Il est
aisé de faire pleurer Margot, c'est plus com-
pliqué de sécher ses larmes et la faire sourire !
Aussi les grandes œuvres où domine le rire
sont-elles rares et patiemment élaborées. Que font nos grands créa-
teurs du cinéma comique quand ils ne tournent pas ? Notre col'la-
borateur Michel Lengliney a frappé à la porte de Jacques fJ'ati.
Quand
les
comiques
ne font
pas rire.
Tati ■
■
Hulot
Que
font-ils ?
c'est ■
moi a
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75%
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■ Je l'av·oue . J'étais intimidé à la
c.i
pensée de rencontrer Jacques Tati. ci
Je l'avais imaginé secret, renfer-
mé et quasi inaccessible dans son
univers d'entomologiste de la gent
humaine ... Imagination stupide en
vérité ! Je venais voir Tati et, à
mon étonnement. je rencontrai
Hulot, avec sa simplidté, son na-
turel désarmant et ce caractère
bonhomme qu' il ,promène à grands
pas sautillants à trave r s tous ses
films. Quand je lui demandai ce
qu'il faisai,t actuellement, il me ré-
pondit avec cette étourderie et
cette spontanéité si chères à Hu-
lot, qu'il était en train de mettre
de l' ordre sur son bureau ... • Si je dois comme dans Jour de fête, faire couper une
chaussure par un boucher, je prends un bon boucher. •
- Vous voulez connaitre mon
emploi du temps quand je ne
tourne pas? Je fais un film com- seulement de rire, mais d'observer - Non, moi ce qui me fait rire,
me une maman fait ses gosses 1 un peu. Trafic m'a valu une jolie c'est le général qui, passaint ses
Mes films ne sont jamais totale- lettre d'un écolier de 14 ans : " Je tr oupes en revue, loupe une mar-
ment terminés et chacun est l'ob- vous remercie d'avoir observé pour che ! Aucun acteur ne sera aussi
jet d'un soin attentif lorsqu'il part moi des détails que je n'avais pas bon qu'un vrai général. J'essaie
en voyage. Comme j'ai la chance eu le temps de voir. En sortant d'a pporter la vérité dans l'effet
de les voir 'b ien accueillis à l'étran- du cinéma, j'ai compris que le cornique. Si je dois, comme dans
ger, je travaille en ce moment sur film continuait dans la rue », Jour d e f ête, faire couper une
des versions étrangères de Trafic . m'é crivait-il. ch au ssure ;par un boucher, je
Je tiens à faire moi-même ce tra- pr ends un bon boucher qui sait
1
vail : j'aurais trop peur qu'un SAVOIR A L'AVANCE d écortiquer la viande. C'est son
doubleur étranger fasse ressortir COMMENT ON VA RIRE problè me. Beaucoup de films
le dialogue là où je vois un ma- vieillissent à cause du manque de
riage délicat entre l'élément visuel Malheureusement, les gens sont vérité. Dans Les Rois du sport,
et sonore. Aujourd'hui, la défense trop sollicités par la radio, la té- Raimu joue un garçon de café. Je
du cinéma re;pose sur une au g- lévision et les journaux pour bien préfèr e cent fois me s vra is seT-
mentation des spectateurs par le accueillir mes observa tions. Quanti veu rs da ns Play Time . Des restau-
public étrranger. Ce n 'est pas spé- on leur donne des directives e t rateurs qui l'ont vu, é ta ient per-
cial a u cinéma. Les 3.000 Renault des heures précises pour sauter su a dés que j'ava is caché ma ca-
qui sortent, par jour, des usines, dans leur voiture, quand rpar la mér a, tant mes serveurs ressem-
ne sont pas consommées unique- pubHcité on les téléguide du m a- blaient aux leurs ...
ment par des Français! Je suis tin au soir, les gens qui vont voir
un peu mon représen.tant de Là , T ati s'anime avec Les gestes
un film comique, ont besoin de saccadés et brouillons d'Hulot. Vi-
commerce! savoir à l'avance comment ils sibl em ent , il ne s'explique pas en-
- Le public français consom- vont rire.
core t'échec de Play Time en
m erait-il moins bien vos films ? - Voulez-vous parler des pon- Fra11JCe.
- Non, mais vous n'avez pas cifs de la Comédie de Boulevard?
lu mes critiqu es ! Les Français Des ficelles du cinéma comique à
succès? ... TOURNEZ LA PAGE S.V.P.
rient moins à ce ,genre de plai-
sa,nteries alors que les étrangeTs
voient dans m es films un langage Play Tim e • Quand je vois maintenant Je P .-D.G. surgir
international. Ils n e se demandent du couloir de 65 mètres de long, je me marre • .
pas si je veux réorganiser l'Europe t ... - - - - oi.
pa!'ce que je fai..s un film comi- ci
que. Mon métier est de faire sou-
rire en observant.
- Tati est agacé de se voir
prêter par la criti que de filan-
dreuses intentions? Hulot est na-
vré de se sentir incompris des
siens?
- Plus qu'une cer;taine critique
qui, en vérité, a peu d'importance,
il est grave de constater que le
public populaire est totalement
conditionné par des choses toutes
faites. Un personnage dramatique
doit émouvoior et un personnage
comique doit vraiment expliquer
à l'écran qu'il va être très drôle.
Ma formule est différente. J'essaie
de styliser pour permettre non
yeux bouchés, on peut se deman- fait cent fois des propositions de
der pourquoi j'ai tourné un plan la sorte, et même des télévisions
de lampadaires ! publicitaires américaines m'ont
fait des offres. Mille pardons, mais
Oui, dans cet univers de béton j'ai fait un choix dans ma vili.
armé qui ne cesse pas de l'ins- Quand je songe que pour Play
pirer, Tati croit encore au bonheur time, j'ai fait tra,vailler soixante-
de Monsieur MarceL. Mais au cinq .techniciens pendant un an
fond, .e st-a fermement optimiste? et demi, ça me iregonfle. Un jour,
- On a du mal à l'être. On avale j'ai dit à Maurice Chevalier qu'il
de petits médicaments pour es- n'avait pas le droit de faire ses
sayer d'avoir un rictus et non pas adieux avec un piano et deux vio-
un sourire véritable. Avez -vous lons.
déjà observé une sortie d' école
maternelle? Je m'y attarde beau- « J'Y VAS T-Y ?
coup. On y voit des personnages J'Y VAS T-Y PAS ? »
merv-e illeux de pureté, de fantai-
sie et d'imagination. Malheureu- Quand on a une rtelle réus-
sement, très vite on va leur don- site financière, on doit faire ses
neor des ordres : « Vous porterez adieux avec un ballet et quarante
une cravate! Vous n'aurez pas musiciens... Aujourd'hui, on ne
tellement le droit de vous !3Xprimer pense qu'à sa .Petite réussite in-
dans l'immeuible qu'on va vous dividuelle. Sur un pl,an financier,
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Of.
c:i
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