TELEVISION

JEAN DRUCKER
P> DE Mo

CHERCHONS
LA DIFFERENCE
Jean Drucker est très content. Sauf quand on le bassine avec TV6,
Parce que sa Six à lui fait six fois, dix fois plus d‘audience que la Six
d‘avant. Et c‘est d‘ailleurs pour ça qu‘il est content. Mais il le sera
encore plus lorsqu‘il aura enfin trouvé quelle est sa différence.
n mois après son démarrage, référence. TV6 avait une audience très
M6 a des programmes mais modeste. (Jean Drucker s‘emballe, visible—
pas encore de style. Pas de ment énervé de revenir sur TV6].
couleur. Le 1” mars dernier, il On n‘a pas le droit de dire qu‘il existe un
fallait succéder à TV6. Remplir public de plusieurs millions de jeunes pour
l‘antenne, vite. M6 l‘a remplie, regarder des clips plusieurs heures par
quatorze heures par jour. Dans des condi— jour. Mettez des clips en fin d‘après—midi,
tions acrobatiques. Mais à peine la relève vous aurez une faible audience. C‘était vrai
effectuée, voilà que Jacques Chirac mer— pour TV6. Ça reste vrai pour M6.
credi dernier à L‘heure de vérité déterre le — Donc, vous êtes contre l‘idée d‘une
cadavre de TV6 et souhaite une septième septième chaîne musicale.
chaîne musicale pour les jeunes ! Entre — Totalement contre. Et s‘il était ques—
deux séries américaines, quelques bons tion d‘une chaîne de sports (j‘adore le
films, beaucoup de parlotte en studio et
eeeo net >

deux ou trois jeux, M6 cherche sa person—

nalité.
Candidat sûr de lui devant la Cncl, Jean
Drucker l‘ancien patron d‘Antenne 2 est
aujourd‘hui un pdg bien prudent qui dresse
un portrait un peu flou de sa chaîne. Il
donne rendez—vous en septembre pour la
grande rentrée des télés.
— M6 a démarré le 1” mars. Je ne vais
pas vous dire que la chaîne est parfaite. Je
pourrais vous dresser la liste des choses
qui manquent, qui ne me plaisent pas, et la
liste des idées que nous avons déjà pour
les changer. Elle comporterait quarante
pages. Mais ce n‘est pas mon sujet.
Je suis très content du démarrage de
x v a …
M6. Je veux parler de la performance .Ilæan Drucker : « Nous irons foüiher
dans les catalogues... »
technique. Rendez—vous compte, le lundi
(23 février) on nous donne la fréquence. Le sport) ou de toute autre chaîne thématique,
mercredi, nous apprenons que nous de— je tiendrais le même discours. On ne peut
vons changer de nom (1). Le dimanche pas bloquer un réseau hertzien national
suivant, nous ouvrons l‘antenne. Du jourau pour ce genre de télévision: on ne peut
lendemain, nous offrons au public un pro— pas prendre une autoroute pour faire circu—
gramme complet. Quatorze heures par ler des campeurs à vélo.
jour. Sans un pépin depuis un mois.... Je — Le budget de M6 est dix fois moins
touche du bois ! important que celui de TF1. Vous ne pour—
—Vous avez en main les premiers rez jamais lutter à armes égales avec les
scores d‘audience de M6. Avez—vous re— grandes chaînes. Pourtant, depuis un
trouvé une écoute comparable à celle de mois, on a l‘impression que vous vous
MARC GUILLAUMOT

l‘ancienne TV6 ? baîtez sur le même terrain: films à

— Nous faisons six fois, dix fois, quinze 20 h 30, séries, journaux complets d‘infor—
fois l‘audience de TV6, ça dépend des mation...
heures. C‘est bien. Mais ça n‘est pas ma — C‘est vrai, nous sommes ceux qui »

TÉLÉRAMA N° 1942 — 1°” AVRIL 1987 63

passons les meilleurs films en ce moment.
Disons que nous avons pour l‘instant les
moyens de le faire.
——Mais si c‘est une grille de « luxe »,
combien de temps tiendrez—vous à ce
rythme ?
— C‘est une grille surdimensionnée, en—
core que nous ayons les stocks pour tenir
longtemps. Mettez cela sur le compte des
investissements de lancement de la chaîne.
Pour démarrer, pour gagner de l‘audience,
il faut frapper fort. Cela dit, nous ne pou—
vons pas faire une chaîne généraliste
comme TF1. La question ne se pose même
pas : nous n‘en avons pas les moyens.
A l‘inverse, si nous faisons une chaîne
tellement différente (horaires, contenus,
animateurs) qu‘elle devienne exotique,
nous tombons dans l‘écueil contraire.
Nous nous marginalisons.
— Votre marge de manœuvre est très
étroite...
— Sans doute. M6 va devoir cultiver sa
différence. Mais aujourd‘hui,je ne peux
pas vous dire quelle sera cette différence.
— C‘est tout de même embétant ! Il est
vrai qu‘on ne voit pas bien la « différen—
ce » de M6 quand vous proposez Les Cinq
dernières minutes, Starsky et Hutch ou
Dynastie ?
PRIVÉE D‘IMAGES
1 ” eg<1 ? 4 Finie la grand—
messe du 20 heures.
A M6, on manque
de moyens, mais on
a quelques idées.
Tous les soirs à
19 h 30 (l‘horaire
« m a l i n » )
; : at0P A|lexandre Bgloud
1 plonge en direct
A. Baloud pour un one man
show de vingt minutes. Alexandre Baloud
ne «présente » pas le journal, il conte
l‘information de la journée. Il accueille
debout ses invités, l‘air de dire « Venez
chez moi, voyez comme on y est bien ! »
Revers de la médaille : le journal de cet
ancien de RH, directeur de l‘information à
M6 est trop bavard. Normal, la Six est
privée d‘images. Elle attend d‘être admise
dans le club des télés européennes pour
avoir accès à leur bourse quotidienne
d‘images. Et FR3 traîne les pieds pour lui
vendre ses reportages des régions.
Réaliser deux journaux (à 12 h45 et
.19 h 30), même modestes, avec seule—
ment vingt journalistes et cinq équipes de
reportage tient du miracle. Installée à
l‘étroit dans les locaux de R#, l‘équipe ne
dispose pas du dixième des moyens
d‘Antenne 2 (avec ses 250 journalistes et
ses 600 personnestravaillant
pour l‘infor—
mation !), mais elle se lance quand même
dans le magazine. 7urbo, le samedi,
occupe déjà le terrain « auto—moto—
aventure ». « Je ne suis pas venu ici pour
faires des flashes », dit Alexandre Baloud.
La petite M6 a l‘intention de jouer dans la
cour des grands.
64 TÉLÉRAMA N° 1942 — 1°” AVRIL 1987
de
« C‘ Ie style qi fair différence ehÏfe les chaînes ». Platine laser abien du mal à réc
— Et pourquoi pas Dynastie ? Pour le
seul plaisir d‘être différents, nous n‘allons
pas être la chaîne qui ne diffuse pas de VRP DES ONDES
séries américaines ! Qu‘est—ce qui fait la
8 M6 cherche son
différence entre les chaînes 2 C‘est le style.
style. L‘image est
L‘art de faire la tambouille avec les mêmes
pauvre. Huit émis—
ingrédients.
Je réfléchis beaucoup à l‘exemple de sions sont fabri—
quées, chaque se—
Canal Plus. Cette chaîne a réussi, non pas
maine, dans les
parce qu‘elle passe des films en boucle,
mais parce qu‘elle a su trouver son style. 50 m° du studio de
La première caractéristique de M6, c‘est
° la rue Bayard. On
d‘être une chaîne des villes, de par ses
: 3 tchatche beaucoup
‘ ” ”e* sur la Six. Les invités
émetteurs. C‘est un premier axe de re—
cherche. Mais notre démarche dans son
P. Bouteiller défilent à longueur
d‘émission. Manque la partde rêve. On a
ensemble sera différente : au lieu de nous
ruer sur les trois grosses séries à succès
envie de pousser les décors.
après lesquelles courent toutes les grandes « Patience et indulgence », réclament les
chaînes, nous irons fouiner dans les catalo—
responsables de la Six. Ils connaisssent
trop bien les pièges de la « radio filmée »
gues. On y trouve des trésors !
Nous pouvons jouer aussi sur notre poli—
et demandent un peu de temps.
M6 cherche un ton. Elle n‘a pas encore
tique d‘horaires : nous sommes déjà les
trouvé sa couleur. On reconnaît, à cent
seuls à programmer des films à 21 h 30, et
notre journal du soir à 19 h 30. Vous dé— lieues, la « bande de R# ». Tonitruants Vrp
des ondes (comme Georges Lang ou
placez un programme d‘une demi—heure et
vous trouvez votre public. C‘est un jeu de Jean—Luc Bertrand)ils vous vendentun jeu
ou un hit des clubs de la même façon qu‘ils
mécanique très subtil où excelle notre di—
recteur des programmes, Jean Sotck. animeraient une journée anniversaire à
Nous devons encore attendre deux ou Conforama.
trois mois pour disposer d‘études, de son— L‘après—midi, deux nouvelles têtes,
dages fiables, pour savoir qui regarde M6, Charloite Scianda (AM magazine) et
quart d‘heure après quart d‘heure. A ce Mady Tran (Platine laser)—l‘une vient du
moment—là seulement, nous pourrons faire cirque et du théâtre, la seconde a fait ses
évoluer notre grille par touches succes— classes à Rmc— essaient « d‘être à la télé
sives. Démarrer d‘emblée une chaîne comme dans la vie»: un mélange de
complètement différente, c‘est impossible. fraîcheur, d‘enthousiasme et de naïveté.
À l‘heure où sortent les théâtres et les
— Canal Plus et la Cinq ont adopté une
politique de forte rediffusion. Qu‘en sera— cinémas, Pierre Bouteiller excelle dans
Club Six. Atmosphère feutrée. Dans le
t—il sur M6 ?
— Je suis pour une politique très active
dernier salon où l‘on cause, il rend ses
invités intelligents.
de rediffusion. Le contraire serait une aber—

upérer le ene public de TV6.
PLUS TRANSPARENT QUE MOI...
La guerre des nerfs s‘intensifie de jour en
jour, à coups d‘attaques—surprises et de
contre—attaques fulgurantes. Le 12 mars,
par exemple, c‘est un point pour Bouy—
gues : les différentes fédérations de réalisa—
teurs et de producteurs, associés à la Sacd,
annoncent qu‘ils lui font davantage
confiance qu‘à Hachette, en matière de
création originale . française. * Quelques
jours plus tard, Jean—Luc Lagardère informe
les professionnels de l‘audiovisuel qu‘il s‘a—
ligne sur les engagements de Bouygues. Un
point partout.
Le 24 mars, c‘est le roi du béton qui reprend
l‘offensive. Faute d‘avoir reçu la moindre
réponse de la Cncl à son « recours gra—
cieux » contre Hachette, Francis Bouygues
rend publique une nouvelle lettre. Il re—
prend point par point, en l‘étayant, son
argumentation juridique, et conclut pé—
remptoirement : « Dès lors, la situation est
claire : il appartient à la Commission de
constater que le groupe Hachette n‘est pas
admis sur la liste des candidats à l‘acquisi—
tion de TF1, faute d‘avoir satisfait aux exi—
gences de la loi du 30 septembre 1986 ».
Cette fois, la Cncl ne peut se dérober. Elle
répond donc à Bouygues. Pour le débouter
de son « recours gracieux ».
Entre—temps, Jean—Luc Lagardère a déjà
ration. Avec la mulfiplicofion des chaînes,
vous savez bien qu‘une émission ne tou—
chera plus à la première diffusion, qu‘une
faible partie du public potentiel.
— Avec six chaines, la guerre de l‘au—
dience va être terrible. Quelle part du
gâteau esperez—vous ?
UN PÙBLIC QUI
RESTE A TROUVER
Sapristi ! La Cinq a beau débiter du feuille—
ton américain à longeur de journée, « ils »
en redemandent. Au tableau d‘honneur de
M6, les séries américaines se distinguent :
Brigade de nuit et Cagney et Lacey (diffu—
sées en soirée) ont d‘entrée fidélisé trois
cents à six cents mille mordus, à côté des
téléspectateurs plus volages qui font un
aller—retour sur M6 pour attraper un film
(souvent bon).
L‘après—midi, M6 n‘a pas encore trouvé son
public. Platine laser, l‘émission censée récu—
pérer, à la sortie de l‘école, les anciens fans
de TV6, fait chou blanc. Pendant les trois
premières semaines, la, courbe d‘audience
de Platine lasera flirté avec le zéro pointé.
Mais où est donc passé le jeune public de
TV6 ? Celle de Club Six, le talk show de
Pierre Bouteiller, « frémit » dit—on. Mais les
sondages sont encore incertains.
Les meilleurs scores de M6 (10 %, 15 %
d‘audience) doivent, de toute façon, être
rapportés au faible public potentiel de la
Six : une petite dizaine de millions de télés—
pectateurs (dont là moitié en région pari—
J-Luc Lagardeæ efancis Bouygues
onîæ—aflaque Il invite en grande pompe
toute la presse (à lexcepflon de Télérama)
à venir contempler de près les différents
partenaires de son tour de table, histoire de
prouver qu‘ils existent bel et bien. Mais il
refuse de répondre à toute question sur ses
déméèlés avec son concurrent, se conten—
tant d‘affirmer : « C‘est un challenge diffi—
cile, mais nous le réussirons ».
Toute la question est de savoir s‘il y aura
« challenge » jusqu‘au bout. Car Bouygues
continue de tenir suspendue son épée de
Damoclès : se retirer de la compétition au
demier moment, s‘il reste convaincu qu‘elle
n‘est pas loyale. On murmure même qu‘il
pourrait jouer le scoop, en l‘annonçant en
direct le vendredi 3 avril, sous les caméras
— Le grand rendez—vous, c‘est sep—
tembre. Je pense qu‘on va assister à des
évolutions plutôt qu‘à un grand boulever—
sement. Les grandes chaînes vont perdre
un peu. La Cinq a déjà ùne audience non
négligeable. Pour être franc, je ne serais
pas mécontent de faire son score actuelle—
M6 est une chaîne essentiellement
urbaine. Et vingt—sept villes seule—
ment la captent, à ce jour.
sienne) la reçoivent. Ils pourraient être deux
fois plus nombreux, mais beaucoup n‘ont
pas réglé leur téléviseur sur le bon canal.
D‘autres encore devraient revoir leur an—
tenne.
D‘ici la fin de l‘année, de nouvelles villes
comme Nancy, Vannes ou Poitiers rece—
vront M6. AU|ourd hui, 27 villes seulement
captent la sixième chame
de TF1, lors du grand show de la « franspa—
rence » devant la Cncl. Si tel était le cas, que
se passerait—il ? Interrogé, le 24 mars, sur ce
point précis, Gabriel de Broglie, patron de
la Cncl, a fait dans la philosophie nor—
mande : « La disparition d‘une des candi—
datures avant le terme de la procédure ne
constituerait pas. une raison pour qu‘on
renonce à attribuer TF1, ni une raison pour
attribuer la chaîne au seul candidat restant
en compétition ». Bref, on verra bien...
Mais voici qu‘un nouveau rebondissement
brouille encore un peu plus les cartes. La
Commission des Opérations en Bourse a
en effet relevé de graves irrégularités de la
part du groupe Bouygues lors de sa tenta—
tive de prise de contrôle de Spie Bati—
gnolles. Le rapport avec TF1 2 Tout simple—
ment que Francis Bouygues apparaît singu—
lièrement mal placé pour attaquer la dos—
sier Hachette, si lui—même n‘a pas respecté
les règles du jeu boursier.
Résumons. Pour privatiser la première
chaîne publique française deux groupes
sont en compétition. L‘un n‘a bouclé sa
candidature qu‘au prix de bizarreries et
d‘acrobaties qui ont fait sursauter plus d‘un
observateur. L‘autre aurait joué les frau—
deurs en Bourse. On vit vraiment une
époque formidable ! — ALAIN REMOND
ment. Disons que si M6 arrive à toucher 15
7 % du public sur sa zone, ce sera
remarquable ® Propos recueillis par
THIERRY LECLERE
(1) M6 devait s‘appeler RH6 puisque la C
possède déjà Ril et Ril—Télé. Mais la Cncla refusé
cet amalgame des sigles.
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