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Michel Galabru

Théâtre
TRTE Depuis ses 10 ans, il accumule les rôles. Les meilleurs et les
pires. Retour sur soixante ans d‘un métier où ”on est souvent fumier”.

”Jouer peut
me rendre fou‘”
ur la scène de la Comédie des Champs— la guerre 14—18. Je l‘avais dit à Pagnol, qui n‘avait
Elysées, il éructe de désespoir, mugit, pas insisté, m‘avait simplement répondu : « Vous
roule un œil torve, se lance dans d‘incom— avez raison »... Quel homme bizarre ! Dans la
préhensibles grognements de bête fauve vie si discret, si réservé, si pudique, presque
mortellement blessée. Puis, tout à coup, on ne sait « étouffé », une espèce d‘Anglais... Quand on
pourquoi, se met à esquisser avec la légèreté d‘un dfnait avec lui, il ne cherchait ni à briller ni à fai—
oiseau quelques fragiles et irrésistibles entrechats... re l‘intéressant, il était même carrément banal ;
Un acteur imprévisible, à la fois terrible et tendre, longtemps, je me suis demandé si c‘était pour se
pesant et aérien, capable de jouer si fin en jouant mettre à mon niveau... Et dire que je lui ai refusé
si gros... Dans La Femme du boulanger, de Mar— aussi d‘interpréter La Femme du boulanger, la
cel Pagnol, où il se met lui—même en scène, Michel pièce qu‘il avait tirée de son film tourné avec
Galabru est un cocu shakespearien, espèce d‘ogre Raimu, d‘après une nouvelle de Giono. Mais com—
malheureux dont on ne sait plus s‘il est tragique ou ment succéder à Raimu, éviter les comparaisons
comique, tant il parvient à faire rire et pleurer. douloureuses ! J‘avais peur, bien sûr, je me suis
Dans Les Marchands de gloire, toujours de Pagnol, écrié : « Mais je ne suis que l‘orteil de Raimu ! »
qu‘il créa voilà quelques mois dans le même théâ— Et puis encore : « On ne refait pas un Rem—
tre, il était encore avec la même démesure ce dé— brandt ! » Une fois de plus, Pagnol n‘a pas insisté.
puté matois et combinard, d‘une cruauté tellement
naïve qu‘elle en devenait presque enfantine et TRA : Vous admiriez beaucoup Raimu ?
La Femme du suppliante... Quel diable d‘acteur ! Capable d‘« en M.G. : Malgré son immense talent, ce n‘était pas
boulanger, de Marcel faire trop » comme personne, avec cette généro— du tout ma tasse de thé. Jeune comédien, je rêvais,
Pagnol, mis en scène sité, ce coffre, cette présence enfin, dont bien peu moi, d‘être à la scène brillant, spirituel, raffiné, à
et interprété par de comédiens français semblent être doués aujour— la manière d‘un Sacha Guitry, que je vénérais.
Michel Galabru. d‘hui. Et qui le rattacheraient plutôt aux Raimu Mais il a bien fallu se rendre à l‘évidence. Que je
Jusqu‘au 31 mai à d‘antan, aux Michel Simon, aux Harry Baur... porte le plus beau des costumes — et Dieu sait
21h à la Comédie des Pourtant l‘homme Galabru, 69 ans, n‘a pas toujours que j‘ai fait des efforts vestimentaires ! —, et le pan—
Champs—Elysées. Tél. : eu la carrière qu‘il mérite. Au cinéma comme au talon ressemble tout de suite à un tire—bouchon,
01—53—23—99—19. théâtre. Peut—être l‘homme n‘est—il pas si facile... la veste est immédiatement fripée : j‘ai l‘air
négligé. Que j‘aille au restaurant, une tache passe,
TELERAMA : Vous aviez d‘abord refusé à Marcel et elle est pour moi ! C‘est mon destin : je fais sale,
Pagnol d‘interpréter Les Marchands de gloire et La c‘est comme ça. Prenez les chaussures — et les
Femme du boulanger, qu‘il vous avait proposés... pieds, c‘est quand même ce que j‘ai de mieux ! —,
MICHEL GALABRU : Hélas oui ! En 1961, il m‘avait que j‘achète les plus belles, les plus chères, et
envoyé un vieux manuscrit en me demandant de sur moi, elles sont tout de suite déformées...
le lire. Je l‘ai lu. Mais je crois que je ne sais pas
lire. J‘ai une telle paresse d‘esprit, je suis si lent, TRA : Seriez—vous un homme complexé ?
je rêvasse entre chaque mot, je n‘enregistre pas le M.G. : Je l‘ai été longtemps. Et très timide aussi.
sens de ce que je vois... Alors j‘avais bêtement Vous croyez que c‘est drôle quand on vous parle
trouvé démodée cette histoire fondée sur les sans arrêt — entre autres... — de votre nez ou, pire,
magouilles et les marchandages politiques après de votre « pif ». Ça va un moment ; on sou— ii—

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« Ne confondez
pas la vérité et la
vraisemblance !
On peut en faire
des tonnes, n‘être
pas vraisemblable,
mais être vrai. »
me propose quelque chose de mieux.
Qui est rarement venu... Il faut avouer
aussi qu‘après le Conservatoire, après
sept années des plus obscures de Comé—
die—Française, j‘avais une telle fringale
de grand écran que tout m‘était bon...

TRA : Comment est née votre vocation ?


M.G. : Mais simplement en jouant enfant !
Vous avez déjà vu des petits garçons
s‘amuser avec leurs petites autos : ils
sont hors du monde, ils font vroum,
vroum, vroum, ils se prennent pour l‘au—
to! A 10 ans, j‘étais donc déjà chauffeur
de bus, je vivais dans mon monde, j‘avais
ma femme, je rentrais fatigué du bou—
lot. Tellement fatigué que j‘ai décidé de
me transformer en joueur de football
professionnel. Je m‘étais inventé un nom
que je trouvais chic : Michel Zeller.
Pendant les matches,je jouais tous les
rôles, même la foule. Le pire, c‘est que je
les jouais en classe aussi... Je n‘écoutais
rien. J‘ai fait un nombre incalculable
de sixièmes, je me suis longuement attar—
dé en quatrième. Et je passais toujours
un temps fou à falsifier mes notes pour

BERNAND
retarder les disputes paternelles.
» rit gentiment ; après on souffre. 1950 : Michel Galabru joue
D‘‘autant que le mien s‘est enlaidi pro— Les Mentons Bleus, de Courteline, TRA : Elles étaient féroces ?
gressivement pour cause d‘acné défor— à la Comédie—Française. M.G. : Mon père était un brillant ingé—
mante. Quand j‘étais gamin, il était nieur des Ponts et Chaussées. Il n‘admet—
normal, presque beau. J‘ai assisté, im— TRA : Les nanars, hélas, ça vous connaît... tait pas d‘avoir des fils médiocres, com—
puissant, à sa lente dégradation. Mais, M.G. : J‘ai toujours eu beaucoup de frais ! me mon frère aîné et moi. Je me sou—
au moins, je devenais l‘acteur idéal pour A partir du moment où vous vous mariez, viens qu‘un jour ce frère—là a volé je ne
interpréter Cyrano, un de mes personna— vous ne contrôlez plus rien... Ma pre— sais comment une pièce d‘or, un napo—
ges préférés ! Eh bien pensez—vous : on mière femme n‘aimait pas les punaises, léon. Mon père est allé le dénoncer pu—
confie toujours Cyrano à de jeunes pre— ni les cafards ; il lui fallait un bel apparte— bliquement... C‘était la rigueur même.
miers ravissants, alors que pour le jouer ment. Puis un enfant, donc un apparte— Il avait fait Verdun, et son propre père
l‘expérience de la laideur est essentielle. ment plus grand. Et d‘autres enfants lui avait fendu l‘oreille avec sa canne un
encore, donc un appartement encore jour qu‘il n‘était pas à la hauteur. Avant
TRA : Vous l‘avez faite ? plus grand, avec plein de travaux à faire de mourir, il n‘y a pas longtemps, à
M.G. : Ah ça, personne ne me l‘a épar— dedans... Quand je n‘ai plus tenu le cap l‘âge de 97 ans, il a dit à mon propos :
gnée. Même les gens intelligents. Je dans ce circuit infernal, il a encore fallu j‘ai été dur avec ce petit, je le regrette...
me souviens d‘un film de Jean Marbœuf verser une pension alimentaire... Com—
avec Alice Sapritch, où il était ques— me je ne suis pas un saint, comme je TRA : Pas dur au point de vous empêcher
tion des amours d‘un boxeur raté et suis même lâche et peureux, chaque fois de faire du théâtre ?
d‘une danseuse au rancart. Ça s‘appe— qu‘on m‘a proposé un petit chèque, pour M.G. : Il m‘a juste coupé les vivres quand
lait Corentin. Un jour, Marbœuf nous un petit film, j‘en avais tellement marre j‘ai quitté la maison ; en me regardant
impose une scène au plumard. Je lui de ces problèmes d‘argent que je signais partir, il a soulevé sa canne en l‘air sans
dis en rigolant, croyant plaisanter : « Tu tous les contrats. N‘importe quoi. Deux— un mot. Moi, j‘étais décidé à devenir
nous mets au lit, parce que tu nous trou— trois jours par—ci, par—là, à faire l‘imbé— un nouveau Sacha Guitry.
ves laids, c‘est plus drôle ? » Il m‘a cile dans des films insipides dont je ne
répondu oui. Simplement. Ça nous a connaissais pas toujours l‘histoire. TRA : Comment l‘aviez—vous découvert,
fait froid dans le dos à Sapritch et à Sur le tournage, on se rendait bien Sacha Guitry ?
moi... Et souvenez—vous du strip—tease compte des inepties qu‘on tournait, on M.G. : Chez ma tante maternelle, qui
qu‘elle a eu le courage de faire dans en rigolait entre partenaires habitués du possédait tous ses disques, des 78—tours
La Folie des grandeurs ! Toute la France genre — sauf Francis Blanche, qui faisait cassables, qu‘il fallait manipuler avec
se gondolait... Quel cran il faut pour la gueule et se prenait au sérieux ! Et infiniment de soin. Quand je l‘ai entendu
accepter de jouer ça ! C‘est avec elle puis, devant de telles conneries, on se di— dans L‘Amour masqué avec Yvonne
que j‘ai joué, je crois, mon pire nanar sait que le film était trop nul, qu‘il ne Printemps, quand j‘ai découvert dans
au cinéma : Adam et Eve, avec nous sortirait jamais. Eh bien, ces films—là un de ses livres qu‘il avait fait comme
deux dans les rôles titres... Pauvre sortent toujours. Et il y a toujours des moi pas mal de sixièmes, ça a été l‘em—
humanité ! Enfin, faire rire permet au copains qui les voient... Enfin, il faut brasement ! Adieu le footballeur Michel
moins de se cacher : on trouve un gag, reconnaître que ces navets m‘ont permis Zeller, je devenais Michel Livry, émule
une grimace pour dissimuler sa gêne. de durer, de subsister, d‘attendre qu‘on de Guitry. Et je tâchais d‘imiter le l®

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»— maître en tout, je me suis mis à dé— TRA : Comment ça ? vent rester tranquilles toute une longue
Théâtre
vorer ses pièces, j‘aimais les artistes M.G. : Eh bien, je me demande souvent journée, et puis soudain, brutalement,
qu‘il aimait, je portais de grosses bagues comment Guitry aurait joué ça, ou Jou— ils grimpent partout, redescendent à
comme lui. D‘ailleurs, je m‘en achète vet ou Fresnay. Je les imite à ma façon ; toute vitesse, s‘accrochent à tout, com—
toujours en douce ; mais il faut bien re— ça me donne une attitude, un esprit, une me s‘ils déliraient. Sur scène, ça m‘arri—
connaître que sur mes gros doigts bou— distance ; ça me débloque ; ça m‘aide. ve aussi. Tout à trac. Je suis là, bonasse,
dinés elles font, au pire, maquereau, au C‘est très curieux l‘imitation... Je me plan—plan, presque fatigué ; et puis sou—
mieux, marchand de cacahuètes... souviens qu‘au Conservatoire, si Jeanne dain, je sens le public, son attente, ses
Moreau avait ébloui tout le monde dès rires. Alors je plonge ; et dans ces mo—
TRA : Vous avez essayé de le rencontrer ?
M.G. : Oui, bien sûr, mais un ami m‘avait ”Les grands cinéastes ne m‘ont jamais
prévenu qu‘il observait à la dérobée
ses invités tandis qu‘ils montaient les
couru après. Mais dès que l‘un d‘entre eux
escaliers de son hôtel particulier. J‘avais me fait le moindre clin d‘œil, je fonce.”
si peu confiance en moi que je n‘ai pas
osé me rendre au rendez—vous que j‘avais sa première audition, notre professeur ments—là, je suis capable du meilleur
obtenu : je suis resté sur un banc, face Denys d‘Inès m‘avait trouvé, moi, sans comme du pire. Je ne peux plus résister.
à sa maison, des heures durant. intérêt : « Que faites—vous en dehors
du théâtre ? », m‘avait—il demandé. « Du TRA : Qu‘est—ce qu‘un grand acteur ?
TRA : Et vous voilà enfin admis au droit », avais—je répondu. « Eh bien, sur— M.G. : Quelle différence entre un pianiste
Conservatoire d‘art dramatique... tout ne lâchez pas ! » C‘est vrai que dans génial et un bon pianiste ? Une histoire
M.G. : Là encore, je l‘ai tenté et raté pas les scènes de grosses farces auxquelles de toucher le plus souvent, et quoi de
mal de fois... Je n‘avais pour toute forma— mon physique me condamnait déjà, je ne plus infinitésimal que le toucher... En—
tion que les disques de ma tante ! Mme faisais rire personne. Pourtant, entre les fin, de toute façon, j‘ai l‘impression qu‘il
Segond—Weber dans l‘Agrippine de Bri— cours, je faisais rigoler tout le monde. n‘y a plus en France de grands acteurs
tannicus, un Barbier de Séville, des Un ami proche m‘a conseillé d‘imi— qu‘on puisse comparer à Harry Baur,
Guitry... J‘avais été obligé de tout vendre ter mon père, qui n‘était pas un gai luron, Jules Berry ou Michel Simon. D‘ailleurs,
pour monter, sans le sou, de Lyon à Paris. mais savait amuser son petit monde. Je il n‘y a plus non plus de grands orateurs,
Mais je les avais gardés dans l‘oreille. l‘ai imité, j‘ai pris ses tics en passant ma de grands tribuns politiques. Est—ce un
J‘ai toujours pensé que c‘est en tâchant scène des Plaideurs, et les élèves étaient hasard ? Nos vies à tous se sont sans
d‘imiter tel ou tel acteur admiré dans un tout à coup écroulés ! Même Denys doute étriquées. Nous sommes deve—
rôle qu‘on trouve les clés du rôle. d‘Inès n‘en croyait pas ses yeux. Incré— nus de petits acteurs—plombiers...
dule, il m‘a fait repasser la même scène Je me souviens avoir tourné avec Mi—
1964 : Le le lendemain. Même triomphe... J‘avais chel Simon dans L‘Ihis rouge, de Jean—
/ Gendarme de découvert pour la première fois qu‘être Pierre Mocky : il devait avoir 80 ans...
_ Saint—Tropez. acteur c‘est être vrai. Il arrive sur le plateau et me salue avec
Ld
/ une immense gentillesse, comme s‘il
TRA : On vous reproche pourtant d‘être me connaissait. Et puis, devant l‘empres—
vrai avec quelques « excès », d‘en faire, sement servile que lui témoignait toute
comme on dit, « beaucoup »... l‘équipe, il se met à gueuler : « Mais
M.G. : Ne confondez pas la vérité et la on s‘emmerde ici ! Ça manque de
vraisemblance ! On peut en faire des femmes ici ! » Il était tellement vrai et
tonnes, n‘être pas vraisemblable peut— énorme qu‘on ne savait plus si c‘était
être, mais être vrai. Et puis vous croyez, dans le rôle ou pas. On était pétrifiés.
vous, que les sentiments exprimés chez Moi d‘autant plus qu‘il devait m‘étran—
Corneille, chez Racine ne sont pas énor— gler à la fin de la scène. Quand j‘ai vu
mes ? Lorsque je joue, c‘est ma tête ses pognes, j‘ai cru m‘évanouir de
comme malgré moi qui mugit, c‘est trouille ! Et s‘il allait m‘étrangler vrai—
mon œil comme malgré moi qui s‘exor— ment sans le faire exprès...
bite ; à l‘intérieur de ma tête, ma pen— On joue la scène ; en nage, je le vois
sée, elle, reste très fine, très subtile... s‘approcher... et murmurer : « Je ne suis
pas un étrangleur, moi... Faites—le donc
TRA : Ça veut dire que vous ne contrô— mourir d‘une crise cardiaque... » J‘en
lez pas votre corps ? étais proche en effet... On a tourné deux
M.G. : Ça veut dire d‘abord que le fois la scène ; à la fin, Mocky lui deman—
comédien a besoin d‘expecto— de respectueusement : « Quelle prise
46 rer une extraordinaire force préférez—vous ? » Et Simon de gueuler
vitale qui est en lui. Ça veut à nouveau : « Je les emmerde toutes les
dire ensuite que jouer peut de— deux ! » Quel acteur ! Il nous écrasait
venir une griserie. Communiquer avec tous. Il avait un tel instinct du jeu, une
les gens donne un tel sentiment de puis— telle intuition, quasi animale...
sance qu‘on peut se laisser aller et avoir Il n‘y a pas besoin d‘être intelligent
un vrai moment de folie qui vous en— pour être comédien. Qui était plus borné,
traîne loin. J‘appelle ça le quart d‘heure par exemple, plus primaire que Fernan—
de la folie du chat. Vous del ? Je me souviens lui avoir conseillé
savez, les chats peu— d‘aller chercher des rôles dans le l®
MICTOR/MAXPPP
1998 : dans La Femme du boulanger, Michel Galabru incarne un cocu shakespearien, un ogre tragi—comique.

» répertoire du grand auteur de bles. Je ne trouve d‘inspiration que dans j‘ai obtenu un césar : dans Le Juge et
théâtre napolitain Eduardo De Filippo ; l‘urgence, devant le public. l‘Assassin, de Tavernier ; dans Subway,
ça me semblait taillé pour lui. Mais il me de Luc Besson ; et dans Uranus, de Clau—
répond avec hauteur : « Moi, je préfère TRA : Comme le public n‘est jamais le de Berri... Mais évidemment, les grands
L‘Homme à la Buick. » Pourtant, quel même, vous ne jouez jamais de la même cinéastes ne m‘ont jamais couru après...
génial comédien... J‘ai souvent dit aussi Jaçon ? Pourtant, je peux vous assurer que dès
à Louis de Funès, tandis que nous tour— M.G. : Jamais exactement pareil en effet, que l‘un d‘entre eux me fait le moindre
nions nos inénarrables « gendarmes », et on me l‘a beaucoup reproché pendant clin d‘œil, je fonce, j‘abandonne tous les
qu‘il était mal utilisé, qu‘il pourrait faire mes sept ans de Comédie—Française, tournages alimentaires... Sans doute je
tellement mieux. Mais il était bizarre— de 1950 à 1957. C‘est même sans doute ne sais pas y faire ; je ne sais pas me pré—
ment si timide, il n‘avait pas du tout la pour cela que je n‘ai jamais été nommé senter, me proposer... Je me souviens
grosse tête ; à cette époque, quand il sociétaire. Mais dans ce métier, on ne que j‘avais demandé à Jean Carmet, à
avait des interviews à la télé qui l‘an— fait pas comme on veut, on fait comme un moment où il était au chômage, com—
goissaient, il me disait : « Dépêche—toi, on peut. Et Verlaine lui—même n‘inven— ment il comptait relancer la machine. Il
mets donc ton costume et accompagne— tait pas tous les jours « Mon cœur est m‘avait dit : « C‘est tout simple, dès que
moi. » Et je faisais le planton dans son par—dessus le toit... ». En plus, les réac— je vois un bon film au cinéma, j‘envoie
dos pour lui donner confiance face à tions du public sont si bizarres ! Au un petit mot au metteur en scène pour le
Jean—Claude Bourret... Français, nous avions fait un triomphe féliciter. Ça flatte son homme, ça mar—
dans Le Dindon, de Feydeau. Toute la che toujours. » Moi, je ne sais pas faire
TRA : Revenons à l‘intelligence du comé— troupe part jouer la pièce à Enghien : le ça : ou j‘en fais trop et ça pèse des ton—
dien, et à la vôtre en particulier... bide... A un soir près, ni Ledoux, ni nes, ou pas assez et ça ne sert à rien.
M.G. : Je vais peut—être vous étonner, Charon, ni Hirsch, ni Seigner... ni moi,
mais il m‘arrive souvent d‘aller au théâ— ne faisions plus rire. Ledoux en était TRA : Vous n‘êtes pas non plus un ange.
tre et d‘être tellement fasciné par le jeu si dégoûté qu‘il s‘est mis à réciter Le Dans Les Marchands de gloire, vous
d‘un comédien que je n‘écoute plus la Cid au beau milieu de la pièce. Et pas n‘avez pas hésité, au moment des répéti—
pièce : je ne regarde que l‘acteur, j‘es— un spectateur ne s‘en est aperçu ! tions, à ravir le rôle de votre partenaire.
saie de comprendre pourquoi il est si M.G. : Eh oui ! Je suis allé vers la facilité,
bien. Et je ne sais même pas ce que l‘his— TRA : Quel coup d‘œil rétrospectif jetez— vers le rôle de crapule nationaliste qui
toire racontait quand c‘est fini... Il m‘est vous aujourd‘ hui sur votre carrière ? fait immédiatement le plus d‘effet.
arrivé aussi d‘apprendre un texte, Pieds M.G. : Ma carrière au cinéma en tout cas Quand vous pouvez donner un grand
nus dans le parc, de Neil Simon, sans en ne m‘étonne pas. Je me suis débrouillé coup de cymbale, c‘est dur de préférer
comprendre un traître mot ! Mais il y a comme j‘ai pu, avec des hauts, des bas. un petit coup de flûte. On est fumier dans
par ailleurs beaucoup de comédiens, et J‘ai fait le maximum. Et j‘ai toujours été ce métier, on est cabot, on est faible, on
non des moindres, qui n‘apprennent que lucide sur mes capacités. Qui dépendent est écorché. Au Conservatoire, je me
leurs répliques, sans jamais lire en entier grandement de celui qui dirige. Vous souviens que Jeanne Moreau, notre vedet—
la pièce ou le scénario. savez, sous la houlette de Vittorio De te, répétait à tous ses soupirants qu‘elle
Sica, le voleur de bicyclette est bien n‘aimait pas les comédiens parce qu‘ils
TRA : Vous travaillez beaucoup un rôle ? meilleur que n‘importe quel Gabin... étaient trop féminins. C‘était vrai. C‘est
M.G. : J‘apprends juste le texte, parce Car c‘est beaucoup plus facile d‘arran— toujours vrai. Je suis sans doute trop
que j‘ai la hantise du trou de mémoire. ger le jeu d‘un acteur grâce au monta— féminin. D‘ailleurs, je n‘ai jamais été
Pour le reste, je suis incapable de travail— ge que de l‘améliorer sur une scène de moi, je n‘en finis pas de m‘évader. C‘est
ler en répétition : j‘y rêvasse, des va— théâtre, en direct, face au public. pour ça sûrement que je ne plais qu‘aux
peurs m‘envahissent, les choses les plus Chaque fois que j‘ai tourné avec un mauvais... ® Propos recueillis par
simples me semblent incompréhensi— bon metteur en scène, dans un bon film, Fabienne Pascaud
62 Télérama N° 2521 — 6 mai 1998

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