Vous êtes sur la page 1sur 222

Publié en novembre 2021 par 

Atramenta
Tampere, FINLANDE

www.atramenta.net

Photo en couverture par Geralt, Pixabay.com

© 2021 Bacher Landjerit


Tous droits réservés
Bacher Landjerit

LE MENSONGE QUI
BOULEVERSE TOUTE UNE VIE

Roman

Atramenta
Spéciale dédicace

Je tiens tout d’abord à remercier mon ami William Germain


pour n’avoir jamais failli et pour avoir toujours été là.
Je profite de cette dédicace pour rappeler mon amitié et toute ma
gratitude à cet homme généreux qui a tant fait sans rien deman-
der en retour et profiter de cette occasion qui m’est offerte pour
exprimer toute ma fierté à mes enfants, Joyce, Mélissa et Nolan.
« Celle qui est dans l’errance, on lui allonge amplement la corde,
on lui donne tous les trésors et les bienfaits de ce monde, jusqu’au
moment où elle voit ce qui l’attend : les tourments de ce monde,
qu’elle cesse donc, nous lui rappellerons tout ce qu’elle a dit et
tout ce qu’elle a fait et nous lui fournirons les pires tourments »

Bacher en toute humilité.


LE MENSONGE QUI BOULEVERSE TOUTE UNE VIE

Un mois d’août particulièrement chaud. Le soleil continuait à sévir en


cette fin de journée, Florence et deux de ses complices, dont un était un
repris de justice, préparaient ce coup-là depuis déjà quelques semaines
en faisant le guet devant cette brasserie tenue par Bertrand, un gars du
Nord venu s’installer à Marseille, un Chti sympathique, bon vivant et
rondouillard, le visage jovial et accueillant, les yeux très clairs, toujours
le sourire aux lèvres et le mot pour rire avec son accent du chnord.
Paraplégique suite à un accident de la route, il avait racheté cette
brasserie située non loin du Vieux-Port avec l’indemnisation de son
assurance.
Bertrand était apprécié par tous les habitants du quartier pour
son courage. Il avait peint son fauteuil roulant aux couleurs du
Racing de Lens, son club préféré et sa région natale, avec lequel il
avait plaisir à déambuler entre les tables pour servir les clients.
Un habitué du bar, menuisier de métier, lui avait installé gratui-
tement une rampe en pin naturel derrière le comptoir pour lui per-
mettre d’être à la bonne hauteur et de servir décemment les clients
accoudés au comptoir.
Bertrand voulait être autonome et gérer sa brasserie comme il
l’entendait, il tenait à s’occuper de toutes les tâches administratives,
sans aucune aide. Il ouvrait tous les jours à six heures du matin et
fermait très tard le soir, parfois même après minuit.

5
Il vivait seul, sa femme et ses trois enfants n’ont pas voulu le
suivre dans cette aventure vers cette ville chaude et cosmopolite qui
a la réputation d’être dangereuse, où tout désaccord sur le trafic de
cannabis ou le proxénétisme se réglait dans la rue à coups d’auto-
matique et de Kalachnikov.
Personne n’aurait cru qu’un jour on oserait s’en prendre à Bertrand,
cette figure du quartier. Florence, qu’on surnommait « Bouclettes »,
se tenait debout derrière un panneau publicitaire d’un mètre cin-
quante environ vantant des produits cosmétiques. Elle avait des
jambes interminables, une petite poitrine et des cheveux blonds
bouclés, un ange d’un mètre soixante-quinze environ, elle attirait
naturellement les regards, elle avait un visage angélique et un corps
de déesse.
Elle attendait patiemment le signal de Mika qui, lui, faisait le
guet à quelques mètres de l’entrée de la brasserie, une dizaine d’at-
taques à main armée à son actif qui lui ont valu quelques années à
l’ombre, un homme d’une cinquantaine d’années très expérimenté
et aguerri dans les attaques en tous genres. Cela faisait quelques
mois qu’il était en liberté, mais Mika avait sa devise : « Je ne sais
rien faire d’autre. »
Mika était de taille moyenne, sec et vif, les cheveux grisonnants
ondulés et une moustache bien fournie, des yeux noirs, perçants,
coiffés d’épais sourcils, sans aucune pitié ni compassion pour ceux
qui par malheur croisaient sa route, prêt à tuer pour quelques mil-
liers d’euros, et enfin la nonne, Jade, une fille de la DASS, prostituée
dès l’âge de quinze ans, sous la protection de Nico, pour les intimes,
qui purgeait une peine de trois ans pour proxénétisme, un jeune
homme qui a connu la DASS également, retiré à ses parents dès
l’âge de trois mois pour négligence et placé dans une famille d’ac-
cueil qui a fini par le renvoyer à la DASS. Enfant quasiment incon-
trôlable et arrêté à plusieurs reprises pour de petits larcins, Nico

6
était prédestiné à finir ses jours derrière les barreaux, il avait eu
assez de subtilité et d’intelligence pour faire croire à Jade que la
prostitution était la meilleure façon de gagner sa vie et de se défaire
de l’emprise de cette institution.
Jade, une petite brunette d’un mètre soixante-huit, des cuisses de
rugbyman, bien portante avec une poitrine abondante, des cheveux
teints en rouge coupés court, un nez retroussé et des lèvres char-
nues, c’était une experte en armes blanches, elle maniait le couteau
mieux que personne, capable d’atteindre une cible à plus de quinze
mètres. Jade était déjà sur place dans la brasserie, attendant le
départ du dernier client pour donner le signal à Mika et à Florence.
Malgré leurs va-et-vient incessants et la surveillance de la bras-
serie pendant des jours, aucun d’eux ne savait qu’il y avait une
porte dérobée à l’arrière, qui servait aux habitués pour se retrouver
quasiment tous les soirs pour faire des parties de poker, un grain de
sable qui enroua la machination infernale mise en place par Mika.
Ils se sont organisés et préparés à faire main basse sur la caisse et
sur le coffre qui contenait de grosses sommes d’argent, sachant que
Bertrand, handicapé, ne pouvait pas déposer sa caisse au quotidien à
la banque qui pourtant n’était qu’à quelques mètres de la brasserie.
Bertrand, pour combattre l’ennui et taire le manque de sa femme
et de ses enfants, recevait tous les soirs des amis triés sur le volet,
dans une pièce d’environ trois mètres carrés qui se trouvait derrière
le bar, avec une affichette de bureau collée sur la porte ; cette pièce
lui servait de remise fourre-tout le jour et de salle de poker à la nuit
tombée, pour faire des parties de poker jusqu’au petit matin avec
ses amis où se jouaient des centaines, voire des milliers d’euros.
Vers vingt-trois heures trente, Bertrand fermait la grande porte
vitrée de la brasserie et s’apprêtait à regagner son local derrière le
bar pour préparer sa partie de poker et accueillir ses amis comme il
le fait tous les soirs, quand Jade, encagoulée, surgit dans l’étroit

7
couloir qui mène au local en brandissant dans sa direction une lame
de dix-huit centimètres qu’elle tenait dans sa main ; Bertrand s’arrêta
net, tétanisé par la peur, cherchant à comprendre ce qui se passait.
Un paraplégique qui ne pouvait pas se défendre, pourquoi s’atta-
quer à un infirme ? Son cerveau tournait en boucle en essayant
d’analyser la situation. En face de lui se tenait Jade, calme et sûre
d’elle, faisant signe des deux mains à Bertrand d’avancer dans ce
couloir exigu pour rejoindre son local. Jade, méticuleusement et soi-
gneusement, telle une pro, sans aucune agressivité, ligota soigneu-
sement Bertrand à son fauteuil roulant avec une corde qu’elle avait
achetée le matin même et avec un rouleau de gros scotch noir elle
bâillonna sa victime pour la dissuader de crier.
Enfin, une fois Bertrand attaché et bâillonné, elle se dirigea vers
la porte vitrée et ouvrit à ses deux complices qui se précipitèrent à
l’intérieur en refermant soigneusement la porte derrière eux.
Mika rentra dans le local en brandissant un automatique devant
le regard médusé de Bertrand, Florence était outrée et dépassée par
la situation, elle n’était pas préparée à autant d’agressivité, Mika
s’approcha de Bertrand en le menaçant de son arme et en proférant
des menaces et des insultes.
— Où est ton coffre ?
Ou je te mets une balle entre les deux yeux. Où caches-tu ton oseille ?
Dépêche-toi, gros lard.
Bertrand, qui ne réalisait toujours pas ce qui lui arrivait,
bégayait, cherchait ses mots sans qu’aucun son sortît de sa bouche
malgré un effort considérable, la peur le paralysait, ses cordes
vocales ne répondaient plus, ses pensées étaient dans le nord avec
ses enfants et sa femme, il pleurait comme un enfant malgré lui, il
ne contrôlait plus rien, il était persuadé que sa dernière heure était
arrivée. La réponse tardait à arriver, Mika asséna un coup de crosse
d’une rare violence sur la tempe de Bertrand qui s’évanouit.

8
Il reprit connaissance au bout de quelques minutes avec une
douleur insupportable à la tête et du sang coulant le long de sa joue
lui rappelait le cauchemar dont il était victime. Ficelé à son siège,
l’air hébété, il regardait autour de lui en espérant que ce n’était
qu’un vilain cauchemar, mais Mika était bien là à quelques centi-
mètres de son visage, l’insultant, le menaçant de son pistolet, le
secouant dans tous les sens.
Florence s’était tapie dans un coin de la pièce et regardait la
scène, horrifiée, en se demandant ce qu’elle faisait là ; elle aurait
voulu être loin et ne rien avoir à faire avec Mika, loin de cet énergu-
mène qui n’avait aucune compassion ni pitié, qui s’attaquait à ce
pauvre handicapé sans défense pour quelques centaines ou milliers
d’euros. Florence pensait simplement faire le braquage sans avoir
affaire au propriétaire, dérober l’argent de la caisse, vider le coffre
qui se trouvait dans le local, mais la présence de Bertrand avait
rendu la situation incontrôlable. Mika était de plus en plus agressif,
Jade pendant ce temps-là en profitait pour fouiller les tiroirs et se
remplir les poches de tout ce qui pouvait se revendre aux receleurs
du quartier de Noailles.
La situation s’est compliquée encore plus quand on a frappé à la
porte de derrière ; tout le monde s’est figé, Florence s’est blottie dans
son coin en écrasant sa poitrine contre ses genoux, elle n’était plus
capable de bouger le plus petit de ses orteils, incapable de penser ni
de réfléchir, elle aurait voulu être loin, très loin, le regard vide, para-
lysée par la peur, ses dents s’entrechoquaient, incapable de se
contrôler, décidément, elle n’était pas faite pour ce genre de boulot.
Jade, de son côté, était aux aguets du moindre bruit sans quitter
des yeux la porte de derrière, elle a sursauté quand la poignée a
commencé son va-et-vient incessant et insistant, quelqu’un essayait
d’ouvrir la porte en tambourinant. Son cœur battait la chamade, ses
jambes tremblaient, son regard s’est figé sur Mika espérant une

9
solution, une idée qui jaillirait subitement de son cerveau pour que
Florence et elle sortent saines et sauves de cette aventure.
« Plus un bruit ! », souffla Mika.
En jetant un regard perçant et plein de haine dans la direction de
Bertrand :
— Si tu bouges un cil, je te crève, tout en brandissant son auto-
matique sous les yeux médusés de Bertrand.
Léon, un ami et habitué des soirées de poker, avait du mal à per-
suader la police qu’il pressentait une catastrophe :
— Je vous répète pour la énième fois que tous les soirs on se
retrouve ici dans la brasserie chez Bertrand pour boire un verre et
jouer aux cartes entre copains et tous les soirs la porte reste
ouverte, ça fait des années que c’est comme ça et aujourd’hui la
porte est fermée à double tour et les lumières sont éteintes, ce n’est
pas dans ses habitudes, il se passe quelque chose.
S’il vous plaît ! Écoutez-moi !
Léon était au bord des larmes, mais il était à cent mille lieues
d’imaginer ce qui se passait à l’intérieur, il avait l’intime conviction
qu’il était arrivé quelque chose à son ami et qu’il fallait lui venir en
aide et très vite.
Quelques minutes après, une équipe de la BAC de Marseille,
accompagnée d’une demi-douzaine de policiers, était sur place
accueillie par Léon et ses amis.
Un des inspecteurs commença à organiser les investigations et, pre-
nant cette alerte très au sérieux, il donna des ordres à ses collaborateurs.
— Toi ! En s’adressant au plus jeune.
Tu prends l’identité de tout ce beau monde, en désignant Léon et
ses amis.
Toi ! Tu restes devant, tu ne bouges pas de là.
Moi, je vais voir par-derrière et vous, vous venez avec moi, en
regardant le reste de l’équipe.

10
À l’intérieur de la brasserie, c’était la panique, le bruit des sirènes
n’a pas échappé aux braqueurs.
Les policiers investissent les lieux après un long moment en fai-
sant sauter le verrou de la porte avec l’aide des marins-pompiers de
Marseille.
Mika n’a pas eu le temps de réagir, surpris par le bruit assourdis-
sant de la porte qui cédait.
Florence était toujours blottie dans son coin, espérant de tout
son cœur être invisible pour les autres, elle avait beaucoup de mal à
retenir ses larmes et ses tremblements, pas assez de courage pour
relever la tête et regarder ce qui se passait autour d’elle.
Mika était déjà maintenu au sol par deux policiers, menottes aux
poignets, quant à Jade, habituée des vols à l’étalage, elle se débattait
et insultait les policiers qui essayaient de la maîtriser, c’était une
dure, qui avait vécu des années dans la rue à Strasbourg avant de
migrer vers Marseille, une habituée des gardes à vue sans jamais
être vraiment inquiétée.
Les marins-pompiers de Marseille ont dû faire face à deux pro-
blèmes : Bertrand, qui était mal en point, qui saignait abondamment
par l’entaille ouverte au-dessus de la tempe et Florence, qui trem-
blait de tout son corps, qui n’arrivait plus à articuler, les yeux révul-
sés par la peur, une respiration saccadée de plus en plus rapide et
irrégulière ; Florence était en train de faire une crise de tétanie.
Quand Florence a repris ses esprits, elle était allongée sur un lit
d’hôpital à la Timone, centre hospitalier public de Marseille, apai-
sée, calme, elle avait l’impression de flotter, d’être aussi légère
qu’une plume ; elle était heureuse que tout soit terminé sans que
personne ait été gravement blessé. Elle était rassurée d’être sortie
de cette histoire saine et sauve, elle jeta un rapide regard autour
d’elle, tout était calme, elle n’avait qu’une envie : dormir et encore
dormir et ne pensait plus à rien, les barbituriques qu’on lui avait

11
administrés faisaient encore leur effet, elle flottait comme un nuage
au-dessus de tout, sa tête était vide comme le reste de son corps. Le
sourire presque imperceptible sur le coin de sa bouche, elle s’est
rendormie en espérant que l’aventure qu’elle venait de vivre
quelques heures auparavant n’était qu’un cauchemar et qu’à son
réveil tout serait redevenu aussi simple qu’avant de rencontrer Jade
et Mika. Reprendre sa vie, là où elle l’avait interrompue, quitter
Marseille comme c’était prévu et partir conquérir la capitale,
reprendre sa vie en main.
À son réveil, le lendemain matin, Florence a vite déchanté en
voyant un policier devant sa porte surveillant les allées et venues
des visiteurs qui déambulaient dans ce couloir triste jonché de
portes. Personne n’était autorisé de s’approcher de la chambre à
part monsieur Marin, l’inspecteur de la BAC chargé de l’affaire et le
corps médical.
Perdue dans ses pensées, Florence n’a pas entendu la porte s’ou-
vrir ni vu cet homme qui était debout devant le lit attendant patiem-
ment qu’elle daigne se retourner, l’angoisse reprenait le dessus, la
peur tiraillait Florence, elle sentait une présence juste derrière elle,
mais elle n’avait ni le courage ni l’envie de se retourner. Elle se sen-
tait de plus en plus mal, son visage était brûlant et ses mains pico-
taient, ses lèvres commençaient à trembler ; son état n’a pas échappé
à Marin qui était là pour l’auditionner et recueillir son témoignage.
Au bout de quelques secondes interminables, l’inspecteur se pencha
légèrement vers la droite, essayant de capter le regard de Florence.
— Mademoiselle !
S’il vous plaît !
Vous n’avez pas à avoir peur de moi !
Florence se retourna malgré elle, elle aurait aimé être loin, très
loin, le regard terne et triste, les yeux en larmes et en répétant à
voix très basse.

12
— Je regrette, je regrette.
— Calmez-vous, Mademoiselle !
Vous n’avez rien à craindre !
L’inspecteur s’installe sur un tabouret en face de Florence, il
prend des documents dans sa mallette, jette un regard furtif dans sa
direction avec beaucoup d’empathie, pensant au fond de lui qu’elle
n’avait pas le profil d’une braqueuse.
— Votre nom s’il vous plaît ?
Florence s’exécute.
L’inspecteur lui relate les faits qui lui sont reprochés et finit par
lui dicter ses droits en lui notifiant sa garde à vue à partir de cet ins-
tant, sans omettre de lui préciser que le juge avait déjà notifié son
mandat de dépôt pour braquage à main armée et association de
malfaiteurs, qu’elle sera incarcérée dès qu’elle sera auditionnée à
l’évêché et que sa garde à vue sera levée.
Florence écoute Marin, du moins elle essaye de comprendre, de cap-
ter le message que cet homme assis là devant elle essaye de lui trans-
mettre, mais elle ne réplique pas, elle ne comprend pas ce que tout cela
veut dire, elle le regarde l’air interrogatif, espérant un éclaircissement
de la part de l’inspecteur. Son état n’a pas échappé à Marin.
— C’est bien vous qu’on a arrêtée sur le lieu du braquage, non ?
Florence n’osait plus respirer, elle aurait souhaité disparaître, elle
ne savait plus quoi répondre, le visage blême, ses larmes coulaient à
flots, la boule à l’estomac revenait doucement, mais avec plus d’in-
sistance et plus douloureuse, l’empêchant petit à petit de respirer.
La réalité venait de la rattraper. Marin, voyant l’état de panique de
Florence, se hâta de reprendre la parole, mais cette fois-ci en
essayant de la rassurer.
— Rassurez-vous, Mademoiselle, d’après le rapport des collègues
qui vous ont interpellée sur les lieux et la déposition du gérant de la
brasserie, votre rôle était passif, voire vous étiez spectatrice, néan-

13
moins vous avez été complice d’un braquage à main armée avec
séquestration de personne vulnérable.
Reposez-vous maintenant, mes collègues viendront vous cher-
cher en début d’après-midi pour vous conduire à mon bureau.
La matinée fut longue pour Florence, le médecin était passé en
milieu de matinée pour faire un dernier bilan et signer son autorisa-
tion de sortie, elle n’attendait plus que son transfert à l’évêché.
Marin l’attendait dans son bureau de deux mètres carrés où
s’amoncelaient des dossiers, les armoires en fer débordaient de che-
mises cartonnées de tous genres, une trentaine de dossiers avait été
posée à la hâte sur son bureau. Florence voyait à peine Marin der-
rière son bureau avec ses lunettes grossissantes. Le sourire en coin à
peine perceptible, Marin invita Florence à s’asseoir sur la seule
chaise encore libre devant lui, le reste du mobilier était recouvert de
dossiers à traiter.
Marin, un homme d’une cinquantaine d’années, portait des lunettes
à grosse monture en écaille équipées de verres grossissants qui lui
donnaient l’apparence d’une vieille dame, des cheveux longs et gri-
sonnants coiffaient un visage sombre et triste avec de petits yeux
clairs et une barbe de trois jours qui lui donnait l’air négligé et sale,
mais tout de même avenant et sympathique, se forçant à sourire et à
être agréable et à l’écoute. Florence s’est sentie en confiance dès les
premières minutes de son audition qui a duré deux bonnes heures.
À contrecœur et malgré lui, Marin finit par signifier l’incarcéra-
tion immédiate de Florence à la prison de Luynes, qui se trouvait à
une cinquantaine de kilomètres de Marseille, décision du juge
chargé de l’affaire.
— Vous avez le droit d’appeler un avocat et si vous n’en avez pas,
le président de la juridiction nommera un avocat commis d’office qui
vous assistera durant la procédure. Vous avez le droit de téléphoner,
si vous voulez appeler un membre de votre famille ou un ami.

14
Je vous remets en cellule en attendant de vous transférer à Luynes.
Florence était là sans être là, elle écoutait sans vraiment com-
prendre, elle aurait voulu se défendre, parler d’elle à cet homme
assis devant elle, souriant et avenant, mais aucun son ne sortait de
sa bouche, elle n’avait plus de force, la peur la tenaillait, la paraly-
sait de l’intérieur, elle tremblait de tout son corps, pourtant Marin
faisait tout pour la mettre en confiance et la rassurer tout au long de
leur entretien. Elle aurait voulu prendre une douche, dormir et se
réveiller loin de ce cauchemar, mais c’était la triste vérité, Florence
s’est rendue complice et coupable aux yeux de la loi d’un braquage
odieux et elle encourait une peine qui pouvait atteindre dix années
d’emprisonnement.
Cela faisait des heures maintenant que Florence était enfermée
dans cette cellule de trois mètres carrés, avec pour seul mobilier un
sommier en béton suspendu à une trentaine de centimètres du sol et
un bidet au coin de la pièce jauni par la pisse.
Elle avait une pensée pour son père, ses grands-parents et en
particulier pour sa maman qui lui manquait énormément. Le bruit
de la serrure ramena Florence à la réalité, la porte de la cellule s’en-
trouvrit pour laisser place à un homme de petite taille, trapu, l’air
enchanté d’être là. Il avança d’un pas décidé en regardant Florence
dans les yeux, sortit un dossier de sa mallette qu’il tenait soigneuse-
ment contre lui, vérifia l’identité de Florence et lui dit :
— Je m’appelle Florian Margelin, je suis votre avocat commis
d’office, vous avez beaucoup de chance, généralement, je ne suis
prévenu d’une affaire que quand le prévenu est déjà incarcéré, rare-
ment pendant une garde à vue, c’est quasiment la première fois,
enfin ! Vous allez être transférée dans une heure environ à la prison
de Luynes, le juge vous a mis en mandat de dépôt, en attendant que
votre affaire soit examinée en détail.
Bon ! Je vais être honnête avec vous, ça ne sent pas très bon pour

15
vous, mais dans votre malheur, vous avez tout de même un peu de
chance, un atout substantiel qui joue en votre faveur, c’est la dépo-
sition du gérant de la brasserie qui a été très complaisant à votre
égard, il pense que vous étiez au mauvais endroit au mauvais
moment, vous avez été compatissante et bienveillante avec lui, il a
vu votre désarroi et la tristesse sur votre visage, ce sont ses paroles.
Je vais préparer votre transfert à Luynes avec l’inspecteur et je
passerai vous voir demain dans la matinée pour préparer votre
défense. Il va falloir faire vite, le juge chargé de l’affaire fera tout
pour instruire ce dossier au plus vite et vous mettre vous et vos
complices derrière les barreaux pour un bon bout de temps.
Vous savez ! On n’est jamais innocent quand on s’attaque à un
handicapé, à une personne âgée ou à un enfant.
Sur ce, passez une bonne soirée tout de même et à demain.
Florence n’était plus réceptive, des dizaines de questions restées
sans réponses s’entrechoquaient dans son cerveau, elle ne savait
plus quoi faire, elle avait envie de pleurer et en même temps elle
sentait une forme d’excitation monter en elle, c’était une expérience
aussi traumatisante qu’enrichissante, la peur lui tordait les
entrailles, la curiosité faisait turbiner son cerveau, elle était impa-
tiente de vivre cette expérience, sa vie venait de basculer de l’autre
côté de la barrière. La fatigue gagnait du terrain, Florence n’avait
qu’une hâte : se mettre sur sa paillasse et récupérer, dormir et
oublier, faire le vide dans sa tête, ne plus penser à rien avant de
s’endormir. Elle avait des pensées pour ses parents, ses grands-pa-
rents, sa copine de fortune, Jade, qu’elle a perdue de vue.
Réveillée au petit matin par des chuchotements suivis de
plaintes, Florence était aux aguets. Sa vie carcérale débute fort, la
panique commençait à s’emparer d’elle, elle était au bord de la crise,
elle tremblait de tous ses membres, elle avait du mal à rassembler
ses esprits et à réfléchir, c’était juste derrière sa tête, elle aurait aimé

16
se faire toute petite, disparaître, se volatiliser de cet endroit lugubre
et menaçant.
Les lamentations et les gémissements devenaient de plus en plus
insistants et persistants, Florence savait que la seule option qui lui
restait, c’était de se retourner et de voir ce qui se trouvait là juste
derrière elle.
Le souffle coupé, le cœur battant, dans un ultime effort, elle
pivota doucement sur elle-même tout en gardant les yeux fermés en
guise de protection. Une fois bien installée sur le dos, Florence ras-
sembla le peu de courage qui lui restait et ouvrit les yeux douce-
ment et sans précipitation, il lui a fallu une poignée de secondes
pour reprendre ses esprits et s’apercevoir que ces râles venaient de
cette jeune fille mate de peau avec une chevelure abondante noire et
bouclée d’une vingtaine d’années, éclairée par les premières lueurs
du soleil, elle était là accroupie au milieu de la cellule et priait Allah
pour qu’il lui vienne en aide.
Florence finit par rassembler le peu de courage qui lui restait pour
s’extirper de sa paillasse sans quitter des yeux cette jeune fille qui sem-
blait être très malheureuse et qui avait certainement besoin d’aide.
— Bonjour !
Moi, c’est Florence.
Et toi ? Tu t’appelles comment ?
— Je m’appelle Latifa.
— Tu es là depuis quand ?
— Depuis trois jours, enfin je crois, je n’arrive pas à m’y faire, le
temps s’est arrêté quand on m’a enfermée là-dedans.
— Et qu’est-ce que tu as fait pour te retrouver dans cette galère ?
— J’ai mis une rouste à une fille qui m’a traitée de « sale Arabe »,
je crois même qu’elle a perdu un œil, mais je n’en suis pas sûre.
— Et tu es là pour combien de temps ?
— Je ne sais pas encore, je n’ai encore vu personne depuis trois jours.

17
— Même pas un avocat commis d’office ?
— Si bien sûr, un genre de premier de la classe qui me regardait
de haut et qui ne croyait pas un mot de ce que je disais.
— Moi, j’ai été arrêtée pour braquage et je ne suis vraiment pas
fière de moi, je me suis laissé embarquer dans une histoire très com-
pliquée, je pensais gagner un peu d’argent et partir ensuite pour Paris.
— Pourquoi Paris ?
Tu as de la famille là-bas ?
Des amis ?
— Non, je ne connais personne sur place, Paris parce que c’est
une grande ville, c’est la capitale.
J’aurais aimé m’établir à Marseille, mais maintenant je suis
grillée, dès que je sors d’ici, je quitte cette ville.
— Moi, je ne quitterai jamais Marseille, c’est ma ville natale, je
connais tous les quartiers de Marseille, je suis chez moi ici, j’aime la
mer, le soleil, le chant des cigales, les oliviers, les champs de lavande et
l’accent chantant des Marseillais, qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Florence était admirative devant cette belle brune aux cheveux
longs, aux beaux yeux en amande et aux lèvres dessinées et charnues,
qui tenait aussi fort à sa région et en parlait avec autant de passion
et d’amour. Une pensée la traversa en pensant à sa Côte d’Azur,
avec toutes ces villes côtières et touristiques où la population tri-
plait pendant la période estivale avec tous ces inconvénients de pol-
lution, de bouchons interminables, sans oublier la chaleur écrasante.
— Trop peu pour moi, je ne tiens pas à ma Côte d’Azur, je pré-
fère m’éloigner de cette région.
Florence était aux anges, cela faisait longtemps qu’elle n’avait
pas eu une conversation sensée avec une personne.
— Et tu faisais quoi dans la vie avant de te retrouver ici ?
— Je travaillais à l’office du tourisme au port de Marseille,
d’ailleurs, je pense avoir perdu mon boulot.

18
— Pourquoi ?
— J’ai ouvert l’office à neuf heures du matin comme d’habitude
et déjà il y avait foule devant la porte, j’ai eu des Anglais bien sym-
pathiques, deux jeunes Américaines qui voulaient absolument me
laisser un pourboire – tu te sens importante quand tu fais ce genre
de travail, tu renseignes, tu guides, tu impressionnes les autres par
ton savoir et ta connaissance de la ville et de la région –, et après ce
défilé et cette récréation fort agréable, j’ai eu droit à mon énergu-
mène, la Parisienne dans toute sa splendeur qui pensait certaine-
ment avoir tous les droits, une jeune femme d’une trentaine
d’années bien galbée et bien bronzée avec son mec qui la suivait
comme un toutou. Elle a commencé par me dire qu’elle voulait
prendre la navette pour aller visiter le château d’If, mais que c’était
trop cher et qu’il fallait attendre le prochain départ qui était pro-
grammé à midi et qu’elle ne voulait pas attendre, parce que la
navette était encore à quai et qu’elle ne comprenait pas pourquoi
deux personnes de plus pouvaient être un inconvénient.
J’ai fait comme je faisais avec tout le monde, je suis restée
aimable et courtoise dans ce genre de situation, je lui ai donné des
coupons de réduction pour le musée et plusieurs sites à visiter à
Marseille et ses environs et je lui ai suggéré gentiment d’aller voir le
responsable de la navette pour le château d’If, pour ma part je ne
pouvais rien faire.
Elle m’a regardée de haut en bas avec un certain mépris, même
ma collègue a été choquée par son attitude hautaine et méprisante.
Je suis restée calme et indifférente et j’ai invité la personne der-
rière elle à s’approcher sans prêter plus d’attention à cette folle
furieuse qui commençait sérieusement à m’exaspérer.
En partant et avant de fermer la porte derrière elle, elle s’est
retournée une dernière fois en me regardant avec beaucoup d’insis-
tance et de haine et en me traitant de « sale Arabe » et de certains

19
noms d’oiseaux, mon sang n’a fait qu’un tour, cela faisait vingt ans
que j’étais à Marseille, je suis née à Marseille, je suis aussi française
qu’elle et cela faisait deux ans que je travaillais à l’office du tou-
risme et jamais au grand jamais je ne me suis fait insulter de cette
façon et pourtant, j’en aurais des histoires à te raconter, mais être
insultée de la sorte, jamais.
La suite, je ne pourrai pas te la raconter dans les détails, je ne
m’en souviens plus, je sais que j’ai fait le tour du comptoir et en
moins de deux secondes, j’étais sur elle, je me rappelle lui avoir mis
deux coups de poing en pleine face – j’ai fait de la boxe thaïe en
semi-pro pendant quelques années –, après ça, je me vois lui mettre
des coups de pied dans sa face de rat et son couillon de mec qui
regardait la scène sans broncher, elle a pris une sacrée rouste et je
pense qu’elle l’a bien méritée.
Maintenant, c’est la suite qui me fait peur, combien je vais
prendre pour cet excès de colère et mes parents qu’est-ce qu’ils vont
penser de tout ça et la famille d’ici et de là-bas au bled, ils vont
croire que je suis une délinquante et pourtant, je n’ai fait que
défendre mon honneur.
Et toi alors, ton braquage ?
Raconte-moi ton histoire.
Sans aucune fierté. Florence se met à raconter son histoire du
braquage de la brasserie de Bertrand.
— Ne me dis pas que vous vous êtes attaqués à la brasserie de
Bertrand à l’angle de la Canebière ?
Vous êtes des fadas, on ne s’attaque pas à Bertrand, d’abord parce
qu’il est handicapé, ensuite, c’est une figure au port de Marseille,
tout le monde le connaît, tout le monde l’adore.
Tu sais pourquoi ? Qu’il pleuve, qu’il vente, Bertrand ouvre sa
brasserie tous les jours avant six heures du matin.
Florence hoche la tête de gauche à droite timidement.

20
— C’est pour permettre aux SDF du quartier de venir déjeuner
chez lui gratuitement, ils ont droit au café, pains au chocolat et
croissants, tout le monde le sait à Marseille, personne ne s’attaque à
Bertrand, personne.
Je t’aurais connue avant, je t’aurais déconseillé ce plan foireux, je
pensais que tu t’étais attaquée à une banque, à un fourgon blindé ou
à une bijouterie, un truc de Marseillais, quoi !
Il a trois tables sur sa terrasse réservées exclusivement aux SDF
qui viendraient à l’improviste boire un café ou manger un bout,
fadas que vous êtes, vous vous attaquez à Bertrand.
Florence avait les larmes aux yeux, elle n’était vraiment pas fière
d’elle, mais ce qui est fait est fait.
Une amitié venait de naître entre Florence et Latifa, quand cette
dernière pleurait la nuit, Florence la consolait en la prenant dans ses
bras et quand Florence avait le cafard et ruminait dans son coin,
c’est Latifa qui lui remontait le moral.
Elles se comprenaient, elles avaient sensiblement le même âge,
elles faisaient tout à deux, elles sont devenues inséparables. Il faisait
presque bon vivre dans leur cellule.
— La baraka est avec nous, frangine, lui répétait tous les jours
Latifa pour lui remonter le moral. Tu aurais pu tomber sur une
cagole, mais Allah a bien voulu nous mettre ensemble dans cette
même galère.
Et Latifa n’avait pas vraiment tort, pour une raison mystérieuse,
elle allait être libérée, sa victime a retiré sa plainte sans raison appa-
rente, Latifa avait une petite idée, mais elle n’en était pas sûre, elle a
préféré ne pas en parler à Florence pour l’instant. Le même jour,
Florence a été présentée à un juge et a su qu’elle allait être transfé-
rée aux Baumettes pour purger sa peine, ce n’était pas spécialement
une bonne nouvelle pour Florence, mais Latifa l’a rassurée.

21
— Je préfère que tu sois aux Baumettes plutôt qu’à Luynes ou
ailleurs.
Mon cousin Salah est connu par toute la pègre et le milieu mar-
seillais et respecté, je vais le prévenir de ton arrivée et tu seras trai-
tée comme une reine, personne n’osera t’approcher même pas les
gardiens parce qu’avec ton joli minois, tu crains quand même.
Mais avec mon cousin, tu crains personne, et puis je te rendrai
visite tous les jours et je t’apporterai des gâteaux de chez nous et
des friandises.
Le lendemain matin, Florence a été transférée aux Baumettes à
Marseille, Latifa quant à elle devait attendre la fin de la journée
pour être libérée. L’étreinte était longue, les larmes aux yeux et le
cœur serré, Florence et Latifa se sont séparées en se promettant de
se retrouver une fois libres.
Arrivée aux Baumettes, Florence a été accueillie par deux sur-
veillants accompagnés d’une surveillante d’une quarantaine d’années à
peine, d’un mètre soixante, fort jolie, un peu ronde et qui portait mer-
veilleusement bien sa tenue, arborant un sourire naturel et rassurant.
— Alors ! C’est toi, Florence qui nous arrive de Luynes ?
Timidement, Florence confirme en hochant la tête.
— Moi, c’est Catherine, mais tout le monde m’appelle Cathy, si tu
as besoin de quoi que ce soit, si quelqu’un t’embête, détenu ou sur-
veillant, tu me préviens tout de suite ou Karima, qu’on va retrouver
dans l’aile gauche, elle nous attend.
Salah a donné des consignes, personne ne doit t’approcher ni de
près ni de loin.
Tu as quelques mois à passer avec nous et je te promets que cette
parenthèse dans ta vie sera la plus tranquille.
Florence franchit une dernière porte blindée accompagnée de
Cathy la gardienne pour se retrouver au milieu d’un hall d’une
dizaine de mètres carrés, accueillie par une jeune femme d’un mètre

22
soixante-dix environ, cheveux courts, brune avec de grands yeux
noisette, une poitrine abondante étouffée dans cette chemise de ser-
vice mal coupée, un sourire accueillant qui dévoilait de belles dents
blanches et alignées, la main en avant.
— Bonjour Florence ! C’est ça ?
Florence confirme son identité.
— Je m’appelle Karima, je suis la surveillante principale, je sup-
pose que Cathy t’a prévenue, si tu as besoin de quoi que ce soit, on
est là et toutes les autres surveillantes sont au courant, si tu te fais
emmerder par qui que ce soit, tu nous préviens et on règle le pro-
blème et si c’est un surveillant, tu n’as rien à craindre, c’est Salah
qui interviendra, on t’a mise dans une cellule de quatre codétenues,
elles ont été briefées et à partir de demain tu commences à travailler
à la bibliothèque. Ici, tout le monde doit faire quelque chose, tu
seras tranquille et comme j’ai cru comprendre que tu voulais finir
tes études une fois sortie d’ici, je pense que cela va t’aider.
Florence ne savait pas si elle devait dire merci ou pleurer sur son
sort, elle était gênée par tant de complaisance, elle était là pour pur-
ger une peine.
Une longue et interminable année pour Florence qui commençait
à purger sa peine aux Baumettes, condamnée à une peine de dix-
huit mois de prison assortie de huit mois de sursis, elle a été incul-
pée pour complicité passive de braquage à main armée et non-
assistance à personne en danger, le procureur a été très clément et
le juge a suivi son réquisitoire en donnant une chance à Florence de
se refaire et de sortir rapidement du système carcéral.
Elle venait de basculer dans l’horreur, dans le monde des mal-
frats du grand banditisme. Son jeune âge, lors de son arrestation, sa
naïveté et son rôle passif dans le braquage ont joué en sa faveur, le
juge de l’application des peines avait pris en considération son
passé, une enfant studieuse avec un casier judiciaire vierge, sa jeu-

23
nesse, son repentir, son rôle dans le braquage et sa beauté angélique
ont fait le reste. Florence venait de fêter ses dix-huit printemps.

Florence était aux Baumettes, une prison construite dans les


années trente à Marseille. Rien n’y paraissait de l’extérieur, à part
peut-être en regardant bien la colère, un des sept péchés capitaux
qui ornent la façade et qui rappellent aux Marseillais qu’il ne faut
absolument pas avoir affaire à la justice des hommes, s’éloigner le
plus loin possible de ce bâtiment lugubre et crasseux et pour cela, il
suffisait de rester dans les clous, de ne pas franchir la ligne rouge et
de respecter la loi des hommes.
Florence était estimée et protégée par ses gardiens et les autres
détenues la craignaient.
Florence faisait partie du décor et connaissait maintenant les
rouages et les recoins du bâtiment. Elle prenait part à toutes les
activités proposées par le corps carcéral, mais ce qui l’insupportait,
c’était les gémissements de détresse, les pleurs des autres détenues
qui pouvaient parfois durer toute la nuit, les cris stridents qui déchi-
raient la nuit, la souffrance palpable dans l’air.
La prison des Baumettes n’est pas loin des merveilleuses
calanques de Marseille.
D’un côté, la garrigue, de l’autre côté, les habitations et au milieu
cette prison qui s’étend sur des milliers de mètres carrés, qui nous
protège d’une certaine population de marginaux, de trafiquants de
drogue, des meurtriers et des voleurs de tous genres.
Le quartier des femmes était à seulement une cinquantaine de
mètres des habitations, parfois Florence passait des heures à regarder
les gens sur leurs balcons et à espérer, rêver d’une vie meilleure, le
reste du temps elle le passait à la bibliothèque où elle travaillait, elle
était dans le classement des livres et des fiches, elle passait le plus
clair de son temps à éplucher les livres de droit, elle était persuadée

24
que son salut passerait par les livres, par sa gestuelle, sa prestance,
l’enrichissement de son vocabulaire et enfin sa façon de s’exprimer.
Latifa venait lui rendre visite le plus souvent possible, elle n’a
pas failli une seule fois, elle était présente aux côtés de Florence jus-
qu’à sa libération six mois plus tard pour bonne conduite.
La petite porte incrustée dans le grand portail en ferraille du
centre pénitentiaire des Baumettes s’ouvre avec un cliquetis
bruyant sur une Florence resplendissante, les yeux clairs et
pétillants, prête à croquer la vie à pleines dents, elle franchit la
porte, s’arrête une dizaine de secondes pour savourer le plein air, la
liberté au bout du chemin. Le cri strident de bonheur des retrou-
vailles de Latifa la ramena à la réalité.
Son amie d’infortune l’attendait comme promis, souriante et
heureuse de retrouver son amie de cellule, celle qui a supporté ses
pleurs des nuits entières, celle qui l’a aidée à faire l’impasse sur
l’enfermement, l’éloignement de sa famille et la solitude.
L’étreinte a duré une éternité, Latifa sanglotait comme une
enfant et ne voulait plus la lâcher de peur de la perdre encore une
fois en répétant en boucle :
— C’est le plus beau jour de ma vie, je suis heureuse, merci mon
Dieu, merci pour tout.
Une fois installées dans sa 205 rouge, ceintures bouclées, Latifa
regarde Florence et lui dit d’un air sincère et profond :
— Je suis heureuse que tu sois là, j’attendais ce jour depuis des
mois, maintenant je t’emmène chez moi, te présenter ma famille,
manger un petit bout, prendre une douche et après on sortira toutes
les deux faire du shopping à Marseille.
J’ai oublié de te dire, je vis chez mes parents, ils sont impatients
de te connaître, tu verras, ma mère est adorable, mon père est un
peu rustre, mais au fond c’est une crème, par contre mon jeune

25
frère qui vient d’avoir dix-huit ans va essayer de te pécho, il est un
peu relou, mais à part ça, il est très gentil et très serviable.
Florence était gênée par tant d’égards et ne savait si elle devait
refuser gentiment sans vexer son amie ou simplement accepter cette
situation, cette attention affectueuse et amicale.
— Tu sais Latifa, tu n’es pas obligée de faire tout ça pour moi, tu
en as déjà assez fait, je ne sais comment vous remercier toi et ton
cousin Salah pour son intervention en prison, je n’ai pas vu le
temps passer, les jours défilaient agréablement, et cela grâce à lui.
— Ne t’inquiète pas, tu ne dois rien à personne dorénavant, tu
fais partie de la famille et chez nous la famille c’est sacré, alors
arrête de te prendre la tête avec tout ça. Je t’emmène à la maison, ils
nous attendent pour déjeuner et tu auras l’occasion de dire merci à
Salah, il est à la maison avec sa femme et son fils.
Un peu gênée, Florence explique à Latifa qu’elle souhaitait aller
voir Bertrand, le patron de la brasserie, pour lui présenter ses excuses
et le remercier pour sa déposition assez complaisante en sa faveur.
— J’ai anticipé le coup et c’est tout à ton honneur, je pense qu’il va
apprécier, je savais que tu allais me le demander, on file droit à la brasserie.
Latifa gare sa voiture en double file et accompagne Florence jus-
qu’à la brasserie.
Florence sentait ses entrailles remuer à chaque pas, elle appré-
hendait la rencontre avec sa victime d’un soir et surtout la honte la
rongeait à l’intérieur tel un volcan en ébullition.
Elle ruminait toute seule « qu’est-ce que je vais lui dire », c’est
une phrase que Latifa a entendue une dizaine de fois pendant toute
la route qui les séparait de la brasserie.
— Sois naturelle, laisse ton cœur parler et puis… il est très ave-
nant et simple, il va tout de suite te mettre à l’aise, ne t’inquiète pas.
— Oh ! Latifa !
— Eh les gars ! Regardez qui est là ! La petite qui m’a sauvé la mise.

26
— Allez viens par ici, tchiote, viens faire un câlin à tonton Bertrand.
Florence était sonnée, gênée par l’accueil chaleureux et déme-
suré de sa victime et par tant d’yeux rivés sur elle.
Elle avançait à pas lents, d’abord pour laisser le temps à Bertrand
de faire le tour de son comptoir et ensuite pour éclaircir un point
avec son amie.
— Mais tu le connais ?
— Bien sûr que je le connais – qui ne connaît pas Bertrand –, et
ensuite, j’habite à la porte d’Aix à deux pas d’ici, je te l’ai dit, tout le
monde le connaît.
— La voix tremblante, je suis venue vous demander pardon, par-
don pour tout, j’ai honte de moi, honte de ce que j’ai fait, je n’ai pas
cessé de penser à vous et merci aussi pour votre déposition com-
plaisante qui a sauvé ma tête d’une peine plus lourde.
— Mais ma tchiote, merci à toi qui, par ton attitude ce jour-là,
m’as sauvé la vie parce que le Mika, il est bien connu à Marseille,
c’est un moins que rien, une tafiole qui s’attaque généralement au
plus faible et j’ai senti qu’à un moment donné il était prêt à tirer, il
voulait en finir avec moi et je me souviens de ton attitude, ce regard
accusateur et rempli de colère que tu lui as jeté c’est ce qui l’a fait
réfléchir et fait changer d’avis de me mettre une balle dans la tête et
c’est à ce moment-là que les hommes de la BAC sont intervenus,
alors tchiote, c’est moi qui suis redevable envers toi.
À partir de maintenant tu es chez toi ici, comme eux tous, en
montrant les habitués adossés au comptoir et tous les autres assis
dans la salle, tu viens quand tu veux, tu seras toujours la bienvenue,
c’est ça la famille, tchiote, maintenant tu fais partie de la famille.
Florence a été accueillie comme une princesse chez les parents
de Latifa, c’était gênant, elle avait du mal à être à l’aise chez les
Abderrahmane. La maman, Faîma, n’arrêtait pas, « mange ma fille, fais
comme chez toi, assieds-toi là, mets-toi à l’aise, enlève tes chaussures… »

27
Le père, Lyes, n’était pas en reste, il lui ramenait tout ce qu’il
avait dans le frigo, ils étaient tous aux petits soins.
Salah, qui était en retrait, regardait la scène sans rien dire. Florence
réagit au bout d’un long moment et finit par remarquer cet homme
assis au fond de la pièce, elle s’interroge en regardant en direction
de Latifa. Cette dernière s’approche d’elle, la prend par la main et
l’emmène vers cet homme énigmatique et silencieux d’un mètre
quatre-vingt-dix et pas loin des cent trente kilos. À leur approche,
Salah se lève. « Il est impressionnant », se dit Florence. Mat de
peau, les cheveux noir corbeau gominés et plaqués, de grands yeux
noirs, des sourcils très épais, un visage sévère avec une mâchoire
carrée très imposante, un corps d’athlète, il portait un costume deux
pièces beige et une chemise blanche en lin, des chaussures noires, il
avait l’air d’un garde du corps avec une grande prestance.
— Je suppose que tu es la fameuse Florence ?
Timidement, Florence hoche la tête sans pouvoir sortir la
moindre syllabe, elle était impressionnée par ce mastodonte qui se
tenait debout devant elle.
Au bout de quelques secondes et après un effort considérable,
Florence marmonna entre ses dents un « merci » à peine perceptible.
Salah sourit en dévoilant des dents blanches et alignées.
— Je ne suis pas là pour que tu me remercies, ce que j’ai fait pour
toi c’était tout à fait normal parce que ma petite cousine me l’a
demandé et je ne le regrette pas, tu mérites ce coup de pouce, mais
aujourd’hui je suis là pour autre chose.
Tu es épiée par un homme d’une quarantaine d’années, il s’est
renseigné sur toi quand tu étais aux Baumettes et aujourd’hui il
vous a suivies, c’est un inconnu à Marseille et ce n’est pas un keuf,
j’ai un gars qui le surveille, il ne sait pas comment ça marche à
Marseille, sinon il aurait lâché l’affaire depuis longtemps, mais bon,
je devais te le dire, tu n’as pas à t’inquiéter.

28
On va le laisser faire pour l’instant et s’il s’approche un peu trop
près de toi, on l’emmènera visiter les calanques.
— Tu ne penses pas que c’est Mika ?
— Non ! Mika est encore aux Baumettes et il en a encore pour
quelques années.
Florence, très inquiète, se demande qui pourrait lui en vouloir et
qui est cet homme qui la suit et surtout pourquoi.
— N’y pense plus et ne t’inquiète pas, le gars ne sait pas à qui il a
affaire, dit Latifa en regardant fièrement son cousin.
— En y réfléchissant, est-ce un homme grisonnant, aussi grand que
vous, le visage blafard et qui porte des lunettes de soleil genre Police ?
— Oui, c’est la description qu’on m’a donnée, répondit Salah.
Tu le connais ?
— Non ! Je ne le connais pas, mais je l’ai repéré quand j’étais à
Duranus, chez mes grands-parents et depuis, j’ai l’impression de le
voir partout.
— Je te rassure, ce n’est pas qu’une impression, il était déjà sur
tes traces avant que vous fassiez le coup de la brasserie, mais pour
l’instant, tu ne t’inquiètes pas, on ne le quitte pas d’une semelle.
Il est juste en bas, en face de l’entrée de l’immeuble avec son
Audi, il ne sait pas qu’il est surveillé, il suffit d’un geste de ma part
et lui et sa voiture disparaissent en un clin d’œil.
On ne rentre pas impunément dans la cité, même les keufs ne s’y
aventurent plus.
C’est Marseille, tous les quartiers sont sous contrôle et rien ne
passe inaperçu.

Florence a mis du temps pour sortir de la salle de bain, ça faisait


longtemps qu’elle n’avait pas autant profité d’une baignoire emplie
de sels aromatiques de toutes sortes, elle est restée plus d’une heure
dans la baignoire sans faire le moindre mouvement, appréciant l’eau

29
chaude qui pénétrait ses pores et ramollissait ses muscles, elle était
aux anges, c’était un instant magique et inoubliable. Une pensée la
traversa pour sa ville natale et pour ses parents qui doivent certai-
nement être inquiets et qui n’ont plus de nouvelles depuis qu’elle a
quitté la région sans donner signe de vie et ses grands-parents qui
l’ont tant aidée dans les moments difficiles, mais tout ça était der-
rière elle maintenant et il n’était plus question de revenir en arrière.
Mounir, le jeune frère de Latifa, venait de voir une apparition, les
yeux écarquillés, la bouche ouverte, hypnotisé par cette déesse qui
se mouvait devant lui, ses cheveux blonds et soyeux lui tombaient
sur les épaules et dissimulaient une bonne partie de ses hanches,
laissant entrevoir des fesses musclées sous le legging noir que
Florence portait merveilleusement bien avec un haut qui laissait
entrevoir une petite poitrine, sa peau était claire et nacrée, Mounir
était près de la syncope.
C’est Lyes, le patriarche, qui l’a ramené à la raison.
— Reste avec nous, mon fils. Je te présente Florence l’amie de ta
sœur, elle fait partie de la famille maintenant, on doit la protéger
des énergumènes dans ton genre, alors si quelqu’un de ta bande
l’approche, tu auras affaire à moi.
C’est sa façon de rire qui a finalement eu raison de l’état hypno-
tique de Mounir.
Après un effort incommensurable, Mounir s’extirpe de sa chaise
et s’avance à pas de loup vers Florence qui arborait un grand sou-
rire. Elle abrège sa souffrance en le prenant dans ses bras et en le
serrant très fort contre elle.
Elle venait de trouver une deuxième famille, elle aurait aimé le
crier sur les toits, raconter ce qu’elle était en train de vivre à ses
parents, à ses grands-parents, à ses copines sur la Côte d’Azur et à
son copain qu’elle a quitté du jour au lendemain, mais c’était impos-
sible, il fallait qu’elle garde de la distance avec son ancienne vie, elle

30
porte encore les stigmates de cette période et une infinie souffrance
enfouie en elle, il n’était pas question de revenir en arrière, surtout
pas maintenant.
Lyes a remarqué la tristesse qui envahissait Florence, le regard
furtif, elle était au bord des larmes, elle avait besoin d’être réconfor-
tée, Lyes fait signe discrètement à Latifa en l’invitant vivement à
s’occuper de son amie.
Florence avait bien besoin du soutien de son amie qui a toujours
su lui remonter le moral à chaque fois que ses vieux démons remon-
taient à la surface avec leurs étreintes étouffantes.
— Je serai toujours là, à tes côtés à chaque fois que tu en auras
besoin et tu peux compter sur ma famille, chez nous l’amitié et le
respect, c’est des sentiments très importants à nos yeux et dans
nos cœurs.
Une table garnie attendait Florence pour éponger son chagrin
et ses tourments.
Après avoir dégusté une salade de poivrons baignant dans de
l’huile d’olive et des aromates de la Provence, elle s’est attaquée à de
belles côtelettes d’agneau grillées et pour finir en apothéose Faîma
revient de la cuisine le sourire aux lèvres avec un tajine, garni de
viande d’agneau, de fèves, d’amandes grillées, de pruneaux et d’olives
vertes, un régal pour Florence qui découvrait la cuisine orientale.

— On en sait un peu plus sur l’individu qui te suit, indiqua Salah,
il s’appelle Zarko Malkovich, c’est un détective privé d’origine serbe,
il est installé à Nice depuis une dizaine d’années, mais ce qui m’in-
quiète le plus, c’est qu’avant d’être détective il était responsable
d’une unité de la garde rapprochée du ministre des Armées en You-
goslavie, c’est un tueur et la question qui reste sans réponse :
« Pourquoi il te suit partout ?
Qu’est-ce qu’il te veut ? »

31
Rony m’a dit qu’il était soupçonné par Interpol d’être le comman-
ditaire de l’assassinat du diamantaire juif, il y a de cela quelques mois
à Bruxelles, mais pas de preuves pour l’inculper, il m’a conseillé de
ne rien faire pour le moment, il est surveillé de très près par la
DGSE, mais il ne voit pas de rapport avec toi.
On va laisser couler pour l’instant et ne t’inquiète pas.
J’ai trois clampins qui le suivent jour et nuit et les vendeurs à la
sauvette de Noailles, s’il lui venait l’idée ne serait-ce que de bouger le
petit doigt dans ta direction, on l’enterre sans qu’il s’en rende compte.
Florence ne comprend plus rien.
Pourquoi elle ?
Pourquoi un homme de cette trempe la suit-il partout ?
Qu’est-ce qu’elle a pu faire pour devenir une cible d’un ancien
des services secrets yougoslaves ?
Florence a beau tout retourner dans sa tête, elle ne comprend
pas, à la fois rassurée d’être protégée par Salah et sa bande et en
même temps inquiète de savoir que cet homme qu’elle ne connaît ni
d’Adam ni d’Ève la suit partout et tous les jours.
« Qui a commandité cette filature ?
Certainement pas mes parents, ils n’ont pas les moyens et encore
moins mes grands-parents. »
Cette question restée sans réponse tournait en boucle dans sa tête.
Lyes fait sursauter Florence en s’adressant à elle d’un air paternel :
— Demain, tu es attendue à neuf heures tapantes à l’université de
droit d’Aix-en-Provence, Latifa te conduira.
Tu voulais faire du droit ! Ou je me trompe ?
On t’a inscrite à la fac de droit.
Florence, gênée par tant de considération et d’attention, regarde
tour à tour Lyes et Latifa sans savoir quoi dire.
— Tu n’as rien à dire, ma chérie, tu es obligée d’accepter, quand

32
mon père a décidé quelque chose, il n’en démord pas et là, il veut
faire de toi une prestigieuse avocate.
— Mais je n’aurai jamais les moyens de payer les frais d’inscrip-
tion et de scolarité.
— Cerise sur le gâteau, ma chérie, tu commences la semaine pro-
chaine à l’office du tourisme, j’ai vu avec le responsable et on a
besoin de quelqu’un pour l’administratif, rédiger les courriers, pré-
parer les fiches de paie, les tâches quotidiennes du responsable de
l’office qui est missionné sur un autre projet par la mairie de Mar-
seille, tu commences à huit heures trente du mardi au samedi et tu
finis à treize heures, comme ça tu pourras prendre le bus à la gare
routière à côté de la gare St-Charles, pour rejoindre l’université
d’Aix-en-Provence, je t’accompagnerai le premier jour.
Je suis trop contente, je kiffe trop, tu es la sœur que je n’ai jamais eue.
Florence, de plus en plus submergée par ses sentiments, laissa
quelques larmes couler sur ses joues.
Lyes, qui est un homme assez rustre, s’est avancé vers Florence
et l’a enveloppée dans ses gros bras de bûcheron. Latifa était aux
anges et heureuse pour son amie, sa sœur de cœur.
Florence n’était pas sereine et en même temps excitée de com-
mencer sa nouvelle vie avec l’appréhension de ne pas y arriver, de
décevoir tous ceux qui croient en elle et cette boule au ventre qui ne
la quitte plus depuis qu’elle a su qu’elle était suivie, épiée tous les
jours sans savoir pourquoi et pour qui.
Salah était au fond de la salle, loin des yeux indiscrets, en train
de siroter un Ricard quand Rony, inspecteur à l’évêché depuis une
quinzaine d’années, l’a rejoint.
Après une brève accolade, il s’assoit à côté de Salah pour avoir
une vue dégagée et lui dit :
— Tu ne changeras pas toi !
Tu prends toujours la meilleure place, c’est moi le flic ! Non ?

33
Ce n’est pas toi ? Jusqu’à preuve du contraire.
Salah sourit.
— Pourquoi tu voulais me voir ?
Tu as du nouveau ?
— Oui ! Hormis le fait que c’est un ancien des services secrets
yougoslaves, mes potos de Nice m’ont appris qu’il était à la botte du
fils d’un grand homme d’affaires connu dans le monde entier et
ancien général à la retraite ou amiral, je ne sais plus. Son fils habite
la moitié de l’année dans une maison de trois cents mètres carrés à
Monaco avec une vue imprenable sur la baie et le reste du temps à
Paris dans son hôtel particulier rue Foch ou sinon quelques allers-
retours en Ukraine dans son bunker gardé par une vingtaine de gars
lourdement armés. Sa femme Olga, une Russe naturalisée améri-
caine, a arrêté le mannequinat depuis cinq ou six ans environ pour
se consacrer entièrement à ses enfants, elle est plus jeune que lui,
une vraie bimbo, une fille à faire pâlir le plus fidèle des hommes, ils
ont deux enfants en bas âge, par contre pour savoir pourquoi ces
gens de la haute sphère surveillent ta gadji et quel est le rapport
entre eux, je donne ma langue au chat.
Il te reste une option, mais tu risques gros !
Coincer Zarko et le faire parler. Le problème, c’est que tu risques
d’avoir la DGSE sur le dos et le pire dans l’histoire c’est que si son
patron venait à savoir qu’il a été découvert, toute l’histoire tombera
à l’eau et tout peut se refermer comme une huître.
Si je devais te donner un conseil, ça serait de ne rien faire, tant
qu’il ne s’approche pas d’elle.
— OK !
D’abord, ce n’est pas ma gadji, c’est une amie de la famille, est-ce
bien clair pour toi ?
— T’engatse pas, Salah ! Je disais ça comme ça.
— Bon ! Ensuite, je n’avais pas l’intention de m’en prendre direc-

34
tement à cette bordille, mais s’il s’approche de la petite, je l’encastre
et on ne retrouvera jamais sa trace.
En tout cas, merci pour l’info, je vais attendre de voir plus clair.
 
Monaco, dans une ruelle à peine visible, portant un panneau
« Défense d’entrer », une étroite voie privée se terminait sur un
grand portail en fer forgé, laissant entrevoir une sublime maison en
pierre ; le portail était surplombé de deux caméras et d’un visio-
phone, une grande allée d’une centaine de mètres éclairée par des
lampadaires, la pelouse n’avait rien à envier au Camp Nou, le sanc-
tuaire du F.C. Barcelone.
En pénétrant dans cette somptueuse demeure, on avait accès sur
la droite à une piscine intérieure chauffée de plus de huit mètres de
long et à un salon sur la gauche de cinquante mètres, équipé des
dernières innovations high-tech.
Zarko traversa le long couloir qui le séparait de la porte vitrée
donnant sur le jardin avec ses arbres fruitiers.
John était allongé sur un transat en bambous tressés, sirotant son
whisky de grande cuvée en dévorant des yeux ses deux bambins qui
couraient autour de la piscine extérieure longue de plus de dix
mètres sur quatre de large, interrompu dans sa méditation par l’ar-
rivée de son bras armé.
Ibrahimovic, fils d’un ancien responsable des services secrets
yougoslaves converti dans l’immobilier, a préféré s’appeler John
depuis qu’il est dans l’achat et la revente de diamants rares achetés
à travers le monde entier.
— Bonjour John !
— Bonjour Zarko, qu’est-ce qui t’amène ?
Ça avait l’air d’être urgent au téléphone.
— Je suis grillé, Monsieur, quand la petite était encore sur la Côte
d’Azur, je n’avais aucun mal à la surveiller, mais à Marseille c’est

35
différent, tout le monde se connaît, ils s’appellent tous par leur pré-
nom, ils se font tous la bise. Alors, un gars comme moi se fait vite
repérer, surtout dans le quartier où elle est maintenant, aucun
étranger ne passe inaperçu.
— Qu’est-ce que tu veux que ça me foute !
Tu es assez grand pour éloigner les curieux, non ?
Je te paie assez cher pour ça, non ?
— Da ! John.
— Si l’idée lui venait de revenir chez elle sur la Côte, tu sais ce
que tu as à faire !
Sinon, contente-toi de la surveiller et de l’éloigner le plus pos-
sible de ma famille.
Qui la surveille aujourd’hui ?
— J’ai laissé Diego en planque.
— Débarrasse-toi de ce mec rapidement, il n’est pas sûr, il n’est
pas comme nous.
— Il n’est au courant de rien, il ne sait même pas pourquoi il sur-
veille la petite et il ne sait pas non plus que vous existez.
Il se contente de faire le guet et de surveiller la petite sans poser
de questions.
— Bon ! OK ! Ne me déçois pas, cette fois-ci.
N’oublie pas le carnage que tu as fait à Bruxelles, par manque de
discrétion et excès de zèle, il a fallu aligner un gros paquet de dol-
lars et faire intervenir des personnalités très puissantes pour nous
sortir de ce guêpier.
— Ne vous inquiétez pas, Monsieur, cette histoire m’a servi de
leçon et si je dois l’éliminer, je vous promets qu’on ne retrouvera
jamais sa trace.
— Bon, tu peux y aller maintenant, j’aimerais profiter encore un
peu de mes enfants, demain je pars pour Singapour, je serai absent

36
une quinzaine de jours, donc si tu dois agir dans l’urgence, tu sais
ce que tu as à faire.
Do svidania.
Sur ce, Zarko tourne les talons, désappointé et ronchon de s’être
fait remonter les bretelles par son patron.
Dans sa grosse berline allemande, Zarko voyage en rêvant à son
pays, son village dévasté par la révolution, ses amis, sa famille, sa
maman et sa sœur, qu’il n’a pas revus depuis plus d’une dizaine
d’années. Il avale les kilomètres sans s’en rendre compte, en écou-
tant de la musique douce. Ce sont des moments rien qu’à lui, des
instants magiques, faire le vide dans sa tête et éliminer le moindre
doute pour arriver à ses fins.
Il aimerait bien s’offrir un moment de détente, un moment de
plaisir, il a repéré une belle brune d’une vingtaine d’années au
piano-bar « La Citadelle » à Marseille, mais Diego est-il sûr ?
Est-il capable de suivre la petite partout sans faire de vagues, le
temps que Zarko prenne un peu de plaisir ? Certes, il est bien payé
pour cet extra, mais est-ce qu’il peut compter sur lui ?
Zarko vient de passer La Ciotat à cent quatre-vingts kilomètres-
heure, la bifurcation approche à grande allure direction Aix ou
Aubagne, l’envie de passer un moment agréable avec cette jolie
brune de vingt ans était plus forte que sa mission et Florence n’al-
lait pas disparaître du jour au lendemain, maintenant qu’elle suivait
des cours de droit à l’université d’Aix, elle est partie pour rester au
moins quelques années dans la région.
Sans trop forcer, Zarko suit la direction d’Aubagne pour rejoindre
Marseille et se lèche déjà les babines en pensant à sa jolie brunette.
Dans une ruelle à l’angle de la rue Pythéas, une porte vitrée
dérobée et calfeutrée par des rideaux mauves en soie laissait entre-
voir de la lumière stroboscopique.

37
Zarko poussa la porte et avança lentement tel un lézard cher-
chant une proie.
Arrivé au bar tenu par un barman portant un gilet en latex sur
son torse nu, un pantalon de la même matière épousant toutes ses
formes, Zarko rêveur s’arrêta quelques secondes sur le derrière
musclé et avenant du barman. Il est bien au paradis de l’interdit,
une idée germa dans sa cervelle : si sa brunette n’était pas dispo-
nible, il passerait bien une bonne partie de la nuit avec le barman.
Zarko n’était pas trop regardant sur le sexe de ses conquêtes, il
était bisexuel et il s’en portait bien. Il était encore pensif et occupé à
explorer le derrière rebondi du barman si attirant quand, avec une
petite voix chaleureuse et provocatrice, Sabrina lui susurra à
l’oreille s’il voulait bien lui payer un verre.
Il n’en croyait pas ses yeux : c’est sa brunette qui vient vers lui,
réclamant un verre, il était bien au paradis des interdits. Sabrina
paraissait encore plus jeune sous les lumières tamisées du piano-
bar, ce qui excitait encore plus Zarko.
— Une vodka, s’il vous plaît, et servez mademoiselle.
Sabrina commande une coupe de champagne et s’éloigne gracieu-
sement vers un salon privé en invitant du regard son prétendant.
Après quatre ou cinq verres de vodka et autant de coupes de
champagne, Zarko sans ménagement demanda à Sabrina combien
elle prenait pour une nuit tout entière.
— Mille cinq cents euros pour la nuit.
Zarko était ravi que Sabrina accepte de passer la nuit avec lui
pour une somme aussi dérisoire, c’était une grosse somme pour
Sabrina qui travaillait pour son compte, c’était une des rares qui
n’avait pas de barbeau, elle était sous la protection de Salah, elle
n’avait qu’une obligation envers le piano-bar, c’était de faire grim-
per la facture des consommations, pour le reste, elle faisait ce
qu’elle voulait de son corps en dehors du bar.

38
Zarko attire délicatement Sabrina de la main droite en guidant
subtilement sa tête vers sa braguette et de la main gauche tire le zip
de son pantalon.
— Non ! Tu vas avoir des problèmes ?
— Détrompe-toi, ce n’est pas un bar à putes !
Zarko n’écoutait même plus Sabrina, il avait l’habitude de se
payer une pute et elle n’avait rien à dire, juste à écarter les jambes
et faire semblant d’aimer ça.
— Tais-toi et viens te mettre là-dessus, en lui montrant sa queue
bien droite et prête à l’emploi.
Il était déjà en train de lui retirer son pantalon en latex quand
Mamadou, un grand baraqué ancien taulard chargé de la sécurité et
d’éloigner les éventuels parasites pressés d’en découdre avec les
filles, se dressa devant Zarko avec ses cent trente kilos de muscles,
le regard noir et prêt à bondir.
— Monsieur, ce n’est pas un bordel ici, si la fille est d’accord,
vous pouvez l’emmener à l’hôtel ou chez vous, maintenant vous
allez vite ranger votre matériel et partir, vous n’avez plus rien à
faire ici et ne revenez plus. C’est un conseil.
Zarko regarde le colosse qui se tenait devant lui sans être
impressionné, il en a maté des plus costauds, il avait envie de rele-
ver le défi, mais il avait prévu de passer une nuit de rêve et de plai-
sir avec Sabrina, et les paroles de son patron revenaient en boucle
dans sa tête « pas de vagues, reste discret, ne me déçois pas ».
— Dites-moi à quel hôtel vous êtes descendu et je vous y rejoins
dans une demi-heure environ.
Déçu, Zarko voulait prendre Sabrina sous le bras et partir en
courant vers son hôtel qui était à deux pas du Vieux-Port.
— Je suis au « Mercure », troisième étage, chambre trois cent
onze, je laisserai la porte entrouverte, tu n’auras qu’à la pousser et
ne sois pas en retard, je n’aime pas attendre.

39
Zarko rejoignit la porte d’entrée, suivi de très près par Mamadou
qui ne le quittait pas des yeux. Il sentait le souffle fétide du masto-
donte dans son cou, il avait bien envie de se retourner et de lui mettre
un uppercut, mais ce n’était pas le moment, Sabrina ne devait pas
l’attendre, il devait être là, prêt à lui sauter dessus et à la posséder.
Sabrina sort quelques minutes plus tard du piano-bar.
— Fais attention à toi, Sabrina, il n’a pas l’air commode le zig et
je sais de quoi je parle, j’en ai croisé des fadas depuis que je travaille
ici, mais celui-là il fait partie d’une espèce rare.
— Ne t’inquiète pas, je gère.
Sabrina interpelle Samir, un gringalet d’une quinzaine d’années
adossé au mur un peu plus loin.
— Tu vas prévenir Salah que je vais rejoindre le croque-mort au
« Mercure ».
— Ne t’inquiète pas, Salah est au courant, Mounir le suit comme
son ombre, les ordres sont clairs, on ne doit pas le quitter des yeux.
Le lendemain matin vers neuf heures, Sabrina sortit du « Mer-
cure » en robe de soirée noire qui épousait son anatomie dans les
moindres détails, elle avait du mal à marcher, elle n’a pas dû chômer
durant la nuit précédente en compagnie de Zarko.
Salah l’attendait au coin de la rue. La voyant arriver, il avait du
mal à détourner le regard de cette belle plante qui avançait vers lui
tout sourire, il savait qu’elle en pinçait pour lui, mais il n’a jamais
osé faire le premier pas, il avait du respect pour cette gadji, c’est
une fille du quartier qu’il a connue très jeune. Elle s’est penchée sur
lui pour lui faire la bise, son corps encore humide sentait le savon
de Marseille à la noix de coco, ses seins pointus frôlaient le bras
droit de Salah, il sentait le désir monter en lui, il n’avait qu’une
envie : l’emmener loin de tout et prendre du plaisir avec elle.
— Désolée, je n’ai pas eu le temps de me rhabiller, j’ai enfilé ma

40
robe en quatrième vitesse et j’ai rangé mes dessous dans le sac, je
n’avais qu’une envie : foutre le camp, loin de cet obscène énergumène.
— Alors ! Est-ce qu’il a dit quelque chose ?
— Non, pas grand-chose !
— Raconte !
— Il a juste dit qu’il était sur une affaire à Marseille.
— Bon ! S’il revient te chercher, tu refuses, je ne veux plus qu’il
te touche.
Allez ! Rentre chez toi prendre une douche et te reposer.
Salah lui a pris la main pour la rassurer et lui rappeler qu’il était
toujours là pour elle et qu’elle pouvait toujours compter sur lui. En
se penchant pour lui faire la bise, il a effleuré ses lèvres malencon-
treusement, leurs regards se sont croisés, il était gêné, mais le désir
était à son paroxysme, il n’avait qu’une envie : la prendre dans ses
bras, la serrer très fort et lui demander pardon pour ce qu’elle
venait de subir dans sa chair. Mais Sabrina était une fille intelligente
qui a souffert et qui souffre encore des méandres de la rue, elle avait
compris ce que Salah voulait lui dire, mais il n’arrivait pas à sortir
les mots de sa bouche qui formeraient une phrase compréhensible
et intelligible pour le commun des mortels.
— Bon ! À plus tard.
Salah la regardait partir en s’imaginant dans ses bras fragiles et
frêles en train de lui faire l’amour. Sabrina, pas dupe de l’envie
qu’elle procurait à Salah, sentit qu’il la regardait partir, elle se
déhancha langoureusement en faisant dandiner son derrière plus
que d’habitude, elle n’était pas très grande, un mètre soixante-dix
environ, mais son corps était ciselé par un ange, tout était uni-
forme, de belles jambes musclées, des hanches dessinées, de petits
seins en forme de poires et un visage d’ange, une métisse d’une
maman guadeloupéenne et d’un papa syrien, c’était une beauté à
l’état pur.

41
Zarko monte dans sa berline et prend la direction d’Aix-en-
Provence pour libérer Diego qui était censé être en poste à sur-
veiller Florence.
Les hommes de main de Salah s’étaient occupés de Diego le jour
même. Il était reparti chez lui dans le Limousin avec la promesse de
ne plus jamais remettre les pieds à Marseille.
Salah ne pouvait pas laisser un étranger venir faire la loi chez lui
à Marseille sans réagir.

Zarko s’est toujours posé la question : « Pourquoi John, un gars


de cette envergure, en voulait-il autant à cette gamine à première
vue innocente et au point de vouloir la faire disparaître ? » Perdu
dans ses pensées, il n’a pas remarqué que Florence venait dans sa
direction.
— Bonjour !
— Hey !
— Je peux savoir pourquoi vous me suivez depuis quelques
semaines, voire quelques mois.
Zarko, sans se démonter, la regarde avec un regard indifférent et
beaucoup de détermination.
— Je ne vous suis pas !
— Ben si, vous me suivez depuis que j’ai quitté la Côte d’Azur.
— Bon ! Excusez-moi Mademoiselle, j’ai à faire.
Zarko a tourné les talons et est parti de l’autre côté de la rue, il
s’est engouffré dans un bar, s’est adossé au comptoir tout en réflé-
chissant : s’il raconte sa mésaventure à John, il est capable de le
congédier et il sera obligé de repartir chez lui, John est son seul
employeur et sa fonction de détective privé n’est qu’une couverture,
ça n’a jamais été son métier.
Au bout de la troisième bière, Zarko avait déjà pris une décision.
— Je ne vais rien dire à John, je continue de la suivre et si l’idée

42
venait à la petite de repartir sur la Côte d’Azur, j’agirais en consé-
quence comme prévu, sans aucun état d’âme.
Les jours qui ont suivi, Florence avait remarqué un relâchement
de Zarko, il ne la suivait plus comme avant, il l’attendait gentiment
planqué derrière un arbre, un réverbère ou un abri de fortune à la
gare routière de St-Charles quand elle revenait d’Aix-en-Provence.
La situation la faisait sourire, mais elle aurait aimé savoir pour-
quoi cet homme la suivait depuis quelques mois.
La première année d’études à l’université d’Aix s’est terminée
avec un master en droit sans anicroche pour Florence et qui plus est
avec une très bonne moyenne ; maintenant, Florence peut s’inscrire
à l’institut d’études judiciaires pour poursuivre son cursus, son
amie Latifa voulait absolument fêter son succès dont elle n’avait
jamais douté. Elle avait tout préparé pour fêter cette fin d’année
riche d’émotions, fière de son amie, toute la famille était là, Lyes, sa
femme Faîma, son petit frère, même Salah était convié à la fête avec
sa nouvelle compagne Sabrina, toujours resplendissante et souriante,
aux petits soins avec Salah qui parfois était gêné par autant d’égards.
Florence était triste de fêter un tel événement sans sa famille,
parents, grands-parents, amies, qu’elle n’a pas revus depuis son
départ précipité de la Côte d’Azur, elle ne voulait plus rien avoir à
faire avec ses parents du moins pour l’instant, elle n’était pas fière
de ce qu’elle avait fait et pas prête à s’expliquer, pas encore.
Elle voulait encore du temps, finir ses études, devenir avocate et
après repartir sur la Côte d’Azur revoir sa famille. Depuis qu’elle a
quitté ses parents et la Côte d’Azur, ses parents savaient à tout
moment où elle était, elle le leur a toujours dit par le biais d’une
carte postale qu’elle envoyait à ses grands-parents. Elle n’a jamais
oublié ce qu’ils ont fait pour elle.
Latifa avait remarqué que Florence était perdue dans ses pensées.
— Qu’est-ce qui t’arrive, Florence ?

43
C’est ton jour, tu n’as pas le droit d’être triste, on est tous là pour
fêter la fin de l’année, maintenant, vive les vacances.
On va en profiter toutes les deux, je te le promets.
Florence n’en a pas douté une seconde, mais elle aurait aimé par-
tager ce moment avec ses parents.
— Tu sais, je suis partie de chez moi sans rien dire à personne,
mes parents ne savent même pas que je fais des études, ils ne savent
pas où j’habite ni ce que je vis, ils ne savent rien de moi et mes
grands-parents, j’en parle même pas et pourtant, ce sont eux qui
m’ont soutenue quand j’étais dans la panade, je les adore.
— Eh ! Qu’est-ce que tu dirais si on les appelait tout à l’heure
pour leur donner de tes nouvelles, voire aller à Nice leur rendre une
petite visite ?
Je serais heureuse de les connaître et surtout de les féliciter pour
la merveille qu’ils ont faite et qui se tient en face de moi.
— Je ne sais pas si je suis prête à les affronter.
— Bon, écoute, je me débrouille avec ça, laisse-moi faire, toi pro-
fite du soleil et de la mer, le reste, je m’en occupe et ne t’inquiète
pas, je ne prendrai aucune initiative sans ton accord.
Alors ! Voilà le programme, pour aujourd’hui, nous allons dégus-
ter les bons plats que maman a mijotés pour nous, après je t’em-
mène manger une glace chez Marco, le meilleur glacier de Marseille,
et nous terminerons cette belle journée aux « Mille et une nuits »,
une boîte tenue par un de mes cousins, mais avant, nous sommes
attendues chez Bertrand, il a demandé à te voir, il n’a pas voulu me
dire pourquoi.
— Bonjour, Bertrand.
— Bonjour mes jolies, qu’est-ce que je vous sers à boire ?
— Deux diabolos menthe, s’il te plaît.
— Allez-vous asseoir à la table là-bas à l’abri des regards, j’arrive.
Bertrand les a rejointes avec les boissons.

44
— Je voulais te prévenir que ton amie braqueuse te cherche par-
tout, elle sait que tu crèches dans le quartier, ce qu’elle ne sait pas,
c’est que tout se sait à Marseille, surtout au quartier Belsunce.
J’en ai pas parlé à Salah, je le connais, il est expéditif, il risque de
la mettre en pièces ou sur le trottoir, et le pire c’est qu’elle va aimer
ça vu sa dégaine.
Et je ne sais pas pourquoi elle te cherche.
Elle m’a dit que c’était personnel, avec une pointe d’arrogance.
— Je ne pense pas qu’elle me veuille du mal, on a toujours été
bonnes copines, c’est une pauvre fille perdue. Jade, c’est du passé, je
ne veux plus rien avoir à faire avec elle, elle est sortie de ma vie et
je ne souhaite pas qu’elle y revienne.
— Bon ! Si elle revient, j’en fais mon affaire.
— Tu sais Latifa, quand je suis partie de chez moi, j’étais avec un
copain qui voulait lui aussi fuguer. On a fait une partie de la route
ensemble et puis deux jours après, il m’a annoncé sans aucune
explication qu’il renonçait à cette aventure et qu’il avait décidé de
faire demi-tour, il m’a plantée là sur le bord de la route.
J’ai commencé à faire du stop et c’est comme ça que j’ai connu Jade
et son copain Tony, ils m’ont prise en stop, mais au lieu d’aller en direc-
tion du nord, ils m’ont ramenée à Marseille et la suite tu la connais.
— Mais qu’est-ce que tu as fait de si diabolique pour fuir de chez
toi et ne plus donner de nouvelles à tes proches ?
— L’histoire est trop longue et compliquée à raconter, enfin du
moins pour l’instant, je ne suis pas prête à en parler pour le
moment, je veux juste oublier.
Latifa respecte la décision de Florence et, sans dire un mot, prend
son amie par la main affectueusement.
— Allez maintenant, je t’invite à manger une glace et on finira la
soirée en boîte.
 

45
Latifa avait préparé un copieux petit-déjeuner pour Florence qui
fut réveillée par le bruit de l’aspirateur, elle essaya péniblement
avec beaucoup de mal d’ouvrir ses beaux yeux clairs, mais l’odeur
des pains au chocolat chauds et l’arôme du café eurent raison d’elle.
Latifa se tenait debout avec le plateau dans les mains.
— Alors ma chérie, réveillée ?
On peut déjeuner parce que moi, j’ai une fin de loup, après la
soirée qu’on a passée.
J’ai une surprise pour toi.
Mon père nous prête sa voiture pour la journée, ma deux cent
cinq est trop vieille pour faire la route, je te propose de passer la
journée à La Ciotat, si tu veux bien.
— Pourquoi pas ! J’adorerais.
— Bon, ben, tu finis ton déjeuner et let’s go ma poulette.
On prend de la crème solaire, les maillots, les serviettes et pour
faire plaisir à mon père sa glacière qui date de la guerre de quatorze,
il insiste lourdement et je ne veux pas le vexer.
— Pas de problème, je me prépare, je prends une douche et on
s’en va.
Latifa actionne l’ouverture des portes de la trois cent neuf
Peugeot garée juste devant la porte de l’immeuble.
— Alors ! Je préfère te prévenir, dit-elle avec un sourire en coin.
On ne doit pas rouler vite. On respecte le Code de la route et surtout
pas de sable dans l’habitacle parce que mon père ne sera pas content.
Florence avait remarqué que la voiture était très bien entretenue,
très propre à l’extérieur comme à l’intérieur, pas une poussière, une
odeur de jasmin diffusée par un désodorisant en forme de sapin
accroché au rétroviseur intérieur.
— Allez ! On est parties pour une journée bain de soleil.
Latifa a toujours conduit prudemment, surtout quand c’est la
voiture de son père, elle ne dépassait pas les cinquante kilomètres-

46
heure sous le tunnel du Prado, elle se faisait klaxonner par toutes
les voitures qui la suivaient, mais ce n’étaient pas ces broutilles qui
allaient altérer leur bonne humeur et gâcher leur journée de détente
entre filles.
Les filles étaient plus rassurées en voyant la fin du tunnel.
La route a été agréable sous un beau soleil avec une petite brise
de Mistral, Florence et Latifa n’avaient qu’une hâte : arriver à La
Ciotat et profiter de la plage.
— Tu te languis d’arriver ?
Ne t’inquiète pas, maintenant qu’on est sur l’autoroute, on en a
pour moins d’une heure. Un panneau de deux mètres sur trois indi-
quait la direction Aubagne/Toulon/Nice.
En voyant le panneau, Florence était nostalgique, en manque de
sa région, de sa famille et de ses amis.
Latifa de son côté chantait à tue-tête toutes les chansons raï et
prenait un malin plaisir à mettre l’accent sur tous les mots en arabe.
Florence avait trouvé là une amie, une vraie.
— Regarde Flo ! La prochaine sortie est à mille mètres, c’est La
Ciotat et à nous le sable chaud.
Le sourire aux lèvres, Florence regardait le paysage défiler
devant elle en se préparant psychologiquement à profiter au maxi-
mum de cette journée et à ne pas laisser ses émotions mélanco-
liques prendre le dessus.
Latifa avait l’index gauche sur le clignotant, prête à l’actionner et
à prendre la voie de droite quand la voiture est devenue incontrô-
lable, Latifa, telle une experte, tient le volant du bout des doigts et
essaye de contrôler la voiture qui zigzague dans tous les sens. Au
bout de quatre cents mètres environ, la voiture s’immobilise sur la
bande d’arrêt d’urgence, dégageant une fumée très dense grise.
Latifa avait une petite pensée pour son père.
— Allez ! Ce n’est pas grave, c’est juste le pneu qui a éclaté, le

47
péage n’est pas loin. On y va, ils vont sûrement nous aider à appeler
un dépanneur.
Wallah, c’est mon père qui ne sera pas content quand il va le savoir.
Bon ! On y va.
Effectivement, Lyes était furax quand il l’a su, mais pas contre sa
fille, contre le garage qui lui avait changé les quatre pneus la
semaine précédente, il ne comprenait pas comment un pneu qui
venait d’être changé pouvait éclater sans raison et mettre en danger
la vie de sa fille et de Florence.
C’est le remorqueur qui lui apporta la réponse en lui tendant un
bout de métal logé dans le pneu, que Lyes retourna plusieurs fois
dans ses mains sans comprendre.
— C’est une balle, Monsieur, on a tiré dans la roue avec une
arme, probablement un fusil.
Bon ! Je ne suis pas un spécialiste des armes, mais là, je suis sûr
que c’est une balle et je suis contraint de prévenir la gendarmerie.
Je pense que quelqu’un en veut aux petites, il a failli les tuer.
Lyes est resté pensif pendant quelques secondes qui semblaient
interminables. Le garagiste avait déjà le combiné dans la main, prêt
à composer le numéro de la gendarmerie quand Lyes réagit.
— Tu dois connaître ou tu as certainement entendu parler de
Salah de Belsunce ?
Le garagiste pâlit en entendant le nom de Salah.
— Oui, j’en ai entendu parler. Je ne veux pas avoir de problèmes,
tout le monde le connaît à Aubagne.
— Alors un conseil, oublie les gendarmes, nous allons régler ce
problème. Nous n’avons pas besoin qu’ils viennent fourrer leur nez
dans nos affaires.
Lyes a invité Florence et sa fille Latifa une fois le pneu changé à
profiter de leur journée à la plage, leur a dit de ne pas s’inquiéter
pour la voiture et qu’il reviendrait en fin de journée les chercher.

48
Lyes ne savait pas s’il devait remercier Dieu d’avoir épargné sa
fille et Florence ou maudire le jour où il a accepté d’héberger
Florence, mais au fond de lui, il savait qu’il était un homme de
parole et qu’il devait prendre soin d’elle et cela dès qu’elle a franchi
sa porte, mais il était persuadé que rien n’arrivait par hasard.
Lyes a balayé d’un revers de main l’idée de chasser Florence de chez
lui. Il devait la protéger comme il le ferait pour sa propre fille et tout
faire pour l’aider à réussir. Il était persuadé que c’était un cadeau du ciel.
Apaisé par cette idée, Lyes était détendu et serein pour la suite,
maintenant, il fallait agir et vite, joindre Salah rapidement pour le
mettre au courant de l’attentat manqué et prendre des décisions.
Salah en écoutant Lyes se pinçait la lèvre inférieure de colère,
déterminé à s’occuper de Zarko au plus vite et surtout d’en savoir
un peu plus sur les motivations de ce dernier.
— Qui est le commanditaire de cette opération ?
Et pourquoi ?
Qu’est-ce qu’elle a pu faire pour avoir un tueur à ses trousses ?
Toutes ces questions restées sans réponses taraudaient l’esprit de
Salah.
Zarko avait des ordres très précis : la stopper ou l’éliminer si
l’envie lui venait de revenir sur la Côte d’Azur et les dommages col-
latéraux, ce n’était pas sa préoccupation première.
Zarko avait rempli sa mission pour l’instant, satisfait de lui, il a
prévu d’arroser sa soirée et une partie de la nuit avec Sabrina.
Mamadou a reconnu Zarko dès qu’il a franchi le seuil de la porte
du piano-bar, il l’a suivi du regard jusqu’au comptoir, d’un œil averti.
— Je vous ai dit de ne jamais revenir.
Mamadou était prêt à lui sauter à la gorge.
— Calmez-vous mon brave, je suis venu juste boire un verre et
repartir sans faire d’histoires.
Le barman prend le relais :

49
— Vous cherchez peut-être quelqu’un ?
— Oui ! Je cherche la petite qui était là, la dernière fois.
— Ah ! Sabrina, je parie !
Tout le monde la cherche. C’est une bombe, cette fille.
Zarko salivait rien que d’y penser.
— Elle ne travaille plus ici, elle est en couple maintenant et je
vous déconseille vivement de la chercher si vous ne voulez pas
avoir de problèmes avec son mec.
— Bon ! Tant pis.
Et toi, tu fais quoi ce soir ?
Le barman n’en revenait pas, il était en train de lui faire du
rentre-dedans.
— Moi ?
Vous en êtes sûr ?
— Oui, je ne vois que toi derrière le comptoir et j’aime bien ton
petit cul.
Alors ?
— Je finis à deux heures du matin, je vous rejoins où ?
Zarko n’était pas très regardant sur le sexe de ses conquêtes.
— Je suis à l’hôtel « Mercure », chambre trois cent onze, je t’at-
tends vers deux heures trente et ne me fais pas attendre, je n’aime
pas attendre, au fait, tu t’appelles comment ?
— Léonardo, les intimes m’appellent Léo.
— OK, tu n’auras qu’à donner ton nom à l’accueil de l’hôtel, je
vais les prévenir de ton arrivée, à tout à l’heure.
Léo n’avait pas besoin de l’autorisation du gardien de nuit au
« Mercure », il avait l’habitude d’être invité par des clients, il
connaissait chaque recoin de l’hôtel et tout le personnel.
 
Zarko avait pris une douche et attendait Léo nu comme un ver,
un verre de vodka à la main.

50
Léo n’était pas surpris de voir Zarko nu, il s’avança délicatement
vers lui en se dandinant. Arrivé à sa hauteur, le sourire aux lèvres, il
prend avec délicatesse et dextérité le sexe de Zarko, raide comme
un manche en bois dans ses mains, sans le quitter des yeux, il se
met à le caresser adroitement.
Zarko, la respiration haletante, de la main gauche invite Léo à
prendre son sexe dans sa bouche pour le soulager, Léo ne s’est pas
fait prier et en moins d’une seconde, il avait englouti le membre
rouge écarlate et raide dans sa bouche. Au bout de quelques
minutes intenses, Léo sentit le liquide chaud se déverser au fond de
sa gorge, il ferma les yeux pour apprécier ce moment de délectation.
Zarko retira son sexe de la bouche de Léo délicatement tout en le
relevant de la main droite pendant que la main gauche était affairée
à défaire les boutons du petit short moulant en skaï de Léo sans le
quitter des yeux, le sexe ballant entre les jambes.
Léo était aux anges, heureux qu’on s’occupe de lui, c’était sa soi-
rée, il devait en profiter, se faire pénétrer encore et encore, jouir à sa
façon, avant de faire signe par la fenêtre du troisième étage à Momo et
son équipe sous les ordres de Salah qui attendaient pour intervenir.
Léo se retourna, se mit à plat ventre sur la moquette épaisse et se
cambra comme une chatte qui veut se faire saillir, les ongles ancrés
dans la moquette Zarko prit son temps, il se plaça au-dessus de lui,
appuya l’extrémité de son sexe sur la corolle brune et se laissa tom-
ber d’un seul coup de toutes ses forces, son membre s’enfonça dans
les reins de Léo qui poussa un cri de douleur, tout son corps trem-
blait comme s’il avait reçu une décharge électrique, Zarko se retirait
déjà avec délicatesse et lenteur pour se laisser retomber avec la
même force et la même violence, Léo se cambrait et se soulevait de
plus en plus pour faciliter la pénétration.
Ivre de plaisir, Zarko ne se lassait pas de perforer cette croupe

51
enivrante. Il se laissa tomber de plus en plus lourdement, arrachant
à chaque fois un cri de douleur à son partenaire.
Léo hurla lorsque Zarko se vida en lui, arrachant de sa croupe un
sexe toujours raide.
 
Zarko était quasiment inconscient quand Momo s’est introduit
dans la chambre avec son équipe, il n’a eu ni le temps ni la force de
réagir, quand il a repris ses esprits, il était déjà menotté et enfermé
dans le coffre de la voiture conduite par Enzo, un ancien braqueur
en tous genres reconverti en exécuteur de sentence pour tous les
gros bonnets de Marseille. Il suffisait de mettre le prix, un homme
sans scrupule ni pitié, qui tuerait son propre père pour de la recon-
naissance.
Il mesurait à peine un mètre soixante environ, mais c’était le
spécialiste de la torture à Marseille, Enzo était le fils unique d’un
grand chirurgien de renommée internationale, mais sa vie ne lui
convenait pas, il a toujours vécu sous les jupons de sa maman et
sous l’emprise d’un père exigeant et dominateur.
Quand Enzo a raté son bac à l’âge de dix-huit ans et pour éviter
d’affronter son père, il est parti de la Gironde pour conquérir
Marseille, en commençant par de petits larcins et braquages de plu-
sieurs bureaux de tabac dans les quartiers sud de Marseille.
Salah l’a adopté pour le spécialiser dans la torture pour son goût
prononcé pour l’anatomie du corps humain et le sang. Il connaissait
chaque parcelle du corps, tous les organes et leurs emplacements
exacts étaient répertoriés dans son cerveau, chaque muscle était
référencé, il était capable de torturer et de faire souffrir une per-
sonne pendant des heures sans la tuer.
Enzo, pour faire plaisir à son père qui voulait absolument faire
de lui un grand médecin, apprenait malgré lui l’anatomie du corps

52
humain et devait à chaque repas répondre aux questions du chirur-
gien tyrannique sur les organes et sur leurs fonctions.
Il avait une spécificité, c’était le spécialiste, on ne retrouvait
aucune trace des corps qu’il avait mutilés et ceux qui ont survécu
devaient impérativement disparaître, quitter la région avec l’interdic-
tion de revenir à Marseille, c’était un privilège qu’il fallait mériter.
Enzo devait intervenir à chaque fois que Salah ou les gros bon-
nets de Marseille avaient besoin de soutirer une information d’une
personne qui avait quelque chose à cacher, et après cela faire dispa-
raître son corps à tout jamais.
Enzo n’avait que vingt-six ans et il paraissait avoir une quinzaine
d’années, il avait déjà une dizaine de meurtres à son actif.
Cela faisait déjà trois jours que Zarko était enfermé dans ce
container au milieu d’une trentaine d’autres bien rangés au port de
la Joliette à Marseille, menotté et enchaîné à la paroi, nu comme un
ver, à la merci de la chaleur qui avoisinait parfois les cinquante
degrés au beau milieu de la journée et qui ne perdait que quelques
degrés la nuit venue.
Enchaîné, dans le noir, le silence l’abrutissait, il était aux aguets
du moindre bruit, la soif et la faim le tenaillaient, il ressassait en
boucle sa soirée avec Léo pour essayer de comprendre, mais après
une soirée bien arrosée et une bonne partie de jambes en l’air, plus
rien, aucun souvenir, toutes les cases étaient vides, son cerveau était
incapable de remettre de l’ordre dans ses souvenirs.
Comment est-il arrivé là ?
Depuis quand est-il enfermé ?
Zarko avait une petite idée, mais à aucun moment il n’a pensé
que les petits malfrats de Marseille, généralement des adolescents,
étaient capables de s’en prendre à lui, Zarko le grand, celui qui a
défié les plus durs, tué de ses propres mains les plus récalcitrants,
organisé des coups d’État, il était connu par les plus grands de ce

53
monde pour être très dangereux et il se fait embarquer comme un
bleu par des frappes.
Zarko avait beaucoup de mal à garder les yeux ouverts. Les
portes du container s’ouvrent, accompagnées d’un bruit de ferraille ;
ébloui par les puissants projecteurs qui crachaient une lumière
blanchâtre et aveuglante, pour la première fois de sa vie, Zarko sen-
tait la mort s’approcher de lui sans pouvoir la contrer, incapable de
se battre pour survivre, à la merci du premier venu.
Salah avait donné des ordres à des guetteurs de la cité Nord de
Marseille qui avaient besoin de gagner un peu d’argent et de passer un
cap du simple guetteur au dealer pour le compte de Salah avec tous ces
privilèges et le choix des quartiers à contrôler sur la ville de Marseille.
 
— La voiture est garée au deuxième sous-sol, dans le parking de
la Bourse, vous fouillez la voiture, vous récupérez tout ce que vous
pouvez et vous crevez les quatre pneus, dit Salah.
Les gars avaient fait bonne pioche cette nuit-là, un peu plus de
quarante mille euros en petites coupures, une mallette dissimulée
sous le siège arrière contenant des documents sans valeur et trois
passeports diplomatiques de différentes nationalités au nom de
Zarko, une Kalachnikov avec des munitions et un fusil à lunette de
haute précision, certainement celui qui a servi à crever le pneu
avant de la Peugeot.
Salah a récupéré les armes et les documents et laissé les liquidi-
tés aux jeunes de la cité qui ont fait le boulot, c’était sa façon de les
récompenser et d’asseoir sa notoriété et sa réputation de chef et de
grand frère.

— Bonjour !
— Bonjour, Monsieur que puis-je faire pour vous ?
— Vous êtes Florence Caliente ?

54
— Oui.
Florence était intriguée, cela faisait longtemps que personne ne
l’avait appelée par son nom de famille, c’était Florence ou Flo pour
les intimes.
— Je souhaiterais m’entretenir avec vous quelques minutes, je m’ap-
pelle Alain ! Alain Martinot et je travaille pour le gouvernement français.
Est-ce que vous avez déjà vu cet homme ? dit-il en sortant une
photo de sa poche intérieure.
Florence n’a pas eu de peine à reconnaître Zarko sur la photo
que l’inspecteur de la DGSE tenait dans ses mains.
— Oui. C’est un monsieur que j’ai déjà vu, je lui ai même parlé
une fois pour lui demander pourquoi il me suivait partout.
— Et il vous a répondu quoi ?
— Rien, il a prétendu ne pas me suivre.
— Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?
— Je pense qu’il me suivait.
— Et vous savez où il est ?
— Non ! Désolée, c’est lui qui me suivait, ce n’est pas l’inverse, je
pensais qu’il avait lâché l’affaire.
— Il est porté disparu par son employeur, on a retrouvé sa voi-
ture saccagée et vidée et plus aucune trace de lui, sa chambre a été
nettoyée et ses affaires personnelles ont disparu, comme s’il était
parti précipitamment, personne ne sait où il est.
Alors, j’espérais que vous aviez quelques éléments de réponse.
— Désolée, je ne peux pas vous aider.
Alain Martinot avait encore Léo à voir, c’était la dernière per-
sonne à avoir vu Zarko vivant.
Rony, dit la fouine, était très inquiet et a demandé à voir de toute
urgence Salah. Cela faisait bien une heure qu’il attendait au bar
chez Bertrand, quand Salah est arrivé tout sourire.
— Qu’est-ce qui t’arrive mon ami ?

55
— Dis-moi que tu n’y es pour rien dans la disparition du Serbe ?
On a deux gars de la DGSE dans nos bureaux qui enquêtent sur
cette disparition inquiétante, ils remuent ciel et terre pour le retrou-
ver, ils ont vu tout le personnel de l’hôtel et comme par hasard, per-
sonne n’a rien vu et personne ne sait rien, même la gamine a été
questionnée et hier c’était le tour de Léo, il a été malmené et mis au
trou pendant quelques heures et ils n’ont rien pu en tirer.
— Et c’est pour cela que tu m’as fait venir ?
Pour me dire que le mec a disparu ?
Tu attends quoi de moi ?
— Je sais que tu y es pour quelque chose, sinon les gars de l’hôtel
auraient craché le morceau.
Léo ! Je savais d’avance qu’il ne parlerait pas, mais les employés
de l’hôtel, j’avais un petit doute sur leur discrétion, sauf si derrière
tout ça il y avait une personne qui donnait le ton et tirait les ficelles
et franchement à part toi, capable de rendre muet n’importe quel
beau parleur, je ne vois personne d’autre faire cela.
— Bon ! Écoute Rony, merci de me voir plus beau que je ne le
suis, mais je n’y suis pour rien dans cette histoire et ce n’est pas moi
qui vais me plaindre de sa disparition.
Rony était persuadé que c’était un coup de Salah, mais bon.
Salah savait que Zarko avait disparu pour toujours et personne
ne retrouverait la trace même infime de son corps, il a été broyé en
petits morceaux et donné aux éleveurs de chiens de combat autour
de Marseille.
Alain Martinot était très déçu de faire chou blanc, il aurait aimé
savoir pourquoi et comment Zarko a pu disparaître sans laisser de
traces, sa chambre à l’hôtel a été inspectée sous tous les angles,
dans tous ses recoins, aucun indice. Alain avait du mal à croire que
personne à l’hôtel n’a rien vu ni rien entendu cette nuit-là, c’était
l’omerta, c’est comme si Zarko n’avait jamais séjourné dans cet hôtel.

56
La seule personne qui aurait pu l’aider à comprendre, c’est
Florence, mais elle a prétendu ne pas savoir, soit elle est très intelli-
gente et elle ne dit que ce qu’elle veut dire, soit elle n’est au courant
de rien et c’est mieux ainsi.
Avec cette disparition subite et inexpliquée, Alain avait du pain
sur la planche. Même John, son employeur, a quitté précipitamment
Monaco pour Vienne, en Autriche, dans sa maison de sept cents
mètres carrés au beau milieu de la capitale.
Enzo avait fait du beau travail comme à son habitude, aucune
trace du corps et il s’en est donné à cœur joie, mais Zarko ne lui a
donné aucune nouvelle information.
Il ne savait pas pourquoi John faisait surveiller Florence, les
ordres étaient formels : « Si elle s’approche de Nice, tu l’élimines. »
Salah était quelque peu déçu de ne pas en savoir plus, il aurait
voulu rendre visite à John, mais trop tard, il avait déjà quitté
Monaco pour l’Autriche dès qu’il a su que Zarko avait disparu.
Florence intéressait maintenant la DGSE qui enquêtait sur elle
pour savoir pourquoi John la faisait suivre par un ancien des ser-
vices secrets des pays de l’Est, un homme très expérimenté sans
scrupules pour son prochain, sans foi ni loi.
— Je te mets au parfum si quelque chose filtre de l’enquête. Salah
savait qu’il pouvait compter sur la fidélité de Rony, tout d’abord
parce que c’est son ami et ensuite parce qu’il est grassement payé
pour les services rendus.
Florence était sereine, souriante, paisible, elle profitait pleine-
ment de son temps libre sans aucune contrainte, sans être suivie ni
épiée, libre d’aller et venir où bon lui semble, mais la question était
restée énigmatique, sans aucune réponse.
Pourquoi ? Quelqu’un faisait tout pour l’empêcher coûte que
coûte de repartir chez elle, de revoir ses amis et sa famille au point
de vouloir la supprimer, c’est devenu une obsession, elle y pensait

57
tous les jours, pourtant, elle a promis à Latifa de ne plus y penser et
de se consacrer corps et âme à ses études.
Florence avait emménagé dans un coquet appartement non loin
de la Canebière, c’est Bertrand qui lui a trouvé ce petit nid d’amour.
Elle l’a décoré à sa façon avec l’aide de Latifa, elle aurait aimé
que son amie vienne vivre avec elle, mais Lyes n’était pas d’accord
et après plusieurs jours de négociations intenses et de promesses, il
a fini par abdiquer et accepter que Latifa aille vivre avec Florence,
mais avec la promesse des deux jeunes filles de passer tous les jours
à la maison voir les parents.
 
— Demain, vous partez avec mon jet pour la France, vous débar-
quez vers quatorze heures à l’aéroport de Marseille Provence à
Marignane. Une voiture de location est réservée à votre nom chez
Hertz, n’oubliez pas de changer de véhicule toutes les semaines, ils
sont au courant, votre cible vous la connaissez, je veux un rapport
une fois par semaine, plutôt le vendredi en fin de journée, les ordres
sont clairs : vous l’empêchez coûte que coûte de remonter chez elle
et surtout à Duranus chez ses grands-parents. Je ne veux pas qu’elle
s’approche de Duranus ni de Nice.
Faites attention, je n’ai plus de nouvelles de Zarko depuis bientôt
trois semaines, il se savait repéré par des malfrats locaux qui pro-
tègent la petite, il a complètement disparu, aucune trace de lui. J’ai mis
Martinot sur le coup, pour l’instant rien de nouveau, donc prudence.
Vous avez affaire à des personnes qui se considèrent de la même
famille, la vie à Marseille est particulière et très dangereuse pour les
étrangers qui essaient de s’immiscer dans leur histoire, alors soyez
très discrète, c’est un conseil.
— Vous pensez que ce sont eux qui détiennent Zarko ?
— Je pense plutôt que Zarko a été liquidé et jeté à la mer et la
marée ramènera son corps un jour ou l’autre avec un peu de chance.

58
Je n’aimerais pas que cela vous arrive, tout d’abord parce que
vous êtes mon meilleur agent et ensuite vous êtes si jolie.
Katarina, ancien agent du KGB, un mètre soixante-dix-huit environ,
une bouche pulpeuse avec un sourire sensuel et un regard brûlant.
Leurs regards se croisèrent et John crut lire dans le sien
« prends-moi, je suis toute à toi ». Sans se poser de questions, John
fit un pas en avant, Katarina toujours le sourire aux lèvres s’adossa
à la commode derrière elle en guise d’approbation. John écrasa ses
lèvres sur les lèvres humides et pulpeuses de Katarina. Lorsqu’il
effleura sa poitrine, elle appuya son bassin contre le sien, il s’attarda
à caresser sa hanche puis son ventre, lorsque ses doigts se posèrent
sur le gonflement de son sexe, Katarina eut un sursaut, John se mit
à la caresser langoureusement tandis que sa langue faisait la toupie
dans sa bouche.
Il avait relevé sa jupe et atteint sans difficulté son bas-ventre
humide et onctueux, John était tellement excité qu’il ne s’est même
pas aperçu que Katarina avait ouvert son zip et tenait son sexe dans
sa main en le guidant telle une experte vers son mont de Vénus et
de l’autre main, elle baissa son string d’un geste sûr jusqu’aux
genoux, elle se retourna délicatement pour offrir sa croupe à John. Il
sentit le plaisir monter en lui, d’une main délicate John remonta la
jupe de Katarina pour découvrir sa croupe nue, sans hésiter, il
appuya son sexe contre l’entrée de ses reins, il poussa de tout son
poids et sentit son sexe s’enfoncer et disparaître entièrement, avalé
par sa croupe généreuse. Elle eut un gémissement de plaisir, John la
saisit par les hanches, se retira lentement et presque entièrement
pour revenir en force en elle, elle donnait des petits coups de reins
pour venir se figer encore et encore dans ce sexe qui la transperçait,
John se figea en elle, ses jambes tremblaient et dans un dernier
gémissement et une respiration haletante, il se vida en elle.

59
Katarina se retourna en tenant le sexe de John encore raide dans
la main.
— J’ai adoré, mais la prochaine fois, j’aimerais que tu me prennes
comme une femme.
— Il n’y aura pas de prochaine fois, prépare-toi à partir pour la
France.
 
Martinot attendait Katarina à la sortie des voyageurs à l’aéroport
de Marignane, tenant à la main un panneau où on pouvait lire
« Katarina ».
— Je suis Veronika, fais disparaître cette pancarte ridicule.
Martinot s’exécute et s’interroge sur cette jolie femme blonde qui
vient tout juste d’arriver en donnant des ordres et sûre d’elle.
— Écoutez ma jolie, je ne sais pas ce qu’on vous a dit, mais ici,
c’est moi qui donne les ordres.
Avec un fort accent slave, Katarina, maintenant Veronika, nom d’em-
prunt, fustige Martinot du regard et lui répond avec froideur et assu-
rance.
— Pour vous, je suis Veronika et ne m’appelez plus « ma jolie »,
je n’ai pas besoin de vous, j’ai tout ce dont j’ai besoin, si vous avez
quelques informations à me donner, vous n’aurez qu’à les déposer à
l’accueil de l’hôtel, je suis descendue au « Novotel » sur la corniche.
Martinot, pour détendre l’atmosphère, sourit malgré lui et pro-
pose de déposer Veronika à l’hôtel.
— Non, merci, je suis véhiculée.
Martinot est quelque peu déçu de ne pas prendre cette belle créa-
ture avec lui.
— On se retrouve ce soir à « La bonne viande » vers vingt heures
pour vous faire un topo de la situation et des circonstances très
troublantes de la disparition de votre ami Zarko.
Il a disparu sans laisser de traces, aucun indice et pourtant j’ai

60
mis le paquet et interrogé plusieurs personnes, mais ça n’a rien
donné, enfin.
Le restaurant se trouve à la Castellane, vous n’aurez qu’à suivre votre
GPS, à moins que vous vouliez que je vienne vous chercher à l’hôtel.
— Non ! Je vais faire confiance à la technologie, il ne faut pas
qu’on nous voie ensemble et concernant mon ami Zarko, j’ai bien
l’intention de savoir ce qui s’est passé, on ne disparaît pas sans lais-
ser de traces, c’est impossible.
— Bon ! À ce soir.
Un petit restaurant discret à la Castellane spécialisé dans de la
viande d’origine française. Martinot avait pris soin de réserver une
table au fond de la salle, loin des regards indiscrets. Une bouteille de
Dom Pérignon sur la table, rasé au plus près, il sentait l’après-
rasage à un kilomètre et était prêt à faire son rapport à Veronika et
à l’emballer en même temps.
Veronika arrive au rendez-vous avec un peu plus de vingt
minutes de retard, portant un jeans slim qui épousait ses formes et
mettait en valeur ses courbes et ses longues jambes avec un tee-
shirt moulant, laissant entrevoir une poitrine abondante.
Le sourire aux lèvres en avançant délicatement vers Martinot.
— Vous êtes bien payés en France !
— Détrompez-vous ! On est très mal payés, comme tous les
fonctionnaires.
C’est ma façon à moi de vous souhaiter la bienvenue et aussi
pour me faire pardonner le manque de tact de cet après-midi et puis
on va devoir travailler ensemble, on va se voir souvent tous les deux,
alors il vaut mieux être copains.
Veronika le fixe sans sourciller avec ses grands yeux bleu clair.
Martinot, tant bien que mal, essaye de détendre l’atmosphère en
demandant au serveur de servir une coupe du Dom Pérignon à la dame.

61
Veronika se détend en posant ses fines lèvres sur le rebord de la
flûte en cristal, remplie de l’élixir, tendue par le serveur.
— Je t’écoute, qu’est-ce que tu sais que je ne sais pas ?
— Toute l’affaire tourne autour d’une jeune fille qui s’appelle
Florence, elle vient de Nice, avant de s’établir à Marseille, elle était
chez ses grands-parents à Duranus, un village pas loin de Nice, je
n’en sais pas plus concernant la petite, mais rassurez-vous, deux
gars à moi enquêtent sur elle.
— Je pense que vous faites fausse route, Monsieur Martinot,
répondit-elle, l’air détendue et sûre d’elle, John ne vous a jamais
demandé d’enquêter sur la petite, je pense que vous vous trompez
de cible, c’est Zarko qu’il faut retrouver.
Qu’est-ce que vous avez concernant la disparition de Zarko ?
— La dernière fois qu’il a été vu vivant, c’est à l’hôtel « Mercure »,
où il prenait du bon temps avec un jeune barman sans histoire,
Léonardo, que j’ai rencontré, il n’est au courant de rien, quand il l’a
quitté vers trois heures du matin, il était bel et bien vivant.
— Et le personnel de l’hôtel ?
— Rien de ce côté-là non plus, mais bon, il ne faut pas oublier
que vous êtes à Marseille et ici, c’est l’omerta, personne ne parle à
personne et surtout pas aux flics.
— Et ce Léonardo, où je peux le rencontrer ?
— Je t’emmène ce soir si tu veux au bar à putes où il travaille,
mais je te rassure, tu n’en sauras pas plus que moi.
Martinot s’efface pour laisser passer Veronika qui, sans attendre,
s’est dirigée vers le bar.
— Bonsoir ! C’est vous Léonardo ?
— Bonsoir ! Qu’est-ce que je vous sers ?
— Une vodka et un bourbon pour moi, s’il vous plaît.
Sans attendre, Veronika fouille dans son sac, en sort une photo
assez vieille de Zarko et la tend à Léonardo.

62
— Vous reconnaissez cet homme ?
— Oui, j’ai passé une soirée mémorable avec lui et il a été très
généreux avec moi.
— Il vous a dit quelque chose ?
Il a reçu un coup de fil quand vous étiez avec lui ?
— Non, rien de tout ça.
Je vais vous répéter ce que j’ai dit à monsieur – en regardant
Martinot –, quand je l’ai laissé, il était en pleine forme et rassasié.
— Rien d’inhabituel ?
— Non, je n’ai rien remarqué.
— Et la fille ?
— Quelle fille ?
— Celle qui l’a rejoint à l’hôtel quelques semaines avant.
— Elle ne travaille plus ici, depuis un bon moment.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle a trouvé l’amour et elle est partie vivre avec son mec.
— Et vous savez où on peut la trouver ?
— Non, désolé.
Veronika voyait bien que Léo ne disait pas toute la vérité, sous
son air de sainte-nitouche, efféminé, il pesait ses mots, prenait le
temps de réfléchir avant de répondre aux questions, Martinot avait
raison, la tâche paraissait compliquée.
 
La grosse berline allemande de John s’immobilisa devant un
pavillon de plain-pied, rue de la Mairie à Duranus. Encadré par ses
deux gardes du corps, il se dirigea vers le portail en fer forgé et
appuya énergiquement sur la sonnette.
René, le grand-père de Florence, semblait connaître John pour lui
avoir ouvert sa porte et l’inviter à entrer.
— Ça fait un bail !

63
— Oui ! Comme vous dites, ça fait exactement cinq ans. Votre dame
va bien ?
— Oui, merci, dites-moi ! Qu’est-ce qui vous amène ?
L’armoire à glace qui se tenait derrière John s’approcha de la table
de la salle à manger et y posa délicatement une valise diplomatique.
René, intrigué, ne quitte pas la valise des yeux.
— C’est pour vous.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ouvrez et vous verrez.
René ouvre l’attaché-case et découvre abasourdi plusieurs dizaines
de liasses bien rangées de billets de banque.
— Je ne peux pas accepter !
— Si René, sinon vous m’offenseriez.
En contrepartie, je vais vous demander d’aller rendre visite à
votre petite-fille qui a élu domicile à Marseille, de l’aider financière-
ment à finir ses études et à vivre décemment, de la sortir du quartier
malsain où elle vit et des fréquentations nuisibles à son avenir, de
reprendre la main et de gérer sa vie, d’honorer votre engagement.
— Non, je ne peux pas !
Je n’aurai pas le courage de la regarder en face. Je suis désolé.
— Il faudra bien la raisonner avant qu’il ne lui arrive malheur et
j’en serais le premier désolé.
Réfléchissez bien, René, votre petite-fille a besoin de vous encore
une fois.
— Je suis un monstre, j’ai trahi sa confiance, j’ai beaucoup de mal
à m’y faire et à me regarder dans une glace, je n’ose même plus
regarder ma femme dans les yeux et je ne parle même pas de ma
fille qui a toujours cru en moi.
— Vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’y êtes pour rien,
vous avez fait ce qui vous semblait juste.
Réfléchissez bien, René, vous savez de quoi je suis capable.

64
Sur ce, John tourne les talons, fait signe à ses sbires de le suivre.
— Adieu, René, et le bonjour à votre dame.
— Alors les filles, ce soir, on vous attend à la maison, Faîma a
préparé un tajine avec de la bonne viande.
— Oui Papa, comme tous les soirs.
Maintenant, il faudrait que tu t’en ailles, on bosse là.
— Florence, on a une surprise pour toi.
— Encore !
— Oui encore, mais celle-là, elle est énorme et je pense qu’elle va
te faire plaisir.
Quand Florence et Latifa sont arrivées, tout le monde était là,
même Salah et Sabrina ainsi que la tante de Latifa qu’elle n’avait pas
revue depuis quelques années. Toute cette mise en scène intriguait
Florence, ils étaient tous debout devant la porte-fenêtre qui donnait
sur le balcon, essayant de dissimuler quelque chose derrière eux.
Lyes prend la parole tel un patriarche, avec beaucoup d’émotion.
— Florence, j’ai une surprise pour toi.
Monsieur et Madame Caliente.
Florence reste bouche bée. Ses parents étaient là, devant elle,
chez les Abderrahmane.
Comment il a fait pour retrouver ses parents ?
Florence se tourne vers Latifa :
— Je ne sais pas quoi dire.
Je ne sais pas si je dois être contente ou en colère.
— Ne te prends pas la tête Flo, ils ne restent pas, ils sont là pour
la soirée.
Tout le monde était gêné par cette situation, Florence n’était pas
enthousiaste de revoir ses parents et surtout de leur donner l’occa-
sion de s’immiscer dans sa vie.
Voyant qu’il venait de faire une bourde en pensant intimement
faire plaisir à Florence, Lyes intervint.

65
— Je suis désolé Florence, quand ils m’ont contacté et m’ont
demandé s’ils pouvaient venir te voir, je n’ai pas osé leur dire non.
Allez, assez bavardé, venez tous à table.
Installez-vous, faites comme chez vous.
C’est à la bonne franquette, un petit tajine fait maison, vous
m’en direz des nouvelles.
La soirée fut très tendue, Florence aurait préféré être loin, très
loin de cette mise en scène improvisée.
Elle soupçonne ses parents d’avoir forcé la main à Lyes, ce n’est
pas le genre à décider sans en avoir préalablement discuté avec elle.
 
— Florence ! il faut qu’on te parle, tu peux venir dans la chambre
s’il te plaît ?
Franck, son père, de taille moyenne, chauve et jovial, se tenait
debout dans l’encadrement de la porte et Marjorie, sa maman, pas
plus d’un mètre soixante, petite brune fort jolie, s’apprêtait à le
rejoindre tout sourire.
Florence avait l’impression d’être dans un autre monde, « ce
n’est pas possible, je cauchemarde, je vais me réveiller ».
— Vous avez encore une révélation à me faire ?
Allez-y, je suis vaccinée, mais après cela, je ne veux plus vous
revoir, plus jamais.
Franck tend un sac à Florence.
— Tiens ! C’est de la part de tes grands-parents.
Le sac contenait des milliers d’euros en grosses coupures.
— C’est à toi, pour t’aider à financer tes études. Ce sont les
paroles de ton grand-père.
C’est certainement les économies de toute une vie. Enfin, le plus
important, c’est qu’ils ont pensé à toi.
— Je ne peux pas accepter, je suis désolée.

66
— De toute façon, j’ai promis à ton grand-père que je ne revien-
drais pas avec cet argent.
S’il te plaît ! Accepte-le, ça t’aidera à financer tes études et à
vivre décemment.
Son père avait raison et puis ils lui doivent bien ça.
Florence, toujours en colère contre ses parents, tourna les talons
sans un regard.
La soirée fut très longue pour tout le monde, il flottait autour de
ces retrouvailles un air de colère, d’animosité et d’incompréhension.
Florence était soulagée que la soirée prenne fin et d’enfin se
consacrer à sa nouvelle vie avec sa nouvelle famille d’adoption.
 
— Et si on partait en vacances ?
— Où tu veux qu’on aille, Flo ?
— Pourquoi pas aux États-Unis ?
— Aux États-Unis ?
— Mais Flo ! On n’a pas les moyens, ça coûte cher ce genre de
voyage et il faut l’organiser.
— Ne t’inquiète pas pour l’argent et il suffit de mandater une agence
pour tout organiser, quand on a de l’argent tout devient plus facile.
— Mais il vient d’où cet argent ?
— De mes grands-parents.
— Ils sont riches ?
— Non, ils sont à la retraite depuis quelques années, ils habitent
dans un petit pavillon qu’ils ont construit il y a une quarantaine
d’années, des retraités modestes, je ne sais comment ils ont fait
pour avoir autant d’argent.
Latifa est restée scotchée devant les liasses de billets que
Florence étalait devant elle.
— J’ai refusé catégoriquement cet argent et, après réflexion, je
l’ai accepté en me persuadant qu’ils me devaient bien ça.

67
— Qu’est-ce qu’ils t’ont fait de si grave ?
— Je ne peux pas en parler pour le moment, je ne suis pas prête,
mais un jour, tu sauras toute la vérité, tu es une sœur pour moi.
— Bon ! Si tu veux que je t’aide à un moment donné, il faudra
que je sache ce qu’ils t’ont fait de mal.
— Bon ! ceci dit, tu es partante pour les États-Unis ?
— Bien sûr que je suis partante, reste à convaincre mon père et
ça ne sera pas facile.
 
— J’ai retrouvé la trace de la pute qui était à l’hôtel avec Zarko,
dit Veronika.
— Ah bon ? lui répondit Martinot.
Vous avez fait vite pour retrouver sa trace, qui vous a donné le
tuyau ?
— J’ai sympathisé avec des dealers à qui j’ai donné un gros
paquet d’oseille et les langues se sont déliées.
— Je n’y crois pas du tout, vous êtes à Marseille, on a pris votre
argent et on vous a donné l’information que vous vouliez entendre.
Je vous conseille de faire très attention, vous marchez sur des
œufs, évitez de faire trop de vagues, vous risquez de disparaître
vous aussi.
— Bon ! Assez ! Vous m’agacez à la fin, on a affaire à des petits
malfrats.
— Vous faites erreur, Veronika, ils ont tissé une toile autour de
Marseille et ils n’ont rien à perdre, mais tout à gagner, la notoriété
et le respect des quartiers.
— Bon !
Elle s’appelle Sabrina et elle vit avec un certain Salah.
Martinot a changé d’attitude en entendant le nom de Salah.
— Vous ne devriez pas vous aventurer plus loin avec cette
Sabrina, parce que son compagnon, Salah, il a toute la crème de

68
Marseille à ses ordres et comme je vous l’ai déjà dit, ils vous ont
donné l’information que vous vouliez entendre.
Alors un conseil, laissez tomber, vous allez droit dans la gueule
du loup.
— J’ai fait l’Irak avec Zarko et il m’a sauvé la vie maintes fois,
alors s’il y a une personne sur cette putain de Terre redevable
envers lui, c’est bien moi.
Je veux savoir ce qui lui est arrivé et faire ce qu’il faut pour qu’il
trouve la paix et en plus, on n’a aucune preuve qu’il est mort, il peut
être retenu quelque part, je dois au moins essayer de le retrouver.
— Zarko a été éliminé et ça, j’en suis persuadé, il s’est attaqué à
la mauvaise personne.
Salah a la protection des plus haut placés et de tout Marseille.
Tu vas te retrouver six pieds sous terre, si tu continues dans ta
lancée, mais de grâce ne prononce jamais mon nom quand tu seras
entre leurs mains.
— J’ai rendez-vous demain soir au « Balladin », rue de Rome
avec Sabrina.
J’espère qu’elle aura des informations concernant la disparition
de Zarko et pour te rassurer, c’est moi qui ai choisi le lieu de
rendez-vous, le patron c’est un Croate et il m’est redevable.
— Mais je suis rassuré, je crois que vous n’avez pas entendu ou
pas écouté ce que j’ai dit, Salah a tout Marseille à sa botte, alors
votre Croate, il doit bouffer dans la gamelle comme tous les autres.
Enfin, je vous aurai prévenue.
— Je ne suis pas toute seule sur ce coup-là, j’ai une garde rappro-
chée qui est arrivée aujourd’hui à Marseille et ils sont tellement dis-
crets que même vous, le chevronné de la DGSE, vous êtes passé à côté.
— Vous me faites rire, vous voulez parler des deux armoires à
glace qui nous suivent depuis le début de l’après-midi et qui, par
discrétion, sont restées dehors sur le parvis ?

69
Je peux même vous donner leurs mensurations et je ne vous
parle même pas de l’hôtel où ils sont descendus.
Alors un conseil Veronika, faites attention à vous.
 
Nikola était grand, très maigre et son visage cuivré semblait sor-
tir tout droit du pic de Dinara. En France depuis seulement une
dizaine d’années, il parlait français avec un fort accent slave, il a
accueilli Veronika avec un grand sourire, heureux de la revoir
depuis tant d’années.
— Je t’ai installée là-bas au fond, je sais que tu aimes la discrétion
et chez moi la discrétion est une règle d’or, tu ne seras pas dérangée,
ton rendez-vous n’est pas encore arrivé, je pense qu’il ne va pas tarder.
Salah en complet blanc nacre, des chaussures de ville Gucci, une
chemise en lin blanche laissant entrevoir une grosse chaîne en or
assortie d’un pendentif aussi gros qu’une pièce de cinq anciens
francs représentant la main de Fatma, était accompagné de Sabrina
en robe de soirée épousant toutes ses formes, le flamboiement des
lumières projetées par des appliques exagérait le relief de ses seins
en forme de poire qui tressautaient à chacun de ses pas.
Nikola n’en croyait pas ses yeux, envahi par la peur et la panique
qui irradiaient son esprit, il essaya vainement de dissimuler l’effroi
qui lui liquéfiait le cerveau.
Nikola ne comprenait pas ce qui se passait, pourquoi Salah
venait lui rendre visite, ce n’est pas le jour de la récolte.
— Bonsoir Nikola.
Détends-toi, je ne suis pas là pour toi.
On est invités par une certaine Veronika.
Le regard appuyé et intimidant de Salah n’a pas échappé à Nikola.
— Elle est installée à la table du fond, elle vous attend.
— Merci, Nikola, il faudra qu’à l’avenir tu choisisses mieux tes
amies.

70
Veronika s’est levée en voyant le couple arriver vers elle.
— Bonsoir, je suppose que vous êtes Salah !
— Vous supposez bien, et voici ma compagne, Sabrina.
J’ai entendu dire que vous vouliez lui parler, c’est pour ça qu’on est là.
Ça ne vous dérange pas au moins que je sois là ?
— Du tout, effectivement, je voulais la rencontrer pour lui poser
quelques questions sur Zarko.
— Et vous êtes qui, pour poser des questions ?
Vous faites partie de la police ?
Veronika venait de s’apercevoir que ça n’allait pas être facile.
Quelque peu déstabilisée, elle reprend la parole.
— Non ! Du tout, Zarko était mon compagnon et ami depuis plu-
sieurs années et depuis sa mystérieuse disparition, j’essaie de recou-
per ses moindres faits et gestes depuis cette fameuse nuit à l’hôtel.
Ironiquement, Salah se tourne vers Sabrina :
— Chérie ! tu connais un certain Zarko ?
— Non, ça ne me dit rien.
— Ce n’est pas l’info que j’ai, surenchérit Veronika.
— Tant pis, rétorqua sèchement Salah.
Vous savez pourquoi je suis là ce soir ?
Veronika sentait qu’elle était dépassée par la situation et Salah
n’était pas là pour l’écouter ni pour lui donner des informations.
— Pourquoi vous êtes là ?
— Moi, je veux savoir pourquoi vous êtes à Marseille à vous
pavaner et à poser des questions à tout-va.
Sachez qu’ici vous êtes chez moi, je sais exactement qui vous
voyez et à qui vous parlez et si vous continuez à fouiner, vous ris-
quez d’avoir de gros problèmes, ma jolie.
Veronika n’était pas impressionnée, elle avait l’habitude de ren-
contrer des durs, mais ce qui l’inquiétait c’est que depuis qu’elle est

71
arrivée à Marseille, elle avait l’impression d’être épiée, tout le
monde la regardait, la suivait, tous ses faits et gestes étaient scrutés.
— Sur ce, je vous souhaite une bonne soirée et un bon séjour à
Marseille, désolé de ne pas pouvoir rester plus longtemps, on va
devoir décliner votre invitation, on est attendus ailleurs.
Nikola, tu lui sers ce qu’elle veut.
Tu mets ça sur mon compte.
Salah faisait de l’ironie, il n’a jamais eu d’ardoise chez Nikola ni
ailleurs.
Nikola, blafard, s’approche de Veronika.
— Si j’avais su que tu avais rendez-vous avec Salah, je n’aurais
jamais accepté.
Tu sais Veronika, on n’est pas en Irak ni en Afghanistan, ici tu es
à Marseille, tes adversaires, tu ne les connais pas et tous les
Marseillais connaissent Salah, même les keufs ne l’approchent plus,
il a un arrangement avec tout le monde.
Il a interdit les attaques à main armée sur les bureaux de tabac et
les bijouteries, c’est donnant-donnant ici.
— Il est si dangereux que ça ce mec ?
— Oh que oui ! À Marseille, il est le maître incontesté.
En dehors de Marseille, je pense que tu pourras le dégommer,
mais en attendant, ici, il est chez lui, il fait la pluie et le beau temps
et on ne touche pas à ses affaires et surtout pas à sa famille et là, tu
t’es attaquée à sa femme.
— Mais il n’y a pas si longtemps, elle était encore sur le trottoir ! Non ?
— Oui, mais c’est sa femme maintenant. Si je peux me permettre
de te donner un conseil, lâche le morceau, tu es grillée et si tu conti-
nues à fouiner, tu finiras comme notre ami Zarko.
Veronika n’était pas convaincue par les propos de son ami Nikola.
Elle n’allait pas s’arrêter en si bon chemin.
— Je dois bien ça à Zarko, je veux savoir ce qui lui est arrivé, je

72
t’avouerai que ce n’est pas le but de ma mission, mais j’en ai fait
une affaire personnelle.
— Bon, je t’aurai prévenue, mais moi, je ne dois rien à Zarko.
Je suis désolé, Veronika, mais tu n’es plus la bienvenue ici, je vis
avec eux et je sais de quoi ils sont capables, tu peux avoir de gros
ennuis en sortant de chez moi, juste là sur le trottoir, par un adoles-
cent juvénile et insignifiant.
Reste sur tes gardes et ne t’attends pas à être attaquée par un
tueur chevronné, juste des gamins en scooter et c’est fini pour toi.
— Merci pour tes conseils, adieu Nikola.
 
— Hey ! Monsieur John.
Votre père vous attend à l’étage, dans son bureau.
Le portail électrique en fer forgé s’est ouvert sans un bruit pour
laisser entrevoir une maison d’environ vingt mille mètres carrés,
une réplique aux détails près de la Maison-Blanche à Washington,
sur un domaine de plus de dix hectares dans un des quartiers les
plus huppés et sécurisés de Los Angeles.
La Lamborghini de John avance au pas dans cette grande allée recou-
verte de graviers fluorescents, des lampadaires tous les deux mètres.
John ne sait pas pourquoi son père l’a fait venir en urgence à Los
Angeles.
Il appréhendait cette invitation. Ancien général yougoslave promu
à une retraite forcée, Dimitri Karislova a quitté la Yougoslavie au
bon moment et s’est reconverti dans l’immobilier pour les plus
aisés, mais ce n’était pas la principale occupation de Dimitri, c’était
un des rares hommes qui servait d’intermédiaire entre les pays de
l’Ouest et le bloc communiste.
Dimitri était déjà dans le top vingt des personnes les plus fortunées
du monde. Il achetait et vendait des œuvres d’art, de l’or et bien évi-
demment des armes. C’était un homme athlétique, lourd et trapu, aux

73
pectoraux puissants et au ventre bardé de muscles, le nez légèrement
retroussé, le front assez large, les yeux enfoncés sous des sourcils épais
et très fournis, ses cheveux très courts noirs avec les tempes grises, ses
traits lui donnaient naturellement l’air méchant et sans aucune pitié.
Enfoncé dans son fauteuil en cuir de vache véritable avec un
verre de bourbon à la main, dans son bureau ovale donnant l’im-
pression d’être l’élu d’une grande nation, le regard perçant suivait
l’arrivée nonchalante de son fils John.
Dimitri ne s’est pas donné la peine de bouger de son fauteuil pour
saluer son fils qu’il n’avait pas vu pourtant depuis bientôt trois ans.
Sans un mot, les traits tirés et de sa main gauche, il lui a indiqué le bar.
John s’est servi un Jack Daniels, le ventre noué par l’angoisse qui
gagnait de l’ampleur, il s’installe malgré lui en face de son père en
évitant son regard et en attendant les remontrances. Après quelques
secondes de répit et après avoir bu une bonne rasade de bourbon,
Dimitri se racle la gorge avant de parler, préparant ses mots et sa voix
la plus grave et la plus solennelle. Le cœur de John bat la chamade et
palpite à plus de cent quarante pulsations à la minute. Il sentait la cha-
leur envahir son visage et ramollir ses muscles, il avait envie d’être loin
de cet homme qu’il n’a pas vraiment connu et qui l’a toujours impres-
sionné, mais ça serait un affront que son père ne lui pardonnerait
jamais, un homme qui a toujours tout dirigé d’une main de fer.
En regardant John dans les yeux en plissant le front et sans sourciller.
— Je veux que tu lui foutes la paix à cette petite, une fois pour
toutes, est-ce que c’est imprimé chez toi ?
John est déconcerté, il ne s’attendait pas à ça, « comment il sait
ce qui se passe en France à des milliers de kilomètres ? ».
— Mais ?
Dimitri a remarqué l’étonnement et la surprise dans l’attitude de
son fils.
— Tu oublies que Zarko travaillait pour moi au départ et c’est moi

74
qui te l’ai mis dans les pattes, non pas parce que j’avais peur pour toi,
mais c’était pour surveiller tes allées et venues et tes agissements.
J’avais un rapport écrit toutes les semaines de tes faits et gestes.
Frustré, John répliqua.
— J’avais confiance en lui.
— Et il ne t’a jamais trahi, d’ailleurs, c’est à cause de cela qu’il en
est mort et c’est ce qui va arriver à Veronika si tu ne la sors pas de
ce bourbier rapidement.
John rétorqua pour se défendre.
— Il a disparu, on n’a pas la preuve de sa mort.
Dimitri hausse le ton.
— Tu vis dans un monde imaginaire John, tu te figures que tout
est déjà écrit et qu’il te suffirait de lire l’histoire pour tout savoir,
tout connaître, tout comprendre et après tout orchestrer.
Zarko est mort et bien mort, je sais quand, comment et par qui il
a été tué et qui est le commanditaire.
Il a parlé après avoir été mutilé, on lui a d’abord crevé les yeux un
à un, arraché les dents une à une. Il a fini par parler, il leur a donné
mes coordonnées et les tiennes, ils savent tout de nous sauf l’essentiel
bien entendu, Zarko n’était pas au courant, fort heureusement.
Tu as tout intérêt et c’est un ordre, tu dois rappeler Veronika et
cesser toute surveillance et tentative d’intimidation, sinon les pro-
chaines victimes sont déjà désignées. C’est toi, ta femme et tes
enfants. Moi, ils n’oseront jamais venir me chercher ici.
— Ils ne me font pas peur, ce sont des délinquants de deuxième
zone.
— Justement, tu devrais en avoir peur. Ils n’ont ni foi ni loi, ils
n’ont peur de rien, même pas de la mort, ils peuvent être enfermés
pendant des années et ce n’est pas pour autant qu’ils perdent de leur
suprématie, ce sont des groupes qui se respectent et quand il y a un
intrus qui s’immisce dans leurs affaires, il est vite repéré et éliminé.

75
Un homme m’a appelé et il m’a envoyé les photos de l’exécution
de Zarko en me promettant que si tu restais sur ta position, il allait
s’en prendre à toute ta famille.
J’en ai maté des plus durs sur un terrain neutre ou un terrain que
je connaissais avec des règles et des armes qui ne m’étaient pas
inconnues, mais là en l’occurrence, c’est te jeter dans une fourmi-
lière dont tu auras du mal à sortir indemne ainsi que ta famille.
Tu sais que Florence et sa copine ont déposé une demande de
visa pour les États-Unis ?
John pâlit, il avait du mal à cacher son désarroi et sa surprise,
enfoncé dans son fauteuil, il aurait aimé disparaître et ne jamais
avoir eu cette conversation avec son père, il ne savait plus quoi dire,
pris au dépourvu avec cette annonce lourde de sens.
— Mais ! Si Florence découvrait la vérité ?
— Un jour ou l’autre, elle saura toute la vérité et ni toi ni moi ne
sommes en mesure de la priver de cela.
Alors ? Fils ! On fait quoi ?
On attend qu’elles atterrissent à l’aéroport et on les fait disparaître ?
Ou tout simplement on les laisse tranquilles ?
John ne savait plus quoi penser de cette nouvelle inattendue.
— Alors ? Tu crois que c’est un hasard ou elle a quelque chose
derrière la tête ?
— Je ne sais pas si elle vient obstinément chercher la vérité ou
juste passer des vacances.
— J’ai été prévenu par l’ambassadeur des États-Unis à Paris et je
lui ai conseillé de laisser faire.
— Il aurait peut-être fallu leur refuser le visa ?
— Et pour quelle raison ?
Tu ne crois pas qu’elle a le droit de vivre et de profiter de sa
jeunesse ?

76
J’ai des hommes qui vont les suivre à la trace, j’ai mis des
hommes à moi à l’hôtel où elle va séjourner avec sa copine.
Il savait que son père était organisé, mais de là à tout orchestrer
dans le moindre détail.
John était sidéré, conquis par cette organisation mise en place
par son père.
— J’ai prévu aussi une voiture avec un gars à moi pour tous leurs
déplacements.
Ça me permettra d’avoir un œil sur elle, je ne veux pas qu’il lui
arrive quelque chose.
 
— Bonjour Vladimir, j’ai fait des pieds et des mains pour avoir un
droit de visite, heureusement que Martinot connaît du monde et est
convaincu que tu pourrais nous aider dans notre enquête sur la dis-
parition de Zarko, dit Véronika.
Je veux résoudre cette énigme avant de m’occuper de la petite
garce, John a été clair à ce sujet.
Tu es là pour combien de temps encore ?
— Je peux être libéré, avec un peu de chance, dans quatre ans
environ pour bonne conduite.
— Et tu es tombé pour quoi ?
— Agression sur une pute qui a essayé de me vider les poches.
— Autant ? Pour avoir agressé une pute ?
— Oui. Mais bon ! Elle ne verra plus la lueur du jour, je l’ai défi-
gurée à jamais, sa propre mère ne la reconnaîtra pas.
Bon ! J’ai quelques informations pour toi, c’est un dénommé
Enzo qui a zigouillé Zarko et dilapidé son corps dans toute la
région, chez les éleveurs de chiens et de sangliers.
— Où est-ce qu’on peut le trouver ?
— Partout, à Marseille au quartier Noailles en particulier, il y est

77
tous les matins, pour boire son café ou sinon à chaque match de
l’Olympique de Marseille, c’est un féru de foot.
Mais je ne te conseille pas de l’approcher, c’est le protégé de
Salah, ça veut dire de tous les Marseillais.
— OK ! Merci pour l’info, si tu as besoin de quelque chose, fais-
le-moi savoir.
— Si tu as quelques billets, pour acheter des cigarettes et
quelques pétards.
Veronika, en souriant, lui a tendu une liasse de billets en petites
coupures.
— Tiens, c’est tout ce que j’ai sur moi.
Martinot attendait dehors dans la voiture, en écoutant les infos
du jour. Un peu plus loin, dans une grosse berline allemande, ses
deux armoires à glace s’impatientaient. C’étaient de gros durs et
faire du baby-sitting les ennuyait à mourir, ils avaient besoin d’ac-
tion, ils savaient que Veronika allait revenir avec des informations
déterminantes et c’était l’occasion de faire un peu d’exercice.
Le jour même, Vladimir fut transféré sur l’aile droite.
— Pourquoi vous me transférez sur l’aile droite ? Je suis bien ici,
ça fait plus de deux ans que je suis dans la même cellule, j’ai pris mes
marques, je me tiens tranquille, je n’ai jamais fait de mal à personne.
— Ordre du chef Vladimir, rassemble tes affaires, cellule trente-
six, tu te feras de nouveaux copains, il paraît que certains t’at-
tendent, c’est ce que j’ai cru comprendre.
Vladimir ne comprenait pas pourquoi on le transférait subitement.
Le gardien pouvait voir la panique s’emparer de Vladimir qui
tentait vainement de cacher sa peur en regardant ses pieds.
Vladimir savait qu’il n’avait aucune chance de survivre au milieu
des Nord-Africains et les gitans, ce sont eux qui faisaient la loi et
définissaient les règles dans la prison des Baumettes.
Dès son arrivée dans la cellule trente-six, d’une main experte,

78
Antonio lui lacéra profondément la cuisse gauche avec le couvercle
d’une boîte de conserve, en évitant tel un chirurgien de toucher
l’artère fémorale et de l’autre, il lui planta une tige en ferraille d’une
trentaine de centimètres dans le mollet droit, quant à Abdel, un
mètre quatre-vingts environ pour cent trente kilos, il le maintenait
sur sa paillasse.
Vladimir se tordait de douleur, mais ne pouvait pas crier, Abdel
l’empêchait de sa main d’émettre le moindre son. Les yeux exorbités
et en larmes, Vladimir sentait la fin toute proche, la mort rôdait
cette nuit-là dans sa cellule, elle était là pour lui.
Abdel retourna sans ménagement Vladimir, en le regardant droit
dans les yeux.
— Tu as peur ?
Vladimir tel un automate bougea la tête dans tous les sens, les
larmes coulaient à flots sur ses joues.
— J’ai une question à te poser, si tu réponds correctement, tu
auras la vie sauve.
Tu comprends ce que je dis ?
Sa respiration était horriblement sifflante et saccadée par la
panique qui a fini par envahir son esprit et ses muscles, son mollet
lui faisait horriblement mal, son visage creusé par les stigmates de
la mort était devenu hideux.
— Qu’est-ce qu’elle voulait savoir la blonde au petit cul qui est
venue te rendre visite cet après-midi ?
Entre deux sanglots Vladimir essaie de rassembler toutes ses forces.
— Le nom de celui qui a éliminé un gars de chez eux.
— Et ! Tu lui as dit quoi ?
— Je lui ai parlé d’Enzo, je… je… je suis désolé, je n’aurais pas dû.
— Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave et toi qui t’as parlé
d’Enzo, d’où tu le connais ?
— C’est Mario qui m’en a parlé, le gars du réfectoire.

79
— La pédale d’Italien ?
— Oui. Je suis désolé, pardon, pardon.
— Ne t’inquiète pas, pour avoir bien répondu et dit la vérité, je te
promets que tu ne sentiras rien.
Cinq heures du matin, les rayons du soleil commençaient à peine
à éclaircir le ciel de la Provence. Un bruit sourd s’échappait de la
cellule trente-six.
Antonio maintenait fermement les pieds de Vladimir qui se
débattait tel un épileptique en grande crise, quant à Abdel, il avait
soigneusement mis la tête de Vladimir dans un sac l’empêchant de
respirer. Le teint blafard, le visage crispé et les yeux révulsés, la
mort a pris Vladimir, c’en était fini pour lui, ils l’ont pendu à l’aide
de son drap aux barreaux et ils se sont recouchés avec la satisfac-
tion du travail accompli.
Au matin, Vladimir a été retrouvé pendu dans la cellule, l’en-
quête a conclu à un suicide.
Veronika était encore à l’hôtel en train de prendre son petit-
déjeuner quand Martinot a fait irruption dans la grande salle garnie
de viennoiseries, de fruits secs, de café, de thé ; un grand verre de
jus d’orange à la main avec quelques amandes grillées, il s’assoit en
face de Veronika, l’air grave et soucieux.
— Qu’est-ce qui vous arrive, Martinot ?
Vous avez mal dormi ?
Sans se soucier de sa réponse, Veronika continuait à manger son
yaourt aux fruits.
— J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle, par quoi voulez-vous
que je commence ?
— Par la bonne, s’il vous plaît.
J’ai eu mon lot de mauvaises nouvelles hier soir, John m’a donné
l’ordre de lâcher la petite et formellement interdit d’enquêter sur la
mort de Zarko, il me demande de rentrer illico presto.

80
Je pense qu’il s’est fait tirer les oreilles par son père.
— Ah bon ?
Alors à mon tour, la bonne nouvelle :
On a retrouvé la trace d’Enzo et je l’attends tout à l’heure à onze
heures à l’évêché.
— Je peux assister à l’entretien ?
— J’ai fait intervenir mes relations pour être dans un bureau au
sous-sol et que tu puisses assister à l’entretien sans que personne ne
nous dérange.
Et la mauvaise nouvelle maintenant.
Deux morts hier aux Baumettes, Vladimir que tu as rencontré
hier et un dénommé Antonio, celui qui a donné l’information sur
Enzo. Pendu dans leurs cellules.
Veronika était désemparée et triste pour Vladimir, c’était de sa
faute, elle n’aurait jamais dû le mêler à cette histoire.
— Raison de plus pour continuer l’enquête avec ou sans le
consentement de John, c’est devenu une affaire personnelle.
— Bon ! Comme vous voulez, rendez-vous au poste de la rue de
l’Évêché à onze heures, garez-vous au coin de la rue Four du
Chapitre et continuez à pied, je vous attendrai à l’entrée, on accé-
dera au bureau par le sous-sol pour éviter les regards indiscrets.
Veronika et Martinot attendaient patiemment l’arrivée d’Enzo
dans un bureau de moins de neuf mètres carrés, avec pour seul
mobilier un bureau, quatre chaises en fer avec des assisses en bois.
— Vous êtes sûr qu’il va venir ?
Martinot répond sèchement à Veronika, soucieux de la suite de
l’entretien.
— Il a tout intérêt d’être là dans les deux minutes qui suivent,
sinon sa vie deviendra un calvaire, et ça, je vous le promets.
La poignée de la porte du bureau bascule de haut en bas,
Martinot et Veronika échangent un regard furtif.

81
La porte du bureau exigu s’ouvre dans un grincement effroyable
pour laisser place à un homme d’une quarantaine d’années, athlé-
tique, d’un mètre quatre-vingts environ, portant un costume gris
clair, des chaussures noires cirées, une chemise blanche assortie
d’une cravate bleu nuit aux couleurs de la police nationale. Le
regard perçant, en fronçant les sourcils et en regardant tour à tour
Martinot et Veronika.
— Vous êtes qui, vous ?
En s’adressant à Veronika.
Déstabilisée, Veronika ne savait pas quoi répondre.
— C’est une amie, mon cher Alain.
— Je suis le patron de la PJ de Marseille et vous n’avez rien à
faire dans ces locaux. Je vous donne trois secondes pour ramasser
vos affaires et sortir d’ici et par la grande porte s’il vous plaît, ce
n’est pas un moulin ici, on ne fait pas ce que l’on veut chez moi.
Est-ce que c’est bien compris ?
— J’ai l’autorisation de mon responsable hiérarchique pour
mener une enquête dans votre ville et nous attendons le dénommé
Enzo pour l’auditionner dans l’affaire de la disparition du diplomate
nommé Zarko.
— Vous n’avez rien à faire ici sans mon autorisation, Monsieur
Martinot, et encore moins auditionner un témoin sans mon appro-
bation et elle, elle n’a rien à faire ici.
Je répète encore une fois, vous avez trois secondes pour dispa-
raître par la grande porte et vous ne devez plus revenir ici sans mon
autorisation, sauf si vous êtes inculpés par mes services pour une
raison ou une autre.
Est-ce que c’est bien clair ?
Martinot s’est excusé platement en quittant le commissariat
accompagné de Veronika.

82
Il lui a promis qu’il ne lâcherait pas l’affaire et que le dénommé
Enzo ne perd rien pour attendre, il a juste gagné un peu de temps.
Accompagnée de ses gardes du corps, Veronika voulait déjeuner
sur le Vieux-Port pour remettre ses idées en place et enfin digérer le
meurtre maquillé en suicide de Vladimir.
La circulation était assez chargée en cette fin de matinée sur le
boulevard de la République qui rejoignait le Vieux-Port, les deux
gardes du corps marmonnaient, coincés dans un interminable flot
de voitures roulant au pas, ils maudissaient Marseille et son inter-
minable circulation.
— Tu fais attention aux scooters qui déboîtent et qui doublent
sans clignotant, je n’ai pas envie de me retrouver coincé dans un
accident de la route.
Veronika n’a pas remarqué que trois scooters portant chacun
deux passagers les suivaient depuis sa sortie de l’évêché.
Après avoir dégusté des plats méridionaux au restaurant, ils ont
repris la Canebière pour rejoindre l’hôtel « Mercure » qui était à
quelques pâtés de maisons. Il ne restait plus qu’une centaine de
mètres à parcourir pour rejoindre le « Mercure » quand un scooter
avec deux jeunes adolescents à son bord se couche dans un fracas
de tôles devant la berline, l’obligeant à s’arrêter.
— Allez voir ce qui se passe, leur ordonna Veronika.
Les deux mastodontes accoururent vers le scooter couché au sol
avec les deux jeunes inertes, au même moment l’équipage des deux
autres deux-roues s’élança vers la voiture à l’arrêt. Moussa, vingt et
un ans, grand, sec, les cheveux rasés avec une casquette qui dissi-
mulait une partie de son visage s’introduisit dans la voiture et prit
la place du conducteur, enclencha la première prêt à bondir avec la
grosse cylindrée. L’autre passager du deux-roues avait déjà pris
place à l’arrière du véhicule à côté de Veronika, la tenant en joue
avec un automatique, prêt à vider son chargeur au moindre mouve-

83
ment. Surprise, les yeux écarquillés, elle n’a pas eu le temps de
réagir au car-jacking dont elle était victime, la voiture fait demi-tour
sur la route et bondit en direction de l’A51, direction Marignane,
laissant sur place les deux gardes du corps qui regardaient impuis-
sants la grosse berline disparaître.
— Lui c’est Moussa et moi, c’est Djamel pour vous servir.
Djamel était aussi grand que Moussa, très mat de peau, quelques
cicatrices sur le visage, un nez retroussé certainement cassé lors
d’une rixe, c’était un bagarreur qui n’avait peur de rien et qui res-
pectait le code de la cité, il a séjourné à plusieurs reprises à la prison
des Baumettes, il n’avait que vingt-six ans et déjà un casier judi-
ciaire copieusement garni, brandissant son automatique sous le nez
de Veronika pour la dissuader de commettre l’irréparable.
— C’est toi qui as demandé à rencontrer Enzo ?
La peur au ventre Veronika confirme en hochant la tête.
— Bon ! Ben ! On t’emmène le voir, tu te tiens à carreau et il ne
t’arrivera rien, si tu essayes de faire quoi que ce soit, je te loge une
prune en pleine tête et tu n’auras l’occasion ni de lui parler ni
d’avoir des réponses aux nombreuses questions que tu te poses.
Veronika a parcouru la moitié du monde, séjourné dans des pays
en plein conflit, côtoyé les pires, mais là, elle était perdue, paumée,
elle n’avait aucun moyen de s’en sortir, aucune logistique ni aucun
plan B.
La grosse berline bifurque en direction de l’étang de Berre, au
bout de dix minutes environ, elle s’immobilisa devant un grand por-
tail en ferraille. Moussa appuya sur le klaxon trois fois et au bout de
quelques secondes le portail s’ébranla dans un fracas de tôles
accompagné d’aboiements de trois staffs américains qui étaient
prêts à bondir sur des visiteurs curieux et indésirables.
Des carcasses de voitures à perte de vue, des containers, un éléva-
teur rouillé dans un coin, la berline tourne à gauche et se dirige tout

84
droit vers un hangar d’une centaine de mètres carrés, construit en
tôle ondulée.
La voiture s’engouffre dans le hangar et s’immobilise devant un
container avec les portières grandes ouvertes.
Djamel invite Veronika à descendre la pointant toujours de son
automatique, Salah avait donné des ordres.
— Faites attention, ne la lâchez pas du regard, vous avez affaire à
une professionnelle.
Djamel appliquait à la lettre les recommandations de Salah.
Tout en la pointant de son automatique, il l’invita à entrer dans
le container et à s’asseoir sur la seule chaise disponible. Veronika
s’exécute sans broncher, Moussa était déjà derrière elle en train de
lui attacher les mains et les pieds.
Les staffs, sur l’ordre de Francis le propriétaire de la casse, se
sont couchés à un mètre cinquante environ de Veronika.
— Francis ! Nous, on s’en va, on reviendra dans une heure envi-
ron, tu la gardes au chaud, Salah va prendre le relais, je ne sais pas
ce qu’il veut en faire.
Attention, tu ne l’approches pas, elle est dangereuse.
Veronika n’arrivait plus à réfléchir, son cerveau était en ébulli-
tion sans trouver une réelle solution pour la sortir de là.
Ah ! Si Zarko était là, elle aurait pu compter sur lui pour la sortir
de cette impasse.
Francis n’avait jamais vu une femme aussi belle, il était en extase
devant cette poupée, il en bavait même. Sa façon de la regarder n’a
pas échappé à Veronika, elle avait l’habitude de jouer la séductrice
pour arriver à ses fins.
— Francis, c’est ça ?
— Oui !
— Tu n’as rien à boire, j’ai soif ?
— Une bière, ça te va ?

85
— Oui ! Très bien.
Francis est allé chercher une bouteille de bière dans sa guérite
qui était à peine à quelques mètres du container.
Il la décapsule et la tend tout simplement à Veronika.
Avec son sourire enjôleur et en regardant Francis droit dans les yeux.
— Tu sais avec les mains attachées, je n’y arriverai pas.
Francis se rapproche de Veronika et la fait boire, tout en la regar-
dant de haut en bas.
— Je te plais ?
Francis ne répond pas.
— Je le vois bien, tu peux me le dire, il n’y a rien de honteux, tu sais.
— Oui ! Je crois bien, rien qu’en te regardant, j’ai des picote-
ments partout sur le corps et à un endroit bien précis.
Veronika se met à rire pour détendre l’atmosphère.
— Tu peux me toucher si tu veux !
Mais tu te laves les mains avant, elles sont pleines de graisse.
Le sang de Francis n’a fait qu’un tour, il était déjà retourné dans
sa guérite pour se saisir du détergent.
Veronika se préparait à jouer un tour à Francis, peut-être le der-
nier de sa vie, elle a toujours mis à contribution sa beauté et ses
courbes fermes et généreuses.
— Je peux toucher tes seins ?
— Si tu veux !
Francis, maladroitement, positionne ses mains sur les seins
fermes de Veronika.
— Ne t’inquiète pas, ils ne mordent pas, dit-elle en incitant
Francis à prendre son temps.
Francis reprend son souffle et commence à lui caresser délicate-
ment ses seins bien fermes.
Veronika poussait des gémissements à peine perceptibles.

86
Cela faisait des mois que Francis n’avait pas touché une femme,
c’était une aubaine pour lui d’en avoir une d’une telle beauté à sa merci.
La respiration saccadée, les mains hésitantes et tremblotantes,
caressant les seins fermes de Veronika, Francis sentait son bas-
ventre enfler sous l’effet des caresses.
Veronika décide de passer à la deuxième phase de son plan.
— J’ai envie de toi !
Arrache-moi ce chemisier et le soutien-gorge, je veux que tu me
prennes dans tes bras et que tu me baises comme un sauvage.
Francis comprenait ce langage, c’était un rustre, un homme qui
ne quitte quasiment jamais sa casse de voitures, il passe ses jour-
nées avec ses chiens qui lui obéissent au doigt et à l’œil.
Il déboutonna avec délicatesse son chemisier en la regardant
avec désir et envie, il était près de l’explosion, impatient de prendre
ses seins dans sa bouche, de les couvrir de baisers et de les lécher à
ne plus s’arrêter.
Le gonflement de son bas-ventre était à son paroxysme, prêt à
exploser, Francis n’en pouvait plus, sa respiration était de plus en
plus saccadée et ses gestes devenaient de plus en plus maladroits.
Veronika sentit que c’était le moment de l’estocade. En regardant
avec envie le gonflement de son bas-ventre, elle regarda Francis
dans les yeux avec son regard le plus doux et le plus conciliant.
— Prends-moi ! Tu as fini par me donner envie.
Francis fait glisser le zip de son pantalon, libère son sexe dur et
long et s’avance avec assurance en direction de la bouche de
Veronika, qui tourne la tête légèrement à droite, l’air vexée et frustrée.
— Je ne suis pas une pute !
J’ai envie de toi, envie de faire l’amour, j’ai envie que tu me
prennes dans tous les sens, envie de jouir, envie d’avoir ta queue en
moi, je veux la sentir faire les va-et-vient.

87
Détache-moi Francis, je ne tiens plus, je n’en peux plus, j’ai envie
de sentir ta queue en moi.
Francis s’est mis à genoux devant elle, a glissé sa main entre ses jambes
et tel un expert, adroitement et délicatement, a commencé à caresser
l’entrejambe de Veronika. Elle écarta légèrement les jambes pour lais-
ser l’accès à l’index de Francis qui commençait à caresser son clitoris.
— J’ai envie de toi, prends-moi, maintenant.
Il était au bord de la syncope et il n’écouta que son instinct bestial.
En moins de dix secondes, Veronika était libre, debout, face à lui
avec un regard de grande prédatrice. De sa main gauche, elle s’em-
para du sexe de Francis chaud et gonflé, prêt à déverser sa semence
quand sa main droite, d’un geste rapide et précis qui ne dura qu’un
tiers de seconde, vint s’écraser sur son cartilage thyroïdien. Francis,
surpris par ce geste, était déjà dans l’autre monde sans avoir souffert.
Veronika faisait face maintenant à un autre problème de taille :
les trois staffs attendaient patiemment dehors, allongés au soleil,
l’apparition de leur maître.
Il fallait qu’elle trouve un moyen pour sortir de là sans attirer
l’attention des molosses et de fuir avant le retour de ses tortionnaires.
Veronika a fouillé minutieusement Francis pour récupérer tout
ce qui était récupérable pour sa survie : dans sa chaussette droite
était dissimulé un cran d’arrêt de plus de dix-huit centimètres et
dans sa poche, les clés de la camionnette qui était garée à l’entrée ;
elle l’a dénudé avec un certain dégoût.
Après avoir démonté les pieds de la chaise, elle a bandé ses bras
avec les affaires de Francis pour se protéger des dents acérées des
staffs qui allaient certainement l’attaquer dès qu’elle serait dehors.
Veronika entrebâille de quelques centimètres la porte du contai-
ner, les staffs étaient là, allongés, en train d’attendre le retour de
leur maître.
Le premier se lève et s’approche de l’entrée.

88
Veronika s’écarte doucement sans faire de bruit et laisse entrer le
molosse dans le container en refermant soigneusement la porte pour
éviter que les deux autres viennent à sa rescousse.
Le chien se dirige vers son maître, le renifle pendant quelques
secondes et s’apprête à se tourner quand Veronika, qui se tenait à
moins d’un mètre, tel un félin, se jeta sur sa proie et d’une main
sûre, et en moins d’une seconde, la gorge du chien était tranchée de
part en part.
Elle reprend son souffle et ses esprits pendant une ou deux minutes
et se dirige vers la porte du container pour répéter l’opération.
Veronika s’étonna de ne pas apercevoir les chiens en ouvrant la
porte, rien à l’horizon, tout était calme, pas un bruit. Elle referma la
porte, réfléchit pendant quelques secondes, elle n’a pas le choix, elle
ne peut plus attendre, il faudra bien qu’elle sorte, elle ne pouvait pas
attendre le retour de ses agresseurs.
Elle ouvre lentement la porte du container, repère la camionnette
garée une centaine de mètres plus bas environ et se rend compte
par la même occasion que le portail est fermé avec une grosse
chaîne. Certes, elle a récupéré le trousseau de clés de Francis, mais
aura-t-elle le temps de fausser compagnie aux chiens, d’ouvrir le
portail et de s’enfuir de cet enfer ?
Veronika met un pied dehors, tous ses sens en alerte, elle se met
à courir comme une dératée en direction de la camionnette, elle n’a
plus qu’une vingtaine de mètres à parcourir quand elle est freinée
dans sa course par quarante-cinq kilos de muscles sur le dos tandis
que l’autre molosse était affairé à déchiqueter son mollet coincé
dans sa mâchoire herculéenne.
Veronika réunit toutes ses forces pour atteindre la camionnette
qui n’était pas fermée à clé, les chiens avaient lâché prise pendant
quelques secondes et elle en avait profité pour leur fausser compa-
gnie et s’abriter dans l’habitacle de la camionnette.

89
Son corps était meurtri, elle ne sentait plus sa jambe gauche lacé-
rée par un des molosses, elle avait du mal à respirer, ses forces la
quittaient petit à petit, il y avait ce liquide chaud et visqueux qui
coulait le long de son cou. Prise de panique, elle dirige le rétroviseur
intérieur vers la blessure, la triste vérité lui enleva tout espoir, le
molosse lui avait tranché la carotide en un seul coup de dents. Elle
n’avait plus que quelques minutes à vivre dans d’atroces souf-
frances, c’en était fini pour elle.
Elle n’avait plus qu’à attendre et se laisser partir en faisant défi-
ler sa vie devant elle, ses joies et ses peines, elle s’est surprise à
avoir une pensée pour ses parents qu’elle n’a pas revus depuis de
nombreuses années, elle s’est éteinte lentement.

Florence et Latifa ont été accueillies en grande pompe à leur des-


cente d’avion à l’aéroport de Marignane. Toute la famille de Latifa était
là, heureuse de retrouver leur fille et Florence, leur petite protégée.
— Alors les filles ! Vous avez fait bon voyage ?
Vous vous êtes bien amusées ?
Et votre séjour aux États-Unis, comment c’était ?
Lyes n’arrêtait pas avec ses questions tout le long de la route de
Marignane à Marseille.
Faîma, la maman, demanda gentiment à son mari de laisser les
filles tranquilles pour l’instant, il aura tout le loisir de les submerger
de questions une fois arrivé à la maison.
— C’était génial, Papa, de la folie, je n’ai jamais vu des choses
aussi grandes, tout était surdimensionné, même le burger.
— Et toi, Florence ?
— Pour la première fois de ma vie, j’ai passé de merveilleuses
vacances, nous avons tout fait ou presque, l’hôtel nous a attribué
une voiture avec chauffeur pour toute la durée de notre séjour, et

90
cela, gracieusement, ils nous ont expliqué qu’ils le faisaient pour le
millième client de l’hôtel.
Sur les conseils du chauffeur qui nous a été alloué, nous avons
dîné dans un restaurant gastronomique tenu par un grand chef
français et, ce soir-là, une tombola était organisée, permettant au
vainqueur et à une personne de son choix de gagner quinze jours de
repas entièrement gratuits.
Et devinez qui a été tiré au sort ? Encore nous.
Nous avons dépensé quasiment tout notre argent dans les cadeaux.
Lyes en plaisantant rétorque.
— Oui, j’ai remarqué que vous aviez trois valises que vous
n’aviez pas en partant !
Elles étaient heureuses d’être revenues au bercail et promirent de
repartir aux États-Unis dès que l’occasion se présenterait.
— Nous avons passé la journée à Venice Beach, Santa Monica,
nous avons visité les studios d’Hollywood, les grandes tours de Los
Angeles c’était gigantesque, je n’ai jamais vu ça, et l’incontournable
Beverly Hills.
Le chauffeur nous a emmenées voir la réplique de la Maison-
Blanche dans un quartier huppé et, tenez-vous bien, en hélicoptère.
C’était juste magique, de la pure folie, génial, et le parc d’attrac-
tions Six Flags Magic Moutain parmi les plus grands parcs au monde,
je n’ai pas de mots, je reviens chez moi avec des milliards d’étoiles
dans les yeux.
Je ne sais pas si c’était un rêve ou si j’ai vraiment fait et vécu ça,
j’ai plus de deux cents photos à vous montrer.
— Merci, Florence, de m’avoir permis de faire ce voyage avec toi.
— Ça a été un plaisir de partager ça avec toi, Latifa et si je
décroche ma maîtrise en fin d’année, on aura peut-être la chance de
repartir à Los Angeles.
— Ah bon ?

91
— Tu te souviens du monsieur qui nous a offert un verre le soir
de notre arrivée à l’hôtel ?
— Oui ! Le monsieur distingué, chauve, lunettes Gucci. Rolex au
poignet et tout le tralala ?
— Comment il a dit qu’il s’appelait ?
— Fergusson, répondit Florence.
— Oui, c’est ça, Fergusson, tu as retenu son nom ? Et alors ?
— C’est normal que je retienne son nom, il m’a filé sa carte de
visite.
Il est le patron d’un grand cabinet d’avocats à Los Angeles et il
m’a gentiment proposé, si j’étais intéressée, d’effectuer mon stage
dans son cabinet pour décrocher le Graal.
Dans le cas où j’aurais ma maîtrise, bien entendu.
— Mais c’est génial.
— Oui ! Mais bon, encore faut-il que je réussisse mes examens de
fin d’année et ensuite, il faut réfléchir à notre hébergement sur
place et tout le reste.
— Notre hébergement ?
Latifa était agréablement surprise de voir que Florence ne conce-
vait pas l’avenir sans elle.
— Oui ! Tu as bien entendu, si tu ne viens pas avec moi, je ne
vais nulle part.
— Tu ne peux pas dire ça ! Tu sais, il faut que j’arrive à
convaincre le dinosaure là-bas.
Latifa est d’origine maghrébine et de religion musulmane, les us
et les coutumes ne sont pas les mêmes qu’en Occident. Elle doit
avoir l’approbation de son père avant d’envisager un tel voyage.
Une absence de longue durée, loin de ses parents, ce n’était pas
encore gagné, mais elle avait encore un an devant elle pour
convaincre son père.
— Pour ma part, ce n’est pas ça qui me pose problème.

92
Je pense que nous arriverons à convaincre ton père le moment
venu, ce qui me pose problème et ce que je n’arrive pas à com-
prendre, c’est que dès notre arrivée à Los Angeles tout a été facile
pour nous, comme s’ils nous attendaient, reconnais qu’on a eu
beaucoup de chance.
Le chauffeur et la voiture mise à notre disposition vingt-quatre
heures sur vingt-quatre,
Les repas gratuits au restaurant gastronomique durant tout notre
séjour.
Les visites avec les guides offerts par la ville, le vol en hélico-
ptère, j’ai beau tout tourner dans ma tête, je ne comprends pas
qu’on ait eu autant de chance, bon ce n’est pas moi qui vais m’en
plaindre, mais j’aimerais au moins comprendre, et tout ça sans par-
ler de monsieur Fergusson qui se propose d’être mon maître de
stage dans son cabinet à Los Angeles, sans me connaître.
 
Dimitri était en réunion avec ses collaborateurs dans son bureau
ovale quand la nouvelle est tombée.
— Monsieur ! Je suis navré de vous déranger, un pli pour vous, il
vient d’être déposé par un coursier, c’est personnel et urgent.
— Posez-le là – en indiquant le coin de son bureau – et sortez.
Une réunion de travail qui le plus souvent était longue, fasti-
dieuse et ennuyeuse, mais qui lui permettait de gagner des millions
de dollars tout en restant assis là dans son bureau.
Dimitri, très embarrassé par cette nouvelle qu’il vient d’apprendre,
rappela sans attendre son assistant.
— Trouvez-moi John, je le veux dans mon bureau au plus vite. Shit.
Deux heures plus tard, John arriva à la Maison-Blanche avec une
appréhension, une boule au ventre qui l’empêchait presque de respirer.
Son père était un homme très occupé qui n’avait pas l’habitude
de réclamer sa présence sans qu’il y ait eu un fait grave.

93
— Hello Dad !
— Bonjour !
Je crois t’avoir demandé de rappeler au plus vite Veronika.
— Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper tout de suite, mais je
l’ai fait quelques jours après.
— Normal ! Tu profites de tes vacances avec ta petite famille.
Bon, tu n’as plus à le faire, c’est trop tard, tu n’as plus à t’inquié-
ter pour elle.
John ne comprenait pas ce que son père voulait dire.
Son air hagard et interrogatif n’a pas échappé à Dimitri.
— Elle est morte, déchiquetée par des chiens, la police a conclu à
un accident, ils n’ont pas retrouvé les chiens et ils ne savent pas ce
qu’elle faisait sur cette route déserte.
Tu es un incapable !
Tu joues aux durs, mais tu n’as ni la vocation ni les épaules pour
ça et tu es entouré d’incapables, des personnes qui sont dépassées
par la situation et incompétentes.
Ils étaient certainement efficaces à une époque lointaine, à un
autre temps, dans d’autres horizons.
Tu devais juste la faire suivre et à aucun moment intervenir.
Je te l’ai interdit et par ta faute, deux personnes ont perdu la vie.
Je devrais te punir, te faire payer ces pertes humaines.
John, bouche bée, ne comprenait pas comment faire maintenant
pour surveiller Florence sans se faire repérer, sans se faire piéger
par ces délinquants notoires qui respectaient le code de la cité.
— À partir d’aujourd’hui, tu ne bouges plus une oreille, je reprends
les choses en main et j’espère aussi que le crétin de Martinot va se
tenir à carreau ou il va subir le même sort que tes deux sbires.
Je ne veux pas que tous ces meurtres remontent jusqu’à moi.
Je n’ai pas besoin de publicité, je ne veux pas qu’on parle de moi
dans la presse ou dans les journaux télévisés, c’est l’arrangement

94
que j’ai fait avec l’administration américaine pour obtenir sa protec-
tion et par la même occasion la tienne.
Tu pars demain à Paris par le premier vol, tu vas rencontrer
Martinot.
Vous avez rendez-vous au « George V », il a laissé une enveloppe
à l’accueil de l’hôtel avec ses coordonnées, il attend ton appel, il
aime l’argent, il a un fils à l’université à Londres qui lui coûte les
yeux de la tête, il aime les femmes aussi, il a beaucoup de frais, il a
besoin de fric, tu soldes la scolarité de son gamin et tu lui donnes
quelques billets, en contrepartie, tu lui demandes de lâcher l’affaire
et de ne plus remettre les pieds à Marseille, sa vie en dépend.
Je veux que cette affaire se tasse maintenant et sache pour ta
gouverne que la petite viendra l’année prochaine faire son stage
d’avocate chez Fergusson & associés.
Alors, ne te soucie plus de Florence. J’en fais mon affaire.
— Bonjour, je souhaiterais rencontrer Florence, s’il vous plaît.
L’office du tourisme était désert en ce début d’après-midi, la
navette ralliant le port de Marseille à l’île de Frioul était déjà en mer
depuis un peu plus d’une demi-heure et la prochaine navette n’avait
lieu qu’une heure et demie après.
— Et qui dois-je annoncer ?
— Jade.
— Je vais voir si elle peut vous recevoir.
— Il y a là une jeune femme qui voudrait te voir, dit Latifa à Florence.
— Ah bon ! C’est qui ?
— Elle a dit qu’elle s’appelait Jade.
Florence fut surprise que Jade, après plusieurs années d’absence,
vînt lui rendre visite.
Elle ne lui devait rien, mais Jade lui rappelait de mauvais souvenirs.
Florence se leva sans enthousiasme, regarda par l’entrebâille-
ment de la porte qui était restée entrouverte.

95
Elle vit une jeune femme d’à peine un mètre soixante, de grands
yeux vert pâle, un peu mate de peau, elle portait un décolleté laissant
entrevoir une poitrine abondante, un jeans moulant épousant des
formes époustouflantes, des cheveux châtains bouclés coupés au carré.
Florence reconnaissait son amie d’antan. Sourire forcé, elle ouvre
grand la porte de son bureau et invite Jade à la rejoindre, ce qu’elle
fait avec un air satisfait et avec un soupçon d’arrogance à l’égard de
Latifa, qui s’écarta de quelques centimètres pour la laisser passer.
Jade se jeta sur Florence dès que cette dernière eut fermé la porte
de son bureau. Florence essaya d’abord de repousser l’étreinte fou-
gueuse de Jade qui, telle une sangsue, s’est agrippée à ses hanches
en les caressant délicatement de haut en bas, alors qu’elle l’embras-
sait goulûment sur la bouche.
Florence s’est sentie vulnérable, sans défense dans les bras mus-
clés et à la fois tendres et protecteurs de Jade, incapable de réagir, le
bout de ses seins commençait à durcir et son envie grimpait vertigi-
neusement, les battements de son cœur ont atteint les cent quarante
pulsations. Florence en a rêvé plusieurs fois, mais ce n’était ni le
moment ni l’endroit.
Jade habilement fit glisser lentement sa main droite dans l’entre-
jambe de Florence et commença subtilement à caresser délicatement
le bas-ventre humide et chaud à la fois.
— Tu m’as tellement manqué !
— Toi aussi, tu m’as manqué, mais pas ici s’il te plaît.
— Tu en as autant envie que moi, avoue-le !
Sans prendre la peine de lui répondre, la respiration de plus en plus
saccadée et de plus en plus rapide, Florence retire la main de Jade
délicatement et sans aucune conviction de son bas-ventre qui palpi-
tait sous ses caresses et la repousse avec beaucoup de délicatesse.
— Je t’aime énormément, mais c’est fini, je ne suis plus la même,
tu seras toujours mon amie si tu le veux bien, mais tout ça, c’est fini.

96
— C’est un homme ?
Tu as un homme dans ta vie ?
— Non, je n’ai personne.
Je finis à treize heures, si tu ne fais rien, tu n’as qu’à m’attendre
et nous irons déjeuner ensemble comme autrefois.
— OK, à tout à l’heure.
Latifa du regard accompagne Jade jusqu’à la sortie.
— C’est une belle femme.
— Oui, c’est vrai, elle est jolie.
— Mais qu’est-ce qui s’est passé dans le bureau ?
J’ai entendu des gémissements.
Florence sourit bêtement.
— Je te raconterai plus tard.
Je l’ai invitée à déjeuner avec nous, ça ne te dérange pas ?
— Non ! Tant qu’elle ne touche pas à mon assiette.
— Merci Latifa. Je finis ce que j’ai à faire, j’en ai pour une bonne
demi-heure et je pense que ça sera l’heure de partir.
Après avoir bu une gorgée de son Martini blanc, Jade regarde
intensément et avec passion Florence, sans se préoccuper de Latifa.
— Nous allons nous voir souvent maintenant !
— Ah bon ! répond Florence surprise.
— Je travaille au « Palambra », pas loin d’ici, d’ailleurs c’est ton
cousin – en regardant furtivement Latifa –, qui m’a trouvé cette place.
Florence est ravie et inquiète en même temps, la crainte la
tenaillait, elle n’avait ni l’envie ni le besoin de retomber dans ses
travers, c’était une erreur d’avoir eu une liaison avec Jade.
Florence subtilement pour changer de sujet.
— Qu’est-ce qu’il devient Nico ?
— Il a été libéré il y a environ six mois, je pense qu’il est reparti
chez lui, il a beaucoup morflé en prison.
— J’imagine, réplique Latifa en souriant.

97
— Et tu fais quoi au « Palambra » ?
— Je suis serveuse et j’arrondis mes fins de mois avec des étrangers
de passage qui espèrent au fond d’eux se taper une jeune Française.
Je prends du plaisir et je les plume, les plus vulnérables, c’est les
Italiens, ils ont un égo démesuré, il suffit de leur dire qu’ils sont
beaux et qu’ils ont un énorme sexe et ils vous donnent tout ce qu’ils
ont sur eux et parfois même des sommes astronomiques. Je me plais
bien à Marseille.
Florence est intriguée par le personnage de Salah, il intervient à
chaque fois, il est dans toutes les combines, c’est impressionnant
d’être partout, sur tous les fronts.
— J’ai connu ton cousin Salah en allant plusieurs fois chez
Bertrand à la brasserie pour te retrouver Florence et c’est Salah qui
s’est présenté à moi un jour en m’expliquant que tu étais trop occu-
pée et qu’il ne fallait plus que je revienne à la brasserie.
J’ai saisi l’occasion qui m’était offerte d’être en présence de l’un
des parrains les plus influents de Marseille pour lui expliquer ma
situation et mon envie de m’installer dans cette belle ville.
Je lui ai dit que je venais tout juste de sortir de prison et que
j’avais besoin d’aide ; il a eu pitié de moi et il m’a aidée à trouver
cette place et un studio, rue Breteuil, c’est un mec avec beaucoup
d’empathie, il est génial.
Tu dois être fière de ton cousin et toi, Florence, tu dois avoir beau-
coup de chance d’être sous la protection de Salah, je t’envie, je suis
même parfois jalouse de ce que tu as réussi à faire en si peu de temps.
— Oui, très fière d’être la cousine de Salah, mais attention jeune
fille, ne le sous-estime pas et ne le trahis jamais parce qu’il est
redoutable aussi dans la persécution, répondit Latifa.
En quittant la table, Jade effleura délicatement et discrètement la
main de Florence qui fit semblant de ne pas s’en apercevoir, mais ce
geste tendre n’a pas échappé à Latifa.

98
— Il va falloir que tu te mettes à table, Florence, et que tu me
racontes ce que tu as fait et dans les détails dans ton ancienne vie, le
secret que tu gardes et ce qui s’est passé avec cette meuf, il faudra
que tu commences à me faire confiance.
— Arrête tes bêtises, Latifa, tu sais très bien que tu comptes
beaucoup pour moi et je te fais entièrement confiance, je ne suis pas
fière de ce que j’ai fait avant de te connaître et Jade, c’était une
erreur de parcours, laisse-moi encore un peu de temps et je te pro-
mets que tu sauras tout sur moi, même les choses les plus intimes.

Dimitri avait pris soin de réserver une suite au « George V » pour le
rendez-vous de son fils John avec Martinot, un des hôtels les plus pres-
tigieux de Paris et considéré comme l’un des plus luxueux au monde.
John, un verre de bourbon à la main, s’accordait un moment de
tranquillité avec Olga blottie dans ses bras.
Le rendez-vous était confirmé avec Martinot dans un des salons
que propose le « George V », John avait encore une heure à tuer
avant l’arrivée de son rendez-vous.
Olga, tel un félin, glissa doucement jusqu’au bas-ventre de John
et commença à baisser délicatement le zip de son pantalon, John but
une gorgée de bourbon en attendant que sa femme libère son membre.
Elle avala goulûment le sexe de John tout en léchant telle une
experte le gland qui frémissait. Olga savait comment détendre son
mari, il savourait ces moments qui devenaient de plus en plus rares,
ce moment idyllique avait duré une bonne vingtaine de minutes.
Olga commençait à avoir des crampes aux mâchoires, cela n’a pas
échappé à John qui s’est enfin laissé envahir par le désir qui était à
son paroxysme en se vidant par jets continus dans sa bouche.
John fut ramené à la réalité par le téléphone qui s’était mis à
sonner sans interruption.
— Allô !

99
— Monsieur John ?
— Oui !
— Votre rendez-vous est là.
— Je descends.
À regret, John quitta Olga qui était allongée sur le lit toute nue, ses
seins à l’air pointaient vers le plafond de la chambre, les jambes écar-
tées, elle n’avait qu’une envie : que John la pénètre et la fasse jouir.
— Monsieur Martinot ?
— Oui ! Et vous, c’est John ?
— Oui.
— On s’est parlé au téléphone plusieurs fois, mais on n’a jamais
eu l’occasion de se rencontrer.
John confirme en s’asseyant en face de Martinot sur un fauteuil
capitonné de velours.
— Bon, je préfère vous prévenir, c’est une idée de mon père, c’est
lui qui a orchestré notre entrevue et qui m’a obligé à venir vous
rencontrer, moi, j’aurais agi différemment.
John interpelle le serveur d’un geste furtif et discret :
— Une vodka avec une rondelle de citron, s’il vous plaît.
— Et moi un Martini blanc.
— Bon ! Pour commencer :
Je ne sais pas ce qu’il me veut votre père ni pourquoi il a fait
appel à moi, mais sachez que je ne reçois d’ordres de personne.
— Ce que vous ne savez pas sur mon père, Monsieur Martinot !
Après avoir bu une gorgée de sa vodka et pris le temps de l’apprécier.
— C’est un homme généreux et visionnaire, il connaît vos besoins
et vos difficultés à faire face aux frais de scolarité de votre fils Lucas
qui est en ce moment à l’université de Londres.
John glissa sans attendre une enveloppe kraft qu’il venait de sor-
tir de sa poche intérieure sur la petite table ronde qui le séparait de

100
Martinot. Ce dernier tendait la main pour se saisir de l’enveloppe
quand John le dissuada du regard.
Martinot se tassa dans son fauteuil avec son verre à la main, le
regard furtif et inquiet.
— Qu’est-ce que vous attendez de moi ?
Et qu’est-ce qu’il y a dans l’enveloppe qui pourrait m’aider à
faire face à mes difficultés financières comme vous le prétendez ?
— C’est simple, il vous demande d’enterrer l’affaire Zarko et
Veronika et l’enveloppe est à vous, les frais de scolarité de votre fils
Lucas seront payés intégralement et directement à l’université.
— Pourquoi autant de mystère autour de cette gamine ?
Pourquoi un homme comme votre père se préoccupe-t-il autant
de l’avenir de cette jeune fille sans histoire en apparence ?
Autant de questions qui restent sans réponses et moi, de nature,
je suis curieux, très curieux et j’ai fini par apprécier Veronika et le
pire, c’est que je n’ai pas eu le temps de la mettre dans mon lit et ça
je l’ai en travers de la gorge, c’était un beau bébé !
John, un peu agacé par l’attitude de Martinot, lève la main
gauche comme pour le faire taire.
— L’enveloppe que vous voyez là sert justement à répondre à
toutes les questions que vous vous posez.
Sachez que c’est une affaire qui vous dépasse et je vous conseille
de prendre cette enveloppe et de tout oublier.
Et pour votre information, jamais Veronika n’aurait couché avec vous.
Je crois que nous nous sommes mal compris, vous n’avez pas le
choix, vous laissez tomber l’affaire, vous oubliez Veronika et Zarko,
vous prenez l’enveloppe qui est devant vous et vous disparaissez.
— Sinon ?
Martinot, sûr de lui, provoque et pousse John dans ses derniers
retranchements.
— Sinon, votre vie deviendra un calvaire, sans parler de votre fils

101
à Londres, votre femme qui ne connaît pas vos penchants pour les
femmes et vos enfants, au fait, ils sont toujours à l’école Émile Lesot
dans le dix-huitième ?
Martinot pâlit, son visage se crispe, il ouvre grand la bouche
pour aspirer l’air qui commençait à manquer dans ses poumons.
— Ne vous inquiétez pas, il ne leur arrivera rien si vous considé-
rez que l’affaire est close. Prenez l’enveloppe, faites plaisir à votre
dame et à vos enfants, partez en vacances et oubliez tout ça, c’est le
mieux que vous pouvez faire, sinon, ça pourrait vous coûter cher et
vous devrez assumer la suite et expliquer ça à votre dame, qui vous
attend gentiment à la maison sans jamais poser de questions.
Finissez votre verre et le bonjour à votre dame.
Martinot était un agent intègre, bien noté et pas loin de la
retraite, mais cette situation lui faisait peur et il y avait beaucoup
d’argent sur la table. D’un timide hochement de tête, il fait com-
prendre à John qu’il est dorénavant hors-jeu.
John se leva et se dirigea vers l’ascenseur, il avait hâte de retrou-
ver Olga qui devait l’attendre chaude comme la braise et impatiente
de finir ce qu’elle avait si bien commencé.
 
Florence était impatiente de finir l’année scolaire, impatiente de
passer son examen final pour enfin avoir le droit de s’inscrire à un
barreau et prêter serment, mais avant tout, elle tenait absolument à
partir à Los Angeles faire son stage d’une année chez Fergusson &
associés, c’était une aubaine pour elle, une occasion à ne pas rater
et c’était le meilleur moyen d’apprendre le droit international et de
se familiariser avec la langue de Shakespeare.
— Il me reste quelques semaines pour passer mon examen final
et obtenir mon certificat d’aptitude à la profession d’avocat, il fau-
drait que nous nous mettions au boulot pour convaincre tes parents
de te laisser partir avec moi durant un an aux États-Unis.

102
J’ai reçu la convention de stage pour la faire signer par le direc-
teur de l’université et enfin avoir peut-être la chance de partir en
stage à Los Angeles.
— Mais on va vivre de quoi une fois sur place ?
Et contrairement à toi, mon anglais est équivalent à celui d’une
élève de quatrième, je suis incapable de m’exprimer en anglais.
— Ne t’inquiète pas pour ça Latifa, au début, tu prendras des
cours d’anglais intensifiés et je serai là pour t’aider.
Et pour ce qui est de nos dépenses, sache que je serai payée,
donc pas de soucis.
— Ah oui ! Je vais vivre à tes crochets ?
— De toute façon, il faut que tu viennes avec moi, sinon je n’au-
rai jamais le courage de partir sans toi.
Latifa avait perçu de la tristesse dans la voix de Florence et elle
se promit de tout essayer pour convaincre ses parents de la laisser
partir, mais sans aucune conviction.
Elle savait d’avance que son père ne serait jamais d’accord pour
la laisser partir un an et de plus à des milliers de kilomètres, il avait
des principes et des us et coutumes musulmans, les jeunes filles de
son âge sont déjà mariées et mamans.

Le grand jour est arrivé, Florence devait prêter serment devant


ses collègues futurs avocats, une assemblée de doyens, des magis-
trats et le directeur de l’école de droit.
Les jambes tremblotantes, la tête vide, Florence s’approchait
timidement du pupitre pour recevoir son diplôme de fin d’études et
dire quelques mots à l’assemblée quand elle aperçut Marin caché
dans un coin au fond de la salle.
Son cœur cognait à rompre, elle était au bord de l’asphyxie, heu-
reusement qu’elle avait son amie de toujours, Latifa, au premier
rang, accompagnée de sa famille, même Salah était là.

103
Tout le monde applaudissait, des youyous retentissaient dans la
grande salle.
Elle a juré devant l’assemblée d’être loyale et de faire honneur à
la profession, d’être désintéressée, courtoise et de bannir la confra-
ternité si elle nuit aux clients, d’être dévouée et elle s’est engagée à
respecter la confidentialité, son intégrité et son indépendance
durant toute sa vie professionnelle.
Le serment constitue la base de la déontologie de sa profession.
En prononçant ces mots, Florence sentait monter en elle une fierté
incommensurable, elle aurait aimé avoir sa famille pour la soutenir,
mais Florence avait ce jour-là sa deuxième famille pour la soutenir,
ses ami.e.s étaient là et Jade aussi, elle voulait être présente pour
soutenir Florence.
— Bonjour Florence !
— Bonjour Monsieur, rappelez-moi votre nom !
— Marin ! Vous vous souvenez de moi ?
— Oui, bien sûr ! Même si cette partie de ma vie me rend peu
fière, mais elle m’a certainement aidée à voir plus clair et à me
rendre compte que ma place est de ce côté de la barrière.
— Vous avez fait du chemin depuis !
Je suis très fier de vous.
— Merci ! Mais vous êtes là pour quoi ?
Ne me dites pas que vous êtes venu pour me féliciter.
— Si ! Mademoiselle, je suis là pour vous féliciter et vous dire
aussi que vous avez un ange gardien qui veille sur vous, même s’il
est à des milliers de kilomètres.
Florence, étonnée de cette réponse inattendue, aurait voulu en
savoir un peu plus.
— Ce que je peux vous dire, c’est qu’hier j’ai reçu une note de la
grande maison qui me demandait tout simplement d’être là et de
m’assurer que tout se passe bien pour vous.

104
— La grande maison ?
— Oui ! La demande provenait du ministre de l’Intérieur en per-
sonne, c’est tout ce que je peux vous dire.
— Mais ! Pourquoi ?
— Il paraîtrait que la demande venait de l’ambassadeur des États-
Unis à Paris.
Ne me demandez pas pourquoi, je n’ai pas la réponse.
Par contre, j’ai cru comprendre que votre ami Salah avait des
informations classées confidentielles.
— Salah ?
Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?
— Je l’ignore, mais mon contact a été catégorique, Salah en sait
plus que n’importe qui sur la disparition du diplomate serbe et sur
votre ange gardien.
Florence ne comprenait plus rien, elle avait du mal à relier son
histoire personnelle à Zarko, qui a disparu du jour au lendemain, et
à Salah qu’elle ne connaît que depuis quelques années.
— Il faut que je parle à Salah.
Il a peut-être les réponses à mes interrogations !
— J’en suis sûr, je ne sais pas s’il voudra divulguer son secret,
mais ça vaut le coup d’essayer.
Très perturbée, Florence nageait en plein mélodrame. Pour en
savoir un peu plus, il fallait qu’elle revienne à la source de ses pro-
blèmes, poser les bonnes questions aux bonnes personnes.
— Latifa, ça te dit de venir avec moi rendre visite à mes parents à
Nice et de pousser jusqu’à Duranus pour voir mes grands-parents ?
— C’est chouette, ça leur fera plaisir de te voir depuis le temps.
— Je ne suis pas convaincue qu’ils seront heureux de me voir.
— Ah bon ! Pourquoi ?
Latifa ne comprenait pas la réflexion de Florence.

105
— J’ai besoin de réponses et les connaissant, fourbes et hypo-
crites, ils vont encore me mentir et dissimuler la vérité.
— Tu parles de tes parents ?
— Oui ! Parents et grands-parents, je suis persuadée que tout le
monde est au courant de ce qui m’arrive au quotidien, mais per-
sonne ne dit rien, ils préservent leur tranquillité et leur confort.
— Bon ! Écoute, je ne comprends rien à ton histoire et je crois que
c’est le moment de tout me raconter, de me faire confiance pour une
fois, je suis ton amie, je ne suis pas là pour te juger, bien au contraire.
— Je vais tout te raconter, mais avant cela, il faudrait que je dis-
cute avec ton cousin Salah, il a peut-être des révélations à me faire.
— Si tu veux ! Mais tu sais, mon cousin est très discret et ça
m’étonnerait qu’il te dise quelque chose et s’il est bien luné, tu
auras le minimum syndical.
— Je m’en contenterai, j’ai besoin de savoir, même le minimum
me conviendrait, ça m’aidera peut-être à comprendre certaines
choses, éclaircir des zones d’ombre qui restent mystérieuses, des
questions sans réponses.
Salah attendait Florence, assis comme d’habitude au fond de la
salle de la brasserie.
Florence salua Salah et s’assit en face de lui.
— Bonjour Florence. Tu veux boire quelque chose ?
— Non, merci.
— Alors, pourquoi, tu m’as fait venir ici ?
— Je voudrais savoir pourquoi Zarko me suivait.
Et enfin, qui était le commanditaire.
— Je ne sais pas pourquoi il te suivait, je n’en ai aucune idée.
Par contre, qui donnait les ordres, il s’appelle John Karislova et il
est parti très vite quand son plan s’est écroulé, je n’ai pas eu le
temps de lui poser la question et j’ai vite compris par la suite que ce

106
n’était pas lui qui tirait les ficelles, John n’était qu’un pantin. Le
grand patron était tranquillement chez lui à Los Angeles.
Florence n’en croyait pas ses oreilles, le monde était en train de
s’écrouler sous ses pieds.
— C’est le père de John.
Dimitri a tout orchestré, il pensait pouvoir contrôler ta vie
depuis son bureau et comme tout partait en vrille ici à Marseille et
que son fils n’en faisait qu’à sa tête, il te voulait là-bas à Los
Angeles près de lui pour finir le travail.
— Mais tu divagues, c’est moi seule qui ai eu l’idée d’aller à Los
Angeles en vacances !
— Non ! Je ne crois pas.
Tu as rencontré durant ta troisième année un jeune homme qui
s’appelait Alexandre ?
— Euh ! Oui !
Mais qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans, lui ?
— D’ailleurs, tu as eu une liaison avec lui qui a duré quelques
semaines.
Il avait une double nationalité, française de son père et améri-
caine de sa mère et arrête-moi si je me trompe, c’est lui qui t’a mis
Los Angeles dans la tête.
Non ?
— Oui, c’est vrai, il m’a montré des photos de lui et de sa maman
à Santa Monica, mais à aucun moment il ne m’a incitée ou conseillé
d’aller aux États-Unis.
— Non ! Bien sûr que non, très intelligent, il t’a montré des photos
et il t’a emboucané le cerveau avec Los Angeles, mais à aucun moment
il t’a demandé d’y aller, il a tout fait pour que tu ne le soupçonnes pas.
— Mais tu sais ça comment ?
— Je me suis permis de le lui demander et il m’a tout raconté
quand j’ai su ton engouement pour les États-Unis.

107
Et c’est pour ça que j’ai persuadé Lyes de laisser Latifa t’accom-
pagner aux États-Unis, sinon il ne l’aurait jamais autorisée à partir
aussi loin.
Florence était restée bouche bée, Salah savait tout d’elle.
— La vérité que tu cherches est de l’autre côté de l’Atlantique, à
l’autre bout du monde, tout est orchestré par Dimitri Karislova et il
n’y a que lui qui pourra t’affranchir et te révéler la vérité.
— Mais quelle vérité ?
— Je ne connais pas ton histoire et je ne veux pas la connaître.
Ce que je peux te dire et ça, c’est formel et tu peux me croire sur
parole, Dimitri Karislova ne te veut aucun mal, à l’inverse de son
fils John qui espère ta disparition et je ne sais pas pourquoi.

Emmitouflée dans une robe de chambre en laine, Florence fait


signe à Latifa qui était en simple nuisette de s’approcher.
— Comment tu fais pour porter ta robe de chambre en laine de
chèvre ou je ne sais quoi avec cette chaleur ?
Tu sais qu’il fait au moins vingt-huit degrés dehors et il est vingt
et une heures et je ne te parle même pas de la température qu’il fait
dans l’appart.
Alors, s’il te plaît enlève ta robe de chambre ridicule et je vien-
drai me mettre avec plaisir à côté de toi.
Florence retire délicatement sa robe de chambre en laine pour lais-
ser entrevoir de longues jambes épilées, elle portait un string en den-
telle laissant entrevoir son bas-ventre épilé et gonflé et un soutien-
gorge assorti au string mauve qui cachait timidement ses seins.
— Alors ! Tu viens toujours me rejoindre dans le lit ?
— Mais bien sûr ma cocotte, j’arrive, mais tu n’as pas intérêt à
me toucher.
Ça va, je plaisante.
Une fois bien installées l’une à côté de l’autre, Florence a pris

108
timidement la main de Latifa comme pour se donner de la force et
du courage pour se confesser.
— Quand j’avais quinze ans, je me suis retrouvée enceinte et per-
sonne ne l’a su dans mon entourage à part mes grands-parents,
mais aujourd’hui une part de mystère subsiste, une partie de mon
histoire reste énigmatique, un gros mensonge, une vérité dissimulée
qui m’a fait partir de chez moi.
J’ai consacré une bonne partie de mes forces et de mon temps à
essayer d’élucider ce mystère, mais bon, c’était peine perdue.
J’ai passé des nuits entières à me torturer l’esprit, j’ai essayé de
tout recouper pour comprendre, mais rien à faire, je ne comprends
toujours pas et maintenant que j’ai fini mes études, je veux
connaître la vérité avant de partir à Los Angeles.
— Tu m’inquiètes, je n’aurais jamais cru ça de toi, tu es une fille
pleine de mystère.
— Je t’ai enviée pendant tout ce temps, je le reconnais. J’aurais
aimé avoir une famille comme la tienne, sans chichi ni principe.
— Ah bon ! Moi ? Enviée ?
La fille qui n’est jamais sortie de Marseille toute seule !
J’ai juste le droit d’aller voir ma tante qui habite à la Valentine et
en plus accompagnée de mon frère.
Bon ! Assez papoté maintenant.
Raconte-moi tes misères, dis-moi ce qui te rend si mélancolique
et si malheureuse. Alors raconte, qu’est-ce qu’ils ont pu te faire tes
parents pour que tu ne veuilles plus les voir ?
— Quand j’ai su que j’attendais un bébé, je suis partie chez mes
grands-parents à Duranus.
Je ne pouvais pas rester dans cet état à Nice, je pense que mon
père m’aurait tuée, il ne l’aurait jamais accepté.
Mes grands-parents ont été compréhensifs, ils m’ont soutenue

109
tout le long de ma grossesse, ils ont tout payé, les frais médicaux,
les spécialistes et j’en passe.
Un jour, mon grand-père avait une course urgente à faire et moi,
j’avais rendez-vous chez le gynécologue.
Je ne comprenais pas pourquoi il voulait absolument annuler le
rendez-vous, mais le gynécologue qui était très prisé dans la région
ne pouvait pas reporter le rendez-vous à moins de deux mois, alors
malgré lui et déçu, il m’a accompagnée et il m’a laissé attendre mon
tour dans la salle d’attente qui était bondée.
J’ai sympathisé avec ma voisine, une dame d’une quarantaine
d’années environ qui devait accoucher de son quatrième enfant,
charmante et très avenante, elle m’expliquait toutes les étapes de la
grossesse et de l’accouchement.
Il y avait cette secrétaire médicale d’une cinquantaine d’années
bien tassées qui était cachée derrière son comptoir et qui répondait
au téléphone avec un air agacé et expéditif, pressée de raccrocher. Il
était un peu plus de dix-huit heures, je suppose que sa journée était
finie depuis bien longtemps et ce n’était certainement pas une
adepte des heures supplémentaires, elle ne pensait qu’à une seule
chose, c’était de rentrer chez elle.
Elle est venue vers moi avec une chemise cartonnée qui renfer-
mait mon dossier médical, dossier que je n’ai jamais eu dans les
mains.
« Votre dossier médical, Mademoiselle, je dois partir, vous le
donnerez au docteur Hubert quand ça sera votre tour. »
Machinalement, je l’ai ouvert et j’ai commencé à le feuilleter,
c’était la première fois de ma vie que je voyais une échographie.
Ma voisine regardait avec moi et m’expliquait au fur et à mesure
des pages les termes techniques utilisés, les résultats sanguins, etc.
Elle s’est attardée sur un document détaillant mon groupe sanguin

110
et celui de mes parents, elle s’est tournée vers moi et elle m’a dit :
« On est des sœurs de cœur toutes les deux. »
Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par « sœurs de
cœur » et je pense que mon air étonné ne lui a pas échappé.
— Ben quoi !
Tu es une fille de la DASS ! Comme moi.
Je me suis empressée de lui répondre par un non catégorique, un
peu vexée, je l’avoue.
— Mais tu sais, ce n’est pas une maladie, tu n’as pas à être offus-
quée ni vexée, c’est la vie.
C’est impossible que ce soit tes parents, je ne suis pas médecin, mais
tu devrais poser la question au docteur tout à l’heure, tu verras bien.
— Mais qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Regarde, les groupes sanguins de tes parents et le tien ne sont
pas compatibles.
— Là, je venais de recevoir un coup de massue sur la tête, je ne
savais plus quoi penser.
— Tu es en train de me dire que tes parents ne sont pas tes vrais
parents biologiques et tu ne l’as su qu’à l’âge de quinze ans et par
hasard, par une inconnue dans une salle d’attente ?
Oh ! Putain.
— Oui, c’est ce que je suis en train de te dire. C’est un peu pour
ça que je veux remonter chez moi à Nice pour éclaircir une fois
pour toutes cette histoire.
— Mais tu leur as posé au moins la question ?
— Non ! Je n’ai jamais osé aborder la question.
— Et tes grands-parents ?
— Mes grands-parents, c’est des fourbes, ils bottent en touche à
chaque fois que j’essaie d’aborder la question et puis ce n’est pas
mes grands-parents par le fait.
J’ai été flouée, on m’a menti durant quinze ans, je ne savais pas

111
si je devais pleurer ou crier ma colère, j’étais anéantie, j’avais mal
dans ma chair.
Le ciel venait de me tomber sur la tête. Je ne savais plus où me
mettre, j’étais très mal, trahie.
J’espère toujours au fond de moi qu’il y a une autre explication,
mais l’attitude de mes grands-parents envers moi et à chaque fois
que j’essaie d’aborder le problème me conforte dans ce que je pense.
C’est pour cette raison que je suis partie de chez moi en coupant
les ponts avec tout le monde.
Je pense que mes grands-parents ont compris que je me doutais
de quelque chose et je suis persuadée qu’ils ont dû affranchir mes
parents sur la question. C’est aussi un peu pour ça qu’ils me laissent
tranquille, qu’ils me laissent faire ma vie loin d’eux sans me deman-
der des comptes, surtout mon père, un homme possessif et macho.
Je pense qu’aujourd’hui, je suis une femme accomplie et beaucoup
plus forte, je pense être prête à accepter et à comprendre mon passé.
Tu sais Latifa, je ne t’ai jamais parlé des cauchemars qui hantent
mes nuits depuis mon accouchement et que je revis toutes les nuits,
seconde par seconde. Je revois clairement le visage de ma grand-
mère m’annonçant que le bébé que je venais d’avoir était mort-né.
J’ai souhaité ma mort, je voulais en finir, je n’avais plus rien à
faire ici, j’aurais aimé ne jamais avoir existé et c’est là que mes
grands-parents ont sorti le grand jeu en m’offrant tout et n’importe
quoi, il suffisait que j’ouvre la bouche pour qu’on m’achète ce que je
voulais, ça devenait même agaçant, c’est cette vie-là que je voulais
fuir à jamais.
— Je suis scotchée, je ne m’attendais pas à tout ça, je comprends
pourquoi tu ne voulais plus revoir tes parents et tes grands-parents,
mais il faudra que tu aies une explication avec eux, au moins qu’ils
te disent la vérité sur ton passé, que tu saches d’où tu viens.
— Je ne sais pas si la vérité va m’aider à avancer ni à leur pardonner.

112
Ou pire encore, cette vérité me poussera à chercher une autre
vérité encore plus douloureuse.
Je passe toutes mes journées à y penser et mes nuits à cauche-
marder, je n’en peux plus, Latifa, je suis fatiguée.
Florence avait la voix qui tremblotait et des larmes coulaient le
long de ses joues.
— Je comprends pourquoi tu as gardé ce secret aussi longtemps !
Raconte-moi tes cauchemars.
— C’est toujours le même cauchemar que je fais depuis mes
quinze ans, j’étais chez mes grands-parents quand tout a commencé,
quelques jours après l’accouchement.
Je suis dans une pièce très éclairée, trop éclairée pour mes yeux,
j’ai du mal à distinguer ce qu’il y a autour de moi, les murs de la
pièce sont d’une blancheur incroyable, je ne sais pas trop si c’est la
blancheur des murs ou la lumière qui se reflète sur les murs, au fond
de la pièce est disposé un lit d’une place maculé de sang rouge vif, il
y en a partout sur les draps et sur une couverture, une femme est
allongée sur le lit, elle se tord de douleur, gesticule dans tous les
sens, elle n’arrête pas de se lamenter, le sang s’échappe de son bas-
ventre en grosse quantité, en m’approchant du lit, je crois me
reconnaître, je reconnais les traits de mon visage.
Choquée par ce que je vois, je tremble de tous mes membres, ce
que je vis là est surréaliste, avec une impression profonde de vivre
ça réellement, j’ai la sensation au fond de moi que c’est réel et à
chaque fois c’est la même impression que j’ai et quelques secondes
après, je suis réveillée par des cris de bébé.
Je me réveille en sueur, tremblotante et en pleurs, je ne sais pas
pourquoi ce cauchemar est en replay dans ma tête.
Et c’est toujours le même cauchemar depuis toutes ces années.
— Je suis désolée, Florence, je ne pensais pas que tu souffrais

113
autant, j’ai honte d’avoir été aussi égoïste, je pensais que tu ne me
faisais pas confiance.
Je suis désolée, sincèrement désolée.
Je t’accompagne à Nice et à Duranus si tu veux.
Il faut crever l’abcès, tu ne peux pas continuer à vivre avec ce
fardeau.
— Je ne sais pas si j’ai assez de courage pour affronter mes
parents, je crois que j’ai peur de connaître la vérité.
 
— J’ai repris le chemin du lycée à Drap sans aucune conviction.
Depuis mon accouchement, j’avais l’impression d’avoir mûri, mon expé-
rience très courte de maman m’a complètement métamorphosée.
Je n’étais plus la petite fille docile qui disait oui à tout, une per-
sonnalité grandissait en moi, nourrie par une haine hadale et un
dégoût incommensurable de la vie.
L’avenir qui m’était destiné, orchestré par mon grand-père,
n’était pas tout à fait ce que j’attendais de la vie, le cauchemar sub-
sistait, il était omniprésent et allait me hanter le restant de mes
jours, mon corps était meurtri et portait encore les stigmates de l’in-
famie, la culpabilité et le regret martelaient mon esprit à longueur
de journée et de nuit, ils m’empêchaient de vivre comme toutes les
adolescentes de mon âge.
Je partais tous les jours au lycée sans aucune envie ni motiva-
tion, c’est mon grand-père qui voulait faire de moi une enfant
modèle. Il pensait que d’un seul coup de baguette magique, il efface-
rait mon passé et réussirait à me faire oublier ce que je venais de
vivre, me faire admettre par tous les moyens qu’il avait pris la
bonne décision.
Il voulait absolument que je finisse mes études près de lui. Il pen-
sait être beaucoup plus malin que des millions de parents dans le

114
désarroi devant la crise d’adolescence de leur progéniture, je lui en
veux énormément et je ne suis pas prête à lui pardonner.
Je pleurais toutes les nuits et rien ni personne ne pouvait me
consoler. Guidée par une haine grandissante, je n’avais qu’une seule
obsession : faire payer mes grands-parents pour ce qu’ils ont fait,
pour avoir pris une décision irresponsable, abjecte, inconsidérée et
irréfléchie de ne pas m’avoir emmenée dans une clinique afin que je
puisse accoucher dans de bonnes conditions, mon bébé serait certai-
nement en vie à l’heure où je te parle. Ils ont préféré me cacher aux
yeux de tous.
Il y a des choses que je peux comprendre aujourd’hui avec le
recul, mais il reste des points d’interrogation, des choses que je ne
comprends pas, mon groupe sanguin qui ne correspond à personne
de la famille, mon bébé mort-né, personne ne veut me dire où il est
passé, qu’est-ce qu’ils en ont fait, on ne peut pas de nos jours faire
disparaître un corps sans laisser de traces.
Ma décision était mûrement réfléchie, partir loin de ces grands-
parents que je ne reconnaissais plus, ils n’étaient plus rien pour
moi, j’avais de la haine et du mépris pour eux, mon cœur était brisé
et noirci à jamais.
J’ai continué à aller au lycée pour ne pas éveiller les soupçons de
mes proches et je devais en tout état de cause attendre les fêtes de
fin d’année qui pour moi étaient une période synonyme à de l’ar-
gent de poche.
C’était une décision lourde de conséquences, je savais qu’ils
allaient être accablés et se sentir responsables de mon départ, mais
je n’avais plus le choix, je ne pouvais plus me mentir, j’étais mal-
heureuse et la culpabilité me rongeait de l’intérieur, la solution la
plus simple et salutaire pour moi, c’était de fuir loin de cet endroit
qui m’a précipitée dans l’abîme de la médiocrité et de la lâcheté.
J’avais économisé quelques centaines d’euros et préparé un sac

115
de voyage avec le strict minimum que j’ai soigneusement caché
dans le garage de papi.
Les jours qui ont suivi, je me trouvais une excuse pour retarder
mon départ, je manquais de courage et de détermination, ce petit
jeu a duré plus de trois mois. Je me dégoûtais de plus en plus et
j’avais beaucoup de mal à comprendre mon attitude d’une lâcheté
extrême.
C’est Enzo, ce petit gars d’un mètre cinquante à peine que j’ai
connu au lycée, qui m’a aidée à prendre mon envol, il n’avait que
seize ans et pourtant j’avais l’impression d’être en présence d’un
adulte qui avait roulé sa bosse et qui connaissait tout de la vie. De
parents divorcés, Enzo vivait avec sa mère qui était très volage, col-
lectionnant les hommes et les expériences amoureuses.
Un garçon solitaire vivant très mal cette situation et ne compre-
nant pas l’attitude de sa mère qui avait divorcé de son père pour
une vie superficielle et frivole.
Son objectif était de quitter sa mère et cette vie de turpitude pour
rejoindre son père qui s’était installé dans la banlieue parisienne.
Enzo se préparait à passer son baccalauréat scientifique, tout le
corps enseignant était unanime, Enzo était un enfant surdoué.
Incompris et évité comme la peste par les autres lycéens, il était
mystérieux et solitaire, il ne se mêlait jamais aux autres, il préférait
être seul dans son coin à regarder les autres avec ses grands yeux noirs.
J’étais dans la même situation qu’Enzo, mais pas pour les mêmes
raisons. Je ne l’ai jamais vu sourire, son visage reflétait la tristesse,
notre solitude et notre envie d’être seuls et de fuir les autres nous
ont considérablement rapprochés et avec le temps nous sommes
devenus des amis animés par un même objectif.
Nous avons fini par élaborer un plan d’évasion et décidé de par-
tir fin juin après les épreuves du baccalauréat, on était persuadés de

116
mettre un terme à cette vie sans passion, de fuir ce monde ingrat
alimenté par de la fourberie et de l’hypocrisie.
Vers la mi-juillet et dès l’annonce des résultats du baccalauréat
que j’ai eu avec mention, j’ai quitté Duranus sur mon scooter pour
rejoindre Drap où Enzo m’attendait au feu tricolore au bout de sa
rue, à une centaine de mètres de chez lui. Quand il m’a vue arriver,
il s’est levé précipitamment comme s’il avait le diable à ses trousses,
un sac de voyage accroché dans son dos, il a grimpé derrière moi et
le temps que je lui tende le casque, il était déjà en train de me crier
dessus : « Roule, roule, mets la gomme, accélère. »

— Notre escapade fut très chaotique et pleine de surprises,


d’abord une panne d’essence en rase campagne. Notre stratégie,
c’était de prendre les petites routes de campagne pour espérer pas-
ser sous les radars et faire le maximum de kilomètres sans être
inquiétés par la police en oubliant le plus important, le scooter avait
besoin de carburant et ce n’est certainement pas sur les routes de
campagne qu’on trouvera une pompe à essence.
Tant bien que mal, nous étions arrivés à hauteur d’Arles sur une
route départementale déserte, nous avons d’abord poussé le scooter
à tour de rôle pendant une bonne dizaine de kilomètres.
Terrassés par la fatigue, la démotivation a gagné Enzo et l’objec-
tif à atteindre n’était plus tout à fait le même.
Lui, il voulait simplement faire réfléchir sa mère et lui faire payer
son absence.
Moi, mon souhait était de disparaître.
La raison a repris sa place et il a fini par m’abandonner au bout
de quelques heures, il voulait absolument qu’on rentre, qu’on
rebrousse chemin, revenir à la maison comme si rien ne s’était
passé. Déterminée et sûre de moi, il n’a pas réussi à me persuader
de faire demi-tour, il a fini par me laisser plantée là et il est reparti à

117
travers les champs pour rejoindre la nationale qui n’était qu’à
quelques centaines de mètres. Je suis restée là toute la nuit dans le
froid et aux premières lueurs du jour, j’ai décidé de laisser mon
scooter sur place et de rejoindre la nationale pour faire du stop et
atteindre la capitale.
C’est en faisant du stop que j’ai connu Jade et son copain Nico
qui se sont arrêtés gentiment pour me prendre en voiture, le seul
inconvénient – et il était de taille –, ils descendaient à Marseille et
ils ont réussi à me convaincre que c’était la meilleure solution et
qu’il était beaucoup plus simple pour moi de rejoindre Paris par le
train de la gare St-Charles à Marseille.
Ils avaient raison sur une chose : Marseille un jour, Marseille
toujours.
Tu connais la suite, ma belle.
— Tu ne peux pas avancer dans ta vie et construire un avenir si
tu ne sais pas d’où tu viens et si tu ne connais pas tes racines.
— J’en suis persuadée, mais tout le monde me ment, mes grands-
parents restent évasifs à chaque fois que j’essaie d’entamer la
conversation et mes parents, je n’ose même pas leur poser la ques-
tion de peur qu’ils me mentent encore ou peut-être se décident à me
dire toute la vérité, cette vérité que je recherche et qui pourrait
m’anéantir et me pousser à vouloir trouver mes vrais parents et
connaître mes vraies racines.

— Je l’ai soutenue le long de sa grossesse, j’étais présente le jour


de son accouchement, c’est une chouette gamine et je suis heureuse
et fière de ce qu’elle est devenue et j’espère de tout cœur qu’elle réus-
sira dans tout ce qu’elle va entreprendre, elle le mérite, vraiment !
— Vous voulez bien me raconter ce qui s’est passé, s’il vous plaît !

118
Avant que Florence ne revienne de chez ses grands-parents, je
pense qu’elle en a pour un moment, mais bon, on ne sait jamais.
Miranda, l’infirmière qui a suivi Florence durant sa grossesse et
qui l’a aidée à accoucher cette nuit-là, était prête à tout raconter,
enfin presque tout.
Latifa était tout ouïe, prête à tout entendre pour enfin faire partie
intégrante de la vie de son amie.
— Florence n’avait que quinze ans quand elle s’est retrouvée
enceinte, effondrée par cette nouvelle si inattendue, elle pleurait toutes
les larmes de son corps, elle devait à tout prix dissimuler son état,
personne dans son entourage ne devait le savoir, elle avait écarté
d’un revers de la main l’idée de mettre au courant ses parents.
Ceux-là mêmes qui l’avaient mise en garde à maintes reprises
contre l’acte lui-même ; depuis qu’ils savaient que Florence avait un
petit copain, son père lui répétait inlassablement : « Je ne suis pas
contre le flirt, mais ne va pas plus loin, tu es encore trop jeune, tu as
tout le temps pour ça, tu dois apprendre à te protéger. »
Je suis une amie de la famille et souvent j’ai assisté à ce genre de
recommandations.

Florence avait oublié ce conseil au moment où Benjamin son


petit copain a commencé maladroitement à lui caresser les seins
tout en explorant avec sa langue le fond de sa bouche. Florence
avait fermé les yeux et savourait ce moment d’extase, elle était sur
un nuage et ne s’attendait pas à être envahie par le désir et la curio-
sité, découvrir des sensations nouvelles, son cœur battait la cha-
made. Ses tétons durcissaient sous les caresses de Benjamin qui était
de plus en plus entreprenant, ses seins en forme de petites poires
pointaient devant Benjamin qui ne pouvait s’empêcher de les
prendre dans sa bouche grande ouverte l’un après l’autre, encore et
encore. Florence sentait le plaisir monter en elle crescendo, sans

119
défense et impatiente de calmer ce désir qui faisait gonfler son bas-
ventre, elle se laissait aller et s’offrait à Benjamin en oubliant les
recommandations de son père, elle se sentait libre et prête à vivre
l’expérience avec l’homme qu’elle aimait.
Benjamin s’empara de la main droite de Florence et la posa déli-
catement sur son sexe gonflé et dur.
Florence, surprise, est restée figée sans respirer, profitant de ce
moment d’extase, les yeux fermés, la main autour de ce sexe dur,
impatiente de l’avoir en elle pour calmer son ardeur et éteindre le
feu qui la consumait.
Florence n’a jamais regretté ce moment magique et inoubliable,
même quand elle a su qu’elle était enceinte. Elle s’était juré de gar-
der le secret et de ne rien dire à Benjamin ni à ses parents.
Pendant les six premiers mois de sa grossesse, Florence n’avait
aucun mal à dissimuler son état et profitait de ses journées comme
toutes les adolescentes de son âge.
Les semaines suivantes, Florence commença à se métamorphoser,
ses seins avaient doublé de volume, son teint commençait à changer.
Florence n’a pas eu beaucoup de mal à persuader ses parents de
l’emmener passer quelques jours chez ses grands-parents à Duranus.
Un petit village paisible des Alpes-Maritimes, des habitants vivant
en autarcie, loin des tourments des grandes villes environnantes.
Les habitants de ce charmant petit village étaient majoritaire-
ment des retraités, habitués à vivre avec le chant des cigales et loin
du bruit et des turpitudes des grandes villes ; le temps semblait figé
jusqu’à l’arrivée inopinée de Florence qui se préparait à faire le
grand saut de l’adolescente insouciante à la vie à une jeune maman
responsable.
Florence n’avait que quinze ans et demi et malgré son jeune âge,
elle se préparait à donner la vie en cachette de ses parents et du
monde entier.

120
Elle avait élu domicile chez ses grands-parents qui étaient dans
la confidence et qui l’ont soutenue tout au long de sa grossesse,
ainsi que le curé de la paroisse et Miranda l’infirmière libérale.
 
René, le grand-père, était en désaccord avec Sophie, sa femme,
qui ne voulait pas remettre le nouveau-né à la DASS ou à qui que ce
soit d’ailleurs, l’instinct maternel la faisait réagir ainsi que la souf-
france que sa petite-fille allait endurer le restant de ses jours.
— Je vais l’aider à l’élever sans que personne le sache, répétait
inlassablement la grand-mère à son mari qui, lui, était persuadé
qu’il fallait faire disparaître ce bébé dès les premiers instants.
— Tu te vois à ton âge élever en cachette un bébé sans que ta
propre fille le sache et quand elle le verra, tu lui diras quoi ?
— Je ne sais pas ! Je verrai à ce moment-là.
— Non, il n’est pas question que tu le gardes, Florence est encore
jeune et elle a besoin de finir ses études et de vivre sa vie et toi, tu
as passé l’âge de torcher un bébé, ça sera notre secret et nous l’em-
mènerons avec nous dans la tombe, personne ne doit être au courant.
Sophie savait pertinemment que René avait raison, mais l’amour
maternel était plus fort que la raison et elle savait aussi que René ne
changerait pas d’avis et ferait en sorte de faire disparaître le bébé
dès sa naissance.
Le 13 août, les douleurs devinrent de plus en plus fortes et inces-
santes. Florence se tordait dans tous les sens, sa grand-mère était à
ses côtés pour l’assister, accompagnée de Miranda et du prêtre du
village, tous avaient juré de garder le secret.
Elle était allongée sur le lit dans cette maisonnette en bois que
René avait construite de ses propres mains au fond du jardin, un
mois auparavant.
René faisait les cent pas dehors et guettait les alentours, per-
sonne ne devait savoir ce qui se passait chez lui.

121
Les jambes écartées, Florence se tordait de douleur dans la mai-
sonnette improvisée en salle d’accouchement, aidée et soutenue par
Miranda, à chaque fois qu’une contraction se faisait sentir.
— Pousse ! Pousse, je vois la tête, il est là prêt à sortir, allez,
encore un effort.
La grand-mère tenait fermement la main de Florence en l’encou-
rageant, le prêtre qui se tenait à sa droite priait Dieu pour qu’il lui
facilite cette épreuve et qu’il lui pardonne son péché.
Florence poussa un cri strident qui fit sursauter tout le monde,
même son grand-père qui se trouvait à l’extérieur. Elle rassembla le
peu de force qui lui restait, écarta ses jambes à ne plus en pouvoir et
en un dernier effort elle permit à son bébé de trouver le chemin de
la vie et de la lumière ; le bébé était là, les forces de Florence la
lâchèrent et elle perdit connaissance.
Au bout de quelques minutes interminables, Florence revint à
elle, elle avait toujours aussi mal et les douleurs étaient toujours
présentes et incessantes. Le regard interrogatif, elle se tourna vers
l’infirmière qui fit tout pour la rassurer.
— Ne t’inquiète pas ! C’est normal, il faut éjecter le placenta,
c’est un deuxième accouchement malheureusement en un peu
moins douloureux.
Allez, je vais t’aider.
L’infirmière posa les mains sur le ventre de Florence et com-
mença une pression méthodique et sans relâche, le prêtre tenait fer-
mement la main de Florence qui avait le regard dans le vague,
priant Dieu pour qu’il abrège ses souffrances, ses entrailles se dislo-
quaient encore une fois, la douleur était de plus en plus forte, elle ne
contrôlait plus rien, son corps était à la merci de cette satanée dou-
leur. Elle sentait que toutes ses chairs se déchiraient. Florence
n’était pas préparée à vivre une telle expérience, car elle était
encore trop jeune, insouciante et vulnérable, et ne s’attendait pas à

122
donner la vie avec autant de souffrance, elle aurait aimé avoir sa
maman à ses côtés pour la soutenir et l’aider à comprendre et à
accepter cette situation, mais c’était impensable.
Dans un dernier soupir, Florence venait de perdre encore une
fois connaissance ; elle se réveilla vingt minutes plus tard dans un
lit douillet, apaisée, pensant que le plus dur était derrière elle.
Elle portait une chemise de nuit en soie fuchsia qui épousait par-
faitement son corps d’adolescente qui venait de donner la vie, sa
grand-mère à ses côtés lui tenait la main tendrement avec un pince-
ment au cœur et les larmes aux yeux.
Le grand-père les rejoignit dans la chambre et fit signe à la
grand-mère de sortir, c’est à lui que revenait le privilège d’annoncer
la mauvaise nouvelle à Florence.
C’était lui le responsable et l’instigateur de la disparition du
nouveau-né.
Il s’est assis sur le bord du lit en regardant droit dans les yeux Florence.
— Je suis désolé, ma chérie, ton petit ange a rejoint les anges du ciel.
— Où est mon bébé ?
Florence était désemparée et en pleurs.
— Ne t’inquiète pas, ma fille, ne pense plus à ça, pense à ton ave-
nir, vis ta vie, ce bébé, c’était un accident de parcours, tu es trop jeune
pour l’élever et nous trop vieux pour nous remettre dans les couches.
Ton père ne l’aurait jamais accepté et ta mère, je ne la connais
que trop bien, elle aurait sombré dans une dépression fulgurante et
Dieu seul sait ce qu’elle aurait fait.
Pour tout cela en mon âme et conscience, je suis presque heu-
reux qu’il ait rejoint le ciel, il n’aura pas à souffrir de nos erreurs.
À ce moment-là, Florence, du haut de ses quinze ans, a ressenti
ce qu’une mère peut ressentir, le temps s’est arrêté pour elle, vidée
et au bord de la crise de nerfs, les larmes coulaient à flots sur ses
joues, elle aurait voulu le prendre dans ses bras, l’embrasser une

123
dernière fois, mais son grand-père en avait décidé autrement, il ne
voulait pas lui infliger cette peine, il ne voulait pas que Florence
vive le restant de ses jours avec un fardeau, une erreur de parcours.
Le grand-père s’est levé pour laisser place à l’infirmière qui était
là pour écouter Florence, lui donner les derniers soins, l’aider à sur-
monter et à accepter la fatalité.
Sophie a emboîté le pas à René qui n’avait qu’une seule envie :
sortir prendre l’air, regarder le ciel et demander pardon à Dieu pour
ce qu’il venait de faire par amour pour sa petite-fille.
— Tu lui as tout dit ?
— Non ! Je n’en ai pas eu le courage.
J’ai été lâche, je lui ai menti, je lui ai dit que le bébé était mort-
né, je n’ai pas pu lui dire le reste.
— On fait quoi alors ?
— Rien ! On n’en parle plus à partir d’aujourd’hui.
C’est fini.
Terminé.
Je ne veux plus en entendre parler.
Florence reprenait goût à la vie aux côtés de ses grands-parents
pleins d’amour et de compassion, prêts à assouvir tous ses caprices
et à la rendre heureuse pour le restant de ses jours.
— Dis-moi, Florence !
Tu ne voudrais pas rester vivre avec nous ?
Tu irais au lycée à Drap pour finir tes études, tu te feras de nouveaux
amis, tu dois repartir à zéro et du bon pied, quitter Nice et ses quartiers,
tu mérites mieux que ça et nous, on est trop vieux et on a besoin de
toi à nos côtés, ta mère ne vient plus nous rendre visite comme avant.
René usait de tous les arguments et subterfuges pour persuader
Florence de rester vivre avec eux à Duranus.
Florence eut un sourire, les yeux fuyants et avec beaucoup de
peine, elle répondit à son grand-père.

124
— Grand-père !
Moi, je veux bien, mais maman ne sera jamais d’accord ! Et papa,
j’en parle même pas.
— Ta mère ? J’en fais mon affaire, ne t’inquiète pas pour ça,
répondit-il avec un air autoritaire et sûr de lui. Prends le temps de
te remettre, de te reposer et de reprendre des forces, il ne faut pas
que tes parents te voient dans cet état.
J’irai leur rendre visite la semaine prochaine pour leur annoncer
la nouvelle et ne t’inquiète pas, j’ai toujours été assez persuasif avec
ta mère, ce n’est certainement pas elle qui dira non.
— Et papa ?
— Ne pense plus à ça, tu as mieux à faire, pense à toi et à
construire ton avenir.
Ton père a toujours préféré sa tranquillité, il a fait le vide autour
de lui pour préserver son espace vital, si je lui donne l’occasion de
profiter de la vie sans se préoccuper de celle des autres, je pense
sincèrement qu’il sautera sur l’occasion.
Florence avait de la peine, mais savait que son grand-père avait rai-
son.
— Repose-toi ma fille, ne pense plus à rien et laisse-moi faire.
Florence était malheureuse, elle aurait souhaité revenir en arrière
et n’avoir jamais commis l’irréparable, elle s’en voulait énormément
d’avoir eu cet enfant.
Elle se consolait en se disant qu’elle n’avait pas le choix, qu’elle
n’avait que seize ans et qu’elle était incapable de s’occuper d’un
bébé et qu’il serait plus heureux là où il est, elle se répétait tout cela
en boucle et inlassablement jusqu’à l’endormissement.
Elle aurait aimé mettre sa mère dans la confidence, mais elle crai-
gnait sa réaction et celle de son père, un macho qui passait son
temps libre à regarder son nombril et à s’écouter parler.
Florence a consacré les jours qui ont suivi son accouchement à

125
regarder des feuilletons et des émissions de télé-réalité sans bouger
de son lit ni sortir de sa chambre. Ses grands-parents ont tout fait
pour la distraire et lui faire oublier cette douloureuse expérience.
Mais une question lui taraudait l’esprit et revenait sans cesse :
« Mes parents sont-ils vraiment mes parents ? »
Sophie, la grand-mère, aurait souhaité tout raconter à Florence pour
alléger sa conscience et apaiser la colère de sa petite-fille, mais René
veillait au grain, il surveillait tout ce qui se disait entre sa femme et sa
petite-fille et s’arrangeait pour ne jamais laisser Sophie seule avec elle.
— Il faut qu’on lui dise la vérité.
— Non, c’est trop tard, on ne peut plus reculer. Elle en sait déjà assez.
J’espère avoir pris la bonne décision et qu’un jour elle arrivera à
me pardonner.
— Et ta fille ?
Tu as pensé à ta fille et si un jour elle venait à le savoir, comment
allons-nous lui expliquer tout ça ?
Je ne vais pas pouvoir vivre le restant de mes jours avec un tel
fardeau.
Je n’arrive même plus à regarder ma petite-fille dans les yeux sans
avoir honte de moi.
Je ne dors plus. Je n’arrive plus à avancer ni à réfléchir.
J’ai du mal à raisonner. On est ignobles. Je m’en veux de t’avoir
laissé faire et de t’avoir écouté. Je regrette d’avoir été ta complice et
de ne pas avoir été assez convaincante et persuasive pour te faire
changer d’avis.
— Je suis désolé, ma chérie, j’ai agi pour le bien de tous, pour
l’avenir de ma petite-fille et pour la tranquillité de ma fille.
— Alors ! On n’a qu’à lui avouer la vérité et peut-être qu’elle
comprendra notre geste et qu’elle nous pardonnera !
— Non, certainement pas, on reste sur la première version et tu
n’as pas intérêt de flancher, il faut la préserver, ce n’est qu’une ado-

126
lescente, j’assume ce que j’ai fait, elle est encore jeune, elle va vite
se reconstruire, un jour elle rencontrera un homme qui la rendra
heureuse et ce jour-là, elle nous remerciera d’avoir agi de la sorte.
— Je ne suis pas convaincue, mais je te laisse seul avec ta
conscience, que Dieu te pardonne.
Depuis ce jour-là, ils n’ont plus jamais reparlé de cette histoire,
ni l’un ni l’autre n’avaient envie d’en parler, cette mésaventure les a
éloignés l’un de l’autre.
Ils se sont dévoués corps et âme au bonheur de leur petite-fille.
Florence se remettait doucement de ses blessures avec l’aide de
sa grand-mère Sophie qui était aux petits soins et qui exauçait tous
ses caprices, du collier en or dix-huit carats au scooter flambant
neuf, tout lui était accordé et Florence comptait bien en profiter,
c’était le prix à payer.
Les grands-parents avaient compris le message et ne voulaient
pas la décevoir.
René voulait absolument qu’elle poursuive ses études et qu’elle
obtienne au moins son baccalauréat pour préparer son avenir et sa
vie future.
Florence souffrait énormément et avait l’impression d’avoir perdu
quelque chose. Elle se réveillait toutes les nuits en sursaut et en
sueur, parfois en pleurant, ses nuits étaient hantées par des cauche-
mars qu’elle n’arrivait pas à expliquer, ses grands-parents faisaient
tout ce qu’ils pouvaient pour qu’elle se sente bien, qu’elle retrouve
son sourire angélique et son insouciance, qu’elle oublie cette mau-
vaise expérience, qu’elle se fasse de nouveaux amis et qu’elle vive sa
vie pleinement.
Sophie avait remarqué que sa petite-fille était malheureuse, sou-
vent ailleurs, le regard vitreux et lointain, elle était à fleur de peau
et se mettait à pleurer sans raison. Florence souffrait énormément et
personne ne pouvait vraiment l’aider.

127
— Je te connais un peu mieux maintenant et Miranda n’a pas été
avare sur les détails, ceci dit, je suis persuadée qu’elle ne m’a pas
tout dit, je pense que toute cette histoire, qui paraît très simple, en
réalité cache un secret de famille beaucoup plus important.
Et toi ? Tes grands-parents ?
— Non, toujours la même hypocrisie, les mêmes mensonges, je
pense que ma grand-mère aimerait bien soulager sa conscience,
mais mon grand-père veille sur son silence et mes parents, je ne
veux pas les voir, enfin ! mes parents.
J’ai du mal à croire que ce sont mes parents, l’attitude de mes
grands-parents me conforte dans l’idée que ce sont tous des menteurs.
— Ton grand-père insiste pour qu’on reste dîner et dormir ici,
qu’est-ce que tu en penses ?
— Non, il n’en est pas question, j’ai encore le curé à aller voir, il y
était le jour de mon accouchement.
— Il se fait tard, Florence, il doit certainement dormir.
— La maison de Dieu reste ouverte jour et nuit pour les oies égarées.
C’est lui-même qui martelait ça tous les dimanches pendant la messe.
Alors je vais lui rendre une petite visite.
Rien n’a changé sur la place où l’église se dressait, majestueuse, éclai-
rée par la clarté de la lune qui pointait dans le ciel en ce début de soirée.
Le grincement de la grande porte a fait sursauter le prêtre qui
était accroupi devant l’autel.
— Bonsoir mon Père.
René, le prêtre, s’est levé péniblement, ses genoux lui faisaient
défaut du haut de ses quatre-vingt-trois ans, et il a eu besoin d’une
trentaine de secondes pour reconnaître Florence, qui avait bien grandi.
— Tu as bien changé ma fille, tu es de plus en plus jolie, je suis
très heureux de te revoir.
— Merci mon Père.
— Qu’est-ce que je peux faire pour toi à cette heure-ci ?

128
Tu ne viens pas pour te confesser j’espère, parce qu’il est tard.
— Non. Je viens pour connaître la vérité.
— Quelle vérité ?
— La vérité sur mon accouchement, sur ce qui s’est passé ce soir-
là, sur mes parents, les vrais bien sûr.
— Je ne peux rien te dire et j’en suis sincèrement désolé, ton
grand-père, qui est un ami d’enfance, m’a demandé ce jour-là de
l’assister et m’a fait promettre de garder le secret à tout jamais. Je
prie Dieu tous les jours mon enfant, en lui demandant de me par-
donner et qu’il te donne la force de surmonter cette épreuve.
— Vous devez m’aider, mon Père, c’est votre devoir de tout me
dire, j’en ai vraiment besoin.
— Ne t’inquiète pas ma fille, la vérité éclatera un jour ou l’autre
avec ou sans mon aide, Dieu y veillera.
Florence avait agrippé le prêtre, en pleurs.
— S’il vous plaît, aidez-moi à comprendre, soulagez ma tristesse,
j’ai l’impression d’avoir perdu quelque chose.
— Je suis désolé, ma fille, je ne peux rien faire pour toi, mais j’irai
voir ton grand-père demain et l’exhorterai à te dévoiler la vérité que
tu cherches tant.
L’air grave et tellement désolé, le prêtre accompagne Florence
jusqu’à la porte de l’église.
— Il se fait tard, ma fille, rentre chez toi et prie Dieu qu’il soulage
ta conscience.
Va, ma fille et que Dieu te protège des turpitudes et des hypocrites.
— Alors ? Il t’a dit quelque chose ?
— Non ! Mon grand-père lui a fait promettre de garder le secret
jusqu’à sa mort.
— Elle devient de plus en plus intrigante ton histoire.
— Je ne sais pas ce que j’ai fait pour mériter ça, on rentre chez

129
nous, je n’ai plus rien à faire ici, je dois vite m’en aller d’ici parce
que j’ai des envies de meurtre, je vais finir par tuer quelqu’un.
Florence est repartie bredouille de Duranus, très déçue, sans la
vérité tant voulue et espérée.
Elle avait hâte de repartir à Marseille, ruminer, pleurer sur son
sort, en vouloir un peu à tout le monde et en particulier à toute sa
famille pour lui avoir menti durant toutes ces années, en colère
d’être repartie de chez ses grands-parents sans aucune réponse.
Très silencieuse durant le retour, concentrée sur la route qui défilait
devant elle, Latifa a essayé de la distraire en chantant, en lui racontant
des blagues, mais rien n’y a fait, Florence était triste et cela allait durer
encore quelques jours. Son amie la connaissait bien, elle ne voulait pas
la voir sombrer dans la dépression à cause des mensonges des adultes.
 
Florence comptait bien profiter de son séjour à Los Angeles pour
apprivoiser la langue, se spécialiser dans le droit international et
rencontrer Dimitri Karislova qui détient toute la vérité d’après Salah.
L’A380 de la compagnie Air France atterrit sur le tarmac de l’aé-
roport international de Los Angeles à onze heures du matin.
Florence et Latifa ont rejoint Burbank, une ville du comté de Los
Angeles dans la vallée de San Fernando avec la navette Go Airport
Shuttle proposée par l’aéroport pour rejoindre certains quartiers et
comtés de Los Angeles.
— Je m’en veux de ne pas avoir insisté avec ton père, j’aurais dû
tout essayer, je suis malheureuse rien que de savoir que tu dois me
quitter dans trois semaines.
— Ne t’inquiète pas, je t’appellerai une fois par semaine, je ne
veux pas être un fardeau pour toi, tu auras assurément autre chose
à faire que de t’occuper de moi.
— Tu aurais certainement trouvé un travail, tu ne seras jamais un
fardeau pour moi.

130
— Je te rappelle quand même que je n’ai eu droit qu’à un visa
touristique de trois semaines, alors !
Même si mon père avait accepté que je reste avec toi pendant
toute la durée de ton stage, le service de l’immigration américaine
en a décidé autrement.
C’est comme ça, tu n’y peux rien et moi non plus.
— On va faire un peu de shopping et après, on prendra un taxi
pour aller à Sherman Oaks, où un certain Walter nous attend vers
quinze heures au bar « Chimneysweep lounge » sur Woodman ave-
nue, pour nous emmener à l’appartement que le cabinet a loué pour
moi pour toute la durée du stage.
— C’est bizarre quand même, tu dois avoir un sacré ange gardien
qui s’occupe de toi.
— Je ne sais pas encore, mais en recoupant tout ça, je me dis que
j’ai beaucoup de chance ou il y a quelqu’un qui se donne un mal de
chien à faire en sorte que je ne manque de rien.
Le « Chimneysweep lounge » se trouvait sur une des plus belles
avenues, un bar branché à Sherman Oaks ; comme une centaine
d’autres dans ce comté, il était fréquenté principalement par de
jeunes diplômés, chefs d’entreprise.
Walter tenait une pancarte à bras-le-corps avec le nom de
Florence inscrit au feutre violet fluorescent.
— Florence ! Je crois que le gars là-bas, c’est Walter.
— Oui, je crois aussi.
— Mais ton nom est écrit en violet fluorescent, il est bizarre le
gars ! Non ?
— Oui, mais vu son écharpe violette autour du cou, le pantalon
slim qui lui serre le cul, sa mèche blonde qui lui tombe sur les yeux
et sa façon de faire pour l’apprivoiser, je pense que c’est une per -
sonne très sensible et que tu n’auras rien à craindre de lui.

131
— C’est clair, ce n’est pas lui qui me déflorera, ce n’est pas pour
aujourd’hui, je suis rassurée.
— Hey Mister Walter.
— Florence Caliente ?
— Yes, it’s me.
— Je parle français. Je suis français par ma mère et américain par
mon père, j’ai vécu pendant quelques années à Lyon précisément
avant de m’installer aux États-Unis.
— Je vous présente mon amie Latifa.
Walter embrasse Latifa et Florence, les prend par la main en se
mettant au milieu des deux jeunes filles en sautillant.
— Allez venez, suivez-moi, on va d’abord boire un verre pour
vous souhaiter la bienvenue à Los Angeles et après, je vous emmène
visiter votre appartement.
— L’appartement appartient au cabinet Fergusson ?
— Sachez que monsieur Fergusson et ses associés sont proprié-
taires de plusieurs propriétés à Los Angeles.
— Et ça continue, même l’appart où tu es censée vivre pendant
toute la durée de ton stage, appartient à ton bienfaiteur.
— Monsieur Fergusson est très généreux avec ses salariés et s’il
fait ça, c’est qu’il croit en vous.
— Comment peut-il croire en moi, il ne me connaît même pas, on
s’est rencontrés l’année dernière par hasard à l’hôtel, on a sympa-
thisé et quand il a su que j’étais en dernière année de droit, il m’a
proposé gentiment de faire mon stage dans son cabinet.
— Ne vous tracassez pas, il sait ce qu’il fait, il n’investit jamais
rien sans rien en retour.
— Ça ne me rassure pas ce que vous me dites.
— L’appartement se situe à Sherman Oaks Foothills, un quartier
résidentiel haut de gamme, situé dans le contrefort de Sherman
Oaks à quelques minutes à pied de deux centres commerciaux, un

132
grand complexe comprenant cinémas, boutiques pour votre shop-
ping, des restaurants et l’Universal studio et Hollywood Boulevard,
vous allez adorer, c’est le bas d’une maison de deux cents mètres
carrés, l’étage est occupé par madame Stevensson, une dame d’un
certain âge très sympathique, vous avez à votre disposition une ter-
rasse de cinquante mètres carrés environ et vous êtes proches de
l’autoroute, à quelques minutes d’Hollywood bowl, le zoo de Los
Angeles et le centre-ville comme Chinatown, Olivera ST.
Je n’aurais jamais les moyens de vivre dans ce quartier haut de
gamme, vous devez être très importante pour monsieur Fergusson !
Florence était intriguée et en même temps impatiente de visiter
l’appartement et de commencer sa nouvelle vie.
Walter n’a pas du tout exagéré, l’appartement se situait dans un
quartier ultra sécurisé et huppé, c’était le bas d’une maison très coquette.
 
— Hey Madame Stevensson.
— Hey.
— Je vous présente mademoiselle Florence Caliente et son amie,
c’est la locataire
dont monsieur Fergusson vous a parlé.
— Oui, je m’en doutais.
— Je vous présente madame Stevensson, une des associées de
monsieur Fergusson.
— Bonjour Mesdemoiselles, venez, je vous fais visiter, l’apparte-
ment a été complètement rénové et meublé à mon goût, j’espère que
vous aimerez,
dit madame Stevensson, une femme d’une soixantaine d’années,
très sportive.
— Regarde les mollets qu’elle a, ça doit être une férue du jogging
et du sport en général, souffle Latifa à Florence.
Un mètre quatre-vingts environ, très fine, des jambes intermi-

133
nables, un petit nez retroussé, de fines lèvres dissimulant une denti-
tion bien rangée et d’une blancheur éclatante, ses cheveux sont
attachés en chignon, ce qui lui donne un air très directif.
Florence était impressionnée par son agilité, le sourire constam-
ment présent, c’était une femme très élégante qui avait la joie de
vivre et qui ne se gênait pas pour le montrer.
Florence n’avait jamais vu autant de finesse dans la décoration,
tous les meubles étaient en osier, cuisine ouverte sur la salle, les
murs étaient peints en mauve très doux d’une délicatesse infinie, les
baies vitrées de deux mètres chacune laissaient entrevoir une ter-
rasse fleurie, c’était le rêve. Elle était loin de son appartement de la
rue Paradis à Marseille qui laissait entrevoir par la fenêtre les
façades grises de l’immeuble d’en face qui avaient besoin d’être
rafraîchies et en ouvrant la fenêtre, elle avait droit au bruit inces-
sant des moteurs des scooters et des voitures qui circulaient à toute
heure de la journée et de la nuit.
 
Florence était gênée de paraître trop heureuse aux yeux de
Latifa, on en oublie père et mère dans un paradis pareil.
— Je vais vous laisser vous installer tranquillement et si vous
avez besoin de quoi que ce soit, je suis à l’étage, il vous suffit de
prendre les escaliers à l’extérieur ou simplement l’escalier en coli-
maçon qui est sur la terrasse.
Walter salue Florence et Latifa et s’apprête lui aussi à les quitter.
— Je vous souhaite une bonne fin de journée et nous, on se verra
au bureau.
— Tu travailles au cabinet toi aussi ?
— Oui, je suis un des juristes du cabinet, je rédige les plaidoiries
et je m’occupe accessoirement de l’agenda de monsieur Lawson, un
des associés.
— Combien d’associés y a-t-il dans ce cabinet ?

134
— Quatre associés : madame Stevensson et messieurs Fergusson,
Lawson et Karislova, qui est un milliardaire extravagant, il a une
maison à Beverly Hills, la réplique exacte de la Maison-Blanche.
Monsieur Karislova est très discret, très bel homme, musclé et
toujours le teint bronzé, mais il ne vient quasiment jamais au cabi-
net, je ne crois pas que tu le rencontreras un jour, ça va faire sept
ans que je travaille avec monsieur Fergusson et j’ai eu l’honneur de
le croiser une seule fois et ça n’a duré que quelques secondes.
Florence sentait ses jambes ramollir, son cœur tambourinait dans
sa poitrine. Son état n’a pas échappé à Walter.
— Ça ne va pas Mademoiselle ?
Il y a un problème ?
— Non, ça va aller, j’ai juste besoin de m’asseoir quelques minutes
et de reprendre mes esprits.
— Qu’est-ce qui t’arrive Florence ?
On aurait dit que tu as entendu le nom du Messie, tu le connais
ce monsieur ?
— Non pas personnellement, je ne l’ai jamais vu, mais ton cousin
Salah m’a parlé de lui la dernière fois et il m’a assuré que Karislova
est mon ange gardien ; il détiendrait les réponses aux questions que
je me pose et tu te souviens de la Maison-Blanche qu’on a survolée
l’année dernière en hélicoptère ?
C’était la sienne.
— Eh ben, il suffit d’aller le voir.
— Excusez-moi, mais ça ne sera pas aussi facile que vous le pen-
sez, s’il a besoin de vous voir, il fera en sorte que vous le sachiez,
sinon ce n’est pas la peine d’essayer.
Je vous le déconseille vivement, il ne sort jamais de chez lui sans
ses gardes du corps et sa maison est gardée par une vingtaine de
tireurs d’élite, alors, à votre place, j’éviterais de trop m’en appro-

135
cher. Un conseil : attendez qu’il décide de vous rencontrer, n’essayez
pas de précipiter les choses.
Je vous laisse défaire vos affaires et vous reposer.
Je repasserai demain pour vous remettre le planning des réunions,
votre badge et quelques indications et recommandations impor-
tantes de monsieur Fergusson.
Florence commençait à comprendre pourquoi tout était si facile
pour elle depuis quelques mois, voire depuis quelques années, mais
une question restait en suspens et la torturait à longueur de jour-
née : « Pourquoi un homme comme Karislova s’intéresserait-il à
elle, petite fille du sud de la France qui n’a rien à offrir ? »
Florence finit par mettre toutes ses questions de côté en se pro-
mettant de profiter du shopping et de la plage pendant les trois
semaines à venir avec son amie de toujours Latifa.
Les bureaux de Fergusson & associés étaient au quarante-
troisième étage du plus haut building du centre-ville de Los Angeles.
Florence était accompagnée par Walter pour sa première journée
chez Fergusson & associés, il lui a fallu plus de deux heures pour
faire le tour des bureaux et les présentations d’usage.
— Il est presque treize heures, je dois vous accompagner dans le
bureau de monsieur Fergusson qui vous attend pour vous emmener
déjeuner.
Walter, accompagné de Florence, se dirigea vers un mur de
quatre mètres environ tout à fait banal, sans porte apparente, il
appuya discrètement sur un bouton-poussoir et attendit quelques
secondes, un petit clapet en haut du mur à environ deux mètres du
sol se mit en mouvement, discrètement sans aucun bruit pour lais-
ser place à l’objectif d’une caméra, l’instant d’après une porte invi-
sible à l’œil nu s’actionna et s’ouvrit devant eux.
Walter s’effaça pour laisser le passage à Florence.

136
— Profitez bien, ma chère, tout le monde n’a pas le privilège de
déjeuner avec monsieur Fergusson.
Florence avança timidement. Fergusson était derrière un bureau
en bois massif de plus de deux mètres cinquante, le sourire aux
lèvres et les deux bras tendus pour l’accueillir.
— Bonjour ma chère, heureux de vous revoir et très honoré que
vous fassiez partie de mon équipe.
Laissez-moi vous présenter mes associés, madame Stevensson
que vous connaissez déjà et monsieur Lawson, d’imminents avocats
qui font la fierté de ce cabinet.
Lawson avait sensiblement le même âge que madame
Stevensson, c’était un homme d’un certain âge, avec des yeux en
amande d’un bleu très clair, un nez assez imposant qui lui prenait
une bonne partie du visage, de grosses lèvres qui dissimulaient tant
bien que mal une dentition régulière, mais jaunie par le tabac.
Le sourire sincère et chaleureux.
— Bonjour Mademoiselle, je n’ai entendu que des louanges vous
concernant, j’espère que vous allez vous épanouir chez nous et
devenir une grande avocate.
— Merci Monsieur, je ferai en sorte de ne pas vous décevoir.
Florence sans faillir se tourna vers Fergusson :
— Je pensais que vous étiez quatre associés ?
Sans aucune réaction apparente et sans quitter le regard de Florence :
— Nous sommes trois associés pour diriger cet empire de plu-
sieurs millions de dollars et, effectivement, nous avons un qua-
trième associé et ami qui reste dans l’ombre et qui n’interfère
jamais dans le fonctionnement du cabinet.
Vous démarrez fort, Mademoiselle.
Je vois que vous vous êtes renseignée sur notre cabinet.
Assez bavardé, allons déjeuner.
Florence n’a pas réussi à en savoir plus pendant le déjeuner.

137
 
— Monsieur Karislova, mademoiselle Caliente est installée chez Marie
Stevensson comme prévu et elle a fait sa première journée au cabinet.
— Et ? Je suppose que vous avez autre chose à me dire, sinon
vous ne seriez pas là.
— Oui Monsieur, il y a un certain Roméro, un détective privé, qui a
débarqué de Santa Monica hier et qui la suit partout comme son ombre.
Vous voyez ce que je veux dire ?
— Euh ! J’ai compris.
Merci de m’avoir prévenu.
Dimitri était agacé par la nouvelle et il devait gérer cela au plus vite.
— Tu envoies deux hommes pour le reconduire chez lui et qu’il
ne remette plus les pieds ici.
— Vous savez comme moi que ce n’est pas la solution, il y aura
certainement un autre Roméro qui débarquera de je ne sais où. Je pense
qu’il va falloir régler le problème à la source une fois pour toutes.
Vous connaissez le commanditaire, il suffirait peut-être de voir
cela avec lui.
— Oui, effectivement, je sais d’où ça vient, John a peur de l’in-
connu, des choses qu’il ne contrôle pas et dans ces cas, il finit par
faire n’importe quoi et par prendre des décisions hasardeuses, il me
l’a déjà prouvé par le passé.
Trouvez-le-moi et ramenez-le-moi.
— Impossible, Monsieur, il est parti hier pour Paris.
— Bon, occupez-vous du détective et moi, je m’occupe de John,
j’ai l’impression qu’il n’a toujours pas compris ce que je lui ai dit.
— Je ne veux pas vous paraître indiscret ni m’immiscer dans vos
affaires Monsieur, mais je sais aussi que nous parlons de votre fils et
je pense malheureusement qu’il va falloir employer les grands
moyens pour qu’il comprenne.
— Je m’occupe de ça et vous, occupez-vous de Roméro, renvoyez

138
cette merde chez lui et s’il n’est pas d’accord, vous savez ce que
vous avez à faire.
 
— John !
— Bonjour Papa.
— Je crois t’avoir prévenu de laisser la petite tranquille.
John retient son souffle et ne sait pas quoi répondre.
— Je ne fais que la surveiller, j’ai beaucoup plus à perdre que toi.
— Ça, c’est ton problème, je t’avais prévenu, mais si tu continues
ton petit jeu, tu risques de tout perdre, tout.
Est-ce que c’est bien compris ?
Tu vas lui foutre la paix une fois pour toutes. Je n’aurai pas à te
le redire, j’espère que tu as bien compris cette fois.
— Je vais tout de suite rappeler Roméro et lui dire de laisser tomber.
— Ce n’est pas la peine, John, mes hommes vont lui indiquer le
chemin du retour.
Il a raccroché. Il est bien remonté.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? Olga était soucieuse et intriguée.
— Ne t’inquiète pas ma chérie, nous avons plus à perdre que lui,
je vais trouver un professionnel et cette fois-ci, je ne vais pas me
contenter de la faire suivre.
Olga, satisfaite de la réponse de son mari, s’approcha de lui en
déboutonnant langoureusement son chemisier comme pour le remer-
cier de prendre une telle décision.
John se dirigea vers la porte du bureau et la ferma à double tour.
Olga, adossée au bureau en acajou Louis XIV, remonta délicate-
ment sa jupe de tailleur tout en baissant son string pour laisser son
bas-ventre gonflé et humide à la merci de John qui l’avait en pleine
bouche, en caressant minutieusement son clitoris avec sa langue folle.
Olga, le souffle court, haletante, commençait à pousser des gémis-
sements de plaisir tout en serrant ses jambes, emprisonnant la tête

139
de John qui augmentait sensiblement sa cadence. Lorsque Olga relâ-
cha la pression sur son cou, John se redressa vigoureusement tout
en baissant le zip de son pantalon, la retourna, dès qu’elle sentit le
sexe raide l’effleurer, elle ramena ses mains en arrière, écartant les
globes cambrés de sa croupe afin de s’offrir pleinement. Il s’enfonça
de toutes ses forces et de tout son membre dans son bas-ventre, il
s’immobilisa quelques secondes au fond d’elle, imprimant à son
membre des va-et-vient lents et minutieux. John sentait le plaisir à
son paroxysme dans ce bas-ventre humide, dégageant une chaleur
douce et enveloppante, il augmenta la cadence et éclata dans son
bas-ventre en déversant sa semence quand Olga gloussait de plaisir
tout en s’agrippant au rebord du bureau. Il resta en elle de longues
secondes sans bouger, essayant de calmer son rythme cardiaque et
de retrouver une respiration normale et profonde.
 
— Monsieur ! On a reconduit Roméro à la frontière de l’État, il ne
remettra plus les pieds à Los Angeles.
Votre fils a beaucoup de ressources. Il en a après votre protégée,
je doute qu’il s’arrête en si bon chemin.
— Ne t’inquiète pas pour John, s’il n’a pas compris le message,
on fera en sorte qu’il le comprenne cette fois-ci.
J’ai des projets pour cette fille et John n’est qu’un gâté, pourri
par sa mère.
Dimitri invita son interlocuteur à quitter son bureau.
 
— Bonjour Fergu !
— Salut Dimitri !
— Tu viens aux nouvelles ?
— Oui, comment ça se passe avec la petite ?
— Elle est heureuse d’être ici, elle s’y plaît énormément et elle est

140
très intelligente, Marie veille au grain ne t’inquiète pas pour elle, elle
a mis beaucoup moins de temps que je ne le pensais pour s’intégrer.
— Je compte sur toi Fergu, si elle a besoin de quoi que ce soit, tu
gères et comme prévu, tu lui mets le petit Mickaël dans les pattes.
— Oui, ne t’inquiète pas et le pire, c’est qu’elle lui plaît beaucoup
au petit Mickaël.
Depuis qu’elle est ici, il a beaucoup changé, il est plus sérieux, ponc-
tuel et disponible, il s’habille à la mode et tiens-toi bien, il se parfume
maintenant, ce n’est plus le Mickaël qui arrivait le matin décoiffé, sou-
vent en retard et accoutré comme un adolescent en crise et mal-aimé.
— Bon tant mieux. Je veux un rapport toutes les semaines.
— Ne t’inquiète pas Dim, il a bien appris sa leçon, le seul pro-
blème, c’est qu’il risque de tomber amoureux de la petite.
— S’il n’y a que ça, ce n’est pas trop grave.
Ce qui m’inquiète dans cette histoire, c’est mon fils John qui
prend des initiatives et contrecarre mes plans.
— Mais qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans John ?
— C’est très compliqué Fergu, je ne peux pas t’expliquer, peut-
être une prochaine fois.
Florence savait que quelque chose se tramait dans son dos, mais
elle n’arrivait pas à savoir ce que c’était.
Elle avait l’impression d’être épiée, suivie, surveillée.
— Qui c’est Dimitri Karislova ?
Mickaël hésite.
— Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu.
— Pourtant, c’est un associé de Fergusson, non ?
— Oui, c’est un homme très influent à Los Angeles.
— Il est marié ? Il a des enfants ?
— Il est veuf. C’est tout ce que je sais.
— Tu n’as pas le droit d’en parler, c’est ça ?

141
— Non, je ne suis pas habilité à te parler de monsieur Karislova.
Désolé.
Fergusson intervient au bon moment et sauve Mickaël des ques-
tionnements de Florence.
— C’est la deuxième affaire que tu remportes, je suis fier de toi.
— C’est grâce aux très bons formateurs qui m’entourent
Monsieur Fergusson.
— Oui ! Mais tu n’as eu besoin de personne pour rédiger tes plai-
doiries, c’est impressionnant, c’est une belle leçon que tu donnes à
tes collègues.
— Je n’ai traité que deux affaires, Monsieur, j’ai eu largement le
temps de les préparer. Mes collègues en ont plus d’une dizaine par
an, ils n’ont certainement pas le temps de rédiger les plaidoiries,
heureusement qu’ils ont Walter.
— Bon, assez bavardé, finis ton verre et allons rejoindre au
« Galactica » Lawson, Stevensson et toute l’équipe pour fêter ta vic-
toire et la fin de ton stage et accessoirement discuter de ton avenir.
Florence venait d’avoir une proposition d’emploi subtilement intro-
duite dans un échange tout à fait anodin avec son patron et maître
de stage, c’était inespéré, un rêve qui pourrait devenir réalité.
Elle n’a pas osé demander plus d’informations, elle était décon-
certée et émerveillée en même temps, ce moment elle l’a tant espéré
au fond d’elle, mais ce n’était qu’un rêve qui restait inaccessible
pour la petite Azuréenne venue conquérir l’Amérique.
Le « Galactica » se trouve au sommet de l’hôtel qui porte le
même nom, il surplombe la ville et offre une vue magnifique à cou-
per le souffle.
Le cadre à ciel ouvert est superbe, magique, idyllique avec ses
banquettes dorées ultramoelleuses et son immense table centrale,
ses alcôves et ses murs fleuris.

142
Fergusson connaît bien les lieux, c’est un habitué du luxe et des
soirées mondaines.
— Je te conseille le Caipirinha, c’est une de leurs spécialités, ou
tout simplement un Rosa Oaxaca, un cocktail à base d’eau de rose,
d’hibiscus et de mezcal et si tu tiens encore debout après avoir bu
ça, nous irons tous au restaurant « The Bazaar hotel ».
Florence en avait l’eau à la bouche et elle voulait absolument en
savoir un peu plus sur les projets de monsieur Fergusson la concer-
nant.
Elle met du temps à boire son délicieux Rosa Oaxaca, élixir avec
un taux d’alcool très élevé.
La tête légère et tournoyante, Florence ne sentait plus ses
jambes, elle avait beaucoup de mal à articuler et passait de la langue
de Shakespeare au français, ce qui faisait beaucoup rire ses col-
lègues, mais au fond d’elle, elle s’en voulait énormément, elle aurait
voulu donner une autre image d’elle, sobre et lucide avec toutes ses
facultés pour savoir ce que pourrait éventuellement lui proposer
monsieur Fergusson.
Ses souhaits les plus secrets étaient de s’installer définitivement
aux États-Unis et de connaître monsieur Karislova qui détenait cer-
tainement la vérité sur ses origines et la clé de toutes ses angoisses.
Mickaël héla un taxi et raccompagna Florence chez elle sur la
directive de Fergusson, elle ne tenait plus debout et menaçait de
repeindre la moquette du taxi.
 
— Monsieur John.
— Oui, Walter !
Du nouveau ?
— Oui, Monsieur. Je pense que ça ne va pas vous plaire.
Walter est devenu l’informateur de John depuis que Dimitri a
invité Roméro à quitter Los Angeles.

143
John, le regard dans le vide sentit son estomac se contracter et
une boule se former et bloquer petit à petit sa respiration.
— Vous êtes toujours là ?
Péniblement et sans conviction.
— Oui, je t’écoute.
— Monsieur Fergusson va proposer un contrat de travail à
Florence, elle va devoir rester à Los Angeles, je pense que c’est une
idée de votre père, ceci dit, elle mérite amplement le poste d’avocate
dans l’agence.
— OK ! Merci Walter.
John raccrocha sans attendre.
Il resta quelques minutes là, inerte, essayant de rassembler ses
esprits et de réfléchir. Il devait à tout prix réagir et éloigner Florence
de Los Angeles et de son père.
John était déterminé à la chasser définitivement, l’enjeu était de
taille, la perte qu’il subirait serait trop importante et il devenait
urgent de faire le nécessaire.
John savait qu’elle était protégée par son père, il fallait qu’il opère
discrètement pour ne pas éveiller les soupçons et attirer la foudre
sur lui. Il risquait de le payer très cher, ainsi que sa femme Olga.
L’assistant et bras droit de Dimitri Karislova entre dans le bureau
ovale d’un pas décidé.
— Monsieur,
Youri au téléphone, il dit que c’est important. Il est sur la deux.
— Allô.
Tu dois avoir quelque chose d’important à me dire, toi. Sinon tu
m’appellerais pas.
Tu es à Los Angeles ?
— Non Dimitri, je suis au Q.G. à Moscou.
— Qu’est-ce que tu as pour moi ?
— Ton fils John a essayé d’enrôler un de mes lieutenants pour

144
liquider une jeune Française qui travaille pour Fergusson & asso-
ciés, il lui a offert un beau paquet de dollars. Il a refusé, ça va de soi.
J’ai une dette envers toi et je te serai toujours redevable, je n’ou-
blierai jamais ce que tu as fait pour ma famille, mais malheureuse-
ment, je n’ai aucun contrôle sur le Tchétchène qu’il a contacté, c’est
un homme qui tuerait père et mère pour quelques dollars, te voilà
prévenu, ton pire ennemi connu à ce jour, c’est ton fils.
— OK, merci Youri.
 
Le regard lointain, le visage crispé, il était près de la syncope, il
ne lui a pas fallu plus de dix secondes pour prendre une décision
radicale et lourde de conséquences.
— Je veux que Marina aille à Paris le plus tôt possible et ramène
les petits, tu lui prépares la planque à Oak Lawn et pour les docu-
ments de voyage, tu fais comme d’habitude.
Marina s’est faite toute seule, abandonnée dès l’âge de neuf mois
par ses parents biologiques, elle a subi trois viols, mais les violeurs
ne sont plus de ce monde, elle les a tous les trois exécutés entre ses
treize ans et ses trente-deux ans ; elle a un palmarès très riche, elle a
vingt-huit meurtres à son actif, tous tués par arme blanche, elle a
horreur du bruit et n’aime pas les armes à feu.
Dimitri la connaît bien – il lui a confié plusieurs contrats et elle n’a
jamais failli –, elle le connaît bien également pour avoir travaillé avec
lui pendant la période conflictuelle entre les pays de l’Est et la Russie.
— Vous croyez qu’elle va accepter de jouer la baby-sitter ?
— Oui, elle ferait n’importe quoi pour moi.
— Et après ?
— Réfléchissez, Bon Dieu. Quand vous enlevez les fondations
d’une construction, elle s’écroule. C’est ce qu’on va faire avec John,
on lui retire ce qui l’a toujours motivé et quand il aura assez souf-
fert de ses blessures, on l’abattra pour abréger ses souffrances, je

145
vais lui enlever tous ceux qu’il aime, je vais lui faire payer son insu-
bordination, il faudra qu’il comprenne que c’est moi qui donne les
ordres, ça n’a jamais été lui, il n’est rien.
Dites à Marina que je ne veux pas de vagues, elle les ramène et
elle les garde au chaud, qu’elle prenne mon jet et qu’elle parte dès
que possible. Faites le nécessaire.
— Bien Monsieur, comme vous voudrez.
Florence ouvre les yeux péniblement très tard dans la matinée, la
bouche pâteuse, un mal de tête terrible, avec la certitude d’avoir un
marteau-piqueur en pleine action dans son cerveau, le Rosa Oaxaca
faisait encore son effet.
Elle avait du mal à rassembler ses idées et à revenir à la réalité,
beaucoup de questions étaient en suspens, sans réponses.
Elle est restée un bon moment allongée sur le lit sans bouger,
essayant de se souvenir de ce qui s’était passé la veille.
Comment a-t-elle fait pour atterrir dans son lit tout habillée ?
Aucun bruit autour d’elle à part le marteau-piqueur qui conti-
nuait à marteler son cerveau.
Florence rassemble toutes ses forces et s’extirpe à regret de son
lit en titubant et en s’aidant de tout ce qui était solide autour d’elle,
l’image que renvoyait le miroir de la salle de bain ne lui ressemblait
pas, elle avait du mal à croire que c’était son reflet. Les traits tirés,
les yeux bouffis et toujours cette envie de vomir attendant le bon
moment pour redécorer les murs.
Florence se déshabille avec beaucoup de peine, en évitant de
faire des mouvements brusques et sans baisser la tête, glisse sous la
douche sans bouger en se tenant aux parois et profite de ce moment
de répit en laissant l’eau couler le long de son corps, le marteau-
piqueur était toujours à l’œuvre et n’avait pas l’intention d’arrêter
le chantier en cours.
Florence se maudissait, ce n’était pas elle, elle n’avait pas l’habi-

146
tude de boire autant et de se retrouver enivrée au point de ne pas se
souvenir de ce qui s’était passé la veille, aucun souvenir de son
retour à la maison.
Florence a décidé de sortir de la douche quand ses muscles ont
commencé à s’engourdir, elle s’est refait une beauté devant le miroir
qui maintenant reflétait une image plus agréable, elle s’est attardée
plusieurs minutes sur les poches sous ses yeux qui commençaient à
dégonfler sous l’effet de la douche froide qu’elle venait de s’infliger.
La serviette autour d’elle, Florence s’apprêtait à sortir de la salle
de bain pour rejoindre sa chambre quand elle entendit chanter sur
la terrasse. Elle reconnut immédiatement la voix de Mickaël.
Mickaël – un mètre quatre-vingts environ, très beau garçon, le
teint mat, les cheveux très courts, de grands yeux noirs avec des
sourcils bien fournis, un nez fin et pointu – l’attendait sur la ter-
rasse dans son costume Ralph Lauren.
Florence enfila à la hâte un peignoir de bain en soie et le rejoignit.
— Hey, Florence !
— Bonjour Mike.
— Je me suis permis de te préparer un petit-déjeuner, j’espère
que tu ne m’en veux pas.
— C’est gentil. J’ai terriblement honte pour hier soir.
— Pourquoi ?
— Je ne me souviens de rien, c’est gênant.
— Ne t’inquiète pas, j’ai veillé sur toi toute la nuit de peur que tu
fasses un malaise et en fin de compte, tu as dormi comme un bébé.
— Tu es resté ici, toute la nuit à mon chevet ?
— Oui, je ne pouvais pas te laisser dans cet état, tu étais très mal
en point.
— J’ai honte, que va penser monsieur Fergusson ?
Et les autres ?
— Quand tu as fini ton deuxième Rosa Oaxaca, tu tenais miracu-

147
leusement encore debout, tu avais beaucoup de mal à articuler, alors
monsieur Fergusson m’a demandé de te raccompagner chez toi et
j’ai pris l’initiative de rester ici pour veiller sur toi.
J’espère que tu ne m’en veux pas ?
— Non ! Bien sûr que non.
Florence, encore gênée par cette situation, s’approcha de Mickaël,
attirée comme un aimant, finalement ce beau brun la faisait craquer,
elle était vulnérable, désarmée en sa présence.
— J’ai cru depuis longtemps que je n’aurais plus jamais envie
d’un homme. À peine avait-elle prononcé ces mots qu’elle s’avança
lentement vers Mickaël et l’embrassa goulûment, un baiser qui dura
une éternité pour Florence.
— Je suis désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’en avais trop
envie, je pense que ce sont les vapeurs d’alcool qui persistent depuis
hier soir.
— Chut… tu n’as pas à être désolée, c’était fort agréable et je t’aime
depuis le premier jour que je t’ai vue, je rêvais de te prendre dans
mes bras, je suis un homme heureux, la crainte que j’avais était que
tu me quittes dès la fin de ton stage et maintenant que je sais que tu
restes, je suis un homme heureux, le plus heureux de la Terre.
La tête enfouie dans le cou de Mickaël, Florence ronronnait
comme un chat heureux.
— Comment tu peux être sûr que Fergusson envisage de me pro-
poser un poste au sein du cabinet ?
— Tu es naïve, darling, ton contrat est déjà prêt, il attend juste
d’être paraphé et signé.
— Tu es sûr de ce que tu dis ?
— Absolument, je l’ai vu sur le bureau de Fergusson, d’ailleurs,
tu auras le pôle immobilier, un budget de plus de deux cents mil-
lions de dollars.
 

148
Marina n’était pas très grande, un mètre soixante-treize environ,
avec un corps d’athlète, ses cheveux roux coupés au carré faisaient
un effet dévastateur avec le reflet de ses beaux yeux vert émeraude,
un petit nez refait à plusieurs reprises par un chirurgien plasticien
du KGB, Marina s’est fait aussi refaire les seins, elle avait reçu une
balle dans le thorax lors d’une mission au Kazakhstan qui lui avait
abîmé et perforé entièrement le sein gauche.
En planque dans sa grosse berline, vitres teintées, depuis un peu plus
d’une heure devant l’hôtel particulier de John, elle aimait travailler seule
sans logistique ni appui, elle ne faisait confiance à personne, c’est ce
qui lui a permis de se sortir de missions beaucoup plus difficiles et
délicates qu’un enlèvement de deux enfants. Elle ne comprenait tou-
jours pas pourquoi Dimitri avait fait appel à elle, la tueuse de sang-
froid, pour enlever ses petits-enfants et les rapatrier aux États-Unis.
La question fut vite gommée de sa tête : il la paye très cher pour
cette mission qui paraît très simple. Un employé de l’ambassade
russe à Paris a pris soin de lui prendre rendez-vous pour le matin
même avec Olga en prétextant une enquête interne et habituelle
pour le renouvellement des documents diplomatiques.
Marina attendait le départ de John accompagnée de son bras
droit et garde du corps, un colosse d’un mètre quatre-vingt-dix sans
états d’âme et prêt à se sacrifier pour son patron.
Marina, des jumelles à la main, s’est assurée que John était bien
le passager de la berline allemande qui s’apprêtait à quitter le par-
king privé de l’hôtel.
Quelques minutes après que la berline a quitté le parking,
Marina était prête à agir et à remplir sa mission sans attendre.
— Bonjour Madame, Marina Petroska attachée à l’ambassade,
nous avons rendez-vous ce matin.
L’interphone crépitait à travers le haut-parleur un son presque
inaudible.

149
— Nous avions rendez-vous à dix heures.
Vous êtes en avance !
— Oui et j’en suis désolée, on m’a dit à la première heure à l’am-
bassade, vous savez ce que c’est les scribouillards.
— Ce n’est pas grave, montez, je suis au deuxième étage, prenez
la petite porte sur le côté.
Olga reçoit Marina dans son salon, habillée sobrement d’un
tailleur Gucci, elle avait rendez-vous avec son banquier pour retirer
une grosse somme en liquide, elle avait prévu d’aller passer quelques
jours dans sa maison en principauté de Monaco avec ses enfants et
John les rejoindrait plus tard.
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Je n’ai pas beaucoup de temps, vous êtes vraiment en avance.
— Je n’en ai pas pour longtemps, ne vous inquiétez pas.
Où sont vos enfants ?
— Les enfants ?
Pourquoi cherchez-vous après mes enfants ?
— J’ai un cadeau à leur remettre de la part de leur grand-père.
— Un cadeau de Dimitri ?
— Oui ! C’est ça, répondit Marina agacée.
Olga était déconcertée par l’attitude de Marina.
Déstabilisée, elle s’apprêtait à répliquer.
— Je n’ai pas de temps à perdre, allons chercher les enfants, ne
m’obligez pas à vous faire mal, ce n’est pas le but de ma visite.
Les enfants étaient en train de jouer au chat et à la souris dans
les couloirs.
— Les enfants, venez, j’ai quelqu’un à vous présenter.
— Voici Marina, euh… elle a un cadeau pour vous de grand-père.
— Je suis une amie de votre grand-père et je suis là pour vous
emmener le voir, il vous attend.
Olga pâlit, se crispe, ses jambes tremblotent, elle est paniquée.

150
— Comment ça ?
Les emmener où ?
Et John est au courant ?
Il ne m’a rien dit.
Marina l’invita à se taire.
— Chut…
Alors Olga ! Comment s’appellent ces deux bijoux ?
Olga rassemble le peu de force qui lui reste, mais aucun son ne
sort de sa bouche, ses cordes vocales ont l’air d’être grippées.
— Ce sont des jumeaux que vous avez là ?
Quel âge ont-ils ?
Comme Olga ne répondait toujours pas.
— Moi, je m’appelle Allan et j’ai dix ans et moi Malcolm et j’ai
dix ans aussi.
— Vous êtes des rigolos tous les deux.
Attendez-moi ici, mes chéris, j’ai quelque chose à dire à votre maman.
Suivez-moi, Olga.
Quand vous retrouverez toutes vos facultés, les enfants seront en
sécurité et n’oubliez pas de dire à John que c’est Marina qui a pris
les enfants, il comprendra.
En moins d’une seconde, Olga avait perdu connaissance. Marina
avait exercé une pression sur sa carotide qui l’avait fait chavirer
dans un sommeil profond.
— Allez, les enfants, nous allons rendre visite à grand-père, il
nous attend, on va devoir prendre son avion personnel et vous
savez comme moi, grand-père n’aime pas attendre.
Étendue sur le sofa de la chambre, Olga était maintenant dans les
bras de Morphée pour un long moment.
 
— Monsieur !
Marina est arrivée à destination, tout le monde va bien.

151
— OK, merci.
Au même moment, Dimitri reçoit un appel de Fergusson.
— Dim, c’est très important et urgent, il faut que tu viennes me
rejoindre au bureau.
Et il raccrocha sans attendre la réponse de Dimitri.
Florence venait de se faire agresser par arme blanche, plusieurs coups
de couteau au thorax et à l’abdomen, elle était entre la vie et la mort.
Ses agresseurs ont tous deux été abattus par le garde du corps qui
n’a rien pu faire pour empêcher cette agression qui a duré moins de
trente secondes. Il était à plus de deux cents mètres de Florence
quand c’est arrivé, c’étaient les ordres, rester loin et discret.
Dimitri était très tendu et faisait les cent pas dans ce couloir
lugubre au « California hospital » en maudissant son fils John.
— Bonjour, qui est responsable de mademoiselle Florence Caliente ?
Dimitri, surpris par cette question, mit quelques secondes pour
reprendre ses esprits et répondre à l’homme en blouse blanche qui
se tenait devant lui.
— C’est moi.
— Son état s’est stabilisé pour l’instant, mais son pronostic vital
est engagé, elle a perdu beaucoup de sang, son foie a été touché, elle
a trois côtes cassées et le poumon gauche a été perforé.
On l’a mise dans le coma pour pouvoir la soigner. Nous faisons
tout ce qui est nécessaire, ne vous inquiétez pas, pour l’instant tout
se présente bien, elle est forte.
Je ne peux rien vous dire de plus actuellement.
Ça risque de prendre un peu de temps, je vous conseille de ren-
trer chez vous en laissant vos coordonnées pour qu’on puisse vous
joindre dès qu’il y aura du nouveau.
Dimitri ne relève pas, il ne l’entend même plus, Fergusson se
rapproche du médecin et regarde le nom inscrit sur sa blouse.
Docteur Parckson.

152
— Vous allez faire l’impossible, Monsieur Parckson, pour que cette
jeune fille s’en sorte, j’ai bien dit l’impossible, sinon vous et votre patron
monsieur Ryne allez avoir de gros problèmes, et prévenez monsieur Ryne
que messieurs Karislova et Fergusson sont là. Je pense qu’il sera très
heureux de nous rencontrer et nous voulons connaître l’évolution de son
état toutes les heures, faites comme vous voulez, organisez-vous comme
vous voulez, mais vous avez tout intérêt à ce que tout aille pour le
mieux. Maintenant, je pense que vous avez assez perdu de temps, vous
avez certainement autre chose à faire de plus important que de rester ici.
Le docteur ne s’attendait pas du tout à cette réaction, il tourna
les talons, outré.
Dimitri n’avait ni le courage ni l’envie de surenchérir, il était
abattu par ce qui se passait et tout ça était l’œuvre de son fils John,
personne n’a jamais osé se mettre en travers de son chemin, ça n’a
jamais été un tendre, tout le monde le craignait et il était respecté et
très influent, il ne pouvait pas imaginer que le danger viendrait de
sa propre famille, il était persuadé que John avait compris la leçon
et qu’il n’avait pas assez de courage pour s’attaquer à son père.
Dimitri considérait cela comme un affront, une déclaration de
guerre, John venait de signer son arrêt de mort, mais pour l’instant,
il devait s’occuper de Florence.
Ça faisait déjà une semaine que Florence était dans le coma, son
état s’est amélioré, les médecins ne pouvaient pas encore se pronon-
cer, mais ils étaient confiants.
L’hôpital a été pris d’assaut par les médias, ce n’est pas tous les
jours que Dimitri Karislova était en première ligne pour une affaire
d’agression.
Mais les médias étaient plus intéressés par les liens qui liaient cette
jeune Française à Dimitri, c’est ce qui l’agaçait au plus haut point.
— Est-elle en état de voyager ?
— Oui Dimitri, tant qu’on la maintient dans le coma.

153
Où veux-tu l’emmener ?
Si ce n’est pas trop indiscret.
— Dans une clinique privée, je veux l’éloigner de ces fouineurs
de journalistes qui n’ont rien d’autre à faire que de venir camper ici
à l’hôpital.
Ryne savait que Dimitri avait raison d’éloigner Florence de Los
Angeles et de tous ces journalistes avides d’informations touchant
des people ou des politiciens.
— Préviens-moi dès que je peux la transporter.
— OK, compte sur moi Dimitri.
— Tu l’emmènes où, Dim ?
Fergusson avait entendu la conversation que Dimitri avait eue
avec Ryne, le directeur de l’hôpital.
— Je l’emmène à Montreux, en Suisse, un ami en qui j’ai entière-
ment confiance a une clinique privée qui emploie des chirurgiens de
renommée mondiale.
Je veux qu’elle soit soignée et suivie par les meilleurs, je ne veux
pas la perdre encore une fois.

— Comment tu as pu laisser faire cela ?


Olga avait du mal à contenir ses larmes, elle tremblait de tous ses
membres.
— Je n’ai rien pu faire.
— Et Mark où il est ?
— Il est dans la cage d’ascenseur, je ne sais pas s’il est encore vivant.
— Qui a fait ça ?
Qui a osé s’attaquer à ma famille et à moi ?
— Je crois qu’elle a dit qu’elle s’appelait Marina.
Le prénom de Marina l’a glacé, John était devenu blanc, plus
aucune goutte de sang ne circulait dans ses veines, ce prénom l’a
lobotomisé en une fraction de seconde, il n’arrivait plus à articuler

154
et pourtant il aurait aimé crier sa détresse, sa souffrance et sa colère,
mais ses cordes vocales étaient enrayées, les larmes aux yeux, on
venait de lui retirer la seule chose qui le maintenait en vie, les
seules personnes qui comptaient à ses yeux.
Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre ses esprits.
— Elle t’a dit autre chose ?
— Non, elle ne m’a rien dit. Juste qu’elle était une amie de ton père.
Tu la connais ?
Dis-moi qu’elle ne leur fera pas de mal, dis-moi qu’on va les retrou-
ver.
— C’est mon père qui l’a envoyée pour enlever les enfants, mais
pourquoi ?
— Elle a dit que tu comprendrais.
John pleurait comme un enfant, il n’arrivait plus à se contenir.
— Demain, on prend le premier vol pour Los Angeles, il faut que
je parle à mon père.
— Je ne bouge pas d’ici, je vais appeler la police et signaler la dis-
parition de mes enfants.
— Tu n’as pas compris que c’est mon père qui les a enlevés et
qu’ils sont certainement aux États-Unis à l’heure où nous parlons ?
Olga se saisit du téléphone.
— J’appelle Dimitri.
John la regarde composer le numéro sans rien dire, il connaît
bien son père, ce n’est pas pour rien qu’il a enlevé les enfants.
Il veut lui faire payer son insubordination, il sait aussi que son
père est incapable de faire du mal aux enfants, par contre, il peut le
priver d’eux pendant des mois, voire des années et ça, il ne le sup-
porterait pas.
— Allô ! C’est Olga, je souhaiterais m’entretenir avec Dimitri.
— Je suis désolé, Madame, il s’est absenté.
— Vous savez à quelle heure il revient ?

155
— Non, il est parti à l’étranger.
— Où est-il parti ?
— Je ne sais pas, Madame, excusez-moi, je dois raccrocher.
Olga avait les larmes aux yeux, la seule personne qui était sus-
ceptible de lui donner des nouvelles de ses enfants n’était plus là.
 
John, désemparé, ne savait plus quoi faire, il finit par appeler le
cabinet Fergusson.
— Bonjour Monsieur Fergusson.
— Bonjour John.
Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— J’essaie de joindre mon père et on me dit qu’il est parti à
l’étranger.
— Effectivement, il est parti pour quelques jours, voire quelques
semaines.
— Pourriez-vous me donner un numéro de téléphone afin que je
puisse lui parler, s’il vous plaît ?
— Il a demandé à ne pas être dérangé, sous aucun prétexte.
— C’est très important, Monsieur Fergusson. Il faut que je lui parle.
— Désolé, je ne peux rien faire pour toi.
Il pleurait comme un enfant devant Olga, ne sachant plus quoi
faire et connaissant son père, il sait pertinemment qu’il ne fera
jamais de mal aux enfants, mais il est tout à fait capable de les faire
disparaître pendant des années.
Olga dormait paisiblement quand la sonnerie du téléphone
retentit dans la nuit, les sédatifs faisaient encore leur effet, quant à
John, il ruminait dans son coin, ne sachant pas quoi faire.
Il sauta sur le combiné.
— Allô !
— Allô, c’est Dimitri.

156
John se glaça d’un seul coup, ses doigts crispés sur le combiné, il
avait du mal à croire que son père était au bout du fil.
— Papa ?
— Tu as essayé de me joindre ?
— Ils sont où mes enfants ?
— Tes enfants ?
Ils sont en sécurité, entre de bonnes mains, mais sache que si
Florence meurt, tu ne les reverras plus jamais, tu perdras tous ceux
qui comptent pour toi et je te priverai de tout ce que tu possèdes, tu
ne seras plus rien.
Le temps que John reprenne ses esprits, Dimitri avait déjà raccroché.
John connaissait son père et ça ne servait plus à rien de discuter
avec lui, il fallait prier maintenant pour que Florence s’en sorte,
sinon il ne reverra plus jamais ses enfants et il perdra Olga et toute
sa fortune.
À la hâte, John alla réveiller Olga.
— Demain, on prend le premier vol pour Los Angeles.
— C’est de ta faute, c’est entièrement de ta faute ce qui arrive.
Pourquoi tu n’as pas suivi ses conseils et laissé cette fille tranquille ?
Réponds-moi !
— Je n’ai rien à te dire et ça ne te regarde pas.
— Comment ça ? Ça ne me regarde pas. Il vient d’enlever mes
enfants.
Sans prendre la peine de lui répondre.
— Prépare tes affaires, on s’en va demain.
 
Une grande porte en bois gardée par deux agents lourdement
armés sur le boulevard Mortier dans le vingtième arrondissement à
Paris, le coursier gare sa mobylette non loin de l’entrée et s’avance
vers les gardes qui le scrutent de haut en bas en pointant leurs fusils
d’assaut dans sa direction.

157
Le coursier d’un mètre soixante environ, pas plus d’une soixan-
taine de kilos, retire son casque et s’empresse de prendre une enve-
loppe dans son sac en bandoulière.
— Excusez-moi, j’ai un pli pour mademoiselle Céline de la Minaudière.
Le garde recule jusqu’à la petite porte incrustée dans le portail,
tape trois coups très rapprochés, quelques secondes après la porte
s’ouvre sur un colosse d’un mètre quatre-vingt-dix environ pour
cent vingt kilos de muscles.
Il prend l’enveloppe dans la main, la scrute dans tous les sens.
— Vos papiers, s’il vous plaît.
— Le coursier s’exécute sans discuter.
Le colosse passe la pièce d’identité dans un scanner portable
pour l’enregistrer et en même temps faire une recherche au cas où
l’individu serait recherché.
— Très bien, merci, je transmettrai à mademoiselle Céline de la
Minaudière.
Le coursier n’avait qu’une hâte : remonter sur son scooter et dis-
paraître le plus loin possible du boulevard Mortier.
 
Une femme élégante et distinguée, assise derrière un grand bureau
en bois massif, est en train de visionner la dernière vidéo mise en
ligne par un groupe terroriste agissant en toute impunité au Sahel.
Un mètre soixante-dix-huit environ, brune, les cheveux courts,
des yeux en amande noirs soulignés au crayon, un nez pointu et
très discret, une bouche surlignée de belles lèvres pulpeuses.
— Mademoiselle Céline, un coursier vient de déposer cette enve-
loppe pour vous.
— Vous avez suivi la procédure ?
— Oui bien entendu, vous n’avez rien à craindre et pour être sûr,
je l’ai passée aux rayons X.
— OK ! Donnez-moi ça.

158
Céline ouvrit l’enveloppe délicatement et en sortit un papier plié
en deux.
Son cœur faillit s’arrêter, elle ne fut pas loin d’avoir un malaise
en le lisant.
 
Chère Emmanuelle.
La lune écarlate et l’étoile la plus brillante
Apaisent cette douce nuit qui nous
Apporte la bonne nouvelle.
Ton amour pour toujours.
GV. SN. 3E. 21. A.
 
Elle n’en croyait pas ses yeux, c’était du domaine de l’impossible, il n’y
avait qu’une seule personne qui l’appelait Emmanuelle, c’était Dimitri.
Elle ne l’a pas revu depuis vingt-six ans, depuis que ses supé-
rieurs hiérarchiques ont appris sa liaison avec Dimitri, qui faisait
partie des services secrets yougoslaves.
Leurs services respectifs leur ont interdit de se revoir.
Céline réfléchissait à tombeau ouvert, elle essayait de com-
prendre pourquoi soudainement Dimitri voulait la revoir.
Elle a su par le biais des informations qui arrivaient au sein de
son service que Dimitri avait quitté les services secrets yougoslaves,
qu’il s’était reconverti dans l’immobilier et s’était installé à Los
Angeles. Elle n’osait pas se l’avouer, mais derrière son bureau et
usant de ses hautes fonctions dans le renseignement, elle suivait
discrètement l’ascension de Dimitri dans les affaires, elle a été très
malheureuse de savoir qu’il s’était marié et qu’il avait eu un enfant.
Le bout de papier à la main, le regard lointain, elle se voyait
main dans la main avec ce jeune homme fou amoureux d’elle.
Elle déchiffra en quelques secondes le code qui terminait le mot
que Dimitri lui avait envoyé.

159
Vêtue d’un tailleur noir, avec des escarpins Gucci et un manteau
en cuir de chèvre, Céline entre au « George V » un peu avant vingt
et une heures, se dirige sans hésiter vers le bar du troisième salon et
commande un Martini blanc.
Dimitri était derrière un pilier, il voulait absolument la voir arri-
ver, son cœur battait la chamade quand elle a traversé la grande
salle, elle était toujours aussi belle et distinguée, il venait de s’aper-
cevoir qu’il était toujours amoureux, il venait de faire un bond en
arrière de vingt-six ans.
Il lui a fallu beaucoup de courage pour enfin sortir de derrière ce
pilier qui lui rendait bien service.
Il s’approcha de Céline tout en se tenant droit, le sourire crispé,
il avançait vers elle comme un adolescent qui s’apprêtait à déclarer
sa flamme pour la première fois.
Céline s’est retournée sentant qu’un individu s’approchait, cela fai-
sait partie de ses entraînements, sentir les choses avant qu’elles n’arrivent.
Quand leurs regards se sont croisés, instinctivement Dimitri a
mis sa main sur son ventre comme pour soulager une douleur et
Céline au même moment a fait le même geste, tous les deux se sont
regardés et ont souri.
— Tu as mal au ventre ?
— Je présume que toi aussi ?
— Oui, je l’avoue.
— Tu n’as pas changé, tu es toujours aussi belle.
— Merci, toi en l’occurrence, tu as un peu vieilli.
Je plaisante, Dim.
— Ça fait environ vingt-six ans qu’on ne s’est pas revus et j’ai
l’impression de t’avoir quittée hier, je suis dans le même état qu’il y
a vingt-six ans.
— Pourquoi tu m’as fait venir ?

160
Tu sais que l’interdiction de te revoir me concernant n’est tou-
jours pas levée ?
— Je suis au courant, moi, je n’ai plus de comptes à rendre à per-
sonne.
— Et ta femme ?
— Tu m’as l’air d’être au courant de beaucoup de choses me
concernant, ma femme est morte depuis une dizaine d’années.
— Tu ne t’es pas remarié ?
— Oh non !
Et toi ?
— Je ne me suis jamais mariée, je suis une célibataire endurcie, je
n’ai nullement besoin d’un homme dans ma vie, libre de faire ce que
je veux quand je veux.
— Oui, enfin pas tout à fait, tu es toujours à la DGSE et quand on
est là-dedans, on ne fait pas ce que l’on veut.
— Presque, actuellement, je suis agent dormant, depuis que j’ai
pris une balle dans la hanche en Afghanistan.
— Je l’ai su.
— Tu l’as su ?
Tu as fait comment pour le savoir ?
C’est une information qui n’a jamais été divulguée, le nombre de
personnes au courant de cette mésaventure est très restreint, ils
étaient trois à le savoir dont mon père, même ma mère n’était pas
au courant et mon rapatriement de l’Afghanistan s’est fait sous
l’anonymat le plus total.
Non ! Ce n’est pas possible.
Ne me dis pas que c’est mon père.
— Si, c’est ton père, je suis resté en contact avec lui depuis toutes
ces années.
— Comment il a pu me faire ça ?

161
— Il ne faut pas lui en vouloir, j’ai beaucoup insisté pour qu’il
accepte de me donner de tes nouvelles.
Je veillais sur toi en étant à des milliers de kilomètres, je voulais
rester près de toi à ma façon malgré l’interdiction qui planait au-
dessus de nos têtes.
Céline était heureuse d’entendre ça, elle a fait la même chose
durant des années, elle a suivi le parcours de Dimitri pendant son
appartenance aux services secrets yougoslaves et durant son par-
cours comme magnat de l’immobilier.
— Pourquoi tu m’as fait venir ?
— J’ai quelque chose à te montrer de très important.
La cabine d’ascenseur était libre au bout du couloir, les portes
grandes ouvertes, ils s’y glissèrent et Dimitri, au moment où les portes
se refermaient, appuya sur le chiffre trois, l’appareil montait lentement
vers son étage. Il poussa la porte de la chambre ouverte électronique-
ment avec une carte, Céline eut un sourire qui ne lui échappa pas.
— Ça te rappelle des souvenirs ?
— Oui, cet hôtel, cette chambre, toi, enfin tout.
— Je voulais que tu revives tout ce qu’on a vécu il y a vingt-six ans.
Dimitri débarrasse Céline de son manteau et s’attarde quelques
secondes sur ses hanches, sur ses courbes et ses seins.
— Tu es admirable, tu n’as pas changé, tu as toujours le même
corps athlétique et sensuel que celui que tu avais à l’âge de vingt-
quatre ans.
Il s’approcha d’elle pour sentir son odeur et la chaleur de son corps.
— Tu veux boire quelque chose ?
— Un gin avec une rondelle de citron si tu as.
— Le gin, oui, mais la rondelle de citron j’émets un doute sur son
existence, j’appelle la réception, on nous fait monter ça.
Dimitri regarde Céline se mouvoir dans cette chambre qu’ils ont
occupée tellement de fois, il voulait la prendre dans ses bras, la

162
caresser, l’embrasser, lui faire l’amour comme autrefois, mais il ne
savait pas par où commencer ; son envie n’a pas échappé à Céline
qui le regardait du coin de l’œil en souriant.
Elle s’allongea sur le grand lit nuptial bordé de draps en soie.
— Je sais que tu as envie de moi, alors viens me rejoindre.
— Tu ne veux pas savoir pourquoi je t’ai fait venir ?
— On a tout le temps pour ça.
Viens me rejoindre.
Dimitri ne pouvait pas et ne voulait pas offenser sa bien-aimée
en ignorant son appel.
Elle l’attira doucement vers elle en écartant les cuisses.
Dimitri sentit le plaisir monter en lui et la chaleur qui se déga-
geait du sexe de Céline.
Il baissa son pantalon, se saisit de son sexe et chercha celui de
Céline en appuyant avec délicatesse sur ce sexe qui l’attirait irrésis-
tiblement, sans quitter des yeux sa bien-aimée.
Céline écarta un peu plus les cuisses, comme pour l’encourager.
Il l’avait pénétrée de quelques centimètres et sentait la chaleur de son
sexe qui semblait l’aspirer. Il força légèrement, Céline gémissait déjà
sous la pression de ce sexe long et dur qui se frayait un chemin en elle.
Ses bras s’étaient refermés sur Dimitri, ses yeux étaient clos, elle
attendait ce moment depuis des années, se retrouver enfin avec
l’homme qu’elle a toujours aimé.
Dimitri banda ses muscles et sentit une résistance, les ongles de
Céline s’enfoncèrent dans son dos, il poussa lentement et son sexe
fut avalé, il se retira un peu puis revint s’enfoncer deux ou trois fois
de suite, Céline respirait de plus en plus fort, son ventre se creusait,
Dimitri revint au plus profond de ce sexe qu’il venait de redécouvrir.
Il était extraordinairement excité, c’est sans bouger qu’il jouit au
fond d’elle. Il resta un long moment immobile, ébloui par le plaisir
qui lui avait tordu le ventre et endormi les muscles.

163
Quand il voulut se retirer, elle serra ses cuisses autour de ses
reins pour le maintenir encore un peu au fond d’elle, alors seule-
ment après quelques minutes, elle rouvrit les yeux et dit :
— Tu m’as manqué Dim, ça fait des années que je rêve de ce
moment qui tardait à venir.
— Moi aussi, ce moment, je l’ai rêvé plusieurs fois.
Céline déboutonna son chemisier, laissa tomber sa jupe de
tailleur et partit en direction de la salle de bain en souriant, heu-
reuse et assouvie.
Il la regarda partir, les cuisses gainées de noir, elle avait une guê-
pière de dentelle noire, le haut laissait dépasser les pointes de ses seins.
Il décidait de se déshabiller pour la rejoindre sous la douche
quand la porte de la salle de bain s’entrouvrit doucement pour lais-
ser place à Céline telle une déesse toute nue.
Enlacés, ni lui ni elle ne voulaient se retirer, elle s’était blottie
dans ses bras, elle se sentait en sécurité avec cet homme qu’elle
avait aimé et qu’elle aime encore d’un amour profond et sincère.
— Dis-moi ! Tu ne m’as pas fait venir jusqu’ici pour me faire
l’amour ?
— Non ! Je suis heureux de t’avoir retrouvée, tu m’as tellement
manqué !
J’ai quelque chose à te montrer.
Dimitri tend le bras vers un attaché-case, le pose à plat sur le lit
et l’ouvre, il contient des documents et une grande enveloppe kraft
dont il se saisit, il l’ouvre méticuleusement devant le regard de
Céline inquiète et interrogative.
Il en sort une vingtaine de photos qu’il lui tend, elle les regarde
sans prêter attention à Dimitri qui était au bord de la crise de nerfs.
Elle s’arrêta quelques secondes sur une photo grand format,
représentant une belle jeune fille d’une vingtaine d’années.
— J’ai l’impression qu’elle a tes yeux, elle te ressemble cette gamine.

164
C’est qui ?
C’est ta fille ?
— Elle s’appelle Florence, elle porte ton deuxième prénom, elle
est en ce moment dans une clinique privée à Montreux, en Suisse,
suite à une agression, elle est entre la vie et la mort, elle n’est pas
encore sortie d’affaire, les chirurgiens et le corps médical font tout
ce qui est possible et même l’impossible pour la sauver.
— Qu’est-ce que j’ai à voir avec ça ?
Ne me dis pas que je dois utiliser mes services pour te trouver le
ou les coupables, j’espère que tu n’es pas venu me voir uniquement
pour ça.
— Non ! Je te devais la vérité, c’est le fruit de notre amour.
Céline resta plusieurs secondes impassible, sans réaction, avec
l’impression d’avoir perdu le fil de la conversation.
Sans bouger un cil, toujours immobile, sans aucune réaction, les
larmes coulaient à flots sur ses joues, au bout d’un moment intermi-
nable, elle marmonna sans vraiment se contrôler.
— Je le savais, je le savais.
Elle n’arrêtait pas de répéter la même chose.
— Je devais te le dire, je suis désolé, vraiment désolé, c’est un secret
que j’ai enfoui en moi pendant plus de vingt-six ans, il était temps
que tu le saches, je ne sais pas si on arrivera à la sauver et je m’en
serais voulu le restant de mes jours si elle venait à disparaître sans
que tu saches que ta fille avait survécu il y a de cela vingt-six ans.
— Comment tu as fait pour la retrouver ?
— Je n’ai pas eu à la retrouver, je ne l’ai jamais perdue, juste
avant ton accouchement, j’ai reçu l’ordre de Petroska avec l’aval de
tes responsables de l’époque de faire disparaître le bébé.
Je n’ai pas eu le courage d’appuyer sur la détente, elle était si
mignonne avec ses grands yeux clairs, j’ai été lâche, je l’avoue et

165
avec le recul aujourd’hui, je suis heureux et en accord avec moi-
même d’avoir pris la décision de ne pas lui ôter la vie.
Et je me suis souvenu de René, celui qui travaillait dans la cen-
trale électrique où on était infiltrés.
Il n’arrêtait pas de parler de sa fille qui venait de se marier et qui
était stérile.
Alors, j’ai saisi l’occasion, je lui ai proposé d’élever notre fille
contre une pension assez conséquente.
— Pourquoi tu ne m’as jamais dit qu’elle était vivante ?
Pourquoi tu m’as caché la vérité ?
— Malgré moi, j’ai été obligé de ne rien dire, le jour même on
s’est séparés, toi tu es repartie pour Paris et vingt-quatre heures
après tu étais déjà en mission au Moyen-Orient et moi j’étais reparti
pour la Yougoslavie où on m’a interdit de voyager, on m’avait retiré
mes papiers, je suis resté sans papiers pendant des années.
— Je veux la voir, je veux la serrer dans mes bras et lui dire que je
l’aime et que je regrette.
— Doucement, elle est toujours dans le coma et j’espère qu’elle
va s’en sortir et après, on aura tout le temps de lui parler et de lui
avouer la vérité.
J’espère qu’elle ne va pas nous en vouloir, mais elle est en droit
de connaître la vérité.
— J’espère qu’elle nous pardonnera d’avoir privilégié notre
carrière et suivi les ordres de notre hiérarchie, sans réfléchir aux
conséquences.
— Rends-toi disponible demain, nous partons pour la Suisse, mon
jet est parqué à Orly.
Céline était abasourdie par la nouvelle, elle n’en revenait pas,
incapable de réfléchir, elle a cru à cette disparition pendant toutes
ces années, mais quelque chose en elle n’admettait pas cette idée.
Elle savait au fond d’elle que Dimitri, l’homme de fer qui a exécuté

166
des dizaines de personnes durant sa carrière comme espion, était
incapable de faire du mal à un enfant ou simplement à une per -
sonne sans défense, mais elle n’a jamais osé le contacter pour lui
poser la question, au fond d’elle, elle avait peur de la réponse.
John et Olga atterrirent à l’aéroport international de Los Angeles
vers midi, un van les attendait pour les conduire directement chez
son père à la Maison-Blanche.
— Bonjour John, content de vous revoir.
— Bonjour, vous ouvrez le portail ?
— Désolé, Monsieur John, on a des ordres, personne ne franchit
le portail en l’absence de monsieur Karislova.
— Mais tu me connais ?
— Désolé, l’ordre a été formel, personne ne doit franchir le portail.
Olga descend du van et commence à insulter les gardes en les
menaçant de représailles s’ils n’ouvraient pas ce foutu portail.
— Écoutez, Monsieur John, vous devriez partir maintenant, sinon
je vais être obligé d’appeler la police, ce sont les ordres de votre père.
John prend Olga par le bras.
— Monte dans le van, on s’en va, on n’a plus rien à faire ici, la
seule personne qui pourrait nous aider, c’est Fergusson.
 
— Monsieur Fergusson !
Monsieur et madame Karislova voudraient vous rencontrer, je
leur ai dit que vous aviez un planning chargé, mais ils insistent pour
vous rencontrer.
— Faites-les entrer.
— Bonjour John, bonjour Olga.
— Bonjour Fergu.
Je veux savoir où est mon père et où sont mes enfants.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez John, votre père est en
voyage d’affaires quant à vos enfants, je ne sais pas quoi vous dire.

167
— Vous vous foutez de moi, vous savez très bien ce qui se passe, vous
êtes son ami, vous devez forcément être au courant de ce qui se trame.
Marina ? Vous la connaissez ?
Vous savez au moins où je pourrais la joindre ?
— Je ne connais pas de Marina.
Je n’ai plus rien à vous dire et vous me voyez désolé, maintenant,
il faut partir John, j’ai du travail, sinon, je vais devoir appeler la
sécurité pour vous mettre dehors.
La sonnerie du téléphone retentit dans la maison à Oak Lawn,
une bâtisse de plus de cinq cents mètres carrés entourée d’un ter-
rain de plus de dix hectares. La maison était à l’abri des regards
indiscrets, un mur en béton armé de deux mètres cinquante la pro-
tégeait de toute intrusion et plus de cinquante caméras enregis-
traient vingt-quatre heures sur vingt-quatre tout mouvement suspect,
la maison était dotée d’une alarme très sophistiquée.
Marina avait élu domicile au deuxième étage de la maison qui
comptait vingt-deux chambres, secondée par six personnes, dont un
cuisinier et une gouvernante et quatre gardes, d’anciens marines
chevronnés prêts à abattre sans sommation quiconque essaierait de
pénétrer dans la propriété sans y être invité.
— Marina ! C’est pour vous, c’est monsieur Karislova.
— Bonjour Monsieur.
— Bonjour, tout se passe bien ?
— Oui, les petits sont charmants et ils vont bien, ils vous réclament.
— Bon, prenez soin d’eux.
Je veux que vous vous occupiez d’Olga.
Vous avez ce qu’il faut pour la garder au frais, ils sont arrivés
hier à Los Angeles, ils sont au « Hilton Airport ».
— OK ! Ce sera fait.
Farouk, un marine d’origine iranienne installé aux États-Unis

168
depuis un peu plus de trente ans, depuis la révolution iranienne et
l’éviction du shah d’Iran.
— Farouk, tu me prépares une pièce au sous-sol, la plus insonori-
sée, assure-toi qu’il y a ce qu’il faut pour héberger une personne
pendant quelques jours, lui demanda Marina.
Marina faisait le guet en bas de l’hôtel « Hilton » depuis
quelques heures, quand vers dix-huit heures une voiture médicali-
sée arriva en trombe et s’arrêta devant la porte d’entrée. Marina
attendait patiemment dans sa grosse berline aux vitres teintées le
bon moment pour intervenir.
Une heure s’est déjà écoulée et toujours rien, elle décide d’aller
voir un intervenant de la voiture médicalisée qui n’arrêtait pas de
faire le va-et-vient entre l’hôtel et sa voiture.
— Excusez-moi !
— Oui Madame.
— Vous savez que vous n’avez pas le droit de vous garer ici ?
— Désolé, on a eu l’aval du manager de l’hôtel, on est en inter-
vention, on ne va pas tarder à partir, on a fini, j’attends mes col-
lègues, ils rangent le matériel et on s’en va.
— On ne m’a pas informée !
Qu’est-ce qui se passe ?
— Une tentative de suicide.
— Ah ! Ça doit être madame… j’avais prévenu le manager, c’est
quoi son nom déjà ?
— Madame Olga Karislova.
— Ah oui, c’est ça, elle est au troisième étage ?
— Oui, chambre trois cent cinquante-neuf, encore une riche qui
veut mettre fin à ses jours.
— Bon, prenez votre temps, bonne soirée.
Marina regagna sa voiture en ayant cette réflexion au fond d’elle.

169
— Dommage qu’elle a survécu, j’aurais soldé ma mission avant
de la commencer.
Elle était résignée à poursuivre sa surveillance en attendant
qu’une opportunité se présente pour intervenir.
Une heure environ après le départ de la voiture médicalisée, John
sort de l’hôtel et monte à toute vitesse dans sa Lamborghini garée
par le portier de l’hôtel soigneusement devant l’entrée.
Marina n’a plus de temps à perdre, elle devait agir avant le
retour de John.
— Bonjour Olga.
Olga s’était figée quelques secondes, elle venait de reconnaître
Marina.
Elle sauta de son lit et se précipita sur Marina, les bras en l’air,
l’envie d’en découdre avec elle.
Marina n’a eu aucun mal à la maîtriser.
— Tu vas la fermer et te calmer, si tu veux revoir tes enfants, tu
viens avec moi sans dire un mot.
— Qu’est-ce que vous avez fait à mes enfants ?
Ils sont où ?
— Fermez-la et suivez-moi, sinon restez là à pleurnicher.
— On attend mon mari, il est allé à la pharmacie au coin de la rue.
— Non. Vous me suivez maintenant si vous voulez revoir vos enfants.
— Je vous suis, je me prépare.
Marina et Olga se dirigent d’un pas décidé dans le hall de l’hôtel,
vers l’accueil où trois superbes créatures s’affairaient à répondre au
téléphone et à accueillir les clients, toutes les trois habillées en
tailleur moulant mauve assorti à l’ensemble des fauteuils du hall.
— Hi, bonjour Mesdemoiselles, je souhaiterais laisser un mot
pour la chambre trois cent cinquante-neuf.
La plus jeune des trois avec un large sourire tend un calepin et

170
un stylo à l’effigie de l’hôtel à Marina, ainsi qu’une petite enveloppe
mauve.
— Vous laissez un mot à mon mari ?
— Oui, pour lui indiquer l’adresse où il pourra nous rejoindre.
Maintenant, vous allez vous tenir tranquille.
La berline décolla du bitume dans un vrombissement assourdis-
sant, Marina voulait quitter cet endroit au plus vite, avant le retour
de John.
« Olga est avec moi, Marina. »
John était dans tous ses états en lisant le mot, il avait du mal à
croire ce qu’il était en train de vivre, un vrai cauchemar, tout s’ef-
fondrait autour de lui, ses enfants et maintenant sa femme.
Farouk accompagne Olga dans le sous-sol tout en salivant, il a
rarement vu une femme aussi belle.
— Et mes enfants ?
Ils sont où ?
Je les verrai quand ?
— Faut voir ça avec Marina, Madame, je reviendrai vous voir tout
à l’heure, reposez-vous, vous en avez besoin j’ai l’impression.
 
Farouk est en ébullition à chaque fois qu’il s’approche d’Olga ; elle
s’en est aperçue et est bien décidée à profiter de la situation. Elle
sait mettre en avant ses attributs et profiter de toutes les situations.
— Vous voulez bien parler à Marina en ma faveur ?
J’aimerais juste voir mes enfants quelques minutes, avoir la certi-
tude qu’ils vont bien.
— Non, dit-il froidement. Je me demande si je vous viole mainte-
nant ou plus tard.
Elle eut un rire malicieux.
— Ne dites pas de bêtises, ramenez-moi mes enfants que je puisse
les voir et vous aurez tout ce que vous voulez.

171
Farouk ferma derrière lui la grosse porte blindée avec beaucoup
de remords.
Olga tambourinait de toutes ses forces sur les murs et sur la porte
blindée, elle criait, pleurait à chaudes larmes, incapable de penser ni
de réfléchir. Elle resta des heures à crier et à tambouriner puis, épui-
sée, elle s’est résignée, elle s’est assise dans un coin de la pièce
éclairée par une ampoule, la tête entre les jambes en sanglotant.
Quand Farouk revint avec un plateau de brochettes de bœuf
accompagnées d’une bouteille d’eau et de pain frais, il demeura
paralysé en découvrant Olga debout au milieu de la pièce, juste sous
la lumière, à moitié nue, puis sous une pulsion bestiale et avec l’en-
vie de pénétrer cette créature qui était à sa merci, les idées recom-
mencèrent à affluer, il se dirigea avec son plateau à la main en
direction d’Olga qui souriait malgré elle.
Elle commença à l’embrasser dans le cou puis, sans cesser, elle
glissa ses mains dans son pantalon et se saisit délicatement de son
entrejambe qui était déjà gonflé.
Elle se laissa glisser le long de ses jambes ; sans perdre une
seconde, Olga avait déjà le sexe de Farouk dans sa bouche, elle
continua à l’avaler millimètre par millimètre, Farouk n’avait jamais
connu une telle délectation, il avait l’impression que son sexe gros-
sissait indéfiniment. Au bord de l’explosion, Farouk releva Olga et
lui arracha d’une main experte sa jupe et son string qu’il prit soin
de fixer avec son index en tirant sur la jupe. Les deux mains sur ses
hanches, Farouk retourna Olga et avec sa main droite l’obligea à se
pencher en avant ; quand Olga sentit le sexe épais et vigoureux de
Farouk frôler sa croupe, elle essaya de se dégager mais sous la pres-
sion de Farouk qui la tenait par ses hanches si frêles et si délicates,
elle se laissa faire, elle poussa un gémissement de douleur quand il
la pénétra en se frayant un chemin dans sa croupe en s’enfonçant
d’un trait, il resta immobile quelques secondes, appuyé contre elle,

172
savourant ce moment de plaisir, il n’osait plus bouger de peur d’ex-
ploser en elle, c’était encore trop tôt ; après quelques va-et-vient
lents et appuyés cherchant les profondeurs de son ventre, il se retira
délicatement de sa croupe.
Olga soupira et gémit de douleur, il s’agrippa à ses hanches fra-
giles et la retourna, son visage était crispé, sa respiration rapide et
saccadée avec des pulsations très hautes, il la plaqua contre le mur,
de sa main droite il releva sa jambe droite et laissa son sexe dur
trouver le chemin de son bas-ventre humide et onctueux. Olga sur-
sauta, les yeux révulsés quand Farouk d’un geste brusque s’empala
en elle.
Elle commença à masser ce manche qui était enfoui en elle en
faisant des mouvements de rotation avec son bassin, il eut l’impres-
sion d’être aspiré par cette femme experte en amour, un spasme
violent montait de sa colonne vertébrale, il se vida dans son bas-
ventre, Olga soupirait et gémissait de plaisir. Au bout de quelques
minutes interminables, il se retira de son bas-ventre tout en la
regardant dans les yeux. Il aurait voulu que ça ne s’arrête jamais.
— Tu m’as fait mal, tu sais ?
— Je suis désolé.
— C’est la première fois qu’on me prend par-derrière avec une
telle sauvagerie, je ne pensai pas jouir de cette façon et aussi inten-
sément, j’ai adoré.
Tu m’emmènes voir mes enfants ?
Maintenant que tu as eu ce que tu voulais.
— Je ne peux pas, tu ne dois pas sortir d’ici, je demande à Marina si
elle veut bien t’autoriser à les voir, ne serait-ce que quelques minutes.
Je reviendrai tout à l’heure.
Olga était en colère d’avoir été bernée sur ses intentions, la pro-
chaine fois qu’il reviendra pour la prendre, elle ne se laissera pas

173
faire, elle a un avantage sur lui, il reviendra pour goûter au plaisir
de la chair et à ce moment-là, elle tentera quelque chose.
Farouk finit par décider de ne rien dire à Marina, gagner du
temps et profiter des faveurs d’Olga le plus longtemps possible.
Marina ne devait en aucun cas savoir ce qui s’est passé dans le
sous-sol, c’est une femme très dangereuse et pointilleuse sur les
principes et les ordres à respecter.

— Monsieur Karislova, mademoiselle Caliente est sortie d’affaire,


elle est sortie du coma, on l’a admise au service des soins intensifs,
si vous voulez la voir ça sera à travers une vitre pour l’instant.
Suivez-moi s’il vous plaît.
Dimitri serra la main de Céline au point de lui briser les phalanges.
— Elle est belle, ma fille.
— Oh oui ! Elle est belle notre fille, reprend Dimitri.
— Pourquoi tu l’as appelée Florence comme moi ?
C’est un hasard ?
— Non ! C’est loin d’être un hasard, quand je l’ai laissée à René, je
lui ai demandé de lui donner ton deuxième prénom. Celui de sa mère.
Céline serra très fort Dimitri.
— Comment on va faire pour lui expliquer tout ça ?
— Le plus simplement du monde.
— Elle risque de nous en vouloir.
— Je sais, mais nous n’avons plus le choix, elle doit connaître la vérité.
— Et qui l’a agressée et pourquoi ?
— Je t’expliquerai plus tard, cette phase de sa vie est bien trop
compliquée.
Ils sont restés des heures à la regarder, intubée et branchée.
— Vous n’êtes pas obligés de rester veiller sur elle, on est là pour
ça, ne vous inquiétez pas.
Vous n’aurez qu’à revenir à ce moment-là.

174
— Merci Docteur, je ne pourrai jamais assez vous remercier.
Dès qu’ils rentrèrent à l’hôtel, Dimitri s’empressa d’appeler Fergusson.
— Elle va s’en sortir.
— Je suis très heureux, Dim, c’est la première bonne nouvelle de
la journée.
— Je voudrais que tu déposes une plainte contre John sous le
nom d’Ibrahimovic Karislova pour tentative de meurtre.
— Mais Dim, c’est ton fils, tu sais ce que ça implique, la presse va se
saisir de l’affaire et ils vont fouiner dans ta vie la plus intime et secrète,
ça va aller trop loin. Ce n’est pas bon pour toi ni pour nos affaires.
Réfléchis Dim, un procès ça remue tout un tas de merdes et tu
n’as pas besoin de ça.
Dimitri savait que son vieux compagnon avait raison.
— Bon ! Je pense que tu as raison, je vais régler ça à ma façon.
— Je préfère Dim et dis à Florence quand elle sera remise qu’on
l’attend au bureau.
— Merci, Fergu, à bientôt.
Céline ne décolère pas, quelqu’un a essayé d’éliminer sa fille
qu’elle vient juste de retrouver.
— Tu sais qui a fait ça ?
C’est ton fils ?
Je vais le buter.
Céline était dans tous ses états.
— Je m’en occupe, ne t’inquiète pas et il va le payer très cher, ce
n’est pas faute de l’avoir prévenu.
Je vais procéder par étape, il ne faut rien précipiter. Fergusson a
raison, il faudra d’abord s’assurer que la petite s’en sort et qu’elle va
bien et nous deux, on préparera son retour à la vie normale.
— Il est toujours à tes côtés Fergusson ?
— Oui, heureusement qu’il était là quand je suis arrivé à Los

175
Angeles, j’étais perdu, je ne connaissais personne encore moins les
rouages de l’administration américaine.
C’est lui qui m’a aidé à m’installer et à investir sans risque mon
argent.
— C’est une idée à toi la suite nuptiale ?
— Oui, je pensais que ça te ferait plaisir et que ça te rappellerait les
bons moments qu’on a passés ici, loin de tous les regards indiscrets.
Quand je suis arrivé devant la porte de la chambre, tout m’est
remonté à la surface, tous les souvenirs étaient là, intacts comme si
c’était hier, oui ça m’a fait plaisir.
Je regrette amèrement d’avoir privilégié ma carrière profession-
nelle au lieu de ma vie amoureuse.
— J’ai les mêmes regrets que toi, depuis le jour où je t’ai quitté
sur le quai de la gare de Nice. Je m’en suis voulu toutes ces années.
C’était la minute nostalgie de Dimitri et Céline, les regards loin-
tains et vides, ils ressassaient le passé avec des souvenirs agréables
remplis de bonheur et de moments intenses.
Un verre de vodka à la main, la jambe collée à celle de Dimitri,
elle se frottait contre lui délicatement et sensuellement, elle se pen-
cha pour poser son verre sur la petite table basse en verre trempé
faisant presque jaillir ses seins de son chemisier en soie.
Elle se leva élégamment pour aller se rafraîchir dans la salle de bain.
Dimitri découvre sa croupe moulée dans l’étroit tailleur qu’elle
portait, la regardant se diriger vers la salle de bain avec sa démarche
sensuelle et provocatrice, il s’imagina en train de lui faire l’amour,
ce qui l’excita encore plus.
À peine revenue près de lui.
— Comment tu vois l’avenir avec nous deux dans ta vie ?
— Je ne sais pas encore, mais tu pourrais quitter ton poste à la
DGSE, tu en as assez fait et venir vivre avec nous aux États-Unis.
— Tu parles comme si tu étais sûr que Florence acceptera ta pro-

176
position, imagine un instant qu’elle décide de repartir vivre en
France ?
— D’après mes sources, ça va au plus mal avec ses parents adop-
tifs et ses grands-parents, son rêve était de venir conquérir les
États-Unis et son souhait le plus inavouable c’était de connaître son
histoire et ses vrais parents.
Je pense que c’est à nous de la convaincre de rester près de nous.
 
Céline s’assit sur le lit et de sa main invita Dimitri à la rejoindre,
la jupe légèrement remontée au niveau des cuisses, il glissa une
main entre ses cuisses gainées, alors qu’elle était occupée à masser
doucement son entrejambe.
Au bord de l’extase, il savait qu’il ne tiendrait pas longtemps à
cette allure, il la releva, défit la fermeture éclair de sa jupe, débou-
tonna son chemisier délicatement et l’aida en la tenant par la main
à s’allonger sur le dos, il la contempla pendant un long moment, elle
dégrafa son soutien-gorge sous le regard de Dimitri qui était au
bord de la crise et finit par retirer sa culotte en satin noir.
Dimitri n’a pas perdu une miette de cet instant paradisiaque tout
en se déshabillant sans gêne, mais avec beaucoup de sensualité.
— Viens ! Prends-moi !
Les jambes écartées, le bassin légèrement relevé pour faciliter le
passage, Céline rugit de plaisir quand il s’enfonça de toute sa raideur
dans son ventre, il était au bord de l’explosion, le plaisir remonta le
long de son échine et finit par exploser dans son ventre, elle se retira
délicatement, roula sur elle-même et vint prendre son sexe encore
dur dans sa bouche pour extraire les dernières gouttes de l’élixir.
 
— Bonjour ! Je souhaiterais parler à Salah !
— Il est absent pour le moment, qui le demande ?

177
— Dites-lui que Dimitri Karislova veut s’entretenir avec lui, c’est
urgent.
— Rappelez dans une heure environ. Il est allé faire une course.
— OK ! Merci.
Salah avait repris le piano-bar situé sur le cours Julien à Marseille,
un établissement fréquenté généralement par des étudiants qui
découvrent les joies et les nuits endiablées de Marseille, des étu-
diants venus de toute la France et qui ont élu domicile à Marseille
ou à Aix-en-Provence, qui pour la plupart d’entre eux venaient pour
Sabrina qui avait quasiment leur âge et qui était aux petits soins,
une affaire florissante qui leur rapportait de quoi vivre aisément.
Céline regarda Dimitri d’un air suspicieux.
— C’est qui Salah ?
— C’est un Marseillais qui a beaucoup d’influence et de passe-
droits à Marseille et il a beaucoup aidé Florence quand elle y vivait,
c’est un gars de valeur et de parole. Je pense qu’il pourra nous aider
à régler le problème avec les parents et les grands-parents d’adop-
tion de Florence.
— Comment ?
— Je souhaiterais qu’on tire un trait et qu’on gomme cette partie
de sa vie, je voudrais qu’ils disparaissent de sa vie, je ne veux plus
qu’elle ait affaire à eux, je ne veux plus qu’ils essaient de la revoir
ou même de la contacter et si elle souhaite les revoir ou les contac-
ter, elle sera la seule à prendre cette décision.
— Et tu crois que ce monsieur pourra les convaincre ?
— Oh oui ! Il est très persuasif.
C’est lui qui a fait disparaître Zarko et Katarina, enfin, Veronika.
— C’est une histoire qui a fait beaucoup de bruit chez nous, on
était persuadés que ça venait de là, mais on n’avait aucune preuve
pour inculper qui que ce soit.

178
— Ça ne m’étonne pas, ce gars-là est très discret et il fait les
choses proprement.
Salah entendait à peine la sonnerie du téléphone qui crépitait
sous le bar, il décrocha, il reconnut tout de suite la voix de Dimitri
avec son fort accent.
— Oui. Allô.
— Bonjour, c’est Dimitri, vous vous souvenez de moi ?
— Oui ! Oui !
Florence va bien ?
— Elle s’en est sortie de son agression.
— Une agression ?
— Oui ! une agression au couteau.
Dimitri raconte ce qui s’est passé à Salah.
— Je tenais à ce que vous le sachiez, je sais que vous étiez proche
d’elle et je souhaiterais que vous informiez sa copine, je crois même
que c’est votre cousine, j’ai aussi besoin de vos services si vous vou-
lez bien.
— Dites toujours, si ça a un rapport avec Florence, je suis par-
tant, sinon ça va vous coûter très cher.
Salah a toujours été froid et direct quand il s’agissait de faire des
affaires.
— J’aimerais que vous alliez rendre visite aux grands-parents et
aux parents de Florence.
Vous devez savoir où ils crèchent ?
— Oui, sans problème.
— Vous les persuadez par tous les moyens de tirer un trait sur
Florence, je ne veux plus qu’ils l’approchent ni qu’ils l’appellent, je
souhaite qu’ils disparaissent de sa vie pour toujours et si un jour
elle décide de les revoir, elle sera la seule à décider.
Celui qu’il faudra persuader en premier, c’est certainement le grand-

179
père René, et ne vous inquiétez pas pour elle, dorénavant, elle aura
deux de mes meilleurs gardes du corps et moi, je ne serai pas loin.
Je peux compter sur vous ?
— Comptez sur moi, c’est comme si c’était fait.
Et l’agresseur ?
— Je m’en suis déjà occupé et du commanditaire aussi.
Trois jours après, Salah part en expédition avec trois de ses gros
bras, des repris de justice qui n’opèrent que sous ses ordres, dans
deux grosses berlines allemandes.
Ils ont fait une escale au casino de Nice sur la promenade des
Anglais en attendant la bonne heure pour intervenir.
Deux heures du matin, Salah fait signe à ses sbires de le suivre,
ils reprennent la route vers le centre de Nice, s’arrêtent devant le
numéro vingt-deux ; un pavillon construit dans les années quatre-
vingt-dix. Mouloud, un de ses sbires spécialisés dans les cambrio-
lages, crochète la serrure du pavillon et s’écarte pour laisser passer
Salah et ses deux acolytes avant de refermer soigneusement la porte.
Salah pénètre le premier dans la chambre à coucher, les deux
gros bras contournent le lit de part et d’autre et en quelques
secondes le couple était inerte pour quelques minutes, voire
quelques heures après avoir inhalé du chloroforme.
La grosse berline se dirige vers le vieux Nice avec le couple
inconscient dans le coffre en direction d’une planque prêtée par un
contact de Salah pour les garder au chaud pendant quelques jours.
Salah prend la direction de Duranus accompagné de Mouloud,
un des trois gros bras, pour récupérer les grands-parents et rassem-
bler toute la famille.
Vers quatre heures du matin, Salah et Mouloud se garent devant
le pavillon des grands-parents, Mouloud n’a pas eu à exercer son
talent, la lumière de la cuisine était allumée. Déduisant que le

180
couple de retraités était réveillé, il fallait agir vite sans attirer l’at-
tention des voisins.
Un neuf millimètres à la main, il tape trois coups sur la porte et
attend quelques secondes, pas de réponse, quelques secondes après,
ils entendent du bruit derrière la porte et la voix de René.
— Qui est là ?
Salah lui répond sans hésitation.
— Je viens vous chercher vous et votre dame, Florence a besoin
de vous.
René ouvre la porte sans appréhension, il a failli faire un malaise
lorsqu’il a vu Salah l’arme au poing accompagné du mastodonte
Mouloud qui ne ressemblait pas complètement à un humain en
pleine nuit.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Je n’ai pas d’argent, je suis un modeste retraité.
— Je vous l’ai dit, Monsieur, Florence a besoin de vous, vous allez
me suivre sans faire d’histoires.
Voyant que Salah ne plaisantait pas et que Mouloud le regardait
fixement, prêt à bondir, René ravala sa salive.
— Laissez-nous cinq minutes, le temps de nous préparer.
— Non, on n’a pas le temps. On s’en va.
Le quartier la Tuilerie dans le vieux Nice était quadrillé par les
jeunes du secteur qui surveillaient les allées et venues des étrangers
et scrutaient toutes les voitures étrangères à ce lieu.
— Je suis envoyé par Dimitri pour vous transmettre un message.
René pâlit en entendant le nom de Dimitri, il venait de faire en
une seconde un bond en arrière de vingt-six ans.
— Je pense que vous le connaissez ?
En regardant René dans les yeux.
— Florence a eu un grave accident et elle est entre la vie et la mort.
La grand-mère a pleuré tout le long de la route.

181
— Arrêtez de pleurer, Madame, il fallait être présente quand elle
était chez vous, maintenant, c’est un peu tard.
— Je veux la voir !
Elle est où ? Dans quel hôpital ?
— Elle est en sécurité et quand elle sera en mesure de voyager, je
pense qu’elle vous fera signe si elle le veut bien, mais pour l’instant
vous n’êtes pas en mesure de demander quoi que ce soit.
Mais quand elle viendra vous voir, vous devrez lui dire toute la
vérité sans rien omettre, elle a besoin de savoir, pas de cachotteries
ni de mensonges et assez d’hypocrisie.
La grand-mère était pétrifiée par la peur et par ce qu’elle venait d’en-
tendre, elle savait au fond d’elle que ça devait arriver un jour ou l’autre
et maintenant, il fallait démêler tout ça, la famille partait en éclats et
Florence allait leur en vouloir de ne pas lui avoir dit toute la vérité.
La maman adoptive de Florence regarde Salah, étonnée.
— De quelle vérité vous parlez ?
— Je ne sais pas, Madame et je ne veux pas le savoir, mais vous,
vous devez la connaître cette vérité, sinon il va falloir que le grand-
père vous affranchisse. C’est pourquoi on vous a réunis ici tous les
quatre.
Mouloud, tu restes ici avec eux, tu me surveilles tout ce beau
monde.
N’essayez pas de vous enfuir, sachez que j’ai deux hommes
dehors et le quartier est quadrillé et sincèrement, je ne vous le
conseille pas, les jeunes du quartier, je ne les contrôle pas, donc
c’est à vos risques et périls et si vous vous tenez tranquilles, on vous
fera aucun mal.
Marjorie et Franck, les parents de Florence, ne comprenaient pas
trop ce qui se passait et à quelle vérité Salah faisait allusion.
Mis à part que Florence a été adoptée, mais ça, ça n’a jamais été
un crime.

182
Marjorie regarde ses parents, interrogative.
— Papa ! Il y a autre chose que tu caches ?
René resta muet, paralysé par la peur.
Marjorie s’est sentie mal, elle a fini par perdre connaissance. Son
mari, absent et effacé jusque-là, s’est penché sur elle, ne sachant pas
quoi faire.
Mouloud l’a poussé d’un geste vif. En moins d’une seconde, il avait
Marjorie dans ses bras et s’est dirigé vers la seule chambre à l’étage.
— Restez là et ne bougez pas, je reviens.
Mouloud installa Marjorie sur le lit et finit par s’asseoir à côté
d’elle en lui caressant le front avec beaucoup de délicatesse, ce qui
finit par réveiller son instinct de mâle bestial.
Son regard glissa sur les jambes de Marjorie et, soudain, pris
d’une pulsion bestiale et irrésistible, il plongea sa main entre ses
cuisses jusqu’à sa culotte.
Marjorie sursauta, essaya de retirer la main qui l’agressait, mais
Mouloud avait déjà attrapé l’élastique et le tirait vers le bas, tout en
la regardant d’un air persuasif et décidé.
— Chut… sinon il va t’arriver des bricoles.
Il fit glisser le string le long de ses jambes.
Marjorie n’osait plus bouger, son cœur tambourinait dans sa poi-
trine, le regard vide et l’esprit absent, les larmes coulaient le long de
ses joues, elle ferma les yeux et se laissa faire.
Il la retourna en calant sa tête dans le traversin, puis rapidement,
il baissa son pantalon, exhibant son sexe déjà tendu.
Il s’agenouilla sur le lit, remonta sa robe vers ses hanches, le sexe
à la main. Il contemplait sa croupe et sa courbe qui descendait jus-
qu’à son bas-ventre en salivant, de la main gauche, il écarta délica-
tement sa croupe bombée, Mouloud dirigea son membre bien tendu
vers le bas-ventre de Marjorie. Il donna un coup de reins et s’en-
fonça de toutes ses forces en elle. Il la prit par les hanches, la releva

183
délicatement, écarta un peu plus ses cuisses et commença son va-et-
vient jusqu’à ce qu’il explose dans son ventre avec un soupir de
plaisir.
Marjorie pleurait à chaudes larmes, elle resta dans cette position
pendant un long moment avec Mouloud qui regardait sa rondelle
brune qui s’offrait à lui. D’une main il écarta sa croupe, dirigea
encore une fois son sexe encore dur vers sa rondelle et appuya légè-
rement jusqu’à ce qu’elle cède et laisse le passage à ce sexe qui
cherchait à aller au fond d’elle. Mouloud s’enfonça dans ses reins
d’un trait, Marjorie rugit de douleur.
— Chut, pas de bruit.
Il resta un moment au fond de sa croupe, c’était un moment fée-
rique, inoubliable, son sexe était serré par l’anneau, l’impression de
ne faire qu’un avec elle, sans prévenir, le plaisir est monté de son
échine, il s’est vidé encore une fois dans Marjorie en s’enfonçant de
toutes ses forces.
Marjorie avait honte, honte de jouir pendant qu’elle se faisait
violer, honte d’avoir pris du plaisir quand il était au fond d’elle, une
jouissance oubliée depuis des années, tellement intense, traversant
sa colonne vertébrale en se répandant dans tout son corps, provo-
quant des tremblements de ses muqueuses, elle dut se mordre les
lèvres jusqu’au sang pour ne pas crier, ne pas exalter son bonheur.
Mouloud se retira délicatement de la croupe de Marjorie en lui
mettant deux tapes sur les fesses.
— Tu as fini par aimer, salope.
Elle avait honte, elle se sentait faible devant ce tortionnaire qui a
su la faire jouir, elle aurait voulu le prendre dans sa bouche ce sexe
qui se balançait devant elle, endormi certes, mais vigoureux, long et
épais, cela n’a pas échappé à Mouloud.
— Allez, il faut redescendre retrouver les autres, sinon ils vont
s’inquiéter.

184
Quand Marjorie a rejoint le reste de la famille resté au rez-de-
chaussée, personne n’a osé lui demander ce qui s’était passé dans la
chambre, sauf peut-être sa mère qui a fait une allusion, que
Marjorie a préféré ne pas relever.
— Tu vas mieux, ma chérie ?
Marjorie est allée se mettre dans un coin de la pièce sans un
regard pour son mari, elle avait honte de ce qui venait de se passer
et en même temps elle avait hâte que Mouloud la prenne encore et
qu’il se vide dans tous ses orifices.
Salah est revenu le lendemain, tard dans la nuit.
— Ne m’obligez pas à revenir, j’espère que vous vous êtes enten-
dus ensemble pour dire toute la vérité à Florence dès son retour et
je vous veux tous les quatre ensemble ce jour-là, parce que je pense
que vous avez aussi des choses à vous dire et après cela, vous ne
devrez plus la joindre, vous oubliez son existence, si elle veut vous
joindre, elle le fera mais vous, vous n’avez plus le droit de le faire.
Est-ce bien clair ?
Ne m’obligez pas à me répéter.
La famille réunie confirme que l’information a bien été reçue et
comprise.
— Rentrez chez vous et priez pour que Florence s’en sorte sans
séquelles.
 
Marjorie rêvait souvent du viol qu’elle avait subi malgré elle,
avec la sensation étrange de le revivre toutes les nuits, d’avoir
encore en elle le sexe dur en train de la déchirer et de la faire jouir.
Florence cligne des paupières, ouvre les yeux péniblement, elle
regarde autour d’elle et ne comprend pas, elle ne se rappelle rien,
aucun souvenir de l’agression, elle se rend compte qu’elle est dans
un hôpital, mais de rien d’autre.
Dimitri et Céline sont tous deux à son chevet. Céline pleure à

185
chaudes larmes, heureuse de retrouver sa fille vingt-six ans après,
Dimitri, beaucoup plus réservé, plus digne, console sa chère et
tendre femme.
Florence les regarde tour à tour, fixe Dimitri un long moment,
quelque chose en lui l’interpelle, mais quoi, elle ne sait pas encore,
son cerveau est embrumé, elle se sent lourde, elle n’a qu’une envie :
se rendormir.
Le médecin, prévenu de son réveil, prend les constantes de
Florence, se tourne vers Dimitri et lui dit avec un sourire significatif :
— Tout va bien, Monsieur, mais elle a besoin de repos, il faut
qu’elle récupère des forces, vous pourrez la voir plus tard.
Florence suivait malgré elle la conversation entre ce médecin en
blouse blanche et ce couple élégant assis là devant elle.
Elle était rassurée par la présence de ce monsieur, son instinct lui
disait de se rendormir en toute quiétude, qu’elle n’avait plus rien à
craindre maintenant.
Dimitri et Céline étaient en train de déjeuner au restaurant de
l’hôtel quand le maître d’hôtel se dirigea vers le couple d’un pas assuré.
— Monsieur Karislova ?
Le maître d’hôtel lui tend un papier posé sur une soucoupe en argent.
Un message pour vous, Monsieur.
Dimitri sourit à Céline.
— Elle est consciente, c’est le grand jour, ma chérie.
Céline avait la boule au ventre qui l’empêchait de sourire et
d’être heureuse, elle avait peur de la réaction de sa fille.
— Bonjour Florence.
— Bonjour, c’est vous qui étiez là hier ?
— Oui, nous étions là hier et avant-hier et avant-avant-hier, on
était là depuis le début.
— Qui êtes-vous ?
— Moi, tu as cherché longtemps à me rencontrer.

186
Je suis Dimitri Karislova.
Florence n’en croyait pas ses yeux, son bienfaiteur était là à côté
d’elle et continuait son œuvre.
— Et elle ?
En regardant tendrement sa compagne :
— C’est Céline, Florence de la Minaudière.
Florence les regardait tour à tour, ne comprenant pas ce qui se pas-
sait.
— J’ai fait quelque chose de mal ?
— Non. On est là pour t’apporter des réponses à certaines ques-
tions que tu t’es posées durant toutes ces années.
Je ne sais pas par où commencer.
Dimitri avait du mal à trouver les bons mots et le bon tempo.
Florence était de plus en plus mal à l’aise et cherchait obstiné-
ment dans son cerveau ce qu’ils pourraient bien lui apprendre.
Dimitri s’est gratté la tête plusieurs fois et a fini par se jeter à l’eau.
— Je ne savais que c’était si difficile de te dire la vérité.
Céline, silencieuse à côté de lui, tremblait de tous ses membres et
cette foutue boule au ventre qui ne l’a plus quittée depuis qu’elle a
su l’existence de sa fille.
— Bon, je me jette à l’eau.
Je suis ton père biologique et voici ta mère.
Florence en entendant ces paroles s’est mise à pleurer, ça a permis
à Dimitri de reprendre son souffle et de trouver ses mots pour la suite.
— Et ce qui est arrivé est entièrement de ma faute. Céline, ta
maman, n’était pas au courant de ton existence, elle l’a su il y a de
cela quelques jours, elle était persuadée que tu étais morte.
En regardant tendrement Céline :
— Je suis sincèrement désolé de t’avoir caché ce secret aussi
longtemps et surtout de t’avoir mise à l’écart.

187
Florence regardait ces deux étrangers assis en face d’elle sans
vraiment comprendre.
— Vous êtes mes parents biologiques ?
Tous les deux hochent la tête en signe d’approbation sans pou-
voir dire un mot.
— Mais vous êtes qui, en fait ?
Florence n’arrivait pas à rassembler ses idées, ne comprenait pas
ce qui se passait.
— On va te laisser te reposer, on reviendra te voir plus tard.
Dimitri prend sa femme tendrement par la main et l’invite à le
suivre.
— Non ! Ne partez pas tout de suite.
Et Florence s’est mise à pleurer à chaudes larmes. Elle a été sub-
mergée par son passé, ses souvenirs.
La découverte de ses vrais parents, le mensonge de ses parents
adoptifs qui a été la seule raison de son départ inopiné de la région
niçoise sans donner de nouvelles.
Elle en voulait au monde entier.
Céline s’est approchée, l’a prise dans ses bras, c’était la première
fois qu’elle le faisait, son cœur battait à deux cents pulsations par
minute en lui chuchotant dans l’oreille :
— On est désolés, ma chérie, vraiment désolés.
Puisses-tu nous pardonner un jour.
Florence entre deux sanglots :
— J’ai rêvé au fond de moi de ce moment magique, je l’attendais,
je l’ai attendu et espéré dès que j’ai su par le plus grand des hasards
que j’ai été adoptée.
Vous ne pouvez pas vous imaginer combien je suis heureuse de
vous retrouver, de retrouver enfin mes vrais parents.
Je vous pardonne, mais j’aimerais savoir comment tout ça est
arrivé, pourquoi vous m’avez abandonnée.

188
— Maintenant qu’on t’a retrouvée, laissons cette question pour
plus tard si ça ne te dérange pas et je te promets que tu auras tous
les détails au moment voulu.
Repose-toi ma chérie, nous sommes juste à côté.
Florence s’est pincé la cuisse discrètement pour être sûre qu’elle
était bien réveillée et que c’était bien ses parents qui étaient là à
veiller sur elle.
Elle a tellement espéré ce moment.
 
— Allô ! Latifa ?
— Je commençais à désespérer, j’ai su pour ton agression et ton
hospitalisation et maintenant est-ce que ça va ?
— Oui, ça va mieux, même beaucoup mieux.
J’ai une grande nouvelle à t’annoncer.
— Ton ange gardien qui a encore fait des prouesses ?
— Pourquoi tu dis ça ?
— Parce qu’il a appelé Salah, il y a de cela quelques jours pour un
travail ici sur la région, c’est comme ça que j’ai su que tu as été
agressée et que tu t’en es sortie.
— Et tu sais ce que c’est comme boulot ?
— Oh non ! Tu connais Salah, il ne parle pas pour ne rien dire.
Alors, c’est quoi ta nouvelle ?
— Assieds-toi si tu n’es pas déjà assise. Je connais mes vrais
parents, ils étaient là tous les deux à mon chevet tout le long de
mon hospitalisation.
Mon vrai papa et ma vraie maman, tu te rends compte ?
Ce moment je l’ai rêvé et espéré durant des années.
Ils sont beaux, distingués et cultivés, je suis heureuse, Latifa, tu ne
peux pas t’imaginer ce que ça m’a fait quand ils se sont présentés à moi.
— Et c’est qui ?
Comment ils s’appellent et ils vivent où ?

189
— Alors, mon père s’appelle Dimitri Karislova et c’est mon ange
gardien comme tu dis si bien, et ma maman s’appelle Céline, mais
son deuxième prénom c’est Florence comme moi.
C’est tout ce que je sais pour l’instant, je n’ai pas eu le temps de
trop discuter avec eux, je suis encore fatiguée, ils ont promis de tout
me révéler dès que j’irai mieux.
— Je suis heureuse pour toi, ma chérie et j’espère que tu ne
m’oublieras pas maintenant que tu as un vrai papa et une vraie
maman.
— Ne dis pas ça, Latifa, tu es plus qu’une amie pour moi, tu es
ma sœur de cœur et je suis fière de t’avoir à mes côtés.
 
Marina, très remontée, faisait tournoyer son couteau papillon
dans sa main en attendant le retour de Farouk.
— Qu’est-ce que t’as été foutre avec Olga ?
— Je l’ai juste baisée et elle a adoré.
Farouk n’a pas vu le coup arriver, il n’a même pas eu le temps de
réagir, en moins d’une seconde, il avait la gorge ouverte de part en
part, les yeux révulsés, il est tombé comme une masse.
— Il n’a pas souffert, c’est un cadeau que je lui ai fait, ramassez-
moi ce chien et faites-moi disparaître le corps.
Les deux colosses enveloppent le corps de Farouk dans un sac
mortuaire, l’un des deux était déjà à genoux avec des produits
détergents et des chiffons et avait commencé à nettoyer les taches
de sang sur le marbre d’une qualité supérieure ramené spécialement
d’Italie.
La sonnerie du téléphone a fait sursauter Marina qui s’impatien-
tait d’avoir une discussion sérieuse avec Olga, c’est de sa faute si
Farouk est mort, elle était persuadée qu’Olga l’avait allumé.
— Oui, Monsieur Karislova, tout va bien.
— Je veux que tu récupères Walter à la première heure, tu

190
demanderas l’adresse à Fergusson, il vient de le virer et tu lui
donnes une bonne leçon.
C’est grâce à lui que John avait toujours une longueur d’avance
sur nous.
— OK !
— Les petits ? Ça va ?
— Oui, Monsieur.
— Bon ! Et Olga ?
— Pour l’instant, elle est enfermée au sous-sol.
J’ai dû me séparer de Farouk, Monsieur.
— Ah bon ! Pourquoi ?
Pourtant, c’est l’un de tes meilleurs hommes de main ?
— Il s’est permis de violer Olga, Monsieur.
— Bon. Quand, j’aurai fini avec John, vous la relâchez, sans les
enfants bien sûr.
— OK ! Comptez sur moi, Monsieur.
Après avoir raccroché, Marina a tout de suite composé le
numéro de Fergusson.
— Bonjour Monsieur, c’est Marina.
— J’attendais que vous me contactiez, qui vous savez m’avait
prévenu de votre appel.
Marina nota soigneusement l’adresse de Walter sur un bout de
papier qu’elle avait trouvé dans la corbeille à côté du bureau, elle
resta bien calée au fond du fauteuil un long moment, attendant le
retour des deux colosses.
Il leur a fallu une bonne demi-heure pour faire disparaître le
corps de Farouk.
— Vous avez fait ça proprement, j’espère ?
— Oui, tout à fait, Madame, vous n’avez pas à vous inquiéter.
Nous pensions que dix litres d’acide suffiraient, il était bien gras le

191
bougre, il nous en a fallu le double pour dissoudre complètement
son corps et enterrer les petits morceaux d’os qui restaient.
— Bien !
Tenez, vous allez à cette adresse, vous lui donnez une bonne cor-
rection et vous lui rappelez que dorénavant il devra bien choisir ses
partenaires et apprendre à tenir sa langue.
Walter était dans son lit avec son compagnon lorsqu’ils inves-
tirent la maison au milieu de la nuit sans bruit en avançant sur la
pointe des pieds.
Ils pensaient le trouver seul, mais ce nouvel élément très gênant
les contraignit à intervenir rapidement en immobilisant les deux
tourtereaux en même temps.
Moins de cinq secondes après, Walter était dans les bras du
colosse, emmitouflé comme un bébé, ne pouvant plus faire le
moindre mouvement ni émettre le moindre son ; son compagnon a
eu droit au coup de poing sec et fort sur la tempe pour l’aider à finir
sa nuit, attaché au lit comme un saucisson et bâillonné soigneuse-
ment avec du scotch industriel.
Walter avait les yeux révulsés, il tremblait de tous ses membres
quand les deux colosses l’ont attaché sur une chaise dans la cuisine.
— Tu sais pourquoi on est là ?
Walter secoue la tête dans tous les sens en signe d’incompréhen-
sion.
— Maintenant, écoute-moi bien.
Nous n’allons pas te faire du mal, ou peut-être juste un peu.
Mais si tu t’avises de recommencer à être l’informateur de John ou de
qui que ce soit, nous reviendrons et là on s’occupera sérieusement de toi.
Tu as bien tout compris ?
Walter avec beaucoup de mal hoche la tête de haut en bas en
signe d’approbation.
Le grand costaud regarde son copain qui se tenait à côté de lui.

192
— Je pense qu’on n’aura pas à revenir, il a compris.
— Tu crois ?
Pour s’assurer qu’il avait bien compris, un des colosses décroche
un coup de poing à Walter en plein visage et enchaîne avec un
uppercut qui le fit décoller du sol.
— Maintenant, on peut y aller, je pense qu’il a compris.
Florence se sentait de mieux en mieux, elle récupérait de plus en
plus vite, elle profitait du temps qu’elle avait au sein de la clinique
pour connaître un peu mieux ses parents.
— J’ai connu ta mère lors d’une mission en Afrique centrale.
Nous avions pour mission de capturer un terroriste algérien et de le
ramener en France, d’ailleurs la mission a été un vrai fiasco, c’est à
cette occasion que nous avions sympathisé, appris à nous connaître
et par la suite je suis tombé amoureux, nous avions beaucoup de
temps à perdre à suivre ce présumé terroriste qui avait la bougeotte.
Tu as été conçue dans un hôtel miteux dans le centre du Burundi.
Florence souriait, heureuse d’entendre ses parents raconter leur
histoire.
— Quand j’ai su que j’étais enceinte, j’étais encore en mission au
Burundi avec ton père qui m’a beaucoup soutenue, on s’aimait d’un
amour profond, mais il n’était plus question pour moi de revenir à
Paris dans cet état, notre présumé terroriste est entré en France via
la Tunisie et l’Italie pour se poser à Nice, moi ça ne m’arrangeait
pas trop, j’avais peur que mon supérieur hiérarchique me remplace
sur cette mission et m’oblige à rentrer à Paris.
Dimitri, qui avait beaucoup de contacts à Monaco, nous a dégoté
une villa sur les hauteurs de la principauté.
Notre présumé terroriste a été embauché dans la centrale électrique
pas loin de Nice, son projet était de la faire sauter, de faire des dizaines
de victimes, voire des centaines, et de plonger Nice et sa région dans
le chaos le plus total pendant des semaines, voire des mois. De ce

193
fait, nous nous sommes retrouvés à travailler dans cette centrale
afin de surveiller notre terroriste, de faire capoter son projet et de
l’appréhender, d’ailleurs aujourd’hui, il croupit dans une prison.
C’est à cette occasion que Dimitri a connu René, celui qui est
devenu ton grand-père par la force des choses, il travaillait dans
cette centrale depuis déjà quelques années.
Quand mon responsable hiérarchique de l’époque a su que j’étais
enceinte, il m’a sommée d’avorter, mais c’était trop tard, j’étais
enceinte de sept mois environ. Ne sachant plus quoi faire, ce monsieur
très avisé a fait appel aux services secrets yougoslaves, l’employeur
de Dimitri de l’époque, pour les mettre au courant de la situation.
Le responsable des services secrets yougoslaves est intervenu en
donnant l’ordre à ton père de faire disparaître le bébé dès sa nais-
sance et d’effacer toutes les traces.
Je n’étais pas au courant de l’ordre qu’il avait reçu et, par amour
pour le bébé qui allait naître de notre union, la solution était René,
ton grand-père actuel qui se plaignait à qui voulait l’entendre que sa
fille Marjorie était stérile et qu’il aurait aimé être grand-père. C’était
le seul moyen de te mettre à l’abri des services secrets yougoslaves
et de la DGSE qui était à l’affût de tout.
Voilà une partie de ton histoire.
— Parce qu’il y a une autre histoire ?
— Le reste de l’histoire, c’est ton grand-père qui doit te la déli-
vrer, c’est son fardeau, il doit assumer ses erreurs.
Florence ne comprenait pas, elle avait l’impression que ses
parents filtraient les informations pour la préserver.
— Sache que je suis fier de toi, pour ce que tu as enduré pour
devenir avocate, mais j’aurais aimé aussi savoir que tu étais vivante,
que j’avais une fille quelque part aussi belle que toi.
Dimitri prend la parole pour détendre l’atmosphère et s’éloigner
de la minute nostalgie.

194
— Et je ne te parle même pas de tes grands-parents, les vrais bien
sûr, ton grand-père, quand il le saura, prépare-toi au grand tapage,
la fête jusqu’aux aurores avec une centaine d’invités, parce que
monsieur l’amiral est très mondain et un tantinet excentrique.
C’était un amiral de l’armée française aujourd’hui à la retraite.
— Arrête Dimitri, mon père est adorable et ma mère trop chou.
Florence avait l’impression de les connaître depuis toujours, ils
lui parlaient avec une telle simplicité, sans aucun filtre, elle avait la
sensation d’avoir toujours été avec eux.
Dimitri reprend la main.
— Quand tu iras mieux, nous t’accompagnerons chez tes parents
et grands-parents adoptifs. Je pense qu’ils auront besoin de soulager
leur conscience et de te faire des aveux.
— Je n’ai plus envie de les voir, ils m’ont menti pendant des
années, je ne peux plus leur faire confiance, j’aurai du mal à les
regarder en face, j’ai honte pour eux, pour ce qu’ils ont fait.
— Tu ne dois pas leur en vouloir, ce n’est pas leur faute, c’est la
mienne, c’est moi qui t’ai abandonnée cette nuit-là.
— Pour me sauver de la mort, si j’ai bien compris, tu as fait ce
qu’il fallait pour me permettre de vivre et de devenir ce que je suis
aujourd’hui, tu n’as rien à te reprocher, je te remercie pour tout ce
que tu as fait pour moi.
Dimitri est aux anges, sa fille comprend son geste et en plus, elle
lui a pardonné, effectivement c’était pour la sauver de la mort et il a
toujours eu un œil sur elle, depuis sa naissance, il a toujours été là.
Il ne l’a jamais laissée seule.
— Bon, tu as le temps, on en reparlera plus tard.
J’ai une autre suggestion à te faire et je ne peux le faire qu’avec
ton accord.
Je souhaiterais te reconnaître officiellement, que tu redeviennes
notre fille, que tu portes mon nom, je sais que c’est peut-être pré-

195
maturé et si tu veux y réfléchir je comprendrai, sache quand même
que ça nous tient à cœur.
Ta mère et moi serions honorés que tu acceptes d’être notre fille.
Florence regardait ses parents avec compassion et amour, les
larmes aux yeux.
— J’en serais fière.
— Bon alors, c’est réglé.
J’appelle Fergusson à la première heure et je lance la procédure.
— Allô Fergu ! Tout va bien ?
— Tu rentres quand ?
Et la petite, tout va bien ?
— Elle se remet doucement.
— Tu as besoin de moi ? C’est urgent ?
— Non ! Non !
Ne t’inquiète pas, ça peut attendre encore quelques jours.
— Quelques jours ?
Je comptais rester à Montreux pour accompagner Florence dans
sa longue convalescence qui devrait durer au minimum trois mois.
Mais je vais rentrer en fin de semaine pour quelques jours.
Je t’apporterai des échantillons de la salive de Florence, de la
mienne et de celle de Céline.
— Tu as un doute sur ta paternité ?
— Non, pas du tout, j’ai besoin que tu lances une procédure de
reconnaissance de paternité.
— OK ! Sans problème, je vois que ça avance de ton côté, je suis
très heureux pour vous.
— Merci, Fergu, elle est adorable.
— Je le sais, Dimitri, elle travaille pour moi.
Mais tu as pensé à John ? Il ne va pas aimer tout ça, ça va contre-
carrer ses projets.
Ça faisait déjà quelques jours qu’Olga était enfermée dans le

196
sous-sol de la grande bâtisse de Dimitri à Oak Lawn.
John venait de tout perdre par excès de zèle, sa femme et ses
enfants, sans nouvelles de sa famille et n’arrivant pas à joindre son
père, il s’est rabattu sur le FBI pour déclarer leur disparition.
— Je suis sûr que c’est mon père qui détient ma femme et mes enfants.
L’agent spécial qui enregistrait sa plainte était dubitatif.
— Je crois savoir que votre dame est d’origine russe ?
— Oui ! Et ?
— L’idée ne vous a pas traversé l’esprit qu’elle a pu repartir en
Russie en emmenant les enfants avec elle ?
— Pourquoi elle ferait ça ?
— Ça, c’est vous qui devez le savoir.
— Non, c’est impossible, nous nous aimons.
— Bon ! Écoutez, rentrez chez vous et vous verrez que dans
quelques jours, elle reviendra sans prévenir.
Pour l’instant, je ne peux rien faire pour vous, une femme qui dis-
paraît avec les enfants, c’est suspect pour vous, mais pas pour nous.
Revenez me voir dans quelques jours si vous n’avez toujours pas
de nouvelles.
— Bonjour Monsieur Karislova.
— Bonjour Marina, comment ça se passe ?
— Elle réclame ses enfants du matin au soir.
— Vous la gardez encore jusqu’à la fin de la semaine et vous la
ramènerez à l’hôtel, veillez à ce qu’elle ne manque de rien et qu’elle
ne sache jamais où elle a été détenue.
— OK Monsieur, ne vous inquiétez pas.
— Allô ! John !
J’ai su que tu es allé voir le FBI en m’accusant de kidnapping.
Tu n’as toujours rien compris, tu me déçois énormément.
— Papa !
Olga et les enfants ont disparu, aide-moi s’il te plaît, le FBI pense

197
que ma femme m’a quitté en emmenant les enfants en Russie.
— Et pourquoi pas ?
— Non ! Je la connais bien, elle ne me ferait pas un coup pareil,
jamais.
— Bon ! Si tu le dis.
Dis-moi, qu’est-ce que je t’ai dit concernant la petite ?
— De ne plus l’approcher.
— Alors pourquoi tu as mis un contrat sur sa tête ?
John, tu m’as désobéi et tu sais que je n’aime pas ça.
Tu dois assumer tes actes et je vais t’apprendre à respecter les règles.
Je vais te ruiner comme tu as essayé de ruiner ma vie, je vais te
faire mal comme tu m’as fait mal, tu vas vivre avec la peur au
ventre, tu vas te tordre de douleur et si par malheur après tout ça
j’entends encore parler de toi, je te ferai disparaître de la surface de
la Terre.
— Mais Papa, je suis ton fils !
— Plus maintenant John, plus maintenant.
Ta femme va rentrer dans quelques jours.
— Et les enfants ?
— Les enfants ? J’ai un autre avenir pour eux.
— Mais ! Ce sont mes enfants.
— Tu crois ?
John n’arrivait plus à réfléchir et il connaissait bien son père, il
savait que ce n’étaient pas des paroles en l’air, Dimitri ne parlait pas
pour ne rien dire.
— Préparez-vous, Olga, vous allez rejoindre votre mari qui remue
ciel et terre pour vous retrouver.
— Et mes enfants ?
— Les enfants ?
— Oui ! Mes enfants, ils sont où ?
Je ne pars pas sans eux.

198
— Assez de caprices, Olga. On s’en va.
Marina prend Olga par le bras et la secoue dans tous les sens.
— Maintenant, vous allez vous calmer et me suivre gentiment.
— Je veux voir mes enfants.
— Vos enfants sont en sécurité, avancez.
Olga se tenait au milieu du hall d’une trentaine de mètres carrés
tout en marbre, en un clin d’œil elle avait mémorisé les lieux,
devant elle, il y avait deux escaliers en marbre hélicoïdaux d’une
vingtaine de marches qui montaient vers le premier étage, en des-
sous se trouvait une cuisine ouverte contemporaine.
Olga s’est mise à grimper les marches deux par deux, Marina
s’est contentée de la regarder, elle n’a pas eu le temps de réagir,
mais le colosse qui était agile comme un singe a grimpé plus vite
qu’elle en prenant l’escalier de droite.
— Arrête bébé, calme-toi.
Olga criait le prénom de ses enfants de toutes ses forces.
Le colosse essayait de la faire taire, mais en vain, elle se débattait
telle une furie.
Olga a fini par rater la marche et a dévalé les vingt marches en
faisant un roulé-boulé. Marina se pencha sur le corps inerte, prit
son pouls qui resta malheureusement muet.
— Nuque brisée. Qu’est-ce que je vais dire à monsieur Karislova ?
Shit ! Shit !
— Vous n’avez qu’à lui dire la vérité, c’est de sa faute, c’est une
folle furieuse, elle est tombée toute seule.
— Allô, Monsieur Fergusson ?
— Oui !
— C’est Marina, monsieur Karislova est encore là ?
— Non, il vient de partir.
— Vous pourriez essayer de le joindre et lui demander de me rap-
peler rapidement ?

199
C’est assez urgent.
Quelques minutes plus tard, le téléphone retentit dans la maison
d’Oak Lawn.
— Allô ! Marina !
Qu’est-ce qui se passe ?
— On a perdu Olga, Monsieur, elle a fait une chute mortelle en
essayant de s’échapper.
Je suis désolée.
Le silence de Dimitri lui faisait froid dans le dos, elle avait le
bout des doigts paralysé, son sang a déserté ses phalanges, elle avait
du mal à garder le combiné dans la main, la réaction de Dimitri l’in-
quiétait, il avait un droit de vie ou de mort sur n’importe qui, il
suffisait qu’il claque des doigts et tous les tueurs à gages de renom-
mée mondiale rappliquaient, ce n’était pas un tendre.
— Débarrassez-vous du corps.
Et il raccrocha sans rien dire de plus.
Marina était soulagée et impressionnée par cet homme qu’elle
n’a vu que deux ou trois fois durant toute sa carrière.
 
Le soleil brillait sur Marignane en ce début de printemps sur la
Provence.
Florence respira profondément en descendant du jet privé,
accompagnée de Dimitri et de sa mère.
— Je suis heureuse d’être revenue chez moi, il faudra que j’aille
tout de même vider mon appartement rue Paradis et rendre visite à
Latifa et à ses parents, que je considère comme ma deuxième famille.
Ils m’ont soutenue et ont cru en moi, ils m’ont aidée à être ce que je
suis aujourd’hui.
— Nous le savons ma chérie, c’est pour cela qu’on les a prévenus
de notre arrivée.

200
Florence n’en croyait pas ses yeux, ils étaient tous là, Latifa, ses
parents, Salah et Sabrina, même Bertrand était là.
Les retrouvailles étaient chaleureuses, l’étreinte entre Florence et
Latifa a duré une éternité.
« Bienvenue chez toi Florence. » Cette phrase tournait en boucle
dans la tête de Lyes, il voulait absolument la placer. C’était sa façon
à lui de lui dire « tu nous as manqué et on t’aime ».
Florence est heureuse de se retrouver avec ses amis dans cette
merveilleuse ville qu’est Marseille.
— Papa ! On peut rester quelques jours à Marseille ?
— Non, pas maintenant ma chérie, à notre retour de Nice, si tu
veux bien, j’ai hâte d’éclaircir quelques points sombres avec René.
— OK. D’accord, mais au retour, on reste quelques jours à
Marseille, je te ferai visiter les calanques et je t’emmènerai à Notre-
Dame de la Garde, c’est magique. Tu pourras même faire un vœu.
— Ah bon ! répond Dimitri, en regardant furtivement sa bien-
aimée Céline.
Dimitri avait réservé une suite à l’hôtel « Negresco » sur la pro-
menade des Anglais pour lui et sa femme et une grande chambre
avec une grande terrasse pour Florence.
Ils sont arrivés deux heures avant le rendez-vous familial prévu
par Dimitri dans un salon privé avec les grands-parents et les
parents adoptifs de Florence.
— My darling. Tu as quartier libre jusqu’à dix-neuf heures, après
on se rejoint au salon privé « L’Amphore ».
— OK. À tout à l’heure, bisous Maman.
— Elle semble heureuse notre fille et j’ai l’impression qu’elle a
accepté la situation. Tu as remarqué la facilité et la sincérité qu’elle
a quand elle nous appelle « papa » et « maman » ?
— Tu sais ma chérie, notre fille est intelligente, elle a fini par

201
comprendre ce qui s’est passé il y a de cela vingt-six ans et elle nous
a pardonnés à l’instant où elle nous a rencontrés.
René et sa petite famille patientaient depuis dix minutes environ
dans le salon privé, en train d’échafauder un plan pour se faire
pardonner.
— Florence ! Ma chérie, tu es prête ?
— Oui, j’arrive.
Elle était splendide dans sa robe de soirée noire signée
Karl Lagerfeld laissant entrevoir une petite poitrine en forme de poire,
elle a pris soin de ne rien mettre en dessous pour éviter de comprimer
ses formes, ses yeux clairs dessinés avec un crayon blanc les faisant
ressortir, ses cheveux blonds ondulés flirtaient avec ses hanches, des
escarpins Veneto, le bruit des talons était étouffé par l’épaisse
moquette qui recouvrait le couloir qui la menait à l’ascenseur.
Dimitri n’avait d’yeux que pour sa fille, il la suivait du regard, fier
d’avoir engendré une telle déesse. Céline lui a pris la main tendrement.
— Ne t’inquiète pas, mon chéri, elle est assez intelligente pour se
faire respecter, elle tient ça de sa mère.
— Bon, allons affronter les goujats et menteurs en tous genres.
Le salon privé était au fond de la salle, la porte était soigneuse-
ment fermée et gardée par un garde du corps de Dimitri.
— Ils sont tous là ?
— Oui, Monsieur.
Le garde du corps s’efface en ouvrant la porte pour laisser le passage.
René était pâle, les yeux plissés, la bouche crispée, il avait du mal
à regarder devant lui, quant à Sophie, les larmes aux yeux, elle s’est
précipitée sur sa petite-fille pour la serrer dans ses bras. D’un geste
vif, Dimitri l’en a dissuadée et l’a invitée à se rasseoir.
Franck et Marjorie ne reconnaissaient pas leur fille, il leur a fallu
plusieurs secondes pour se rendre compte que c’était bien Florence
qui était là en face d’eux.

202
— Qu’est-ce que tu es belle, ma puce.
Marjorie n’en revenait pas, sa fille qu’elle a perdue adolescente
est maintenant une femme de toute beauté.
— Merci, répond Florence sèchement.
— Bonjour à tous.
Je n’ai pas beaucoup de temps et vous savez pourquoi je vous ai
réunis ici.
J’attends de vous de la dignité et la vérité, Florence en a besoin
pour se reconstruire.
Et je suis désolé si j’écorche un peu votre langue.
René prend la parole en premier, il avait besoin de se confesser,
de reconnaître ses torts et de demander pardon à Florence, à Dimitri
et à Céline.
Il craignait Dimitri et Céline, il sait qui ils sont et il savait qu’il
n’avait aucune chance, il fallait qu’il dise toute la vérité et sans détour.
 
— Florence, je te demande pardon, pardonne-moi s’il te plaît,
j’étais persuadé que c’était pour ton bien, je n’ai pas pensé que ça
allait te nuire durant toute ta vie.
Voilà, tout a commencé quand j’ai connu monsieur Dimitri et
Céline, on travaillait ensemble et j’avais compris qu’ils n’étaient pas
nets, d’abord par leurs attitudes et leurs comportements, ils étaient
aux aguets de tout ce qui se passait dans la centrale et mes doutes
ont été confirmés le jour où ils ont déjoué l’attentat qui se préparait
dans la centrale par un terroriste venu de je ne sais où.
Quelques semaines plus tard, monsieur Dimitri est venu me voir
à la maison, à l’époque, on habitait au centre-ville de Nice avec ta
grand-mère dans un petit appartement.
Il savait que Marjorie, ta mère, enfin tu vois ce que je veux dire,
ne pouvait pas avoir d’enfants et il m’a proposé d’adopter le

203
nouveau-né de Céline, en l’occurrence toi, qui devait accoucher
dans les heures qui suivaient.
Bien entendu, j’en ai parlé à Marjorie et à Franck et tous deux
étaient aux anges.
Je sais qu’on aurait dû te mettre au courant, quand tu as eu l’âge
de comprendre et pas que tu le découvres par hasard dans une vul-
gaire salle d’attente et qui plus est par une inconnue.
Dimitri, visiblement, s’impatientait.
— René ! Je n’ai pas toute la soirée à vous consacrer et tout ça
Florence le sait déjà, allez à l’essentiel s’il vous plaît.
— On t’a menti tout le long et j’en suis désolé, sincèrement
désolé, j’ai une révélation beaucoup plus conséquente.
Florence leur en voulait énormément.
— Les larmes aux yeux, c’est un peu tard pour demander pardon,
vous auriez pu me dire tout ça quand j’ai eu l’âge de comprendre,
mais vous avez préféré rester dans le déni et le mensonge, je vous
en veux énormément à vous quatre.
Péniblement, René reprend une grande respiration et poursuit sa
confession :
— À partir de ce jour-là, j’ai reçu une fois par an la somme de
cent mille dollars par virement bancaire, c’était la promesse de
Dimitri pour nous aider à t’élever décemment.
— Et en plus, vous étiez payés pour ça ?
— Oui, Florence et j’en suis désolé.
Marjorie et Franck, les yeux ébahis et la bouche ouverte, regar-
daient René sans comprendre ce qui se passait, ils ne s’attendaient
pas à de telles révélations, ils n’en croyaient pas leurs oreilles.
— Mais Papa ! C’est quoi cette histoire ?
Tu ne nous as jamais parlé de tout ça et moi qui croyais que
l’adoption était tout à fait légale.
René en sanglotant :

204
— Mais avec quel argent j’aurais pu acheter la maison à Duranus
et payer les voyages autour du monde ? C’est grâce à l’argent que je
recevais de Dimitri, ce n’est certainement pas avec mon salaire minable.
Alors quand j’ai su que tu étais enceinte et que tu es venue te
réfugier chez nous, je me suis dit « c’est l’occasion de te rendre ce
que Dimitri nous a donné durant quinze ans ».
— Comment ça enceinte ?
Qui était enceinte ? Florence ?
Elle n’avait que quinze ans.
— Oui, c’était une erreur de jeunesse, elle n’avait que quinze ans,
elle était perdue et ne savait pas quoi faire, nous avons été là pour
elle et nous avons décidé conjointement ta mère et moi de ne pas
vous en parler.
C’était une erreur de notre part, je le reconnais, nous aurions dû le
faire. Nous aurions pu les élever ensemble et en famille, c’est de ma
faute.
— Les élever ?
Florence était abasourdie, prête à sauter sur son grand-père et à
lui arracher les yeux de ses propres mains.
— Oui, Florence, je suis désolé, c’étaient des jumeaux.
Céline prend sa fille dans ses bras.
— Calme-toi, ma chérie, attends la suite, ça va te plaire.
René avait de plus en plus de mal à articuler, la peur le tenaillait,
sa respiration était de plus en plus courte et rapide.
— C’étaient deux beaux garçons, mais tu étais trop jeune pour les
élever et nous trop vieux.
— Trop jeune ?
Mais ce n’était pas à vous de juger si j’étais capable ou pas d’as-
sumer ces enfants.
Florence n’arrivait plus à se contrôler, elle aurait voulu le

205
prendre et l’étriper, mais elle n’avait plus la force, elle s’est laissée
partir. Elle venait de s’évanouir dans les bras de sa mère.
Marjorie, qui était en pleurs, aurait voulu prendre Florence dans
ses bras et la consoler comme quand elle était petite et qu’elle avait
un chagrin, mais le regard de Céline l’en a dissuadée.
Florence avec l’aide de sa maman reprend ses esprits.
— Mais qu’est-ce que tu en as fait ?
Qu’est-ce que tu as fait de mes enfants ?
— Je les ai donnés à un certain monsieur John qui venait de la
part de Dimitri.
— Tu oublies de dire que tu les as confiés à John contre une belle
somme d’argent qui a servi à financer tes voyages autour du monde
et tes goûts de luxe et je ne l’ai jamais envoyé, je n’étais pas au cou-
rant de votre deal, sinon j’aurais agi différemment pour le bien de
mes petits-enfants, je l’ai su bien après.
— Mais c’est qui, ce John ?
Dimitri prend Florence dans ses bras.
— C’est mon fils de mon second mariage et je n’en suis pas fier.
Mais ne t’inquiète pas pour tes enfants, ils sont en sécurité chez
moi à Oak Lawn et j’aurai une autre bonne nouvelle à t’annoncer.
Florence, soutenue par Dimitri et Céline, est soulagée de quitter
ce salon privé, sans un regard pour sa famille d’adoption.
— Les tests sont formels, tu es notre fille et Allan et Malcom, il
n’y a aucun doute, ce sont les tiens et ils t’attendent chez toi à Oak
Lawn, et dans moins d’un mois, tu porteras le nom de mademoiselle
Florence Karislova, si tu veux bien.
Florence venait de recevoir un électrochoc, la vérité en pleine
face, elle s’arrêta quelques secondes sur le perron.
— Allez-y, je vous rejoins.
Dimitri regarda Florence, intrigué.
— Ne t’inquiète pas, Papa, je vous rejoins très vite, promis.

206
— Bon ! Comme tu veux.
Florence ferma la porte et se dirigea vers Marjorie.
— Je suis désolée, Maman, que tout se termine comme ça, je
t’aime très fort et tu resteras pour toujours ma maman de cœur.
— Je t’aime aussi, Florence, nous avons fait tout ça uniquement
pour te protéger.
— Je sais ! Je ne t’en veux pas, mais j’en veux beaucoup à grand-
père et je ne sais pas si un jour j’arriverai à lui pardonner.
René avait du mal à soutenir le regard de Florence, il aurait
voulu demander encore et encore pardon à sa petite-fille qui a tou-
jours cru en lui.
Discrètement, Florence remet à sa mère un bout de papier sur
lequel elle avait inscrit préalablement son numéro de téléphone aux
États-Unis et se dirige enfin vers Sophie, sa grand-mère, qui a été
l’instrument de René qui a toujours su la manipuler.
— Tu vas me manquer, Grand-Mère, je t’aime.
Florence se dirigea vers la porte sans un regard pour son père.
Marjorie rejoignit Florence dans le long couloir qui la séparait de
l’ascenseur, haletante et à bout de souffle.
— Il faut que je te dise quelque chose, ton père et moi, nous
sommes en instance de divorce.
Depuis que tu es partie, les choses n’ont pas été simples entre
nous et ce qui s’est passé pendant ton absence a fait basculer ma vie
et mes croyances, ça m’a permis de comprendre beaucoup de choses.
Florence ne comprenait pas ce que sa mère voulait dire.
— Tu sais, Maman, tu n’as pas à te justifier.
— Tu ne comprends pas, ma fille, je me suis fait violer et contrai-
rement à ce que tu peux croire, j’ai adoré, jamais personne ne m’a
fait l’amour de cette façon, j’ai honte de moi, ce jour-là, j’ai connu la
jouissance, il a respecté mon corps et honoré mes envies enfouies
au plus profond de moi.

207
Je ne cautionne pas ce genre d’attitude, mais ce viol m’a permis
de comprendre qui j’étais et pourquoi j’étais là ce jour-là.
Ce qui m’est arrivé n’était certainement pas dû au hasard, c’était
voulu et j’ai apprécié cette parenthèse qui a bouleversé mon quoti-
dien, c’est maintenant dans mes souvenirs les plus intimes et je ne
regrette pas d’avoir vécu ce moment si intense.
Florence a eu besoin de plusieurs jours, avec l’aide de ses parents
qui se sont installés pendant cette parenthèse à l’hôtel « Mercure »
à Marseille, pour se remettre des révélations de son grand-père.
Elle a eu le soutien indéfectible de son amie Latifa qui l’a aidée à
surmonter cette épreuve.
Florence n’avait plus qu’un seul objectif en tête : rentrer au plus
vite à Los Angeles retrouver ses enfants, renouer avec eux et tout
faire pour qu’ils comprennent et qu’ils l’acceptent, cette question
sans réponse hante les nuits de Florence.
— Et s’ils ne m’acceptaient pas, Latifa ?
Ils n’ont que dix ans, comment vont-ils comprendre et accepter
cette situation, une maman qu’ils n’ont jamais vue débarque du jour
au lendemain pour exercer son droit le plus légitime.
— Ne t’inquiète pas, Florence, il leur faudra certainement beau-
coup de temps pour accepter la situation et la comprendre et puis,
ils sont encore jeunes, tu l’as dit toi-même, dix ans, ils finiront par
comprendre et l’admettre et qui sur cette terre ne t’aimerait pas, toi ?
Tu es une personne exceptionnelle, tu as toutes les qualités
requises d’une maman aimante et prête à se sacrifier pour les gens
qu’elle aime.
La preuve, je suis encore là à tes côtés et pourtant je ne suis rien, moi !
— Ne dis pas ça, Latifa, tu es ma sœur de cœur et jamais je n’ou-
blierai ce que tu as fait pour moi ainsi que tes parents et ton cousin
Salah.

208
— Cela ne représente qu’une goutte d’eau dans un océan par rap-
port à ce que toi, tu as fait pour nous tous, tu as changé nos vies.
Tu as été un exemple pour moi, à tes côtés, je me suis épanouie,
tu m’as permis aussi de prendre mon envol, de quitter mes parents
et de vivre libre, de finir mes études que j’avais mises entre paren-
thèses, tu m’as fait grandir en tant que personne.
Tu as été le précurseur pour mon cousin qui a fini par se ranger,
tu lui as permis d’ouvrir les yeux, de vivre sa vie avec la femme
qu’il a toujours aimée et je ne te parle même pas de mes parents qui
ne parlent que de toi et Bertrand, qui est reparti dans le Nord et a
trouvé les mots pour convaincre sa femme et ses enfants de le
suivre, tout ça, c’est grâce à toi, c’est toi qui as déclenché tout ça et
rien que pour ça, je te suis redevable jusqu’à la fin de mes jours.
Je suis extrêmement fière d’être ton amie, ta sœur de cœur.
Toutes ces paroles venant de Latifa ont donné du courage à
Florence, ça l’a aidée à entrevoir une lueur d’espoir au bout du che-
min qu’elle devait emprunter.
Retrouver sa vie qu’elle a interrompue subitement malgré elle,
retrouver et conquérir l’amour de ses enfants qu’elle n’a jamais vus,
construire sa vie autour d’eux.
 
— Ma chérie, assieds-toi, on a une nouvelle à t’annoncer, dit Dimitri.
Nous avons décidé dorénavant de vivre ensemble ta mère et moi,
et on va se marier dans quelques mois. Et enfin une autre bonne
nouvelle : ta mère rentre avec nous aux États-Unis dès demain, elle
a soumis à son supérieur hiérarchique une indisponibilité pour rai-
sons familiales qui a été acceptée.
Florence était heureuse d’entendre ça, heureuse pour ses parents,
mais elle était chagrinée par toutes ces révélations qui ont cham-
boulé sa vie et qui vont la métamorphoser ; elle qui était une jeune

209
femme la veille et qui est devenue maman le lendemain, c’était trop
pour elle, trop d’un seul coup.
Son état n’a pas échappé à Dimitri et pour la rassurer, il a dû
faire au mieux et au plus vite.
— Tu sais, ma chérie, tu n’as pas à t’inquiéter pour tes enfants, ils
sont chez moi et bien protégés et pour te faciliter les choses, depuis
hier, ils sont pris en charge, vingt heures sur vingt-quatre par deux
psychologues pour les préparer au chamboulement qui les attend et
leur expliquer que la maman qu’ils ont toujours connue n’est pas leur
vraie maman, et que leur vraie maman arrivera dans quelques jours.
Donc, si tout va bien, le jour où tu les verras, ils seront déjà au
courant, tu auras juste à laisser ton instinct maternel faire le reste.
Lyes ouvre la porte de son appartement sur Florence, tout sourire.
— Bonjour la famille.
Accueillie par Lyes les bras grands ouverts et le sourire aux
lèvres, Faîma, Salah et Sabrina étaient là aussi, ravis de revoir
Florence, il ne restait plus qu’à attendre Latifa, qui avait un peu de
retard. Florence avait demandé à Lyes de se réunir chez lui avant
son départ pour les États-Unis, prévu le lendemain en début
d’après-midi.
Latifa se jeta sur Florence, heureuse de la revoir et impatiente de
savoir ce qu’elle avait prévu de leur annoncer.
Florence était gênée de prendre la parole et de leur annoncer son
départ.
— Bon ! Je suis heureuse d’être avec vous aujourd’hui, je suis
fière de vous avoir connus et redevable auprès de vous tous pour
tout ce que vous avez fait pour moi.
Vous m’avez soutenue quand j’étais dans le doute, vous m’avez
aidée à surmonter les difficultés qui s’amoncelaient sur mon chemin.
Je te suis redevable, Salah, pour m’avoir protégée sans aucune

210
compensation en retour, je suis heureuse et fière d’avoir fait partie
de ta vie.
Latifa les yeux mouillés coupe court.
— Bon, assez d’éloges, Florence, nous aussi on t’aime, voilà ça,
c’est dit.
Maintenant, on va se mettre à table et essayer de passer ce
moment unique et inoubliable sans larmes ni regrets.
— Excuse-moi, Latifa, je n’ai pas fini, j’ai encore quelque chose à
dire à ton père et après cela j’aurai fini.
— Ah ! Je t’en prie.
— Je sais que ça va être difficile pour vous d’entendre ce que j’ai
à dire, mais je dois le faire, pour moi et pour Latifa.
Les yeux écarquillés et l’air étonné, Latifa ne sait pas ce que
Florence va annoncer à ses parents.
— Comme vous le savez tous, Latifa, c’est ma sœur de cœur et je
ne veux pas me séparer d’elle, c’est pour cela que je vous demande
d’être conciliants et, si elle est d’accord bien sûr, de la laisser partir
avec moi, elle aura un avenir beaucoup plus riche aux États-Unis.
Lyes tout sourire, les larmes aux yeux, répond du tac au tac à
Florence :
— Je m’attendais, Florence, à cette proposition comme le nez au
milieu de la figure et je connais votre amitié indéfectible, tu sais que
depuis qu’elle est à tes côtés, ma fille s’est émancipée, a grandi, est
devenue responsable et j’ai totalement confiance en toi et en Latifa,
et moi son père, je ne vois aucune objection, mais sa mère doit don-
ner son avis et son approbation.
— Moi, je veux que ma fille soit heureuse et si c’est à tes côtés,
alors inchallah qu’elle le soit, je ne vois pas d’objection, bien au
contraire, je l’incite à partir et à faire sa vie comme elle l’entend,
avec la promesse bien sûr qu’elle revienne nous voir le plus souvent
possible, ajoute Faîma.

211
Florence se tourne vers Latifa :
— Alors ! Latifa, qu’est-ce que tu en dis ?
— J’ai l’impression que je n’ai plus mon mot à dire, je plaisante
bien sûr.
Évidemment que je serai heureuse de t’accompagner, c’est une
chance pour moi et pour mon avenir et je ne vais certainement pas
la gâcher.
Je pars avec toi demain et à nous l’Amérique.
 
Latifa a obtenu son visa en quelques heures suite à l’intervention
de Dimitri.
Le lendemain à l’aéroport de Marignane, elle a été reçue comme une
personnalité importante par deux hôtesses qui l’on conduite dans un
salon privé où toute la famille Karislova l’attendait, après avoir bu une
coupe de champagne en compagnie de Florence. Latifa n’en croyait
pas ses yeux, elle était déjà dans un autre monde, celui des privilégiés.
— J’espère qu’avec tout ça, on est en première classe, parce que
moi, je suis une personnalité marseillaise importante.
— Ne t’inquiète pas, tu seras installée en première classe.
— Mais je ne vois pas d’avions, on n’est pas à l’aéroport ?
L’avion n’est pas encore arrivé ?
— Si Latifa, l’avion est déjà là depuis quelques jours, c’est le jet
privé de mon père, c’est celui qui est juste là en face.
— Attends ! Tu es en train de me dire qu’on va aux États-Unis
dans un jet privé ?
— Oui et tu auras tout le loisir de profiter du voyage sans que
personne vienne t’ennuyer.
Je plaisantais, j’aimerais évidemment que tu sois à mes côtés, que
l’on puisse profiter de ce voyage ensemble et emmagasiner des sou-
venirs pour nos vieux jours.
— Attends, il faut que j’appelle mes parents pour leur dire que je

212
vais aux États-Unis dans un jet privé, moi qui ai toujours pris le
bateau ou les vols low cost pour aller au bled.
 
Le Cessna atterrit en début de soirée à l’aéroport de Los Angeles. Une
armada de gros bras attendait Dimitri et ses invités en bas du jet avec
de grosses cylindrées pour les conduire sans attendre à la Maison-
Blanche.
Florence commençait à avoir l’habitude de voyager dans ces
conditions, mais Latifa était dans un autre monde. Un monde qu’elle
ne connaissait pas, un monde hors norme.
Florence était de plus en plus oppressée et angoissée par ce qui
l’attendait, elle appréhendait sa première rencontre avec ses
enfants. Son état n’a pas échappé à sa mère et à Latifa, quant à
Dimitri, il était déjà à cent mille lieues d’imaginer ce qui faisait
souffrir sa fille, il était dans la grosse berline de tête en train de trai-
ter les affaires les plus urgentes, en l’occurrence celle qui le préoc-
cupait au plus haut point : la disparition accidentelle d’Olga.
— Bonsoir Monsieur !
— Bonsoir Dragan.
Faites préparer des chambres pour notre invitée et pour ma fille
et ma femme et moi, nous prendrons la chambre nuptiale.
— Votre fille, Monsieur ?
— Oui, je vous présente Florence, ma fille que j’ai perdue il y a de
cela des années, et son amie Latifa et ma femme Céline, que vous
avez connue en service certainement.
— Oh ! Oui.
Bonsoir Madame de la Minaudière, ravi de vous revoir après tant
d’années.
— Heureuse de vous revoir en pleine forme, Dragan, vous n’avez
pas pris une ride, mon cher.
— Parlez pour vous, Madame, vous êtes resplendissante.

213
— Allez, il est tard.
À demain les filles.
 
Le lendemain, tout le monde s’est levé tôt, comme si chacun avait
des affaires à traiter. Dimitri était parti aux aurores, des rendez-vous
importants, dont un très particulier à l’ambassade de Russie.
— Bonjour Radislov, je suis honoré.
— C’est moi qui suis honoré, mon cher Dimitri, ça va faire bien-
tôt quinze ans qu’on ne s’est pas vus.
— Oui ! Ça passe vite.
— La dernière fois qu’on s’est vus, tu m’as sauvé la vie et mon
poste et voilà où j’ai fini grâce à toi, je te suis redevable.
Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— Je voudrais que tu fasses disparaître des radars la dénommée
Olga Abakoumov.
— C’est la femme de John, ton fils ?
— Oui.
— Il a demandé une audience avec moi la semaine dernière et j’ai
refusé.
Je fais le nécessaire, je lui accorde une courte audience et je ferai
en sorte qu’il comprenne qu’il ne faut plus la chercher.
— Merci Radislov, je savais que je pouvais compter sur toi.
— Tu peux toujours compter sur moi Dimitri, tu as fait beaucoup
plus pour ma famille et moi.
Dimitri est sorti tôt de chez lui sans même dire au revoir à sa
femme qui pourtant était dans ses bras, pour la première fois depuis
plus de vingt-huit ans.
Il a pris le temps de la regarder dormir, d’admirer son corps nu,
elle était toujours aussi belle et attirante. Dimitri était heureux
d’avoir sa famille réunie chez lui, loin de tout, prêt à vivre sa vie

214
comme il l’entend avec les personnes qu’il aime, mais il lui restait à
régler le problème de John, l’éloigner de Los Angeles.
Dimitri avait déjà une idée en tête, c’était encore une fois ne pas lui
rendre service et l’assister comme d’habitude, mais c’était le prix à payer.
— Bonjour Mademoiselle.
— Bonjour, moi c’est Florence.
— Je m’appelle William, je suis un des deux psychologues qui
suit vos enfants.
Un homme d’une trentaine d’années, athlétique, les cheveux
blonds coupés court, le nez un peu retroussé, souriant et avenant.
— Je voulais m’entretenir avec vous concernant Allan et Malcom.
Ils ne sont pas encore prêts, ils se posent encore des questions, je
leur apporte toutes les réponses dont ils ont besoin, je peux vous
l’assurer, Mademoiselle.
— Je n’en doute pas.
— Mais il leur faut un peu plus de temps pour assimiler que la femme
qui les a élevés et qui a vécu avec eux toutes ces années n’est pas leur
maman, mais un imposteur qui les a retirés à leur vraie maman.
— Merci William, mais j’ai hâte de les voir.
— Je vous promets de faire au mieux, vous pouvez compter sur
moi et sur Alicia.
— Qui est Alicia ?
— On est deux sur le projet, Alicia et moi, votre père nous a choi-
sis parce qu’on est les meilleurs et on compte le prouver encore une
fois, on travaille principalement sur le retour des enfants qui ont
subi des viols avec enlèvement et séquestration.
Nous sommes des agents du FBI détachés pour la mission, nous
faisons tout ce qui est en notre pouvoir et appliquons toutes les
méthodes mises à notre disposition pour arriver à un résultat et
nous n’avons jamais échoué, vous pouvez avoir confiance en nous.

215
— J’ai surtout confiance en mon père et si mon père vous fait
confiance, alors vous avez toute ma confiance.
— Tu es dure avec cet homme, en plus il est beau, musclé avec
beaucoup de charisme, dit Latifa.
— Mon père m’a appris à être directe et je compte bien utiliser
ma position pour imposer ma façon de penser et je suis sûre que
maintenant William a compris le message.
— Je pense qu’il a compris, il est parti sans se retourner, sans
même me regarder, il ne s’attendait pas à vivre ça de bon matin.
— Alors, qu’il se mette vite au travail parce que moi j’ai assez
perdu de temps sans voir mes enfants, tu te rends compte, je ne sais
même pas à quoi ils ressemblent. Et s’ils n’ont rien de moi ?
Comment faire pour être crédible à leurs yeux ?
— C’est son boulot, justement, tout faire pour qu’ils com-
prennent et qu’ils l’admettent.
Latifa était surprise par l’attitude de Florence, elle ne l’a jamais
connue aussi convaincante et sûre d’elle, c’est une facette de son
amie qu’elle ne connaissait pas.
— Tu me surprends, Florence, je ne te connaissais pas sous ce jour.
— Je suis maman, Latifa, c’est l’instinct maternel qui prend le
dessus, je suis prête à tuer pour leur bonheur, comme je suis prête à
faire n’importe quoi pour toi.
— Là ! Je reconnais ma fille, fidèle à ses principes, dit Céline.
Allez les filles, si vous avez fini de papoter, allez vous préparer, je
vous emmène faire du shopping, ton père m’a donné carte blanche,
pas de limites.
— Maman, tu as vu les enfants ?
— Non ! Pas encore, ton père ne veut pas les perturber, il a dit
que la première personne qu’ils doivent rencontrer, c’est leur
maman et qu’après tu nous présenteras à eux.
Il est toujours de bon conseil ton père.

216
Allez, assez bavardé, allez vous préparer.
On s’en va dans un quart d’heure, le chauffeur s’impatiente.
— Et moi qui croyais qu’on allait prendre le bus, ajouta Latifa en
souriant.
 
— Monsieur John Karislova, vous souhaitiez me rencontrer ?
— Effectivement et merci de m’accorder cette entrevue.
— Qu’est-ce que je peux faire pour vous, Monsieur Karislova ?
— Je suis à la recherche de ma femme, qui a disparu depuis plus
de deux mois, Olga Abakoumov.
— Pourquoi vous venez me voir moi, l’ambassadeur de Russie ?
Vous attendez quoi de moi ?
— Un agent du FBI suppose qu’elle est repartie en Russie et je
voudrais vérifier cette information, avant de porter plainte pour dis-
parition.
— Vous avez dit Olga Abakoumov et elle est citoyenne russe ?
— Oui, Monsieur. Elle a les deux nationalités, russe et américaine.
L’ambassadeur décroche son téléphone et demande à son assis-
tante de venir le rejoindre. Une dame distinguée d’une cinquantaine
d’années environ fait irruption dans le bureau quelques secondes après.
— Oui, Monsieur l’Ambassadeur.
— Je veux le dossier complet de madame Olga Abakoumov.
Vous voulez boire quelque chose en attendant, Monsieur
Karislova ?
Vous me semblez très tendu.
— Non, merci, vous êtes bien aimable.
— Où et comment avez-vous connu madame Abakoumov ?
— À Moscou, il y a de cela une dizaine d’années, je suis allé ache-
ter des diamants rares vendus par un collectionneur russe et Olga
était justement son assistante, on est tombés amoureux dès le pre-
mier regard.

217
John avait les larmes aux yeux.
— Et comment l’avez-vous fait sortir de Russie ?
— Dans mon jet privé.
— Donc, si je comprends bien, elle est entrée illégalement aux
États-Unis ?
John a été sauvé par l’assistante qui revenait avec le dossier
d’Olga dans ses mains.
L’ambassadeur ouvre la chemise cartonnée déposée sur le bureau
par son assistante, parcourt quelques pages, referme la chemise et
regarde John droit dans les yeux.
— Vous savez, Monsieur John, un citoyen russe n’a pas le droit
de quitter le territoire national sans autorisation et votre femme
était dans l’illégalité aux États-Unis.
— Mais ! On était mariés et elle avait sa nationalité américaine.
— Je comprends, Monsieur, mais sachez tout de même qu’une
personne d’origine et de nationalité russes, même si elle est natura-
lisée dans un autre pays en l’occurrence les États-Unis, redevient
russe si elle met un pied sur le sol russe.
— Mais elle n’a pas pu partir en Russie de son plein gré ?
— Non, bien sûr que non, Monsieur, mais malheureusement pour
elle, elle est venue à l’ambassade de Russie pour demander protec-
tion, il y a de cela un peu plus de deux mois, ça coïncide avec la date
de sa disparition. Nous l’avons renvoyée en Russie et je doute que
vous puissiez la voir.
Les personnes qui sortent illégalement de Russie sont traquées
durant toute leur vie et emprisonnées dès leur retour au pays.
John, désemparé, ne savait plus vers qui se tourner pour retrou-
ver sa femme.
 
— Monsieur Karislova, John est au portail, il souhaiterait vous
rencontrer.

218
— Accompagnez-le jusqu’à l’entrée.
John est surpris par les règles de sécurité mises en place par son père.
— Je connais le chemin.
— J’ai ordre de vous accompagner, Monsieur.
Un autre garde prend le relais et accompagne John jusqu’au
bureau ovale où Dimitri attend son fils.
— Bonjour John.
Debout devant son bureau, d’un air grave.
— Bonjour Papa, j’ai besoin de ton aide, il faut que je retrouve
Olga, aide-moi à obtenir un visa pour la Russie, je dois la revoir,
même si c’est pour un court instant.
— Non ! Je ne peux plus rien faire pour toi, je me l’interdis, c’est
ma façon de te punir pour ne pas m’avoir écouté, pour avoir essayé
de tuer à plusieurs reprises ta sœur, pour avoir soudoyé René le
grand-père adoptif et acheté à ta façon les enfants de Florence,
c’était ignoble de ta part et aujourd’hui, tu es là, en face de moi à
demander mon aide.
— Je regrette profondément de t’avoir fait du mal ainsi qu’à
Florence, je sais que j’ai fauté, mais qui n’a pas fauté au moins une
fois dans sa vie, et mes enfants ?
Est-ce qu’ils vont bien ?
Et quand pourrais-je les voir ?
— Les enfants vont très bien, ils sont entre de bonnes mains, ils
sont accompagnés par les meilleurs spécialistes pour se reconstruire,
comprendre et connaître la vérité de ces dix dernières années.
Et ce ne sont pas tes enfants, ne l’oublie pas et dans quelques
jours, ils porteront le nom de leur mère.
— Tu ne peux pas me faire ça, je suis leur père. Je veux les voir.
— Tu les verras quand ils seront prêts, quand ils auront compris
et assimilé la vérité sur toi et ta femme.
À partir d’aujourd’hui, je n’ai plus rien pour toi, je te laisse tes actifs

219
bien entendu, tu continues de traiter tes affaires comme tu l’entends,
mais tu ne peux plus compter sur mon soutien, tous mes contacts et
partenaires sont avisés, tu ne peux plus te servir de mon jet pour tes
déplacements privés ou professionnels ainsi que de la villa à Monaco
et de l’hôtel privé à Paris, tout cela ne t’appartient pas, je t’ai rayé de
ma vie pour m’avoir trompé comme tu l’as fait, tu as osé toucher à la
seule personne qui comptait pour moi et ça, je ne peux te le pardonner.
Jamais John n’aurait cru entendre ça de la bouche de son père.
— Maintenant, je t’invite à partir et à ne plus jamais revenir,
dorénavant, tu n’es plus le bienvenu dans cette maison.
Dimitri héla le garde posté derrière la porte de son bureau en lui
donnant l’ordre d’accompagner John jusqu’à sa voiture et de s’assu-
rer qu’il quitte bien la propriété.
 
Enfin, le grand jour est arrivé pour Florence. Blottie dans les bras
de son amie Latifa, les yeux larmoyants, la boule au ventre, elle
attendait que la grande porte du salon s’ouvre sur ses deux garçons,
Allan et Malcolm, qui étaient prêts à rencontrer leur maman.
Après de longues minutes d’angoisse perceptible dans la pièce,
les deux battants de la porte s’ouvrent lentement sur Dimitri accom-
pagné des deux enfants.
Florence se leva péniblement de son fauteuil en faisant un effort
considérable, ses jambes ne la tenaient presque plus, en titubant,
elle avança de quelques mètres, s’arrêta à un mètre environ des
nouveaux arrivants et se mit à genoux en pleurant à chaudes larmes
en se tenant la tête.
Quelques secondes après, Florence rouvrit les yeux en sentant
l’étreinte sur son cou de ses deux enfants.
Elle les regarda tour à tour, les serra dans ses bras comme si elle
avait peur de les perdre encore une fois.
— Je suis désolée, désolée pour tout. Je n’ai jamais voulu cela

220
pour vous, j’ai toujours su au fond de moi que j’avais perdu quelque
chose à mes quinze ans, mais j’étais loin de m’imaginer d’avoir
perdu un tel trésor.
Je vous ai aimés sans vous connaître et j’en veux énormément
aux personnes qui m’ont séparée de vous.
Venez, mes chéris, je vais d’abord vous présenter votre grand-
mère, Céline et mon amie de toujours, Latifa.
Cette parenthèse fut interrompue par un des gardes du corps qui
venait de faire irruption.
— Monsieur, je suis navré de vous déranger dans de telles circons-
tances, mais j’ai une information importante à vous communiquer.
— Je vous écoute.
— Votre fils John s’est donné la mort hier soir par arme à feu.

221
Pour découvrir son profil, son actualité, ses publications,
pour déposer un avis ou pour lui envoyer un message,
retrouvez Bacher Landjerit sur Atramenta.net

Vous aimerez peut-être aussi