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A. tee01- cou RMAn +to0U Les Cultures actuelles Esthétique. — La vie esthétique La vie esthétique Che fois détini Thomme physique. Thomme technique. l'homme social et re- ligieux i} semble qu’on soit bien pres de la possibilité d'une synthése... Fait curicux. si vette synthése est possible, elle livre le iableau de groupes humains « sans licu ni date », sans denomination, en quelque sorte ilépersonnalisés... Deux, trois, dix groupes humains. entre le Moyen Age et le xx sid- cle, cntre la Grande-Bretagne et 1a Russie peuvent avoir utilisé la hache pour couper les arbres, avoir tissé leur toile sur un meétier & deux lisses, avoir serré leurs tré- s dans un coffre, avoir eu la méme struc- ‘© famitiale, les mémes principes moraux ct religieux. En poussant trés loin Vinven- jaire on pourrait faire des différences quantitalives : l'un aurait unc hache d'acier plus dur, l'autre une toile a six fils de plus au centimétre, mais i} resterait. im- possible de mettre un nom sur ces listes impersonnelles, A linverse, si dans chacun de ces dix groupes humains on prend un seul élément, par exemple, dix haches com- portant toutes une Jame de fer et un man- che de bois, sans décoration, il devient im- médiatement possible de mettre un nom vt une date sur chacun. Les haches ne sont pas des objets d’art, et pourtant si l'on peut rendre explicites Jes raisons qui per- mettent de me pas confondre une hache allemande du xvit sigele. une hache espa- gnole du xvit siécle, une hache russe du xx"; si Ton peut méme, en prenant des spéci- mens du méme pays pour une époque don- née, distinguer des formes provinciales, les éléments sur Tesquels se fonde le juge- ment sont de earactére esthétique, ce sont les courbes, les rapports de surface et de volume. Au-dela des caractéres qui eptrai- nent de grandes masses humaines dans le cours de leur évolution il existe par con- sequent des facteurs de personnalisation qui tendent A créer en chaque moment du 7, 1956 Eneyl CGrka . temps et em chaque point de Fespace des + perseonaliles de groupe >. des styles lo- caux ou réxionaus. En autres termes. si le bacherun chinois est chineis ce nvest pas parce qifil ext bieheron mais parce que son comportement ust orienté par une per= ception des formes et des meuvements qui sont propres & la culture chinuise. Cette perception nese limite pas & V' « art», elle engtobe tout Vensemble du véeu A travers les formes et les rythmes, Elle sexprime aussi bien dans ta fagon de marcher que dans la peinture, dans la position du lit au milieu de la’ chambre que dans la poésic. dans l'empilage de la vaisselle sale que dans la danse et elle n'est jamais la méme deux fois dans Phix- toire humaine : chaque époque, chaque ré- gion, chaque famille méme posséde ses tra- ditions esthétiques, qui, comme toutes les traditions ailjewrs que dans les livres ont la propriété de se transformer un peu ou beaucoup & chaque génération. La perception esthétique nest pas tota- lement conseiente, clle n’est_intellectualisée que dans les domaines oi Vart tend i de- venir une spécialité comme la chasse ou Ja poterie : normalement la majeure par- tie de Tactivité esthétique se dépense in- conseiemment. Pour réaliser son impor- tance il faut se trouver brusquement trans planté dans une culture (rés différente de Ja sienne propre; on eonstate alors que fous les actes sont comme tendus sur Ie méme fond et que du haut en bas de la culture qu'on observe, des manifestations les plus purement artistiques aux gestes les plus simples, tout est baigné dans la méme almosphére esthétique. Trés rapidement Wailleurs cette impression s‘estompe et Pobservateur se trouve entrainé dans un rythme dont les accents Tui échappent de plus en plus. La personnalité culturelle _ Cette emprise de la personnalité collec- live est difficile & analyser. Les formes les plus explicites de Vart échappent déja a Ja recherche objective Jorsqu’on a déerit Page 7 4860 le sujet d'un tableau, défini le tissage de la toile, analysé les ‘substances minérales qui entrent dans les couleurs, déterminé le bois du cadre et la largeur du pinceau du doreur on entre dans un domaine qui est tout de méme esseotiel mais pour lequel in est presque (lésarmé, Alors méme que du premier coup d'eil on saura de qui est le tableau, stil répond tele période de la vie du’ peintre, & telle influence, Mexpres- siva des propriétés internes restera subjec- live, inaccessible sans une connaissance pro- fonde de Fambiance culturelle oi I’euvre est née, Présenté & un chinois ce tableau frangais sera analysable dans son sujet sa toile, ses couleurs, son cadre, incom- préhensible quand au reste, sinon toutefois en ee que le chinois y trouvera de réso- nances « chinoises », peut-étre trés inat- tendues pour nous. Le suceés de tel peintre ou de tel éerivain hors de sa culture d’ori- gine tient souvent a des valeurs conver- gentes, involontairement introduites. Ilya done toute une face de l'ethnolo- sie qui échappe A la méthode scientifique qu'atilise Vethnologue et ce n'est pas la moins importante puisque c'est celle qui fait que les gens sont eux-mémes et non leur équivalent des antipodes. Mais les voies d’accés A la recherche sont diff- ciles : il faudrait comprendre ou plu- t0t vivre intimement plusieurs cultures différentes pour sentir ce qui les distin- gue; il serait d’ailleurs impossible de se faire comprendre objectivement, tout au plus pourrait-on suggérer. C’est pourquoi ce qui touche & la personnalité ethnique est exprimé sous forme de jugements de va- Teur, faux comme tous les jugements de valeur, On dira du comportement japonais qu'il est apaisant, compliqué, séduisant, surde, profondément humain, totalement artificiel, ete... alors qu'il est simplement vécu comme comportement normal par ceux qui s'y trouvent plongés. Aussi n’entrevoit-on méme pas la possi- bilité de caractériser esthétiquement les groupes humains dans ces pages mais de dégager les grandes lignes du comporte- ment esthétique chez "homme en ouvrant par des séries d’exemplies quelques pers- pectives sur différentes cultures. Le comportement esthétique. La définition du comportement esthéti- que tel quil est entendu ici est indisso- Page 2 LES CULTURES ACTUELLES ciable de celle de l’évolution du systéme nerveux des vertébrés et de l'homme. Il est effet étroitement lig aux perceptions. ‘est 4 partir des bases physiologiques, de la sensibilité tactile, gustative, auditive, vi- suelle, & partir de la perception des pos- tures et de la situation dans lespace, 4 partir des perceptions viscérales incons- cientes, des incitations alimentaires ou g¢- nésique que se constitue le comportement osthétique. Le monde animal offre des cxemples nom- breux d’attitudes x esthétiques > qui s'ins- crivent dans leur comportement général. Les chants et danses des oiseaux et des insectes, la gesticulation rythmée de cer- tains singes, l'ordonnance géométrique des cellules de Mabeille, de la toile de Jarai- ynée suggérent des créations musicales ow plastiques analogues 4 celles de l'homme. IL a été établi depuis longtemps que la plupart de ces productions se rattachent au déroulement purement mécanique ct in- conscient de processus qui mettent en jeu les régles d’organisation générale de la matiére et les différentes réactions de la physiologie animale. Mais quelle part n'existe-t-il pas encore chez l'homme de ces phénoménes? Les perceptions sensitives sont insépar: ples du comportement des étres animés. Si rudimentaire soit-il, le systeme nerveux de Yanémone de mer lui assure des sensations variées et commande des attitudes confor- mes au milieu dans lequel elle vit et ot elle se procure la subsistance. A mesure que l'on monte les degrés de I'échelle zoolo- gique le comportement se diversifie, les mouvements deviennent de plus en plus variés et précis, la liaison est de plus en plus riche et efficace entre les sensations ct les actes qui y répondent. Cette évolu- tion se traduit par la complexité grandis- sante du systéme nerveux, par le dévelop- pement des possibilités d’association entre ley différentes sensations. D’étape en étape Pactivité la plus élevée se reporte vers la partic antérieure du systéme nerveux, vers le cerveau qui a joué d’abord le réle d'un simple confluent entre les organes de locu- motion, Ia bouche et les organes de rela- tion, Le foyer principal des sensations se trouve, déja chez les Vers, situé a la partie antérieure du corps et le confluent est déja existant dans le systéme nerveux. Le sché- ma général établi, l’évolution se poursuit 7, 1956 VALEURS ET RYTHMES. vers Vavant, comme si, au systéme nerveux primaire, parfait dans son fonetionnement pour un stade donné, s'ajouteit. en avant du confluent cérébral un dispositif qui aug- mente les possibilités de relation entre sen- sation et mouvement, puis un autre dispo- sitif et d'autres encore qui conduisent au cerveau des mammiféres supérieurs et de Vhomme, Les mouvements en cux-mémes ne sont pas modifiés. cc sont les sensa- tions et les rapports entre elles qui telleetualisent progressivement. La part la plus importante du comportement animal est conditionnée par Féconomie alimentaire et les rapports qu'elle commande avec le milicu environnant : locomotion, acquisi- tion alimentaire, consommation, protection, ce qui, chez l'homme, correspond avec les techniques de la vie matérielle. Mais, chez Vanimal. il reste une part d'importance va- riable pour des comportements non stricte- ment matériels : relations entre individus, activité de reproduction, dépense d’énergic gratuite cn mouvements eorporels, eupho- déterminée par les conditions de tem- pérature, de lumidre, d’humidité, C'est dans ces domaines que se situent les manifes- tations que nous considérons, avec notre jugement dhommes, comme esthétiques : les danses compliquées du scorpion ou de Varaignée, les chants des insectes ou des ciseaux, le ramassage d’objets brillaats ou de couleurs vives par certains oiseaux, les crises vocales et gesticulatoires des singes. Si l'esthétique conseiente de Vhomme est luge sur un plan beaucoup plus élevé elle s‘exerce cneore, pour une part importante, dans les mémes domaines et les formes in- conscientes du comportement esthétique humain y sont profondément engagées. Si l'on admet que Vesthétique humaine, jrofondément intellectualisée dans ses for- mes hautes, ne se sépare pas plus de I'es- thétique animale que la physiologic du corps humain n'est essenticllement diffé- rente de celle des autres mammiféres, une différence fondamentale apparait toutefois. Chez V'animai le comportement est propre 4 Vespéce et tous les représentants de la méme espécc offrent & peu de chose prés les mémes réactions, 1a mame gamme d'expres- sion des sensations éprouvées alors que le comportement de l'homme est cloisonné, a Vintérieur de Vespéce humaine, par les entes cultures. Le comportement de l'animal, surtout de Vanimal inférienr, est inscrit dans les ca- 1956 4860 ractéres de son espéce, il n'y a pas de dis- sociation possible entre ses moyens physi- ques et cette sorte de mémoire héréditaire qui commande ses actions. Son comporte- ment est done un comportement subi. Lihomme n'est pas totalement libéré de ce processus, il subit largement les impul- sions physiologiques. mais canalisées dans les formes que la mémoire sociale. 1a tra- dition de son groupe a progressivement enregistrées. De sorte quc. disposant des mémes bases physiques, et d'une trés haute intellectualisation des sensations, il recoit de sa culture propre Ie schéme de son com- portement. I} le recoit au lieu de le subir, et en quelque sorte il le reerée. Peu de traits paraissent & premiére vue séparer le comportement < esthétique » de Yanimal et celui de Mhomme. Les mémes sensations existent, différentes d'une espice & autre dans leurs proportions mais non dans leur nature. Le méme systéme ner- veux existe 4 Torigine pour canaliser ct associer ces sensations, progressivement en- richi par son sommet, mais conservant tou- jours les bases anatomiques des espéces inférieures. La différence de degré devient une différence de nature & mesure que les sensations primitives sont soumises aux Processus d'association qui les séparent de plus en plus de leur signification immédia- tement sensito-motrice. Le comportement vécu peut alors se doubler du méme com- portement pensé, A partir de ce point le Passage est réalisé de Nanimal a Vhumain. Mais I'homme n’en perd pas pour autant Ja possibilité de continuer & vivre son com- portement et en particulier son comporte- ment esthétique. Si le degré auquel est parvenue la civilisation actuelle peut don- ner a eroire que I'esthétique pensée cst exclusive de T'autre c'est. parce que son earactére conscient surplomhe _l'incons- cient au point de s‘imposer de fagon do- minante, En sortant du cadre de Vespéce zoologique pour passer dans eclui du groupe social, Vesthétique est devenuc matiére de culture, ce qui lui a conféré un caractére aussi éloigné de Lesthétique animale que Vest Varchitecture humaine des constrac- tions de l'abeille. Sources des valeurs et des rythmes. Lorsqu’on se pase quelques questions géné- rales sur Vesthétique on aboutit a deux conclusions d'apparence contradictoire. D'unc Page 3

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