie : propofol, isoflurane ou sevoflurane.

Le remplacement de la bupivacaïne par la lévobupivacaïne diminue le risque de cardiotoxicité de cette


dernière (arythmie, bradycardie, hypotension). L'utilisation d'halogénés en peropératoire augmente
fortement l'incidence de nausées postopératoires lors d’utilisation de morphiniques intrarachidiens. Il
faut garder à l’esprit que le taux d’échecs techniques et fonctionnels de la péridurale thoracique
s’élève jusqu’à 30% dans certaines séries [14].

Péridurale en chirurgie cardiaque

Avantages de la péridurale en chirurgie cardiaque:


- Excellente antalgie
- Extubation précoce
- Diminution des complications respiratoires
- Diminution de l'incidence de FA
- Possible amélioration du rapport DO2/VO2 chez le coronarien

L'effet sur la mortalité et l'incidence d'infarctus est discutable, car on note une tendance à la
diminution, mais aucune étude n’atteint un degré de signification indiscutable. Il n'y a pas de baisse
dans l'incidence d’ictus ni d’insuffisance rénale.

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Analgésie intrathécale

La rachianalgésie est séduisante par son innocuité et sa simplicité, mais est moins souvent pratiquée
(environ 3'000 cas décrits). Une injection unique par voie lombaire pratiquée immédiatement avant
l’induction suffit à octroyer 4 à 6 heures d’analgésie chirurgicale et 5 à 24 heures d’antalgie
postopératoire; la technique permet une extubation précoce [1,2,3,4]. L’effet est assuré par un mélange
de :

 Morphine 0.5 mg,


 Sufentanil 50 mcg,
 NaCl 0.9% ad 5 ml.

Certains ajoutent de la clonidine (1 mcg/kg) [2]. L'extubation est accélérée et l’analgésie est efficace et
de longue durée [1,2]. Quasiment sans risque si l’anticoagulation débute plus d’une heure après la
ponction, ce qui est le cas en chirurgie cardiaque, la rachi-analgésie n’atténue pas la réponse au stress
et présente le défaut de ne pas être modulable. Elle maintient intacte la réactivité hémodynamique du
patient. En l’absence d’anesthésiques locaux, les réponses hémodynamiques physiologiques sont
parfaitement conservées. Ceci est un avantage chez les malades qui dépendent de la stimulation
sympathique et des conditions de charge pour maintenir leur débit cardiaque, mais nécessite de
fréquents ajustements avec des vasodilatateurs (isoflurane 2-5%, bolus répétés de phentolamine 1 mg),
des vasopresseurs (phényléphrine 100 mcg, éphédrine 10 mg) ou des β-bloqueurs (bolus répétés
d'esmolol 10 mg) selon les circonstances.

Rachianesthésie en chirurgie cardiaque

Avantage de la rachianesthésie (sufentanil-morphine) : risque minime, extubation précoce, antalgie


4-6 heures ; réservée aux interventions de < 4 heures.

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Cardiothor Vasc Anesth 1996; 10:22528

Appréciation

Le fait qu’une technique soit possible n’est pas en soi une indication à la pratiquer ! Les méthodes
traditionnelles permettent d'obtenir les mêmes résultats, sauf peut-être pour le confort postopératoire,
l'ambulation précoce et le faible taux de complications respiratoires. Par contre, il n’est nullement
prouvé que l’atténuation de la réponse au stress, l’extubation hâtive et l’analgésie intense affectent le
devenir des patients à long terme. Le rapport risque / bénéfice est pour l’instant indéterminable, car le
risque réel est encore aléatoire vu le faible nombre de cas publiés [1]. Les seuls bénéfices prouvés sont
une meilleure analgésie postopératoire, une extubation précoce, une diminution des complications
respiratoires et une réduction possible de l’incidence de FA, mais les risques associés sont réels et
potentiellement catastrophiques. Même en l’absence de complication neurologique, on ne peut pas
démontrer de bénéfice consistant par rapport aux autres techniques [6,7]. En ce qui concerne la
péridurale, la crainte majeure tient aux conséquences épouvantables d’un hématome spinal haut. Il est
donc impératif de suivre les recommandations habituelles concernant la loco-régionale et
l’anticoagulation [2,3]. Une ponction hémorragique commande le renvoi du cas de 24 heures.

La réponse aux deux questions majeures - l’ALR améliore-t-elle le devenir des patients ? et quel est le
risque de la technique ? - n’est pas claire pour l’instant. L’évidence récente d’une cardioprotection
efficace par les antiplaquettaires risque de limiter l’impact de la péridurale en chirurgie de
revascularisation coronarienne. Le risque hémorragique que l’on fait encourir aux malades, même s’il
est faible, n’est nullement obligatoire, puisque d’autres méthodes éprouvées sont disponibles et
efficaces. Il est peu probable que de grandes études prospectives puissent apporter une réponse plus
tranchée, car l’apport de l’ALR reste marginal. Il est donc prudent de considérer que, en principe, la
péridurale est mieux adaptée aux cas sans CEC. Dans la chirurgie avec CEC, les avantages de la loco-
régionale sont trop discrets pour en justifier les risques [5]. Elle pourrait toutefois présenter des
avantages significatifs chez les obèses morbides, chez les patients souffrant de pneumopathies sévères
et chez les personnes âgées [4].

Anesthésie loco-régionale en chirurgie cardiaque

Aucune étude n’a démontré un impact significatif sur le devenir des malades: il n'y a pas de baisse de
la mortalité ni de l'incidence d'infarctus, d’ictus ou d’insuffisance rénale. Bien qu’elle offre une
excellente analgésie et améliore le status respiratoire (extubation précoce, baisse des complications),
l’ALR présente une invasivité et un risque neurologique (hématome péridural sous anticoagulation)
majeurs qui limitent son utilisation à large échelle. Elle est plus logique dans les cas sans CEC. Dans
la chirurgie avec CEC, ses avantages sont trop discrets pour en justifier les risques. De plus, la
fréquence et l’importance du traitement antiplaquettaire chez les porteurs de plaques instables ou de
stents coronariens sont une contre-indication à la technique.

Références

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Médicaments cardiovasculaires utiles en peropératoire
Cette section comprend des généralités pharmacologiques sur les principaux agents vasoactifs utilisés
en salle d’opération. Elles sont résumées dans le Tableau 4.22 et le Tableau 4.23[1,2,3,4].

Références

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4 SMITH D. Cardiovascular and pulmonary pharmacology. In: ALSTON RP, MYLES P, RANUCCI M, eds. Oxford Textbook of
Cardiothoracic anesthesia. Oxford: Oxford University Press, 2015, 69-82

Tableau 4.22
Effets comparatifs des agents vaso-actifs

Substances Précharge RAS RAP Fréquence Contractilité Conduction

Adrénaline
< 0.03 mcg/kg/min ↓ ↑ ↑ ↑
0.03-0.15 mcg/kg/min ↓ ↑ ↑ ↑↑ ↑
> 0.15 mcg/kg/min ↓↓ ↑↑↑ ↑↑ ↑↑↑ ↑
Dopamine
1-3 mcg/kg/min ↓(δ) ↑
3-10 mcg/kg/min ↓ ↑ ↑ ↑↑ ↑↑ ↑
> 10 mcg/kg/min ↓ ↑↑↑ ↑ ↑↑ ↑↑ ↑
Dobutamine ↓ ↓ ↓ ↑↑ ↑↑ ↑
Dopexamine ↓↓ ↓ ↑ ↑ ↑
Noradrénaline ↑↑↑ ↑ (↓) ↑
Isoprénaline ↓ ↓↓ ↓↓ ↑↑↑ ↑↑ ↑↑↑
Ephédrine ↑ ↑ ↑ ↑
IPDE-3 ↓↓ ↓↓ ↓↓ ↑↑
IPDE-5 ↓ ↓↓↓
Levosimendan ↓ ↓↓ ↓↓ ↑ ↑↑
Phényléphrine ↑↑↑ ↑ (↓)
Vasopressine ↑↑↑ (↓)
Calcium ↑↑ ± ↓
Phentolamine ↓↓↓ ↓ ↑↑
Nitroglycérine ↓↓↓ ↓↓ ↓ (↑)
Nitroprussiate ↓↓ ↓↓↓ ↓ (↑)
NO• ↓↓↓
Clévidipine ↓↓↓ ↓↓ (↑)
Tolazoline ↓↓ ↓↓ (↑)
Clonidine ↓↓
Dexmédétomidine ↓↓ ↓↓ ↓
Fenoldopam ↓↓↓ ↓
Anticalciques ↓↓ ↑-↓ ↓ - ↓↓ ↓
Neseritide ↓ ↓↓ ↓↓

RAS : résistance artérielle systémique. RAP : résistance artérielle pulmonaire. Les parenthèses indiquent une activité
réflexe non liée à l’action de la substance. - : selon les substances.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tableau 4.23
Dosages des principales substances utilisées dans le traitement de la défaillance ventriculaire

Substance Dose de charge Perfusion

Dopamine 1-5 mcg/kg/min


Dobutamine 1-10 mcg/kg/min
Adrénaline 0.01-0.15 mcg/kg/min
Isoprénaline bolus 10 mcg 0.01-0.05 mcg/kg/min
Noradrénaline 0.01-1 mcg/kg/min
Dopexamine 1-5 mcg/kg/min
Amrinone 1,5 – 2.0 mg / kg 5 – 30 mcg/kg/min
Milrinone 50 - 75 mcg / kg iv 0.4-0.75 mcg/kg/min
5 mg en inhalation
Enoximone 0.5 – 1.0 mg / kg 5 – 10 mcg/kg/min
Levosimendan 6 mcg/kg* 0.1-0.2 mcg/kg/min
Neseritide 2 mcg/kg 0.01-0.03 mcg/kg/min
Thyroxine 0.03-0.5 mg/kg/min
Vasopressine 1-5 U/h
Nitroprussiate de Na 1 - 10 mcg/kg/min
Nitroglycérine 20 mcg 10 - 100 mcg/min
Epoprosténol 2 ng/kg/min 2-20 ng/kg/min
Treprostinil 1.25-2.5 ng/kg sous-cutané 1.25 ng/kg/min en perf iv
Iloprost 2.5-5.0 mcg/dose en inhalation 10-20 mcg en 20 min
Nifédipine 15 mcg/kg/heure
Nicardipine 0.5 mg/min 1-15 mg/heure
Diltiazem 0.1 mg/kg/heure
Clevidipine 1-2 mg/heure jusqu’à 32 mg/heure (maximum)
Sildénafil 0.25-0.75 mg/kg aux 4-6 heures

* : à la condition que la pression artérielle soit normale

Catécholamines

Bien qu’il y ait peu d’évidence scientifique pour justifier le choix d’un agent particulier comme
routine, il est important de sélectionner les agents inotropes en fonction de la situation clinique et de
leur profil pharmacologique. Qu’elles soient naturelles (dopamine, adrénaline, nor-adrénaline) ou
synthétiques (dobutamine, dopexamine, isoprénaline), les catécholamines interagissent avec un certain
nombre de récepteurs (voir Tableau 4.16, page 135).

 Récepteurs α1 : postsynaptiques, ils déclenchent la vasoconstriction artérielle et veineuse ;


très peu nombreux dans l’arbre vasculaire pulmonaire ; dans le cœur, effet inotrope positif et
chronotrope négatif.
 Récepteurs α2 : présynaptiques, ils diminuent la production de nor-adrénaline par un rétro-
contrôle négatif sur les terminaisons nerveuses sympathiques.
 Récepteurs β1 : ils augmentent la contractilité myocardique, la fréquence, la conduction et
l’automaticité, améliorent la relaxation protodiastolique et stimulent la sécrétion de rénine.
 Récepteurs β2 : ils relâchent la musculature lisse dans les vaisseaux et les bronches ;
responsables des effets métaboliques (hyperglycémie, acidose) ; dans le myocarde, ils sont
inotropes et chronotropes positifs à un degré moindre que les récepteurs β1.
 Récepteurs β3 : dans le cœur sain, effet inotrope négatif ; ils ne sont actifs que lors de fortes
stimulations sympathiques ou dans l’insuffisance ventriculaire.
 Récepteurs δ (DA1 et DA2) : vasodilatation mésentérique, splanchnique et rénale.

Les cardiostimulants et les vasopresseurs améliorent le débit cardiaque et la pression artérielle au prix
d’une augmentation du travail myocardique. Le bénéfice réel est déterminé par le rapport DO2/VO2 ; il

187
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
est quantifié par la SvO2. Chez le coronarien, les agents inotropes élèvent le DO2 au détriment de la
mVO2 : l’effet est contre-productif au-delà d’un certain seuil.

La plasticité des récepteurs leur permet de s’adapter constamment au milieur ambiant (voir Chapitre 5,
Couplage excitation-contraction). Une stimulation β continue comme une perfusion de catécholamine
met en marche les systèmes inhibiteurs ; sur un cœur sain, la tolérance s’installe en moins d’une heure.
La désensibilisation (down-regulation) des récepteurs β est l’affaire de 24 heures à quelques jours [3].
Il est donc naturel qu’il n’y ait pas de dosage fixe pour les catécholamines, et que l’efficacité de ces
substances diminue avec la durée. Lors de la stimulation sympathique chronique engendrée par
l’insuffisance ventriculaire, la proportion des récepteurs β1 diminue de moitié : ils représentent moins
de 40% du total des récepteurs (au lieu de 80%). La proportion des récepteurs β2 (chronotropes
positifs) augmente à 40% et celle des récepteurs α1 (inotropes positifs) à 20% [2]. Dans ces
conditions, les stimulants β1 sont moins efficaces que les agents α et β (adrénaline) ou les agents qui
utilisent d’autres voies que les récepteurs β (milrinone, levosimendan). C’est la raison de l’efficacité
de la combinaison adrénaline + milrinone en sortant de CEC chez les patients qui ont une FE basse (<
0.3). Le polymorphisme génétique des récepteurs fait que certains patients sont de forts répondeurs et
d’autres de faibles répondeurs ; les variations individuelles dans les effets hémodynamiques sont très
importantes. L’activité des agents qui ont un effet indirect, comme la dopamine ou l’éphédrine,
dépend des réserves en noradrénaline des termninaisons nerveuses sympathiques ; elle est donc faible
chez les patients dont le système neuro-humoral est épuisé (longs séjours en soins intensifs, situations
de stress prolongé, etc).

Comme pour toute substance puissante, l’administration de catécholamine doit répondre à un besoin,
non à une routine. Elle est fondée sur une indication précise, basée sur la recherche d’un effet
particulier. Une indication indiscriminée entraîne davantage d’effets secondaires inopportuns
(tachycardie, arythmie, augmentation de la VO2, infarctus) que de bénéfices hémodynamiques : chez
les malades qui n’en dépendent pas pour leur survie, la dobutamine double le risque de morbidité
cardiaque (OR 2.2) [5]. Dans une étude observationnelle portant sur 6'005 patients et basée sur un
appariement par score de propensité, l’utilisation d’agents inotropes en périopératoire s’est avérée être
associée à une augmentation de la mortalité à 1 an (HR 2.5), du risque d’infarctus (HR 2.1) et du
risque d’ictus (HR 2.4) [7]. En cardiologie, les malades en insuffisance cardiaque traités par
dobutamine ont une mortalité 50% plus élevée que celle des patients contrôles (HR 1.47) [8]. Plus
récemment, une vaste méta-analyse portant sur 177 études (28’280 patients) s’est révélée moins
pessimiste [1]. Dans cette étude, les agents inotropes ne modifient pas la mortalité (RR 0.98), sauf le
lévosimendan qui la diminue (RR 0.80); dans les situations particulières de la vasoplégie, de la sepsis
et de la chirurgie cardiaque, ils tendent même à améliorer la survie (RR 0.73, 0.76 et 0.70,
respectivement). Le bénéfice des catécholamines est donc limité à l’amélioration à court terme de la
défaillance ventriculaire, par exemple après chirurgie cardiaque.

Les perfusions d’agents inotropes et vasopresseurs sont connectées à une voie veineuse centrale
confirmée en place (ETO, aspiration de sang veineux, etc) pour deux raisons.

 Le débit périphérique est faible et la distribution aléatoire ;


 L’extravasation sous-cutanée entraîne une nécrose tissulaire.

En l’absence de voie centrale, la perfusion peut être momentanément raccordée à une voie
périphérique si le débit de perfusion y est élevé et si le point de ponction peut être surveillé en
permanence.

Adrénaline

L’adrénaline est la catécholamine naturelle sécrétée par la médullo-surrénale. Elle a des effets directs
α1, α2, β1 et β2 dont la traduction hémodynamique varie en fonction de la dose.

188
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 0.01-0.03 mcg/kg/min : effet β prédominant ; augmentation de la contractilité mais baisse des
RAS ;
 0.03 – 0.15 mcg/kg/min : effets α et β, mais β > α ;
 > 0.15 mcg/kg/min : effets α et β, mais α >> β.

A tous les dosages l’adrénaline augmente la contractilité, la fréquence et le débit cardiaque, mais à
hautes doses la vasoconstriction périphérique peut représenter une élévation excessive de la postcharge
pour le VG. A augmentation égale du volume systolique, la tachycardie est moins importante qu’avec
la dopamine ou la dobutamine. Les effets métaboliques se caractérisent par une hyperglycémie et une
lactacidémie. La demi-vie est de 1-2 minutes.

Indications cliniques :

 Bas débit cardiaque, choc cardiogène ; particulièrement efficace si associée à la milrinone


pour les sorties de pompe difficiles, l’insuffisance gauche décompensée et l’insuffisance droite
avec HTAP. Certains centres l'utilisent à bas dosage en lieu et place de dopamine ou de
dobutamine.
 Arrêt cardiaque, dissociation électro-mécanique, réanimation.
 Réaction anaphylactique.
 Bronchospasme.
 Perfusion iv 0.01-0.3 mcg/kg/min (voie veineuse centrale).
 Bolus iv 0.03-0.2 mcg/kg ; en réanimation, bolus 0.5 -1.0 mg iv, à répéter selon besoins.

Un dosage excessif pendant la phase d’hypotension ou de réanimation conduit souvent à une poussée
hypertensive lorsque la circulation se rétablit ; le risque est une tempête sympathique conduisant à une
dilatation et à une dysfonction aiguë du VG par augmentation disproportionnée de la postcharge.

Dopamine

La dopamine (Dopamine®, Intropin®) possède des effets α1, β1, β2 et δ dont l’importance varie de
manière différente selon la dose perfusée.

 1-3 mcg/kg/min : effet δ dominant ; vasodilatation splanchnique et rénale ;


 3-10 mcg/kg/min : effets β1 et β2 dominants ; augmentation de la contractilité myocardique et
de la fréquence ; risque d’arythmie > 5 mcg/kg/min ; maintien des RAS par faible effet α1,
mais possible augmentation des RAP ;
 > 10 mcg/kg/min : effet α1 dominant ; augmentation des RAS et des RAP, baisse du débit
périphérique par vasoconstriction artérielle, HTAP.

Ces effets sont partiellement directs et partiellement indirects (libération de nor-adrénaline aux
terminaisons sympathiques). La réponse hémodynamique à la dopamine est donc variable selon la
population des récepteurs et selon les stocks de noradrénaline (diminution chez les patients en
insuffisance ventriculaire chronique). Chez les patients β-bloqués, les RAS augmentent de manière
disproportionnée car les effets β sont inhibés par compétition sur les récepteurs. Sa demi-vie
plasmatique est de 2 minutes.

Indications cliniques :

 Amélioration du DC et maintien des RAS ; pratique dans les cas de dysfonction ventriculaire
passagère après CEC avec PAP normale ;
 Amélioration de la perfusion rénale et splanchnique (?) ;

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Perfusions iv 2-5 mcg/kg/min ; éviter de dépasser 5 mcg/kg/min ; si l’effet hémodynamique
est insuffisant, passer à dobutamine/noradrénaline ou adrénaline/milrinone.

Bien qu’elle augmente la diurèse, la dopamine n’a pas d’effet protecteur rénal ; elle ne modifie pas
l’incidence de dysfonction ou d’insuffisance rénale postopératoire [6]. Tant que la dose reste ≤ 5
mcg/kg/min, l’arythmogénicité de la dopamine et de la dobutamine ne sont pas significativement
différentes ; à ces doses, la tachycardie est davantage liée à une hypovolémie ou à une anémie aiguë.
La dopamine tend à tomber en désuétude.

Dobutamine

La dobutamine (Dobutrex®) est une catécholamine synthétique avec un effet essentiellement β1 ; les
effets α1 et β2 sont très faibles ; il n’y pas d’effets α2 ni δ. Elle augmente la contractilité et la
fréquence, améliore la relaxation protodiastolique, et diminue les RAS et les RAP (le métabolite de la
dobutamine est un antagoniste α1). C’est un agent inotrope mais non un vasopresseur. A augmentation
similaire du volume systolique, elle élève davantage la fréquence cardiaque que l’adrénaline [4]. Sa
demi-vie plasmatique est de 2 minutes.

Indications cliniques :

 Bas débit cardiaque avec RAS et/ou RAP élevées ;


 Insuffisance ventriculaire ne répondant pas à 5 mcg/kg/min de dopamine ;
 Perfusion iv 1-15 mcg/kg/min.

La vasodilatation de la dobutamine oblige fréquemment à lui adjoindre une perfusion de nor-


adrénaline pour maintenir la pression de perfusion des organes. La dobutamine n’est pas recommandée
en cas de cardiomyopathie obstructive ou de sténose aortique. La dobutamine est plus onéreuse que la
dopamine et que l’adrénaline.

Dopexamine

La dopexamine est un analogue synthétique de la dobutamine, peu utilisé en clinique. Elle a un effet δ
puissant mais un effet α minime ; elle possède un effet β2 direct mais un effet β1 indirect, activé par la
libération de nor-adrénaline aux terminaisons sympathiques. Elle augmente le flux plasmatique rénal
et mésentérique, le DC et la fréquence, mais n’a pas d’effet vasoconstricteur. Sa demi-vie plasmatique
est de 10 minutes.

Indications cliniques :

 Bas débit cardiaque sans hypotension artérielle ;


 Perfusion iv 1-4 mcg/kg/min.

Isoprénaline

L’isoprénaline (Isuprel®) est une catécholamine synthétique dépourvue d’effets α, qui est le plus
puissant stimulant β1 et β2. Elle augmente la contractilité, la fréquence et la conductivité mais baisse
les RAS et les RAP. Le débit cardiaque augmente par effet inotrope et chronotrope positifs et par
baisse de la postcharge, mais la pression artérielle diminue. C’est un bronchodilatateur très efficace.
Le risque de tachycardie extrême, d’arythmies et d’hypotension est élevé. Sa demi-vie plasmatique est
de 3 minutes.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Indications cliniques :

 Bradycardie, bloc AV (dans l’attente d’un pace-maker) ;


 Bas débit cardiaque avec HTAP ou sur cœur dénervé (transplant) ;
 Bronchospasme réfractaire, status asthmatique ;
 Surdosage en β-bloqueur ;
 Torsades de pointe ;
 Bolus iv 10 mcg, à répéter selon besoin ;
 Perfusion iv 0.01-0.05 mcg/kg/min.

Catécholamines

Les catécholamines agissent en stimulant les récepteurs α1 (vasoconstricteur), α2 (↓ libération de


noradrénaline), β1 (inotrope, chronotrope et dromotrope positif), β2 (vaso- et bronchodilatateur) et δ
(vasodilatateur splanchnique et rénal). Une désensibilisation progressive des récepteurs survient lors
d’administration de > 24 heures. L’augmentation du DC et de la PA s’accompagne toujours d’une
augmentation de la mVO2. Le choix, l’indication et le dosage des catécholamines sont le fruit d’une
évaluation du bénéfice attendu par rapport au risque encouru en fonction de la situation clinique.

Adrénaline : stimulation α (prédominante si > 0.15 µg/kg/’) et β (prédominante si < 0.15 µg/kg/’) ;
réanimation : bolus 0.5-1.0 mg iv

Dopamine : stimulation δ (< 3 µg/kg/’), β (5-10 µg/kg/’) et α (> 10 µg/kg/’) ; agent simple, équilibré
et bon marché en cas de dysfonction ventriculaire passagère après CEC avec PAP normale ; éviter de
dépasser 5 µg/kg/’

Dobutamine : stimulation essentiellement β1, baisse les RAS et les RAP ; indication : bas DC avec
RAS et/ou RAP élevées

Dopexamine : stimulation δ et β, baisse les RAS et les RAP, léger effet inotrope et chronotrope

Noradrénaline : stimulation α, augmentation des RAS, léger effet inotrope

Isoprénaline : le plus puissant stimulant β1 et β2 ; inotrope et chronotrope positif, vaso- et


bronchodilatateur

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Agents inotropes non-catécholaminergiques

Inhibiteurs des phosphodiestérases-3

Les inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (IPDE-3) freinent le catabolisme de l’AMPc, ce qui


provoque une stimulation inotrope par augmentation de la [Ca2+]i sarcoplasmique en systole ; ils
améliorent la fonction diastolique (effet lusitrope). Comme leur action ne dépend pas des récepteurs β,
ces substances restent efficaces en cas de désensibilisation des récepteurs β membranaires
(insuffisance ventriculaire chronique, greffons cardiaques, longue CEC) ou en cas de β-blocage. Les
IPDE sont des inodilatateurs : ils présentent un effet inotrope positif, et un effet vasodilatateur sur les
vaisseaux de résistance (artères systémiques et pulmonaires) et de capacitance (grandes veines
centrales). Ils ne provoquent pas de tachycardie (absence d’effet chronotrope) et sont moins
arythmogènes que les catécholamines (Tableau 4.24) [8].

Tableau 4.24
Inhibiteurs des phosphodiestérases

Substances Dose de charge Perfusion tβ1/2

Anti-phosphodiestérases-3
Amrinone (Inocor®) 1,5 – 2.0 mg / kg 5 – 30 mcg/kg/min 3.5 h
Milrinone (Corotrop®) 50 – 75 mcg / kg 0.4-0.75 mcg/kg/min 2.3 h
Enoximone (Perfane®) 0.5 – 1.0 mg / kg 5 – 10 mcg/kg/min 6-7 h

Anti-phosphodiestérases-5
Dipyridamole
Persantine® 0.2-0.6 mg/kg
Asasantine® 200-400 mg/j per os
Sildanefil (Viagra®, Revatio®) 20-50 mg 3x/j per os
Tadalafil (Adcirca®) 40 mg/j per os

Indications cliniques de la milrinone (Corotrop®, Primacor®) :

 Dysfonction sévère du VG avec RAS et RAP élevées, inefficacité de la dobutamine;


 Insuffisance droite avec HTAP ;
 Bas débit cardiaque chez les patients β-bloqués ou déplétés en récepteurs β ;
 Dose de charge 50 mcg/kg (2-10 minutes), de préférence en CEC ;
 Perfusion iv 0.5 mcg/kg/min.

L’utilisation des IPDE-3 nécessite un remplissage accru pour maintenir une précharge adéquate, sauf
si la baisse de cette dernière est un des buts recherchés. Chez des patients hypovolémiques, les IPDE-3
entraînent une hypotension sévère difficile à gérer. L’administration de la dose de charge pendant le
réchauffement en CEC facilite la gestion de l’hypotension systémique (volume, augmentation du débit
de pompe). Le demi-vie sérique de la milrinone est de 2-3 heures. La milrinone induit moins
d'arythmies ventriculaires que les catécholamines (OR 0.33), mais ne modifie pas l'incidence de
fibrillation auriculaire (OR 1.09) [23]. Elle diminue la mortalité par rapport à un placebo (OR 0.19),
mais non par rapport à la dobutamine (OR 0.81); elle l'augmente par rapport au levosimendan (OR
2.58) [5,23]. La milrinone est contre-indiquée en cas d’insuffisance rénale.

192
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Calcium

Le calcium élève la concentration de Ca2+ extracellulaire et antagonise les effets de l'hyperkaliémie


intra-myocardique après cardioplégie, mais n'améliore la fonction cardiaque que chez les patients
hypocalcémiques (transfusion rapide de sang citraté), sous anticalciques ou surdosés en halogéné. En
normocalcémie, il augmente les RAS mais non la contractilité. Il présente un synergisme avec les
stimulants α mais un antagonisme avec les stimulants β. Une hypercalcémie aiguë lors de la
revascularisation peut provoquer une surcharge intracellulaire aggravant les lésions ischémiques et la
dysfonction diastolique, rigidifiant le myocarde (stone heart), et induisant une vasoconstriction des
greffons artériels. En normocalcémie, les risques sont supérieurs aux bénéfices : bradycardie sinusale,
ralentissement de la conduction AV, absence d’effet inotrope, antagonisme avec les stimulants de
l’AMPc (β-agonistes), spasme artériel (greffon mammaire, artère radiale), augmentation des lésions de
reperfusion. Sauf si un échantillon de sang démontre une hypocalcémie ou une hyperkaliémie,
l’administration de routine de calcium à la mise en charge est injustifiée.

Indications cliniques :

 Hypocalcémie (valeur normale : 1.0-1.3 mmol/L) ;


 Hyperkaliémie ;
 Surdosage en bloqueur calcique et en halogéné ;
 Bolus 2-4 mg/kg (10 mL de CaCl2 10% contiennent 272 mg Ca2+, alors que 10 mL de
gluconate de Ca2+ 10% en contiennent 93 mg).

Sensibilisateur calcique: levosimendan

Le levosimendan (Simdax®) possède un effet inotrope positif lié à plusieurs effets particuliers de la
susbstance [17].

 Effet sensibilisateur de la troponine C au calcium; l'augmentation de la force de contraction a


lieu sans élévation du taux de Ca2+ intracytoplasmique;
 Activité anti-phosphodiestérase III;
 Effet vasodilatateur artériel par l'ouverture des canaux KATP des cellules musculaires lisses
artériolaires;
 Cardioprotection par activation des canaux KATP des mitochondries, mécanisme analogue à
celui du préconditionnement.

Le levosimendan n’entraîne pas de tachycardie ni d’augmentation de la mVO2 [17]. Il reste efficace


chez les patients β-bloqués. Son action clinique est donc particulièrement favorable dans le cadre de la
chirurgie cardiaque et des soins intensifs: amélioration de la contractilité, baisse de la précharge et de
la postcharge, préservation du rapport DO2/VO2 coronarien. Sa demi-vie est de 1-1.5 heure, mais son
métabolite actif (OR 1896) a une demi-vie est de 75-80 heures. Son effet se prolonge sur une semaine
[21]. Ses principaux effets secondaires sont l'hypotension, les céphalées et l'hypokalémie; une
inhibition plaquettaire est possible [18]. Le levosimendan est le seul agent inotrope qui soit associé à
une diminution de la mortalité à long terme. Le rapport de risque (RR) pour la mortalité est de 0.68
comparé à la dobutamine ; il est de 0.75 en cardiologie et de 0.40 en chirurgie de revascularisation
coronaienne [11,12]. En chirurgie cardiaque, celle-ci est réduite de moitié chez les patients en
insuffisance ventriculaire qui bénéficient du levosimendan (OR 0.48) [11,12]. Ce bénéfice est d’autant
plus marqué que la fonction ventriculaire est plus mauvaise. Le risque d’insuffisance rénale
postopératoire est significativement diminué [7,22].

Indications cliniques [21] :

 Défaillance sévère du VG avec RAS et RAP élevées ;


 Insuffisance droite avec HTAP ;
193
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Bas débit cardiaque chez les patients β-bloqués ou déplétés en récepteurs β;
 Sevrage de l'ECMO (dès 2.5 L/min);
 Dose de charge (facultative) de 8-12 mcg/kg (de préférence pendant la CEC, à cause du risque
d’hypotension) ;
 Perfusion sur une seule période de 24 heures (0.05-0.3 mcg/kg/min).

Une deuxième perfusion n’est pas envisageable avant 3 jours. Bien que le coût du traitement soit son
principal inconvénient (une fiole de 12.5 mg revient à CHF 1’160.-), le levosimendan ne devrait pas
être envisagé seulement comme une intervention de sauvetage dans les cas dépassés, mais au contraire
assez tôt dans les cas de défaillance ventriculaire sévère gauche et/ou droite qui peuvent bénéficier
d’une inodilatation et d’une maîtrise de la consommation d’O2 [7]. Ainsi la perfusion démarrée la
veille de l'intervention, ou tout le moins avant l'induction de l'anesthésie, assure le meilleur bénéfice
lors de chirurgie cardiaque chez des patients souffrant de défaillance ventriculaire sévère [22]. Lors de
choc cardiogène postopératoire, une perfusion pendant les premières 24 heures d'une assistance
circulatoire par ECMO double les chances de sevrage (HR 0.41) et de survie à 30 jours (HR 0.52) [2].
Toutes les méta-analyses confirment que le lévosimendan diminue la mortalité de 20-30% (OR 0.69-
0.82) (voir Chapitre 12, Défaillance aiguë du VG) [9,19]. Pourtant, ce bel optimisme est battu en
brêche par deux essais contrôlés et randomisés comparant le levosimendan à un placebo en appoint au
soutien inotrope traditionnel chez des malades de chirurgie cardiaque en insuffisance ventriculaire.
Les deux ont utilisé un faible dosage (0.07 mcg/kg/min et 0.1 mcg/kg/min) pour éviter l'hypotension.
La perfusion est démarrée après la CEC dans le premier (506 patients) [10] ou avant l'induction dans
le second (849 patients) [13]. Ni l'un ni l'autre n'ont trouvé de différences entre la substance et le
placebo dans la mortalité à 30 jours, dans la durée de séjour en soins intensifs, dans l'incidence
d'infarctus, d'insuffisance rénale ou d'assistance circulatoire, même si le levosimendan diminue
l'incidence de bas débit cardiaque. Peut-être ne fait-il la différence qu'à haute dose, ou de manière
sélective entre les patients ischémiques et les patients valvulaires.

Digitale

La digoxine intervient sur les canaux échangeurs Na+/ Ca2+ de la membrane cellulaire en favorisant
l’entrée de Ca2+, ce qui accroît la libération de Ca2+ par le réticulum sarcoplasmique à chaque systole.
Elle augmente la contractilité et l’automaticité, mais freine la conduction AV. Elle possède
malheureusement un index thérapeutique très faible, les doses efficaces étant voisines des doses
toxiques (concentration plasmatique recommandée: 1-2 mcg/L). Son pic d’activité est atteint en 1-3
heures et sa demi-vie est longue (35 heures, prolongée à 4 jours en cas d’insuffisance rénale). Sa
toxicité (arythmies, bloc AV) est potentialisée par :

 Hypokaliémie, hypomagnésémie ;
 Hypercalcémie (administration peropératoire de Ca2+ dangereuse) ;
 Bloqueurs calciques, β-bloqueurs.

Indications cliniques :

 Réduction de la réponse ventriculaire dans les tachyarythmies supraventriculaires ;


 Dysfonction ventriculaire chronique ;
 Dose de charge iv ou im 10-15 mcg/kg en aliquots de 0.25 mg ;
 Entretien 0.125-0.250 mg/jour basé sur les taux sériques (taux thérapeutique 0.5-2.5 ng/mL).

Thyroxine

La thyroxine (T3) (tri-iodo-thyronine) améliore la contraction myocardique par de multiples voies


intracellulaires et mitochondriales. Elle possède un effet inotrope et lusitrope positif sans tachycardie.
Comme une longue CEC induit un état d’hypothyroïdisme, elle est utile pour la sortie de pompe chez

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
les malades dont le système neuro-humoral est épuisé, comme les malades de soins intensifs, les
donneurs d'organe ou les insuffisants ventriculaires terminaux [16]. Son action est contre-carrée par
les anti-calciques mais persiste en cas de β-blocage. Bien qu'une baisse du taux d'hormone
thyroïdienne circulante soit associée à l'insuffisance ventriculaire postopératoire, sa substitution donne
des résultats contradictoires allant de l'amélioration du DC à l'absence d'effet [1].

Indications cliniques :

 Etats d’épuisment neuro-humoral ;


 Insuffisance ventriculaire réfractaire ;
 Bolus iv 0.03 mcg/kg suivi d’une perfusions 0.4 mcg/kg en 6 heures.

Glucagon

Le glucagon induit la formation d’AMPc dans le foie et le coeur ; il a un effet inotrope et chronotrope
positif qui n’utilise pas la voie des récepteurs β. Ses inconvénients sont l’hyperglycémie,
l’hypokaliémie, les nausées, les vomissements et la tachycardie (sévère). Sa demi-vie sérique est de 2-
10 minutes. Son efficacité est marginale et n’a jamais été prouvée dans de grandes études
randomisées.

Indications cliniques :

 Insuffisance ventriculaire réfractaire avec hypoglycémie ;


 Surdosage en β-bloqueur ;
 Perfusion iv 25-75 mcg/min.

GIK

La solution Glucose-Insuline-Potassium (GIK) stimule le métabolisme du glucose et freine celui des


acides gras libres, ce qui contrecarre les altérations métaboliques qui surviennent dans les tissus
ischémiés [6]. Elle semble profitable essentiellement aux patients ischémiques avec dysfonction
ventriculaire sévère et diminution des récepteurs β myocardiques [24]. Après avoir été abandonnée,
elle a trouvé un regain d’intérêt suite à plusieurs études cliniques dont les résultats ne sont toutefois
pas entièrement convaincants.

 Administrée en préhospitalier en cas de syndrome coronarien aigu, la perfusion de GIK


diminue le taux de mortalité et d'arrêt cardiaque par rapport au placebo dans une série de 871
patients, mais elle ne modifie pas le taux d'infarctus [3].
 Après RVA ou PAC, la perfusion de GIK atténue la dysfonction post-CEC (OR 0.41) et
diminue les complications cardiovasculaires (OR 0.69) par rapport au placebo dans une série
randomisée de 222 patients à haut risque [4].
 L'effet d'une perfusion de GIK sur 1004 cas de STEMI est neutre par rapport au groupe
contrôle (976 cas) en terme de mortalité, de choc cardiogène, d'arrêt cardiaque ou de
réinfarctus [14].
 L'entretien de la normoglycémie (100-120 mg/dL) sous perfusion insulinique continue (5
UI/kg/min) et adaptation de la perfusion de glucose 20% réduit la morbi-mortalité après
chirurgie en CEC (OR 0.62) par rapport à la prise en charge standard, mais elle fait courir le
risque d'hypoglycémie (14% des cas) et oblige à doser la glycémie toutes les 10-15 minutes
[20].

Le régime peropératoire conseillé est : insuline 2-4 U/h, K+ 10-20 mmol/h, glucose 20% 10-15 g/h
(50-75 mL/h). Le but est de maintenir une glycémie peropératoire de 6-8 mmole/L [15].

195
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Agents inotropes non-catécholaminergiques

Ces substances agissent par des voies indépendantes des récepteurs β ; elles restent fonctionnelles
chez les malades β-bloqués ou en cas de désensibilisation des récepteurs β (insuffisance ventriculaire
chronique, longue CEC, etc).

Inhibiteurs des phosphodiestérases-3 (milrinone) : effet inotrope positif et vasodilatateur (artères


systémiques + pulmonaires et grandes veines centrales), sans effet chronotrope. Particulièrement
efficace en combinaison avec l’adrénaline en cas d’insuffisance VG et/ou VD avec HTAP.

Levosimandan : : inotrope positif et vasodilatateur artériel, sans effet chronotrope ni augmentation de


la mVO2 ; efficace dans l’insuffisance VG et/ou VD, particulièrement si coronaropathie associée ;
risque d’hypotension. Très coûteux, mais seul agent inotrope qui diminue la mortalité à long terme.

Digoxine : augmente la contractilité et l’automaticité, mais freine la conduction AV ; très faible


marge thérapeutique par rapport à sa toxicité. Indications : frein à la réponse ventriculaire dans la
FA, insuffisance VG chronique.

Thyroxine : effet inotrope et lusitrope positif sans tachycardie ; peut être utile chez les malades dont
le système neuro-humoral est épuisé.

Calcium : vasoconstricteur artériel (risque de spasme) ; effet inotrope positif seulement en cas
d’hypocalcémie, d’hyperkaliémie et de surdosage en anticalciques ou en halogénés.

Références

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Vasopresseurs

Ephédrine

L’éphédrine est un alcaloïde qui a une activité sympathicomimétique (effets α, β1 et β2) modeste et
indirecte (stimule la libération de nor-adrénaline) ; l’effet α veineux prédomine à faibles doses (voir
Tableau 4.22). La tachyphylaxie est fréquente. La demi-vie sérique est de 3 heures.

Indications cliniques :

 Hypotension sur hypovolémie et baisse des RAS sans tachycardie ; idéal en cas de
rachianesthésie ou de péridurale ;
 Baisse momentanée de la performance myocardique (surdosage anesthésique, induction) ;
 Bolus répétés de 5-10 mg (0.1-0.5 mg/kg) iv (voie périphérique ou centrale).

Phényléphrine

La phényléphrine (Néo-Synéphrine®) est un vasoconstricteur α1 synthétique puissant à prédominance


artérielle (↑ RAS), sans aucun effet β ; la fréquence cardiaque baisse par réflexe.

Indications cliniques :

 Hypotension sur baisse des RAS ; idéal pour le réglage momentané des RAS ;
 Hypotension en cas de coronaropathie ou de sténose aortique (effet bradycardisant) ;
 Bolus répétés de 50-100 mcg iv (voie périphérique ou centrale) ; dose maximale : 1-2 mg.

La phényléphrine réduit le débit cardiaque, augmente le stress de paroi du VG et élève la mVO2.


L’augmentation isolée des RAS est utile dans le cadre de la sténose aortique, de l’ischémie
coronarienne ou du shunt droite-gauche (tétralogie de Fallot) [14]. Mais l’augmentation de la
postcharge du VG (effet α pur) sans l’aide d’un effet β auxiliaire peut entraîner une dilatation et une
décompensation du ventricule, particulièrement en cas de dysfonction préalable ou d’insuffisance
aortique. C’est la raison pour laquelle il est recommandé de ne pas dépasser une dose totale de 1 mg,
sauf en CEC. Si quelques bolus de 100 mcg ne font pas l’effet désiré, passer à une perfusion de nor-
adrénaline.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Nor-adrénaline

La nor-adrénaline (Levophed®) est une catécholamine naturelle qui est le principal neurotransmetteur
sympathique postganglionnaire, synthétisé dans les neurones et la médullo-surrénale. Elle a un effet
α1 et α2 puissant, et un effet β1 faible (in vivo). Elle augmente beaucoup la postcharge (↑ RAS) et un
peu la contractilité ; la fréquence tend à baisser par réflexe (selon la dose) malgré un léger effet
chronotrope intrinsèque; en conséquence, le débit cardiaque n’augmente pas. Elle modifie peu les
RAP (récepteurs α rares dans le lit pulmonaire).

Indications cliniques :

 Hypotension nécessitant un besoin > 1 mg de néosynéphrine ;


 Hypotension sur vasoplégie ;
 Maintien de la pression de perfusion coronarienne et cérébrale ;
 Maintien du support interventriculaire par le VG en cas d'insuffisance droite;
 Perfusion iv 0.05 – 0.5 mcg/kg/min, exclusivement par voie centrale.

La nor-adrénaline est fréquemment associée à la dobutamine et au levosimendan pour le maintien de la


pression artérielle systémique en cas de dysfonction ventriculaire. Lors d’insuffisance ventriculaire
chronique, son effet inotrope positif est plus prononcé à cause de la prédominance des récepteurs α
intramyocardiques.

Vasopressine

La vasopressine (Pitressine®) est dérivée de l’hormone anti-diurétique naturelle ; elle provoque une
vasoconstriction artérielle intense par stimulation des récepteurs V1 de la musculature lisse,
indépendamment des récepteurs catécholaminergiques. Elle provoque relativement davantage de
vasoconstriction dans la peau, les muscles et les viscères que dans les coronaires et les reins. Elle
provoque moins de vasoconstriction coronarienne, rénale et splanchnique que la noradrénaline pour le
même résultat sur la pression systémique [11]. Toutefois, la prédominance de réponse
vasoconstrictrice dans le réseau coronarien droit fait courir un risque d'ischémie du VD lors de
perfusion à haute dose [12]. Elle réduit le taux de complications en cas de choc distributif (OR 0.25-
0.33), mais sans réduction de mortalité [3]. Elle tend à diminuer le taux d'insuffisance rénale par
rapport à la noradrénaline [4]. Elle n’augmente pas la PAP car le rapport entre les récepteurs V1
(vasoconstriction) et V2 (vasodilatation) est en faveur des seconds dans le lit pulmonaire; elle a un
effet vasodilatateur pulmonaire à faible dosage (< 0.07 UI/min), mais un effet vasoconstricteur
seulement à forte dose (> 0.2 U/min) [2]. Elle ne cause ni tachycardie, ni arythmies, ni hypertension
pulmonaire et reste active en cas d’hypoxie ou d’acidose. Sa demi-vie sérique est de 6-10 minutes.

Indications cliniques :

 Vasoconstricteur artériel de réserve lorsque la nor-adrénaline est insuffisante (persistance de


PAM < 55 mmHg, RAS < 600 dynes•s•cm-5) ;
 Hypotension réfractaire sur vasoplégie massive ou choc septique ;
 Hypotension systémique en cas d’HTAP ou d’insuffisance droite ;
 Perfusion iv 1-4 U/heure ;
 Arrêt cardiaque : 40 U iv.

Bleu de méthylène

Le cGMP provoque une puissante relaxation de la musculature lisse (vasodilatation) et un effet


inotrope négatif. Sa synthèse est déclenchée par le NO•, les interleukines, les radicaux libres et le

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
syndrome inflammatoire. Le bleu de méthylène (BM) agit comme un antagoniste du NO• (inhibition
de la NO-synthase) et un bloqueur du cGMP, utile dans le choc vasoplégique résistant aux
vasoconstricteurs habituels [9]. Au dosage de 1-2 mg/kg en 20 minutes suivi d'une perfusion de 2
mg/kg/h (demi-vie 5-6 heures), le BM peut rétablir les RAS et la pression artérielle en moins de 2
heures dans les situations où les autres vasopresseurs sont restés inefficaces [7,8,9,13]. Son bénéfice
est maximal s'il est administré tôt dans le déclenchement de l'hypotension [10]. La vasoplégie induite
par la protamine est un cas à part, car le BM pourrait y accentuer la poussée hypertensive pulmonaire
[9].

Toutefois, il présente des effets secondaires potentiellement dangereux à dose élevée (> 7 mg/kg):
hémolyse, méthémoglobinémie, arythmies, vasoconstriction rénale, splanchnique et coronaire,
hypertension pulmonaire, neurotoxicité [1,6]. Il possède une activité de type IMAO qui, en présence
d'antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine/noradrénaline ou de type tricyclique, peut
conduire à une hyperactivité sérotoninergique (serotonin syndrome) dans le système nerveux central
accompagnée d'agitation, de confusion, de myoclonies et d'instabilité du système autonome
(hyperthermie, tachypnée, tachycardie) [5]. Il inhibe le cytochrome P450 et prolonge l'effet de
substances comme les fentanils, la digoxine, la ciclosporine ou le tacrolimus [9]. Il est contre-indiqué
en cas d’insuffisance rénale et pendant la grossesse, ainsi que chez les patients sous NO. La peau, les
conjonctives et les urines apparaissent bleutées; la pulsoxymétrie n'est plus fiable et donne des valeurs
de SaO2 plus basses que la réalité [13].

Vasopresseurs

Ephédrine : effets α (veineux + artériel) et β modestes et indirects ; agent de première intention en


cas d’hypotension et de baisse des RAS sans tachycardie (induction, loco-régionale).

Phényléphrine : effets α artériel puissant sans aucun effet β, bradycardie réflexe ; idéal pour le
réglage momentané des RAS ; risque de défaillance du VG par excès de postcharge (pas d’ effet β)
en cas d’administration itérative.

Noradrénaline : stimulation α prédominante, augmentation des RAS ; léger effet inotrope positif,
plus marqué en cas d’insuffisance ventriculaire.

Vasopressine : vasoconstriction artérielle systémique (récepteurs V1) sans augmentation des RAP.

Bleu de méthylène: vasoconstricteur de sauvetage dans les vasoplégies post-CEC.

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Vasodilatateurs

L'utilisation des vasodilatateurs dans l'insuffisance cardiaque repose sur l'amélioration de la vidange
du ventricule défaillant lorsqu’on diminue sa postcharge. La baisse de la précharge induite
simultanément est un avantage dans la mesure où elle améliore la compliance ventriculaire, la tension
de paroi télédiastolique et la mVO2; elle devient un inconvénient dans la mesure où elle réduit trop la
pression de remplissage et fait reculer le myocarde vers la gauche sur la courbe de Starling (Tableaux
4.22 et 4.23) [14].

Nitroglycérine

La nitroglycérine (Perlinganit®) est un vasodilatateur direct producteur de NO• qui augmente le GMPc
dans la musculature vasculaire lisse. Elle dilate préférentiellement les veines et baisse la précharge du
cœur ; en CEC, elle diminue profondément le retour veineux vers la pompe. L’effet vasodilatateur
artériolaire systémique n’apparaît qu’aux hautes doses (≥ 10 mcg/kg/min). Elle a trois effets sur le
réseau coronarien :

 Relaxation du spasme ;
 Augmentation le flux sous-endocardique par rapport au flux des vaisseaux épicardiques ;
 Augmentation du flux par les collatérales.

La dilatation artérielle pulmonaire est utile en cas d’HTAP, mais elle inhibe la vasoconstriction
pulmonaire hypoxique. Une tolérance s’installe après 24 heures de perfusion. La nitroglycérine est
stable à la lumière mais absorbée dans les tubulures en PVC. Sa demi-vie est de 1-3 minutes.

Indications cliniques :

 Hypertension congestive, surcharge de volume ;


 Ischémie myocardique active ;
 Hypertension pulmonaire ;
 Bolus iv 50-100 mcg ;
 Perfusion 0.1-7.0 mcg/kg/min.

Les longues perfusions peuvent générer des taux importants de méthémoglobine, dont le traitement est
le bleu de méthylène (0.2 mg/kg iv).

Nitroprussiate de Na+

Le nitroprussiate (Nipride®) est un vasodilatateur direct : son groupe nitrate est converti en NO• qui
augmente le GMPc dans la musculature vasculaire lisse. Il dilate préférentiellement les artères à bas
dosage ; à hautes doses, par contre, il dilate artères et veines de manière équilibrée ; la vasodilatation
inhibe la vasoconstriction pulmonaire hypoxique (hypoxémie). La baisse des RAS cause une
tachycardie réflexe. La vasodilatation importante induite dans tous les lits vasculaires peut être

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
responsable d’un phénomène de vol : la baisse des RAS dans des territoires sains préalablement
vascoconstrictés détourne le sang des zones ischémiées qui étaient déjà maximalement vasodilatées.
La demi-vie du nitroprussiate est de 1-2 minutes. La solution est instable à la lumière.

Indications cliniques :

 Toute forme d’hypertension artérielle ;


 Perfusion 0.1-2.0 mcg/kg/min ; éviter de dépasser 2.0 mcg/kg/min ;
 Protéger la perfusion de la lumière ; le monitorage continu de la PA par un cathéter artériel est
obligatoire.

Le nitroprussiate (Fe(CN)5 NO) réagit avec l’Hb et libère des ions cyanures (CN-) hautement toxiques
qui inhibent la chaîne d’oxydo-réduction mitochondriale. Le risque survient lors de perfusion à hauts
dosages (> 8 mcg/kg/min ou > 1 mg/kg/24 heures) ou lors de l’inhibition des rhodanases hépatiques
qui détoxifient les ions CN- (CEC hypothermique). L’intoxication se manifeste par une tachyphylaxie,
une acidose métabolique et une SvO2 élevée. Le traitement est le thiosulfate de Na+, 150 mg/kg iv en
15 minutes.

NO•

Le monoxyde d’azote (NO•) est un vasodilatateur naturel qui augmente le GMPc et relâche la
musculature lisse (voir Chapitre 12, Traitement de l’HTAP). Il est synthétisé dans l’endothélium en
réaction aux forces de cisaillement pariétales et à la pulsatilité artérielle. Il est utilisé en inhalation
pour baisser la pression pulmonaire. Comme il dilate préférentiellement les zones bien ventilées, il ne
modifie pas la relation V/Q et ne provoque pas d’hypoxémie. Sa demi-vie sérique est environ 6
secondes, car il est immédiatement détoxifié par l’Hb (formation de méthhémoglobine) ; de ce fait, il
ne cause pas de vasodilatation systémique. Le NO• inhibe l’activité plaquettaire. L’interruption
brusque du traitement provoque un effet rebond [8].

Indications cliniques :

 Hypertension pulmonaire, défaillance ventriculaire droite ;


 Administration dans le circuit du respirateur (ou de la CPAP) ;
 Concentration 5-20 ppm.

Au contact de l’oxygène, le NO• forme de l’oxyde nitrique (N2 O2) toxique, dont le taux est surveillé en
permanence dans le circuit respiratoire.

Phentolamine

La phentolamine (Régitine®) est un vasodilatateur artériel qui agit par antagonisme compétitif sur les
récepteurs α1, α2 et 5-HT. Elle ne provoque pas de veinodilatation. Le blocage des récepteurs
présynaptiques α2 (inhibiteurs de la sécrétion de NA) et la baisse brusque des RAS induisent une
tachycardie réflexe importante. Son action est immédiate et sa demi-vie est de 5-10 minutes.

Indications cliniques :

 Poussées hypertensives ;
 Bolus iv 5 mg (0.1 mg/kg), à répéter selon besoin ;
 Perfusion 1-20 mcg/kg/min (tachycardie plus importante qu’avec le nitroprussiate).

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Tolazoline

La tolazoline (Priscol®) est un antagoniste compétitif des récepteurs α1, α2 ; elle stimule les
récepteurs muscariniques et provoque une dégranulation des mastocytes (libération d’histamine). Elle
a été très utilisée comme vasodilatateur pulmonaire, sans qu’on ait de preuves réelles de sa sélectivité
car elle abaisse les RAS.

Indications cliniques :

 Hypertension pulmonaire du nouveau-né ;


 Bolus 0.5-2.0 mg/kg, perfusion 0.5-10 mg/kg/heure.

Uradipil

L'uradipil (Uradipil Stragen®, Eupressyl®) est un antagoniste des récepteurs α1 vasculaires et un


agoniste des récepteurs sérotoninergiques 5-HT1A; il est également vasodilatateur pulmonaire. Il ne
déclenche pas de tachycardie réflexe. Son élimination est principalement rénale (demi-vie
d'élimination 2.5 heures). Dosage: 10-50 mg iv en 30 secondes; perfusion: dose de charge 2 mg/min,
entretien 5-20 mg/h.

Clonidine

La clonidine (Catapresan®) stimule les récepteurs présynaptiques α2, ce qui réduit la sécrétion de nor-
adrénaline aux terminaisons sympathiques. Elle diminue la pression artérielle sans tachycardie ni
baisse de la contractilité. Outre son effet sympathicolytique hypotenseur, elle potentialise l’effet des
agents d’anesthésie et des opiacés, prolonge la durée de l’anesthésie loco-régionale et diminue la
réponse au stress. Elle a une demi-vie de 12 heures.

Indications cliniques :

 Diminution de la réactivité sympathique : 2-3 mcg/kg iv ;


 Prémédication : 5 mcg/kg per os ;
 En loco-régionale : 1-2 mcg/kg dans la solution du bloc.

Dexmédétomidine

La dexmédétomidine (Dexdor®, Precedex ®) est un agoniste α2 plus sélectif que la clonidine (rapport
α1/α2 de 1:1'620). Elle provoque une excellente sédation sans dépression respiratoire et une analgésie
marquée; elle réduit l'incidence de délire postopératoire et, dans certaines études, les frissons et la
durée de la ventilation postopératoire [4,10]. L’effet s’installe en 10-15 minutes après le début de la
perfusion ; la demi-vie d’élimination est de 2-2.5 heures (biotransformation hépatique). Comme elle
diminue le taux de catécholamines endogènes circulantes, la dexmédétomidine abaisse la pression
artérielle (25-50%) et la fréquence cardiaque (15%) [1]. Mais l'effet sur la pression artérielle est
biphasique et varie selon la concentration: un bolus de dexmédétomidine (1 mcg/kg) induit une
hypertension, alors que la perfusion à dose plus basse (0.2-1.4 mcg/kg/h) provoque une hypotension.
Ce phénomène est probablement en relation avec la stimulation de différents α2-récepteurs: ceux de la
musculature lisse des parois vasculaires entraînent une vasodilatation, alors que ceux de l'endothélium
causent une vascoconstriction [3]. La fréquence cardiaque décroît de manière univoque avec la dose:
elle baisse d'environ 30% après 5 minutes d'une perfusion de 2 mcg/kg. En sédation profonde (1.6-3.6
ng/mL), la valeur du BIS est située entre 50 et 70 [2]. La dexmédétomidine potentialise l’effet des
anesthésiants (halogénés, propofol, midazolam), des opiacés et des curares [13]. En chirurgie de

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
revascularisation coronarienne, certains travaux tendent à démontrer un effet bénéfique sur
l'atténuation de la réponse sympathique à l'intubation [15], et une même diminution de la morbi-
mortalité [6]. Elle pourrait atténuer la réponse inflammatoire liée aux lésions d'ischémie/reperfusion
[5].

Ses inconvénients sont un risque de bradycardie, d'hypotension et d'hyperglycémie. Elle est contre-
indiquée en cas de bloc de conduction, de bradycardie et d’insuffisance ventriculaire; elle est
déconseillée chez les patients sous digoxine ou bloqueurs calciques [5]. Après chirurgie cardiaque, une
proportion voisine de 5% des patients développe une hyperthermie à 39-40°C environ 6 heures après
le début de la dexmédétomidine, probablement liée au syndrome inflammatoire post-CEC. Il est donc
recommandé de surveiller la température et d'interrompre le médicament dès que celle-ci dépasse
38.5°C [7]. Malgré ses avantages, la dexmédétomidine est un médicament relativement onéreux (CHF
5-10.- par heure en perfusion), dont le rapport coût/bénéfice n'est pas clairement déterminé [16].

Indications cliniques :

 Sédation-analgésie en salle (cathétérismes, pose d’endoprothèses, TAVI, etc) ou en soins


intensif. Dans le postopératoire, sédation efficace après utilisation d'halogénés;
particulièrement bien adaptée à l'extubation rapide (fast-track anaesthesia).
 Perfusion de charge de 0.5 – 1.0 mcg/kg en 10 minutes.
 Perfusion d’entretien de 0.2 – 1.0 mcg/kg/heure; début dès la mise en charge après la CEC;
durée maximale : 24 heures.
 Eviter la perfusion de charge et réduire les doses en cas d’association à des opiacés ou à
d’autres agents anesthésiants (propofol, midazolam, etc).
 Réduire les doses > 65 ans et en cas d’insuffisance rénale ou hépatique.
 Certains centres l'utilisent en continu dès l'induction ou dès le réchauffement de CEC,
notamment pour les cas en circuit rapide.

Fenoldopam

Le fenoldopam (Corlopam®) est un agoniste des récepteurs δ (DA-1) qui occasionne une
vasodilatation artérielle périphérique puissante, accompagnée d’une augmentation de la diurèse et de
la natriurèse. Il est dénué d’effets toxiques. Sa demi-vie est courte. Indications cliniques :

 Hypertension artérielle ;
 Perfusion 0.05-1.0 mcg/kg/min, à augmenter progressivement selon la réponse.

Anticalciques

Les bloqueurs calciques diminuent l’entrée de Ca2+ dans la cellule, ce qui freine la libération de Ca2+
par le réticulum sarcoplasmique et baisse la force de contraction myocardique; ils baissent la
conductivité électrique et allongent la période réfractaire du nœud AV. Les cellules musculaires lisses
des vaisseaux et le tissu de conduction sont particulièrement sensibles aux anticalciques. Ces agents
ont différents effets, très variables selon les substances (Tableau 4.25).

Indications cliniques spécifiques selon les effets propres des différents anticalciques :

 Vasodilatation artérielle dans tous les territoires, absence de veinodilatation ; l’amlodipine,


l’isradipine, la nifédipine, la nimodipine, la nicardipine et la clevidipine sont des
vasodilatateurs artériels purs, sans veinodilatation et sans effets inotrope ni chronotrope
négatifs.
 Effet inotrope négatif plus ou moins marqué ; le verapamil (Isoptin® 2.5-10 mg iv en 10 min)
est très inotrope négatif.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Bradycardie (verapamil, diltiazem) ou tachycardie (nifédipine, nicardipine).
 Antiarythmique (indication : tachycardie sus-jonctionnelle) : verapamil, diltiazem.
 Vasodilatation coronarienne (effet spasmolytique, augmentation du flux collatéral) :
diltiazem ; le diltiazem et le verapamil n’altèrent pas l’autorégulation, alors que la nifédipine
peut provoquer un syndrome de vol.
 Comme spasmolytique coronarien, le diltiazem (Dilzem®, Tildiem®, Cardizem®) est
l’anticalcique le plus utilisé en anesthésie cardiaque. Dose de charge iv : 20 mg/20 minutes
(0.25 mg/kg) ; perfusion : 5-15 mg/heure (2 mcg/kg/min) ; risque d’hypotension et de
bradycardie (patients β-bloqués) ; demi-vie : 3 heures.
 La nicardipine (Loxen®, Cardene®) s'administre par voie intraveineuse à raison de 0.5 mg/min
jusqu'à l'effet désiré (maximum 15 mg/h); elle provoque une certaine tachycardie.
 La clevidipine (Cleviprex®) est un vasodilatateur artériel sélectif du réseau systémique et
coronarien sans effet sur les vaisseaux de capacitance ni sur la précharge ; il ne provoque pas
de tachycardie. Par voie iv, il a une demi-vie de 10 min (métabolisation par les estérases
plasmatiques). Le dosage est 1-2 mg/h en perfusion, que l’on peut doubler toutes les 3-5
minutes jusqu’à l’effet désiré (dose maximale : 32 mg/h) [7]. La clevidipine permet un réglage
fin de la pression artérielle.

Tableau 4.25
Comparaison des différents bloqueurs calciques intraveineux

Substances Précharge RAS Fréquence Contractilité Conduction

Isradipine, nifédipine,
nicardipine, nimodipine - ↓↓ ↑↑ ±↓
Clevidipine - ↓↓↓ - - (demi-vie : 1 min)
Verapamil - - ↓↓ ↓↓ ↓↓
Diltiazem - ↓↓ ↓ ±↓ ↓

Nesiritide

Le nesiritide (Norataka®) est un nouvel agent dérivé du BNP (rBNP, Human recombinant Brain
Natriuretic Peptide). Ce peptide natriurétique est un vasodilatateur artériel direct qui augmente la
production de GMPc, d’où une relaxation de la musculature lisse, une vasodilatation des artères
systémiques, pulmonaires et coronaires, et une veinodilatation. Il n’y a pas d’effet inotrope ni de
tachycardie ni d’arythmies, mais un risque d’hypotension (15% des cas). Le nesiritide n’est indiqué
qu’en cas d’insuffisance congestive avec pression capillaire pulmonaire élevée (insuffisance cardiaque
stade IV). Il est contre-indiqué en cas d’hypotension et de choc cardiogène. Il ne modifie pas la
mortalité par rapport aux autres traitements médicaux, et pourrait même l'augmenter [11]. Sa place
réelle n’est pas bien définie [9,17], mais il ne fait pas partie des substances recommandées de routine
[12].

Indications cliniques :

 Mal définies ;
 Baisse de la postcharge dans l’insuffisance ventriculaire congestive ;
 Dose de charge 0.5-2 mcg/kg ;
 Perfusion iv 0.01 mcg/kg/min (max 0.03 mcg/kg/min) pendant 24 à 48 heures ; coût : 500 €
pour 1.5 mg.

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Vasodilatateurs

Nitroglycérine : veinodilatation prédominante (baisse de précharge), diminution moindre des RAS et


des RAP ; réseau coronarien : sapsmolytique, augmentation du flux sous-endocardique et collatéral.
Indications : hypertension congestive, ischémie coronarienne, HTAP.

Nitroprussiate : vasodilatation artérielle systémique et pulmonaire ; tachycardie réflexe. Risque :


syndrome de vol, inhibition de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique, toxicité (ions CN-).

Phentolamine : baisse rapide et importante des RAS, tachycardie ; idéal pour le réglage momentané
de la pression artérielle.

Anticalciques : vasodilatateurs artériels sans effet veineux, antiarythmiques ; effets inotrope négatif
et chronotrope variables selon les substances. Diltiazem : spasmolytique coronarien. Clevidipine,
nicardipine : hypotenseurs artériels sélectifs.

NO• (inhalation) : baisse sélective des RAP, sans effet systémique.

Clonidine : stimule les récepteurs α2 présynaptiques (↓ nor-adrénaline aux terminaisons


sympathiques) ; baisse des RAS sans tachycardie ; potentialise l’effet des agents d’anesthésie et des
opiacés, prolonge la durée de l’anesthésie loco-régionale et diminue la réponse au stress.

Dexmédétomidine : stimule les récepteurs α2 présynaptiques (↓ nor-adrénaline) ; sédation-analgésie


confortable sans dépression respiratoire, mais accompagnée d’hypotension et de bradycardie ;
potentialise l’effet des agents d’anesthésie et des opiacés.

Fenoldopam : agoniste des récepteurs δ ; vasodilatation artérielle périphérique, avec augmentation de


la diurèse et de la natriurèse.

Neseritide : veinodilatation et vasodilatation artérielle systémique, pulmonaire et coronaire ;


efficacité peu prouvée lors d’insuffisance congestive ; très onéreux.

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Agents anti-arythmiques

Chez un patient sous anesthésie générale et surveillé avec une ETO (recherche de thrombus
intracavitaire), le choc électrique est le traitement de première ligne en cas de fibrillation/tachycardie
ventriculaire (FV/TV) et de fibrillation auriculaire (FA) (voir Chapitre 20, Traitements
antiarythmiques).

 FA : cardioversion synchrone 2-10 Joules par palettes internes ; à répéter 1-2 fois ;
 FV/TV : défibrillation 5-20 Joules par palettes internes (maximum : 50 J) et 150-350 J par
palettes externes ; à répéter autant de fois que nécessaire.

Les arythmies d’origine mécanique (canules, mandrin, manipulations chirurgicales) cessent lorsque
la stimulation disparaît ; elles ne réclament aucune thérapeutique, sauf si elles persistent après retrait
des canules et arrêt des manœuvres. Les lésions de reperfusion peuvent entraîner des arythmies
ventriculaires extrêmement réfractaires qui nécessitent des dizaines de défibrillations successives
pendant plusieurs heures mais dont le pronostic à long terme est excellent. Il est important d’être très
tenace dans la thérapeutique.

Amiodarone

L’amiodarone (Cordarone®) bloque les canaux K+ (hyperpolarisation de la cellule), avec un blocage


additionnel des canaux Na+ et Ca2+ (classe III) ; elle ralentit la fréquence sinusale et la conduction
AV. Elle baisse les RAS et la contractilité. Elle peut entraîner un bloc complet. A long terme, elle
peut engendrer une dysfonction thyroïdienne et hépatique, une fibrose pulmonaire, une
photosensibilisation. La demi-vie est de plusieurs jours ; l’accumulation tissulaire est très importante.

Indications cliniques :

 Fibrillation et tachycardie ventriculaires ;


 Tachy-arythmie sus-jonctionnelle ;
 Dose de charge iv 5 mg/kg en 10-20 minutes, à répéter si nécessaire ; en cas de réanimation :
bolus 150-300 mg ;
 Perfusion 1 mg/min pendant 6 heures, puis 0.5 mg/min.

Lidocaïne

La lidocaïne (Xylocaïne®) est un bloqueur des canaux sodiques (classe 1B). Sa demi-vie est de 1
heure (prolongée en cas d’hépatopathie et de vieillesse).

Indications cliniques :

 Fibrillation et tachycardie ventriculaires ;

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Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Dose de charge iv 1 mg/kg, à répéter après 10 minutes si nécessaire ; pendant la CEC 1.5
mg/kg (augmentation du Vd) ;
 Perfusion 15-50 mcg/kg/min (1-4 mg/min).

La lidocaïne ralentit le rythme ventriculaire : risque d’asystolie chez les patients avec un bloc AV
complet.

Magnésium

Le magnésium est un compétiteur du calcium ; c’est un vasodilatateur artériel systémique et


pulmonaire, sans vasodilatation veineuse. Il a des effets antiarythmiques et anticonvulsivants. Son
activité anti-NMDA lui confère probablement des qualités de protection cérébrale et d’antalgie. Il
offre une grande marge de sécurité et il est bon marché [3].

Indications cliniques :

 Eclampsie (prévention des convulsions) ;


 Hypertension systémique et pulmonaire ;
 Arythmies sus- et sous-jonctionnelles ;
 Bolus iv 1-4 g (50 mg/kg), à répéter après 10 minutes.

Le magnésium est particulièrement indiqué dans les situations d’hypomagnésémie comme celle
induite par la CEC. Il est un appoint aux chocs électriques et à la lidocaïne lors de fibrillation
ventriculaire persistante en fin de pompe.

Adénosine

L’adénosine (Adenocard®, Krenosine®, Arteriotonine®) bloque momentanément l’automaticité du


nœud du sinus et ralentit la conduction. Sa demi-vie est de 10 secondes.

Indications cliniques :

 Interruption de tachycardie supraventriculaire paroxystique ;


 Induction d’un arrêt circulatoire momentané par pause sinusale (20 secondes) ;
 Bolus 6 mg iv, répéter avec 12 mg si insuccès.

β-bloqueurs

Les β-bloqueurs se combinent de manière compétitive aux récepteurs β et les inhibent ; certains
agissent également sur les récepteurs α (carvédilol, labétalol) ; d’autres ont un effet
sympathicomimétique propre (acébutalol, céliprolol, oxprénolol, pindolol). Ce dernier effet permet
de mieux maintenir le débit cardiaque mais d’abaisser davantage les RAS (Tableau 4.26).

Les β-bloqueurs réduisent la mortalité dans l’infarctus myocardique et l’insuffisance ventriculaire.


Ils diminuent le risque opératoire et l’incidence d’ischémie chez les patients coronariens,
hypertendus et cardiopathes, mais tendent à augmenter la mortalité chez les patients à bas risque
cardiovasculaire (voir Chapitre 3, β-bloqueurs) [1,2,7]. Leurs effets sont multiples.

 Bradycardie (allongement de la diastole) ;


 Effet inotrope négatif, baisse de la vélocité d’éjection du VG ;
 Hypotension systémique ;
 Ralentissement de la conduction AV, baisse de l’automaticité ;
207
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Réduction de la mVO2 ;
 Inhibition de la libération de rénine ;
 Inhibition de la désensibilisation des récepteurs β (insuffisance ventriculaire) ;
 Réduction du syndrome inflammatoire systémique.

Tableau 4.26
Comparaison des différents β-bloqueurs intraveineux

Substances Nom commercial Antagonisme Demi-vie Dosage (bolus iv)

Aténolol Tenormin β1 6 heures


Bisoprolol Concor, Cardiocor β1 10 heures
Carvédilol Dilatrend, Kredex β1, β2, α 8 heures
Esmolol Brévibloc β1 9 minutes 10 mg (0.5 mg/kg)
Labétalol Trandate β1, β2, α 4 heures 20 mg
Landiolol Onoact β1 3-4 minutes 0.04 mg/kg/min
Métoprolol Lopresor, Béloc β1, β2 3-4 heures 1-5 mg/2 min
Propanolol Indéral β1, β2 2-6 heures 0.5-1.0 mg
Sotalol Sotalex β1, β2 > 10 heures 1 mg/kg

Leurs désavantages sont un risque de bradycardie et de bas débit, de bloc AV, de bronchospasme et de
décompensation ventriculaire. Lors de stimulation sympathique peropératoire ou d’administration de
catécholamines β-adrénergiques, les RAS augmentent considérablement parce que les β-bloqueurs
inhibent l’effet vasodilatateur de la stimulation β2.

 Esmolol (Brevibloc®) : β1-bloqueur d'action ultra-courte (rapport β1/β2 33:1); sa demi-vie est
de 9 minutes (hydrolyse par les estérases des globules rouges). Bolus iv 0.5 mg/kg en 1 min,
ou bolus de 10 mg répétés selon besoin ; perfusion 50-200 mcg/kg/min. Risque d’hypotension
et de bradycardie passagères. Indications : HTA, tachycardie sus-jonctionnelle, syndrome
coronarien aigu, dissection aortique, effet CMO. Son effet de courte durée le rend très
manipulable et peu dangereux dans les situations instables.
 Metoprolol (Lopresor®, Belok®) : 1-5 mg iv en 2 min (15-50 mcg/kg) ; risque d’hypotension et
d’insuffisance ventriculaire ; demi-vie de 3-4 heures. Indications : HTA, tachycardie sus-
jonctionnelle, syndrome coronarien aigu.
 Propanolol (Indéral®) : bolus 0.5-1.0 mg iv, répétable jusqu’à une dose totale de 4-8 mg ;
demi-vie de 2-6 heures. Intérêt historique.
 Labétalol (Trandate®) : dose de charge 20 mg, puis 40-80 mg toutes les 10 minutes jusqu’à
l’effet désiré (maximum 300 mg) ; le rapport de puissance α/β blocage est de 1:7 ; demi-vie
de 2-4 heures. Indications : HTA dans le cadre du phéochromocytome et de la dissection
aortique.
 Sotalol (Sotalex®) : 1 mg/kg iv ; risque d’hypotension, de bradycardie, de torsades de pointe.
Indications : arythmies ventriculaires et supraventriculaires.
 Nebivolol (Nébilox®, Témérit®) : nouveau β-bloqueur β1-sélectif de 3ème génération qui
provoque moins de bradycardie que les autres (5 mg po).
 Landiolol (Onoact®): β1-bloqueur d'action ultra-courte, rapport β1/β2 255:1; sa demi-vie est
de 3-4 minutes (hydrolyse par les estérases des globules rouges); perfusion 0.04 mg/kg/min
pendant 10 minutes, puis 0.001-0.04 mg/kg/min; risque faible d'hypotension et de bradycardie.
Indications: tachycardie, tachyarythmies, fibrillation auriculaire, dissection aortique [4].
Comparé à l'esmolol, le landiolol a moins d'effet cardiodépresseur et moins d'effet rebond à
l'arrêt de la perfusion [5].

Indications cliniques :

208
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
 Tachycardie sinusale (si FE > 0.4) ;
 Tachyarythmie sus-jonctionnelle (FA, flutter) ;
 Hypertension avec tachycardie (FC > 70 batt/min).

L’interruption brusque d’un traitement β-bloqueur provoque un effet rebond dangereux accompagné
de tachycardie, d’hypertension, d’arythmies et d’un risque aggravé d’ischémie myocardique et
d’infarctus ; le risque est maximal 24-48 heures après l’interruption, même si le traitement n’a duré
que quelques jours.

Ivabradine

L’ivabradine (Procoralan®) freine la dépolarisation spontanée du nœud du sinus. Elle est


recommandée chez l’insuffisant ventriculaire si une tachycardie sinusale > 75 batt/min persiste malgré
le béta-blocage. C'est une substance de deuxième rang qui s'adresse premièrement aux insuffisants
cardiaques résistants ou intolérants aux béta-bloqueurs, qu'elle ne remplace pas de routine [6]. Elle est
sans effet sur la contractilité, le débit cardiaque, les résistances artérielles et la fonction diastolique.
Son efficacité a étendu son indication aux tachycardies sus-jonctionnelles dans les cas où les béta-
bloqueurs sont contre-indiqués ou lorsque l'hypotension qu'induisent ces derniers serait dangereuse.

Antiarythmiques

Cardioversion synchrone (FA) ;


Défibrillation (tachycardie ou fibrillation ventriculaire), à répéter autant de fois que nécessaire.

Lidocaïne : bloqueur des canaux sodiques (classe 1B) ; indications : tachycardie et fibrillation
ventriculaires.

Amiodarone : bloque les canaux K+ avec un blocage additionnel des canaux Na+ et Ca2+ (classe III) ;
ralentit la fréquence sinusale et la conduction AV, baisse les RAS et la contractilité. Indications : TV,
FV, tachycardie sus-jonctionnelles.

Magnésium : compétiteur du Ca2+ ; antiarythmique, anticonvulsivant vasodilatateur artériel


systémique et pulmonaire ; sans toxicité. Indications : appoint en cas d’arythmnies sus- et sous-
jonctionnelles, HTAP.

Adénosine : bloque momentanément l’automaticité du nœud du sinus et ralentit la conduction ;


indications : tachycardie supraventriculaire paroxystique, arrêt circulatoire momentané (10-20 sec).

β-bloqueurs : bradycardie, ralentissement de la conduction AV, effet inotrope négatif, baisse de la


mVO2, anti-rénine, frein à la désensibilisation des récepteurs β et au SIRS ; diminuent le risque
ischémique et la mortalité opératoires chez les coronariens. Utilisés par voie iv : esmolol, métoprolol,
labétalol.

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Autres agents

Deux catégories d’agents pharmacologiques non liés au contrôle hémodynamique peuvent améliorer le
pronostic des patients en chirurgie cardiaque : les glucocorticoïdes et les statines.

Stéroïdes

Les glucocorticoïdes freinent les effects défavorables du syndrome inflammatoire systémique (SIRS)
associé à la chirurgie cardiaque et à la CEC. Il ressort de méta-analyses récentes que les stéroïdes
diminuent l’incidence de FA (OR 0.71-0.91) et la mortalité opératoire (OR 0.73) sans augmenter le
risque infectieux, mais au prix d’une hyperglycémie nécessitant parfois une perfusion d’insuline [1,4].
Toutefois, les effets bénéfiques sur la FA et la mortalité n'apparaissent que dans les études portant sur
de petites populations [8]. Deux grands essais contrôlés multicentriques récents n’ont pas décelé
d’effet cardiovasculaire bénéfique à l’utilisation prophylactique de stéroïdes avant la CEC ; seules les
complications infectieuses et la durée de la ventilation postopératoire tendent à diminuer [7,15]. Les
dosages retenus sont de 500-1'000 mg de méthylprednisolone ou de 1 mg/kg de dexaméthazone,
administrés à l’induction et au début de la CEC. Les stéroïdes peuvent être utiles pour compenser
l’inhibition cortico-surrénalienne temporaire lorsque l’étomidate est utilisé pour l’induction de
l’anesthésie (voir Agents intraveineux). Par contre, ils ne sont donc pas recommandés à titre
prophylactique [14].

Statines

Les inhibiteurs de la 3-hydroxy-3-méthylglutaryl coenzyme A réductase, ou statines, sont très


largement utilisés pour leurs effets hypolipémiants, anti-inflammatoires, anti-oxydants et stabilisateurs
des plaques athéromateuses. En chirurgie cardiovasculaire, ils présentent trois caractéristiques
intéressantes : 1) ils augmentent la production de NO, ce qui diminue l'aggrégation plaquettaire et
améliore la fonction endothéliale ; 2) ils diminuent la réaction inflammatoire et endothéliale à la CEC ;
3) ils freinent la prolifération de la musculature lisse, ce qui diminue le risque de resténose après PCI
(Percutaneous Coronary Intervention). Les statines sont associées à des effets secondaires
musculaires ; la plupart du temps mineurs (faiblesse, crampes myalgies dans 1-5% des cas), ils
peuvent aller jusqu’à la rhabdomyolyse et l’insuffisance rénale aiguë (1/107 cas). Dans le
postopératoire, il est important de surveiller la créatine-kinase et les transaminases, bien qu’aucun cas
n’ait été décrit jusqu’ici.

En chirurgie cardiaque, les statines diminuent non seulement la mortalité (OR 0.53-0.76) mais aussi le
risque d’AVC (OR 0.64) et celui de fibrillation auriculaire (OR 0.53-0.67) [1,5,6,11]. Elles ont
davantage d'impact en chirurgie de revascularisation coronarienne qu'en chirurgie valvulaire.
Lorsqu'on les reprend dès le premier jour postopératoire, elles pourraient avoir un effet
néphroprotecteur, sous forme d’une baisse dans l’incidence d’insuffisance rénale postopératoire (OR
0.3) et d’accélération de la récupération en cas de dysfonction [2,12]. Leur effet sur le risque
d’infarctus est variable, étant plus prononcé lorsque celui-ci est associé à un status inflammatoire
important (OR 0.56); elles tendent à diminuer le taux de troponine postopératoire [6,13]. Ce tableau
optimiste repose sur une série d'essais cliniques comportant un nombre peu élevé de cas; on ne le
retrouve pas dans les deux études les plus récentes et les plus vastes [10]. D'une part, la rosuvastatine

210
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
n'a pas influencé le taux de FA ni le taux de troponine postopératoires, mais a augmenté de 5% le
risque d'élévation de la créatinine après CEC [16]. D'autre part, l'atorvastatine n'a pas réduit le risque
d'insuffisance rénale postopératoire, mais a péjoré la fonction des malades souffrant déjà de
néphropathie [3].

On admet néanmoins que les patients cardiovasculaires bénéficient d’une administration de statines 1
à 2 semaines avant l'intervention [6,9]. En cas d'intervention rapide, la durée doit être d’au moins 24-
48 heures préopératoires. Elles doivent être maintenues en préopératoire, y compris à la
prémédication, et reprises dans les pemières 24 heures postopératoires. Il est probablement préférable
de s'en abstenir en cas de dysfonction rénale.

Stéroïdes et statines

Stéroïdes : pas d’effet cardiovasculaire bénéfique lors d’administration prophylactique avant la CEC.

Statines : débutées au moins 2 semaines avant l’opération, elles diminuent sensiblement le risque
cardiovasculaire en chirurgie cardiaque, particulièrement lors de revascularisation coronarienne,
mais n'ont probablement pas d'effet significatif sur la mortalité.

Références

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16 ZHENG Z, JAYARAM R, JIANG L, et al. Perioperative rosuvastatin in cardiac surgery. N Engl J Med 2016; 374:1744-53

211
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Conclusions
Chaque année, plus d’un individu sur mille bénéficie d’une intervention cardiaque en Europe, en
Amérique du Nord et au Japon. Dans les pays émergents comme l’Inde, la Chine ou le Brésil, l’accès à
la chirurgie cardiaque se démocratise progressivement, surtout dans les grandes villes. De plus en plus
d’anesthésistes sont donc confrontés à ce type d’intervention dans leur bloc opératoire. L’anesthésie
pour la chirurgie cardiaque demande de bien comprendre les phénomènes cardiologiques en jeux, la
physiopathologie de la CEC, les effets hémodynamiques de l’anesthésie et la pharmacologie
cardiovasculaire. Dans une salle de cœur, l’anesthésiste se trouve au centre d’une équipe
multidisciplinaire qui enrichit considérablement son quotidien. Grâce notamment à ses prestations en
échocardiographie transoesophagienne, il participe de plus en plus aux décisions thérapeutiques
peropératoires. La gestion de l’anesthésie, de la chirurgie et de la perfusion de CEC réclame une
coordination et une communication constantes entre les membres des différentes spécialités
impliquées en salle d’opération. Le respect des protocoles est capital pour la cohésion de la prise en
charge du patient, particulièrement dans les moments de stress. La fragilité hémodynamique des
malades fait qu’un incident est possible à tout moment, ce qui réclame de l’anesthésiste une vigilance
et une anticipation de chaque instant.

Beaucoup de malades de chirurgie cardiaque présentent un status hémodynamique gravement


compromis et nécessitent une prise en charge anesthésique très lourde (monitoring invasif, médication
préemptive, techniques d’assistance, etc). Toutefois, ceci n’est pas une raison pour étendre cette
maximalisation à tous les patients en la transformant en routine. En effet, ce qui est bon pour les cas
graves ne l’est pas forcément pour les cas simples, et peut même péjorer leur pronostic. Les exemples
du cathéter de Swan-Ganz et du béta-blocage préopératoire démontrent bien que des techniques ou des
médicaments utiles dans des situations à risque élevé deviennent néfastes dans des situations où le
risque est faible. Il est donc capital de savoir raison garder et d’ajuster la prise en charge aux besoins
de chaque patient particulier. Lorsque la situation est ambiguë, par contre, il est préférable de pécher
par excès que de sous-évaluer le danger.

212
Précis d'anesthésie cardiaque 2018, version 5.0 - 04 Spécificités de l'anesthésie cardiaque
Table des matières
Remarques générales 3 Période suivant la CEC 119
Préambule 3 Insuffisance ventriculaire post-CEC 130
Caractéristiques de l'anesthésie cardiaque 3 Arythmies post-CEC 146
Facteurs de risque 7 Réveil et extubation 147
Stratégie anesthésique 10 Circuit rapide (fast-track) 154
Choix du monitorage 13 Besoins liquidiens 158
Stabilité hémodynamique 21 Epargne sanguine et transfusions 165
Rôle de l'anesthésiste 25 Contrôle métabolique 169
Effets hémodynamiques des agents d'anesthésie 28 Situations particulières 172
Anesthésiants et hémodynamique 29 Anesthésie loco-régionale 177
Rappel pharmacocinétique 29 Préambule 177
Agents intraveineux 37 Risque 177
Agents volatils 45 Physiopathologie 179
Opiacés 51 Analgésie péridurale 180
Myorelaxants 54 Analgésie intrathécale 183
Choix des agents d'anesthésie 56 Appréciation 184
Conduite de l'anesthésie en chirurgie cardiaque 64 Médicaments cardiovasculaires peropératoires 186
Prémédication 64 Généralités 186
Choix de la technique d'anesthésie 71 Catécholamines 187
Induction 76 Inotropes non-catécholaminergiques 192
Ventilation 87 Vasopresseurs 197
Période précédant la CEC 93 Vasodilatateurs 200
Anticoagulation 98 Anti-arythmiques 206
Anesthésie pendant la CEC 100 Autres agents 210
Sevrage de la CEC 109 Conclusion 212

Auteurs

Pierre-Guy CHASSOT Ancien Privat-Docent, Maître d’enseignement et de recherche,


Faculté de Biologie et de Médecine, Université de Lausanne
(UNIL), CH - 1005 Lausanne
Ancien responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service
d’Anesthésiologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois
(CHUV), CH - 1011 Lausanne

Dominique A. BETTEX Professeure, Faculté de Médecine, Université de Zürich.


Cheffe du Service d’Anesthésie Cardiovasculaire, Institut für
Anästhesiologie, Universitätspital Zürich (USZ), CH - 8091
Zürich

Carlo MARCUCCI Privat-Docent, Maître d’enseignement et de recherche, Faculté


de Biologie et Médecine, Université de Lausanne, CH - 1005
Lausanne
Responsable de l’Anesthésie Cardiovasculaire, Service
d’Anesthésiologie, CHUV, CH - 1011 Lausanne

© CHASSOT PG

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© CHASSOT PG

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