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Chapitre 1

J – 6 : j’ignore tout de ce qui m’attend…

Je me réveille en sueur. Il est un peu plus de minuit. Voilà déjà plusieurs


jours que je suis sujet à l’insomnie. Impossible désormais d’échapper à
l’explication de ces veilles forcées. Le début de la retransmission de
l’émission approche et je sais que cela ne présage rien de bon. Il y a bien
longtemps que je ne m’étais pas senti aussi mal.
Je m’assois sur un coin du lit et me frotte le visage. Il faut que je
réfléchisse. M’inscrire à ce jeu a peut-être été une erreur.
Mon souffle me réchauffe les mains et, curieusement, je frémis. L’air est
frais. L’idée de rallumer la cheminée dont les dernières braises luttent pour
survivre me vient à l’esprit. Autant mettre mon réveil anticipé à profit. Et
puis, pour être franc, je suis certain de ne pas pouvoir me rendormir avant le
petit matin.
En remuant les cendres, j’imagine les commentaires de mes associés, Bao
et Julian. Je sais qu’ils vont être inquiets à l’approche de la date fatidique et
me submerger de questions. Mais ce ne sera rien comparé aux remarques
acérées de certains de mes collègues. Je suis sûr qu’en arrivant au bureau
avec de nouveau l’air d’avoir passé une nuit blanche, je ne pourrai échapper à
leurs moqueries. Leurs regards insistants vont m’empêcher de me plonger à
corps perdu dans mon travail et ainsi de tout occulter. De me concentrer sur
mes missions et d’oublier tout le reste. Cette stratégie que j’ai toujours
utilisée dans le passé et qui me permet, aujourd’hui, d’être l’un des associés
du cabinet.
Tout n’est pourtant pas si noir. Pour preuve, la magnifique jeune femme
étendue sur mon lit, et qui fait partie de ma vie aujourd’hui. Sans l’émission,
je ne l’aurais sans doute jamais rencontrée. Ou peut-être que si… Encore
aurait-il fallu que je prenne le temps de la chercher. Mais le temps file, si vite,
sans négociation…
Agenouillé devant la cheminée, je m’acharne sur les flammes naissantes
et déjà presque sur le point de s’éteindre. Après quelques manœuvres, le feu
reprend de plus belle. Il n’a pas résisté longtemps.
Je souris machinalement ; j’aime que les choses se déroulent exactement
comme je l’ai décidé. Ce qui a été le cas, il y a presque six mois. Tout se
passait à ma façon. Mes règles faisaient office de loi, et l’on se battait pour
me donner raison.
Un long soupir accompagne mes songes. En quittant le jeu, ce privilège a
été difficile à abandonner. Le retour à la réalité a été compliqué. Comment
sortir d’un monde où l’on exauce tous vos souhaits, les plus inavouables, les
plus… obscurs ?
À plusieurs reprises, j’ai essayé de réfléchir à ce qui s’était passé là-bas.
Une chose est sûre, c’est que, empêtré dans l’enchaînement ultrarapide des
événements, j’ai fini par perdre mon self-control et… je suis allé bien au-delà
des limites que je me fixe habituellement au début d’une relation
sentimentale.
Je pense que c’est la cause de mon malaise et de mes difficultés à dormir
aujourd’hui. Les images qu’ils vont voir – elle, mais aussi tout mon
entourage, ma famille, mes amis – sont-elles condamnables ? et vont-elles
être condamnées ?
Bien sûr, je me souviens de tous mes actes, au moins dans les grandes
lignes. Mais tout s’est passé sur le plateau de tournage d’une émission, un
endroit bien loin de la réalité. Quand tout semblait possible.
Qu’en sera-t-il face aux regards froids et réels de ceux qui étaient alors de
l’autre côté du miroir ? Là où l’on décortique, où l’on examine, et – je le sais
mieux que personne – là où les jugements tombent comme des sentences et
sont irrévocables.
Ces pensées rongent mon sommeil.
Accoudé au bar du salon, je me sers un whisky, le nouveau compagnon
de mes veilles nocturnes.
Malgré l’amour qui vient de submerger ma vie et mon cœur, je sens que
le décalage entre l’émission et la réalité sera difficile à surmonter. Mon
malaise n’est pas près de disparaître.
Je tente de me rassurer en me disant que les règles du jeu étaient claires et
connues de tous. Après tout, je n’ai rien à me reprocher. Mais la petite voix
que je n’arrive pas à faire taire depuis quelques semaines me met en garde :
nous protéger, voilà ce que je dois faire. Elle et moi.
Peut-être partir en voyage ? Malheureusement, excepté ces cinq jours à la
villa, je sais qu’il en est hors de question : j’ai déjà mis de côté mon travail
pendant près d’un mois pour le jeu, je ne peux pas recommencer. La
compréhension de mes associés a des limites.
Les flammes s’attaquent aux bûches dans un crépitement. Lentement, la
chaleur commence à se répandre autour du foyer.
En réalité, ce qui m’a troublé, ça a été les craintes que j’ai lues dans son
regard à elle. C’est sûrement à ce moment que les nuits blanches ont
commencé. Je sais qu’elle a peur de ce qu’elle va découvrir. Pourtant, ce
n’est que moi, mais sous un jour nouveau, peut-être plus sombre… Mes
pensées les plus secrètes passées au premier plan.
J’inspire profondément. C’est certain, nous serons plus forts que cela.
Enfin, je l’espère. Je saurai lui expliquer, la convaincre, les convaincre tous.
Voilà dix ans que je construis ma réputation en tant qu’avocat d’affaires.
Il m’a fallu être tenace et ambitieux. Ce travail, prenant et passionnant, je l’ai
décroché tout seul, après de longues études élitistes, et en saisissant les
opportunités professionnelles aux quatre coins du monde.
Aujourd’hui, je travaille en Chine la plupart du temps. C’est là que nous
avons installé le cabinet. Mais j’ai gardé ma villa en France, près de la Côte
d’Azur. La mondialisation des entreprises m’amenant à voyager, j’arrive à y
passer quelques jours par mois, ici et là. Quelques jours qui me permettent de
me ressourcer. Depuis toujours, je me sens bien dans cette maison. Elle est le
musée de mes souvenirs d’enfance, bien que je l’aie modifiée pour la rénover
et l’agrandir. Je voulais qu’elle puisse se fondre dans le décor de ma nouvelle
vie, et qu’elle m’apporte toute la détente dont j’ai besoin au quotidien. Alors,
j’ai fait installer un jacuzzi sur la grande terrasse surplombant la mer, ainsi
qu’une bibliothèque comprenant les ouvrages de référence de chaque
décennie du siècle dernier. Dernièrement, j’ai fait changer la cuisine. Je
voulais qu’elle soit suffisamment vaste pour laisser libre cours à mes envies.
Cuisiner m’a toujours permis de me détendre.
Mon verre de whisky à la main, devenu mon rituel pour accepter plus
facilement de rester éveillé, je m’adosse au chambranle de la porte de la
chambre et l’observe dormir. Quelle chance d’avoir trouvé une compagne qui
se soit adaptée à mon mode de vie ! Son jeune âge ne l’empêche pas de
vouloir une vie de couple et, pourquoi pas, d’avoir des enfants…
Mon cœur se serre un peu à cette idée. La trentaine bien entamée, c’est un
vrai projet, enfoui quelque part en moi. Et j’y pense sérieusement,
maintenant, avec elle.
Elle a gagné le jeu, je l’ai choisie.
Et comme nous arrivons au terme des six mois suivant la fin du tournage,
je dois lui faire ma demande en mariage. Mais tout ne se passe pas comme je
l’avais prévu. Je voulais lui faire une surprise et organiser une soirée
romantique. Désormais, quelque chose me retient… nous retient.
Une idée me traverse l’esprit, et je me rends à mon bureau pour la mettre
en œuvre.
Je vais écrire une lettre. Pour elle. Puisque nous n’avons pas pu discuter
de tout cela, écrire est la meilleure option qui s’offre à nous.
Le stylo à la main, j’essaie d’ordonner mes idées. Mes inquiétudes, mon
amour, tout ce qui me vient. Des idées d’avenir à deux, le passé… sans savoir
s’il est judicieux ou non de revenir sur le jeu. Après tout, il est le fondement
de notre histoire.
Mes mains moites se crispent sur le papier blanc, vierge de toute trace
d’encre. Rien ne vient. Ou plutôt si, mais les mots lourds de signification qui
veulent recouvrir le papier sont trop loin des verbes ternes et des adjectifs
édulcorés que j’emploie d’habitude.
Pourtant, ils synthétisent à merveille à la fois mon état d’esprit et mes
intentions. Alors, je me lance.
Quand j’ai terminé, j’inscris son prénom sur l’enveloppe et la fixe
quelques secondes.
Je sais parfaitement à quel moment la lui donner : le soir du lancement de
l’émission.
Je la glisse alors dans la poche avant de ma valise sortie en prévision du
départ pour l’aéroport. Demain, nous rentrons en Chine.
L’alcool s’est dilué dans mes veines et me procure un sentiment de
détente. Suffisamment étourdi, je rejoins le lit et sombre lentement dans le
sommeil.
La semaine suivante, la situation ne s’améliore pas. Le répit est terminé,
la retransmission de l’émission est imminente. L’appréhension – si forte –
que j’éprouve est à son paroxysme. Et l’échéance est trop courte pour que je
puisse faire quoi que ce soit.
Les quelques jours passés dans ma villa de la Côte d’Azur n’ont pas été
salutaires comme je l’avais escompté au départ. Ni pour elle ni pour moi.
Mes angoisses m’ont suivi, plus collantes qu’un mauvais sirop.
Depuis notre retour en Chine, je m’absorbe dans mon travail, en une
piètre tentative de diversion, remarquant qu’elle en fait de même.
Le soir de la diffusion de l’émission, je suis paralysé. Mais, je dois faire
taire ces angoisses. Ma seule option est de me plonger à nouveau dans cette
aventure si extraordinaire. J’expire bruyamment. Je suis prêt et je voulais
qu’elle soit là.
Mais pas elle.
Nous devrions être en train de faire les préparatifs pour notre mariage,
mais le doute est là.
Assis sur le canapé en cuir du salon, je reste parfaitement immobile. Mon
regard plane sur les tableaux, le lustre imposant et les baies vitrées de
l’appartement. Toute ma réussite, toutes mes connaissances et toute ma
volonté n’arrêteront pas la machine lancée depuis l’été dernier. L’émission va
être livrée aux yeux de tous.
Seul, j’allume mon grand écran.
La musique du générique démarre.
Cette musique… Diamonds Are a Girl’s Best Friend, entonnée par
Marylin Monroe, qui me plonge directement dans l’ambiance du jeu.
Mes yeux sont rivés à l’écran et, malgré moi, mes paupières
s’alourdissent. Mes dernières semaines d’insomnie me rattrapent et s’abattent
comme un rideau sur mes yeux, dans une ultime tentative pour m’empêcher
de faire face à la réalité. À mes doutes. Mais je lutte, je veux affronter les
images.
Pour toujours et à jamais commence…

Note pour plus tard : ne jamais s’inscrire à un jeu télévisé. Non, jamais !
Chapitre 2

Épisode 1
Bonsoir, cher public, permettez-moi de vous présenter Louis ! Louis est un homme exceptionnel.
Âgé d’un peu plus de trente ans, il est cultivé, sportif, et a créé un cabinet d’avocats à la renommée
internationale en Chine avec deux associés. Jusqu’à aujourd’hui, Louis s’est consacré à satisfaire son
ambition professionnelle. Mais désormais… il cherche celle qui fera vibrer son cœur !
Travaillant aux quatre coins du monde, il est amateur de cinéma et de lecture, passions qu’il
assouvit régulièrement dans le cadre magnifique de sa villa au bord de la Méditerranée.
Ce nomade sexy, qui est loin de laisser les femmes indifférentes, cherche l’âme sœur, celle à qui il
offrira la bague sertie d’un magnifique diamant lors de la grande finale de l’émission.
Pour cela, vingt jeunes femmes, prêtes à tout pour le conquérir, vont s’affronter dans ce jeu de
séduction afin de franchir les étapes qui les mèneront à chaque fois un peu plus près du cœur de notre
célibataire. Passion, sentiments, pleurs, trahisons, mais aussi… argent ! Chacune est prête à montrer le
meilleur d’elle-même pour être choisie et débuter une vraie histoire d’amour… avec Louis, ou avec le
diamant !
Voici l’émission que vous attendez tous… Pour toujours et à jamais !

Louis patiente devant une maison bourgeoise située sur les hauteurs dans
l’arrière-pays niçois. Cette grande bâtisse, celle des filles, est entièrement
éclairée ce soir. Elle a revêtu son habit de lumière pour fêter le début de
l’aventure, prête à accueillir les vingt jeunes femmes sélectionnées pour le
jeu.
Louis n’en revient pas d’être ici, au milieu des caméras, et surtout d’être
le personnage central de ce speed dating géant. Jamais il n’aurait pensé
participer à ce genre de jeu s’il n’y avait la promesse d’un engagement
durable. Un nouveau concept jusqu’au-boutiste, bien plus sérieux que les
émissions du même style, et qui le place sur le chemin menant au mariage.
Seulement s’il parvient à détourner les filles qu’il préfère de l’appât du gain.
Les règles sont claires : six paliers à franchir avec, à chaque fois, une somme
d’argent à gagner. Et pour la finaliste, c’est 100 000 euros, un diamant… ou
lui. De quoi les dévier de la conquête de son cœur.
Sa poitrine se contracte, il est en proie au stress du premier rendez-vous.
Qui sait ? Peut-être que celle avec qui il partagera sa vie se trouve parmi
elles. Pas une simple passade, mais la bonne, l’unique. À ce stade du jeu, tous
les espoirs sont permis. Les illusions sont de mise.
En passant la main dans ses cheveux, il constate que ses paumes sont
moites ; un autre signe d’anxiété. À vrai dire, il étouffe. L’air lui semble
s’être raréfié, exactement comme s’il s’apprêtait à franchir l’Everest. Mais ce
n’est pas tout. En ce début d’été, les nuits sont loin d’être fraîches, et son
smoking lui tient terriblement chaud. Pourtant, il a l’habitude de ce genre de
tenue car son travail l’amène à participer à des soirées d’affaires. Mais ce
soir, il se débarrasse de sa veste bien trop stricte. Après tout, le contexte est
différent. Pour une fois, c’est une affaire personnelle.
Le jardin situé à l’avant de la villa est parfaitement entretenu et offre un
décor somptueux, digne de celui d’un château. Mais Louis n’arrive pas à se
laisser distraire par ce cadre splendide et, pour s’occuper, arpente sans fin le
perron de la demeure.
Un bruit de moteur semble se rapprocher. Une voiture conduisant l’une
des jeunes femmes se présente. Louis sait que, pour l’instant, le scénario est
simple. Chaque fille est conduite devant la maison et il lui incombe la tâche
de l’accompagner à l’intérieur. De cette manière, le moment de la première
rencontre est furtif. Il s’agit avant tout de les découvrir physiquement.
La voiture s’arrête. C’est une limousine noire flambant neuve.
Décidément, aucun élément n’est laissé au hasard.
Comme il se doit, et surtout avec la délicatesse et le tact que sa clientèle
élitiste lui a imposés, Louis ouvre la portière et aide la passagère à en sortir.
Une très jolie jeune femme apparaît, le sourire aux lèvres, naturelle, si ce
n’est une légère mise en beauté pour la soirée.
En parfait gentleman, Louis lui sourit en retour, et ne peut que constater
l’effet qu’il produit sur la demoiselle. Elle s’empourpre et tente de masquer
son émotion par un battement de cils. Ravi, il lui propose son bras pour
monter les quelques marches. Elle s’en saisit et soulève sa robe en soie beige
de l’autre main. Ainsi soutenue, elle semble glisser dans les airs. Et malgré la
hauteur vertigineuse de ses talons, elle lui arrive à peine au menton. Détail
qui n’avait jamais eu d’importance pour Louis, jusqu’à aujourd’hui. Le cadre
chevaleresque de ce début d’émission éveille en lui un instinct qu’il ne se
connaissait pas. Une volonté irrépressible d’être protecteur vis-à-vis de cette
jeune femme si belle et si menue.
Sur le seuil, lieu où il doit l’abandonner pour reprendre sa mission, elle se
poste face à lui, immobile. Visiblement, elle attend quelque chose de plus
personnel que le simple « bonsoir » poli qu’il a formulé devant la voiture.
– Comment t’appelles-tu ? lance alors Louis, déjà un peu séduit par cette
belle rencontre.
– Moi, c’est Léa, répond-elle sans se départir de son sourire.
Son visage s’offre à lui, un rien voilé par les mèches blondes qui
s’échappent de son chignon. Ainsi, il distingue parfaitement le mélange de
trac et d’excitation qu’elle semble ressentir. Et, subitement, lui vient l’idée de
prendre une photo. D’immortaliser par un cliché ce mélange de grâce et de
fragilité qu’il adore découvrir chez une femme, pour prolonger ce moment
trop furtif.
– Eh bien, ravi de te rencontrer ce soir. Tu es magnifique.
– Merci, toi aussi ! confie-t-elle en riant.
Sa réponse n’est pas une politesse rendue, puisqu’elle fixe soudainement
le sol, n’arrivant plus à soutenir son regard. Il profite de cet instant pour la
détailler. Sa robe cintrée met en valeur la finesse de sa silhouette. Elle semble
aussi fragile qu’une poupée, et Louis est saisi par une image : celle de la
danseuse que l’on découvre en soulevant le couvercle d’une boîte à musique.
Un signe de l’assistante de production assise derrière les caméras lui
rappelle qu’il doit faire entrer Léa pour accueillir les autres filles. Ce soir, il
n’est pas au bout de ses surprises. Ainsi, à peine est-il remis de l’exaltation de
sa rencontre qu’une autre voiture se présente.
La jeune femme suivante sort toute seule du véhicule alors que Louis
marche dans sa direction. Face à tant de beauté, il s’immobilise. Elle
s’approche de lui dans une sublime robe blanche en partie ajourée par un jeu
de dentelles. Rapidement, Louis détaille ce qu’il aime : ses longs cheveux
roux tombants en cascade ondulée sur ses épaules, ses yeux bleus, soulignés
par un maquillage intense, rendant son regard hypnotique, mais surtout, son
sourire. Franc, saisissant, envoûtant.
Louis se rend compte qu’il est resté planté devant elle. Il reprend ses
esprits et la conduit jusqu’à la porte de la villa.
Dans un murmure, comme pour ne pas briser la magie de l’instant, il lui
demande son prénom.
– Jessie, dit-elle, sans rien ajouter que quelques battements de cils
ravageurs.
– OK, souffle-t-il dès qu’elle est hors de son champ de vision, plus que
dix-huit…
Louis est abasourdi par l’élégance et le charme des jeunes femmes qui lui
sont présentées ce soir. Inutile de nier qu’il s’attendait à voir des femmes
splendides, c’est un élément presque explicite du jeu. Mais au-delà de ça,
elles possèdent un charme fou, celui qui donne envie d’aller plus loin, de
faire connaissance, voire d’envisager plus.
Ces beautés se succèdent durant plusieurs dizaines de minutes. Aucun
autre critère que leur physique ne peut entrer dans la balance puisque, dans le
laps de temps imparti, il ne peut que leur demander leur prénom avant de les
inviter à entrer. Assurément, l’attraction est au rendez-vous.
Et ce soir, alors qu’habituellement cela n’a pas autant d’importance, il a
envie de savoir si l’effet qu’elles ont sur lui est partagé. Pour seul indicateur,
il analyse les traits de leur visage, il s’intéresse à leurs expressions, aux
sourires, mais n’a pas de certitudes. Ce soir, il veut plaire, lui aussi.
Louis est déstabilisé. Alors que tout le monde le considère comme un
jeune homme sûr de lui, il peine à contenir ses émotions et ses doutes, qu’il
camoufle habituellement derrière une pointe d’arrogance. Pire encore, il a le
sentiment que son trouble n’échappe pas à l’œil des prétendantes.
Lorsque toutes sont arrivées, il gagne le hall et attend derrière la porte de
la salle de réception qu’on l’invite à entrer.
Quelques secondes plus tard, les deux battants s’ouvrent largement pour
le laisser passer. Et quand il franchit le seuil, il se met à sourire pleinement.
Quel tableau !
Les filles sont dispersées dans la pièce, mais toutes sont tournées vers lui,
aussi dociles que des tournesols orientés vers le soleil. Vingt superbes
créatures divinement mises en beauté, portant des robes somptueuses dignes
de princesses et, cerise sur le gâteau, suspendues à ses lèvres. Louis sourit, ou
mieux encore, il jubile.
Les secondes s’égrènent. Les regards restent inlassablement braqués sur
lui, une vingtaine de paires d’yeux essayant de capter son attention.
Louis se délecterait de ce spectacle toute la soirée, mais il doit les
rejoindre. Il les observe avec attention. Déjà, des groupes se sont formés –
des affinités sont peut-être même en train de naître ?
Pour se mêler à elles, Louis s’approche d’un groupe, le plus près sur sa
gauche, afin de ne pas paraître avoir choisi. Cependant, cette sélection malgré
lui fait quand même débat. Il voit toutes les filles se dévisager entre elles et
interprète sans peine leurs pensées. Elles cherchent à savoir s’il a des
préférences, si certaines d’entre elles sont plus à son goût que d’autres. Il
comprend qu’à partir de maintenant, plus rien ne sera rationnel et que les
émotions vont prendre le dessus, si ce n’est déjà fait.
Alors qu’il commence à échanger les politesses d’usage avec les
demoiselles attroupées autour de lui, l’une d’elles lui tend un verre, qu’il
accepte sans la quitter des yeux. C’est Jessie, la jeune femme aux longs
cheveux roux. Mais avant qu’il ne puisse engager la conversation, il se sent
tiré par le bras. Cassandra, une belle Latine sans la moindre once de timidité,
accapare sa compagnie, devant l’agacement évident des autres filles.
– Salut, toi ! Moi, c’est Cassandra, tu te souviens ?
Elle a l’accent du soleil, celui qui vous réchauffe le corps même en plein
hiver.
– Bien sûr, comment oublier ?
Louis a été perturbé par l’arrivée de Cassandra et n’est pas resté du tout
indifférent à ses manières tactiles. Difficile de résister à une femme aussi
consciente de son pouvoir de séduction.
Elle l’emmène à l’écart en le prenant par la main. Louis, par politesse –
mais pas seulement –, n’ose pas s’opposer à cette manœuvre.
Pendant qu’ils s’éloignent, il sent l’atmosphère s’épaissir. Les autres
prétendantes ne décolèrent pas devant cette attitude et ne cherchent
absolument pas à masquer leur mécontentement.
Il jette un coup d’œil dans leur direction pour mieux voir la tempête qui
se prépare. Il sait parfaitement ce qu’elles se disent. Elles se demandent
comment Cassandra a osé prendre une longueur d’avance tout en les narguant
de la sorte. Agir aussi brusquement leur paraît déloyal. Prendre un coup
d’avance peut être décisif, et elles viennent de l’apprendre à leurs dépens.
D’une certaine manière, il comprend que Cassandra vient de donner le
ton, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Toute compassion vient d’être
proscrite. Pas de quartier. Ce sera chacun pour soi. Ou – et pour son plus
grand plaisir – chacune pour lui.
Cassandra lui propose de s’asseoir sur un banc, un peu plus loin dans le
vaste parc de la maison bourgeoise. Il est certain qu’ils sont tout à fait
visibles depuis les fenêtres de la salle de réception où se sont positionnées les
autres jeunes femmes. Elle repousse sa longue chevelure brune ondulée et
entame la conversation.
– Peut-être que je devrais être un peu moins entreprenante, mais je me
suis dit que je n’aurais qu’une seule chance de t’avoir un instant pour moi ce
soir. Je trouve qu’il y a beaucoup de monde à cette soirée, et bien trop de
filles, non ?
Cette repartie et son accent chantant arrachent un sourire à Louis, qui – il
le sait – laisse apparaître une fossette au bas de sa joue.
Son assurance revient, c’est bon signe.
Il tourne son regard vers les jeunes femmes restées aux fenêtres de la
villa. Elles ne perdent pas une miette du spectacle. La situation lui paraît un
peu folle.
– Oui, reprend-il en se tournant à nouveau vers Cassandra et ne sachant
plus vraiment à quelle question il répond, au moins, de cette manière, je ne
risque pas de t’oublier. Tu m’as l’air d’être un sacré numéro.
– Oui…, roucoule-t-elle. Et tu n’as encore rien vu !
Son regard espiègle le décontenance. Il tente de masquer ses émotions
derrière un sourire amusé, puis ramène la conversation vers un sujet plus
neutre. Comme il demande ce qui occupe ses journées, Cassandra explique
qu’elle travaille dans le service des ressources humaines d’une grande
entreprise.
– Les relations humaines, c’est mon truc, finit-elle par dire.
Et Louis comprend parfaitement le clin d’œil.
Voyant le temps filer, il attire Cassandra, vêtue d’une superbe robe
fourreau violette, vers la salle où patiente, l’air de rien, le reste des
prétendantes.
Il a envie de discuter avec le maximum d’entre elles afin de se faire une
idée de leur tempérament.
La soirée a un enjeu tout particulier.
Juste avant qu’elles n’arrivent, l’animateur est venu trouver Louis dans la
villa qu’il occupera pendant la durée du jeu afin de lui expliquer le
déroulement de cette première réception. Une jeune femme sera choisie ce
soir. Mais, circonstance exceptionnelle, elle sera élue par les vingt filles, à la
suite d’un vote.
Louis lui offrira un présent tout à fait singulier : un diamant rose monté
en pendentif, et la perspective d’un rendez-vous avec lui. De quoi planter le
décor.
Louis a souri et a davantage questionné l’animateur. Comment est-ce que
les filles allaient faire pour choisir l’une d’entre elles ? Est-ce que ce serait
celle qui a fait le plus d’efforts pour engager la conversation ? La plus timide,
pour l’inciter à faire le premier pas ?
L’animateur a secoué la tête en riant. Il pensait à autre chose, tout droit
dans la veine du concept de l’émission et malmenant les faux-semblants.
Alors il a compris.
Ce diamant est là pour stimuler l’intérêt des filles pour la compétition.
Dans un jeu où l’argent a autant de place que l’amour, quoi de plus naturel
que leur présenter, dans la même soirée, les deux éléments en même temps.
Une manière de booster leur motivation et être certain qu’elles se lancent
dans la course, vers l’un ou l’autre trophée.
Louis en a déduit que, de son côté, il devait s’employer à toutes les
connaître un peu pour ne pas faire d’erreur, sachant que dès demain, quatre
filles devront partir… Déjà…
Après avoir quitté Cassandra, une fois à l’intérieur, il s’approche d’un
autre groupe. Les sourires sont plus acérés, les regards plus perçants. Chaque
fille cherche à mettre en avant son potentiel de séductrice. C’est déstabilisant,
mais il tâche de ne pas le montrer. Il faut qu’il s’habitue, et vite.
Loann et Noémie lui parlent quelques instants quand il se trouve près
d’elles. Leurs sourires sont sincères, ce qui est reposant après son échange
épicé avec Cassandra.
Plus tard, il s’isole un instant avec Caroline, Leïla, Victoria et Betty.
Cette dernière, plus en retrait, ne prend pas la parole, se contentant de sourire
et de rire aux plaisanteries faites par Leïla.
De plus en plus à son aise, il prend plaisir à découvrir ces femmes, toutes
plus exquises les unes que les autres et montrant ce soir le meilleur d’elles-
mêmes. Il s’attarde un peu en compagnie de Jasmine et Magdalena.
Une chose est sûre, c’est que toutes veulent lui prouver qu’elles sont
tombées sous son charme. En effet, dès qu’il se retire poliment d’un petit
groupe pour se diriger vers un autre, les filles échangent des regards, le rouge
aux joues, soufflant et s’éventant avec les mains pour montrer leur
enthousiasme. Elles ne cherchent absolument pas à s’en cacher.
Après tout, au moment de leur inscription, elles ne pouvaient pas être
certaines qu’il soit à leur goût. D’ailleurs, Louis redoutait de les décevoir.
Mais en l’occurrence, elles sont si démonstratives qu’il est plus que rassuré.
Elles semblent même en admiration. Comme s’il appartenait à cette
catégorie d’hommes qui mettent toutes les femmes d’accord. Et même son
trac, celui de la première rencontre, devient sensuel au contact de ces
femmes. Elles sont émoustillées. C’est le mot qui semble définir le mieux
cette attraction brute qui se déverse sans retenue dans la pièce. L’adrénaline
d’une compétition qui débute, une poignée de secondes avant que le signal de
départ retentisse.
Louis est enthousiasmé par l’effet qu’il produit et rentre petit à petit dans
le jeu de séduction des prétendantes ; il use et abuse délibérément de son
regard azur dont on lui a si souvent vanté l’intensité.
De temps en temps, il passe même une main dans ses cheveux pour se
donner un air savamment négligé et observe les réactions autour de lui.
Certaines se mordent les lèvres, d’autres rougissent. Et lui reste hypnotisé par
ce spectacle qu’elles lui offrent.
C’est mieux que dans ses pensées les plus audacieuses.
À la fin de la soirée, il a vu tout le monde, au moins quelques minutes, et
arrive presque à toutes les nommer. Il se dit que celles dont il n’a pas
mémorisé le prénom pourront être celles qu’il ne retiendra pas pour la suite.
C’est probablement la manière la plus juste de faire un choix.
Il connaît les règles du jeu. Les filles gagnent une somme d’argent chaque
fois qu’elles franchissent un palier. Une sérieuse motivation pour les pousser
à être sélectionnées. Six étapes qui n’en mèneront qu’une à la finale. Seul
bémol, elles peuvent choisir de partir quand elles le veulent, afin de ne pas
mettre en jeu lors des éliminations la somme qu’elles ont gagnée. Un quitte
ou double audacieux.
De quoi faire réfléchir, en particulier dans les débuts de l’aventure, car ils
ne se connaîtront pas bien encore. Qu’est-ce qui lui assure qu’elles aient
envie de rester pour lui ? Et pas pour l’argent ?
Il n’en sait rien. C’est bien la question que pose ce jeu. Amour ou argent.
Deux concepts mêlés jusqu’au moment de la demande en mariage, qui devra
être officialisée six mois après la fin du tournage, c’est-à-dire au moment de
la retransmission télé des épisodes. Si sa belle accepte de s’engager avec lui,
elle devra rendre le chèque et les bijoux. Tout.
Si elle refuse…
C’est drôle, car quand il a su qu’il participerait au jeu, Louis s’est dit
qu’il resterait lui-même, coûte que coûte. Et que ce serait à prendre ou à
laisser. Mais déjà, sa fierté se manifeste, décuplant son envie de plaire.
Il s’écarte un instant pour envelopper l’assemblée du regard. Ces filles
sont magnifiques. À ce stade de la soirée, la fête bat son plein et toutes
donnent le sentiment de s’amuser. Cassandra parle et rit fort, et s’est même
trouvé une ou deux amies qui, sans doute, préfèrent être dans son camp que
l’inverse.
Au bout d’un moment, l’animateur, estimant que le moment est venu,
demande à Louis de sortir de la pièce. Le vote va avoir lieu.
Juste avant qu’il ne franchisse le seuil de la salle de réception, Louis
l’entend s’adresser aux filles.
– Mesdemoiselles, bonsoir !
Il devrait quitter la pièce mais ne peut s’arracher au spectacle.
Discrètement, il se retourne.
Les filles sont tournées vers le présentateur, impatientes. Elles ont
compris que quelque chose se tramait.
– Je vous souhaite la bienvenue dans cette villa qui sera votre maison
pour les prochains jours. Vous aurez la chance d’être sélectionnées par Louis
pour partager des activités et faire sa connaissance. Mais ce soir, je vais vous
demander de voter pour celle qui, selon vous, n’obtiendra pas de rendez-vous
avec Louis demain. La jeune femme qui vous semble, à première vue, la plus
éloignée des aspirations de Louis.
Un brouhaha se fait entendre. Les filles se regardent les unes les autres,
ravies de pouvoir participer, quand bien même il s’agit d’un jeu qui consiste à
écarter l’une d’entre elles. Louis arque un sourcil. C’est très malin, les filles
vont tomber de haut. À aucun moment l’animateur n’a expliqué le
dénouement. Contrairement à ce qu’elles croient, elles vont justement élire la
première fille à avoir un rendez-vous avec lui.
– Je vous laisse rejoindre notre assistante, finit d’expliquer l’animateur.
Elle vous fournira une enveloppe et un coupon au nom de la personne que
vous souhaitez élire.
Louis sourit. Toutes vont penser à la fille s’éloignant le plus de son idéal.
Elles vont se creuser les méninges pour déterminer son type de partenaire.
Sauf que, y a-t-il seulement une femme présente ce soir qui représente ce
qu’il cherche d’un point de vue à la fois physique et mental ?
Louis quitte enfin la pièce. Il ne reviendra que lorsque le vote sera
terminé. Et d’autres questions lui viennent en tête.
Doit-il prioriser l’aspect physique alors que, pour lui, ce n’est pas
l’argument déterminant dans le choix d’une compagne ?
Il rumine encore quand on lui demande de regagner la salle dans deux
minutes précisément. Le cadre de l’émission est rigide.
Il a peu de temps pour mettre ses idées au clair et canaliser ses pulsions,
auxquelles il laisse si peu de place habituellement.
Tout est déjà sens dessus dessous dans son esprit.
Depuis deux heures environ, le désir irrigue son corps et monte
insidieusement jusqu’à son cerveau, prêt à réaliser un putsch retentissant.

***
FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Cassandra
MÉTIER : Chargée des ressources humaines
VILLE : Paris (mais je suis née en Grèce)
ÂGE : 27 ans
TAILLE : 1 m 70
POIDS : 63 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Chocolat fondant
COULEUR DES YEUX : Chocolat… encore plus fondant.
LOOK : À la fois glamour et chic
SIGNE DISTINCTIF : Mes origines méditerranéennes
CAPITAL SÉDUCTION : J’adore être en concurrence avec d’autres femmes,
surtout parce que je suis certaine de gagner. Je laisse un souvenir impérissable à
chaque homme qui croise ma route. Le célibataire du jeu ne fera pas exception.
POINT FAIBLE : Aucun, vous verrez !

Cassandra trépigne d’impatience et n’hésite pas à toiser de haut les autres


filles. L’absence de Louis dans la pièce a modifié l’ambiance de la soirée. La
douceur et le miel ont disparu pour laisser place à une atmosphère de plomb.
En une fraction de seconde.
Elle regarde les autres filles, rassemblées en groupe de trois ou quatre
personnes, discuter de leurs premières impressions. Elles se jettent toutes des
coups d’œil furtifs, se voulant invraisemblablement discrètes.
Le vote est terminé, le dépouillement est en cours.
En passant près d’Alexandra et Karen, Cassandra comprend qu’elles font
des pronostics sur le résultat du jeu, établissant une liste des filles qui, selon
elles, n’obtiendront pas les faveurs de Louis : trop discrètes, ou pas assez,
trop simples ou trop sophistiquées, un brin nunuches ou sûrement pas au goût
de Louis. L’ayant eu pour elles pendant quelques minutes, et en parfaites
séductrices, elles ont analysé ses paroles et se sont fait chacune un portrait
type de sa « parfaite petite amie ».
– Tu vois, dit Sonia, il a de la classe. Il lui faut une fille qui soit, comme
lui, cultivée, sachant se mettre en avant, mais pas complètement extravertie.
Certaines sont à côté de la plaque. Je n’ai eu aucune difficulté à mettre un
nom dans mon enveloppe.
– Oui, t’as raison, renchérit Alexandra. Non, mais vous avez vu ses
yeux ? Et la manière dont ils pétillent quand il sourit ? Et qu’est-ce qu’il est
grand ! Il fait plus d’un mètre quatre-vingt-cinq, j’en suis sûre !
– Moi, j’adore les bruns ! rétorque Leïla.
– Pareil ! ajoute Karen. Et ses yeux ! Ouh là là ! Ses yeux sont
incroyables, on a l’impression qu’ils vous transpercent ! Et puis, cet air qu’il
prend… mystérieux, genre mauvais garçon, alors qu’il a été si poli et
attentionné. C’est sûr, il lui faut quelqu’un de raffiné, mais pas trop chic.
Enfin bref, je crois que c’est juste… moi !
Cassandra observe les filles autour de Karen se mettre à rire devant son
air convaincu. Elle-même ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire.
Certaines sont déjà bien mordues, mais la plupart n’ont aucune chance. En
tout cas, cette fois-ci, leur plastique ne suffira pas. Elle aussi s’est fait sa
propre idée du genre de fille qui conviendrait à Louis ; ce sera une femme
exceptionnelle, pas le genre de poupée qu’on rencontre dès que l’on met le
nez dehors. C’est pour cela qu’elle a voté pour Victoria. Une fille fade et, de
surcroît, une gamine.
Il lui tarde que débutent les choses sérieuses.
Ce soir, Louis peut se vanter d’avoir fait l’unanimité, tant par sa beauté
brute que par son charme indiscutable. C’est un lot hors norme que la
production vient de leur proposer. Un vrai challenge, un trophée bien plus
difficile à décrocher que les hommes qu’elle a rencontrés jusqu’alors. Pour
accéder à la victoire, il faudra aller vite. Doubler les filles et conquérir Louis.
Cassandra secoue la tête. Elle ne va tout de même pas se comporter
comme ces filles ! Son cœur à elle est bien plus difficile à gagner. Ce n’est
pas un beau visage qui la fera chavirer aussi rapidement. Peu importe, elle est
là uniquement pour donner une leçon à ces petites prétentieuses. La victoire.
Seule la victoire est belle !
Un instant plus tard, Louis revient dans la salle de réception. Comme les
autres filles, Cassandra se tait spontanément. Louis tient une boîte dans la
main. Il la lève pour signaler de manière explicite qu’il veut prendre la
parole.
Toutes prennent place sur les canapés en contrebas, de sorte que Louis,
en haut des marches séparant le hall d’entrée de la pièce, peut les observer à
son aise. Il semble ému par cette sulfureuse assemblée. Et, sans trop que
Cassandra sache pourquoi, cela lui serre le cœur.

***

Louis se tient en haut des marches. Les filles ont adopté une posture de
circonstance, mettant en valeur leur toilette. Elles le regardent fixement, de
manière langoureuse.
Un peu déstabilisé, il ne tarde pas davantage à prendre la parole.
– C’est une très agréable soirée que nous venons de passer ensemble,
commence-t-il. Je dois dire que je suis extrêmement chanceux de vous avoir à
mes côtés et que vous êtes toutes vraiment magnifiques…
Ces paroles déclenchent quelques gloussements. Il veut être sincère, sans
chercher nécessairement à flatter, mais c’est bien l’effet qu’il produit.
– C’est donc avec une grande émotion, reprend-il, que je vais offrir un
premier cadeau ce soir. Un pendentif orné d’un diamant rose.
Silence écrasant. Aucun bruit n’est perceptible.
– Ce cadeau est tout à fait particulier, car il signifie que la jeune femme
choisie sera invitée à partager un premier rendez-vous avec moi demain, pour
faire plus ample connaissance.
Le silence se prolonge anormalement. Les filles comprennent qu’on s’est
joué d’elles. D’un coup, elles font le lien entre le nom qu’elles ont inséré
dans l’urne et le cadeau en perspective.
Leurs regards se croisent et Louis y décèle un brin d’incrédulité. L’enjeu
de cette soirée est devenu soudainement primordial, mais il est désormais
trop tard pour changer l’issue du vote.
Elles sont toutes suspendues à ses lèvres, car la fille qu’elles ont pensé
être la moins dangereuse de toutes vient de prendre une longueur d’avance.
L’animateur prend la parole.
– Mesdemoiselles, nous allons clore cette première soirée en révélant le
nom de celle qui, selon vous, n’aurait eu aucune chance d’obtenir un rendez-
vous dans les prochains jours. Eh oui, vous l’avez bien compris, elle partira
dès demain matin pour un petit déjeuner en compagnie de Louis. Et c’est
vous qui l’avez choisie.
Lentement, une vague d’amertume envahit la pièce.
Pendant ce temps, Louis se voit confier par l’animateur une large
enveloppe rose contenant le nom de la gagnante. Il ouvre la boîte et
contemple le bijou. Un petit diamant rose monté sur pendentif étincelle dans
l’écrin. La plus belle des pierres précieuses pour orner le cou nu d’une des
filles de la compétition.
L’instant s’étire encore ; il doit attendre qu’un membre de l’équipe
technique lui fasse signe pour annoncer le prénom de la jeune femme retenue.
Ainsi, la tension atteint son paroxysme. Les filles, maintenant immobiles, ont
cessé de se regarder les unes et les autres pour se focaliser sur une seule et
unique chose : la boîte ouverte posée dans la paume de Louis. Après tout,
elles ne savent pas qui va remporter le rendez-vous et le diamant. Et, contre
toute attente, Louis sait qu’elles ont subitement envie d’être celle qui
représente le moins de danger.
Le dénouement est proche. Elles fixent encore le bijou hypnotisant que
Louis tient entre ses mains. Seules leurs poitrines se soulevant à une cadence
endiablée trahissent leur manque d’assurance.
– La jeune femme que vous avez élue est… Victoria !
Tous les yeux convergent vers la jeune femme brune qui, très émue, jette
des regards autour d’elle comme pour s’assurer qu’il s’agit bien de sa
personne. Elle se lève, les joues rosies par le trac. Visiblement heureuse.
Louis s’approche d’un pas assuré. Quand il est près d’elle, il pose les
mains sur ses épaules puis, tout en la fixant, ouvre le fermoir de la chaîne afin
d’y insérer le diamant monté en pendentif.
– Ce diamant signifie que nous partirons ensemble demain matin pour
partager un petit déjeuner au bord de la mer. Est-ce que tu es d’accord pour
m’accompagner dans ce premier rendez-vous ?
– Oui…, souffle-t-elle en lui rendant son sourire.
– Très bien, je te remercie !
Victoria saisit son pendentif entre ses doigts et Louis s’éloigne. Il sourit.
Il aime ce petit air de triomphe qu’il vient de lire dans ses yeux. Quelque
chose d’intrépide, d’audacieux, et qui balaie le contexte de la victoire. Si les
autres filles l’ont considérée comme étant la moins dangereuse, il faudra
dorénavant faire avec elle. Victoria, un prénom sur mesure.
– Bonsoir, mesdemoiselles ! Je vous remercie encore pour cette soirée et
vous dis à demain. Passez une bonne nuit.
Louis sort sur ces mots, entendant les multiples « Bonne nuit à toi
aussi ! » qu’on lui adresse, certain que la nuit va être bonne.
Tout lui semble sensationnel, et ce n’est que le début.

***
FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Victoria
MÉTIER : Étudiante en droit
VILLE : Lille
ÂGE : 21 ans
TAILLE : 1 m 68
POIDS : 53 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Châtains
COULEUR DES YEUX : Noisette
LOOK : Girly
SIGNE DISTINCTIF : Je suis une vraie romantique.
CAPITAL SÉDUCTION : Mon côté naturel et authentique en a déjà fait fondre
plus d’un.
POINT FAIBLE : Je n’aime pas la compétition, mais si l’enjeu en vaut la peine, je
suis capable de sortir les griffes !

Les filles s’approchent de Victoria, qui explique que c’est une incroyable
surprise pour elle.
Personne ne s’appesantit sur le vote. Tout vient de basculer en une
fraction de seconde. Un aperçu de l’atmosphère dans laquelle elles vont
évoluer les jours suivants.
La conversation passe très vite du diamant au rendez-vous et toutes
essaient d’imaginer ce qui l’attend.
Victoria a déjà une boule au ventre à la perspective de ce tête-à-tête avec
le beau jeune homme qu’elle vient de rencontrer ce soir, mais pour l’heure,
elle tente de le cacher.
Elle navigue en terrain inconnu et elle sait que la prudence est de mise.
Elle est la cadette du groupe, alors mieux vaut montrer à ses camarades
qu’elle a confiance en elle, histoire d’attirer le respect et ne pas avoir à
supporter de railleries de leur part.
En quelques heures, elle a compris quel genre de femmes elle aurait en
face d’elle dans ce jeu. Pas celles dont elle s’entoure habituellement. Toute à
ses réflexions, elle remarque toutefois qu’aucune d’entre elles ne lâche des
yeux le diamant qui pend maintenant au bout de sa chaîne.
Puis ses pensées s’évadent. Elle s’imagine au bord de la mer, bercée par
une douce brise matinale, ayant Louis pour elle seule. Dans ce contexte, son
anxiété n’est pas près de disparaître. En même temps, elle a beau réfléchir, il
y a une éternité qu’elle n’a pas ressenti cette délicieuse sensation de papillons
dans le ventre.
Elle se prend même à imaginer la bague qu’elle pourrait recevoir à la fin
du jeu, si la chance reste avec elle. Elle en a déjà rêvé lorsque son inscription
a été validée, mais ce diamant si fin et qui lui paraît maintenant si lourd vient
sérieusement de faire progresser les probabilités en sa faveur. Six paliers à
franchir pour se voir offrir la bague de fiançailles et un chèque de
100 000 euros.
Elle saisit sa longue robe jaune orangé et la remonte un peu avant de filer
dans l’escalier qui mène aux chambres. Elle a besoin de se retrouver, de se
couper de toute cette agitation.
Mais même là-haut, les discussions vont bon train, et certaines se sentent
obligées de lui expliquer qu’elles n’ont pas voté pour elle. Oh, pas
directement, mais plutôt par de petites insinuations, du genre « J’avais plutôt
pensé à Cassandra » ou bien « C’est incroyable, la moins assortie avec Louis,
c’était plutôt Karen ! »
La course a commencé et il ne faudra pas se détourner de l’objectif.
Toutes savent clairement pourquoi elles sont là. Personne n’oublie que, parmi
elles, il n’y aura qu’une gagnante. Et chacune tentera de multiples stratégies
pour arriver à ses fins.
Victoria, au travers de ces discussions, perçoit la crainte des autres filles.
Elle qui laisse volontiers aux autres le premier plan, elle se surprend à retirer
du plaisir de cette situation. Ce soir, elle se sent grisée par l’euphorie de
l’aventure qui débute. Porter ce diamant vient de lui donner des ailes.
Après tout, ce sont les filles qui ont voté contre elle, pas Louis. Mais quoi
qu’il en soit, il n’avait pas l’air d’être déçu du résultat.
C’est exactement ce qu’il lui fallait pour qu’elle se sente prête à
décrocher le prix mis en jeu. L’excitation la submerge. Et sa détermination
entame une lutte acharnée contre sa défiance habituelle.
Avant de se coucher, les filles échangent avec elle un regard poli, mais
qui trahit une seule et unique pensée… que la meilleure gagne.
Chapitre 3

Épisode 2
Bonsoir à toutes et à tous ! Bienvenue dans ce deuxième épisode de Pour toujours et à jamais.
Précédemment, vous avez fait la connaissance de Louis ainsi que des vingt jeunes femmes qui vont se
disputer son cœur. Et je vous confirme que la compétition est déjà bel et bien lancée ! Toutes sont
tombées sous le charme de ce célibataire sexy et sont prêtes à croquer le fruit défendu. À l’approche des
premières éliminations, c’est une affaire de secondes avant qu’elles ne sortent les griffes pour se
l’arracher…

Victoria se lève la première.


Son sommeil a été profond mais de courte durée. La fatigue a fini par
avoir raison d’elle au milieu de la nuit.
Avant de s’endormir, il lui a fallu s’installer sommairement et découvrir
quelques pièces de la villa aménagée pour l’occasion. Juste le nécessaire pour
la soirée : les salles de bains, le dressing commun dans lequel elle a installé
ses vêtements, et les toilettes. Elle n’a pas eu besoin de chercher son lit : ses
bagages étaient placés devant son couchage, comme pour le reste des filles.
Par conséquent, impossible de choisir sa chambre, et ce n’est pas le fruit
du hasard. La production a réparti les filles à sa guise. Ainsi, elle se retrouve
dans celle de Cassandra. Si elle avait eu son mot à dire, elle aurait déménagé
aussi sec. Mais peu importe, l’endroit est superbe. C’est une ancienne bâtisse
rénovée avec tout le confort et le luxe des matériaux modernes. L’équilibre
entre l’ancien et le neuf y est parfait, juste comme elle aime. La promesse de
passer plusieurs jours agréables en plein mois de juillet est assurée.
Sa maison à elle est une ancienne ferme, à peine rafraîchie, faute de
moyens. Mais elle aime les matières naturelles qui s’y trouvent, et qui ont
changé avec le temps pour donner un rendu qu’aucun matériau moderne,
beaucoup trop statique, ne peut offrir.
Lorsqu’une ou deux filles la rejoignent autour de la table du petit
déjeuner, elles demeurent silencieuses, devant leur café. Les discussions de la
veille se sont taries. La fatigue est présente dans chaque geste, et même dans
la respiration des autres filles qui, ce matin, s’apparente davantage à un long
soupir.
Elles savent qu’elles n’auront pas de rendez-vous avec Louis sous peu, et
ce laps de temps avant toute nouvelle opportunité les met en état de veille.
D’ailleurs, la plupart d’entre elles ont une paire de lunettes de soleil en
équilibre sur le nez. L’impasse sur le maquillage est évidente.
Victoria remarque aussi que les tenues sont nettement plus simples que
les robes de soirée qu’elles portaient il y a quelques heures. Maintenant,
chacune affiche son look : l’une porte un microshort de foot, l’autre une
minijupe en jean, ou encore, un pantalon noir ultramoulant avec des
escarpins. N’oublions pas que Louis va passer la récupérer et que la moindre
perspective de le croiser nécessite de se mettre sur son trente et un – l’air de
rien, bien entendu.
Effectivement, Louis ne tarde pas à entrer dans la pièce, saluant à la volée
les cinq-six femmes autour d’elle.
En le voyant, Victoria se sent comme électrisée, et constate au passage
qu’elle n’est pas la seule à bénéficier de ce regain d’énergie. Les moues
maussades dues au manque de sommeil se sont transformées en larges
sourires. Il faudra qu’elle s’habitue vite à ce ping-pong émotionnel.
– Bonjour, mesdemoiselles ! Avez-vous passé une bonne nuit ?
– Oui ! s’exclament-elles quasiment à l’unisson, remontées à bloc.
Victoria profite de l’instant pour détailler Louis. Lui aussi a choisi une
tenue plus décontractée, et elle ne peut s’empêcher de penser que cela lui
ressemble plus : un pantalon remonté sur les chevilles et un léger pull marin
mettant en valeur ses yeux bleus. Ces vêtements lui donnent un air de gentil
garçon et contrastent avec son côté mystérieux – le rehaussant
paradoxalement. Louis exhale l’intelligence, mais aussi un insolent côté
rebelle que sa chevelure négligée souligne à merveille. Si son physique
s’apparente à celui des hommes qui font la couverture des magazines, il
bénéficie en prime d’un caractère fort, elle en est certaine.
– Où sont les autres filles ? questionne-t-il.
– Pas encore levées, répond Jessie dans un sourire. Après tout, nous nous
sommes couchées très tard hier.
– C’est vrai, ça. Mais comme on dit, le monde appartient…
– … à ceux qui se lèvent tôt ! finissent-elles en chœur et dans la bonne
humeur.
– Et toi, Louis, tu as bien dormi ? questionne Alexandra.
– Vraiment bien ! J’avais hâte de toutes vous revoir. Et toi en particulier,
Victoria.
Victoria est surprise. Il vient de la placer au centre de l’attention. Elle n’a
pas pris la parole depuis l’arrivée de Louis, étant de plus en plus intimidée.
Mais elle doit se ressaisir. C’est quasiment écarlate qu’elle se rapproche de
lui.
– Moi aussi, Louis, sincèrement, bredouille-t-elle.
– Alors, on y va ! Je suis sûr que tu as faim. En tout cas, moi, j’ai une
faim de loup !
À ces mots, Victoria arque un sourcil. Tout d’un coup, elle entrevoit un
sous-entendu dans sa phrase. Ou plutôt, elle aimerait qu’il ne parle pas
uniquement d’un pain au chocolat…
Elle coule un regard aux autres filles et s’empresse de mettre un terme à
la conversation.
– On y va ! Je te suis. Salut, les filles, à tout à l’heure !
– Mouais, à tout à l’heure, reprend Alexandra d’un air maussade.
Profitez-en, mais pas trop !
Louis la fait monter dans la voiture stationnée devant la maison. Le
chauffeur leur annonce un trajet d’environ quarante minutes pour rejoindre
leur destination.
La proximité aidant, ils se mettent à discuter de leur travail respectif. Elle
explique qu’elle est étudiante en droit et qu’elle souhaite rejoindre un cabinet
en conseils juridiques. À partir du moment où elle a su que Louis était avocat,
Victoria a songé à ce moment où elle lui parlerait de leur point commun.
De fil en aiguille, la conversation dérive vers le parcours de Louis, et elle
sent tout le plaisir qu’il éprouve à revenir sur le début de sa carrière. C’est un
homme passionné. Il lui raconte quelques anecdotes et ils se mettent à rire, se
comprenant parfaitement.
Victoria tombe sous le charme. Par-dessus tout, elle raffole des hommes
carriéristes.
Tout à coup, elle sent à nouveau une boule se former dans son ventre.
Plus grosse encore que celle qui lui noue l’estomac la veille de ses examens.
Elle entend presque le tic-tac de sa montre annonçant la fin imminente de ce
rendez-vous. Il lui reste peu de temps pour faire ses preuves et se détacher
complètement du peloton.

***

Quand ils arrivent au bord de la plage, Louis se félicite du choix que les
filles ont fait pour lui, même si Victoria est un peu jeune à son goût.
L’air est frais ce matin, non pas à cause des températures mais du fait du
vent marin vivifiant.
Victoria porte un short en jean foncé et un pull large laissant apparaître
l’une de ses épaules dénudée, mais qui cache, contre toute attente, le diamant
qu’elle s’est vu remettre la veille. Elle repousse ses longs cheveux épais sur
un côté mais ils reviennent sans cesse à leur place en lui caressant l’épaule. Il
remarque aussi les chaussures décontractées qu’elle a choisies afin de
marcher plus facilement dans le sable.
Elle a un côté naturel et simple qu’il aime retrouver chez une femme et,
en se promenant ici, il se sent en parfaite harmonie avec elle. Il sait que c’est
avant tout un sentiment d’amitié, car à ce stade, l’intimité n’a pas encore pris
le pas dans leur relation, mais c’est un bon début.
On les a déposés près de Saint-Jean-Cap-Ferrat, endroit qu’il connaît
parfaitement. À l’inverse, Victoria, en lui indiquant qu’elle vient du nord de
la France, a tout à découvrir ici.
Elle ne cache pas sa joie devant ce paysage. Cette simple promenade
semble lui procurer énormément de plaisir, et Louis a subitement envie de lui
prendre la main. Mais comme c’est un peu prématuré, il se retient et ils
continuent de marcher l’un à côté de l’autre.
Après avoir arpenté la plage, ils empruntent un sentier et atteignent un
coin aménagé en espace pique-nique : une nappe est positionnée à même le
sol, sur laquelle un panier garni a été placé, le tout face à la Méditerranée. La
couverture est installée juste au-dessous d’un pin parasol assez large, où ils
peuvent s’asseoir et écouter le chant des cigales.
Comme ils surplombent la mer, le vent souffle moins fort et les rayons du
soleil réchauffent très rapidement le petit endroit prévu pour eux. Le
panorama est magnifique. L’un de ceux que Louis préfère.
La mer recouvre le sable en de lentes ondulations apaisantes et le soleil se
reflète sur l’immensité bleue, la transformant en un tapis scintillant. Seuls les
quelques bateaux que l’on aperçoit au large permettent de replacer ce tableau
dans la réalité.
Victoria se retourne. Elle paraît aussi émue que lui par ce paysage.
– C’est superbe, dit-elle.
– C’est même mieux que ça, murmure-t-il.
Louis est attendri par ce décor qu’il connaît pourtant si bien. En plus de
sa beauté, ce cadre lui apporte quelque chose de plus précieux encore, la
nostalgie des heureux moments de son enfance.
Victoria le tire doucement de ses songes en le prenant par la main pour
s’asseoir sur la couverture étendue au sol. Il se laisse faire, gagné par la
magie du moment, presque envoûté par autant d’ingrédients magiques réunis.
Un cadre magnifique, une femme superbe et la séduction omniprésente, telle
une alchimie liant merveilleusement le tout.
– C’est drôle, je connais bien cet endroit, mais je ne m’en lasse pas, finit-
il par avouer.
Conscient d’être trop près de quelque chose d’intime pour lui, Louis se
reprend. Il ne veut pas expliquer que c’est ici qu’une partie de son enfance
s’est déroulée. C’est bien trop tôt.
– Enfin, à vrai dire, je n’y viens plus très souvent, je suis toujours en
déplacement, lance-t-il avec un sourire. Tu aimes voyager ?
– Oh oui ! s’exclame Victoria. Et même beaucoup. Malheureusement, je
n’ai pas eu l’occasion d’aller très loin. Et puis, il faut bien le dire, mes études
m’ont beaucoup accaparée ces dernières années.
– Ah ! Ça signifie que c’est une chose qui ne te déplairait pas, alors ?
– Bien au contraire, Louis.
Victoria le fixe du regard afin qu’il comprenne qu’elle s’est
officiellement lancée dans la compétition.
– C’est une bonne nouvelle ! répond-il pour la conforter dans cette idée.
Et il pose la main sur sa joue. En retour, elle lui adresse un large sourire.
Le contact de sa peau est doux. La pudeur s’estompe à mesure que
passent les minutes. Impossible de nier qu’il aimerait qu’elle l’encourage à
poursuivre son geste vers d’autres parties de son anatomie. Ce rendez-vous
est envoûtant et, en d’autres circonstances, ils auraient pu s’abandonner
davantage. Tout est cependant bien trop récent. Alors, pour mettre de la
distance entre eux, ils se tournent au même moment vers le panier prévu pour
le petit déjeuner.

***
FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Jessie
MÉTIER : Assistante marketing
VILLE : Région lyonnaise
ÂGE : 26 ans
TAILLE : 1 m 70
POIDS : 57 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Rousse, pour de vrai !
COULEUR DES YEUX : Bleu électrique
LOOK : Un brin bohème
SIGNE DISTINCTIF : Je suis une rêveuse. Une adepte des fins heureuses.
CAPITAL SÉDUCTION : Quelques minutes passées avec le beau célibataire et je
suis capable de l’envoûter… pour longtemps.
POINT FAIBLE : Ma compassion, impossible pour moi de laisser une femme à
terre !

Pendant ce temps, à la villa, Jessie s’installe dans l’un des fauteuils en


cuir sous la véranda, celui qui donne le meilleur angle pour observer les
allées et venues des autres participantes.
Les jeunes femmes se sont réveillées les unes après les autres et, après un
long passage à la salle de bains, sont venues la rejoindre dans cette pièce
baignée de lumière qui donne sur le jardin.
Attentive aux va-et-vient, elle reste assise, délibérément en retrait, afin
d’observer la scène.
Déjà, des complicités ont émergé et plusieurs clans se sont dessinés. Les
liens qui les unissent ne sont pas évidents et sont sans doute éphémères.
À vrai dire, chacune ne révèle de sa personnalité que ce qu’elle veut. Ici,
c’est une sorte de jeu social, la possibilité d’être celle que l’on choisit. Les
personnages prennent vie au moment où se mettent en marche les caméras.
On peut être plus lisse ou, au contraire, tout en relief, mais on est, quoi qu’il
en soit, ce que l’on décide d’être. Ou bien ce qu’il reste. Pour plaire, il faut
être différente des autres participantes et pas une simple copie, au risque de se
voir évincer au plus vite. D’une manière ou d’une autre, il faut sortir du lot
pour se présenter sans inquiétudes aux éliminations.
Jessie sait cependant que cela ne va pas durer. La veille, toutes ont
expliqué avoir regardé les précédentes saisons de l’émission. Personne n’est
dupe. Plus l’aventure se prolongera, plus elles devront faire face à leurs
émotions. Ce choix, elles y seront toutes confrontées à un moment ou à un
autre : amour ou argent ? Se battre pour une place dans le cœur de Louis ou
bien se contenter de partir avec un chèque ?
À ce stade, il faut garder la tête froide. Faire preuve d’un self-control à
toute épreuve jusqu’à ce que les chemins ne s’écartent et obligent à faire un
choix.
Jessie observe ces consœurs. À coup sûr, les personnages de fictions
risquent de se fendiller et même d’éclater si elles n’y prennent pas garde. Elle
aussi a regardé les autres éditions, et ce qu’elle y a vu lui a beaucoup appris,
notamment une chose. C’est qu’en réalité, l’objectif est simple : il faut
obtenir la première place, et ce, dès le début du jeu.
Cette réussite serait l’accomplissement d’un idéal. Celui que Jessie garde
enfoui dans un recoin secret de son cœur.
Pour elle, inutile d’envisager le podium pour une autre place. La
compétition doit être féroce pour mériter le titre. Et pour ce faire, il faut
laisser derrière soi un véritable no man’s land. Une manière de gagner sa
légitimité aux yeux de tous.
Elle se répète les mêmes mots. « Obtenir la première place, et ce, dès le
début du jeu. »
Déjà, Jessie devine qu’avant même d’intégrer la villa, chacune a réfléchi
à une stratégie pour aller le plus loin possible. Il est impensable d’accepter
d’être moins que finaliste, sous peine de connaître une humiliation tellement
médiatisée que même l’argent ne pourrait laver l’affront. Bien que, pour
certaines, la promesse d’en gagner soit tout aussi alléchante.
Question de principe personnel.
Pour l’instant, personne n’a évoqué les véritables raisons d’un séjour ici,
mais à huis clos dans la villa, sans téléphone ni Internet pour se confier à
leurs proches, les motivations de chacune risquent d’être rapidement
dévoilées.
Ce matin-là, elles sont toutes installées en cercle, se regardant en chiens
de faïence, quand on sonne à la porte.
Jessie, galvanisée par ses réflexions, donne le top départ en se levant d’un
bond. Les autres la suivent dans une course effrénée. Trois mains au moins se
posent sur la sienne quand elle actionne la poignée.
Elles s’amassent sur le seuil et Jessie doit jouer des coudes pour mieux
voir. Une tablette est posée à même le sol. Toutes laissent libre cours à leur
joie. L’attente vient de prendre fin, mais Jessie sait que le répit ne sera que de
courte durée. Seules quelques filles seront concernées par le rendez-vous qui
s’annonce.
C’est Loann qui a le privilège d’accéder à son contenu – primeur
autoaccordée qui ne semble pas plaire à certaines des autres filles. Jessie n’en
rajoute pas, l’essentiel étant que Loann dise rapidement ce qu’il en est.
C’est une vidéo de Louis.
Comme Jessie est aux premières loges, elle découvre le jeune homme en
smoking, la chemise légèrement entrouverte. Le film a été pris la veille, après
qu’il a quitté la réception. Derrière lui, on devine l’intérieur de sa villa. Les
murs paraissent sombres, seules les ombres d’un éclairage à la bougie jouent
sur les murs. Cela donne à Louis l’allure d’un agent secret tout droit sorti
d’une fiction.
Mesdemoiselles,
J’aimerais vous faire découvrir le paysage alentour au travers d’une balade à
cheval, j’espère que vous êtes bonnes cavalières !
Jessie, Noémie, Alexandra et Gwenaëlle, je passerai vous prendre vers 13 heures,
pour un moment sportif et, je l’espère, inoubliable.
Je vous embrasse !

Il s’agit d’un rendez-vous de groupe ! Jessie pose ses mains sur sa


poitrine. Son cœur bat la chamade, elle vient d’être choisie pour l’après-midi
même. La tablette file vers les filles à l’arrière qui pestent car elles n’ont pas
pu voir les images.
Enthousiaste, Jessie se rapproche des filles nommées pour échanger ses
premières impressions.
Elles sont à la fois excitées et ravies d’avoir été sollicitées pour un
rendez-vous, ce qui commence à agacer les autres demoiselles de manière
évidente. Entre autres, Cassandra, qui se tient non loin, une casquette
enfoncée sur la tête.
Jessie ne peut s’empêcher de la regarder. Même si elle ne prend pas part
aux discussions, Cassandra paraît bouillir tant son orgueil supporte mal de ne
pas avoir été sélectionnée pour le premier rendez-vous.
Perplexe devant ce flagrant manque de patience, Jessie observe les autres
filles. Elle s’attarde sur Magdalena. Celle-ci fixe Cassandra depuis un instant,
un sourire narquois accroché aux lèvres, avant de se décider à l’interpeller.
– Ah ça, pour une première impression, tu lui as tapé dans l’œil !
– Hum… Ne t’inquiète pas pour moi, réplique Cassandra, quand je veux
quelque chose, je finis toujours par arriver à mes fins. Et puis, un rendez-vous
en groupe, ça ne m’intéresse pas, je le veux pour moi toute seule.
– Mouais, enchaîne Lou en entendant la conversation. Sauf que ça va être
compliqué pour ce soir, si on n’a pas eu un moment avec lui dans la journée.
En plus, on dirait qu’il a déjà des préférences.
Jessie sent son regard s’abattre sur elle.
– Rien n’est joué, répond Cassandra toujours immobile, en proie à une
colère froide.
– Oui, mais je crois qu’il plaît vraiment à la quasi-totalité des filles,
réplique Lou. On l’a toutes dévoré des yeux hier. Et aujourd’hui, certaines
pensent déjà qu’elles seront l’heureuse élue. Rien qu’à l’idée de passer un
moment avec lui, j’ai bien cru qu’elles allaient s’évanouir ! De vraies
gamines. Faudrait qu’elles redescendent sur terre.
Lou se tourne vers le petit groupe formé autour de Jessie et leur lance un
regard dédaigneux pour appuyer ces mots. Jessie lève les yeux au ciel, et les
autres filles poursuivent leur conversation, toujours excitées par la nouvelle.
– Disons que, chez Louis, il n’y a pas grand-chose à jeter, souffle
Cassandra à Lou, se voulant invraisemblablement discrète. La compétition va
être serrée. Heureusement pour moi, la plupart de ces filles sont
insignifiantes. Aucune chance qu’elles aillent très loin dans le jeu. Ce qui
nous permettra de passer les premières étapes sans avoir trop à nous en faire.
Victoria franchit le seuil de la véranda à ce moment. Jessie se félicite du
timing. Les derniers mots de Cassandra allaient faire du grabuge. La cadette
du groupe s’approche, un grand sourire aux lèvres.
Toutes se lèvent pour aller la rejoindre sauf Cassandra, Magdalena et
Lou, qui préfèrent rester en retrait.
L’absence de Louis a déçu certaines d’entre elles qui, après avoir jeté
quelques regards furtifs en direction de la maison, se sont rendu compte qu’il
n’était pas là. Jessie ne peut nier qu’elle-même aurait aimé le voir un instant.
Rien que quelques minutes avant son rendez-vous de l’après-midi.
– Alors, raconte-nous ce que tu as fait ! demande Loann.
– Eh bien, on a passé quelques heures dans un endroit magnifique
surplombant la mer. On a beaucoup discuté et appris un peu à se connaître.
Oh là là ! Les filles ! C’est vraiment quelqu’un de sensationnel !
Jessie la fixe sans rien dire, un peu surprise de constater que Victoria se
lance volontiers dans le récit détaillé de son rendez-vous. Une attitude qui lui
fait serrer les dents. Elle passe la main sur ses joues pour se détendre et laisse
son regard errer sur l’assemblée massée autour de Victoria.
Les jeunes femmes la regardent comme s’il s’agissait d’un ovni. Jessie
met quelques secondes à comprendre pourquoi. Deux raisons lui viennent en
tête. La première, c’est que Victoria parle de Louis en tant que personne et
non en tant que trophée – ce qui paraît étrange car, jusqu’alors, il n’était rien
d’autre qu’une victoire à décrocher. Le premier lot d’une grande compétition
jalonnée de billets. Et la deuxième, c’est qu’elle leur livre tout, dans les
moindres détails. Visiblement, elle cherche une épaule avec qui partager son
bonheur. Mais est-ce seulement possible, au milieu de cette arène ?
Victoria veut déverser le flot d’émotions qu’elle a pudiquement retenu
lorsqu’elle se trouvait en compagnie de Louis. Jessie peste intérieurement.
C’est la cause irréfutable de son grincement de dents. Car maintenant,
Victoria peut se vanter de le connaître un peu. Elle non.
La première place semble lui passer sous le nez.
Cette prise de conscience est flagrante et unanime. Victoria a une vraie
longueur d’avance sur les autres filles et, à cause de cela, elle ne va pas
s’attirer leur sympathie.
– Ah oui, lance mollement Sofia. Veinarde ! Alors, tu peux peut-être nous
apprendre un ou deux trucs sur lui ?
– Oh, tu sais… Juste quelques trucs sur ce qu’il aime ou pas, dit Victoria
avec un sourire qui n’a d’autre objectif que de narguer ses camarades.
Visiblement, elle apprend vite. Il y a peu, Jessie aurait affirmé sans
hésitation que Victoria était la plus étrangère aux stratégies naissantes. Mais
ce matin, elle donne l’air de vouloir rattraper son retard.
– Mouais, à voir, la coupe Lou.
– Pourquoi tu dis ça ? reprend Alexandra.
– On verra bien si ce rendez-vous était si génial que ça.
– Ça veut dire quoi, « ça » ? l’invective Victoria, que l’agacement
commence à gagner.
Lou essaie de saper le moral de Victoria, ne lui donnant aucun répit pour
profiter davantage des illusions qu’elle s’est construites aux côtés de Louis.
Une vengeance froide et calculée.
– Simplement que c’est bien beau d’avoir obtenu un diamant, mais que
tout reste à faire, parce que nous aussi avons un rendez-vous ! s’exclame
Gwenaëlle en agitant la tablette.
La discussion ne se poursuit pas davantage, il est temps de se mettre à
table. Cependant, la trêve n’est pas déclarée pour autant. Des piques, certes
plus polies, mais toutes aussi sarcastiques commencent à fuser. Les tensions
ne sont pas apaisées et il faut les évacuer d’une manière ou d’une autre.
Les filles sont toutes attablées sur la terrasse, côte à côte, mais sont en
friction permanente, telles des plaques tectoniques en mouvement. Une
journée passée ensemble a créé des affinités temporaires… mais surtout
l’inverse.
Jessie baisse les yeux sur son assiette en constatant que certaines d’entre
elles ne sont absolument pas compatibles et ne feront aucun effort pour
s’entendre. Elle ironise : le mieux serait que Louis puisse les voir à cet
instant. Ce genre de moment lui serait d’une aide précieuse pour l’aider à
faire ses choix.
Observer est la meilleure stratégie.
Combien de temps encore avant que plusieurs d’entre elles ne baissent
leur garde et n’affichent devant Louis leur vrai visage ? Ou le plus inavouable
des défauts, qu’elles assurent ne pas posséder ? Elles qui se présentent
comme des femmes pures et assoiffées d’amour, pas le moins du monde
obnubilées par tout ce qui brille…
Intérieurement, Jessie sourit. Tic tac, tic tac…

***

Comme prévu, Louis les rejoint pour la balade à cheval organisée l’après-
midi même. Quand il les aperçoit, elles sont en train de boire un café sur la
terrasse. Il s’adosse à la porte-fenêtre pour admirer une fois de plus le
spectacle et prend une profonde inspiration.
La situation n’est vraiment pas banale. L’enchaînement des activités
l’empêche de mettre de l’ordre dans ses idées. Lui qui est plutôt quelqu’un de
réfléchi, il est contraint, ici, d’être dans l’action perpétuelle. On lui impose
une forme de lâcher-prise qui met ses émotions et ses sensations au premier
plan.
Ce relâchement lui fait du bien. Pour une fois, il n’a qu’à se laisser porter,
à se laisser séduire.
En l’apercevant, les filles se lèvent d’un bond et l’invitent bruyamment à
table pour partager un café. Il accepte sans se faire prier, estimant que, de
cette manière, il laissera quelques minutes aux quatre filles qui doivent partir
avec lui pour enfiler un jean et des chaussures fermées, précautions
indispensables pour la promenade.
Louis se glisse de lui-même sur une chaise vide isolée en bout de table
avant que ne fusent les demandes insistantes d’une dizaine de filles qui
voudront l’avoir tout près d’elles. Choisir et risquer de blesser des orgueils
pour de telles futilités le mettent mal à l’aise. Quelques heures en compagnie
des filles lui ont appris à devancer ce genre de situations épineuses qui, à
coup sûr, pourraient vite refroidir l’ambiance. Ainsi installé, sans heurt, il
apprécie ce moment où chacune lui sourit. La conversation tourne autour de
lui, toutes se montrent très intéressées par la qualité de son sommeil.
Tentatives plus ou moins subtiles pour marquer des points auprès de lui.
Vraisemblablement, il est au centre de l’univers des vingt femmes
habitant la maison, et ce sentiment est transcendant. Cette sensation assouvit
un désir profondément ancré en lui, quelque chose de primal. Quelque chose
qui n’attendait qu’une opportunité pour remonter à la surface…

***
FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Alexandra
MÉTIER : Gérante d’un magasin de sport
VILLE : Nantes
ÂGE : 25 ans
TAILLE : 1 m 73
POIDS : 60 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Blond
COULEUR DES YEUX : Marron
LOOK : Sexy sportive
SIGNE DISTINCTIF : Ma spontanéité
CAPITAL SÉDUCTION : J’aime partager des sensations fortes… Le beau
célibataire va en prendre plein la vue.
POINT FAIBLE : Pas de quartier… (C’est un point faible ?)

Alexandra l’observe du bout de la table. Comme toutes les filles


sélectionnées pour la balade à cheval, elle trépigne d’impatience ; moins de
cinq minutes lui ont suffi pour s’habiller et revenir au milieu du petit groupe.
Il est impensable de le laisser seul avec les autres alors que Victoria
semble avoir pris une longueur d’avance et que Cassandra est accrochée à
son bras, plus collante qu’une sangsue.
En contemplant la scène, elle comprend que le regard des filles a changé.
Et elle sait parfaitement de quoi il retourne, car le même changement s’est
opéré dans son esprit.
Il ne faut pas se voiler la face. En arrivant ici, elle pensait s’embarquer
dans un jeu où ses performances en tant que séductrices lui permettraient de
gagner une somme rondelette. Bien sûr, elle était curieuse de voir le
célibataire en question, mais avait peu d’espoir qu’il lui plaise vraiment.
Comme beaucoup de jeunes femmes, elle ne croit plus trop en l’amour. Ou
plutôt, elle croit plus en l’argent, car force est de constater que le confort d’un
matelas bien garni a su faire ses preuves et ne pas décevoir, ces dernières
décennies. Voire au siècle dernier, si l’on en croit Marylin.
Mais, sans qu’elle s’y attende, Louis a pris la place de ce qu’elle estime
être l’homme idéal, ou le prince charmant. Bref, celui qui, en réalité, n’est pas
censé exister, ou seulement dans les très vieilles histoires qu’on se raconte de
mère en fille ; l’homme protecteur, entreprenant, attentionné, courageux et
capable de prendre soin d’elle. Bon, elle en rajoute un peu, parce qu’il n’a pas
encore eu besoin de faire preuve de courage, mais Alexandra pressent qu’il
possède tout ce qu’on peut attendre d’un homme.
Il prend corps, petit à petit, grâce aux moments passés en sa compagnie,
s’éloignant de l’image du mec superficiel qu’il donnait au tout début de
l’aventure.
En fait, on lui sert – sur un plateau – un homme exceptionnel qu’elle
aurait du mal à croiser dans son quotidien. Alors, après tout, être une
vingtaine à se le disputer, ce n’est pas grand-chose. Cela laisse finalement
une possibilité de l’obtenir. Qui peut prétendre avoir une chance sur vingt de
vivre avec le prince Charmant ?
Alexandra rit intérieurement. Parce que même la Belle au bois dormant
avait moins de chance qu’elle de finir avec son prince, si on compte la
sorcière, le dragon, le poison et tout l’attirail pour tisser du fil… Elle fixe sa
tasse de café et arque un sourcil. Il ne faudrait pas qu’une des filles ait glissé
quelque chose dans sa tasse, car il y a bien quelques sorcières dans la villa.
La pause-café se termine, et le petit groupe s’en va, en minibus cette fois,
en direction d’un ranch situé à une trentaine de kilomètres dans l’arrière-pays.
Il fait déjà très chaud en ce début d’après-midi, et la climatisation du
véhicule est la bienvenue. Cela évite au moins que certaines de ses rivales
enlèvent un autre morceau de tissu… vu qu’il n’en reste déjà pas grand-
chose.
– Alors, les filles, commence Louis, vous avez déjà fait de l’équitation ?
Il a un air poli, mais un peu gauche. Mignon à souhait. Comme s’il se
sentait obligé de faire la conversation, par pure politesse.
– Moi, jamais, répond Gwenaëlle. J’espère que vous ne vous moquerez
pas de moi !
– Ne t’inquiète pas, la rassure Jessie, je suis sûre que tout va bien se
passer. C’est une super expérience, tu vas voir !
– Donc toi, tu en as déjà fait ? reprend Gwenaëlle.
– Un peu, oui. Disons que je suis plutôt du genre campagne et que monter
à cheval, ou plutôt, essayer de monter les chevaux des champs aux alentours,
était l’une de nos distractions.
Tous se mettent à rire, en particulier Louis. Il a une drôle d’étincelle dans
les yeux. Comme s’il avait déjà fait ce genre de chose lui aussi. Et cela lui
donne de la profondeur. Il semble façonné par de multiples moments de vie,
de souvenirs ayant forgé sa personnalité. Promesse d’un tas de sujets de
conversations à venir.
À l’inverse, les autres filles contrastent avec cette sincérité qui émane de
lui. Elles veulent se donner une image mystérieuse et énigmatique, mais le
rendu est bien trop artificiel.
La curiosité aiguisée, Alexandra essaie d’en apprendre davantage.
– Et toi ? Raconte-nous, Louis. Où est-ce que tu as appris à faire du
cheval ? Tu nous emmènes en balade pour nous impressionner ?
Elles gloussent toutes de la taquinerie – histoire d’afficher encore leur
sourire, au cas où Louis n’aurait pas remarqué leurs dents ultrablanches – et
Alexandra lève les yeux au ciel. Si elle le pouvait, elle ouvrirait une portière
pour alléger le minibus d’une ou deux charges encombrantes.
– Non, pas vraiment, je te rassure. Disons que monter à cheval s’est fait
comme ça, à l’occasion, et que j’ai bien aimé. Je suis souvent en ville, alors
quand j’ai la possibilité de m’échapper un peu dans la nature, je fonce, peu
importe l’activité.
Elle sourit à ces mots, mais elle n’est pas dupe. Louis n’a pas vraiment
répondu à sa question et elle n’a rien appris de plus le concernant. Il va falloir
être tenace pour le découvrir, et le moment n’est pas le bon ; se confier à
l’arrière d’un minibus ne paraît pas être l’un de ses hobbies préférés.
Les pensées d’Alexandra vagabondent un peu plus loin. Un éclair de
lubricité lui traverse l’esprit à l’idée d’associer le jeune homme à un cow-boy
chevronné. C’est encore mieux qu’un prince Charmant romantique.
La conversation se poursuit et s’oriente tout naturellement vers les loisirs
favoris des jeunes femmes. Ou plutôt, Louis la pousse dans ce sens. Elle en
est sûre maintenant, Louis reste délibérément en retrait ; il répond aux
questions par d’autres questions. Technique infaillible et qui fait ses preuves :
la plupart des autres filles n’ont rien remarqué.
Alexandra comprend que Louis se positionne en observateur. Il faudra
aller loin dans le jeu pour vraiment le découvrir.
Les autres filles répondent aux questions sans ciller. Ainsi, elles mettent
en avant leur personnalité exacerbée, sans aucune finesse. Facile alors de les
cerner et de garder une image indélébile de chacune, tant leurs traits sont
caricaturaux.
Gwenaëlle se présente plutôt comme un petit rat de bibliothèque,
absolument pas sportive, mais se dit prête à faire des efforts, tout en battant
des cils. Elle ne souhaite pas se retrouver sur le banc de touche, tout ça parce
qu’elle n’aime pas trop le look « jogging baskets ».
Alexandra soupire. Gwenaëlle cherche à se faire passer pour
l’intellectuelle du groupe. Mais c’est une très mauvaise stratégie, car Louis
doit déjà être entouré par ce genre de femmes. Ici, c’est autre chose qu’il est
venu chercher. Une personnalité plus complexe. Une fille à la tête bien
remplie, mais pas seulement.
Jessie, elle, paraît plus secrète. Elle indique seulement qu’elle aime la
nature et tous les sports d’extérieurs. Lorsqu’elle a terminé, Alexandra se
rend compte que, comme elle, toutes la regardent avec une mine contrite. La
carte du mystère semble bien rendre Jessie plus insipide qu’autre chose. Son
air de « je ne suis pas du genre à me livrer moi non plus » prouve une chose,
c’est qu’elle n’a pas grand-chose à dire.
Noémie prend la parole après un long silence, juste après avoir fixé la
rouquine pour la forcer à ajouter quelques mots. Bien sûr, personne ne vient
au secours de Jessie. Inutile de préciser qu’ici, c’est chacun pour soi.
Lorsque le silence devient trop gênant, à la limite de l’impolitesse,
Noémie explique qu’elle a longuement pratiqué la natation dans son enfance,
mais que sa vie de femme lui en laisse peu le loisir, ce qu’elle semble
regretter. Ou, du moins, ce qu’elle laisse penser, car elle se contente de
secouer la tête à la fin de sa déclaration.
Tout a été dit avec passion. Une vraie dramaturge sur pattes. En d’autres
circonstances, Alexandra lui aurait tendu un mouchoir, mais elle a mieux à
faire. C’est à son tour de prendre la parole. Elle explique qu’elle pratique le
foot féminin à un très bon niveau. Tous la regardent l’air un peu surpris.
C’est toujours l’effet que cela produit quand elle en parle. Car oui, elle a
largement conservé ses attributs féminins, et taper dans un ballon sur une
pelouse ne fait pas d’elle une sorte de Musclor à couettes saturé de
testostérone.
Elle s’apprête à raconter deux ou trois anecdotes, mais ils arrivent au
ranch.
Alexandra ne peut nier que, dans l’ensemble, les filles ont fait des efforts
pour échanger poliment et s’écouter les unes les autres. Mais il ne faut pas
perdre de vue que l’idée est de se montrer sous son meilleur jour, malgré la
compétition.
Elle la première, elle sait qu’il est inutile, voire dangereux de dénigrer les
autres candidates. Une harpie ferait mauvais genre. Elle doit montrer un peu
de délicatesse dans ses relations avec les autres filles pour permettre à Louis
de l’imaginer plus tard au sein de son propre groupe d’amis. Ou tout du
moins, lui donner envie de ne pas l’éliminer ce soir. Elle chasse finalement
ces pensées afin de se concentrer sur l’instant présent.
Le décor est authentique, et les chevaux les attendent, déjà sellés pour
l’occasion. Tout est mis en œuvre pour immerger le petit groupe dans une
ambiance western… comique : la chaleur se fait sentir, et monter en selle
n’est pas évident pour tout le monde. Si Louis, Alexandra et Jessie s’en
sortent à merveille, les autres filles font la moue au moment de mettre la
bombe qui malmène leur coiffure. Puis, elles peinent devant la hauteur et le
caractère, pas toujours docile, de leur monture.
Alexandra se mord la lèvre pour ne pas exploser de rire. Louis,
naturellement, remet pied à terre afin d’aider les autres jeunes femmes
pourtant déjà accompagnées d’une personne du ranch pour les guider. Bref,
elles en font des tonnes pour attirer son attention.
Une fois que tout le monde est en selle – c’est-à-dire vingt minutes plus
tard, sous les yeux effarés des moniteurs – la balade peut débuter.
Le petit groupe emprunte un sentier ombragé qui permet de se rafraîchir à
mesure qu’ils s’enfoncent dans la forêt.
Une heure de promenade est prévue et le temps file, comme d’habitude,
ne laissant que peu de temps pour passer à l’attaque.
Alexandra, de plus en plus à l’aise, éperonne régulièrement son cheval
pour se placer aux côtés de Louis. Tactique offensive oblige, elle n’hésite pas
une seconde à reléguer ses camarades au second plan.
En réaction, elle les entend pester et tenter vainement de lui ravir sa
place. Du coin de l’œil, elle observe Jessie qui se donne du mal pour faire
avancer son cheval. Mais sa monture, sans aucun doute la plus flegmatique
du groupe, n’a pas l’intention de se mêler à ce petit jeu aussi facilement.
Quant aux autres filles, leur manque d’aptitudes équestres ne leur permet pas
de la dépasser, pour son plus grand bonheur !
Elle se délecte de ce long moment où elle a Louis pour elle toute seule.
Ils reviennent sur la conversation inachevée dans le minibus, et
Alexandra explique comment elle en est venue à pratiquer un sport
habituellement plutôt masculin. Entourée par quatre frères, ses week-ends au
stade ont fini par la décider à entrer sur le terrain. C’était toujours mieux que
patienter des heures dans les gradins.
Louis se montre attentif et curieux. Plusieurs fois, il sourit quand elle
plaisante à propos des parties en famille où ses frères ont dû admettre qu’elle
avait une meilleure technique que la leur.
Finalement, ce rendez-vous de groupe s’avère aussi intéressant qu’un
tête-à-tête, quand on sait s’y prendre !
Une fois pied à terre, le petit groupe ne perd pas de temps à échanger ses
impressions sur la balade. Il faut déjà rentrer et se préparer pour la soirée.
Alexandra note une légère tension dans le minibus. Chacune essaie de
capter l’attention de Louis. Elles cherchent un signe, ou n’importe quoi
d’autre, qui puisse les rassurer quant à la suite de l’aventure. Bien entendu,
elle se retrouve assignée contre la vitre en guise de punition. Trop se mettre
en avant a des conséquences immédiates, et elle est en train d’en faire les
frais.
Gwenaëlle, assise à côté d’elle, n’hésite pas à lui tourner carrément le dos
pour l’exclure de la conversation. C’est une mauvaise perdante. Alexandra se
retient, car l’ambiance tourne au vinaigre.
Le véhicule, en arrivant, stationne devant la maison des filles.
L’au revoir est bref, mais aucune ne manque de se jeter dans les bras de
Louis pour une bise bruyante et plus que suggestive.
Alexandra en fait de même, non sans remarquer que Louis, de son côté,
ne se gêne pas pour laisser traîner ses mains sur leurs bras et épaules
dénudées. Politesse, oui. Mais pas que.
Le fait de se séparer, même pour une heure ou deux, est une occasion
toute trouvée pour humer une fois de plus son parfum qui, maintenant, lui fait
tourner la tête. Et tant pis si ses mains se baladent aussi sur les autres filles.
Seule l’attention qu’il lui accorde a de l’importance.
Elles s’apprêtent à rentrer quand Louis les rappelle, une drôle de lueur
dans les yeux.
Alexandra fait volte-face, suivie des trois filles.
Elles restent immobiles quelques secondes tandis que Louis sort un
minuscule écrin de sa poche.
– Je voulais vous les offrir ce soir, mais je suis certain que vous les
apprécierez plus maintenant.
Il ouvre la boîte, révélant quatre pendentifs en forme de fer à cheval.
Deux dorés et deux argentés.
Alexandra a les yeux braqués sur les bijoux. Elle a envie de sauter de
joie.
Elle ne sait pas grand-chose du déroulement des éliminations, c’est
l’omerta totale. Un principe de précaution qui pousse les filles à redoubler de
vigilance à chaque instant. Mais ce collier semble de bon augure.
Louis attrape un pendentif doré et balaie les filles du regard.
– Alexandra, je peux passer ce pendentif dans ta chaîne ?
Elle sourit à s’en décrocher la mâchoire. Une pensée lui traverse l’esprit :
elle comprend mieux pourquoi l’assistante a insisté pour qu’elles portent
toutes une chaîne durant l’émission.
– Bien sûr !
Le pendentif en lui-même est un cadeau assez simple, mais son efficacité
est redoutable. C’est une marque d’affection évidente. Alexandra se sent
libérée d’un poids. Jessie est la suivante. Noémie et Gwenaëlle se voient
offrir les pendentifs argentés.
Rentrer à la villa avec un cadeau de Louis a de quoi leur mettre du baume
au cœur. Alexandra est euphorique, fière de sa performance de l’après-midi.
Elle vient de passer dans le peloton de tête.
Mais, l’heure tourne et il faut se quitter.
Elles se détachent de Louis à regret et filent rejoindre le groupe de jeunes
femmes qui occupe les salles de bains de l’étage.
En traversant le hall, Alexandra remarque une barre avec un ensemble de
robes qui y sont suspendues. Certaines sont épinglées au nom des filles, signe
qu’elles sont déjà attribuées.
À côté d’elle, Gwenaëlle fulmine face à cette manière d’agir qui lui
semble manquer d’éducation. Et elle n’oublie pas de la fixer en clamant son
indignation, petit clin d’œil à son attitude déloyale de l’après-midi.
Visiblement, Gwenaëlle n’a pas digéré ses performances équestres.
Gagner, oui, mais pour certaines, il faut le faire dans les règles de l’art. C’est
pourtant un luxe qui finira par lui coûter cher, pense Alexandra. Avec cette
attitude, Gwenaëlle n’ira pas loin dans le jeu. Il faut savoir profiter de chaque
occasion sans se poser trop de questions. En d’autres circonstances,
Alexandra aurait été moins individualiste, mais ici, c’est le seul moyen
d’avancer vite. Il faut se servir avant les autres, même si, pour l’heure, elle
aurait souhaité aussi avoir le choix de sa tenue.
Noémie et Jessie se moquent ouvertement de ce manque de délicatesse,
encore sur un petit nuage, préférant se délecter de la douceur de ces dernières
heures. Louis a fait des dégâts auprès d’elles.
Alexandra expire bruyamment. Elle aurait bien envie de les secouer.
Heureusement qu’elles ne sont pas sur un terrain de foot, car les avoir dans
son équipe serait une vraie catastrophe.
La maison des filles est en ébullition. Une vraie ruche, où chaque petite
abeille s’affaire entre l’essayage des robes de soirée, le maquillage et la
coiffure.
Certaines sont très rapides et d’autres, au moment fatidique de rejoindre
la réception, sont encore en train de choisir les accessoires qui pourront
valoriser leur tenue. Manque d’expérience flagrant. Encore une faiblesse qui
finira par leur coûter cher sur ce terrain de jeu.
Pendant les préparatifs, Alexandra n’a pas eu le temps de discuter, même
pas du pendentif qu’elle vient de recevoir en cadeau. Il est temps maintenant
de se rattraper. Semer le doute et la confusion dans l’esprit des autres filles
pourrait s’avérer être efficace.
En traversant la salle, elle lit l’inquiétude dans le regard des autres filles.
Personne n’a eu d’autres occasions pour s’entretenir avec Louis, pour le
connaître un peu plus, ou au moins se montrer une dernière fois avant qu’il ne
fasse son choix. En plus, le déroulement de la soirée n’est pas clair : les
éliminations peuvent débuter à tout moment. Aucune des filles n’a reçu
d’informations. Elles savent uniquement que quatre d’entre elles sont sur des
sièges éjectables.
Un frisson lui parcourt la colonne vertébrale, le même qu’elle ressent
devant la cage quand elle a la responsabilité d’un coup franc. Sauf qu’ici,
toute son adresse est inutile. Elle ne peut rien changer.
Les jeux sont faits.
Chapitre 4

J – 5 : me voici devant un ultimatum…

La télécommande en main, j’enclenche le mode enregistrement et éteins


le téléviseur.
Je me lève et me sers machinalement un verre de whisky.
La nuit va être courte.
L’écran retransmet très clairement chacune de mes pensées, de sorte que
l’on peut lire en moi avec une facilité déconcertante. Si j’ai toujours vanté les
performances des images, je ne m’attendais pas à en faire les frais
aujourd’hui.
À bout de nerfs, je m’installe à nouveau dans le canapé du salon et essaie
de faire le tri dans mes idées. Peut-être que cette impression est toute
personnelle ? Sans doute que les autres spectateurs n’auront pas perçu ce que
j’avais en tête.
Peu importe. Je délaisse vite ces idées pour me concentrer sur la femme
qui fait partie de ma vie aujourd’hui. Nous n’avons abordé la question de
l’émission qu’une ou deux fois, et je ne sais pas si elle a choisi de la visionner
ce soir. En tout cas, si elle l’a fait, ce n’est pas en ma compagnie.
La voir à l’écran est déconcertant. Cela me donne l’impression de
m’immiscer dans son esprit sans la possibilité d’avoir la moindre
information. Impossible de freiner le raz-de-marée de questions qui
m’envahit. Qu’en aura-t-elle pensé ? Quel effet ces images auront-elles sur
elle ? Sur nous ?
Je me souviens de nos discussions au sortir du jeu, et de ses phrases
énigmatiques : « L’amour du XXIe siècle se mérite. Il n’est plus au coin de
chaque rue, il se cache. »
Depuis, elle a tellement changé.
Elle a emménagé dans mon appartement, en Chine, il y a quelques mois,
et depuis nous vivons une belle histoire. Et je pense qu’elle me connaît bien
maintenant. Enfin, ce que j’accepte de lui montrer.
Et ça, c’est un problème ! Elle risque de découvrir par le biais de la
télévision d’autres aspects de ma personnalité que je me suis bien gardé de lui
dévoiler, non pas pour me cacher volontairement – parce que, si une chose est
sûre, c’est que j’ai vraiment envie de me livrer entièrement à elle – mais
parce que les circonstances sont différentes. Dans le jeu, je devais faire de
mon mieux pour que les filles restent uniquement pour moi. Le concept du
quitte ou double est déstabilisant ; leur permettre de partir avec l’argent avant
les éliminations a influencé mon comportement. Je ne voulais pas que les
filles décident elles-mêmes de quitter le jeu. Il fallait que je sois le seul maître
à bord.
Alors qu’ici, quand il n’y a plus eu qu’elle et moi, je n’ai plus ressenti le
besoin de faire autant d’efforts.
Je n’étais pas tout à fait moi-même, au milieu de toutes ces femmes. Et
merci à la télévision de le montrer si clairement !
Pour me calmer, je commence à faire les cent pas dans le salon. J’ai
pourtant essayé de suivre les conseils de mes associés. Les relations qui
durent sont celles qui se construisent pas à pas, prudemment, en se donnant
petit à petit. Impossible de me voiler la face : je dois bien avouer que j’ai
excellé en ce qui concerne la prudence. Surtout comparé à cet autre moi, celui
de l’émission. Contre toute attente, construire notre relation a été plus
compliqué au sortir du jeu. J’ai eu du mal à trouver mes marques. Comment
se sentir à l’aise alors que rester avec moi équivaut à renoncer à
100 000 euros et un diamant qu’elle porte tous les jours ?
Finalement, les images qui vont être diffusées révéleront certaines choses
qu’elle ignore sur moi. Beaucoup de choses, à vrai dire. Je serai en
compagnie d’autres femmes, et évidemment, elle verra à quel point je peux
être expressif quand je le veux.
Cela risque d’être une très mauvaise surprise pour elle et, à coup sûr, elle
va mettre en doute notre relation, si ce n’est pas déjà fait. Et comment lui en
vouloir ?
Je n’ose même pas imaginer l’inverse.
Le constat est évident. J’ai occulté les conséquences de mon propre
comportement… Oui, vraiment.
Ce soir, je devais lui remettre la lettre que j’ai rédigée il y a quelques
jours. Quand elle m’a dit ne pas vouloir regarder les premiers épisodes avec
moi, j’ai pensé trouver un autre moment, plus tard. Mais je dois précipiter les
choses.
D’ailleurs, il vaudrait mieux qu’elle la lise tout de suite. Pourquoi
attendre, au fond ? Pourquoi prendre le risque qu’elle souffre ou que notre
couple en fasse les frais ?
Je me rends dans le couloir et ouvre le placard où sont rangées nos
valises. La mienne n’est plus à sa place. Un peu nerveux, je pars à sa
recherche. Je vide deux autres placards avant de me rendre compte qu’elle est
sur la chaise de sa coiffeuse, dans notre chambre. J’ouvre sans plus attendre
la poche de devant… Elle est vide. De colère, je la secoue, espérant voir
tomber l’enveloppe blanche. Mais rien.
Mes pensées s’embrouillent, je suis certain de l’avoir laissée là. Soudain,
je comprends. C’était sans penser qu’elle se servirait de cette valise pour son
séminaire.
Je m’installe sur le lit, déçu par ce revirement de situation. J’aurais
préféré qu’on la lise ensemble.
Je sors nerveusement mon téléphone de la poche arrière de mon jean et
compose son numéro. Elle doit être chez l’une de ses récentes amies, celles
qu’elle s’est faites dans les quelques soirées que j’ai organisées chez nous.
Le téléphone sonne et bascule rapidement sur la messagerie. Je réessaie
plusieurs fois mais mon appel est aussitôt refusé.
J’en déduis que l’impact de l’émission n’est pas à prendre à la légère.
C’est la première fois qu’elle ne me répond pas.
Tout en repoussant mon verre de whisky, je me réinstalle sur le canapé
pour attendre son retour. Mieux vaut que j’aie les idées claires pour la
conversation qui se profile.
Inutile de m’inquiéter pour l’instant, mais je vais l’attendre pour discuter.
Je vais lui montrer que je comprends sa réaction. C’est le minimum que je
puisse faire ce soir. Ou plutôt, c’est la seule chose qui me reste à faire.

Le lendemain matin, je me réveille en sursaut, toujours sur le canapé, et


toujours seul. Je mets quelques minutes à recouvrer mes esprits. Tout me
revient en tête, mais dans le désordre. Je peine à replacer les événements dans
leur chronologie.
Debout dans la salle de bains, je me passe un peu d’eau sur le visage.
Un sentiment de vide m’envahit. Elle n’est pas là. Pas besoin d’aller dans
la chambre pour le vérifier, je le sens. L’appartement est vide. Désespérément
vide.
J’entre tout de même dans la chambre pour voir si elle est rentrée se
coucher ; elle s’est peut-être levée de bonne heure afin de faire un footing
près du parc.
Cet élan d’optimisme retombe quand je découvre un lit parfaitement tiré.
Non pas un lit refait après s’y être étendu, mais un lit propre et immaculé,
celui qu’a laissé la femme de ménage après son passage, la veille.
Je m’y étends sur le dos. Vraisemblablement, il va falloir que je trouve un
moyen de nous sortir de ce pétrin. Si deux épisodes ont pu faire de tels
dégâts, je dois sérieusement m’inquiéter pour la suite. Je ne tiens pas à perdre
celle qui fait battre mon cœur.
En premier lieu, je dois la retrouver.
Toujours étendu, le téléphone à la main, je rappelle. Une fois, deux fois,
mais c’est la boîte vocale qui me répond.
Essayant de me calmer, j’envoie un message, tout en retenue, pour ne pas
la faire fuir davantage.
Bonjour, tu m’as manqué cette nuit et je suis très inquiet. S’il te plaît, fais-moi
signe.

Ces mots ne retranscrivent pas exactement les sentiments que je ressens.


J’aimerais lui crier de rentrer, lui dire que tout ce qu’elle a pu voir n’est rien
en comparaison de notre amour. Mais il y a toujours cette réserve, qui me
force à me contenir.
Au moins, si elle était là, elle pourrait lire dans mon regard. Elle a
toujours su lire en moi et y déceler la force de mes émotions, sans que j’aie
besoin de parler.
Je ne sais plus quoi faire, je suis bloqué. Qui aurait cru un jour que cela
puisse m’arriver ?
Pour mieux faire face à la situation, j’appelle le cabinet afin de m’excuser
pour le reste de la semaine. J’échange rapidement quelques mots avec la
secrétaire qui note les rendez-vous à repousser.
En raccrochant, je me rends compte qu’aucun déplacement n’était
organisé dans l’immédiat et, plus encore, que la plupart des affaires que
j’avais prévu de traiter sont en cours d’instruction et peuvent patienter
plusieurs jours sans nuire à leur dénouement. Est-ce qu’inconsciemment j’ai
mis de côté cette semaine en l’allégeant de la somme de travail habituelle ?
Est-ce que je me doutais de ce scénario ?
Pourtant, j’ai toujours agi comme si l’émission n’existait plus. Comme si,
une fois le tournage terminé, les enregistrements allaient être remisés dans un
endroit secret, telle une boîte de Pandore inviolable.
Installé à mon bureau, une tasse de café devant moi, je consulte mes
dossiers en cours. Il faut que je m’occupe en attendant son retour. J’essaie de
m’absorber dans mon travail. Dans quelques minutes, je suis certain que mes
idées seront plus claires et que je serai moins obnubilé par la situation. Je vais
au moins m’efforcer de tenir à jour ma messagerie, maintenant et les jours
suivants, afin de ne pas perdre le fil de mes affaires.
Mais ça ne marche pas. Tout me ramène à elle. Ne trouvant rien à faire de
mieux, je la rappelle tous les quarts d’heure, pensant venir à bout de ses
résistances.
Une heure plus tard, je constate qu’elle ne semble pas disposée à rallumer
son téléphone et, d’autre part, que mes associés, n’ayant pas cherché à me
contacter, doivent avoir une idée assez précise du motif de mon absence.
L’émission doit faire jaser au cabinet.
La pièce se met à tanguer, mon malaise prend de l’ampleur. Je perds le
contrôle.
Je réfléchis aux diverses options dont je dispose pour la retrouver. Peut-
être appeler sa famille ? Mais cela reviendrait à les informer de la situation.
Une bouffée d’orgueil me retient encore. Je ne suis pas sûr qu’ils accueillent
avec plaisir le fait que leur fille se soit absentée toute une nuit dans un pays
qu’elle ne connaît pas. Surtout si j’ajoute que je ne sais absolument pas où
elle se trouve.
Après tout, elle n’est peut-être pas chez eux. D’ailleurs, il aurait fallu,
pour cela, qu’elle anticipe son départ et réserve l’avion pour retourner en
France. Je secoue la tête pour chasser ces idées. Je ne l’imagine pas mettre en
place un tel stratagème. Et d’ailleurs, je connais tous ses déplacements, le
dernier en date étant ce fameux séminaire de trois jours sur la création
d’entreprises.
Elle doit être chez une amie. Il suffirait de les appeler toutes, une par une,
pour obtenir des informations.
J’attrape à nouveau mon téléphone et fais défiler mes contacts.
D’autres pensées me rattrapent. Elle n’a peut-être pas envie que je la
cherche et veut tout simplement être seule. Auquel cas je me dois de respecter
son choix…
Je serre nerveusement mon téléphone, faute de pouvoir l’éclater contre un
mur.
Pesant le pour et le contre, je décide de lancer mon plan d’action à midi.
C’est le plus sage compromis auquel je parviens sans perdre la raison. Dans
deux heures, si je n’ai toujours pas de nouvelle, je considérerai pouvoir me
passer de son avis pour tout mettre en œuvre afin de la retrouver.
Je retourne à la salle de bains pour prendre une longue douche chaude.
Auparavant, j’ai pris soin de régler la sonnerie de mon téléphone au volume
maximum afin de l’entendre si elle tente de me contacter.
Plus tard, tandis que j’enroule une serviette de bain autour de mes
hanches, mon portable vibre et sonne en même temps, ce qui me fait faire un
bond. Cette situation me met à fleur de peau. Je l’attrape vivement, les mains
encore mouillées, afin de lire sur-le-champ le nom de mon interlocuteur sur
l’écran verrouillé.
C’est elle…
Elle vient de m’envoyer un message.
Et je suis obligé de me sécher pour entrer dans l’interface de mon mobile,
l’eau et la technologie ne faisant pas bon ménage. Je tremble. Putain de
merde, voilà à quoi j’en suis réduit…
Est-ce que c’est de joie, de peur ou bien de contrariété pour avoir été
soumis à une telle pression ?
Je suis à moitié nu dans ma salle de bains, le cœur battant, suspendu à un
SMS qu’elle a daigné m’envoyer… Une vague de lassitude m’envahit. La
situation est à proprement parler détestable.
Et je m’en veux.
C’est le pire, dans tout cela. Ce qui me tourmente, c’est que je n’ai pas vu
le nœud se resserrer. J’ai occulté délibérément le problème alors que je
connais très bien l’effet boomerang de ce genre de chose. Piètre performance
pour un avocat. Mais quand les sentiments s’en mêlent…
Il y a quelques semaines, tous les éléments menant à ce dénouement
étaient déjà en place. Je n’ai pas su agir et prendre le contrôle quand je
pouvais encore le faire. Ou plutôt, elle ne m’a pas laissé faire. Quelque chose
cloche dans notre relation. Je déteste ce sentiment d’impuissance. La colère
s’insinue en moi. Il faut que je me calme. Ce n’est pas le moment de perdre
pied.
J’ouvre le message.
Bonjour, Louis, je sais que tu es inquiet. J’ai refusé de discuter de l’émission car je
ne pensais pas trouver les mots, mais finalement je sais quoi dire aujourd’hui.
Laisse-moi tout de même quelques jours pour penser à tout ça, je suis sûre que tu
comprendras. Retrouvons-nous vendredi à 17 heures… Tu sais où.

Je relis ces phrases à de nombreuses reprises. Au moins, j’ai vu juste. Elle


est partie à cause du jeu.
Le fait qu’elle veuille attendre cinq jours pour me voir ne présage rien de
bon. Mais c’est sans doute une pause qui lui est nécessaire. Je vais devoir
prendre sur moi… Attendre pour régler le conflit.
La patience n’est pas mon fort, et elle le sait. Mes nerfs vont être mis à
rude épreuve. Au moins, cela me laisse du temps pour trouver un moyen de
justifier mon comportement pendant l’émission.
Je soupire. Au fond, l’important est qu’elle aille bien.
Elle veut réfléchir…
Ces mots résonnent douloureusement dans mon crâne, et je ne parviens
pas à les faire taire. Non, ce n’est vraiment pas ce que j’espérais.
Cinq jours.
Ils seront les bienvenus pour faire le point sur la situation et… pour
trouver l’endroit dont elle parle. Car, si j’ai bien compris ses motivations, le
lieu de rencontre m’inspire nettement moins.
À vrai dire, je pense à plusieurs endroits. Mais il me faut trouver le lieu
unique, primordial dans la construction de notre relation.
Habillé et de retour à mon bureau, je m’empare d’un bloc de papier pour
dresser une liste. D’abord nos coins à nous, près de ma villa en France et
autour de son appartement.
Il y a eu le parc, celui de nos premiers « je t’aime ». Mais ce n’est pas là
que nous sommes tombés amoureux. Donc, et c’est nettement plus complexe,
il peut s’agir des endroits où nous avons passé du temps pendant l’émission.
Les destinations sont nombreuses, certaines à l’autre bout du globe, et je
ne pourrai pas me permettre d’être approximatif…
Ce message a tout d’un ultimatum, en définitive, et me laisse un arrière-
goût amer dans la bouche.
Que se passera-t-il si je me trompe ?
Elle veut que je me rende à un endroit qui est logique dans le contexte de
notre relation. Donc une erreur voudrait dire que nous ne sommes plus sur la
même longueur d’onde ?
Est-ce qu’elle compte décider ainsi de notre avenir à tous les deux ?
Une montée d’adrénaline chasse ma colère. Je vais trouver cet endroit et
remettre à flot notre couple !
J’analyse les différentes options qui s’offrent à moi quand une idée
lumineuse me vient à l’esprit. La solution est dans les images !
Il faut que je visionne les autres épisodes pour trouver cet endroit, celui
qui m’apparaîtra comme une évidence.
Je suis persuadé de pouvoir reconnaître ce lieu où je lui ai manifesté mon
amour. C’est là qu’elle a besoin de retourner, afin d’être convaincue que c’est
bien ce que je pense encore aujourd’hui. Elle veut que je lui montre les
fondations de notre couple. Et c’est là que nous aurons cette discussion.
Je m’installe sur le canapé et lance la fin du deuxième épisode que j’ai
enregistré la veille, déterminé à être à la hauteur de cet ultimatum.

Note pour plus tard : surtout, éviter de mettre une femme en colère.
Chapitre 5

Louis est installé à quelques centaines de mètres de la villa, dans la


sublime ferme rénovée qu’on lui a attribuée pour la durée de l’aventure.
Des photos des filles ont été disposées sur le mur du salon, de sorte qu’il
ne peut faire un pas sans être nez à nez avec l’une d’entre elles. Sans doute un
moyen de garder le contact, pour qu’il puisse les voir à chaque moment de
ses réflexions.
Il doit bien reconnaître qu’en se levant le matin, il aime boire son café
devant ce mur singulier.
Une idée lui traverse l’esprit. Il se verrait bien emmener ces posters chez
lui, une fois l’émission terminée. En guise de souvenirs de cette folle
aventure. Puis il se ressaisit : quel effet cela aurait sur la gagnante…
Déjà, il sent que certaines filles lui plaisent plus que d’autres. À ce stade,
c’est plus une sorte de feeling qu’une certitude, mais c’est encourageant. Il
s’est engagé à trouver la bonne, si elle est ici. Et Louis est un homme de
parole. Il ira jusqu’au bout et fera sa demande en mariage durant les six mois
suivant la fin du tournage. Il l’ignore encore, mais sa future femme se trouve
sûrement sur l’un de ces posters, le fixant de son doux regard.
Il est toujours absorbé par les clichés quand on frappe à la porte,
certainement pour l’inviter à rejoindre la soirée.
En effet, l’animateur entre et prend place dans le salon. Il explique à
nouveau le déroulement des éliminations. Avant de partir, il lui laisse un
nouvel écrin. Louis sait ce qu’il a à faire.
Un dernier contrôle dans le miroir : son smoking est en place, son nœud
papillon est parfaitement ajusté. Il remarque même qu’il a pris des couleurs
pendant la journée. Habituellement, il a peu de temps pour se faire dorer au
soleil, alors la moindre activité extérieure a l’avantage de lui donner bonne
mine et de faire ressortir ses yeux bleus.
Il va, pour la première fois, affronter la partie la moins agréable du jeu.
Bien qu’à ce stade, les dommages ne soient pas trop importants : il va
égratigner des orgueils, mais rien d’irréparable.
Pour faire son choix, il s’est concentré sur son objectif principal : trouver
une personne avec qui construire une histoire d’amour. Et malheureusement,
certaines jeunes femmes ne l’ont pas convaincu de prime abord. Non
seulement elles ne sont pas celles, parmi les vingt jeunes femmes, à qui il
pense en premier lieu, mais il ne se voit pas entamer une relation intime avec
elles. Ce n’est pas une question de physique, plutôt une alchimie qui ne
pourrait pas prendre. Des mondes bien trop éloignés pour construire une
passerelle solide entre eux.
En arrivant à la villa des filles, il note le silence, inhabituel en ces lieux,
mais d’une gravité qu’il connaît bien : c’est celui qui précède les décisions de
justice auxquelles il participe dans le cadre de son travail.
Cette atmosphère glaciale donne le ton de la soirée. Ce qu’il s’apprête à
faire revêt une importance majeure. Il doit annoncer son choix dans les
minutes à venir. En découlera un impact inévitable sur l’avenir de ces jeunes
femmes. Pas forcément par rapport à lui, il n’est pas naïf à ce point. Mais
plutôt par rapport à l’exposition médiatique qu’elles auraient voulu obtenir
pour mener à bien leur projet et – il n’est pas dupe – par rapport à l’argent
qu’elles espéraient gagner en venant ici.
Prouver qu’il vaut mieux qu’une poignée de billets, et écarter celles pour
qui l’amour n’est que vénal. Un vrai défi, mis en lumière par ce nouveau
concept d’émission.
S’il en avait un peu ri au début, il sait qu’en ce XXIe siècle, c’est un vrai
challenge. Les femmes sont devenues si indépendantes et débrouillardes
qu’elles pourraient bien préférer l’argent à sa compagnie.
Et ce générique qui n’arrête pas de tourner dans sa tête…
Après une longue inspiration pour se calmer, il pénètre dans la salle où
les filles n’attendent plus que lui, assises sur des canapés en contrebas de
l’escalier. Il descend les quelques marches pour les rejoindre. Ce soir, c’est
lui qu’on observe sous tous les angles. Les filles se lèvent avec empressement
et viennent à sa rencontre.
Quelques minutes plus tard, l’atmosphère se détend un peu. Il jette un œil
du côté des filles avec qui il a fait la balade à cheval. Alexandra montre
justement son pendentif à Magdalena et Karen.
Louis sourit et va les rejoindre.
– Mesdemoiselles, je profite de l’instant car j’ai également quelque chose
pour vous.
Les filles écarquillent les yeux tandis qu’il ouvre la boîte. Sans leur
laisser le temps d’en scruter le contenu, il extirpe un pendentif doré qu’il
passe dans la chaîne de Magdalena et un autre, en forme d’étoile argentée,
qu’il passe au cou de Karen.
Il s’amuse de voir Alexandra, affichant un air faussement désintéressé,
espérer qu’il lui en offre un autre. Sans pouvoir retenir son geste, il lui frôle
la joue et se dirige vers un autre groupe.
Cassandra, Lou, Sonia et Betty le fixent, curieuses de savoir ce qui se
passe. Louis s’approche et, après avoir échangé quelques mots, leur offre à
elles aussi un pendentif en forme d’étoile. Argenté pour Lou, cuivré pour
Sonia et Betty, puis doré pour Cassandra.
Toutes se voient remettre un pendentif.
Bien sûr, elles se posent des questions. Elles ont bien compris que ce
cadeau n’était pas anodin et savent depuis la veille qu’elles doivent s’attendre
à tout.
Quand il a terminé, il les observe un instant. Ces quelques secondes lui
permettent de rassembler à nouveau ses idées, perturbé qu’il est par la beauté
des filles. Pourrait-il se lasser de ce spectacle ?
Trente minutes plus tard, Louis se trouve aux côtés de l’animateur. Il n’a
pas encore tissé de liens solides avec toutes les filles, mais le départ de quatre
d’entre elles le chagrine tout de même un peu. Ils forment un groupe à
présent, son groupe, et il a l’impression que ce soir, on va en arracher des
éléments.
Impossible de nier qu’il a pris goût à voir ces vingt femmes se disputer sa
compagnie. C’est un brin superficiel, mais qu’importe, l’ivresse est bien là,
bouillonnante, juste sous sa peau. Il fait un effort surhumain pour ne pas
laisser son regard se poser sur les filles qu’il s’apprête à éliminer. Les
consignes ont été claires. Se concentrant à nouveau sur sa mission, il
s’adresse à l’assemblée.
– Bonjour, mesdemoiselles, je vais tâcher d’être bref. Ce soir auront lieu
les premières éliminations. Une nouvelle fois, je tiens à vous dire que vous
êtes toutes superbes. Et ces robes vous vont d’ailleurs à merveille. Mais voilà,
malheureusement, seize jeunes femmes seulement peuvent poursuivre
l’aventure, et vous êtes vingt.
Les filles, qui souriaient jusque-là, se tendent à cette annonce. Il
comprend cette crispation soudaine. À ce moment précis, toutes se sentent en
danger. Il sait qu’il n’a laissé filtrer aucune information.
Lentement, Louis se tourne vers l’animateur. Plus que quelques instants
avant cette première étape. Il devrait être stressé, mais ce n’est pas ce qu’il
éprouve.
Plus que tout, il prend conscience du plaisir que lui procure ce sentiment
de toute-puissance. Il espère bien qu’elles n’auront pas l’idée de quitter le jeu
d’elles-mêmes car il n’en a pas fini avec elles.

***

Alexandra retient son souffle. La tension est palpable. Après avoir goûté
à l’adrénaline du jeu, difficile d’envisager d’en être écartée aussi rapidement.
Un bref coup d’œil autour d’elle lui permet de constater qu’elle n’est pas
la seule à maintenir une immobilité artificielle, juste pour se donner un air
assuré. Une attitude qui ne trompe personne. Comme elle, toutes ont imaginé
ce moment, mais aucune ne savait vraiment à quoi s’attendre.
Son assurance, gagnée au prix de nombreux efforts, a fondu comme neige
au soleil. Elle a cru voir dans son pendentif offert quelques heures plus tôt le
signe qu’elle était à l’abri du danger pour ce soir, mais cette certitude ne s’est
pas vérifiée. Ce n’est pas un symbole d’immunité, car toutes ont reçu un
présent ; ce n’est donc rien de plus qu’un cadeau pour celles qui restent, et un
souvenir pour celles qui seront éliminées.
Elle a eu du mal à masquer sa déception lorsqu’elle a compris cela.
Alexandra se force à respirer calmement pour apaiser les battements de
son cœur, qui n’a de cesse de s’emballer depuis que le silence s’est installé.
L’animateur leur fait face désormais, aux côtés de Louis.
– Bonsoir, mesdemoiselles. Je suis enchantée de vous retrouver ce soir.
Elles le saluent en retour.
– Nous voici réunis pour les toutes premières éliminations, c’est pourquoi
je me permets de vous rappeler les règles du jeu. En franchissant ce premier
palier, les gagnantes empocheront la somme de 5 000 euros.
L’animateur marque une pause afin de laisser le temps à chacune de bien
assimiler ses paroles. Alexandra observe autour d’elle la réaction des autres
filles. À n’importe quel moment du jeu, elles peuvent préférer s’en aller.
Avant que Louis ne procède à ses choix. Une forme de quitte ou double
infernal. Sauf que, pour l’heure, partir maintenant sans presque rien n’aurait
pas de sens.
Personne ne se manifeste. À ce stade du jeu, tous les espoirs sont permis ;
empocher 5 000 euros en atteignant ce palier ou rester dans la course pour
décrocher le cœur de Louis. Aucune fille ne va se saborder toute seule. Plus
tard, les choses seront différentes.
Louis s’empare du micro. Le moment est venu. Alexandra se pince les
lèvres. Il lui faut affronter ce laps de temps vide pendant lequel on les filme
sous tous les angles. Elle a les mains moites. Si le gars de la production ne
fait pas signe à Louis pour qu’il se lance, Alexandra va finir par réaliser un
plaquage en règle !
Discrètement, elle frotte ses paumes sur le voile de sa longue robe noire.
Elle expire et relève le menton, les mains sur les hanches. C’est la posture
qu’elle a pris l’habitude d’adopter sur le terrain de foot en position offensive,
face à l’adversité. Car à cet instant, Louis devient l’adversaire.
– Je tiens d’abord à vous faire part de toute ma gratitude. Sachez que,
comme vous, ce n’est pas la partie du jeu que je préfère… Aujourd’hui, vous
avez toutes reçu un pendentif en relation avec nos activités de la journée ; un
fer à cheval, un croissant pour mon petit déjeuner avec Victoria, une étoile
pour les autres filles avec lesquelles je n’ai pas encore eu la chance de sortir
de la villa.
Instinctivement, les filles posent leur main sur leur poitrine à la recherche
du précieux cadeau. Alexandra en fait de même et, soudain, elle comprend…
La couleur.
– Certaines ont reçu un pendentif en or, d’autres en argent et,
malheureusement, quatre d’entre vous ont reçu un pendentif en bronze.
Alexandra sent son cœur s’emballer. Toutes les filles jettent un regard
affolé sur leur collier pour vérifier ce qu’elles savent déjà. Déjà, on entend les
couinements des filles qui sautent de joie.
Alexandra sait qu’elle reste. Elle a obtenu un pendentif en or. La réponse
était là, sous leurs yeux. Louis leur a distribué les pendentifs en véritable pied
de nez. Avec un peu de malice, elle aurait pu trouver le code. Mais encore
fallait-il savoir qu’il y en avait un.
Puis, elle sourit. Louis l’a choisie. Et mieux que ça, elle porte un
pendentif en or. Spontanément, elle a envie de traverser la salle en courant,
mais elle se retient, sentant ses yeux devenir humides. Elle se tourne vers les
autres filles, le cœur battant à tout rompre, un peu frustrée tout de même de
ne pouvoir laisser éclater sa joie. La retenue n’est pas son fort.
Son après-midi a payé, elle est fière d’elle. Gonflée à bloc, elle jette un
œil vers ses camarades – en particulier vers Gwenaëlle – afin de les narguer.
Il faut qu’elles comprennent maintenant qu’elle sera une adversaire de taille.
Sans trop savoir pourquoi, elle a envie de remercier Louis. Mille fois. Il
vient de lui offrir une victoire et lui procure ainsi ce qu’elle aime le plus, le
picotement de la réussite. Elle le cherche du regard. Il adresse un sourire
désolé aux filles éliminées ; Loann, Lucille, Sonia et Betty. Bien
évidemment, elles sont très déçues d’être si vite écartées, mais leurs réactions
restent modérées. Louis s’excuse auprès d’elles sans indiquer de motif
particulier. Mais que dire !
Une première étape est franchie, et quelque chose dans l’air a changé. Le
temps de la rencontre est révolu, les règles sont énoncées.
Alexandra remarque que les filles restantes, ayant goûté à l’adrénaline du
jeu, semblent plus alertes. Le conte de fées prend maintenant une autre
dimension.
Il y a quelque chose de sauvage dans leur regard, qu’elle n’avait pas vu
auparavant. Une lueur féroce qu’elle connaît bien et qu’elle ne pensait pas
trouver au fond de leurs yeux.
L’appât du gain.
Un état hypnotique, qui les mettra rapidement en manque.
Chapitre 6

J – 5 : il me faut les enregistrements de l’émission, et vite…

Mon hypothèse se confirme : les images sont la clé.


Je réfléchis à une manière d’obtenir les enregistrements sans divulguer le
motif réel de ma requête. Il me faut trouver une explication convaincante, et
surtout, qu’elle ne puisse pas laisser penser qu’il pourrait y avoir une
quelconque fuite. Si la production a le moindre doute concernant l’usage de
ces bandes, on me refusera de but en blanc cette prérogative. Après tout, cette
sollicitation n’est pas prévue dans mon contrat, et je sais mieux que personne
que rien ne me permettra de l’obtenir de bon droit.
Tandis que je me remue les méninges à la recherche d’un motif
acceptable, je me rends compte que je suis prêt à mentir : le jeu en vaut la
chandelle.
Rapidement, je tranche en faveur de quelque chose de simple et
d’évident : je vais expliquer avoir besoin de visionner les émissions afin de
me préparer aux répercussions de la diffusion et pouvoir choisir ainsi entre
les diverses interviews qu’on me propose. L’avantage de cette explication,
c’est qu’elle est en partie vraie. De nombreux journalistes m’ont sollicité afin
d’obtenir des informations… sauf qu’en réalité, je n’ai même pas cherché à
leur répondre.
Je pourrai prétendre avoir besoin de caler plusieurs entretiens en fonction
des informations révélées par les émissions. Chaque magazine cible un public
différent, et il est de bon ton de mettre en place une stratégie de
communication pour faire le buzz.
L’argument de chercher à me construire une image médiatique pourrait
paraître suffisant. Après tout, certains se lancent bien avec cet objectif dans
ce genre d’émission.
Une fois au téléphone avec l’assistante de production, je me mets à
déballer mon discours préalablement écrit. C’est l’application de ma première
leçon professionnelle, que j’utilise chaque fois que j’en ai besoin : pour être
bon, un discours doit être posé sur le papier. Il faut être méthodique et
efficace.
Mon ton assuré semble satisfaire ma première interlocutrice. On me passe
le directeur de production, nettement plus suspicieux, mais j’arrive à le
convaincre, étant donné la bonne relation que nous avons su tisser au moment
du tournage.
– Bon, OK, je peux comprendre, répond-il. Après tout, chacun sa
technique pour ce genre de choses. Je peux te proposer de venir. Rien ne sort
d’ici, c’est à prendre ou à laisser.
– Oui, je prends. Ce qu’il me faut, c’est juste avoir une idée du montage.
Je vais établir mon plan de communication en fonction. Ce sera plus facile de
faire le buzz, tu comprends ? Il faut qu’on me voie partout au moment des
scènes chocs !
– Hum… Très bien. Alors, c’est conclu ! Tu passes quand tu veux, je
préviens l’accueil.
– Merci, je te revaudrai ça.
– J’y compte bien, Louis, j’y compte bien.
Je jette mon téléphone sur le lit. Tout s’est bien passé. Je vais pouvoir
visionner les prochains épisodes. Mais il faudra que je sois très vigilant. En
aucun cas, je ne pourrai demander à les voir une seconde fois sans attirer
l’attention et, pour sauver les apparences, mieux vaut que mes agissements
soient discrets. Effectivement, le « buzz » risquerait de prendre une tout autre
tournure si la presse venait à découvrir la vérité.
J’attrape un vol pour Paris en début d’après-midi, de manière à être sur
place le soir même. Le décalage horaire est en ma faveur. Cela m’assure
d’être devant l’écran dès le lendemain.

Habitué aux déplacements dans la capitale, je loue une voiture le matin


suivant mon arrivée pour me rendre aux bureaux de la production. Je sais ce
que j’ai à faire, pourtant, je n’arrive pas à me détendre.
Je suis inquiet.
Impossible d’interrompre le flot de questions qui m’assaillent dès que je
pense à la diffusion de l’émission. Que me réservent les images ?
Je m’apprête à regarder, d’un bloc, les moments les plus intenses de
plusieurs semaines de ma vie, semaines pendant lesquelles j’ai outrepassé
mes limites. Me voir en action va être un véritable calvaire.
Un nœud se forme dans mon estomac. Et si rien ne me permettait
d’identifier l’endroit où la rejoindre vendredi ?
C’est obnubilé par toutes ces pensées que je m’engage dans le parking
des bureaux de la production. Après avoir garé mon véhicule, je me rends à la
réception, située au cinquième étage, puis me dirige vers la petite salle de
retransmission que l’on m’a indiquée.
Je m’installe confortablement. Je sens que ce que je vais voir va me
bouleverser, mais pour l’instant, j’ignore à quel point. La seule chose qui est
sûre, c’est que je ne peux plus reculer.
La pièce de projection est digne d’une salle de cinéma privée. Beaucoup
plus spacieuse et confortable que ce que je m’étais imaginé. Il est presque
midi à ma montre, ce qui me laisse quelques heures pour avancer dans mes
recherches. Autant en finir au plus vite.
Je pose mon carnet de notes et mon stylo sur la tablette à ma droite.
Depuis mon adolescence, j’ai pris l’habitude d’avoir toujours de quoi écrire
sur moi. C’est une petite manie que j’ai mise au service de ma curiosité. À la
fin de la semaine, je relisais ce que j’avais noté et, machinalement, je classais
et ordonnais chaque moment, réfléchissant à une manière d’exploiter les
éléments qui me paraissaient pertinents. Un film pouvait me donner envie
d’une visite culturelle, un dîner de parfaire ma connaissance en œnologie.
C’est comme ça que je définissais le programme de mes week-ends. À
l’époque, je ne laissais déjà rien au hasard. Rien n’échappait à ma moulinette
cérébrale.
Aujourd’hui, je réserve cette habitude aux événements importants, afin de
pouvoir revenir dessus à maintes reprises. Mais une occasion comme celle-ci,
jamais je n’y aurais songé. Pourtant, il me faudra analyser chaque détail pour
trouver au plus vite l’issue à mes problèmes.
Le système de visionnage s’éclaire, signalant le début de la
retransmission. Bien que j’aie vécu les images que je m’apprête à voir, mon
cœur palpite, et mon assurance – qui habituellement frise l’arrogance –
semble se recroqueviller. Les images, projetées sur un écran de quatre mètres
par trois, ont encore plus d’impact que derrière mon écran de télé.
Je me cramponne au siège. Cette fois, je dois bien l’avouer… j’ai peur.

Note pour plus tard : réfléchir avant d’agir.


Chapitre 7

Épisode 3
Bonsoir à tous ! Bienvenue dans ce troisième épisode de Pour toujours et à jamais. Au cours de la
première soirée, Louis a dû éliminer quatre de nos demoiselles. Elles sont maintenant seize à poursuivre
l’aventure, plus enthousiastes que jamais ! Vous avez compris que Victoria a une longueur d’avance,
puisqu’elle exhibe fièrement un diamant en plus du pendentif qu’elle vient d’obtenir. Mais ce que vous
allez découvrir, c’est que, comme dans tous les contes de fées, les obstacles menant au prince sont
nombreux : car la jalousie s’invite à la fête…

FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Magdalena
MÉTIER : Serveuse
VILLE : Toulouse
ÂGE : 26 ans
TAILLE : 1 m 76
POIDS : 65 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Brune
COULEUR DES YEUX : Noisette
LOOK : Garçonne
SIGNE DISTINCTIF : Mon instinct ne me trompe jamais.
CAPITAL SÉDUCTION : J’ai toujours eu un feeling naturel avec les hommes. Je
peux déchiffrer leurs moindres désirs…
POINT FAIBLE : Mon manque de confiance en moi.

Magdalena est assise sur le grand canapé du salon.


Les premières éliminations ont laissé des traces : les pas sont plus
hésitants, et le moment du coucher tarde à venir. Elles ont besoin de discuter
de la soirée. L’animosité s’estompe, les filles se rapprochent un peu les unes
des autres. Elles ont envie de comprendre comment la signification des
pendentifs a pu leur passer sous le nez.
Avec le recul, c’est évident : or, argent et bronze, comme les médailles
des jeux olympiques. Quatre filles ont reçu un pendentif en or, et elle en fait
partie. Le message est clair : elle domine la compétition, à son plus grand
plaisir.
Avec elle, Alexandra, Jessie et Cassandra. Des filles très différentes.
Magdalena aurait aimé mieux cerner les critères de Louis pour vérifier
ses hypothèses, mais elle n’a eu qu’une dizaine de minutes pour échanger
avec lui. Minutes que, bien évidemment, il fallait en plus partager avec les
autres.
Trop heureuse de faire partie des filles retenues, Magdalena a manifesté
sa joie et sa fierté, comme si elle venait de réussir un concours hors de portée.
C’est la preuve qu’elle est capable de séduire le beau jeune homme. Et
cela lui donne un peu d’assurance. Le départ est positif.
Elle sait qu’elle n’est pas comme les filles qui transpirent la confiance en
elles. Elle est ici pour se prouver qu’elle possède un véritable « capital
séduction ».
Malgré tout, elles sont encore seize. La satisfaction et le réconfort
apportés par les éliminations n’ont duré que quelques heures. Les
questionnements ont déjà repris. La prochaine soirée d’élimination aura lieu
dans quelques jours, et Magdalena sait que d’autres filles devront quitter
l’aventure. C’est inéluctable.
En attendant, elle ne se lasse pas de toucher son pendentif. C’est la
première fois qu’elle exhibe ce genre de collier. Habituellement, elle n’est
pas très portée sur les bijoux, considérant que c’est une fantaisie totalement
superflue. Mais celui-ci a une signification toute particulière et, de ce fait,
elle n’est pas près de le quitter.
Et puis, narguer les filles qui n’ont obtenu qu’un pendentif en argent est
plutôt agréable.

Le lendemain, le petit déjeuner est nettement plus gai. Les doutes et les
incertitudes semblent avoir été remisés pour laisser la place à la belle journée
d’été qui s’offre à elle.
Le soleil est au rendez-vous, et la promesse d’un moment en compagnie
de Louis – ou, tout au moins, au bord de la piscine – est bien là.
La tablette, posée sur la table basse du salon, est accueillie par une ola
générale. Jasmine ouvre le fichier une fois que toutes les filles sont assises en
face.
Magdalena patiente, au centre du canapé, en croisant discrètement les
doigts.
Cette fois-ci, il s’agit uniquement de quelques lignes.
Cassandra,
L’été est au rendez-vous. Que dirais-tu de découvrir les calanques de Piana, en
Corse, en ma compagnie ? Je suis sûr que, toi aussi, tu trouveras ce décor magique.
Louis

À l’énoncé de son prénom, l’intéressée bondit du canapé, manquant de


piétiner Magdalena qui a eu la mauvaise idée de s’asseoir à côté d’elle. Elle
se promet qu’on ne la reprendra plus à se laisser aller à de tels élans de
sympathie vis-à-vis d’une autre habitante de la villa.
Dédaignant cet incident, Magdalena ne peut s’empêcher de tendre
l’oreille, à l’affût d’un autre message, mais rien ne vient. Jasmine pose la
tablette après l’avoir éteinte et rallumée trois fois pour être sûre qu’un autre
fichier n’ait pas eu la mauvaise idée de ne pas apparaître immédiatement.
Cassandra vient de décrocher un rendez-vous pour elle toute seule. Et elle
sourit de manière orgueilleuse, visiblement fière de la situation, et ravie que
sa patience soit enfin récompensée.
Magdalena se mord l’intérieur de la joue et note que, comme elle, les
autres ne se sont même pas levées. Leur mine désolée parle pour elles. Toutes
sont envieuses d’un tel rendez-vous.
Cassandra commente avec éloquence l’endroit où elle passera l’après-
midi en compagnie de Louis. Et bien sûr, elle en fait des tonnes, comme
d’habitude.
– Quelle chance ! dit Leïla. J’aurais adoré aller en Corse.
– Tu vas voir, c’est merveilleux, renchérit Caroline, qui tente depuis la
veille d’être l’amie de Cassandra.
– Et tu pars à quelle heure ? demande Magdalena, nerveuse et maintenant
pressée qu’elle s’en aille. Bientôt, non ?
– Je ne sais pas, dit Cassandra, rien n’était précisé. Donc je file me
préparer et attendre mon beau prince Charmant !
Cette dernière phrase fait sourire la quasi-totalité des filles d’une moue
loin d’être approbatrice. Le petit manège de Cassandra risque de lui attirer les
foudres des habitantes de la villa.
Bien que toutes se soient habituées à son exubérance, ce genre de
commentaire est malvenu.
Son assurance débordante est politiquement incorrecte. À ce titre,
Magdalena doit bien reconnaître que son exaspération est en partie due au fait
qu’elle aimerait en posséder ne serait-ce que le quart. Pour elle, c’est l’une
des composantes du bonheur. Cela lui permettrait d’être libre de faire tout ce
qu’elle veut sans s’encombrer du poids du regard des autres. Aujourd’hui,
elle fait de gros efforts pour faire semblant d’être au-dessus de tout. Pour
avoir l’air d’être comme Cassandra. Mais ce n’est qu’une mince carapace, qui
risque de s’avérer bien trop fragile, plus loin dans le jeu, quand elles vont
s’affronter les unes les autres.
Machinalement, elle effleure son collier.

Cassandra redescend une heure plus tard, maquillée et moulée de près


dans un minishort en jean. Malgré elle, Magdalena scrute sa tenue, en se
demandant comment elle a pu mettre tout ce temps pour enfiler si peu de
tissu. Elle remarque le maillot de bain qui, bien entendu, passera au premier
plan à la moindre occasion.
Cassandra est parfaitement consciente de ses atouts, et plus encore, elle
sait se mettre en valeur. Magdalena souffle, presque en colère maintenant. Ce
genre de rendez-vous ne va pas arranger ses affaires.
Elle trouve la situation injuste, mais sans trop savoir pourquoi. Elle s’est
pourtant préparée à tout ça, mais pas suffisamment. Force est de constater
qu’il y a un vrai décalage entre ce qu’elle avait imaginé et la réalité du jeu.
Quand Louis arrive, les filles sont toutes prêtes à le recevoir, usant de leurs
minauderies afin de laisser une image persistante dans son esprit.
Magdalena en fait de même, car il faut tenter de le détourner de cette fille.
Mais, défiant toute règle de politesse, Cassandra bouscule celles en travers de
son chemin pour fondre sur Louis en une scène disqualifiant toutes les
retrouvailles déjà filmées sur les quais de gare. Y compris celles où les
personnages ne se sont pas vus depuis dix ans – voire celles où ils se
croyaient morts.
Indignée, Magdalena sent une douleur vive irradier son pied sous l’assaut
indésirable, et se promet que le shampooing de la belle Latine va également
faire les frais d’un trop-plein d’émotion. De toute façon, personne ne la verra
subtiliser la bouteille d’huile dans la cuisine, car elle est la seule à oser en
mettre quelques gouttes dans sa salade.
– Bien, dit Louis à l’attention de Cassandra, je vois que tu es prête, alors
allons-y !
Cassandra est visiblement pressée de quitter ses camarades.
Louis pose une main au creux de ses reins pour l’inviter à sortir, ce qui
correspond, en fait, à mettre la main au niveau de son short, à deux doigts de
la naissance de ses fesses.
Magdalena ne perd pas une miette du spectacle.
Cassandra se trémousse, faisant mine d’être gênée par ce geste si intime.
Une piètre mise en scène. Et dès qu’ils sont hors de vue, les autres filles ne se
gênent pas pour vider leur sac. Magdalena est ravie de ne pas être la seule à
trouver cette attitude détestable.
– Non, mais j’y crois pas ! lance Gwenaëlle. Quelle peste !
– Cette fille, je la déteste, reprend Alexandra. Et à force de tordre des
fesses comme ça, elle va finir dehors. Il va falloir la faire sortir, les filles,
parce que si Louis ne voit pas son manège, alors moi, je vais l’y aider !
– Et tu crois que Louis va préférer une fille comme toi ? lui lance Lou en
la regardant de haut en bas. Si tu veux la doubler, t’as du boulot ! Courir vite,
ça ne marche pas ici. Tu t’es trompée d’émission !
Alexandra s’avance d’un mouvement brusque vers Lou, mais Magdalena
la retient avant qu’elles ne soient trop proches. Un crêpage de chignon
constitue la limite à ne pas dépasser. Cela ne rendrait service à personne. Par
contre, un ou deux coups en douce pourraient calmer les ardeurs.
– Laisse tomber ! dit-elle. Elle fait exprès de te provoquer. Ne rentre pas
dans son jeu.
Alexandra, furieuse, quitte la pièce pour s’isoler dans un coin de la villa.
Les filles se dispersent et Magdalena va s’allonger sur une chaise longue.
En vain, elle essaie de faire le vide dans son esprit pour ne pas se laisser
envahir par l’image de Cassandra dans les bras de Louis.
Quand tout le monde a trouvé une occupation, elle se dirige vers la
cuisine à la recherche d’une bouteille d’huile… et d’un oignon, qu’elle hache
aussi fin que possible.
Il ne faudrait pas que certaines croient pouvoir lui marcher dessus sans en
subir les conséquences.

***

Pendant ce temps, de l’autre côté de la villa, Cassandra prend place dans


la voiture stationnée dans la cour, non sans y avoir été conviée par Louis lui
tenant la portière.
– Quelle galanterie ! Ces choses-là sont devenues si rares de nos jours.
– Ah oui ? Quel dommage ! Les bonnes manières ne sont pourtant pas
une chose à négliger.
Cassandra reçoit cinq sur cinq le sous-entendu. Louis est du genre à faire
passer un message dès qu’il ouvre la bouche, et visiblement, à préférer la
finesse. Il ne faudra donc pas trop en faire. Plus les heures passent et plus elle
entrevoit clairement le genre de femmes qui le fera vibrer.
Cassandra a toujours su anticiper les attentes des hommes et y répondre à
la perfection. Louis ne fera pas exception. Mais elle doit rester sur ses gardes.
Si elle a franchi la première étape sans difficulté, elle est encore loin de
l’objectif qu’elle s’est fixé.
Cassandra est une gagnante, c’est inscrit dans ses gènes. Quant au
mariage, celui qui va avec la victoire, elle se réserve le droit d’y penser plus
tard. Après tout, ils auront six mois pour le planifier après la fin du tournage.
Elle rit intérieurement.
Louis est loin d’être un homme banal, mais il faudrait vraiment qu’il soit
hors du commun pour qu’elle renonce à la bague et à l’argent.
Le deal est clair : soit Louis, soit l’argent. Le genre de question que se
posent uniquement les princesses. Cassandra, elle, en a fini avec les illusions
depuis quelques années déjà. Un chèque sera un parfait souvenir de son
séjour dans l’émission.
Dans sa tête, elle fredonne le générique de l’émission.

A kiss may be grand,


But it won’t pay the rental
On your humble flat,
Or help you at the automat
L’argent pour motiver une tripotée de jeunes femmes est une excellente
idée.
Cassandra ne se considère pas comme une femme vénale. Loin de là.
L’homme qui fera chavirer son cœur sera au-dessus de toutes les richesses
qu’on pourra lui offrir. Mais en attendant de le rencontrer, elle ne va pas se
priver du luxe de quelques billets. Elle se moque de passer pour quelqu’un
d’intéressé. Le qu’en-dira-t-on ne l’atteint plus depuis bien longtemps. Une
faiblesse dont elle s’est débarrassée, il y a déjà plusieurs années.
La discussion s’engage naturellement. Son caractère volubile paraît au
goût de Louis. Le trajet les menant à la piste où attend le petit avion se
volatilise en une poignée de secondes.
Cassandra sautille sur son siège à l’arrière de la voiture, s’empêchant tout
de même d’atterrir sur les genoux du jeune homme.
Elle va en Corse, un endroit qu’elle adore, en jet privé, avec l’un des
hommes les plus plaisants qu’il lui ait été donné de voir.
Ils vont bénéficier d’un panorama splendide sur l’île de beauté. Et même
si elle a déjà beaucoup voyagé, elle n’a jamais eu l’occasion de voir l’île vue
du ciel.
Louis semble amusé de la voir aussi enthousiaste. Elle remarque à
plusieurs reprises qu’il ne repousse pas sa main quand elle la pose, l’air de
rien, sur sa cuisse. Après tout, les circonstances rendent son geste naturel.
L’arrivée sur l’île est à la hauteur de ses espérances. Les côtes rocheuses
et les falaises surplombant la mer bleu azur donnent l’impression d’un
paradis terrestre. La beauté du paysage est à couper le souffle.
Le hublot donnant sur ce décor extraordinaire force Louis à se pencher
sur elle s’il veut apercevoir l’extérieur, ce qu’il fait tout en essayant de
maintenir une certaine décence. Mais de cette proximité naît une douce
intimité entre eux, petit à petit.
L’avion se pose à Calvi et ils prennent une voiture pour se rendre aux
calanques. Le trajet dure un peu plus de deux heures, car il est prévu qu’ils
passent par la route du bord de mer. De nombreuses heures de trajet, mais
leur destination, si particulière, en vaut bien la peine. Et si elle a l’habitude de
se plaindre des transports, aujourd’hui, Cassandra trouve qu’ils tombent à
point nommé. C’est un excellent prétexte pour s’asseoir tout près de Louis.
Ils arrivent sur place un peu avant 14 heures. Une table a été dressée sur
le sable, à l’ombre d’un grand parasol, dans une crique bordée d’imposants
rochers. Un peu surpris, ils se dirigent vers ce petit cocon prévu pour eux,
hors du temps.
Cassandra siffle d’admiration. Elle connaît la Corse, mais elle n’a jamais
profité d’un tel cadre, aussi intime.
La discussion reprend de plus belle, chacun commentant ses voyages, les
destinations qu’ils préfèrent, et celles qu’ils envisagent. Ils tombent d’accord
sur l’île de la Réunion, ce qui paraît surprendre Louis, qui se sent obligé de
lui préciser que cette île n’est pas réputée pour son caractère festif, mais
plutôt pour ses randonnées, qui permettent de découvrir un paysage magique.
Cassandra est piquée par la remarque. Les apparences semblent jouer
contre elle. Louis la considère comme une jeune femme insouciante,
seulement intéressée par la bronzette et les soirées branchées.
Elle s’apprête à abandonner ce rôle de femme légère qui, d’habitude, plaît
tant aux hommes, quand elle sent les yeux azur se river aux siens. Il la jauge.
Les yeux de Louis sont comme un aimant à vérité.
Elle détourne son regard à la hâte et réfléchit à toute vitesse.
C’est maintenant qu’elle doit mettre en place sa stratégie. Il faut qu’elle
lui permette de voir autre chose chez elle – plus que ce qu’elle livre
habituellement aux hommes. Il faut le laisser avancer un peu plus loin, tout
en restant prudente. Très prudente. Pour ne pas être blessée.
En tout cas, c’est la promesse qu’elle lui fera aujourd’hui et à laquelle
elle le laissera croire. Une promesse qui la mènera droit vers la victoire.

Après le repas, ils se jettent à l’eau. Les températures étant déjà fort
élevées, ce bain les rafraîchit agréablement.
– Il y a des années que je n’ai pas pris le temps de me baigner comme ça,
tout un après-midi, dit Cassandra.
– Moi aussi.
– Ça fait un bien fou !
Elle l’éclabousse et il lui répond de la même manière. Ils rient et se
courent après dans les vagues jusqu’à ce qu’elle tombe devant Louis, qui
trébuche à son tour.
Un instant, ils restent couchés l’un à côté de l’autre, dans les quelques
centimètres d’eau transparente du bord de plage. Son corps est offert au
regard de Louis. Et elle remarque que celui-ci ne se gêne absolument pas
pour profiter de la vue, s’attardant même un peu sur son décolleté.
– Au fait, merci !
– Merci de quoi ? demande Louis en se rapprochant d’elle.
– De m’avoir choisie aujourd’hui.
Cassandra se rapproche également afin de l’observer sous un meilleur
angle. Louis ne la quitte pas des yeux, au point qu’elle se sent transpercée par
l’intensité de son regard.
Lentement, elle en profite pour détailler son anatomie. Son torse, puis ses
bras, ses mains, ses doigts, son maillot de bain – insistant volontairement sur
son entrejambe. Ses cuisses, puis les mollets, et enfin ses pieds.
Elle sait qu’il la regarde pendant qu’elle parcourt chaque centimètre de
son corps, laissant croître une atmosphère sensuelle entre eux. Quand elle a
fini, elle revient à ses cheveux. Une mèche tombe sur le front de Louis et lui
donne envie de tendre la main pour la remettre en place. Mais elle se retient.
Surtout, ne pas être trop rapide. Louis est différent des autres hommes, il faut
prendre le temps.
Cassandra joue encore de son regard, s’attardant sur son visage. Ses traits
sont étonnamment fins pour un homme. Ses expressions s’y dessinent à la
perfection. Par exemple, en ce moment, elle sait qu’il est en train de réfléchir.
Elle aimerait connaître ses pensées. Pour une fois, elle trouverait cela très
intéressant. Louis a tout l’air d’un homme avec qui l’on peut discuter.
Les événements de la journée ont créé une véritable complicité entre eux.
Elle est surprise de voir avec quelle facilité elle accepte Louis dans son
espace intime. Avec envie.
Peut-être qu’elle pourra retenir la mante religieuse qui se tapit au fond
d’elle ? Après tout, prendre du plaisir n’est pas incompatible avec la réussite
de son objectif.

***

Louis sent le regard de Cassandra errer sur son corps. Quand elle croise
ses yeux, ils échangent un sourire fugace, car elle fuit immédiatement vers
une autre partie de son anatomie.
Il a le sentiment de la déstabiliser, et cela le touche. Rien d’autre que la
naissance d’une relation n’est en train de se produire, et nul ne peut savoir s’il
s’agira d’un lien sentimental ou bien amical. Mais ce qu’elle lui donne depuis
quelques minutes est vrai, sans artifice. Il le sent. Louis se demande
cependant si c’est réciproque.
Il est heureux d’avoir fait la connaissance de Cassandra aujourd’hui. Et
surtout, il est satisfait de constater que son petit jeu des jours précédents n’est
rien d’autre qu’une pure mise en scène destinée à brouiller les pistes menant
jusqu’à elle. Après tout, à sa manière, elle lui ressemble un peu. Elle ne se
livre pas facilement.
À cet instant, il a envie de l’embrasser. Tout, dans ce rendez-vous, prête à
cette conclusion. Il ne serait pas éconduit, car le regard de la belle Latine est
brûlant de sensualité.
Mais il se retient. Il ne faut pas précipiter les choses. Au contraire, il
préfère attiser ce petit jeu de séduction, auquel il est en train de prendre goût
– sans jamais lui montrer qu’elle lui plaît. C’est de cette manière qu’il la fera
sortir de sa coquille.
Ils rentrent en début de soirée, épuisés par leur journée. Louis pense aux
autres filles ; elles sont encore en lice, et même si l’après-midi a été doux,
rien ne peut garantir à Cassandra qu’elle soit l’ultime prétendante. C’est ce
qu’il se répète en boucle afin de garder la tête froide. Car cette fille a des
atouts indiscutables.
Sous la douche, Louis prend le temps de réfléchir et de faire le tri dans les
derniers événements. Cette émission l’éloigne de plus en plus de la réalité.
C’est comme s’il s’agissait d’un recoin du monde, composé de plusieurs
îles paradisiaques, qu’il découvre au fur et à mesure de ses escapades. Et dans
lesquelles il progresse à chaque nouveau rendez-vous.
Il passe de longues minutes à frictionner son corps, comme encore
engourdi par la baignade de l’après-midi.
Louis a toujours pris soin de lui. Non pas pour se construire une image
qui pourrait plaire aux filles, mais par simple hygiène de vie. Il fait beaucoup
de sport pour se défouler et prend la peine de manger équilibré.
Aujourd’hui, ses muscles saillent sous sa peau. Il se sent bien dans son
corps – ce qui est souvent perçu comme de l’arrogance. Mais pour lui, c’est
une simple question de confort. Se libérer des préoccupations physiques pour
se concentrer sur d’autres aspects de la vie.
Louis se regarde maintenant attentivement dans le miroir. Il est en parfait
accord avec lui-même. L’après-midi a été profitable : il arbore maintenant un
léger teint hâlé qu’il ne se connaissait pas.
Ces dernières années, son unique préoccupation a été son travail, ne lui
laissant que peu de temps pour profiter du soleil, pour se détendre et flâner.
Il se sèche avec une serviette-éponge, puis enfile un caleçon avant d’aller
s’étendre sur le lit et faire le point sur la journée.
À la réflexion, pourquoi cherche-t-il autant à maîtriser son instinct ? Ici,
rien ne l’oblige à le brider…

***

Dans la villa, les filles sont attablées dehors, profitant de la douceur de la


soirée.
Victoria a bronzé aujourd’hui, couleur qu’elle doit à sa baignade
prolongée de l’après-midi. La piscine, de taille olympique, lui a permis de
batifoler quelques instants avant de s’installer sur un transat avec les autres
filles, un cocktail à la main. Elle pourrait facilement s’habituer à ce genre de
vie.
Dans un cadre aussi idyllique, les affinités se sont renforcées et les
plaisanteries vont désormais bon train, en particulier sur le compte de
Cassandra.
Personne n’oublie qu’elle et Louis se sont échappés tous les deux. De ce
fait, toutes les conversations convergent systématiquement vers les scénarios
qu’elles inventent, laissant libre cours à leur imagination.
– Je ne comprends pas pourquoi il a choisi cette fille, lance Noémie.
– Moi aussi, renchérit Alexandra qui ne décolère pas.
– Franchement, elle a tout fait pour, dit Léa. Elle s’est fait lourdement
remarquer, et apparemment, ça paye, parce que c’est elle qui est en Corse
avec Louis aujourd’hui ! C’est le premier vrai rendez-vous, et sauf si elle
foire tout, elle va prendre une sacrée longueur d’avance.
Victoria se retient de ne pas tiquer à la remarque de Léa. Elle aussi a eu
un vrai rendez-vous. Et un diamant, de surcroît. Mais visiblement, ça ne
compte déjà plus. Il faut rester au premier plan pour exister. Elle en prend
bonne note.
– Je ne pensais pas qu’il serait intéressé par une fille aussi
« démonstrative », reprend Noémie, qui lève les mains et mime les guillemets
avec ses doigts, comme si le terme était lourd de sous-entendus.
Toutes se mettent à rire, comprenant parfaitement l’allusion.
– Non, mais t’as vu le rentre-dedans qu’elle lui fait ? reprend Alexandra.
Avec elle, tous les coups sont permis. Mais elle ne fera pas long feu. Je suis
sûre que Louis va vite remarquer son petit jeu. Elle n’est pas là pour lui, c’est
certain.
– Je ne sais pas, dit Noémie. Elle risque d’aller loin comme ça. Dès que
Louis arrive, elle accapare son attention et c’est comme si on n’existait plus.
Elle a un don pour nous reléguer au second plan.
– Eh bien, tranche Alexandra, si Louis ne comprend pas tout seul que
cette fille n’est pas la bonne, alors il faudra l’aider. OK, les filles ?
– OK ! répondent-elles en chœur, en se tapant dans les mains.
Victoria constate qu’au moins, Cassandra peut se vanter d’unir les autres
filles. La faire échouer est devenu une cause commune à la quasi-totalité des
candidates de la villa.
Et d’ailleurs, la voici qui arrive. Malgré ses larges lunettes de soleil,
Victoria devine un sourire sincère sur le visage de Cassandra, sourire qui se
transforme en une exécrable manifestation d’orgueil à mesure qu’elle rejoint
le groupe.
La belle Latine est toujours en short, pleine de sel, vestige de sa baignade
dans les calanques de Piana.
À l’inverse, Victoria et les autres filles ont déjà revêtu des robes du soir,
un brin moins chics que celles de la soirée d’élimination, mais qui trahissent
leur espoir d’avoir la compagnie de Louis ne serait-ce qu’une minute.
Victoria est tentée de lui poser quelques questions, afin de savoir
comment s’est passé son rendez-vous. Elle sait que c’est un peu suicidaire,
mais elle caresse l’infime espoir que son rendez-vous à elle ait été un peu
plus important, ou plus significatif, aux yeux du beau célibataire. Après tout,
Cassandra a beaucoup de caractère et est bien capable d’avoir tout fait foirer.
Au moins, selon les informations recueillies, elle pourra mettre en place
une stratégie plus efficace que celle qui consiste en une longue et pénible
attente. Elle sait très bien qu’il faut qu’elle passe à l’attaque.
Victoria se surprend par ses propres réflexions. La voilà à imaginer des
tactiques et des plans afin de gagner le jeu ! Normalement, ce n’est pas son
genre. Elle aime quand les choses se passent en douceur. Mais d’habitude,
elle n’est pas en concurrence avec seize compétitrices hors pair. Et il n’y a
pas 100 000 euros à la clé.
Personne ne l’évoque, mais elle voit bien l’effet que cette somme produit
sur les filles. Elles n’en parlent pas, mais elles sont toutes accrochées à leur
pendentif, comme s’il était une amulette, ou mieux, un bout du ticket pour la
victoire.
Toutes passent leur temps à le tripatouiller, comme s’il allait disparaître si
elles arrêtaient de le toucher. Elle a bien observé Magdalena, et elle s’en est
presque inquiétée pour elle. À ce niveau-là, elle n’est pas loin de développer
un trouble obsessionnel compulsif.
En fin de matinée, certaines s’amusaient à chantonner les paroles du
générique en sautant dans la piscine et en riant.

There may come a time


When a lass needs a lawyer
But diamonds are a girl’s best friend

Il ne faut pas sous-estimer la puissance de l’argent. Elle sait qu’il est là


pour les égarer. Les attirer loin du sentier menant au cœur de Louis.
En ce qui la concerne, les quelques heures passées avec lui l’ont
bouleversée. Elles constituent un avant-goût de ce que peut être la vie en sa
compagnie. Plus tentant qu’un portefeuille bien garni, si seulement elle avait
une chance d’aller jusqu’au bout.
D’autre part, l’attitude des filles l’a sérieusement vexée. Elle veut rester
au premier plan, ne pas être celle que l’on évince au premier virage.
En découlent l’énergie et la force de tout mettre en œuvre pour le
conquérir. Absolument tout.
Elle se poste devant Cassandra.
– Déjà là, Cassandra ? questionne-t-elle. Mais dis-moi, tu es dans un
état ! On dirait que tu t’es roulée dans le sable. Alors, raconte-nous… C’était
comment la Corse ?
– Oh ! Tu sais, j’y suis déjà allée plusieurs fois, alors je connaissais un
peu le paysage. Mais cette fois-ci, certains éléments du décor étaient à couper
le souffle.
Victoria se crispe. Cassandra manie les mots à merveille et, l’air de rien,
arrive à provoquer ouvertement.
– OK, donc tout s’est très bien passé. Ça y est, t’es tombée amoureuse ?
ironise Stessy. Alors, il était comment ?
– Disons que tout semble aller dans ce sens. On a passé un moment
incroyable, même si c’était épuisant. Je ne vais pas traîner avant d’aller au lit
ce soir. À mon avis, Louis aussi doit être crevé ! Et vous, les filles, cette
journée ?
Victoria sait qu’en vérité, Cassandra n’a qu’une hâte, celle de raconter
dans les moindres détails son escapade en Corse. Son orgueil démesuré
obtiendra ainsi satisfaction. Mais bien sûr, il faut qu’elle se fasse prier.
– Nous, c’était parfait. Mais bien entendu, sans aucune comparaison avec
ton rendez-vous. Alors, Louis, il est comment ? Mets-nous dans la
confidence !
Cassandra agite sa chaîne, attirant l’attention sur son pendentif en or,
ainsi que sur un autre. Un deuxième pendentif. Une pierre bleue opaque.
Plusieurs paires d’yeux sont braquées dans sa direction.
– Tu nous expliques ! fait Alexandra sur un ton sec.
Ravie de la demande, Cassandra, devant les quinze autres filles, se met à
raconter comment Louis lui a offert ce pendentif, dans la voiture, lorsqu’il l’a
déposée à la villa.
– On dirait une miniplanète, fait Stessy.
– Plutôt un ciel étoilé, tranche Cassandra. Très raccord avec notre
journée. La tête dans les étoiles, pour celles qui n’auraient pas compris, finit-
elle avec un sourire en coin.
Victoria fixe le bijou. Que peut-il signifier ?
Elle sait bien que Cassandra n’en a pas la moindre idée. Volontairement,
celle-ci est partie sur un autre sujet. Le premier acte de la pièce de théâtre
qu’elle a prévu de leur jouer ce soir.
Elle se met à parler de sa journée, et ce en évoquant les moindres détails.
Tout en racontant sa baignade dans l’eau turquoise, elle sort sa brosse à
cheveux et commence à démêler ses longs cheveux bruns. Comme si le fait
de raconter ses péripéties l’ennuyait déjà.
Chacun de ses gestes vise à démontrer sa position de force vis-à-vis de
ses camarades. Elle dépeint chaque moment minutieusement, comme si elle
était en face d’un public de néophytes. Un public d’élèves face au maître.
Victoria se rend compte que, comme les autres, elle est suspendue à ses
lèvres, même si, au fond d’elle-même, elle doute un peu que tout soit vrai.
Cassandra leur parle longuement du physique incroyable de Louis, de sa
musculature, qui procure un sentiment de sécurité. Elle brosse le cadre
magnifique de ce rendez-vous et détaille les interminables discussions qu’ils
ont eues.
Elle présente sa journée comme l’épisode d’une relation de longue date.
Ses yeux pétillent, et Victoria s’en rend compte. Louis plaît aussi à
Cassandra. Pour de vrai. Même s’il est à peu près certain qu’elle refuserait de
l’admettre. Il faut se rendre à l’évidence : cette fille fera tout pour l’obtenir,
ce qui n’est pas une très bonne nouvelle.
Alexandra est la première à quitter le groupe, agacée par l’attitude de
Cassandra. Elle se retire probablement dans sa chambre.
Victoria, quant à elle, n’est pas friande de ce genre d’effusions, mais elle
espère encore glaner quelques informations. Plus endurante et posée que les
autres filles, elle accepte de supporter les propos volontairement méprisants
de Cassandra, si cela la mène un peu plus loin dans le jeu.
Mais un quart d’heure plus tard, alors qu’elle mime Louis, le regard
plongeant dans son décolleté, Victoria jette l’éponge, elle aussi. Et seule Lou
reste aux côtés de Cassandra.
Victoria monte rejoindre les autres filles dans les chambres et trouve
Jessie et Caroline qui discutent sur un lit.
– Viens nous rejoindre, lui lance Jessie. Inutile de se saper le moral à
écouter encore et encore Cassandra parler de Louis comme si l’affaire était
conclue.
– Oui, tu as raison. Et puis… Enfin, c’est peut-être bête, mais je ne
reconnais pas vraiment celui que j’ai rencontré au travers de son discours.
– Ça ne m’étonne pas du tout, reprend Jessie. C’est sûrement une
stratégie d’intimidation. Et c’est très efficace. Si elle arrive à nous faire croire
que tout est joué, alors elle prend un coup d’avance. Elle peut même réussir à
faire partir des filles d’elles-mêmes. Enfin, cela ne vaudra que pour celles qui
se laisseront prendre à ce petit jeu.
Mais force est de constater que son discours a semé des germes de
discorde dans l’esprit des autres candidates.

Le lendemain, presque la moitié des filles semblent abattues. La nuit a été


courte, et le discours de Cassandra a fait des ravages dans l’esprit de certaines
d’entre elles.
Son objectif est atteint. Victoria, malgré toute l’énergie qu’elle met à
repousser ses idées noires, est elle aussi un peu perdue.
Un cri la sort de ses pensées. Il vient de la piscine. Elle tend l’oreille pour
reconnaître la personne qui s’égosille de la sorte. C’est Leïla, mais surtout,
c’est l’appel de la tablette. L’enthousiasme remonte en flèche.
Un joli écrin de feutre se trouve près du bassin. Il ressemble à une petite
boîte à chapeaux.
Leïla, la première sur les lieux, l’ouvre sans prendre la peine d’attendre le
reste des filles, et Victoria, trop curieuse, ne la retient pas.
Pendant qu’elle se débat avec le fermoir, les dernières filles arrivent sur
place, encore en nuisette, râlant contre cette soudaine agitation, les cheveux
emmêlés par la nuit qu’elles terminent à peine.
Victoria ne peut s’empêcher de penser que si Louis passait par là à ce
moment, il serait surpris par ce laisser-aller flagrant. Et peut-être aussi par le
manque d’entrain évident.
Quand Leïla arrive enfin au bout de la serrure, elle extirpe lentement la
tablette de l’intérieur, ainsi que tout un tas d’indices sur le rendez-vous à
venir. Des élastiques et des cartes postales de différents paysages.
Victoria, excédée par le manque d’énergie de Leïla, saisit la tablette pour
afficher le fichier en question. C’est une vidéo.
Nerveusement, elle appuie sur le triangle situé au centre de l’écran.
Mesdemoiselles,
La région offre de nombreuses activités d’extérieur, et je me disais qu’un peu de
sport pourrait être agréable en cette belle journée. Aussi, Sofia, Lou, Jasmine,
Magdalena et Lisa, je vous attends ce matin même pour un moment de pure
adrénaline.
Karen, Stessy et Leïla, j’aimerais vous faire découvrir quelques paysages
magnifiques cet après-midi. Je compte sur votre présence.
Je vous embrasse.

Les filles concernées sautent de joie et s’emparent de la tablette pour


revoir Louis faire son annonce, assis au bar de la cuisine de sa villa, devant
son café du matin. Et Victoria ne peut cacher sa déception.
À ce stade, tout est bon à prendre, et n’importe quoi lui aurait fait plaisir,
même un simple coucou à la fin de la vidéo, juste pour lui souhaiter quand
même une agréable journée. Mais rien.
Son rendez-vous n’a pourtant pas été si catastrophique ! Il aurait dû
vouloir la revoir.
Cassandra s’approche, même si elle sait que la vidéo ne lui est pas
destinée, essayant vainement de cacher sa curiosité. Les prochaines
éliminations ont lieu le lendemain et, comme les autres, elle cherche à se tenir
informée des événements.
Victoria peste intérieurement. Si cette fille en effraie certaines, il n’en est
plus de même avec elle. Ce n’est qu’un gros épouvantail, rien de plus.
Elle ne peut s’empêcher de sourire quand Cassandra passe près d’elle.
Ses cheveux sont étrangement luisants, un peu comme si elle s’était versé la
moitié de la bouteille d’après-shampooing sur la tête. Et son passage
s’accompagne d’une odeur bizarre, quelque chose proche des beignets à
l’oignon. Le rire de Victoria se transforme en un petit couinement qu’elle
peine à contenir. Oui, un bon gros épouvantail…
Elle fait un rapide calcul et constate que Caroline et Léa n’ont pas encore
eu de rendez-vous, et n’ont reçu qu’un pendentif en argent lors des dernières
éliminations. Force est de constater qu’elles sont dans une situation délicate.
Et ce constat lui procure immédiatement un sentiment de soulagement.
Elle s’en veut de cette pensée égoïste, surtout lorsque les deux filles
s’isolent au bord de la piscine, afin de s’éloigner du trop-plein de joie des
autres participantes.
Victoria regarde les filles choisies sautiller avec un sourire amer. Elles
ont peut-être de bonnes raisons de se réjouir, mais il reste quelques heures
avant les prochaines éliminations, et tout peut encore changer.
Ces quelques jours ont suffi à lui faire comprendre que le chemin menant
jusqu’à Louis est semé de nombreuses embûches qu’il faudra habilement
surmonter…
Chapitre 8

J – 4 : et si la situation était bien plus compliquée qu’il


n’y paraissait ?

D’un coup, les lumières de la salle de retransmission s’enclenchent et


l’écran passe au noir. Émergeant de ma léthargie, je tourne la tête à droite et à
gauche pour comprendre ce qui se passe. Je me redresse sur mon siège et
aperçois la silhouette de David, le producteur de l’émission, avec qui je me
suis lié d’amitié tout au long du tournage.
– Bon, tu vas m’expliquer ce qui se passe ?
Vraisemblablement, mon prétexte ne l’a pas convaincu. David est malin,
ce que je sais pourtant très bien. J’aurais dû prévoir qu’un homme aussi
suspicieux ne se laisse pas berner par une explication superficielle, surtout
venant de ma part.
À presque cinquante ans et avec une dizaine de saisons d’émissions de ce
type mises en boîte à son compteur, David a appris, mieux que personne, à
déceler tout ce qui pourrait s’apparenter au mensonge.
– Juste un petit problème, je réponds en regardant par terre.
– Ah oui ! Ça m’en a tout l’air ! Qu’une personne veuille visionner les
images avant leur diffusion, rien d’étonnant. Chaque année, c’est pareil, et
surtout après le premier épisode. On voit des choses, on n’a pas ou plus
l’impression de se souvenir de tout ça. Enfin, bref, un petit coup de stress, je
veux bien comprendre. Mais tu vois, ça m’étonne quand même un peu de ta
part. Et puis, t’es pas le premier à venir ici. Cette fois, il va falloir
m’expliquer !
– Comment ça, je ne suis pas le premier ? m’exclamé-je.
– On verra après, me coupe David en s’asseyant près de moi. Tu
m’expliques d’abord. Et la vraie version, je te prie. Tu ne me feras pas croire
que tu viens de traverser la moitié du globe juste histoire de te faire une
avant-première en solo.
– Oui, c’est vrai, lancé-je dans un soupir. Voilà… Elle est partie.
– Rapport avec l’émission ?
– En plein dans le mille.
– Vous avez besoin de digérer tout ça, dit-il en hochant la tête.
Honnêtement, je doute que replonger la tête la première dedans soit une
bonne thérapie. Vous allez vous faire du mal. Tu devrais suivre mon conseil.
– Je suis d’accord, j’aurais préféré trouver un autre moyen. Mais notre
histoire est née avec ces images, tu comprends ?
– Oui, comme tu le dis, elle est née dans cette émission. Mais
aujourd’hui, elle n’y est plus. C’est du passé, inutile de le remuer.
– J’en ai conscience, mais je n’ai pas le choix.
– Et pourquoi ?
– Parce que nous ne sommes pas les seuls qui vont voir ou revoir ce qui
s’est passé, et que même si on le voulait, ce serait compliqué de faire
abstraction.
– Remets les choses dans leur contexte, Louis. Tu étais célibataire à
l’époque.
– Oui, c’est vrai. Mais est-ce que c’est ce que les gens vont retenir ?
– Et depuis quand leur avis t’intéresse ? Et même si tu veux parler de sa
famille à elle, tu les as déjà rencontrés, non ?
– Oui, bien sûr, plusieurs fois.
– Alors ils se sont déjà fait une opinion de toi. Qu’est-ce que ça va
changer ? Ils ont déjà accepté l’idée de l’émission, qui reste un choix de leur
fille, je te rappelle !
– Ce n’est pas vraiment ça, le problème…
– Alors, dis-moi.
– Eh bien, clairement, lors de l’émission, je me suis livré à 100 %. T’es
bien placé pour le savoir. J’étais différent de ce que je suis au quotidien et
elle va voir que j’ai donné bien plus à de parfaites inconnues en quelques
heures qu’à elle en six mois. Et tout son entourage, qui, comme tu le dis, me
connaît, va voir la même chose. De quoi m’inquiéter un peu, non ?
– Ah… ça ! OK, et alors ? Qui peut te jeter la pierre ? T’en as profité un
peu ! finit-il en riant.
– Ce n’est pas la question. En bref, ils vont tous penser que je ne tiens pas
à elle, même si je leur dis le contraire. Cette fois, je risque de la perdre pour
de bon.
– Mais à quoi ça sert que tu voies ces images ? Et puis, vous avez
d’autres choses à faire, non ? Vous êtes un chouette couple, et… je crois que
je suis un peu fier de tout ça, dit David en riant. C’est quand même grâce à
moi, hein ?
– Hé, oh ! Arrête un peu, monsieur l’entremetteur.
David explose de rire.
– Non, mais plus concrètement, qu’est-ce que tu attends de ces images ?
reprend-il.
– Elle veut qu’on se retrouve à un endroit particulier, le genre « tu sais
où » dont je n’ai pas la moindre idée.
– Ah, c’est bien un truc de nana, ça !
– Et je suis sûr que je vais trouver l’endroit dont il s’agit en regardant les
émissions. Même si c’est bien la dernière chose dont j’ai envie maintenant.
C’est important parce que, justement, je n’ai pas encore fait ma demande en
mariage…
À ces paroles, David se redresse dans son fauteuil. Quelque chose semble
le perturber, comme en témoigne sa moue de mécontentement. Son
changement d’attitude m’alarme.
– Ne te vexe pas, je reprends, je n’ai rien contre l’émission en elle-même.
Tu restes la personne qui nous a permis de nous rencontrer et je ne renierai
jamais ton travail ! Quelle qu’en soit l’issue…
En terminant ma phrase, je donne une petite tape amicale sur l’épaule de
David afin de le tirer de ses songes. Celui-ci relève la tête et me fixe
intensément.
– Je crois que tu as un autre problème.
– Comment ? je demande, surpris.
– Eh bien, quand je t’ai dit que quelqu’un était déjà venu voir ces
images…
– C’est elle ? Tu veux dire qu’elle est venue ici ? Mais quand ?
– La semaine dernière.
– Et tu attends maintenant pour m’en parler ?
Je m’emporte, abasourdi qu’elle m’ait caché cette information.
– Elle avait de bonnes raisons. Elle disait qu’elle avait besoin de se
préparer, qu’elle était fragile en ce moment… Pour moi, il n’y avait pas de
problème. Comme je te l’ai dit, c’est déjà arrivé qu’on me demande ce genre
de service.
– Attends, tu veux dire qu’elle a visionné toute l’émission ?
– Oui, c’est ça, mais je pensais que tu le savais ! Elle est restée deux
jours. Tu sais quand même ce qu’elle fait de ses journées ?
– La semaine dernière… Attends, je réfléchis. Elle m’a dit qu’elle partait
pour un séminaire sur la création d’entreprises à Shanghai…
Je me jette contre le dossier de mon fauteuil et expire bruyamment. La
migraine menace d’envahir mon esprit. En réalité, elle est venue ici, à Paris.
– Tu sais, vous êtes mon couple vedette. Il n’y en a pas beaucoup comme
vous, qui ont tenu dans le temps, alors je n’ai pas voulu m’opposer à sa
demande. Mais si j’avais su que c’était dans ton dos… J’ai pensé que vous en
parleriez à son retour et que tu serais là pour la conforter. Encaisser tout ça
n’est pas simple. Tu sais bien comment ça marche, on a retenu les images les
plus explicites.
– Oui, merci de me le rappeler, je sais ! Donc, quand elle est rentrée,
vendredi dernier, elle avait tout vu, je murmure.
– Tu l’as trouvée différente ?
– Non, pas vraiment.
– Vous avez discuté ?
– Non. En ce moment, c’est… compliqué.
– OK, je vois, fait David. C’est pas bon signe.
Je reste plongé dans mes pensées.
– Pourquoi a-t-elle attendu que je regarde les premiers épisodes dimanche
soir ? dis-je en réfléchissant à voix haute.
– Les femmes sont malignes, Louis. Elle savait que ça te ferait de l’effet.
J’ai l’impression que vous avez des choses à vous dire, s’exclame-t-il.
– Oui, sauf que je ne sais pas où elle est et que je ne suis pas sûr de
trouver l’endroit où l’on doit se rejoindre vendredi. Nous sommes déjà mardi
et le temps file à vitesse grand V.
– Je te laisse carte blanche. C’est la seule chose que je puisse faire pour
t’aider. Regarde tout ce que tu veux. Je pars dans quelques heures pour New
York, je suis sur un nouveau projet, un autre concept qui pourrait faire un
tabac ici. Plus d’argent ni de diamant, mais la possibilité de rencontrer les ex-
copains et ex-copines des participants. Bref, je t’en parlerai plus tard. Si tu as
besoin de moi, n’hésite pas à m’appeler. Et d’ici là, fais bien attention à toi,
tu as l’air fatigué.
– Pfff… T’en as pas marre de mettre ces speed dating à toutes les
sauces ?
– Marre ? Tu rigoles ! L’amour est éternel, mon petit gars. C’est ce que
les gens aiment voir à la télé. Et pour que ce soit toujours aussi épicé, il faut
savoir se réinventer !
Je me lève en même temps que David et lui serre chaleureusement la
main. Ce dernier se dirige vers la porte puis se ravise.
– Une dernière chose. Je ne sais pas comment te l’annoncer, mais… elle
n’est pas venue seule ici.
– Pas seule ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Je veux dire – et j’ai trouvé ça un peu bizarre – qu’elles étaient deux.
Elle et sa dernière rivale ; celle que tu as éliminée juste avant de la choisir…

Note pour plus tard : ne pas chercher à comprendre les femmes, sous
peine d’une migraine carabinée.
Chapitre 9

Épisode 4
Bonsoir ! Nous voici de retour pour un nouvel épisode de Pour toujours et à jamais. Les filles se
sont toutes lancées dans la conquête de notre bel homme. Du moins, en apparence… Dans cet épisode,
vous verrez notre prince charmant plus confus que jamais. Heureusement pour lui, certaines
prétendantes sèment des baisers à son intention, afin qu’il trouve plus facilement le chemin menant
jusqu’à elles…

Les filles choisies ont toutes revêtu une tenue de sport. Magdalena en a
fait de même. Le message parle d’un moment de « pure adrénaline ». Elle a
donc fait le lien avec une activité sportive à sensations fortes. Comme si
l’émission n’en procurait déjà pas assez.
Elle a passé beaucoup de temps à éplucher les précédentes saisons de
Pour toujours et à jamais. Elle sait que le message doit être pris au pied de la
lettre. Ce qui se profile doit nécessiter un tempérament d’acier ou bien des
performances extraordinaires. Elle sait qu’ici, il faut s’attendre à tout.
Or, cette fois-ci, elle a une carte à jouer et espère faire la différence. En
tant que sportive attirée par les activités extrêmes, elle devrait tirer son
épingle du jeu.
Régulièrement, son frère l’emmène faire une session de sauts en
parachute, à une heure de Toulouse. Et il y a peu, ils se sont mis tous les deux
à la spéléologie. Visiter des grottes grandioses, à une centaine de mètres sous
terre, est un loisir en train de devenir une véritable passion.
Aujourd’hui, elle s’interroge sur ce qui va leur être proposé.
Et sa curiosité va bientôt être satisfaite car, dans vingt minutes à peine,
une voiture viendra les chercher devant la villa. Sofia, Lou, Jasmine, Lisa et
elle s’y précipiteront certainement afin d’avoir la meilleure place au côté du
beau célibataire.
Et c’est exactement ce qui se passe lorsque le véhicule se fait entendre
dans la cour. Malheureusement, elle a beau jouer des coudes, elle est évincée
par les autres filles.
Sauf que Louis ne les accompagne pas !
Magdalena masque difficilement sa déception car, en plus de se partager
un rendez-vous à cinq, elle est privée de la compagnie de Louis pendant le
trajet. Un moment de proximité incontournable qu’elle avait déjà intégré dans
sa stratégie de séduction.
Les filles n’échangent pas un mot durant les kilomètres qui les séparent
de leur destination. Apparemment, elles n’ont pas grand-chose à se dire.
Magdalena a tissé très peu de liens avec les filles de la villa, et encore
moins avec celles qui se trouvent dans la voiture.
Ces dernières années, elle a eu du mal à se faire des amies du côté de la
gent féminine. Alors, tout naturellement, elle s’est dirigée vers les individus
masculins, qui sympathisent beaucoup plus facilement avec elle.
Au détour d’un virage, la voiture ralentit et s’engage sur un étroit chemin
qui les mène à un belvédère. Le chauffeur s’arrête sans donner la moindre
explication et toutes sortent du véhicule, s’approchant de la falaise.
En face d’elles, enjambant un ravin de plusieurs dizaines de mètres,
Magdalena distingue un pont, sans doute celui qu’aurait emprunté leur
voiture si elle n’avait pas bifurqué pour les déposer ici.
Elle plisse les yeux afin d’identifier la personne qui leur fait signe,
visiblement en équilibre sur la barrière servant à protéger du vide. L’homme
paraît sur le point de tomber !
– Les filles, vous avez vu ce gars, là-haut ? leur demande-t-elle.
– Ouais, répond Lisa. Vous croyez que c’est Louis ? J’ai du mal à voir
avec le soleil.
– On dirait, reprend Lou. Mais qu’est-ce qu’il fait en équilibre sur ce
pont ?
– Il ne peut pas sauter, il n’a pas de harnais, constate Jasmine. Mais il est
très près du vide quand même…
– C’est flippant, reprend Magdalena. Il veut nous faire peur ou quoi ?
– En tout cas, c’est pas drôle. Si c’est pour nous impressionner, moi,
j’aime pas ça, dit Sofia.
– Mais, qu’est-ce qu’il fait ? demande encore Lou.
– Ah ! Ça y est, il s’écarte, ouf ! Il m’a fait peur, dit Magdalena
– Mais non ! Regardez ! Il se penche en avant, constate Lou.
– Il est en train de glisser. Mince, les filles, regardez, il…
– Non ! s’écrient-elles en chœur.
L’homme vient de plonger dans les airs, ayant aux pieds un élastique que
Magdalena ne voit que lorsqu’il s’élance.
Il rebondit plusieurs fois, et finit par se poser en douceur au fond du
ravin, où une autre personne l’aide à se défaire de son matériel.
Magdalena rit un peu en secouant la tête, au milieu des couinements
suraigus des autres filles. Elle s’est laissé duper par la plaisanterie de Louis et
reconnaît volontiers avoir eu peur pour lui.
Les autres filles s’apaisent assez vite puis semblent agacées par ce petit
jeu.
Lou souffle bruyamment, comme pour évacuer son exaspération.
– Il est fou, ce gars !
– On s’est bien fait avoir, les filles, dit Magdalena en rajustant sa queue-
de-cheval. Et à mon avis, le moment d’adrénaline ne va pas s’arrêter là.
Puis elle tente, dans un élan de sympathie :
– J’espère que vous n’avez pas trop peur du vide !
– Bon, eh bien, de toute façon, on ne peut pas reculer. Moi, je n’ai jamais
fait ça, dit Lou. Ça va être une grande première !
Jasmine s’est assise, comme terrassée par la nouvelle, la rendant encore
plus frêle et fragile que ce qu’elle est déjà.
Magdalena essaie de l’imaginer au bout d’un élastique. Seule l’image
d’une brindille virevoltant au gré du vent se superpose sur Jasmine. Rien à
voir avec une super sportive assoiffée d’adrénaline. Mauvaise pioche : la
pantoufle de vair ne convient pas. L’activité n’est pas faite pour elle.
Magdalena, telle une Cendrillon moderne, a un petit rire moqueur face à sa
belle-sœur essayant une chaussure qui n’est pas à sa taille. Maintenant
rassurée, elle est impatiente de rejoindre Louis et de profiter de ce rendez-
vous qui lui va comme un gant.

***
FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU
PRÉNOM : Jasmine
MÉTIER : Esthéticienne
VILLE : Bordeaux
ÂGE : 22 ans
TAILLE : 1 m 60 (presque)
POIDS : 45 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Brune
COULEUR DES YEUX : Verts, en amande
LOOK : Poupée rétro
SIGNE DISTINCTIF : Mes yeux de biche
CAPITAL SÉDUCTION : J’ai toujours su développer l’instinct protecteur de ces
messieurs. N’importe quel homme ne rêve que d’une chose, c’est de me prendre
dans ses bras pour me rassurer.
POINT FAIBLE : Est-ce que j’ai vraiment besoin d’être rassurée ? Oui, c’est vrai,
je suis une trouillarde…

Jasmine, en regardant l’invitation sur la tablette, avait pensé à une activité


plus terrestre. Immédiatement, elle avait enfilé une tenue de sport pour
montrer que, malgré sa stature, elle pouvait être redoutable dans certains
domaines. Elle est sortie de la voiture le torse bombé… Sauf que maintenant,
au pied du mur, elle se rend compte que son assurance fond comme neige au
soleil. Le sport n’est pas ce qu’elle préfère, et encore moins le saut à
l’élastique ! Elle a le vertige. Et bien sûr, il fallait qu’elle décroche ce rendez-
vous !
Elle se demande comment on peut apprécier ce genre d’activités alors
qu’il y a, dans le coin, de superbes randonnées avec des paysages
magnifiques à la clé.
L’idée de se lancer dans le vide commence à lui donner la nausée et elle
n’écoute déjà plus les filles qui discutent pourtant tout près d’elle : le
belvédère où elles patientent ne comporte qu’une petite zone d’ombre qu’il
faut se partager. Comme tout depuis qu’elle a intégré le jeu, d’ailleurs : les
salles de bains, le frigo, et même l’attention de Louis.
À cet instant, elle a juste envie de s’isoler, avoir un endroit rien qu’à elle.
Elle enfonce plus profondément sa casquette sur sa tête, emprisonnant
ainsi sa longue chevelure brune. Elle est encore perdue dans ses songes,
cherchant une solution pour renverser la situation qui ne va pas être à son
avantage, quand un vrombissement d’engin motorisé, répercuté en écho par
la montagne, se rapproche significativement. Une moto finit par débouler
devant les filles et s’arrête à proximité.
Louis se libère rapidement de son casque et offre son plus beau sourire.
L’intérêt de Jasmine s’éveille aussitôt. La moto lui correspond davantage,
et elle troquerait bien le saut à l’élastique contre une balade sur cet engin,
pressée contre le corps de Louis. Voilà une activité sur mesure !
Comme à son habitude, il passe une main dans ses cheveux. Il semble au
mieux de sa forme.
Jasmine entend distinctement les autres filles avaler leur salive, ne
sachant pas si c’est dû au joli minois de Louis, plus craquant qu’une glace
double chocolat, ou bien à la crainte de ne pas être aussi belles à voir après un
saut à l’élastique.
Parce que ce genre de sport, ça n’arrange pas une chevelure. Et le capital
séduction en prend un coup. Heureusement, elle s’est attaché les cheveux.
Elle remarque que seule Magdalena en a fait de même. Mieux vaut tenter de
limiter les dégâts. Elle rit d’avance en pensant aux autres après le saut. Et
qu’elles n’essaient pas de lui piquer son élastique pour cheveux, car elle
pourrait bien se transformer en pitbull enragé.
OK ! En réalité, elle serait plus proche du caniche enragé, mais même un
caniche peut faire des dégâts !
Louis ôte son blouson de moto et s’approche du coffre de la voiture, le
tout dans un silence surnaturel. Il en sort une glacière qu’il pose sur le sol.
En se redressant, il se tourne de nouveau vers le groupe de filles. Aucune
n’a bougé.
Jasmine se rend compte qu’elles sont suspendues à ses lèvres. Elle
aimerait bien intervenir, mais elle a encore le tournis. La proximité de la
falaise accentue son vertige. C’est bien sa veine ! Elle doit être blanche
comme un linge.
– Eh bien, bonjour les filles ! dit-il en explosant de rire.
– Bonjour Louis ! dit Jasmine la première.
– Comment allez-vous ce matin ? Vous voulez boire quelque chose ? Il
fait déjà très chaud.
Les autres filles se rapprochent de la glacière, l’air enchanté par ce
rendez-vous qui peut maintenant commencer.
Jasmine reste assise, un peu à l’écart, encore perturbée par l’arrivée de
Louis.
Comment lui dire qu’elle ne peut pas faire ce saut à l’élastique ?
Est-ce qu’elle pourrait échanger cette activité pour une autre, et ainsi, être
la seule à s’isoler avec lui ? Ce serait l’occasion de faire quelque chose de
spécial.
Elle doit agir vite pour attirer son attention.
Quand toutes les filles sont servies, Louis pose enfin le regard sur elle. Il
comprend que quelque chose ne va pas. Pour l’attirer près d’elle, elle lui fait
signe de s’asseoir par terre et sourit quand il s’exécute. Sauf que toutes les
filles l’imitent ! De vrais moutons, qui plus est incapables de s’occuper seuls
quelques minutes pour qu’elle puisse profiter de la compagnie de Louis…
– J’imagine que tu sais quel genre d’activité nous attend ce matin ? lui
demande Louis, ironique.
Inutile de lui cacher ses craintes.
– Oh oui ! s’empresse de répondre Magdalena, qui n’a visiblement pas
compris qu’il ne s’adressait pas à elle. C’est une excellente idée, et le cadre
est magnifique. Je n’ai encore jamais eu l’occasion d’essayer, mais c’est un
sport qui me tente depuis longtemps. J’ai hâte d’être là-haut !
Jasmine arque un sourcil. Jamais elle n’aurait pensé qu’on puisse dire
tout cela sans reprendre son souffle.
– Très bien, reprend Louis, on ne va pas trop tarder à y aller, d’ailleurs. Et
toi, Jasmine ? J’ai le sentiment que tu n’es pas vraiment dans ton assiette ce
matin.
Jasmine lève ses yeux verts en amande vers Louis et lui adresse quelques
battements de cils, se donnant un air accablé. Quitte à être en difficulté,
autant en faire des tonnes.
Elle pose sa main sur son bras pour faire naître sa compassion. Le
grincement de dents des autres filles lui indique qu’elle est sur la bonne voie.
Elle lui explique longuement sa peur du vide. Pour l’occasion, elle dégote
même une petite anecdote tirée de son enfance.
En retour, Louis tente de la rassurer, pour qu’elle cherche à se dépasser.
Et c’est tout.
Visiblement, il n’y a pas d’alternative. Et elle ne peut pas risquer de
passer à côté de ce rendez-vous, car chaque instant est capital avant la
prochaine soirée d’élimination.
Elle insiste.
– Disons que je ne suis vraiment pas à l’aise, lâche-t-elle dans un sourire.
Le vertige, ce n’est pas un truc contre lequel on peut lutter facilement. Je
passerai la dernière, comme ça, j’aurai un peu de temps pour prendre
confiance. Surtout si tu m’expliques bien comment je dois m’y prendre. J’ai
vraiment envie de me surpasser… pour toi.
Ses mots mal assurés font sourire tout le monde. Mais Jasmine sait que ce
n’est pas pour les mêmes raisons.
Elle reste une compétitrice, et sa crainte du vide est en train de lui attirer
la sympathie de Louis, qui lui frotte le dos d’un geste protecteur.
Au début, les autres filles ont dû bien s’amuser de la voir en retrait. Mais
elle a réussi à se mettre au premier plan.
Elle fait le poids face à elles. Et elle n’est pas dupe de l’attendrissement
qu’elles semblent manifester désormais. Si elles font mine de compatir, c’est
parce qu’il s’agit d’une meilleure carte à jouer plutôt que d’arborer des dents
de requin.
Alors qu’ils discutent encore des sensations fortes qui se profilent et de la
peur que leur a procurée le saut spectaculaire de Louis quelques minutes plus
tôt, Jasmine profite de la conversation pour se serrer davantage contre lui et
profiter de ses caresses. Hélas, il retire sa main quelques secondes plus tard.
Soudain, on leur annonce le départ.
– Je serais bien monté avec vous, mais il n’y a plus de place dans votre
véhicule, dit Louis. Et puis, il faut que je remonte la moto.
Lou soupire de déception et fait remarquer sèchement qu’elle aurait
préféré qu’il occupe un siège de la voiture. Personne n’est surpris, elle a
vraiment mauvais caractère.
Le trajet jusqu’au site où ils vont s’équiper pour sauter est plus
mouvementé. Chaque fille ne peut s’empêcher de faire un commentaire
indécent sur le beau jeune homme qui, vu de dos, circule à moto juste devant
leur voiture.
Jasmine s’émerveille de le voir sur un engin aussi puissant et s’imagine
derrière lui, cheveux au vent. Ce serait si exaltant. En cette fin de matinée,
elle se demande qui cherche à attirer l’autre. Tous les gestes et attitudes de
Louis sont naturellement séduisants alors que les filles doivent sans cesse
redoubler d’efforts pour se faire remarquer.
Jasmine est certaine qu’elles ont déjà succombé à son charme. Toutes se
sont lancées à la conquête du cœur de Louis, mais une seule d’entre elles
obtiendra satisfaction.
À ce jour, tous les espoirs sont permis. Elle fredonne le générique de
l’émission dans la voiture. Peut-être que finalement, le diamant, c’est lui.
Pour une fois dans sa vie, elle a le sentiment de vivre une expérience hors
du commun.
Chapitre 10

Trois semaines avant la retransmission de l’émission…

Elle l’entend se lever, encore. Elle sait très bien pourquoi il n’arrive plus
à dormir sereinement. La retransmission de l’émission approche et aucun
d’eux ne peut occulter davantage ce qui s’est passé.
L’ultime lien qui les relie toujours à ce jeu.
Tout ce qui a eu lieu au moment du tournage va passer au premier plan, et
tous ceux qui le souhaitent pourront les voir se débattre avec leurs sentiments.
Se délecter de leur intimité.
Elle savait que ce moment allait arriver. Et elle pensait s’y être préparée.
Mais aujourd’hui, elle comprend qu’elle est loin du compte.
La date fatidique hante son esprit du matin au soir. Après tout, tout le
monde connaît leur histoire et le principe de l’émission, alors il ne devrait pas
y avoir de surprise à proprement parler.
Mais le doute s’est immiscé dans son esprit.
Pourquoi Louis est-il à ce point nerveux ?
Elle ne devrait pas être si perméable à ses états d’âme, mais c’est plus fort
qu’elle. Les caméras étaient présentes à chaque instant. Un tri consciencieux
a dû être effectué pour ne garder que le plus croustillant.
Les images vont-elles leur montrer quelque chose de rédhibitoire ?
Quelque chose qui les empêcherait de poursuivre leur chemin ensemble et de
planifier le mariage, la dernière étape avant que le jeu ne soit définitivement
clos ?
Gagner ce jeu aux côtés de Louis a été l’une des meilleures choses qui lui
soient arrivées. Bien qu’au début, elle ait du mal à croire à sa réussite. Louis a
fait en sorte de brouiller les pistes à de nombreuses reprises.
Elle s’était inscrite, c’est vrai, amusée et conquise par le concept, un peu
attirée par les paillettes et le décor digne d’un conte de fées, avec ses
quelques milliers d’euros à la clé.
Sa dernière déception sentimentale était digérée, mais elle gardait encore
une sorte d’arrière-goût amer, spécialement à chaque fois que l’idée de
s’engager lui venait en tête. Non pas qu’elle soit obnubilée par tout ça, mais à
son âge, c’était monnaie courante que de la questionner sans cesse sur son
avenir sentimental. À quand le mariage ? Et les enfants ? Bref, on ramenait
toujours au premier plan cette nécessité d’avoir quelqu’un dans sa vie. D’être
en couple.
Sauf que ce n’était pas sa préoccupation première.
Cette aventure devait être la parenthèse dont elle avait besoin, au niveau
sentimental. Mais surtout, elle pensait gagner quelques billets et, au pire,
restait l’amusement au travers d’un jeu grandeur nature.
Et aujourd’hui, il y a Louis.
Ils doivent avoir une discussion. Une vraie discussion.
Le jour de la finale, pourtant, elle a cru qu’il lui ferait sa demande en
mariage. C’est comme ça que ça s’était passé dans les précédentes éditions.
Mais pas pour Louis.
Il voulait prendre le temps. Profiter des six mois dans leur intégralité.
Sans que, finalement, rien ne se profile à l’horizon, si ce n’est l’iceberg
que représente la retransmission de l’émission.
C’est vrai qu’il n’est pas du genre expansif. Le retour à la réalité a
d’ailleurs été plus compliqué que ce qu’elle pensait. Mais elle a compris que
le contexte était bien différent. Elle a accepté de laisser derrière elle une
partie du Louis qu’elle a rencontré là-bas pour véritablement le découvrir.
Et elle ne le regrette pas. Cela lui a permis de laisser mûrir ses propres
choix, ses réflexions, ses projets.
Elle s’est même habituée à cette distance dont il a besoin. Louis a sa part
de mystère, et c’est comme ça qu’il faut le prendre. Elle s’en est fait une
raison.
Se lever la nuit, sans rien dire, n’est pas une attitude qui la gêne
véritablement, car il n’est pas du genre à extérioriser ses angoisses et à parler
de ses problèmes. Son travail est stressant et elle sait qu’il fait souvent face à
des situations inextricables. Sauf que, dans ce cas, elle sait parfaitement de
quoi il retourne. Ce n’est pas son travail qui sème le trouble.
Est-ce qu’il a des regrets ? Dans ce cas, elle aimerait qu’il le lui dise. Cela
pourrait l’aider à y voir plus clair.
Louis a un impérieux besoin de tout contrôler. Même ses émotions. C’est
sans doute ce qui forme le plus grand contraste avec le jeu.
Elle sourit. Il ne sait pas que les sentiments ne se contrôlent pas. Car,
parfois, son regard le trahit. Et d’ailleurs, ces derniers temps, elle a lu quelque
chose de différent au fond de ses yeux, difficile à interpréter. Comme s’il
éprouvait un conflit intérieur.
Alors, la crainte s’est immiscée dans ses pensées à elle. Une crainte
irrationnelle.
Louis tarde à lui faire sa demande en mariage. Pire encore, il n’y a aucun
signe qui puisse lui laisser penser qu’il y songe sérieusement. Ce n’est pas de
bon augure. Est-ce qu’il se demande si elle est prête à renoncer à la bague et à
l’argent pour lui ?
Elle sait qu’ils auraient dû en parler. Mais aucun d’eux ne prend
l’initiative de lancer le sujet. Ils font semblant.
Quand ils s’assoient ensemble sur le canapé, elle affirme que tout va bien.
Qu’elle n’est pas inquiète. Et lui la rassure et dit qu’il tient à elle. Il lui
explique froidement à quel point ils sont compatibles, comme la résolution
d’une équation… Pourtant, reste une inconnue… Qu’ils éludent totalement.
Et que l’émission va se charger de dévoiler.
Elle se sent fragile, terrorisée par le raz-de-marée qui s’annonce et qui va
déferler sur leur couple aux fondations si fragiles.
Il lui faut agir pour se sortir de tout cela. Ces nuits d’insomnies ne
peuvent pas continuer ainsi.

Une semaine avant la retransmission de l’émission…

Les nuits blanches de Louis s’enchaînent sans aucune amélioration. Le


malaise est installé. Ils n’ont jamais eu cette discussion, celle qui aurait pu
faire disparaître leurs craintes respectives ou, tout au moins, les mettre en
face de leurs problèmes.
Elle n’était pas prête à ce qu’ils abordent ensemble tout ce qui s’est passé
durant l’émission, il a dû le sentir. Bref, maintenant, c’est trop tard.
Heureusement, elle a eu une idée.
Une idée lumineuse.
Cette émission leur a permis de se rencontrer, mais elle pourrait aussi
bien les détruire, les forçant à faire une croix sur les quelques mois de
bonheur qu’ils viennent de passer ensemble.
Aujourd’hui, il faut qu’elle agisse vite.
Après avoir mûrement réfléchi, elle a pris contact avec David, le
producteur de l’émission. Ça a été facile : il fait partie de leur cercle d’amis.
Ils s’étaient promis de se revoir après l’émission.
David est un homme charmant, plein de bon sens, et d’agréable
compagnie. Son numéro est donc venu tout naturellement s’ajouter à leur
liste de contacts.
Aujourd’hui, elle ne regrette pas d’avoir su conserver cette relation. Et
avec ce mail valant accord pour visionner l’ensemble des épisodes, il lui a
offert une porte de sortie pour venir à bout de leurs problèmes de
communication. Elle va constater par elle-même ce que réservent ces images
tant redoutées.
Seule ombre au tableau, elle va devoir se rendre aux bureaux de la
production, à Paris.
David n’a pas été difficile à convaincre. Il lui a fallu évoquer l’idée de se
préparer, jouant sur la corde sensible que pourrait être sa fragilité féminine
face aux images qu’elle devra affronter. Sa seule intransigeance a été le fait
qu’elle doive se déplacer. Rien ne peut passer par Internet, pour des raisons
de confidentialité.
Dès lors, le plus dur a été de trouver une explication pour se justifier
auprès de Louis. Elle ne veut pas utiliser un prétexte trop éloigné de la vérité,
car elle ne veut pas mentir. Enfin, pas complètement.
Après tout, ce qu’elle a dit à David est presque vrai, donc son petit
stratagème ne peut pas être considéré comme un mensonge.
Elle a tourné l’idée dans sa tête à plusieurs reprises et a beaucoup hésité.
Si Louis se rend compte qu’elle a prémédité tout ça, il pourrait considérer
qu’il s’agit d’un flagrant manque de confiance, et cela compliquerait encore
la situation.
Finalement, c’est l’autre fille qui a fini par la convaincre. Ou plutôt, qui
lui a forcé la main.
Il y a quelques jours, elle a commencé à recevoir des mails, et n’a pas
réussi à les mettre de côté. Ils l’ont atteint de plein fouet et ont ramené au
premier plan les questions qu’elle essayait d’enfouir depuis les premières
insomnies de Louis.
Cette fille savait ce qu’elle faisait en lui écrivant. Elle affirmait que la
compétition n’était pas terminée.
En temps normal, elle ne se serait pas inquiétée. Mais elle a
immédiatement fait le lien avec l’attitude de Louis ces dernières semaines.
La diffusion va révéler tous les bons moments de Louis. Ceux qu’il a
passés avec elle, mais avec les autres aussi… et notamment avec cette fille.
Est-ce cela qu’il redoute ? Est-ce qu’il regrette de l’avoir choisie elle, et pas
la dernière en lice ?
Une interrogation qui se rajoute aux autres et qui ébranle encore les bases
de leur relation.
Cette fille est très maligne, ce qui n’est pas une surprise. C’était déjà
évident lors du tournage. Et son retour, aujourd’hui, lui montre qu’elle a
accumulé énormément de rancœur. Humiliée et vexée, elle a ruminé sa
frustration, qui n’est pas seulement liée à la perspective que bon nombre de
personnes assistent à son élimination.
Elle veut Louis, à tout prix.
En tout cas, c’est bien ce qu’elle a ressenti au travers de ses mails, qui se
sont faits de plus en plus nombreux, de plus en plus pressants. Elle a exigé
une entrevue – rien que ça – pour discuter et pour lui montrer qu’en dehors
des apparences, sa relation à elle, avec Louis, n’est pas une réussite. Cette
fille dit avoir de quoi le prouver. Ce qui lui a paru complètement saugrenu…
Au début, elle a lu les mails, un peu attristée par l’idée que sa concurrente
n’ait pas encore digéré sa défaite. Puis, elle les a supprimés sans même les
ouvrir tant ils lui ont paru empreints de jalousie. Ce n’était pas à elle de
s’occuper des problèmes de cette fille.
Mais les mots ont tourné en boucle dans son esprit. Savoir que son
ancienne adversaire revendique sa place auprès de Louis l’a touchée au plus
profond d’elle-même. Pour finir, accablée par le doute, elle a fini par les lire à
nouveau. Une forme de curiosité malsaine. Elle voulait comprendre ce qui
pouvait pousser cette fille à venir jusqu’en Chine pour la rencontrer.
Elle était prise au piège. Sans personne avec qui parler de tout ce qu’elle
avait vécu. Personne, dans son entourage, ne pouvait l’aider dans sa relation
et lui dire quoi faire. Personne ne peut comprendre ce qu’elle ressent
maintenant, sauf… elle.
Après une énième nuit blanche, passée à regarder Louis tourner en rond,
et après avoir remarqué que le niveau de la bouteille de whisky descendait en
flèche, elle a accepté de la voir.

Aujourd’hui, elle l’attend devant le restaurant qu’elles ont choisi pour


déjeuner.
Elle s’est longuement préparée à entendre ses arguments subjectifs, et va
tout faire pour n’y prêter aucune attention.
En femme humiliée, son ex-concurrente va forcément chercher une faille
dans leur couple, dans l’idée de reconquérir Louis avant la fin de la diffusion.
Elle veut sauver son honneur, c’est un plan de la dernière chance.
À l’inverse, pour elle, cette entrevue va lui permettre de tirer au clair les
événements passés et peut-être, aussi – elle doit bien se l’avouer – de savoir
ce qui se cache derrière le tournage. Cette fille possède peut-être des
informations qu’elle ignore.
Tout est bon dans la mesure où elle obtient des réponses à ses questions.
Elle soupire. Un déjeuner avec elle. Si on lui avait dit, il y a un mois,
qu’elle l’attendrait devant un restaurant, elle aurait ri à gorge déployée.
Son ancienne rivale finit par arriver, bien évidemment avec quinze
minutes de retard. Elle traverse la rue afin de la rejoindre devant le restaurant,
choisi intentionnellement loin du quartier où elle vit avec Louis, afin de ne
surtout pas avoir à repasser régulièrement devant et d’entretenir ainsi le
souvenir de ce moment désagréable.
La rencontrer ici, en Chine, et surtout en dehors du cadre de l’émission
est étrange. Jamais elle n’aurait pensé la croiser à nouveau. Comme si le
tournage l’avait reléguée à un monde imaginaire. La voir aujourd’hui, en
chair et en os, lui laisse un sentiment désagréable qui s’apparente à un
mauvais présage.
Elles entrent et choisissent une table dans un coin de la salle, à l’abri des
regards indiscrets. Elle passe presque toute l’heure qu’elle a décidé de lui
consacrer à l’écouter parler.
Cette fille lui explique posément que Louis a fait une erreur, et que c’est
avec elle qu’il devrait être, qu’elle le connaît bien et sûrement mieux que
quiconque, car il s’est livré à elle d’une manière qu’elle sait inédite. Elle
parle du véritable amour.
Bien que troublée par les propos de cette fille venimeuse, elle finit par
comprendre pourquoi ils n’arrivent plus à communiquer. Ils ont, Louis et elle,
peur de ces images et de ce qu’elles vont mettre en lumière. Finalement,
chacun d’entre eux s’est construit son propre scénario.
Louis doit redouter de montrer une facette de lui qu’elle ne connaît pas, si
l’on en croit cette fille. Elle, pour sa part, s’inquiète de ce qui va être révélé,
sachant qu’il ne lui a toujours pas fait sa demande en mariage. Des problèmes
bien lourds pour un si jeune couple.
Son déjeuner avec cette fille lui permet effectivement de réfléchir, mais
lui laisse aussi un goût âpre de jalousie.
L’idée de perdre Louis se concrétise pour la première fois. Et elle est
insupportable.
Pour elle, le déjeuner s’achève ici. Elle en a assez, et ne souhaite pas en
écouter davantage.
Elle se lève et la salue sans même avoir commandé de dessert, s’apprêtant
à régler sa part de l’addition à l’accueil du restaurant.
Contre toute attente, l’autre fille en fait de même et, quelques minutes
plus tard, elles se retrouvent côte à côte dans la rue. Étrangement, elles
prennent la même direction.
Elle tâche de presser le pas pour mettre de la distance entre
l’insupportable bruit de ses talons et elle, mais l’autre maintient l’allure. Pour
s’en éloigner, elle prend un chemin de traverse, entre deux rues plus
fréquentées.
À peine est-elle engagée dans la ruelle complètement déserte que la fille
fond sur elle et, en une fraction de seconde, tire sur son manteau pour
l’obliger à se retourner. En un mouvement trahissant une violence contenue,
elle la plaque contre le mur.
– Tu vas m’écouter, maintenant ? hurle la folle.
– Oui ! Oui… Je t’écoute ! balbutie-t-elle, les yeux écarquillés par la
surprise.
– Tu t’es bien moquée de moi jusqu’à maintenant. Tu crois vraiment que
j’ai fait tous ces efforts pour rien ?
– Non ! Bien sûr ! Je ne voulais pas te donner cette impression. Mais
qu’est-ce que tu veux, à la fin ?
– Je veux que tu joues franc-jeu avec moi. J’ai trop attendu pour que tu
me promènes avec tes belles paroles. Alors comme ça, tu voulais voir les
épisodes de l’émission en avant-première ! Qu’est-ce que tu trafiques ? Tu
aurais pu m’en parler tout à l’heure, au lieu de tout manigancer de ton côté.
– Mais, comment tu sais que…
– Tu pensais avoir été discrète ? Pfff ! Un seul coup de fil m’a permis de
tout savoir. Vraiment, je ne sais toujours pas ce qu’il te trouve !
Sa rivale lâche son manteau et s’écarte pour la laisser reprendre son
souffle.
– Et tu comptais y aller quand ?
Elle ne veut pas discuter de son plan avec cette fille. Ce serait en partie
lui avouer qu’elle ne file pas le parfait amour et lui laisser une chance de se
faufiler dans la brèche.
– En fait, j’ai changé d’avis, tente-t-elle d’une voix mielleuse, tâchant
d’être convaincante. Je n’étais pas sûre que ce soit une bonne idée. Tu vois, je
ne compte rien faire dans ton dos, c’était juste… une idée, bredouille-t-elle en
se massant le cou, tendue par la situation.
– Ah ouais ? Eh bien, tu as eu tort. Ton idée était bonne. Et tu vas y aller,
pour voir par toi-même que ce que je viens de t’expliquer est la stricte vérité.
Et après, on verra si tu oses toujours me prendre de haut !
– Tu n’as pas à me dire quoi faire ! Et ce ne sont pas tes menaces qui vont
changer quelque chose ! riposte-t-elle.
– Ah oui ? Alors, j’espère que tu as pensé à laisser un mot à Louis pour
lui parler de notre tête-à-tête de ce midi. Tu lui as dit qu’on se voyait ? Est-ce
qu’il sait ce que tu trames dans son dos ? Non ! Il ne sait même pas que tu
pensais te rendre à Paris…
– OK ! OK ! fait-elle.
Elle voudrait croire que cette folle ne va pas contacter Louis, mais une
petite voix lui souffle que ce serait bien possible.
La situation vient de prendre un tout autre tour. Et s’il lui restait, il y a
quelques heures, un espoir de régler le problème sans trop de dégâts, celui-ci
vient d’être réduit à néant…
Chapitre 11

Louis file sur la route escarpée. La dernière fois qu’il a pris le temps de
conduire sa moto remonte à presque deux ans, et le fait qu’on lui propose de
piloter ce nouveau modèle, en exclusivité pour l’émission, l’a tout bonnement
ravi.
Il aime ce sentiment de liberté, alors qu’il est encore grisé des sensations
procurées par son saut un peu plus tôt. Décidément, cette émission où chacun
de ses désirs est exaucé lui donne des ailes ! Il se sent bien comme jamais.
Il s’est habitué à la compagnie des filles et regrette de ne pas pouvoir les
avoir toutes avec lui aujourd’hui.
D’ailleurs, il n’a plus l’impression qu’elles se forcent pour attirer son
attention, maintenant. Il a reconnu cette petite étincelle dans leurs yeux. Reste
à voir si cet entrain est vraiment motivé par sa personne. Il se peut que
certaines aient déjà pris goût au fait de gagner de l’argent.
La prochaine soirée d’élimination qui a été concoctée va en surprendre
plus d’une.
La princesse sera-t-elle prête à céder son royaume pour son prince ?
Princesse… Ce mot le fait fondre de plaisir. Maintenant qu’il les connaît
toutes, il aimerait beaucoup repartir avec l’une d’entre elles.
Dans la vie de tous les jours, Louis a l’habitude de plaire aux femmes.
Mais les règles de politesse et de courtoisie font que les situations de vraies
rencontres ne sont pas si nombreuses.
Il lui arrive de rencontrer une belle femme à son travail, mais dans le
contexte d’un rendez-vous professionnel, impossible de tenter quoi que ce
soit, ni même de s’autoriser à interpréter certains signes. La notoriété de son
cabinet et le respect de ses collaborateurs passent avant tout le reste. Même
chose lorsqu’il fait du sport. Généralement, c’est une pause qu’il s’accorde
entre deux rendez-vous, et il n’a pas le temps de papillonner.
Il gare sa moto à quelques mètres de la zone de saut. Les filles sortent
rapidement du véhicule, excitées par la proximité du vide.
Louis s’approche du responsable de l’activité pour faire un point sur
l’organisation et invite les filles à le suivre.
– Il vous faut décider de l’ordre dans lequel vous voulez sauter, reprend
Louis. De mon côté, je serai…
– Comment ça ? l’interrompt Magdalena. Tu ne sautes pas avec nous ?
– Ce n’est pas l’envie qui m’en manque, répond-il en riant, mais je ne
suis pas sûr de pouvoir encaisser six sauts dans la matinée.
– Ah, OK, lui dit-elle, l’air un peu déçu. J’aurais tellement aimé partager
ce moment avec toi.
Louis remarque que les autres filles la fusillent du regard. Il sait qu’il
commence à y avoir des tensions, et cela ne va pas aller en s’arrangeant.
Plusieurs fois, même, il a eu l’impression de les voir se retenir en sa présence.
Cela le flatte que Magdalena ait souhaité partager ce moment avec lui.
Depuis le début de la matinée, elle s’est donné beaucoup de mal pour attirer
son attention. Et elle a réussi. Les quelques phrases qu’ils ont échangées lui
ont fait bonne impression. Comme elle paraît moins sûre d’elle que les autres
filles en temps normal, ses efforts la rendent d’autant plus charmante.
À bien y réfléchir, Louis s’intéresse à elle depuis le début. Leurs
échanges sont toujours légers, loin des jeux parfois compliqués des autres
filles. Et aujourd’hui, tout semble le confirmer.
Il s’autorise un regard appuyé sur sa silhouette. Son short noir moule le
bas de son corps et révèle des cuisses menues et toniques. Elle a néanmoins
des formes généreuses, mais très bien placées : des fesses rondes et une jolie
poitrine.
Mais ce qu’il aime le plus chez elle sont ses longs cheveux un peu
ondulés. Ce matin, elle a choisi de les attacher, et pour Louis, c’est une
révélation. Il distingue mieux les traits de son visage, et considère,
indiscutablement, qu’elle fait partie des plus jolies filles de la villa.
Son regard se détache à contrecœur du corps de Magdalena pour se poser
sur le petit groupe.
Les autres filles semblent également surprises qu’il ne fasse pas le saut en
tandem avec elles.
– Oui, enfin, tu n’es pas la seule, lance Lou sur un ton sec à l’attention de
Magdalena. On aurait toutes eu très envie de sauter avec toi, Louis !
Les autres filles hochent la tête, sauf Jasmine qui semble de plus en plus
mal.
Louis sait comment les satisfaire.
– Après le saut, reprend-il en direction de Magdalena, je serai en bas et je
te ramènerai… en moto, si tu es d’accord ?
– C’est vrai ?
Il voit ses yeux s’illuminer. Et il aime cette façon qu’elle a de le regarder.
– Ça, c’est super ! reprend-elle. J’adore la moto !
Louis se tourne vers les autres filles afin de ne pas les exclure de la
conversation.
– D’ailleurs, je vous ramènerai toutes, si vous êtes d’accord ?
– Super ! dit Lou en souriant.
Les autres filles hochent de nouveau la tête en signe d’assentiment. Louis
leur fait un clin d’œil et le petit groupe s’avance près du matériel. Un jeune
homme, en charge d’organiser la session de sauts, se place face à eux afin de
donner les consignes. Louis a bien remarqué la façon dont il regarde les filles
depuis leur arrivée. Autant de belles jeunes femmes au mètre carré, prêtes à
se jeter dans le vide, doit lui être inédit. Mais, en plus d’être perturbé par leur
beauté, il semble y avoir autre chose, en rapport avec leur tenue.
– Bonjour à toutes, moi, c’est Tom. Je vais vous équiper, puis vous vous
présenterez sur la plateforme dans l’ordre que vous avez défini. Vous
viendrez vous placer ici, juste devant cette croix, et attendrez que je finisse
d’attacher l’élastique. Ensuite, vous n’aurez plus qu’à vous approcher du
bord et à essayer de sauter le plus loin possible. Et, euh… il y a également
des pantalons afin que les sangles ne vous fassent pas mal. Désolé,
mesdemoiselles, mais certaines ont mis un short un peu trop court.
Louis constate que seules Jasmine et Magdalena ont un short qui arrive à
mi-cuisse. Sofia, Lou et Lisa rougissent devant la remarque et se dirigent
derrière la table où sont posés les pantalons que leur indique l’animateur.
Louis s’amuse de la situation et se surprend à les regarder se rhabiller, un
peu déçu, car cet ensemble de jambes découvertes était plus qu’agréable. Il
s’en veut immédiatement de ce manque de discrétion. Il agit comme si ces
filles étaient toutes ses petites amies. Maintenant qu’il y pense, c’est une idée
qui est loin de lui déplaire…
Malheureusement, il ne peut les admirer davantage car la première
volontaire est déjà attendue pour sauter.
Magdalena, celle qui a manifesté le plus de joie à l’idée de faire le grand
saut, se présente, enthousiaste et souriante, comme à son habitude.
Elle regarde le vide puis Louis, visiblement très excitée à la perspective
de se jeter dans le vide. Elle lui demande de lui confirmer qu’il l’attendra
bien en bas, lorsqu’elle aura terminé son saut. Il hoche la tête et lui donne sa
parole.

***

Magdalena contemple le vide. Cela ne l’impressionne pas autant que la


promesse d’avoir, à la clé, une balade à moto avec Louis.
Elle regarde une dernière fois derrière elle et croise ses yeux azur. Il la
fixe, tout comme le reste des filles, d’ailleurs. C’est son moment à elle, celui
qui va lui permettre de passer devant toutes les autres.
Alors, elle prend son élan et saute. Comme lors de ses entraînements de
chute libre. Loin devant elle, sans hésitation.
La sensation de gravité l’enveloppe tout entière et elle ne peut retenir un
cri lors du rebond.
Alors qu’elle continue à osciller dans les airs, se rapprochant
irrémédiablement du moment où elle va retrouver Louis, elle entend le
vrombissement de la moto.
Louis va venir la prendre, et son cœur se serre.

***

Ils s’approchent tous ensemble de la barrière pour regarder le saut de


Magdalena jusqu’au bout. Elle s’est élancée avec tant d’agilité que personne
n’ose plus parler. À vrai dire, elle a plongé avec une grâce incroyable,
exactement comme si elle avait des ailes.
Louis est en admiration devant la facilité avec laquelle elle vient de se
jeter dans le vide.
Au premier rebond, on l’entend légèrement crier, mais c’est peut-être
plutôt un rire. Louis, qui vient de s’équiper, enfourche sa moto, prêt à aller la
réceptionner au fond du ravin.
À bien y réfléchir, il trouve que la scène ressemble aux films où le héros
va secourir sa belle d’un danger imminent. En tout cas, la cascade de
Magdalena est sans conteste à la hauteur de ces superproductions.
Louis file à toute vitesse, faisant cabrer sa moto à chaque accélération. Il
laisse derrière lui quatre femmes émerveillées et fixe leur visage dans son
rétroviseur.
Cette pluie de sensations fortes, à laquelle il goûte de plus en plus
souvent depuis le début du tournage, booste son tempérament de séducteur.
Ses émotions sont à fleur de peau et l’adrénaline excite ses sens. Il se sent
vibrer comme cela lui était rarement arrivé.
Il arrive à destination alors que Magdalena est encore en train de quitter
son équipement. Il ôte son casque et se dirige vers elle d’un pas décidé.
Magdalena arbore un sourire exalté. Libérée de ses sangles, elle court
aussitôt dans sa direction.
Elle est sur lui en quatre foulées et, calculant mal sa vitesse, se jette
littéralement dans ses bras. Louis, surpris par sa vivacité, la reçoit contre son
torse et la maintient afin de ne pas perdre leur équilibre.
Leurs corps se soudent l’un à l’autre, leurs bouches s’arrêtent à quelques
centimètres l’une de l’autre, avant que cette distance ne se raccourcisse
subrepticement jusqu’au contact doux et brûlant de leurs lèvres. Sans
vraiment savoir qui a été à l’initiative de ce baiser.
Ils s’écartent l’un de l’autre, soudainement gênés par cette pulsion.
Ils viennent de succomber à un feeling, une envie irrationnelle, liée à la
magie de l’instant présent.
Louis risque un coup d’œil en direction de la jeune femme. Elle se mord
la lèvre, l’air confus, mais son regard trahit le plaisir qu’elle a éprouvé.
– C’était bien ? questionne Louis.
– Euh… Oui, vraiment très bien, balbutie Magdalena en rougissant.
– Le saut, c’est du saut dont je parle, dit Louis secouant la tête de droite à
gauche, mais souriant devant la réponse de la jeune femme.
Et il a envie de l’embrasser à nouveau.
À cet instant, elle est véritablement l’une des filles les plus charmantes
qu’il connaisse, même en tenue de sport. Ses épais cheveux châtains à moitié
lâchés au vent, sa bouche pulpeuse entrouverte et ses yeux pétillants la
rendent adorable.
La curiosité que Louis éprouve pour elle est attisée par le saut magistral
qu’elle vient de réaliser. Se jeter ainsi dans le vide montre qu’elle a du
tempérament.
Il la prend par la main et l’emmène près de la moto. Tout en la fixant, il
ouvre le coffre et en sort un blouson, habilement plié afin qu’il puisse tenir
dans cet espace restreint. Durant un instant, il est tenté de l’emmener loin
d’ici. Ils s’installent sur l’engin et, arrivés au premier croisement, c’est
exactement ce qu’il fait.

***

Magdalena sent son cœur s’emballer dans sa poitrine. Jamais elle n’aurait
espéré que la matinée se déroule de cette manière. Tout se passe à merveille.
Elle regrette presque que, de là où elles sont, les autres n’aient pas pu voir le
baiser qu’elle vient d’échanger avec Louis. Elles en seraient restées bouche
bée.
D’un geste, après avoir enfilé le blouson et le casque, elle vérifie la
présence de son pendentif en or. Elle s’agrippe à Louis, encore chamboulée
par cette tendre étreinte, et fait le vœu que ce moment se prolonge encore.
Lorsqu’elle voit Louis engager la moto dans la direction opposée à celle
qui est prévue, ses rêves les plus fous se frayent un chemin dans son esprit.
Louis accélère vigoureusement à chaque sortie de virage, mais ne prend
cependant aucun risque. Magdalena est certaine que cette vigilance est une
attention envers elle.
Au bout de cinq ou six kilomètres, il arrête la moto sur le bord du chemin.
Ils enlèvent leur casque et mettent pied à terre avec empressement.
Magdalena passe la main dans ses longs cheveux pour les remettre en ordre,
sous le regard appuyé de Louis.
Sans échanger un mot, elle le voit s’approcher à nouveau pour
l’embrasser.
La main de Louis se glisse au creux de ses reins pour la plaquer
davantage contre lui. Ses courbes se pressent contre son torse et elle ne peut
retenir un gémissement. Le plaisir monte en elle et redouble à chaque fois que
leurs peaux entrent en contact.
Elle laisse ses mains plonger dans les cheveux de Louis, chose qu’elle a
envie de faire depuis un moment, puis redescendre le long de son dos pour
finir par trouver le haut de ses fesses.
Leurs corps manifestent une attraction brute, et il est difficile d’y mettre
un terme pour s’en aller. Mais elle sait qu’ils ne peuvent s’éclipser davantage.
Louis tâte les poches de son blouson et en extirpe un petit sachet. Il en
vide le contenu dans le creux de sa main, tout en jetant de rapides coups d’œil
à Magdalena. C’est une pierre rose pâle, montée en pendentif.
Elle s’émerveille du cadeau, du bijou, de ce geste, ici, loin des regards
des autres filles. Louis le glisse dans sa chaîne et l’invite à se rhabiller. Il est
temps de rejoindre le groupe.
À leur retour, ils sont accueillis par des coups d’œil inquisiteurs. D’une
part, les filles ont trouvé le temps bien trop long, d’autre part, il est
impensable qu’elles n’aient pas remarqué son collier.
L’air de rien, et tâchant surtout de ne pas croiser le regard des autres
filles, Magdalena reprend sa place près de la barrière.
Lou, les mains sur les hanches en signe d’impatience, s’approche et saute
à son tour.
Encore sous le charme de cette escapade inattendue, Magdalena reste en
retrait afin de se repasser à loisir le film de ces dernières minutes. Tout se
déroule comme dans un rêve. Sans calcul et sans retenue.
Sa bouche lui semble anormalement sensible. Non pas que la force du
baiser l’ait malmenée, mais il y avait si longtemps qu’elle n’avait pas été
embrassée… Elle focalise toute son attention sur ses lèvres, afin de percevoir
encore les traces de ce doux échange. Il est déjà reparti pour récupérer Lou, et
cela ne lui fait ni chaud ni froid. Magdalena a eu son moment à elle, qui a
largement dépassé ses espoirs les plus fous.
Elle vient de rentrer dans la course pour la conquête du cœur de Louis. Et
ce qui vient de se produire lui garantit une confortable avance. Elle baigne
dans l’euphorie la plus totale.
Pour que cela recommence – parce qu’elle veut déjà une autre dose de
Louis – il faudra qu’elle aille le plus loin possible dans l’émission.
Contre toute attente, elle est bel et bien sous son charme, ce qui rend ce
jeu de séduction encore plus agréable ; et c’est en souriant qu’elle se souvient
de ses premières motivations, de ce qui l’a poussée à s’inscrire. Son objectif
était de se prouver qu’elle pouvait être une vraie séductrice, et pas seulement
l’éternelle meilleure amie. Maintenant, les choses viennent de prendre un tour
radical.
Magdalena a eu une enfance paisible. Durant cinq années, elle s’est
trouvée dans la même classe que Noah, son voisin, un jeune garçon de son
âge. Naturellement, un lien s’est créé entre eux, une amitié sincère, que
l’entrée dans l’adolescence a un peu bousculée.
Rapidement, elle a mis de côté ses fréquentations pour passer plus de
temps avec Noah, prétextant subir les longues séances de maquillage et de
coiffure organisées par ses amies. Son tempérament impulsif aurait dû aider
Magdalena à se dévoiler, mais aucun moment n’a été le bon pour lui avouer
ses sentiments. Et quand ils ont eu l’âge des histoires sentimentales, elle est
restée sur le carreau, le regardant s’enticher de ses amies, de jolies jeunes
filles ultraféminines aux ongles manucurés. Mais pas d’elle.
Bien sûr, elle a essayé de le rendre jaloux, mais cela n’a eu aucun impact
sur lui. Enfin, pas comme elle l’espérait secrètement. Il n’a eu de cesse de
vanter leur amitié indéfectible. Plus tard, Noah a fini par s’installer avec une
jeune femme, et Magdalena s’est fait une raison. Il commençait une histoire
sérieuse.
Son pouvoir de séduction a été sérieusement mis à mal à cause de cette
histoire, et sa confiance en elle a atteint un seuil critique. Au début, elle a
parlé de l’émission pour fanfaronner et, peut-être aussi, comme une ultime
tentative pour le rendre jaloux. Jamais elle n’aurait cru voir son inscription se
concrétiser.
Tout s’est emballé, et la voilà ici, aujourd’hui, venant tout juste de vivre
un moment incroyable. En un instant, Louis vient de lui faire oublier toutes
les vieilles histoires.
Les filles enchaînent leur saut, mais elle ne les regarde pas vraiment. Pour
elle, l’aventure vient de prendre un nouveau tournant.
Magdalena est la femme d’un seul homme, et il semble que la place vient
de trouver preneur.
Chapitre 12

J – 4 : la deuxième vague du raz-de-marée…

Après avoir mis le lecteur en pause à l’aide de la télécommande, je


m’adosse au fauteuil et me masse longuement les tempes. Visiblement, rien
n’a échappé à l’œil de la caméra, qui nous a suivis partout, sans même que je
m’en rende compte. À vrai dire, le montage donne un rendu plus proche de la
fiction que de la réalité. On dirait une mauvaise série télé dont j’incarne le
personnage principal.
Sauf que tout est bien réel. Les souvenirs refont surface. Force est de
constater que je les avais oubliés, rangés quelque part dans un coin de mon
esprit. Les affronter à nouveau est un choc. C’est pire que tout.
Je reste silencieux, assis dans l’obscurité de la salle de retransmission. Ce
que je viens de voir est bien plus extrême que tout ce à quoi j’ai pensé. C’est
sûr, on peut lire en moi à cœur ouvert. Et cette mise à nu va crescendo.
Le plus alarmant, c’est l’image de moi que je donne. N’importe qui dirait
que je suis un parfait connard. Sauf que c’est très différent de ce que je suis
au quotidien… Enfin, je l’espère. Il aurait mieux valu que je n’oublie pas la
présence des caméras, car le résultat est proche du fiasco.
On me voit, là, friand du tempérament aguicheur de ces jeunes femmes,
qui restent suspendues à mes lèvres, quoi que je dise ou quoi que je fasse.
Je n’en suis qu’au quatrième épisode et suis déjà au bord de la nausée.
Impossible d’en vouloir à David, car ces images sont bel et bien tirées de ce
qui s’est passé.
J’imagine ce qu’elle a pu ressentir en visualisant tout cela.
Abattu, je m’enfonce dans mon fauteuil. Elle a accepté certaines dérives
pendant le jeu, comment pourra-t-elle accepter de revivre cela une autre fois ?
En fait, c’est même pire, car elle va aussi voir tout ce qu’elle n’a pas vu lors
du tournage, tous ces moments où elle attendait gentiment à la villa et où je
prenais du bon temps avec les autres.
J’avale ma salive, car le plus difficile reste à venir. Il y a encore de
nombreux épisodes à visionner, et rien qu’à cette idée, mon estomac se
soulève. Mais je n’ai pas d’autre choix, car c’est dans ces images que se
trouve la clé. Il faut que je trouve ce putain d’endroit !
David me l’a dit, j’ai carte blanche. Je peux rester jour et nuit dans la
salle. C’est d’ailleurs ce que je compte faire, même si, à la fin, je risque de
finir complètement lobotomisé. Visionner le tout d’un seul coup, sans
prendre le temps de digérer les événements, aura des conséquences.
Jamais je ne me serais attendu à un tel bouleversement. L’émission a été
un vrai tsunami, mais je n’ai pas anticipé la deuxième vague.
À cet instant, je commence à entrevoir un semblant de vérité : l’avenir
semble plus qu’incertain.

Note pour plus tard : refuser de but en blanc d’apparaître sur une
vidéo… Je passe mal à l’écran.
Chapitre 13

Il lui faut des mouchoirs, des tonnes de mouchoirs, tant ses larmes ne
tarissent pas. Sa seule consolation étant de voir qu’elle aussi, sa rivale, se met
à pleurer comme une Madeleine à chaque nouvelle scène suggestive. Au
moins, elle préfère la voir comme ça plutôt qu’avec l’air cinglé qu’elle prend
quand elle parle de Louis.
Ce qui est inquiétant, c’est qu’elles pleurent de la même manière, pour le
même homme.
C’est difficile à admettre : Louis est tellement plus démonstratif que dans
la vraie vie. C’était il y a presque six mois, seulement six mois. Et
aujourd’hui, il est totalement différent.
Au fond d’elle-même, elle a le sentiment de voir une autre personne, à
dix mille lieues de l’homme qui partage sa vie depuis une moitié d’année.
Est-ce bon ou mauvais signe ?
Quoi qu’il en soit, ces images ont un effet phénoménal sur elle et elle
vient de s’engager à en visionner chaque seconde, d’une seule traite. De quoi
finir dans un état lamentable…
Il faut dire qu’elle n’a pas vraiment eu le choix. Et maintenant, elle n’a
plus que deux jours devant elle, décalage horaire compris, pour être rentrée
pour le week-end et ne pas attirer les soupçons.
Mentir à Louis n’a pas été simple, mais elle ne pouvait pas faire
autrement.
Elle aurait pu lui avouer qu’elle rencontrait cette fille à Paris, mais il
aurait trouvé cela étrange et n’aurait certainement pas approuvé. Quelle
promiscuité inattendue !
Finalement, la rivalité entre elles ne s’est pas éteinte avec la fin du
tournage. Elle se poursuivra tant qu’existera cette émission. Alors, pour cette
raison aussi, il lui faut aller jusqu’au bout, car elle compte bien lui clouer le
bec.
Ce qui ne débute pas très bien.
Les images les absorbent totalement, et c’est au travers de celles-ci que
leur combat se déroule.
Elles ne savent pas tout ce qui s’est passé pendant le jeu et vont le
découvrir, chaque scène en faveur de l’une ou de l’autre octroyant un point.
Évidemment, elle se rend compte qu’elle aussi a changé. Et, de ce fait,
elle ne pense plus être en mesure d’accepter une deuxième fois les incartades
de Louis. Pour preuve, le haut-le-cœur qui s’empare d’elle à chaque fois
qu’elle le voit à l’écran avec une autre fille. Et l’un des problèmes à venir
sera que, même si ces dernières appartiennent au passé, l’émission va les
ramener à aujourd’hui.
Son cœur va en faire les frais, et pas seulement. Tous ses amis et sa
famille les rendront plus réelles en en parlant, voire en les commentant – une
fois de trop pour elle.
Difficile de passer à autre chose.
Elle imagine déjà le genre de scènes qui l’attend : elle, s’approchant de
son groupe d’amies, pour constater qu’elles cessent de parler au moment où
elles soupçonnent qu’elle peut les entendre.
Elle imagine les gens chuchoter en la fixant…
Les images s’interrompent brusquement, la tirant de ses songes.
L’épisode vient de se terminer et, en tournant la tête, elle distingue la
télécommande dans les mains de l’autre fille, dont les yeux sont gonflés par
le trop-plein d’émotions.
Elle fait une pause.
Malgré tout, elle ne peut s’empêcher d’avoir de la peine, car cette autre
fille fait partie des dommages collatéraux, et il semble maintenant évident
qu’il s’en est fallu de peu pour que ce soit elle qui se trouve à sa place.
L’un des moments vécus lors du tournage de l’émission a fait basculer le
cœur de Louis, mais il n’y a rien d’évident. Ni pour l’une, ni pour l’autre.
Vue sous cet angle, son histoire à elle lui paraît plus que fragile.
– Moi aussi, j’ai besoin qu’on fasse une pause, dit-elle en essayant, en
vain, de lui prendre la télécommande.
– Oui, je comprends, dit l’autre fille. Mais nous avons peu de temps.
– Je sais, je sais, la coupe-t-elle.
– Bien, dit l’autre fille, soudainement très intéressée par ses propos. Tu
commences à comprendre, alors ?
Bien qu’elle se soit préparée à ses piques, elles restent douloureuses.
Toutefois, elle a raison sur ce point.
Elle veut en savoir davantage. Après tout, si cette fille a des preuves
réelles de ce qu’elle avance, autant les dire maintenant.
– Je comprends que tout ceci soit difficile à accepter pour toi, mais il faut
que tu te fasses une raison.
– Non, c’est impossible, je regrette. Mais il faut que tu saches que je me
suis laissé submerger par les émotions après le restaurant. Je ne voulais pas te
suivre, mais il fallait que tu voies ce que j’ai vécu. Quelque chose
d’extraordinaire s’est passé avec Louis. OK, il t’a choisie, mais je suis sûre
que c’est parce qu’il avait peur de la force de notre relation.
Et voilà, elle remet le couvert !
C’est reparti pour la même musique que lors de leur déjeuner quelques
jours plus tôt. Elle veut à tout prix la convaincre, mais tenter de l’avoir à
l’usure n’est pas la meilleure des manières. Pour seul résultat, ses nerfs sont à
vif. Elle risque de ne pas avoir la patience d’écouter sa rengaine, surtout si
elle s’obstine à vouloir la rabaisser ou à minimiser sa relation avec Louis.
– Tu t’imagines bien que je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que tu
avances ? lance-t-elle sur le ton le plus neutre qu’elle peut adopter au vu des
circonstances. Tu ne penses tout de même pas que je vais te dire que tu as
raison et que je vais quitter Louis pour te laisser la place, sans aucune preuve
réelle de ce que tu racontes ?
– Tu sais que votre couple ne tourne pas rond, car au fond, pourquoi es-tu
là, si tu files le parfait amour ?
Elle marque un point.
– Tu sais très bien que la diffusion des images sera difficile à surmonter.
Ce n’est pas un scoop, tout le monde s’en doute !
Impossible d’avouer qu’ils n’ont pas même réussi à parler de tout cela.
Ce serait admettre qu’ils sont vraiment dans une situation périlleuse.
– Oui, mais tu pleures drôlement pour quelqu’un qui n’a que quelques
questions en tête. On dirait que plus tu vois les images, plus tu comprends
que votre histoire est terminée, ou plutôt, qu’elle n’a jamais vraiment existé.
Tu n’as rien à m’annoncer ? Pas de mariage en vue ? Je vois que tu portes
encore la bague. Difficile de t’en passer !
Elle marque encore un point. L’atmosphère se charge d’électricité.
– Ce n’est pas ce que tu penses. J’ai un cœur, figure-toi, et ce n’est pas
facile de revoir tout cela aujourd’hui, dit-elle d’un ton mal assuré. Et pour
l’instant, nous n’avons pas organisé le mariage. Louis a besoin de prendre
son temps, il ne s’en est jamais caché, et je respecte ça !
Elle en a trop dit, elle le sait.
– Vraiment ? Et tu ne t’es pas dit que c’est parce qu’il n’en voulait pas de
ce mariage ? demande-t-elle dans un gémissement effrayant, un mélange de
rires et de pleurs. Et qu’est-ce que tu vas faire quand nous serons rentrés ?
Retomber dans ses bras ? Poursuivre votre relation comme si de rien n’était,
alors que visiblement, tu es aussi blessée que moi ? À te voir, on dirait que
vous êtes loin d’envisager un mariage.
– Arrête ça !
– Ou alors, Louis a enfin compris qui tu étais…
Elle tourne la tête, incrédule.
– Qu’est-ce que tu insinues ?
– Si ton petit manège a dupé tout le monde, reprend-elle, ça n’a pas pris
avec moi. Tu dis que tu veux faire ta vie avec lui, mais tu n’es pas prête à
tout, n’est-ce pas ? Renoncer à cette somme d’argent, et à ce diamant,
maintenant qu’il est au bout de ton doigt, ce n’est pas si simple, hein ?
Une douche glacée s’abat sur elle. Sa rivale marque encore un point et
remporte la partie. Elle a raison. Elle a pensé que la cause des insomnies de
Louis pouvait être la demande en mariage. La diffusion de l’émission lui
rappelle que l’horloge tourne, et peut-être n’est-ce plus ce qu’il souhaite… ou
ce qu’elle souhaite. Parce que cela les met au pied du mur, devant leurs
contradictions. Elle a désespérément essayé de repousser ces idées, mais elles
sont tenaces.
Pour l’heure, il y a plus urgent à régler. Il faut faire taire cette fille, qui se
donne beaucoup de mal pour saboter sa relation avec Louis.
Elle ne va pas se laisser faire.
Remporter une partie ne signifie pas gagner la guerre.
– Tu… Tu ne sais pas de quoi tu parles, riposte-t-elle d’une voix
chevrotante.
– On dirait pourtant que si.
– Louis n’est peut-être pas l’homme que tu crois ! Et concernant mes
intentions, tu n’en sais rien.
– Et as-tu pensé qu’il n’était peut-être pas l’homme que tu crois, dit
l’autre.
– Mais qu’est-ce que tu veux dire à la fin ? Je sais que tu es vexée par ta
défaite, mais c’est trop tard, les dés sont jetés et tu le sais très bien ! On ne
peut pas revenir en arrière. On ne peut pas changer le passé, finit-elle dans un
souffle.
– Si ! On peut… Il n’est jamais trop tard, et puis, merde ! Tu n’as rien
compris ! Il ne s’agit pas d’un élan de fierté. Je me fiche d’être humiliée,
autant que je m’en fichais qu’il puisse aller avec d’autres, tant qu’il me
revenait à la fin. Louis est mon vrai grand amour et je suis sûre que c’est
réciproque. Je ne veux pas te faire de la peine, finit-elle plus calmement. Non,
vraiment pas. En fait, j’essaie de te prévenir. Et tu vas l’avoir, ta preuve, tu
vas la voir de tes propres yeux.
– Tu délires…
– Il est tombé amoureux de moi et ça a été immortalisé par les images.
C’est pour ça que je t’ai contactée.
– Ah oui ?
– Au fond, je n’ai rien contre toi et je voulais que tu saches que j’ai
essayé de te le dire avant que tu ne le découvres toute seule, dit l’autre fille
dans un soupir. Pars avec l’argent pendant qu’il en est encore temps.
– Non, mais c’est du délire !
– Pas du tout, et tu le sais parfaitement.
Plus la conversation se poursuit, plus son esprit est troublé.
Coupant court à la discussion, elle s’empare de la télécommande pour
rallumer le lecteur, les nerfs plus que jamais à fleur de peau. Le générique de
l’épisode suivant démarre sur la voix de Marilyn Monroe.
Elle veut voir ce Louis dont l’autre fille n’a de cesse de parler, car après
tout – et elle s’en veut de laisser ces pensées envahir son cerveau – elle peut
encore garder le chèque et la bague.
Chapitre 14

Épisode 5
Dans votre nouvel épisode de Pour toujours et à jamais, ça y est, Louis commence à afficher ses
préférences. Et cela va conduire certaines prétendantes à se réaffirmer, à tenter le tout pour le tout, afin
de se faire remarquer ! Attention, la situation pourrait bien virer à l’orage…

FORMULAIRE D’INSCRIPTION AU JEU

PRÉNOM : Karen
MÉTIER : Coiffeuse
VILLE : Paris
ÂGE : 26 ans
TAILLE : 1 m 63
POIDS : 56 kg
COULEUR DES CHEVEUX : Je suis blonde.
COULEUR DES YEUX : Vert
LOOK : Sophistiquée, j’adore être sur mon 31, même pour sortir chercher le pain.
SIGNE DISTINCTIF : Mon caractère explosif
CAPITAL SÉDUCTION : On dit de moi que je suis un volcan. Les autres filles
devront se méfier des secousses, le célibataire est à moi !
POINT FAIBLE : Oui, parfois, je peux voir rouge. Mais je redescends aussi vite
que je suis montée (les hommes aiment les femmes de caractère).

Karen discute avec Stessy et Leïla dans le hall. Elles attendent


patiemment leur rendez-vous de l’après-midi.
Les filles sorties ce matin sont rentrées il y a une heure à peine et
semblent épuisées. Ce qui ne les a pas empêchées de parler sans cesse de leur
séance de saut à l’élastique. Seule Jasmine était déçue, car elle n’a pas réussi
à sauter, se privant ainsi de la balade à moto derrière Louis.
Karen rêvasse, écoutant à demi-mot la conversation. Elle, sans aucun
doute, ne serait pas restée sur le banc de touche si l’occasion lui avait été
donnée de se serrer contre Louis.
Bien qu’elles soient parties à cinq ce matin, elles ont toutes dit avoir eu
leur moment privilégié avec Louis, ce qui est très prometteur. Et, plus
encourageant encore, certaines ont obtenu un pendentif : une pierre rose pour
Magdalena, et une jolie pierre jaune pour Jasmine.
Karen est en train d’imaginer la conversation qu’ils auront lors de leur
tête-à-tête, puisqu’elle aussi recevra un bijou, elle en est certaine. Louis offre
les pierres aux filles qu’il préfère, elle en est persuadée. Elle regarde Stessy et
Leïla gagner le salon tout en papotant et la laisser seule dans le hall. Elle lève
les yeux au ciel. Si les autres filles préfèrent perdre leur temps en discussions
futiles, elle s’efforce de mettre toutes les chances de son côté pour réussir son
entrevue avec le jeune homme super craquant. Alors, elle peaufine les sujets
de conversation qu’elle compte aborder durant son rendez-vous.
Louis est passionné par son travail, mais comme elle ne connaît pas
grand-chose au monde juridique, elle se dit qu’elle lui parlera de sport. Après
tout, tous les hommes aiment le sport, et dans ce domaine, elle en connaît un
rayon.
Tout à coup, elle remarque la porte d’entrée s’ouvrir doucement. Elle
retient son souffle et voit Louis entrer dans la pièce.
Un rapide coup d’œil autour d’elle lui confirme ce qu’elle sait déjà : les
filles se sont éloignées, elle est seule et Louis se tient devant elle, un sourire
sexy sur les lèvres. Son méga sourire sexy, celui qui ferait se rhabiller le plus
beau gosse de tous les rugbymen.
Il a pris le temps de se doucher. Ainsi, il se dégage de lui une odeur de
shampooing et de parfum terriblement virile. Karen n’en peut plus de
détailler son corps. Il a revêtu un pantalon en lin et une chemise blanche qui
fait délicieusement ressortir son bronzage, mais aussi ses incroyables yeux
bleus. Elle se délecte de ce spectacle.
Tandis qu’il s’approche, Karen essaie de prendre une posture de
circonstance. Les mains sur les hanches, un sourire aguicheur. Elle ne bouge
plus, attendant qu’il fasse ou dise quelque chose. Après tout, elle lui envoie
une rafale de vingt signaux minimum, tous indiquant « je suis super open »,
ou un truc du genre. Alors, il peut au moins se fendre d’une réponse… Un
signe, voire un simple sourire.
Les autres filles reviennent dans le hall et sautent de joie en remarquant la
présence de Louis. Il s’approche du petit groupe en souriant et leur demande
de rejoindre la salle de réception, car il a une annonce à faire.
Karen peste intérieurement d’avoir été interrompue avant même d’avoir
pu tenter quoi que ce soit, mais elle se contente d’acquiescer.
Comme ils marchent en direction de la grande salle, elle se glisse juste
derrière lui et remarque, en entrant, que plusieurs rangées de fauteuils ont été
installées. Elle prend place au premier rang, survoltée par le tête-à-tête
brûlant qu’elle s’est imaginé.
Les filles arrivent mais sont bien plus lentes que d’habitude à s’installer,
trop occupée à papillonner devant Louis.
La journée est chaude, et Karen constate que les tenues sont très courtes.
Certaines sont en maillot de bain, mais tout de même chaussées d’escarpins,
pour jouer de tous leurs atouts.
Karen remarque que Magdalena semble plus sûre d’elle qu’auparavant.
Ce petit manège dure depuis ce matin. Pour preuve, elle porte un maillot une
pièce aux couleurs militaires, très échancré, recouvert d’un léger voilage brun
transparent dont l’intérêt est de paraître plus habillée, sans que ce soit le cas.
Au moment où Magdalena passe devant elle pour aller s’asseoir, Karen
aperçoit de larges taches sombres un peu partout dans son dos, précisément
comme si sa chemise transparente avait déteint sur sa peau. Le résultat n’est
pas beau à voir. Magdalena continue de parader comme si de rien n’était,
sous le regard amusé des autres filles. Personne ne l’avertit de la présence des
longues traînées noires dans son dos.
Manifestement, Magdalena n’a pas remarqué qu’on lui a joué un mauvais
tour. Elle n’a pas dû se faire que des copines ici. Karen est certaine que ces
taches ne sont pas un accident.
Magdalena continue de minauder depuis sa chaise tandis que Louis lui
jette des coups d’œil à intervalles réguliers. Karen réfléchit un instant. Leur
complicité est inhabituelle. Magdalena est bien trop avenante avec Louis pour
que le pendentif en soit l’unique raison. S’est-il passé quelque chose entre
eux ? Et si oui, est-ce qu’elle le raconterait aux autres filles ? Apparemment,
pour l’instant, Magdalena a fait le choix de se taire. Certaines pourraient se
sentir en péril et redoubler d’efforts pour obtenir les faveurs du beau jeune
homme. Les laisser dans l’ignorance peut être une stratégie redoutable. Karen
n’est sûre de rien, mais il faut qu’elle soit sur ses gardes et, surtout, qu’elle ne
relâche pas ses efforts.
Il faut bien une dizaine de minutes encore pour que les seize femmes
s’assoient et attendent l’annonce en silence. Bien entendu, la dernière assise
est Cassandra, qui en profite pour se trémousser longuement devant Louis.
Karen se doute qu’elle souhaite rappeler à Louis leur rendez-vous en
Corse. Bien que ne datant que de la veille, l’attitude de Louis à son égard
semble indiquer qu’il ne reste déjà que de vagues souvenirs de leur escapade.
Louis doit l’inviter à s’asseoir à plusieurs reprises. Elle s’exécute au
moment où Karen est sur le point de venir la chercher par les cheveux. La
patience n’est pas son fort, et en plus, cette petite réunion improvisée ne fait
que raccourcir la durée de son propre rendez-vous.
Enfin, Louis prend la parole.
– Voilà, comme vous le savez, cette émission va de rebondissements en
rebondissements, et ce n’est pas un jeu de mots.
Les filles gloussent, et celles qui ont fait le saut à l’élastique échangent
des regards entendus, satisfaites de l’allusion de Louis. Elles se comportent
comme si cette entrée en matière donnait plus d’importance encore à leur
rendez-vous. L’espace d’une seconde, elles paraissent complices, juste pour
mieux narguer les autres.
Karen commence à grincer des dents.
Louis reprend, ravi de son effet sur son assistance conquise d’avance.
– Je dois vous rappeler que, lors de la prochaine soirée dédiée aux
éliminations, quatre d’entre vous devront quitter l’aventure, et vous ne serez
plus que douze en lice. Et cette soirée, qui devait normalement se passer
demain, aura finalement lieu ce soir.
Un brouhaha se fait entendre dans la salle. Karen ne sait pas si c’est une
bonne ou une mauvaise nouvelle. Elle se lève pour faire taire les autres filles.
Dans quelques heures à peine, Louis annoncera les noms des personnes qui
quitteront l’aventure, et ce de manière définitive. Autrement dit, son rendez-
vous de l’après-midi est devenu décisif.
Comme Jessie et Victoria discutent un peu trop fort, Karen s’apprête à
leur flanquer une tape sur l’épaule. Elle a besoin de réfléchir, et ce
grondement parasite ses pensées. Mais elle entend son prénom. D’abord
doucement, puis un peu plus fort.
Louis l’appelle, ainsi que Stessy et Leïla. Juste au moment où elle se lève
pour le rejoindre, il fait signe à Léa et Caroline d’approcher.
Karen sent qu’un changement de programme se profile, et cela ne va pas
lui plaire.
Quand toutes sont autour de Louis, il leur explique d’un air sérieux :
– Les règles ont changé. Je dois faire un choix d’ici ce soir, et je ne vous
cacherai pas que je ne suis pas encore certain de ma décision. J’ai besoin
d’inviter Léa et Caroline à participer à notre petite sortie cet après-midi.
Puis, se tournant vers Stessy, Leïla et elle :
– J’espère que cela ne vous pose pas de problèmes.
La déception doit être visible sur le visage de Karen, car Louis la fixe un
peu plus longtemps que les autres. À vrai dire, elle sait bien la mine qu’elle
doit avoir, car elle a l’impression qu’une catastrophe nucléaire vient de
s’abattre sur elle. Évidemment, elle affirme le contraire et se force à sourire,
même fébrilement, un goût amer dans la bouche.
Toutes les cinq partent en direction de la voiture, sans même être
accompagnées par Louis. Même pas le temps pour une retouche maquillage.
Décidément, rien ne se passe comme elle le voulait.
Elle patiente pendant une bonne dizaine de minutes, étouffant dans le
véhicule à l’arrêt, donc sans climatisation. Les filles se demandent ce qu’il se
passe.
– Je suis certaine qu’il est avec les autres filles, lance Karen.
– Oui, fait Léa très naturellement. Il a dit qu’il voulait voir Victoria et
Jessie, il me semble.
Karen fulmine. Comment a-t-elle pu rater cette information ?
Elle réfléchit à toute allure. Il ne faudrait pas que ce soit pour leur offrir
un pendentif. Encore moins celui qu’il a prévu pour elle.
Elle aperçoit Louis sur le perron. Il est temps de partir.
Dans la voiture, il explique que l’excursion va se dérouler en trois étapes,
autour de villages historiques situés un peu plus loin dans les Alpes-
Maritimes : tout d’abord Grasse, puis le château de Gourdon, et enfin
Tourrettes-sur-Loup. De quoi profiter pleinement des paysages splendides de
la région.
Karen soupire d’avance. Elle n’aime pas les vieux cailloux. Enfin, ça
dépend lesquels, parce qu’elle aimerait bien obtenir le même que Magdalena,
il irait très bien avec son teint. Mais un Spa ou une après-midi plage auraient
été bien plus appropriés. Au lieu de ça, il va falloir qu’ils jouent les papis-
mamies en circuit touristique. Franchement, il y en a qui aime ce genre de
trucs ? Les autres filles restent muettes mais Karen est sûre qu’elles n’en
pensent pas moins. Simplement, ça ne se lit pas sur leur visage, contrairement
à elle.
En plus de partager une activité assommante, l’annonce de dernière
minute a clairement plombé l’ambiance. Et c’est en traînant les pieds que le
petit groupe arrive à sa première destination.
Ils s’installent à la table d’une brasserie et commandent de quoi se
rafraîchir. Louis sort un livret de son sac et se met à expliquer les origines de
la ville. Il pointe du doigt les monuments qu’ils aperçoivent de leur table et
s’emploie à retracer leur histoire à voix haute.
Pour ne pas laisser transpirer sa mauvaise humeur, Karen feint de
s’intéresser à ses propos. Elle trouve que sa tentative pour détendre
l’atmosphère est très chou et cela l’embête qu’elle reste vaine. Elle tend
même l’oreille quand il leur explique qu’on peut visiter le musée
international de la parfumerie, en précisant qu’il vaut le détour.
Il évoque également l’architecture, les maisons médiévales, mais cela ne
semble pas convaincre les filles, au bord de l’endormissement. Bon, Louis ne
serait pas un bon animateur de soirée, l’ambiance devient soporifique.
Ils reprennent la route et se dirigent ensuite vers le château de Gourdon.
Les filles sont déjà plus enthousiastes. En effet, le petit village et son château,
comme suspendu à la falaise, plaisent à tout le petit groupe… jusqu’au
moment où il faut marcher. Le parc n’a pas été prévu pour accueillir des
femmes aux talons de plus de dix centimètres. Comme les filles ne peuvent se
promener à leur guise, ils font une pause à l’entrée des jardins et Louis en
profite pour s’isoler tour à tour avec chacune d’entre elles.
Karen jubile, c’est l’instant décisif !
Quatre autres filles vont partir ce soir, et si elle se débrouille bien, elle
verra l’un des petits cailloux qu’il a prévu d’offrir s’agiter sur sa poitrine.
Louis choisit tout d’abord de s’isoler avec Léa.
Léa… Celle qui, en aucun cas, ne devait être présente cet après-midi.
Celle qui n’a jamais eu son propre rendez-vous et qui pique celui des autres.
Celle qui veut obtenir un pendentif par pure imposture.
Karen s’emporte.
Elle a le sentiment qu’on lui a saboté son rendez-vous. Parce qu’elle sait
très bien comment cela se passe. Louis va accorder beaucoup de temps à la
première, nettement moins à la deuxième, voire plus du tout aux autres. C’est
injuste.
Elle fait les cent pas, manque de se tordre la cheville sur ses talons, puis
explose.
Louis est encore en train de discuter avec Léa quand elle arrive
péniblement jusqu’à eux. La chaleur sur ses joues lui indique qu’elle est toute
rouge, presque cramoisie, mais qu’importe, son seul objectif est
d’interrompre leur conversation.
– Louis, je peux te parler ? lui demande-t-elle sur un ton sans appel, les
mains sur les hanches.
Elle pince les lèvres. Bien sûr, Léa a obtenu un pendentif, une pierre
verte. Du jade.
– Euh, oui… Qu’y a-t-il ?
– J’ai… j’ai une chose à te dire, bégaye-t-elle, c’est important. Mais je
voudrais te parler seule à seul… S’il te plaît.
Karen fulmine. À l’inverse, autour d’eux, tout est très calme. Bien trop
calme. Elle se sent défaillir, mais elle tient bon.
Louis arque un sourcil et se lève pour raccompagner Léa vers la sortie du
jardin. Il invite Karen à s’asseoir. Elle s’exécute, risquant un œil dans sa
direction pour noter les dégâts que sa repartie vient d’occasionner. Il a l’air
plus étonné que scandalisé par son tempérament.
Après tout, sa démarche est légitime, et elle compte bien faire valoir ses
droits.
– Voilà, je t’écoute.
– Je ne suis tout simplement pas d’accord ! Ce rendez-vous, au début,
était prévu pour Stessy, Leïla et moi. Et je veux que tu saches qu’on se faisait
une joie de te voir et… qu’on espérait bien avoir un petit moment chacune
pour te parler. Première nouvelle, on part à cinq ! Je n’ai rien contre Caroline
et Léa, mais tu ne les avais pas choisies pour ce rendez-vous, non ?
Deuxième nouvelle, tu t’isoles avec Léa pour discuter et, vu l’heure, ça veut
dire que certaines n’auront même pas la chance de parler un peu avec toi.
Alors voilà, je ne suis pas d’accord, et peut-être que j’abuse, mais au moins,
c’est dit !
– OK, OK, je comprends, répond Louis avec un large sourire.
Le sourire super sexy, le même que dans le hall, un peu plus tôt dans la
journée. La pression retombe, Karen fond comme un marshmallow. Elle
serait presque gênée d’avoir fait une scène – oui, presque.
Louis continue à lui sourire, visiblement amusé par la situation. Et elle
continue à fondre, se liquéfiant juste devant lui.
– Je ne voudrais pas que tu sois fâché contre moi, reprend-elle. J’y suis
allée un peu fort, c’est vrai, mais c’est tellement stressant ! On est toutes là, à
attendre un moment avec toi. Je n’en peux plus ! Je n’ai jamais eu l’occasion
de discuter avec toi avant ce rendez-vous, alors je n’ai pas l’intention de me
faire piquer ma place !
– Je crois que c’est la première fois de ma vie qu’on se met autant en
colère pour passer du temps avec moi ! Puisque tu es là, on pourrait en
profiter pour parler un peu. Ça te va ?
– Je ne voudrais pas prendre la place d’une autre non plus, renchérit
Karen, prenant l’air faussement affecté par le sort de ses camarades.
– Tu as raison, il faut que je discute avec chacune d’entre vous. C’est
important. Comme je l’ai dit, je n’ai pas encore fait mes choix. Nous
prendrons le temps qu’il faudra.
– Je suis complètement d’accord ! C’est important d’apprendre à se
connaître.
Karen est encore en proie à ses émotions. Peu importe la manière de s’y
prendre, ils sont enfin seuls, tous les deux, et elle ne va pas refuser ce
moment.
Quelques mèches de ses cheveux blonds se sont échappées de son
chignon, sans doute à cause du vent. Elle les replace derrière ses oreilles,
prend une longue inspiration et se met à parler de sa vie. Sans trop qu’elle
sache pourquoi, parce que ce n’est pas ce qu’elle avait prévu, mais
spontanément, c’est la première chose qui lui vient.
Quand elle le quitte, le temps a filé. Il lui a offert un pendentif muni
d’une pierre jaune transparente. Un bijou magnifique. Et il ne lui reste plus
que quelques minutes pour discuter avec les autres filles.
Elle sait que c’est injuste, mais ce jeu demande d’être impitoyable. À
l’approche des éliminations, elle veut tout faire pour faciliter la réflexion de
Louis. Tant pis, elles auraient dû se montrer aussi féroces qu’elle.
L’adrénaline de la compétition, n’est-ce pas ce qu’elles sont venues
chercher ici ?
Participer à cette aventure, c’est immanquablement se mettre en
concurrence avec des femmes à la plastique irréprochable.
Karen a toujours été considérée comme une femme superbe. Dès qu’elle
va quelque part, elle reçoit une avalanche de compliments sur son physique.
Et elle en est très fière, d’autant plus qu’elle passe des heures en salle de sport
et surveille le moindre aliment qui franchit ses lèvres. Ainsi, ses efforts sont
récompensés.
Gagner sera la preuve ultime de sa supériorité. Mais en toute honnêteté,
elle n’était pas venue pour lui. Enfin, ça, c’était avant de le rencontrer, parce
que maintenant, elle en ferait bien son lot de consolation, si elle n’obtient pas
suffisamment de billets…

Le retour se fait dans une ambiance plus sereine. Karen est surprise que
les filles qui n’ont pas pu profiter de Louis ne cherchent pas à se l’accaparer.
Elle hausse les épaules. À chacune sa stratégie. Si ne pas agir en constitue
une, Karen estime que cela les mènera droit à l’échec.
Elle passe ses doigts sur sa chaîne, qui comporte désormais une étoile
argentée et un tout nouveau pendentif. Impossible de mettre un nom sur cette
pierre jaune. La signification des pierres précieuses lui échappe, pourtant, elle
en est sûre, il doit y avoir un message caché. Ici, rien n’est laissé au hasard.
Arrivés à la villa, les au revoir sont brefs, car la soirée d’élimination va
bientôt commencer.
Karen cherche une robe sur le portant placé dans le hall. Elle passe sa
main sur les tissus brodés scintillants de mille feux. L’une d’entre elles lui
plaît beaucoup. Elle offre un magnifique décolleté qui mettra en valeur ses
pendentifs. Elle raffole de ce qui brille. Ce soir, elle veut être la plus belle de
toutes les princesses…

***

Louis a besoin de reprendre une douche. Ses idées ne sont pas claires : il
doit éliminer quatre filles, mais la soirée arrive trop vite, il ne veut pas se
séparer d’elles.
Les hanches ceintes d’une serviette humide, il se rend dans le salon pour
regarder les posters. Il ne l’avait pas remarqué auparavant, mais il en manque
désormais quatre, ceux des premières femmes qui ont dû quitter l’aventure.
Il réfléchit un instant : il passe plusieurs fois chaque jour devant et n’avait
pourtant pas vu ce changement. Les journées sont si denses qu’il a le
sentiment que tout va trop vite, alors que le départ des dernières candidates
lui semble déjà très loin…
Il retourne dans la chambre pour s’habiller. Le critère qu’il doit retenir
pour faire son choix est simple : la jeune femme doit s’inscrire dans sa vie.
Il doit pouvoir se projeter avec elle sans difficultés et l’imaginer vivre
chez lui. De cette manière, il déterminera quelles sont celles qu’il aimerait
retrouver pour passer ses soirées.
Toutefois, il a été surpris par sa propre réaction cet après-midi. En temps
normal, il a horreur des scandales, et l’attitude autoritaire de Karen en était
clairement un. Pourtant, il a adoré la voir se mettre en colère pour passer du
temps avec lui. Jamais il n’aurait pensé que cela puisse lui faire de l’effet.
Jusqu’à maintenant, il ne se posait pas vraiment de question sur ses goûts
en matière de femme. Mais à présent, une certitude est née, et c’est Karen qui
lui a permis de s’en rendre compte : il aime que les femmes montrent
explicitement qu’elles ont envie de lui. Ce genre-là, ici, dans le jeu, il en
voudrait encore plus.
Karen a bien mérité une pierre précieuse. En tout, il en a offert cinq.
Uniquement aux filles qui ont tenu un rôle particulier pendant les rendez-
vous. Il veut leur faire passer un message personnel qu’il leur délivrera ce
soir.
En éliminer quatre ne va pas être une tâche facile. Ce sont des jeunes
femmes avec des sentiments… et un cœur. Il voit bien que certaines ne
prennent aucune distance avec le jeu et commencent à se livrer à lui.
Bien que cela lui laisse la perspective de vivre de beaux moments, dont il
compte bien profiter, il redoute déjà les prochains choix qu’il aura à faire : le
couperet pourrait être impitoyable.
De retour dans le salon, après avoir regardé intensément les photos
affichées au mur, Louis se lève du canapé et se rend à la villa des filles : ses
choix sont faits.

***

Cassandra est habituée à l’agitation qui précède la cérémonie. Tout le


monde est survolté.
Heureusement, elles n’ont qu’à se consacrer à leur mise en beauté, car
celles qui seront éliminées ce soir pourront revenir faire leurs bagages plus
tard dans la soirée. Quand Louis aura fait son annonce, les perdantes auront
un peu de temps pour rassembler leurs affaires.
Elle trouve étrange de penser à ses bagages. En fait, elle ne se sent pas
aussi sûre d’elle que d’habitude. Il y a un risque, et elle le sait. Louis n’a pas
semblé aussi attentif à elle lorsqu’elle l’a croisé dans l’après-midi. Elle a
ressenti un pincement au cœur.
En quelques heures, elle a été reléguée de la première position au peloton
de course, et ce déclassement soudain est extrêmement frustrant. La sensation
de ne pas sortir du lot lui est déplaisante et inhabituelle.
Elle lance un regard circulaire dans la salle de bains. Les filles se
regardent fixement dans le miroir tandis qu’elles se maquillent, concentrées à
l’extrême.
Cassandra a besoin de faire le vide. Elle se dépêche pour être prête la
première et passer au rez-de-chaussée, seule partie de la maison préservée de
l’agitation. À vrai dire, cela fait un moment qu’elle s’affaire dans la salle de
bains, car trois shampooings ont été nécessaires pour reléguer le sale coup de
Magdalena à un mauvais souvenir. Ce n’est pas l’huile qui a été la plus
tenace, mais l’odeur d’oignon, qui a bien failli venir à bout de sa patience.
Elle n’a eu aucun mal à savoir qui avait pu oser une telle mesquinerie.
Magdalena n’a pas été discrète. Lou l’a remarquée alors qu’elle quittait la
salle de bains en riant.
Enfin seule, dans le hall, Cassandra fait tournoyer sa robe danseuse noire,
espérant attirer l’attention de Louis quand il passera la porte.
Ce soir, elle a relevé ses cheveux pour l’occasion. Elle sait que cela lui
donne un air sophistiqué et beaucoup plus mature qui brise l’image de femme
légère qu’elle donne. C’est le moment de satisfaire les attentes de Louis.
Rapidement, elle est rejointe par Magdalena, qui n’en finit plus de
sourire. Depuis ce matin, elle a ce sourire accroché aux lèvres, ce qui
provoque l’agacement de toutes les filles. Bien que les éliminations soient
toutes proches, elle donne l’impression d’être encore sur un petit nuage, pas
du tout effrayée par ce qui se joue ce soir. À coup sûr, elle cache quelque
chose – ce dont elle se moquerait si Magdalena n’avait pas, en plus, reçu une
pierre en pendentif.
La couleur est différente de la sienne. Bleu pour elle, rose pour
Magdalena. D’autres filles ont reçu une pierre jaune ou verte. Karen, Léa et
Jasmine. Elle ne s’y connaît pas trop en pierres semi-précieuses. Assurément,
elles doivent avoir une signification. Mais quoi ? Quel message Louis veut-il
lui faire passer ?
Elle pensait que c’était plutôt bon signe jusqu’à ce que Karen fasse partie
du groupe. Vu l’attitude de celle-ci, les pierres pourraient tout autant désigner
les filles quittant l’aventure. Sauf qu’elles seraient cinq. Sauf qu’il y a deux
pierres jaunes. Deux, car il hésite encore ? Décidément, elle doit en apprendre
davantage. Savoir ce qui s’est passé avec Magdalena.
– Ce saut à l’élastique a l’air de t’avoir fait de l’effet, lance-t-elle à
Magdalena, cessant de tournoyer et lui montrant clairement son intention de
discuter avec elle.
– Disons que ça a été une vraie sensation forte, répond celle-ci en
souriant plus largement. Tu n’aurais pas dû te donner tout ce mal avec mon
chemisier.
Cassandra ne peut ravaler un sourire moqueur. Magdalena a enfilé son
chemisier directement après s’être baignée. Du coup, l’eau a fait couler le
mascara qu’elle avait badigeonné sur le tissu. Le résultat était encore meilleur
que ce qu’elle avait espéré.
Elle balaie sa réflexion.
Dans les propos de Magdalena, elle perçoit la référence à un instant
crucial partagé avec Louis. Ainsi, sa pierre est lourde de signification, et
confirme que ces pendentifs sont un signe positif. Cassandra a obtenu
l’information qu’elle voulait.
Elle entreprend alors de déstabiliser Magdalena, la préférant mille fois
avec son manque de confiance en elle habituel.
– Ah oui, je connais ça, lance Cassandra. Moi aussi, j’ai eu droit à mes
sensations fortes… Au fait, tu devrais me remercier pour ton chemisier,
c’était une horreur. Et si tu veux un conseil, tu devrais éviter l’huile dans ta
salade. Tes fesses désapprouvent totalement.
Elle lui adresse un clin d’œil avant de monter dans sa chambre. Inutile
d’attendre Louis davantage, d’instinct, elle sait que personne ne le verra avant
les éliminations.

***
Magdalena perd instantanément son sourire. Cassandra est-elle en train
d’insinuer qu’elle a aussi reçu un baiser de Louis ? Impossible. Cette garce
vient pourtant de semer le doute dans son esprit.
Elle doit essayer de lui extirper la vérité. Cette fille est très maligne. Il
faut qu’elle fasse attention à ne pas éveiller les soupçons. Elle ne veut pas
révéler ce qu’elle a vécu, encore moins avec Cassandra. Celle-ci ne se
lasserait pas de faire des commentaires sarcastiques, voire de ridiculiser son
moment de gloire. Cassandra profitera de la moindre faiblesse de ses rivales
si elle se sent doublée.
Ruiner son shampooing n’a pas suffi à lui faire ravaler son arrogance.
Elle se demande alors ce qu’elle pensera de l’ail dans son dentifrice. Celui
qu’elle a pilé puis inséré dans le tube pendant qu’elle dansait dans le hall.
Magdalena saisit sa robe turquoise d’une main afin de la faire tournoyer à
son tour, exactement comme le faisait Cassandra quelques minutes plus tôt,
mimant son geste en tâchant d’avoir l’air aussi sûre d’elle.
En tournant, elle aperçoit Jessie et Léa sur le balcon du premier étage.
Elle ne sait pas si elles ont assisté à la scène avec Cassandra, ou si elles ont
entendu le moindre mot de là où elles se trouvent. Elle leur fait signe de la
rejoindre.
Ces filles-là n’ont pas sympathisé avec Cassandra pour le moment.
Cependant, elle est consciente que tout peut se faire et se défaire, en fonction
des rendez-vous et des préférences affichées par Louis. Elle est persuadée
qu’un seul mot à propos de leur baiser lui vaudrait de passer les jours
prochains seule dans la villa. Et même si la compagnie des filles n’est pas ce
qu’elle préfère, c’est toujours mieux que d’être traitée en paria pour le reste
du séjour.
Au bout de quelques instants, plusieurs filles quittent les salles de bains
pour se rassembler dans le hall. Elles sont désormais presque dix. Les
pronostics vont bon train.
– Bon, les filles, ce soir, je pense que c’est moi qui pars, dit Karen. Je
n’aurais jamais dû m’emporter tout à l’heure. J’y suis allée un peu fort. Je ne
sais pas quoi faire. Peut-être que je devrais…
– Mais non, coupe Lisa. Louis n’a pas eu l’air de t’en tenir rigueur. C’est
normal, après tout, c’était votre rendez-vous. Il l’a bien compris. Ça pourrait
même jouer en ta faveur. C’est la preuve que tu avais vraiment envie d’un
tête-à-tête avec lui. Et puis, regarde, il t’a offert un collier, finit-elle avec un
clin d’œil.
Magdalena fixe le pendentif de Karen et ne peut s’empêcher de ressentir
une bouffée de jalousie. Un homme offre des bijoux semblables à plusieurs
femmes, et ce dans la même journée. Difficile à avaler.
– Oui, dit Caroline. J’ai l’impression qu’il a plutôt aimé ta réaction. Et
c’est vrai qu’on n’était pas prévues au début. Il t’en a fallu, du culot, pour lui
rentrer dedans !
Magdalena est extrêmement étonnée que Caroline et Léa ne soient pas
plus acides avec Karen. Stessy lui a expliqué qu’après son petit spectacle,
Karen a accaparé Louis au détriment des autres. À leur place, Magdalena
aurait râlé, puis mis de l’ail dans son dentifrice à elle aussi.
Ces filles n’ont vraiment pas des âmes de compétitrices. Elles font pâle
figure aux côtés des chasseuses aguerries de la villa. Il y a de fortes chances
qu’elle ne fasse pas long feu.
Une voix nasillarde rehaussée d’un fort accent méditerranéen la tire de
ses songes.
– C’est sûr, certaines ont de bonnes raisons d’avoir peur, ce soir, décoche
Cassandra, avec Lou à ses côtés, comme si elle avait besoin de renfort.
– Oh, tu sais bien qu’on ne peut rien affirmer à ce stade du jeu, lui lance
Magdalena.
– Bien sûr que si ! Il y a juste à observer et à vous regarder faire… ou
plutôt, ne rien faire ! Certaines donnent l’impression de ne pas savoir
pourquoi elles sont ici. Ou peut-être que Louis ne vous plaît pas tant que ça,
en fait ? Peut-être que ce n’est pas la raison de votre présence ici, après tout.
Cassandra pouffe tout en échangeant un regard entendu avec Lou,
laquelle hoche la tête pour donner du poids aux paroles de son mentor.
Clairement, elle insinue qu’elles ont choisi ce jeu uniquement pour faire le
buzz, ou pire encore, pour gagner de l’argent. Ce qui ne doit pas être déclaré
officiellement.
Magdalena sait bien que certaines sont un peu là pour ça. C’est une
manière de profiter de la couverture médiatique de l’émission pour lancer
leur carrière : mannequinat, animation télé, tout sera bon à prendre. Quant à
l’argent, c’est bien le seul sujet délicat à la villa. Mais ce soir, elles sont
obligées d’y penser.
Elles ont déjà 5 000 euros en poche. Demain, les douze filles restantes
auront gagné 10 000 euros. De quoi se donner un peu de mal en présence de
Louis.
Si, pour certaines, cela représente une bagatelle, pour d’autres comme
elle, ce serait la possibilité de donner naissance à un projet personnel.
Magdalena fait rouler ses deux pendentifs entre ses doigts.
Tout serait plus simple si Louis n’avait pas autant de qualités…
La conversation tourne à la dispute, comme si ce différend allait pouvoir
régler la question des éliminations.
– Y en a certaines qui préfèrent la subtilité, si tu vois ce que je veux dire,
lance Karen à Cassandra. On n’a pas toutes besoin de ne mettre que trois
centimètres carrés de tissu pour séduire. Louis s’intéresse aussi à ce qu’on a
dans le crâne, mais tu ne dois pas savoir ce que ça veut dire, hein ?
– Ha ! C’est toi qui dis ça ? Apparemment, tu as fait une sacrée
performance cet après-midi ! Bravo, t’es une vraie séductrice ! À ta place, je
commencerais déjà à faire mes bagages. Tu sais que le jaune est la couleur du
pardon et de la rupture ? Moi, je vous dis, on va bien rigoler ce soir.
– Ah oui ? s’exclame Karen. Et « bleu planète » ? Non, pardon, « bleu
nuit étoilée », riposte-t-elle, moqueuse, ça correspond à quoi ?
– Elle, au moins, n’a pas besoin de traîner devant lui à moitié nue en
tordant les fesses pour avoir un regard. Pas vrai, les filles ? lance Alexandra.
Et vous ne trouvez pas que, bizarrement, dès que Louis arrive, Cassandra se
transforme en une fille agréable et sympa, ce qu’elle n’est plus du tout dès
qu’il passe la porte.
– C’est bas, ce que tu insinues, l’invective Lou. Aussi bas que ton
intellect. Retourne courir derrière un ballon. Au moins, tu auras peut-être une
chance de l’attraper. Allez, viens, Cassandra, on n’a rien à faire avec elles.
– Attends, dit Cassandra en la retenant par le bras. Je n’ai pas l’intention
de me laisser rabaisser par des groupies de seconde catégorie. Louis est à
moi, et pour l’instant, vous n’êtes que de simples distractions. J’ai hâte de
voir vos têtes quand vous serez éliminées ce soir. Pas la peine de pleurer,
vous aurez été prévenues !
Magdalena s’inquiète, le ton monte sérieusement.
– En attendant, relance Karen, j’ai hâte que Louis découvre qui tu es
vraiment derrière ton numéro de fille tout sucre tout miel. Et crois-moi, on va
s’occuper de faire le nécessaire !
Karen et Alexandra se tapent dans la main et se postent l’une à côté de
l’autre pour faire front, mettant un terme à la conversation, qui menace de
dégénérer à tout moment.
Magdalena s’isole dans un coin de la villa. Toutes ces paroles lui ont
donné la migraine. Pourquoi ne pas dire qu’on a voulu s’inscrire au jeu dans
l’espoir d’y gagner quelque chose qui ne soit pas Louis ? Et que
maintenant… rien n’est plus pareil.
Au fond, tout n’est qu’une question d’orgueil. Seize orgueils démesurés
qui se heurtent à chaque instant pour tenter de grappiller quelques centimètres
de plus sur le chemin menant à la victoire.
Magdalena soupire. Elle aurait bien aimé que Cassandra teste son
nouveau dentifrice ce soir.

***

Louis frappe à la porte. À sa grande surprise, c’est l’animateur qui lui


ouvre. Il lui explique avoir déjà demandé aux filles de s’installer dans la salle
de réception. Effectivement, il entend au loin quelques notes de musique
étouffées.
Avant de les rejoindre, l’animateur l’emmène dans un petit salon afin de
faire le point à l’approche des éliminations.
Louis prend davantage conscience des caméras et cela le ramène un peu à
la réalité.
– Bonsoir, Louis, comment vas-tu ce soir ?
– Un peu nerveux, à vrai dire. Se séparer de jolies femmes sans les
connaître tant que ça n’est pas la partie la plus facile du jeu.
– C’est vrai, mais c’est un pas de plus vers la bonne, celle qui sera
unique.
– Oui, bien sûr, dit Louis en hochant la tête. C’est juste que chaque étape
est décisive et je ne dois pas faire d’erreur. Je commence à cerner la
personnalité de plusieurs participantes, mais rien n’est fait. J’ai encore besoin
de passer du temps avec elles pour confirmer mes impressions.
– Il y a toujours une part de risque dans nos choix, reprend l’animateur.
– Oui, et c’est une chose à laquelle je suis souvent confronté,
professionnellement parlant, mais je ne m’y suis jamais habitué. Je suis
perpétuellement sur le qui-vive. J’aime mesurer les risques que je prends.
– Cette année, Louis, toutes les filles semblent être tombées sous ton
charme. C’est une saison exceptionnelle !
– Vraiment ? fait Louis, amusé.
– Il semblerait ! dit l’animateur en riant. Bien, il faut que je te prévienne
que la soirée va être un peu spéciale, reprend-il.
– Spéciale ? Dans le sens où je ne serai pas obligé d’éliminer quatre
filles ?
– Non, dit l’animateur en souriant, pas dans ce sens. Ce soir, tu vas leur
offrir une pomme !
– Une pomme ?
– Oui, une pomme rouge pour les filles avec qui tu souhaites poursuivre
l’aventure.
– D’accord…
– Tu as la possibilité de garder douze filles, leur permettant ainsi de
doubler leur gain. Est-ce que tu penses que certaines souhaiteront quitter le
jeu d’elles-mêmes ?
– Je ne sais pas, dit Louis, l’air pensif. J’espère que non.
– Nous verrons cela dans quelques instants ! Je te propose de rejoindre
ces demoiselles, car on m’indique qu’elles commencent à s’impatienter.
– J’ai hâte de les voir également.
– Plus que quelques minutes pour nous permettre de peaufiner
l’organisation, et nous nous retrouvons dans la salle de réception !

Lorsque Louis pénètre dans la salle, il est époustouflé. Dans la pièce


dominent le violet, le noir et le blanc, égayés par un subtil jeu de plumes et de
paillettes. Il a l’impression de se retrouver au beau milieu de la soirée d’un
milliardaire excentrique.
Le lustre habituel a été remplacé par une cascade de boules en verre
scintillantes, et, au milieu de ce décor somptueux, les filles n’attendent que
lui, sur fond d’une musique émanant d’un orchestre survolté. Une version
remixée d’un swing des années folles, terriblement entraînant.
Il sourit. C’est époustouflant ! Cela lui donne envie de jeter sa veste et de
danser jusqu’au milieu de la nuit.
C’est mieux qu’une soirée organisée par Gatsby le Magnifique.
Louis descend les quelques marches pour se fondre dans le groupe.
Toutes portent de splendides robes des années trente. Elles sont
éblouissantes.
Avant que l’animateur ne les ramène à leur impératif, ils en profitent pour
s’amuser, chanter et danser au rythme du charleston.
Le temps semble accélérer sa cadence pour suivre le rythme endiablé de
la musique, et le moment tant redouté arrive bien trop vite.
Marilyn Monroe entonne les paroles habituelles, et Louis patiente en
observant les filles sous tous les angles. Les lumières créent une atmosphère
tamisée, faisant paraître les robes presque irréelles, les silhouettes tout droit
sorties d’un film ou – tout au moins – des coulisses d’un ancien magazine de
mode.
Comme prévu, sur la table où se trouvent les cocktails, un panier de
pommes a été positionné.
De belles pommes rouges et brillantes, qui donnent envie de mordre à
pleines dents. Il hausse un sourcil devant la métaphore. Est-ce une manière de
lui indiquer qu’il doit passer la vitesse supérieure avec les filles ?
À ce moment de la soirée, Louis sait pertinemment qu’aucune ne se doute
qu’elles leur sont destinées.
La chanson se termine. C’est le moment où il doit prendre la parole, ce
qu’il fait avec émotion.
– Bonsoir.
Il entend quelques filles lui répondre.
– J’ai bien peur de manquer de mots et de n’être terriblement pas original,
mais vous êtes magnifiques. Ç’en est à couper le souffle.
Il a besoin d’un instant avant de reprendre. Il sourit, perd ses mots. Les
filles le fixent, l’air attendries.
– Je vais tâcher d’être bref. Voici venu le moment difficile où, de
nouveau, quatre d’entre vous vont quitter l’aventure. Mesdemoiselles, la
soirée d’élimination commence.

***

Jessie est submergée par l’émotion. La sincérité du jeune homme la


bouleverse, mais ce n’est pas tout. Ces dernières heures, elle est à fleur de
peau. Tout, dans cette soirée, a été affolant. Les notes de musique de
l’orchestre résonnent encore à ses oreilles.
Elle sait bien que Louis s’adresse à toutes les filles, mais elle a le
sentiment que son Louis, à elle, n’est pas celui des autres. Il ne parle pas pour
ne rien dire. Son Louis à elle n’est pas du genre à se mettre en avant, bien que
son enveloppe corporelle alléchante le fasse pour lui.
En fait, son Louis à elle est un homme romantique. Et ce soir, c’est une
évidence, il est aussi à fleur de peau qu’elle, ç’en est presque palpable.
Cette musique les a tous ensorcelés.
Et voir ce bel homme, si secret, se livrer ainsi rend la scène émouvante,
presque indécente. Mieux qu’un strip-tease.
Elle n’est pas la seule à le fixer intensément. Et même si, à ce stade, il ne
s’agit pour toutes que d’une attirance très forte, un départ sera difficile à
accepter, pour les malheureuses concernées.
Plus que jamais, Jessie est prête à se battre pour cet homme si singulier.
Elle veut la place.
Un seul rendez-vous avec lui a suffi. Désormais, impossible de reculer.
Louis expire longuement, fixe l’assemblée, puis tourne son regard vers
l’animateur qui vient de le rejoindre. La pièce est plongée dans le noir. Seul
un faisceau de lumière pointé dans leur direction éclaire un peu la salle.
– Bonsoir, mesdemoiselles. Comme il vient de vous l’annoncer, Louis va
procéder aux éliminations. Mais avant cela, j’ai une question à vous poser.
Les filles attendent poliment que l’animateur reprenne, sachant
pertinemment qu’il s’apprête à demander si certaines souhaitent s’en aller.
– Vous êtes seize et chacune d’entre vous a déjà 5 000 euros en poche.
Douze verront ce montant doubler, soit 10 000 euros d’ici quelques minutes,
mais quatre perdront tout. Êtes-vous partantes pour ce quitte ou double, ou
préférez-vous accepter cette somme et quitter le jeu ?
Le silence est troublé par le mouvement des filles se tournant pour
s’observer les unes les autres. Lors des premières éliminations, il n’y avait
rien à perdre, tout à espérer.
Mais ce soir, c’est différent. Certaines filles ont failli ne pas décrocher de
rendez-vous, d’autres ont eu un comportement impulsif qui pourrait leur
attirer une décision défavorable, et d’autres, encore, ont reçu en cadeau un
pendentif à la signification énigmatique, que pas une, pour l’instant, n’a
réussi à décoder.
Jessie n’appartient à aucune de ces catégories. Elle doute, c’est vrai, mais
elle n’a pas l’intention de tirer sa révérence aussi tôt dans le jeu.
De l’agitation se fait entendre sur sa droite. Comme la salle est
entièrement plongée dans le noir, elle ne distingue pas la personne à l’origine
de ce remue-ménage. Le faisceau se braque sur une fille. Quand ses yeux
s’habituent à la lumière, Jessie reconnaît Caroline.
– Mademoiselle, venez nous rejoindre.
Caroline rejoint Louis ainsi que l’animateur, sous le regard incrédule des
autres filles.
– Souhaitez-vous vraiment quitter le jeu ? demande l’animateur en lui
tendant le micro.
– Oui, fait-elle d’une voix peu assurée. J’ai bien réfléchi et je ne me sens
pas à ma place ici. J’ai à peine eu l’occasion de discuter avec Louis. C’est
une personne très sympathique, et j’espère qu’il trouvera quelqu’un de
sincère parmi les filles restantes.
Jessie arque un sourcil. Difficile d’avaler la pique de Caroline qui, depuis
le début, a toujours été très discrète. Elle n’a jamais émis la moindre opinion
à propos de quoi que soit.
Après avoir rendu le micro au présentateur, Caroline sourit et adresse un
signe de main en direction de Léa. Sa décision vient de modifier le
déroulement de la soirée. Seulement trois filles partiront contre leur gré.
L’animateur glisse un mot à l’oreille de Louis et réclame le silence.
– Mesdemoiselles, Caroline nous ayant fait part de son choix, nous allons
maintenant procéder aux éliminations.
Jessie distingue l’assistante de production s’approcher et remettre
quelque chose entre les mains de chaque fille.
Quand cette dernière arrive à sa hauteur, elle attrape l’objet sans
comprendre ce qu’on attend d’elle. C’est une pomme. Surprise, elle regarde
le fruit, à la recherche du moindre élément pouvant apporter une once de
cohérence.
– Ce soir, vous serez départagée par cette pomme ! scande l’animateur.
Les lumières s’enclenchent. Aveuglante.
Toutes sont alignées, une pomme rouge à la main. Non, certaines tiennent
une pomme verte. Jessie ne comprend plus rien, mais entend la voix de
Louis, au loin.
– Ce soir, seules les filles ayant reçu une pomme rouge poursuivent
l’aventure, explique-t-il à bout de souffle.
Comme lors de la première soirée, les filles s’affolent. Le fruit est dans
leur main, mais elles doutent toujours et jettent des regards à gauche et à
droite.
Jessie assimile l’information. Elle a une pomme rouge, elle reste. Et son
chèque vient de voir son montant multiplié par deux.
Pour l’instant, elle s’en moque, ce n’est pas ce qui compte. Pas
maintenant. Elle regarde autour d’elle. Les filles ont suivi le même
cheminement de pensée.
Les regards se croisent, les visages parlent d’eux-mêmes : on peut y lire
la déception, la colère, l’incompréhension, mais aussi la joie, l’incrédulité,
l’orgueil…
Un tableau explosif.
Et puis, tout d’un coup, la prise de conscience. Les éliminations sont
terminées.
Stessy, Leïla et Gwenaëlle ne peuvent pas poursuivre le jeu. Elles doivent
quitter la salle pour aller boucler leurs valises.
Le silence s’installe.
Jessie choisit d’accompagner les perdantes jusqu’à la porte, ce qui lui
semble être la moindre des choses.
Mais en passant devant un groupe qui se dirige vers Louis, elle remarque
Cassandra et Lou qui leur sourient. L’une forme les mots « bye-bye » avec
ses lèvres, et l’autre leur fait signe avec la main. Jessie se retourne pour voir
si d’autres filles, ou même Louis, les ont vues agir, mais non. Une fois de
plus, ces deux pestes font preuve de mesquinerie, gratuitement.
Jessie ne tarde pas à revenir dans la salle et l’animateur reprend la parole.
– La soirée n’est pas terminée, mesdemoiselles, car nous avons prévu une
petite surprise pour Louis.
Ce dernier se tourne vers l’animateur, l’air étonné.
– Mais avant cela, vous avez dû constater que Louis a offert quelque
chose de spécial à cinq d’entre vous. Cinq pierres semi-précieuses. Il est
temps que Louis vous explique ce qu’il a voulu vous dire au travers de ce
cadeau.
Les filles concernées s’approchent.
Un peu gêné, Louis sourit et s’empare du micro. Jessie se renfrogne. Elle
aurait aimé être à la place de l’une d’entre elles. Pour se voir délivrer un
message personnel, vivre cet instant où il va ouvrir son cœur.
– Merci, fait-il. Oui, ces pendentifs ont une signification cachée. Je suis
sûre que vous vous en doutiez.
Tandis qu’il les regarde, les cinq filles attendent patiemment, concentrées
pour ne pas perdre une miette de ses explications.
– Le premier, le tien, Cassandra, est un lapis-lazuli. La pierre à la fois de
l’amour et de l’amitié. J’ai pensé qu’elle reflétait à merveille ce lien entre
nous. Cet équilibre parfait, en attendant qu’il penche d’un côté ou de l’autre.
Cassandra hoche la tête et sourit. Elle a l’air sincère.
L’animateur lui fait signe de se rapprocher encore.
– La pierre jaune est un chrysobéryl. C’est celle que j’ai choisie pour toi,
Karen, et toi aussi, Jasmine. C’est une pierre qui libère du doute. Jasmine, je
l’ai choisie pour t’encourager, car je suis certain que tu aurais pu faire ce saut
à l’élastique…
Il s’interrompt, et tout le monde se met à rire. Jasmine esquisse une
révérence tout en serrant le pendentif dans sa main.
– Pour toi, Karen, reprend-il, j’ai pensé que cela t’aiderait à t’ouvrir
davantage, en toute sérénité. J’espère que c’est ce que tu feras dans la suite de
l’aventure.
Karen hoche la tête, l’air déterminé à suivre ses conseils, puis se
rapproche de Cassandra et de Jasmine.
– Ensuite, le quartz rose est pour toi, Magdalena. C’est une pierre qui a la
capacité d’absorber les ondes négatives pour les transformer en sentiments
amoureux. J’ai envie d’en savoir plus et que tu n’aies plus peur de ce que tu
penses ou de qui tu es.
Magdalena se pend au cou de Louis pour une bise bruyante. Ses cheveux
tombent en cascade sur ses épaules, et le mouvement fluide de sa longue robe
bustier turquoise lui donne l’air d’une sirène.
Quand elle se détache de Louis, Jessie remarque une larme qui coule sur
la joue de Magdalena. Elle aurait préféré qu’elle soit banale, mais elle doit
admettre que Magdalena est bien mieux que ça.
Malgré elle, Jessie est jalouse. Et cela lui noue l’estomac. L’envie la
ronge comme jamais.
Mais elle n’a pas le temps de s’appesantir davantage sur ce sentiment, car
Louis enchaîne avec la dernière pierre.
– Le jade est une pierre que j’aime beaucoup, qui tient une place
particulière dans l’histoire de la Chine. C’est un symbole de sérénité, de force
et de courage. Un petit clin d’œil pour toi, Léa. Il faut que tu sortes de ta
coquille !
Jessie observe à nouveau les filles. Même Cassandra n’est plus aussi
arrogante que tout à l’heure. Elle semble troublée.
L’animateur reprend le micro.
– Merci, Louis, pour ces touchantes explications.
L’animateur l’attrape par l’épaule en souriant.
– Et voilà la petite surprise, Louis : vous partez tous les six pour une
soirée dans un club au cœur de la ville de Cannes. Une limousine vous attend
en ce moment même devant la villa. Bonne soirée à vous !
Les cinq filles sautent de joie et se jettent au cou de Louis, certaines
mordant dans leur pomme de manière impudique. Elles rient, l’enlacent et le
tirent vers la sortie.
Une image qui donne envie de les détester encore davantage.
Certes, ce soir, douze filles nommées poursuivent l’aventure, mais un
fossé vient de se creuser entre elles. La signification de ces pierres vient de
projeter ces filles en tête du peloton. Et si elles ont le moindre doute, leur
collier va leur rappeler ce succès chaque minute.
Grâce à ce pendentif, Louis a fait passer cinq messages bien plus
percutants qu’un long discours.
Jessie sourit amèrement. Finalement, elle n’a pas le sentiment d’avoir
gagné ce soir.
Victoria sur ses pas, elle gravit les marches menant jusqu’à sa chambre
alors qu’elle entend les cris de joie du petit groupe s’échappant en limousine
pour rejoindre Cannes.
Ne reste plus qu’à enfiler un pyjama et aller sagement se coucher pendant
que les vraies gagnantes profitent de la fête.
Jessie bout intérieurement et a du mal à se contenir. Elle se jette sur son
lit.
Victoria passe la tête par l’encadrement de la porte, un coussin à la main.
Jessie lui sourit. Elle non plus, elle ne pourrait pas survivre dans la chambre
de Cassandra. D’autant plus que celle-ci ne manquera pas de faire un
maximum de bruit quand elle rentrera, très probablement au milieu de la nuit.
Victoria s’allonge sur le lit d’à côté. C’était celui de Gwenaëlle, déjà
vierge de toutes traces de son passage. Cinq minutes auront suffi à l’effacer
du jeu. Presque aussi radical qu’une pression sur la touche « delete ».
Elles fixent le plafond, plongées dans leurs pensées.
Jessie n’en revient pas de la tournure prise par cette soirée. Ces
bouleversements dans le jeu vont la rendre dingue. Elle est contente que
Victoria soit venue la rejoindre. Elle est l’une des filles qu’elle apprécie le
plus dans la villa, peut-être la seule avec qui elle peut être elle-même.
– Ce n’est pas vraiment comme ça que j’imaginais la fin de la soirée, fait
Jessie en gardant les yeux rivés au plafond.
Elle passe les mains au-dessus de sa tête pour attraper des mèches de
cheveux.
– Je suis bien d’accord, ajoute Victoria dans un souffle. C’est plus proche
d’une punition qu’autre chose. On reste cloîtrée ici alors que ces demoiselles
sont de sortie avec Louis. Tout ça pour un stupide collier !
– Hum… Tu as reçu un diamant, c’est déjà ça !
– Mon diamant ? s’exclame Victoria en tapotant sa poitrine. Oui, c’est
vrai. Je l’avais presque oublié, celui-là. J’aurais aimé qu’il me serve à
quelque chose et aller au club avec eux ce soir.
– Mouais…
– Comment ça, « mouais » ? C’est pas ce que tu aurais voulu ?
Victoria pivote pour faire face à Jessie.
– Si, bien sûr, lance Jessie, agacée. Mais pas seulement.
– Ah oui ? Allez, pas de mystère, dis-moi tout !
– J’ai aussi des projets. Des choses importantes que j’ai envie de réaliser.
Mais laisse tomber. En réalité, je suis déçue… vraiment déçue.
Elle roule sur le côté, de manière à tourner le dos à Victoria. Elle n’a plus
envie de discuter.
– Jessie, est-ce que je peux rester ici, cette nuit ? L’autre chambre, tu sais,
c’est vraiment insupportable.
Jessie soupire, plus parce qu’elle s’en veut d’être désagréable avec elle
que par sa demande. Victoria est une fille aimable et sincère. Elle peut lui
faire confiance.
– Oui, bien sûr, installe-toi.
Moins de cinq minutes plus tard, Victoria est déjà de retour avec sa
valise. Jessie sourit tristement. Oui, c’est bien ça. Cinq minutes pour
récupérer tout ce qui est dispersé dans le désordre qui règne dans la villa.
Elle observe Victoria qui installe une petite peluche sur son oreiller. C’est
touchant.
– Cela fait quatre ans que je travaille dans une agence de communication,
lâche Jessie. Je me suis fait une amie, avec qui j’ai le projet de créer ma
propre entreprise.
Comme elle n’entend plus aucun bruit, elle sait que Victoria s’est
immobilisée, sans doute surprise par la confidence.
– Il y a quelques mois, nous avons amassé toutes les informations
possibles, identifié précisément notre créneau et développé notre réseau. On
voudrait se spécialiser dans les produits masculins. Parfums, prêt-à-porter,
bref, tout ce qui constitue leur monde en termes de consommation.
– C’est un super projet, lance Victoria en souriant. Les produits
masculins ? Alors tu en connais un rayon sur les hommes ? Tu as l’air
déterminé, en tout cas. Ça en est où ?
Jessie avale sa salive pour faire passer le nœud qui bloque sa gorge.
– C’était plutôt bien parti au début. Mais il a manqué deux choses pour
que nous puissions aller au bout de notre idée : le grain de folie et l’argent.
Un silence. Ou plutôt un vide. Jessie sait que Victoria vient de
comprendre que les deux choses se trouvent ici.
Alors elle se lève, sans un regard pour Victoria.
Elle ne remarque même pas la présence de Lou dans le couloir.
Elle s’installe devant un miroir dans une des vastes salles de bains et
peigne ses longs cheveux roux. Ce goût amer qu’a laissé cette soirée ne la
quitte plus. Elle fixe son reflet en serrant les dents. C’est la dernière fois
qu’on lui prend sa place… la toute dernière fois.
Chapitre 15

J – 3 : je ne sais pas où la retrouver…

Je suis épuisé, vidé.


Je sors de la salle de retransmission pour me changer les idées et me
rends au patio central.
Les bureaux de la production se situent dans un luxueux immeuble, où
chaque étage bénéficie de sa terrasse suspendue. Cette bouffée d’air frais me
fait le plus grand bien. Appuyé contre une porte vitrée, je regarde les
employés entrer et sortir des locaux. Ces deux dernières journées m’ont
lessivé.
Je souris en me revoyant, dimanche dernier, installé sur mon canapé.
J’étais inquiet à cause de la retransmission de l’émission, c’est vrai, mais ça
n’était rien en comparaison d’aujourd’hui. Je me mets à rire en imaginant ma
tête, ce même dimanche, si on m’avait dit que je serais en France quelques
heures plus tard, seul, à marcher sur ses pas pour la retrouver. Je ne suis pas
écrivain, mais cela m’apparaît plus comme le début d’une histoire tout droit
sortie d’un livre que comme ma propre vie.
Perdu dans mes pensées, je me souviens de ce que m’a dit ma mère quand
nous avons joué ensemble au portrait chinois, il y a bien longtemps : « Si tu
étais un objet, tu serais un métronome. » Ça m’a marqué. Plus tard, elle m’en
a offert un. Un authentique métronome déniché dans une brocante. Nous
avons passé presque une demi-journée à le nettoyer. Et lorsqu’elle a fini de le
remonter, elle m’a fait entendre la mesure qu’il battait, sa cadence régulière,
parfaite.
Toujours appuyé contre la porte vitrée, je ferme les yeux pour mieux me
remémorer la scène. Le sentiment de sécurité et de confort que m’a procuré
ce son m’envahit de nouveau. Évidemment que si j’avais été un objet,
ç’aurait été un métronome. J’aime la régularité, la prévision, le tempo. C’est
l’aspect le plus prééminent de ma personnalité. Généralement, c’est mon
moteur, parfois ma bouée, aujourd’hui… une entrave.
Certaines fois, les choses ne peuvent pas être parfaitement organisées.
Quand ma mère m’a annoncé qu’elle était gravement malade, cette
facette de ma personnalité s’est décuplée. Aurais-je pu le prévoir ? Aurais-je
pu faire quelque chose pour l’empêcher ?
En tout cas, depuis, j’avance dans la vie en tâchant de tout contrôler,
l’imprévu étant devenu synonyme de douleur.
D’un geste, je chasse ces tristes souvenirs. Je me force à sourire et me
tourne en direction du bâtiment. Il est temps de rentrer et de définir la suite du
programme.
Entre-temps, la nuit est tombée, et je peux distinguer mon visage dans la
vitre de la porte d’entrée. J’essaie de soutenir mon regard alors que les
images du jeu me reviennent en tête.
J’ai construit ma vie sentimentale sur un château de cartes.
J’observe en silence mes traits de jeune homme, toutefois un brin vieillis
si l’on compare avec l’émission. Mes yeux bleus paraissent éteints et
fatigués. J’ai l’air d’un homme épuisé. Certes, il y a de quoi, avec mon
travail. Après tout, je gère un cabinet d’avocats et les affaires que je traite
pèsent plusieurs milliers de dollars…
Foutaises ! Ce n’est pas cela, et je le sais parfaitement. C’est cette peur…
Cette angoisse que tout m’échappe pour de bon.
Les conséquences de cette émission commencent tout juste à se frayer un
chemin dans mon esprit. Tout est sens dessus dessous.
J’avance en terrain inconnu, sans savoir si je suis capable de retrouver
mon chemin, notre chemin.
Pourtant, il faut en finir, alors je retourne dans la salle et m’assois. Tout
en saisissant la télécommande, je lance le tip-tap du métronome dans ma tête.
Plus que n’importe quels mots, ce son me réconforte. Je suis de nouveau prêt
à affronter les plus sombres facettes de ma personnalité.

Note pour plus tard : accepter la remise en question…


Chapitre 16

Épisode 6
Pour toujours et à jamais est de retour avec de nouveaux rebondissements ! Dans l’épisode
précédent, Louis a offert une magnifique pomme rouge aux filles qu’il souhaitait garder près de lui.
Mais a-t-il bien réfléchi avant de faire ses choix ?
Si certaines prétendantes ont préféré garder précieusement le présent qu’elles ont reçu, d’autres
ont déjà croqué dans le fruit défendu, et pourraient en demander encore…

Ce matin, Victoria trépigne d’impatience. Les autres filles rôdent


également dans la maison.
Bien que les cinq élues soient rentrées au milieu de la nuit, toutes sont
debout.
Elles sont à l’affût de la prochaine tablette qui, selon leurs calculs, ne
devrait plus tarder. Passer de vingt à douze filles a fait de la place, et Victoria
espère bien compter parmi celles qui verront encore la villa se vider de ses
occupantes.
Lorsque la sonnette retentit, elle ne peut contenir son excitation. Elle
court jusqu’à la porte et se dispute bruyamment le droit d’ouvrir, droit qui
octroie aussi la possibilité de lire le fichier avant les autres filles.
Noémie vient à bout de ses concurrentes, et c’est un peu ébouriffée
qu’elle ouvre à la volée.
Victoria, sur ses pas, découvre Louis, les bras chargés et les yeux
écarquillés.
– Tout va bien, les filles. Je viens en paix, dit-il prudemment.
Certaines explosent de rire tandis qu’il reprend :
– À l’écoute de ce raffut, je m’attendais à une attaque de pumas enragés !
Victoria se glisse devant Noémie et ouvre plus largement le battant. Elle
laisse à Louis le soin de découvrir les conséquences qu’un simple coup de
sonnette peut engendrer : Jessie et Cassandra sont couchées par terre, riant
aux larmes. Jasmine a l’air d’avoir subi une électrocution tant ses cheveux
sont dressés sur sa tête, et Magdalena maîtrise encore Alexandra et Lisa,
qu’elle a réussi à entourer avec la ceinture de son peignoir.
La scène est tout bonnement stupéfiante, le plus sidérant étant le sourire
qu’elles s’efforcent toutes de maintenir coûte que coûte ; Louis étant présent,
elles s’obligent à mettre de côté leurs différends, pour l’instant.
Ce dernier pouffe de rire, et c’est contagieux.
Un instant plus tard, il entre dans la villa, confiant à Victoria une partie
des sacs de viennoiseries qu’il est allé chercher pour le petit déjeuner.
Puis, ils s’attablent et mangent de bon cœur. Toutes sont aux petits soins
avec Louis, qui doit au moins accepter trois croissants, quatre cafés sucrés
dont deux avec de la crème et presque un litre de jus d’orange afin de ne
vexer personne.
Au bout d’un instant, il prend la parole :
– Bien, les filles, je suis venu petit-déjeuner avec vous, mais aussi vous
annoncer le programme de la journée.
Les filles s’immobilisent, soudain muettes, si bien qu’un silence pesant
s’installe.
Louis, surpris par ce calme inhabituel, doit réprimer un rire. Victoria se
mord la lèvre inférieure. Et quand elle regarde autour d’elle, elle se rend
compte que toutes les filles, sans exception, fondent littéralement devant lui.
Louis a un sourire à se damner.
Depuis la dernière soirée, Victoria a pris conscience qu’elle doit se
montrer plus directe avec lui. L’amertume qu’elle a ressentie face à son
exclusion de la soirée au club s’est dissipée. Il ne lui reste qu’une envie
féroce d’aplatir ses adversaires, dans ce qui vient de devenir une guerre sans
merci.
– Je disais donc, reprend Louis, toujours dans un silence sépulcral, que
j’ai choisi une activité plus calme pour cette journée. Donc ce matin, si vous
êtes d’accord, bien sûr, ce sera piscine et farniente.
Victoria attend un instant avant de sauter de joie. Elle jette un regard aux
autres filles, qui s’observent, l’air perplexe. Il manque un élément dans
l’annonce.
– Et avec qui comptes-tu partager cette activité ? lance Cassandra en
tirant langoureusement sur la lanière de son soutien-gorge.
Victoria a soudainement envie qu’elle lui pète à la figure. Juste pour
effacer ce petit air espiègle qui apparaît sur son visage dès que Louis est dans
les parages. Elle l’a déjà eu pour elle toute une partie de la nuit et, selon les
autres filles, elle ne s’est pas gênée pour l’accaparer.
– Vous toutes.
Un murmure fait écho à sa réponse, qui ne semble pas faire l’unanimité.
– Super ! lancent tout de même certaines, faisant mine d’être
enthousiastes afin de rassurer Louis, surpris par la mauvaise humeur
générale.
Victoria ne dit rien. Être trois ou quatre à se le partager est déjà
compliqué, alors une dizaine lui paraît ingérable. La notion de partage semble
hors de portée intellectuelle de la plupart des habitantes de la villa. En plus,
elle espérait qu’il choisirait d’accorder davantage de temps à celles qui
n’étaient pas présentes la veille.
– Quant à cet après-midi et soirée, dit Louis prudemment, ce sera
excursion en bateau et dîner en mer. Et j’aimerais que Léa, Jessie et Victoria,
vous vous joigniez à moi.
Victoria sourit et acquiesce, réprimant tant bien que mal la manifestation
de joie explosive que cette nouvelle a déclenchée. Finalement, tout est bien
qui finit bien ! Elle va être à ses côtés toute la journée, de quoi passer la
vitesse supérieure. Car, comme les autres filles, elle a reçu cinq sur cinq le
message de Louis à travers la pomme. Désormais, elles sont invitées sur un
autre terrain de jeu…

Je presse le bouton stop un peu plus tard, à la fin du sixième épisode, et


quitte la salle de retransmission. Elles ne sont plus que huit.
Impossible d’oublier ces éliminations, elles ont été explosives.
Je ne me reproche absolument pas mes choix. Les images confirment,
d’ailleurs, que mon attitude a été logique. J’avais plus d’affinités avec
certaines d’entre elles.
Sauf qu’Alexandra a beaucoup pleuré. Elle n’a pas accepté ma décision.
Noémie, très fair-play, l’a consolée. Quant à Sofia et Lisa, elles étaient
visiblement vexées. Elles n’ont pas voulu échanger un seul mot avec moi.
Cette fois-ci, il y a eu du dégât.
C’est vrai que cette matinée passée autour de la piscine a brouillé les
pistes. Rien, dans mon attitude, ne pouvait leur indiquer un dénouement
défavorable. Pour personne. J’ai savouré chaque instant sans songer à leur
délivrer des indices. J’ai plutôt cherché à en profiter jusqu’au bout.
Égoïstement. Profiter d’elles avant qu’elles ne partent. Aucune n’a souhaité
quitter le jeu avant l’annonce des éliminations. J’ai réussi à les convaincre de
rester pour moi, ou plutôt, les convaincre qu’elles avaient une chance de
franchir cette troisième étape.
Heureusement, lors de cette matinée, certaines scènes ont échappé à l’œil
impitoyable des caméras. Je n’en reviens pas de ce dont j’ai été capable, pris
dans la fièvre du jeu.
Ce moment, par exemple, où je me suis retrouvé seul avec Alexandra,
dans le pool house près de la piscine. Nous étions partis chercher des
serviettes propres, les autres filles s’étant déjà installées sur des transats.
J’ai ouvert en grand le placard et l’ai fixée d’un air espiègle. Les jeux de
regards étaient habituels à la villa. Mais Alexandra l’a pris comme une
invitation lascive, et m’a poussé lentement contre le rayonnage, de telle sorte
que nous soyons hors du champ de la caméra.
Puis elle s’est rapprochée de moi, souriante, l’air déterminé. Surpris, je ne
savais plus si j’avais envie qu’elle poursuive ou qu’elle s’immobilise. C’était
bien trop entreprenant, vu la proximité des autres filles. Les centimètres qui
nous séparaient ont fondu, et elle a fini par poser ses mains sur mon torse qui
dégageait encore la chaleur accumulée par la fin de la matinée passée au
soleil.
Ses mains fraîches ont déclenché un frisson qui a parcouru nos deux
corps.
L’air s’est chargé d’ondes sensuelles.
Alexandra a frôlé mon visage et saisi ma lèvre inférieure avec les siennes.
J’ai fermé les yeux pour goûter ce moment. Mes sens se sont éveillés, mais
pas autant que je l’aurais pensé. Quand j’ai ouvert les yeux, elle me fixait, à
l’affût de ma réaction, demandant silencieusement si elle pouvait continuer.
Mais la voix de Jasmine, qui s’impatientait de mon absence, a interrompu ce
moment.
Nous avons repris nos esprits. Alexandra a posé une dernière fois les
yeux sur moi avant de rejoindre le groupe.
De mon côté, je suis resté quelques minutes de plus dans le pool house,
désarçonné par cet instant.
Alexandra faisait partie de mes favorites au début, mais le feeling entre
nous a été éphémère.
Ma décision, lors de la soirée, n’a été que la douche glacée venant
brutalement refroidir l’atmosphère tiède qui nous avait enveloppés durant la
journée.

Je suis au bas de l’immeuble, impatient de retrouver ma chambre d’hôtel.


Ma voiture est l’une des dernières stationnées sur le parking privé de la
production. Rien d’étonnant à cette heure-ci. Aujourd’hui, j’ai eu ma dose
d’épisodes de Pour toujours et à jamais. J’ai besoin d’une douche brûlante et
de repos. Et surtout, de faire le tri dans mes pensées.
Durant le trajet, je pense aux rendez-vous suivants. En particulier la
randonnée avec Jessie, Cassandra et Magdalena. Une journée de rêve… Les
trois filles étaient tellement proches de moi.
Une chose, d’ailleurs, me préoccupe depuis que j’ai revu les images de
cette rando. Un mouvement furtif, mais bel et bien enregistré par les
caméras : la naissance d’une affinité toute particulière avec l’une de ces
femmes. Non pas quelque chose de direct et d’évident, mais plutôt une
étincelle. Celle qui se cache au fond des yeux, mais qui emplit le regard entier
pour ceux qui savent la reconnaître. Je l’ai lue dans mon propre regard, ce qui
est extrêmement perturbant. Sans aucun doute, j’étais, à ce stade de
l’aventure, en train de tomber amoureux de cette fille.
Je devrais sauter de joie, être rassuré, car démêler mes sentiments, c’est
bien en partie ce que je suis venu chercher à Paris. Mais au lieu de cela, le
poids sur mes épaules s’alourdit davantage.
Car à ce moment-là, j’étais en train de succomber aux charmes de
l’avant-dernière fille en lice.
Que moi, je vois cela, passe encore. Mais elle… ma petite amie… a dû
voir très clairement, en visionnant l’épisode, que je suis tombé amoureux de
sa rivale.

Note pour plus tard : jeter un embargo sur les pommes rouges !
Chapitre 17

Elle aurait de nouveau besoin d’une pause. De toute évidence, les choses
ne se passent pas comme elle l’avait prévu. Chaque épisode visionné lui
donne la sensation d’un uppercut en plein estomac. À l’inverse, sa rivale…
plus que jamais sa rivale, semble prendre du plaisir à revivre certains instants.
Elle a gardé la télécommande, ainsi, elle laisse les épisodes s’enchaîner.
Il est hors de question qu’elles aient une discussion maintenant, ce qui lui ôte
toute envie de stopper ce douloureux défilement d’images.
Elle doit bien l’avouer : plus elles avancent, et moins elle a confiance en
son couple – en tout cas, en leur futur.
Elle n’ose même pas imaginer les pensées de ses proches. Si certains ont
dit que leur histoire ressemble à un conte de fées, ils vont sérieusement revoir
leur jugement. Rien ne laisse penser qu’ils puissent construire quelque chose
de solide après cela.
Elle avait cru savoir dans les grandes lignes ce que Louis avait fait
pendant ses rendez-vous, car la plupart des filles avaient une notion de la
confidence assez inexistante.
Elle s’imaginait que certaines exagéraient. En fait, elle était même
persuadée qu’elles en rajoutaient. Ça allait de soi dans cette compétition
acharnée.
Aujourd’hui, elle a la preuve que non. Même, les filles ont plutôt
dissimulé l’intensité de ces moments passés avec Louis. Ce qui est encore
plus difficile à accepter maintenant.
Elle s’était imaginé le pire, mais le pire est en deçà de la vérité.
Elle vient d’assister à la troisième soirée d’élimination, et il ne reste plus
que huit filles dans la villa. Toutes, plus que jamais, sous le charme de Louis.
Elle serre encore plus fort la télécommande, pour être sûre que sa rivale
ne cherche pas à s’en emparer afin de repasser en boucle le dernier épisode.
Louis aussi est sous le charme ; celui de l’une des huit jeunes femmes
mais, contre toute attente, ce n’est pas elle.
Sa rivale la regarde du coin de l’œil, entortillant du doigt ses longs
cheveux. Et son air satisfait lui donne la nausée.
Pour sauver la face et tempérer ces images, elle essaie de se remémorer
les événements à venir, ceux qu’elle a vécus avec Louis et qui ont, sans
doute, fait naître leur amour.
Mais même ces souvenirs peinent à temporiser sa colère, parce qu’en ce
moment, elle comprend l’attitude de cette fille. Si elle avait été en dehors de
l’histoire, elle aurait même pu lui donner raison. Pour être honnête, elle se
demande si elle n’aurait pas fait la même chose à sa place. Ce qui devient,
quand elle y pense, un brin tordu et lui donne envie de se mettre des gifles.
Maintenant, elle est furieuse contre Louis, contre sa rivale, mais aussi
contre elle-même. Elle n’arrive pas à réprimer ce sentiment. Cette fille a
réussi à imposer la compétition à nouveau alors qu’il n’y a plus de jeu à
proprement parler. Le tournage est achevé depuis bientôt six mois.
Elle avale sa salive. Les voici à nouveau en concurrence, dans une
situation détestable. Seuls leurs objectifs diffèrent.
De son côté, il lui faut tenter de sauver son couple, repartir après être
tombée au plus bas. Pour sa rivale, il s’agit de débuter une histoire sur une
certitude, écartée lors du tournage, mais qui sera révélée par la diffusion de
l’émission. Certitude fragile ou tentative désespérée : chacune a un véritable
challenge à surmonter.
Elle s’est laissé entraîner par cette fille, mais ce n’est pas fini.
L’affrontement ne fait que commencer et, tout comme la première fois, elle
sera une adversaire de taille.
Chapitre 18

Trois semaines avant la retransmission

La diffusion de l’émission approche. Il lui tarde que cela arrive.


Elle a patienté jusqu’alors, même si elle est surprise qu’il ne l’ait pas déjà
appelée, sachant ce qu’ils ont vécu lors du tournage. Mais elle comprend.
Leur relation était si forte, d’une intensité presque féroce. Cela peut effrayer.
Elle n’en veut pas à Louis de ne pas l’avoir choisie comme gagnante de
l’émission. Enfin, pas complètement. Elle a trouvé beaucoup de raisons pour
expliquer ce dénouement.
C’est sûr, il a dû s’interroger sur une vie au quotidien avec elle. Une telle
passion est difficile à concilier avec sa situation professionnelle. Il a sans
doute pensé qu’il valait mieux, dans un premier temps, mettre de côté leur
relation fusionnelle et y repenser loin des feux de la rampe, pour construire
quelque chose de solide. Après tout, tout est allé si vite entre eux.
Et puis – c’est ce qu’elle-même a ressenti – il a dû avoir peur. La force
des sentiments qui les ont submergés était unique et extraordinaire. Sans
commune mesure. Peu de personnes peuvent se vanter d’expérimenter cela. Il
est difficile de s’y abandonner.
L’être humain est ainsi fait. Plutôt fourmi que cigale, se privant d’une
situation enivrante mais complexe pour une situation plus raisonnable.
C’est comme cela qu’elle voit leur histoire.
Elle n’en a pas démordu, coûte que coûte, malgré les multiples tentatives
de ses parents pour l’en dissuader.
Ils ont pensé qu’elle avait mal vécu sa défaite. Ce qui est complètement
faux, parce qu’il ne s’agit pas d’une défaite. Elle sait mieux que quiconque
que, parfois, les relations ont besoin de temps pour se construire. Et elle se
félicite de sa patience, et même de sa ténacité, lorsqu’elle a su convaincre son
thérapeute qu’elle était passée à autre chose. Au prix de la séance, il fallait
bien qu’elle montre à ses parents qu’elle allait dans leur sens. Comme ça, tout
le monde est content.
Aujourd’hui, elle a tout compris. Louis a eu besoin de plus de temps
qu’elle pour réaliser l’évidence de leur amour. Maintenant, plusieurs mois
plus tard, elle est là.
Elle sera toujours là.
De toute façon, elle ne peut envisager une relation avec quelqu’un
d’autre. Comment se contenter de se baigner dans un étang quand on a vu
l’océan ?
Elle a vraiment été surprise de voir la relation avec l’autre fille durer
plusieurs semaines, puis des mois.
De toute façon, c’est la diffusion de l’émission qui va le ramener à elle.
Les images parleront d’elles-mêmes, et sans même les avoir vues, elle leur
voue une confiance totale.
Après tout, quand Louis lui reviendra, l’annonce de leur relation sera un
rebondissement encore plus incroyable.
Quel coup de théâtre ! Les journaux ne s’en remettront pas.
Elle entortille une mèche de ses cheveux autour de son doigt. Elle en est
intimement convaincue : en amour, les hommes et les femmes sont très
différents. En ce moment, Louis peut tout se permettre, si c’est pour
surmonter sa peur du mariage… Mais une fois avec elle, ce sera pour
toujours.
Depuis plusieurs semaines, elle vit en Chine. Elle doit s’habituer au pays.
C’est certain, Louis sera surpris de voir tout ce qu’elle a entrepris pour
lui.
Ne reste plus qu’à se débarrasser de l’autre fille. Au début, elle n’y
pensait pas trop, ne songeant qu’au plaisir qu’ils éprouveraient lors de leurs
retrouvailles. Mais depuis quelques jours, elle la voit comme un obstacle à
l’épanouissement de son histoire personnelle.
Qu’à cela ne tienne, elle n’est pas le genre de femme passive. Pas de
souci pour gérer ce type de problèmes. Elle n’y avait pas pensé jusqu’alors,
mais il faudra qu’elle prenne sans tarder contact avec elle, l’hypocrite qui se
fait passer pour la petite amie de Louis.
Les dernières étapes de son plan se mettent en place, et rien ne sera laissé
au hasard.

Une semaine avant la retransmission

Ça y est, le contact est pris, mais elle sent que toute manœuvre
diplomatique sera vaine.
Elle imagine bien les réticences de l’autre à accepter cette discussion,
mais elle finira bien par céder. Après plusieurs mails échangés, elle lui a
proposé une rencontre. Il faut qu’elle la voie en tête à tête. Elle va se charger
de lui ouvrir les yeux et lui montrer l’évidence de son imposture.
Lors de l’émission, elles se sont plus ou moins bien entendues. Elle a
espéré que l’autre se remémore les bons moments pour accorder du crédit à
sa démarche.
Enfin, après quelques hésitations, la fourbe a fini par accepter.
Tout s’assemble à merveille.
Elle prend cela comme un signe positif. Cette fille veut aussi avoir une
conversation sérieuse. C’est sûrement parce que tout ne se passe pas comme
elle le souhaite.
Louis doit être différent maintenant que le tournage est terminé,
certainement anxieux à l’approche de la retransmission, et sûrement distant
avec sa fausse partenaire.
C’est bien normal, car elle doit encore occuper ses pensées, et il se rend
compte maintenant de son erreur. D’ailleurs, elle est certaine qu’il n’a pas fait
sa demande en mariage.
Est-ce son orgueil qui l’a empêché de reprendre contact avec elle ?
Il faudra qu’elle le rassure, qu’elle l’aide à avancer. Dans un premier
temps, ça ne va pas être facile pour Louis.
De son côté, elle n’a jamais cherché à le contacter. Pas une seule fois.
Elle a pourtant lutté contre cette envie obsédante.
Mais pour se retrouver tous les deux, il doit le vouloir pleinement, et
autant qu’elle. Et pour cela, il doit dépasser sa fierté.
Elle a tellement hâte de le retrouver.
Contre toute attente, sa rencontre au restaurant avec la faux-jeton n’aura
pas été inutile comme elle s’y attendait de prime abord : elles iront voir toutes
les deux, à Paris, l’ensemble des épisodes. C’est une aubaine, car elle pourra
ainsi, en avant-première, lui démontrer ce qu’elle soutient depuis des mois.
Peut-être même que cette fille, en voyant les images, lui laissera le champ
libre.
En fait, par un heureux coup du sort, elle a appris que cette fille avait
demandé à visionner l’émission avant sa diffusion. Lorsque elle-même a
appelé la production pour connaître les dates exactes de la retransmission afin
de peaufiner son plan, la secrétaire de David les a confondues. Elle lui a
même demandé à quel moment elle pensait arriver aux bureaux.
C’était un autre présage, exactement ce dont elle avait besoin.
Voilà six mois qu’elle attend ce moment, qu’elle étrangle un sanglot à
chaque fois qu’elle pense à lui. Leur amour est prêt à être révélé ; plus
réfléchi, plus mûr, dompté par le temps et les épreuves qu’ils se sont
intentionnellement infligées.
Désormais, plus rien ne viendra s’interposer entre eux.
Elle pense à plus tard, quand ils reparleront de tout cela, de tout ce qu’ils
ont dû traverser pour être ensemble. Cette histoire encore plus fabuleuse
qu’un conte de fées.
Elle n’a plus qu’à expliquer son plan à l’hypocrite. Mais c’est gagné
d’avance, car elle a bien vu la façon dont elle regardait sa bague de
fiançailles. Durant tout le repas, elle n’a eu de cesse de loucher sur sa main,
sur son diamant, pour s’assurer constamment de sa présence. Elle n’est pas
prête à le lâcher, c’est certain. Pas même pour Louis.
Et il est temps que l’amour de sa vie le sache.
Chapitre 19

Épisode 7
Bonsoir, et merci de suivre votre émission favorite, Pour toujours et à jamais ! Nos princesses ne
sont plus que huit à occuper la villa et elles sont toutes dans les starting-blocks pour le sprint final.
D’ici quelques heures, trois d’entre elles devront quitter l’aventure, non sans avoir eu l’opportunité de
tenir un petit discours devant notre beau jeune homme. Exercice périlleux… et très révélateur !

Jessie descend prendre un café dans la véranda. La villa s’est


sérieusement vidée de ses occupantes. Le silence qui y règne est presque
dérangeant.
Désormais, elles ne sont plus qu’une poignée, et la victoire semble à
portée de main. Cependant certaines candidates paraissent encore
redoutables : notamment Cassandra et son insupportable confiance en elle,
Karen qui s’est beaucoup rapprochée de Louis ces derniers jours, et
Magdalena, qui paraît constamment sur un petit nuage.
Jessie se sent au coude à coude avec les quatre autres filles. Or, elle sait
qu’à ce stade du jeu, il va falloir sérieusement se distinguer pour rester.
Justement, une réception est prévue pour le soir même. C’est l’animateur
qui les a briefées sur son déroulement. Au début, personne n’écoutait
vraiment, mais quand il a déclaré que chacune devrait prendre la parole
devant une assemblée, elles ont commencé à tendre l’oreille.
L’animateur a expliqué qu’elles devraient exposer une idée en matière de
protection de l’environnement. Apparemment, c’est une initiative de Louis.
Du coup, aucune des filles n’a osé émettre de critiques. Seuls des
haussements de sourcils ou des yeux au ciel ont témoigné l’agacement de
certaines.
La protection de l’environnement, c’est une cause d’actualité, et Jessie se
rappelle avoir entendu Louis en parler assez souvent. Il ne se livre pas
beaucoup, mais dès qu’il s’agit de nature, c’est différent. C’est un sujet qui
lui tient à cœur, et elle n’est pas surprise qu’il soit mis à l’honneur en cette
soirée.
L’animateur a également expliqué que de nombreuses associations
locales avaient été conviées. La protection du littoral est une problématique
importante sur la Côte d’Azur. Beaucoup ont répondu favorablement et
confirmé leur présence à la soirée.
Dès lors, les préparatifs ont commencé. Certaines filles ont paru très
stressées par l’exercice : prendre la parole en public n’est pas une chose
facile, Jessie le sait bien. D’autres se sont montrées plus confiantes, leurs
métiers les ayant habituées à ce genre de chose.
Bien sûr, on leur a dit que prendre la parole n’était pas obligatoire et
qu’elles pouvaient tout à fait s’abstenir de participer. Jessie a souri en
entendant cette phrase. Cela reviendrait à s’auto-éjecter du jeu.
Cet événement a conditionné le déroulement de la journée. Aucune
d’entre elles ne verra Louis avant la soirée. La réception sera le seul moment
pour profiter de sa compagnie. Leur objectif est donc d’y participer… et faire
en sorte de réussir leur discours.
Jessie tourne paresseusement la cuillère dans sa tasse. Certaines filles,
bien organisées, esquissent le plan d’un petit speech tout en prenant des notes
sur les dépliants des associations présentes. D’autres, sûrement plus
productives dans l’urgence, peaufinent encore leur bronzage.
Jessie termine son café quand elle entend un cri strident qui semble
provenir des chambres. Quelques secondes plus tard, elle entend des bruits de
pas qui dévalent les escaliers.
Cassandra déboule, furieuse, les cheveux maintenus en chignon et de la
mousse blanche autour de la bouche. Elle se rue vers la piscine en hurlant.
– Quand je vais t’attraper, Magdalena, tu vas voir ce que je vais te faire !
Jessie est à deux doigts d’exploser de rire. Elle était justement en train de
se dire qu’aucune chamaillerie n’était encore venue troubler la tranquillité de
la villa et que, pour une fois, les filles étaient trop absorbées par leurs
préparatifs pour songer à se mettre des bâtons dans les roues. Cette journée
ne fera donc pas exception.
Ce qui est drôle, c’est qu’elle aurait juré avoir senti un relent nauséabond
quand Cassandra est passée près d’elle. Elle réfléchit un instant. Quelque
chose de très fort. De l’ail, oui, c’est exactement ça.

***

Louis sait que l’animateur s’est chargé d’expliquer aux filles que la soirée
est une proposition de sa part. Mais ce qu’elles ignorent, c’est qu’il accueille
ses deux associés cet après-midi et qu’ils y participeront incognito.
Il sait que sa demande n’est pas commune, mais il a envie d’entendre les
filles s’exprimer sur des sujets plus pointus. C’est ainsi qu’il a songé au
thème de l’environnement, qui lui est venu tout naturellement.
Il comprend bien que l’exercice puisse être plus facile pour certaines, les
plus loquaces. Mais ce n’est pas leur assurance qu’il veut évaluer ce soir.
Plutôt leur capacité à prendre un sujet au sérieux et à l’expliquer, ni plus ni
moins. Une chose essentielle si l’une d’entre elles doit être la femme avec qui
il vivra.
Louis se rend en personne à l’aéroport de Nice pour accueillir ses amis et
associés, Bao et Julian.
L’idée du cabinet est née à la fin de leur cursus. Tout au long de leurs
études, ils ont appris à se connaître, partageant les bons comme les mauvais
moments. La vie étudiante, dans ce genre d’école, n’a rien d’une fête
permanente comme on le voit dans la plupart des séries télé. C’est Louis qui a
été le plus réticent, au premier abord. Non pas qu’il estimait que le projet soit
voué à l’échec, car ses deux associés sont aussi doués que lui, mais il ne
voulait pas risquer de perdre leur amitié. Bao et Julian sont comme des frères
pour lui. Ils sont sa famille, les personnes sur qui compter en cas de
problèmes. De quoi faire réfléchir sérieusement à l’idée de monter un
business ensemble.
Dès qu’ils sont suffisamment près, Louis leur fait un grand signe. Il
enjambe la barrière pour aller à leur rencontre, les accueille d’une accolade et
ils repartent tous ensemble en direction de la voiture.
– Alors, Louis, raconte-nous ! l’interroge Bao un peu plus tard. Ça fait
déjà quelques jours que tu es ici. Comment ça se passe ?
Bao est d’origine chinoise, et ses multiples réseaux ont été décisifs lors de
la création du cabinet. Naturellement souriant, il ne laisse jamais rien paraître.
Louis commence tout juste, après plus de dix années d’amitié, à savoir ce qui
se trame dans sa tête. D’ailleurs, il s’est toujours dit qu’il serait imbattable au
poker, s’il essayait un jour.
– Eh bien, c’est différent de ce que j’avais imaginé. Ici, tout va à cent à
l’heure, je n’ai pas une minute à moi.
– OK, reprend Julian, et tu ne nous en veux plus de t’y avoir inscrit ?
Louis, en guise de réponse, lui adresse un clin d’œil. Ça l’avait contrarié
que ses amis le poussent dans ce genre d’aventure, mais après tout, ils le
connaissent mieux que personne.
Julian est né à New York mais a fait toute sa scolarité en France, dans la
même école que Louis. Il est indiscutablement le plus loquace des trois amis
et a une nette propension à voir les choses en grand. C’est lui qui avait lancé
l’idée.
Louis sait que Bao et Julian s’inquiétaient de sa solitude. Bien qu’il ait
tenté de chercher l’âme sœur, il restait invariablement seul. Alors, il y a
quelques mois, pour plaisanter, ils ont soumis sa candidature à la production
de l’émission. Une proposition est revenue le mois suivant, mettant Louis au
pied du mur.
Au début, il a tenté d’esquiver, arguant une personnalité bien trop
réservée pour ce type de jeu. Puis, au grand bonheur de Bao et Julian, il a fini
par se laisser convaincre.
Ses amis avaient raison, il était temps de se remuer pour atteindre son
objectif. Et, dans le pire des cas, sa participation serait une aventure agréable.
– Je crois que vous allez être jaloux quand vous allez voir les filles !
– Ah oui ? Ça veut dire que certaines sont à ton goût, alors ? questionne
Bao. Et toi, tu leur plais ? s’exclame-t-il en riant.
– On peut dire ça. Mais vous allez constater par vous-mêmes.
– Quel suspense ! dit Julian. Et comment comptes-tu nous présenter ?
– Officiellement, vous serez présentés demain. Pour ce soir, je vous ai
réservé une mission un peu spéciale. Vous allez les rencontrer d’une manière
inédite.
– Super ! reprend Julian. Une mission d’infiltration ! J’ai hâte d’y être.
Louis sourit avant de les informer du programme de la soirée, du thème et
du discours des filles. Bao et Julian comprennent bien qu’ils ne sont pas là
pour piéger les prétendantes. Il s’agit d’aider Louis à y voir plus clair :
discuter avec elles afin de se faire une idée de leur personnalité. Un défi ardu,
car le concept de l’émission ne favorise justement pas les déclarations de
vérité.
Pour leur faciliter la tâche, Louis a réparti les filles entre eux. Chacun
devra s’attacher à découvrir quatre de ces demoiselles. Cette méthode vise
également à ne pas trop attirer l’attention. Car leur plan ne fonctionnera que
s’ils passent vraiment incognito.
Louis ne doute pas de la réussite de la mission. Il connaît bien ses amis et
sait qu’ils vont jouer à la perfection leur rôle d’agents secrets – surtout qu’il
s’agit de mettre à nu des filles absolument splendides.

***

La soirée débute vers 20 heures.


Pour le moment, Victoria remplit le rôle de maîtresse de maison, qui
consiste à accompagner les invités vers la salle de réception. Plusieurs
représentants d’associations locales ainsi que des agents dédiés à l’entretien
des espaces naturels du regroupement de communes alentour se présentent.
Quelques personnalités locales ont été invitées et il y a aussi plusieurs
journalistes qui, en exclusivité, pourront dévoiler des images de la soirée
après sa diffusion officielle.
Victoria accompagne l’un d’eux, vêtu d’un pantalon à carreaux d’une
autre époque, et lui propose un rafraîchissement.
– Vous prendrez quelque chose à boire, monsieur Mann ?
– Bao, appelez-moi Bao. Merci, mademoiselle, et euh… dites-moi, sans
vouloir vous flatter, comment une si jolie jeune femme peut-elle se retrouver
embarquée dans ce genre de jeu ?
– Eh bien, monsieur Mann… Bao, reprend-elle. J’avais envie d’une
expérience différente. Quelque chose qui pimente un peu ma vie. Vous
voulez écrire un article sur moi ?
– Je vous arrête… Victoria, c’est ça ? Car j’ai l’impression que vous me
comprenez mal. Je ne voulais pas vous offenser. À vrai dire, je suis
photographe, mais j’aime bien prendre quelques informations avant de me
mettre au travail. Connaître un ou deux éléments sur le compte de mes
modèles améliore encore le rendu. Et puis, j’avoue que je cherche un peu à
satisfaire ma curiosité. Était-ce indiscret comme question ?
– Non, je vous comprends. Alors, en ce cas, j’ai une bien meilleure
réponse pour vous. J’aimerais être celle qui sera au bras de Louis, quand le
jeu sera terminé.
– Oh ! Mademoiselle Victoria, reprend Bao. Vous êtes en train de me dire
que vous êtes amoureuse ? Je tiens un scoop, on dirait !
– Bao, dit Victoria, les joues empourprées par son aveu. Vous me faites
dire ce que je n’ai pas dit ! Je dis simplement que c’est naturel de ressentir un
pincement au cœur quand on voit Louis. Et je vous l’assure, je ne suis pas la
seule. Vous le constaterez par vous-même quand vous rencontrerez les autres
filles.
– Vous voulez dire que Louis est la principale motivation de toutes les
filles ? J’aimerais comprendre, si vous le permettez.
– En réalité, la plupart des filles ne sont venues que pour gagner de
l’argent. Ou alors, elles avaient personnellement quelque chose à se prouver.
C’est évident, même si personne ne vous le dira. Mais, après quelques
rendez-vous, tout a changé. Aujourd’hui, Louis fait l’unanimité auprès des
filles restantes. Pour moi, ce n’est pas la meilleure des nouvelles, mais c’est
bien la vérité. Voici la salle où va se dérouler la réception. Souhaitez-vous
que je vous montre votre table ou puis-je vous laisser ?
La conversation s’étire. Il faut qu’elle se débarrasse poliment de ce petit
curieux.
– Merci, Victoria, votre accueil m’a enchanté. Je vais tenter de faire la
connaissance des autres invités avant de gagner ma table.
Victoria sourit aimablement et le salue d’un signe de tête. Puis elle relève
sa robe de soirée mauve et sort du salon. Encore un peu gênée par la curiosité
déplacée de ce journaliste, elle reste un moment sur le seuil pour le regarder
se diriger vers l’urne disposée à proximité du buffet. Ses questions l’ont
troublée. Pourtant, elle va devoir s’y habituer, car elle y sera forcément
confrontée après le jeu.
Pour l’heure, elle va reprendre son rôle d’hôtesse, en espérant que les
invités suivants auront plus de pudeur. Ce journaliste lui a semblé très
étrange. Visiblement excentrique, mais il y a autre chose, qu’elle ne saurait
expliquer. Elle l’observe une dernière fois siroter tranquillement son verre,
puis se dirige vers l’entrée de la villa.
***

Cassandra déambule dans la salle de réception, accompagnée de Lou.


Comme ni l’une ni l’autre ne se sont portées volontaires pour accueillir
les convives, elles boivent une coupe de champagne. Bien sûr, Cassandra est
aux aguets. Louis ne devrait plus tarder à faire son entrée.
Cassandra s’est positionnée stratégiquement. Elle a une vue parfaite sur le
hall d’entrée, et ainsi, sera probablement la première à le voir arriver, malgré
le flot de visiteurs. Un homme ne tarde pas à les rejoindre et, malgré l’air
ennuyé que Cassandra affiche pour le faire fuir, il engage la conversation.
– Bonsoir, je me trompe, ou vous faites bien partie des jeunes femmes qui
occupent la maison ?
Cassandra laisse à Lou le soin de répondre, tout en détaillant le jeune
homme de la tête aux pieds. La trentaine passée, ses cheveux sont châtain
foncé, du même ton que son élégant smoking. Elle mesure tout de suite, à
l’étoffe de sa veste, qu’il a une bonne situation. Après avoir levé les yeux au
ciel, elle arque un sourcil pour montrer son agacement.
– Effectivement, dit Lou. Et vous, vous êtes ?
Cassandra sourit. Lou est du genre direct.
– Bond… Julian Bond !
Froidement, Cassandra ramène son regard sur l’homme. Celui-ci semble
amusé. Sauf que sa petite plaisanterie est une piètre tentative de séduction.
Cela ne la fait pas rire du tout.
Elle est plus qu’habituée à ce que la gent masculine tente des pitreries
pour attirer son attention. Le plus souvent, elle prend un air blasé pour leur
répondre, afin de couper court à toute discussion. C’est ce qui marche encore
le mieux.
– Je crois, monsieur, que vous devriez essayer ce genre de plaisanterie sur
d’autres habitantes de cette maison. Elles seront sûrement ravies de les
entendre, tranche Cassandra dans un sourire faussement désolé.
– Une plaisanterie ? Mais non ! Qu’entendez-vous par là ? questionne
Julian, l’air intéressé.
Cassandra soupire. Au lieu de passer gentiment son chemin, il prend cela
comme un encouragement à poursuivre la conversation. Pourquoi faut-il
toujours qu’elle se coltine le boulet de la soirée ?
Elle fixe Lou, en un appel à l’aide silencieux. Celle-ci prend l’initiative
de clore la discussion.
– Vous devriez aller chercher un rafraîchissement près du bar. C’est un
peu plus loin, vers la rouquine, là-bas. Elle s’appelle Jessie. Je suis sûre
qu’elle sera ravie de vous servir quelque chose à boire.
Cassandra s’attend à voir partir l’homme dans la seconde, mais il reste
planté devant elles, la mine rembrunie.
Non seulement c’est un boulet, mais en plus, il ne comprend pas vite.
– Très bien, j’y vais. Mais ce que vous qualifiez de plaisanterie n’en est
pas une. J’imagine que c’est mon nom qui vous…
Cassandra s’immobilise. Être directe est une chose, mais être impolie en
est une autre.
– Attendez ! s’exclame-t-elle. Je crois qu’il y a eu un malentendu.
– Oui, on dirait bien, reprend Julian, un peu contrarié. Mais je ne vous en
veux pas, vous savez. Il est rare que les gens me croient d’emblée. Et c’est
souvent que les femmes pensent à une blague de mauvais goût, ou pire, à une
mauvaise technique de drague.
Le regard de Cassandra navigue entre le jeune homme et Lou. Celle-ci
sourit niaisement sans rien dire. Cassandra doit rapidement rattraper ce
quiproquo. Renverser la vapeur, lui montrer de l’intérêt. Cette maladresse
pourrait avoir des conséquences. Si Louis discute avec cet homme, il pourrait
lui rendre compte de son impolitesse.
– Eh bien, monsieur Bond, je m’appelle Cassandra et voici Lou. Vous
avez vu juste, nous sommes parmi les huit dernières prétendantes en lice,
reprend Cassandra. Mais parlez-nous plutôt de vous, monsieur Bond !
– Appelez-moi Julian, si vous voulez bien. Je suis venu ce soir faire un
don à une association. L’une de mes maisons de vacances se situe non loin
d’ici, alors la préservation du littoral compte beaucoup pour moi.
Lou semble manifester d’un seul coup plus d’intérêt pour l’homme. Elle
lui jette un regard entendu et Cassandra la laisse prendre la parole.
– Eh bien, vous ne serez pas déçu ce soir, minaude Lou. Les représentants
des associations vont prendre la parole chacun leur tour et expliquer leur
programme pour que vous puissiez soutenir le meilleur à vos yeux.
Cassandra perçoit de l’agitation en provenance du hall. Elle constate que
le visage des filles est tourné vers l’entrée, comme autant de papillons de nuit
hypnotisés par la lumière. Louis vient d’entrer dans la pièce, elle en est
certaine.
Elle jette un coup d’œil en direction de Lou. Elle aussi a vu Louis entrer
dans la salle. Julian Bond les interpelle.
– Vous disiez, mesdemoiselles ?
Alors que Cassandra les écoute d’une oreille distraite, Lou revient à la
discussion. Elle semble vraiment très intéressée par son interlocuteur.
– Julian, vous êtes en vacances ici, cela veut dire que vous habitez…
– À Los Angeles. C’est une ville agréable, mais bien trop grande. Du
coup, j’ai cinq ou six maisons ici et là, c’est plus pratique. J’aime beaucoup
voyager. Vous aussi, vous aimez voyager ?
– Moi ? Oui, bien sûr ! s’exclame Lou. Je pense que je voyagerai
davantage quand ma situation sera établie.
– Vous êtes encore étudiante ?
– Oui. Parce que je me suis engagée dans un long parcours.
– Aussi belle qu’intelligente, alors ! Vous faites mon bonheur ce soir.
Cassandra les observe. Lou se met à rougir, l’air gêné par les mots de
Julian Bond, ou du moins essayant de lui faire croire.
Elle secoue la tête devant l’audace de sa camarade, mais n’a pas le temps
de se poser plus de questions. C’est le moment idéal pour s’esquiver et tenter
de se rapprocher de Louis.
Elle amorce quelques pas dans sa direction, mais s’interrompt.
L’animateur demande déjà à l’assemblée de prendre place autour des tables.
Le moment des discours approche. Impossible d’atteindre Louis
discrètement. Elle ne peut que l’observer s’installer, vêtu d’un élégant
costume noir.
Cassandra peste intérieurement, mais elle reste sur le qui-vive. À la
moindre occasion, elle fondra sur lui.

***

Arrivé volontairement en retard, Louis se faufile sans regarder autour de


lui jusqu’à la première table, au bas de la scène installée pour la soirée. Bien
qu’il ait essayé d’être discret, il sent peser sur lui de nombreux regards. Au
fond, il se sent flatté de susciter autant d’attention. Mais le fait d’avoir revu
ses meilleurs amis lui a remis les pieds sur terre. À l’occasion de cette
réception, il doit faire passer les associations avant ses objectifs personnels.
L’aventure reprendra le lendemain, à huis clos.
L’animateur ouvre la soirée et, comme convenu, lui laisse rapidement la
parole. Louis se lève pour monter sur scène et s’empare du micro.
– Mesdames et messieurs, bonsoir. J’ai l’honneur de recevoir dans cette
magnifique villa de nombreuses personnes qui œuvrent pour l’action
environnementale dans le département des Alpes-Maritimes. Je voulais tout
d’abord témoigner que je leur en sais immensément gré, car c’est grâce à eux
et leurs actions admirables que je peux profiter encore aujourd’hui de ces
somptueux paysages qui ont marqué mon enfance.
L’assemblée applaudit spontanément. Louis se laisse un instant
submerger par l’émotion du public avant de continuer :
– Ce soir, je ne serai pas le seul à mettre en avant les résultats
encourageants de votre travail. J’ai la chance d’avoir en ma compagnie huit
jeunes femmes, qui ont toutes lu attentivement vos plans d’action. À la fin de
chacune de vos interventions, elles prendront la parole pour exposer leurs
ressentis face à cette problématique aiguë qu’est la protection de
l’environnement de nos jours.
Les applaudissements redoublent.
– Pour commencer, je cède la place à l’association de sauvegarde de la
faune et de la flore des Alpes-Maritimes. J’en profite pour rappeler à nos
généreux donateurs que vous pouvez, à n’importe quel moment de la soirée,
déposer vos enveloppes en mentionnant le nom de l’association choisie dans
l’urne qui se situe à ma gauche. Mesdames et messieurs, je vous souhaite de
passer une excellente soirée !
D’un geste, Louis invite la présidente de l’association annoncée, qui
commence à exposer leurs objectifs à court et à long termes. À la fin de son
discours, le micro reste inoccupé un instant. Louis jette un regard par-dessus
son épaule, se demandant s’il doit inviter l’une des filles à s’en emparer.
Presque au fond de la salle, il remarque de l’agitation. Karen et Jessie
paraissent discuter âprement, comme pour déterminer celle qui montera sur
scène. Cela le contrarie un peu, car il trouve impoli de faire attendre
l’assemblée. Il se résout à agir avant que la soirée ne tourne au fiasco.
Mais à ce moment précis, il aperçoit Cassandra se lever et se diriger
d’une démarche assurée vers le podium. Et lorsqu’il la voit avancer, il ne peut
s’empêcher de sourire et de la trouver magnifique.

***

Les filles se dévisagent, l’air perplexe. C’était à Karen de prendre la


parole en premier, mais elle reste tétanisée. Jessie s’approche d’elle
discrètement, tâchant de comprendre ce qui ne va pas. Elle lui saisit les mains
et remarque qu’elle tremble.
Jamais elle n’aurait imaginé que Karen, avec son franc-parler et son
caractère explosif, puisse être en difficulté dans ce genre d’exercice. Dans cet
état, il est certain qu’elle n’arrivera même pas à monter les marches pour
atteindre le micro. Elle avait l’air pourtant si sûre d’elle cet après-midi,
insistant pour passer la première.
Jessie soupire. Ce n’est pas la meilleure idée qu’elle ait eue. Karen a dû
s’imaginer que ce serait plus facile. Sauf qu’elle a sous-estimé les talents
d’orateur de Louis. Avec son petit discours, il a placé la barre très haut.
Louis a été d’un charisme incroyable. Jessie éprouve de nouveau un
pincement au cœur. Assurément, cet homme est hors du commun.
Mais pour l’heure, il faut qu’elle trouve une solution avant que tous les
regards ne se braquent sur Karen. Alors qu’elle essaie de la convaincre et
qu’elle lui conseille quelques exercices respiratoires de yoga, qui ont
probablement l’air ridicules vus de l’extérieur, Cassandra se lève soudain,
sans prévenir. Elle vient à leur secours, prenant la place de Karen.
Jessie est surprise par son geste.
Les filles avaient défini un ordre de passage afin de se préparer à l’avance
et de faire écho aux discours de chaque association. Cela signifie que
Cassandra se lance dans l’improvisation la plus totale. Et ce pour venir au
secours d’une de ses rivales. Qui plus est, une avec laquelle elle semble avoir
le moins d’affinités.
Jessie est agréablement surprise et se propose de réviser complètement sa
manière de considérer cette fille.
D’un pas décidé, Cassandra atteint la scène.
Pour la soirée, elle porte un tailleur-pantalon noir et un chemisier en soie
sauvage. Ses cheveux retombent sur ses épaules, donnant un air moins sévère
à sa tenue. L’ensemble lui confère une attitude plus mature qu’à
l’accoutumée.
Décidément, cette soirée est une vraie révélation. Cassandra n’est pas la
personne qu’elle a laissé paraître. Résolument mûre, altruiste… Jessie sent un
sourire incrédule se peindre sur ses lèvres. En réalité, c’est une fille bien. Et
une fille qui cache bien son jeu. Il faudra d’autant plus se méfier d’elle.
– Mesdames et messieurs, bonsoir, je me présente, je suis Cassandra
Ioannis. Initialement, c’était l’intervention de Karen que vous deviez
entendre, mais j’ai l’impression qu’elle ne se trouve pas bien. Ou peut-être
qu’elle ne se sent pas suffisamment concernée par notre problème. Car
malheureusement, tout le monde n’est pas affecté de la même manière par
cette cause qui nous est pourtant si chère ce soir. Tout le monde devrait
savoir faire preuve du don de soi quand c’est nécessaire. Toutefois, bien
entendu, nous vous prions de l’excuser. Je tiens à reprendre les grandes lignes
du très éloquent discours de madame la présidente de l’association de la
faune et de la flore…
Jessie en reste bouche bée. La seconde suivante, elle constate que
l’ensemble des invités s’est tourné vers le fond de la salle. Karen est blême,
immobile. Pire encore, elle affiche un sourire crispé. Pas une moue désolée,
mais un sourire ressemblant au début d’une crise d’hystérie. Autrement dit,
vu de l’extérieur, le tableau est loin de jouer en leur faveur. Tout le monde
s’imagine désormais que Karen, au fond de la salle, est bien trop occupée à
s’amuser avec l’une de ses petites camarades – en l’occurrence elle-même –
pour assurer son discours.
L’humiliation est fulgurante.
C’est une exécution en règle.
Cassandra poursuit sa tirade, brève et efficace, l’achevant sur une note
d’humour. Elle réussit son effet puisqu’elle regagne sa place sous un tonnerre
d’applaudissements.
En s’asseyant, cette vipère ne peut s’empêcher de sourire et de jeter un
regard par-dessus son épaule. Jessie serre les dents. Encore une fois, depuis le
début du jeu, elle sent l’appel de la vengeance lui retourner le ventre. En
d’autres circonstances, elle aurait été capable d’en venir aux mains. Jessie se
sent plus que jamais en compétition avec elle et refrène tant bien que mal une
irrépressible envie de l’écraser.
Bon an, mal an, la soirée se poursuit et arrive enfin son tour. Encore
perturbée par l’attitude infecte de Cassandra, Jessie se sent fébrile. Personne
n’a oublié qu’elle était assise à côté de Karen, et elle a peur de leur jugement.
Mais elle rassemble son courage et se lève avec une vigueur retrouvée.
Elle jette un regard circulaire dans la salle comble et avance d’un pas assuré
vers le micro.
Elle se lance, elle aussi, dans une totale improvisation et décide d’ouvrir
son cœur. Pour étayer son discours, elle insiste sur l’importance de l’entraide
et la nécessité d’un vivre-ensemble dans ce genre de cause, en fixant
brièvement Cassandra.
Malgré l’envie qui la ronge, elle ne s’appesantit pas davantage. Il sera
toujours temps, plus tard, de régler ce petit détail. À côté de ce à quoi elle
pense, le dentifrice à l’ail n’était qu’une simple mise en garde. Lui subtiliser
la place auprès de Louis sera un bien meilleur châtiment.
À la fin de son discours, elle jette un œil vers Karen, qui semble avoir
repris quelques couleurs. Mais l’incident de ce soir va laisser des traces.
Difficile d’imaginer que Karen s’en sortira lors des prochaines éliminations.
Les filles enchaînent. Léa et Victoria font une intervention brillante.
Magdalena bafouille un peu, cherchant ses mots, n’ayant pas l’habitude de
discourir devant une assemblée.
Les exposés terminés et la soirée battant désormais son plein, Jessie
remarque Louis s’approcher de Karen. Impossible de déchiffrer son air
impassible. Karen, d’habitude si explosive, se contente de baisser les yeux en
bredouillant quelque chose. Elle semble effondrée.
Jessie balaie la salle du regard. Elle croise celui de Cassandra qui, de
l’autre côté de la pièce, forme distinctement les mots « bye-bye » sur ses
lèvres.
Son désir de vengeance se ranime brusquement, et elle serre les poings. À
ce rythme, elle ne va pas tenir longtemps comme ça…
Mis à part cet événement, la réception est une réussite. Jessie préfère
s’absorber dans la rencontre avec les représentants des associations plutôt que
de s’appesantir sur les tentatives de Cassandra pour gâcher la fête.
Elle est en pleine discussion avec Magdalena quand un invité engage la
conversation.
– J’ai besoin de votre aide, mesdemoiselles, commence le jeune homme
en s’adressant à elles. Que me conseilleriez-vous ? Je ne sais quelle
association soutenir.
– Vous savez, monsieur, répond Jessie en souriant, je vous les
conseillerais toutes. Je crois qu’elles méritent vraiment qu’on les aide et faire
un choix me paraît impossible.
– Je suis bien d’accord avec vous, dit le jeune homme en riant.
Puis, se tournant vers Magdalena :
– Et vous, mademoiselle, saurez-vous être ma conseillère ?
– Je crois que vous devriez suivre vos sentiments pour faire votre choix.
Monsieur… ?
– Julian Bond. Mais continuez, je vous prie, qu’entendez-vous par là ?
Ce nom surprend Jessie, mais elle ne laisse rien paraître. Sûrement un
nom d’emprunt. Ce doit être classique dans ce genre de soirée. L’anonymat
donne encore plus de valeur au don.
Elle reporte son attention sur la conversation.
– Je dis juste, reprend Magdalena, que si vous devez en choisir une, il
faut le faire avec votre cœur, tout simplement. Car il est évident que votre
raison les choisirait toutes.
– C’est très intéressant, ce que vous dites.
– Merci, monsieur Bond.
– Mais alors, je les choisis toutes ou une seule ? Dois-je laisser mon cœur
ou ma raison parler ?
– Je crois que plus d’une personne serait intéressée par la réponse à cette
question, répond Jessie.
Elles se regardent et se sourient. Évidemment, elles pensent à Louis, au
jeu, aux éliminations.
Jessie se sent parfois comme la grande sœur du groupe, celle qui
s’accommode de toutes les filles et qui, comme elle a essayé de le faire plus
tôt, est capable de mettre la compétition entre parenthèses pour aider une
camarade. Mais désormais, elle sait qu’il faut qu’elle se dépasse et se
concentre uniquement sur son jeu de séduction. Il faudrait qu’elle ait moins
de scrupules. Ce sera le seul moyen pour aller plus loin.
Car ce soir, elle vient d’avoir une révélation. Elle veut gagner. Elle veut
la première place. Elle décidera ensuite si c’est pour Louis ou pas. Tout ce
qui compte en ce moment même, c’est d’écraser ses concurrentes.
***

Julian fait signe aux deux filles qu’il doit se rendre à l’urne et s’éloigne. Il
expire lentement. Cette soirée est sensationnelle. Se frotter à ces filles, plus
belles les unes que les autres, est une sensation délicieuse.
Il se demande comment fait Louis pour résister à ses pulsions masculines.
Pour sa part, il a déjà une ou deux préférences. Certaines sont, sans
conteste, plus avenantes et plus sincères. Et il n’imagine pas son ami au bras
d’une femme trop caractérielle. S’il ne devait s’attacher qu’au physique, sa
préférence irait à Jessie. Ses cheveux roux lui confèrent une beauté
singulière. Quant à ses yeux bleus, ils sont captivants. De quoi lui faire
regretter de ne pas s’être inscrit lui-même à ce jeu.
La soirée touche à sa fin, il ne lui reste plus qu’à rencontrer Karen. Son
regard s’arrête un instant sur Louis. Cassandra est suspendue à son bras.
Certes, ils forment un très beau couple, mais à y regarder de plus près, il
trouve que Louis est un peu distant avec elle. Cette fille est diablement
sulfureuse. L’incarnation de l’attraction.
Pour terminer sa mission, Julian met de côté ses réflexions et cherche Bao
du coin de l’œil. Celui-ci est en pleine improvisation d’une séance photo avec
trois prétendantes.
– Oui, voilà comme ceci, dit Bao. Un peu plus haut le bras. OK ! C’est
bon, je l’ai !
Il force les filles à se contorsionner pour ses prises de photos fictives. Si
les autres photographes, les vrais, ont été très discrets, Bao s’illustre par son
côté exubérant. Les invités jettent des coups d’œil amusés au petit groupe.
Julian, aussi, ne peut s’empêcher de rire en voyant Léa et Jasmine se plier de
bonne grâce aux demandes farfelues de cet original.
Après plusieurs clichés, Bao s’approche des filles qu’il vient de
photographier. Julian en fait de même, pour ne pas perdre une miette de la
scène. Il connaît bien son associé et son humour décalé.
– Alors, comment vous m’avez trouvé ? demande Bao.
Les filles se regardent, surprises par la question, mais n’osent rien
répliquer.
Julian ne peut s’empêcher de rire. Le look de Bao, avec son pantalon à
carreaux faussement hype, lui attire la sympathie de ses interlocuteurs. Tous
l’ont catalogué comme un artiste marginal prenant son rôle à cœur – et ce
n’est pas peu dire, quand on est au courant de la vérité.
– C’était super, dit Léa.
– In-croy-able, ajoute Jasmine.
– Merci, merci, reprend Bao. Vous n’étiez pas mal non plus. Bon, et si je
vous proposais un job ?
– Comment ça ? questionnent les deux jeunes femmes, soudain très
attentives.
– Disons que j’ai beaucoup de contacts avec des magazines de mode, et la
plupart du temps, ils n’aiment pas s’encombrer d’une agence. Ce qu’ils
veulent, ce sont des photos au rendu optimal, haute résolution, prêtes à
insérer sur la planche. Ils constituent comme cela une banque d’images qu’ils
peuvent utiliser à n’importe quel moment pour illustrer un sujet. Des dizaines
de milliers de photos prêtes à l’emploi. Un marché colossal.
Les filles le fixent, l’air à la fois ahuri et intéressé, sans savoir si c’est du
lard ou du cochon.
– Je disais donc, reprend Bao, que j’ai une proposition pour vous deux –
mais belles comme vous êtes, vous devez en avoir un paquet. Voilà : trois
semaines de shooting photo à Las Vegas, et si on fait l’affaire, une tournée de
trois mois pour produire à grande échelle.
– Trois mois où ? s’exclame Jasmine, l’air stressé.
– Le tour du monde, la totale !
– Pourquoi pas…, répond Léa, j’ai toujours rêvé de faire des photos de
mode.
– Vous seriez partante ?
– On pourrait échanger nos coordonnées et en reparler après le tournage,
non ? tente Jasmine.
– Alors vous, vous n’avez vraiment pas le tempérament d’une
aventurière ! dit Bao, prenant l’air pincé. C’est dommage, car avec votre
physique, je suis sûr que je pourrais vous décrocher un job aux States. Enfin,
c’est comme vous voulez. Je dois aussi avoir quelques possibilités en France,
si c’est le voyage qui vous gêne. Mais, dites donc, votre beau célibataire, il ne
vit pas en Chine ?
– Oui, bredouille Jasmine en rougissant.
– Bon, voici ma carte, les filles, dit Bao, balayant d’un revers de main la
conversation. Vous y repenserez à tête reposée. Tenez-moi au courant !
Bao se retourne pour rejoindre Julian, et ils se dirigent tous deux vers les
rafraîchissements. Comme Karen est à proximité, Julian en profite pour
engager la conversation.
Elle donne l’air d’être littéralement mortifiée. Lors des discours, plus tôt
dans la soirée, Julian a trouvé sa réaction immature. Et il sait ne pas être le
seul à avoir pensé à un caprice. Il a lu la même chose sur le visage des autres
invités lorsqu’elle a dû être remplacée par Cassandra.
C’est dommage, car elle a donné raison à tous ceux qui n’ont de cesse de
dire qu’une jolie fille n’a rien dans le cerveau.
Lorsqu’il engage la conversation, elle semble complètement ailleurs et,
de ce fait, elle répond de travers à presque toutes ses questions. Bao, qui se
tient juste à côté d’eux, le regarde discrètement en levant les yeux au ciel.
Julian la laisse rapidement s’éclipser afin d’abréger ses souffrances.
Côte à côte, les deux hommes se sourient, et Bao adresse un discret signe
de tête à l’attention de Louis. Leur mission est accomplie.

Le lendemain matin, Julian revient longuement sur leurs performances de


la soirée. Il y avait longtemps qu’ils ne s’étaient pas amusés ainsi. Bao rejoue
son personnage de photographe et Julian lui donne la réplique, en parfait
milliardaire de passage sur la Côte d’Azur.
Ils ont hâte de voir la tête des participantes lorsqu’elles vont apprendre la
vérité.
Mais plus qu’autre chose, voici venu le moment du débrief’ avec Louis.
Ils vont lui faire part de leur ressenti. Julian essaie de peser ses mots, car il
sait que son avis, ainsi que celui de Bao, aura une importance capitale. Ils se
sont d’ailleurs entendus pour l’aider dans son choix sans pour autant être
définitifs. Ainsi, ils ont opté pour une répartition en trois catégories : la
première, intitulée « bonne idée », la deuxième, « moins bonne idée », et la
troisième « vraiment moins bonne idée ».
Ce que Louis doit entendre, c’est « première catégorie : super, on adore !
Deuxième catégorie : OK ! Si tu y tiens vraiment, mais on t’aura prévenu.
Troisième catégorie : Non ? Sérieux ? Juste ici pour remporter le pactole ! »
Louis sait parfaitement lire entre les lignes, il comprendra.
Comme il s’impatiente, Julian lui rend leur verdict. Première catégorie :
Victoria, Jessie et Magdalena. Deuxième catégorie : Cassandra, Léa, Jasmine.
Troisième catégorie : Karen et Lou.
Comme pour chaque décision importante qu’ils ont prise en commun,
plus aucun commentaire ne sera fait sur le sujet.

***

Louis ne compte nullement argumenter en faveur de l’une ou l’autre fille.


Il a parfaitement confiance en ses amis. Et force est de constater qu’ils sont
en phase. Enfin, presque. S’il est totalement d’accord avec la dernière
catégorie, il n’aurait pas tout à fait composé les deux premières de la même
manière.
Une demi-heure plus tard, Louis invite Bao et Julian à aller à la rencontre
des filles, non sans vérifier auparavant une deuxième fois son apparence dans
le miroir de la salle de bains, tandis qu’ils patientent dans le hall. Quand il
ressort, ils sourient. Trop. Sans doute devant cet élan de coquetterie qui l’a
poussé à mettre un peu plus de parfum que d’habitude.
Devant la villa, Louis entre, tout d’abord seul, à pas de loup. Quand il les
trouve sur la terrasse, il les invite à passer au salon. Les filles se tendent
immédiatement. Elles ne peuvent absolument pas imaginer la raison de cette
réunion impromptue, et doivent redouter un nouveau changement de plan.
Mais, alors qu’elles sont toutes installées, Louis appelle Bao et Julian, qui
font leur entrée sous l’œil étonné des filles.
Lorsqu’il révèle leur identité, elles sont stupéfaites. Certaines rient et
apprécient la plaisanterie, d’autres sont au bord des larmes – sans qu’il puisse
comprendre pourquoi. Toutefois, une chose est sûre, c’est que toutes sont en
train de se remémorer leurs discussions avec ses associés.
Le repas de midi, pris tous ensemble afin de faire plus ample
connaissance, se déroule dans une ambiance festive. Les filles sont très
attentionnées avec ses associés.
Cette attitude lui fait plaisir, même s’il sait qu’il y a là une bonne part
d’hypocrisie. Elles savent qu’il leur faut plaire à ses associés, car ceux-ci ont
beaucoup d’influence sur lui.
Louis raccompagne Bao et Julian à leur avion en début d’après-midi.
Cette séparation l’attriste un peu. Ils lui ont manqué ; habituellement, il les
côtoie tous les jours. Alors qu’ils vont embarquer, il leur pose une seule et
dernière question :
– Est-ce que votre classement a changé depuis ce matin ?
– Han, han, fait Julian, je reste sur mes positions.
– Idem, dit Bao.
– Allez, profites-en bien, dit Julian en lui adressant un clin d’œil.
Puis ils s’engouffrent dans l’avion.
Louis revient à la villa et décide de passer le reste de la journée au bord
de la piscine avec les filles. Les prochaines éliminations auront lieu le soir
même. Ça n’a pas encore été officiellement annoncé, mais il sent que les
filles s’y attendent.
Cette après-midi, l’animateur lui a proposé de s’isoler quelques heures
dans une galerie d’art avec certaines d’entre elles. Il a été clair : lors de la
prochaine soirée d’élimination, trois filles devront quitter le jeu. Mais Louis
n’a pas éprouvé le besoin d’une sortie, il a déjà fait son choix : Léa, Karen et
Lou vont partir.
Chapitre 20

J – 2 : note pour moi-même : ne jamais sous-estimer les femmes…

Je souris en repensant à ces deux journées passées en compagnie de Bao


et Julian. Les avoir vus pendant le tournage m’a fait un bien fou. Je mesure
encore aujourd’hui la chance que j’ai de les avoir.
J’ai songé à les contacter pour discuter de la situation actuelle, mais à
quoi bon ? Je suis le seul à pouvoir remettre de l’ordre dans tout ça.
Ce matin, je suis arrivé à l’ouverture des bureaux de la production. C’est
la dernière ligne droite avant mon retour en Chine. J’ignore encore où je dois
me rendre vendredi, alors, pour me rassurer, j’imagine qu’elle sera à
l’appartement et que nous aurons cette fameuse discussion.
Installé dans mon fauteuil, dans la salle de retransmission, je sens des
douleurs me tirailler le dos. J’ai très mal dormi. Un flot ininterrompu de
questions m’a assailli toute la nuit. Plusieurs fois, j’ai pensé à prendre les
somnifères qui m’ont été prescrits, mais j’y ai renoncé pour avoir les idées
claires aujourd’hui.
J’ai l’espoir que tout s’arrange. D’être libéré de mes doutes et de ne plus
penser à cette autre fille. Je prends la télécommande et lance l’épisode
suivant. Le générique résonne dans l’obscurité.
Chapitre 21

Épisode 8
Pour toujours et à jamais ? C’est sûr que, plus que jamais, nos cinq jeunes filles restantes vont
devoir s’interroger sur leurs vraies motivations. Vont-elles choisir de garder le cap sur le cœur de
Louis ? Vont-elles céder à l’appât du gain ? Pour vous, chers spectateurs, voici l’avant-dernier épisode
de Pour toujours et à jamais !

Plus que cinq filles. Jasmine est parmi les cinq dernières habitantes de la
villa : Cassandra, Victoria, Magdalena, Jessie et elle. Elle devrait sauter de
joie devant sa performance, mais elle reste blottie dans son lit. Elle n’est pas
la seule, en cette fin de matinée. Les couloirs sont calmes, déserts.
Pas un bruit ne lui signale le réveil des autres filles.
Les éliminations de la veille ont été mouvementées. Karen et Lou sont
parties d’elles-mêmes, avec 20 000 euros chacune. La rencontre avec les
associés de Louis a marqué un tournant décisif dans le jeu. Les faux-
semblants et les faiblesses ont été impitoyables. De toute manière, Jasmine
est à peu près certaine que Louis les auraient éliminées, ce qui a été le cas
pour Léa.
Toujours aucun bruit dans la villa.
Le coucher a été plus que tardif que d’habitude et les filles ont besoin de
récupérer de toutes ces émotions. De plus, la journée qui s’annonce sera tout
à fait particulière car aujourd’hui, elles vont présenter leur famille à Louis.
Un pas de plus dans la conquête du cœur de leur héros.
Le raisonnement est imparable : avant d’accélérer les choses, il faut
vérifier que l’histoire est sérieusement envisageable. Dans les précédentes
éditions, cette rencontre n’avait pas eu lieu, ce n’est pas une obligation. Mais
Louis a opté pour ce choix. Il semble accorder énormément d’importance à la
famille. Jamais il ne leur en a parlé ouvertement, car il est très secret, mais
ses manières et sa bonne éducation semblent aller dans ce sens. Un brin
traditionaliste. En somme, jamais il ne pourrait rester avec une jeune femme
sans que sa famille ne lui donne son consentement.
Pour elle aussi, les proches sont d’une importance capitale. Pas une
journée ne passe sans un appel ou, mieux encore, une visite à la maison de
ses parents. La famille représente une source d’amour inconditionnel à
préserver coûte que coûte. Au début de l’émission, Jasmine n’était pas
anxieuse à l’idée de cette rencontre. Son objectif était juste de participer.
Force est de constater qu’elle a franchi bien plus d’étapes qu’elle n’aurait
pensé.
Aujourd’hui, la concurrence est rude et elle ne figure pas parmi les
favorites, c’est plus que certain. Elle voit bien comment Louis regarde les
autres filles. Elle ne bénéficie pas d’autant d’attention, elle n’est pas dupe.
Ce matin, Jasmine réfléchit à son futur, à ce qui se passera après le
tournage. Si elle sort finaliste du jeu, que gagnera-t-elle vraiment ? Devra-t-
elle troquer cet amour profond pour sa famille en échange d’une autre forme
d’amour, certes effusif et passionnel, mais qui, comme un brasier, risque de
se consumer un jour ? Est-ce bien ce qu’elle souhaite ?
Jasmine est tourmentée par la situation. Sa conversation avec les amis de
Louis lui revient sans cesse en tête. Pendant le repas qu’ils ont partagé
ensemble, ils ont beaucoup insisté sur le fait qu’il faudrait vivre en Chine, s’y
installer.
Elle ne s’était pas projetée si loin. Elle n’avait pas pris en compte cette
réalité, pourtant nécessaire. Louis a sa situation professionnelle là-bas, et
aussi sa vie à lui. Et cela fait toute la différence.
Quant à elle, grâce au jeu, elle a déjà gagné 40 000 euros. Une belle
somme. Bien plus que ce à quoi elle s’attendait. Qui l’eût cru ?
Elle n’en revient pas de n’en prendre conscience qu’à cet instant, mais
vraiment, jamais elle n’aurait pensé aller si loin dans l’aventure.
Elle n’est pas téméraire, un point c’est tout.
Après avoir retourné la situation dans tous les sens, elle comprend qu’une
seule option serait envisageable pour rester ici plus longtemps et s’engager
avec Louis si l’occasion se présentait : il faudrait que toute sa famille parte
pour la Chine. Cette pensée lui arrache un sourire.
Sa décision est prise.
Quarante mille euros, c’est une très belle somme.
Finalement, un peu d’agitation se fait entendre dans la villa. Jasmine est
la toute dernière à descendre, juste avant midi, et retrouve les filles attablées
en silence dans la cuisine, devant leur énième café.
Il n’y a rien d’autre sur la table du petit déjeuner. Soit les filles, comme
elle, n’ont pas d’appétit, soit elles soignent leur silhouette, les deux
hypothèses étant tout à fait crédibles. Jessie est la première à remarquer sa
valise, qu’elle interprète sans difficulté.
– Mais… qu’est-ce que tu fais ?
– Eh bien, je…
Submergée par l’émotion et le poids de ses sentiments, Jasmine éclate en
sanglots. Les filles se tournent toutes vers elle, incrédules, prenant conscience
peu à peu de ce qu’elle est en train de faire.
– Viens par là, lui dit Victoria.
Elle la fait s’asseoir tandis que Jessie reprend :
– C’est juste passager, Jasmine, un coup de blues. Prends le temps de
réfléchir.
Cassandra se racle la gorge, montrant ainsi qu’elle désapprouve la
tournure que prend la conversation.
Faisant mine de l’ignorer, Magdalena prend la parole :
– Pourquoi veux-tu partir, au juste ? Je veux dire, pourquoi maintenant ?
Les prochaines éliminations n’auront pas lieu tout de suite. Tu peux prendre
le temps.
Elle a raison. Tout change si vite, ici, que personne ne peut dire qui
restera ou qui partira.
– Disons que… j’ai bien réfléchi… et je ne me sens pas prête à aller vivre
en Chine, répond-elle entre deux sanglots.
Le silence qui suit sa réponse est éloquent. L’argument est de taille.
– C’est maintenant que tu percutes ? lui demande Cassandra, qui s’était
tue jusqu’à présent.
– Je le savais déjà, dit Jasmine, continuant de sangloter. J’avais juste
besoin de temps pour m’en rendre compte.
– OK, mais alors, pourquoi tu pleures ? Tu vas rentrer chez toi et le
problème va être réglé. Ou bien tu n’as qu’à patienter un peu, et je suis sûre
que tu seras la prochaine éliminée.
Jessie fait de grands yeux à Cassandra, mais Jasmine lui saisit le bras.
Elle a l’habitude du tact légendaire de l’impitoyable Latine.
– C’est que…, tente-t-elle pour s’expliquer. C’est difficile de se dire que
c’est fini.
De nouveau, le silence. Elle vient d’asséner une vérité qui approche à
grands pas. « Fini », un mot qui peut leur sembler improbable, mais que
quatre parmi les cinq restantes expérimenteront bel et bien.
– OK, reprend Magdalena, et qu’est-ce qu’on peut faire pour t’aider,
maintenant ?
– Tu veux peut-être réfléchir encore ? propose Jessie, sur un ton plus aigu
que d’habitude.
Jasmine lève les yeux sur elle. Jessie a changé. Le jeu l’a changée. Au
début, elle était peut-être la plus désintéressée de toutes les filles, mais
aujourd’hui, Jasmine comprend vite que sa présence lors des prochaines
éliminations pourrait bien l’arranger. Rongée par le doute, Jessie craint d’être
la prochaine sur la liste noire de Louis. En bref, elle est prête à la jeter en
pâture si cela lui permet de franchir le prochain palier.
Et elle, naïve, qui pensait s’être fait des amies…
– Non, non. Je veux partir. Maintenant, si possible.
– Sans prévenir Louis ? Il n’est peut-être pas loin, il pourrait sans doute
venir, s’exclame Victoria, les yeux écarquillés.
Jasmine sourit. Encore un espoir de croiser Louis qui s’envole pour elles.
– Écoutez, achève-t-elle, ma décision est prise. Sincèrement, je vous
souhaite bonne chance. Au revoir, les filles.
Elle s’arrête, jette un regard aux quatre filles devant elle, puis reprend :
– Louis a su faire les bons choix. Il n’y a pas de doutes
Alors, la compétition s’interrompt. L’amitié et la sympathie reprennent
naturellement le dessus. Les filles l’embrassent les unes après les autres pour
lui dire au revoir. Jasmine n’est plus une rivale pour elles.

***

Quand il apprend la nouvelle, Louis est tout d’abord surpris, mais en


écoutant les explications rapportées consciencieusement par Victoria, il opine
immédiatement.
Jasmine a douté de ses motivations. Dans ce cas, il valait effectivement
mieux qu’elle parte. De ce point de vue, le concept du jeu est parfait. Louis
n’a que peu de regret.
Peu après, l’animateur vient leur rendre visite pour leur expliquer le
programme de la journée et officialiser le départ de Jasmine.
L’après-midi est consacré, comme prévu, à la rencontre de leurs familles
respectives, et dès le lendemain, elles partiront chacune à tour de rôle pour
passer une journée entière avec lui.
Les filles sautent littéralement de joie, ce qui le fait rire. Cet
enthousiasme à l’idée de passer du temps en sa compagnie le galvanise à
chaque fois.
Louis doit rencontrer la famille de Victoria en premier.
Le timing est très précis pour chaque rencontre. Seul, dans un premier
temps, avec les proches de sa future possible promise, celle-ci doit les
rejoindre au bout d’une demi-heure.
Son premier rendez-vous se déroule dans une petite brasserie située à un
kilomètre de la villa, au cœur du village.
Les cloches de l’église sonnent tout juste 14 heures tandis que Louis
patiente devant un café. La chaleur estivale et le chant des cigales ravivent les
souvenirs de son enfance, plus enchanteurs encore que la madeleine de
Proust.
Il se sent parfaitement détendu, pour preuve la tenue du parfait vacancier
qu’il a choisie. Un bermuda et un polo blanc, vêtements décontractés qu’il ne
porte que très rarement.
Comme il n’y a pas foule, son attention se porte sur un quinquagénaire
qui s’arrête devant le troquet, l’air hésitant. Quand il se poste tout près de sa
table, Louis se lève pour le saluer, un peu perplexe, mais ayant compris qu’il
s’agissait d’un des proches de Victoria.
– Louis ? Bonjour, je suis le père de Victoria.
– Bonjour, monsieur, bredouille-t-il mal à l’aise.
Il s’attendait à rencontrer les parents des quatre jeunes femmes, mais il
n’avait pas pensé se retrouver seul avec le père de l’une d’entre elles.
D’autant que l’homme en question paraît bougon, cherchant sans doute à
intimider n’importe quel jeune homme qui aurait des vues sur sa fille.
Mais contre toute attente, la conversation qui suit est agréable, sans
langue de bois. Quelque chose de sincère qui lui en apprend beaucoup sur
Victoria.
Après avoir perdu sa mère il y a quelques années, Victoria a mis de côté
toute vie sociale, en particulier sa vie sentimentale, pour exceller dans ses
études.
S’inscrire à ce jeu a été une décision extrême pour elle, mais aussi une
manière de casser la routine dans laquelle elle s’était engluée.
Louis se souvient de leur rendez-vous à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Victoria
lui avait dit ne pas avoir beaucoup voyagé, trop absorbée par ses études. Elle
n’avait pas évoqué la vraie raison.
Il trouve sa pudeur exceptionnelle au vu de son jeune âge. Et c’est un
autre point commun qu’il se découvre, en plus de leurs études.
Quelques minutes plus tard, la jeune femme les rejoint, l’air très
anxieuse. La demi-heure a filé.
Aujourd’hui, elle porte un chemisier violet et un short en jean. Ses
cheveux sont tirés en arrière pour lui donner un air plus mature et un léger
maquillage vient rehausser son teint de pêche. Louis lit un amour
inconditionnel dans le regard de son père. La scène est d’une tendresse
déconcertante.
Les proches ne savent pas exactement où en est le tournage. En guise
d’introduction, Victoria mentionne qu’elle est dans les quatre dernières en
lice, sans détailler sa relation avec Louis. Son père souligne l’évidence de la
situation : il ne pouvait en être autrement car Victoria est une femme sublime.

Le rendez-vous suivant est plus explosif en la présence des deux sœurs de


Cassandra. Ce qui lui permet de se rendre compte que cette dernière est sans
doute la plus tempérée de la famille. D’ailleurs, elles ne tarissent pas d’éloges
sur elle.
Louis les a retrouvées devant la fontaine, située sur la place centrale du
village, à seulement quelques centaines de mètres de la brasserie. Il en a
profité pour marcher un peu, essayant de faire le vide dans son esprit.
L’avantage, avec la famille de Cassandra, c’est qu’il peut laisser sa nature
peu loquace reprendre le dessus. Les jeunes femmes parlent sans interruption,
se coupant la parole l’une à l’autre.
Cassandra a de qui tenir. Ses deux grandes sœurs sont de très belles
plantes. Sans doute un gène qui se transmet en même temps que le nom.
Prometteur, s’il envisage une famille.
Une demi-heure plus tard, Cassandra les rejoint. Le regard des trois filles
se croise et elle se fige. L’espace d’une seconde, Louis peut lire en elle à
cœur ouvert. Un moment unique dont il profite pleinement.
Le regard de la jeune femme navigue entre lui et ses sœurs. Le tableau
fait briller ses yeux d’une lueur particulière, douce, presque maternelle. Une
expression nouvelle pour la sulfureuse Latine.
Louis est face à ce paradoxe qui caractérise Cassandra : est-elle sûre
d’elle, impitoyable et féroce, ou n’est-ce qu’une carapace ?
En Corse, il a penché pour la seconde option. Mais comment peut-il en
être sûr ?
Les filles de la villa n’arrêtent pas de lui rapporter ses agissements. Si, au
début, il a trouvé cela puéril, il a fini par en être gêné. Il ne voudrait pas se
méprendre sur les intentions de la jeune femme et se retrouver seul devant
l’autel au moment de l’échange des vœux.
C’est très émue que Cassandra enlace ses sœurs. Elle embrasse Louis sur
une joue, preuve d’une évidente complicité, et s’assoit à ses côtés. Ses sœurs
échangent des regards entendus en les dévisageant.
Louis ne cherche pas à contester. Il se sent bien.
– Que vous êtes beaux !
– Oh ! Oui, c’est ça ! Vous êtes magnifiques !
– On a déjà dû vous le dire, non ? reprend la première.
– Pas besoin de leur dire, ça crève les yeux, coupe la seconde.
– C’est incroyable de se rencontrer comme ça, hein ?
Elles ne tarissent pas d’éloges pendant cinq bonnes minutes. Pendant ce
temps, Cassandra regarde Louis en souriant. Elle aussi s’amuse de ce
spectacle et lui lance des regards tendres. Louis a envie de la prendre dans ses
bras.
Puis la conversation repart à quatre. Les sœurs de Cassandra expliquent le
parcours de leur cadette, sa réussite professionnelle, son ambition. Ce qui fait
de nouveau émerger une question dans l’esprit de Louis : Cassandra est-elle
attirée par sa personne ou bien par sa situation professionnelle ? Comment
réagirait-elle si, d’un seul coup, ses affaires ne marchaient plus aussi bien ?
S’en irait-elle ?
Cassandra le laisse difficilement partir pour son rendez-vous suivant. Elle
le retient auprès d’elle avec une poigne qui le déconcerte presque. Si, parfois,
elle peut être agneau, c’est incontestablement une tigresse.
Cette fois-ci, il retourne à la villa, où il prend place au fond du jardin pour
attendre les proches de Jessie. Ce sont ses deux meilleures amies qui se
présentent. Louis est surpris, presque vexé que Jessie n’ait pas choisi de lui
présenter un membre de sa famille.
La discussion s’engage, et elles lui posent plusieurs questions pertinentes.
Elles s’intéressent à ses valeurs, sa vision du couple et sa manière de
surmonter les difficultés de la vie. Louis tente d’y répondre franchement,
mais sans faire référence à son passé, préservant comme à son habitude son
jardin secret. L’une d’entre elles n’est pas dupe et l’interroge sans détour.
– Avez-vous évoqué votre vie avec Jessie ?
– Oui, répond Louis sans réfléchir. Elle connaît ma situation
professionnelle, l’endroit où…
– Non, je veux parler de choses plus profondes, coupe-t-elle sans
attendre. Des choses qui vous racontent, comme, par exemple, votre enfance,
ou des détails importants de votre vie.
– Euh, non. Nous n’avons pas parlé de nos histoires personnelles.
– Et avec les autres filles ? demande-t-elle encore.
– Non plus. Disons que je n’en suis pas encore au stade des confidences.
– Ah ? Pourtant, vous n’êtes qu’à quelques jours de faire un choix qui va
vous engager pour la vie. Et Jessie, vous a-t-elle parlé de sa vie ?
– Non plus, répond Louis, touché par cette observation.
Les deux amies changent de sujet tandis que Louis digère la remarque.
Indéniablement, il va falloir qu’il s’ouvre davantage et accepte de révéler une
partie de son jardin secret pour en recevoir autant.
Pour l’instant, tout n’est que sensations, mais il lui faut aller plus loin
pour construire quelque chose qui ne soit pas éphémère. Il veut une histoire
stable et pérenne.
Jessie arrive peu après, alors que la conversation a bifurqué vers
l’installation de Louis en Chine et les avantages du pays. Elle porte une robe
beige toute simple, mais qui met en valeur la blancheur de sa peau. Ses yeux
bleus sont soulignés par un unique trait de khôl et ses cheveux sont lâchés,
flottant au vent. Le cœur de Louis se serre devant tant de beauté.
Elle embrasse chaleureusement ses amies puis s’assoit à ses côtés, lui
adressant un sourire complice.
La conversation reprend et Louis remarque que Jessie est très à l’écoute.
Lorsqu’elle prend la parole, elle ponctue la discussion d’une plaisanterie, afin
de mettre tout le monde à l’aise. Pour Louis, ce sont des signes qui prouvent
que, naturellement, elle est pleine de bonnes intentions.
Contrairement aux autres filles, il la retrouve telle qu’il la connaît. Son
attitude ne change pas en présence de ses amies. Cette sincérité lui plaît. Tout
paraît couler de source avec elle. Elle est tel un long fleuve tranquille. Mais
est-ce bien de cela qu’il a envie ?

Dernier rendez-vous de l’après-midi : la famille de Magdalena. Lorsqu’il


retrouve son frère et son meilleur ami dans le salon de la villa, il tente de
dissimuler sa surprise. Comme lors de sa rencontre avec le père de Victoria, il
s’attendait à davantage de présence féminine. Il ne peut s’empêcher de
s’interroger. Est-ce le reflet d’un trait de caractère ?
Il obtient sa réponse au cours de la discussion. Visiblement, Magdalena
s’entend mieux avec la gent masculine. En creusant un peu le sujet, il
comprend que, selon eux, c’est son caractère, direct et impulsif, qui ne colle
pas très bien avec les autres filles. Il se rassure en se faisant la remarque
qu’elle s’est très bien accommodée des autres demoiselles de la villa. Mais
est-ce uniquement parce que la cohabitation lui a été imposée ?
Et si elle est capable de dissimuler une partie de sa personnalité, cache-t-
elle autre chose ? Notamment, son véritable objectif en s’inscrivant au jeu ?
Par ailleurs, il redoute qu’elle se fasse difficilement des amis. Certes, il
n’est pas entouré que de filles, loin de là, mais dans son idéal un peu vieux
jeu, il espérait que sa future femme se trouverait des amies parmi leurs
compagnes. Et cela semble compromis.
Magdalena est la première fille que Louis a embrassée, et il ne regrette
pas du tout son geste. Il se sent sur la même longueur d’onde qu’elle, et c’est
ce sentiment qui lui a donné envie d’aller plus loin.
Lorsqu’elle les rejoint, Magdalena embrasse son frère et salue son ami,
Noah, l’air un peu tendue. Un léger malaise semble flotter dans l’air. La
discussion se poursuit, sans qu’il puisse davantage comprendre ce sentiment.
De ce fait, cette rencontre lui laisse une sensation désagréable.

Louis est maintenant étendu sur le canapé, dans son salon. Il se passe et
se repasse en boucle l’ensemble de ses rendez-vous. Cet après-midi, il a vécu
quatre moments intenses, riches d’enseignements sur les filles. Et parmi ces
gens se trouvent ceux qu’il côtoiera plus tard.
Ses pensées sont sens dessus dessous. Le doute ronge ses réflexions. Pour
certaines, la question de leur véritable motivation le taraude encore.
À ce stade du jeu, Louis sait que l’une d’entre elles est la bonne. Il est
d’ailleurs surpris par cette absolue conviction. Parce que son ultime choix
n’est pas fait. Il a encore besoin de temps.
Il expire longuement.
Conscient de vivre à deux cents à l’heure, Louis s’endort en contemplant
le mur où ne restent que quatre posters. Les prochains jours vont être décisifs.
Chapitre 22

Elle serre la télécommande contre son cœur après avoir mis sur pause.
Revoir ainsi ses proches lui est difficile. Ils sont venus pour la soutenir et
parce qu’ils ont cru en ses choix. Et jusqu’à présent, elle ne les a jamais
déçus. Alors comment se sortir de cette situation aujourd’hui ?
Elle a besoin d’un répit avant de visionner les quatre derniers rendez-
vous. Une journée entière…
Elle se souvient parfaitement de sa journée à elle, de l’intensité de ce
qu’elle a connu ce jour-là. Elle s’attend à ce que les autres aient connu
quelque chose d’aussi sulfureux. Cela lui garantit des images douloureuses.
Elle a réussi à faire abstraction de sa rivale pendant la dernière heure de
visionnage. Sa présence devient vraiment difficile à supporter. Le fait que
Louis paraisse extrêmement sensible à ses charmes lui donne encore la
nausée. Comme si ces six derniers mois n’étaient qu’un tissu de mensonges.
Par chance, cette dernière ne cherche pas à entamer la conversation. Elle
sourit, comme perdue dans ses pensées. Comme si elle était impatiente de
voir la suite. Sans doute une manière de la narguer. Elle est tellement sûre
d’elle, de tout ce qu’elle avance.
Elles se regardent un instant, sans prononcer un mot. Son cœur se serre.
Elle a le sentiment qu’elles se comprennent de plus en plus. Et c’est
effrayant, car il y a à peine deux jours, elle pensait être à la merci de cette
femme folle à lier.
Non, décidément, elle a trop supporté, trop subi pour pouvoir être avec
lui. Et ces images en sont la preuve.
Elle ne peut pas abandonner, elle ne peut pas reculer. Il faut aller jusqu’au
bout…
Chapitre 23

Épisode 9
Voici venir le dernier épisode de Pour toujours et à jamais ! Les filles ne sont plus que quatre à
convoiter le cœur du beau célibataire. Et si elles semblent sûres et certaines de leur choix, notre beau
célibataire, lui, ne sait pas encore sur quel pied danser. Dans cette dernière ligne droite, les filles vont
devoir user de tous leurs atouts pour remporter ce jeu de chaises musicales…

Premier rendez-vous

– Une journée à Madrid ! s’exclame Victoria.


Les filles lui sourient pour manifester un fugace élan de sympathie, mais
ne prennent pas la peine de lui répondre. Une journée entière avec Louis…
Victoria en rêvait. Elle comprend que les filles ne vont pas sauter de joie. Il y
a quelques jours, elles auraient pu être plus encourageantes, mais désormais,
chaque minute est décisive.
Victoria se laisse accompagner par Jessie. Sur le seuil, malgré tout, celle-
ci lui souhaite un bon voyage. Victoria sourit. Jessie doit redouter la journée,
entre Cassandra et Magdalena.
Après le dentifrice à l’ail, Cassandra a riposté par de la harissa dans la
crème pour le visage. Qui sait ce qu’elles vont pouvoir imaginer
aujourd’hui ?
Victoria patiente alors qu’elle entend au loin le vrombissement de la
voiture qui vient la chercher. Cette aventure prend une tournure vraiment
agréable, et son cœur, tambourinant dans sa poitrine, lui rappelle l’intensité
de chaque moment depuis le début du jeu.
L’idée de s’y inscrire lui est venue soudainement. Ce n’était pas un projet
mûrement réfléchi ou une envie de petite fille de jouer au prince et à la
princesse. Pas même une manière de gagner de l’argent. Même si cette idée a
fait son chemin pendant son séjour à la villa.
D’une certaine manière, ça a été sa bouée de sauvetage. Ces dernières
années n’ont pas toujours été simples. Après la disparition tragique de sa
mère, son père et elle ont essayé de continuer à vivre comme si de rien
n’était, mais au fond, c’était pire encore. Un jeu de dupes à laquelle on se
prête durant la journée avant de s’effondrer le soir, à l’abri des regards.
Chaque journée leur rappelait de manière lancinante son absence.
Avant de partir en études supérieures, la situation était devenue si
oppressante qu’elle était à deux doigts de péter les plombs. Toutefois, faire
table rase n’était pas ce qu’elle souhaitait – même si elle doit reconnaître
qu’il s’agit d’une méthode tentante pour se reconstruire.
Elle s’est contentée de rester la jeune fille modèle qu’elle était, sacrifiant
tous les plaisirs à ses études et à son avenir professionnel. C’est ainsi qu’elle
a fait son deuil. À force de discipline, de résolution, se forgeant une
personnalité solide et tenace, s’entêtant à lire et relire ses manuels de droit
alors que d’autres consolidaient leur complicité mère-fille au gré d’escapades
en famille. C’était sa manière à elle d’avoir un objectif dans la vie.
Seulement, quelques années plus tard, quand sa vigilance est retombée,
elle a senti sa carapace se fissurer. Il lui a fallu du temps pour comprendre ce
qui se passait, prisonnière inconsciente de cette personnalité créée de toutes
pièces pour supporter la douleur. Mais la fougue de la jeunesse ne supportait
plus d’être entravée. Elle cherchait à reprendre sa place, coûte que coûte. Son
corps lui témoignait une fulgurante envie de vivre.
Elle s’est inscrite au jeu sur un coup de tête. Elle voulait expérimenter
quelque chose d’intense et de radicalement différent. Quand la production lui
a signifié qu’elle était retenue, elle en a sauté de joie. C’était le signe qu’elle
espérait ! Le début de son aventure à elle, qui lui permettrait de tirer un trait
sur son passé.
Elle ne savait pas du tout à quoi s’attendre, ni à propos du jeune homme,
ni concernant les autres filles. Mais à l’évidence, elle le constate aujourd’hui,
elle a su se tailler une place de choix dans l’aventure.
Victoria s’élance pour rejoindre la voiture sous une pluie battante, ce qui
ne sape en rien son moral d’acier. Alors qu’elle s’engouffre dans le véhicule,
elle manque de s’asseoir sur des genoux résolument masculins. À sa grande
surprise, Louis est déjà installé sur la banquette arrière. Elle rougit
brièvement puis, transportée de joie, lui saisit la main.
Louis semble amusé par la situation et presse sa main dans la sienne.
Il lui explique le programme de la journée. Jet privé et arrivée aux
alentours de midi, déjeuner et visite de la ville – où le soleil et 30 degrés les
attendent – puis, arrêt à la Plaza Mayor, avant leur retour.
Victoria est émerveillée. Même si elle sait que Louis n’est pas celui qui a
organisé leur escapade, elle aime ces égards qu’il a pour elle. Les regards
qu’il lui adresse sont empreints de tendresse.
Cependant, elle essaie de tempérer son exaltation. Elle a trop conscience
de la différence d’âge entre eux et elle ne veut pas que cela se ressente. Elle
doit adopter un comportement mature pour canaliser sa fougue. Elle n’a
jamais vu Madrid et la perspective de cette journée l’électrise. Elle aborde
son rendez-vous avec la furieuse envie qu’il soit mémorable.
Ils prennent l’avion à l’aéroport de Nice. Dans leur luxueux jet privé, ils
peuvent continuer à converser avec les agréments d’un service de première
classe. Victoria lui parle du travail qu’elle aimerait décrocher à la fin de son
cursus : intégrer un cabinet de juristes pour le compte d’entreprises ou
d’associations, et elle lui demande si cela lui semble réalisable en Chine.
Louis est légèrement décontenancé par cette demande presque sans
détour, mais il lui répond en l’encourageant.
– Oui, sans aucun doute. C’est un domaine dans lequel j’ai de nombreux
contacts.
Et le reste du trajet est plein de promesses.

Arrivés à Madrid, ils se dirigent vers l’accueil d’une agence de véhicules


de location. Le dépaysement linguistique plaît énormément à Victoria, en
particulier quand Louis se met à parler espagnol.
– Buenas tardes ¿Es posible alquiler un coche?
– Si, cierto. El coche ya está en el aparcamiento. Aprovechen ! lui répond
l’hôtesse d’accueil.
– Muchas gracias.
Victoria est aux anges. Elle a toujours rêvé d’assister à ce genre de scène,
de se retrouver en compagnie d’un beau jeune homme capable de parler
plusieurs langues.
Louis conduit admirablement bien et se faufile dans la circulation dense
de la capitale. Victoria n’en peut plus de sourire, prête à glisser une main
possessive sur la cuisse de Louis.
Au lieu d’enclencher la climatisation, Louis active le système pour
décapoter la voiture. Et c’est ainsi qu’ils arrivent devant les portes d’un
établissement haut de gamme.
Victoria se félicite du choix de sa tenue, chic et qui affiche son penchant
ultraféminin. Quand elle a eu connaissance de sa destination, elle a opté pour
une courte robe rose, mais pas trop près du corps afin d’être à l’aise pour
marcher. Une ceinture nouée à la taille lui donne un côté sophistiqué, tout à
fait approprié pour le genre d’établissement devant lequel ils viennent de
s’arrêter.
Elle a également mis ses chaussures préférées, violettes à talons
compensés. De cette manière, elle a réussi à associer confort et élégance.
Un voiturier ouvre la portière de Louis et celui-ci s’empresse de faire le
tour du véhicule pour l’accueillir. Tant de galanterie lui serre le cœur, mais
elle n’est pas surprise. Son premier rendez-vous lui avait déjà permis de se
rendre compte de cet aspect de sa personnalité. Il est décidément adorable !
Tous deux impressionnés par la splendeur de la décoration, ils ne
prononcent pas un mot jusqu’à ce qu’on les installe. Leur table est située sur
un balcon surplombant la salle, de quoi ménager encore leur intimité.
– Tu as faim, j’espère ? Parce que moi, oui, lance-t-il.
– Un peu, répond Victoria en s’emparant de la carte. Je suis sûre que tout
doit être très bon ici.
– Ah non ! Cette fois, il faudra manger pour de vrai, interdit de picorer !
Elle s’amuse de cette remarque et rougit.
– Désolé, reprend Louis, je ne voulais pas te gêner.
– Non, au contraire, cela me touche que tu te souviennes de ce genre de
détail.
– Oh ! C’est bien naturel. Pourquoi est-ce que j’aurais oublié ?
Victoria rougit de plus belle. Soutenir le regard de Louis est à proprement
parler impossible. Elle sait bien pourquoi elle a des papillons dans le ventre.
C’est pour ce « Et si… ». Et s’il la choisissait, elle ?
Si seulement cette journée pouvait durer éternellement…
– C’est beau, en tout cas, cette manière de montrer aux gens qu’ils
comptent.
– Tu sais, c’est avant tout mon côté observateur. J’ai toujours pensé que
c’est au travers des détails qu’on peut vraiment apprendre à connaître
quelqu’un.
– Toi, tu as quelques anecdotes en tête ! tente Victoria en riant.
– Rien de particulier. Mais j’ai d’autres détails en tête te concernant, si tu
veux tout savoir.
– Très bien, fait Victoria. Alors, je t’écoute.
– Uniquement si toi aussi tu joues le jeu. Tu dois bien te rappeler une ou
deux choses me concernant.
– Oh ! Monsieur est joueur ?
– Pas tellement, en fait. Ça aussi, c’est l’un de mes traits de caractère. Je
ne joue pas, sauf si je sais d’avance que je vais gagner.
– Dans notre cas, ne serait-ce pas un peu prétentieux ?
– Ah, car mademoiselle pense être une adversaire de taille ? reprend
Louis en lui adressant un regard espiègle.
Victoria rougit encore. Décidément, elle risque d’être en perpétuelle
tachycardie aujourd’hui, si la conversation continue sur ce ton. De toute
évidence, il faut qu’elle donne le change. C’est l’instant ou jamais de montrer
qu’elle est une vraie séductrice.
– Parfaitement ! Mais qu’est-ce que je vais y gagner ? demande-t-elle
avec un air faussement innocent.
Bingo ! Louis, amusé, se redresse sur son siège. À ce moment-là, le
serveur s’approche pour prendre leur commande. L’air est chargé
d’électricité. D’ondes sensuelles et enveloppantes.
Les deux hommes échangent quelques mots en espagnol. Le serveur note
et s’éloigne, les laissant dans leur bulle.
– Je me suis permis de commander pour nous deux.
– Bien, j’espère que tu as pris quelque chose de consistant, car j’ai
soudainement faim. Vraiment… très faim.
Louis lui sourit avec un petit hochement de tête. Il a l’air d’avoir compris
la repartie.
– J’ai cru comprendre que tu souhaitais qu’il y ait quelque chose à
gagner ?
La conversation est à nouveau interrompue par le serveur qui leur apporte
du vin. Naturellement, il sert Louis, qui porte son verre à ses lèvres sans la
lâcher du regard.
Victoria, se sentant rougir encore, détourne les yeux. Lorsqu’il la scrute
ainsi, avec son regard azur, elle a l’impression qu’il la sonde entièrement.
Elle sent qu’il teste ses limites. Il lit en elle avec une facilité
déconcertante. Elle doit le surprendre. C’est la clé. Et ainsi, elle pourra
décrocher son cœur.

***

Louis l’observe rougir une fois de plus de l’autre côté de la table. Il adore
ça. Constater l’effet qu’il a sur elle est tout simplement grisant. Il aime
particulièrement jouer à ce petit jeu avec Victoria, car c’est une fille très
sensible. Contrairement aux autres, elle semble avoir peu d’expérience dans
le domaine de la séduction. Louis se plaît à aller chaque fois plus loin sur ce
terrain-là. Il ne cesse de souffler sur les braises. Bien que novice, il sent
qu’elle acceptera de jouer avec lui, tant la tentation est forte.
– Oui, souffle-t-elle en reprenant la conversation là où ils l’avaient
laissée. Voici les règles du jeu : tu me poses une question sur toi, j’y réponds.
Si j’ai raison, tu réponds à la même question à propos de moi. Après, ce sera
mon tour de poser une question, et ainsi de suite.
– Très bien, mademoiselle, entendu ! On répond tous les deux aux mêmes
questions.
– C’est ça. À toi l’honneur !
– Une minute, je ne sais toujours pas ce que je vais gagner, chuchote
Louis en se penchant par-dessus la table.
Il soupçonne qu’elle a une idée très précise de ce qu’elle attend de lui,
mais va-t-elle oser le lui dire ? Il apprécie de plus en plus le petit jeu qu’elle
vient d’inventer.
– Comme c’est moi qui vais gagner, ça n’a pas d’importance. Je te dirai
plus tard ce que j’ai choisi, dit-elle d’un air faussement insolent.
– Plus tard… aujourd’hui ?
– Bien sûr. Disons que je vais gagner un joker, valable uniquement
aujourd’hui, utilisable dans n’importe quelle condition, à n’importe quel
moment de la journée.
L’idée plaît beaucoup à Louis. Il trouve même que c’est brillant, car
l’après-midi s’annonce agréable et un joker pourrait le rendre magique. Il
s’est laissé entraîner dans ce flirt, mais a bien l’intention de ne pas repartir
bredouille.
Auparavant, ses instincts de séducteur étaient bien plus modérés, plus
dans la retenue, plus subtils. Mais au gré de l’aventure, il a ouvert les vannes,
laissant s’exprimer chacune de ses envies.
– Très bien. Alors, commençons ! fait-il avec une impatience non
dissimulée. Quelle est ma couleur préférée ?
– Le bleu, dit Victoria sans aucune hésitation.
– C’est vrai, répond Louis en écarquillant les yeux. Et je ne crois pas te
l’avoir dit, si ?
Sa carte a toujours été celle du mystère. Depuis le début. Pour fausser les
pronostics, leur donner envie de jouer.
– Hop, hop, hop ! Monsieur, vous enfreignez les règles ! Pas d’autres
questions, c’est à vous de répondre. Quelle est ma couleur préférée ?
– Le violet, dit Louis sans se démonter devant cette adversaire féroce.
– Bien joué ! À moi de poser une question maintenant. Quelles sont les
langues étrangères que je parle ?
– Hum… Anglais, allemand…
– Raté.
– …et italien ! s’exclame Louis.
– Bravo ! Mais comment… ?
– Chut ! Pas d’autres questions, je te prie, coupe Louis dans un grand
sourire. À ton tour !
– Eh bien, je dirais anglais, espagnol et chinois.
– Bien vu, mademoiselle ! Ma question : dans quel département suis-je
né ?
– Les Alpes-Maritimes.
Il hésite. Il sourit. S’il ose lui laisser l’avantage, il pourrait bien décrocher
plus que ce qu’il pourrait imaginer ; la surprise de voir de quelle manière
cette jeune femme apprentie séductrice utilisera son joker. Alors, il décide de
la laisser gagner. Ce n’est pas son département de naissance, mais celui où il
a passé son adolescence. Elle n’a pas remarqué qu’il n’a pas une once
d’accent du Sud. Mais elle a été tellement perspicace sur les deux premières
questions qu’elle mérite largement son laissez-passer.
– Bravo, encore réussi !
– Et moi ?
– Le Pas-de-Calais.
– Raté ! C’est le Nord. Ah ! Monsieur a perdu. Vous m’en voyez
affreusement désolée.
Elle sourit, l’air surprise d’avoir gagné, avant de faire semblant de
s’essuyer le front, mimant un intense effort. À ce moment-là, Louis la trouve
absolument craquante.
– À nous, monsieur ! dit-elle en levant son verre de vin.
– À nous deux, mademoiselle.
La conversation se poursuit. Le temps file à vive allure. Ils reparlent de
leur jeu un peu plus tard, car Louis tient à savoir comment elle a su pour le
bleu. Il n’aime pas qu’on puisse mettre le nez dans ses dossiers personnels.
Déformation professionnelle.
Elle lui explique que c’est grâce à son expression quand il a vu la mer
lors de leur premier rendez-vous.
– Tu avais l’air… amoureux, lui dit-elle. Les femmes connaissent ce
regard parce que…
Elle s’arrête. Elle rougit.
Louis se souvient de ce moment. Est-ce le regard qu’une femme voudrait
que l’on pose sur elle ?
À son tour, Louis s’explique aussi pour l’italien : il avait repéré le
pendentif en forme de botte ornant la chaîne autour du cou de son père. Un
signe évident pour qui sait observer. Victoria reprend la parole. Bien que
vivant dans le Nord, son père a toujours gardé autour du cou ce collier, offert
par sa grand-mère originaire des Abruzzes.
Après leur repas raffiné, ils flânent un peu dans les rues de Madrid.
Tout naturellement, Louis pose son bras sur les épaules de Victoria. Il
veut aller plus loin. Il veut tester. Mais doucement. Pour profiter de chaque
centimètre de terrain, gagné seconde après seconde, et pour ne pas brusquer
Victoria, qui s’est toujours montrée plus pudique que les autres filles.
Envahir son espace intime est une sacrée étape supplémentaire, et il veut
se montrer respectueux. Il jette un œil dans sa direction après l’avoir
embrassée sur le front et constate que son geste est accueilli par un sourire
resplendissant.
Ils s’arrêtent devant une galerie d’art et décident d’un commun accord
d’y entrer. Ils échangent à propos de leurs goûts en matière de peinture, puis
évoquent plus généralement la décoration intérieure. Tout naturellement, la
conversation bifurque vers le logement de Louis.
– C’est comment, chez toi ?
– C’est un grand appartement, tout près du centre-ville.
– Et puis ? retente Victoria que sa réponse évasive ne satisfait pas.
– Et puis quoi, mademoiselle ? dit Louis en lui souriant et en resserrant
un peu plus son bras autour d’elle.
– Quelles couleurs ? Comment sont les meubles ? Combien de pièces ?
Moi, c’est rapide : j’ai une chambre, dix mètres carrés, et pourtant, je suis
sûre que je pourrais en parler pendant des heures. Alors, dis-moi !
– OK, dit Louis, qui ressent comme un pincement désagréable en
repensant à l’âge de sa compagne du jour. Alors… C’est grand… C’est près
du centre-ville…
– Mais, tu te moques de moi ! s’exclame Victoria en explosant de rire.
Comment veux-tu que je choisisse, mettons, un tableau, si je ne sais même
pas à quoi ça ressemble chez toi ?
– Oh ! Je n’avais pas compris qu’on s’occupait de refaire la décoration de
mon appartement !
Ils s’arrêtent devant une peinture représentant un diamant taillé en forme
de coussin, une pierre à la renommée mondiale. Ils restent une minute à
contempler cette œuvre, tous deux muets.
Victoria se tourne dans sa direction, une drôle de lueur dans le regard.
– Tu crois que c’est un signe ?
Louis jette un coup d’œil au panonceau, cherchant confirmation. C’est
bien ce qu’il pensait. Il s’agit du diamant Hope, exposé au musée d’histoire
naturelle à Washington.
Victoria continue à le fixer, visiblement ravie.
– Je ne sais pas, fait Louis, énigmatique.
Lors de la finale, il remettra une bague de fiançailles sertie d’un diamant.
Mais si cette peinture peut effectivement être une allusion à la victoire, elle
n’est alors pas un bon présage, contrairement à ce que pense Victoria.
La légendaire histoire du diamant Hope lui revient en tête. Dès sa
découverte sur la statue d’une déesse hindoue, un halo macabre a enveloppé
chaque personne ayant tenté de posséder cette pierre. Mythe ou réalité ? En
tout cas, cette magnifique pierre précieuse s’est vue attribuer le nom de
« diamant maudit » durant les siècles derniers.
Sans rien dire, il lui prend la main et ils sortent dans la rue.
Quelques minutes plus tard, ils parviennent à la Plaza Mayor. L’après-
midi touche à sa fin. La solennité de l’endroit surprend Victoria, qui ne tarit
plus d’éloges sur l’architecture madrilène. L’air de rien, Louis la fait avancer
en direction d’une table placée juste au bas de l’imposante statue équestre de
Philippe III. Un seau à champagne et deux coupes les y attendent.
Victoria sourit en découvrant la surprise.
– Merci, merci mille fois pour cette journée, fait-elle en serrant plus fort
la main de Louis.
– C’est à moi de te remercier pour ta compagnie aujourd’hui.
Il ouvre la bouteille de champagne sous l’œil amusé des touristes. La
mise en scène est des plus romantiques et fait songer à l’une de ces demandes
en mariage excentriques.
Louis emplit les deux coupes et tend la sienne à Victoria.
C’est un moment parfait. Boire une coupe de champagne, en fin d’après-
midi, sur cette place magnifique, sera un souvenir grandiose.
Victoria le regarde. Un regard appuyé, qui réclame quelque chose. Une
légère brise souffle. Victoria se mord la lèvre et un éclat de défi brille dans
ses yeux. Elle s’approche, et, tout doucement, se tend vers ses lèvres. Ici, au
beau milieu de la place, sans se préoccuper du va-et-vient des passants et des
touristes.
Louis est hypnotisé par la finesse de ses traits, et surpris par son audace.
La tension née entre eux au restaurant est bien trop forte pour qu’elle
s’efface sans qu’ils aient de regrets.
D’un commun accord, ils s’apprêtent à la libérer.
Alors qu’elle n’est plus qu’à quelques centimètres de lui, il l’attire
brusquement contre son torse. Avidement, comme si ces derniers centimètres
étaient maintenant devenus insupportables. Et il l’embrasse fougueusement.
Ils restent collés l’un à l’autre, savourant la chaleur de leur baiser. La
douceur de leurs lèvres qui découvrent, cherchent, grignotent ces derniers
centimètres. Ceux qui manquaient pour que cette journée soit une journée
exceptionnelle. Quand ils ouvrent les yeux, ils se sourient, partiellement
rassasiés.
Victoria s’écarte légèrement de lui.
– Je vais utiliser mon joker maintenant.
– Maintenant ? interroge Louis, qui n’a pas oublié le petit jeu du
restaurant.
– Oui, parfaitement. J’en veux encore un. Maintenant .
– Encore un baiser ? dit-il dans un sourire.
– Oui, monsieur, vous m’avez bien comprise ! Inutile de songer à vous
dérober. Une dette doit toujours être honorée.
– Très bien, mademoiselle. Alors, accrochez-vous, je n’ai qu’une parole !
Si le premier baiser a été fougueux, il fait pâle figure à côté du deuxième.
Louis commence par soulever Victoria, la fait tournoyer et la repose sur le
sol. Puis il s’approche d’elle et, prenant soin d’encadrer son visage avec ses
mains, presse ses lèvres d’abord doucement, puis plus intensément. Quand il
la relâche, Victoria est pantelante. Elle se reprend vite et lui sourit.
Un grondement les sort soudain de leur bulle. Ils regardent autour d’eux
et constatent que des dizaines de personnes les entourent, applaudissant à tout
rompre. Devant l’ardeur et le romantisme de la scène, des passants se sont
arrêtés, leur adressant de grands sourires.
– Tu vois, je suis un homme de parole !
– Et moi, je dis qu’on devrait poursuivre ce petit jeu, dit Victoria.
La journée est arrivée à son terme. Il est l’heure de retourner à la villa.
Lors du trajet les menant à l’aéroport, une distance s’installe de nouveau
entre eux. Durant le vol, Louis est serein, mais il voit bien que Victoria est
inquiète. L’atterrissage va être compliqué. Finalement, rien n’est encore joué.
Et tous les deux semblent en avoir parfaitement conscience.

Deuxième rendez-vous

Magdalena s’impatiente sur le perron. Elle doit passer la journée à


Londres, et elle n’est pas enchantée à l’idée de partir en Angleterre.
La veille, elle n’a pas arrêté de tourner en rond en songeant à son
escapade. Elle s’imaginait les pieds dans l’eau. Elle a pensé à Barcelone,
Naples, ou même Biarritz… mais pas Londres !
Elle est d’humeur maussade, car il lui a fallu troquer son minishort contre
un jean. Ce qui diminue de manière considérable ses chances de poursuivre
l’aventure.
En attendant Louis, elle se remémore ses dernières visites dans la capitale
anglaise. De même, elle est certaine qu’il y est déjà allé. Du déjà-vu. Bref, ce
n’est vraiment pas le rendez-vous qu’elle espérait.
Elle peste encore, puis se ravise. Après tout, peu importe le contexte, elle
sera avec Louis toute la journée, et c’est bien le principal.
Elle se demande comment s’est passé son rendez-vous de la veille. Elle
ne reverra Victoria qu’au moment des éliminations, c’est la règle.
Dorénavant, impossible pour elles d’échanger sur leurs impressions,
impossible de savoir qui a pris une longueur d’avance. Et il ne faudra pas
compter sur Louis pour le lui dire.
L’une d’entre elles devra partir.
Autant dire que ce rendez-vous est décisif. Une pression qu’elle a du mal
à gérer. Après tout, se répète-t-elle en boucle, le contexte est le même pour
les autres filles.
Sauf qu’elle, elle a une longueur d’avance. Le baiser qu’ils ont échangé,
sa complicité avec Louis. Lors de tous ses rendez-vous, elle ne lui a pas forcé
la main, ça, elle en est sûre !
La voiture s’immobilise et Louis sort pour l’accueillir.
Ses doutes s’envolent aussitôt. Peu importe le passé, peu importe le futur,
le présent s’offre à elle… à eux ! Plutôt que de se torturer en imaginant la
suite, il faut en profiter pleinement.
Elle rit en le voyant agiter dans sa direction un horrible K-way. Au
moins, il a de l’humour, et elle aime beaucoup cela !
Durant le trajet, Louis propose de lui expliquer leur programme, mais elle
l’interrompt. Elle préfère en avoir la surprise.
Pour confirmer ses suppositions, Magdalena interroge Louis sur ses
divers voyages, espérant qu’il ne mentionne pas Londres. Hélas, elle a vu
juste ! Louis a passé un an de sa vie dans une prestigieuse université de la
capitale anglaise pour étudier le droit international.
Pour le faire rire, elle évoque sa propre expérience de la ville : fiesta et
shopping. Sans oublier les concerts de rocks auxquels elle a assisté avec son
frère.
Louis prend son air adorable qui la fait fondre. Peu importe la météo,
l’endroit ou les activités qu’ils font, elle pourrait passer sa journée à le
regarder sourire.

***

Magdalena a un charme tout particulier : sa silhouette parfaite. Elle


pourrait servir de modèle à la création d’un personnage de jeu vidéo : lèvres
pulpeuses, épais cheveux bruns, grands yeux en amande et corps musclé, tout
en gardant certaines formes très… attractives.
Au début, Louis pensait qu’elle était consciente du pouvoir de ses atouts
physiques sur les hommes, mais il a vite changé d’avis. Il émane de sa
personne quelque chose de touchant, une innocence qui lui a plu. Beaucoup.
D’un naturel bavard, Magdalena converse gaiement. De ce fait, rien n’est
jamais compliqué avec elle, et le trajet jusqu’à la capitale de l’Angleterre se
volatilise en une poignée de secondes. Louis apprécie d’avoir en face de lui
une femme qui dit ce qu’elle veut, sans tracasserie et sans détour.
À leur atterrissage, le soleil domine et l’air est doux. Ils commencent
ainsi leur rendez-vous avec entrain.
– La première étape incontournable, lance Louis, sera de monter dans le
bus rouge !
La visite de la ville est organisée telle une chasse au trésor. Ils ont quatre
enveloppes en leur possession, et chacune est associée à un lieu, monument
ou objet très représentatif de Londres. Ce n’est que lorsqu’ils atteignent leur
objectif qu’ils peuvent ouvrir la suivante.
Louis en dit le minimum à Magdalena, suite à sa demande, mais lui
précise tout de même que l’endroit où ils doivent manger se trouve dans l’une
des enveloppes et que, s’ils ne sont pas rapides, ils ne se restaureront qu’en
fin de journée. Les grondements de son estomac accompagnent ses paroles. Il
a déjà faim et n’a pas l’intention de patienter jusqu’au soir pour manger.
Magdalena rit aux éclats. Découvrir une nouvelle fois la ville de cette
manière est extraordinaire ! Elle adore ce jeu de pistes grandeur nature.
L’excitation la fait sautiller de partout.
Une fois déposés en ville par un taxi, ils écument les rues du quartier de
Westminster à grands pas, pas très loin de Big Ben, une zone très touristique.
Magdalena est la première à repérer un bus rouge. Elle se met à crier
« Regarde, Louis, regarde ! » et le tire vers un arrêt de toutes ses forces.
Il se laisse entraîner en riant. Elle est tellement enthousiaste que cela fait
plaisir à voir. Dans le bus bondé, ils se serrent sur un siège pour s’asseoir tous
les deux.
– On peut dire que le défi numéro un est réussi ! dit Magdalena.
– On peut le dire, renchérit Louis.
– Et tu sais où ce bus nous emmène ?
– Euh, pas la moindre idée. Et toi ?
– Absolument pas ! dit-elle en éclatant de rire.
En plus d’être franche, Magdalena est expansive, et sans le vouloir, se fait
vite remarquer. Si, d’habitude, Louis n’aime pas sentir les regards braqués
sur lui, pour l’heure, il s’en fiche complètement, tant sa joie débordante fait
plaisir à voir.
– Bon, eh bien, défi numéro un, OK ! J’espère qu’on ne s’est pas
embarqués dans une galère.
Alors qu’ils sont déjà collés l’un à l’autre, le bus s’arrête pour prendre
toujours plus de gens. Ils rient de la situation. Ce matin même, jamais ils
n’auraient pensé se retrouver serrés comme des sardines dans un bus anglais.
Magdalena se rattrape à Louis pour ne pas perdre l’équilibre. Maintenant,
ils sont face à face, et comme ils l’ont déjà fait, ils s’embrassent brièvement,
juste pour marquer l’instant présent. Rien de sulfureux, pas de promesse
démesurée, mais juste pour dire que tout va bien, que ce rendez-vous se passe
à merveille, dans ce bus rempli d’inconnus.
Ce langage va comme un gant à Louis. D’une part parce que c’est direct
et efficace, d’autre part parce qu’il éprouve beaucoup de tendresse à l’égard
de Magdalena.
Sans rien ajouter et arborant un sourire satisfait, ils choisissent de
descendre à l’arrêt suivant. Ils ne savent pas du tout où ils se trouvent. Louis
jette un coup d’œil aux alentours et aperçoit la Tamise.
Sur les quais, Louis sort de sa poche les trois enveloppes restantes,
correspondant aux trois endroits à découvrir.
Magdalena les lui prend des mains et court vers le fleuve, faisant mine de
les lancer dans l’eau. Louis la rattrape et la soulève dans les airs. Quand il la
pose, elle remet les enveloppes dans la poche de son pantalon.
– Et si on arrêtait de courir après ces morceaux de papier ? fait-elle en
s’agrippant à son cou.
– Impossible, s’exclame Louis, j’ai trop faim ! Il faut absolument trouver
l’endroit où l’on est censé déjeuner !
Magdalena va pour protester, mais Louis la fait taire en déposant un
baiser sur ses lèvres. Elle écarquille les yeux et rouvre la bouche pour essayer
de parler. Il recommence.
Elle sourit. Elle s’apprête à parler de nouveau. Alors, Louis pose ses
lèvres sur les siennes et s’insinue doucement entre elles pour la goûter plus
profondément. Il saisit ensuite sa lèvre supérieure, délicatement, puis la
relâche. Il en fait de même avec sa lèvre inférieure. Cela faisait un moment
qu’il avait envie de goûter ses lèvres pulpeuses comme des grenades.
Pendant ce temps, ses mains remontent le long de ce corps parfait,
caressant chaque partie de son anatomie : ses hanches, son ventre, sa nuque,
et il termine son exploration en effleurant ses joues.
Magdalena se presse contre lui, et Louis sent battre son cœur.
L’excitation le gagne un peu plus à chaque seconde.
Si elle continue à se serrer ainsi contre lui, il sent que la situation va
échapper à son contrôle. Ils devront vite trouver un endroit pour concrétiser
cet échange sensuel. Décidément, le langage corporel est bien celui qu’il
préfère.
C’est elle qui met un terme à ce moment sulfureux. Elle s’écarte
légèrement, suffisamment pour qu’un peu d’air se glisse entre eux et
rafraîchisse l’atmosphère brûlante.
Louis expire, le plus discrètement possible, pour recouvrer ses esprits.
Tâchant de se concentrer sur le jeu, il tâte ses poches à la recherche des
enveloppes. Il prend la première venue et déchire le papier blanc pour lire le
message rédigé à leur intention.
À l’intérieur se trouve une photo de Big Ben. Ils explosent de rire. Ils
étaient, il y a moins d’une heure, à quelques centaines de mètres de leur
objectif. Juste avant de prendre le bus rouge, qui les en a éloignés de manière
significative.
Ils se mettent en route, main dans la main, au rythme des grondements de
l’estomac de Louis.
Après quelques minutes de marche, ils aperçoivent non loin un autre bus
rouge. Comme il ralentit à l’approche de son arrêt, Louis attrape Magdalena
par le bras et la fait traverser la rue en courant pour embarquer à la volée.
Une fois à l’intérieur, ils reprennent leur respiration. Face à face,
Magdalena étreint Louis de ses bras et passe la main dans ses cheveux.
Appuyant sur sa nuque, elle l’attire pour déposer un baiser sur ses lèvres.
Louis se laisse faire, enivré par sa douceur. Il glisse une main au bas de ses
reins pour la presser davantage contre lui et sentir encore la rondeur de ses
courbes. Cette fois-ci, il laisse échapper un gémissement.
Comme la foule dissimule leurs gestes, Magdalena en profite pour passer
une jambe derrière les siennes et presser ses hanches contre son bas-ventre.
Louis hausse un sourcil en signe de surprise mais se laisse faire. Il aime cette
audace et cette envie de lui, exprimées aussi clairement. En retour, il
l’embrasse à nouveau, se promettant que, même si l’occasion ne s’est pas
encore présentée, Magdalena ne perd rien pour attendre.
Quelques minutes plus tard, ils sont aux pieds de Big Ben.
– Je trouve qu’on se débrouille super bien, dit Magdalena.
– Peut-être, mais pour ma part, j’ai faim, vraiment très faim, rétorque
Louis.
Magdalena le fixe intensément et Louis avale sa salive. Il se demande s’il
ne devrait pas reformuler sa phrase, qui a l’air de semer le trouble dans
l’esprit de la jeune femme. Ce n’est pas la première fois que ce genre
d’expression prête à confusion. Les femmes semblent avoir une relation très
particulière à la nourriture.
– Passe-moi l’enveloppe suivante, c’est mon tour, dit Magdalena,
joueuse.
Elle en saisit une au hasard sur les deux restantes.
– Alors ? questionne Louis.
– Tes vœux sont exaucés : Fish and chips à dix minutes à pied.
– Tu connais ?
– Comme je te le disais, je n’ai pas visité grand-chose à Londres, mais
pour les bonnes adresses gastronomiques, tu peux compter sur moi !
Elle le prend par la main et l’entraîne vers le restaurant. Ce dernier n’a
rien de classieux, mais leur permet de manger à leur faim tout en passant un
bon moment. Magdalena prend un malin plaisir à picorer dans l’assiette de
Louis, et celui-ci s’en amuse, n’hésitant pas à lui donner de petites tapes sur
les doigts – avec une folle et persistante envie de tapoter d’autres parties de
son corps. Une fois repus, ils sortent pour décacheter la dernière enveloppe.
– À toi l’honneur, fait Magdalena.
Louis déchire le papier d’un geste et brandit la carte située à l’intérieur.
– Embarquement immédiat pour une croisière sur la Tamise.
Le clou de la journée et, par chance, qui arrive à point nommé !

***

Magdalena sautille autour de Louis. Elle n’a jamais navigué sur la


Tamise. Voilà un moment inédit. Pour elle, et pour Louis, qui lui explique
que c’est aussi sa première croisière dans la capitale. Elle est aux anges.
Quelques minutes plus tard, ils embarquent sur un luxueux bateau
privatisé pour leur rendez-vous. Sans attendre, Magdalena rejoint la proue
pour profiter du paysage. Louis se rapproche et, d’un geste naturel, il
l’entoure de ses bras.
À ce moment, elle sait qu’elle est en train de tomber amoureuse. Ses yeux
brillent, elle le sent. À cela s’ajoute cette sensation de papillons dans le
ventre. Elle risque un regard vers lui. En retour, il sourit et resserre son
étreinte. Louis se comporte exactement comme le petit ami qu’elle rêverait
d’avoir.
Magdalena ne se lasse pas du paysage, et quand ils se retournent, presque
une demi-heure plus tard, une table a été installée derrière eux, supportant un
seau à champagne.
Magdalena porte les mains à son visage.
– C’est merveilleux ! Jamais plus je ne verrai cette ville de la même
manière.
– Trinquons ! propose Louis.
– OK, on va juste trinquer alors, parce qu’en fait, je n’aime pas trop le
champagne, fait-elle d’une toute petite voix.
– Comme tu veux, dit Louis en explosant de rire et en l’attirant contre lui.
À la fin de leur croisière, une voiture les attend sur le quai. Magdalena
embrasse plusieurs fois Louis pour s’assurer qu’elle ne rêve pas.
Épuisée par cette folle journée, elle s’endort dans l’avion et n’est
réveillée par Louis qu’à leur arrivée.
Elle est un peu déçue de ne pas avoir pu profiter de ces derniers instants
en sa compagnie, mais lorsque Louis passe la main dans ses cheveux, elle
sourit.
Ils se quittent sans dire un mot, sur ce sourire échangé.

Troisième rendez-vous

Jessie est en train de se préparer dans la salle de bains quand on sonne à


la porte. Comme Cassandra dort encore, elle sort, les cheveux mouillés, pour
aller ouvrir.
Il est à peine 8 heures du matin. Les jours précédents, les filles sont
parties vers 10 heures. Il doit peut-être s’agir de la tablette l’informant de sa
destination ? Lorsqu’elle ouvre, elle tombe sur Louis, arborant un léger
sourire en coin.
– Oh ! lâche-t-elle, surprise. Je ne suis pas tout à fait prête, j’en ai juste
pour cinq minutes ! Si tu veux, je te fais un café pour patienter ?
– Oui, très bien, merci, dit Louis.
Jessie attrape ses cheveux pour les rassembler d’un côté. Elle n’est ni
maquillée ni habillée. Pour une entrée en matière, c’est réussi !
Elle croise le regard de Louis. Il a l’air anxieux. Il la suit docilement
jusque dans la cuisine. Assis sur un tabouret de bar, il l’observe lui préparer
un café. Jessie sent le poids de son regard sur elle. Elle tente de ne pas se
laisser distraire et se concentre sur ses gestes. Ceux d’une scène banale, tout
droit sortie du quotidien d’un jeune couple ordinaire, comme s’ils se
connaissaient depuis longtemps. Sauf que Louis ne dit rien. Il conserve ce
regard énigmatique. Son regard énigmatique.
Le laissant à ses songes devant son café, elle repart en direction de la
salle de bains, sans s’offusquer de son attitude. Après tout, lui aussi a droit à
des moments de réflexion. Et peut-être que le faire en sa présence atteste d’un
sentiment de sécurité et de quiétude qu’elle lui inspire ? C’est souvent ce que
lui ont témoigné les personnes qu’elle côtoie. Les gens se sentent à l’aise
avec elle.
Jessie sourit en s’observant dans le miroir. Son optimisme la perdra ! Elle
pourrait aussi bien se dire qu’il pense aux autres filles, voire qu’il souhaiterait
repartir avec elles plutôt qu’être à ses côtés. Mais elle juge inutile de se
mettre ce genre d’idées en tête. Et puis, Louis est bien trop poli pour
s’autoriser une telle maladresse… À moins qu’il ne soit déjà tombé amoureux
d’une autre fille ?
Tout en se séchant les cheveux, elle se concentre sur sa journée à elle et
tente de se dépêcher pour ne pas trop faire attendre le bel homme. Elle se
répète qu’elle a toutes ses chances. Et qu’aujourd’hui, elle va la provoquer…
cette chance !

***

Jessie est une fille un peu mystérieuse. Pas le genre à se confier de prime
abord. En revanche, Louis a remarqué qu’elle s’intéressait aux autres et leur
accordait beaucoup d’attention. Spontanément, elle a pris en charge
l’organisation des repas – ou tout au moins, lorsqu’il s’agissait de battre le
rappel – et était la première à proposer un verre quand ils étaient au bord de la
piscine. De même, il a souvent pu la voir aller réconforter une fille qui
semblait triste ou fatiguée de l’agitation de la villa.
Sa personnalité altruiste l’intrigue beaucoup. Il se demande si c’est sa
nature profonde ou si elle tient uniquement ce rôle pour le jeu. La rencontre
avec ses deux amies l’a fait pencher pour la première alternative. Mais il ne
peut s’empêcher de se demander si ce genre de qualité ne dure qu’un temps.
Les humains n’attendent-ils pas forcément quelque chose en retour ?
Plus finement, s’il ne sait pas ce qu’elle attend de lui, ne va-t-elle pas se
sentir frustrée à ses côtés ? N’est-ce pas le genre de personnes qui, toujours
partante, finissent aigries, car incomprises, voire déçues par les autres.
Jessie, d’un sourire, le sort de ses songes. Elle lui tend son café. Lorsqu’il
croise son regard bleu électrique, il se dit que, même sans maquillage et les
cheveux mouillés, elle reste d’une beauté sans égale. Louis tente de se
ressaisir pour que son comportement ne soit pas mal interprété. Cela fait
presque dix minutes qu’il est entré dans la villa et il n’a décroché que trois
mots.
Elle pourrait s’imaginer qu’il n’a pas envie d’être là, et ce n’est pas du
tout son intention. Il est vrai qu’après ces premiers jours d’une folle intensité,
il est profondément troublé, mais il s’est juré de ne prendre sa décision qu’à
la fin des quatre jours, de ne pas court-circuiter son choix.
Quand elle descend, après avoir achevé ses préparatifs, il ne peut
s’empêcher de la complimenter ouvertement.
– Je t’ai déjà dit que tu étais magnifique ?
– Euh… je ne crois pas, répond-elle.
– Eh bien, j’aurais dû, dit-il avec un sourire sincère.

Une fois à l’extérieur de la villa, il lui ouvre la portière de la voiture. La


journée est superbe et, malgré l’heure matinale, il fait déjà assez chaud.
– Ai-je le droit de savoir où nous allons ?
– Eh non, ce sera une surprise !
– Oh ! « Une surprise ». Mais j’ai sûrement le droit à un indice ?
– En effet, mais un seul et unique. Voilà : cet endroit va te plaire.
– OK ! Je me sens clairement sur la voie, ironise Jessie en souriant. Avec
ça, je vais pouvoir patienter sans problème. Sans manifester ma curiosité
toutes les cinq minutes.
Elle prend un air boudeur pour lui faire comprendre sa plaisanterie, et
Louis attrape sa main pour la serrer fort dans la sienne. Tout est si fluide avec
elle.
Une fois arrivés dans les environs de Nice, ils se garent près du port de
plaisance et embarquent sur un superbe yacht.
– Alors, prête pour une balade en mer ?
– Toujours partante, répond Jessie.
– Pour agrémenter ce voyage, on va commencer par le petit déjeuner !
– Très bien, capitaine ! Nous avons une destination particulière ? tente
Jessie.
– Tu poses trop de questions, moussaillon, répond Louis en riant. Viens
manger !
Le commandant de bord les invite à s’installer sur le pont, alors que le
bateau est encore à quai. Vu la taille de cette embarcation de luxe, nombreux
sont les endroits où ils peuvent s’attabler. Comme à son habitude, Louis
mange de bon appétit et Jessie l’imite, savourant ce moment idyllique. Ils se
mettent à discuter de leur vie respective.
Pour une fois, Louis a envie de parler de lui. De l’autre côté de la table,
Jessie pose sa tasse dans sa soucoupe pour lui signifier qu’il a toute son
attention. Pendant que le bateau quitte le port, il évoque quelques souvenirs
choisis parmi ceux de ses vacances, quand, plus jeune, il a découvert cette
partie de la côte méditerranéenne. Ils discutent des endroits magiques de la
région, notamment des îles environnantes, chargées d’histoires. Ce matin,
Louis a choisi de lui faire découvrir un peu de son jardin secret.
– Tu as l’air passionné, lui dit Jessie.
– Oui, c’est le cas. C’est parce que cette région me ramène à de
nombreux souvenirs heureux de mon enfance. Je crois que je l’aime à ce
point pour cela. C’est mon refuge à moi, en particulier l’endroit où nous
allons. Je m’y suis rendu de nombreuses fois en famille. C’est vraiment un
lieu spécial pour moi.
– Tu n’as plus l’occasion d’y retourner avec tes parents ? le questionne
Jessie d’une voix douce.
– Non. Tu sais, les gens partent si vite.
Il se tait et Jessie respecte son silence. Elle ne cherche pas à savoir ce
qu’il veut dire ou à en savoir plus, et il l’en remercie intérieurement. Sans
aucun doute, elle a su lire la tristesse voilée dans son regard, celle qui
obscurcit chaque souvenir avec sa famille.
Jessie se lève pour s’appuyer contre le bastingage surplombant la mer. Il
la rejoint et regarde, au loin, la côte s’éloigner progressivement.
Ils écoutent le bruit de l’eau un instant.
– Moi, j’ai vécu dans le centre, reprend-elle.
– Ah oui ?
– Eh oui, capitaine ! Alors les excursions en mer, ce n’était pas tous les
jours. Comment savais-tu que j’allais adorer ? J’aurais pu avoir le mal de
mer.
– C’est facile, avec toi, tu es enthousiaste et partante pour tout.
Jessie semble touchée par ses mots. Louis le remarque à sa manière de
sourire.
– Je crois qu’il y a eu un ou deux moments dans ma vie où j’aurais pu
perdre mon optimisme, explique-t-elle. La vie m’a donné de quoi réfléchir.
Enfin, comme à tout le monde, je présume. Mais j’ai fini par comprendre que
j’étais comme ça. Une indécrottable amoureuse de la vie !
– C’est une qualité formidable, intervient Louis, une grande force.
– Oh ! Ne dis pas ça, reprend Jessie en souriant toujours. Parfois, c’est
très agaçant, et même stupide ! À ce propos, j’ai d’ailleurs une ou deux
anecdotes surprenantes.
– J’ai hâte d’entendre tout ça.
Ils se sont rapprochés et se tiennent désormais côte à côte, captivés par le
paysage. Près d’une heure plus tard, Louis prend la main de Jessie et la porte
à ses lèvres pour y déposer un baiser. Il aimerait prolonger ce moment, mais
le commandant de bord vient justement leur annoncer leur arrivée imminente.
– OK, fait Louis. On débarque !
Ils montent dans un zodiac qui les emmène jusqu’au port des Moines, sur
l’île de Saint-Honorat. Pour Louis, redécouvrir cet endroit avec Jessie est une
expérience magique. Plus enivrante qu’un cocktail d’été.
Ils traversent le minuscule îlot à pied pour se rendre à l’abbaye de Lérins,
puis ils marchent jusqu’à la plage pour contempler la tour fortifiée. Plus tard,
ils s’installent au bord de l’eau, où quelques mètres de plage ombragée ont
été aménagés pour eux.
Ils s’étendent sur des tapis en fins bambous parsemés de coussins de
diverses couleurs et profitent de la quiétude de l’endroit.
Jessie devine que Louis connaît l’histoire de cette île sur le bout des
doigts, et elle lui demande de la lui raconter. Ils passent plus d’une heure à en
parler avant de détailler les autres destinations qu’ils aimeraient découvrir.
– La Chine, sort Jessie.
– Tu es sérieuse ? demande Louis en riant. Parce que ça tombe plutôt
bien, alors !
– Oui, mais ce n’est pas parce que tu y vis. C’est un endroit que j’ai
toujours rêvé de visiter.
– Je sais, dit Louis d’un air faussement désolé. J’ai bien compris que ça
n’avait rien à voir avec moi.
Pour seule réponse, il reçoit un coup de coussin en plein visage. Avant
qu’il ne puisse riposter, Jessie lui en assène un deuxième coup sur la tête. Il
explose de rire.
– Eh bien, la tigresse se dévoile !
– Et tu n’as encore rien vu, tiens !
Le coussin vole pour la troisième fois, mais Louis l’attrape au vol,
esquivant l’attaque, et le tire à lui pour riposter. Comme Jessie ne lâche pas le
carré de tissu, Louis, redoublant de puissance, la déséquilibre. Elle bascule et
tombe sur lui, amortie par son torse.
– Excuse-moi, dit-elle, en essayant de se redresser.
– Non, reprend-il en la maintenant contre lui. Reste… S’il te plaît.
Elle s’immobilise un instant avant de céder et se laisse aller contre lui, la
tête près de son cœur.
Louis passe sa main dans ses cheveux. Une chose qu’il avait envie de
faire depuis le premier jour.
Il sait qu’en d’autres circonstances, elle aurait mis plus de temps à
accepter ce contact physique. C’est sûr, il vient d’accélérer les choses, mais il
a besoin de la brusquer un peu pour passer des moments plus intimes avec
elle. Ce sont ces moments qui vont l’aider à prendre sa décision, plus tard.
Contre toute attente, il la sent se détendre. Louis lui caresse encore les
cheveux. Désormais, il a l’impression qu’ils ne font plus qu’un, l’un sur
l’autre, sur ce petit bout d’île paradisiaque.
C’est ce genre de moments qu’il a toujours eu envie de vivre avec elle. Il
attendait que, l’un comme l’autre, ils sortent de leur coquille respective pour
vivre pleinement leur rendez-vous.
Pour Louis, c’est une preuve de confiance immense. Un pas de géant
dans la construction d’une relation. Et il sait que, plus que tout, la confiance
est la pièce maîtresse de n’importe quelle relation.
Louis la serre un peu plus fort. Il sent qu’une connexion sans équivalent
est en train de naître entre eux.
Elle relève la tête et dépose un léger baiser sur ses lèvres. Ils se regardent
longuement et s’embrassent à nouveau, plus fort, plus intensément, comme
pour y laisser l’empreinte de ce moment.
Le reste de la journée s’écoule, dans la même sérénité. Totalement à
l’aise avec elle, Louis s’ouvre davantage sur sa vie, sur ses choix. Elle en fait
de même, jusqu’à ce qu’ils se quittent après avoir débarqué à Nice. Des
promesses plein le regard.

Quatrième rendez-vous

Cassandra se sent parfaitement reposée, prête pour cette merveilleuse


journée qui l’attend. Étant la dernière à avoir son rendez-vous avec Louis,
elle a trouvé le temps long et s’est même un peu ennuyée la veille, seule dans
la villa.
Pour s’occuper, elle a laissé courir son imagination. Alors qu’elle
arpentait les couloirs de la maison vide, elle y a vu un signe. Elle est la
dernière, l’ultime. Elle n’attend qu’une chose : que Louis vienne la chercher.
Tout est prétexte à alimenter son scénario victorieux.
La compétition a décidément mis ses nerfs à rude épreuve. Évincer les
filles les unes après les autres n’a pas été une mince affaire. Celles qui
pensaient parvenir à convaincre Louis qu’elle n’était qu’une manipulatrice
ont échoué, et en beauté. Désormais, plus personne ne peut se mettre en
travers de sa route.
Si, au début, tout cela n’était qu’un jeu, une manière de se placer sous les
feux des projecteurs, maintenant, quelque chose a changé. Elle veut Louis
plus que tout. Et une chose est sûre, c’est qu’elle obtient toujours ce qu’elle
veut.

***

Sachant que Cassandra est seule, Louis frappe une seule fois et ouvre la
porte de lui-même. Il la cherche dans les pièces du bas puis dans la véranda,
mais sans succès. Il retourne sur ses pas et se poste au bas des escaliers pour
l’appeler. Pas de réponse. Comme il n’ose pas monter, afin de préserver son
intimité, il prend place dans un des canapés du salon et patiente un instant.
Quelques minutes plus tard, il sent des mains se poser sur ses yeux.
– Je crois qu’un très bel homme me cherche, dit-elle, un sourire dans la
voix.
– Très beau… Hum… C’est en dessous de la vérité. Mais effectivement,
il te cherche, dit Louis en souriant à son tour. Et il a bien cru qu’on venait de
lui poser un lapin !
Cassandra penche la tête sur le côté et laisse ses longs cheveux parfumés
tomber en cascade sur l’épaule de Louis.
– « Un lapin » ? Ce n’est pas pour aujourd’hui, peut-être une autre fois.
Cassandra possède une confiance absolue. Tout rayonne autour d’elle.
Louis constate que son accent du soleil et ses manières tactiles lui ont
manqué. Il se lève et l’observe. Elle est magnifique, avec sa robe bustier noire
et moulante, chaussée d’escarpins assortis. Son teint naturellement hâlé
ressort à merveille, et le seul mot qui lui vient est « Waouh ! ».
Le sourire de Cassandra s’élargit. Elle semble apparemment très flattée
par le compliment.
Louis apprécie qu’elle ait voulu se faire belle pour lui. Il se doute qu’elle
a dû attendre avec impatience cette journée. Il la regarde encore et continue
de sourire, sans savoir comment lui dire que sa robe n’est pas du tout
appropriée pour leur escapade.
– Cassandra, ta tenue est magnifique, vraiment, mais je ne sais pas si tu
vas être très à l’aise avec aujourd’hui…
Son sourire s’efface, mais elle se reprend aussi sec.
– D’accord, je vais m’adapter.
Sur ces mots, elle disparaît dans le couloir et revient quelques secondes
plus tard avec une paire de ballerines. Louis sourit encore devant ce faible
compromis. Visiblement, elle a les idées tenaces !
Il réfléchit un instant et trouve une solution au problème. Il fera un arrêt
en chemin.
– Allons-y, j’ai hâte de sortir d’ici ! lance-t-elle en accompagnant ses
mots d’une légère tape sur l’avant-bras de Louis.
Elle se dirige déjà vers la porte, impatiente.
– OK, je te suis ! plaisante Louis.
– Mais non, c’est moi qui te suis ! réplique-t-elle. Je ne sais même pas où
l’on va !
– Et moi non plus.
– Tu plaisantes, là ?
– Eh non. Je ne sais vraiment pas. On monte dans la voiture et puis on
verra. C’est une journée libre aujourd’hui.
Elle se fige un instant.
– Alors, comment sais-tu que ma tenue ne conviendra pas ?
Louis sourit.
– Tu es très forte, Cassandra !
– Tu ne chercherais pas à me piéger, quand même ? dit-elle, les mains sur
les hanches.
Louis sourit sans répondre et l’entraîne vers la porte. Depuis le début,
Cassandra est une femme pleine de paradoxes. Et aussi attirante soit-elle, il
doit y voir plus clair. La choisir reviendrait à un quitte ou double périlleux, et
Louis aime mesurer les risques avant de prendre une décision.
Dans la voiture, elle ne tarde pas à le bombarder de questions à propos de
leur destination. Elle minaude, espérant le convaincre de lui livrer son secret.
À sa grande surprise, Louis tient le coup. En fait, il sait qu’il ne peut se
permettre de céder aussi facilement. L’enjeu est important. Cassandra est une
personne en face de qui il faut s’affirmer.
Pour finir, elle prend un air pincé, mais ne lui en tient pas rigueur, se
bornant à bougonner qu’elle n’aime pas trop les surprises, mais que, de toute
façon, ce sera sûrement très bien puisqu’ils sont tous les deux.
Spontanément, Louis lui prend la main. Ce n’est pas totalement un geste
d’affection, mais une manière de la tempérer, de la canaliser. Il aime bien la
fin de sa phrase.
Il se souvient alors de leur journée en Corse, de la simplicité de leurs
échanges, et espère retrouver la même alchimie entre eux.
Ils arrivent bien vite à l’aéroport de Nice et embarquent pour Genève, ce
qui n’échappe pas à Cassandra.
– Super ! dit-elle. J’y suis déjà allée, mais à chaque fois pour des raisons
professionnelles.
– Oui, mais nous ne faisons qu’y passer !
Elle commence à bouillir, essayant tant bien que mal d’obtenir des
réponses durant le vol. Quand leur jet privé se pose, Louis se félicite d’avoir
tenu bon : la belle Latine ne sait toujours pas où ils passeront la journée.
Après avoir loué une voiture, Louis, au volant, se met tranquillement en
route. Voilà quarante minutes qu’ils passent à discuter des avantages et des
inconvénients de leurs métiers respectifs lorsqu’il repère une boutique et se
gare devant sans attendre. Perplexe, Cassandra s’accroche à son bras et se
laisse guider jusque devant la vitrine.
– Parfait, dit-il, ça fera très bien l’affaire !
– Euh… C’est un magasin de vêtements d’hiver, Louis. J’ai du mal à te
suivre. C’est là que nous allons passer la journée ?
– Chut, dit-il en posant un index sur sa bouche. Voici ta dernière chance
de m’écouter et de te changer. Si tu t’obstines encore, je pourrais bien te
prendre au mot et te laisser dans cette tenue, sachant que tu vas mourir de
froid !
– Mais, je ne…
– Chut, insiste-t-il.
Cassandra semble décontenancée. Elle finit par hocher la tête et se laisser
emmener à l’intérieur.
Louis interpelle la vendeuse et lui explique qu’ils ont besoin de vêtements
chauds pour Cassandra. L’employée du magasin la regarde de la tête aux
pieds et revient quelques minutes plus tard avec un assortiment de tenues
adéquates.
Cassandra, qui était un peu dubitative au début, se laisse prendre au jeu
des essayages. Louis n’est pas étonné, c’est une femme qui aime que l’on
s’occupe d’elle.
Elle enfile la première tenue : un pantalon thermique noir et un pull à col
roulé angora couleur chocolat. Elle sort de la cabine pour montrer le résultat,
et Louis, qui regarde négligemment des dépliants posés sur les rayonnages,
s’immobilise. La tenue, beaucoup plus simple que ce qu’elle porte
habituellement, lui va à merveille. Cette touche de naturel adoucit
considérablement son côté sophistiqué.
– Bon, dit-elle, j’ai l’impression que ça te plaît. Je vais la mettre de côté.
– Oui, garde ça, c’est très bien.
– Attends, lui dit-elle en se retournant. Derrière, ça va aussi ?
Pour toute réponse, Louis avale sa salive, et elle tire le rideau en
explosant de rire. Cette fille est totalement décomplexée et sait jouer de ses
atouts.
Mais comment le lui reprocher ? Après tout, ils sont dans un jeu de
séduction permanent. Louis plaît à Cassandra, et ce depuis le début. Elle a été
très claire sur ce point.
Seule ombre au tableau : il se peut qu’elle soit là pour la victoire. Et
uniquement pour la victoire. Ces derniers jours, il l’a trouvée un peu
différente. À chaque fois qu’il l’a vue en compagnie des autres filles,
précédemment, il l’a trouvée calculatrice et hautaine. Toutes sans exception
lui ont rapporté qu’elle n’était pas sincère.
Mais, seul avec elle, il se sent à nouveau terriblement bien. Il faut
absolument qu’il sache ce qu’elle a au fond du cœur.
Cassandra tire vivement le rideau de la cabine d’essayage et le sort de ses
songes, vêtue d’une combinaison de ski rose, et il pouffe de rire. Elle tourne
sur elle-même et prend la pose d’une skieuse, en profitant pour lui rappeler
qu’elle ignore toujours où ils vont.
Mais il veut encore la faire patienter. Leur objectif est proche et elle va
très vite obtenir satisfaction.
Quelques instants plus tard, elle sort de la cabine en maillot de bain
léopard une pièce, aussi échancrée que décolletée. Rien n’est laissé à
l’imagination. Louis est pris à son propre piège. Il sait qu’elle va lui faire
tourner la tête.
– Je ne savais pas qu’ils avaient ce genre d’articles, ici, dit Louis en se
raclant la gorge.
– Vois-tu, comme je ne sais toujours pas où l’on va, j’essaie un peu tout.
Si tu voyais la suite…, fait-elle en haussant les sourcils, les mains sur les
hanches.
– Nous montons à l’aiguille du Midi, cède Louis, qui sent la chaleur
monter dans la petite boutique.
– Ah ! Bien, dit-elle en saisissant à nouveau le rideau, alors la première
tenue fera très bien l’affaire.
La vendeuse lui rapporte les articles en question et elle se change. Quand
ils sortent, elle dépose un long baiser sur sa joue.
– Merci, dit-elle. C’est parfait, vraiment parfait.
Louis s’approche instinctivement de ses lèvres pour prolonger le baiser,
mais elle l’esquive et plonge la tête dans son cou.
Surpris d’être éconduit de la sorte, il l’enlace et lui caresse les cheveux.
Décidément, cette fille est en train de le faire tourner en bourrique.
L’écartant légèrement de lui, il plonge ses yeux dans les siens, et il
comprend qu’elle ne veut pas d’un premier baiser ici, dans le hall d’un
magasin. Il lui faut plus que ça.
Louis a du mal à se détacher d’elle. Ses hormones masculines lui jouent
des tours. C’est elle qui recule la première et le prend par la main.
– Allons-y, lui dit-elle, pour la deuxième fois de la journée.

Ils arrivent à Chamonix en fin de matinée. La température est clémente,


avoisinant les 20 degrés. Le paysage est déjà remarquable et le contraste avec
le cadre qu’offre la villa est étourdissant. Montagne et mer tous deux à
proximité, les atouts incontournables du Sud-Est de la France.
Ils se dégourdissent les jambes un instant et Louis entraîne Cassandra
vers un bon restaurant. Malgré son teint hâlé, la jeune femme fait une belle
princesse des neiges et se fond à merveille dans le décor.
Le repas est délicieux et leur complicité grandit à vue d’œil. Ils parlent de
leurs projets de vie respectifs, revenant sur leurs dernières discussions. Sauf
que cette fois-ci, le « nous » est prononcé par l’un et par l’autre.
Louis constate que Cassandra pourrait parler des heures de ses projets.
Sans nul doute, elle est passionnée par son travail et a d’ailleurs déjà songé à
mener ses affaires depuis la Chine. La voici qui évoque les modalités
pratiques de son déménagement. Une vraie femme d’affaires ! Bien sûr, elle
lui rappelle régulièrement avec un clin d’œil que ça n’est que si et seulement
si il la choisit. Il se demande néanmoins si elle croit vraiment à cette
condition.
Contre toute attente, il vient de se projeter assez clairement avec elle. Il
l’imagine déjà chez lui, en compagnie de ses amis… À elle seule, Cassandra
peut être un moteur, un tremplin… Mais sera-t-elle un soutien ?

Peu après, ils embarquent dans le téléphérique de l’aiguille du Midi.


L’ascension est rapide. Les températures dégringolent.
Cassandra lui avoue qu’elle ne regrette plus du tout sa robe noire et ils en
rient. Tout naturellement, elle se serre contre lui pour contempler le paysage.
Arrivés en haut, la vue panoramique est époustouflante ! L’espace de
quelques instants, ils ont l’impression d’être dans une autre dimension. Ou
tout du moins, quelque part sur la surface du globe, mais loin, très loin de
leur réalité.
Ce genre de sommets permet de s’exclure du monde, à l’intérieur d’une
bulle qui ne contient qu’eux. Alors qu’ils s’isolent au bout de la terrasse,
Louis perçoit les frissons de Cassandra. Elle lui paraît tellement fragile à cet
instant. Très éloignée de la femme forte et intrépide qu’elle met constamment
en avant. Il l’enlace et la sent se détendre à son contact. Ses tremblements
finissent par disparaître.
– J’adore cet endroit, murmure-t-elle.
– C’est aussi mon avis, dit Louis, au bout de quelques secondes.
– Je sais, dit-elle, tu n’imaginais pas que je puisse aimer ce genre
d’endroit.
Cassandra a très bien interprété son hésitation.
– Je ne sais pas. C’est difficile d’être sûr avec toi.
– Pourtant, je ne veux pas brouiller les pistes, mais… Il me faut du temps.
C’est nouveau pour moi.
Louis sourit tendrement, signe qu’il apprécie sa franchise. Cassandra est
une vraie lionne dans sa vie professionnelle et même personnelle. Elle peut
être une séductrice hors pair, mais tout est différent lorsque les sentiments
sont là. À cet instant, Louis sent ses doutes s’évanouir. Finalement, il a peut-
être raison d’y croire. Elle l’embrasse sur la joue et ils contemplent la vue
encore un instant.

Le reste de la journée se volatilise en une poignée de secondes. La plupart


du temps, ils se tiennent la main, sans chercher à s’aventurer plus loin,
laissant lentement croître l’attraction entre eux.
Au moment de se séparer, la jeune femme semble hésitante. Ils ne sont
qu’à une heure ou deux des éliminations et elle doit filer se préparer.
Timidement, elle revient près de lui, de sorte qu’il n’a aucun doute sur ses
intentions. Il l’observe lentement s’approcher. Le regard de Cassandra est
plein d’espoir et d’une sincérité déconcertante. Il a le sentiment qu’elle lui
dévoile enfin une partie d’elle-même, quelque chose de délicat et fragile,
qu’elle ne réserve qu’à une poignée de personnes. Quelque chose de brut.
Rompant les quelques centimètres qui les séparent, Louis l’embrasse
tendrement.
Chapitre 24

En cette soirée, les quatre filles sont de retour à la villa, toutes assises sur
le canapé du salon.
Malgré cette promiscuité, elles n’ont pas encore échangé un mot, car elles
sont arrivées les unes après les autres, directement depuis leur hôtel, déjà
apprêtées pour l’élimination.
Victoria sent que cette soirée va être très spéciale. La rivalité a cédé la
place à la panique. Le stress et l’anxiété ont pris le dessus sur la fierté. C’est
palpable.
Toutes ont déjà un chèque conséquent à leur actif, mais ce n’est plus ce
qui les intéresse. Comme elle, toutes sont suspendues à ce « Et si c’était moi
qu’il choisissait ? » qui les empêche d’être lucides, et même de partir tant
qu’il en est encore temps. Un espoir fou de voir le plus improbable des contes
de fées se réaliser, de se distinguer des autres filles. Et de mener une vie
extraordinaire.
Échouer reviendrait à se contenter de la perspective de rencontrer
quelqu’un d’autre qui, probablement, n’arrivera pas à la cheville de Louis, et
de se lever chaque jour en rêvant à une autre vie.
Victoria se mord la lèvre inférieure. Elle essaie de sourire, mais ses yeux
brillent à cause de la peur qui lui tenaille le ventre.
Elle a été ravie de partir la première à Madrid avec Louis, mais les jours
suivants ont été insupportables. Que s’est-il passé avec les autres filles ? Est-
ce que les rendez-vous suivants ont repoussé au loin le souvenir exceptionnel
de cette journée qu’ils ont passée ensemble ?
Tous les doutes sont permis.
Amèrement, elle se remémore son tout premier rendez-vous à Saint-Jean-
Cap-Ferrat, et la vitesse avec laquelle il avait été relégué aux oubliettes.
Elle soulève sa longue robe de soirée noire et rajuste la dentelle qui orne
son décolleté. Non, leur dernier rendez-vous a été extraordinaire. Le regard
captivant de Louis ne peut pas mentir, il éprouve de l’attirance pour elle. Plus
que cela, il la désire, elle en est certaine.
Lors de cette cinquième étape, plutôt qu’une somme d’argent, elles se
verront offrir une pierre précieuse qu’elles pourront porter jusqu’à leur sortie
du jeu.
Il faut à tout prix qu’elle obtienne la pierre mise en jeu ce soir, passeport
pour se frayer un chemin vers le cœur du beau jeune homme. Louis est la
personne qu’elle a toujours espérée.

***

Magdalena sourit nerveusement. Elle a revisité de nombreuses fois son


périple à Londres et elle n’a soif que d’une chose : passer d’autres moments
avec Louis. Le saut à l’élastique et leur premier baiser échangé, la promenade
à moto, la croisière sur la Tamise… Tout ce qu’ils font ensemble est
fantastique. Elle en veut encore. Jusqu’à ce qu’elle obtienne la bague de
fiançailles. La promesse de mariage qui lui garantira qu’il ne lui filera pas
entre les doigts.

***

Jessie passe sa main dans ses cheveux. À chaque fois qu’elle les touche,
elle pense à Louis. Son corps est survolté et elle trépigne sur place. Elle plisse
le voile de sa longue robe blanche. Elle sait que la compétition va être rude,
car ses camarades sont aussi angoissées qu’elle à l’idée de ne pas obtenir
l’émeraude promise ce soir.
Depuis quelques jours, elle sent que Louis et elle sont complètement en
phase. C’est comme s’ils étaient chacun la moitié d’un tout. Elle ressent
maintenant un manque infini quand il est loin d’elle. Et tout lui laisse penser
que c’est réciproque.
Il faut qu’elle sache si c’est ce qu’il a ressenti. Il doit la choisir pour
qu’elle poursuive l’aventure et qu’elle accède à la victoire.

***

Cassandra arrive la dernière. Elle marche lentement jusqu’à la seule place


libre sur le canapé et se tourne face à l’entrée, les yeux dans le vague.
Ses cheveux sont tirés en un somptueux chignon et elle a choisi une robe
bustier noire, en clin d’œil à cette journée mémorable qu’ils viennent de
passer. Quand elle y pense, les pincements qui se manifestent au creux de son
ventre sont insoutenables.
Il lui faut patienter quelques minutes encore. Quelques minutes pour
savoir si ce qu’elle a ressenti est réciproque. Quelques minutes qui
s’éternisent de manière insupportable…
Elle avale sa salive et risque un regard vers ses concurrentes. Louis a fait
des ravages dans leur cœur, elle le sait parfaitement. Mais elle lit dans leurs
yeux quelque chose de bien plus fort, qu’elle reconnaît immédiatement. La
même lueur qu’elle a croisée dans le miroir en se préparant : la frayeur.
Louis arrive quelques instants plus tard, en pantalon noir et chemise
blanche immaculée. Il est irrésistible, comme d’habitude. Cependant, il
semble un peu plus tendu. Il s’arrête près de la table, à côté de l’animateur, et
jette un regard sur la boîte, celle qui contient les pierres précieuses.
– Bonsoir, mesdemoiselles, lance-t-il. Vous êtes si belles…
Il fait une pause, les détaillant tour à tour. Cassandra soutient son regard.
Elle cherche un signe rassurant au fond de ses yeux mais il ne s’attarde pas
assez pour qu’elle y parvienne.
– J’ai eu énormément de plaisir à partager ces derniers jours avec
chacune d’entre vous, reprend-il. Malheureusement, une fois de plus, il m’a
fallu faire un choix…
En regardant ses rivales, Cassandra remarque leur rythme cardiaque
s’accélérer. Leur respiration est plus saccadée. L’ambiance est électrique : le
dénouement est tout proche.
– Bonsoir, mesdemoiselles, reprend l’animateur. Ce soir, c’est avec
beaucoup d’émotions que nous nous retrouvons. Et vous le savez, vous êtes
quatre, mais trois filles seulement franchiront cette cinquième étape. Vous
avez déjà acquis une belle somme, la somme de 40 000 euros. Ce soir, les
concurrentes qui passeront ce nouveau palier se verront chacune offrir une
émeraude de dix carats.
L’animateur se tourne vers Louis et lui tend le micro.
– Merci, fait-il. J’ai choisi cette pierre, car elle symbolise la force et la
sincérité. Je veux que celles qui poursuivent avec moi la portent en en
prenant conscience. Il faudra être… vraie, pour aller jusqu’au bout de cette
aventure.
Cassandra baisse les yeux. Arriver si près du but et ne pas aller au bout
serait un échec cuisant. Une sensation de malaise l’envahit en pensant qu’il y
a une chance sur quatre pour qu’elle ne soit pas choisie.
– Bien, mesdemoiselles, reprend l’animateur, si l’une d’entre vous veut se
retirer du jeu avant que Louis ne révèle ses choix, il faut le faire maintenant.
Cassandra avale sa salive. Elle regarde droit devant elle. Cette question
ne la concerne pas.
Le silence se prolonge. Aucune des filles ne prend la parole. Toutes
veulent saisir leur chance d’aller jusqu’au bout. La victoire est si proche,
presque palpable. Surtout après une journée entière passée aux côtés de
Louis.
Au bout d’un instant, Louis s’empare de l’écrin et l’ouvre avec soin. De
là où elle se trouve, Cassandra distingue parfaitement l’éclat des pierres
scintillantes.
– Comme vous le savez, dit Louis, vous faites partie du carré final. À
partir de maintenant, j’ai choisi d’offrir des pierres précieuses. Ce soir, c’est
une émeraude, puis ce sera un rubis, et enfin, pour la finaliste, la bague de
fiançailles sertie d’un magnifique diamant.
– Mesdames, tranche l’animateur, le moment est venu.
Le silence est écrasant dans la pièce. Cassandra baisse les yeux pour ne
pas croiser le regard des autres filles. Elle sait que la même phrase tourne en
boucle dans leur esprit : Et si c’était moi…
– Louis, je te laisse prendre le premier pendentif et te diriger vers l’une
des prétendantes afin de le glisser dans sa chaîne.
Louis se penche sur la boîte et saisit délicatement l’un des bijoux.
Cassandra retient son souffle. Il reste quelques instants près de l’animateur.
Le temps pour les cameramen de le filmer sous tous les angles.
Puis il avance, droit devant lui. Droit vers Jessie.
Cassandra la dévisage. Jessie rougit et porte les mains à ses joues, faisant
mine d’être surprise. Elle se lève et rassemble ses cheveux d’un côté, pour
que Louis puisse ouvrir sa chaîne et y faire glisser le pendentif. L’émeraude
vient trouver sa place près du fer à cheval en or qu’elle a reçu précédemment.
Cassandra sent son estomac se contracter. Elle essaie de se convaincre
que l’ordre n’a pas d’importance, que le principal est d’obtenir un pendentif,
mais elle n’y parvient pas. Elle aurait dû être la première, car c’est elle qui
compte le plus dans le cœur de Louis.
– Jessie, je suis ravie que tu poursuives l’aventure avec moi, dit Louis.
– Moi aussi. Merci, Louis !
Tandis que Jessie se rassoit, elle lance un bref regard vers les autres filles.
Ses yeux brillent, elle est à deux doigts de pleurer de joie, mais Cassandra y
voit autre chose. Un soupçon de mépris qui lui est directement adressé, elle
en est certaine. Une manière de la remettre à sa place qu’elle n’aurait jamais
attendue de la part de cette fille.
Cassandra en a la nausée. Certes, ses agissements n’ont pas toujours fait
l’unanimité à la villa, mais Jessie, elle, semble en faire une affaire
personnelle. Cette fille, à sa manière, en fait toujours des tonnes, et pourrait
bien vouloir la victoire juste pour lui donner une leçon. Ces derniers jours,
elle s’est révélée être bien plus dangereuse qu’il n’y paraît.
Plus que deux pendentifs pour trois candidates. Cassandra a de plus en
plus de mal à rester assise. L’anxiété devient douloureuse.
Louis se dirige à nouveau vers l’écrin pour s’emparer d’un autre
pendentif.
Il se retourne et patiente quelques instants.
Il avance. Se poste devant le canapé.
Et se dirige vers Victoria.
Cassandra regarde dans sa direction. Le sang quitte son visage.
Victoria étouffe un cri, puis se lève pour s’approcher de Louis, l’air
bouleversé.
– Victoria, tourne-toi, s’il te plaît.
Un léger couinement s’échappe de ses lèvres et, à son tour, elle soulève
ses cheveux pour que Louis puisse accrocher le pendentif, qui vient rejoindre
son croissant en argent et son diamant rose.
Victoria l’embrasse sur la joue et reprend sa place. Cassandra devient
blême. Un coup d’œil en direction de Magdalena lui confirme qu’elle
éprouve la même chose qu’elle.
Voilà. L’une des deux va quitter l’aventure. Mais c’est plus que cela.
L’une des deux va perdre Louis. Son cœur va se briser.
C’est à cet instant que Cassandra comprend que ce n’est plus un jeu.
Qu’elle l’a laissé s’approcher trop près, tout près de son cœur. Il faut qu’elle
poursuive coûte que coûte. Peu importe la victoire et encore moins l’argent.
Elle veut qu’il partage sa vie.
Louis s’approche du canapé, le dernier pendentif dans ses mains. Il est à
mi-chemin entre elle et Magdalena.
Jamais elle n’aurait pensé disputer la dernière place avec cette garce.
Louis les regarde tour à tour. Il semble encore en train de réfléchir.
Il s’avance… vers elle.
Elle soupire de soulagement, se rendant compte qu’elle retenait son
souffle depuis presque une minute. Émue aux larmes, tentant de calmer les
battements de son cœur dont la cadence est anormalement élevée, elle se lève
pour faire face à Louis.
– Cassandra, je souhaite que tu portes ce pendentif et que tu poursuives
l’aventure avec moi.
– Bien sûr que oui.
Sa réponse est plus sèche que ce qu’elle avait espéré. Mais la vexation est
trop forte. Elle a le sentiment d’être passée très près du gouffre.
Après que Louis a positionné le pendentif, elle s’accroche à son cou et
dépose un baiser sur sa joue, réprimant son envie de pleurer devant les autres
filles.
Une vague de soulagement l’étreint, et c’est à ce moment-là qu’elle pense
à jeter un coup d’œil vers Magdalena. Celle-ci demeure immobile et donne
l’impression d’avoir reçu un seau d’eau glacée en plein visage.
Alors, Cassandra fait ce que jamais elle n’aurait pensé faire. Lentement,
elle se rapproche des autres filles victorieuses debout près du canapé et le
laisse aller à la rencontre de Magdalena. Pour la première fois, elle éprouve
une sincère compassion. À quelque chose près, elle aurait pu se trouver à sa
place.
– Magdalena, je suis profondément désolé, tente d’expliquer Louis.
– Je ne comprends pas, dit-elle en sanglotant. Tout… tout était si parfait
entre nous.
– Oui, c’est vrai, renchérit Louis. Nous avons beaucoup de points
communs. Mais il manquait quelque chose…
– Qu’est-ce que c’est ? demande Magdalena. Dis-moi, je suis sûre que je
pourrais…
– Chut, dit Louis en lui prenant la main.
L’animateur s’avance. Il est temps pour Magdalena de quitter le jeu.
Tentant vainement de sécher ses larmes, Magdalena fait volte-face et
quitte la salle. Sans emporter rien d’autre que ses espoirs déçus. Elle vient de
tout perdre.
Cassandra est partagée entre une joie immense et une tristesse absolue.
Elles ne sont plus que trois : Jessie, Victoria et elle.
Elles évoluent sur un chemin qui rétrécit à vue d’œil, menant l’une
d’entre elles à son but ultime, et les autres, vers une chute retentissante.
Chapitre 25

Elles ont terminé. En deux jours à peine, elles ont regardé l’ensemble des
épisodes. Le retour à la réalité est fracassant.
L’émission est bien plus redoutable que ce qu’elle avait imaginé. Et
pourtant, tout est vrai.
Elle se voyait heureuse et triomphante, mais en fait, elle ignorait juste ce
qui se passait ailleurs. Elle l’a vue, elle aussi, ou plutôt, elle les a vus,
ensemble, et cela lui a serré le cœur. Non, c’est un euphémisme, cela lui a
broyé le cœur.
Impossible de nier qu’il a éprouvé quelque chose pour cette fille.
Maintenant, elle comprend très bien pourquoi elle est revenue.
Plus que jamais, elle doute de sa relation avec Louis. Aurait-il fait une
erreur en la choisissant ? Bien sûr, il manifeste aussi des sentiments en sa
présence, mais ils font presque pâle figure en comparaison.
Elle a besoin qu’il s’explique.
L’ironie, dans tout cela, c’est que lorsqu’elles se sont vues au restaurant,
au fond, elle s’est moquée d’elle. Mais elle s’est leurrée. Cette fille représente
un vrai danger. Elle est sur le point de tout lui prendre. Nul doute qu’après
avoir vu ces images, Louis voudra la revoir.
Au moins, cela aura eu le mérite de lui faire comprendre à quel point sa
relation avec Louis est importante. Pour se calmer, elle se passe en boucle les
moments magiques qu’elle a vécus avec Louis, après son emménagement en
Chine. Au début, elle était perdue, son anglais ne suffisait pas toujours. Mais
il a été là, à chaque fois. Elle se souvient de sa patience. Même dans
l’intimité, quand il a fallu se découvrir complètement. Pas uniquement se
mettre nus, car cela avait déjà été fait pendant l’émission, mais faire l’amour,
pleinement. L’un avec l’autre, l’un pour l’autre.

Dans l’avion la ramenant en Chine, ses pensées la poursuivent. Elle


ressasse les derniers mots qu’elles ont échangés, au moment de se quitter,
devant l’immeuble à Paris. Elle a été claire, elle ne veut plus lui adresser la
parole. Cette fille est venue pour tout détruire, mais elle ne la laissera pas
faire. Et dorénavant, elle compte la garder à bonne distance. Est-ce que cette
garce comprend seulement que son monde s’est écroulé ?
Malheureusement, c’était sans compter sur sa ténacité. L’autre a insisté,
lui parlant d’un plan, d’une manière qui permettrait de les départager une
bonne fois pour toutes. À ce moment-là, elle a préféré tourner les talons et
monter dans un taxi.
Car sa préoccupation première est de revoir Louis et non de tramer à
nouveau quelque chose dans son dos.
L’urgence est de le retrouver, chez eux. De faire comme si de rien n’était
pour évacuer la douleur. Elle en a besoin.
Mais n’est-ce pas ce qu’ils font depuis des semaines déjà ?
Et où cela les a-t-il menés ?

De retour chez elle, le week-end est difficile, même si elle fait tout pour
sauver les apparences. Son seul soulagement est de ne plus être en compagnie
de cette fille.
Ce matin, elle est submergée par la tristesse. Louis n’a même pas
remarqué qu’elle ne va pas bien. L’émission sera diffusée ce soir, et une
chose est sûre, c’est qu’elle ne se sent pas capable de visionner les épisodes
avec lui. C’est au-dessus de ses forces.
Essaiera-t-il de se justifier ?
Tentera-t-il de dédramatiser en se moquant de ce qu’ils vont voir ou
entendre ?
Pendant que Louis travaille dans son bureau, elle récupère sa
documentation sur la création d’entreprises. Elle l’a insérée dans la poche
avant de la valise de Louis qu’elle a utilisée pour son voyage, comme pour
apporter des preuves à son mensonge. Ce geste lui fait honte. Voilà ce dont
elle est capable ! Elle a le sentiment d’avoir manigancé dans son dos alors
que, visiblement, il n’a pas douté une seule seconde qu’elle se soit bien
rendue à son séminaire.
Elle abandonne le bagage sur sa coiffeuse et, pour se changer les idées,
fait le tri dans les imprimés qu’elle a collectés. Tout à coup, elle remarque la
présence d’un pli à son intention. Elle reconnaît l’écriture de Louis. Elle reste
pétrifiée. Pourquoi Louis aurait-il glissé une lettre dans cette valise ? Ce doit
être quelque chose d’important, car jamais elle n’a reçu de lettre de sa part.
Son ventre se contracte. Elle est sûre qu’il s’agit d’une lettre de rupture. Il
doit lui annoncer qu’ils ne pourront pas surmonter tout cela. Que leurs
chemins se sont éloignés et qu’il ne se reconnaît plus aujourd’hui dans leur
histoire. Pire encore, qu’il s’est rendu compte qu’il est amoureux d’une autre
et qu’il va la rejoindre.
Anéantie, elle n’arrive plus à chasser ces idées noires. Elles envahissent
sa tête.
Au fond, s’il la quitte, ce sera une libération. D’une part, car elle
retrouverait sa vie à elle, et d’autre part, car elle pourrait plus facilement
affronter le regard des téléspectateurs qui, après avoir vu l’émission, la
gratifieront de phrases du genre « Eh bien, le duel était serré ! » ou bien « Il
t’a choisie, mais, on n’y croyait pas ! ».
Une rage soudaine déferle dans ses veines. Le doute a bien fait son
travail.
Elle serre toujours l’enveloppe dans sa main, le cœur battant, n’ayant pas
la force de l’ouvrir. Pourtant, il y a quelques jours encore, elle aurait rêvé que
Louis lui écrive.
Belle ironie.
Leur histoire entière est remise en question. Sens dessus dessous. Et la
communication est rompue.
Elle glisse le carré de papier dans la poche de son jean et sort prendre
l’air. Elle en a besoin. Ici, elle étouffe.
Elle flâne dans les rues bondées du centre-ville, s’éloignant un peu de son
quartier chic, profitant de l’agitation de fin de journée pour se mêler aux
habitants. Profiter des odeurs de nourriture, d’épices, de la vie locale.
Quelques heures plus tard, elle retourne sur ses pas et s’installe, seule, à
une table dans un bar branché qu’elle connaît bien. La nuit est tombée.
Son escapade de l’après-midi lui a fait du bien. Elle y voit plus clair.
Elle a remporté la victoire dans une bouffée d’orgueil démesurée,
doublant ainsi toutes ces filles pourtant sublimes.
Son attirance pour Louis était indéniable, mais elle n’était pas assez folle
pour accepter la demande en mariage d’un homme qu’elle connaissait depuis
moins de quinze jours.
Elle allait dire « non » et prendre l’argent. Tout ce qui avait été construit
pendant le jeu allait s’évaporer. N’allait rester que sa réussite, à elle.
Mais Louis ne voyait pas les choses de cette manière, c’est sûr. Pour lui
aussi, il était inconcevable de s’engager précipitamment. Il voulait utiliser les
six mois accordés par la production. Un laps de temps qui, selon lui, allait
leur permettre d’avancer prudemment, d’apprendre à se connaître. Une volte-
face radicale en comparaison de ce qu’ils avaient vécu pendant l’émission.
De quoi laisser une chance à ses sentiments naissants de s’épanouir.
Et c’est exactement ce qui s’est passé, sans même qu’elle s’en rende
compte.
La sonnerie de son téléphone la sort de ses songes. C’est Louis.
Regardant sa montre, elle constate que c’est déjà la fin des deux premiers
épisodes. Prise de panique, elle laisse sonner dans le vide, jusqu’à ce qu’il
bascule sur sa boîte vocale. Il réessaie un instant plus tard et elle refuse
l’appel.
Elle ne peut pas lui parler. Elle n’est pas prête à l’entendre parler de
l’émission, pas encore.
Ne sachant plus quoi faire, elle l’appelle… Elle.
Sa rivale.
Finalement, il n’y a plus qu’elle. Il n’y a jamais eu qu’elle.
Au téléphone, elles sont brèves. Nul doute que l’autre s’attendait à sa
réaction. Celle-ci lui indique l’adresse, c’est à deux pas. Elle n’en revient pas.
Cette garce vit ici, tout près d’elle… tout près d’eux. Le choc lui retourne
l’estomac. Cette fille est complètement folle. Ou alors, non, elles sont
devenues folles, toutes les deux. Un quart d’heure plus tard, elle est devant sa
porte.
Sans attendre, elle franchit le seuil et la gifle, fort. En réponse, sa rivale
sourit. Elle porte la main à sa joue, puis s’écarte pour la laisser passer.
Visiblement, l’autre occupe ce petit studio meublé depuis quelques
semaines seulement.
Elles entament la discussion à bâtons rompus. Inutile de cacher quoi que
ce soit désormais, alors elle parle des insomnies de Louis, de ses doutes, de
tout. Sauf de la lettre de rupture. Ce qui lui reste de fierté l’en empêche.
À sa grande surprise, l’autre fille l’écoute patiemment. À aucun moment
elle ne la presse ou tente de l’influencer par un commentaire. Elle termine son
récit au milieu de la nuit, complètement vidée.
– Bien, voilà. Je crois que j’ai tout dit.
– OK, et comment tu te sens ?
– Bof, j’ai connu des jours meilleurs.
– Je ne sais pas si tu te rappelles, mais je t’avais dit avoir une idée pour
nous sortir de cette situation.
– Oui, je m’en souviens. Explique-moi tout, je ne risque plus grand-
chose, de toute façon.
– Si l’on s’en tient à mon plan, il faudra tout d’abord que tu me supportes
encore quelques jours. Ensuite, tu devras absolument garder ton sang-froid.
Et si tu fais ça, tu sauras exactement où tu en es à la fin de la semaine.
– Si je peux me permettre, hormis le premier point, tout me semble
faisable.
– Très bien. Je considère que c’est OK, dit l’autre en souriant.
– Alors, de quoi s’agit-il ?
– Je crois que ce qu’il faut faire, c’est retourner dans l’émission… Pour
toujours et à jamais !
Chapitre 26

J – 1 : j’ai besoin d’un miracle…

Je viens de terminer, j’ai tout visionné, et je n’ai plus beaucoup de temps


devant moi. J’aurais préféré me reposer un peu avant mon retour en Chine,
mais c’est impossible.
Tout me paraît au-dessus de mes forces…
En partant, je salue l’hôtesse d’accueil. En échange, elle m’offre un
sourire baigné de compassion.
Je suis abattu et épuisé. J’ai la mine défaite, celle d’un gars surmené, et
pour cause, j’ai l’impression d’avoir subi un lavage de cerveau.
Il me faudrait du repos.
Je souris intérieurement en songeant que je suis justement en vacances.
Prendre cinq jours de congé au pied levé n’est pas dans mes habitudes. Bien
sûr, on ne pourra pas dire qu’ils auront été reposants. Mais au moins, j’ai
mené à bien ma mission. J’ai tout vu, jusqu’à la dernière minute.
Quand j’aurai pris du recul, j’arriverai sûrement à considérer mon
comportement comme risible plutôt que pitoyable. Je me suis vu séducteur,
entreprenant, aguicheur… Un aspect de ma personnalité que j’ignorais.
Je m’en veux de ne pas avoir été plus clair, plongé dans mon jeu de
séduction comme je l’étais, pour être certain qu’elles ne veuillent toutes que
moi. Jamais je n’ai voulu les induire en erreur…
Dans l’avion, impossible de fermer l’œil. Je suis perclus de fatigue, mais
mon esprit en ébullition ne veut pas lâcher prise. Tournant en boucle autour
des mêmes idées.
Je commence à céder à la panique. Malgré mon périple, je n’ai pas la
moindre idée de l’endroit où la retrouver demain.
Est-ce la confirmation que, depuis le début, je suis à côté de la plaque
avec elle ?
Je relis son message, que je connais pourtant par cœur.
Bonjour, Louis, je sais que tu es inquiet. J’ai refusé de discuter de l’émission, car
je ne pensais pas trouver les mots, mais finalement je sais quoi dire aujourd’hui.
Laisse-moi tout de même quelques jours pour penser à tout ça, je suis sûre que tu
comprendras. Retrouvons-nous vendredi à 17 heures… Tu sais où.

Elle sait quoi dire. Elle a donc lu la lettre et a pris une décision. Mais
pourquoi j’ignore où la retrouver ?
Complètement déboussolé, je songe un instant à contacter… l’autre fille.
Je rejette cette idée aussi sec, mais elle revient, plus forte, tel un boomerang
infernal. Je sais parfaitement pourquoi je pense encore à elle. La voir à
l’écran m’a rappelé ce que j’ai ressenti en sa présence. J’ai vu que je n’étais
pas indifférent. Voilà qui donne matière à réfléchir.
Dans le taxi me ramenant chez moi, je triture sans cesse mon téléphone.
Déjà jeudi matin. Encore quelques heures avant le dénouement. Je sens une
douleur au creux de mon ventre.
À peine rentré, devant le miroir de la salle de bains, je me passe les mains
sur le visage. Elles tremblent. Je retourne dans ma chambre et m’assois sur le
lit. Aucune trace de son passage.
Qu’est-ce que j’avais espéré ?
Saisissant mon téléphone, je cherche le numéro… l’autre numéro, que je
compose aussitôt, sans me laisser le temps de réfléchir davantage.
Au bout de deux sonneries, je suis transféré sur la boîte vocale. Eh non,
me dis-je, tu es tout seul.
À bout de force, en milieu d’après-midi, je me résous à prendre un
somnifère. Ma matière grise étant plus proche de la bouillie que d’un super
réseau organisé, je dois reprendre des forces pour y voir plus clair.
Je m’étends sur le lit, attendant que la pilule produise l’effet escompté.
Au bout de vingt minutes, je sens mes muscles se détendre.
Quelques instants plus tard, une chape de brume recouvre mon esprit, me
permettant d’accéder à plusieurs heures de repos bien mérité.
Soudain, au loin, j’entends la sonnerie de mon téléphone. Dans un sursaut
de conscience, je réussis à l’attraper et approche l’écran tout près de mon
visage. Je bats des paupières à plusieurs reprises, essayant de chasser le
brouillard qui m’empêche de savoir si ce que je lis est la réalité ou fait déjà
partie d’un rêve.
Elle n’a pas répondu à mon appel mais elle m’envoie un message.
Bonjour, Louis, retrouvons-nous vendredi à 17 heures… Tu sais où.
Chapitre 27

Jour J : 16 h 30

Je suis détendu et reposé.


Une partie des tourments est maintenant derrière moi, même si tout n’est
pas encore terminé. J’ai dormi jusqu’au petit matin, d’un vrai et long
sommeil réparateur. Au réveil, tout m’est apparu plus clairement.
En ce moment, je me promène le long de la muraille de Chine, du côté de
Simatai. En raison du temps froid, le site n’est pas bondé de touristes. Ayant
un peu de temps devant moi, je me repasse mentalement les images du
dernier épisode qui, tout doucement, m’ont guidé vers ce choix.
Je cherche un endroit pour m’isoler encore un peu plus et trouve un angle
de muraille qui fera bien l’affaire. D’ici, la vue est extraordinaire. Je reste
comme hypnotisé à chaque fois que j’y viens.

Premier rendez-vous

Les trois ultimes participantes reverront une dernière fois la villa. Dans
moins d’une semaine, après leur rendez-vous avec Louis. Cette fois, chacune
passera un jour et une nuit avec lui. Une combinaison des plus audacieuses.
Jessie est la première à partir avec Louis.
Elle doit le rejoindre ce matin même, dans le centre de Nice, sur la place
Masséna. Lorsqu’elle arrive, il se tient près de la fontaine.
La tendresse qu’elle lit sur son visage l’émeut. Elle en a désormais la
certitude, ils reprennent exactement là où ils en sont restés. De ce fait, elle
dépose un baiser sur ses lèvres tandis qu’il passe les mains dans son dos pour
la serrer davantage contre lui. La bulle vient de se reformer autour d’eux.
Jessie se sent apaisée, auprès de sa moitié qui lui a tant manqué.
Ils se promènent un instant le long de la place. Cette fois, ils ne sont pas
pressés. Ils discutent de la ville, du carnaval et du marché aux fleurs. Peu
après, ils s’arrêtent à une brasserie. L’air est doux et ils s’installent en terrasse
pour un petit déjeuner.
– Bien, dit Louis, nous allons faire quelque chose de très simple
aujourd’hui.
– Je t’écoute. Et je crois que tu sais d’avance que ça va me plaire.
– Oui, sans aucun doute ! Mais cette fois, c’est aussi parce que tous les
deux, nous aimons l’eau.
– Bien vu, monsieur le détective.
– Détective, capitaine… Je vois que j’ai de nombreuses casquettes.
En guise de réponse, elle lui fait un clin d’œil.
– Alors, journée plage ? tente-t-elle.
– Pas exactement.
– Je donne ma langue au chat.
– Randonnée et pique-nique.
– Oh ! Je vois. Et l’eau, dans tout ça ?
– Si on fait vite, on sera de bonne heure à l’hôtel et la piscine est
magnifique.
– Eh, j’imaginais une autre balade en bateau. Mais la piscine, c’est pas
mal. Allez, on y va !
Ils rient et, dix minutes plus tard, ils récupèrent la voiture qui leur servira
pour la journée.
La randonnée se passe à merveille. Jessie est très à l’aise dans ce genre
d’activité. Sans s’essouffler, ils marchent côte à côte, main dans la main. Ils
échangent à propos de leurs goûts respectifs, leurs occupations durant leur
temps libre et leurs lectures préférées.
Jessie aime la romance, alors que Louis a un penchant pour la science-
fiction. Ils bataillent près d’une demi-heure pour défendre leurs centres
d’intérêt, réglant leurs divergences par de langoureux baisers.
L’atmosphère est calme et sereine. Très loin du stress des précédentes
éliminations.
Ils parviennent à la clairière où se trouve leur panier de pique-nique.
Jessie n’a pas très faim, mais Louis insiste pour la faire grignoter un peu. Puis
ils s’installent sur la couverture qu’elle déplie pour eux. Les cigales chantent
aux alentours, les plongeant dans une ambiance estivale.
Une fois étendus, leurs regards se font plus intenses et, mieux que des
mots, les enveloppent d’ondes sensuelles. Louis l’attire contre lui et elle se
laisse faire. Elle a besoin de le sentir tout proche, de se serrer contre lui.
Leur complicité a évolué, et maintenant s’y ajoute une attraction
insatiable. Plus le temps passe et plus c’est une évidence pour Jessie. Et si, au
début, elle a douté d’elle et de la nature de sa relation avec Louis, elle sait
maintenant qu’elle ne le laisse pas indifférent.
La veille, il l’a choisie la première, sans hésitation – comme pour lui dire
que tout était possible.
Ils ont du mal à se remettre en route, mais la promesse de baignade les
motive. Ainsi, ils arrivent en milieu d’après-midi à l’hôtel et se prélassent
dans l’eau le restant de la journée, n’en sortant que pour dîner.
Après le repas du soir, ils profitent de la tiédeur de la nuit sur le balcon de
leur chambre, où une coupe de champagne les attend.
– Trinquons, dit Louis en l’attirant à elle.
– Trinquons. À nous, je suppose ?
– Oui, à nous.
Ils prennent une gorgée avant de s’embrasser tendrement, laissant leurs
mains effleurer leurs corps. Ils s’écartent un instant l’un de l’autre pour
mieux se dévisager, comme si un message était en train de passer entre eux.
Compatibilité physique, compatibilité intellectuelle…
Jessie se sent prête à tout avec lui, oubliant la compétition, le jeu, ne
souhaitant que profiter du moment présent. Leurs regards sont sans
équivoque, ils ont envie d’être ensemble, dans tous les sens du terme.
Louis tire doucement sur ses cheveux pour lui relever la tête et exposer
son cou. Il approche doucement ses lèvres puis les entrouvre pour faire
glisser sa langue sur sa peau, et remonter jusqu’au lobe de son oreille.
Jessie se serre contre lui. Louis caresse son dos, descend dangereusement
vers ses fesses. Elle défait les boutons de sa chemise, lâchant un gémissement
de plaisir. Louis vient de faire glisser sa robe au sol…
Deuxième rendez-vous

Cassandra patiente en attendant que Louis vienne la chercher à la villa.


Elle porte un short noir et un chemisier beige qui met en valeur son bronzage.
Louis l’invite à monter directement dans la voiture. Une fois installée,
elle dépose un léger baiser sur sa joue.
Cette fois-ci, elle ne dit rien – afin de surprendre Louis.
Étonné, il demande si elle souhaite savoir où ils se rendent.
– Là où tu voudras, ce sera parfait !
Cassandra a rentré les griffes. Les dernières éliminations lui ont laissé un
arrière-goût amer. Elle veut débuter la journée en lui montrant son côté le
plus doux, pour lui faire comprendre que tout est différent maintenant. Fini la
compétition, voilà vraiment qui elle est.
Elle ne sait pas exactement à quel moment les choses ont changé, quand
sa garde est tombée. Mais peu importe, les sentiments sont là, alors, à quoi
bon lutter ?…
Son attitude plus sage porte ses fruits, puisque Louis pose rapidement la
main sur sa cuisse.
– C’est encore mieux ainsi, ronronne-t-elle, satisfaite.
Ils se dirigent à vive allure vers la frontière italienne. Cassandra parle
beaucoup durant le trajet. Elle évoque son enfance, entourée de ses sœurs, sa
ténacité pour aller au bout de ses études et quelques souvenirs piochés ici et
là. Elle veut tout lui dire, absolument tout.
Cette virée en Italie lui donne du baume au cœur, car elle aime beaucoup
les pays méditerranéens. En particulier, bien sûr, la Grèce, les origines de sa
famille.
Louis se montre très attentif à ce qu’elle raconte. Il semble apprécier
qu’elle s’ouvre ainsi.
Pour la deuxième fois en deux jours, elle se sent vulnérable. Elle ne
contrôle plus la situation, et pire encore, elle ne contrôle plus ce qu’elle
ressent.
S’exposer ainsi la rend fragile, mais elle a confiance en Louis, du moins
jusqu’aux prochaines éliminations.
En son for intérieur, Cassandra est troublée : jamais elle n’aurait pensé
être à la merci d’un homme.
Ils arrivent en fin de matinée, après avoir déposé leur voiture à la gare de
Gênes et pris le train, seul moyen pour atteindre leur destination.
Tandis qu’ils surplombent la mer, Cassandra s’avance pour admirer la
vue. Ils sont à Vernazza, une ville magnifique de la Riviera italienne.
– Regarde comme c’est beau ! s’exclame-t-elle en essayant de discipliner
ses cheveux emmêlés par la brise.
– Oui, c’est superbe !
Il la rejoint après avoir chaussé ses lunettes de soleil. Cassandra en fait de
même. La mer scintille et les reflets du soleil les éblouissent.
Ils admirent un instant la disposition et la couleur des maisons accrochées
au rocher ainsi que le petit port. C’est un vrai coin de paradis.
À pied, ils se rendent jusqu’à la place du village où une table les attend,
spécialement dressée pour eux.
Cassandra observe autour d’elle, serrant toujours plus fort la main de
Louis à chaque fois qu’elle s’émerveille de quelque chose.
Une fois installée, elle se remémore les destinations qu’elle a découvertes
en sa compagnie : la Corse, l’aiguille du Midi et maintenant Vernazza. Elle
jette un regard aux montagnes à l’horizon, aux vestiges médiévaux autour
d’eux. Tout est parfait.
Et pour couronner le tout, à chaque fois que ses yeux reviennent à Louis,
elle le surprend à la fixer depuis quelques secondes.
– Tu sais, dit-elle, nous vivons vraiment quelque chose de magnifique,
mais je n’ai pas besoin de ce décor pour être bien avec toi…
Louis accueille cette phrase avec un large sourire.
– Oui, je l’ai compris, maintenant.
– Est-ce que… Est-ce que tu sais que, quand une femme a des étincelles
dans les yeux, c’est que son cœur est prêt à se laisser conquérir ?
Ils se sourient et se prennent les mains. Elle a été claire, transparente,
sincère. La balle est désormais dans le camp de Louis.

Après le déjeuner, ils partent pour une promenade en bateau. Ils en


profitent pour se baigner dans une crique, à l’abri de tous les regards.
Profitant de l’intimité de l’endroit, Cassandra se fait nettement plus
entreprenante. Sur la plage, elle s’assit à califourchon sur lui et l’embrasse
sans lui laisser de répit.
Ils finissent la journée en marchant sur le sable, main dans la main,
arpentant un décor de lune de miel.

***

Louis passe une journée idyllique en compagnie de Cassandra.


Finalement, il n’était pas friand de ce duel permanent qu’elle imposait au
début de leur rendez-vous. Alors son attitude d’aujourd’hui l’a surpris.
Agréablement.
Elle n’a été que douceur. Elle lui a montré la personnalité qu’elle réserve
– il l’a compris désormais – aux intimes. Cette même facette qu’il a vue
lorsqu’elle était en compagnie de ses sœurs.
Le soir, de retour au train, ils repartent pour Gênes, où se trouve leur
hôtel. Une soirée des plus romantiques les attend.
Louis s’est laissé gagner par les manières tactiles de Cassandra. Avec
elle, tout n’est désormais que douceur et partage. Il a l’impression de vivre un
rêve.
L’ascenseur les accompagne jusqu’à leur chambre. Durant la courte
ascension, ils se fixent langoureusement, adossés chacun contre une paroi. Le
tintement retentit et les portes s’ouvrent directement sur leur suite.
Cassandra lui jette un regard malicieux et se dirige vers le petit salon.
Mais il la retient par le bras et la retourne d’un geste. Emprisonnant ses mains
dans son dos, il approche ses lèvres des siennes. Un sentiment de satisfaction
l’envahit. Il a déjà le sentiment de la posséder.
Il l’oriente doucement vers la chambre. Le seuil franchi, il passe une
main dans ses cheveux en cascade et la retourne brusquement. Il aime la voir
de dos. Avec cette fille, il a besoin de dominer. Il remonte sa robe le long de
ses cuisses et la fait glisser par-dessus ses épaules, dévoilant ses jambes
dorées et sa lingerie noire.
Louis s’écarte un peu pour admirer son corps, puis il l’entraîne vers le
lit…
Troisième rendez-vous

Victoria est attablée à la terrasse de l’hôtel, impatiente de retrouver Louis.


Le thème de son rendez-vous lui convient à merveille : détente et soins. Louis
lui a fait la surprise de se joindre à elle directement sur place au lieu de la
retrouver plus tard au Spa.
– Tu sais bien que je ne manquerais le petit déjeuner pour rien au monde !
– Oh oui ! répond Victoria, je me suis aperçue que monsieur avait un
appétit d’ogre.
– Et toi, as-tu déjeuné ?
– Ah non ! Pas encore !
– Je prends ça pour un « non ». Allez, va te servir, sinon on reste ici.
– Mais je…
– Chut !
– Je…
Victoria se lève, amusée malgré son entêtement à la faire manger. Elle
revient avec une assiette débordante de nourriture.
– Si je grossis, ce sera ton problème !
Elle saisit sa fourchette et pique dans un pancake que, par défi, elle
engloutit presque complètement. Louis explose de rire, puis ils commencent à
discuter du programme de la journée.
Leur destination est toute proche : soins, piscine et repas gastronomique,
juste à la sortie de la ville. Un programme de rêve, qu’ils s’apprêtent à
partager. Victoria a hâte de l’entreprendre.

Le luxueux établissement est à la hauteur de ses espérances. La


décoration, alliant bois et couleurs naturelles, est sublime.
Ils se mettent rapidement en maillot de bain et pénètrent dans une salle
aux lumières tamisées. Victoria a du mal à s’empêcher de dévorer Louis du
regard.
Ses muscles saillants et son large torse lui insufflent un doux sentiment
de protection. Il incarne l’idéal masculin de nombreuses femmes, mais – elle
en est presque sûre – il ne le sait pas, ou du moins, il n’en joue pas outre
mesure.
Lors de leur dernier rendez-vous, tout s’est passé si vite. Leur relation a
beaucoup évolué. Aujourd’hui, elle a des papillons dans le ventre. Le vrai
trac du rendez-vous amoureux qui la rend maladroite.
Victoria ne cesse de se mordre la lèvre inférieure, comme hypnotisée,
sans se rendre totalement compte qu’il la fixe depuis un moment. Louis
s’approche, sourit devant son flagrant aveu de gourmandise et effleure ses
lèvres de son pouce.
– Arrête de te mordre, ou c’est moi qui le fais.
Elle entrouvre la bouche et, le voyant sourire encore, se reprend
immédiatement.
– Excuse-moi… On en était où ? le questionne-t-elle pour s’absorber dans
autre chose que la contemplation de son corps parfait.
– Au massage. Et c’est moi qui vais te masser. Ça te va ?
Victoria avale sa salive. Leur petit jeu de séduction se prolonge et,
vraisemblablement, cette fois-ci, elle va perdre. Comment résister à cet
homme ?

***

Louis s’applique à masser Victoria. L’ardeur de celle-ci l’amuse


énormément et il décide d’en profiter. Mais quand vient son tour, il se dit
qu’il n’aurait peut-être pas dû l’émoustiller à ce point, car elle se montre très
entreprenante et beaucoup plus libérée que ce à quoi il s’attendait.
Ce petit jeu fait grimper l’attraction à un point extrême.
Le déjeuner est expédié afin de profiter de la piscine et, surtout, de se
rafraîchir les idées. Louis lutte pour ne pas se laisser submerger par les
sensations, mais la jeune femme semble n’avoir pas dit son dernier mot. À
chaque instant, elle cherche le contact de ses lèvres et de sa peau.
Le repas du soir se déroule près de la piscine, sur la terrasse ombragée.
La brise soulève les voiles blanches placées de part et d’autre de la table pour
ménager leur intimité. On leur sert leur repas, un ensemble de poissons frais
et de crustacées, qu’ils dégustent à la lueur d’un chandelier. Louis remarque
que Victoria mange de bon appétit, affamée par la baignade de l’après-midi.
Plus tard, ils gagnent leur chambre, main dans la main. Victoria sourit et
se fait délibérément bien plus tactile que d’habitude. Louis sait qu’il ne va pas
lui résister longtemps.

Perdu dans mes songes, je repense à la soirée d’élimination qui a suivi


ces rendez-vous.
Comme la fois précédente, je devais arriver en dernier. Mais cette fois-ci,
chacune m’attendait dans sa chambre.
Avant de monter les rejoindre, je me suis arrêté près de l’animateur. Une
boîte, et seulement deux rubis à offrir pour poursuivre l’aventure.
Toutes attendaient ma réponse, mon choix.
C’était la dernière soirée que nous passions à la villa. La dernière
élimination avant la finale.
J’allais élire les deux dernières femmes qui resteraient dans le jeu. À
moins que l’une d’entre elles n’ait choisi de s’en aller. Ou pire, deux d’entre
elles. Ou, encore pire, les trois… Cette crainte aussi puissante qu’absurde,
qui, depuis le début du tournage, m’a fait repousser mes limites. Je voulais
maîtriser jusqu’au bout la situation.
L’animateur m’a parlé, mais je n’étais pas concentré. Au bout d’un
moment, j’ai senti une petite tape sur l’épaule. L’heure pour moi de rejoindre
la première candidate. Aucune n’avait choisi de partir.
J’ai souri, de la manière la plus arrogante qui soit, alors qu’au fond de
moi, j’étais complètement perdu.
Devant la première porte, j’ai douté. Je m’en souviens parfaitement. Je
n’étais plus sûr de rien.
J’ai frappé, je suis entré et me suis posté face à elle.
Elle était assise sur son lit, dans une magnifique robe noire. Son regard
était doux. Elle m’a regardé m’asseoir sur la chaise placée juste devant elle.
Pour ne pas la faire attendre davantage, j’ai sorti l’écrin de la poche de
ma veste et l’ai ouvert pour qu’elle voie le rubis.
Nous n’avons pas échangé un seul mot, mais une larme s’est mise à
couler sur sa joue. Et j’ai compris qu’elle irait jusqu’au bout. Que c’était elle
et moi.
– Cassandra, j’aimerais que tu acceptes ce rubis, pierre de bonheur et de
feu, et que tu poursuives l’aventure avec moi.
Elle s’est contentée de hocher la tête, retenant ses larmes à grand-peine.
Je me suis levé pour ouvrir sa chaîne et y glisser le pendentif. Puis, j’ai
déposé un baiser sur sa joue avant de sortir.
Dans le couloir, je me suis accordé une pause. J’avais besoin de me
ressaisir. Le plus dur était à venir.
Puis, je me suis présenté devant l’une des deux autres chambres. J’ai
frappé et suis entré.
Victoria m’attendait, un sourire aux lèvres qui ne demandait qu’à
s’épanouir encore.
Quand je me suis assis et que j’ai commencé à parler, lui expliquant
combien j’étais désolé, elle a compris, et des larmes se sont mises à ruisseler
sur son visage. Une, puis deux, puis un torrent.
Que dire ?
Une si jeune femme ne peut pas être prête à faire le choix d’une vie.
Et sans savoir pourquoi, j’ai eu une pensée émue pour son père.
En relevant la tête, elle a souri tristement. Comme si, au fond d’elle-
même, elle connaissait la fin de l’histoire. Mais ce soir-là, un rêve s’était
brisé, et, sous couvert d’un jeu, les conséquences ont été brutales.
Quand j’ai voulu la prendre dans mes bras, elle a refusé. Vivement. Alors
je suis sorti pour rejoindre Jessie et lui offrir le rubis que je réservais pour
elle.
La dernière cérémonie approchait à grands pas.
Je devais faire un choix entre Jessie et Cassandra. Deux filles qui, à ce
moment, selon le règlement, ne pouvaient plus se retirer du jeu.
La première, une femme douce en apparence, calme et réservée, mais qui
pouvait s’avérer tenace et déterminée.
Et la deuxième, qui voulait donner l’illusion d’être forte, indépendante,
mais pour mieux cacher des trésors de tendresse.
Chacune de ces deux femmes me donnait des frissons et les moments
partagés avec l’une comme avec l’autre étaient tous exceptionnels.
Pourtant, il a fallu faire un choix. Je ne pouvais pas les garder toutes les
deux.
Je devais revenir à la sensation. Celle qui, au-delà du jeu, serait le
fondement de notre relation.
Une de ces deux filles allait partager ma vie et sans aucun doute devenir
ma femme pour le restant de mes jours. Une erreur de jugement aurait des
conséquences dramatiques…

Il est 17 heures.
Je patiente encore et, malgré la fraîcheur de l’air, j’ai le sentiment
d’étouffer.
Il est 17 heures ; l’heure précise du rendez-vous, et je ne vois personne à
l’horizon. Mon malaise augmente et ronge la sérénité que j’ai péniblement
acquise avant de venir.
Me serais-je trompé ?
La veille, j’ai interprété le deuxième message en me disant que je devais
me rendre à un endroit commun aux deux femmes. Et j’ai pensé à l’endroit
où avaient eu lieu les dernières éliminations, celles qui les avaient
départagées.
Lors du tournage, j’avais accueilli cette idée avec un réel enthousiasme.
Partir en Chine pour les derniers rendez-vous était une excellente idée. De
quoi se projeter dans un contexte réel, quand tout serait terminé.
De ce fait, la muraille de Chine est un endroit hautement symbolique, le
point de départ de notre relation. Je ne peux pas me tromper, c’est
impossible !
Les minutes passent et ma nervosité atteint son paroxysme. Je me sens
impuissant face à cette situation, je n’en peux plus, il faut que le dénouement
soit proche.
Soudain, j’entends une voix féminine.
– Louis ?
Je pourrais reconnaître cet accent du soleil entre mille.
– Cassandra ! m’exclamé-je, profondément soulagé.
Nous nous sourions un instant et nous rapprochons l’un de l’autre. Elle
m’enlace tendrement et, l’espace d’un instant, son parfum à l’odeur si
familière me fait du bien. Cassandra porte la tenue que nous avons achetée
ensemble, juste avant de nous rendre à l’aiguille du Midi. Elle est encore plus
belle aujourd’hui, resplendissante avec cette étincelle dans les yeux, la même
que j’ai tant aimé lire dans son regard lors de nos derniers rendez-vous. Elle
semble à fleur de peau, tout comme moi.
– Alors, j’ai vu juste, commenté-je.
– Oui, c’est bien ici. Tu t’en souviens ?
– Bien sûr. Non seulement je m’en souviens, mais le visionnage du
dernier épisode en avant-première m’a encore rappelé ce moment.
– Oui, je sais, me dit Cassandra.
Sa réponse me surprend.
– Tu sais que je suis allé à Paris ?
– Bien sûr, il m’a suffi d’un coup de fil. Mais c’était juste pour vérifier.
Je te connais mieux que tu ne le crois ! dit-elle en souriant.
– Peut-être, dis-je en lui rendant son sourire. En tout cas, tu as les idées
tenaces.
– Oui, mais j’ai changé. Tu n’as pas remarqué ? Tu as été distant avec
moi ces derniers temps.
Elle sourit encore et je m’écarte d’elle. Je ne vois pas où elle veut en
venir.
– Tu te souviens de notre dernier rendez-vous ? reprend-elle.
– Oui, parfaitement.
– Ce restaurant, à Pékin. Enfin, une sorte de bar branché. J’y suis
retournée il y a peu de temps.
– Ah oui ? Pour te remémorer notre dîner là-bas ?
Je la questionne, faussement naïf, certain que quelque chose m’échappe.
– Oui, pour vivre à nouveau ces instants magiques… Toi aussi, tu as
changé. Tu n’es plus le Louis que j’ai connu lors du tournage.
– Tu as raison. J’ai vu ça, c’est immanquable ! Quel beau boulot ce
David, il a réussi à capter la moindre émotion, la moindre sensation. Il est
meilleur qu’un détecteur de mensonges. C’est étrange de savoir que des
milliers de téléspectateurs vont nous voir.
Je l’observe fixement en espérant que cette réponse la satisfasse mais son
visage se ferme.
– C’est vrai, je me suis fait la même remarque. Alors toi aussi, tu as vu ?
Enfin, tu nous as vus ?
– Oui.
– Alors, pourquoi ? Tu dois me le dire maintenant, parce que je suis
encore là.
Elle me sourit, les yeux brillants.
Je sais ce que je dois lui dire, ces dernières heures m’ont permis de faire
le tri dans mes idées. Et cette fois-ci, je suis sûre de moi. J’ai fait la part des
choses. Dissocier l’éphémère de ce qui sera durable dans ma vie.
– Je suis désolé, Cassandra, mais ma décision n’a pas changé depuis la fin
du tournage. C’est vrai qu’avec tout ce qui s’est passé entre nous, j’aurais pu
te choisir, mais je ne l’ai pas fait, et pour une bonne raison : celui que tu as vu
n’existe pas, Cassandra. Moi aussi, je me suis laissé prendre au jeu. Je voulais
que vous restiez toutes, toutes les filles, pour moi, et non pour l’argent. Que
vous tombiez toutes amoureuses. Alors, je suis allé trop loin parfois.
L’émission nous a poussés à faire semblant, dis-je en secouant la tête. Tu
mérites vraiment de trouver un homme qui t’apporte ce que tu recherches.
Nous n’aurions pas pu faire semblant indéfiniment.
– Tu dis cela, mais tu m’aimais, Louis, tu ne peux pas dire le contraire.
Les images parlent pour toi, lance-t-elle d’une voix dure.
– C’est vrai. Mais j’ai été aveuglé par mes émotions. J’étais bien avec toi,
je ne peux pas le nier, mais ça ne suffit pas. Tu aurais fini par être
malheureuse avec moi. Peut-être que je me trompe, mais je ne pense pas être
le genre de personnes que tu cherches.
– Tu étais exactement ce que je voulais, et tu le sais très bien.
– Alors, rappelle-toi notre dernier dîner.
– Oui, et alors ?
– Tu as souligné nos ressemblances, tu t’en souviens ? Notre caractère,
notre ambition, notre côté tactile. J’ai compris ce soir-là. C’est une facette de
moi que tu as vue, mais qui est loin d’être la personne que je suis au
quotidien. C’était par pure… séduction.
– Mais pourquoi, Louis, il te suffirait de…
– Chut, dis-je en posant un doigt sur sa bouche.
Elle attrape ma main et l’appuie contre sa joue, réprimant un sanglot. Je
sais que je la fais souffrir horriblement. Mais c’est nécessaire. Elle doit passer
à autre chose.
Je retire ma main et cela lui fait l’effet d’un électrochoc. Elle semble
comprendre qu’il est inutile de discuter davantage. Soudain, elle se met à
trembler de manière inquiétante, et ce n’est pas à cause du froid. La colère la
gagne.
– Quoi que je te dise, tu restes insensible, fait-elle d’un ton amer. Alors
comme ça, tu as bien profité de moi, c’est ça ? Tu as pris du bon temps, mais
ce n’est pas suffisant pour envisager une relation sérieuse. Je ne suis que la
fille légère, celle dont on profite. Est-ce que tu mesures tous les sacrifices que
j’ai faits pour toi ? Est-ce que tu penses que c’était pour entendre que tu as
fait semblant ? Ou que tu as eu un moment d’égarement !
– Cassandra, arrête…
– C’est cette fille que tu veux ? C’est ça ? Elle s’est servie de toi ! On est
toutes tombées amoureuses de toi sauf elle ! Elle n’en avait que pour l’argent,
et c’est elle que tu veux ? Comment est-ce que tu peux me faire ça !
Elle lève les poings et cogne mon torse de toutes ses forces. Elle me
frappe plusieurs fois. Je me contente d’encaisser les coups en essayant de la
maintenir contre moi. Petit à petit, je parviens à la calmer et m’approche de
son oreille pour lui murmurer des paroles apaisantes.
– Je regrette de t’avoir laissée entendre que tu avais trouvé l’homme de ta
vie, je reprends très sérieusement. C’est ma faute, je me suis laissé emporter.
Je l’avoue, j’ai été grisé par ce jeu de séduction. J’ai… je suis allé trop loin.
Tu es une femme superbe, Cassandra. J’aurais dû davantage réfléchir, mais
tout est allé trop vite. Je n’avais pas l’intention de me servir de toi. J’ai
ressenti quelque chose pour toi. C’est vrai, tu as raison, tu ne t’es pas
trompée. Mais j’ai dû faire un choix…
Cassandra pleure à chaudes larmes. Celles qu’elle n’a pas versées au
moment des dernières éliminations, à cet endroit même.
– Une dernière chose, demande Cassandra en sanglotant, encore blottie
contre moi. C’était bien quand même ? Je veux dire, nous deux ?
– Oui, c’était bien, vraiment très bien. Des moments inoubliables.
Une dernière fois, elle dépose un baiser sur ma joue, me sourit et
s’éloigne d’un pas mal assuré qui me fend le cœur.
Elle est brisée.
Jessie apparaît quelques secondes plus tard, les yeux humides des larmes
qu’elle vient de verser. De là où elle se tenait, ma conversation avec
Cassandra lui était tout à fait audible.
Je suis heureux de la voir, vraiment. Même si elle ne le sait pas, elle est la
seule avec qui je n’ai pas fait semblant. J’ai toujours été moi-même. Pendant
le tournage, elle a été mon havre de paix. Et je ne le lui ai jamais dit.
Mais je ne me doutais pas que ce n’était pas réciproque. Quand je l’ai vue
à l’écran il y a quelques jours, parlant de ses projets à Victoria, de ce qu’elle
était venue chercher en s’inscrivant au jeu, de sa volonté de gagner, j’ai cru
que mon cœur allait éclater.
Cet épisode m’a profondément blessé.
Voilà qui expliquait mieux la raison de son acharnement à éviter nos
conversations. Nous avions tous les deux quelque chose à craindre dans cette
retransmission.
Elle s’approche, tout près de moi.
C’est peut-être la dernière fois qu’elle le fera.

***

Jessie s’approche de Louis, un peu sonnée. Elle ne sait plus à quoi


s’attendre. Les paroles qu’il vient d’échanger avec Cassandra ont été brutales.
C’est la deuxième fois qu’il la repousse. Même si une partie d’elle-même est
satisfaite, l’autre s’inquiète du dénouement de cette histoire.
Ils échangent un regard en guise de salut.
Jessie ne sourit pas. Louis va enfin lui ouvrir son cœur. Cette fois, elle est
prête. De toute façon, elle ne peut en supporter davantage. Les masques vont
tomber.
Elle s’efforce de le regarder droit dans les yeux. Son pouls accélère.
– J’ai entendu tout ce que tu viens de dire à Cassandra, commence-t-elle.
– Oui, je sais.
Elle se contente de hocher la tête, encore un peu amère.
Louis vient d’expliquer qu’il a finement joué sa partie de Pour toujours et
à jamais. Un séducteur hors pair, qui a tout fait pour qu’elles tombent
amoureuses de lui. Tout n’était qu’apparence.
– C’est drôle parce que, moi aussi, je suis allée dans un bar, il y a
quelques jours. Là où nous avons passé notre dernière soirée dans le jeu.
C’était le soir de la diffusion des deux premiers épisodes. Nous ne sommes
pas si différentes, elle et moi. D’ailleurs, l’émission donne à croire que ton
choix n’a pas été si évident.
Louis recule. Il semble se fermer. Jessie doit admettre que son ton était
plus sec qu’elle n’aurait voulu.
– Pourtant, j’ai pris la bonne décision, répond-il, sûr de lui. J’ai été séduit
par Cassandra, c’est vrai, mais je ne suis pas véritablement tombé amoureux
d’elle.
– Je vois, se contente-t-elle de dire.
Elle sourit faiblement. Cette nouvelle devrait lui faire plaisir, mais elle
n’est pas suffisante pour dissiper le voile de tristesse qui l’enveloppe depuis
plusieurs jours. Elle ne peut s’empêcher de penser que ce ne sont que des
paroles prononcées pour la rassurer. Après tout, il ne l’a pas demandée en
mariage, à aucun moment. Et ses insomnies étaient bien trop fréquentes pour
qu’il n’ait eu que quelques doutes passagers.
Et puis, il l’a vue, elle, pendant le jeu.
Elle sait que son heure de vérité à elle vient d’arriver. Elle l’ignorait
jusqu’à présent, mais Louis aussi a vu les images, et a compris qu’elle n’était
pas aussi sincère qu’elle l’avait laissé entendre. S’il veut lui asséner le coup
de grâce en lui révélant qu’ils ne se marieront pas, c’est maintenant.
Elle regarde sa bague. Son diamant. Une pièce magnifique. Un bijou
hypnotisant qu’elle voulait gagner afin de concrétiser son projet
professionnel.
Mais il ne dit rien, il la regarde fixement. Elle comprend qu’elle ne peut
plus se dérober, il attend des explications. Quelle ironie du sort ! Alors
qu’elle a tant souffert à supporter ses flirts, c’est elle qui doit s’expliquer.
– Tu sais que, pendant le jeu, dit-elle la gorge serrée, je n’ai pas vraiment
été sincère, enfin, pas tout le temps. J’avais d’autres raisons de vouloir aller
jusqu’au bout.
Elle cherche ses yeux, mais il préfère se détourner. Il ne veut pas la
laisser lire dans son regard. Elle comprend alors qu’il a été blessé, lui aussi.
Elle patiente.
Comme pour se donner du courage, il inspire profondément. Puis, il se
tourne à nouveau face à elle. Il va parler, voici venu le moment qu’elle
redoute tant.
– Tu as su voir en moi qui j’étais vraiment, et ce dès le début, dit-il.
Il fait une pause, visiblement très ému. Elle a du mal à soutenir son
regard, mais elle tient bon, pour graver chacun de ses mots. Elle ne veut pas
en perdre une miette.
– Oui, dit-elle pour l’encourager à poursuivre.
– Je me souviens parfaitement de la première fois où j’en ai pris
conscience. Sur cette petite île de Saint-Honorat. J’étais tellement bien avec
toi. Hors du jeu, sans pression, sans challenge. Je n’avais pas besoin de
remplir les blancs d’une discussion forcée. Tu sais combien je n’aime pas
ça…
Il sourit et lui prend la main. Les yeux de Jessie brillent de plus en plus.
Elle se souvient de chaque seconde passée à ses côtés. Ses rires, ses sourires,
ses mots.
– Ma raison savait déjà que ce serait toi, mais elle avait du mal à faire la
loi, à ce moment-là. Le dernier jour, j’ai été le plus heureux des hommes…
Jamais je n’aurais pu deviner que tu étais restée pour l’argent. Pas… Pas toi !
– Oui, je sais, se contente-t-elle de dire, étouffant un gémissement.
– Ces images nous ont réservé de drôles de surprises, fait-il d’un air
accablé. Il y a six mois, tu t’étais inscrite en pensant repartir avec l’argent.
Est-ce que, aujourd’hui, c’est toujours le cas ?
Jessie écarquille les yeux. Elle a la gorge nouée. Tout à coup, ils ont l’air
d’être de parfaits étrangers l’un pour l’autre.
– C’étaient les règles du jeu, Louis, dit-elle pour se justifier. Amour ou
argent. Je me dois d’être sincère aujourd’hui, si tu m’avais fait ta demande en
mariage ici, lors de la finale, j’aurais dit non. J’aurais pris l’argent et je serais
allée créer mon agence de publicité. Voilà la vérité, Louis.
Louis recule, comme s’il accusait un violent coup de poing qu’il n’avait
pas vu venir.
– J’étais… séduite, mais pas sûre de moi, poursuit-elle dans un sanglot.
C’est seulement à ce moment-là que j’ai découvert qu’une partie de moi avait
envie de te suivre en Chine.
– OK, fait Louis d’un ton amer. Je vois.
Jessie se retourne pour s’appuyer au mur et laisse son regard errer sur le
paysage.
– Vivre avec toi a tout chamboulé. Plusieurs fois, j’ai eu envie que tu me
demandes en mariage pour qu’on en finisse avec tout ça. Mais rien. Je me
suis trouvée stupide, tu comprends ? Je venais de tomber amoureuse de toi, et
toi, tu ne te prononçais toujours pas ! Alors, j’ai commencé à avoir mal. Une
douleur insupportable.
Elle baisse les yeux et laisse les larmes couler sur ses joues. Louis pose
ses coudes sur le mur de pierres pour regarder au loin, comme elle.
– Mes insomnies, répond-il calmement, c’était parce que j’avais peur que
tu refuses ma demande. Peu importe le jeu ou les raisons qui t’ont menée
jusqu’à moi, ce qui compte, c’est maintenant. Je sais que tu as trouvé et lu la
lettre, et j’ai besoin de savoir.
Jessie tressaille. Non, elle ne l’a pas lue ! Elle regarde Louis lui prendre
la main. Il approche la bague près de ses yeux, puis, se met à chuchoter, le
cœur au bord des lèvres.
– J’ai été maladroit. À vrai dire, cette lettre, je comptais te la remettre en
main propre. C’est sûrement le truc le plus ringard que j’aie jamais fait !
– Attends, souffle-t-elle en fouillant les poches de son jean. Je l’ai sur
moi.
Elle sort l’enveloppe non décachetée.
– J’ai pensé qu’il s’agissait d’une lettre de rupture, pour aller rejoindre
Cassandra.
Louis referme sa main sur le papier blanc immaculé. Ses yeux brillent
intensément, d’une lueur qu’elle ne leur a jamais vue auparavant.
– Vas-y, ouvre-la, c’est l’endroit idéal, lâche-t-il avec un maigre sourire.
Tremblante, elle déchire l’enveloppe et en extrait le papier sur lequel ne
sont inscrits que quelques mots. Louis s’agenouille et les murmure, pour les
rendre plus réels.
– Veux-tu m’épouser ? Voilà ce que je pensais. C’est exactement ce que
je voulais. Depuis le début. Chaque jour, j’ai regretté de ne pas l’avoir fait
avant. Mais j’avais toujours cette crainte que ce ne soit pas le bon moment.
Jessie vacille. Ces revirements incessants la déstabilisent profondément.
La demande en mariage. Celle à laquelle elle était censée dire non pour
repartir avec le chèque… Son chèque, ses projets.
– Louis, je…
– Chut ! fait-il en serrant ses mains dans les siennes.
Louis se relève et Jessie se jette dans ses bras. Elle savoure le contact si
doux de son corps. En cet instant, Louis est tellement protecteur qu’elle a
envie d’y croire.
Leur étreinte ne dure que quelques secondes. Soudain, Jessie sent le corps
de Louis se tendre. Elle frissonne et leur bulle se rompt immédiatement.

***

Cassandra presse son arme dans le dos de Louis. La colère qui s’est
insinuée en elle est sur le point d’exploser. Tout ce qu’elle a retenu depuis
des semaines menace de la submerger.
– Vous ne pensiez pas que vous alliez vous moquer de moi une deuxième
fois, lance-t-elle d’une voix blanche. Est-ce que je vous avais parlé de mon
plan B ?
Ils s’écartent pour se placer face à elle. Elle pointe le revolver en
direction de Louis, plus précisément sur son cœur.
Cassandra sourit quand Jessie, incrédule, tente un pas dans sa direction.
Est-ce qu’elle veut la raisonner ?
Est-ce que la première peut seulement consoler la deuxième, la grande
perdante du jeu ?
Elle rit. Elle a bien trop souffert dans cette histoire, fait bien trop de
sacrifices. Et s’il est trop tard pour y changer quoi que ce soit, elle a besoin
de se venger.
– Ne bouge plus, espèce de garce, lance-t-elle à Jessie. Alors comme ça,
tu avais cette lettre et tu n’as pas jugé utile de m’en parler ? Tout est de ta
faute, et ce depuis le début. Si tu n’étais pas là…
– Arrête, Cassandra ! tente Jessie. Ça n’en vaut pas la peine. Je sais la
souffrance que tu ressens, mais si tu t’obstines, ce sera pire !
– La ferme, idiote !
Cassandra pointe son revolver en direction de Jessie et tire juste devant
elle. La déflagration produit un écho interminable et le recul la déséquilibre
tellement qu’elle tombe par terre. La puissance de l’arme l’a prise au
dépourvu.
Immédiatement, Louis se jette sur elle pour lui arracher le pistolet. Les
cris des quelques touristes éparpillés sur la muraille fusent en tous sens.
– Mais t’es complètement folle ! hurle-t-il alors qu’elle lui sourit en
retour.
– Pour une fois, tu as vu juste. J’ai été complètement folle de croire que
ce serait plus simple cette fois-ci. Si seulement j’avais su pour cette maudite
lettre, alors j’aurais mis mon plan B à exécution sans attendre. J’aurais
éliminé les obstacles dès le début. Tu vois ce que je suis capable de faire pour
toi ? Tu comprends mieux maintenant ?
– Mais comprendre quoi, Cassandra ? Tu dois laisser tomber avant de
faire quelque chose que tu regretteras jusqu’à la fin de ta vie. Quelque chose
que nous regretterons tous…
Jessie s’est recroquevillée dans un coin, contre le mur de pierre. Son
visage est marqué par l’effroi.
Cassandra sent qu’elle est en train de perdre le contrôle de la situation.
Pourtant il faut qu’elle aille au bout de la revanche qu’elle fomente depuis
des mois.
– Je pensais que tu accepterais l’évidence de la situation, reprend-elle.
Mais c’est peut-être trop tôt. Le temps viendra où tout sera plus clair pour toi.
Et tu verras que tu as fait une énorme erreur de la choisir, elle. La plus grosse
erreur de ta vie. Tu n’es qu’un menteur, Louis. Tu m’as aimée, totalement. Il
faut qu’elle le sache, tu m’as fait l’amour comme personne…
Cassandra se tourne en direction de Jessie.
– C’est elle qui est responsable de nos malheurs !
– Tu dois passer à autre chose, Cassandra, lui lance Louis, les yeux
emplis de colère.
– Non ! Jamais ! Tu m’entends, jamais !
Son cri déchire une fois de plus le calme des murailles.
Louis l’attrape par les épaules et l’attire contre lui.
Elle éclate de rire en se débattant.
– Ça ne se passera pas comme ça. Ce n’est pas moi qui décide, reprend-
elle, amusée. Depuis le début, c’est toi qui choisis, Louis.
– Mais qu’est-ce que tu veux ?
– Ce que j’ai gagné, Louis. J’ai joué, et aujourd’hui, j’ai gagné. Je suis
celle dont tu es tombé amoureux pendant le jeu. Elle, dit-elle en désignant
Jessie, elle peut garder la bague. Regarde, elle n’arrive même pas à s’en
séparer. C’est un signe ! Un jour, elle regrettera, et toi aussi. Un putain de
signe ! Tu ne vois pas ? Elle ne t’aimera jamais comme moi.
– Mais qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? gémit Louis.
– Moi ? dit-elle en secouant la tête. C’est toi qui m’as fait ça. Rends-moi
cette arme !

***

Je m’assure de la présence du revolver que j’ai glissé dans la poche de ma


veste. Jamais je n’aurais imaginé que cette histoire puisse nous entraîner si
loin. Un coup d’œil vers Jessie m’indique qu’elle est toujours prostrée, l’air
terrorisée.
C’est sûr, je ne peux pas nier ma part de responsabilité dans le drame qui
se joue.
– C’est moi qui vous ai fait ça…, je chuchote.
Je dois trouver un moyen d’aider Cassandra à redevenir elle-même.
Je tente un pas dans sa direction et la vois immédiatement reculer. Elle
est sur ses gardes. Je tente un pas de plus, et je réussis à l’attraper par la taille.
Au début, elle se débat, mais je parviens à lui immobiliser les bras en serrant
fort, au point de lui faire mal.
Elle lutte un instant, mais petit à petit, ses mouvements perdent de leur
vigueur. Elle finit par céder et, à ma grande surprise, fond de nouveau en
larmes.
Je la prends dans mes bras, plus tendrement, et ressens chacun de ses
sanglots. Même si elle vient de menacer nos vies, je sais que, pour le
moment, la seule chose que je puisse faire est de la calmer, sous le regard
froid et détaché de Jessie.
Au bout d’un instant, alors que ses sanglots semblent s’espacer, elle
s’écarte et je lis la terreur dans ses yeux. Signe qu’elle redevient lucide et
prend conscience de la situation.
Je jette à nouveau un coup d’œil du côté de Jessie. Elle est toujours
adossée au mur. Son regard m’indique que la scène qui vient de se jouer ici a
passé les limites de l’acceptable.
Je sors mon téléphone et appelle Julian. J’ai besoin d’aide pour ramener
les filles.
Chapitre 28

J+une semaine…

Je me réveille en sursaut, étendu sur le canapé du salon dans mon


appartement, en Chine. La télévision est encore allumée et je distingue
vaguement les images d’une série télé.
Mes insomnies sont de retour et me mettent à rude épreuve.
Je me passe les mains sur le visage pour sortir doucement de ma léthargie
puis regarde ma montre : 4 heures du matin.
Je me lève, m’étire et me dirige vers la chambre. Quand j’ouvre la porte,
le lit est vide. J’ai rêvé du retour de Jessie.
Après l’incident sur la muraille de Chine, elle est partie.
Besoin de réfléchir.
Et c’est compréhensible.
J’aimerais entendre la clé tourner dans la serrure et la voir entrer. Je la
prendrais dans mes bras et la ferais tournoyer dans les airs avant de
l’embrasser. Je lui dirais « je t’aime ». Mille fois.
Je ferais exactement tout ce que je n’ai pas fait quand elle était à moi.
Bien sûr, c’est trop tard. J’aurais dû réagir quand il était encore temps.
Désormais, il ne me reste que l’amertume des regrets et la solitude.
Tout est clair pour moi désormais : je suis fou amoureux d’elle. J’ai
trouvé ce que j’étais venu chercher en participant à cette émission idiote.
Elle aussi doit venir à bout de ses doutes.
Hier, au bureau, j’ai reçu des nouvelles de Cassandra par le biais de l’une
de ses sœurs.
Après le drame, Julian a appelé les parents de Cassandra pour qu’ils
s’occupent d’elle. Pour l’instant, elle vit avec eux, dans leur villa en France.
L’incident est resté sans suite.
Ni Jessie ni moi n’avons voulu causer de problèmes supplémentaires.
Maintenant, elle suit une thérapie dans un établissement tout près de chez
elle.
Je sais qu’elle se remettra de cette dérive passionnelle, et que cela finira
par devenir un lointain souvenir.

Note pour maintenant : rendre la femme que j’aime la plus heureuse du


monde… si elle revient.
Épilogue

Le public applaudit à tout rompre. Dans la vaste salle de réception,


l’ensemble des participants à l’émission est réuni pour la soirée de clôture.
Tous les épisodes ont été diffusés et une question reste en suspens sur toutes
les lèvres, y compris sur les miennes. Six mois plus tard, Jessie et moi
sommes-nous encore en couple ? Qu’en est-il du mariage ?
J’ai eu quelques contacts avec Jessie, par message, mais rien de plus. Je
lui ai renouvelé ma proposition, mais elle m’a fait savoir qu’elle avait besoin
de plus de temps.
C’est donc tétanisé que je me suis rendu sur le plateau de télévision. Je
sais que je vais la revoir et qu’elle va devoir me faire part de sa décision. Elle
n’a plus le choix.
Confortablement installé aux côtés de l’animateur, je fais face aux dix-
neuf jeunes femmes, formant une assemblée sulfureuse. Toutes sont là, sauf
Jessie. Je jette un coup d’œil du côté de Cassandra. Elle a l’air sereine, ce
soir, et plus en forme que la dernière fois que je l’ai vue. Cela me rassure.

Mesdames et messieurs, bonsoir ! Je suis ravi de vous accueillir sur ce plateau pour cette soirée
exceptionnelle. Vous avez suivi avec passion notre beau célibataire dans sa quête du véritable amour, et
vous apprendrez, dans quelques instants, si Louis et Jessie sont encore en couple à l’heure où je vous
parle. Plus encore, nous saurons bientôt si un mariage est envisagé ou bien si cette sublime et
talentueuse jeune femme choisira de repartir avec la somme de 100 000 euros et de garder sa
magnifique bague de fiançailles. Amour ou argent ? Tel est le dilemme auquel nos candidats ont tenté
d’apporter une réponse. Mesdames et messieurs, dans quelques instants, voici le dénouement de votre
émission favorite Pour toujours et à jamais !

Personne ne doit s’imaginer que moi aussi, je vais avoir la réponse à cette
question cruciale le soir même.
Les applaudissements reprennent de plus belle. Toutes les filles, sans
exception, arborent un large sourire. Visiblement, l’eau a coulé sous les
ponts, et l’émission n’est plus qu’un agréable souvenir. Elles ont l’air d’avoir
remisé la rancœur et les déceptions.
– Avant de donner la parole à nos principaux intéressés, reprend
l’animateur, je souhaiterais revenir sur l’histoire des dernières candidates.
Victoria, vous n’avez été éliminée qu’à l’avant-dernier tour. Vous faisiez une
adversaire de taille. Regardons un peu quelques images qui retracent votre
parcours dans ce jeu.
Immédiatement, un condensé des moments que Victoria et moi avons
partagés défile sur un écran géant. On nous voit nous amuser et rire en nous
promenant à Madrid. Une partie de ce minireportage est consacrée à la scène
sur la Plaza Mayor et aux baisers torrides qui s’ensuivent. Notre attachement
est émouvant.
Je remercie intérieurement David d’avoir organisé la soirée de manière à
ce que Jessie n’arrive qu’à la toute fin. Lui imposer une nouvelle fois ces
images ne m’aurait laissé aucune chance auprès d’elle.
L’écran passe au noir et le présentateur enchaîne :
– Alors, Victoria, pouvez-vous nous parler de ces moments que vous avez
passés en compagnie de Louis ? Êtes-vous encore déçue par sa décision ?
Les regards convergent vers Victoria. Elle est plus belle que jamais dans
sa robe mauve et semble, d’une certaine manière, plus mûre que lors du
tournage. Ses yeux brillent, preuve que l’émotion est encore palpable.
– Bonsoir, et merci de me donner la parole ce soir. C’est sûr qu’en voyant
ces images, je me demande encore pourquoi je n’ai pas été choisie, dit-elle en
souriant.
Des rires s’élèvent des quatre coins de la salle.
– Est-ce que cela veut dire que vous avez encore des regrets ? lui
demande l’animateur.
– Non, vraiment. Plus sérieusement, quand je revois ces images, je suis
heureuse, car j’ai vécu des moments… bouleversants avec Louis. Mais je
crois que nos routes se sont simplement croisées. Je ne pense pas qu’elles
auraient pu se confondre pour que naisse une vraie relation.
– Pourtant, vous aviez l’air de tenir à lui ?
– Oh oui !
On entend à nouveau quelques rires dans la salle.
– Je crois, reprend-elle, qu’il nous a été donné la chance, à toutes, de faire
la rencontre de quelqu’un d’exceptionnel.
Les filles hochent la tête unanimement pour confirmer son sentiment.
Je me sens gêné par ce compliment. Je sais très bien que j’ai largement
profité de la situation.
– Bon ! Alors, Victoria, un pronostic, puisque c’est quelque chose que
vous avez aimé faire durant l’émission. Pensez-vous que Jessie et Louis sont
encore en couple aujourd’hui ?
Les filles se regardent les unes les autres en souriant.
– Je ne préfère pas me prononcer, lance Victoria, mais disons qu’en les
voyant, on ne peut pas nier qu’ils forment un très beau couple.
– Merci à vous, Victoria ! Maintenant, revenons un peu sur l’histoire de
Cassandra. Cassandra, Louis et vous avez été très proches de former notre
couple vedette. Nous avons tous constaté que vous êtes loin d’avoir laissé
notre beau célibataire indifférent. On aurait pu penser que l’amour était au
rendez-vous, mais… regardez !
La salle s’obscurcit un instant. Sur l’écran, Cassandra et moi paraissons
filer le parfait amour. Discrètement, je jette un coup d’œil dans sa direction.
Du revers de la main, elle essuie rapidement une larme qui coule sur sa joue.
Lorsque la lumière revient, au moment où tous les regards convergent
vers elle, elle se redresse, souriante, et affiche cet air arrogant qu’elle maîtrise
parfaitement.
– Alors, Cassandra, n’avez-vous pas vécu ce dénouement comme une
douche glacée ?
– Non, pas vraiment, dit-elle avec son accent du soleil. Voyez-vous,
Louis et moi avons profité de l’instant présent, tout simplement. Nous nous
sommes bien amusés.
– Pourtant, on vous a aussi entendue parler de projets, d’avenir à deux ?
– C’est vrai, mais c’était dans le contexte du jeu, de la séduction. La
compétition demandait de se projeter, juste ça. Tout est bon pour gagner,
n’est-ce pas ?
– Ce n’était qu’un jeu pour vous, alors ? Votre choix était fait ? Plus
argent qu’amour ?
– Exactement, dit-elle en narguant les autres filles, ce n’était rien de plus
qu’un jeu. Pour que l’amour gagne sur l’argent, il doit vraiment être pur et
sincère. Sinon, il n’a aucune chance, de nos jours !
Pendant que les autres filles sourient devant l’assurance inégalable de
cette jeune femme qu’elles ont côtoyée six mois plus tôt, Cassandra
m’adresse un clin d’œil. Je crois que c’est pour me signifier que tout va bien.
Que cette histoire est derrière elle maintenant.
– Merci pour cette clarté. Et votre pronostic ?
– Je répondrais la même chose que Victoria, et j’ajouterais que ce serait
bien qu’ils soient encore ensemble, car ils ont l’air vrai tous les deux. J’ai un
peu côtoyé Jessie, et même si c’est une vraie trouillarde, cela prouverait enfin
qu’un amour sincère est encore possible aujourd’hui.
– Eh bien ! Quel défi ! Dans quelques minutes, nous allons enfin laisser la
parole à Louis. Mais juste avant cela, il est l’heure d’accueillir Jessie !
Le public se déchaîne avant qu’un silence religieux ne retombe dans la
salle. Je ne sais pas si, comme moi, les spectateurs sont captivés par sa beauté
ou si c’est parce qu’ils espèrent une parole, mais lorsqu’elle s’assoit sur la
banquette, il n’y a pas un chuchotement dans la salle.
Jessie sourit. Elle est resplendissante. Ses longs cheveux sont coiffés sur
le côté et, pour la soirée, elle porte une robe bleu azur qui lui donne l’air
d’une princesse.
Je remarque qu’elle porte encore la bague de fiançailles et sens d’un coup
la panique monter en moi. Mais l’animateur me regarde déjà avec insistance,
signifiant que je dois prendre la parole.
– Merci beaucoup, et bonsoir à toutes, mesdemoiselles. Je serai bref.
Les filles se mettent à rire. Il est vrai que je commence souvent mes
discours de cette manière. Je souris d’un air gêné.
– En regardant ces épisodes, je me suis rendu compte que j’avais eu
décidément beaucoup de chance que vingt beautés comme vous s’intéressent
à moi. Je vous avoue sans détour que tout cela m’a mis à fleur de peau, voire
à rude épreuve. Bien souvent, j’ai agi avant de réfléchir ! Je dois aussi vous
avouer que j’ai appris beaucoup de choses à votre contact. J’ai grandi, d’une
certaine manière. En somme, je tiens sincèrement à vous remercier, toutes,
pour ce que vous m’avez apporté, et j’en profite également pour remercier
très chaleureusement le producteur de l’émission.
David, installé en retrait à l’entrée des coulisses, me fait un signe de la
main.
– Aujourd’hui, je reprends, je suis le plus heureux des hommes. Et je suis
incroyablement fier de me trouver aux côtés de cette splendide jeune femme.
Jessie se met à rougir. Elle se lève et me rejoint.
Je ne détache plus mon regard du sien et, pour la première fois, j’arrive
parfaitement à lire ce qu’elle pense. Nous sommes de nouveau dans une seule
bulle, les deux moitiés d’une seule pensée.
L’animateur laisse durer ce moment imprévu avant de reprendre les rênes
de l’émission.
– Est-ce que cela veut dire que vous êtes encore ensemble ?
– Oui, je réponds, plus pour moi-même que pour les spectateurs.
Un tonnerre d’applaudissements emplit la salle.
Puis Jessie regarde l’animateur et celui-ci réclame le silence.
– J’aimerais prendre la parole, commence-t-elle. Cela s’adresse bien
évidemment à Louis, en rapport avec une lettre qu’il m’a écrite. La réponse
est « oui ». Je suis peut-être venue pour l’argent, mais j’ai trouvé l’amour, et
c’est bien ce qui compte le plus pour moi.
Je reste médusé.
Un brouhaha se fait entendre. L’assemblée demande des explications.
– Doit-on comprendre que vous allez vous marier ? hurle l’animateur,
complètement survolté.
D’un geste, Jessie ôte sa bague et la pose sur la table basse, juste devant
nous.
Je sens mes yeux s’écarquiller et mon cœur battre de plus en plus vite.
Vibrant, vivant, heureux.
– Oui, nous disons tous les deux, avant de nous embrasser tendrement.
Générique

Diamonds are a girl’s best friend


(Les Diamants sont le meilleur ami de la femme)

The French are glad to die for love


(Les Français sont ravis de mourir d’amour)
They delight in fighting duals
(Ils aiment se battre en duel)
But I prefer a man who lives and gives
(Mais je préfère un homme vivant et qui m’offre)
Expensive jewels
(De coûteux joyaux)

À kiss on the hand may be quite continental


(Le baisemain est peut-être très continental)
But diamonds are a girl’s best friend
(Mais les diamants sont le meilleur ami de la femme)
À kiss may be grand, but it won’t pay the rental
(Un baiser est très bien, mais ça ne paie pas le loyer)
On your humble flat, or help you at the automat
(De votre humble appartement, ni ne vous aide à la laverie)

Men grow cold as girls grow old


(Les hommes se refroidissent quand les femmes vieillissent)
And we all lose our charms in the end
(Et nous perdons toutes nos charmes à la longue)
But square-cut or pear-shaped
(Mais taillés en carré ou en goutte d’eau)
These rocks don’t lose their shape
(Ces cailloux ne perdent pas leurs formes)
Diamonds are a girl’s best friend
(Les diamants sont le meilleur ami de la femme)

Tiffany’s!
(Tiffany’s !)
Cartier!
(Cartier !)
Black star, Frost, Gorham!
(Black star, Frost, Gorham !)
Talk to me, Harry Winston, tell me all about it!
(Parlez-en-moi, Harry Winston, parle-m’en encore !)

There may come a time when a lass needs a lawyer


(Il peut venir un temps ou une fille a besoin d’un avocat)
But diamonds are a girl’s best friend
(Mais les diamants sont le meilleur ami de la femme)
There may come a time when a hard-boiled
(Là peut venir un moment où c’est dangereux)
Employer thiks you’re awful nice
(Parfois, un employeur pense que vous êtes affreusement mignonne)
But get that ice or else no dice
(Mais sans ces glaçons attention)

He’s your guy when stocks are high


(Il vous aime quand la bourse va bien)
But beware when they start to descend
(Mais attention quand ça dégringole)
It’s then that those louses go back to their spouses
(Ces lâches retournent voir leur femme)
Diamonds are a girl’s best friend
(Les diamants sont le meilleur ami de la femme)
I’ve heard of affairs that are strictly plutonic
(J’ai entendu parler de liaisons purement platoniques)
But diamonds are a girl’s best friend
(Mais les diamants sont le meilleur ami de la femme)
And I think affairs that you must keep liaisonic
(Et je pense que les histoires qui restent des liaisons)
Are better bets if little pets get big baggettes
(Sont plus belles si les petites poules ont de gros cadeaux)
Time rolls on and youth is gone
(Le temps s’en va, la jeunesse s’envole)
And you can’t straighten up when you bend
(Et vous ne pouvez plus vous redresser)
But stiff back or stiff knees
(Mais même avec le dos ou les genoux tordus)
You stand straight at Tiffany’s
(Vous êtes droite chez Tiffany’s)

Diamonds!
(Diamants !)
Diamonds!
(Diamants !)
I don’ t mean rhinestones
(Je ne parle pas des pierres du Rhin)
But Diamonds are a girl’s best…
(Mais les diamants sont les meilleurs…)
Best friends
(Meilleurs amis)
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