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Tu-114 d'Aeroflot.
Il s'agit néanmoins d'un appareil de transition, mis au point en attendant qu'un long-courrier à
réaction soit réalisable (ce sera l'Iliouchine Il-62). Ainsi, il n'est construit qu'en petite série,
exclusivement pour Aeroflot, et sa carrière opérationnelle est assez brève.
Historique
Au début des années 1950, l'industrie aéronautique soviétique, ayant concentré ses efforts
sur les activités militaires, ne propose qu'une offre limitée en matière d'avions de ligne. Les
lignes intérieures soviétiques sont principalement assurées par des Il-14, petits avions
bimoteurs, qui doivent effectuer des escales pour traverser l'immense territoire soviétique et
ne transportent que 28 passagers au maximum[1]. Plusieurs projets de nouveaux avions de
ligne sont lancés, dont celui d'un grand appareil long courrier, qui doit être une vitrine
technologique. L'avion doit aussi servir aux voyages diplomatiques : Nikita Khrouchtchev,
dans le cadre de sa politique de coexistence pacifique, compte multiplier les visites à
l'étranger[2].
Pour concevoir un tel avion, le bureau d'études Tupolev décide de travailler à partir de son
bombardier stratégique Tu-95 (Bear), qui a effectué son premier vol fin 1952. Le Tu-95 est un
bombardier à très long rayon d'action, propulsé par quatre énormes turbopropulseurs
Kouznetsov NK-12. Les turboréacteurs sont encore très consommateurs en carburant à cette
époque, et même s'il ne fait de doute pour personne que l'avenir à long terme est aux jets, le
turbopropulseur est une solution de transition raisonnable, en particulier pour un long
courrier[3],[4].
Tupolev lance deux projets distincts sur la base du Tu-95. Le Tu-116, qui ne dépassera pas le
stade de prototype, se veut une modification très simple du bombardier. Un compartiment
pressurisé, pour 24 passagers VIP, est aménagé à l'intérieur de la soute à bombes,
accessible par une rampe ventrale[5]. Le Tu-114 est un véritable avion de ligne : son fuselage
est totalement différent de celui du bombardier, de plus grand diamètre, pressurisé, et doté
de hublots[6].
Cette façon de concevoir un avion de ligne sur la base d'un bombardier n'est pas une
nouveauté pour Tupolev. Le premier avion de ligne à réaction soviétique, le Tu-104, un court-
courrier biréacteur a été dérivé du bombardier léger Tu-16 selon une démarche très similaire.
Juste après la Seconde Guerre mondiale, Tupolev avait également développé le Tu-70, sur la
base de son bombardier Tu-4 (copie du B-29 Superfortress), même s'il n'a pas été produit en
série[7].
L'assemblage des avions est assuré dans l'importante usine d'aviation n°18 de Kouïbychev
(aujourd'hui Aviakor à Samara)[8]. Tous les avions soviétiques, même civils, reçoivent un code
OTAN, le Tu-114 est ainsi désigné Cleat[9].
La production de ces avions est modeste. Elle se limite à 31 avions de série (dont 3 Tu-114D
à autonomie accrue) en plus du prototype. Un deuxième prototype se serait écrasé en 1958.
Cette affirmation (et l'existence de cet avion) n'est qu'une rumeur[10].
Caractéristiques
En 1963, le Tu-114 est le plus grand avion en service dans le monde, toute catégorie
confondue, par sa longueur et sa masse maximale au décollage. En envergure, il n'est
dépassé que par le B-52 (le B-36 était encore plus grand, mais a été retiré du service en
1959)[11].
Le fuselage, pressurisé, est entièrement nouveau. Les ailes du bombardier y sont greffées,
mais en position basse. Les moteurs, les hélices, l’empennage et le train d’atterrissage
principal sont repris sans modifications majeures. En revanche, un nouveau train avant plus
haut est développé[12].
Performances
Le Tupolev Tu-114 demeure le plus grand et le plus rapide avion de ligne à turbopropulseurs
jamais construit. C'est un très grand appareil pour son époque : en classe unique, il est
capable d'emporter 224 passagers, une quarantaine de plus qu'un Boeing 707. C'est le plus
grand avion de ligne du monde à sa sortie, et il le demeure jusqu'à l'arrivée du Boeing 747 en
1969. Sa vitesse de croisière normale est de Mach 0,72, exceptionnelle pour un avion à
hélices[13]. Il est même capable d'atteindre Mach 0,88, surpassant bien des jets de l'époque,
mais au prix d'une consommation très supérieure, et cette vitesse n'est pas utilisée
commercialement. Son altitude de croisière de 10 000 m et son aile en flèche à 35° sont
d'autres caractéristiques s'approchant des jets[14]. Aucun autre avion civil à hélices n'a jamais
égalé, ou même approché, les performances du Tu-114. Néanmoins, il subit les inconvénients
de son mode de propulsion : le niveau de bruit et de vibrations lié aux turbopropulseurs est
très élevé, rendant le voyage pénible[4]. Le Tu-95 (qui a le même système de propulsion) est
considéré en 2007 comme l'avion militaire en service le plus bruyant au monde. Ce niveau de
bruit extrême est une conséquence du fait que les extrémités des hélices sont
supersoniques[15].
Fuselage et cabine
Voilure
L'aile est très proche de celle du Tu-95, mais a été déplacée en position basse. Cela permet,
notamment, de placer le caisson central de voilure entièrement sous le plancher de cabine,
qui peut donc être plan de l'avant à l'arrière de l'avion, évitant d'avoir comme sur le Tu-104 une
cabine « discontinue » (avec une zone au plancher surélevé entre les ailes)[16].
Motorisation
Moteur NK-12.
Les moteurs NK-12, que le Tu-114 partage avec le Tu-95 dont il est dérivé, mais aussi avec le
Tu-142 (patrouilleur maritime dérivé du Tu-95), le Tu-126 (avion-radar basé sur le 114), et
l'Antonov An-22 (avion-cargo), affichent une puissance unitaire de 15 000 chevaux, et
entraînent chacun deux hélices contrarotatives. Le NK-12 est le plus puissant
turbopropulseur jamais construit en série. Il est issu des travaux entrepris peu après la
Seconde Guerre mondiale à Samara, qui ont fait appel à nombre d'ingénieurs allemands
(venant principalement de l'entreprise Junkers Motorenwerke) prisonniers de guerre[17]. Pour
comparaison, le plus puissant turbopropulseur en production en 2021, l'Europrop
International TP400 qui anime l'Airbus A400M, développe 11 000 chevaux[18].
L'appareil connait des problèmes récurrents au niveau de cloisons des réservoirs des ailes,
qui souffrent des vibrations créées par les turbopropulseurs. Mais le problème est connu et
géré[4].
Train d'atterrissage
Le train principal, directement hérité du bombardier, se replie dans les carénages situés dans
le prolongement des nacelles moteur 2 et 4. Il comporte quatre roues sur chaque jambe. En
revanche, le train avant est nouveau : les ailes étant passées de la position haute à la position
basse, et devant rester à la même distance du sol du fait du diamètre des hélices, le 114 a
une garde au sol bien plus grande que le 95. Il a donc fallu développer un train avant
extrêmement haut (plus de cinq mètres). L'immense garde au sol de l'appareil a d'ailleurs
obligé les aéroports à se doter de nouvelles passerelles : le seuil de la porte avant se situe à
une hauteur de 5,70 m au-dessus du sol[11]!
Cockpit et équipements
Dérivés proposés
Plusieurs modifications de l'avion ont été envisagées mais non construites. Cela comprend
des versions spécialisées dans différents rôles[19],[20] :
le Tu-114T, un avion-cargo spécialisé, avec une queue basculant sur le côté pour permettre
le chargement par l'arrière, à la manière du Canadair CL-44 ;
Le Tu-114A aurait été une version améliorée, dont les réservoirs de carburant dans les ailes
devenaient structuraux[21]. Il y eut aussi un projet consistant à remotoriser la cellule du Tu-
114 avec six turboréacteurs à double flux Kouznetsov NK-8, ce qui aurait constitué le premier
long-courrier à réaction soviétique - mais l'Iliouchine Il-62, propulsé par quatre NK-8 lui fut
préféré[9].
Le Tu-114PLO était une version proposée pour la patrouille anti-sous-marine utilisant une
motorisation nucléaire lui accordant une très longue endurance. Le mode de propulsion
envisagé devait employer du kérosène au décollage et l'énergie nucléaire en vol de croisière.
La première étape de ce développement devait être l'essai d'un réacteur nucléaire en vol à
bord du Tupolev Tu-95LAL. Ce projet est abandonné avant de donner lieu à des réalisations
pratiques[22].
Utilisation
1:36
Aux Pays-bas.
En 1959, Nikita Khrouchtchev se rend aux États-Unis, c'est la première visite d'un dirigeant
soviétique dans ce pays. Khrouchtchev tient absolument à utiliser le Tu-114, bien qu'il
s'agisse encore d'un prototype. L'avion est loin d'être au point, en particulier, des fissures ont
été découvertes sur les pylônes des moteurs. Entreprendre ce vol transatlantique avec un
avion encore en phase d'essai était un acte imprudent, largement interprété comme un
« caprice » de Khrouchtchev. La marine soviétique positionne de nombreux navires dans
l'Atlantique nord, pour le cas où l'avion devrait amerrir. L'aller-retour se passe finalement sans
histoire. Cette visite rend l'avion internationalement célèbre[24]. En 1961, le Tu-114 est
présenté au salon du Bourget[3].
Lignes régulières
À partir de 1963, le Tu-114 assure des lignes internationales, notamment vers La Havane
(ligne politiquement importante, contrant les efforts américains pour isoler Cuba). Un seul
autre avion turbopropulsé a assuré des liaisons transatlantiques : le Bristol Britannia[14]. Il
assure aussi des liaisons vers l'Europe et l'Afrique[12]. À partir de 1967, il est aussi utilisé pour
relier Moscou à Tokyo. Sur cette ligne, il est utilisé en partage de code entre Aeroflot et Japan
Airlines, et reçoit même la livrée de la compagnie japonaise[11]. Pour ces prestigieux vols
internationaux, la capacité du Tu-114 est réduite à 139 passagers, avec un aménagement en
trois classes : 41 passagers en première classe, 48 en deuxième et autant en troisième. Les
passagers de première classe disposent de couchettes et de services de luxe[4]. La première
classe est installée à l'arrière de l'avion, car, à l'inverse de la cabine d'un jet, c'est là que le
niveau de bruit est moindre[11]. C'est un avion complexe et coûteux en termes de
maintenance[4].
Avec l'arrivée, à partir de 1967, du long-courrier à réaction Iliouchine Il-62, le Tu-114 perd son
statut de vitrine technologique ; il est retiré des lignes internationales, mais continue à servir
sur les plus longues lignes intérieures soviétiques (avec un aménagement plus dense)
jusqu'en 1976. Sa carrière aura donc été assez courte[12].
Records
Les performances du Tu-114 ont été mises à profit pour établir plusieurs records validés par
la Fédération Aéronautique Internationale, dans la catégorie C-1 (avions terrestres), groupe 2
(turboprop). La catégorie dans laquelle ils ont été établis a ensuite été divisée en sous-
catégories de poids. Le pilote d'essai Ivan Sukhomlin était aux commandes pour chacun de
ces records.
Légende
Performance
Record(s) obtenus(s) Date Lieu Source
obtenue
12
Altitude avec une charge de 25/30 tonnes Juillet 12073 m Vnoukovo [28]
1961
Pendant la crise cubaine, il est important pour les Soviétiques de pouvoir transporter et
relayer du personnel militaire en poste à Cuba. Pour cela, une ligne Moscou-La Havane est
mise en place par Aeroflot. Officiellement, il s'agit d'une ligne régulière civile. Mais, même le
Tu-114 n'a pas l'autonomie suffisante pour relier Moscou et la Havane sans escale. Dans un
premier temps, les Tu-114 font une escale sur le continent africain : Guinée, Sénégal ou en
Algérie. Néanmoins, ces pays sont de plus en plus réticents à laisser se ravitailler dans leurs
aéroports ces avions qui, manifestement, ne transportent pas que des touristes[30]. En
réponse, trois Tu-114 sont modifiés en Tu-114D, à l'autonomie accrue. Ces avions peuvent
atteindre la Havane sans ravitaillement intermédiaire, à condition de partir non pas de
Moscou, mais de Mourmansk, dont la situation géographique réduit la durée du vol[31]. Fidel
Castro emprunte l'un de ces vols pour visiter le grand nord russe en 1963[32].
Fiabilité
Le Tu-114 a un bon bilan en matière de fiabilité. Deux appareils ont été perdus, mais à la suite
d'erreurs humaines[33]. Le 7 août 1962, à l'aéroport Moscou-Vnoukovo, un appareil en
maintenance est endommagé (au point d'être jugé irréparable) à la suite d'une erreur d'un
ingénieur, qui a fait rentrer le train avant alors que l'avion était au sol[34]. Le 17 février 1966, un
Tu-114 en partance pour Conakry sort de la piste à l'Aéroport de Moscou-Cheremetievo, en
raison d'un déneigement incomplet. L'avion prend feu, l'accident fait 21 morts[35].
Avion-radar
Article détaillé : Tupolev Tu-126.
Tu-126 en vol
Le projet d'un avion-radar soviétique est lancé avant 1960. Il est d'abord envisagé de le
construire sur la base d'un Tu-95, puis la cellule du Tu-114 est retenue, car elle offre bien plus
d'espace. Un énorme radôme est installé sur le dos de l'avion, tandis que sa cabine emporte
les équipements et les opérateurs. L'avion est aussi rendu apte à être ravitaillé en vol. Il y a
confusion, selon les sources, sur la production de ces appareils : certaines sources indiquent
que les Tu-126 ont été construits par transformation de Tu-114 retirés du service d'Aeroflot,
d'autres en font des cellules neuves. Le nombre d'exemplaires produits est également sujet à
caution, allant de huit à une quinzaine[36],[11],[37].
Postérité
Avions conservés
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Philatélie
Un timbre d'une valeur de 40 kopecks a été émis par la Poste soviétique en 1958. Il
représente un exemplaire de Tupolev Tu-114 vu de profil, devant un globe terrestre sur un
fond bleu et surmonté de l'inscription en russe « Турбовой самолет Ту-114 » en français :
« Avion turbo Tu-114 »[41].
Cinéma
Dans le film Don Camillo en Russie (1965), le prêtre Don Camillo, incarné par Fernandel, utilise
un Tu-114 pour se rendre en Union soviétique[42].
Annexes
Références
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Notes
1. C'est à dire avec six sièges par rangée, trois de chaque côté de l'allée
2. Le vol est effectué avec 25 tonnes de charge, il valide donc le record pour 25 tonnes, et
pour les seuils inférieurs (0, 5, 10, 15, 20), aucun record temps n'ayant été réalisé pour ces
valeurs.
Articles connexes
Développement lié : Tupolev Tu-95, Tu-126
Bibliographie
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Liens externes
(ru) « Фотогалерея : Сборные масштабные модели » (http://scalemodels.ru/modules/p
hoto/viewcat_cid_192.html) [archive], sur scalemodels.ru, 2005 (consulté le
12 décembre 2018).
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