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ET LA MESURE DU CHANGEMENT
Articuler l'espace, le temps et le thème
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RÉSUMÉ.— Les bases de données aBStRact.— Resolutions of landcover a profusion actuelle de données
d’occupation et d’usage du sol, produites
par les services publics, sont communément
databases and assessment of change.
Articulations of space, time and theme —
L spatiales est une source
utilisées pour étudier des thématiques Landuse/landcover databases, produced by
d’intérêt, voire d’enthousiasme
aussi différentes que la déprise agricole, the authorities, are commonly used to study pour nombre d’utilisateurs. Elle est
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@ EG
2013-1
61
2011), l’utilisateur final est, en effet, de moins en moins en mesure d’imposer ses
exigences critiques de thématicien par rapport au mode de fabrication de la donnée
(Sède-Marceau et al., 2011).
Les bases de données « occupation du sol » sont probablement les exemples les
plus marquants de cette tendance. Plébiscitées pour leur caractère standard supposé
faciliter la transversalité entre différentes sphères de l’aménagement de l’espace1, elles
peuvent aussi alimenter la tentation d’une utilisation au-delà de leurs objectifs et pré-
supposés initiaux. Cet article propose à l’analyste (géographe ou non) une utilisation
prudente des résultats de comparaisons des bases de données d’occupation du sol pour
qualifier le changement, même lorsque ces bases ont été validées individuellement.
Les politiques publiques relatives à la maîtrise des changements environnemen-
taux sont fondées sur une évaluation de l’environnement qui passe par la reconnais-
sance des états matériels de l’occupation du sol. De nombreux programmes de suivi
de l’occupation du sol sont menés à cette fin depuis plus de trente ans, le plus connu
étant sans conteste CORINE Land Cover2 (CLC). Sur une telle période, les types de
transitions jugées les plus politiquement préoccupantes – et donc faisant l’objet d’une
attention particulière dans le programme de suivi – ont pu évoluer : sur la dernière
décennie, c’est ainsi nettement l’enjeu de l’artificialisation qui domine. Le « point sur »
les données de l’environnement fait état des évolutions de l’occupation du sol
entre 2000 et 2006 en France (Pageaud, Carré, 2009) : « le taux d’artificialisation est
de 5 % d’après CLC, alors qu’il est estimé à 9 % […] selon Teruti-Lucas, enquête
1. Dans la mesure où elles annuelle sur l’utilisation du territoire réalisée par le ministère de l’Agriculture ». Le
permettent l’articulation ministère du Développement durable estime à 600 km² l’artificialisation des terres
d’un « processus à travers
lequel la technologie est chaque année, soit 0,1 % de la surface métropolitaine (544 435 km²) ou l’équivalent
appropriée par différents d’un département français tous les dix ans. De plus, il est précisé que la progression
groupes sociaux, et
la manière de connecter
des surfaces artificialisées, autrement dit l’étalement urbain, est quatre fois plus rapide
des perspectives que la croissance démographique3.
multiples, voire
opposées », ces bases
Cette question de l’étalement urbain est au cœur des préoccupations de l’action
peuvent être qualifiées publique – elle justifie notamment partiellement la loi littoral (1986) et la loi relative à
d’objets-frontière (Harvey, la solidarité et au renouvellement urbains (2000). La consommation d’espaces naturels,
Chrisman, 1998), cité par
Comber et al., 2005 et agricoles et forestiers par l’urbanisation est considérée comme un facteur de perte
Noucher 2009. de biodiversité et de capacité productive agricole et forestière, ainsi que d’augmen-
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trames vertes et bleues (lois Grenelle), SOes met moins l’accent sur la déprise agri-
cole. Pourtant, en juin 1985, une des motivations de la Commission européenne à
engager le programme C ORINE est « l’abandon massif de terres agricoles peu
productives » (Heymann, 1993). La déprise agricole et la fermeture des paysages qui
mobilisaient les énergies, notamment au ministère de l’Environnement dans les années
1990, ne semblent plus aussi importantes, au point que la base d’interprétation des
changements fournit peu de chiffres sur les surfaces concernées par ce phénomène.
L’interprétation des changements d’occupation du sol sélectionne les faits marquants
(Pageaud, Carré, 2009). Mais à l’échelle nationale, l’étalement urbain est-il un phéno-
mène plus rapide ? Des travaux récents montrent le contraire (Lecerf, 2008 ; Vannier,
2011). En Bretagne, la superficie des terres agricoles diminue entre 2001 et 2008 mais
pas seulement au profit de l’artificialisation : 74 % des terres ayant perdu leur usage
agricole au cours de la période ont une destination forestière et seulement 23 % une
destination urbaine.
Dans ce contexte, nous nous interrogeons sur les informations mises à disposition
par les services publics et leur indépendance par rapport aux préoccupations des poli-
tiques publiques. Il ne s’agit pas d’instrumentaliser la science dans ce questionnement
sur la dépendance information-politique mais de tenter de confirmer « ce que tout le
monde voit » ou sait par la donnée scientifique, quitte à exploiter celle-ci au-delà des
possibilités qu’elle offre pour une double légitimation, des présupposés et de la donnée.
Dans cette contribution, nous proposons une interprétation par l’espace des per-
formances de la base CLC en nous appuyant sur une série d’expériences conduites
autour du bassin d’Arcachon, dans le Sud-Ouest de la France. Le réemploi de bases
d’occupation du sol existantes oblige à travailler à partir d’informations qui font
l’objet de nouveaux traitements, de nouvelles classifications ainsi que de nouvelles
représentations. Mais quels résultats peut-on attendre de ces nouvelles manipulations ?
Nous souhaitons apporter un éclairage sur ce que permettent de « voir » les bases de
données d’occupation du sol, plus que sur l’occupation du sol elle-même.
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de résolution adaptées à la compréhension de différents types de changements, pour
ensuite les comparer aux types de bases de données existantes les plus couramment
employées, parmi lesquelles CORINE Land Cover occupe une place prépondérante.
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issues de l’interprétation de photographies aériennes
(IPLI) ou d’orthophotographies numériques 8 n
Bordeaux
(LittoMOS) pour une échelle de restitution auto- Lège-Cap-Ferret
Arès
risée au 1/25 000 ; elles se distinguent de CLC,
Andernos-les-Bains
produite par photointerprétation d’images satellites
Lanton
SPOT ou Landsat pour des représentations jusqu’au
Audenge Marcheprime
1/100 000.
L’IPLI étant disponible sur les seules com- Arcachon Biganos
70 7
60 6
Ipli77
50 5
LittoMOS 00
40 4
Clc90
30 3 Clc00
Clc2000R
20 2
Clc2006
10 1
0 0
Prairie et friches
Habitat
Agriculture
Zone industrielle
et commerciale
Prairie et friches
Zone industrielle
et commerciale
Agriculture
Espace vert et camping
Forêt
Dune, plage et Zh
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taille des entités diminue – cas des espaces artificialisés – les bruits réduisent la perti-
nence des analyses fines des productions. Ceci n’est pas sans conséquence sur la
mesure des changements. Si l’on raisonne en dynamique sur le cas de la figure 4, on
note que ce qui peut être identifié à de la densification urbaine dans les changements
CLC s’apparente plutôt à de l’artificialisation d’espaces non-urbains pour les bases à
plus haute résolution spatiale.
Forêt
Landes
Zone industrielle et commerciale
Agriculture
Prairie, friche
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La comparaison de ces trois jeux de données met en évidence la portée et les 9. L’ampleur de ces
transitions étant elle-
limites des caractéristiques des bases, les plus sensibles aux changements relatifs à même particulièrement
l’urbain étant évidemment celles dont la résolution spatiale est la plus élevée sur le pas complexe à estimer du
de temps le plus grand. Pour toutes les bases et tous les intervalles de temps, le graphe fait de l’impact des
tempêtes Lothar et Martin
montre une transition significative de la forêt vers la lande ou de la lande vers la forêt9. de décembre 1999.
Logiquement, le pas de temps diminuant du haut vers le bas de la figure, les Les ravages subis par
le massif landais en
changements s’atténuent également. Même si des conditions méthodologiques de décembre 1999 n’ont pas
production de l’information interdisent de quantifier les changements entre 1990 nécessairement été
traduits en pertes de
et 2006 à l’aide de CLC, l’interprétation graphique des artificialisations sur cette surfaces forestières par
période montre un phénomène nettement amorti : une moindre épaisseur des traits l’interprétation de
que ne suffit pas à justifier la différence de pas de temps de sept ans avec la comparaison l’imagerie ayant servi
à élaborer CLC2000
IPLI-LittoMOS. Deux hypothèses – pas nécessairement contradictoires – peuvent être (IMAGE2000). On peut
tirées de cette observation : (1) l’artificialisation des espaces naturels ralentit nettement citer trois sources
principales de limitation :
depuis 1990 ; (2) CLC ne permet pas de mesurer des phénomènes dont la traduction (1) la résolution spatiale
spatiale individuelle reste modeste (la somme des artificialisations de moins de 5 hectares insuffisante des images
Landsat ETM + ;
couvre plus de surface que celle des artificialisations de plus de 5 hectares). À l’échelle (2) la relative
d’un espace tel que le bassin d’Arcachon, pourtant marqué par un développement rapide inadaptation
de l’urbanisation sous le double effet de la littoralisation et de la métropolisation borde- des nomenclatures
et procédures
laise, l’analyse montre que ce pas de temps et ce niveau de généralisation ne sont pas d’interprétation de CLC ;
appropriés pour détecter l’étalement urbain. Il est donc nécessaire de mobiliser d’autres (3) la date rapprochée de
la prise de vue –
données, voire de travailler sur des séries plus longues (IPLI et LittoMOS). en l’occurrence avril 2000
– pour laquelle la grande
majorité des arbres
Du bon usage des résolutions spatiales, temporelles abattus par la tempête
(les chablis) était non
et thématiques exploitée mais encore
en feuilles.
politiques agricoles soient favorables aux cultures de plein champ et les bases de
données peuvent traduire une information significative. La transformation de prairies
en champs labourés peut en effet se produire dans un temps bref sur de vastes surfaces,
et ce type de phénomène est perceptible avec des résolutions spatiale et thématique
intermédiaires et une courte résolution temporelle.
2. Par ailleurs, la période de référence renvoie au demi-siècle dans un domaine tel
que la foresterie puisque même les résineux ou peupliers, dont la croissance est
rapide, ne peuvent conquérir des espaces ouverts de façon visible sur des surfaces suffi-
santes en six ans ; de telles transitions doivent en grande partie être expliquées par des
effets de seuils avec des entrées de nomenclature (« landes ») jouant un rôle de classe de
transition. Les successions vers la forêt (cube vert) ne sont perceptibles qu’à l’aide de
longues profondeurs temporelles (ce que nous traduisons par une augmentation relative
de la résolution temporelle), les résolutions spatiales et thématiques pouvant être plus
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• elle suscite la contradiction à propos des seuils de résolutions acceptables et doit per-
mettre d’engager la négociation entre sphères politiques, thématiques et techniques
avant les comparaisons de bases de données pour la mesure du changement.
Conclusion
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