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Financement Islamique Des Pme Marocaines
Financement Islamique Des Pme Marocaines
PERSPECTIVES
L
e nombre d’institutions financières islamiques dans le
monde est passé d’une seule en 1975 à plus de 300
dans plus de 75 pays. Elles se sont concentrées dans
le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est (le Bahreïn et la Malaisie
sont les principaux centres), mais apparaissent aussi en Europe
et aux États-Unis. Le total de leurs avoirs dans le monde est
estimé à 1 000 milliards de dollars US et il augmente d’environ
15 % à 20 % par an.
Cet essor peut être expliqué par trois raisons : la forte demande
du grand nombre de musulmans, qui recherchent des services
financiers conformes à la Charia ; l’augmentation de la manne
Bouchra RADI pétrolière, qui fait exploser la demande d’investissements accep-
Enseignante de comptabilité, de contrôle de gestion
tables dans la région du Golfe et la compétitivité des produits
et d’audit à l’École Nationale du Commerce et de
de la finance islamique, qui attire les investisseurs, musulmans
Gestion (ENCG), Université Ibn Zohr, Agadir. Maroc.
ou non. (M. Qorchi, 2005)
Professeur habilitée à diriger les recherches en « Économie
Toutefois, Les banques islamiques ne sont pas encore autorisées
et Gestion », spécialité : Gestion. Chercheur en gestion,
à opérer directement sur le territoire marocain, malgré leurs
finances, développement durable et responsabilité sociale
maintes tentatives.
des entreprises. Membre du laboratoire Entreprenariat
La banque centrale (Bank Al Maghrib - BAM) a néanmoins cédé
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aux différentes mutations. L’objectif est de renforcer son rôle escomptés peuvent être divisés en deux catégories : les effets
dans la collecte des dépôts et le financement de l’économie, et liés à la modification des taux d’intérêt et ceux liés à l’allocation
d’appuyer les efforts d’investissements dans le secteur privé. des ressources. Grâce à l’effet marge, il est possible d’assister
Cependant, ces aspirations restent encore insatisfaites en raison à une diminution des taux d’intérêt réels avec des conséquences
des facteurs intrinsèques à ce système. favorables sur l’investissement ; en même temps, l’amélioration
des circuits de financement de l’économie devrait permettre une
meilleure exploitation des avantages comparatifs en favorisant
1.1. Historique du système bancaire l’affectation des ressources dans les emplois les plus intéres-
marocain sants, les plus rentables et, par conséquent, améliorer l’efficacité
économique nationale (Centre Marocain de Conjoncture, 2002).
La libéralisation du système bancaire a été entamée en 1991 à
travers diverses mesures, dont :
– la levée de l’encadrement du crédit et le remplacement du 1.2. C
aractéristiques de l’environnement
contrôle quantitatif direct par des mesures qualitatives indirectes bancaire marocain
(réserve monétaire, ratio de solvabilité, de liquidité et de division
de risque…) ; Actuellement, le système bancaire marocain est diversifié en
– la libéralisation des taux d’intérêt créditeurs et la libéralisation termes d’actionnariat, incluant des participations étrangères très
progressive des taux d’intérêt débiteurs, avec institution d’un significatives. Il est aussi caractérisé par un niveau de concentra-
taux de référence variable mensuellement pour les crédits à long tion assez relatif (les quatre premières banques contrôlent plus
terme et annuellement pour les crédits à moyen et long termes ; de 50 % du marché). Les entrées et les sorties dans le secteur
– la suppression des emplois obligataires, exception faite pour sont peu nombreuses et la distribution des parts de marché est
certains qui sont destinés à disparaître progressivement, et la relativement stable. En effet, celles-ci sont dominées par peu
permission donnée aux établissements bancaires d’émettre de banques et la compétition en matière de prix est très faible.
des certificats de dépôts – titres dont la maturité varie de 10 L’existence d’un certain contrôle sur le taux et la déficience du
jours à 7 ans –, qui devrait renforcer leurs ressources longues. marché financier crée un environnement dans lequel les banques
La déréglementation bancaire avait pour but l’accroissement de n’ont pas de concurrence avec d’autres sources de financement.
l’efficience, en assurant une meilleure allocation des ressources, La supervision des banques est assez forte, que ce soit au
en réduisant le coût de l’intermédiation et en renforçant le rôle niveau du système global (par la banque centrale) ou au niveau
du système bancaire dans la collecte des dépôts ; ceci afin de de chaque banque. De ce fait, l’organisation interne des établis-
soutenir la croissance économique, notamment par le dévelop- sements de crédit souffre d’un excès de centralisation. En effet,
pement des crédits d’investissements. les décisions importantes, notamment celles relatives au crédit,
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à fait conformes à l’esprit de la Charia et transposables dans un de tout contrôle par les autorités financières présentent des
système financier islamique alors que, d’autres, et notamment risques de fraude, de blanchiment d’argent ou de financement
le contrat de dette classique, en sont automatiquement exclues. d’activités criminelles ou terroristes (E. Jouini et O. Pastré, 2008).
(E. Jouini et O. Pastré, 2008) Cependant, le Maroc a refusé de nombreuses demandes (notam-
La participation aux risques de l’entreprise va conduire les ment celles de Qatar International Islamic Bank et de Noor Islamic
banques à adopter certains rapports banques – entreprises Bank), contrairement à ses voisins maghrébins qui ont autorisé
différents de ceux existant dans les banques classiques. Du l’introduction des banques islamiques.
fait de leur participation aux projets, les banques islamiques En fait, le Maroc souffre de l’absence de législation adaptée,
adopteront vis-à-vis de l’entreprise un rapport de partenariat. puisque le droit des contrats en vigueur (inspiré en grande partie
Elles se soucient de sa rentabilité future, de sa compétitivité du droit français) ne réglemente pas les contrats basés sur le
ainsi que de sa performance. Pour ce faire, elles jouent le rôle droit musulman, de même que le droit des sociétés.
du conseiller, allant même parfois jusqu’à déléguer certains de Les banques marocaines se sont organisées en lobby afin
leurs cadres pour participer directement à la gestion de l’entre- d’empêcher la création ou l’émergence du système bancaire
prise (M. Zein, 1992). islamique, car elles ont peur que ce système réalise un succès
Par ailleurs, la demande de financement des PME naissantes comme cela s’est produit dans d’autres pays musulmans.
nécessite des crédits à long et moyen termes, le développement Le gouvernement marocain n’est pas favorable à la création
des PME ne peut donc se faire qu’avec une politique basée sur d’un système bancaire islamique car celui-ci, en apportant une
des ressources longues. Malheureusement, les banques commer- dimension éthique et morale à la gestion de l’argent, risque de
ciales ont toujours privilégié le financement à court terme ou conduire à une islamisation des affaires, de la société et aussi
continuent d’exiger des garanties importantes parce que leurs de la politique (H. Zaouali, 2005).
principales ressources proviennent des dépôts à vue ou à terme. En octobre 2006, BAM a cédé aux pressions des banques et du
Toutefois, il ressort que les produits offerts par les banques marché, en élaborant, un cadre réglementaire pour trois produits
islamiques pourraient être particulièrement adaptés aux besoins conformes à la Charia islamique, dénommés produits alternatifs
des PME et ce, pour quatre raisons : (afin d’éviter l’adjectif « islamiques »), il s’agit de Ijara, Mourabaha et
– La faiblesse des PME en fonds propres est bien connue Moucharaka. Le but est d’élargir la gamme de services bancaires
et constitue, en effet, un obstacle majeur à l’accès au crédit et de contribuer à une meilleure bancarisation de l’économie.
bancaire ; or, le financement islamique n’exige pas d’apport en Ceci dit, les nouveaux produits financiers autorisés concernaient
fonds propres et moins de garanties par rapport aux banques uniquement le financement, et non les dépôts, puisque, selon
classiques. L’endettement excessif résultant de cette faiblesse BAM, les citoyens marocains, préférant conduire des transactions
en fonds propres entraîne des frais financiers importants et met sans intérêt, peuvent déposer leur argent auprès des banques
en péril l’équilibre financier de la PME tout entière ; or le finan- traditionnelles sous la forme de dépôts non productifs, ce qui
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sement dans une seule filiale, ce qui facilitera l’établissement financement relativement récente qui fait intervenir trois acteurs
des comptes sans intérêt, la spécialisation, etc. principaux :
– le fournisseur (fabricant ou vendeur) du bien,
– le bailleur (en l’occurrence la banque qui achète le bien pour
Conclusion le louer à son client),
– le locataire qui loue le bien en se réservant l’option de l’acquérir
Malgré leur coût élevé, le manque de communication sur les définitivement au terme du contrat de location.
produits islamiques et la faible formation des cadres bancaires, De la définition précédente, il découle que le droit de propriété
ces produits ont connu un grand succès auprès des Marocains. du bien revient à la banque durant toute la période du contrat,
En effet, le nombre des dossiers du produit Mourabaha a tandis que le droit de jouissance revient au locataire.
presque doublé entre 2008 et 2009, en passant de 2 768 (soit Istisna’a : c’est un contrat d’entreprise en vertu duquel une
un encours de 344 millions de dirhams) à 4 081 dossiers (soit partie (MOUSTASNI’I) demande à une autre (SANI’I) de lui fabri-
457 millions de dirhams). quer ou construire un ouvrage moyennant une rémunération
Signalons que, outre des trois produits islamiques actuellement payable d’avance, de manière fractionnée ou à terme. Il s’agit
commercialisés que sont Mourabaha, Ijara et Moucharaka, BAM d’une variante qui s’apparente au contrat Salam, à la différence
et le Groupement professionnel des banques du Maroc ont décidé que l’objet de la transaction porte sur la livraison, non pas de
de mettre deux nouveaux produits destinés aux entreprises, sur
marchandises achetées en l’état, mais de produits finis ayant
le marché. Il s’agit du contrat Salam, qui convient parfaitement
subi un processus de transformation.
au financement des artisans et agriculteurs, et du contrat Al
Moucharaka : c’est une association entre deux parties (ou plus)
Istisnaâ, qui ressemble au leasing réservé aux professionnels
dans le capital d’une entreprise, projet ou opération moyennant
et qui peut concerner autant les biens meubles que les biens
une répartition des résultats (pertes ou profits) dans des propor-
immeubles.
tions convenues. Elle est basée sur la moralité du client, la
Le lancement des deux nouveaux produits ne peut être opéré
relation de confiance et la rentabilité du projet ou de l’opération.
avant de parfaire leur traitement fiscal en collaboration avec la
Mourabaha : c’est un contrat de vente au prix de revient majoré
Direction générale des impôts.
d’une marge bénéficiaire connue et convenue entre l’acheteur et
Toutefois, le Maroc doit fournir plus d’efforts en matière de forma-
le vendeur. La Mourabaha peut revêtir deux aspects :
tion dans la finance islamique, la réforme fiscale et juridique.
Certes, l’ouverture des structures spécialisées dans les produits transaction directe entre un vendeur et un acheteur,
islamiques ne peut que favoriser leur commercialisation et transaction tripartite entre un acheteur final (ou donneur d’ordre
augmenter le taux de bancarisation de l’économie. Cependant, le d’achat), un premier vendeur (le fournisseur) et un vendeur inter-
Maroc doit revoir sa politique envers les banques islamiques. En médiaire (exécutant de l’ordre d’achat).
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