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Année 2022-2023

Histoire moderne 3

Révoltes, révolutions et religions en Europe et


en Amérique du Nord

Fin XVIIe siècle – début XIXe siècle

L3 Histoire
L3 Lettres-Histoire
L3 Droit-Histoire

La Révolution et l’Église en 1791, caricature, BnF


Révoltes, révolutions et religions
Europe – Amérique du Nord
Fin XVIIe siècle – début XIXe siècle

Introduction (1)

1ère partie : Le cadre général (4)

Etats, révolutions et religions (2)

Lumières, révolutions et religions (2)

2e partie : Révoltes, révolutions et religions en Europe et en Amérique du Nord de la fin du


XVIIe siècle aux années 1780 (8)

Un exemple de révolution : la Glorieuse révolution en Angleterre et ses conséquences, 1688-1689 (2)

Un exemple de révolte religieuse : la guerre des Camisards (1702-1704), et la question protestante


jamais réglée (2)

Les questions religieuses dans la constitution des 13 colonies anglaises (2)

Les questions religieuses dans la révolte des 13 colonies et ses conséquences (2)

3e partie : Les questions religieuses dans les mouvements révolutionnaires européens de la fin du
XVIIIe siècle (10)

Les mouvements révolutionnaires européens des années 1780 et les questions religieuses (2)

Les questions religieuses au cœur des transformations révolutionnaires, 1789-1792 (2)

Terreur, révolution et religion, 1792-1795 (3)

Directoire et consulat, révolution et religion, 1795-1802 (3)

Conclusion (1)
Organisation des enseignements

CM TD1 TD2 TD3 TD Cholet


12 / 09

19 / 9

26 / 09 29 / 9 29 / 9 29 / 9 27 / 9

3 / 10 6 / 10 6 / 10 6 / 10 4 / 10
10 / 10 13 / 10 13 / 10 13 / 10 11 / 10
17 / 10 20 / 10 20 / 10 20 / 10 18 / 10
24 / 10 27 / 10 27 / 10 27 / 10 25 / 10
7 / 11 10 / 11 10 / 11 10 / 11 8 / 11
14 / 11 17 / 11 17 / 11 17 / 11 15 / 11
21 / 11 24 / 11 24 / 11 24 / 11 22 / 11
28 / 11 1 / 12 1 / 12 1 / 12 29 / 11
5 / 12 8 / 12 8 / 12 8 / 12 6 / 12
12 / 1 12 / 1 12 / 1 10 / 1
13 / 1 13 / 1
19 / 1 17 / 1

Note finale pour les étudiants assidus :

- 50% devoir final du 27 janvier 2023


- 50% exercices à rendre, dont :

Devoir du 28 octobre (1/2 promotion)


Un oral
Un commentaire de document
Un compte rendu d’article

Note finale pour les dispensés d’assiduité :

- 50% devoir final du 27 janvier 2023


- 50% commentaire de document à rendre

Les devoirs à rendre doivent être totalement rédigés (Times, format 12, intervalle 1.5, justifié,
marges 2.5)

Pour tous les étudiants, les devoirs écrits sont à déposer sur moodle en format word ou équivalent
(surtout pas de format PDF).
Programme TD

Séance 1 : semaine du 26 / 09
Méthodologie du commentaire de document et de la présentation d’articles
Définitions des termes du sujet d’après le Dictionnaire de Furetière (1690) et l’Encyclopédie (1751)

Séance 2 : semaine du 3 / 10
Texte de Locke sur la tolérance
Texte de Locke sur le système de gouvernement

Séance 3 : semaine du 10 / 10
Texte de Le Camus sur les comportements des NC (1698)
Témoignage d’un Camisard

Séance 4 : semaine du 17 / 10
Dossier d’articles sur le peuplement des 13 colonies
La déclaration des droits de Virginie (1776)

Séance 5 : semaine du 24 / 10
Méthodologie de la dissertation
Document sur les Gordon Riots

Séance 6 : semaine du 7 / 11
L’édit de tolérance de Joseph II, 1781
Le manifeste sur les droits du peuple la province de Brabant, 1787

Séance 7 : semaine du 14 / 11
Correction de devoir
Le Vieux Cévenol De Rabaul Saint-Etienne, 1788

Séance 8 : semaine du 21 / 11
Les répercussions de la Révolution à Nîmes, 1790
Dossier d’articles sur les affrontements religieux de 1790-1791

Séance 9 : semaine du 28 / 11
Document sur les juifs de Metz
Les avis des historiens sur les massacres de septembre 1792

Séance 10 : semaine du 5 / 12
Commentaire de document : la déchristianisation
Dossier d’articles : prêtres et pasteurs face à la Révolution

Séance 11 : semaine du 9 / 1
Lettre d’un curé assermenté (1793)
Les mémoires de Mme de La Rochejaquelein

Séance 12 : semaine du 16 / 1
La théophilanthropie
Articles organiques organisant les cultes protestants (1802)
Séance 1
Semaine du 26 septembre

1. Articles du Dictionnaire d’Antoine Furetière (1690)

Révolte : rébellion d’un peuple contre l’autorité légitime […].

Révolution : mouvement des astres accompli, lorsqu’ils reviennent au même point du zodiaque […]. Se
dit aussi de changements extraordinaires qui arrivent dans le monde. Il n’y a point d’Etats qui n’aient
été sujets à de grandes révolutions, à des décadences […].

Religion : culte du vrai Dieu, cérémonies extérieures par lesquelles on témoigne qu’on l’adore dans son
cœur. La vraie Religion est la Catholique, Apostolique et Romaine. Tous les autres des faux Dieux ne
sont que superstition, ne s’appellent Religion qu’abusivement […]. Se dit aussi des hérésies. La Religion
protestante ; la Religion des Huguenots, des anabaptistes, des schismatiques, et généralement de tous
ceux qui nient quelque point fondamental de Religion. L’apostasie est cause du changement de Religion.

2. Articles de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751, Jaucourt)

RÉVOLTE, s. f. (Gouvern. polit.) Soulevement du peuple contre le souverain. L’auteur du Télémaque,


liv. XIII, vous en dira les causes mieux que moi.
« Ce qui produit les révoltes, dit-il, c’est l’ambition & l’inquiétude des grands d’un état, quand on leur
a donné trop de licence, & qu’on a laissé leurs passions s’étendre sans bornes. C’est la multitude des
grands & des petits qui vivent dans le luxe & dans l’oisiveté. C’est la trop grande abondance d’hommes
adonnés à la guerre, qui ont négligé toutes les occupations utiles dans le tems de la paix. Enfin, c’est le
desespoir des peuples mal-traités ; c’est la dureté, la hauteur des rois, & leur mollesse qui les rend
incapables de veiller sur tous les membres de l’état, pour prévenir les troubles. Voilà ce qui cause les
révoltes, & non pas le pain qu’on laisse manger en paix au laboureur, après qu’il l’a gagné à la sueur de
son visage.
Le monarque contient ses sujets dans leur devoir, en se faisant aimer d’eux, en ne relâchant rien de son
autorité, en punissant les coupables, mais en soulageant les malheureux ; enfin, en procurant aux enfans
une bonne éducation, & à tous une exacte discipline au milieu d’une vie simple, sobre, & laborieuse ;
les peuples ainsi traités, seront toujours très-fideles à leurs princes ». (D. J.)

RÉVOLUTION, s. f. signifie en terme de politique, un changement considérable arrivé dans le


gouvernement d’un état.
Ce mot vient du latin revolvere, rouler. Il n’y a point d’états qui n’aient été sujets à plus ou moins de
révolutions […].
Révolution, (Hist. mod. d’Angl.) Quoique la Grande-Bretagne ait éprouvé de tous tems beaucoup de
révolutions, les Anglois ont particulierement consacré ce nom à celle de 1688, où le prince d’Orange
Guillaume de Nassau, monta sur le trône à la place de son beau-pere Jacques Steward. La mauvaise
administration du roi Jacques, dit milord Bolinbroke, fit paroître la révolution nécessaire, & la rendit
praticable ; mais cette mauvaise administration, aussi-bien que toute sa conduite précédente, provenoit
de son attachement aveugle au pape & aux principes du despotisme, dont aucun avertissement n’avoit
pu le ramener. Cet attachement tiroit son origine de l’exil de la famille royale ; cet exil avoit son principe
dans l’usurpation de Cromwel ; & l’usurpation de Cromwel avoit été occasionnée par une rebellion
précédente, commencée non sans fondement par rapport à la liberté, mais sans aucun prétexte valable
par rapport à la religion.
Révolution, est aussi un terme de Géométrie. Le mouvement d’une figure plane qui tourne autour d’un
axe immobile, est appellé revolution de cette figure. […].

RELIGION, s. f. (Théolog.) religio, est la connoissance de la divinité, & celle du culte qui lui est dû.
Le fondement de toute religion est qu’il y a un Dieu, qui a des rapports à ses créatures, & qui exige
d’elles quelque culte. Les différentes manieres par lesquelles nous arrivons, soit à la connoissance de
Dieu, soit à celle de son culte, ont fait diviser la religion en naturelle & en revélée.
La religion naturelle est le culte que la raison, laissée à elle-même, & à ses propres lumieres, apprend
qu’il faut rendre à l’Etre suprême, auteur & conservateur de tous les êtres qui composent le monde
sensible, comme de l’aimer, de l’adorer, de ne point abuser de ses créatures, &c. On l’appelle aussi
morale ou éthique, parce qu’elle concerne immédiatement les mœurs & les devoirs des hommes les uns
envers les autres, & envers eux-mêmes considérés comme créatures de l’Etre suprême.
La religion revélée est celle qui nous instruit de nos devoirs envers Dieu, envers les autres hommes, &
envers nous-mêmes, par quelques moyens surnaturels, comme par une déclaration expresse de Dieu
même, qui s’explique par la bouche de ses envoyés & de ses prophetes, pour découvrir aux hommes des
choses qu’ils n’auroient jamais connu, ni pu connoître par les lumieres naturelles. C’est cette derniere
qu’on nomme par distinction religion.
L’une & l’autre supposent un Dieu, une providence, une vie future, des récompenses & des punitions ;
mais la derniere suppose de plus une mission immédiate de Dieu lui-même, attestée par des miracles ou
des prophéties.
Les Déistes prétendent que la religion naturelle est suffisante pour nous éclairer sur la nature de Dieu,
& pour régler nos mœurs d’une maniere agréable à ses yeux. Les auteurs qui ont écrit sur cette matiere,
& qui jugent la religion naturelle insuffisante, appuient la nécessité de la révélation sur ces quatre points.
1°. Sur la foiblesse de l’esprit humain, sensible par la chûte du premier homme, & par les égaremens
des philosophes, 2°. Sur la difficulté où sont la plupart des hommes de se former une juste idée de la
divinité, & des devoirs qui lui sont dûs. 3°. Sur l’aveu des instituteurs des religions, qui ont tous donné
pour marque de la vérité de leur doctrine des colloques prétendus ou réels avec la divinité, quoique
d’ailleurs ils ayent appuyé leur religion sur la force du raisonnement. 4°. Sur la sagesse de l’Etre suprême
qui ayant établi une religion pour le salut des hommes, n’a pu la réparer après sa décadence par un
moyen plus sûr que celui de la révélation. Mais quelque plausibles que soient ces raisons, la voie la plus
courte à cet égard, est de démontrer aux déistes l’existence & la vérité de cette révélation. Il faut alors
qu’ils conviennent que Dieu l’a jugée nécessaire pour éclairer les hommes ; puisque d’une part ils
reconnoissent l’existence de Dieu, & que de l’autre ils conviennent que Dieu ne fait rien d’inutile.
La religion revélée, considérée dans son véritable point de vûe, est la connoissance du vrai Dieu comme
créateur, conservateur & redempteur du monde, du culte que nous lui devons en ces qualités, & des
devoirs que sa loi nous prescrit, tant par rapport aux autres hommes, que par rapport à nous-mêmes.
Les principales religions qui ont régné, ou regnent encore dans le monde, sont le Judaïsme, le
Christianisme, le Paganisme & le Mahométisme.
Séance 2
Semaine du 3 octobre

1. John Locke, Lettre sur la tolérance, 1689-1690.

Monsieur,
Puisque vous jugez à propos de me demander quelle est mon opinion sur la tolérance que les différentes
sectes des chrétiens doivent avoir les unes pour les autres, je vous répondrai franchement qu’elle est, à
mon avis, le principal caractère de la véritable Église. Les uns ont beau se vanter de l’antiquité de leurs
charges et de leurs titres, ou de la pompe de leur culte extérieur, les autres, de la réformation de leur
discipline, et tous en général, de l’orthodoxie de leur foi (car chacun se croit orthodoxe) ; tout cela, dis-
je, et mille autres avantages de cette nature, sont plutôt des preuves de l’envie que les hommes ont de
dominer les uns sur les autres, que des marques de l’Église de Jésus-Christ. Quelques justes prétentions
que l’on ait à toutes ces prérogatives, si l’on manque de charité, de douceur et de bienveillance pour le
genre humain en général, même pour ceux qui ne sont pas chrétiens, à coup sûr, l’on est fort éloigné
d’être chrétien soi-même.
J’avoue qu’il me paraît fort étrange (et je ne crois pas être le seul de mon avis), qu’un homme qui
souhaite avec ardeur le salut de son semblable, le fasse expirer au milieu des tourments, lors même qu’il
n’est pas converti. Mais il n’y a personne, je m’assure, qui puisse croire qu’une telle conduite parte d’un
fond de charité, d’amour ou de bienveillance. Si quelqu’un soutient qu’on doit contraindre les hommes,
par le fer et par le feu, à recevoir de certains dogmes, et à se conformer à tel ou tel culte extérieur, sans
qu'il ait aucun égard à leur manière de vivre ; si, pour convertir à la foi ceux qu’il suppose éloignés, il
les réduit à professer de bouche ce qu’ils ne croient pas, et qu’il leur permette la pratique des mêmes
choses que l’Évangile défend […].
[…] Cela posé, examinons quels sont les devoirs où la tolérance engage. I. Il me semble qu’aucune
Église n’est obligée de nourrir dans son sein un membre qui, après en avoir été averti, continue à pécher
contre ses lois ; parce qu’elles sont les conditions de sa communion, l’unique lien qui la conserve, et
que, s’il était permis de les violer impunément, elle ne saurait plus subsister. Avec tout cela, il faut
prendre garde que l’acte d’excommunication ne soit pas accompagné de paroles injurieuses, ni d’aucune
violence qui blesse le corps, ou qui porte aucun préjudice aux biens de la personne excommuniée […].
2. Il n’y a point de particulier qui ait le droit d’envahir, ou de diminuer en aucune manière les biens
civils d’un autre, sous prétexte que celui-ci n'est pas de sa religion, et qu'il ne suit pas les mêmes rites.
Il faut conserver inviolablement à ce dernier tous les droits que l'humanité et la société civile
demandent : la religion n'en souffre aucun préjudice, et l’on doit s’abstenir de toute violence et de toute
injure, soit à l'égard des chrétiens ou même des païens. Bien plus, il ne faut pas s’arrêter dans les simples
bornes de la justice ; il faut exercer la bienveillance et la charité envers tout le monde. C'est ce que
l’Évangile ordonne, que la raison persuade, et que la société, que la nature a établie entre les hommes,
exige.
[…] Cependant pour en venir à un détail plus particularisé, je dis, (1) en premier lieu, que le magistrat
ne doit tolérer aucun dogme qui soit contraire au bien de l’État, et aux bonnes mœurs, si nécessaires
pour la conservation de la société civile. (3) Cette Église, dont tous les membres qui s'y joignent, passent
en même temps sous le pouvoir d’un autre prince, n’a nul droit à être tolérée par le magistrat ; puisque
celui-ci permettrait alors qu’une juridiction étrangère s’établît dans son propre pays, et qu’on employât
ses sujets à lui faire la guerre. […] Ne serait-il pas ridicule qu’un mahométan prétendit être le bon et
fidèle sujet d’un prince chrétien, s’il avouait d’un autre côté qu’il doit une obéissance aveugle au moufti
de Constantinople, qui est soumis lui-même aux ordres de l’empereur ottoman, dont la volonté lui sert
de règle dans tous les faux oracles qu’il prononce sur le chapitre de sa religion ? […] (4) Enfin, ceux qui
nient l’existence d’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les
serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, n'engagent point les athées à
tenir leur parole ; et que si l’on bannit du monde la croyance d’une divinité, on ne peut qu’introduire
aussitôt le désordre et la confusion générale. D’ailleurs, ceux qui professent l’athéisme n’ont aucun droit
à la tolérance sur le chapitre de la religion, puisque leur système les renverse toutes.
2. John Locke, Essai sur le gouvernement civil, 1690.

222. La raison pour laquelle on entre dans une société politique, c'est de conserver ses biens propres ; et
la fin pour laquelle on choisit et revêt de l'autorité législative certaines personnes, c'est d'avoir des lois
et des règlements qui protègent et conservent ce qui appartient en propre à toute la société, et qui limitent
le pouvoir et tempèrent la domination de chaque membre de l'État. […] Toutes les fois donc que la
puissance législative violera cette règle fondamentale de la société, et, soit par ambition, ou par crainte,
ou par folie, ou par dérèglement et par corruption, tâchera de se mettre, ou de mettre d'autres, en
possession d'un pouvoir absolu sur les vies, sur les libertés, et sur les biens du peuple, par cette brèche
qu'elle fera à son crédit et à la confiance qu'on avait prise en elle, elle perdra entièrement le pouvoir que
le peuple lui avait remis pour des fins directement opposées à celles qu'elle s'est proposées, et il est
dévolu au peuple qui a droit de reprendre sa liberté originaire, et par l'établissement d'une nouvelle
autorité législative, telle qu'il jugera à propos, de pourvoir à sa propre conservation, et à sa propre sûreté,
qui est la fin qu'on se propose quand on forme une société politique. Or, ce que j'ai dit, en général,
touchant le pouvoir législatif, regarde aussi la personne de celui qui est revêtu du pouvoir exécutif, et
qui ayant deux avantages très considérables, l'un, d'avoir sa part de l'autorité législative ; l'autre, de faire
souverainement exécuter les lois, se rend doublement et extrêmement coupable, lorsqu'il entreprend de
substituer sa volonté arbitraire aux lois de la société. […] Après tout, le peuple s'étant réservé le privilège
d'élire ceux qui doivent le représenter, comme un rempart qui met à couvert les liens propres des sujets,
il ne saurait avoir eu d'autre but que de faire en sorte que les membres de l'assemblée législative fussent
élus librement, et qu'étant élus librement, ils pussent agir aussi et opiner librement, examiner bien toutes
choses, et délibérer mûrement et d'une manière conforme aux besoins de l'État et au bien public. […].

223. On objectera peut-être à ceci que le peuple étant ignorant, et toujours peu content de sa condition,
ce serait exposer l'État à une ruine certaine, que de faire dépendre la forme de gouvernement et l'autorité
suprême, de l'opinion inconstante et de l'humeur incertaine du peuple, et que les gouvernements ne
subsisteraient pas longtemps, sans doute, s'il lui était permis, dès qu'il croirait avoir été offensé, d'établir
une nouvelle puissance législative. Je réponds, au contraire, qu'il est très difficile de porter le peuple à
changer la forme de gouvernement à laquelle il est accoutumé ; et que s'il y avait dans cette forme
quelques défauts originaires, ou qui auraient été introduits par le temps, ou par la corruption et les
dérèglements du vice, il ne serait pas aussi aisé qu'on pourrait croire, de l'engager à vouloir remédier à
ces défauts et à ces désordres, quand même tout le monde verrait que l'occasion serait propre et
favorable.
L'aversion que le peuple a pour ces sortes de changements, et le peu de disposition qu'il a naturellement
à abandonner ses anciennes constitutions, ont assez paru dans les diverses révolutions qui sont arrivées
en Angleterre, et dans ce siècle, et dans les précédents. Malgré toutes les entreprises injustes des uns et
les mécontentements justes des autres, et après quelques brouilleries, l'Angleterre a toujours conservé la
même forme de gouvernement, et a voulu que le pouvoir suprême fût exercé par le Roi et par le
parlement, selon l'ancienne coutume. Et ce qu'il y a de bien remarquable encore, c'est que, quoique les
Rois aient souvent donné grands sujets de mécontentement et de plainte, on n'a jamais pu porter le peuple
à abolir pour toujours la royauté, ni à transporter la couronne à une autre famille. […].
225. En second lieu, je réponds que les révolutions dont il s'agit, n'arrivent pas dans un état pour de
légères fautes commises dans l'administration des affaires publiques. Le peuple en supporte même de
très grandes, il tolère certaines lois injustes et fâcheuses, il souffre généralement tout ce que la fragilité
humaine fait pratiquer de mauvais à des Princes, qui, d'ailleurs, n'ont pas de mauvais desseins. Mais si
une longue suite d'abus, de prévarications et d'artifices, qui tendent à une même fin, donnent à entendre
manifestement à un peuple, et lui font sentir qu'on a formé des desseins funestes contre lui, et qu'il est
exposé aux plus grands dangers ; alors, il ne faut point s'étonner s'il se soulève […].
226. En troisième lieu, je réponds que le pouvoir que le peuple a de pourvoir de nouveau à sa sûreté, en
établissant une nouvelle puissance législative, quand ses législateurs ont administré le gouvernement
d'une manière contraire à leurs engagements et à leurs obligations indispensables, et ont envahi ce qui
lui appartenait en propre, est le plus fort rempart qu'on puisse opposer à la rébellion, et le meilleur moyen
dont on soit capable de se servir pour la prévenir et y remédier. En effet, la rébellion étant une action
par laquelle on s'oppose, non aux personnes, mais à l'autorité qui est fondée uniquement sur les
constitutions et les lois du gouvernement, tous ceux, quels qu'ils soient, qui, par force, enfreignent ces
lois et justifient, par force, la violation de ces lois inviolables, sont véritablement et proprement des
rebelles […].
243. Donc, pour conclure, le pouvoir que chaque particulier remet à la société dans laquelle il entre, ne
peut jamais retourner aux particuliers pendant que la société subsiste, mais réside toujours dans la
communauté ; parce que, sans cela, il ne saurait y avoir de communauté ni d'État, ce qui pourtant serait
tout à fait contraire à la convention originaire. C'est pourquoi, quand le peuple a placé le pouvoir
législatif dans une assemblée, et arrêté que ce pouvoir continuerait à être exercé par l'assemblée et par
ses successeurs, auxquels elle aurait elle-même soin de pourvoir, le pouvoir législatif ne peut jamais
retourner au peuple, pendant que le gouvernement subsiste ; parce qu'ayant établi une puissance
législative pour toujours, il lui a remis tout le pouvoir politique ; et ainsi, il ne peut point le reprendre.
Mais s'il a prescrit certaines limites à la durée de la puissance législative, et a voulu que le pouvoir
suprême résidât dans une seule personne ou dans une assemblée, pour un certain temps seulement, ou
bien, si ceux qui sont constitués en autorité ont, par leur mauvaise conduite, perdu leur droit et leur
pouvoir; quand les conducteurs ont perdu ainsi leur pouvoir et leur droit, ou que le temps déterminé est
fini, le pouvoir suprême retourne à la société, et le peuple a droit d'agir en qualité de souverain, et
d'exercer l'autorité législative, ou bien d'ériger une nouvelle forme de gouvernement, et de remettre la
suprême puissance, dont il se trouve alors entièrement et pleinement revêtu, entre de nouvelles mains,
comme il juge à propos.

Portrait de John Locke par Godfrey Kneller (1697)


Séance 3
Semaine du 10 octobre

1. L’Eglise catholique et les protestants : mémoire concernant les NC du diocèse de Grenoble


par Etienne Le Camus, évêque de Grenoble

[…] En 1685, ceux [les NC] qui étaient restés dans mon diocèse avaient un véritable dessein d’embrasser
la religion catholique ; les instructions qu’on avait faites dans la ville de Grenoble et dans tous les
endroits de ce diocèse où ils étaient répandus les avaient convaincus, et le soin qu’on avait pris de les
traiter avec douceur et avec charité leur avait donné une entière confiance en moi : ils allaient au sermon,
à la messe, aux processions, aux bénédictions du saint sacrement et envoyaient tous les dimanches leurs
enfants au catéchisme, et les pères de famille se présentaient même pour recevoir la confirmation.
Mais depuis l’année 1686, les choses ont changé de face et, à la réserve d’un petit nombre, dans Grenoble
et dans quelques autres villes, les autres sont pires qu’ils n’étaient avant leur abjuration […]. Je ne peux
attribuer un changement si prompt et si universel aux lettres circulaires que les hérétiques des Cévennes
et du Vivarais et les réfugiés à Genève et en Suisse leur ont écrites, les assurant que le prince d’Orange
les rétablirait dans le libre exercice de leur religion, et on a même peine, à présent, à les détromper de
l’opinion où ils sont qu’il y a un article secret dans la dernière paix pour leur laisser la liberté de
conscience dans la France.
Ainsi on peut dire qu’à présent, à la réserve des femmes, qui ont toujours un grand zèle pour leur fausse
religion, le reste n’a presque plus de religion et ne tient plus que par un point d’honneur, et cela est
dégénéré en cabale et en faction qui se fomente par les lettres circulaires qu’ils reçoivent et par le
commerce qu’ils entretiennent dans les pays étrangers.
Les désordres principaux que j’ai remarqués et qui les entretiennent dans leur religion sont :
1. Que la plupart ne vont ni à la messe ni aux sermons et qu’ils se contentent de lire les sermons
de leurs ministres qui sont imprimés et qu’ils ont gardés ; ils font aussi entre eux des prières et des
lectures de psaumes dans le temps qu’ils sont assemblés trois ou quatre sous prétexte de se rendre visite.
2. Ils font des prières matin et soir, dans leur domestique, comme on les fait à Genève, et comme
ils faisaient autrefois avant leur abjuration.
3. Ils empêchent leurs enfants de fréquenter les églises et les sacrements et de venir aux
catéchismes, et leurs mères mêmes les maltraitent quand ils y vont.
4. Ils ne se confessent et ne communient point, pas même à Pâques.
5. Quand ils sont malades, leurs parents de leur religion les obsèdent. Ils n’envoient quérir le
curé qua quand le mourant a perdu la parole. Si le curé y veut venir d’office, on lui refuse l’entrée de la
chambre, disant que le malade repose, et les plus obstinés laissent mourir leurs proches sans appeler le
curé et les enterrent la nuit dans leurs jardins à la campagne.
6. Ils mangent publiquement de la viande les jours défendus […].
8. Comme on ne leur donne point la bénédiction nuptiale en ce diocèse qu’ils n’aient fait
abjuration, qu’ils n’aient fait leur devoir pascal et qu’ils n’aient témoignage de leur curé qu’ils ont assisté
depuis six mois assidûment à a messe et aux instructions, les uns pour pouvoir se marier remplissent
tous ces devoirs et, après leur mariage, ne fréquentent plus l’église ; les autres vont se marier à Genève
et reviennent dans leurs maisons avec leur prétendue femme […].
Voilà l’état où je trouve les NC à présent dans ce diocèse. Cependant s’il m’est permis de dire mon
sentiment, je croirais :
1. Il serait très utile et même nécessaire de donner ordre à tous ceux qui n’ont point fait
d’abjuration de la faire entre ci et trois mois et de vivre à l’avenir dans les pratiques de la religion
catholique à peine de confiscation de leurs biens en faveur des hôpitaux. [...] Et quant à ceux qui ont fait
abjuration, je croirais à propos de leur ordonner sous la même peine de fréquenter les sacrements,
d’assister aux messes, sermons et catéchismes, d’y faire assister leurs enfants et domestiques et de garder
les fêtes et jeûnes prescrits par l’Eglise.
2. J’ai toujours été persuadé que les conversions qui se faisaient par la force ne pouvaient pas
réussir. Ainsi je ne croirais pas qu’on dût se servir à présent du logement des gens de guerre pour forcer
les réunis à vivre en bons catholiques.
3. Je ne crois pas non plus que d’enfermer les femmes dans les monastères, ou de renfermer les
hommes et les femmes qui ne veulent pas faire abjuration, soit un bon moyen pour les convertir ; cela
les rend plus opiniâtres et leur donne un nom et un mérite parmi ceux de leur secte.
4. Pour les enfants, on peut dire avec assurance que tous ceux dont on prendra soin seront aussi
bons catholiques que ceux qui sont nés dans notre religion. Mais pour cela, il sera nécessaire d’ôter de
la maison paternelle ceux que leurs pères et mères maintiennent dans une fausse religion, et faire élever
ces enfants dans des collèges, dans des monastères, ou chez les curés des villages, ou dans la maison de
la Propagation de la foi. […].
6. Il est nécessaire que les évêques prêchent ou fassent prêcher dans leurs villes, pour éclaircir
les matières de controverse et qu’ils obligent les curés des lieux où il y a des NC de les visiter, de les
traiter avec douceur et charité, de les instruire exactement et solidement et sans les insulter, tous les
dimanches, et de faire le catéchisme aux enfants, et surtout de vivre exemplairement, et quand même,
pendant un an ou deux, on permettrait aux évêques d’ôter les curés vicieux et ignorants des lieux où il y
a des hérétiques et d’en substituer d’habiles et d’exemplaires à leurs places […].
7. On peut ordonner aux curés d’aller dans les maisons des NC malades, même sans être appelés
et faire défense aux parents ou autres de les en empêcher et de leur proposer de recevoir les sacrements,
et, en cas qu’ils refusent, les condamner à la confiscation ou à une amende, et, en cas de mort, ordonner
que les juges feront jeter les cadavres à la voirie. […].
9. L’on pourrait ordonner aux magistrats et juges de défendre sous de grosses amendes aux
traiteurs, cabaretiers et aubergistes de donner de la viande à manger les jours défendus.
13. Il est aussi très important de ne point souffrir des maîtres et des maîtresses d’école de ces
NC.
15. Quant aux mariages des NC faits à Genève, qui reviennent en France avec leurs femmes,
comme c’est un sacrilège et un crime condamné par les lois de l’Eglise et de l’Etat, il est très important
qu’on punisse très exemplairement ceux qui s’en trouveront coupables à l’avenir.
16. Je ne parle point des aumônes et des missions que les évêques doivent procurer pour ranimer
la dévotion. Il faut remarquer qu’ils ont un très grand éloignement de la plupart des religieux, et qu’il
ne faut ni déclamer ni leur dire des injures, mais les traiter avec beaucoup de douceur et de charité.

Jean Lemoine, Mémoires des évêques de France sur la conduite à tenir à l’égard des réformés (1698),
Paris 1902.
2. Un camisard, Bonbonnoux.

On me fit apprendre, dès ma tendre jeunesse, le métier de facturier en laine ; pour cela, je fus mis en
apprentissage chez M. Martin. Dans ce temps-là, on était fort exact à faire assister la jeunesse réformée
à la doctrine et à la messe. Un jour que mon maître m’avait envoyé chez le prêtre du lieu pour y cribler
du blé. Le prêtre m’ayant demandé si, lorsque j’étais à mon pays, j’allais à la messe, je lui répondis que
oui. En quoi, je faisais un péché pour en éviter un autre, car je disais un mensonge, ayant en abomination
la messe.
Je dois dire cependant que, quelque horreur que j’eusse pour la messe, on n’en doit pas attribuer la cause
aux grandes connaissances que j’eusse de la religion, car j’ai atteint l’âge de 36 années ou plus, avant
que de connaître seulement la première lettre de l’alphabet.
Mais quelque horreur que j’eusse pour la messe, hélas ! j’eus le malheur de me précipiter dans le péché !
je veux dire d’aller à la messe pour accomplir mon mariage. Que mon crime est grand ! Ô Dieu, tu le
sais. Pardonne-le-moi, et tous les autres que j’ai eu le malheur de commettre. Ayant perdu avant la fin
de première année de mon mariage, une épouse que j’aimais avec tendresse, je fus dans une affliction
extrême. Les réflexions que je faisais continuellement sur le péché que j’avais eu le malheur de
commettre en me prosternant devant ce Dieu de pâte qu’adore le catholique, augmentaient infiniment
ma peine, je ne pouvais ni travailler, ni manger, ni dormir. Mon crime m’effrayait continuellement. Je
me présentais surtout mon épouse extrêmement coupable. Elle avait fréquenté les saintes assemblées.
Elle avait été faite prisonnière dans une de ces assemblées convoquées aux environs d’Anduze ; elle
avait soutenu avec fermeté sa prison dans la fameuse tour de Constance, où elle avait été enfermée. Elle
s’était tenue cachée chez ses parents, après être sortie de sa prison pour ne point aller à la messe. Plus
elle me paraissait courageuse dans tout cela, et plus je la trouvais criminelle d’avoir succombé à la
tentation avec moi d’aller à la messe pour accomplir notre mariage.
Je me représentais enfin la fermeté de ma propre mère qui avait soutenu courageusement la prison pour
avoir fréquenté les saintes assemblées, et me reprochant de n’avoir pas suivi un exemple qui était si
digne de nous servir de modèle, j’en étais si abattu et si accablé que je n’ai point de larmes pour vous le
représenter. Cette grande affliction produisit un heureux effet chez moi. Elle me détacha d’une manière
particulière du monde, et m’inspira le pieux dessein de servir Dieu dans les assemblées de ses fidèles,
quoi qu’il pût m’en arriver.
Dans ce dessein, je me rendis dans une de ces assemblées qu’on avait convoquées près de Canaules,
dans une église de catholiques que les Camisards avaient déjà brûlée. Je fus fort édifié de la prédication
qu’un jeune homme nous fit. Environ trois semaines après, je résolus d’aller joindre une troupe de
Camisards qu’il y avait dans les Cévennes, et d’examiner par moi-même leur conduite et, si j’en étais
édifié, de demeurer avec eux.
Mais comme la conduite des Camisards a été fort blâmée, il est important pour moi que je vous déclare
ici, devant Dieu, que je ne pris ce parti que pour des raisons qui intéressaient également et la gloire de
Dieu et mon salut. Je n’avais point de mauvaises affaires. J’étais aimé et chéri parmi mes compatriotes.
Si j’avais contracté quelques dettes, je les acquittai toutes avant de partir ; j’abandonnai meubles, linges
et autres choses qu’il faut dans un petit ménage ; j’abandonnai enfin des novales que j’avais défrichées
et semées. Ce n’est donc ni par dépit ni par fainéantise, ni pour de mauvaises affaires que je pris parti
parmi les Camisards, mais uniquement dans la vue de glorifier Dieu et de travailler à mon salut.

Mémoire publié dans Philippe Joutard, Les Camisards, Paris, Gallimard, 1994.
Séance 4
Semaine du 17 octobre

1. Dossier d’articles

Bertrand Van Ruymbeke, « Une église épiscopale dans évêques : paradoxes et mutations de l’Eglise
d’Angleterre dans les colonies nord-américaines », Anglophonia/Caliban, n°17, 2005, p. 335-345.

Bertrand Van Ruymbeke, « Cavalier et Puritan. L’ancêtre huguenot au prisme de l’histoire américaine »,
Diasporas. Histoire et sociétés, n°5, 2004, p. 12-22.

Lauric Henneton, « L’intégration atlantique des phénomènes religieux (1630-1760) », Etudes


théologiques et religieuses, 2011/1, p. 49-70.

2. La déclaration des droits de l’Etat de Virginie.

Rédigée par James MADISON, votée le 12 juin 1776.

1. Tous les hommes naissent naturellement et également libres et indépendants, et possèdent certains
droits inhérents dont ils ne peuvent pas, lorsqu’ils entrent dans l’état de société, priver ou dépouiller leur
postérité. Ce sont : la jouissance de la vie et de la liberté, l’accession et le droit à la propriété, la recherche
et la jouissance du bonheur et de la sécurité.

2. Tous les pouvoirs résident dans le peuple et en dérivent. Les magistrats sont ses hommes de confiance
et ses serviteurs ; ils sont à tout moment responsables devant lui.

3. Le gouvernement est et doit être institué au bénéfice de tous, pour protéger le peuple, la nation ou la
communauté et assurer et assurer leur sécurité. De toutes les formes de gouvernement, la meilleure est
celle qui conduit au plus haut degré de bonheur et de sécurité, celle qui est le mieux protégée contre les
dangers d’une mauvaise administration. Quand un gouvernement est jugé inadéquat ou contraire à ses
objectifs, la majorité de la communauté a le droit incontestable, inaliénable et indéfectible de réformer,
de changer ou d’abolir le gouvernement de la manière qui correspondra le mieux au bien public.

4. Aucun homme ni aucun groupe d’hommes ne peut bénéficier d’une rémunération ou de privilèges
exclusifs ou séparés, assurés par la communauté, si ce n’est en considération de services publics. Ils ne
sont pas transmissibles, et les fonctions de magistrat, de législateur ou de juge ne sont pas héréditaires.

5. Les pouvoirs législatif et exécutif de l’État devront être séparés et distincts du judiciaire. Les membres
des deux premiers pouvoirs comprendront et partageront les fardeaux du peuple pour se garder
d’opprimer leurs concitoyens. Périodiquement, ils devront revenir à une position privée ou retourner à
l’assemblée dont ils sont issus. Les places vacantes seront pourvues par des élections fréquentes, fixes
et régulières, dans lesquelles tous les membres sortants ou une partie d’entre eux seront éligibles ou
inéligibles, conformément aux lois en vigueur.

6. L’élection des représentants du peuple sera libre. Tous les hommes qui montrent en permanence un
intérêt suffisamment évident et de l’attachement pour la communauté ont le droit de voter. Ils ne peuvent
pas être privés de leurs biens ni imposés sans leur propre consentement ou celui de leurs représentants.
Ils ne sont pas liés par les lois qui n’ont pas été adoptées de cette façon conforme au bien public.

7. Le pouvoir d’abroger ou d’exécuter les lois, sans le consentement de ses représentants, porte préjudice
au peuple. L’exercice de ce pouvoir est interdit.

8. Dans tous les procès criminels, un homme a le droit de savoir pourquoi et de quoi il est accusé, d’être
confronté avec ses accusateurs et les témoins, d’apporter des preuves en sa faveur, d’être jugé sans tarder
par un jury impartial choisi dans le voisinage, sans le consentement unanime duquel il ne peut être
déclaré coupable ; il ne peut pas être obligé de fournir des preuves contre lui-même. Aucun homme ne
peut être privé de sa liberté, si ce n’est par la loi de son pays ou le jugement de ses pairs.

9. Il ne sera demandé de caution excessive ni imposé d’amendes excessives. Il ne sera pas infligé de
châtiments cruels et inhabituels.

10. Les mandats généraux, par lesquels un officier ou un commissaire peut recevoir la mission de fouiller
des lieux suspects sans la preuve qu’un acte y a été commis ou de se saisir d’une personne qui n’est pas
nommée ou dont le crime n’est pas spécialement décrit, ni démontré, sont injustes et oppressifs. Il n’en
sera pas délivré.

11. Dans les controverses portant sur la propriété, dans les procès opposant un homme à un autre, le
procès traditionnel devant jury est préférable. Il sera tenu pour sacré.

12. La liberté de la presse est l’un des grands remparts de la liberté. Elle ne peut jamais être limitée sinon
par des gouvernements despotiques.

13. Une milice bien ordonnée, composée d’hommes instruits à l’usage des armes, est la défense
appropriée, naturelle et solide d’un État libre. Il faut éviter, parce qu’elles menacent la liberté, les armées
permanentes en temps de paix. Dans tous les cas, les militaires seront placés dans une stricte
subordination à l’égard du pouvoir civil, dont ils recevront leurs ordres.

14. Le peuple a droit au même gouvernement. En conséquence, il ne devra exister dans les limites de la
Virginie aucun gouvernement séparé ou indépendant du gouvernement de la Virginie.

15. Aucun gouvernement libre ni les bienfaits de la liberté ne peuvent être maintenus si ce n’est par une
ferme adhésion à la justice, à la modération, à la tempérance, à la frugalité et à la vertu, et par de
fréquents rappels des principes fondamentaux.

16. La religion, les devoirs que nous devons rendre au Créateur et la manière dont nous nous en
acquittons, dépendent de la raison et de la conviction, non de la force et de la violence. En conséquence,
tous les hommes ont le même droit d’exercer librement leur religion, conformément à ce que leur
conscience leur dicte. C’est un devoir pour tous de montrer à l’égard du prochain la tolérance, l’amour
et la charité du chrétien
Séance 5
Semaine du 24 octobre

Les Gordon Riots

A John Spink
Charles Street, 6 juin 1780
Cher Monsieur très respecté,
Au milieu de la confusion la plus cruelle et la plus ridicule, je profite d’un moment de répit pour
vous décrire le peuple le plus inconsidéré auquel les temps les plus fous n’ont jamais été confrontés. Les
affiches imprimées vous ont informé sans aucun doute du déroulement des événements de vendredi
dernier ; l’insanité de Lord Gordon et de la sauvagerie de la populace, pire que celle des nègres. Les
incendies et les destructions de chaque nuit, tout cela se trouve dans les « feuilles » du jour. Aujourd’hui,
on a consenti à considérer séparément les articles qu’ils voulaient voir abroger. Le peuple s’est rassemblé
à 10 heures ce matin. Lord North, qui avait tenu conseil chez lui jusqu’à 4 heures du matin, s’est rendu
à la Chambre des communes avant 11 heures, seulement un quart d’heure avant que les coalisés
n’atteignent Palace Yard.
Mais je dois vous dire qu’au conseil, il y eut une députation de chaque parti. Le parti de
Shelburne proposait de poursuivre en justice Lord George tout en le laissant en liberté. L’Atornely
Général s’est moqué de cette idée et a déclaré que cela ne servait à rien. Le Ministre, quant à lui, voulait
l’expulser pour qu’on l’oublie. Cette mesure ne fut pas jugée opportune, car il aurait pu continuer à
fomenter le trouble. Le parti de Rockingham a proposé de qui vous apparaitra sans doute comme la
meilleure solution : l’expulser de la Chambre, le conduire à la Tour, et ensuite prendre le temps
d’instruire son procès ; ce qui permettrait de lui ôter la possibilité de se faire réélire dans le prochain
parlement, et garder ainsi tout loisir pour lui faire regretter les graves troubles qu’il a provoqués.
En ce moment, il y a au moins une centaine de milliers d’hommes qui s’amoncèlent en haillons,
pauvres, misérables, âgés de 12 à 60 ans, portant une cocarde bleue à leur chapeau, hormis la moitié des
femmes et des enfants, manifestant tous dans les rues, sur le pont, dans le parc, prêts à faire n’importe
quoi de mauvais. Mon Dieu ! que se passe-t-il maintenant ? J’ai été obligé de m’interrompre, les cris de
la foule, l’affreux fracas des épées, les bousculades d’une multitude avançant à grande allure m’ont
poussé jusqu’à la porte, où j’ai pu voir que tous les gens de la rue s’employaient à fermer les devantures.
Voici, oui voici, la liberté ! la vraie liberté britannique ! En cet instant près de deux mille
« garçons de la liberté » (liberty boys) près d’ici jurent et fanfaronnent avec de grands bâtons, ainsi
armés dans l’espoir de rencontrer les laboureurs et les porteurs de chaise irlandais (Irish Chairman).
Dehors, tous les gardes à pied ou à cheval ont été mobilisés […]. A deux heures environ cet après-midi,
une grande bande s’est mis dans l’idée de rendre visite au roi et à la reine, et ont pénétré dans le parc à
cet effet, mais face à la multitude des gardes, le passage n’a pu être forcé, et après quelques tentatives
inutiles, ils ont abandonné […].
PS : […] Nombre de ceux qui ont un profond discernement pensent qu’au cœur de cette histoire,
il n’y a que la simple abrogation d’une loi qui, pour l’heure, n’a entraîné aucune conséquence fâcheuse,
et n’en produira peut-être jamais. Je suis forcé d’avouer que je suis en faveur de la tolérance de tous.
Laissons-nous convertir par notre exemple et conquérir par notre docilité et notre amour fraternel ! Huit
heures. Lord George Gordon vient d’annoncer à l’instant à mes seigneurs de la foule que la loi sera
abrogée ; à ces mots, ils ont fait entendre des tonnerres d’applaudissements […].

A John Spink
Charles Street, 9 juin 1780
Cher Monsieur
Le gouvernement est plongé dans une stupeur léthargique ; l’anarchie règne. Toutes les prisons
sont grandes ouvertes ; celle de Newgate est en partie brûlée, et trois cents criminels ont été tout
simplement relâchés dans la nature. […] La demeure de Lord North a été attaquée ; mais informés
quelque temps plus tôt, ses occupants s’étaient préparés à les recevoir. La Banque, le Trésor, et trente
des demeures des principaux membres de la noblesse sont voués à subir les assauts des insurgés.
Le ministre a essayé l’indulgence et e a expérimenté l’inutilité ; la loi martiale doit être déclarée
cette nuit. Si un groupe de plus de 10 personnes est surpris et que ces gens refusent de se disperser, ils
doivent être abattus sans plus de cérémonie. Ainsi nous nous attendons à un massacre avant l’aube. Les
insurgés se sont rendus à la Tour qui ne s’est pas laissé prendre. Ils ont plus de chance à l’Arsenal, où
ils ont trouvé te pris pour leur usage 500 pièces d’artillerie ; la municipalité a commis une grave erreur
en n’assurant pas la protection du dépôt.
C’est merveilleux d’entendre les absurdités exécrables qui circulent dans la foule crédule. Elle
croit tout ce qu’on dit, que Sa Majesté se rend régulièrement à la messe donnée à la chapelle de Lord
Pretre, qu’elle donne l’aumône à Saint-Pierre de Rome sur ses propres deniers. Ainsi court l’esprit du
temps avec un gouvernement trop relâché, ce qui n’est pas le cas du roi et de la reine sur le trône qui
possèdent toutes les vertus. Puisse Dieu nous accorder sa miséricorde et permettre que le fléau actuel
nous incite à nous repentir et à nous amender.
Sancho

Sancho Ignatius, The letters of Ignatius Sancho, Edinburgh University Press, 1994, n° 134-135. Tiré de
Benoist Pierre, Révoltes et révolutions. Documents, Paris, Atlande, 2005, p. 245-250.
Séance 6
Semaine du 7 novembre

1. Edit de tolérance de Joseph II en 1781

« Chers et bien aimés, quoique l'Empereur soit dans la ferme intention de protéger et de soutenir
invariablement Notre Sainte Religion catholique, Sa Majesté a jugé néanmoins qu'il était de sa charité
d'étendre à l'égard des personnes comprises sous la dénomination de protestants, les effets de la tolérance
civile, qui, sans examiner la croyance, ne considèrent dans l'homme que la qualité de citoyen ; et
d'ajouter de nouvelles facilités à cette tolérance dans les emplacements au choix desquels les Magistrats
ou Gens de Loi vue, Sa Majesté a résolu les points et articles suivants :
1. La religion catholique demeurera la dominante, et son culte pourra seul être exercé publiquement sur
le pied qui se pratique et qui a lieu actuellement.
2. Dans toutes les villes, bourgs et autres lieux où il y aura un nombre suffisant de sujets, pour fournir à
la dépense du culte de l'une des deux Religions, connues sous le nom des Protestants, leur exercice privé
sera libre.
3. En conséquence, il est permis aux protestants de bâtir des églises dans les emplacements au choix
desquels les Magistrats ou Gens de Loi auront donné leur approbation, à condition, néanmoins que ces
édifices n'aient aucune apparence extérieure d'église […] et qu'il n'y ait ni clocher, ni cloches, ni
sonneries en manière quelconque…
4. Les Protestants jouiront tranquillement dans ces édifices de l'exercice privé de leur culte, et leurs
Ministres pourront librement se transporter chez les malades de leur communion, pour les consoler et
assister pendant leurs maladies.
5. Les Protestants seront admis désormais à la Bourgeoisie de toutes les villes, ainsi qu'aux corps des
Métiers ; et enfin aux grades académiques des Arts, du Droit et de la Médecine dans l'Université de
Louvain, sur le même pied que les autres sujets de Sa Majesté à l'effet de quoi les Magistrats, ainsi que
les différentes facultés de l'Université, sont autorisés à accorder pour chaque cas, les dispenses requises.
6. Dans tous les cas rappelés à l'article précédent, les Protestants ne seront pas astreints à d'autre formule
de serment, qu'à celle qui peut se concilier avec les principes fondamentaux de leur communion.
7. Ils ne seront pas tenus d'assister à aucune procession, ni à d'autres fonctions d'Église quelconques, qui
pourraient ne pas s'accorder non plus avec les pratiques de leur communion.
8. Finalement, l'Empereur se réserve d'admettre, par voie de dispense, à la possession d'emplois civils,
ceux de ses sujets protestants en qui on aura reconnu une conduite chrétienne et morale, ainsi que la
capacité, l'aptitude et les qualités requises pour en remplir les fonctions.
En vous informant de ces résolutions de Sa Majesté, qui tendent directement au bien public en général,
à l'avantage du commerce en particulier et surtout à étendre les limites de la charité chrétienne ; nous
nous assurons que vous contribuerez à leur accomplissement par toutes les voies qui seront en votre
pouvoir et que nous ne verrons que dans tous les sujets de Sa Majesté tant Ecclésiastiques que laïcs,
qu'un concours unanime à seconder Ses intentions. De Bruxelles, le 12 novembre 1781 »

2. Mémoire sur les droits de la province de Brabant de H. Van der Noot (1787).

A MESSEIGNEURS LES ÉTATS DE LA PROVINCE DE BRABANT.


MESSEIGNEURS,
Quelques Syndics des Nations de cette ville de Bruxelles me vinrent consulter sur un Mémoire qu’ils
avoient fait faire touchant les plaintes que lesdites Nations estiment d’avoir par rapport aux infractions
des privilèges et lois fondamentales de cette province, et me demandèrent d’en faire un deuxième pour
renforcer le premier […].
J’estime que, suivant le 42 Article de la Joyeuse entrée de notre Duc de Brabant du 17 Juillet 1781, je
puis librement vous proposer les griefs, sans encourir aucune indignation ou disgrâce de Sa Majesté ou
de quelqu'autre. J'estime de plus, que le devoir de tout bon sujet l'oblige de le faire. C'est dans ces vues
que je prends la respectueuse liberté, Messeigneurs, de vous exposer succinctement mes plaintes sur le
renversement de la Constitution fondamentale de cette Province. Mais néanmoins j’espère, que vos
lumières suppléeront à mon zèle, & j'ose espérer aussi, que vous serez convaincus de ma fidélité à mon
Prince & Souverain, de mon dévouement à son service, & de mon amour pour la Patrie […].
Et que les raisons qui ont engagé les Princes à les [privilèges] accorder, ont été la valeur, l'attachement
& la libéralité, que les Brabançons de tout temps ont eus envers leur Prince, plus que tous les autres
Belges ; au point même, que leurs Princes se font fait gloire, & même un devoir de passer avec eux des
actes publics, par lesquels ils les reconnoissent publiquement. Les annales de cette Province & les
historiens les rapportent. […] Il est constant, & toutes les Joyeuses Entrées en font foi, que de tout temps,
que les Joyeuses Entrées existent jusques même celles de notre Duc regnant Sa Majesté l'Empereur &
Roi Joseph II, elles forment, ou sont un contract synallagmatique, entre le Duc de Brabant, & le Peuple
Brabançon. Je dis, entre le Duc & le peuple ; parce que vous, MESSEIGNEURS, en contractant avec le
Duc, vous contractez au nom & comme représentant tout le peuple : l'Etat Ecclésiastique, les
Ecclésiastiques, tant Séculiers que Réguliers, l'Etat Noble, tous les Nobles, & le tiers-Etat les autres
classes des habitans ; ainsi ensemble vous représentez tout le peuple du Brabant. Conséquemment il est
vrai de dire, que le Duc n'a pas seulement contracté avec les Etats, ou quelques Corps du Brabant, mais
avec le peuple du Brabant.
J'observe aussi […] que les Joyeuses Entrées ne contiennent rien qui soit contraire aux bonnes mœurs,
ni rien d'opposé à la souveraineté ; mais au contraire qu'elles contiennent seulement ce qu'un bon Prince
doit à son Peuple : elles ont l'équité pour principe, & la justice pour base, qui seules sont les fondemens
les plus solides de la durée des Royaumes, sont la paix & la tranquillité des familles, la félicité du Peuple,
le soutien du trone, & la gloire du Prince. […] De sorte que le Duc de Brabant, abstraction faite du
serment qu'il a fait sur l’accomplissement, ou l'observation de ses engagements, repris au contrat de ses
Joyeuses Entrées, est tenu de les remplir scrupuleusement, & avec toute exactitude possible […].
Quoique je ne me propose pas d'entrer dans un détail particulier des infractions faites vis-à-vis ou à
l'égard des Ecclésiastiques de cette Province , pour éloigner tout soupçon de fanatisme, dont on voudroit
m’inculper, j'estime que je dois nécessairement traiter du prétendu Edit de l'Empereur concernant la
suppression de plusieurs couvens inutiles dans les Pays-Bas , donné en cette ville le 17 Mars 1783; parce
qu'il est la première pierre d'achoppement de toutes les infractions faites à ses engagements, depuis son
avènement au trône […]. Revenant au susdit Edit de l'Empereur du 17 Mars 1783, j'observe qu'il a pour
titre, Edit de l’Empereur, concernant la suppression de plusieurs Couvens inutiles dans les Pays-Bas.
Souvenez-vous, MESSEIGNEURS, que je parle uniquement pour le Brabant, où j'ai le bonheur d'être
né, & que je ne traite pas des autres provinces des Pays-Bas. Qu'il me soit permis de demander, où par
quels moyens il a compté à Sa Majesté qu'il y avoit des Couvents inutiles à la Religion & à l'Etat dans
la Province de Brabant ? Personne ne me pourra résoudre cette demande : j'en suis certain, comme de
l'existence de Dieu. Au contraire, il y a des moyens qui établissent leur utilité pour la religion & l'Etat.
Il est notoire d'après notre droit Provincial, qu'aucun Couvent, communauté, &c. ne peut se fonder, ou
établir dans le Brabant, sans lettre d'octroi du Prince. […] Et l'on ne peut pas supposer, sans faire offense
ou injure aux prédécesseurs du Prince, qu'il n'ait pas compté de l'utilité & à la Religion & à l'Etat de
ceux des Couvens supprimés, lorsqu’ils ont été fondés & érigés.
L'Edit concernant la suppression des Confréries du 8 Avril 1786, est à peu près de la même trempe. Il
déclare, Art. 1er, toutes les Confréries érigées dans les Eglises & Chapelles quelconques éteintes &
supprimées. Quand on observe que ces Confréries ont été érigées & fondées suivant les maximes & la
jurisprudence de notre Province, on est convaincu qu'elles avoient une existence légale, qui ne leur
pouvoit être ôtée sans leur consentement, ou du moins, sans préalablement les avoir ouïs. Une telle
disposition approche du despotisme.
Quoiqu'il ne se trouvât aucun Séminaire dans notre Province de Brabant, l'Edit concernant
l'établissement du Séminaire Général dans l'Université de Louvain, porte infraction aux privileges
Brabançons. En premier lieu, l'Art. premier porte, quant au clergé séculier, qu’ils seront réunis à dater
du mois de novembre 1786 dans ledit Séminaire général à Louvain, pour y être élevé uniformément
[…] ; qu’on ne pourra dorénavant admettre aux ordres majeurs aucun de nos sujets à moins qu’il n’ait
achevé son cours de cinq années dans le Séminaire général […]. Quant au clergé Régulier, il est à
remarquer que, suivant la disposition du texte, ceux qui se destineront ci-après à un ordre Religieux,
seront réunis dans ce Séminaire Général ; & qu'on n'en pourra dorenavant admettre aux Ordres majeurs
aucun, à moins qu'il n'ait achevé son cours de cinq années dans ledit Séminaire ; & que les Eleves du
Clergé Régulier, persistant dans leur vocation, retourneront dans l'Ordre où ils avoient été admis. Il faut
aussi, à l'égard du clergé Régulier, […] tous les écoliers dudit Séminaire seront uniformement vêtus en
soutane noire, manteau court, dont le collet sera de couleur violette ainsi que le ruban ou bordure de
devant du manteau.
Séance 7
Semaine du 14 novembre

Ambroise s’en retournait chez lui, la tête baissée et les yeux fixés vers la terre ; il marchait dans l’attitude
d’un homme qui médite profondément. Le bruit confus d’une canaille ameutée, qui poussait des cris
affreux, le fit sortir de sa rêverie. Il voulut s’approcher, pour voir quelle était la cause de ce tumulte, et
il vit, pêle-mêle dans la boue, des archers, des soldats, des prêtres, des magistrats, et, au milieu d’eux,
le bourreau qui traînait sur la claie un cadavre nu, plein de fange et de meurtrissures. La tête du cadavre
était entièrement défigurée par les coups de pierre et de bâtons qu’elle recevait à chaque instant.
Ambroise n’eut pas besoin de demander ce que c’était. Les injures que la populace vomissait contre les
huguenots, et ces cris, répétés de partout : c’est bien fait, c’est bien fait ; on devrait leur en faire autant
à tous : ah ! si nous pouvions les voir tous pendre et brûler. Tout cela lui fit comprendre que c’était un
de ses frères qui avait refusé dans son lit de mort de recevoir les sacrements. La populace, échauffée par
ce spectacle, jetait de la boue et des pierres contre les maisons et les boutiques des huguenots, et
poursuivaient ceux qui avaient le malheur de se trouver dans la rue [reconnu, Ambroise cherche à
échapper à la foule et se réfugie dans une maison où il entend deux hommes discuter].
L’un était un jésuite, et l’autre, le maître de la maison. Leur conversation roulait sur l’affaire présente,
Ambroise n’en perdit pas un mot, et voici ce qu’il entendit.
« Il faut convenir, disait le maître de maison, qu’il est cruel d’être obligé de changer d’opinion, et de
feindre, pendant toute sa vie, de croire ce qu’on ne croit pas dans le fond du cœur. Je ne suis pas surpris
aussi que, dans ces derniers moments, où l’on n’est plus affecté par la crainte, ni dominé par les intérêts
du monde et par le plaisir de vivre à son aise, un mourant qui n’a plus rien à ménager, fasse enfin l’aveu
de sa véritable croyance, et, dans le fond du cœur, je ne saurais lui en faire un crime. J’aimerais mieux
n’avoir dans notre religion qu’un petit nombre de croyants, que de gagner deux ou trois millions
d’hypocrites !
- Bon ! lui répondit le jésuite, qu’importe ce que ces gens-là croient dans le fond de l’âme, pourvu que
le roi soit persuadé de leur conversion, et qu’ils assistent à la messe ? Vous sentez bien qu’on ne doute
point que ce e soit là des convertis de mauvaise foi, et peut-être le roi lui-même en sait-il quelque chose.
La plupart il est vrai ne sont convertis que par force ou par égard humain mais, enfin, ils sont dans le
bercail. Nous avons fait ce que nous avons dû. A présent, c’est à Dieu à les convaincre.
- C’est dire, mon révérend père, que tant de violences, de massacres, de punitions, n’ont abouti qu’à
faire un grand nombre d’hypocrites ? C’est acheter de mauvais sujets un peu cher, et je vous jure que je
les aimerais mieux bons protestants que mauvais catholiques.
- Monsieur, si les pères sont hypocrites, les enfants seront de vrais croyants.
- J’en doute, mon révérend père. Jamais les hommes ne sont plus attachés à leurs opinions que lorsqu’on
veut les leur ôter. Nous soupçonnons que ceux qui veulent nous engager par la force à adopter leur
croyance, n’ont pas de meilleurs arguments à nous alléguer ; et la violence qu’ils nous font pour nous
faire embrasser leur doctrine, nous semble un aveu de la supériorité de la nôtre. […] Voyez ce
malheureux dont on traîne aujourd’hui le cadavre dans nos rues : il savait le sort qui l’attendait, il
n’ignorait point quelle ignominie était attachée à ce supplice. Et cependant la force du préjugé le lui a
fait braver.
- Eh bien ! monsieur, reprit l’homme en noir, cet exemple instruira les autres et les effraiera, et quand
nous n’obtiendrions point ce succès, nous sommes sûrs que ces spectacles, réitérés de temps en temps,
entretiendront parmi le peuple une haine dont il doit résulter les plus heureux effets. Par exemple, en
voilà pour plus d’un mois avant que les esprits reprennent un peu de calme. S’aperçoit-on que la
tranquillité se rétablisse, et que l’esprit de tolérance vienne à s’introduire ? Alors on recommence à
donner des exemples : on exhume le cadavre de quelque malheureux, pour l’exposer aux insultes de la
populace ; on pend un ministre ; on envoie une douzaine d’hommes aux galères et les peuples se
souviennent qu’il y a des hérétiques qu’il faut haïr.
- Na faudrait-il pas mieux, mon révérend père, supporter ces hérétiques et engager les sujets du roi à
s’aimer les uns les autres ?
- Non, monsieur, non ! reprit l’homme noir, très impatienté […]. »

Céline Borello, Du Désert au Royaume. Parole publique et écriture protestante (1765-1788). Edition
du Vieux Cévenol et de sermons de J.-P. Rabaut Saint-Etienne, Paris, H. Champion, 2013, p. 169-172.
Séance 8
Semaine du 21 novembre

1. Le massacre de la saint Antoine de Padoue à Nîmes (juin 1790)

Nous les voyons reparaître ces temps de désolation, de meurtre et de carnage ; l’iniquité est parvenue à
son comble ; on n’entend plus que les hurlements de la rage, et les cris plaintifs des victimes de la
férocité d’une secte ennemie, encouragée dans ses criminels excès par des hommes pervers et gangrenés.
Armés de fer et de feu, les protestants ont fait tomber sur les malheureux catholiques de Nîmes les plus
effroyables calamités ; ils ont marché sur des monceau de cadavres ensanglantés, et semblables à des
tigres, ils ont déchiré leurs membres palpitants ; et ce spectacle horrible est arrivé à la fin du dix-huitième
siècle, dans un temps consacré aux lumières et à la philosophie : plusieurs auront peine à croire que les
protestants aient pu nourrir jusqu’à nos jours une haine si implacable et si terrible dans ses effets.
Qu’on ne nous parle plus du massacre de la Saint-Barthélemy ; les journées du 13 et du 14 juin 1790
surpassent en horreurs les maux que la sensibilité des catholiques a pu reprocher aux générations
passées. Mais comment les protestants ont-ils réveillé leurs anciennes animosités ? quel démon les a
poussés à se baigner dans le sang des catholiques ? l’ambition et la vengeance.
[…] Le dimanche 13 juin les volontaires protestants de Nîmes réunis à des volontaires protestants des
Cévennes insultent et outragent les volontaires et citoyens catholiques. L’action s’allume, le sang coule,
et l’alarme se répand bientôt par toute la cité ; cependant le parti anthropophage députe au régiment de
Guyenne, il se plaint que les aristocrates ont attaqué les patriotes ; les soldats induits en erreur leur
livrent quelques pièces d’artillerie dont les bouches meurtrières sont aussitôt tournées contre les
malheureux catholiques ; la nuit suspend la fureur des calvinistes pour la rendre plus active le lendemain.
Les protestants des Cévennes et de la Vaunage connus dans l’histoire sous le nom de camisards arrivent
le lendemain à la pointe du jour, au nombre de six mille, ils se réunissent à l’esplanade avec les
protestants de Nîmes, et le cri de guerre se fait entendre, le signal du carnage est donné. Ici mon sang se
glace, et tous les cœurs sensibles, toutes les âmes honnêtes, tous ceux en qui l’habitude du crime n’a
point effacé le caractère sacré de l’humanité, vont frémir des horribles forfaits que d’une main
tremblante je vais tracer.
L’église des capucins se présente aux yeux de ces monstres ; ils entrent, cherchant de tous côtés des
victimes. […] Après avoir massacré un ministre des autels, après avoir exercé mille abominations sur
son corps expirant, après avoir profané le tabernacle et pillé les vases du sacerdoce, ces tigres se
répandent dans l’asile de ces pieux solitaires et immolent encore quatre victimes à leur fureur […].
Les camisards pillent ensuite de tout côté et le couvent n’offre bientôt plus rien à leur avidité : celui des
dominicains et le séminaire subissent bientôt le même sort […]. Les ministres de la religion n’ont pas
été les seules victimes de ces brigands forcenés. Ils se sont répandus dans tous les quartiers de la cité,
tout ce qu’ils ont pu surprendre de catholiques a été pendu ou fusillé. Il a péri dans cette malheureuse
journée plus de 600 catholiques, parmi lesquels on compte près de 400 pères de famille. Le sang
ruisselait dans les rues, dans la maison commune, et le carnage aurait encore recommencé si la ville de
Montpellier n’avait envoyé trois mille hommes pour mettre un terme à tant de meurtres.
[…] Mais la plus grande partie des Français ignore qu’avant cette journée désastreuse, les protestants
toujours factieux, toujours féroces, ont exercé mille cruautés sur les catholiques. La plus grande partie
des Français ignore qu’en 1567, avant la Saint-Barthélemy, le conseil permanent des protestants de
Nîmes ordonna le massacre de l’évêque, des chanoines, des prêtres, des consuls et des principaux
habitants, que des bandes de légionnaires armés arrachèrent de leurs maisons et conduisirent dans la
cour de l’évêché où ils furent poignardés et précipités dans un puits qui en fut comblé, et dont l’eau
surnageait mêlée de sang. […] Le plus grand nombre ignore enfin que c’est par leur rébellion contre le
souverain, par leur intelligence avec les ennemis de l’Etat, par les dévastations, le pillage, et le massacre
de catholiques, que les protestants avaient provoqué la journée de la Saint-Barthélemy.
[…] Réjouis-toi R… tes desseins affreux ont réussi, tes satellites triomphent, leurs horreurs sont
justifiées. Que dis-je ! tu dois attendre pour eux et pour toi des éloges et des récompenses. N’as-tu pas
réussi à les faire reconnaître pour patriotes ? n’as-tu pas persuadé que les malheureux catholiques étaient
des ennemis de la patrie ? […].

Valérie Sottocasa, Mémoires affrontées, Rennes, PUR, 2004, p. 359-364.


2. Dossier d’articles

Céline Borello, « Les sources d’une altérité religieuse en révolution : Rabaut Saint-Etienne ou la
radicalisation des représentations protestantes », AHRF, 2014/4, p. 29-49.

Valérie Sottocasa, « Protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc »,
AHRF, 2009/1, p. 101-123.
Semaine 9
Semaine du 28 novembre

1. Les juifs de Metz et la Révolution (fin 1789).

Depuis quelques années, les juifs de Metz implorent, par les vœux timides, ce grand acte de
législation tant désiré, qui tend à rapprocher les distances que les préjugés religieux ont mis entre les
citoyens, & à répartir avec plus d’égalité entre eux les produits de cette industrie vivifiante les avantages
de la société, ainsi que ses charges. Ils voyoient avec douleur que des obstacles retardoient la marche
bienfaisante du Gouvernement ; leur régénération déjà implicitement prononcée, est restée sans effet,
par la force des préjugés, qui sont vraiment la source de tous leurs malheurs.
Le moment est enfin arrivé. Le bonheur public est le vœu le plus ardent de notre auguste Souverain.
Les anciens abus vont disparoitre, & la restauration générale est prête d’éclore. Se pourroit-il que les
juifs restassent seuls opprimés ? seroient-ils condamnés à n’être que les témoins gémissans de la félicité
universelle, & à rester seuls malheureux dans ce vaste royaume.
Depuis l’antique catastrophe qui anéantit notre patrie & en dispersa les membres, les juifs restèrent
sans appui, & se virent presque toujours les jouets du fisc & les victimes du fanatisme. Epars sur le
globe, étrangers partout, ils n’ont plus été considérés que comme des aubains [étrangers], ou comme des
espèces de serfs, qu’on écrasait tantôt par caprice tantôt par intérêt. Leur attachement à des dogmes
désavoués par le christianisme, les rendit odieux à quelques prêtres intolérans, qui allumèrent partout
contre eux la haine des peuples. Les princes, dans un tems où les finances n’étoient pas encore un art,
mirent cette haine à profit pour les opprimer sous le manteau de la religion, les bannirent pour confisquer
leurs propriétés, leur rendirent ensuite la révocation de ce bannissement à pris d’or […].
A ces tems d’ignorance succédèrent les siècles de la philosophie ; la progression des lumières
adoucit la férocité des peuples : ils ne persécutèrent plus pour des opinions religieuses ; mais voyant
végéter dans leur sein des milliers d’individus méprisés, sans art, sans science & sans propriété, ils
prirent les effets pour la cause, crurent que la nature les avoit réprouvés, les laissèrent dans cet état pour
ne pas s’opposer sans doute aux vœux de la nature. […] Que l’on compare cependant le négociant juif
d’Amérique, de Londres, d’Amsterdam, & de Berlin, à ceux que l’opinion publique dédaigne parmi
nous, & on sera persuadé que le juif devient patriote, à mesure que la patrie devient bienfaisante envers
lui.
C’est ainsi que la douceur du gouvernement envers les juifs de Metz, & la protection qui y rend leur
existence supportable, en ont fait une communauté légale, régie par un code de loix civiles revêtu de la
sanction d’une longue suite de monarques, & qui est souvent utile, & jamais onéreuse à la province.
Cette communauté est formée de membres originaires de la ville, ils sont nés sujets du roi ; ils sont les
descendants des quatre familles établies dans la cité, depuis des siècles. De tout tems, ils refusèrent
d’admettre sans précaution les étrangers qui désiroient s’incorporer avec eux avec des mariages ; et
depuis des lettres patentes de 1718, ce motif ne peut plus servir à l’admission d’un étranger parmi eux.
De tout tems ils se sont signalés par leur fidélité envers nos rois ; Henri IV en porte témoignage flatteur
dans les patentes où il leur accorda sa protection. Louis XIII les renouvela en 1630, & rendit de même
justice aux services importans que les juifs de Metz lui avoient rendus ; tous leurs successeurs ont cru
devoir renouveler et étendre cette protection qu’on regarda alors comme un privilège.
Réduits à environ 2 000 individus, ne formant presque pas le dix-huitième de la population de la
ville, ne possédant aucuns biens réels, et peut-être le centième des richesses représentatives des habitans
de la ville, ils payent le sixième de la capitation de la cité […].
On n’ignore pas le reproche banal qui forme contre nous un vulgaire prévenu & qu’il prend pour
prétexte de sa haine. Notre religion, dit-on, favorise, ordonne même l’usure : elle est notre élément ; elle
dévaste la ville et les campagnes. Ce reproche est le point de ralliement de tous ceux qu’une animosité
particulière ou des préjugés enracinés ont indisposé contre nous. Que deviendroit en effet un peuple à
qui on a interdit la propriété territoriale, l’exercice des arts et métiers, enfin toutes les possessions et
charges civiles, tandis que d’un autre côté, on l’a surchargé d’impôts et de taxes excessives ? N’est-il
pas obligé de tourner ses vues vers le commerce, de spéculer sans cesse sur l’argent ? & le commerce,
comme toute autre matière, a ses abus : mais ces abus sont la suite d’une nécessité si impérieuse, que sa
loi même n’a pu s’empêcher de les respecter.
Ah si le souffle d’un roi bienfaisant, secondé par un ministre éclairé, a ranimé le génie presque
expirant de la Nation ; quel baume vivifiant sera pour les juifs une législation douce qui lèvera cette
barrière, qui effacera ce signe de démarcation qui les sépare des Citoyens. Pour changer notre déplorable
position, nous ne demandons ni faveurs, ni privilèges, ni grâces ; nous implorons la bonté du souverain
et la générosité de la Nation pour qu’on fasse cesser l’oppression à notre égard. Nous supplions qu’on
nous accorde le retour au droit naturel, commun à tous les hommes qui n’en sont pas rendus indignes
par des crimes. Le premier et le plus important de tous est la faculté d’exercer les arts et métiers.
Quel changement salutaire, quelle révolution heureuse les Français n’ont-ils pas le droit d’espérer
en la bienfaisance du patriotisme et de la sagesse réunis ?

2. Les historiens et les massacres de septembre 1792

Paul Chopelin, « Le théâtre d’horreur des massacres de septembre 1792. Les mises en scène d’une
histoire immédiate », Dix-huitième siècle, 2017/1, 291-306.

Côme Simien, « Rumeurs et révolution : la saison des massacres de septembre 1792 », AHRF, 2020/4,
p. 3-31.

Marcel Dorigny, « Massacres de septembre », Dictionnaire historique de la Révolution française, Albert


Soboul (dir.), Paris, Puf, 2005, 724-725.
Séance 10
Semaine du 5 décembre

1. Dossier d’articles

Yves Krumenacker, « les pasteurs français face à la Révolution », Revue d’Histoire du protestantisme,
2016/2, p. 187-206.

Serge Bianchi, « Les curés rouges dans la Révolution française », AHRF, 1982, p. 364-392.

2. Extrait du procès-verbal des séances de la Société populaire de la commune de Vézélise.

Séance du 24 brumaire, an second de la République française, une et indivisible, premier de la mort du


tyran.
Présidence de Fondreton.
La séance s'est ouverte par le chant de l'hymne sacré de la liberté.
Les procès-verbaux lus, un membre, après avoir obtenu la parole, a dit :
« Que ce n'était pas assez d'avoir célébré la fête de la décade, institué une instruction publique et pris
des mesures pour faire exécuter la loi sur le maximum ; qu'il fallait extirper jusqu'au moindre germe du
fanatisme et .de la superstition, en éclairant les hommes sur leurs droits et leurs devoirs ; que ceux du
républicain étaient la Constitution ;
« Qu'il était temps d'établir la censure, de réprimer l'égoïsme, de noter la tiédeur, d'étouffer le
modérantisme et d'électriser tous les esprits ;
« Que les lois de la nature et les devoirs sociaux prescrivaient l'union des êtres, et que tout républicain
devait s'empresser de leur obéir. »
Ces propositions accueillies par un mouvement spontané des tribunes et de la Société, amendées et
discutées, il a été arrêté :
1° Qu'à l'instant tous les signes de mensonge et de superstition seraient détruits ;
2° Que tous les ecclésiastiques du district seraient invités de se déprêtriser, et d'en remettre les lettres ;
3° Que tous ceux qui ont obtenu des brevets, lettres de licence, patentes et autres actes pour exercer des
fonctions supprimées, seraient tenus de les déposer sur le bureau, pour être brûlés à la fête du décadi
prochain ;
4° Que tous les tableaux des rois et tyrans que les citoyens peuvent posséder, seraient apportés pour être
livrés aux flammes le même jour ;
5° Que les communes qui portent encore des noms qui rappellent la superstition, seraient invitées de les
changer en dénominations républicaines ;
6° Qu'elles seraient engagées d'organiser des Sociétés populaires dans leur sein ;
7° Que l'écharpe blanche ayant été indiquée comme signe de trahison dans l'infâme projet de livrer
Strasbourg, les vétérans seraient invités d'en porter une tricolore, et les officiers des états-majors de
supprimer les plumets blancs, pour les remplacer par les couleurs nationales ;
8° Que tout prêtre et célibataire âgé de plus de 21 ans serait invité de se marier ;
9° Que tous les citoyens de Vézelise seraient tenus d'assister régulièrement aux séances de la Société,
qui s'ouvriraient dorénavant à 6 heures du soir, à l'exception des jours de décadi, où elles se tiendraient
à 2 heures, au temple public ;
10° Que les tièdes, les modérés qui s'en dispenseraient sans motifs légitimes, pour la première fois
seraient censurés, et les suivantes, punis d'autant d'heures de détention qu'ils auraient manqué de
séances ;
11° Que ceux notés de fanatisme seraient placés séparément, afin que l'œil de la surveillance fût
constamment fixé sur eux ;
12° Qu'il serait établi un comité censorial composé de 5 membres, pour censurer la négligence, noter les
tièdes et les dénoncer ;
13° Ce comité sera renouvelé tous les mois. Cet arrêté n'était pas terminé, que le bureau s'est trouvé
chargé d'une foule de parchemins brevets, provisions, lettres de prêtrise, licence, maîtrise, jurande et
autres actes portant attribution de privilèges et fonctions abolis.
Pendant le cours de la séance, les vrais sans-culottes, qui s'étaient empressés d'enlever les
confessionnaux, sont venus annoncer que les débris en étaient apportés sur la place du Peuple et dressés
en autodafé.
Aussitôt les tribunes et la Société se sont rendues, sous le drapeau de la surveillance, et précédées d'une
pique, au-devant du bûcher, où le président a mis le feu, qui a consumé les restes de la superstition aux
cris de : Vive la République ! vive la Montagne !
Collationné par nous, président et secrétaires de la Société populaire de la commune de Vézelise, ce 24
brumaire, l'an II de la République française, une* et indivisible, premier de la mort du tyran.
Signé : Fondreton, président ; Bon et Martelet, secrétaires.

Gravure représentant la fête de la Raison, 1793-1794.


Séance 11
Semaine du 9 janvier

1. Lettre de Jacques-Antoine Coquille d’Alleux adressée à Jean-Marie Roland, ministre de


l’Intérieur, AN, F/1cIII/MAINE-ET-LOIRE/10, 9 janvier 1793.

« Beaupréau le 9 janvier l’an second de la République françoise 1793.


Au citoyen ministre de l’intérieur,
La commune de Beaupréau, Citoyen ministre, a procédé à la nomination de ses officiers municipaux ;
le nombre de votans ne pouvoit être considérable puisqu’il n’y a presque pas de citoyens inscrips [sic]
sur les registres de la garde nationale. Voilà la raison pour laquelle les patriotes en très petit nombre ont
jugé à propos de m’élever à la dignité d’officier municipal. Ils ont cru que l’art. 6 du décret concernant
la réélection des corps administratifs, qui n’excepte que les parents jusqu’au degré de cousins issus de
germains les autorisoit suffisemment. Je n’ai pas cru de mon côté devoir me refuser à l’exercice
provisoire de ces fonctions publiques, jusqu’à ce que les corps administratifs supérieurs, et surtout le
pouvoir exécutif, ayent prononcé sur la légitimité de mon élection.
Je vous dois, Citoyen ministre, ma profession de foi sur cet article. Je pouvois m’appuyer des droits de
l’homme pour légitimer mon élection. Je pouvois dire que les ministres protestants et les rabbins étant
éligibles, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle récompense.
Je vais m’expliquer avec vous, Citoyen ministre, avec cette franchise et cette confiance que vous
inspirez. Je crois que la loi qui déclare les fonctions des ministres du culte salarié par la nation
incompatibles avec les fonctions de maire, d’officier municipal etc. est absurde et antirépublicaine.
1° parce qu’elle semble adopter ou rejetter un culte quelconque ; si on regarde l’éligibilité comme un
droit, tous dans une république doivent être également éligibles ; pourvu qu’ils ayent les conditions
requises. La différence des cultes ne doit pas anéantir le plus beau des privilèges dont un citoyen puisse
jouir, qui est celui d’être admissible à toutes les charges de la république selon ses talens, ses vertus et
son mérite.
2° parce que cette loi fait des ecclésiastiques (s’il en existe encor) une caste d’hommes, que les lois
semblent consacrer à la contemplation. Ces êtres ne peuvent qu’être nuisibles à la république, parce que
l’état contemplatif est le germe de la superstition et la force du fanatisme.
L’assemblée constituante a eu raison de porter ce décret, je pense que la Convention auroit tort de le
maintenir. En 89 le clergé existoit, il étoit à craindre, il ne pouvoit faire que du mal. En 93 il n’y a plus
de clergé, et s’il en existe un, il ne peut que faire respecter les loix : il est de la politique que dans les
campagnes surtout les prêtres assermentés puissent être officiers municipaux. Je les suppose tous assez
philosophes pour ne s’occuper que de l’exécution des lois. Quand ils ne le seroient pas, ils ne sont plus
à craindre puisqu’ils ont le plus grand intérêt à propager la lumière, et qu’ils sont éclairés de toutes parts.
S’ils sont philosophes et qu’ils viennent à se tromper, les fanatiques sont là pour les dénoncer ; s’ils sont
fanatiques, les patriotes arrêteront leur zèle turbulent.
Vous n’avez pas idée, Citoyen ministre, du peu d’intelligence et du peu d’instruction des officiers
municipaux de nos campagnes, ils ne scavent ce qu’on leur demande et les districts sont continuellement
obligés d’envoyer des commissaires, ce qui multiplie les frais d’administration. Les curés des
campagnes, puisqu’il faut encor me servir de cette expression, sont les seuls qui puissent avoir le temps
de se livrer aux affaires de la république ; les éloigner des fonctions publiques, c’est favoriser leur
apathie pour le bien de la patrie, et ce qui est plus dangereux, c’est les forcer en quelque sorte d’entretenir
le peuple dans son ignorance en les réduisant à la triste nécessité de ne s’occuper que de confessions et
d’administrations de sacrements. C’est retarder la marche de la vérité.
Je suis intimement persuadé, Citoyen ministre, que tout républicain doit avoir la noble ambition d’être
utile à sa patrie, l’homme le plus vil qui sent qu’il ne peut être d’aucune utilité a toujours assez d’amour
propre pour s’arracher au mépris et pour persuader qu’il n’est pas nul. Eloigner les prêtres des fonctions
publiques, c’est pour ainsi dire les vouer au mépris. C’est leur dire qu’ils sont inutiles dans le monde, et
qu’ils ne doivent s’occuper que du ciel. Avec une telle politique, qu’elle doit être la leur, pour mériter
les respects, la confiance et l’estime de leurs concitoyens ; en un mot pour montrer qu’ils ne sont pas
nuls ! C’est, Citoyen ministre, n’en doutez pas, de persuader au peuple qu’ils sont occupés d’objets bien
plus importans que ceux qui sont nommés les communs des hommes, c’est de faire croire qu’ils sont
eux-mêmes plus parfaits, et de continuer à se faire regarder comme les représentants de dieu sur la terre.
Cette marche est d’autant plus facile qu’ils auront moins de communication avec leurs concitoyens,
qu’ils ne parleront que pour dieu et au nom de dieu. Comment pourroient-ils ne pas mettre en usage les
seuls moyens qu’il leur reste de se faire respecter ?
J’espère cependant, citoyen ministre, que vous me fairez [sic] la grâce de croire que ce n’est pas par
ambition que je plaide pour la première fois de ma vie la cause des prêtres ; j’espère aussi que vous ne
me croyez pas capable d’employer des manoeuvres aussi basses que celles que je viens de développer
pour m’attirer les respects des peuples quand la convention maintiendroit les décrets de l’assemblée
constituante. Non je ne m’avillirai jamais jusqu’à fanatiser le peuple, pendant quinze ans j’ai prêché les
principes qui ont amené la révolution. J’ai combatu le fanatisme avec courage je le combaterai toute ma
vie. Voilà ma profession de foi.
Je n’ai, Citoyen ministre, que le désir de faire le bien, la nécessité où sont les municipalités des
campagnes d’avoir quelques personnes qui puissent aider à mettre la machine politique en mouvement,
me fait croire qu’il est essentiel que les ministres d’un culte quelconque soient admissibles aux fonctions
municipales. Je n’ai pas les mêmes idées sur l’officier public chargé de l’enregistrement des naissances
mariages et décès aussi ai-je refusé cette charge.
Je suis déjà convaincu que je ne suis pas inutile ; puisque j’ai fait porter l’argenterie de mon église au
district, et que j’ai obtenu que tous les dimanches les officiers municipaux iront en écharpe et au son de
la caisse lire au peuple les décrets et les expliquer dans l’église du ci-devant chapitre. Quand je n’aurois
fait que cela de bien dans mon administration provisoire, c’est toujours beaucoup pour l’endroit.
Il me reste, Citoyen ministre, à vous prier de me marquer si je puis continuer mes fonctions d’officier
municipal, ou si je dois faire ma démission en supposant l’incompatibilité décrétée.
J’ai l’honneur d’être avec un respect vraiment républicain, Citoyen ministre de l’intérieur, votre dévoué
concitoyen Coquille curé de Beaupreau ».

Bertrand Delahaye, Jacques-Antoine Coquille d’Alleux, le prédicateur patriote (1747-1805).


Engagements, réseaux, ruptures, mémoire de master, Université d’Angers, 2020-2021, p. 345-346.

2. Les raisons de la révolte selon des Vendéens

Il est temps ici de parler de l’insurrection qui venait d’avoir lieu, et de ce pays qu’on a appelé depuis
généralement : la Vendée. Il se nommait alors vulgairement le pays de Bocage : la moitié était de la
province du Poitou, un quart de celle d’Anjou, et un quart du comté Nantais. Il est borné au nord de la
Loire, Paimboeuf d’un côté, et de l’autre Brissac ; à l’occident par la mer et la ville des Sables ; au midi,
par Luçon, Fontenay, Niort ; à l’orient, par Parthenay, Thouars, Vihiers.
Toutes les villes que je viens de nommer étaient patriotes enragées ainsi que les campagnes
environnantes, c’est-à-dire tous les habitants de la Plaine ; au contraire, toutes les campagnes du Bocage,
situées entre les limites que je viens de décrire, fort aristocrates. Le pays est plein de collines couvertes
de bois, coupé par une multitude de ruisseaux d’eau vive ; les chemins sont creux, étroits, pleins de
bourbiers, bordés de haies vives élevées et d’arbres […]. On voit que ce pays est bien propre à faire la
petite guerre […].
Le peuple est essentiellement doux par caractère, entêté, hospitalier, bon, confiant, brave, gai, fort
dévot, plein de respect pour les prêtres et les nobles ; il les aborde avec timidité, quoique toujours sûr
d’être bien reçu ; aussi cette timidité se change au bout d’un instant en familiarité, et on peut dire qu’ils
traitent leur seigneur comme des enfants traitent leur père, avec respect et tendresse. Les paysans avaient
des mœurs pures et simples, ils vivaient dans l’abondance, sans être riches, mais ils étaient très heureux
[…].
C’est lors de la grande guerre de 1793, que les républicains donnèrent à tout ce pays insurgé le nom
de Vendée qu’il n’avait pas auparavant. Les paysans avaient toujours été aristocrates, comme je l’ai déjà
dit ; il y avait cependant des petites villes patriotes, dans l’intérieur des terres, comme Mortagne,
Bressuire, Cholet, Châtillon, Montaigu, Beau préau, Machecoul, Challans, ainsi qu’une portion de
bourgs et quelques individus disséminés dans les villages ; ces derniers en si petit nombre, toutefois,
qu’on peut dire avec vérité que, sur cent paysans, à peine pouvait-on en compter un de patriotes ; les
autres depuis le commencement de la révolution, n’ont pas cessé de témoigner leur dévouement au Roi,
à la religion, à la noblesse.
Quand en juillet 1789, on fit prendre les armes à toute la France, en faisant croire à chaque village
qu’une multitude de brigands arrivaient pour incendier, et que presque partout on insulta les seigneurs,
les paysans de la Vendée (j’appellerai ainsi dorénavant le pays insurgé) vinrent se ranger autour des
leurs, pour les défendre des prétendus brigands. Quand on nomma des maires, des commandants de la
garde nationale, ils choisirent leurs seigneurs ; quand partout on ôta les bancs des églises, appartenant
aux gentilshommes, ils conservèrent ceux des nobles et brûlèrent ceux des bourgeois ; quand les intrus
remplacèrent les curés légitimes, le peuple ne voulut pas aller à leur messe, ni à celle des prêtres
assermentés […]. Les paysans cachaient les prêtres, se rassemblaient dans les champs pour prier ; cela
avait causé de petites insurrections partielles. On avait quelquefois envoyé des gendarmes avec les
intrus, il y avait eu des rixes ; on avait déjà vu plusieurs traits héroïques. Un paysan du bas Poitou, entre
autres, se battit longtemps avec une fourche de fer contre les gendarmes ; couvert de 22 blessures, on
lui criait : Rends-toi ; il répondait : Rendez-moi mon Dieu, et il expira sans vouloir céder. […].
L’insurrection qui éclata en août 1792 fut plus considérable que les autres ; une quarantaine de
paroisses se soulevèrent, toutes du district de Châtillon […] ; la cause en fut dans les persécutions qu’on
faisait éprouver aux prêtres. Il y en avait plusieurs cachés dans le pays, et, comme on veillait avec plus
de soin que jamais à ce qu’ils ne disent pas la messe et qu’on ferma, sitôt le 10 août, quelques chapelles
qu’on leur avait laissées, les paysans se rassemblaient tous les dimanches dans un champ, y amenaient
trois ou quatre prêtres et leur faisaient célébrer la messe. On menaça d’enlever ces prêtres pendant le
sacrifice ; le dimanche suivant, ils se rendirent dans le même champ, mais armés de fusils, de faux, de
bâtons. Peu de jours après, sachant que les émigrés étaient à Verdun, ils n’écoutèrent que leur zèle, et
ces deux motifs les firent attaquer Bressuire. Ils [les révolutionnaires] firent hacher les malheureux
paysans, on en tua une centaine qui moururent en criant Vive le Roi ; on en prit cinq cents, le reste se
dissipa, et presque tous passèrent l’hiver, errants, dans les bois, toujours dans la crainte d’être arrêtés.
Les volontaires massacrèrent un M. de Richeteau, il ne périt cependant aucun des prisonniers. Le tribunal
de Niort, bien composé, trouva moyen de les acquitter tous peu à peu, en faisant tomber le prétendu
crime de l’insurrection sur les morts et sur les absents.
Ce fut dans ce malheureux moment que nous arrivâmes à Tours et de là à Clisson. Notre paroisse
de Boismé, où le château est situé, et quelques autres au nord du pays, ayant plus de patriotes et étant
près de la Plaine, entre Parthenay et Bressuire, n’osèrent pas se révolter et allèrent même, par crainte,
donner du secours à Bressuire ; d’ailleurs notre paroisse était des plus tranquilles sur l’article de la
religion que les autres. Le curé et le vicaire avaient fait le serment, mais avec de grosses restrictions,
surtout le vicaire, le prêtre le plus vertueux que je connaisse. Quelques autres curés du voisinage
l’avaient imité ; ils avaient fait le serment « sauf en ce qui pouvait être contraire à la religion catholique,
apostolique et romaine, dans laquelle ils déclaraient vouloir vivre et mourir » ; ils priaient pour l’évêque
légitime et n’obéissaient point aux mandements de l’intrus ; le district fermait les yeux, apparemment
par prudence.
[…] Je finis ce chapitre en assurant que ni les prêtres, ni les nobles n’ont jamais fomenté, ni
commencé la révolte ; ils ont secondé les paysans, mais seulement quand l’insurrection a été établie ;
alors ils ont cherché à la soutenir. Je suis loin de dire qu’ils ne la désiraient pas ; mais on doit le
comprendre pour peu qu’on y réfléchisse, aucun d’eux n’était assez fou pour engager une poignée de
paysans sans armes, sans argent, à attaquer la France entière […]. La Vendée s’est insurgée par un
mouvement spontané, inattendu ; on peut vraiment dire qu’elle s’est levée en masse.

Mémoire de la marquise de La Rochejaquelein, 1772-1857, Paris, Mercure de France,1984, p. 111-121.


Séance 12

1. La naissance d’une nouvelle religion : la théophilanthropie

Plusieurs pères de famille, persuadés que les principes religieux sont la base la plus solide d’une
bonne éducation, le seul frein des crimes secrets, la meilleure consolation dans l’adversité,
l’encouragement le plus efficace à l’accomplissement de tous les devoirs, se sont réunis pour chercher
les moyens de soustraire les enfants aux dangers de l’irreligion.
Ils ont considéré que les cultes mystérieux ont beaucoup d’adversaires ; que la plupart des jeunes
gens élevés dans ces sortes de cultes, ne résistent pas, lorsqu’ils sont lancés dans le monde, aux
nombreux arguments par lesquels on les attaque ; et que souvent, en renonçant aux mystères, ils oublient
en même temps et la religion et la morale.
Ils ont pensé que le plus sûr parti était d’inculquer à leurs enfants les principes de la religion
naturelle, qu’aucun homme ne peut attaquer, à moins qu’il ne soit insensé ou tout à fait corrompu ;
qu’une fois accoutumés à se conduire d’après les principes de cette religion, que tous les peuples
respectent, et qui est la base de tous les cultes de la terre, ils n’y renonceraient probablement jamais, et
qu’en conséquence, ils seraient gens de bien jusqu’à leur dernier soupir.
[…] De peur que le temps n’altérât leurs principes, et ne surchargeât leurs pratiques d’institutions
superstitieuses, ils ont prié l’un d’entre eux de rédiger l’exposition des uns et des autres. C’est ce code
qu’ils ont approuvé qu’on présente ici. C’est ce code qui, entretenant au sein de plusieurs familles la
paix, l’amitiés, la concorde, fait déjà le bonheur de quelques sages… Puisse-t-il bientôt faire celui du
monde entier !
On ne nous accusera point d’être d’ambitieux sectaires, ni de chercher à établir, en notre faveur, un
nouveau sacerdoce. L’exercice du culte théophilanthropique n’a pas besoin de ministres, mais seulement
de lecteurs ou d’orateurs, fonctions momentanées qui sont remplies par des chefs de famille. Nous ne
proposons aux peuples, ni une religion nouvelle, ni un culte nouveau : notre religion est la religion
universelle […]. Ainsi la théophilanthropie, loin de faire une secte nouvelle, tend à réunir celles qui
existent, dans un seul sentiment, celui de la piété, de la charité, de la concorde et de la tolérance.

Jean-Baptiste Chemin-Dupontès, Manuel des théophilanthropes, ou adorateurs de Dieu et amis des


hommes, Paris, 1798, p. 5-10.

Un baptême dans le culte théophilanthrope. Gravure de JB Mallet, 1797


Représentation d'un théophilanthrope dans l'ouvrage d'Augustin Challamel et Wilhelm Ténint, Les
Français sous la Révolution, Paris, Challamel, 1843

2. Articles organiques des cultes protestants, 1802.

TITRE I.er
Dispositions générales pour toutes les Communions protestantes.

ART. I.er Nul ne pourra exercer les fonctions du culte, s'il n'est Français.
II. Les églises protestantes, ni leurs ministres, ne pourront avoir des relations avec aucune puissance ni
autorité étrangère.
III. Les pasteurs et ministres des diverses communions protestantes prieront et feront prier, dans la
récitation de leurs offices, pour la prospérité de la République française et pour les Consuls.
IV. Aucune décision doctrinale ou dogmatique, aucun formulaire, sous le titre de confession ou sous
tout autre titre, ne pourront être publiés ou devenir la matière de l'enseignement, avant que le
Gouvernement en ait autorisé la publication ou promulgation.
V. Aucun changement dans la discipline n'aura lieu sans la même autorisation.
VII. Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales […]
IX. Il y aura deux académies ou séminaires dans l'est de la France, pour l'instruction des ministres de la
confession d'Augsbourg.
X. Il y aura un séminaire à Genève, pour l'instruction des ministres des églises réformées.
XI. Les professeurs de toutes les académies ou séminaires seront nommés par le premier Consul.
XII. Nul ne pourra être élu ministre ou pasteur d'une église de la confession d'Augsbourg, s'il n'a étudié,
pendant un temps déterminé, dans un des séminaires français destinés à l'instruction des ministres de
cette confession, et s'il ne rapporte un certificat en bonne forme, constatant son temps d'étude, sa capacité
et ses bonnes mœurs.
XIII. On ne pourra être élu ministre ou pasteur d'une église réformée, sans avoir étudié dans le séminaire
de Genève, et si on ne rapporte un certificat dans la forme énoncée dans l'article précédent.

TITRE II.
Des Églises réformées.
SECTION I.re
De l'Organisation générale de ces Églises.
XV. Les églises réformées de France auront des pasteurs, des consistoires locaux et des synodes.
XVI. Il y aura une église consistoriale par six mille âmes de la même communion.
XVII. Cinq églises consistoriales formeront l'arrondissement d'un synode.

SECTION II.
Des Pasteurs et des Consistoires locaux.
XVIII. Le consistoire de chaque église sera composé du pasteur ou des pasteurs desservant cette église,
et d'anciens ou notables laïques, choisis parmi les citoyens les plus imposés au rôle des contributions
directes : le nombre de ces notables ne pourra être au-dessous de six ni au-dessus de douze.
XIX. Le nombre des ministres ou pasteurs, dans une même église consistoriale, ne pourra être augmenté
sans l'autorisation du Gouvernement.
XX. Les consistoires veilleront au maintien de la discipline, à l'administration des biens de l'église et à
celle des deniers provenant des aumônes.
XXI. Les assemblées des consistoires seront présidées par le pasteur ou par le plus ancien des pasteurs.
Un des anciens ou notables remplira les fonctions de secrétaire.
XXII. Les assemblées ordinaires des consistoires continueront de se tenir aux jours marqués par l'usage.
XXIII. Tous les deux ans, les anciens du consistoire seront renouvelés par moitié : à cette époque, les
anciens en exercice s'adjoindront un nombre égal de citoyens protestants, chefs de famille et choisis
parmi les plus imposés au rôle des contributions directes de la commune où l'église consistoriale sera
située, pour procéder au renouvellement.
XXIV. Dans les églises où il n'y a point de consistoire actuel, il en sera formé un. Tous les membres
seront élus par la réunion des vingt-cinq chefs de famille protestants les plus imposés au rôle des
contributions directes : cette réunion n'aura lieu qu'avec l'autorisation et en la présence du préfet ou du
sous-préfet.

SECTION III.
Des Synodes.
XXIX. Chaque synode sera formé du pasteur ou d'un des pasteurs et d'un ancien ou notable de chaque
église.
XXX. Les synodes veilleront sur tout ce qui concerne la célébration du culte, l'enseignement de la
doctrine et la conduite des affaires ecclésiastiques. Toutes les décisions qui émaneront d'eux, de quelque
nature qu'elles soient, seront soumises à l'approbation du Gouvernement.
XXXI. Les synodes ne pourront s'assembler que lorsqu'on en aura rapporté la permission du
Gouvernement.
On donnera connaissance préalable au conseiller d'état chargé de toutes les affaires concernant les cultes,
des matières qui devront y être traitées. L'assemblée sera tenue en présence du préfet ou du sous-préfet ;
et une expédition du procès-verbal des délibérations sera adressée par le préfet au conseiller d'état chargé
de toutes les affaires concernant les cultes, qui, dans le plus court délai, en fera son rapport au
Gouvernement.
XXXII. L'assemblée d'un synode ne pourra durer que six jours.

TITRE III.
De l'organisation des Eglises de la Confession d'Augsbourg
SECTION I.re
Dispositions générales.
XXXIII. Les églises de la confession d'Augsbourg auront des pasteurs, des consistoires locaux, des
inspections et des consistoires généraux.
SECTION II.
Des Ministres ou Pasteurs, et des Consistoires locaux de chaque église.
XXXIV. On suivra, relativement aux pasteurs, à la circonscription et au régime des églises
consistoriales, ce qui a été prescrit par la section II du titre précédent, pour les pasteurs et pour les églises
réformées.
SECTION III.
Des Inspections.
XXXV. Les églises de la confession d'Augsbourg seront subordonnées à des inspections.
XXXVI. Cinq églises consistoriales formeront l'arrondissement d'une inspection.
XXXVII. Chaque inspection sera composée du ministre et d'un ancien ou notable de chaque église de
l'arrondissement : elle ne pourra s'assembler que lorsqu'on en aura rapporté la permission du
Gouvernement. La première fois qu'il écherra de la convoquer, elle le sera par le plus ancien des
ministres desservant les églises de l'arrondissement. Chaque inspection choisira dans son sein deux
laïques, et un ecclésiastique, qui prendra le titre d'inspecteur, et qui sera chargé de veiller sur les
ministres et sur le maintien du bon ordre dans les églises particulières.
Le choix de l'inspecteur et des deux laïques sera confirmé par le premier Consul.
SECTION IV.
Des Consistoires généraux.
XL. Il y aura trois consistoires généraux : l'un à Strasbourg, pour les protestants de la confession
d'Augsbourg, des départements du Haut et Bas Rhin ; l'autre à Mayence, pour ceux des départements de
la Sarre et du Mont-Tonnerre ; et le troisième à Cologne, pour ceux des départements de Rhin-et-Moselle
et de la Roer.
XLI. Chaque consistoire sera composé d'un président laïque protestant, de deux ecclésiastiques
inspecteurs, et d'un député de chaque inspection.
Le président et les deux ecclésiastiques inspecteurs seront nommés par le premier Consul.

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