Alain Aspect Le grand Chine François Cheng Placements

entretien avec le Prix À quoi joue Le chant épique Compléter

Nobel de physique Xi Jinping ? d’un géant ses revenus

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www.lepoint.fr Hebdomadaire d’information du jeudi 13 octobre 2022 n° 2619 - 5,50 €

Les Iraniennes Héroïnes de la liberté

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Téhéran,
le 1er octobre.

Le tramway
jaune avance
Soulèvement contre lentement
le tout premier régime islamiste
MEI-REA
 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert
Poutine et Erdogan, le cercle des barbares
La paix par la force : tel était le slogan de Ronald
­ eagan, le 40e président américain, dont la stratégie faus-
R cifixion de l’Ukraine » (Albin Michel), Jean-François
sement belliqueuse, condamnée par les intellectuels
bien-pensants de tous les pays, aboutit au traité histo-
rique de désarmement de 1987 entre les États-Unis et
l’URSS.
La guerre par la faiblesse : t el est l’avenir que l’Eu-
rope mollasse se prépare si elle ne se reprend pas. Elle
aurait disposé d’une défense digne de ce nom, il aurait
suffi qu’elle montrât les dents pour que Poutine réflé-
chisse à deux fois avant d’envahir l’Ukraine. Mais voilà,
elle n’a pas de dents.
Sans l’incroyable bravoure de l’Ukraine, qui a
prouvé, en versant son sang, qu’elle était une vraie na-
tion, l’Europe aurait laissé faire Poutine – en le condam-
nant, bien sûr, ce dont il n’a que faire. Aujourd’hui, n’en
déplaise aux « collabos » du RN ou de LFI, il est mal parti.
À ceci près : un forcené de cet acabit, pour paraphraser
Hemingway, ça ne peut qu’être détruit, pas vaincu.
Face à Poutine, prêcheur d’apocalypse, ­l’Europe
n’a ni armée ni chef. Qui pourrait incarner la résis-
tance face à la barbarie, comme Churchill en 1940 ? On
a beau chercher, on ne le trouve pas sur la photo offi-
cielle où paradaient, la semaine dernière, une quaran-
taine de chefs d’État et de gouvernement, lors de la
première réunion de la Communauté politique euro-
péenne, nouvelle instance de concertation, au château
de Prague.
Une excellente idée d’Emmanuel Macron que
ce sommet paneuropéen, où étaient invités des
pays voisins de l’Union comme la Serbie, la Grande-­
Bretagne et… la Turquie. Ç’aurait pu être une démons-
tration de force pour l’Europe. Ce fut le signe de notre
insane pleutrerie devant Erdogan, le président turc, qui
fut – avec son compère Aliyev, le potentat criminel et vé-
reux de l’Azerbaïdjan – le roi de la fête.
« Aveulissement » est le mot qui s’impose ­devant
le spectacle d’Erdogan et Aliyev, les islamistes
plastronnant au premier rang sur la photo, devant Pa-
chinian, le Premier ministre de l’Arménie, dernier État
chrétien de la région, placé derrière eux, l’échine basse,
comme une bête d’abattoir. Poutine a ouvert un front
contre l’Europe à l’est, Erdogan se prépare à en ouvrir un
deuxième au sud. L’un veut recréer l’Empire soviétique.
L’autre, l’Empire ottoman.
Dans une magnifique leçon d’Histoire, « La Cru-
Colosimo, l’un de nos meilleurs intellectuels, peu suspect
de russophobie, assure que notre dette à l’égard de la ré-
sistance ukrainienne est « d’ordre spirituel », l’humanité
se trouvant en se transcendant. Il montre bien, par ail-
leurs, les prémisses religieuses de la démarche de Poutine,
qui n’est pas sans similitudes avec celle de l’État islamique,
de par sa nature « manichéenne, eschatologique et terroriste ».
Le livre de Colosimo est sous-titré Mille ans de guerres
de religions en Europe. En Orient, c’est la même chose. Er-
dogan ne cache pas sa fringale territoriale : « Personne ne
peut limiter l’horizon de la Turquie à 780 000 kilomètres car-
rés », a osé déclarer le mini-sultan, le 1er octobre. Parmi
ses cibles, la Grèce, où le christianisme est encore puis-
sant et dont il revendique plusieurs îles en mer Égée.
« Nous pouvons arriver subitement la nuit », menace-t-il,
avant de la prendre à partie, glaçant les sangs : « Grèce,
regarde l’Histoire […] Souviens-toi d’Izmir. »
Si les mots ont un sens, c’est presque une
­déclaration de guerre : E  rdogan rappelle aux Grecs
le massacre de Smyrne (Izmir, en turc), où ont péri, en
1922, plusieurs dizaines de milliers de chrétiens grecs et
arméniens après l’incendie de la ville perpétré par l’ar-
mée turque. Rien ne l’arrête. Mais pourquoi se gêne-
rait-il ? Près de la moitié du territoire de Chypre, île
grecque, est occupée militairement – et illégalement –
par la Turquie, sans que l’Union européenne s’en émeuve.
Sur l’Arménie, chef-d’œuvre en péril et relique
héroïque de l’immense royaume de Tigrane le Grand,
Erdogan ne cache plus ses ambitions : faire disparaître
les derniers restes de ce berceau du christianisme. Il peut
compter, pour ce faire, sur son allié, le satrape Aliyev,
turcophone comme lui, qui prétend sans rire que l’Ar-
ménie, c’est l’Azerbaïdjan et qui, en conséquence, a com-
mencé à la grignoter, pendant que son armée multiplie
les crimes de guerre contre les Arméniens dans une in-
différence quasi générale.
Fascinante est la force d’âme des Arméniens,
moins nombreux et abandonnés par presque toute la
communauté internationale. La Russie, protectrice tra-
ditionnelle, les a donnés à manger au couple Erdo-
gan-Aliyev et, en Europe, ils n’ont qu’un seul allié : Macron,
c’est tout à son honneur. Notre président peut jouer là
un rôle historique. À condition – par pitié – de s’affran-
chir, de la « machine à penser ottoman » du très confor-
miste Quai d’Orsay, comme de Gaulle aurait su le faire ! §
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 5
 À nos lecteurs
Le courage des Iraniennes,
cauchemar des islamistes
L
a formule finale est connue, célèbre, même, mais
le propos est rarement reproduit dans son intégra-
lité. Voici ce que disait Georges Clemenceau le
8 mars 1918, cinq jours après le traité de Brest-Litovsk et
donc la défection de la Russie bolchevique : « Et je vais
vous dire toute ma pensée ; après vous me combattrez comme
vous voudrez. À mesure que la guerre avance, vous voyez se
développer la crise morale qui est la terminaison de toutes les
guerres. L’épreuve matérielle des forces armées, les brutalités,
les violences, les rapines, les meurtres, les massacres en tas,
c’est la crise morale à laquelle aboutit l’une ou l’autre partie.
Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vain-
queur. Et le grand peuple d’Orient qui a subi historiquement,
pendant des siècles, l’épreuve de la guerre, a formulé cette pen-
sée en un mot : “Le vainqueur c’est celui qui peut, un quart
d’heure de plus que l’adversaire, croire qu’il n’est pas vaincu.” »
Génial Clemenceau. Formidable rappel. Aujourd’hui,
ce sont les Iraniennes qui osent penser qu’elles peuvent
triompher du régime islamiste qui les tyrannise, tenir
un quart d’heure de plus que lui. Depuis la mort de Mahsa
Amini, 22 ans, tuée pour un voile mal porté, ces femmes
au courage stupéfiant ont sonné la révolte, se dévoilant
au péril de leur vie. Il n’est qu’à lire les bouleversants té-
moignages recueillis par Armin Arefi (lire p. 42) pour
mesurer leur force.
Cette guerre des étoffes est tout sauf anodine, puisque
l’asservissement des femmes est l’un des piliers du pou-
voir des mollahs. Elle est aussi un symbole au-delà de
l’Iran, car, comme le raconte François-Guillaume L­ orrain
(lire p. 50), c’est à Téhéran, en 1979, que l’islamisme a pris
pour la première fois une forme étatique. La bravoure
des Iraniennes dépasse, c’est certain, les frontières.
Pourtant, dans ce combat-là, la « crise morale » décrite
par Clemenceau est manifeste, elle aussi, par-delà les
frontières. Chez nous, elle a d’ailleurs commencé très
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L’actu dégivrée ! et décryptée par la rédaction.
6 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
tôt, Sartre et Foucault, visiteurs de Khomeyni à Neau-
phle-le-Château avant 1979, ayant fait les yeux doux à
cette révolution représentant, selon eux, une victoire
contre le capitalisme occidental… Et cela continue,
puisque aujourd’hui, au sein de La France insoumise,
notamment, certains ont eu bien du mal à s’indigner de
la récente tentative d’assassinat contre Salman Rushdie,
condamné à mort par ces mêmes mollahs qui répriment
dans le sang le dévoilement des femmes. Et quand les
mal nommés « Insoumis » affichent leur soutien aux Ira-
niennes, c’est souvent en l’assortissant d’un curieux ser-
mon relativiste sur la liberté de porter le voile en France,
où, à notre connaissance, l’on n’emprisonne ni ne tue
aucune femme pour ce motif. « Crise morale », disait
­Clemenceau…  § ÉTIENNE GERNELLE
P.-S.  : cela fait dix-huit mois que notre confrère
Olivier Dubois est otage au Sahel. Corres-
pondant de Libération, du Point et de Jeune
Afrique, il a été enlevé le 8 avril 2021, à Gao,
au Mali, par le Groupe de soutien à l’islam
et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda.
Dix-huit mois, c’est un affreux record de détention pour
un journaliste français, nous rappelle Reporters sans
frontières (RSF), depuis la captivité du grand reporter de
L’Événement du jeudi Jean-Paul Kauffmann, lequel « était
alors resté 1 078 jours, soit près de trois ans aux mains du
Hezbollah ». Un appel – signé bien sûr par notre journal –
vient d’être lancé, à l’initiative de Libération et de RSF,
­demandant d’intensifier les efforts pour parvenir à sa
­libération, mais aussi de « continuer à parler d’Olivier
­Dubois, à dire et à écrire son nom, pour que personne, nulle
part, ne l’oublie ». Toutes nos pensées vont à Olivier D ­ ubois
et à sa famille. ILLUSTRATION : XAVIER GORCE POUR « LE POINT »
 – AFP
Iconoclaste
Tous les matins,
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au « Monde Coignard.
de Sophie ».
 SOMMAIRE2619

42 87 État-major : Iberdrola France

L’édition
89 Spécial placements
locale
du « Point »
CULTURE
114 Cinéma - Tim Burton :
« J’ai l’impression d’être mort »
118 Cinéma (EO) : on s’incline
devant cette grandeur d’âne
120 Expo : Habibi, c’est la vie, mon chéri !
124 Spécial polar Roulette russe -
Guérir par le polar ou par le crime ? -
Stephen King et le sniper écrivant
5 L’éditorial de Franz-Olivier Giesbert 130 Récit (S. Tesson) : le blanc de Blanc
6 L’éditorial d’Étienne Gernelle 132 Essai (J.-P. Enthoven) : diététique
11 La chronique de Patrick Besson du bonheur, par Marc Lambron
12 Les éditoriaux de Nicolas Baverez, 133 La minute antique de Christophe
Peggy Sastre, Luc de Barochez, Ono-dit-Biot : vade-mecum hellène
Gérard Araud
18 Le point de la semaine STYLE
136 Fashion weeks : et le désir aussi…
FRANCE 146 Auto : la Porsche 911 Carrera RS
28 Zemmour sans écran 148 Montres : six collections cultes
34 Sandrine Rousseau déconstruite 148 Joaillerie : Tiffany & Co.
ou l’art de verrouiller
EN COUVERTURE 150 Enchères : la vente de l’hôtel Lambert
42 Les Iraniennes, héroïnes
de la liberté 152 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
46 Saeid Golkar : « C’est la défaite 154 Bridge & Mots croisés
de l’islamisme en Iran »
50 Téhéran, février 1979…
52 Masih Alinejad, ennemie LE POSTILLON
numéro un des mollahs 155 Ne disqualifions pas Annie Ernaux !,
par Sébastien Le Fol
MONDE 155 Le chant épique de François Cheng
58 Chine - Kevin Rudd : « Xi Jinping 158 Philippe d’Iribarne :
prend ses distances avec Poutine » « La France ressemble à l’Inde
62 Italie : les dessous de la victoire avec son système de castes ! »
de Giorgia Meloni 160 Annie Ernaux : une œuvre,
un prix Nobel et des controverses
SOCIÉTÉ 162 La guerre est un couscous,
64 Coups et blessures par Kamel Daoud
dans le foot amateur
Le Point is published weekly by Société d’exploitation de l’hebdo-
70 Enquête au pays de la rosette madaire Le Point-Sebdo – 1, boulevard Victor, 75015 Paris, France.
The US subscription price is $ 200. Airfreight and mailing in the USA
by : IMX, C/O USA Agent, Cargo Bldg. 141, Suite 115-117, J.F.K. Int’l
SCIENCES ­Airport, Jamaica, NY 11430. Periodical postage pending at Jamaica
Post Office 11431. US ­POSTMASTER : send address change to : IMX,
72 Alain Aspect : « Il faut donner envie C/O USA Agent, Cargo Bldg. 141, Suite 115-117, J.F.K. Int’l Airport,
Jamaica, NY 11430. Copyright Le Point 2022. Origine géographique
aux jeunes de faire de la science » du papier : Allemagne. Taux de fibres recyclées :
66 %. Certification des fibres : PEFC. Eutrophi-
76 Soirée des hôpitaux Le Point 2022 : sation Ptot : 0,004 kg/T. PRINTED IN FRANCE.
Entre les p. 162-163, une couv. + 24 p. Nice et deux
répondre à la crise publiscopies de 4 p. sur Aquitaine et sur ­Limousin/
Poitou-Charentes (quantité partielle) ; un encart
Peter Hahn jeté (abonnés) ; un encart F ­ ondation
ÉCONOMIE de France jeté (q. partielle abonnés) ; un encart
La Grande-Motte jeté (q. partielle) ; un encart
80 Les entrepreneurs ukrainiens Salon du Livre d’histoire jeté (q. partielle) ; un
catalogue Barnes jeté (q. partielle abonnés) ;
sur le front un encart abonnement Le Point jeté (ventes).

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du Centre d’Étude et d’Expertise sur plongeur et président fondateur service attentionné... À bord de yachts à
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Présence des invités sous réserve de désistement en cas de force majeure. (1) Tarif par personne sur base occupation double, taxes portuaires incluses.
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lement reconnu en océanologie, il l’aventure. Ancien chef d’expédition authenticité sont au cœur de l’expérience.

a travaillé 20 ans pour l’IFREMER et
présidé 7 ans le Muséum National
d’Histoire Naturelle à Paris. Élu pro-
fesseur invité au Collège de France
sur la chaire «  Développement
durable, environnement et sociétés »,
Gilles Bœuf a également été deux ans
conseiller scientifique au Ministère
de l’environnement, de l’énergie et
de la mer. Il a reçu en 2013 la Grande
Médaille Albert 1er de Monaco pour
l’ensemble de sa carrière, dédiée aux
mers et à l’océan.
Document non contractuel. Droits réservés. ©StudioPONANT – Charlotte Ortholary, Margot Sib / Stéphane Granzotto / ©iStock-mihtiander.
et conseiller scientifique à bord
de La Calypso du Commandant
Cousteau, il a été co-scénariste du
film Océans de Jacques Perrin et
Jacques Cluzaud et co-réalisateur de
nombreux documentaires consacrés
à la vie dans les océans. En outre,
il est également l’auteur d’une
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nous apprennent sur les océans et
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 La chasse aux sorciers
Patrick Besson
A
vec Gérard Manset, on voyage (Le Crabe
aux pinces d’homme, Warner) ; avec Marc
Lavoine, on se pose (Adulte, jamais, ­Virgin).
Ces deux individus assez doux se penchent sur
leur passé, poussés dans le dos par leur futur. Ils
chantent une vie qu’ils vont quitter et des amours
qu’ils ont perdues, chacun dans son style : verlai-
nien chez Marc, rimbaldien pour Gérard. Ce sont
des adeptes d’une poésie du quotidien. Lavoine
regarde partir la femme qu’il aime en ­sirotant
un café au lait à une terrasse de la rue des Mar-
tyrs, tandis que Gérard, les yeux pleins de larmes,
reste debout devant le panneau électronique des
­départs à Roissy 2 B. Troubadours troublants et
troublés.
Dans Le Crabe aux pinces d’homme, Gérard règle
son compte à celle qu’il appelle Pantera. C’est le
morceau le plus puissant de l’album, car le plus
rock et le plus freudien. Pantera est en effet la
mère de l’auteur-compositeur-interprète (« C’était
le prénom de ma mère, on l’appelait Pantera »). Plus
loin : « Je tuerai la panthère/ Dans le grand escalier
de pierre. » À 77 ans, Manset ne semble pas avoir
résolu son Œdipe. Et a de plus en plus tendance
à construire ses chansons
comme si c’étaient des ro-
mans. Marilou-Marilou ra-
conte une lente dérive dans
un univers djianesque. Djian,
ce merveilleux parolier.
Ce n’est pas Betty Mialet, son
ancienne éditrice, qui me
contredira. L’autre midi, à
La Méditerranée, elle m’a
Gérard Manset en 2006.
MARC CHARUEL/PHOTO12 VIA AFPDR
Lavoine et Manset chantent une vie qu’ils vont quitter
et des amours qu’ils ont perdues, chacun dans son style :
verlainien chez Marc, rimbaldien pour Gérard.
a­ pprouvé avec fermeté : « Oui, Djian est un grand
­parolier.  »
Dès le deuxième morceau de Adulte, jamais,
Marc Lavoine annonce la couleur : rouille. Le titre :
Cœur d’occasion : « Je roule avec un cœur d’occasion/
Mais il marche encore/ Je roule avec un cœur d’occa-
sion/ Moi qui le croyais au point mort. » Ça sent le
type qui en a marre des remarques sur son âge. Il
a quand même dix-neuf ans de moins que Mick
Jagger (né le 26 juillet 1943). La Seconde Guerre
mondiale n’était pas encore terminée. Pour Adulte,
jamais, Marc s’est adjoint Grand Corps malade,
lui aussi proclamant, à l’instar de l’écrivain polo-
nais Witold Gombrowicz (1904-1969), son imma-
turité. Quand Lavoine voyage, c’est souvent à New
York : pas de changement d’avion. C’est mieux
quand on voyage à deux : « Deux amoureux dans
cette pomme/ C’était in America/ Once Upon a Time. »
Les vers sont faibles, on dirait un peu du Patrick
Bruel. Avec la romancière Line Papin, qui a par-
tagé sa vie pendant plusieurs mois, le chanteur a
écrit L’Amour iceberg. Texte comme hanté par une
rupture à venir (« C’est l’amour iceberg/ C’est mon
îlot/ De glace et de sanglots/ Ma ruée vers l’eau »).
La parole masculine se-
rait-elle en train de devenir
trop directe, trop sensible,
trop douloureuse pour rester
écoutable ? Les hommes se
font tout petits devant les pou-
pées qui ont grandi. C’est la
chasse aux sorciers. Il leur
reste à chanter leur mélan­
colie en mettant le bon ton.
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 11
ÉDITORIAUX
La crise énergétique creuse le fossé économique
entre l’Europe et les États-Unis et accentue les risques
de dissension entre les membres de l’UE.
L’Europe industrielle
face à son destin
par Nicolas Baverez
L
’issue de la guerre en Ukraine dé-
pend du déroulement des opéra-
tions militaires, qui voient la
dislocation de l’armée russe, mais aussi
de la résistance des sociétés européennes
face à la guerre hybride conduite par
Moscou, tout particulièrement face à la
crise de l’énergie. L’Europe est en effet
le continent le plus touché par le séisme
qui a multiplié le prix du gaz par douze
et qui constitue un prélèvement de 6 %
sur son PIB, soit le double des chocs pé-
troliers des années 1970.
La crise énergétique crée un risque
économique et un risque politique en
raison de l’écart qui se creuse entre les
États-Unis et l’Europe d’un côté, entre
les États membres de l’Union de l’autre.
Alignées sur le plan stratégique face
à Moscou, les deux rives de l’Atlantique
divergent sur le plan économique. Si
Partout où il allait, ses chaussures le suivaient.
12 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
elle traverse une récession technique
qui découle de la hausse des taux, l’Amé-
rique sort renforcée de la guerre en
Ukraine : elle est autonome dans le do-
maine de l’énergie ; elle domine les sec-
teurs des technologies et de l’armement ;
elle pilote la gestion des crises, qu’il
s’agisse de la riposte aux empires auto-
ritaires ou de la lutte contre l’inflation.
L’Europe, à l’inverse, subit de plein fouet
le choc énergétique du fait de sa dépen-
Le prix du gaz,
multiplié par douze,
constitue un prélève-
ment de 6 % du PIB
européen.
L’Europe de l’énergie, une usine à gaz !
dance, tandis que la BCE se trouve
confrontée à un dilemme infernal : suivre
la Fed dans la hausse des taux au risque
d’amplifier la récession sans réduire l’in-
flation importée ; renoncer à resserrer
trop vite la politique monétaire au risque
d’enraciner la stagflation et d’accélérer
la chute de l’euro.
L’Europe se trouve donc menacée
d’une fuite de ses industries, de ses em-
plois et de ses capitaux vers les États-
Unis. Il lui faudra plusieurs années pour
compenser l’arrêt des livraisons de gaz
russe, durant lesquelles l’énergie sera
rationnée et très chère. La pression sur
le pouvoir d’achat des ménages limitera
la croissance. Le handicap de compéti-
tivité résultant de prix de l’énergie cinq
fois supérieurs à leur niveau aux États-
Unis entraînera des pertes massives de
production, mais, surtout, un vaste mou-
vement de délocalisation de l’industrie
européenne, à laquelle le choc énergé-
tique pourrait donner le coup de grâce.
Dans une mondialisation qui se frag-
mente autour de blocs idéologiques, les
ILLUSTRATION : JEAN POUR « LE POINT » – DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP
usines n’iront plus en Chine mais en
Amérique.
La division gagne aussi l’Union, no-
tamment depuis l’annonce par l’Alle-
magne d’un plan de soutien de
200 milliards d’euros, financé par la dette
à travers le fonds de stabilisation créé
en 2020 pour lutter contre la pandémie.
Destiné en priorité aux entreprises, ce
programme s’ajoute à un plan de 100 mil-
liards d’euros pour une aide totale de
8 % du PIB. Dans le même temps, Ber-
lin bloque le plafonnement du prix du
gaz et la réforme du marché européen
de l’électricité. Mario Draghi, suivi par
Pedro Sanchez et par Thierry Breton, a
alerté à bon droit sur les distorsions que
 génère la concurrence entre les plans de
soutien nationaux en fonction de la force
de frappe budgétaire des États. Il en ré-
sulte des risques majeurs de fragmenta-
tion du grand marché, de choc sur la
zone euro en cas de fuite en avant dans
les mesures de lutte contre l’inflation
qui s’élevaient à plus de 500 milliards
d’euros avant le plan allemand, d’exa-
cerbation de la colère sociale, enfin.
Il est grand temps pour l’Union et ses
membres de tirer les leçons de la pandé-
mie en privilégiant l’unité sur la désu-
nion sans la gestion du choc énergétique.
L’épidémie a en effet connu deux phases :
la première, calamiteuse, a été marquée
par la rivalité pour l’acquisition du ma-
tériel de protection et par l’absence de
toute coordination dans les mesures sa-
nitaires ; la seconde, réussie, a été domi-
née par la mutualisation de l’acquisition
et de la distribution des vaccins ainsi
que par le plan de relance de 750 mil-
liards d’euros, qui avait stimulé la re-
prise avant la guerre en Ukraine.
Face au choc énergétique, l’Union
n’est pas restée inactive. La part du gaz
russe a été réduite de 41 % à 8 %, ce qui Depuis qu’il en a été frappe l’opinion publique. » Dans sa récente
n’a pas empêché de remplir les stockages victime, Julien Bayou interview au Monde, Julien Bayou donne
à hauteur de 85 % ; la consommation a l’impression d’être le type revenu du gou-
diminué de 10 % ; le plan RePowerEU semble découvrir les lag (voire encore en train d’y casser des
affecte 20 milliards de subventions et dérives « maccarthystes » cailloux) terrifié que l’on puisse croire
225 milliards d’euros de prêts à la tran- d’un certain féminisme… qu’il en veut désormais aux manches de
sition énergétique ; des taxes ont été ins- pioche. Un spectacle désolant. Effective-
taurées sur les producteurs d’électricité qui ont toujours existé ! ment, son calvaire ne doit pas grand-
et sur les profits des compagnies pétro- chose au féminisme. Reste qu’il est bien
lières à hauteur de 140 milliards d’eu- le fruit d’excès commis en son nom et
ros pour financer les mesures de soutien.
L’Union doit désormais passer à la vi-
#MeToo : motivés par le postulat voulant que, si la
cause est bonne, alors tout ce qu’elle en-
tesse supérieure : en plafonnant rapide-
ment le prix du gaz, en mutualisation
quand les ­excès gendre l’est forcément aussi. Qu’on ne
fait pas d’omelette sans casser des œufs.
les approvisionnements, en réformant
le marché de l’électricité afin de réinté-
­dévorent Sauf que le problème n’aura pas
échappé à d’authentiques révolution-
grer l’impératif de sécurité et en le dé-
connectant du prix du gaz, en accélérant une ­révolution naires, à savoir les porteurs de change-
ments mettant, à certains endroits, la
les projets de production d’électricité société sens dessus dessous. Des indivi-
ILLUSTRATION : XAVIER GORCE POUR « LE POINT »

nucléaire et renouvelable, en mobili- dus bien conscients que des transforma-

sant la capacité d’endettement de l’Union Par Peggy Sastre tions sociales d’ampleur nécessitent,
pour coordonner les mesures de soutien pour être efficientes et durables, de gar-
aux ménages et aux entreprises. der un œil sur ses camarades de lutte les

Pour une Europe qui constitue la pre-
mière victime du choc énergétique et la
cible de la guerre hybride lancée par la
Russie de Vladimir Poutine, la division
n’est pas une option. Il n’est ni puissance
ni souveraineté pour l’Union sans unité
et sans solidarité §
«I
l ne faut pas confondre féminisme
et maccarthysme. Féminisme, oui,
évidemment, toujours. Le maccar-
thysme est un tout autre sujet. C’est dire : “J’ai
des listes d’hommes”, c’est porter des accusa-
tions que vous ne pouvez contredire, car il n’y
a pas d’enquête. C’est aussi une tétanie qui
plus fanatiques afin d’en limiter le pou-
voir de nuisance. C’était ainsi la posi-
tion de Martin Luther King et de son
plus sagace stratège, Bayard Rustin,
convaincus qu’il était indispensable que
leur combat pour les droits civiques des
Noirs américains se fasse dans la …

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 13

ÉDITORIAUX

… plus stricte non-violence, afin

d’être irréprochables aux yeux de leurs
oppresseurs. Rustin et King savaient
qu’une révolution ne peut se permettre
d’ignorer ses excès, et encore moins de
rêver s’en nourrir. Car s’ils ne sont pas
jugulés, seule une issue est certaine : ils
finiront par la dévorer.
Et les excès de #MeToo étaient là dès
le départ. Des « listes d’hommes », par
exemple, il y en avait dès octobre 2017 –
la plus tristement célèbre étant celle des
Shitty Media Men (littéralement, les
« hommes merdiques des médias »), un
tableur participatif lancé par Moira Do-
negan, ancienne rédactrice en chef ad-
jointe du magazine The New Republic,
censé « documenter » des agressions
sexistes et sexuelles commises par des Mais personne ne nous a dit de garder les justifs des frais de déplacement.
professionnels des médias de la région
de New York. Rien d’autre qu’un cata-
logue de rumeurs qui allait justifier des
licenciements et pousser à la démission. Le courage des Iraniennes rait Charlie Chaplin dans le discours qui
Aujourd’hui, Moira Donegan attend son clôt son film Le Dictateur, sorti en 1940.
procès en diffamation contre l’un des
et la résilience des Les autocrates ont longtemps pré-
mis en cause, Stephen Elliott, qui exige Ukrainiens témoignent tendu qu’ils étaient plus aptes que les
1,5 million de dollars de dommages et de la force de l’aspiration démocrates à garantir au peuple pros-
intérêts pour sa vie foutue en l’air. périté et sécurité. Le cas toujours cité est
Plus près de nous et de Julien Bayou,
à la liberté. celui de la Chine, qui a réussi en trois dé-
il y a l’initiative #MeTooPolitique qui cennies à sortir massivement sa popu-
exhortait à la constitution de « listes écar- lation de la pauvreté. Mais l’émergence
tant les candidats sexistes et responsables
de violences, afin d’empêcher ceux qui mé- Dictateur, d’une classe moyenne nombreuse, qui
aspire à des normes de vie occidentales,
prisent les femmes, les traitent en inférieures,
de concourir à la présidence ». L’appel, pu- métier à risque pousse le régime communiste à exercer
sur sa population un contrôle social tou-
blié dans Le Monde en novembre 2021, jours plus extrême. Sous prétexte d’épi-
avait notamment été porté par l’élue démie de Covid-19, il est même devenu
EELV Karima Delli. La même qui estime par Luc de Barochez impossible aujourd’hui à la plupart des
aujourd’hui que l’affaire Bayou révèle citoyens de la République populaire de
le dévoiement du féminisme en « inqui- simplement voyager à l’étranger.

sition », alors que les visées et les mé-
thodes n’ont pas bougé d’un iota. Comme
si l’aveuglement était inéluctable lorsque
l’on plastronne du bon côté de l’Histoire,
sans réaliser que les monstres que l’on
crée et engraisse finiront par se moquer
du sens de la circulation §
L
e régime iranien tremble devant
l’éruption populaire contre le voile
islamique imposé aux femmes ;
en Russie, des centaines de milliers de
citoyens ont voté avec leurs pieds et fui
le pays depuis que Vladimir Poutine a
décidé d’envahir l’Ukraine ; en Chine,
Pour asseoir son pouvoir, le tyran
contemporain utilise les outils de notre
époque : les médias sociaux, la société
du spectacle, le « storytelling », le culte
narcissique de la personnalité. Il ne né-
glige pas pour autant des moyens plus
anciens : la police secrète, la torture, l’em-
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »

l’exode de Hongkong est massif depuis prisonnement de masse, comme celui

que Pékin y a étendu son système répres-
Les excès de #MeToo sif il y a deux ans. Il n’est pas facile de sa-
tisfaire sa population lorsqu’on est un
étaient là dès le dé- despote. C’est même une fonction à
risque, tant l’aspiration à la liberté indi-
part. Des « listes viduelle est une motivation puissante
d’hommes », il y en chez l’être humain. « Les dictateurs mour-
ront, et le pouvoir qu’ils avaient pris aux
avait dès octobre 2017. peuples va retourner aux peuples », assu-
des Ouïgours en Chine, voire le massacre
de son propre peuple, comme le pratique
le Syrien Bachar el-Assad. Le président
turc Recep Tayyip Erdogan a embastillé
des opposants, ou supposés tels, par mil-
liers. Vladimir Poutine, lui, a longtemps
privilégié l’assassinat ciblé de dissidents.
S’il veut se maintenir, le dictateur
doit éviter deux écueils. Lâcher …

14 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

ÉDITORIAUX
… la bride nourrit le désir de liberté.
Mais, à l’inverse, trop corseter sa popu-
lation déclenche parfois des retours de
bâton. La théocratie iranienne l’a expé-
rimenté depuis qu’elle a redoublé de ri-
gueur dans l’imposition du voile
islamique. La mort de Mahsa Amini,
22 ans, interpellée parce qu’elle portait
« mal » son voile, a mis le feu aux poudres.
En Russie, Vladimir Poutine a fait une
expérience similaire depuis qu’il
a ­ o rdonné la mobilisation de
300 000 hommes : la grogne et l’inquié-
tude deviennent palpables dans de larges
pans de la population russe.
Un dictateur peut faire des erreurs
plus facilement qu’un démocrate. Il est
souvent mal informé, car ses proches ne
lui disent que ce qu’il aime entendre. Pou-
tine méconnaissait probablement, avant
d’ordonner l’invasion du 24 février, l’état
déplorable de son armée. Le numéro un
iranien, Ali Khamenei, ignorait sans
doute que l’exaspération affleurait à ce
point dans sa population. Et pourtant,
même dans une dictature aussi perverse
que la République islamique, qui réprime
toute dissidence depuis quarante-trois
ans, il arrive que le peuple se révolte.
Les nouvelles tribulations des des-
potes d’Iran et de Russie montrent ce-
pendant que le modèle autocratique
n’est pas aussi porteur qu’il le paraissait.
Tout espoir n’est pas perdu pour la dé-
mocratie, à condition qu’elle trouve la
force de défendre son atout maître : la
liberté. Le courage des Iraniennes contre
les mollahs tout comme celui des Ukrai-
niens contre l’envahisseur montrent la
voie. « Tant que les hommes mourront pour
elle, proclamait Charlie Chaplin, la li-
berté ne pourra pas périr. » §
Poutine et Khamenei, idoles des jeunes…
protestataires.
16 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Mobilisation générale,
recours à l’arme nucléaire…
Que peut faire le président
russe pour éviter
une défaite en Ukraine ?
Les dernières
cartes
de Poutine
par Gérard Araud
P
outine vient de découvrir à ses dé-
pens les incertitudes de la guerre.
Non seulement, l’ennemi a rem-
porté une indéniable victoire autour de
Kharkiv, mais il a prouvé en poussant
son avantage que ce n’était pas un suc-
cès tactique : progressivement, il prend
l’ascendant sur le champ de bataille. Dès
lors, le président russe était contraint
de réagir, sauf à accréditer la notion d’un
échec cinglant de « l’opération militaire
spéciale ».
Vladimir Poutine a donc voulu mar-
quer un coup d’arrêt à cette série d’échecs,
ce qui supposait une double escalade,
militaire d’abord avec la mobilisation
de 300 000 hommes, et politique ensuite,
en proclamant l’annexion de quatre pro-
vinces ukrainiennes ; le bombardement
de villes ukrainiennes ces derniers jours ;
le tout accompagné d’un discours d’une
extrême violence à l’égard de l’Occident
désormais décrit comme le vrai adver-
saire de la Russie.
Galvanisés par leurs succès, les Ukrai-
niens ont tout intérêt à profiter du
­désarroi de leur ennemi avant les boues
de l’automne et les froids de l’hiver. L’at-
taque réussie contre le pont de Kertch
en Crimée confirme que l’initiative est
désormais passée de leur côté. Les pro-
chaines semaines risquent donc de leur
apporter d’autres victoires tandis que
les Russes essaieront de reconstituer un
front pour arrêter leur avance.
Les difficultés de la Russie conduisent
à revenir sur la menace de l’usage d’une
arme nucléaire tactique. Aujourd’hui,
cette hypothèse apparaît improbable :
les porte-parole officiels de Moscou ont
toujours eu soin de réaffirmer la doc-
trine traditionnelle de dissuasion qui
fait de cette arme le recours ultime en
cas de menace existentielle. Par ailleurs,
on voit mal quelle serait la cible d’une
telle frappe : impossible de viser l’armée
ukrainienne qui est imbriquée dans les
lignes russes, ou une ville ukrainienne.
Peut-être une base ou un nœud de com-
munication ennemi ? En tout cas, rien
qui justifie le franchissement d’une ligne
rouge qui susciterait l’indignation géné-
rale dans le monde. Mais, reste l’incerti-
tude sur ce que ferait un Poutine acculé
par une succession de défaites qui en
viendraient à menacer son pouvoir.
Tout irrationnel qu’il paraisse, il est
donc impossible d’ignorer ce scénario.
Il faut dissuader les Russes de le suivre
et, en cas d’échec, s’y préparer. L’admi-
nistration Biden déclare le prendre au
sérieux en faisant un parallèle avec la
crise de Cuba en 1962, mais manifeste
une retenue de bon aloi. La première
­certitude est que les États-Unis ne réagi-
raient pas avec des armes nucléaires, ce
qui exclut une escalade dont nul ne pour-
rait prévoir l’issue. Cela étant, il y aurait
inévitablement du côté occidental un
raidissement de type conventionnel.
Deux types d’actions font l’objet de
débats : l’une se contenterait de renfor-
cer le soutien à l’Ukraine par l’envoi de
matériels de guerre – comme des avions
de combat – que jusqu’ici l’Occident s’est
gardé de livrer ; l’autre comporterait un
engagement militaire contre la Russie,
la gamme d’options pouvant aller d’une
zone d’interdiction aérienne au-dessus
de l’Ukraine jusqu’à des bombardements
sur la flotte russe de la mer Noire.
En tout cas, il apparaît de plus en plus
que la gamme des options qui s’offrent
à Poutine se restreint progressivement
et qu’aucune ne lui garantit la victoire.
Déjà, autour de lui, des craquements se
ARTUR WIDAK/NURPHOTO VIA AFP
font jour même si on n’ose pas encore
le critiquer directement et si on s’en
prend seulement aux militaires. Survi-
vra-t-il à un échec ? Ne risque-t-on pas
de voir au Kremlin plus nationaliste que
lui ? L’invasion de l’Ukraine n’a pas en-
core porté tous ses fruits. Et ils ne peuvent
être qu’amers… §
 Photographie retouchée

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 Le point de la semaine
Par Michel Revol, Fabien Roland-Lévy et les services du « Point »
EN FORME
Jean-Louis Georgelin
74 ans – La Cour des comptes
vient de saluer l’action du général
à la tête du chantier de la
cathédrale Notre-Dame de Paris.
La réouverture en 2024 devrait
être assurée.
Laura Chaubard
42 ans – La directrice générale
du parc et de la Grande Halle
de la ­Villette, ancienne élève
de l’X et ingénieure générale de
l’armement, prend la tête de
l’École polytechnique.
Pauline Ferrand-Prévot
30 ans – La cycliste est devenue
la première championne du monde
de gravel, une discipline de vélo
tout-terrain. C’est son quatrième
titre mondial cette année.
EN PANNE
Maïté Carrive-Bedouani
59 ans – L’adversaire Nupes de
Jean-Noël Barrot à la législative
partielle des Yvelines n’a obtenu
que 28,33 % des voix, une chute de
plus de sept points par rapport à
son résultat du mois de juin.
Marc Giraud
70 ans – Le président LR du conseil
départemental du Var est
condamné à cinq ans d’inéligibilité
et deux ans de prison avec sursis
pour détournement de fonds
publics.
Éric Arella
63 ans – Le patron de la PJ
de Marseille a été démis de ses
fonctions au lendemain d’une
manifestation de ses troupes
contre la réforme de la police
judiciaire.
18 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Macron, le buzz d’un départ anticipé
Un scénario de politique-fiction est distillé depuis peu
CHRISTOPHE SIMON/AFP – JULIEN DE ROSA/AFP – PHOTOPQR/LA PROVENCE/MAXPPP – THOMAS COEX/AFP – JEREMY BARANDE/ECOLE POLYTECHNIQUE – STEPHANE DE SAKUTIN/AFP – OLIVIER CHASSIGNOLE/AFP
par certains cercles (très) rapprochés du pouvoir où
d’aucuns imaginent Emmanuel Macron claquant la porte
avant 2027, sur un référendum avorté ou des législatives
anticipées perdues. « Il a compris, depuis l’échec des législatives,
que c’était fini, que sa succession avait commencé, que sa parole
était moins entendue. Et il n’a pas envie d’être celui qui remettra
les clés de l’Élysée à Marine Le Pen, dans cinq ans », confie
un fidèle, qui y voit l’explication de sa récente menace
de dissolution de l’Assemblée nationale en cas de motion
de censure de l’opposition, ce qui a provoqué la surprise
dans son propre camp. « Il pourrait démissionner pour
mieux revenir », spécule le même, qui imagine le président
rester en poste au moins jusqu’aux Jeux olympiques de
2024. Mais après… « Il partirait comme l’a fait de Gaulle, pour
revenir comme lui, mais sans attendre douze ans ! » Partir
comme est parti de Gaulle, pourquoi pas. Mais revenir,
c’est une autre affaire ! § NATHALIE SCHUCK
Béchu n’a pas aimé son bizutage Hidalgo ne voyage pas
Christophe Béchu a été surpris de comme le PSG
lire, dès cet été, dans la presse, des Anne Hidalgo (photo) a surpris ses
critiques (sous anonymat) émises conseillers en se rendant mi-
contre lui par certains de ses collè- septembre à Berlin pour le
gues du gouvernement. « Vu le 35e anniversaire du partenariat
contexte et le fait qu’on ne se connais- entre les deux villes… en train. « On
sait pas, je ne pensais pas que cela se lui a tous dit : “Tu es sûre ? ” Elle n’en a
passerait comme cela et que certains pas démordu. Elle a fait huit heures à
ministres diraient dès les premières l’aller en partant à 7 heures du matin,
­semaines du mal de moi, avoue et huit heures au retour le lendemain
­celui qui détient depuis fin en rentrant à 22 heures », raconte
juin le portefeuille de la un conseiller. La maire de Paris
Transition écologique et a de la suite dans les idées :
de la Cohésion des terri- n’avait-elle pas étrillé sur
toires. J’imaginais qu’il y Twitter les joueurs du
aurait plus de collec- PSG pour avoir
tif. » Cela ne s’ap- effectué un aller-
pelle-t-il pas un retour en avion entre
bizutage ? Nantes et Paris ?
 9,9 %
LE CHIFFRE DE PIERRE-ANTOINE DELHOMMAIS

LE DÉGAGEOMÈTRE

Pour elle, une seule solution, la démission

C’est un réflexe chez la patronne du RN : appeler à la démission de tel
ou tel responsable. Entre celle, exigée, de Manuel Valls, il y a sept ans, c’est la hausse du prix des maisons
et celles, suggérées il y a quelques jours, d’Éric Dupond-Moretti ou en Europe entre 2021 et 2022
d’Alexis Kohler, le ton de Marine Le Pen s’est visiblement adouci. Le prix des maisons dans l’Union européenne a augmenté
de 9,9 % entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième
ALEXIS KOHLER ((((( ÉDOUARD PHILIPPE ((((( trimestre 2022. En douze ans (de 2010 à 2022), ce prix est
« C’est la responsabilité d’Emmanuel « Si le Premier ministre assume tout en hausse dans 24 pays de l’UE, en premier lieu en Estonie
Macron : veut-il garder à ses côtés à un [en matière d’antiterrorisme], il doit (+ 196 %), en Hongrie (+ 168 %) et au Luxembourg (+ 135 %),
poste aussi sensible une personne lui-même présenter sa démission . » et en baisse dans trois pays, au premier rang desquels la
suspectée de conflit d’intérêts ou non ? RTL, 8 octobre 2019 Grèce (– 23 %). En France, le prix des maisons a augmenté
Je pense qu’Alexis Kohler en dix ans d’un peu plus de 30 %.
ne devrait plus être à ce poste.  » CHRISTOPHE CASTANER (((((
BFMTV, 4 octobre « Au bout de combien de manifestations
[de Gilets jaunes] M. Castaner va-t-il
ÉRIC DUPOND-MORETTI ((((( démissionner  ? » France 24, 19 mars 2019
« Si Emmanuel Macron tient vraiment à
lui, il devrait le changer de ministère.  » GÉRARD COLLOMB (((((
BFMTV, 4 octobre « Cela fait des semaines que je demande
la démission de M. Collomb, qui ne sert
ADRIEN QUATENNENS ((((( strictement à rien. » 3 mai 2018
« C’est le peuple qui l’a élu. Je ne pense
pas qu’une instance morale ou autre RICHARD FERRAND ((((( Il trouve Fabius « peu chaleureux »
puisse exiger sa démission.  » « @RichardFerrand devrait déposer Dans son livre Les autres ne pensent pas comme
« Le Parisien », 4 octobre sa démission. » Twitter, 24 mai 2017 nous (Bouquins), le diplomate français
­Maurice Gourdault-Montagne (photo, à g.)
GÉRALD DARMANIN ((((( dresse le portrait des ministres des Affaires
BERNARD CAZENEUVE ((((( étrangères qu’il a côtoyés. Sur Laurent
« Face à un fiasco pareil [les « @BCazeneuve n’est pas capable de ­Fabius (à dr.), il écrit : « L’homme est,
débordements au Stade de France], régler la situation. […] Quand on est avouons-le, peu chaleureux, du moins difficile à
M. Darmanin devrait de lui-même incompétent, on doit démissionner.  » cerner, il ne sourit guère et parle peu. Il m’est ar-
considérer qu’il doit partir. » [Après une tentative d’attentat à Paris.] rivé, lorsque j’étais ambassadeur en Allemagne
France 2, 1er juin Twitter, 20 mai 2016 ou en Chine, de passer plusieurs heures en voi-
ture avec lui sans qu’il m’adresse la parole ou
FRANCOIS GUILLOT/AFP – SERGE TENANI/HANS LUCAS VIA AFP – ISA HARSIN/SIPA/

DAMIEN ABAD ((((( MANUEL VALLS ((((( presque, alors qu’on s’attend à des questions sur
« Le simple fait d’avoir de manière « Chef de campagne, meneur d’un clan, le pays, les habitants ou sur le travail de l’ambas-
récurrente un comportement inapproprié @manuelvalls doit avoir la décence sade, à recevoir des directives durant ces mo-
avec les femmes devrait vous écarter d’un de remettre sa démission au président de ments rares et donc précieux. » Ce trait va
poste, en l’occurrence de ministre. » la République. » [Après les cantonales.] sûrement arranger les choses entre eux.
AFP, 23 mai Twitter, 22 mars 2015
« Je ne partage pas les mots
employés par Jean-Luc. »
On va enfin savoir pour qui vote Xavier Bertrand Clémentine Autain, d  éputée LFI,
Xavier Bertrand promet qu’il dira pour qui il votera lors de l’élection en ­approfondissant son différend avec
décembre pour la présidence de LR, dont il est toujours adhérent, même Jean-Luc Mélenchon, qui a
s’il a créé son propre mouvement, Nous France. « Ce sera bien la première jugé dimanche qu’Adrien
fois ! » ironise un cadre LR. À l’occasion de la primaire de 2016, au cours de ­Quatennens, poursuivi
laquelle Nicolas Sarkozy, François Fillon et Alain Juppé, notamment, par sa femme pour faits
s’affrontaient pour la candidature à la présidentielle de 2017, le président de violence, était lui-
des Hauts-de-France n’avait pas pris position. Lors des européennes de même victime d’un
2019, il n’avait, malgré sa promesse, jamais dévoilé non plus pour quelle ­­« ­lynchage » (BFMTV,
liste il avait voté. 9 octobre).

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 19

LE POINT DE LA SEMAINETECH&NET

Quand l’intelligence artificielle

rêve de sauver l’humanité
L’annonce, début octobre par Elon Musk, de ­l’arrivée
prochaine du robot androïde Optimus (ci-contre), qui,
a annoncé le milliardaire, devra être produit par
« ­millions » pour accomplir les tâches de tous les
jours et « mettre fin à la pauvreté », a suscité autant
d’espoirs que de craintes. Ainsi va le cours de l’intel-
ligence artificielle. Depuis l’apparition de cette ex-
pression, imaginée en 1956 à la conférence
de Dartmouth par le génial chercheur John
McCarthy, cette discipline a révélé qu’elle
était tout aussi capable de prodiges pour
l’homme – comme la détection anticipée de
­maladies – que de création – la mise au point
d’œuvres d’art particulièrement revigorantes
(voir Le Point n° 2615, « Quand l’intelligence
artificielle s’essaie à l’imagination ») –, et même
capable du pire – la multiplication des
r­ obots tueurs ou les manipulations à grande échelle
par le biais de l’hypertrucage. D’où le côté salutaire
du ­travail d’anticipation réalisé par le docteur en IA
diplômé de l’université de Carnegie Mellon (Pitts-
burgh, Pennsylvanie) Kai-Fu Lee. Ce dernier s’est
­allié à l’auteur de science-fiction Chen Qiufan pour
publier AI 2041. Ten Visions for Our F­ uture (adapté
en français par les éditions Les Arènes sous
le titre IA 2042. Dix scénarios pour notre fu-
tur). Nous avons sélectionné cinq scénarios
­possibles (voir ci-dessous). Une chose est sûre :
si l’intelligence artificielle permet de belles
accélérations dans nombre de domaines,
l’homme ne devra sans doute pas la stopper,
par crainte d’être privé de réels progrès, mais
plutôt veiller à en garder le contrôle § 
GUERRIC PONCET ET GUILLAUME GRALLET

2042 : cinq scénarios jugés réalistes

1 Un programme un célèbre lanceur d’alerte qui, lui-même,

GETTY IMAGES – GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO (x2) – UC BERKELEY VIDEO/ROXANNE MAKASDJIAN/STEPHEN MCNALLY – LES ARÈNES
qui n’assure utilise un avatar. Comment « deepfaker » un
vraiment pas… deepfake, c’est-à-dire faire mentir une image
L’intelligence qui est déjà l’objet d’une manipulation ?
artificielle
d’une compagnie
d’assurances
oblige ses clients
3 L’IA résout tout… ou presque
En Australie, les progrès technologiques
ont permis de dépasser la société de la rareté
à télécharger pour construire une société de l’abondance.
des applications Mais des problèmes émergent. Le pays
les incitant
à « améliorer »
leur mode de vie. Une riche adolescente de
se bat rapidement pour garder sa jeunesse
motivée et pour l’éloigner des drogues.
Un logiciel récompense les bonnes actions,
5 Quand l’IA remplace « papa et maman »
Un programme remplace l’éducation
parentale auprès de jumeaux sud-coréens.
Bombay tombe amoureuse d’un garçon de la mais il est vite détourné. Message : tout Il est capable de s’adapter parfaitement à
caste des intouchables, mais l’IA refuse qu’elle système est imparfait, et même la meilleure chacun des deux individus, jusqu’à leur faire
« régresse » ainsi. L’algorithme augmente technologie devra être adaptée. ressentir des sentiments amoureux
alors le tarifs des primes d’assurance envers sa propre entité. Passer sa vie avec

de toute sa famille. Le message est clair : l’IA,
en s’appuyant sur l’existant, peut facilement
accentuer les dérives
sociales.
4
Un enfer quantique un programme informatique ? Vertigineux !
Comment le monde va-t-il
évoluer lorsque les calculs
quantiques à grande échelle
seront possibles, dépassant de

2 Déconstruire
les deepfake
Un hackeur nigérian
loin la capacité ­d’appréhension
du cerveau humain ?
Plusieurs pistes sont évoquées :
habitué aux petits le piratage massif de bitcoins,
contrats se voit les essaims de drones,
confier la mission les armes autonomes…
de décrédibiliser Réjouissant !

20 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

- CIC Banque Privée - RCS Paris 542 016 381. © Garcia Tamjidi Architecture Design / Joe Fletcher - mseidelch.
LE POINT DE LA SEMAINESCIENCES
Vers quelle alimentation en 2050 ?
L’alimentation des Français pèse le quart
des émissions de gaz à effet de serre du
pays. Compte tenu de l’objectif d’une em-
preinte carbone réduite à zéro en 2050,
ils devront drôlement se serrer la cein-
ture. C’est toute la filière alimentaire, du
champ à l’assiette, qu’il faudra repenser.
Pour y voir plus clair, le Centre interna-
tional de recherche sur l’environnement
et le développement vient de pondre un
rapport pour détailler tous les scénarios
alimentaires possibles. Il y en a six,
avec des conséquences différentes sur
­l’empreinte carbone et la consommation
­énergétique en 2050 (voir infographie). Le
scénario « tendance frugale » l’emporte
sur tous les tableaux, mais l’estomac des
Français sera-t-il prêt à en payer le prix ?
Scénario « tendanciel »
On ne change rien ! Les Français conti-
nuent de grossir et s’empiffrent de fruits
exotiques et de plats industriels. Le bœuf
et le cochon continuent à déserter les as-
siettes au profit du poulet. Le bio culmine
à 12 % de la production. On importe par
camions, avions et cargos à tout-va. La
facture énergétique et l’empreinte car-
bone poursuivent leur hausse.
Scénario « génération frugale »
La viande déserte les assiettes au profit
de légumes bien de chez nous. On compte
À la recherche d’un scénario d’alimentation durable... en 2050
Consommation d’énergie et émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture
Énergie
Les six scénarios En térawattheures
Tendanciel
Génération frugale
Coopérations territoriales
Technologies vertes
Pari réparateur
SNBC-2019*
0 10 20
*
Stratégie nationale bas carbone, les secteurs résidentiel, tertiaire et mobilité des ménages n’ont pas été évalués pour ce scénario.
22 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
EMPREINTE ÉNERGÉTIQUE
30 % de végétariens et 50 % de flexita-
riens mangeant moins de 50 grammes
de viande par jour. Le lait animal cède la
place dans les préparations au lait végé-
tal. Fini, le petit noir du matin et le carré
de chocolat pour l’accompagner. Tous les
paysans passent au bio et s’adonnent aux
pratiques durables. Dans la mesure du
possible, davantage de repas sont pris
entre voisins d’immeuble ou du quartier.
L’alcool et le vin se font rares.
Scénario « coopérations territoriales »
Version adoucie du précédent. Les régions
coopèrent pour compléter leurs produc-
tions agricoles. Les végétariens et les flexi-
tariens tiennent toujours le haut de
l’assiette (65 % de la population). Les gros
mangeurs de viande ne représentent plus
que 5 % de la population. Les aliments
sains, durables, français et peu caloriques
sont en vogue. Les cultures biologiques
occupent la moitié des sols. Les importa-
tions alimentaires sont divisées par trois.
Les collectivités locales organisent l’ap-
provisionnement alimentaire des villes.
Scénario « technologies vertes »
La filière alimentaire s’appuie sur la tech-
nologie pour se sortir du pétrin. L’effort
porte davantage sur l’amélioration des
machines agricoles et de transport, si bien
que l’assiette du consommateur change
Gaz à effet de serre
En millions de tonnes de CO2 équivalent
30 40 0 10 20
peu, sinon pour des raisons de santé. Le
Français continue de se gaver de produits
industriels et de fruits exotiques. Les vé-
gétariens et flexitariens représentent le
tiers de la population, tandis que le bio
n’occupe que 20 % des surfaces cultivables.
Scénario « pari réparateur »
Cette fois, les pouvoirs publics ne
comptent pas sur une réduction des émis-
sions de gaz à effet de serre, mais encou-
ragent les technologies qui les filtrent ou
les pompent dans l’atmosphère. Les pra-
tiques agricoles et le contenu des assiettes
continuent leur évolution actuelle
comme dans le scénario « tendanciel ».
Scénario « stratégie nationale
bas carbone » (SNBC)
Celui-ci est basé sur l’actuel objectif gou-
vernemental de développer une crois-
sance durable, créatrice d’emplois, de
richesse et de bien-être dans le cadre d’une
économie plus circulaire. L’assiette des
Français changera peu car le poids de l’ef-
fort porte sur le système agricole. Les vé-
gétariens restent marginaux, seul un tiers
des personnes mangent de façon plus
équilibrée. La viande et les produits lai-
tiers poursuivent leur recul. L’importa-
tion concerne un tiers des produits
agroalimentaires et le gaspillage alimen-
taire diminue § PAGE RÉALISÉE PAR FRÉDÉRIC LEWINO
Protoxyde d'azote (N2O)
Émissions directes des sols
Émissions lessivage+NH3
Fabrication d’engrais azotés
Effluents d’élevage
Méthane (CH4)
Fermentation entérique
Effluents d’élevage
Gaz carbonique (CO2)
Consommation d’énergie
Fabrication d’engrais azotés
Autres engrais, produits
30 phytosanitaires, etc.
Source : Cired.
 La Référence
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LE POINT DE LA SEMAINE
CARNET
Lauréat
Pierre Michon a
reçu le prix de la
BNF, qui récom-
pense un auteur
­vivant de langue
française pour
­l’ensemble de son œuvre.
Légende
Karl Lagerfeld, disparu en février
2019, fera l’objet d’une grande
­rétrospective au Metropolitan
­Museum of Art de New York du
5 mai au 16 juillet 2023 et sera à
l’honneur de son Met Gala organisé
le 1er mai. Par ailleurs, Jared Leto in-
carnera le couturier dans un biopic.
Événement
Hervé Le Treut, spécialiste de la
­numérisation du climat, membre de
l’Académie des sciences, est le
­parrain de la 2e édition du Festival
Toulouse
innovante et
­durable, qui se
tiendra sur la place
du Capitole du
14 au 16 octobre
(en partenariat
avec Le Point). Au menu, des
conférences, des ateliers et un
village d’animations. Gratuit,
inscription sur place. ­Programme :
toulouse-innovante-durable.fr
Prix Nobel
Le Nobel d’économie a distingué
l’Américain Ben Bernanke, ancien
président de la Réserve fédérale
américaine (Fed) et ses compa-
triotes Douglas Diamond et Philip
Dybvig. Le Nobel de la paix a été
­attribué au militant biélorusse em-
prisonné Ales Bialiatski, à l’ONG
russe Memorial et au Centre ukrai-
nien pour les libertés civiles. Annie
Ernaux est la première Française à
remporter le Nobel de ­littérature
(lire p. 160).
Nomination
Chris Dercon,
­président de la
­Réunion des
­musées natio-
naux-Grand Palais,
va diriger la Fonda-
tion Cartier pour l’art contemporain.
24 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
DÉCÉDÉS
Bruno Latour
75 ans. Philosophe et sociologue. Né à Beaune
(Côte-d’Or) dans une famille de ­négociants
en vin, il est reçu premier à l’agrégation de
philosophie en 1972 puis se forme à l’an-
thropologie en Côte d’Ivoire alors qu’il est
coopérant. Adepte de l’enquête de terrain,
il devient un scientifique reconnu outre-­
Atlantique après la publication en 1979, avec
Steve Woolgar, de La Vie de laboratoire, étude
sur le travail des chercheurs en neuroendo-
crinologie du Salk Institute de San Diego.
Intellectuel inclassable, ce touche-à-tout,
qui s’intéresse à des sujets aussi divers que
le droit ou la religion, est resté longtemps
ignoré en France. Après un passage au
Conservatoire national des arts et métiers,
il entre en 1982 à l’École des mines et rejoint
Sciences Po en 2006 où il fonde le Médialab,
un laboratoire consacré au numérique, et
le Speap, école des arts politiques. Récipien-
daire du prix Holberg (2013), la plus haute
distinction dans le domaine des sciences
humaines, et du prix de Kyoto (2021) pour
l’ensemble de ses travaux, cet explorateur
du concept de modernité, influencé par les
travaux de Michel Serres, analyse le mou-
vement des Gilets jaunes, qu’il qualifie de
« migrants de l’intérieur quittés par leur pays ».
Il publie deux livres consacrés à la crise cli-
matique, délivrés sous forme de questions
– Où atterrir ? (2017), et son dernier ouvrage,
Où suis-je ? (2021), écrit en pleine crise du
Covid –, qui font de lui une figure de la
­ ensée écologiste. ­Décoré de l’ordre du Mé-
p
rite en 2018 par Nicolas Hulot, alors mi-
nistre de l’Environnement, traduit en trente
MICHAL CIZEK/AFP – BASSO CANNARSA/OPALE.PHOTO – JOE CORRIGAN/AFP – HANNELORE FOERSTER/GETTY IMAGES VIA AFP – DR
langues, dont le mandarin, ce nietzschéen
convaincu, également auteur de deux pièces
de théâtre et commissaire d’exposition (no-
tamment de la 12e Biennale de Taipei), avait
été célébré en 2018 par le New York Times,
qui voyait en lui « le plus célèbre et le plus in-
compris des philosophes français ».
Loretta Lynn
90 ans. Icône de la chanson
country américaine. Née
­Loretta Webb, cette fille de
mineur du Kentucky épouse
à 15 ans Oliver « Doolittle »
Lynn, et devient mère de
quatre enfants avant l’âge de 20 ans. Chan-
teuse autodidacte, ses chansons évoquent
ouvertement la vie intime des femmes. Son
plus grand tube, « Coal Miner’s Daughter »
(« La Fille du mineur »), est également le
titre de son autobiographie publiée en 1976.
Elle est incarnée en 1980 au cinéma par
Sissy Spacek, dans le film Nashville Lady, de
­Michael Apted.
Jean-Louis Pelletier
86 ans. Avocat pénaliste, figure du barreau.
Il fut l’avocat notamment de Jacques M
­ esrine
et de « Francis le Belge ».
PAGE RÉALISÉE PAR JEAN-MARC TURC
LE POINT DE LA SEMAINEARCHITECTURE/IMMOBILIER

Des cocons protecteurs en Normandie

À Fleury-sur-Orne, peau neuve pour
la pouponnière départementale du
Calvados. Sa mission depuis 1985 ?
Héberger temporairement de très
jeunes enfants (de 0 à 6 ans) en grande
difficulté familiale. Une soixantaine
d’entre eux sont désormais logés dans
de petits cocons domestiques. Conçus
comme des maisons individuelles
(cuisine, séjour, chambres, terrasse,
jardin), ils rayonnent en étoile, tel un
village autour d’une place. Éclairées
par des fenêtres donnant vue sur le
paysage environnant, ces alcôves
­apaisantes et intimes sont volontai­
re­ment séparées des deux autres
­bâtiments, occupés par les services
administratifs, médicaux, d’accueil
parental, de lingerie et de r­ estauration.
« Une passerelle de liaison préserve l’in-
dépendance de l’îlot central, commente
l’architecte Paul Le Quernec. Permet-
tant de surveiller les entrées et sorties, ce
pont-levis vitré suggère l’idée d’un monde
privilégié et protecteur caché comme peut
l’être le village des Schtroumpfs » §
PAGE RÉALISÉE PAR BRUNO MONIER-VINARD

Les volumes tout en courbes et en arrondis

de la pouponnière évoquent douceur et
sécurité. Les alcôves abritant les enfants
sont conçues comme une maison,
dont l’entrée est également accessible
de l’extérieur via un sas vitré.

70 %
Paris… décarboné ! à la seule phase d’exploitation pour espérer atteindre
Objectif zéro carbone des bâtiments – comme c’est trop les objectifs climatiques en
ADGIA-DRONES – 11H45/FLORENT MICHEL (x2)

C’est la part de l’immobilier résidentiel
et tertiaire dans les émissions de gaz
à effet de serre de la capitale. Ses
­objectifs de décarbonation à l’horizon
2050 devront nécessairement passer
par une rénovation du parc existant.
Source : JLL, « Décarboner Paris ».
26 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
en 2050, PLU bioclimatique
devant entrer en vigueur dès
2024, Paris (et son quartier
d’affaires de la Défense)
fait partie des métropoles
les plus engagées en matière
de décarbonation. « Côté im-
mobilier, élément ­incontournable
en la matière, on ne pourra
­gagner le pari fixé en se ­limitant
souvent le cas. Il faudra néces-
sairement prendre en compte
l’ensemble de leur cycle de vie
(conception, construction…) »,
plaide Walid Goudiard, di-
recteur Europe de la maîtrise
d’ouvrage chez JLL. Concer-
nant les bureaux, ce cabinet
de conseil estime qu’il
­faudrait tripler les efforts
2050 et les recentrer sur la
rénovation-restructuration
plutôt que sur la production
neuve. Le traitement du parc
de bureaux et de logements
pourrait représenter
un ­effort d’investissement
équivalant à 2 % du PIB de
l’Île-de-France, chaque année
et pendant vingt-cinq ans.
FRANCE

SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT »

Au coin. Éric Zemmour dans

un restaurant ­parisien,
le 29 septembre.

28 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 Zemmour
sans écran
Et maintenant ? Sans élus et sans rendez-vous médiatique,
le chef de Reconquête ! raconte sa traversée du désert.
PAR CHARLES SAPIN
E
n tête à tête avec lui-même, il écrit.
L'ancien journaliste politique n'a pas
trouvé meilleure médecine à cette
frustration qui, mille fois, l'a assailli du-
rant la campagne présidentielle. Celle
de ne pas lire dans la presse ce que lui, la
plume du Figaro, aurait écrit sur son
propre raid élyséen. Le candidat malheu-
reux à la présidentielle, non plus, n'a pas
identifié meilleur procédé pour analyser
ce qui a bien pu dysfonctionner. Au point
de transformer son rêve d'épopée en une
déconfiture électorale. Dans ses livres,
ses chroniques, la voie à emprunter pa-
raissait pourtant si simple… Alors, chaque
jour, il écrit. « Ce n'est pas seulement que
j'aime écrire. C'est que j'en ai besoin pour sa-
voir ce que je pense », livre l'essayiste au
sortir d'une de ses séances quotidiennes.
De 10 à 14 heures, Éric Zemmour s’en-
ferme pour noircir des pages de cette
étrange interview avec lui-même. Sans
que quiconque, jusqu’à ses plus proches
conseillers, n'ose interrompre
l'égocentrique exercice. Pas plus qu'ils ne
s'autorisent à jeter un œil aux premiers
chapitres de son ouvrage annoncé pour
mars 2023. Et qu’un certain nombre, au-
tour de lui, confient du bout des lèvres
redouter. Attablé à l'étage d’un restau-
rant parisien où il a ses habitudes, alors
que le tumulte de la rentrée l’a laissé sur
le bas-côté, Éric Zemmour confie au
Point où son dialogue intérieur l’a mené.
Malgré ses défaites, le chef de Recon-
quête ! ne concède toujours aucune au-
tocritique. La faute à l'impérialisme russe
et cette maudite invasion de l'Ukraine.
Elle qui a saturé l'espace médiatique –  à
l'image du Covid auparavant –, l'empê-
chant de dérouler son thème « existen-
tiel », celui du « grand remplacement ».
Elle qui a fait fuir chez Emmanuel
Macron l’électorat bourgeois qui, un
temps, pensait voter pour lui par ras-le-
bol de l'immigration. Comme elle a jeté
certains de ses électeurs dans les bras de
Marine Le Pen, par peur d'un duel au
­second tour entre Emmanuel Macron
et Jean-Luc Mélenchon. « Auparavant,
les sondages n'étaient pas autorisés les quinze
derniers jours avant le premier tour. Ils ont
complètement faussé l’élection », ne déco-
lère pas le candidat du fond de son fau-
teuil Art déco. À la manière d’un malade
qui, atteint de fièvre, s’en prendrait su-
bitement au thermomètre. Il y a aussi
ces déceptions humaines. Ces amitiés
sur lesquelles il pensait pouvoir comp-
ter. Ces promesses non tenues. « La pré-
sidentielle voit l'humain se révéler. Là où il
y a de l'homme, il y a de l'hommerie », glisse-
t-il, citant là une ancienne formule de
Charles Pasqua dans un rire camouflant
imparfaitement une pointe d'amertume.
« Je n’ai plus
l’audience. Il faut
trouver un moyen de
parler aux gens. »
Avant que celle-ci ne rejaillisse en une
bravade : « Je ne vais pas vous donner les
noms maintenant. Mais vous les aurez. Ce
sera le sel du livre. Ne vous inquiétez pas. Je
ne me censure pas… »
« Mouton à cinq pattes ». N’y a-t-il
pas eu un défaut d’incarnation ? Un trop-
plein de polémiques ? Un excès de pro-
vocation ? « Sur le fond, je maintiens que la
politique, c’est cliver. Sinon, il n’y a plus de
politique. Ne subsiste qu’un consensus mou.
Mélenchon clive, lui aussi », décoche l'au-
teur du Suicide français. Même s’il convient
que cette stratégie a pu consolider un im-
portant rejet de sa personne, à l’entendre,
elle n’est d’aucune manière la cause de
son extrême volatilité dans les intentions
de vote. Ni celle de son effondrement fi-
nal. « C’est que je n’avais aucun ancrage dans
la vie politique ! Le RN fête ses 50 ans ; LR,
c'est le RPR et l'’UDR du général de Gaulle…
Vous devriez dire que c’est déjà incroyable
d’avoir rassemblé 7 % des voix face à eux »,
se justifie étonnamment Zemmour. Lui
qui a toujours présenté comme son meil-
leur atout le fait de ne pas être du sérail
politique. « Les gens sont paradoxaux, com-
mente-t-il. Ils ne veulent pas que je sois un
politique, ils veulent que je reste sincère. Mais,
en même temps, ils veulent que je sois habile.
Ils veulent le mouton à cinq pattes. »
La mine se fait subrepticement plus
sombre lorsque vient le moment de ba-
layer du regard l’horizon politique : « J’ai
vu les limites de la bataille que je pouvais me-
ner en tant que journaliste. C'est pour ça que
je me suis lancé dans la présidentielle. …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 29
FRANCE
… Je vois maintenant les limites du
p­ olitique après une défaite électorale. » S’il
qualifie de « miracle » l'élection de 89 dé-
putés Rassemblement national lors des
dernières législatives, il sait qu’ils offri-
ront à sa rivale Marine Le Pen un poids
politique, une visibilité et même une
­respectabilité contre lesquels il n’est pas
à même de lutter. Il ne croit pas davan-
tage qu’hier aux chances de Marine Le Pen
d’accéder un jour à l’Élysée : « Face au bloc
populaire, le bloc élitaire gagne toujours. Elle
sera toujours la première des perdantes »,
lâche-t-il. Mais l’enjeu n’est plus de la
concurrencer. Il est de lui survivre. Ces
deux longues années qui le séparent des
prochaines élections. Pour ce faire, le po-
litique entend renouer avec le terrain de
jeu préféré du chroniqueur qu’il était :
celui de la bataille culturelle. Son parti,
Reconquête !, a lancé un réseau de « pa-
rents vigilants » censé faire remonter et
dénoncer le « grand endoctrinement » dont
seraient victimes les enfants à l’école pu-
blique. Sur les réseaux sociaux, ses lieute-
nants partagent par dizaines des vidéos
de larcins et d’agressions commis par des
personnes issues de l’immigration. Au-
tant de faits divers rebaptisés « franco-
cides » pour en tirer une traduction
politique. « Je fais comme la gauche, je crée
des mots », sourit, satisfait, Éric Zemmour.
Bataille culturelle. Reste que dans
cette bataille culturelle, le fantassin na-
tionaliste se découvre dépossédé des
armes qui ont jadis fait son succès. Ses
chroniques dans Le Figaro et son émis-
sion quotidienne sur CNews, avec son
million de téléspectateurs. Dans la rue,
il arrive que certains d’entre eux l’arrêtent
pour lui dire combien ils regrettent ne
plus le voir, le soir. Une nostalgie qui le
contamine parfois. « On regrette toujours
ce qui n’est plus… Mais vous avez raison, se
reprend-il. Je n’ai plus l’audience. Il faut trou-
ver un moyen de parler aux gens. Je ne vais
pas refaire un journal comme au temps de
Thiers, de Jaurès ou de Clemenceau. Je
cherche… » S’il était encore sur le plateau
de son ancienne émission, Face à l’info, il
leur dirait combien les faits lui donnent
raison. Combien nous vivons une « pé-
riode politique transitoire ». Combien le cli-
vage opposant mondialiste et populiste,
si cher à Marine Le Pen, est désuet. D’ail-
leurs, elle-même est « désuète ». « J’écrivais
déjà sur ce clivage quand elle était sur les
bancs de la fac », griffe-t-il pour mieux en
faire la démonstration.
30 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
La prégnance des sujets identitaires
comme la soumission de la gauche à
La France insoumise rendent, pour lui,
inéluctable le retour à un clivage revi-
sité entre droite et gauche, « entre ceux
qui veulent la survie de l’identité de la France
et ceux qui veulent sa disparition ». Et dont
il serait, évidemment, le pivot. À tel point
que l’essayiste se refuse à parler d'Em-
manuel Macron. Comme si le chef de
l’État appartenait déjà à une histoire pas-
sée. Une analyse qu’il voit se confirmer
dans les récents succès des nationalistes
en Europe – en Italie et en Suède, notam-
« Je fais comme
la gauche, je crée
des mots. »
ment –, dont il égrène les ingrédients :
« immigration, identité, union des droites »,
en frappant la table de la main. Fai-
sant sursauter les petits pois dans son
assiette. Sauf qu’en Suède, si les nationa-
listes ont réussi à arracher un accord avec
la droite traditionnelle, ce n’est qu’après
l’avoir écrasée dans les urnes, avec plus
de 20 % des voix. Avec ses 4,24 % réunis
aux législatives, Reconquête ! en est loin.
Le parallèle avec l’Italie connaît aussi ses
limites. La victoire de Giorgia Meloni, à
laquelle Éric Zemmour s’identifie, est le
résultat d’une longue gestation entre
trois droites partageant l’essentiel. Un
scénario chimérique en France. « Où LR
s’allierait au RN, puis ils s’allieraient à leur
tour avec moi sur vingt-cinq ans », se prend
à rêver l’essayiste, qui n’a pas vingt-cinq
ans devant lui.
Pour beaucoup de ses lieutenants, l’en-
jeu de la survie est là, précisément. Faire
muter Reconquête ! de simple écurie pré-
sidentielle d’Éric Zemmour en un parti
capable de lui subsister. Sauf que sur le
sujet, ce n’est plus aux analyses de l’es-
sayiste qu'ils ont à faire. Mais bien à l’ins-
tinct de conservation de l'homme
politique. Les européennes de 2024 s’an-
noncent comme le moment de vérité de
son mouvement. Celui où apparaîtra, ou
non, la pertinence de son existence. L’an-
cien candidat à la présidentielle rechigne
ostensiblement à imaginer une future
liste Reconquête ! conduite par quelqu’un
d’autre que lui. Le scrutin qu’il désignait
comme « la présidentielle du pauvre » dans
son dernier livre, La France n'a pas dit son
dernier mot, est désormais loué comme
« l’élection la plus pure idéologiquement, celle
qui permet une vraie campagne politique au
sens noble du terme ». Le sexagénaire lâche :
« Je ne m’interdis pas d’y aller, voilà tout. »
Avant de lister toutes les raisons disqua-
lifiant une candidature en tête de liste
d’un de ses ambitieux vice-présidents
aux européennes. « Marion Maréchal ­serait
très bien placée pour ça. Elle a évidemment
toutes les qualités nécessaires. Mais Guil-
laume Peltier aussi. Cela pourrait créer des
petites rivalités », soutient en grand paci-
ficateur Zemmour. « Il y a ce que je veux,
ce qu’ils veulent, et puis il y a ce que les mili-
tants veulent. Ça compte », appuie le chef
de Reconquête ! en agitant l’adulation
que lui ont témoignée ses adhérents lors
d’une grande consultation sur Internet
cet été.
Il est pourtant des heures où la dévo-
tion de ses fidèles ne suffit plus à main-
tenir haute l’armure. Comme en ces jours
de juillet où, absorbé par la lecture du
Sursaut, le livre de Franz-Olivier Giesbert,
une citation du général de Gaulle l’a long-
temps rendu méditatif, au point de réflé-
chir à renoncer : « Les seuls peuples qu’on
ne peut sauver sont ceux qui se couchent pour
mourir. » En cette rentrée, elle résonne
encore. À la question de savoir s’il se se-
SÉBASTIEN LEBAN POUR « LE POINT »
rait tout de même lancé dans cette aven-
ture présidentielle en en connaissant
l’issue, le journaliste se tait. Le politique
aussi. C'est finalement l’homme, après
un long silence et les yeux perdus dans
son millefeuille, qui finit par répondre :
« En tout cas, ce qui est sûr, c’est que j’aurais
toujours regretté ne pas y être allé. » §
C O M M U N I C AT I O N P U B L I C I TA I R E

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Source : DNCA Finance au 30/09/2022. Ce document promotionnel est un outil de présentation simplifié et ne constitue ni une offre de souscription ni un conseil en investissement. Ce document ne peut être reproduit,
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FRANCE
Sandrine Rousseau
déconstruite
Sur le gril. La figure de proue
de l’éco­féminisme n’a pas toujours été
radicale. Récit d’une conversion tardive.
PAR CLÉMENT PÉTREAULT, MICHEL REVOL,
ERWAN SEZNEC ET ÉMILIE TREVERT
I
nutile d’insister, elle ne regrette rien,
« absolument rien ». Après avoir publi-
quement accusé le député EELV Julien
Bayou de violences psychologiques à
l’encontre de son ex-compagne, le 19 sep-
tembre, Sandrine Rousseau assume ses
propos, ses méthodes et sa radicalité.
C’est au nom, dit-elle, « de la transpa-
32 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
rence » qu’elle a semé le chaos dans son
parti, poussant le secrétaire national à
démissionner de ses fonctions.
Des méthodes d’instruction opaques,
une « victime » qui refusait jusque-là de
témoigner, un « accusé » qui ne pouvait
se défendre… Qu’importe. Celle qui pense
être la seule, à 50 ans, à pouvoir incarner
le mouvement #MeToo en politique ne
s’embarrasse pas de ce genre de détails.
« De la colère, j’en suis remplie. De la radi-
Star. La députée
Sandrine Rousseau,
invitée de « Dimanche
en politique », sur
France 3, le 2 octobre,
quelques jours après
la démission de Julien
Bayou, qu’elle avait
accusé de « comporte-
ments de nature
à briser la santé morale
des femmes ».
calité, j’en suis pétrie », déclarait-elle aux
universités d’été des Verts, en septembre
2021. En l’entendant, certains militants
ont peut-être repensé à la Sandrine Rous-
seau passe-muraille qu’ils côtoyaient
quelques années auparavant. Alors que
la gauche a longtemps hébergé des mi-
litants trotskistes déguisés en sociaux-­
démocrates pour grimper dans l’appareil,
Sandrine Rousseau pourrait être un spé-
cimen, plus rare, de modérée convertie
LAFARGUE RAPHAEL/ABACA
à la radicalité pour faire carrière.
Interrogée par Le Point, elle dément
aujourd’hui avec virulence avoir été un
jour « centriste » ou « écolo-réaliste ». Si tel
n’est pas le cas, elle a fait illusion pen-
dant des années. En août 2009, à …
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FRANCE
Prise à partie. Sandrine Rousseau a été huée lors de la manifestation de soutien aux Iraniennes le 2 octobre, à Paris.
… 37 ans, elle débarque incognito
aux universités d’été d’EELV. Le parti, en
pleine ascension, s’ouvre à la société ­civile
après un score historique aux élections
européennes (16 %). Maîtresse de confé-
rences en économie et vice-présidente
de l’université de Lille, Sandrine Rous-
seau est sollicitée par un étudiant de mas-
ter. « Elle avait travaillé sur le capitalisme
et l’environnement, son parcours était inté-
ressant », résume son collègue universi-
taire Nicolas Postel. En termes marketing,
on parlerait de profil vendeur : femme,
économiste, société civile. Avec, en plus,
une discrétion de bon aloi, à tel point que
personne ne se souvient de ses premiers
pas en politique. « Il paraît qu’elle était
proche de notre tendance… » se rappelle va-
guement Daniel Cohn-Bendit. « Ce n’était
pas une cheffe de gang ! Elle était plutôt iso-
lée et donnait l’impression d’être mesurée »,
confirme Jean-Paul Besset, proche de Ni-
colas Hulot. « C’est horrible à dire, mais elle
est arrivée là au titre du “quota de femmes”,
se souvient un ancien salarié d’EELV. Elle
répondait parfaitement aux deux critères re-
quis : ne pas avoir d’ambition et ne faire
d’ombre à personne. » Raté…
Les écologistes, qui sans doute la
sous-estiment, la traitent bien. Elle est
propulsée vice-présidente chargée de
34 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
l’enseignement supérieur, un an après
son entrée en politique, alors que la
gauche remporte la région Nord-Pas-de-
Calais. « Elle travaille dans la discrétion »,
se souvient Dominique Plancke, élu lil-
lois et membre fondateur des Verts. À la
région, elle laisse le souvenir « d’une bos-
seuse, enfermée dans son bureau », explique
un élu du groupe. Elle se fait rapidement
une place dans le parti, sans provocation
ni intrigue, grâce à ses compétences.
« C’était une technicienne, docteure en écono-
mie, raconte un ex-membre du bureau
national d’EELV. Quand il fallait expliquer
un budget ou une loi de finances, on se tour-
nait vers Sandrine. Elle était appréciée. »
Les alliés des écologistes gardent d’elle
un souvenir plus mitigé. Lors de la pré-
paration des régionales de 2010, elle est
membre de la délégation EELV. Elle aura
« Ce n’était pas
une cheffe de gang ! » 
Jean-Paul Besset,
un proche de
Nicolas Hulot
comme partenaire de négociations Fa-
bien Roussel et, surprise, bien avant la
polémique sur le barbecue, les deux ne
s’entendent déjà pas. « Elle était insuppor-
table, se souvient le socialiste Gilles Par-
gneaux. Dès que l’on contestait ce qu’elle
disait, elle nous lançait : “Vous dites ça parce
que je suis une femme, vous, les gros machos
du PS !” » La première fois qu’elle entre
dans la salle des négociations au siège lil-
lois de la fédération socialiste, elle repère
la grande table ovale en marbre et lâche :
« Vous les socialistes du Nord, vous êtes à
l’image de cette table, vous aimez le luxe ! »
Défaites. En 2012, elle est investie aux
législatives sur la 21e circonscription du
Nord, face à Jean-Louis Borloo. Vice-pré-
sidente de région trop discrète, elle est
inconnue et n’a guère d’atomes crochus
avec les militants locaux. « Faire cam-
pagne dans le Valenciennois en comman-
dant une salade à déjeuner et en regardant
avec une mine pincée ceux qui mangent leurs
frites-mayo, bon courage ! » se rappelle un
cadre socialiste local. Le résultat est dé-
cevant : 16,71 %. Aux municipales de
2014, l’année où Éric Piolle prend Gre-
CORINNE SIMON
noble, elle sort dès le premier tour à Ville-
neuve-d’Ascq, avec 9,9 % des voix.
Vice-­présidente de la région Nord- …
FRANCE

… Pas-de-Calais chargée de l’ensei-

gnement et de la recherche, celle qui est
aujourd’hui une farouche opposante au
nucléaire finalise l’installation d’une
antenne du Commissariat à l’énergie
atomique sur le pôle de compétitivité
lillois EuraTechnologies…
Les régionales de 2015 sont un désastre.
Sa liste dépasse à peine les 4 %. « Ces re-
vers lui ont valu l’image de celle qui perdait
tout », se souvient un cadre. Faute d’avoir
atteint la barre des 5 %, elle laisse une ar-
doise de 300 000 euros à son parti. « Le len-
demain du scrutin, elle arrive, livide :
“Comment je fais pour démissionner ?” On
l’a remontée, on lui a dit de ne pas prendre de
décision à la légère », confie un proche de
l’équipe de campagne. « La défaite a été un
sacré choc, donc le lendemain, oui, j’ai dit ça,
mais je n’ai jamais sérieusement envisagé de
démissionner », corrige-t-elle aujourd’hui,
passablement agacée.
Elle attribue ses revers électoraux à
l’aveuglement de l’électorat nordiste :
« Ce n’est pas une terre facile pour l’écologie,
il y a Lille et le reste », résume-t-elle. Et ­décrit
au Point une région à l’environnement si
dévasté que l’électorat n’arriverait même
plus à « regarder la réalité en face »… Quid
de Damien Carême et de Jean-François
Caron, maires écologistes de Grande-­
Synthe (2001-2019) et de Loos-en-Gohelle ?
« Des héritiers… » laisse tomber la dépu-
tée parisienne (les deux sont fils d’élus).
En matière de sorties tonitruantes, le
bilan de ces trois campagnes ratées est
rapidement dressé : zéro. Radicalement
écoféministe, la Sandrine Rousseau de
Approchée par LREM
pour les municipales
de 2020, elle
consulte en interne
avant de refuser.
Dans la famille EELV. En 2014, l’écoféministe
avec Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale,
et Julien Bayou, porte-parole.
l’épo­que ? « Je l’ai toujours été », jure-t-elle.
Interrogée sur ce qu’elle a fait concrète-
ment dans ce registre en tant que vice-pré-
sidente d’université de 2008 à 2021, elle
cite la lutte contre la précarité mens-
truelle, avec des distributions gratuites
de kits d’hygiène féminine. Solidaires
Étudiants de Lille a plusieurs fois pro-
testé : l’idée viendrait d’associations étu-
diantes. Elle aurait été mise en œuvre
avec l’aval de la vice-présidente, pas à
son initiative.
Sandrine Rousseau accède à un début
de notoriété nationale en 2016 en témoi-
gnant contre son collègue Denis Baupin,
coupable, dit-elle, de l’avoir sexuellement
agressée en 2011. Elle choisit néanmoins
ce moment pour s’éloigner du parti, dans
lequel elle ne se serait pas sentie soute-
nue dans l’épreuve. « EELV a tout de même
financé sa défense face à Denis Baupin [qui
avait poursuivi ses accusatrices en diffa-
mation, NDLR] », soupire un cadre. Offi-
ciellement, sa retraite de la politique
n’au­rait aucun rapport avec ses revers
électoraux. Elle contribue alors à créer
une association, En Parler, qui soutient
les femmes victimes de violence (asso-
ciation dont elle a quitté la présidence
après les législatives de 2022). Elle s’im-
plique activement, mais discrètement.
« La Sandrine que je connais est plus apaisée
que celle que je vois à la télévision », com-
mente avec tact la présidente actuelle
d’En Parler, Marie-José Hay, qui salue l’en-
gagement de la députée.
Darmanin sollicité. Loin de chercher
le clash permanent, Sandrine Rousseau
postule alors à des fonctions institution-
nelles où le devoir de réserve est de ri-
gueur. Ambitionnant de devenir direc­trice
de l’Institut régional d’administration
(IRA) de Lille, elle sollicite en 2017 l’ap-
pui de… Gérald Darmanin, alors ministre
chargé de la Fonction publique. Il refuse
de la soutenir. Elle le prendra pour cible
en 2021, expliquant qu’elle brigue l’in-
vestiture des Verts à la présiden­tielle parce
qu’elle s’est sentie « humiliée » par …

Quand Sandrine Rousseau sauvait
des femmes afghanes…
Caricaturée par Plantu le 29 septembre et huée lors d’une
manifestation de soutien aux femmes iraniennes,
le 2 octobre, celle que l’on accuse aujourd’hui d’avoir
des engagements féministes à géométrie variable a tenté
de montrer au Point que son indignation n’avait pas de
frontières : « Quand j’ai lancé ma candidature aux législatives
à Paris est venu un comité de femmes afghanes qui m’ont dit que,
grâce à moi, elles avaient réussi à échapper aux talibans
et à venir en France ! » Grâce à elle ? « Enfin, grâce à un texte
que j’avais signé », corrige-t-elle. « Ces femmes sont venues
me remercier parce que je les avais fait sortir d’Afghanistan !
poursuit-elle. Enfin, le texte que j’avais signé a facilité leur
sortie d’Afghanistan… » Une question de nuance en effet.
Contacté par Le Point, Reza Jafari, le porte-parole des mi-
grants afghans à Paris et ex-candidat aux régionales sur la
liste de Julien Bayou, s’étrangle : « Sandrine Rousseau a signé
une tribune parmi des centaines d’autres personnes…
Aujourd’hui, ces femmes regrettent vraiment leur soutien,
elles ont l’impression d’avoir été utilisées juste pour faire
le buzz. » Une élue EELV qui a participé au rapatriement
d’une centaine de femmes à l’été 2021 n’en revient pas
de ce « mensonge » : « C’est complètement faux ! Sandrine
Rousseau n’était pas aux manettes, elle n’était pas là
lors des évacuations, ni en contact avec les maires
ou l’ambassade de France. Pendant que nous passions des nuits
à essayer de sauver des femmes, elle faisait la star
sur les plateaux pour raconter des dingueries comme :
“Si ce sont des personnes dangereuses, de potentiels terroristes,
ce n’est pas parce qu’ils restent en Afghanistan qu’ils sont moins
dangereux en vrai, donc quelque part les avoir en France,
ça nous permet aussi de les surveiller”… Cela décrédibilisait
complètement notre action. » § E. S. ET E. T.
AFP

36 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

FRANCE
… sa nomination place Beauvau, en
dépit de l’accusation de viol dont il fai-
sait l’objet (un non-lieu a été prononcé).
« Si elle le souhaite, on peut publier ses deman­
des de rendez-vous et demandes de nomina­
tion », avait répliqué Darmanin.
Lorsqu’elle brigue la présidence de
Sciences Po Lille en 2018, elle mène cam-
pagne contre un sortant, Pierre Mathiot.
« Sandrine Rousseau parlait très peu de
l’école, mais beaucoup du rôle et de la place
des femmes, raconte ce dernier. Moi, je pas­
sais pour le bad guy parce que j’étais “un
mâle blanc de plus de 50 ans”, prof et ancien
directeur de surcroît ! » Elle sollicite une
fois encore le soutien de Gérald Darma-
nin et celui d’Olivier Duhamel (qui n’avait
pas encore été accusé d’inceste par sa
belle-fille, Camille Kouchner), alors pré-
sident de la Fondation nationale des
sciences politiques. Ce dernier qui, d’ha-
bitude, ne se prononçait pas pour un can-
didat, décide in extremis de soutenir
Mathiot (qui la battra). Duhamel s’en ex-
cusera par courriel auprès de l’intéres-
sée, qui ne lui pardonnera pas cette
offense… Deux ans plus tard, elle accu-
sera Darmanin et Duhamel d’avoir voulu
lui « barrer la route ». « C’est l’une de ses
grandes forces, même ses candidatures ra­
tées servent son combat politique », salue un
observateur attentif à sa carrière.
Sandrine Rousseau ne s’en est pas van-
tée, mais LREM l’a contactée pour bri-
guer la mairie de Lille sous la bannière
présidentielle aux municipales de 2020.
Sandrine Rousseau s’insurge : « LFI aussi
m’a approchée ! Les gens m’approchent, je dis
non. » Selon nos informations, Sandrine
Rousseau n’a pas claqué la porte aux nez
38 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
des Marcheurs : elle a pris le temps de
consulter, en interne du parti notam-
ment, avant de décliner. « LREM était une
option de retour en politique, décrypte un
ancien cadre EELV. Elle ne pouvait plus être
candidate chez les écolos dans le Nord, tant
elle s’était mis tout le monde à dos. »
Le combat féministe de l’écologiste
­serait-il justifié par ses déceptions, ses
échecs, voire des rancunes personnelles ?
Si elle estime que beaucoup de gens « lui
en veulent », elle assure : « Je n’ai de rancœur
envers personne ! J’ai de la colère, oui, mais
de la colère contre les injustices. » Un mili-
tant la décrit pourtant comme « une Robes­
pierre de l’écologie, qui instrumentalise de
nobles causes pour laisser libre cours à des
envies de pouvoir ». Si elle incarne un fé-
minisme intransigeant dans les médias,
elle se révèle moins regardante sur les
qualités supposées de ses interlocuteurs
dès lors qu’il s’agit de sa carrière politique.
Récemment, elle aurait consulté l’ex-
homme fort des Verts Jean-Vincent Placé
– condamné pour harcèlement sexuel –
afin d’obtenir ses conseils en vue du
congrès. La liste de ses cibles s’allonge :
Yannick Jadot, torpillé pendant la cam-
pagne présidentielle ; Éric Piolle, accusé
de l’avoir bousculée lors des primaires ;
Claire Monod, militante privée d’inves-
« Sandrine est
en train d’inventer
l’écopopulisme ! »
Claire Monod
Sororité ? Annie Lahmer, Sandrine
Rousseau et Elen Debost,
les accusatrices de Denis Baupin,
au congrès d’EELV en 2016
titure aux législatives 2022 dans la 9e cir-
conscription de Paris qu’elle labourait
depuis quinze ans, pour permettre enfin
à Sandrine Rousseau de gagner une élec-
tion. « Où est donc la sororité ? » s’interroge
Monod, qui n’en revient pas de la « téta­
nie » qu’elle suscite. Pour cette écolo et fé-
ministe, « il ne faut pas avoir peur des mots :
Sandrine Rousseau est en train d’inventer
sous nos yeux l’écopopulisme ! »
Dernière cible en date, Julien Bayou.
L’ex-secrétaire national aurait eu, selon
Sandrine Rousseau, des « comportements
de nature à briser la santé mora­le des fem­
mes » dans le cadre d’une séparation dou-
loureuse. Elle admet, devant nous, la
nécessité d’entendre aussi la version du
secrétaire national, tout en évoquant sans
relâche la parole de « la victime » qu’elle
a rencontrée. Le tourmenteur et la vic-
time : à quoi bon un examen contradic-
toire, si les rôles sont déjà établis ? Sandrine
Rousseau se reprend. Elle voulait parler
de « celle qui se dit victime » : « Je ne balance
personne [dans l’affaire Bayou] ! J’ai dit la
vérité, j’ai dit ce que j’avais vu »…
Épluché. Elle n’en fait pas mystère,
elle veut s’imposer comme le leader de
la gauche à la prochaine présidentielle
de 2027, et recherche le soutien d’une
­génération de militants qui considèrent
l’intime comme politique. Rousseau, co-
hérente, se construit en parlant aux mé-
dias de sa vie privée : le suicide assisté de
sa mère, son agression sexuelle, suivi de
son divorce, la publicité faite à son nou-
veau compagnon, le fameux « homme dé­
construit »… En 2007, elle avait publié un
polar aujourd’hui introuvable, Épluchures
à la lilloise. Il y est question d’un homme
épluché à l’économe, puis d’un autre aux
parties génitales épilées à la pince. L’ins-
pecteur qui mène l’enquête est d’une mi-
sogynie crasse. Un exutoire, écrit à 28 ans
par la jeune Sandrine Rousseau, qui tra-
vaillait alors à la direction des ressources
humaines d’un grand groupe et subis-
sait, dit-elle, les ordres d’un patron sexiste
et honni – qu’elle n’a pas dénoncé, lui.
Sa vie privée était déjà utilisée et mise
en scène, mais sur un mode humoris-
tique. Quinze ans ont passé, Sandrine
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Rousseau ne fait plus rire personne §
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Les Iraniennes, héroï

« Mort au dictateur ! »
C’est le slogan scandé
par ces élèves dévoilées
d’un lycée de jeunes
filles, qui adressent
un doigt d’honneur
à Ruhollah Khomeyni,
fondateur de la
République islamique
d’Iran, et Ali Khamenei,
l’actuel guide suprême,
en photo.

42 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 nes de la liberté
Tournant.
Au prix de
leur vie, elles
affrontent
le régime isla-
miste. Enquête
et témoignages.
PAR ARMIN AREFI
L
e nom de Mahsa Amini est en-
tré dans l’histoire moderne de
l’Iran. Il est devenu le symbole
de la brutalité d’un régime théocra­
tique et a cristallisé la rage de tout
un peuple. Depuis la mort en
déten­tion de cette jeune femme
de 22 ans, arrêtée le 13 septembre
dernier par la police des mœurs
pour un voile mal porté, une vague
de colère sans précédent s’est em-
parée de la population iranienne
contre ses dirigeants. Lors des funé­
railles de la victime à Saghez, dans
le Kurdistan iranien, des femmes
n’ont pas hésité à ôter leur hidjab
(voile islamique) en hommage, le
faisant virevolter dans les airs. Un
geste interdit en République isla-
mique, repris dans l’ensemble des
manifestations qui ont depuis
­gagné Téhéran et toutes les grandes
villes du pays.
« Mahsa Amini aurait pu être ma
SALAMPIX/ABACA – CAPTURE D’ÉCRAN DE TWITTER
sœur ! » enrage encore Niousha*,
23 ans. Originaire de la ville de
Rasht, dans le nord du pays, cette
experte-comptable ne croit pas du
tout à la version officielle des auto­
rités, selon laquelle la jeune femme
serait morte des suites d’une ma-
ladie. « Il faut que ce genre de com-
portement oppressif envers les femmes
cesse, insiste l’Iranienne. Car nos
droits ne sont nullement respectés en
Iran. » Depuis la révolution de
1979, qui a abouti à l’instauration
d’une République islamique, le
port du voile est obligatoire dans
l’espace public. Fondée sur la cha-
ria (la loi islamique), la Constitu-
tion iranienne a fait des femmes
des citoyennes de second rang.
Leur témoignage devant un tribu-
nal vaut deux fois moins que ce-
lui d’un homme. Il en va de même
pour le prix à payer à la famille
d’une victime en cas d’homicide,
ou encore en matière d’héritage
entre frères et sœurs.
« Mahsa Amini aurait
pu être ma sœur ! » 
Niousha
Pourtant, en dépit de lois rétro-
grades, les femmes en Iran n’ont
eu de cesse de résister au cours des
quarante-trois dernières années.
Les Iraniennes sont aujourd’hui
majoritaires à l’université, et le
foulard n’a jamais laissé dépasser
autant de mèches rebelles. En aper-
cevant les images de manifesta-
tions sur les réseaux sociaux,
mal­gré la censure gouvernemen-
tale, Niousha écrit à ses amis pour
qu’ils la rejoignent dans la rue, à
Rasht. « La mort de Mahsa Amini a
représenté une étincelle », explique
la jeune femme, qui, à la différence
de ses parents, n’a connu que la
République islamique. « La colère
couvait depuis longtemps au sein de
la population. Et ce sont tout d’abord
les femmes, suivies par les hommes,
qui se sont soulevées. »
Émotion.Les précédents ras-
semblements de colère en Iran ont
toujours été matés dans le sang
– en 2009, en 2017 et en 2019 –, la
répression faisant chaque fois des
centaines de morts. C’est dire le
Icône. Personne risque pris par l’Iranienne lors-
ne reverra Nika qu’elle pénètre sur la place de la
Shahkarami vivante mairie de Rasht, le mardi 20 sep-
après que la jeune tembre, et se retrouve au cœur
fille a brûlé son hijab d’une foule de manifestants. « Il y
et chanté lors d’une avait autour de moi beaucoup de
manifestation jeunes, mais aussi des personnes plus
à Téhéran âgées, et même des familles », raconte-
le 20 septembre. t-elle, enco­re saisie par l’émotion.
Selon les autorités, Comme de nombreuses femmes
elle serait morte ce jour-là, Niousha ne porte pas le
en tombant voile, mais un masque chirurgi-
d’un immeuble. cal anti-Covid afin de cacher son
identité. « Lorsqu’on ne peut pas
choisir la façon de nous habiller, on
ne peut en réalité pas choisir sa vie,
explique-t-elle. Mais au-delà de la
question du voile obligatoire, il s’agis-
sait avant tout de récu­pérer nos droits
dans un pays où tous les chemins, éco-
nomiques et sociaux, mènent …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 43
 EN COUVERTURE

… à une impasse, notamment mortels, peuvent causer de sévères

pour la jeunesse. » Malgré la pré-
sence massive des forces de l’ordre,
les premiers slogans fusent. « Mort
au dictateur ! » scandent les mani-
festants à l’unisson. Cible des
contestataires, l’ayatollah Khame-
nei, guide suprême et véritable
chef de l’État iranien, qui règne
d’une main de fer sur le pays de-
puis la mort de son prédécesseur,
l’ayatollah Khomeyni, il y a trente-
deux ans. Lors de sa seule réaction
publique aux événements, ce reli-
gieux ultraconservateur est resté
droit dans ses bottes, accusant des
« émeutiers » à la solde des États-
Unis et d’Israël de fomenter de l’in-
sécurité, et exhortant la police à
ne rien céder.
Pour disperser ceux qui prennent
part à la manifestation à Rasht, les
forces de l’ordre tirent des grenades
lacrymogènes. Pas de quoi dissua-
der les contestataires, qui se re-
groupent quelques dizai­nes de
mètres plus loin. « Nous repre­nions
alors nos slogans de plus belle, raconte
Niousha. Et, en nous entendant, les
gens nous rejoignaient et la contesta-
Symbole. Des écolières « Ils se sont atta­qués à tout ce qu’ils
iraniennes retirent trouvaient en face d’eux, d’autant que
publiquement leur personne ne venait les réprimer, se
foulard. Ci-dessus, à souvient la jeune femme. On avait
Téhéran, le 1er octobre. beau leur dire d’arrêter et que cela ne
servait à rien, ils ne nous écoutaient
pas. » Plusieurs véhicules de police
ont été incendiés ce jour-là. Mais
la donne a radicalement changé
dès le lendemain.
En retournant dans la rue le
21 septembre, Niousha trouve
­autour d’elle des dizaines d’agents
Téhéran en civil, plus connus en Iran sous
IRAK le nom de bassidji, ou miliciens vo-
IRAN
blessures. « Une femme qui protes-
tait près de moi avec sa fille s’est éva-
nouie, après que son dos a été criblé de
balles de plomb, affirme Niousha.
Les gens étaient si effrayés que per-
sonne ne s’est porté volontaire pour
l’amener à l’hôpital. » Au bout de
trois jours, les forces de sécurité
ont fini par reprendre le contrôle
de la rue à Rasht, avant que la
contestation ne reprenne de plus
belle une semaine plus tard.
En dépit de la répression ­féroce
des autorités, qui a déjà fait
185 morts, Roya* a décidé de conti-
nuer à protester. Âgée de 31 ans,
cette Iranienne de Karaj, ville si-
tuée à l’ouest de Téhé­ran, a déjà
participé à une dizaine de rassem-
blements depuis le début de la ré-
volte, il y a quatre semaines.
« Quand les forces de répression, ar-
mées de la tête aux pieds, te fixent dans
les yeux et te tirent dessus comme si tu
n’étais qu’un vulgaire animal, tu com-
prends alors qu’ils sont là pour te tuer,
peu importe que tu sois un homme ou
une femme », souligne la manifes-
tante, dont les jambes portent tou-

CAPTURE D’ÉCRAN DE TWITTER – SARINACMZ/YOUTUBE – DR – SALAMPIX/ABACA – SOCIAL NETWORKS/ZUMA PRESS/ZUMA/RÉA

tion reprenait forme. » Lorsqu’ils at-
teignent la grande pla­ce Sabze, dans
le centre-ville, les manifestants
constatent avec surprise que celle-ci
a été évacuée par les forces de
l’ordre. En l’absence de la moindre
autorité, des protestataires s’en
prennent alors violemment aux
bâtiments publics et aux banques.
lontaires. « Il y en avait tellement
ARABIE qu’on ne pouvait même plus faire
SAOUDITE OMAN confiance à son voisin, se rappelle-t-
500 km Golfe elle. Dès que l’un d’entre nous lançait
d’Oman
un slogan, 20 agents se ruaient alors
vers lui et l’arrêtaient. » Le moin­dre
regroupement est alors réprimé
par les armes, notamment des fu-
sils de chasse, qui, s’ils ne sont pas
jours les stigmates des balles de
plomb qui l’ont ciblée à plusieurs
reprises. « Le pire, poursuit-elle, c’est
quand les agents t’attrapent et te
battent de toutes leurs forces. Mais il
ne s’agit en réalité que des ultimes ef-
forts d’une dictature aux abois. » Mal-
gré le déséquilibre des forces, la
jeune femme reste enivrée par la

De très jeunes victimes

Mahsa Amini (22 ans). Sa mort
à l’hôpital le 16 septembre, après
son arrestation par la police des
mœurs à Téhéran pour un voile
mal porté, a déclenché la révolte.
44 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Nika Shahkarami (16 ans).
Elle a disparu le 20 septem­bre
lors d’une manifestation
à Téhéran. Son corps a été rendu
à ses parents dix jours plus tard.
Hadis Najafi (22 ans).
La jeune femme a été tuée
par balle le 21 septembre
alors qu’elle manifestait
dans sa ville de Karaj.
Sarina Esmaïlzadeh (16 ans).
Elle est décédée le 23 septembre
à Karaj après avoir été rouée de
coups de matraques à la tête,
selon Amnesty International.
 solidarité et la résistance dont ont
fait preuve les manifestants. « En
un mois, nous avons brisé les fonda-
tions de la République islamique et
avons montré au monde entier que ce
régime était en réalité un tigre de pa-
pier, s’enthousiasme-t-elle. Ses
agents ont beau être surarmés, notre
motivation est sans failles, et notre
haine contre la République islamique,
sans limites. »
Smartphone. Chaque jour, Roya
reçoit par messagerie une invita-
tion à descendre dans la rue à un
horaire précis pour déjouer la mo-
bilisation des autorités. Ainsi, le
lieu n’est jamais mentionné pour
éviter aux contestataires d’être
repé­rés au préalable par les forces
de sécurité. Avant de quitter son
domicile, l’Iranienne tente d’em-
porter dans son sac à dos des bandes
de pansement et une bouteille
d’eau. « Les gaz lacrymogènes qu’ils
nous lancent sont si forts qu’ils vous
brûlent les yeux et font apparaître des
cloques sur votre peau », souligne la
jeune femme. En battant le pavé,
la manifestante n’oublie pas de
brandir, quand elle le peut, la seule
arme dont elle dispose, son smart-
phone, afin de rendre compte de
la contestation, mais aussi d’expo-
ser les moindres faits et gestes des
forces de sécurité. « Désormais, cha-
cun d’entre nous est devenu un jour-
naliste, se félicite-t-elle, et cela fait
terriblement peur à la République is-
lamique. » Des images prises à Ka-
raj témoignent de l’audace de
collégiennes qui profitent de la fin
des cours pour défiler, cheveux au
vent, et scander : « Balles, chars ou
pétards, que les mollahs aillent se faire
voir ! » Sur d’autres vidéos, des
forces de sécurité sont aperçues
en train de viser depuis les toits de
la ville des manifestants avec des
fusils. « Bien sûr que je ne souhaite
pas mourir, avoue Roya, mais, à vrai
dire, notre vie en Iran est comparable
à une lente mort, de sorte que si je
perds la vie, ce sera avec fierté. »
Malgré les multiples diplômes
SAZAD/SIPA – TWITTER
qu’elle a décrochés, en gestion et
en comptabilité, la trentenaire ne
trouve aucun emploi en raison du
militantisme passé de sa famille.
« Vraiment, la République islamique
ne nous a jamais laissés vivre, se dé-
sole-t-elle de sa douce voix. Elle ne
nous a jamais laissés être ce que nous
sommes réellement en nous imposant
ses interdits dans tous les domaines
de notre quotidien. » Si ses frères ont
préféré quitter l’Iran, à l’image de
millions de compatriotes, Roya a,
quant à elle, toujours tenu à res-
ter vivre dans son propre pays.
Pendant longtemps, elle a cru au
changement que lui ont fait mi-
roiter les présidents modérés Mo-
« Nous prenons aujourd’hui
notre destin en main pour
récupérer notre pays. » R
 oya
Ensemble. Le mouve-
ment ne faiblit pas.
Le 1er octobre, deux
semaines après la mort
de Mahsa Amini, des
milliers d’hommes et
de femmes protestent
dans les rues de la
capitale iranienne.
Le combat continue.
La fille de Minou Majidi,
abattue par la police
iranienne lors d’un
rassemblement
le 20 septembre
à Kermanshah, s’est
coupée les cheveux,
qu’elle tient dans sa
main en signe de
défiance envers les
autorités.
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 45
hammad Khatami (1997-2005) et
Hassan Rohani (2013-­2021), vi-
sages attractifs d’un régime isla-
mique qu’ils n’ont jamais remis
en question. Mais leurs promesses
sont restées lettre morte. « Pendant
des années, les ­réformateurs se sont
joués de nous en nous faisant croire
qu’ils pourraient faire évoluer le
pays », regrette la jeune femme.
« Mais c’est fini désormais,
­a ssure-t-elle. Nous prenons au-
jourd’hui notre destin en main pour
récupérer notre pays. Nous ne vou-
lons plus de République islamique. »
Autre combat. Sa journée de
protestation terminée, l’Iranienne
entame un autre combat, cette fois
chez elle, en tentant de se connec-
ter à Internet. Le réseau est la cible
régulière de coupures de la part
des autorités, qui souhaitent em-
pêcher la diffusion de la moindre
information sur les manifestations
et la répression en cours. « Je passe
parfois une dizaine d’heures d’affilée
à attendre que l’une de mes 20 appli-
cations VPN sur mon téléphone puisse
enfin se connecter, pointe Roya. Mais
si elles fournissent tous ces efforts pour
nous faire taire, c’est bien qu’elles
doivent avoir peur de quelque chose. »
Comme d’un irrésistible soulève-
ment populaire ?  §
*
 Les prénoms des témoins ont été
modifiés pour des raisons de sécurité.
 EN COUVERTURE
Saeid Golkar
« C’est la défaite
de l’islamisme en Iran »
Colère.Ce spécialiste de la société iranienne
analyse le soulèvement populaire en cours.
Le Point : L
 a révolte qui secoue actuellement
l’Iran est-elle sans précédent ?
Saeid Golkar : Elle s’inscrit dans une certaine conti-
nuité, l’Iran ayant été le théâtre de manifestations
régulières depuis l’avènement de la République is-
lamique, en 1979. La société iranienne a toujours été
décrite comme mouvante et révolutionnaire, plus
que tout autre pays du « Sud ». Cela dit, il faut noter
que cette nouvelle vague de manifestations est as-
sez unique, tant en termes de portée que d’idéologie.
S’agit-il d’une révolte ou d’une révolution ?
En science politique, la différence entre ces deux
termes réside dans la capacité du mouvement à ap-
porter effectivement un changement de régime. Dans
ce cas, nous parlons de révolution. En ce qui concerne
les événements actuels en Iran, je parlerais plutôt de
soulèvement massif car ces manifestations sont beau-
coup plus répandues sur le territoire qu’auparavant.
Ce mouvement se limite-t-il à la remise
en question du voile obligatoire ?
L’élément déclencheur des manifestations a été le
comportement de la police des mœurs à l’encontre
de Mahsa Amini, et la colère s’est rapidement éten-
46 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
due à la question du hidjab (voile islamique) obliga-
toire. En réalité, ces rassemblements cachent une
cause structurelle beaucoup plus profonde, comme
en témoignent les slogans des manifestants. Les de-
mandes, très diverses, vont du rôle de la police des
mœurs aux restrictions sociales en vigueur en pas-
sant par des revendications économiques et le manque
de représentativité politique. On constate surtout
une forme de convergence des doléances des contes-
tataires. Enfin, contrairement aux manifestations
antérieures en Iran, celles-ci ne comportent aucun
slogan religieux. Personne ne demande de réforme
au sein du système islamique. La devise des mani-
festants, « Femme, vie, liberté », dénonce la dictature
en place dans le pays et demande un changement de
régime. Cela est un bouleversement de paradigme.
C’est la ­défaite de l’islamisme en Iran.
Qu’entendez-vous exactement par là ?
Ostentatoire. Les manifestants estiment qu’après quarante-trois ans
NURPHOTO VIA AFP
Les Iraniens se saluent au pouvoir la République islamique s’est révélée
en faisant le « V » de la inca­pable de faire advenir la liberté et la justice so-
victoire dans les rues ciale, soit l’utopie islamiste dont elle s’était fait le
de Téhéran. chantre en 1979. Au contraire, le régime a créé …
 EN COUVERTURE
… une dystopie. D’ailleurs, certains jeunes Ira-
niens clament dans la rue qu’ils réservent aux diri-
geants du pays « l’enfer qu’ils ont créé pour eux ».
De quelle classe sociale sont les manifestants ?
La révolte actuelle se démarque des précédents ras-
semblements sur ce point précis. Lors du mouve-
ment vert de 2009, qui contestait la réélection à la
présidence de Mahmoud Ahmadinejad, la plupart
des gens dans la rue étaient issus des classes
moyennes et les revendications visaient à réformer
le pouvoir de l’intérieur. En 2017 et en 2019, il s’agis-
sait avant tout de classes défavorisées vivant à la
périphérie des grandes villes. En 2022, on observe
un mélange de personnes issues tout autant des
couches aisées que des classes moyennes et popu-
laires d’Iran. J’insiste sur l’importance que revêt la
présence des femmes, et notamment des adoles-
centes, dans ce mouvement. Je dois d’ailleurs sou-
ligner que nous n’avions jamais vu auparavant en
Iran de contestation gagner les lycées, qui sont
même devenus le moteur des manifestations au
cours des dernières semaines.
Les écoliers, aussi, sont en colère…
Cela reflète le niveau élevé de frustration, qui tra-
verse en ce moment toutes les classes sociales de la
population. La rentrée scolaire en Iran a eu lieu il y
a à peine deux semaines et les élèves ont protesté dès
qu’ils ont retrouvé le chemin de leur établissement.
Le problème de ces jeunes est qu’ils n’entrevoient
aucun avenir en Iran, à l’instar de la majorité de la
société. La jeunesse du pays ayant largement accès
aux smartphones, elle est très bien informée, via les
réseaux sociaux, sur ce qui se passe en Iran et dans
le monde.
Comment expliquez-vous le déni
dans lequel est plongé l’ayatollah Khamenei,
qui ne voit dans les manifestants
que des émeutiers au service de l’Occident ?
C’est le cas des dictateurs dont le pouvoir devient si
personnel qu’ils se déconnectent de la réalité. En
outre, les milliers de discours de l’ayatollah Khame-
nei montrent qu’il est quelqu’un de très autoritaire.
Il a toujours estimé qu’il ne fallait jamais reculer, au
risque de laisser l’ennemi gagner du terrain. Le guide
suprême est d’ailleurs persuadé qu’une des graves
erreurs du chah a été d’admettre l’existence d’une
opposition révolutionnaire, ce qui a sonné d’après
lui le début de la fin de son règne. Ainsi, même si la
situation venait à empirer en Iran, Khamenei reste-
rait sur une ligne proche de celle empruntée par l’an-
cien président libyen Muammar Kadhafi, qui a refusé
d’accorder la moindre concession à ses détracteurs
jusqu’au jour où il a été renversé.
Le guide suprême peut-il toujours compter
sur le soutien des forces armées du pays ?
L’ayatollah Khamenei bénéficie du soutien de l’ar-
mée tant que celle-ci considère que le régime est en
« La République islamique est un bodybuilder. »
48 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
sécurité. La raison principale est que les forces iranien­
nes savent qu’elles n’ont aucun avenir à long terme
dans le pays. Depuis sa nomination au pouvoir, en
1989, Khamenei a tout fait pour personnaliser l’or-
ganisation des gardiens de la Révolution [l’armée idéo-
logique de la République islamique, NDLR], qui a
supplanté l’armée iranienne. Il a tenté de purger
cette entité de la moindre voix discordante et n’a
nommé que des généraux endoctrinés. La plupart
des membres des forces de sécurité en Iran sont op-
portunistes et intéressés. Ainsi, dans la hiérarchie
intermédiaire des pasdaran et de la police figurent
des membres qui pourraient changer de camp si la
République islamique s’écroulait.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui…
En effet. Ils ne perçoivent pas une menace sur le
­régime. Mais toute révolution prend du temps, c’est-
à-dire au moins un an. En 1979, l’armée iranienne
n’a fait sa déclaration de neutralité que le 11 février,
alors que la veille elle réprimait encore les manifes-
Saeid Golkar tants. Quatre semaines après la mort de Mahsa
Amini, la contestation prend de l’ampleur en Iran.
Expert. Si le phénomène se poursuit et que les forces de sé-
Assistant professeur curité se fatiguent, il pourrait y avoir peu à peu des
au département de défections en leur sein, surtout au niveau des éche-
sciences politiques
de l’université lons inférieurs.
du Tennessee N’est-il pas contradictoire de voir l’Iran,
à Chattanooga et décrit comme si puissant avec ses milices
chercheur principal au Moyen-Orient, être fragilisé de la sorte
au Chicago Council à l’intérieur ?
on Global Affairs, La République islamique est un bodybuilder. Elle ar-
Saeid Golkar a
publié en 2015 bore un très beau corps musclé mais, si elle ne prend
« Une société pas ses stéroïdes pendant une semaine, elle s’effondre.
captive : la milice Si ce régime est craint à l’étranger, il n’a pas de sou-
basij et le contrôle tien social de l’intérieur. Il ne règne que grâce aux
social dans l’Iran revenus du pétrole qui lui permettent de constituer
post-révolution-
naire » (ouvrage
d’importantes forces armées – près de 1 million
non traduit d’agents – au sein des gardiens de la Révolution, de
en français). la milice Bassidj et de la police. Au niveau militaire,
la République islamique a massivement investi en
matière de technologie et a développé une industrie
de drones et de missiles perfectionnés. Mais elle n’a
rien dépensé dans les infrastructures civiles, sociales,
culturelles ou envi­ron­nementales. Si bien que le ré-
gime paraît instable de l’intérieur à chaque nouveau
rassemblement.
Les manifestants en Iran ne souffrent-ils pas
de l’absence d’un véritable leader ?
Il ne faut pas opposer le rôle de leader charismatique
revê­tu par l’ayatollah Khomeyni en 1979 et l’absence
ANA MIYARES PHOTOGRAPHY
d’une telle personnalité aujourd’hui parmi les mani-
festants en Iran. Des leaders ordinaires émergeront
de ce soulèvement populaire des Iraniens. Il suffit de
regarder toutes ces vidéos montrant de jeunes Ira-
niennes retirer leur voile avec fierté et grimper sur
le toit de voitures devant la foule en liesse pour s’en
convaincre § PROPOS RECUEILLIS PAR ARMIN AREFI
 EN COUVERTURE
Téhéran, février 1979…
Islamisme. Des millions d’Iraniens
accueillent l’ayatollah Khomeyni
de retour d’exil. Le début d’une série de
bouleversements géopolitiques. Récit.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
D
ans le berceau de l’islamisme,
une boucle serait-elle en train
de se refermer ? Celle qui s’ou-
vrit il y a quarante-trois ans avec
le retour à Téhéran de l’ayatollah
Khomeyni, à bord d’un avion d’Air
France ? Arriverait-on au bout d’un
cycle mondial marqué par l’idée
qu’un conservatisme religieux ra-
dical peut être une force révolu-
tionnaire et universelle ? Au
50 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
printemps 2019, les observateurs
avaient relevé un premier reflux
en Syrie et en Irak, avec la chute
du califat autoproclamé de Daech,
lointain rejeton des religieux arri-
vés au pouvoir en Iran en 1979.
Certes, l’État islamique n’a pas dit
son dernier mot, notamment en
Afghanistan, où l’organisation ai-
merait reconstituer à coups d’at-
tentats une base territoriale face
à des talibans divisés. Mais la
contestation obstinée de la notion
même de république islamique
par les petits-enfants des Iraniens
qui renversèrent le chah a des airs
de fin de partie, ce qui incite à rem-
bobiner la bande de l’Histoire. Té-
héran 1979 : il était une fois un
ayatollah qui provoqua une suc-
cession de ruptures et de séismes,
ce qu’Amin Maalouf, dans Le Nau-
frage des civilisations, a appelé le
« grand retournement », et dont la
chaîne n’a pu être reconstituée
qu’avec le temps.
Accueilli le 1er février 1979 par
MICHEL LIPCHITZ/AP/SIPA
près de 5 millions d’Iraniens,
Retour. Le 2 février Khomeyni vient recueillir les fruits
1979, la foule accueille de ses prêches diffusés chaque ven-
l’ayatollah Khomeyni dredi depuis Neauphle-le-Château.
revenu la veille de Il vient aussi encaisser les divi-
quinze ans d’exil. dendes des erreurs des pays arabes
 plombés par la défaite de la guerre
des Six-Jours en 1967, l’échec de
Nasser, le deuil du nationalisme
arabe. L’islamisme version chiite
sera l’ultime messianisme du
siècle. Après un bras de fer de
huit jours avec Chapour Bakhtiar,
le dernier Premier ministre d’un
chah enfermé dans la répression,
Khomeyni forme un gouverne-
ment dit « révolutionnaire ». Il sait
qu’il a les mains libres, car Moham-
mad Reza Pahlavi, qui vient de fuir
l’Iran, a été lâché par les États-Unis
et par la France, où son adjoint
Bani Sadr a promis à l’Élysée de
promouvoir le progressisme et les
libertés. Le pétrole, encore et tou-
jours, a aussi confirmé la règle d’or
de l’Occident : ne jamais se brouil-
ler avec un pays qui fixe les prix
du brut. Au moment où Khomeyni
foule le tarmac, un autre leader,
Deng Xiaoping, en visite officielle
aux États-Unis, pose le pied sur la
piste d’un aéroport pour sonner
définitivement le réveil d’un autre
empire. Ces deux actions similaires
scellent le début de deux longs cau-
chemars pour l’Occident.
Habileté. Lorsque le chef isla-
miste arrive en Iran, il doit comp-
ter avec une coalition d’opposants
au chah, libéraux laïcs, commu-
nistes du Tudeh, religieux modé-
rés, islamo-marxistes des
moudjahidines du peuple. Pour
mieux tromper son monde, il a
l’habileté de nommer à la tête du
gouvernement… le patron des li-
béraux, Mehdi Bazargan, qui va
devoir assumer le sale boulot des
purges tout en cherchant à faire
adopter une Constitution libérale,
avant de jeter l’éponge en no-
vembre 1979. Tous les membres
de la coalition, assez naïfs pour
croire aux promesses, découvri-
ront à leurs dépens que les reli-
gieux ne partagent avec personne
le gâteau du pouvoir. À l’automne
1979, l’élan révolutionnaire chiite
a déjà essaimé depuis longtemps,
provoquant une série de réactions
qui va secouer durablement la pla-
GABRIEL DUVAL/AFP
nète. Le 15 mars, encouragés par
l’exemple iranien, ce sont les voi-
sins afghans qui lancent, face à la
laïcisation à outrance du pouvoir
communiste, le premier appel au
djihad, à Herat, sous la direction
du capitaine Ismaïl Khan. Lorsque
l’armée afghane réplique, la rébel-
lion fait tache d’huile. C’est le dé-
but d’une dérive qui obligera
l’URSS à intervenir à la fin de l’an-
née, tombant dans le guêpier
afghan qui sonnera son glas. Sans
cette « chute du mur », pas de Vla-
dimir Poutine, qui agite, mutatis
mutandis, les mêmes relents de
rhétorique antioccidentale que les
islamistes.
Les dominos ne vont pas s’arrê-
ter en si bon chemin. L’enthou-
siasme révolutionnaire des
étudiants islamistes les incite, le
4 novembre, à prendre d’assaut
l’ambassade américaine à Téhéran
pour protester contre l’aide médi-
cale apportée par les États-Unis au
chah déchu. Le lendemain, Bazar-
gan démissionne, laissant le champ
libre aux religieux. Galvanisé par
l’exemple des étudiants, un capi-
taine de la garde nationale saou-
dienne, flanqué de troupes en
armes, s’empare mi-novembre de
la Grande mosquée de La Mecque
et déclare la guerre à une famille
royale corrompue par le luxe, les
L’islamisme version chiite
sera l’ultime messianisme
du siècle.
Soulèvement. Lors pétrodollars et l’Occident. Par un
d’une manifestation étrange court-circuit religieux,
antichah à Téhéran, le l’orthodoxie wahhabite sunnite,
10 décembre 1978, des inspirée par les Frères musulmans
manifestants bran- mais aussi, donc, par les radicaux
dissent une affiche de chiites, fait son entrée sur la scène
l’ayatollah Khomeyni, du monde. Après l’élimination des
alors en exil. assaillants – grâce au GIGN des
Français, décidément dans tous
les bons coups –, la famille ré-
gnante, qui a compris le message,
opère une volte-face pour épouser
le même wahhabisme, prôné éga-
lement par un certain Oussama
ben Laden, qui ira porter des sub-
sides dans l’Afghanistan envahie
par l’URSS. Quant aux États-Unis,
où la doctrine Carter vise à proté-
ger tout pays allié du Moyen-
Orient, ils basculent dans un
bourbier durable.
C’est donc bien en 1979, à Téhé-
ran, que le monde est sorti de ses
gonds. Le régime islamiste a, par-
fois involontairement, allumé sur
plusieurs fronts de multiples feux
qui ont, au bout du compte, dé-
clenché une guerre idéologique se
voulant mortelle contre l’Occi-
dent. Cette traînée d’incendies au-
rait fait rougir de jalousie les
trotskistes et leur rêve de révolu-
tion mondiale. Alors que l’Occi-
dent, attaqué de toutes parts, est
déclaré aujourd’hui en état de
grande faiblesse, l’ironie serait
grande de voir tomber le régime
qui avait enfoncé le premier clou
dans son cercueil §
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 51
 EN COUVERTURE

Masih Alinejad, ennemie

numéro un des mollahs
Figure de proue. La journaliste iranienne, exilée aux États-Unis
depuis 2009, a inspiré le mouvement contre le voile obligatoire
qui fait trembler la République islamique.

52 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619


PAR ARMIN AREFI
L
a scène a glacé le sang de la mi-
litante iranienne pourtant exi-
lée à des milliers de kilomètres
de la République islamique. La
­vision d’un individu armé derrière
le judas de son domicile new-
yorkais, fin juillet dernier à
­Brooklyn, est venue rappeler à la
journaliste Masih Alinejad que les
autorités iraniennes ne reculaient
devant rien pour faire taire leurs
opposants à l’étranger. « La vérité
est que j’ai eu très peur, pour moi-même,
mon mari et mes enfants, explique-
t-elle au Point. J’ai senti que la balle
de la mort se rapprochait dangereu-
sement de moi. » Masih Alinejad ne
doit son salut qu’à l’intervention
du FBI, qui a fini par arrêter le sus-
pect. Nommé Khalid Mehdiyev, ce
ressortissant azerbaïdjanais de
23 ans rôdait depuis plusieurs jours
devant chez elle dans un véhicule
où la police a retrouvé un fusil AK-
47, accompagné d’une soixantaine
de munitions.
Déjà en 2020, la militante ira-
nienne de 46 ans avait été la cible
d’une tentative d’enlèvement,
­déjouée par la police fédérale amé-
ricaine, qui avait inculpé quatre
agents du renseignement iranien.
Le plan rocambolesque prévoyait
de capturer l’opposante et de la
transférer en bateau des États-Unis
au Venezuela, pays allié de la Ré-
publique islamique, avant de l’ex-
filtrer en Iran en avion. « Je me suis
dit que ce n’était pas à moi d’avoir peur
de la République islamique, mais que
c’était elle qui me craignait, pointe-t-
elle. Cela m’a donné de la force pour
dire aujourd’hui aux dirigeants ira-
niens, les yeux dans les yeux, qu’ils
aillent se faire voir car je n’ai pas peur
d’eux. » Lundi 3 octobre, c’est à Ma-
MARY ALTAFFER/AP/SIPA
sih Alinejad que le guide suprême
iranien, l’ayatollah Khamenei,
­faisait allusion lorsqu’il a fustigé
le rôle de « certains Iraniens traîtres
à l’étranger » à l’œuvre aux côtés de
l’Amérique et d’Israël pour fomen-
ter des troubles en Iran.
Il faut dire que cette femme frêle
aux longs cheveux bouclés n’est
pas étrangère à la révolte qui se-
coue la République islamique. De-
puis la mort tragique de Mahsa
Amini, le 16 septembre dernier, à
Téhéran pour un voile mal porté,
un nombre croissant d’Iraniennes
osent défier le régime islamique
en se dévoilant en pleine rue. Or
cela fait plus de huit ans que Ma-
sih Alinejad œuvre depuis les États-
Unis à la remise en question du
hidjab, dont le port est obligatoire
en Iran depuis la révolution de
1979. « Longtemps, beaucoup d’Ira-
niennes dans le pays ont estimé que
la question du voile obligatoire n’était
pas une priorité par rapport à la lutte
pour l’obtention de la liberté politique
et contre la corruption », raconte-t-
elle. « Puis nous nous sommes rendu
compte que le fait de ne pas pouvoir
choisir ce que nous portions sur notre
tête et d’être au contraire forcées de
mettre un voile était la première des
libertés qui nous étaient confisquées. »
« Mercredis blancs ». Avec
son ton mordant, ses attaques fron-
tales contre les mollahs, couplés
à une parfaite maîtrise des réseaux
sociaux, Masih Alinejad séduit en
Iran. C’est à travers ses comptes
Instagram, Facebook et Twitter
que la militante lance en 2014 la
campagne « Moments furtifs de
­liberté des femmes iraniennes »,
dans laquelle elle appelle les
femmes à se filmer en train de re-
tirer leur voile. Deux ans plus tard,
elle crée les « mercredis blancs »,
« Grâce à leur portable,
ces Iraniennes sont devenues
les championnes de leur
propre vie. » M
 asih Alinejad
demandant cette fois aux Ira-
niennes d’ôter leur hidjab en pu-
blic. Peu à peu, les images de
femmes, cheveux au vent, atta-
chant leur foulard au bout d’une
tige en bois fleurissent sur la Toile.
« Je cherchais à l’époque une façon
d’être active et de protester contre la
condition des femmes en Iran, mais je
n’avais pas encore trouvé ma voie, in-
dique au Point Shaparak Shajari-
zadeh, ancienne ingénieure de
Téhéran, qui a décidé de retirer son
voile à partir de janvier 2018 en ap-
prenant l’existence de la campagne.
Je me suis dit que cette action révolu-
tionnaire et pacifique était faite pour
moi. J’ai commencé à envoyer les vi-
déos à Masih Alinejad, qui a diffusé
mes images ainsi que celles d’autres
femmes. J’avais alors le sentiment
Héroïnes. New York, qu’elle était devenue notre voix. » Ins-
23 septembre. tantanément posté sur les réseaux
L’activiste Masih Aline- sociaux, chaque cliché de femme
jad brandit sur son dévoilée décuple l’effet du geste
smartphone la photo « frondeur », hissant la campagne
de ­Ghazaleh Chelavi, contre le foulard au rang de phé-
33 ans, tuée d’une balle nomène de société en Iran, même
dans le front le 21 sep- s’il reste toutefois minoritaire à
tembre à Amol, dans travers le pays. « Peu à peu, les femmes
le nord de l’Iran. se sont trouvées dans cette campagne
grâce aux réseaux sociaux et, en-
semble, nous sommes devenues plus
fortes », raconte Masih Alinejad.
Sa soudaine notoriété a égale-
ment suscité de nombreuses cri-
tiques en Iran comme à l’étranger.
« On ne peut pas considérer Masih
Alinejad comme initiatrice du mouve-
ment de fond qui existe contre le port
du voile obligatoire en Iran, estime
Azadeh Kian, directrice du dépar-
tement de sciences sociales et du
Cedref à l’université de Paris. La ré-
volte antivoile a commencé dès mars
1979, au lendemain de la révolution
et de l’imposition du port du foulard,
et s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui »,
affirme la sociologue, qui dénonce
une tentative d’instrumentalisa-
tion de la part de la journaliste pour
sa propre gloire. Interrogée par
Le Point, cette dernière réfute …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 53
 EN COUVERTURE
… pourtant toute volonté de
r­ écupération politique. « Grâce à
leur téléphone portable, explique-t-
elle, ces Iraniennes sont devenues les
championnes de leur propre vie, comme
cela a été le cas pour moi. »
Rien ne prédisposait cette Ira-
nienne, reconnaissable à la fleur
qu’elle arbore dans sa chevelure
brune en toutes circonstances, à
devenir l’une des plus célèbres op-
posantes au régime des mollahs.
Née en 1976, dans un petit village
du nord de l’Iran appelé Qomi Kola,
Masih Alinejad est issue d’une
­famille très traditionnelle. « Mon
père était si religieux qu’il me faisait
porter le voile islamique à l’intérieur
de la maison, rappelle-t-elle avec
émotion. Étant obligée de revêtir le
tchador [voile intégral] à l’école, mon
seul espace de liberté se trouvait sur
le chemin me conduisant de mon do-
micile à la classe, où je retirais discrè-
tement mon hidjab. » Jusqu’au jour
où son père la prend en flagrant
délit, et lui crache dessus de colère.
« Je ne lui en veux pas, soupire-t-elle
aujourd’hui. Je sais qu’il m’aime et
qu’il a été victime d’un lavage de
­cerveau de la part d’un système qui
l’a dressé contre sa propre fille. »
Transgressions. Face aux lois
discriminatoires de la République
islamique envers les femmes (la
vie d’une Iranienne vaut moitié
moins que celle d’un homme en
matière d’héritage, de témoignage
devant la justice ou de prix à payer
en cas d’homicide), Masih Aline-
jad peut compter sur une curiosité
54 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Dialogue de sourds ? réformer de l’intérieur et de nous ap-
Téhéran, 13 juillet 2005. porter enfin nos droits en tant que
Échange entre Masih femmes. » Beaucoup de ses jeunes
Alinejad, correspon- compatriotes sont alors du même
dante au Parlement avis. Ils vont vite déchanter.
iranien, et le président Devenue en 2005 correspon-
« réformateur » dante au Parlement iranien, Ma-
­Mohammad Khatami. sih Alinejad révèle cette année-là
un scandale sur la rémunération
excessive des ministres du gouver-
nement. Trois ans plus tard, elle
publie une tribune extrêmement
critique à l’égard de Mahmoud Ah-
madinejad, intitulée « Le chant des
dauphins », dans laquelle le pré-
sident ultraconservateur est com-
paré à un entraîneur qui nourrit
des cétacés, autrement dit le petit
sans limite et un goût prononcé peuple d’Iran, à l’aide de l’argent
pour la transgression. Dès l’adoles- de la rente pétrolière. Elle ira en-
cence, la jeune femme est exclue core plus loin en pointant devant
de son lycée pour avoir osé mettre plusieurs responsables iraniens
en cause l’existence de Dieu. Elle l’hypocrisie des dirigeants de la
est un court instant envoyée en République islamique qui dé-
prison pour avoir écrit sur un mur noncent les atteintes dont seraient
que la religion était répressive en victimes les femmes voilées en Oc-
Iran. Elle est la première femme cident et restent silencieux sur
de son village à être tombée en- l’imposition du hidjab en Iran.
ceinte avant d’avoir célébré son
mariage, puis à avoir divorcé, à Incitation à l’exil. Loin de lui
l’âge de 19 ans. Ces multiples en- répondre sur le fond, ses interlo-
torses aux mœurs en vigueur à cuteurs (parmi lesquels l’ancien
Qomi Kola lui valent peu à peu de président réformateur Khatami,
devenir persona non grata dans l’ex-président modéré Rafsandjani
son propre village. « Ma mère m’a ou l’ancien chef du Parlement Me-
alors appris que je n’avais que deux hdi Karoubi…) préfèrent alors l’at-
options : me résoudre à devenir une taquer sur son voile selon eux mal
femme au foyer, comme elle, ou lutter, porté. « En réalité, ils ne me considé-
se souvient-elle. J’ai choisi la seconde. raient que par ma sexualité, regrette-
Au lieu de rester une victime, je suis t-elle aujourd’hui. Dès lors, j’ai
devenue une combattante. » compris que ce pouvoir ne me verrait
C’est à Téhéran, où elle s’installe jamais pour ce que je suis, mais pour
en 2001, que la jeune femme pour- ce que je porte. » Convoquée par le
suit sa lutte en devenant journa- procureur général de Téhéran, ex-
liste afin, dit-elle, de donner une clue de toutes les publications avec
voix à tous ceux qui, comme elle, lesquelles elle collaborait, la jour-
n’en ont pas. Profitant de la vague naliste se voit proposer un éton-
réformatrice qui touche alors l’Iran, nant marché à la veille de l’élection
Masih Alinejad collabore avec plu- présidentielle de 2009 : quitter li-
sieurs journaux modérés qui brement le pays ou ne pas retrou-
viennent d’être créés. « À l’époque, ver de travail à l’intérieur de l’Iran.
évoque-t-elle, je croyais sincèrement « J’ai accepté cet accord car je ne vou-
à la possibilité pour le système de se lais pas vivre dans l’autocensure, se
HASSAN SARBAKHSHIAN/AP/SIPA
justifie-t-elle aujourd’hui. La Ré-
publique islamique a pour habitude
« Masih Alinejad est une per- de laisser la porte ouverte au départ
de ses trouble-fête, pensant qu’ils ne
sonnalité très clivante dans le représentent plus aucun risque à
l’étranger, mais elle a eu tort me
pays. » U
 ne journaliste en Iran concernant. » …
 EN COUVERTURE
… C’est depuis les États-Unis,
où elle collabore avec plusieurs
médias iraniens libres établis à
l’étranger, que Masih Alinejad suit
les manifestations du Mouvement
vert qui contestent la réélection à
la présidence de Mahmoud Ahma-
dinejad, en juin 2009. De la même
manière, c’est à Washington qu’elle
couvrira les révoltes de décembre
2017 et de novembre 2019. À
chaque fois, les autorités répondent
aux revendications populaires par
une répression féroce, faisant des
centaines de morts. Refusant de se
laisser abattre, la journaliste se fait
alors le porte-voix des victimes et
de leurs familles. « Les personnes
qui luttent en Iran sont mes véritables
champions, insiste-t-elle. La colère
de toutes ces familles qui perdent leurs
proches anime mon combat au quoti-
dien. » Une rage intérieure qui ex-
plique le ton survolté qu’elle
emploie à chacune de ses interven-
tions publiques, qui agace au plus
haut point les responsables
­iraniens.
Sous pression. L’activisme de
Masih Alinejad prend une autre
dimension sous l’administration
Trump, qui a placé l’Iran au rang
d’ennemi numéro un. Après s’être
retiré unilatéralement en mai 2018
de l’accord sur le nucléaire iranien,
que respectait pourtant Téhéran,
le président républicain prononce
contre la République islamique
plus de 1 500 sanctions en vertu
d’une politique de « pression maxi-
male » visant à contraindre le ré-
gime à la capitulation. À cette
époque, la journaliste, qui colla-
bore à la chaîne VOA (Voix de l’Amé-
rique), n’hésite pas à s’afficher
publiquement aux côtés du secré-
taire d’État Mike Pompeo, ardent
partisan d’une confrontation ar-
mée avec l’Iran. « Cette entrevue a
beaucoup nui à son image, surtout
quand on sait que Masih Alinejad s’est
prononcée en faveur des sanctions qui
ont appauvri la société iranienne »,
pointe la sociologue Azadeh Kian.
« J’ai rencontré Mike Pompeo
comme d’autres secrétaires d’État
­démocrates avant et après lui et je l’ai
même critiqué pour ne pas avoir in-
clus la question du respect des droits
56 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
de l’homme dans son ultimatum à
l’Iran », répond la militante. « Je
suis contre les sanctions. Cependant,
ce n’est pas Trump mais la République
islamique qui est responsable de leur
imposition. Maintenant, admet-elle,
il est vrai que la moindre des choses
qu’a réalisées Donald Trump est
d’avoir parlé à la République isla-
mique comme à une dictature, en uti-
lisant le même langage qu’elle. »
Depuis l’arrivée à la Mai-
son-Blanche de Joe Biden, partisan
d’un dialogue avec l’Iran, la per-
sistance de Masih Alinejad à reje-
ter la moindre négociation entre
pays occidentaux et régime ira-
nien sur la question du nucléaire
dérange. « Masih Alinejad a parfois
paru ne pas voir de différence entre
les intérêts du régime et ceux de l’Iran
en tant que nation, ce qui en fait une
personnalité très clivante dans le pays,
confie une journaliste à Téhéran,
qui a requis l’anonymat pour des
raisons de sécurité. Mais il faut re-
connaître qu’elle a beaucoup œuvré
pour faire entendre la voix des
­Iraniennes et des Iraniens en Occi-
dent, notamment de l’autre côté de
l’Atlantique. »
Sans conteste, l’influence de Ma-
sih Alinejad se mesure à l’étendue
des efforts entrepris par la Répu-
blique islamique pour la faire taire
à tout prix, en commençant par la
pression exercée sur sa famille res-
tée en Iran. La télévision d’État n’a
ainsi pas hésité à annoncer que la
journaliste avait été violée par trois
hommes dans le métro de Londres,
plongeant sa mère dans l’effroi. Sa
sœur a été contrainte de la désa-
vouer publiquement en direct. Son
frère a été emprisonné deux ans et
demi pour avoir refusé de l’attirer
dans un piège tendu par la Répu-
blique islamique en Turquie. « Plu-
sieurs fois, j’ai été tellement sous
pression que j’ai pensé au suicide, de-
vant la section des intérêts iraniens à
l’ambassade du Pakistan à Washing-
ton, avoue la jeune femme en fon-
dant en larmes. Mais j’y ai toujours
renoncé en me disant que ces misé-
rables ne parviendraient pas à
m’abattre. Ils ont beau avoir des armes,
ce sont eux qui ont peur de moi. »
Sanctions. Ne parvenant pas à
Porte-voix. New York, ses fins, le régime des mollahs a
12 avril 2019. Masih alors tout fait pour couper les liens
Alinejad intervient au entre l’Iran et Masih Alinejad, sanc-
10e sommet de la plate- tionnant de dix ans de prison toute
forme Women in personne envoyant la moindre
the World, organisé ­vidéo à la militante, en vain. Si
au ­Lincoln Center. ­plusieurs femmes rebelles ont été
condamnées à de lourdes peines de
prison ou contraintes à l’exil, à l’ins-
tar de Shaparak Shajarizadeh, le
nombre d’images envoyées à l’op-
posante numéro un du régime n’a
jamais été aussi important que cette
année. « Je reçois des milliers de mes-
sages et de vidéos chaque jour de femmes
qui, encouragées par leur action réci-
proque, acceptent de prendre des risques
pour leur liberté et me demandent sim-
plement de médiatiser leur cause, af-
firme la militante. C’est leur propre
décision, et je n’ai fait que leur offrir
une plateforme pour s’exprimer. »
Les vidéos publiées ces jours-ci
par Masih Alinejad témoignent de
voiles foulés aux pieds et brûlés
par des Iraniennes en pleine rue,
GETTY IMAGES VIA AFP
dans l’université et jusque dans les
lycées, malgré la chape de plomb
des autorités. À n’en pas douter, un
tabou est tombé en Iran, et Masih
Alinejad ne peut que s’en féliciter §
MONDE
Kevin Rudd
« Xi Jinping prend ses distances
avec Poutine »
Où va la Chine ? L’analyse de l’ex-chef du gouvernement australien,
l’un des meilleurs connaisseurs de Pékin et du président chinois.
PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY ANDRÉ
ET JULIEN PEYRON
P
endant que le monde a les yeux rivés
sur l’Ukraine, le président chinois
continue de renforcer son pouvoir.
Le 20e congrès du Parti communiste
chinois (PCC) s’ouvre le 16 octobre à Pé-
kin, et il doit être celui de son triomphe
personnel. Est-il désormais l’homme le
plus puissant au monde ? A-t-il pour ­projet
une invasion prochaine de Taïwan ? Ses
relations avec Vladimir Poutine se sont-
elles détériorées en raison de la guerre en
Ukraine ? Les réponses de l’un des meil-
leurs spécialistes de la Chine, Kevin Rudd, Kevin Rudd.
ex-Premier ministre australien et direc- Ex-Premier ministre australien, di-
teur du think tank Asia Society, dont l’an- recteur du think tank Asia Society.
tenne parisienne ouvre cette semaine. Auteur de « The Avoidable War »
(« La Guerre évitable »).
Le Point : Dans un monde de plus en
plus chaotique, rien ne semble perturber
l’irrésistible ascension de Xi Jinping.
Quel est son secret ?
Kevin Rudd : Xi Jinping siège au cœur des rudes jeux
de pouvoir chinois depuis très longtemps. En tant
qu’apparatchik, mais aussi en tant que fils d’un
membre du Politburo [Xi Zhongxun] qui, de l’inté-
rieur, a vu le meilleur et le pire de la politique du
PCC. Durant son premier mandat de cinq ans, il a
éliminé tous ses opposants politiques, initiant un
« règne de terreur » [en français] au sein du Parti à
­travers une longue campagne anti-corruption.
Mais surtout, il a gardé en tête une feuille de route
idéologique claire pour l’avenir de la Chine : gauche
léniniste dans le Parti, gauche marxiste dans
­l’économie et droite nationaliste dans une poli-
tique étrangère plus offensive. C’est un Machiavel
chinois qui comprend les rouages d ​​ e la politique du
PCC et sait où il veut mener le pays.
Quel est son projet pour les cinq prochaines
années ?
58 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Au congrès du PCC, nous en verrons le
contour idéologique et les changements
de personnel qui combleront onze
postes vacants parmi les vingt-cinq
membres du Politburo et probablement
trois postes vacants dans son comité
­permanent de sept membres. Il est tou-
jours difficile de faire des prédictions,
mais rien n’indique que Xi Jinping serait
susceptible de s’éloigner de ses positions
idéologiques préexistantes, un parti plus
léniniste, une économie plus marxiste et
une politique de sécurité étrangère plus
nationaliste. Pourtant, la croissance
­économique ralentit et il s’est aliéné le
secteur privé chinois avec sa politique
du zéro Covid. S’il était pragmatique, il
mènerait une politique économique
moins idéologique, mais je ne vois pas
encore de preuve qu’il le fera. S’il ne le
fait pas, le ralentissement de la croissance
économique chinoise s’installera dans le long terme.
Cela m’intéresserait particulièrement de lire le
rapport de travail du congrès, le document clé qui
sera émis durant la réunion, et en particulier l’ana-
lyse idéologique de l’environnement extérieur de la
Chine. Il y a vingt ans, lors du 16e congrès en 2002,
le PCC a conclu que la Chine se trouvait dans une
« période d’opportunité stratégique sans précédent ». Cela
signifiait qu’il ne prévoyait aucune guerre majeure.
J’anticipe des changements dans les éléments de
­langage du rapport de travail sur ce point. La Chine
pourrait adopter une position qui place la sécurité
nationale sur un pied d’égalité avec l’économie.
Xi Jinping est-il aujourd’hui le leader
le plus puissant du monde ?
GLENN HUNT/EPA/MAXPPP
Il est certainement plus puissant qu’il ne l’était à ses
débuts. Il est maintenant désigné comme « leader
suprême », terme jusque-là réservé à Deng Xiaoping
et à Mao. Pour les communistes chinois, qui ne cessent
de découper l’Histoire suivant le matérialisme his-
torique de Marx, cela se traduit par trois périodes :
 Mao a fait se dresser la Chine, Deng Xiaoping l’a ren-
due prospère, et Xi Jinping la rend puissante. La puis-
sance est donc précisément la manière dont le Parti
comprend son règne. Mais est-ce le leader le plus
puissant du monde aujourd’hui ? Non, il est toujours
le deuxième, après le président des États-Unis. Je ne
dis pas cela parce que je suis australien et allié des
États-Unis. C’est un fait objectif. L’économie améri-
caine est encore un tiers plus grande que l’économie
chinoise et l’armée américaine est encore, globale-
ment, plus puissante que l’armée chinoise même si,
dans la région indopacifique, les deux forces sont
peut-être comparables maintenant. Et, en termes de
technologie, les États-Unis ont toujours une
grande avance. Bien sûr, Joe Biden est contraint par
la Constitution alors que Xi Jinping d ­ irige un gou-
vernement centralisé sous son contrôle unique.
Mais, même en tenant compte de cela, le ­président
Biden est toujours capable d’exercer plus de pouvoir
global en tant que leader.
Des rumeurs infondées, mais très relayées, se sont
répandues à propos d’un coup d’État à Pékin.
Qu’en pensez-vous ? Xi Jinping est-il intouchable ?
N’a-t-il pas de puissants ennemis en Chine ?
Mark Twain a dit, après un article annonçant son
décès : « Les rumeurs de ma mort sont grandement exa-
gérées ! » [Rires] La Chine est pleine de rumeurs, tout
n’est pas censuré par le Parti. Celles-la provenaient
du Falun Gong, le mouvement dissident chinois en
exil. Elles n’avaient aucun fondement et reflétaient
juste un vœu pieux de personnes qui détestent Xi
Jinping. Le système est opaque et nous ne pouvons
pas savoir quand son chef est effectivement en
­danger. Il y a bien une opposition interne à Xi Jinping
en raison de sa mauvaise gestion de l’économie et de
son rapprochement excessif avec Vladimir Poutine.
Mais il est impossible, à ce stade, d’identifier une
seule personne ou un seul groupe d’opposition qui
pourrait constituer une force politique organisée
­efficace contre lui.
Après l’Ukraine, Xi Jinping est-il moins enclin à
envahir Taïwan, comme beaucoup le prétendent ?
Tactiquement, oui. La Chine fait maintenant face à
un environnement international plus défavorable
qu’auparavant. Son partenaire, « Vladimir l’Empa-
leur », a lamentablement échoué sur le champ de
­bataille et, en conséquence, le condominium straté-
gique formé par la Chine et la Russie est plus faible
qu’auparavant. Le refus de la Chine de condamner
LI XUEREN/XINHUA VIA AFP
l’in­vasion russe de l’Ukraine lui a aliéné l’Europe.
Impossible pour Bruxelles, désormais, d’ignorer ce
qu’est vraiment la Chine de Xi Jinping si elle s’aligne
sans remords sur l’invasion d’un autre État, en
­violation de l’article 2 de la charte des N
­ ations unies.
Enfin, les Chinois examineront attentivement
« Xi Jinping travaille à consolider sa puissance militaire afin d’être
en mesure de prendre Taïwan par la force au début des années 2030. »
Tout-puissant. l­’impact et la mise en œuvre des sanctions finan-
Le « leader suprême » cières et économiques occidentales contre la Russie,
au Grand Palais du pour savoir ce qu’ils risqueraient en des circons-
peuple, à Pékin, tances parallèles, en cas d’invasion de Taïwan.
le 30 septembre. Pour ces raisons, dans l’immédiat, la Chine cher-
Le 16 octobre, chera tactiquement à stabiliser ses relations avec les
le 20e congrès du Parti États-Unis et l’Europe. Cependant, stratégiquement,
­communiste chinois la résolution de Xi Jinping de s’emparer de Taïwan
doit reconduire Xi durant son règne reste plus forte que jamais. Depuis
Jinping à sa tête pour longtemps, je suis convaincu qu’il n’a pas l’intention
un troisième mandat. de prendre Taïwan par la force durant les années 2020.
Mais il travaille à consolider la puissance militaire
et la résilience technologique et économique de la
Chine afin d’être en mesure de le faire au début des
années 2030, si aucun autre moyen de ramener
Taïwan à la souveraineté chinoise n’est trouvé avant
cela. Nous verrons donc une période temporaire de
stabilisation mais, ne nous faisons pas d’illusion, la
Chine ne renoncera pas.
Certains parlent pourtant de 2024. Cette date
ne vous semble-t-elle donc pas crédible ?
Non, et ce ne sont pas seulement mes tripes qui me
le disent. La Chine craint de perdre la guerre si elle
éclatait maintenant, et les États-Unis craignent que
ce soit le cas pour eux aussi ! Les deux parties jouent
donc la montre. Les Chinois espèrent rattraper leur
retard, et ils misent sur une crise du système améri-
cain avec de nouvelles administrations républicaines,
sous Trump ou un autre, à partir de 2024. Les États-
Unis se donnent la décennie pour reconstruire les
moyens de dissuasion taïwanais et alliés contre la
Chine dans l’espoir que, d’ici à 2030, les conseillers
militaires et politiques du pouvoir chinois disent :
« Camarade Xi Jinping, c’est encore trop risqué. »
Xi Jinping ne pourrait-il se lancer sans certitude
de vaincre, tel Poutine en Ukraine ?
Non. Voilà ce que Xi Jinping et la direction du …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 59
MONDE
… Parti ont dû se dire : « Mais quelle bande de
nuls ! Pourquoi s’embarquer dans une guerre sans
être totalement convaincu d’avoir la capacité d’ob-
tenir la victoire immédiatement ! » Les premières
lignes du classique militaire chinois L’Art de la guerre,
de Sun Tzu, disent : « La guerre est une affaire grave
pour l’État, à ne pas prendre à la légère. Celui qui perd la
guerre perd le pouvoir. » Tous les chefs d’État chinois
ont cela dans un coin de leur cerveau. Ils préfèrent
toujours atteindre leurs objectifs politiques sans t­ irer
un coup de feu. Cela veut dire s’assurer une prépon-
dérance écrasante de la force militaire, de l’écono-
mie et de la diplomatie qui amène finalement Taïwan
à simplement céder et les Américains, à rentrer
­tranquillement chez eux. Je ne pense pas que cela
fonctionnera, mais c’est leur stratégie. La tradition
militaire chinoise est prudente. Les Chinois ne vou-
dront pas prendre des risques inutiles. Cela n’élimine
pas la possibilité d’une guerre par accident, autour
de Taïwan ou en mer de Chine méridionale ou orien-
tale durant cette décennie, mais c’est peu probable.
Avec les fuites sur les gazoducs Nord Stream
et l’explosion ayant endommagé le pont
de Crimée, Vladimir Poutine paraît plus isolé
que jamais. Combien de temps la Chine peut-
elle continuer de le soutenir diplomatiquement ?
Plusieurs indices m’amènent à penser que Xi Jinping
prend ses distances avec Vladimir Poutine. Premiè-
rement, lors de sa visite au Kazakhstan à la mi-sep-
tembre, le dirigeant chinois a déclaré que ce pays ne
devrait pas subir de pressions internationales. Une
manière de prendre la défense du président Kassym-­
Jomart Tokaïev, qui avait refusé de soutenir l’inva-
sion en Ukraine, ce qui avait rendu Poutine furieux
lors du forum de Saint-Pétersbourg en avril.
Deuxièmement, lors du sommet de l’Organisa-
tion de coopération de Shanghai (OCS), en Ouzbé-
kistan, Vladimir Poutine a reconnu publiquement
« Le pire scénario, pour Xi Jinping, serait que Poutine soit renversé
par un coup d’État ou qu’il se trouve contraint de démissionner. »
60 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
que la Chine avait des « inquiétudes » concernant la
situation en Ukraine. Poutine n’aurait jamais dit
cela tout seul. C’est Pékin qui souhaitait faire passer
ce message, et Poutine a préféré le dire lui-même
Troisièmement, la Chine n’apprécie guère les
­menaces d’utilisation de l’arme atomique. Si Vladi-
mir Poutine a recours à une attaque nucléaire tac-
tique, Pékin n’aura d’autre choix que de prendre
définitivement ses distances avec Moscou, car ce
­serait contraire à la position chinoise sur la non-­
prolifération. Cette prise de distance dure depuis
un mois environ. Elle va s’amplifier, car les rapports
que font remonter les ambassadeurs de Chine à
­Paris, Berlin et dans les capitales européennes sont
­mauvais  concernant l’image de leur pays.
Xi Jinping peut-il jouer un rôle de médiateur
en vue de raisonner Vladimir Poutine ?
Divergence. Les prési- Le pire scénario, pour Xi Jinping, serait que V
­ ladimir
dents chinois et russe au Poutine soit renversé par un coup d’État ou qu’il se
sommet des dirigeants trouve contraint de démissionner. Donc, Pékin a
de l’Organisation de tout intérêt à ce que Poutine prenne le chemin d’une
coopération de Shan- désescalade. Il serait bénéfique pour la Chine que
ghai, à Samarcande Moscou accepte de revenir aux frontières de janvier
(Ouzbékistan), le 15 sep- 2022, afin que la situation se stabilise. Mais la Chine
tembre. Lors d’une prise ne veut pas trop se mouiller, et elle tente d’avoir à la
de parole, Vladimir fois le beurre et l’argent du beurre. Elle voudrait
Poutine a reconnu ­garder de bonnes relations avec l’Europe occiden-
que Pékin avait tale tout en ne condamnant pas l’invasion russe
des « inquiétudes » en Ukraine.
concernant la situation L’Élysée a fait connaître son souhait de
en Ukraine. rencontrer Xi Jinping, soit au G20 à Bali, soit lors
du sommet de l’Apec à Bangkok, en novembre.
Que pourrait faire la France à cette occasion ?
Je ne me permettrais pas de donner des conseils à
Emmanuel Macron, qui est un leader de politique
étrangère très intelligent, mais voilà mon analyse
générale. La France est l’un des rares pays que Xi
Jinping prend stratégiquement au sérieux dans le
monde, d’autant qu’elle a une présence continue en
Indopacifique et donc une stratégie pertinente pour
l’avenir de la région. Ensuite, la brouille autour de
l’épouvantable gestion australienne de l’Aukus et
du contrat portant sur des sous-marins est en cours
de guérison à l’issue des premiers échanges de Fran-
çais avec le nouveau Premier ministre australien. La
France, les alliés de l’Otan, les États-Unis et les par-
tenaires stratégiques dans le Pacifique comme
­l’Australie ont désormais une position commune
ALEXANDR DEMYANCHUK/AFP
sur la stabilité de la région. Emmanuel Macron a une
opportunité, et il devrait profiter de son prochain
déplacement en Asie pour dire à la Chine qu’elle ne
peut plus rester dans l’ambiguïté et qu’il est temps
de faire pression sur Poutine. Pékin y sera réticent,
mais je pense que c’est dans cette direction que
­l’Europe devrait concentrer ses efforts §
“ UNE AGRICULTURE
PLUS DURABLE
DOIT S’APPUYER
SUR UNE INDUSTRIE
PLUS DURABLE ”
MONDE

Les dessous de la victoire

de Giorgia Meloni
Exclusif. Pourquoi Triomphe. La leader du parti
nationaliste et populiste Fratelli d’Italia
une telle vague ­remercie ses électeurs, le 26 septembre.
­populiste en Italie ?
La Fondapol livre au centre droit de Forza Italia de
Silvio Berlusconi, en perte de
au Point la synthèse ­v itesse auprès de l’opinion, à
de son analyse. ­l’extrême droite nationale-popu­
liste de la Lega, affaiblie par les
virevoltes de son chef Matteo
­S alvini, et aux opposants de
PAR ANNA BONALUME gauche et du centre, fragmentés

M
arqué par une abstention
­record, le scrutin italien du
25 septembre a révélé les
­fragilités du système politique de
la péninsule : crise des partis, loi
­électorale favorisant la création de
coalitions, culte de la ­personnalité
des leaders dans une société préca­
risée par l’inflation. À cela s’ajoute
un élément caractéristique de la
politique italienne : l’importance
de l’opinion publique et des son­
dages utilisés par les partis pour
faire tomber les gouvernements.
Dans ce contexte, les élections
anticipées ont refaçonné le pay­
sage politique. Quatre ans après
le succès du parti antisystème, l­ e
Mouvement 5 étoiles (32,68 %),
et de la Ligue de Matteo Salvini
(17,36 %), une nouvelle force
­politique s’est imposée à droite : le
parti populiste et nationaliste
­Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni
(26 %). Que ce parti récent ait été
perçu comme une force non com­
promise avec l’exercice du pou­
voir lui a permis de s’implanter
et désunis.
Une première. Géographique­
ment, Fratelli d’Italia a gagné dans
presque toute l’Italie, mais la
­percée est plus importante dans
le Nord, au détriment de la Lega
Le parti le plus plébiscité de Salvini. Dans le Sud, le parti de
à la fois par les ouvriers Meloni, historiquement proche
de cette partie de territoire, arrive
et les classes aisées. loin derrière le M5S, qui a su
­fidéliser ses électeurs autour du
revenu de citoyenneté, des aides
en regroupant autour d’un même économiques destinées à com­
leader bourgeoisie et classes po­ pléter les revenus familiaux des
pulaires, jusqu’alors proches du ménages modestes. Dans les mé­
Partito Democratico (PD). Malgré tropoles, si Milan est resté fidèle à
la transversalité sociale, l’exploit la gauche, Rome a placé en tête la
de Fratelli d’Italia n’a pas b­ ouleversé coalition de ­Fratelli d’Italia. La
les tendances démographiques : ­victoire de Giorgia M ­ eloni, qui
la génération Z (18-26 ans) a choisi ­devrait devenir la p­ remière femme
des forces plutôt démocrates présidente du Conseil, est portée
comme le PD (20,6 %) et le M5S davantage par les hommes (27,8 %)
(18,8 %), tandis que les milléniaux que par les femmes (24,2 %).
(26-41 ans) ont préféré le M5S L’Italie dispose d’institutions
(21,6 %) et Fratelli d’Italia (21,2 %). qui résistent aux grands change­
Une tendance qui reprend celle ments dans les domaines de la
­relevée aux législatives françaises ­politique étrangère. Il est donc peu
ANDREAS SOLARO/AFP – FONDAPOL

dans le paysage politique. Depuis
les législatives de 2018, il a gagné
presque 6 millions d’électeurs.
Fratelli d’Italia est le parti le
plus plébiscité à la fois par les ou­
vriers (34 %) et les classes aisées
(23,4 %). Il réalise ainsi un vieux
rêve de l’extrême droite française
62 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Radiographie. Dans
son étude « Italie 2022 :
populisme et droitisa-
tion », la Fondapol
­dissèque en chiffres* les
raisons de ce triomphe.
*
Données Ipsos Italie.
de 2022 : LFI était le premier parti
chez les plus jeunes (18-34 ans) et
le RN, chez les adultes (35-49 ans).
La stratégie de Meloni, qui a
­modéré son discours pendant la
campagne, s’est avérée payante.
Son parti a réussi à profiter de la
conjoncture politique défavorable
probable que le gouvernement
­dirigé par Fratelli d’Italia boule­
verse les plans et les alliances tra­
ditionnelles de l’Italie. Même le
gouvernement populiste du M5S
et de la Lega n’y est pas parvenu
en 2018, malgré des années de
­déclarations anti-européennes §
SOCIÉTÉ
Coups et blessures d
Hors-jeu. Insultes,
agressions, commu-
nautarisme… Dans
les cités comme dans
les villages, la violence
mine les terrains.
PAR ERWAN SEZNEC
S
cène vue un samedi matin sur la pe-
louse d’un terrain, quelque part dans
l’ouest de la France. Des U10-U11,
autrement dit des enfants de CM1 ou
de CM2, jouent au foot à huit, leurs mi-
ni-mollets jaillissant de leurs shorts XL.
Agrippé à la barrière, un quadragénaire,
présentant par ailleurs tous les signes
extérieurs de civilité, hurle à son fils :
« Tue-le ! Tue-le ! » Dans le maigre public,
composé de papas venus voir jouer leurs
fistons, personne ne bronche.
L’anecdote n’étonne même plus Pierre
Guibert, secrétaire général de la Ligue
du football amateur (LFA) : « Les parents
sont souvent terribles, ils pensent tous tenir
le prochain Mbappé ! Si leur fils est sanc-
tionné injustement à leurs yeux, si l’entraî-
neur ne le fait pas jouer comme ils veulent
et quand ils veulent, c’est le drame. »
Maxime, 24 ans, n’a jamais fait partie
de ces gamins poussés à outrance par
leurs parents. Ces derniers suivaient sa
carrière de jeune défenseur talentueux
avec bienveillance, sans plus. Il a été
très vite confronté à cette culture foot-
ballistique de la gagne à tout prix et de
la hargne envers l’adversaire lorsqu’il
a été admis en centre de formation bre-
ton. Le Graal, pour beaucoup de jeunes
joueurs. Une déception, pour lui. « On
nous apprenait à faire mal, sournoisement.
Un coup de poing discret dans les testicules
de l’adversaire au moment où il va sauter
pour tenter une tête sur corner, par exemple. »
Au bout de quelques mois, Maxime est
parti, sans regret.
64 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Pour les instances du football, le pro-
blème existe, sans exister, tout en exis-
tant. La Fédération française – qui n’a
pas trouvé le temps de répondre au Point
– dispose pourtant d’un « observatoire
des comportements ». Concrètement, il
s’agit d’un logiciel où les districts locaux
peuvent signaler les faits de violence.
Depuis une décennie, il est stable, avec
un taux d’incidents légèrement infé-
rieur à 2 % des matchs. Pas si mal. En ré- Avertissement. Affiche
alité, le thermomètre est cassé depuis de la FFF encourageant
longtemps, et personne n’est pressé de le public à respecter
le réparer. Comme le signalait l’Institut l’arbitrage et les arbitres
national des hautes études de la sécu- sous peine de sanctions.
rité et de la justice (devenu IHEMI en
2020), dans une note de 2019, « le peu d’in-
cidents rapportés par certaines ligues et dis-
tricts font douter la FFF de la qualité de leur
participation à l’effort de recensement ».
Tolérance. Tout repose sur le volon-
tariat et l’interprétation de ce qui est
considéré comme inadmissible. Or, dans
le foot, le seuil de tolérance semble très
élevé. « Il n’y a pas plus de violence dans le
football qu’ailleurs, c’est un sport populaire,
à l’image de la société », balaie un éduca-
teur du club Maccabi Paris. « Le foot n’est
pas le tennis ou l’équitation, il recrute dans
toutes les classes sociales », renchérit Pierre
Guibert. L’idée revient comme un gim-
mick : le foot serait violent car popu-
laire. Avec 1,9 million de licenciés, il l’est
indéniablement, dans les deux sens du
terme. Il recrute massivement, y com-
pris aux premiers barreaux de l’échelle
sociale. Mais le « populo » est-il forcé-
ment violent ? L’exemple du cyclisme
amène à en douter. Vainqueur du Tour
de France 2022, le Danois Jonas Vinge-
gaard découpait des poissons à l’usine
il y a quatre ans encore. Tout récent vain-
queur du Tour d’Espagne, Remco Eve-
STEPHANE DE SAKUTIN/AFP
nepoel, 22 ans, fils d’ouvrier, est l’ancien
capitaine de l’équipe de foot de Belgique
des moins de 17 ans. « Nous n’avons pas
d’études sur ce sujet, mais je pense que le
vélo recrute globalement dans les mêmes
couches de la société que le foot », …
ans le foot amateur

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 65

SOCIÉTÉ
Empoignades. Le match dégénère en bagarre et l’arbitre est pris pour cible, lors de la « CAN Epinetzo »,
tournoi de football amateur, le 25 mai 2019 à Évry (Essonne).
… confirme Michel Callot, président
de la Fédération française de cyclisme.
« Pourtant, côté violence, il n’y a pas de souci
chez nous. » Même entassés et ivres
(comme les Hollandais qui se donnent
rituellement rendez-vous au virage
no 7 de l’Alpe d’Huez à chaque Tour de
France), les amateurs de vélo restent pa-
cifiques. Les « footeux » le sont beau-
coup moins, qu’ils soient supporteurs
ou pratiquants de tout niveau. Au sein
de l’élite professionnelle, la violence est
canalisée par un arbitrage vigilant. Chez
les amateurs, elle s’exprime trop sou-
vent sans frein.
Dérapages. L’argument sociologique
cache en fait une forme ancienne de ré-
signation. Dans ses règlements, la FFF
a intégré la violence comme une don-
née de base, une évidence. Les normes
relatives aux stades stipulent que les fe-
nêtres des vestiaires « doivent être équi-
pées de carreaux incassables », même pour
des rencontres entre amateurs. L’endroit
où les arbitres se préparent « doit être ju-
dicieusement choisi afin, notamment, de li-
miter la longueur du trajet » jusqu’au
terrain. Il est officieusement conseillé
à ces derniers de se garer en marche ar-
rière, pour repartir au plus vite en cas
d’urgence !
Les arbitres, précisément, semblent
en avoir marre. « Il en manque 3 000 dans
66 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
le football français », soupire Jean-Claude
Lefranc, président de l’Union nationale
des arbitres de football (Unaf). En février
2022, un questionnaire a été envoyé à
35 000 arbitres et ex-arbitres pour tenter
de comprendre les raisons de leur retrait,
ou plutôt de leur non-retour sur les ter-
rains, après le Covid. Plus de 7 000 ont
répondu et le sujet qui fâche est remonté
immédiatement. « 54 % des sondés ont cité
l’insécurité comme cause première de démo-
tivation, loin devant les autres motifs, comme
le manque de temps », détaille Jean-Claude
Lefranc. Il ne s’agit pas seulement d’in-
sultes ou de bousculades. Les exemples
d’hommes en noir tabassés, poussés au
sol, menacés de mort, sont devenus lé-
gion. Fin mars 2022, l’arbitre d’un match
de deuxième division de district de Seine-
et-Marne, entre Melun et Bagneaux-Ne-
mours, a été obligé de se réfugier dans
les vestiaires, poursuivi par plusieurs
joueurs qui le frappaient à tour de rôle.
Grande démission
chez les arbitres.
Il en manque
3 000 dans le
football français.
Le président de l’Unaf n’est pas dupe
des statistiques de violence stables que
la FFF met en avant. « L’environnement
des terrains s’est dégradé, tout le monde le
sent. La violence est partout, dans les stades
de cité comme dans le Puy-de-Dôme. » Les
causes de cette montée de l’agressivité
sont certainement complexes, mais le
remède, selon lui, est très simple. « Il faut
sanctionner ! On ne le fait pas assez, on to-
lère trop de débordements. Écarter des indi-
vidualités ne suffit pas ; ce sont les équipes
entières qu’il faut interdire de terrain, en cas
de dérapage, pour qu’elles canalisent les
joueurs violents ou qu’elles s’en débarrassent.
On l’a expérimenté dans mon district, le
Rhône. Et ça marche bien. »
Violence institutionnalisée. Com-
ment régler un problème qu’on ne veut
pas voir ? La grande majorité des joueurs
et spectateurs du football amateur en-
tendent simplement passer un bon mo-
ment quand ils vont au stade. Ils
acceptent néanmoins que le rectangle
vert puisse servir de défouloir. Consta-
tant comme tous les observateurs le re-
gain de tension actuel sur les terrains,
Pierre Guibert, de la LFA, avance une
explication qui lui semble évidente :
« La suspension des matchs pros, durant le
confinement, a privé de leur exutoire les
footballeurs amateurs, qui ne pouvaient
plus insulter l’arbitre et les adversaires dans
les tribunes. Il y a eu une frustration, qui
s’est traduite ensuite par un regain de vio-
lence durant les rencontres. Forcément. »
Forcément…
À l’image de la LFA, les ligues
régionales déplorent, soupirent,
regrettent. Elles signent des « chartes
de courtoisie », des « conventions du
mieux-vivre ensemble », mais, au final,
sanctionnent peu. Fin mai 2022, le club
de l’AS Nontron-Saint-Pardoux
(Dordogne), scandalisé, a publié une
lettre ouverte. Quatre joueurs du
Périgueux Foot, jugés en commission
de discipline de district, avaient été
interdits de terrain pour plusieurs
années suite à des menaces contre
l’arbitre, pendant une rencontre jouée
le 10 avril. Le match avait nécessité
l’intervention d’une quinzaine de
gendarmes. Le Périgueux Foot n’en était
FRED MARVAUX/REA
pas à son coup d’essai. Son nom apparaît
dans d’autres affaires de violence ces
deux dernières saisons. Pourtant, « la
commission d’appel de la ligue d’Aquitaine
a réduit la sanction à une dizaine de …
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Nanterre. Crédit photo : Getty Images.
SOCIÉTÉ
… matchs ! » se désole Christian
Vergnaud, secrétaire de l’AS Montron.
« C’est n’importe quoi. Le Périgueux Foot a
une réputation épouvantable, des clubs du
département refusent de le rencontrer, des
arbitres se désistent quand il joue. Que faut-il
de plus à la ligue ? » Selon Christian
Vergnaud, l’indulgence dont bénéficie
le Périgueux Foot aurait une dimension
politique. « Regardez dans quel quartier
il est implanté… »
Décryptage par un bon connaisseur
de la géographie locale : « C’est le club de
Gour de l’Arche, le quartier chaud de Péri-
gueux, qui compte une forte population
d’origine maghrébine. Le club est à son
image. Il est vu par les élus locaux comme
un élément de stabilité sociale. Personne ne
veut prendre le risque de l’interdire de com-
pétition. Donc, il continue, avec une image
dégradée. À chaque match, ses joueurs ar-
rivent remontés. Ils anticipent de la mé-
fiance, de l’hostilité et des insultes racistes.
Ils ont raison, il y en aura. Ils sont déjà prêts
à cogner. » Le 8 août 2022, les joueurs du
Périgueux Foot s’en prenaient à nou-
veau à l’arbitre. Menacé de mort, ce der-
nier a pris ses affaires et s’en est allé.
La Dordogne n’est pas forcément plus
touchée qu’un autre département. Il se
trouve simplement que l’actuel respon-
sable du pôle d’arbitrage du district lo-
cal, Jonathan Blondy, n’enterre pas les
affaires. En 2014, il a été sauvagement
pris à partie par un joueur mécontent
qui l’a frappé à coups de pied après l’avoir
précipité au sol.
L’esprit de meute. Les instances
du football peinant à regarder en face
la réalité de la violence dans leur sport,
il est difficile de leur demander d’affron-
ter cette embarrassante dimension com-
munautaire. Il leur est beaucoup plus
confortable de mettre en avant l’indé-
niable rôle d’intégration que joue sou-
vent le foot amateur. Le problème est
que les deux réalités coexistent. Le bal-
lon rond crée du lien, mais il génère
aussi des antagonismes. Avivée par des
solidarités de langue ou de culture, la
dynamique de groupe peut rapidement
virer à l’esprit de meute. Maître de confé-
rences en management du sport à l’uni-
versité d’Orléans (Loiret), José Chaboche
s’est penché sur la violence dans les
clubs amateurs du district de son dépar-
tement, établissant un indice de l’indis-
cipline et des débordements. Il relève
que « la moitié des clubs à très fort indice
68 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Drame. À Vauvert (Gard), où Redouane Abbaoui, entraîneur amateur, a été tué par un joueur en 2019.
repose sur une identité nationale ou régio-
nale », tels les Turcs de Gien, de Pithiviers
ou de Malesherbes et les Réunionnais
d’Orléans. Souvent rattachés à des cités
sensibles, ils « n’ont qu’une ou deux équipes
seniors [en général des trentenaires, NDLR]
ainsi qu’un encadrement non formé et déjà
lourdement puni pour son comportement ».
« De petits clubs ruraux, cultivant un entre-
soi à souche gauloise, cette fois, leur res-
semblent », peut-on lire dans son étude.
Contacté par Le Point, l’universitaire botte
prudemment en touche. « C’est un sujet
chaud, d’actualité et, potentiellement, extrê-
mement polémique. »
Son analyse est confirmée par le
constat empirique d’un ex-encadrant
bénévole du district Grand Vaucluse.
« Prenez des photos d’équipes du Pontet,
d’Entraigues ou de Bollène, vous verrez. Il
y a des clubs de Blancs, d’Arabes ou de Turcs.
Ajoutez les injures racistes, qui sont bana-
lisées dans le foot ; le mélange est détonant. »
En 2009, le district Grand Vaucluse n’est
pas passé loin de la tragédie quand un
joueur du MJC Bollène, harcelé pendant
tout un match par les joueurs et les sup-
porteurs du club voisin de l’US Entrai-
gues, a sorti une arme de son sac au coup
Deux réalités
coexistent. Le ballon
rond crée du lien,
mais il génère aussi
des antagonismes.
de sifflet final. Il a tiré sur un adversaire,
le blessant gravement. La victime se pré-
nommait Mohamed, et le tireur, Cyril…
L’incident ne se résumait pas à du ra-
cisme, mais il s’inscrivait indéniable-
ment sur un fond d’insultes racistes
croisées, autant envers les Maghrébins
qu’envers les Blancs, échangées au fil
des saisons.
Dissolution. Élu en 2020 maire de la
commune de Pordic, près de Saint-Brieuc
(Côtes-d’Armor), Joël Batard fait partie
des très rares élus qui parlent sans réti-
cence de la dimension communautaire
des tensions qui minent le foot ama-
teur. Au printemps 2022, il a mis un
terme à des années de violences com-
mises par une équipe installée sur sa
commune, le FC Tréméloir. « C’était des
seniors. Plusieurs avaient été virés d’autres
clubs, par racisme, prétendaient-ils, en ré-
alité parce qu’ils étaient ingérables. » Le
3 avril 2022, une énième rencontre a dé-
rapé. Un joueur de Tréméloir s’est dé-
chaîné sur un jeune d’une autre équipe,
lui donnant des coups de pied dans la
tête alors qu’il était au sol. Bilan : vingt
et un jours d’arrêt pour la victime et six
mois de prison ferme pour l’agresseur.
« J’ai fait ce que je pouvais en tant que maire,
raconte Joël Batard. Je les ai privés de ter-
rain et j’ai prévenu le préfet. » Ce dernier
a dissous le club.
CHRISTOPHE ENA/AP/SIPA
Combien de temps encore aurait-il
sévi si Joël Batard n’avait pas pris le tau-
reau par les cornes, sans se laisser inti-
mider par un éventuel procès en
racisme ? L’élu sort son joker : « Posez la
question au district. » §
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SOCIÉTÉ
Enquête au pays de la rosette
Légion d’honneur.
­Un ouvrage
­dévoile les secrets
de cette mytholo-
gie française.
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN
C
’est un rendez-vous, mieux, un
rituel bien huilé de la Répu-
blique. Chaque année, près de
2 000 rubans rouges sont décernés.
Mais qu’y a-t-il derrière ce(tte) geste
de l’État ? La reconnaissance de la
France, appréciée jusqu’aux États-
Unis ou en Angleterre, où existent
des sociétés de légionnaires ? Un
témoin élitiste de sa pérennité que
l’on retrouve dans l’Association
des honneurs héréditaires ? Un
sommet de l’entre-soi ? Un défilé
d’intrigants vaniteux ? Ou « quelque
chose qui tient chaud, qui brille au
70 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
cœur », comme le clame Jean-Pierre
Bansard, propriétaire du Drouant,
soulignant la solennité d’un mo-
ment unique ? Un peu tout ça, mon
général, comme le montre notre
collègue Romain Gubert, Rouleta-
bille au pays de la rosette et auteur
de La Décoration. Cet objet du dé-
sir, c’est surtout une certaine his-
toire de la France et un vivier
d’anecdotes savoureuses glanées
au fil de ­l’investigation.
C’est l’intrigue, en effet. Com-
ment résister à cette rosette ? Même
Audiard, auteur de la réplique « il y
a des hommes que l’on achète avec un
bout de Légion d’honneur », craqua,
ce qui lui valut les insultes en di-
Lang presse Mitterrand
de récompenser Johnny
avant Chirac.
Ruban rouge.
Emmanuel Macron
rect de son ami Jean Carmet. Mais
l’intrigue est aussi du côté des im-
élève le général pétrants. Un jour, Jack Lang presse
François Meyer à la
dignité de grand-croix
François Mitterrand de récompen-
ser Johnny, l’idole des jeunes, avant
de la Légion d’honneur, Jacques Chirac, qui leur coupera
STEPHANE LEMOUTON -POOL/SIPA – PIERRE VERDY/AFP – STEVENS FREDERIC/SIPA
le 20 septembre 2021. l’herbe sous le pied. Un autre, Ro-
Jacques Chirac remet la bert Badinter, renvoyé dans les
Légion d’honneur à cordes par Mitterrand à propos de
Johnny Hallyday en Maurice Audin, mort sous la tor-
1997. François ture en Algérie, passe en finesse en
Mitterrand décore décorant la veuve du mathémati-
Catherine Langeais, cien. Ou bien c’est Aurélie Filippetti
en 1987. qui passe en force auprès de Hol-
lande pour imposer Bob Dylan dont
l’ordre ne veut pas. Car entre l’État
et l’ordre, il y a parfois de la friture :
« J’ai vite compris que le moindre secré-
taire d’État considérait que nous n’étions
qu’une chambre d’enregistrement et
que nous n’étions là que pour valider
leurs petites listes de noms », soupire
le général Georgelin, ex-grand chan-
celier qui n’a pas chancelé.
Mais la Légion d’honneur, créée
 par Bonaparte, c’est aussi un acte
régalien. Emmanuel Macron dis-
tingue une vingtaine de harkis pour
leur dire qu’il les a compris. Avant
l’élection de 2022, il fait fuiter son
discours de remise à Michel Houelle-
becq pour signifier ce qu’il pense
de sa vision déprimée du pays. Sou-
vent sollicité pour transmettre des
requêtes, Alain Minc y voit, lui, le
combat clientéliste des coqs qui
placent leurs candidats ainsi qu’une
arène des grands corps : Inspection
des finances contre Conseil d’État :
« Lorsque Emmanuel Macron a décoré
le vice-président du Conseil d’État,
Bruno Lasserre, la cérémonie s’est te-
nue au Conseil d’État. Je ne crois pas
qu’un président en exercice se soit dé-
placé à Bercy pour une médaille. »
Réfractaires. Si l’on se démène
souvent pour l’obtenir, innom-
brables sont les réfractaires dont
Romain Gubert épingle les motifs
souvent honorables : Gustave Cour-
bet, Jacques Tardi, Thomas Piketty,
Catherine Deneuve ou le Dr Irène
Frachon, qui surveille les listes des
promotions pour traquer d’éven-
tuels complices du Mediator. Moins
honorables, les motifs qui ex-
pliquent les radiations : Patrice de
Maistre (après l’affaire Éric Wœrth),
Harvey Weinstein, le général Aus-
saresses… Mais on peut être radié
et devenir un jour grand maître,
comme de Gaulle qui se substitue
à Pétain, lui-même biffé par l’admi-
nistration qui avait expulsé le Gé-
néral. D’autres exclus s’accrochent,
comme Papon, qui l’emporte dans
son cercueil. Certains la rendent,
comme Édouard Herriot en 1942 ou
le médecin humanitaire Raphaël
Pitti, scandalisé par le sort réservé
aux migrants syriens. La France ne
fit pas toujours des choix heureux :
Mussolini, Franco, Ceausescu…
Mais, depuis la « jurisprudence No-
riega » prise par Macron en 2017,
on peut la retirer à un étranger « s’il
a commis des actes ou eu un compor-
tement susceptibles d’être déclarés
ALEXANDRE ISARD/PASCO
contraires à l’honneur ou de nature à
nuire aux intérêts de la France ». Quid
de la grand-croix remise à Poutine,
en 2006, par Chirac ? §
La Décoration, de Romain Gubert
(Grasset, 220 p., 22 €).
Emmanuel Carrère, lauréat
du prix Aujourd’hui 2022
Verdict. La prestigieuse
­récompense couronne V13,
le récit du procès des attentats
du 13 novembre 2015.
Pour l’Histoire.
Emmanuel Carrère PAR MARC LAMBRON, DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
L
devant la ’auteur de L’Adversaire, de Limo-
Conciergerie, qui nov (prix Renaudot 2011) et de
jouxte l’ancien V13, son récit du procès des at-
palais de justice de tentats du 13 novembre 2015 sorti
Paris, où s’est tenu en septembre chez P.O.L (voir Le
le procès des Point n° 2615), vient ajouter son
attentats du nom au prestigieux palmarès du
13 novembre 2015. prix Aujourd’hui, fondé en 1962 et
doté, grâce au soutien de François
Pinault (propriétaire du Point) de
50 000 euros. Emmanuel Carrère
succède à Gérald Bronner, mais
aussi à Jean-François Revel, Amin
Maalouf, ou encore Milan Kundera,
et se verra remettre son prix le 18 oc-
tobre à la Bourse de Commerce.
Dans V13, nom de code de ce pro-
cès géant que l’écrivain a couvert
pour L’Obs, Carrère se recommande
d’illustres précédents : Gide livrant
ses souvenirs de cour d’assises,
Giono commentant l’affaire Domi-
nici, Kessel chroniqueur du procès
Eichmann. Mais ici, c’est dans un
prétoire en contreplaqué construit
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 71
dans l’historique palais de justice
de Paris, avec 14 accusés, 1 800 par-
ties civiles et 350 avocats. Un dis-
positif monstre, un prodigieux
condensé d’affects, une machine à
récits, un théâtre de justice. Écri-
vain des vies altérées, Carrère, qui
fut critique de cinéma avant de de-
venir réalisateur, est plus qu’un
autre sensible au réglage des focales
narratives, à l’écho des discours.
Capter des événements poly-
centriques à partir d’un lieu clos,
cela a pu lui sembler « aussi addic-
tif qu’une série », mais elle se signe
dans l’amertume et le sang. Que se
passe-t-il lorsque neuf autodésignés
« lions du califat », entraînés en Sy-
rie à la décapitation barbare, ra-
vagent une nuit de foot et de rock
à Paris ? Carrère s’est posté au mi-
lieu du récit oral pour en donner
sa propre transcription écrite.
Héroïsme. Il dessine aussi dans
ce livre une autre acception de l’hé-
roïsme : non pas l’acte immédiat
d’un guerrier en ligne de front, mais
le temps long de la reconstruction,
de la dignité des blessés, de ce com-
bat avec soi-même que l’on nomme
recouvrance. « On leur voit l’âme »,
note le chroniqueur devant des té-
moignages qui serrent la gorge. Si
la culpabilité d’avoir survécu en
étreint certains, les actes d’entraide
portent à méditer sur les mystères
du bien. L’idée de déposition, note
l’auteur, trouve là sa pleine dimen-
sion : parler à la barre, c’est aussi
déposer un fardeau. Carrère y a
vécu « une expérience unique d’effroi,
de pitié, de proximité, de présence ».
En tératologue chevronné, celui
que fascina le criminel Jean-Claude
Romand, l’infanticide imaginé de
La Classe de neige ou les déphasages
mentaux d’Édouard ­Limonov,
­raconte comment une société
­civilisée appréhende le démo-
nisme : en le combattant par la pa-
role et par la loi §
SCIENCES
Alain Aspect
« Il faut donner
envie aux jeunes de
faire de la science »
Vision. Le Prix Nobel de physique 2022, pionnier de l’intrication
quantique, déplore le niveau de culture scientifique de nos élites et
plaide pour davantage de moyens dans la recherche fondamentale.
PROPOS RECUEILLIS PAR GABRIEL BOUCHAUD
D
ifficile d’imaginer l’effet que peut provoquer
l’annonce du prix Nobel de physique sur son ré-
cipiendaire. Dans le cas d’Alain Aspect, l’émo-
tion est évidente : elle est à peine altérée par l’erreur,
sur le site du Nobel, de son affiliation institution-
nelle. Car, si le docteur Aspect est bien professeur à
l’université Paris-Saclay, c’est via sa chaire à l’Insti-
tut d’optique. Cette appartenance à l’Institut d’op-
tique lui tient particulièrement à cœur. « L’Institut
d’optique est la maison qui m’a permis de monter cette ex-
périence [celle qui lui a valu de décrocher le Nobel,
NDLR] à une époque où bien peu d’institutions m’auraient
autorisé à le faire. On trouve souplesse et flexibilité à l’Ins-
titut d’optique, ce qui m’a conduit à y revenir en 1992. Je
veux donc mettre sur le devant de la scène mon affiliation
à cette institution, qui est ma maison. » La correction
peut sembler inutile, mais elle montre à quel point
Alain Aspect a à cœur d’utiliser sa nouvelle noto-
72 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
riété pour rendre justice à ceux qui ont favorisé sa
spectaculaire carrière scientifique. Elle montre aussi
que la recherche scientifique est un processus col-
lectif qui nécessite des ressources et des institutions
afin de se développer. C’est ce dont nous avons sou-
haité lui parler, à une époque où le manque de moyens
risque d’entamer durablement la qualité de la re-
cherche en France.
Le Point : Pourquoi la recherche fondamentale
est-elle essentielle ?
Alain Aspect : La recherche fondamentale amène
à découvrir des phénomènes qui sont par la suite
utilisés par d’autres pour des applications plus
concrètes. L’exemple caractéristique de cela, c’est le
laser : les physiciens étaient fascinés par la lumière
laser, qui présente des propriétés extraordinaires.
Ils ont organisé des séminaires pour discuter de ces
propriétés, ce qui a permis à certaines personnes de
réfléchir à des utilisations pratiques du laser, …
 Lauréat. Alain Aspect
à l’Institut d’optique
Paris-Saclay (91),
où il enseigne,
JOEL SAGET/AFP

le 5 octobre, au
lendemain de
l’annonce du prix Nobel
de physique.

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 73

SCIENCES

… comme la lecture de codes-barres ou de nou- le chercheur du CNRS Antoine Browaeys crée un si-
veaux types d’imprimantes. Voilà la démarche, en mulateur quantique, l’un des meilleurs au monde.
caricaturant à peine. Des chercheurs sont motivés La start-up Pasqal essaye ensuite de construire ce si-
par la découverte de phénomènes physiques qu’ils mulateur de manière plus fiable, avant de fournir à
veulent faire connaître en les valorisant et en les ex- Antoine Browaeys une machine beaucoup plus stable
pliquant. Parmi ceux qui écoutent ces explications, qui lui permettra de résoudre des problèmes plus
il est possible que quelqu’un ait la bonne idée pour difficiles. C’est un cercle vertueux. Quant à dire si
exploiter la découverte scientifique ! Les bonnes cela nous permettra d’obtenir des ordinateurs quan-
idées technologiques sont fécondées par les avan- tiques véritablement utiles pour des applications
cées de la science fondamentale. Mais la plupart des massives, je n’en sais rien, mais je pense qu’il y aura
chercheurs en sciences fondamentales ne sont pas des applications intéressantes.
capables de transformer leurs découvertes : nous En France, la culture scientifique du public est
avons besoin d’ingénieurs qui permettent de pas- relativement médiocre. Comment l’expliquer ?
ser de l’idée à l’application pratique. Ce travail d’in- C’est une question difficile. Il me semble que notre
génierie est extraordinaire, je comprends qu’il en pays favorise la culture littéraire. Cette dernière est
passionne certains. vue comme prestigieuse : il y a de la valeur à être un
Je ne suis pas quelqu’un de créatif dans le domaine bon écrivain, un bon artiste. Le fait que la plupart de
de l’application, mais j’ai toujours encouragé ceux nos dirigeants n’aient pas fait d’études scientifiques
qui m’entourent à y penser, à tel point que beaucoup (depuis le polytechnicien Valéry Giscard d'Estaing)
de mes anciens étudiants sont venus me voir pour contribue certainement à ce déséquilibre entre la va-
me demander mon avis et me proposer de les accom- leur accordée à la culture littéraire et celle accordée
pagner. C’est pour cela que je suis impliqué dans à la valeur scientifique.
quelques start-up. La culture, en France, est avant tout vue comme
Entrevoit-on déjà des applications étant politique, historique, littéraire
pratiques à vos découvertes ?
Ce sont les fameuses technologies « Sans culture scienti- ou économique. Ce sont des sujets très
importants, évidemment, mais cela
quantiques. Il ne s’agit pas encore
d’applications grand public mais cer- fique, la science crée un biais dans la fabrication des
élites, qui ont une culture relativement
taines fonctionnent déjà, comme la
cryptographie quantique. Cette tech-
­devient un bouc émis- monolithique. C’est le cas de beaucoup
de journalistes, par exemple. C’est en-
nologie permet de créer un canal de
communication absolument sûr. Et
saire facile sur lequel nuyeux. Même à ceux qui ne veulent
pas faire des études scientifiques pro-
aussi la métrologie quantique, avec faire porter les pro- prement dites, il faudrait donner une
ce que l’on appelle des « centres NV »
[Une des caractéristiques de la structure blèmes du monde, culture scientifique de base. Cette
culture n’est même pas donnée à
cristalline du diamant qui présente des
propriétés de photoluminescence, NDLR]. comme le réchauffe- Sciences Po ou dans les écoles de jour-
nalisme ! Il faut y remédier.
Ce que l’on appelle la seconde ré-
volution quantique consiste, d’une
ment climatique. » On a aujourd’hui un autre problème
en France : dans le secondaire, l’ensei-
part, à comprendre que l’intrication gnement de la physique a dérivé depuis
est quelque chose de radicalement nouveau et, d’autre l’époque de mes études. Même à ceux qui choisissent
part, à devenir capable de manipuler les objets quan- la voie scientifique, on veut faire comprendre in-
tiques un par un. Avec des objets uniques, on peut tuitivement, alors que la physique, c’est la repré-
faire des mesures, à l’échelle du nanomètre, de champ sentation par les mathématiques des faits
électrique ou de champ magnétique. J’ai du mal à expérimentaux. Je crains qu’on n’aille pas suffisam-
croire que nous ne trouverons pas d’applications mé- ment au-delà de la description intuitive de phéno-
dicales à ce genre de technologie ! mènes physiques. La physique décrit la partie du
Quid de la construction d’ordinateurs monde qui est mathématisable, mais il faut bien
quantiques ? comprendre la puissance de cette méthode. L’écri-
C’est un problème passionnant, qui concerne à la ture mathématique des phénomènes physiques
fois la recherche appliquée et la recherche permet de découvrir un monde plus riche que ce
­fondamentale. Comme la possibilité de créer un que l’on connaissait au départ.
­ordinateur quantique idéal n’est pas prouvée expé- Et, lorsque ce monde nouveau, décrit par la théo-
rimentalement, cela reste de la recherche fondamen- rie, est mis en évidence par l’expérimentation, c’est
tale. En même temps, cela nécessite des avancées une vraie théorie ! Les équations de Maxwell, au
technologiques extraordinaires, d’où l’intérêt du mé- XIXe siècle, sont un bon exemple de la démarche.
canisme des start-up, utilisé depuis des décennies Maxwell écrit des équations condensant tout ce que
aux États-Unis et qui leur a valu d’être des leaders l’on sait à son époque sur l’électricité et le magné-
dans le domaine de l’informatique. tisme. À partir de ces équations, il découvre la pos-
Nous avons ce mécanisme à l’Institut d’optique : sibilité d’ondes se propageant à 300 000 kilomètres
74 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

par seconde. Or on sait déjà, à ce moment-là, que la
lumière se propage à cette vitesse : on conclut donc
que la lumière est une onde électromagnétique, ce
qu’on ne savait pas. Ensuite, Hertz parvient à créer
des ondes électromagnétiques, qui permettront l’in-
vention de la radio. Une bonne théorie donne plus
que ce qui avait été mis au départ. La mécanique
quantique est, elle aussi, typique de cette démarche.
Ne pas maîtriser la méthode scientifique ne
rend-il pas trop confiant sur la capacité de la
science à résoudre les problèmes du monde ?
Certes, un risque existe, mais je crois que c’est le
contraire : sans culture scientifique, la science de-
vient un bouc émissaire facile sur lequel faire por-
ter les problèmes du monde, comme le réchauffement
climatique. Je m’insurge contre cette idée : sans la
science, nous ne saurions même pas identifier clai-
rement le problème du changement climatique. Le
Giec utilise des modèles scientifiques pour détermi-
ner que c’est l’humanité qui est responsable du ré-
chauffement. Et je pense qu’un certain nombre de
solutions viendront de la science, de meilleures bat-
teries par exemple, même si l’indispensable change-
ment des comportements échappe à un traitement
scientifique aussi rigoureux que la physique.
Rêvons un peu : si nous parvenons à construire
un ordinateur quantique, il saura peut-être résoudre
des problèmes qui sont impossibles à résoudre pour
le moment, ou bien résoudre des problèmes que l’on
savait déjà résoudre avec un ordinateur classique,
mais avec une consommation d’énergie bien plus
faible. Ce serait pas mal ! Et ce n’est pas exclu. La mo-
délisation du climat pourrait aussi être plus facile
sur un ordinateur quantique. Rien ne nous permet
d’affirmer que les progrès scientifiques et technolo-
JOEL SAGET/AFP
giques ne pourront pas être mis à profit dans cette
lutte, bien au contraire.
Comment faire en sorte que la recherche
en France reste performante ?
La loi de programmation de la recherche a été une
grande déception. Les grands principes qui la sous-
tendent nous paraissaient être les bons. Nous avions
dit, à l’Académie des sciences, qu’il fallait débloquer
une somme minimale pour assurer décemment l’ac-
cueil et la formation des étudiants tout en ayant suf-
fisamment de crédits pour la recherche. Ce minimum
n’a pas été atteint. Dans la recherche avancée, on sur-
vit grâce aux crédits européens, mais il y a aussi be-
soin de celle qui est un peu moins avancée.
De ce fait, on manque de ce que l’on appelait “les
crédits blancs”. C’était un programme de l’ANR [Agence
nationale de la recherche, NDLR] de recherche non fi-
nalisée. C’est une bonne chose d’allouer des crédits
à certains programmes de recherche bien précis,
mais il faut aussi accepter qu’il existe des sujets in-
téressants qui ne sont pas prévus dans les programmes.
Le curseur est allé trop loin vers des sujets finalisés,
mais le fond du problème est que nous manquons
d’argent.
Quel rôle le secteur privé doit-il jouer dans le
Démonstration. financement de la recherche fondamentale ?
Le Prix Nobel explique La plupart des entreprises privées, soumises à la
le principe de concurrence, ne peuvent pas s’offrir le luxe de finan-
l’intrication quantique, cer de la recherche totalement non finalisée. En re-
un mécanisme où deux vanche, elles peuvent interagir avec des laboratoires
particules quantiques qui mènent ce genre de recherche afin de les encou-
sont parfaitement rager et de contribuer au financement. Il coûte moins
corrélées, quelle que cher à une entreprise de financer des laboratoires qui
soit la distance qui les mènent ce type de recherche que d’avoir ses propres
sépare. laboratoires de recherche fondamentale. Il faut en-
courager les groupes privés à pratiquer un genre de
mécénat où l’on n’attend pas de retour exploitable
à court terme.
Ainsi, quand nous avons démarré la recherche
sur les atomes refroidis par laser dans le groupe de
recherche de Claude Cohen-Tannoudji, nous avons
été aidés par des crédits de recherche de la défense
nationale, aujourd’hui rattachés à la DGA [Direction
générale de l’armement, NDLR] L’argument était que
Repères les atomes ultrafroids pourraient permettre, un jour
15 juin 1947 peut-être, de construire des gyroscopes plus précis
Naissance à Agen. que ceux disponibles à l’époque. Pour un sous-ma-
1969 Diplômé de rin en plongée, c’est un enjeu majeur. Nous leur
l’École normale avions précisé que nous allions nous concentrer sur
supérieure de
Cachan.
la partie recherche de base, mais ils ont décidé de
1992 Nommé nous financer quand même, avec l’idée que les gens
professeur à que nous formions dans nos laboratoires pourraient,
l’Institut d’Optique eux, travailler spécifiquement sur la fabrication de
Graduate School. gyroscopes. Quarante ans plus tard, les gyroscopes
1994 Nommé à atomes froids existent !
professeur à l’École
polytechnique. Que fait-on, une fois qu’on est Prix Nobel ?
2005 Médaille d’or On essaye de répondre à une partie des sollicitations,
du CNRS. avec l’idée de propager la bonne parole. Je vais bien
2010 Prix Wolf. sûr continuer à essayer de suivre la recherche qui se
2012 Médaille fait dans mon ancien groupe, mais mon rôle sera
Albert-Einstein.
2022 Prix Nobel de
avant tout de profiter du porte-voix que l’on me
physique avec John confie pour parler au grand public. Il faut donner
F. Clauser et Anton aux jeunes l’envie de faire de la science. Je pense que
Zeilinger. c’est vital pour notre société §
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 75
SANTÉ

Soirée des hôpitaux « Le Point »

2022 : répondre à la crise
Rendez-vous.
­Réunis par Le Point,
les professionnels
de santé ont
évoqué des pistes
pour « refonder
l’hôpital ».
PAR ALICE PAIRO-VASSEUR

C
omment refonder l’hôpital ?
La question était au cœur des
débats ce mercredi 28 sep-
tembre, lors de la 4e Soirée des hô-
pitaux organisée dans le grand
amphithéâtre d’Université Paris
Cité, en lien avec les palmarès
des hôpitaux que publie Le Point
chaque année. Dix professionnels
de la médecine et spécialistes de
notre système hospitalier ont,
ainsi, posé leur diagnostic sur notre
système de santé, proposé des ré-
ponses à la crise d’accès aux soins,
et évoqué les solutions qui, déjà,
se font jour.
Parmi eux, Mathias Wargon,
chef de service des urgences et du
Smur de l’hôpital Delafontaine de Débat. Dans le grand amphi-
Saint-Denis (93) et auteur de Hô- théâtre d’Université Paris Cité,
pital : un chef-d’œuvre en péril le 28 septembre.
(Fayard), a ouvert la soirée par un
état des lieux sans concession.
Alors même que les urgences ac-
ROMAIN GAILLARD/REA POUR « LE POINT » (X5)

cueillent 22 millions de patients

par an (soit deux fois plus qu’il y
a dix ans), « notre fonctionnement
n’est pas adapté à la société moderne »,
a alerté le professionnel, qui ap-
pelle à une grande consultation
aux allures de check-up : ressources
humaines, équipement, salaires,
management… Mathias Wargon Matthieu Durand Zaynab Riet Marianne Binst
Et pour cause, « les médecins qui Hôpital Delafontaine Fondateur de « What’s Déléguée générale Directrice générale
quittent l’hôpital public le font … de Saint-Denis (93). up Doc ». de la FHF. de Santéclair.
76 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

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SANTÉ
… moins en raison de l’attrait
pour l’exercice libéral qu’à cause des
conditions de travail qui y règnent »,
a analysé, d’après un sondage au-
près de son lectorat, Matthieu Du-
rand, fondateur du magazine
What’s up Doc, praticien hospita-
lier universitaire, chirurgien-uro-
logue au CHU de Nice et chef du
GHT 06 d’urologie dans les
Alpes-Maritimes.
« Beaucoup ont le sentiment de de-
voir faire plus avec moins », a quant
à elle témoigné Zaynab Riet, délé-
guée générale de la Fédération hos-
pitalière de France (FHF), invitant
la profession à raisonner hors de
la seule question du personnel (au-
jourd’hui premier poste budgé-
taire) pour repenser l’attractivité
de l’exercice en services d’urgence.
Libérer du temps de soin.
Et parce que l’innovation compte
parmi les remèdes à l’engorgement
de ces derniers, les nouvelles tech-
nologies étaient au cœur de cette
soirée d’introspection. Ainsi Ma-
rianne Binst, directrice générale
du réseau de professionnels San-
téclair, d’attirer l’attention sur la
téléconsultation, une pratique
­encore timide dans l’Hexagone.
La France étant le dernier pays de
l’OCDE à y recourir – 23 % des
Français la pratiquent, contre 45 %
de l’ensemble des membres de
l’OCDE. Ou encore sur des outils
d’analyse de symptômes à distance,
portés par l’intelligence artificielle,
« trop méconnus ».
Autant de moyens, demain, de
« libérer du temps de soin ». Une « res-
source rare que l’on doit protéger »,
comme l’a souligné Delphine Mal-
let, directrice Santé et Autonomie
du Groupe La Poste, premier
Delphine Mallet Agathe Seguin-Givelet 
Directrice Santé du Institut mutualiste
Groupe La Poste. Montsouris.
78 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
f­ inanceur bancaire des hôpitaux
­publics et transporteur majeur de
médicaments à destination des of-
ficines. « En France, 7 % des patients
dialysés le sont à domicile, contre 20 %
en Europe », a-t-elle ainsi pointé,
soulignant la résistance de notre
pays aux soins hors hôpital et l’im-
portance d’impliquer les non-soi-
gnants pour le soulager.
Et notamment les industriels.
« Une médecine personnalisée et de
précision est impossible sans leur
Laurence Comte-
Arassus 
GE Healthcare.
­collaboration  », a ainsi rappelé
Agathe Seguin-Givelet, chef de ser-
vice de chirurgie thoracique à l’Ins-
titut mutualiste Montsouris
(IMM), dont 98 % de l’activité
concernent le cancer du poumon.
Et d’insister sur l’importance du
développement d’outils de pointe
pour limiter le caractère invasif
des opérations (« On recourt de
moins en moins au bistouri et de plus
en plus aux robots et caméras »), mais
aussi de l’imagerie pour détecter
les cancers à un stade opérable.
Vieillir en bonne santé. Parce
qu’il faut « tout mettre en œuvre pour
identifier au plus tôt les maladies »,
la data, elle aussi, était au centre
des débats : « Un grand nombre de
données ne sont pas utilisées, alors
même qu’elles peuvent nous aider à
la prévention, au diagnostic et au
soin », a ainsi évoqué Laurence
Comte-Arassus, general manager
dans l’entreprise d’imagerie GE
Healthcare, qui encourage le par-
tage de données issues d’IRM, de
scanner, de diagnostic médical et
de laboratoires…
Autant de pistes de réponses au
diagnostic sévère posé sur l’hôpi-
tal et à la crise qui le traverse. Un
enjeu fondamental, à l’heure où
Échanges. En haut, « notre espérance de vie augmente ».
Étienne Gernelle, direc- « Car, si l’on vit plus longtemps, la
teur de la publication question est aussi et surtout de pou-
du « Point » et Christine voir le faire en bonne santé, a alors
Clerici, présidente insisté Zaynab Riet, déléguée gé-
d’Université Paris Cité. nérale de la Fédération hospita-
Ci-dessus, intervention lière de France (FHF). Et les acteurs
de Delphine Mallet, de la santé ont, à ce titre, une obliga-
du Groupe La Poste. tion de résultat… » §
RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES
CONFÉRENCES DE FUTURAPOLIS
SANTÉ SUR lepoint.fr
ROMAIN GAILLARD/REA POUR « LE POINT » (X8)
Yaël Thomas Christine Schibler Julie Salomon
Président Déléguée générale Hôpital Necker-­Enfants
de l’Anemf. de la FHP. malades (AP-HP).
ÉCONOMIE

Les entrepreneurs u

80 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

krainiens sur le front
Résistance. Le
jour, ils travaillent
pour leur start-up.
La nuit, ils font la
guerre. Leur arme :
la technologie.
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL EN UKRAINE,
GUILLAUME GRALLET

«P
our des raisons de sécurité,
le lieu du rendez-vous ne
sera pas inscrit à l’agenda
officiel », peut-on lire sur le c­ ourriel
reçu quelques jours plus tôt. Il faut
donc surveiller attentivement la
messagerie sécurisée de son télé-
phone pour découvrir, à seulement
moins d’une heure du début de
l’événement, ce 30 septembre,
l’adresse : Staroznesenska. C’est ici
que se déroulera l’IT Arena. Cette
conférence, qui se tient depuis
L’Ukraine 3.0. Le 30 septembre, 2014 dans la ville ukrainienne
à Lviv, le plus gros rendez-vous de Lviv, était, jusqu’à la crise du
high-tech d’Europe de l’Est se Covid-19, le plus gros rendez-vous
déroule dans un bunker comme high-tech d’Europe de l’Est, ras-
ici, à l’Opéra. Sous la menace semblant jusqu’à 5 000 personnes :
persistante des bombes, des cadres de Google, de Spotify,
on veut défier la guerre. de Tesla s’y pressaient, ainsi que
des créateurs de pépites ukrai-
niennes du logiciel comme Gram-
marly, GitLab, ou Axdraft, fers de
lance de ce pays aux 100 000 déve-
loppeurs réputés sur la planète
­entière. Les éditions de 2020 et de
2021 s’étaient déroulées en visio­
conférence, mais, début septembre,
ce message a été envoyé à des cen-
taines de membres de la commu-
VITALIY SOLOPCHUK/IT ARENA

nauté high-tech mondiale : « IT

Arena défie la guerre. Venez r­ etrouver
l’Ukraine 3.0. Courageuse. Résiliente.
Numérique. » Pour pénétrer dans
!FESTrepublic, la friche indus-
trielle qui accueille les partici-
pants, on doit trouver son …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 81
ÉCONOMIE
… ­chemin entre des murs de
brique ocre et des conteneurs
­rouillés – l’un d’entre eux est sur-
plombé d’une carcasse de voiture.
À l’intérieur, on slalome entre
des fûts métalliques reconvertis
en tables de travail, un atelier de
confection de tee-shirts et une
­librairie dans laquelle on peut
­dénicher des ouvrages de la pho-
tographe ukrainienne Yevgenia
Belorusets. Se présente alors un
passage qui nous conduit au
­sous-sol d’une ancienne verrerie
reconvertie en bunker. Bienvenue
dans un des centres névralgiques
de la résistance ukrainienne.
Cybertactiques. Les ­principaux
thèmes abordés ne laissent aucune
place au doute. Il est question de
la manière dont le monde de la
tech peut soutenir le pays en temps
de crise, de l’avenir de la techno-
logie militaire et des perspectives
en matière de cybertactiques mo-
dernes. « Nous sommes rassemblés
ici car la guerre se joue avec des fusils
et des tanks bien sûr, mais également
avec des ordinateurs et des logiciels »,
explique avec gravité Stepan
­Veselovskyi, responsable de l’asso­
ciation locale de professionnels de
l’informatique IT Cluster. « Les
­développeurs ukrainiens ont montré
qu’ils étaient capables de bien faire leur
travail, même dans des conditions
­extrêmes  », renchérit Alex Bornya-
kov, le ministre ukrainien chargé
de la Transformation numérique.
82 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Sans la minute de silence en
hommage aux troupes tombées
au combat, ponctuée par un « gloire
à l’Ukraine » lancé par le maître de
cérémonie auquel l’assemblée a
répondu en chœur « gloire aux
­héros  », on oublierait presque que
les combats sont à nos portes.
Mais, très vite, la réalité se rappelle
à nous. Téléchargée sur le télé-
phone de tous les participants,
­l’appli Map of Sirens renseigne
en direct sur la possibilité d’un
bombardement. Et en cette fin sep-
tembre, la zone ouest de l’Ukraine
est à nouveau placée en rouge pour
la première fois depuis six mois.
D’ailleurs, quelques jours plus tard,
les bombardements ont repris sur
la ville aux Lions. Sans oublier les
deux pilules d’iode que conservent
précautionneusement dans leur
veste une grande partie des entre-
preneurs, à ingurgiter en cas
­d’attaque nucléaire ciblée.
Système D. Visite dans
les entrailles de la !FEST-
republic, la friche in-
dustrielle qui accueille
l’événement : à g.,
une ancienne verrerie
reconvertie en bunker,
où l’on réfléchit à la
manière dont le monde
de la tech peut soutenir
le pays, et, à dr., un
atelier de confection
de tee-shirts où sont
imprimés des mes-
sages de ralliement à
la cause ukrainienne.
« Ma maison
de campagne sert de
refuge à des membres
de notre équipe,
dont certains ont
dormi à même le sol. »
Iryna Savytska,
cofondatrice de Bank of Memories.
Iryna Savytska, 33 ans, a appris
à dompter sa peur. Elle multiplie
les rendez-vous avec des investis-
seurs dans une salle sans fenêtre
reconvertie en salon de thé. Bank
of Memories, la start-up qu’elle a
cocréée à Kiev il y a deux ans,
­permet de constituer des arbres
généalogiques, de transmettre de
manière sécurisée photos et vidéos
à ses descendants, en s’appuyant
sur la technologie de la blockchain.
La date du 24 février est gravée
pour toujours dans sa mémoire.
WWW.PHOTOSOLO.LVIV.UA – GUILLAUME GRALLET – SP
« Je me suis réveillée ce jour-là à
4 heures du matin, après le premier
bombardement de Kiev. J’ai été
­marquée par l’évacuation des enfants,
­affolés, de notre immeuble. C’était
­terrible… » Iryna part d’abord seule
dans la maison de campagne fa-
miliale, à Khotiv, à 30 km de Bout-
cha. Ses parents, qui étaient restés
à Kiev, échappent de peu à l’explo-
sion d’une bombe sur un arrêt de
bus. Leur décision est prise, …
ÉCONOMIE
… la famille va quitter le
pays, direction l’Italie. Seul le mari
d’Iryna reste en Ukraine et rejoint
le front à Kharkiv. Après un voyage
éprouvant, au cours duquel des
habitants moldaves demandent
aux réfugiés ukrainiens de « ­rentrer
chez eux », Iryna démarre une nou­
velle vie à Pescara, sur la côte adria­
tique. « Je sursautais à chaque bruit
suspect. J’avais peur de tout. » Elle
séjourne un mois en Italie, puis
s’envole vers la Californie, grâce à
une bourse obtenue avant le dé­
clenchement de la guerre. Elle vient
tout juste de rentrer en Ukraine,
pour revoir enfin son mari.
Au service des soldats. Ja­
mais, au cours de ces mois de chaos,
Iryna Savytska n’a un instant songé
à abandonner l’aventure entrepre­
neuriale de Bank of Memories.
« Depuis mon départ, ma maison de
campagne sert de refuge à des membres
de notre équipe, qui continuent sans
relâche à développer notre ­technologie.
Certains ont dormi à même le sol. »
À l’instar d’Andrii Melanchyk, un
des cofondateurs, qui, tout en
­aidant des familles à trouver un
endroit sûr pour vivre, améliore
encore l’« UX », l’expérience uti­
lisateur de l’application. « Il a
­planché jour et nuit pendant des mois,
il ne débranchait jamais… Jusqu’à
l’épuisement », relate celle qui
compte parmi ses conseillers
­l’Américain Tim Draper, l’investis­
seur star qui a mis des billes dans
SpaceX et Twitter. Parmi ses inves­
tisseurs, Iryna compte Dmytro,
qui considère que la mission de la
start-up est essentielle, car elle
­préserve la mémoire de ce pays
meurtri depuis trop longtemps
par la guerre. Dmytro qui est parti
sur le front depuis des semaines.
Oleksandr Shubin a également
une sorte de double vie. Cet entre­
preneur de 30 ans a appris à vivre
« Nous permettons d’imprimer
en 3D des outils de stabilisation
pour les drones de l’armée. »
Oleksandr Shubin, fondateur de SDA Company.
84 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
en mode nomade depuis ­l’invasion
de l’Ukraine par la Russie. « J’ai
quitté Kharkiv avec ma femme et mes
deux fils pour Krasnohrad, une ville
de 12 000 habitants à 300 km de Kiev.
De là, je continue à diriger ma start-up,
assure le créateur du cabinet de
­recrutement en talents high-tech
SDA. Mon équipe de vingt personnes
est aujourd’hui disséminée entre la
Pologne, l’Arménie et la Géorgie. Ils
n’ont jamais cessé de travailler, c’est
aussi un moyen de s’abstraire des
mauvaises nouvelles. » Oleksandr
met aussi ses outils informatiques
au service du combat. « Nous avons
mis à disposition de l’armée cyber
d’Ukraine (IT Army of Ukraine) notre
douzaine d’ordinateurs. Une chaîne
Telegram nous communiquait les
cibles à toucher, il pouvait s’agir de
sites Internet russes de propagande,
tout comme ceux d’établissements
­financiers.  » Pourquoi viser les
banques ? « Nous supposons que si
les Russes commencent à avoir des
problèmes avec leur banque, ils in­
terrogeront leur gouvernement sur
l’absurdité de cette guerre. » Outre
les cyberattaques, la puissance de
feu informatique de la start-up
du jeune entrepreneur permet
­également d’imprimer en 3D des
­outils de stabilisation pour les
drones de l’armée ukrainienne.
Même mobilisation de chaque
instant chez Misha Rudominski,
cocréateur de l’entreprise Promin
Aerospace, une entreprise ukrai­
nienne qui planche sur des lan­
ceurs de nanosatellites. Comptant
réaliser son premier vol d’essai
en février 2023, cet ingénieur
­aérospatial poursuit son travail
discrètement, sous les radars, de­
puis le début de l’invasion russe.
Ses onze ingénieurs travaillent la
journée à Dnipro sur le projet de
fusée légère à combustible solide.
Aide humanitaire. Le soir, ils
Mission. L’investisseur sont nombreux à rejoindre les
Dmytro, qui finance équipes de la défense territoriale
plusieurs start-up ukrainienne dont la mission est
­spécialisées dans de protéger les habitations et de
la blockchain et le Web coordonner l’aide humanitaire.
3.0, est parti se battre Vlady Berezina, responsable du
en première ligne. développement commercial de la
société, a, par exemple, pour tâche
simple mais essentielle, car la
­température peut facilement at­
teindre les – 15 °C, de trouver des
couvertures pour les familles, à
l’approche de l’hiver. Pendant ce
temps, Lisa Bordun, avocate de
Promin Aerospace, coordonne la
fourniture d’aide aux soldats
­ukrainiens. « Nous conseillons aussi
le ministère de la Défense et l’Agence
spatiale de l’État d’Ukraine dans nos
principaux domaines d’expertise »,
poursuit Misha Rudominski.
Un ingénieur qui a de la suite
dans les idées : c’est aussi ce qui
­c aractérise l’itinéraire d’Igor
Klymenko, un touche-à-tout au­
jourd’hui basé dans la province de
l’Alberta, au Canada. Avant l’inva­
sion russe de l’Ukraine, Igor, 17 ans,
était un brillant élève de l’Institut
polytechnique de Kiev. Il a fui hors
de la capitale avec ses parents, s’est
abrité dans un sous-sol avec huit
autres personnes. Mais en dépit des
tragédies de la guerre, il n’a jamais
été question, pour lui, d’abandon­
ner ses études. « La grande majorité
de mes professeurs se sont engagés
dans l’armée, indique Igor, qui
SP – DR
n’avait pas mis les pieds sur …
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ÉCONOMIE
… sa terre natale depuis des
s­ emaines. Mais tout en défendant
notre pays, ils ont continué à nous
­donner des cours via des appels Zoom,
pour que mes camarades et moi puis­
sions terminer notre année scolaire.
Je leur en serai éternellement recon­
naissant. » Il a terminé ses études
au printemps, et a déménagé au
Canada en août, où il étudie l’in-
formatique à l’université d’Alberta.
Ce petit génie des maths ne se
contente pas d’être un élève sur-
doué, il peaufine une idée, qu’il
­rumine depuis l’invasion de la
­Crimée par les Russes en 2014 :
greffer un détecteur de métaux sur
un drone, et le transformer ainsi
en détecteur de mines antiperson-
nel. Aidé par la Fondation Bill
­Clinton et par l’ONG finlandaise
The Ministry of Good Spirit, il
­réfléchit à en industrialiser la
­production sur le sol ukrainien.
Don du sang. Parfois, la ­mission
des start-up résonne tout particu-
lièrement avec les préoccupations
du front. Ivan Osadchyi a eu l’idée
de fonder Knopka en 2018, lorsque
sa grand-mère, malade, n’a pas pu,
faute de place, être admise en soins
à l’hôpital. « Mon rêve est de pouvoir
un jour vivre dans un monde où les
hôpitaux seront à la fois performants
et aussi attractifs qu’un hôtel 5 étoiles »,
raconte celui qui travaille sur un
logiciel facilitant le suivi m ­ édical
des patients. Le chaos entraîné par
86 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
le conflit n’entame pas sa déter­
mination à participer à la cons­
truction de cet idéal. « Notre pays,
c’est tout ce que nous avons. Nous fai­
sons tout ce qui est en notre pouvoir
pour le défendre. Un membre de mon
équipe, Dmytro Vydets, est médecin
sur la ligne de front. Nous avons éga­
lement travaillé directement avec les
hôpitaux et ainsi obtenu des informa­
tions très précises sur leurs besoins
médicaux, et la manière ­d’aider les
civils et les militaires ­blessés, notam­
ment en termes de suivi de soins. »
« La plupart de mes
profs se sont enga-
gés dans l’armée.
Mais ils ont continué
à nous donner
des cours via
des appels Zoom. »
Igor Klymenko, ingénieur, à imaginé
le Quadcopter Mines Detector
­(ci-dessus), un drone détecteur
de mines antipersonnel.
L’urgence, c’est également le
quotidien de DonorUA, une start-­
up spécialisée dans le don du sang.
« Le mois de mars a été, de loin, le plus
Réseau. À Lviv, pénible. Nous n’avions alors aucune
le 30 septembre, l’ex- idée de notre avenir… Depuis le dé­
perte en cybersécurité clenchement du conflit, nous avons
Kim Zetter a déclaré : compris à quel point le don de sang
« La Russie n’a pas est important en temps de guerre et
­utilisé tout son arsenal nous avons pu aider le gouvernement
contre l’Ukraine, mais en matière de coordination et de
cette dernière a tenu ­logistique », révèle Iryna Slavinska,
son rang, elle a été qui a cocréé, en 2014, DonorUA.
­formidable ! » Pour cette diplômée en philologie,
formée à Kiev et à Munich, il
manque en ce moment 2 millions
de donneurs de sang en Ukraine.
« Nous enregistrons les donneurs et
leur envoyons des notifications lors­
que nous avons d’urgents besoins de
sang. » La start-up, qui a conclu un
accord avec Uber pour permettre
aux donneurs de se rendre dans
les centres de trans­fusion sanguine
et d’en revenir, même dans les cas
où les transports en commun
VITALIY SOLOPCHUK/IT ARENA – SP – DR
s’avèreraient défaillants, est en
­mesure, grâce à son logiciel, d’ap-
précier les manques de stocks en
temps réel en Ukraine. Cette ex-
périence, qui permet de répondre
aux urgences de la guerre, pour-
rait être précieuse pour d’autres
pays. Les entrepreneurs ne désar-
ment pas §
 État-major Iberdrola France
Comment
réapprendre
à voir la vie
Élodie
Calmels
Emmanuel
Rollin
Olivier
Bodhuin
en rose ?

Stéphane Thierry Sonia

Alain Riou Vergnaud Kozlowski

Reginald Hana Maider

Thiebaut Jandoubi Liceranzu
L’énergéticien espagnol, qui emploie 2 500 personnes en France,
propose des offres d’électricité verte aux particuliers et entre-
prises et apparaît comme l’un des principaux concurrents d’EDF.
Il est chargé, à travers sa société de projet Ailes Marines, du
2e parc éolien offshore de France, à Saint-Brieuc ; le groupe est
aussi actif dans l’éolien terrestre, le photovoltaïque et l’agrivol-
taïsme. Emmanuel Rollin (55 ans, Esiea), ancien de chez Re-
nault, est directeur offshore Iberdrola renouvelables France
depuis 2019. Élodie Calmels (39 ans, ESJ Paris, Paris School of
Business) est directrice de la communication. Le contre-amiral
Olivier Bodhuin (60 ans, École navale, École de guerre, Col-
lège de défense de l’Otan) est directeur des affaires publiques et Aristote, Épicure,
maritimes. Stéphane Alain Riou (48 ans, océanographe bio- Montaigne, Spinoza,
logiste, université Bordeaux 1 et Ifremer) est directeur dévelop-
pement et territoire, chargé des relations avec les professionnels Casanova, Alain ou Camus...
de la pêche. Thierry Vergnaud (61 ans, ingénieur en micro-
biologie, université de Provence Aix-Marseille) est country ma-
Chacun a proposé
nager Iberdrola renouvelables France chargé de l’onshore éolien sa recette.
et photovoltaïque. Sonia Kozlowski (46 ans, master 2 en risques
géologiques à Montpellier et diplôme d’ingénieur en géosciences
et géotechniques à Nice) est directrice du développement. Du
côté de la vente d’électricité – le fournisseur espagnol a créé la
polémique après avoir annoncé à des milliers de clients fran-
çais que leurs contrats ne seraient pas renouvelés, faute de pou- En vente en kiosque et sur
voir continuer à garantir des prix bas –, Reginald Thiebaut boutique.lepoint.fr
(51 ans, EBS) est directeur général d’Iberdrola Énergie France.
IBERDROLA (X9)

Hana Jandoubi (42 ans, master en sciences de gestion) dirige

le service client et Maider Liceranzu (39 ans, ingénieur Arts
et Métiers ParisTech) gère les opérations § M. B.

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DOSSIER RÉALISÉ PAR LAURENCE ALLARD

ILLUSTRATIONS : TARTRAIS POUR « LE POINT »

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 89

SPÉCIALPLACEMENTS

Comment compléter
Épargne. Les livrets, l’immobilier, l’assurance-vie et
l’épargne salariale permettent de dégager des liquidités
sans entamer le capital. Lesquels mobiliser,
et dans quelles circonstances ?

Si ça ne donne rien, on pourra toujours piocher dans notre épargne.

90 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

ses revenus
1 - Banque
Alléger les livrets
C
’est la façon la plus simple et
la plus rapide de récupérer
de l’argent. La rémunération
des livrets type livret BforBank,
Fortuneo ou Distingo chez PSA
Banque a beaucoup chuté ces
­dernières années. Elle n’est plus
que de 0,05 % chez Bforbank ou
­Fortuneo et de 0,70 % chez PSA
Banque (1 % à compter du 16 octo­
bre). Ce n’est presque rien au r­ egard
de ­l’inflation (4,6 % en rythme an­
nuel à fin août). En laissant votre
épargne sur ces livrets, vous ­perdez
même du pouvoir d’achat. C’est
certes mieux que de laisser dormir
vos liquidités sur votre compte
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »
bancaire non rémunéré, mais la
perte en cas de retrait est faible. À
tout moment, vous pourrez même
procéder à des reversements sans
aucuns frais, ce qui n’est pas le cas
si vous effectuez un retrait sur un
contrat d’assurance-vie ou un plan
d’épargne en actions (PEA). Vous
pourrez même, à cette occasion,
profiter de taux promotionnels
En Europe, la hausse des prix a été rapide et surtout brutale
Évolution du taux d’inflation, en %
8
6
0
Source : Bloomberg.
1997 2000 2003 2006 2009
plus attractifs : 2 % sur deux ou
trois mois, voire plus si la hausse
des taux d’intérêt s’amplifie. Ces
livrets bancaires sont, par nature,
des encaisses de précaution. Uti­
lisez-les donc comme telles et,
compte tenu de la faiblesse des
taux versés et de l’inflation, ne
surestimez pas trop vos besoins.
D’autres placements mieux ré­
munérés peuvent venir en com­
plément en cas de coup dur.
Ne désinvestissez qu’en dernier
sur le livret A, car c’est le livret le
mieux rémunéré : 2 % net d’impôt
et de prélèvements sociaux depuis
le 1er février. Et ce en dépit d’un
rendement réel lui aussi négatif.
« En 2022, ce dernier devrait être
­négatif de plus de 4 points, situation
inconnue depuis le début des années
1980 », relève Philippe Crevel,
­directeur du Cercle de l’Épargne.
Le taux du livret A est néanmoins
compétitif par rapport à celui des
autres produits d’épargne. Il est
supérieur au taux des livrets …
9,1 %
en 2022
2012 2015 2018 2021
SPÉCIALPLACEMENTS

Dopée par le Covid, l’épargne

commence à diminuer Le livret A profite de la hausse du taux 4,49 milliards d’euros
Taux d’épargne des ménages, en 2021, Collecte du livret A, en milliards d’euros en août 2022
en % du revenu disponible brut 6,32 6,25
6 5,47
20
5
15 4

3
10
2
5 1
Source : Insee. 0
0
0 2019 2020 2021 2022
1950 60 70 80 90 00 10 2021 0

… bancaires fiscalisés et à
ceux des fonds en euros de l’assu-
rance-vie. Seul le taux du livret
d’épargne populaire lui est nette-
ment supérieur (4,6 %), mais ce
produit n’est accessible qu’aux
épargnants modestes.
Le taux du livret A est par
­a illeurs appelé à augmenter.
Comme il suit l’évolution de
­l’inflation et de la hausse des
taux d’intérêt, son rendement
pourrait passer à 3 %, voire à
3,2 %,  le 1er février prochain §
-1
-2
-3
À la suite de l’annonce du doublement
du taux de rémunération (passé
de 1 % à 2 %), la collecte s’est envolée
à 4,49 milliards d’euros en août. Une
­augmentation que Philippe Crevel,
directeur du Cercle de l’épargne, juge
classique en cas de hausse des taux.
« Elle perdure entre deux et trois mois après
l’annonce par les pouvoirs publics. C’est la
- 2,83 Source : Cercle de l’épargne.
collecte du mois d’août la plus importante
de l’histoire du livret A. » De son côté,
le livret de développement durable et
solidaire, dont le taux de rendement est
le même que celui du livret A, a connu
une ­évolution parallèle avec une col-
lecte, au mois d’août, de 780 millions
d’euros et de 3,84 milliards d’euros
sur les huit premiers mois de l’année §

2 - Assurance-vie
Pensez à demander une avance
C
ontrairement à ce que vous
croyez, l’assurance-vie est un
placement beaucoup plus
­liquide qu’il n’y paraît. À tout
­moment, vous pouvez demander
à récupérer l’épargne placée. Et
les progrès de la dématérialisation
sont tels que cela ne demande
que quelques jours. En particulier
s’il s’agit de puiser dans le fonds
en euros.
Le montant et la fréquence des
retraits sont libres. Néanmoins,
pour optimiser la fiscalité et ­éviter
de payer de l’impôt sur le revenu,
mieux vaut demander à son assu-
reur de calculer combien on peut
retirer en franchise d’impôt, sa-
chant que le montant de l’abatte-
ment sur les revenus prélevé à cette
occasion s’élève à 4 600 euros si
vous êtes célibataire, 9 200 si vous
êtes marié. Le calcul est complexe
92 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
et vous n’y arriverez pas seul, car
le montant des intérêts considéré
tient compte de tous les verse-
ments effectués depuis ­l’ouverture
du contrat et non des derniers.
De ce fait, vous aurez intérêt, si
vous avez plusieurs contrats, à
­effectuer ces retraits sur les plus
récents, car ils comporteront une
fraction moindre de revenus (ou
plus-values) que les plus anciens.
Vous maximiserez ainsi la somme
que vous pourrez retirer en fran-
chise d’impôt. En franchise d’im-
pôt, mais pas de prélèvements
sociaux. Vous devrez acquitter,
sur les revenus pris dès le premier
euro, 17,2 % de taxes, soit 9,2 %
de CSG, 0,5 % de CRDS et 7,5 %
de prélèvement de solidarité.
Il vous faudra choisir si vous  non-coté ou immo-
désinvestissez du fonds en euro ou
des unités de compte que contient
votre portefeuille et, parmi celles-­ci,
sur quels fonds. Les marchés étant
Les Français orientés à la baisse, céder aujour­
pessimistes d’hui des parts de fonds actions ou
Contexte internatio- obligations revient à entériner la
nal anxiogène, chute
des marchés… des
chute de leur valeur. Sauf à consi-
épargnants n’hésitent dérer qu’il y a peu d’espoir de re-
plus à ajourner leurs bond sur les fonds en portefeuille
placements, note la et que d’autres investissements plus
BNP Paribas Cardif porteurs à moyen ou long terme
(16e Baromètre des sont préférables (transition éner-
conseillers en gestion
de patrimoine). Les gétique…) lorsque vous aurez de
deux tiers des profes­ nouveau une épargne à investir.
sionnels constatent Cette inquiétude n’existe pas
une montée de s’agissant des fonds en euros. Le
­l’inquiétude de leurs rendement est capitalisé chaque
clients. Ils anticipent année, la valeur de rachat de votre
leur recentrage sur
des produits plus sûrs fonds ne peut donc baisser ensuite.
et plus diversifiés En procédant à un retrait, vous vous
(fonds structurés, privez seulement du rendement
qui aurait été perçu cette année et
bilier pierre-papier). les années futures sur les ­montants
prélevés. Pour 2022, les …
SPÉCIALPLACEMENTS
… ­e xperts tablent sur un
r­ endement moyen légèrement
­supérieur à l’an dernier, compte
tenu de la hausse des taux d’inté-
rêt : autour de 1,5 %, ce qui reste
faible au regard de l’inflation.
Pour éviter ces désagréments,
et si votre besoin d’argent est
­ponctuel, mieux vaut demander
une avance à votre assureur. Vous
y avez droit, le Code des assurances
le prévoit ! Les conditions figurent
dans les documents que vous avez
signés lors de la souscription du
contrat d’assurance-vie, sous la
­rubrique « conditions générales ».
Atouts. L’avance est assimilable
à un prêt consenti par l’assureur.
Son montant est limité à un pour-
centage de la valeur de rachat de
votre contrat. En général, il ne peut
­excéder 60 % de celle-ci pour un
contrat multisupport comportant
des unités de compte, mais peut
grimper à 80 % si le capital est placé
sur un support en euros.
La durée du prêt est le plus
­souvent de trois ans, mais elle peut
être renouvelée deux fois, soit neuf
ans. Toutefois, pour que l’avance
soit plus intéressante qu’un retrait,
il vaut mieux que le délai soit
­assez court et ne corresponde pas
à un besoin durable de la somme
­demandée. L’avance peut être
­remboursée à tout moment, en
une ou plusieurs fois.
Elle n’est pas gratuite. Elle est
assortie, comme pour un prêt,
d’un taux d’intérêt. Ce taux est fixé
chaque année par la compagnie
en fonction du taux moyen des
emprunts d’État : en 2021, il était
de 2,35 % à l’Afer. Un taux qui
­devrait grimper avec la hausse
des taux d’intérêt. Des frais
peuvent s’ajouter.
Par rapport à un retrait, l’inté-
rêt de l’avance (en dépit du taux
d’intérêt prélevé) réside dans le
fait que, pendant la durée de
l’avance, la totalité de l’épargne
Pour que l’avance soit plus
­intéressante qu’un retrait, il vaut
mieux que le délai soit assez court.
94 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
L’assurance-vie renoue avec la décollecte en août
Collecte nette de l’assurance-vie, en milliards d’euros 3 394
3 000
2 000
1 000
0
2020 2021 2022
0
- 1 000 - 700 milliards d’euros
en août 2022
- 2 000
- 2 047 Source : Cercle de l’épargne.
Assurance-vie : un beau « pactole » investie continue d’être rémuné-
Encours de l’assurance-vie, en millions d’euros Mai 2022 rée sans tenir compte de l’avance.
Ainsi, si vous avez accumulé
2 000 000 100 000 euros sur votre contrat et
que vous demandez une avance
de 30 000, les 100 000 euros conti-
1 500 000 nueront de fructifier, contraire-
ment à ce qui se serait passé si le
1 000 000 souscripteur avait procédé à un
retrait d’argent. Résultat, une par-
tie des gains obtenus sur les 30 000
500 000 euros correspondant à l’avance
­financeront une partie, voire la
0 ­totalité, des intérêts demandés par
2003 05 07 09 11 13 15 17 19 2021 l’assureur. Cette solution se révèle
Source : Cercle de l’épargne. souvent moins onéreuse que la
souscription d’un prêt, assorti d’un
La chute des taux taux d’intérêt et d’une assurance-­
des fonds en euros se poursuit décès, auprès d’une banque. Ce prêt
Taux de rendement des fonds peut, de surcroît, vous être refusé !
en euros, en % L’avance peut être demandée
par courrier, de préférence en re-
3 commandé avec avis de réception,
ou par courriel si l’assureur l’ac-
cepte. En général, il faut se servir
2 d’un formulaire spécifique sur
­lequel il convient d’indiquer, entre
1,08
autres, le numéro du contrat dont
1 on veut disposer d’une fraction
du capital, ses coordonnées et le
­montant souhaité. Il faut joindre
0
un relevé d’identité bancaire, car
2011 12 13 14 15 16 17 18 19 20 2021 la mise à disposition des fonds
Source : Cercle de l’épargne. ­n’intervient que par virement.
Pas de panique ! En cas de non-­
remboursement, l’assureur
­transforme l’avance en un retrait
pour lequel il déterminera la
part de gains soumise à l’impôt
sur le revenu et aux prélèvements
sociaux §
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de 1 %, susceptible de variations, au-delà de ces 3 mois, ou d’un encours du Livret supérieur à 75 000 euros. Renault Bank se réserve le droit de ramener à 1 % le taux
nominal annuel brut promotionnel de 3,5% sur les versements éligibles, si l’existence du Livret n’est pas maintenue jusqu’au 31 mai 2023 inclus. Les intérêts générés
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Renault Bank est une marque commerciale déposée par RCI Banque S.A.
RCI Banque S.A. (Groupe RENAULT) est un établissement de crédit et intermédiaire d’assurances, au capital de 100 000 000 euros. Siège social : 15 rue d’Uzès – 75002 Paris,
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SPÉCIALPLACEMENTS
Bien sûr, les noisettes, c’est bien, mais maintenant il faut que ça rapporte.
3 - Épargne salariale
Profitez d’une fenêtre de tir
P
our relancer la consommation
et soutenir la croissance, le
gouvernement utilise tou-
jours les mêmes recettes. Comme
en 1994, 1996, 2004, 2008 et 2013,
Bercy a ressorti de son chapeau le
déblocage de l’épargne salariale.
Jusqu’au 31 décembre, les salariés
qui disposent d’un plan d’épargne
entreprise (PEE), dans lequel ils
ont logé l’intéressement et la
­participation versés par leur en-
treprise depuis plusieurs années,
peuvent retirer jusqu’à 10 000 eu-
ros en franchise d’impôt sur le re-
venu sans respecter l’engagement
de conservation de cinq ans.
Les salariés y ont-ils intérêt ?
Par le passé, peu ont profité de
l’« aubaine ». « En 2013, seuls 2 mil­
liards avaient été débloqués sur une
dizaine de milliards d’euros poten­
tiellement utilisables, relève Philippe
Crevel. En 2008, 1,6 million de sala­
riés avaient retiré 3,5 milliards ­d’euros
sur les 8 milliards projetés ; en 2004,
7 milliards. »
C’est dire que le déblocage ne
va pas de soi ! Pire, il crée des effets
d’aubaine. « Ainsi en 2008, 80 % des
96 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
sommes débloquées ont été replacées
sur d’autres supports d’épargne »,
note encore Philippe Crevel.
Échaudé, le gouvernement a pris
cette fois ses précautions. Les
sommes débloquées devront être
consacrées à « l’acquisition de biens
ou [à] la fourniture de services » : achat
de voiture, travaux, etc. Elles ­seront
déclarées par l’organisme gestion-
naire ou, à défaut, par l’employeur
à l’administration fiscale. Mais il
est prévu que le salarié tienne
« à la disposition de cette dernière les
pièces justificatives attestant de l’usage
des sommes débloquées ». Cette
contrainte avait déjà été retenue
lors du déblocage de 2013.
Attention, le déblocage n’est
pas autorisé sur le plan d’épargne
retraite collectif (Perco) et le plan
d’épargne retraite d’entreprise
­collectif (Pereco), ni sur les sommes
placées sur des fonds solidaires.
« Pour l’épargne salariale investie en
titres de l’entreprise ou d’une entre­
prise liée, un accord collectif sera né­
cessaire pour que cette épargne puisse
être mobilisée », souligne Philippe
Crevel.
Les Français ont accumulé
­ eaucoup d’épargne durant la
b
crise sanitaire. Ils ont épargné
203,4 milliards d’euros en 2020 et
165,8 milliards en 2021, contre
une moyenne de 100 milliards à
110 milliards d’’euros avant la crise
sanitaire. Ce constat pourrait
­relativiser l’intérêt de débloquer,
du moins pour les salariés les
plus aisés. Les 20 % de ménages les
plus « riches » épargnent 28,4 %
de leurs revenus selon l’Insee,
­tandis que les 20 % les plus pauvres
mettent de côté à peine 2,7 %, ce
qui signifie qu’il y a une tranche
de la population qui n’épargne
pas du tout. Chaque mois, 19 %
des Français sont à découvert,
­selon le site Panorabanques. Pour
ces derniers, débloquer l’épargne
salariale (s’ils en bénéficient) peut
leur apporter un complément de
revenus appréciable, même si
c’est autant de moins qu’ils au-
ront pour financer l’achat de leur
résidence principale (un tiers
des retraits est effectué dans ce
but, pour un montant moyen de
13 000 euros, selon le cabinet
­Epsor) ou pour leur retraite.
Même s’il existe d’autres cas de
­déblocage anticipé prévus par le
11 
millions 
législateur, tels que le mariage ou
la cessation du contrat de travail.
Pour les autres, débloquer le
Le nombre PEE, c’est se priver de l’avantage
de salariés qui fiscal sur des revenus futurs alors
détiennent un PEE,
un Perco ou un PER. qu’ils peuvent puiser dans d’autres
placements (livret A, par exemple).
Ce choix explique que, bien que
plus de 60 % des encours des PEE
soient disponibles, les Français ne
puisent pas dans ce « matelas » §
Les salariés des grandes entreprises avantagés
Répartition des différents dispositifs d’épargne salariale
par tailles d’entreprises, en nombre de salariés, en 2020
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »
75 Participation
Intéressement
50 PEE
Perco
25
0
De 1 De 10 De 50 De 100 De 250 De 500 1 000
à9 à 49 à 99 à 249 à 499 à 999 et plus
Source : Epsor.
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Iroko ZEN est 1ère au classement des SCPI en 2021 du taux de distribution selon l’IEIF, avec un taux de rentabilité interne (TRI) et un taux de distribution
de 7,10%. Les performances passées ne présagent pas des performances futures. Le TRI mesure la rentabilité de la SCPI en intégrant la distribution
de dividende et l’évolution du prix de la part et le Taux de Distribution = dividendes bruts versés / prix de la part au 01/01/2022 (Méthodologie de calcul
ASPIM). lroko ZEN est une SCPI à capital variable dont le numéro de Visa AMF est le n° 20-17 en date du 09/10/2020. lroko est une société de gestion,
agréée par l’AMF sous le numéro GP-20000014 en date du 08/06/2020. Données sur la base du portefeuille d’lroko ZEN au 30/06/2022 susceptible
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SPÉCIALPLACEMENTS

4 - Immobilier
Boostez la rentabilité de vos investissements
L
’immobilier est le placement
auquel on pense le plus pour
se constituer des revenus régu­
liers : les loyers tombent chaque
mois et ils sont revalorisés chaque
année, ce qui permet de se ­protéger
en partie de l’inflation.
Plusieurs écueils à ce raisonne­
ment : l’achat d’un logement se fait
souvent à crédit. Les loyers servent
à financer les mensualités d’em­
prunt. Un recours à l’emprunt qui
fut une bonne décision, compte
tenu de la faiblesse des taux. Les
charges d’intérêt étant déductibles
des revenus fonciers, elles dimi­
nuaient d’autant l’impôt à payer.
Cet impôt est tès élevé, puisque les
revenus fonciers sont ajoutés aux
autres revenus et, donc, imposés
au taux marginal du contribuable.
La taxation peut atteindre 45 % ;
il faut y ajouter 17,2 % de prélève­
ments sociaux et, éventuellement,
la contribution sur les hauts re­
venus. Sans ce recours au crédit,
le rendement de la pierre est faible.
L’intérêt d’une acquisition
­immobilière résulte aussi dans le
montage : les loyers viennent dimi­
nuer les mensualités d’emprunt,
ce qui rend indolore le coût d’ac­
quisition du bien. S’y ajoutent –
cerise sur le gâteau – les réductions
d’impôts accordées pour l’achat
d’un bien neuf par exemple (­Pinel),
d’un bien ancien (dispositif Mal­
raux, Pinel ancien…). Surtout, l’in­
térêt d’un achat immobilier résulte
dans l’espoir de plus-value ­réalisée
lors de la vente. Et cet espoir s’est
révélé réalité à chaque fois, dans
des proportions insoupçonnées.
Reste que, à l’issue de la période
de remboursement du prêt (15-
20 ans), le propriétaire recommence
à toucher des loyers qui compléte­
ront ses revenus. Il y a plusieurs
pistes pour les maximiser.
Vous pouvez faire des travaux
qui permettent de revaloriser les
loyers en dehors des règles de
droit commun (encadrement,
­indice IRL…) et qui sont déduc­
tibles de revenus.
Si vous louez le bien vide et
que vous supportez des charges
supérieures à 30 %, vous pouvez
avoir intérêt à opter pour un ré­
gime d’imposition au réel. Celui-­
ci vous permettra de déduire l’in­
Répartition tégralité de vos frais et d’imputer
En mai 2022, un ­déficit foncier sur votre revenu
la typologie général si ces frais sont supérieurs
des acquisitions
­immobilières se à vos revenus fonciers.
­répartissait ainsi  : Vous pouvez avoir intérêt à
louer le bien meublé. Le montant
64% du loyer est légèrement plus
élevé,  de 10 % en moyenne. Autre
résidence
principale avantage : la durée minimale du
bail est de seulement un an (neuf
17% mois pour les étudiants), contre
trois ans pour une location vide.
résidence
secondaire Mais surtout, le montant impo­
sable est réduit (abattement for­
16% faitaire de 50 %, déduction de
quasiment l’intégralité des coûts,
investissement
locatif
amortissement du bien).
Enfin, si vous n’êtes pas obligé,
3% par un dispositif fiscal, de conser­
ver le bien pendant une certaine
autres durée, pour vous procurer des
­revenus, vous pouvez vendre le
bien et placer le produit de la vente.
Par exemple sur un contrat d’assu­
rance-vie sur lequel vous effectue­
rez un retrait chaque année §

5 - SCPI 
Comparez pour faire le bon choix
À
côté des livrets et des loyers, revient, pour le premier semestre SCPI : une collecte record 1er trimestre
il existe un placement qui 2022, à Remake Live, de Remake Évolution de la collecte nette SCPI, 2e trimestre
procure des revenus annuels AM (8,18 %) ; elle est suivie par par trimestres,
réguliers sans démarche particu­ Iroko Zen, commercialisée par 3e trimestre
en milliards 7,9 Mds €
lière : l’investissement dans des Iroko (6,53 %). Ces deux SCPI 4e trimestre
d’euros
parts de sociétés civiles de place­ sont diversifiées (voir les tableaux 6,9 Mds €
1,8
ment immobilier (SCPI). Chaque de performance par catégorie). 6,2 Mds €
année, la société de gestion verse Même si elles peuvent ­s’acheter 5,7 Mds € 1,7
le rendement constaté de vos parts. à crédit, ces parts s’acquièrent 1,3 5 Mds € 5,2 Mds €
1,8
Ce dernier peut être très variable ­également au comptant. Tous les 1,4
selon la stratégie d’investissement ménages peuvent y avoir accès, 1,1 1,5 1,6
1 2,6
de la SCPI et son secteur d’activité. compte tenu de leur faible ­montant
1,4 1,1 2,2
Ainsi, celles qui achètent des unitaire. L’intérêt du crédit réside, 0,9
1,9
murs de boutique rapportent plus là encore, dans la défiscalisation
que leurs homologues qui inves­ de ces revenus – qui sont consi­ 1,2
2,4 2,4 2,6
tissent dans des bureaux. En 2021, dérés comme fonciers – et donc 2,1 1,7
1,2
le taux de distribution a varié de ajoutés à vos autres revenus pour
7,10 % à 2,79 %. Selon le c­ lassement y être imposés. S’y ajoutent 17,2 % 2017 2018 2019 2020 2021 2022
réalisé par France SCPI, la palme de prélèvements sociaux. … Sources : IEIF, France SCPI.

98 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619


Gérard Bekerman, président de l’AFER
La parole publique doit
respecter l’épargnant
L’AFER dénonce un incessant grignotage des atouts de l’assu-
rance vie au cours des dernières décennies. Elle propose un
manifeste de l’assurance vie reposant sur la stabilité des règles
et une meilleure transparence des frais.
L
’assurance vie pèse près de
1 900 milliards d’euros, soit
l’équivalent des 4/5e du produit
intérieur brut de la France. Elle
appartient aux épargnants. Elle est le
fruit du travail de toute une vie, dans un
monde de plus en plus incertain, avec
une dimension existentielle comme la
protection contre les aléas de la vie : la
santé, l’éducation, la famille, la retraite
ou les impôts. Mais le plus dangereux
est l’irrésistible tentation des élus de
la République à vouloir pénaliser les
détenteurs d’une assurance vie.
Les épargnants subissent une véritable
dérive des prélèvements sociaux. En
1990, le taux était de 1,1 %. En 2022, il
est de 17,2 %, soit 15 fois plus. Dans le
même temps et de manière pernicieuse,
l’assiette sur laquelle s’appuie le calcul
de la somme à payer n’a cessé de s’élar-
LE POINT STORIES POUR
gir, à commencer par les capitaux
décès. À la naissance, au cours
du cycle de vie, au décès, la triple
peine des prélèvements mine la
confiance des épargnants.
L’Afer appelle les parlementaires
à ne pas s’acharner sur le seul
outil patrimonial populaire, avec
quelque 30 millions de Français
détenteurs ou bénéficiaires d’un
contrat, qui ne sont pas tous mil-
lionnaires. Plus d’un agriculteur
sur deux et près d’un ouvrier sur
trois détiennent une assurance vie.
L’exécutif doit
continuer à être avec
les épargnants, pas
contre eux
Les dates à retenir :
l’AFER vient près de chez vous !
Soirée à Vichy le 20 octobre
Soirée à Beaune le 23 novembre
Soirée à Strasbourg le 08 décembre
Tenter de remettre en question
le statut juridique de l’assurance
vie - c’est-à-dire rapporter l’assu-
rance vie aux héritages - enrichirait
quelques professions, mais rappor-
terait une goutte d’eau aux deniers
de l’État et ruinerait la confiance de
millions de familles.
Un petit avantage mercantile pour
certains ne doit pas s’imposer à ce
qui serait une immense perte pour
la France. Ne touchons pas à l’assu-
rance vie ! Ce mode d’épargne est
citoyen et responsable. Il rapporte
à l’État, le finance et fait vivre nos
entreprises. Sur 100 euros inves-
tis, 61 euros vont aux entreprises
et 29 % à l’État. Aussi, la sécurité
juridique constitue l’indispensable
fondation de la confiance.
Je le dis sans hésitation, l’exécu-
tif doit continuer à être avec les
épargnants, pas contre eux. Tous
ces épargnants donnent le bon
exemple en étant prévoyants.
Offrons-leur un cadre pérenne,
simple et lisible. Les Français res-
pectent le principe général de
consentement à l’impôt. Le glis-
sement insidieux vers la notion
ambigüe de dépense fiscale ne
pourra alors que nourrir la défiance
populaire
SPÉCIALPLACEMENTS

Le classement des SCPI par secteur

Triées par rendement au 1er trimestre 2022

SCPI de bureaux SCPI de commerce

Société de gestion S1 2022 2021 Société de gestion S1 2022 2021
Vendôme Régions Norma Capital 5,46 % 5,90 % Epsilon 360 Epsilon Capital 6,05 % NC*
Interpierre Europe Altixia Commerces Altixia REIM 5,52 % 5,21 %
PAREF Gestion 5,37 % 4,60 %
centrale PAREF Gestion Cœur de Ville Sogenial Immobilier 5,30 % 5,30 %
Elialys Advenis 5,22 % 5,01 % Fonciere Remusat Atland Voisin 5,29 % 4,85 %
Immo Placement Atland Voisin 5,21 % 5,53 % Cristal Rente Inter Gestion 5,05 % 5,04 %
Epargne Pierre Atland Voisin 5,08 % 5,36 % Novapierre Allemagne 2 PAREF Gestion 4,88 % 3,39 %
Interpierre France PAREF Gestion 5,01 % 5,20 % Novapierre Allemagne PAREF Gestion 4,83 % 4,84 %
Eurovalys Advenis 4,63 % 4,74 % Urban Cœur Commerces Urban Premium 4,50 % 4,30 %
Placement Pierre Aestiam 4,63 % 5,01 % Aestiam Pierre Rendement Aestiam 4,48 % 4%
LF Grand Paris Sofipierre Sofidy 4,46 % 4,80 %
La Francaise 4,53 % 4,53 %
Patrimoine Novapierre 1 PAREF Gestion 4,42 % 4,80 %
Primopierre Primonial REIM 4,43 % 4,77 % Pierre Plus AEW Ciloger 4,10 % 4,03 %
PFO2 Perial AM 4,42 % 4,59 % Ficommerce Fiducial Gérance 4,09 % 4,14 %
Épargne Foncière La Française 4,35 % 4,40 % Actipierre Europe AEW Ciloger 3,49 % 3,83 %
Selectinvest 1 La Française 4,07 % 4,10 % Immorente 2 Sofidy 3,46 % 3,59 %
Efimmo 1 Sofidy 4,05 % 4,91 % Patrimmo Commerce Primonial REIM 3,31 % 3,19 %
LF Europimmo La Française 4,02 % 4,02 %
Atout Pierre
Diversification
AEW Ciloger 4% 4,14 % SCPI résidentielles et France
Crédit Mutuel Pierre 1 La Française 4% 4% Société de gestion S1 2022 2021
Élysées Pierre HSBC REIM 3,85 % 3,64 % Kyaneos Pierre Kyaneos AM 5,56 % 5,94 %
Accimmo Pierre BNP REIM 3,80 % 4,61 % Primofamily Primonial REIM 2,90 % 3,03 %
PF Grand Paris Perial AM 3,71 % 4,42 %
Genepierre Amundi Immobilier 3,58 % 3,84 % … La performance d’une SCPI Mais, relève l’observatoire Linxea,
Edissimmo Amundi Immobilier 3,54 % 3,67 % ne tient pas qu’à son rendement. les valeurs de reconstitution ont
Allianz Pierre Immovalor Gestion 3,53 % 4,01 % L’épargnant profite aussi d’une progressé de 1,57 % en moyenne
Rivoli Avenir
Amundi Immobilier 3,30 % 3,80 % ­revalorisation du prix des parts. l’an dernier, et cette progression a
Patrimoine Ainsi, sur 2010-2020, cette dernière concerné toutes les catégories de
Laffitte Pierre AEW Ciloger 3,20 % 3,53 % a représenté en moyenne 20,7 % SCPI analysées. Il y a néanmoins
Opus Real BNP REIM 2,94 % 2,79 % du rendement global des SCPI, des écarts : + 2,45 % pour les SCPI
­s elon l’Institut de l’épargne de commerces ; 2,03 % pour les
SCPI diversifiées ­immobilière et foncière (IEIF). SCPI diversifiées ; 0,85 % pour
Au premier semestre, 16 SCPI les SCPI de bureaux ; – 0,58 %pour
Société de gestion S1 2022 2021 sur les 75 analysées dans « L’Ob- les SCPI de logements.
Remake Live Remake AM 8,18 % NC* servatoire des SCPI » réalisé par « Quinze d’entre elles, soit un quart
Iroko Zen Iroko 6,53 % 7,10 % Linxea ont augmenté le prix de du panel observé, affichent des décotes
Corum Origin Corum AM 6,41 % 7,03 % leurs parts, à l’instar de Novapierre supérieures à 7 % », relève Pierre
Cœur de Régions Sogenial Immobilier 6,38 % 6,43 % Allemagne (+ 7,6 %) et de Nova- Garin, auteur de l’étude. Et sept
Novaxia Neo Novaxia 6,35 % 6,49 % pierre Résidentiel (+ 4,31 %) com- d’entre elles, qui appartiennent
Eurion Corum AM 6,34 % 6, 12 % mercialisées par Paref Gestion ; de principalement au secteur des
Corum XI Corum AM 5,67 % 5,84 % Corum Origin (4,10 %) et de ­Corum ­bureaux, ont des décotes de plus
Cap Foncières Foncières
5,60 % 5,61 % XL (+ 3 %) de Corum Asset Ma­ de 9 %. Et d’en conclure que « 20 %
& Territoires & Territoires nagement ; de Vendôme Régions des SCPI sont susceptibles de voir leur
Altixia Cadence XII Altixia REIM 5,49 % 5,15 % (+ 2,2 %) de Norma Capital, ou de prix augmenter ».
Pierre Capitale Swiss Life REIM 5,42 % 4,60 % Primofamily (+ 2 %) de Primonial Résultat, « pour 80 % des pro-
Cristal Life Inter Gestion 5,27 % 5,20 % Reim. Cette hausse s’explique par duits, le marché affiche une décote
Cœur d'Europe Sogenial Immobilier 5% 5% l’augmentation de la valeur de re- entre leur prix d’achat et la valeur de
PFO Perial AM 4,68 % 4,82 % constitution du patrimoine. L’AMF leur patrimoine », estime Pierre
Fair Invest Norma Capital 4,40 % 4,73 % oblige en effet les sociétés de ­gestion ­Garin. Un écart qui peut être vu
Affinités Pierre Groupama 4,25 % 4,14 % à procéder à des revalorisations comme une source de plus-value
Immorente Sofidy 4,13 % 4,64 % si l’écart entre cette valeur et le potentielle ou comme un matelas
Buroboutic Fiducial Gérance 3,90 % 4,08 % prix de souscription dépasse 10 %. de protection en cas de baisse des
Selectipierre 2 Fiducial Gérance 2,89 % 4,03 % De ce fait, tous les prix des parts valorisations des actifs. De bon
* NC : Non communiqué. Source : France SCPI. n’ont pas été revus à la hausse. ­augure pour l’avenir ! §
100 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
 LE POINT STORIES POUR

Neutralité carbone : l’impact

pour vos investissements
La transition vers l’objectif zéro émission nette
peut aussi s’illustrer par une opportunité pour les
investisseurs.

électriques… Pour parvenir à la neutra- privées. Ces dernières offrent l’un

lité carbone, nous pouvons compter des gisements de croissance inté-
sur des technologies déjà en cours ressant pour un investisseur désireux
de développement qui s’appliquent à d’apporter sa contribution au défi à
de nombreux secteurs : énergie, agri- relever. Néanmoins, soutenir ces en-

D
es investissements dans
le domaine de l’environ-
nement, de la transition
énergétique, ou dans les
énergies renouvelables peuvent à la
fois avoir un impact significatif sur
les efforts entrepris afin de limiter le
changement climatique et présen-
ter une opportunité durable. Pour
rester dans la recommandation du
GIEC (Groupe d’experts Intergouver-
nemental sur l’Évolution du Climat)
d’un réchauffement de 1,5°, il faut ré-
duire les émissions carbone de moitié
d’ici 2030 et obtenir une neutralité
carbone des activités humaines à
l’horizon de 2050.
Ces entreprises qui révolutionneront
notre futur
Ce changement radical est pos-
sible. Selon l’Agence Internationale
de l’Énergie, plus de 80 % de l’effort
à faire d’ici 2030 peut être réalisé
par le biais de technologies déjà
disponibles : efficacité énergétique,
énergies renouvelables, véhicules
culture, acier, transport routier…
Ces innovations ne concernent pas
seulement la réduction des émis-
sions, elles cherchent aussi à les
éviter. Pour autant, le zéro absolu
n’existera pas. Il faut donc trouver
des moyens durables pour capter le
résidu de carbone produit ou pour
stocker l’énergie. Au total, l’objectif
de neutralité carbone nécessite des
investissements massifs et indispen-
sables. Il semble alors qu’une partie
des solutions viendront de techno-
logies aujourd’hui au stade de pro-
totype ou de démonstration dans
des entreprises en développement
ou des start-ups, souvent en mains
« Une entreprise et son
management n’ont plus
le choix. Ils doivent
œuvrer pour la neutra-
lité carbone »
Jean-Baptiste Douin,
Responsable de Pictet Wealth Management France
treprises non cotées signifie investir
sur le long terme, le temps nécessaire
pour que ces prototypes se transfor-
ment en réelles innovations.
L’impact d’un vote en assemblée
générale
Il est également possible en tant qu’in-
vestisseur d’avoir un impact sur les
entreprises cotées en bourse. Une im-
plication lors du vote des résolutions
en assemblée générale peut aussi
influencer le changement dans les
entreprises. À ce titre, Pictet Wealth
Management figure parmi les ges-
tionnaires qui s’engagent activement
au nom de ses clients. Pictet s’efforce
d’établir un dialogue avec les entre-
prises dans lesquelles ses clients sont
investis, en vue d’inciter leur direction
à intégrer les pratiques durables qui
favoriseront la création de valeur à
long terme. Le but principal est d’in-
fluer sur les résultats à long terme de
l’entreprise, car les sociétés qui sont
les mieux positionnées pour relever
le défi environnemental et social de
notre époque seront celles qui seront
performantes à l’avenir

Pictet & Cie (Europe) S.A., 15A, avenue J. F. Kennedy, L-1855 Luxembourg/B.P. 687, L-2016 Luxembourg. Pictet & Cie (Europe) S.A. est une société de droit luxembourgeois,
agréée par la Commission de Surveillance du Secteur Financier et soumise à la surveillance de cette dernière. Ce document marketing n’est pas destiné à des personnes
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sition ou son utilisation seraient contraires aux lois et aux règlements en vigueur. Les informations, données et analyses qu’il contient sont fournies à titre indicatif unique-
ment. Elles ne sauraient être considérées comme des recommandations d’investissement, que ce soit des recommandations de nature générale ou adaptées à la situation
individuelle d’une personne quelle qu’elle soit. Aucune entité du groupe Pictet ne peut être tenue pour responsable de ces données, qui ne constituent en aucune façon une
offre commerciale ou une incitation à acheter, à vendre ou à souscrire des titres ou tout autre instrument financier. Tous droits réservés. Copyright 2022.
SPÉCIALPLACEMENTS
« Le marché peut encore
baisser de 10 à 15 % »
Bourse. Pour Michel Saugné, directeur de la gestion
collective actions de La Banque postale AM, la plupart
des opportunités à saisir le seront outre-Atlantique.
Le Point J
 usqu’où les marchés
peuvent-ils s’effondrer ?
Michel Saugné : P
 our comprendre la
baisse, il faut remettre en perspective
les changements intervenus. On est
passé d’un monde qui se caractérisait
par une dépolitisation, une financiari-
sation et une mondialisation des biens
et services, une main-d’œuvre à bas
coût pléthorique, une déréglementa-
tion fiscale, des ressources naturelles
puisées à l’infini avec, pour consé-
quences, une forte désinflation, une
baisse continue des taux d’intérêt et
une augmentation des marges des
­entreprises… à un retour du politique
et du social, à des crises sanitaires, à la
décroissance de la population active
dans les pays développés et notamment
en Chine, à la repolarisation et au retour de la souve-
raineté politique mais aussi économique, à la néces-
sité de réaliser plus rapidement que prévu la transition
énergétique, etc. Tous ces bouleversements, qui se
traduisent par une envolée de l’inflation, en particu-
lier des matières premières, et, pour la combattre, par
la récession, suscitent à juste titre des peurs et des re-
mises en question, parmi lesquelles celle du consen-
CAC 40 : de l'espoir après la forte chute
Cours du CAC 40 depuis le début de l’année, en points
7 000
6 000
Source : Boursorama.
5 000
Janvier Février Mars Avril
2022
102 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
sus sur la progression des bénéfices en
2022 et en 2023. Les taux d’intérêt ont at-
teint 2,70 %, contre – 0,30 % il y a un an.
Le monde connaît la plus grave crise du
marché du crédit depuis la création de
l’euro. A contrario, les marchés financiers
ont certes baissé mais ils sont enco­re va-
lorisés outre-­Atlantique à leur niveau de
2019. Les ­investisseurs qui ont cru cet été
que la Federal Reserve Bank [ou Fed, la
banque centrale des États-Unis, NDLR] met-
trait ­rapidement un terme à sa politique
de resserrement monétaire ont compris
que son président, Jerome Powell, ne vou-
lait pas reproduire les erreurs de Paul
Volcker, qui l’a dirigée lors de la crise de
1979-1980, et qu’il ne faiblirait pas tant
que l’inflation ne serait pas revenue en
dessous de 2 ou 3 %.
En attendant N’y a-t-il pas des raisons d’espérer ?
le rebond. Oui, il y en a plusieurs : la baisse du prix des matières
Selon le spécialiste premières, la normalisation de la chaîne logistique
Michel Saugné, perturbée par la crise du Covid-19, la ­réfor­me atten-
« les obligations due du marché de l’énergie en Europe, qui devrait
offrent aujourd’hui s’accompagner d’une forte diminution du prix de
des rendements l’élec­tricité, le soutien budgétaire au consommateur,
intéressants ». l’assouplissement attendu après le congrès du …
5 867 points
le 7 octobre 2022
JULIEN MILLET/SP
Mai Juin Juillet Août Septembre Oct.
Design rouge202.com
SPÉCIALPLACEMENTS

Actions et obligations dans le rouge Actions mondiales Une remontée très rapide des taux d'intérêt
Rendements annuels, en % Obligations globales Évolution, en %
60 2,5

2 2,7 %
40 au 3e trimestre 2022
1,5
20
1
0
0,5

- 20 0
Source : Bloomberg. Source : Bloomberg.
- 40 - 0,5
1986 88 90 92 94 96 98 00 02 04 06 08 10 12 14 16 18 20 2022 2013 14 15 16 17 18 19 20 21 2022

… Parti communiste chinois de la politique zéro
Covid-19… L’accélération de la transition énergétique,
même si elle est source d’inflation des coûts à court
terme, se révélera également très ­positive à long terme…
Il se pourrait que l’on ne soit pas très loin du pic de
l’inflation. Par ailleurs, les marchés ont anticipé la
­révision à la baisse des résultats des entreprises, dont
les deux tiers sont aujourd’hui réa­lisés en Europe par
cinq groupes : Shell, Total, BP, Equinor et Glencore. Le
PER du Stoxx 600 est de 10,8 fois les résultats : une
bonne partie de la correction est donc derrière nous,
même en retraitant la partie bénéfices.
Il faut donc anticiper et revenir sur les actions ?
Le marché peut encore baisser de 10 à 15 %. Les ni-
veaux actuels ne reflètent pas encore l’environne-
ment. En récession, le PER peut tomber en dessous
de 10. Les révisions de bénéfices interviendront
notam­ment lors de la publication des résultats du
troisième trimestre. La difficulté sera de ne pas ra-
ter le rebond, qui sera fort en début de sortie de crise.
C’est pourquoi, même si nous recommandons la
prudence et donc de garder du cash, nous commen-
çons à surveiller de près les valeurs cycliques indus-
trielles qui ont été massacrées, comme les valeurs
allemandes, les sociétés leaders sur leurs segments,
capables de passer la récession. Les corrections créent
des opportunités. Enfin, nous ne sommes pas à l’abri
de bonnes nouvelles.
Qu’est-ce qui pourrait donner le signal ?
Les révisions à la baisse des bénéfices des entreprises
et l’annonce par le président de la Fed qu’il amorce
la fin de sa politique de resserrement monétaire.
Doit-on privilégier le marché américain ?
Oui, car il y a une totale déconnexion entre ce qui se
10,8
fois les
passe aux États-Unis et en Europe. Les premiers sont
beaucoup mieux armés pour rebondir : ils ont des
ressources naturelles, une armée, pas de voisins per-
résultats turbateurs. La récession outre-Atlantique est tech-
C’est le niveau nique. L’Europe restera fragile plus longtemps.
du PER du Stoxx 600
après la vigoureuse
Malgré la hausse du dollar ?
correction de ces Oui, et malgré le fort différentiel de valorisation, en
dernières semaines. raison de fondamentaux plus sains.
Que faire en attendant le rebond ?
Les actions ne sont plus le seul placement possible,
comme c’était le cas ces dernières années en raison
de la chute des taux d’intérêt. Il existe des placements­
alternatifs. Les obligations offrent aujourd’hui des
rendements intéressants. Et il est possible de créer
des portefeuilles dans lesquels le risque est ­diversifié §
PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENCE ALLARD

Octobre, un mois maudit ?

La Bourse bruit de dictons tels que
« Vendre en mai », « Il faut acheter
au son du canon et vendre
au son du clairon (ou du violon) »,
« Acheter la rumeur et vendre
la nouvelle » ou encore « Octobre,
le mois maudit ». Ce dernier
repose sur l’idée que beaucoup
d’événements négatifs pour
les marchés ont lieu pendant
ces quatre semaines. Superstition ?
« Certains investisseurs sont attachés
à cette théorie au point d’accroître
la protection de leur portefeuille »,
relève John Plassard, de Mirabaud
Equity Research. À l’appui de leurs
craintes : la crise de 1907, véritable
panique boursière qui débuta
en octobre et dura six semaines,
entraînant une frénésie de retraits,
et qui fut à l’origine de la création
de la Réserve fédérale des États-Unis ;
le krach boursier de 1929 et son
« jeudi noir », le 24 octobre ; la crise
de 1987, qui vit le Dow Jones,
l’indice phare des grandes valeurs
américaines, chuter de 22,6 %
en un jour. « Il s’agit d’une légende.
C’est en septembre et non en octobre
que l’on trouve le plus de marchés
baissiers dans l’histoire, note John
Plassard. Étonnamment, octobre
a historiquement annoncé la fin
d’un plus grand nombre de marchés
boursiers que le début. Le fait qu’il soit
perçu négativement peut en faire
l’une des meilleures opportunités
d’achat. » Ce fut le cas en 1987, 1990,
2001 et 2002 § L. A.

104 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

ET SI NOUS FAISIONS
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SPÉCIALPLACEMENTS
Ne pas hésiter à changer
sa clause bénéficiaire
… et concernant votre assurance-vie, quelles sont vos instructions ?
Transmission. Une bonne rédaction
permet le sur-mesure.
PAR LAURENCE ALLARD
N
e cochez plus la case les yeux
fermés ! Même si la formule
passe-partout peut convenir
à de nombreux ménages, il peut
s’avérer plus judicieux d’utiliser
les moyens que le droit offre pour
transmettre son contrat d’assu-
rance-vie aux « bons » destinataires
et pour le montant du capital dé-
siré. Quelles sont les possibilités,
et comment en faire bon usage ?
1 - Le démembrement
de la clause bénéficiaire
Il consiste à attribuer l’usufruit du
capital accumulé à son conjoint
et la nue-propriété à ses enfants,
106 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Assurance-vie
voire ses petits-enfants. L’intérêt :
permettre au conjoint de perce-
voir l’intégralité du capital et d’en
faire ce que bon lui semble tout en
octroyant aux nus-propriétaires
une créance correspondant au
montant du capital transmis à va-
loir lors de la succession du
conjoint survivant. « Cette clause,
qui a été longtemps très à la mode,
exige toutefois une rédaction soignée »,
prévient Catherine Costa, direc-
trice de l’ingénierie patrimoniale
chez Milleis Banque Privée.
Le hic : l’abattement sur les droits
à acquitter de 152 500 euros, appli-
cable sur le capital versé à chaque
bénéficiaire lorsque les primes ont
été versées avant les 70 ans, est par-
tagé entre les enfants nus-proprié-
taires et le conjoint usufruitier en
fonction de l’âge de ce dernier. « Le
conjoint bénéficie alors d’un abatte-
ment dont il n’a pas besoin puisqu’il
est exonéré du prélèvement de l’ar-
ticle 990 I du Code général des impôts
sur l’intégralité des capitaux décès qui
lui sont transmis, relève Catherine
Costa. Prévoir également une quote-
part en pleine propriété pour les en-
fants afin qu’ils bénéficient de
l’intégralité de l’abattement est judi-
ILLUSTRATION : TARTRAIS POUR « LE POINT »
cieux. » Et cette dernière de recom-
mander ce type de clause lorsque
le patrimoine est important.
« L’usage du démembrement se jus-
tifie davantage en présence d’une fa-
mille recomposée avec des enfants d’un
premier lit, estime Catherine Costa.
Il permet de gratifier le conjoint qui
ne percevrait pas l’intégralité de la re-
traite de son époux en cas de …
SPÉCIALPLACEMENTS
… décès, par exemple. » Et ce, à
condition de protéger les intérêts
des enfants en réalisant un inven-
taire et en demandant au conjoint
de fournir une caution afin d’évi-
ter que ces derniers ne perçoivent
rien si le conjoint se montre un
peu trop dépensier.
Reste que, utilisé à bon escient,
le démembrement permet de ré-
duire la fiscalité au décès.
- Plus de 40 % d’économie.
Un exemple. En avril 2008, Jean-
Paul opte pour une clause démem-
brée attribuant l’usufruit à son
épouse Marie et la nue-propriété à
ses deux enfants Julien et Anna. À
son décès en juillet 2022, Marie a
75 ans. Elle perçoit l’intégralité du
capital accumulé, soit 500 000 eu-
ros, montant exonéré d’impôt en
sa qualité de conjoint, moins le pré-
lèvement que doivent payer ses en-
fants. Ces derniers se voient en effet
attribués 70 % du capital (l’usufruit
étant évalué à 30 % en raison de
l’âge de Marie au décès), soit
175 000 euros par enfant. Chacun
bénéficie d’un abattement de
106 750 euros (152 500 x 70 %). Ils
devront verser au fisc 13 650 euros
chacun (68 250 x 20 %). Marie dis-
posera donc de 472 700 euros et les
deux enfants, d’une créance de res-
titution du même montant.
Au décès de Marie, son patri-
moine est évalué à 1 million d’eu-
ros. Ses enfants pourront déduire
472 700 euros au titre de la créance.
Ils ne seront plus imposés que sur
527 300 euros. Les droits de suc-
cession s’élèveront à 30 924 euros
par enfant. Au total, ils auront ac-
quitté 89 148 euros d’impôt.
« Si Jean-Paul avait opté pour une
clause standard léguant le capital à
Marie, la facture pour les enfants au-
rait été de 156 388 euros », conclut
Catherine Costa. Soit une écono-
mie de 67 240 euros (43 %).
- La bonne rédaction. « Béné-
ficiaire en usufruit, mon épouse, non
séparée de corps et non engagée dans
une procédure de divorce.
Bénéficiaires en nue-propriété, mes
deux enfants, vivants ou représentés
par parts égales et à défaut mes
­héritiers.
108 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Mon épouse bénéficiera donc d’un
quasi-usufruit sur les sommes versées
en application de l’article 587 du Code
civil.
Pas d’obligation de remploi des
sommes versées et dispense de dres-
ser inventaire et de fournir caution.
Si, en raison des dispositions fis-
cales en vigueur au jour du dénoue-
ment du contrat il est dû des droits ou
taxes à l’État, tant par l’usufruitier
que par le ou le(s) bénéficiaire(s) en
nue-propriété, le bénéficiaire en
usufruit devra en assurer le paiement
par prélèvement sur les capitaux dus
par la compagnie d’assurances. La
créance de restitution dont l’usufrui-
tier est débiteur à l’égard du (des)
nu(s)-propriétaire(s) étant réduite du
montant des droits ou taxes payés
pour le compte de ce(s) dernier(s). »
2 - La représentation
Lorsqu’on rédige la clause bénéfi-
ciaire, on ne pense pas forcément
à tout. Et encore moins au décès
d’un de ses enfants mentionnés
dans la clause bénéficiaire. Or, s’il
est écrit que le capital sera versé à
vos enfants, seuls ceux qui seront
vivants au jour de votre décès per-
cevront le capital. Les enfants de
votre enfant défunt n’auront droit
à rien. Une injustice qui, comme
le recommande Catherine Costa,
peut être réparée en précisant dans
la clause bénéficiaire que le capi-
tal sera versé aux enfants « vivants
ou représentés ».
3 - La renonciation
On hérite de plus en plus tard, et
c’est tant mieux ! Mais, à 60 ans ou
à 70 ans, on n’a pas les mêmes be-
soins : sa carrière est faite et son
patrimoine constitué. Il peut être
tentant de sauter une génération
et de faire profiter ses propres en-
fants de la succession reçue. Jusqu’à
la loi Tepa de 2005, ce n’était pas
possible. « Lorsqu’on renonçait à sa
Le grand atout de la clause
bénéficiaire est qu’elle peut
être modifiée à tout moment
et sans frais.
part, celle-ci était distribuée aux autres
héritiers », explique Catherine
Costa. « Depuis 2006, vos propres en-
fants peuvent hériter à votre place. »
Seule limite : ils héritent de tout.
Impossible pour les parents d’en
garder une partie !
S’agissant de l’assurance-vie,
« la renonciation ne se présume pas.
Il faut l’inscrire noir sur blanc dans
la clause bénéficiaire », met en garde
Catherine Costa. Mais, là encore,
pas possible de morceler sauf à
avoir plusieurs contrats, ce qui
70
laisse la possibilité d’en accepter
certains et de renoncer à d’autres.
ans 4 - La clause à options
C’est l’âge à partir
duquel l’abattement Pour donner plus de liberté au
applicable sur le conjoint et éviter qu’il perçoive des
capital versé à sommes dont il n’a pas réellement
chaque bénéficiaire besoin et qu’il ne pourra trans-
passe de 152 500 mettre qu’en faisant une donation,
à 30 500 euros.
il est possible d’inscrire dans la
clause bénéficiaire que l’on auto-
rise le conjoint à prendre ce dont il
a besoin et à laisser le reste à ses en-
fants. L’avantage ? Le conjoint ap-
précie ses besoins au jour de la
succession, ce qui est relativement
souple. Mais attention à la rédac-
tion de la clause. « Face à la réticence
de certains assureurs, il est conseillé de
2006
Depuis cette date,
prévoir cette clause par testament. »
Inconvénient : « Cette clause doit pré-
voir un délai pour exercer l’option, sou-
il est possible de ligne Catherine Costa. Un résultat
faire profiter ses
propres enfants
équivalent peut être obtenu avec l’ou-
d’une succession verture de plusieurs contrats. »
reçue (loi Tepa). « Toutes ces possibilités doivent
s’apprécier au regard de la situation
familiale et du montant du patrimoine
concerné, conseille Catherine Costa.
Le conjoint étant exonéré de droits de
succession, l’avantager au sein d’un
contrat d’assurance-vie n’est pas for-
cément la solution fiscale optimale
mais peut être judicieuse d’un point
de vue patrimonial. » Le grand atout
de la clause bénéficiaire est qu’elle
peut être modifiée à tout moment
et sans frais. Il suffit d’envoyer une
lettre à son assureur. Il n’y a plus,
non plus, de risque d’acceptation
à son insu. Jusqu’en 2007, si le bé-
néficiaire qui avait eu connais-
sance de la clause envoyait une
lettre pour dire qu’il acceptait le
contrat, l’assuré ne pouvait plus
rien modifier. Ce n’est plus le cas ! §
SPÉCIALPLACEMENTS

Regain d’intérêt pour

les terres et les vignobles
Diversification. La flambée des cours fait grimper
le prix de ces actifs.
tain et complexe, le foncier rural est Potentiel. Le prix d’Ukraine, les cours des céréales se
PAR LAURENCE ALLARD apprécié pour son côté défensif, la di- des terrains agricoles sont appréciés de plus de 60 %, le

G
uerre en Ukraine, fermeture
de la Chine mais surtout in-
flation galopante et chute de
la Bourse… le changement d’envi-
ronnement, marqué par une en-
volée du prix des matières
versification du patrimoine qu’il offre
et sa protection contre l’inflation »,
constate Benoît Léchenault, direc-
teur d’Agrifrance, filiale du groupe
BNP Paribas. D’autant que les biens
sont rares. Quel que soit l’actif,
progresse, même colza de plus de 80 %. Résultat : le
s’il existe de fortes prix des prairies a progressé en fin
disparités entre régions d’année de 8,6 % à 5 540 euros l’hec-
plus ou moins tare. Celui des terres agricoles pâ-
céréalières tit toujours de la baisse des revenus
(ici, dans le Loiret). des agriculteurs pour s’établir à
KHANH RENAUD POUR « LE POINT »

premières, profite aux actifs réels
que sont les terres agricoles ou les
vignobles. Des propriétés qui ont
comme autre atout de répondre à
l’attente des investisseurs en quête
de sens pour leurs placements et
d’une approche écoresponsable.
« Dans un environnement incer-
110 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
seuls 2 à 3 % de la surface changent 8 120 euros l’hectare libre (+ 0,1 %).
de main chaque année. Il y a de gros écarts : plus de 20 000 eu-
ros pour les meilleures zones céré-
Terres agricoles alières (Nord-Pas-de-Calais,
Conséquence directe de la multi- Santerre, Crau, vallée de la Du-
plication des intempéries et, plus rance), mais seulement 2 000 euros
encore, de la chute des exportations en Mayenne, en Côte-d’Or, dans la
en provenance de Russie et Nièvre ou le Morvan. Les …
SPÉCIALPLACEMENTS

Terres agricoles : un investissement sûr
Progression du foncier agricole libre de bail
en France, en euros par hectare
8 000
Terres libres
7 000
6 000
5 000
4 000
Prairies libres
3 000
2000
2006 2010 2015
… surfaces louées présentent
une décote moyenne de 25 % et
offrent un rendement de 2,7 %, avec
un écart allant de 1,5 à 5 %. Ce qui
fait la différence : la qualité du sol,
les améliorations apportées, la
structure de l’exploitation, les
conditions climatiques… Au regard
des prix de nos voisins, 100 000 eu-
ros l’hectare aux Pays-Bas par
exemple, le potentiel est encore
élevé : « C’est un actif encore trop né-
gligé par les investisseurs, estime Be-
noît Léchenault, alors même qu’il est
plus abordable. »
Vignobles
Quels que soient les aléas clima-
tiques, acquérir une propriété viti-
cole conserve un attrait particulier.
L’achat comprend une dimension
émotionnelle : l’amour du vin, la
concrétisation d’une réussite pro-
fessionnelle, le retour à ses racines,
le souci de pérenniser son patri-
moine… Il relève aussi d’une quête
d’optimisation fiscale qui ne
contraint pas à l’expatriation. Et, si
les perspectives de plus-value sont
alléchantes, pourquoi hésiter  ?
L’année 2021 aura marqué un
tassement sur ce plan. Une petite
récolte – la plus faible depuis 1970,
la Provence, le Beaujolais et l’Anjou- l’impôt sur la fortune immobilière
Mâconnais n’a été que de 1 %, et le (IFI), mais à des conditions privilé-
8 120 €/ha prix du foncier a même baissé de plus giées : un abattement de 75 %, dans
en 2021 de 1 % dans le Bordelais, y compris la limite de 101 897 euros, et 50 %
dans des appellations prestigieuses au-delà. Même traitement s’agis-
+ 0,1 % comme pomerol, saint-émilion, sant des droits de donation et de
5540 €/ha saint-julien ou margaux », relève Be- succession, sachant que l’abatte-
en 2021 noît Léchenault. ment de 75 % s’applique dans la li-
Le prix moyen à l’hectare hors mite de 300 000 euros.
Champagne s’élève à 78 100 euros. A contrario, pour ceux qui ont
+ 8,6 %
Il y a des écarts importants : de opté pour l’achat de GFV, les reve-
20 000 à 25 000 euros dans le Bor- nus fonciers relèvent de l’impôt sur
delais, jusqu’à 30 millions pour un le revenu, ils sont taxés selon un
grand cru de Bourgogne (voir carte). barème progressif ou au réel.
Dégageant peu de rendement, D’où le conseil donné aux ac-
2020
Source : Valeurs vénales.
l’investissement, qu’il soit réalisé quéreurs de ces parts d’investir à
en direct ou au travers de l’acquisi- crédit, afin de bénéficier de l’effet
tion de parts de groupements fon- de levier et de la déductibilité des
ciers viticoles (GFV) est soumis à intérêts d’emprunt §
Double attrait.
Acquérir une
propriété viticole
(ici, en Anjou) : un
investissement
financier et…
émotionnel.
Panorama des prix à l'hectare
selon les vignobles CHAMPAGNE : 1341850 €/ha
Prix moyen d’un hectare de vignoble
BOURGOGNE
en 2021, en euros
Grands crus :
7 795 340 €/ha
Premiers crus :
892 590 €/ha
Villages :
456 410 €/ha
VAL DE LOIRE
BEAUJOLAIS : 25 970 €/ha
Anjou :
16740 €/ha Crus du Beaujolais :
> 129 250 €/ha
BORDELAIS CÔTES DU RHÔNE
Bordeaux, rouge : Hermitage :
19 330 €/ha 1 295 750 €/ha
SEBASTIEN ORTOLA/REA POUR « LE POINT »

en baisse de 23 % par rapport à la Saint-Émilion : Côte-rôtie :

moyenne des cinq dernières an- 304 920 €/ha 1 289 140 €/ha
nées – et la pandémie ont, selon Pomerol : Châteauneuf-du-pape :
les experts d’Agrifrance, pesé sur 1 411 620 €/ha ROUSSILLON 518 870 €/ha
les valeurs et réduit le nombre de Saint-Estèphe : Gigondas :
transactions. Seule la Bourgogne 481 730 €/ha 231 900 €/ha
voit les prix continuer à augmen- Pauillac : PROVENCE Vacqueyras :
ter de plus de 5 %, comme dans le 2 492 430 €/ha Côtes-de-provence : 57 290 €/ha 121 200 €/ha
passé. « La progression dans le Cha- Margaux, Saint-Julien : Bandol : 147 300 €/ha Source : Valeurs Côtes-du-rhône village :
blis, le Mâconnais, les Côtes du Rhône, 1 208 970 €/ha Cassis : 117 620 €/ha vénales 2022. 25 460 €/ha

112 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

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CULTURECINÉMA

« Si j’aime les films

de monstres,
c’est qu’ils parlent
de la vie réelle. » 
VITTORIO ZUNINO CELOTTO/GETTY IMAGES VIA AFP

Tim Burton

114 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 Tim Burton
« J’ai l’impression
d’être mort »
Comment réagit le réalisateur d’Edward aux mains
d’argent à sa consécration au Festival Lumière ?
Il se confie au Point et revient sur ses films fétiches.
PAR FLORENCE COLOMBANI
O
n l’imagine distant, torturé, solitaire. Il se ré-
vèle rieur, humble, presque surpris du culte
fervent dont il fait l’objet depuis la fin des an-
nées 1980. À l’approche du 21 octobre – jour où lui
sera décerné le prestigieux prix Lumière remis
chaque année à Lyon par le festival éponyme (Jane
Fonda, Catherine Deneuve, Clint Eastwood font
partie des précédents lauréats) –, Tim Burton s’es-
claffe : « J’ai l’impression d’être mort et d’être convié à
mon propre enterrement… Un plaisir un peu particulier,
mais un plaisir quand même. » Une touche d’humour,
une bonne dose de gothique… le mélange est bur-
tonien en diable. C’est celui qui fait la magie de
­Beetlejuice (1988), la comédie funèbre qui fut son pre-
mier grand succès au box-office, de ses deux Batman
(1989 et 1992), et de ce chef-d’œuvre du cinéma d’ani-
mation qu’est L’Étrange Noël de monsieur Jack (1993).
Autant de films dont l’esthétique singulière, façon-
née par l’expressionnisme allemand, le gothique
anglais de Mary Shelley et une fantaisie toute per-
sonnelle, a marqué l’époque de façon indélébile.
Machine à remonter le temps. « Bien sûr, je
vois que certains de mes films ont eu une influence, re-
connaît sans coquetterie le cinéaste. Prenez les films
de super-héros. Aujourd’hui, on ne voit plus que ça, et
toujours sous l’angle du super-héros torturé, incompris,
en décalage avec le monde à cause de son drôle de cos-
PHOTO12 VIA AFP
tume. Le tout avec une image sous-éclairée. Ça me rap-
pelle quelque chose ! » Et pour cause : le « Batman »
de Tim Burton, avec Michael Keaton dans le rôle
de l’homme chauve-souris, a posé tous ces fonda-
mentaux en abordant le personnage comme un
marginal, en rupture avec la société. « Quand on
me parle des Batman les plus récents, c’est comme si je
prenais aussitôt une machine à remonter le temps… Je
Tim Burton, père du me retrouve dans la salle de montage chez Warner, en
chef-d’œuvre d’anima- pleine discussion avec les cadres du studio. Ils étaient
tion « L’Étrange Noël de effarés par l’image du film : on ne voit rien, c’est trop
monsieur Jack », dont il sombre ! J’entendais ça toute la journée. Si vous voyez
façonna lui-même la Batman, le défi aujourd’hui, ça paraît presque suré-
marionnette, se verra clairé par rapport à ce qu’on a vu depuis. »
décerner le 21 octobre Que Tim Burton se soit retrouvé chez Warner
le Prix Lumière. à moins de 30 ans, aux commandes d’un film à
gros budget destiné à révolutionner le paysage ci-
nématographique américain, n’avait rien
d’une évidence. « Le plus surprenant dans
ma vie, c’est que je n’ai jamais eu l’intention
de devenir cinéaste, assure-t-il, même s’il est
vrai qu’enfant je tournais déjà avec une caméra
Super 8. » Il faut dire qu’il est né sur les terres
du cinéma, à Burbank, la banlieue de Los An-
geles qui abrite les studios Warner. Une
ville modèle avec ses maisons bien ali-
gnées, ses pelouses impeccables et ses voi-
sins souriants… un vrai cauchemar, donc,
que le jeune cinéaste croquera avec féro-
cité dans Edward aux mains d’argent (1990), son
premier chef-d’œuvre. Edward (Johnny Depp)
– pâle, cheveux ébouriffés, des ciseaux en guise de
doigts – y subit le rejet de toute une petite commu-
nauté bien-pensante. « C’est un film qui me raconte
adolescent, qui est nourri par mon état émotionnel à ce
moment-là, explique Tim Burton. Si j’aime les films
de monstres, c’est qu’à mon sens ils parlent de la vie
réelle et de vrais sentiments. Les monstres ne …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 115
CULTURECINÉMA

Michael Keaton dans « Beetlejuice » (1988)… avant « Batman ».

TWENTIETH CENTURY FOX PICTURES/COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP – THE GEFFEN COMPANY/COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP – TOUCHSTONE PICTURES/COLLECTION CHRISTOPHEL VIA AFP
« Edward aux mains d’argent » (1990), ou Johnny Depp en tailleur monstre.

« Aujourd’hui, on ne voit
­ umière
L plus que ça, le super-héros
sur Lyon !
Du samedi 15 au di- torturé, incompris. Ça me
manche 23 octobre,
le festival lyonnais rappelle quelque chose… » « Ed Wood » (1994), grande famille de freaks burtoniens.
propose une série
d’événements au- Tim Burton 
tour de Tim Burton accepte de bonne grâce), son amitié avec Béla Lu-
dont une projection
de L’Étrange Noël de gosi, l’acteur qui jouait Dracula dans les an-
monsieur Jack le … sont pas mauvais en soi, ils sont maltraités par nées 1930, et bien sûr son amour passionné du
16 octobre et une la société, rejetés par la norme. Les films comme le Fran- cinéma. « J’ai touché à beaucoup de formes artistiques,
« Master class » ani- kenstein de James Whale et comme Edward aux explique Burton qui travailla un temps comme
mée par Thierry Fré- mains d’argent sont des fables qui utilisent des images animateur chez Disney, le dessin reste d’ailleurs une
maux le 21 octobre à fantastiques pour livrer une vérité émotionnelle. » L’émo- pratique quotidienne et intime essentielle à mon proces-
l’occasion de la re-
mise du 14e prix Lu- tion de l’adolescence est la peur du rejet, et celle sus créatif, mais le cinéma est l’art qui m’inspire le plus.
mière au cinéaste que le cinéaste lie à l’enfance est la terreur pure. Mon enthousiasme reste intact. »
américain. La sec- Bébé, le pingouin de Batman, le défi (1992) est pro-
tion « Lumière clas- mené dans un landau enserré d’une grosse chaîne. Synchronie avec Mercredi. Comment se
sics » permet de Dans les flash-back de Charlie et la chocolaterie (2005), sent-il, lui, l’artisan qui fabriqua de ses mains la
découvrir en salles
de somptueuses co-
le petit Willy Wonka est muselé par un appareil marionnette de monsieur Jack, dans ce monde où
pies restaurées de dentaire géant. Quant au jeune Toby de Sweeney tout se fait sur ordinateur ? « Ma préférence absolue
Ludwig, le crépuscule Todd, le diabolique barbier de Fleet Street (2008), il va au stop motion  : on est comme un géant qui s’aven-
des dieux (Luchino doit échapper à une ogresse qui veut le brûler vif. ture dans un monde miniature d’une infinie délica-
Visconti, 1973) ou de L’identification du cinéaste au monstre et en tesse. » Que pense le cinéphile du streaming ? « Je
­Remorques (Jean particulier à la créature forgée par Victor Fran- ne supporte pas la fonction qui permet de sauter le gé-
­Grémillon, 1941).
À quoi s’ajoute une kenstein – d’une innocence absolue et pourtant nérique. Le générique fait partie du film ! C’est comme
(re)découverte de honnie par la société – nourrit une œuvre qui, pa- si on lui coupait des doigts et des orteils. » C’est pour-
Mai Zetterling, une radoxalement, lui a valu de gagner la célébrité, tant bien sur Netflix que l’on pourra voir, à partir
actrice suédoise de- l’admiration de ses pairs, l’amour du public… bref, du 23 novembre, sa nouvelle œuvre, une série in-
venue réalisatrice au l’appartenance. « Le paradoxe, c’est qu’aujourd’hui titulée Mercredi du nom d’un personnage clef de
milieu des années
1960. Enfin le 22 oc-
tout le monde prétend être un outsider, c’est la nouvelle La Famille Addams. « On m’a toujours associé à La Fa-
tobre, ce sera déjà norme. Mais moi, je ne veux toujours pas faire partie mille Addams et on m’a souvent proposé d’en réaliser
Halloween avec d’un club qui m’accepterait pour membre, s’amuse- une adaptation, mais il n’y a qu’avec ce personnage de
­Nosferatu le vampire t-il. Plus sérieusement, j’ai constitué une famille de col- Mercredi que je me sente en synchronie. Son état émo-
(F. W. Murnau, 1922) laborateurs, une famille dysfonctionnelle, une famille tionnel, son regard sur ses parents, l’école, la société, je
accompagné par de freaks… C’est pour cela qu’Ed Wood est un film m’identifie complètement à elle », s’enflamme le ci-
l’orchestre de
l’Opéra de Lyon. aussi personnel. » Dans ce film de 1994, Tim Burton néaste. Dans la bande-annonce, l’ado aux cheveux
met en scène le « pire cinéaste du monde », ses de jais lâche des piranhas déchaînés dans la pis-
mœurs particulières (il aime s’habiller en femme, cine de son lycée au son vibrant du « Je ne regrette
ce que sa petite amie, jouée par Patricia Arquette, rien » d’Édith Piaf. Tout est dit §
116 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
1994 – McLaren MP4/9A-07
L’une des plus belles F1 de tous les temps, l’une des plus authentiques de la période
Pilotée par le futur double champion du Monde de F1 Mika Hakkinen et Martin Brundle
Une des 8 McLaren équipée du moteur Peugeot V10 A6 3,5 l développant 740 ch
5 week-ends de courses dont une 5 e place au Grand Prix d’Italie à Monza
Vendue prête à reprendre la piste sur les plus beaux évènements du calendrier
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Samedi 22 octobre : 10h - 19h Prochaine vente en préparation
Dimanche 23 octobre : 9h - 12h La vente d’Automne • 14 décembre 2022, Paris
Ne vendez pas sans nous consulter !
Vente aux enchères
Dimanche 23 octobre 2022, Sochaux
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CULTURECINÉMA

Écho. Le réalisateur po-

lonais Jerzy Skolimowski
avec le héros de son film
(prix du Jury à Cannes).
« Eo », ou le cynisme
de notre monde vu
par le prisme candide
d’un âne : un hommage
à Robert Bresson et son
« Au hasard Balthazar ».

On s’incline
devant cette grandeur d’âne
À 84 ans, avec le somptueux EO, le grand cinéaste
Jerzy Skolimowski dresse le portrait de l’humanité
à travers les yeux d’un âne. Déjà mythique.
dans un refuge boueux où il refuse de s’alimenter,
PAR VICTORIA GAIRIN Eo finit par prendre la tangente. Il traverse alors

E
O. Il aura suffi de deux lettres cette année pour
affoler la Croisette. Deux petites lettres pour
un rôle magnifique et un film coup de poing qui
repartira avec le prix du Jury du Festival de Cannes.
Derrière Eo, il faut entendre à la fois l’onomatopée
qui s’attache au braiment de l’âne – hi-han en polo­
nais – et le nom de l’animal au regard m­ élancolique
qui tient ici le premier rôle. À 84 ans, alors que l’on
croyait le cinéaste Jerzy Skolimowski disparu des
radars, le voici de retour avec une fable d’une ­audace
et d’une liberté étourdissantes. C’est l’histoire d’Eo,
un âne qui vit heureux dans un cirque auprès de
la douce Kasandra jusqu’à ce que des militants ani-
malistes viennent le libérer de sa condition de bête
de foire. Commence alors l’odyssée du baudet qui,
comme Ulysse, traverse le monde et ses embûches
forêts hostiles (ah, la façon de filmer cette nature
sauvage qui se réveille en regardant passer l­ ’animal
en fuite !), nuits brumeuses et villes ­hallucinogènes.
Mascotte d’une équipe de foot victorieuse, puis
tabassé par les mauvais perdants, l’âne fuit ­toujours
plus loin, passant de la Pologne à l’Italie, croisant
en chemin tout le règne animal et ce que l’huma-
nité sait faire de pire. Qui mieux qu’un âne pour
constater le cynisme impitoyable de notre monde ?
C’est en Sicile, dans le village de Custonaci, qui
chaque année organise pour Noël une crèche
­vivante, que Skolimowski tombe nez à nez avec
son Candide à quatre pattes. Il se renseigne, aime
la douceur, la noblesse de l’animal, sa longévité
aussi – un âne vit en moyenne quarante ans –, son
regard impassible. Il en fera son héros , en écho au
SP (x2)

alors que son seul désir est de rentrer chez lui. Placé seul film qui l’ait jamais ému aux larmes, Au ­hasard
118 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Balthazar (1966), de Robert Bresson. « Je voulais faire un film qui
élabore sa narration à partir des émotions, confie le cinéaste. Ce
qui manque le plus aujourd’hui, où l’utilitarisme domine, c’est une
image désintéressée. » Formé à l’école de cinéma de Lodz avec
Polanski – dont il cosigne par ailleurs le scénario du prochain
film, The Palace – , Skolimowski est contraint à l’exil en 1967
après l’interdiction de Haut les mains !, violente satire de la
­société polonaise. Emblématique du renouveau du cinéma
dans les années 1960, inspiré par la nouvelle vague française, Art &Design Fair
il tourne alors en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, puis
aux États-Unis. Le Départ (1967), fable magnifique sur le rêve ((((( 21— 23 Oct. 2022
d’évasion d’un garçon coiffeur, Deep End (1970), sur les tour- L’odyssée CA R R E AU D U TE M PLE , PA R I S
d’Eo
ments de l’adolescence, Le Cri du sorcier (1978), incursion À quoi peut bien
­fascinante dans le genre fantastique, Travail au noir (1982), ­ressembler notre
joyau amer et burlesque sur la situation des travailleurs clan- monde à travers les
destins, Le Bateau phare (1986), plongée dans les eaux du film yeux d’un âne, ani-
noir… Sept ans après 11 Minutes (2015), le maître polonais dé- mal philosophique
par excellence ?
montre à nouveau son impertinence, sa facilité déconcertante « L’âne ne juge pas, il
à s’affranchir des chaînes politiques et des canons esthétiques. constate », remarque
Jerzy Skolimowski,
Animisme salvateur. Car, oui, Eo a beau être filmé à hau- qui précise à toutes
teur de garrot, il s’agit bien d’un film politique. Un plaidoyer fins utiles que
en ­faveur de la nature et de la condition animale qui n’épargne six baudets ont été
­filmés pour garantir
rien à la brutalité de notre société. « L’être humain est une a­ ffreuse le bien-être animal
­créature. Et malheureusement, c’est lui seul qui dicte les règles. » Et sur le tournage. Dans
si on a­ rrêtait un peu de placer l’homme au centre ?, s’interroge Eo, le cinéaste conte
le cinéaste. Eo est une proposition, celle d’un grand enfant les tribulations d’un
­octogénaire qui, en décentrant son regard sur les rapports équidé malmené par
les hommes dans
entre les règnes, prône un animisme salvateur. Celle d’un poète sa Pologne natale et,
qui refuse le monde tel qu’il va. Pour faire entendre son sur- ce faisant, pulvérise

Wonder Buhle, A coat found in the museum of shame by kids, 2021, courtesy BKhz Gallery
saut lucide et désespéré, Skolimowski, qui, lorsqu’il n’est pas les codes de la réali-
derrière la caméra, s’adonne à la peinture, s’autorise une sation. Tel un gamin,
­débauche esthétique où la perception remplace tout langage. le réalisateur,
Flashs rougeoyants, orgie de couleurs, déploiement de formes, qui filme à hauteur
de garrot, joue avec
danses urbaines et brumes fantomatiques… Par le jeu du l’image, la sublime,
­montage, du cadrage, et surtout grâce à la musique de Pawel la transcende.
Mykietyn, qui entraîne le film dans sa course folle, le réalisa- Au cœur de ce délire
teur réussit le tour de force de nous faire pénétrer la psyché esthétique – la
de l’âne (ou bien est-ce de l’âme ?). Quelle est la part de vanité ? ­photographie est
De délire surréaliste ? Symbolique ? Entraîné au rythme des magnifique –, le re-
gard mélancolique
foulées et du souffle exalté de l’équidé, on ne sait plus bien… de l’âne semble
« J’ai fait ce film précisément pour me détacher des drames humains. contredire, à lui
Pour regarder le monde différemment, et prendre un peu de recul. » seul, l’anthropo-
Du recul, Skolimowski en a pris. Plus d’une fois. En 1965, centrisme du
­invité  du New York Film Festival pour Walkover, il se fait septième art. Une
véritable claque !
­étriller par la critique, qui lui reproche de montrer des rushs
En salle.
plutôt qu’un film à proprement parler. C’est là qu’il fait la
connaissance de Godard, à qui il voue déjà une profonde
­admiration. « On s’est croisés au restaurant de l’hôtel et, voyant
ma tête dépitée, il s’est permis de m’écrire une lettre. » Quelques
lignes que le cinéaste polonais garde précieusement en sou-
venir du maître récemment ­disparu. « Il avait écrit : “Ne soyez
pas vexé. Ces Américains ne comprennent rien. Vous et moi sommes
les plus grands cinéastes du monde.” » §

« Je voulais faire un film

qui élabore sa narration à partir
des émotions. » J erzy Skolimowski
CULTUREART

C’est la vie, mon chéri !

La réjouissante exposition « Habibi » présentée
à l’Institut du monde arabe, à Paris, fait souffler un vent
de liberté sur tous les visages de l’amour. Visite.

PAR ÉLISE LÉPINE

H
abibi : en arabe, cela signifie « mon chéri » au
masculin. À l’Institut du monde arabe, qui ac-
cueille jusqu’au 19 février « Habibi. Les révo-
lutions de l’amour », le mot est tour à tour cri de
joie, de passion ou de mélancolie. Mais, avant tout,
de liberté. « L’idée de “Habibi” est née au moment de
notre exposition “Divas”, en 2021. Lors de tables rondes
organisées en marge de l’événement, nous avons senti
un bouillonnement autour des questions de genre et
d’identité sexuelle dans le monde arabe », explique
Élodie Bouffard, commissaire de l’exposition. En
réaction à cette effervescence, l’Institut du monde
arabe met en lumière pour la première fois un pan
méconnu de l’art contemporain : celui que l’on
doit aux artistes qui explorent d’autres identités
et formes d’amour que l’hétérosexualité dans les
pays arabes et d’Asie centrale. Mais « Habibi. Les
révolutions de l’amour » est bien plus qu’un simple
relais de mouvements militants LGBTQIA+. À
l’écart de la politique, l’institut culturel reven-
dique, selon sa commissaire, la « mise en avant de
la liberté individuelle, la liberté du corps, la liberté d’exis-
ter tel qu’on le veut à travers l’art contemporain ».
Les 750 mètres carrés de l’exposition forment
un espace intime dans lequel les œuvres entre-
tiennent un dialogue serein, sans ostentation. Ici,
la beauté parle plus haut que tout. La forte présence
des arts traditionnels (miniature persane, poésie
classique, mythes fondateurs, costumes et danse
orientale…) détournés, réinventés, fascine et ré-
jouit. Dès l’entrée, les toiles renversantes de l’ar-
Édénique. tiste iranien Alireza Shojaian, né en 1988, aimantent
« L’Ange Gardien II », le regard. D’un trait d’une finesse à vous fendre
série ­« ­Divine ­Comedy», l’âme, l’artiste peint des corps d’hommes nus, al-
CHAZA CHARAFEDDINE – KUBRA KHADEMI

de la libanaise Chaza longés sur des étoffes aux plissés minutieux, envi-
Charafeddine. ronnés de fleurs enchanteresses. « En 1979, après la
révolution, le régime islamique a effacé les corps de notre
histoire de l’art, se souvient le peintre. Dans les biblio-
thèques et les écoles d’art, la peinture figurative, parti-
Érotique. Sans titre, culièrement celle de la chair, était recouverte d’encre
de l’Afghane Kubra noire. » Très jeune, Alireza Shojaian aperçoit, dans
Khademi, née en 1989. un magazine d’art trouvé sous le manteau, la Vé-
nus de Vélasquez, miraculeusement épargnée par
la censure. « Ce corps de femme, ces couleurs …
120 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
VILLA MEDICI EXPOSITION

7 octobre 2022 viale della Trinità dei Monti 1 Saul Leiter, United, San Carlo Restaurant
at 3rd Avenue and 10th Street, 1950.

15 janvier 2023
Rome, Italie Cibachrome / tirage d’époque,
Collection Bachelot.
© Saul Leiter Foundation, Courtesy of
www.villamedici.it Howard Greenberg Gallery, New York.
CULTUREART
… furent un choc et une inspiration, confie-t-il.
À partir de ce souvenir, j’ai eu envie de questionner la
nudité, d’en explorer les contours. » L’artiste, qui a dû
fuir l’Iran « simplement pour être lui-même », sème
dans certains de ses tableaux des motifs emprun-
tés à l’art de la miniature persane, tel le personnage
légendaire de Rostam : « Dans Shâhnâmeh (Le Livre
des rois), écrit il y a mille ans et fondateur de la culture
persane, Rostam est un père qui tue son fils au nom d’un
idéal guerrier. Je le fais figurer ici pour
écrire sa contre-histoire : les corps
d’hommes que je peins sont doux, sen-
suels, fragiles. À mille lieues de l’idéal
de virilité triomphante qui fait tant
de mal aux hommes, aux femmes et
aux personnes queers dans mon pays. »
Voluptueuses. Les gouaches
de l’artiste afghane Kubra Kha-
demi, née en 1989, s’inspirent elles
aussi de l’art traditionnel pour ex-
primer la sensualité des corps. Dans
le tableau In the Realm, deux
femmes font l’amour dans une
étreinte acrobatique, tandis que
des vers du poète persan Rumi
(XIIIe siècle) se déploient au-des-
sus d’elles, finement calligraphiés
sur feuille d’or. Sur d’autres toiles,
naïves, voluptueuses, les femmes
se donnent du plaisir seules ou à
plusieurs. « Chez nous, en Afghanis-
tan, la religion interdit tout et crée
deux espaces distincts, celui des
hommes et celui des femmes. La sexua-
lité apparaît de manière très joyeuse
dans la parole qui naît dans le secret des cercles fémi-
nins », explique l’artiste. Sa peinture est une « mise
en images » du discours subtil des femmes sur le
plaisir, la masturbation et, souvent, le saphisme, à
l’écart de la domination masculine.
« Je ne suis pas contre l’islam, je suis traumatisé par
le régime islamique », clarifie Alireza Shojaian, qui
entend dans le cri de révolte « Femme, vie, liberté ! »
un chant d’espoir pour toutes les minorités sexuelles
du monde arabe. Se réapproprier un islam purgé
du radicalisme islamiste est au cœur de plusieurs
démarches artistiques mises en scène dans l’expo-
sition. L’artiste libanaise Chaza Charafeddine ex-
pose trois clichés issus de la série Divine Comedy
Sur les parois d’une
« Ball Room » se déhanche
un homme au rythme d’une
pop orientale enivrante :
­l’artiste syrien The Darvish.
122 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
dans laquelle elle explore, notamment, une figure
archétypique de l’art islamique de l’Empire mo-
ghol, qui a connu son apogée au XVIe siècle : l’ange.
Ses créatures ailées, capturées dans des décors ri-
chement ornés, sont trans ou travesties. « Bien sûr,
c’est un peu osé, dit Chaza Charafeddine, mais l’islam
de cette époque était beaucoup plus tolérant, notamment
envers l’homosexualité. L’esthétique de l’art moghol était
très féminine, même quand elle incarnait des hommes. »
Pour exister dans un monde qui
leur laisse peu de place, au point
qu’environ la moitié d’entre eux
sont issus de la diaspora, car
contraints à l’exil, les artistes
queers exposés ici se montrent, ou
non, vindicatifs, et s’autorisent
tous les supports : peinture, image
animée, réseaux sociaux, roman
graphique, mais aussi musique et
danse, au sein d’une « Ball Room »
sur les parois de laquelle se dé-
hanche, notamment, un homme
au rythme d’une pop orientale eni-
vrante : l’artiste syrien The Dar-
vish…. Dans l’espace de l’exposition,
l’identité homosexuelle s’expose
dans son intimité (ainsi, le duo
Jeanne & Moreau nous ouvre sa
chambre à coucher et met son
smartphone à disposition), son
exil (Sultana, l’une des premières
drag-queens arabes ayant émigré
à New York, est mise en lumière
par l’artiste Ridikkuluz à travers
un tableau massif d’une sidérante
vérité), son ultramodernité (on
Cosmique. « Sous le ciel reste captif du court-métrage Out of the Blue, signé
de Shiraz, Arthur », de de l’artiste français Tarek Lakhrissi, qui répond à
l’artiste iranien Alireza nos peurs d’apocalypse par un doux futurisme
Shojaian, né en 1988. queer), ses provocations assumées (comment ne
pas rire face aux broderies tradi-trash du Marocain
Sido Lansari, ou être troublé par les fantasmes
crayonnés des Bed Works de Soufiane Ababri ?).
« Les œuvres de l’exposition sont tellement fortes qu’il
fallait qu’elles se rencontrent sans se confronter », sou-
ligne Élodie Bouffard. Pas question pour elle d’im-
poser aux artistes une scénographie cérébrale ou
d’enfermer leurs œuvres dans un discours théo-
rique. Ne cherchez pas de longs panneaux expli-
catifs : il n’y en a pas. L’appareil critique est dans le
catalogue de l’exposition, qui présente les œuvres
exposées et met en avant, par le biais de textes uni-
versitaires limpides et percutants, l’actualité du
mouvement queer et sa spécificité arabe dans l’art
contemporain. Affranchie de toute analyse, l’ex-
position se fait transe, branchée sur la fréquence
ALIREZA SHOJAIAN
pure du verbe « aimer » §
« Habibi. Les révolutions de l’amour », à l’Institut du monde
arabe (Paris) jusqu’au 19 février. Catalogue sous la direction
de Lamia Guillaume (Snoeck, 119 p., 24 €).
Bixente Lizarazu
en exclusivité
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Jeux de Paris 2024,
mondial de foot,
rugby…
L’expertise
du champion
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CULTURELIVRES

Roulette russe
C’est votre jour de chance : quatre romans
et une série dans ce spécial polar.
PAR JULIE MALAURE

I
l y a d’un côté la tension insoutenable de l’ac-
tualité. L’horreur de la guerre, impossible à éva-
cuer. Puis de l’autre, paradoxalement, la
fascination que la Russie continue d’exercer sur
nos imaginations.
Le polar s’intéresse aux traîtres, aux transfuges,
aux agents doubles, aux empoisonneurs et à tous
ces personnages qui ont décidé de changer de camp
pour passer du « bon côté de la force » (le nôtre,
s’entend). La Grande Catherine et tous les tsars
aux oubliettes… Ce qu’il y a d’excitant dans la gran-
deur de la Russie, soyons honnêtes, c’est sa déca-
dence. Sa gloire déchue, le point de bascule, l’instant
de sa chute, ou sa compromission, aujourd’hui,
avec un capitalisme sauvage.

L’empoisonneur du Kremlin
« Le Débutant », de Sergueï Lebedev.
Traduit du russe par Anne-Marie Tatsis-Botton
(Noir sur Blanc, 224 p., 20,50 €).
En 1981, un garçonnet, Kali-
tine, se glisse dans un uni-
forme militaire dégoté dans

JANE LEZINA/SP – ILLUSTRATION : DUSAULT POUR «LE POINT»


le bureau de celui qu’il ap-
pelle son « oncle ». Un uni-
forme presque à sa taille où,
sous les médailles, est brodé
le nom de Lénine. « Ces sym-
boles connus, assimilés depuis
l’enfance, ciselés ici sur des déco-
rations, semblaient faire de lui une partie de quelque
chose d’infiniment plus vaste, plus grand, comme le ciel
étoilé. » Le sentiment d’appartenance bouleverse
l’enfant : dès lors, il va se livrer à ce mystérieux oncle
qui lui ouvre les portes de la faculté de médecine
militaire. Et si ce garçon nous intéresse, c’est parce
qu’il est en voie de devenir le plus grand terroriste

« Kalitine savait beaucoup de

choses sur le corps humain, mais
son point de vue était étroit et spé-
cifique : il savait comment le tuer. »
124 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
 chimique de tous les temps. Kalitine va être « le créa-
teur d’une mort indétectable ». Ce fabuleux roman
porte en titre le nom du poison parfait, radical, in-
détectable, le Débutant. Un génie de la mort en-
fermé durant des années dans son laboratoire,
jusqu’au jour où il reconnaît son « enfant », le Débu-
tant, utilisé lors d’un attentat dans un pays du Cau-
case. Kalitine va alors ouvrir les yeux sur la vraie
nature de son pays si « généreux », qui « donne la mort
ou la gloire », où la vie vaut si peu et donc tant. Et,
derrière Kalitine le transfuge passé à l’Ouest, pour-
chassé pour trahison, Sergueï Lebedev, considéré
aux États-Unis comme une des plus grandes plumes
russes de sa génération, signe une œuvre splendide,
d’une sensibilité toute slave, prise dans les affres de
l’histoire de la chute de l’empire russe.
La Lisbeth Salander de la Stasi
« Kleo », une série de 8 épisodes
de 52 minutes, par Hanno Hackfort,
Richard Kropf et Bob Konrad, sur Netflix.
Gros coup de cœur pour cette série allemande que
les Allemands doivent détester ! En 1987, Kleo Straub
(Jella Haase, irrésistible et solaire) est une jeune Ber-
linoise élevée par un dignitaire du Parti pour deve-
nir une parfaite espionne. Sans état d’âme, Kleo
NETFLIX
séduit et tue sa cible avant de disparaître sans lais-
ser de trace. Un homme, pourtant, sera témoin de
CLAIRE
FAVAN
DU CÔTÉ OBSCUR
DE L’ENFANCE
Un jumeau ressurgit
et c’est tout un passé qui s’éveille.
ce qui sera sa dernière mission.
Sven (Dimitrij Schaad), un po-
licier veule, que nul ne croira,
d’ailleurs. Il n’empêche, trahie
par les siens sans qu’elle sache
pourquoi, Kleo est envoyée en
prison, à vie, et y perd l’enfant
qu’elle portait. Deux ans plus
tard, la chute du mur de Berlin
signe sa libération, et le début
de sa vengeance. Reste à savoir
Pop. Kleo, contre qui. Ainsi démarre la trépidante traque d’une
une espionne est- ex-espionne qui se transformera en une sanguinaire
allemande sortie vengeresse, impulsive comme la Lisbeth Salander
de prison à la ­faveur des romans Millénium, violente comme Uma Thur-
de la chute du Mur, man dans Kill Bill, de Tarantino. Elle sera rejointe
en quête de ­vengeance. dans sa quête, bon gré mal gré et jusqu’à Majorque,
par Sven, en chemises hawaïennes. Une brutalité
dans le thème édulcorée par une chorégraphie im-
peccable de la mise en scène, où l’humour pulvé-
rise savamment le sérieux. Enfin, il y a le souci du
style vestimentaire et du décor, tel un rappel pop
du (mauvais ?) goût allemand des années 1980, à la
Good Bye, Lenin ! La saison 2 est en route et on s’écrie :
« Wunderbar ! »
« Le KGB, c’est quoi ça ? Kouglof,
Grossiste, Berlin ? »
CULTURELIVRES
Le roman de l’Organizatsiya
« La Famille », d’Anthony Lee. Traduit de l’an-
glais (États-Unis) par Isabelle Chapman (So-
natine, 480 p., 23 €). En librairie le 20 octobre.
« Meurtres avec prémédita-
tion » ; le FBI le coince comme
ça, lui, Martin Quinn, le petit
Irlandais qui ne voulait tuer
personne mais trempait pas
mal dans la dope lorsque la
fusillade a commencé. L’agent
fédéral lui propose toutefois
un marché : trahir les siens
pour ne pas finir sa vie à l’ombre. C’est-à-dire ses
amis du quartier new-yorkais de Greenwich qui l’a
vu grandir, la « famille » – la mafia russe appelée Or-
ganizatsiya. Retour sur les jeunes années de Mar-
tin, son amitié avec Felix Pasko, le fils d’un baron
de la pègre qui va leur donner un bar en gérance, le
triangle amoureux qu’ils vont former avec « Penny »,
Pénélope, à partir duquel tout va partir à vau-l’eau.
Comment construire un choix de l’impossible ?
Exactement comme dans cette pépite à l’écriture
folle, une œuvre fictionnelle très inspirée de la vie
de son auteur, qui tient à la fois d’Il était une fois en
Amérique, de Sergio Leone, et de Little Odessa, de
James Gray. Passée sous les radars lors de sa première
parution, il y a presque vingt ans, sous le titre déci-
dément imprononçable d’Organizatsiya, La Famille
va enfin mettre tout le monde d’accord.
« Les yeux de Felix à présent,
­finalement privés de lumière.
Son souffle tari, sa peur éteinte,
telle la flamme d’une bougie. »
L’ours de la City
« Oligarque », d’Elena B. Morozov (Grasset,
400 p., 22 €). En librairie le 19 octobre.
On sent toute l’ambition du
roman russe dans ce livre qui
n’en est pas un puisqu’il est
signé par un auteur français
sous un pseudonyme
­(féminin) à consonance assu-
rément russe – Morozov. Mais
qu’est-ce qu’un roman russe,
sinon le sentiment qu’il l’est ?
Or, ici, presque tous les ingré-
dients sont là – l’étoffe des personnages, la grandeur
des destins, « l’âme », enfin – pour suivre l’ascen-
sion spectaculaire de Girgori Yurdine. Ou comment
le fils d’un ouvrier mort dans un accident du travail
et d’une mère internée dans un hôpital psychia-
trique va devenir un magnat de la finance, non pas
le loup de Wall Street, à New York, mais l’ours, l’ani-
126 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
« Yurdine se souvenait que, lors de leur première
rencontre, Alexandra lui avait semblé aussi belle
qu’inaccessible. Tretz pouvait séduire une
femme comme elle, pas lui. Pas encore. »
mal totem russe, de la City, à Londres. Ce thriller
politico-financier – qui commence et s’achève par
la mort, et se dévore comme une traversée roma-
nesque au fil de trois décennies (1990 à 2020) –
montre Yurdine grandir, déployer son ambition
puis se pervertir, enfin, pour un empire oligarchique
construit sur les ruines d’un autre, le communisme.
Faucille, marteau
et thermalisme
« La Baignoire de Staline »,
de Renaud S. Lyautey (Seuil, 224 p., 18,50 €).
En 1926, Staline décide de
transformer Tskhaltoubo –
non loin de Gori, son village
natal, en Géorgie – en « capi-
tale du thermalisme ». On
vient d’y découvrir une source
d’eau riche en carbonate de
radon, une merveille pour les
maladies circulatoires, ner-
veuses, dermatologiques… Un projet pharaonique
pour construire un paradis communiste aqueux,
aujourd’hui tombé dans l’oubli et l’urbex, mais où
se rendait fréquemment un jeune Français que l’on
découvre strangulé dans l’hôtel Marriott de Tbilissi.
Étranglé avec une cordelette de nylon, comme les
fibres que l’on retrouve au cou d’un ex-patron du
KGB dont la mort a été camouflée en suicide. L’his-
toire n’est jamais finie et ce roman le prouve, réac-
tivant les rapports complexes du fils de cordonnier
JULIANA SOHN/SP – HERMANCE TRIAY/SP – &
(Staline), devenu tsar de l’URSS, avec la Géorgie.
L’enquête, menée au présent par un jeune diplo-
mate, René Turpin, écrite par l’ex-ambassadeur de
Géorgie Renaud S. Lyautey, se transforme en affaire
de contre-espionnage à la John le Carré, invoquant
le souvenir de l’agent double (au moins) britan-
nique Kim Philby. Car, sous le prétexte d’une in-
triguepolicière,ilestsurtoutquestiondegéopolitique.
De l’importance stratégique de la Géorgie, petit pays
éternellement coincé entre la Russie et l’Alliance §
« Puis il y aura des toasts interminables. Comme
à la grande époque de Moscou ! Vous savez que ce
sont ces satanés Géorgiens qui ont inventé tous
ces rituels soviétiques ? Ça date de Staline et de sa
clique de cinglés du Caucase. »
 Guérir par le polar
ou par le crime ?
Sur le ring, la reine du déve- Le Testament des abeilles, une enquête parisienne
­parue chez Albin Michel sur laquelle plane un mys-
loppement personnel, Nata- tère ésotérique, n’annonce encore que timidement
cha Calestrémé et l’outsider le virage qu’elle va amorcer. Mais elle le revendique
aujourd’hui pleinement, en défendant la parution
allemand Karsten Dusse. au format poche de ses quatre romans policiers sous
le label « Les polars guérisseurs ».
Ni rustine ni aspirine, Calestrémé ne propose
PAR JULIE MALAURE pas une pharmacopée, mais des romans aux vertus

E
lle est l’autrice de La Clé de votre énergie, paru
en 2020 chez Albin Michel. Un ouvrage classé
au rayon bien-être et développement person-
nel, vendu à plus de 350 000 exemplaires, resté
soixante-cinq semaines dans le classement des
meilleures ventes (Edistat), dans lequel elle a re-
mis « au goût du jour », nous dit-elle au téléphone,
22 « rituels chamaniques ou énergétiques » sous l’ap-
pellation de « protocoles ».
Pourtant, neuf ans plus tôt, en 2011, c’est un
polar que signe cette petite-fille de magnétiseur.
« thérapeutiques », augmentés de « protocoles ». Pour
elle, il ne s’agit pas de « s’y livrer » en tant qu’autrice
pour « aller bien », mais de transmettre ses connais-
sances acquises sur les « mécanismes » psychiques
« dans l’espoir d’aider ceux qui sont dans la difficulté ».
La journaliste nous explique être passée à la fic-
tion à la suite d’une déception. Son premier livre,
sur la sauvegarde des espèces et des écosystèmes,
Les Héros de la nature (Robert Laffont, 2005), lui a
laissé le sentiment de ne « parler qu’aux convain-
cus ». Le polar, genre qu’elle affectionne en …

UNE FEMME PARFAITE

TUE SES DEUX ENFANTS.
Est-elle un monstre ou une victime ?

EN POCHE
CULTURE
Natacha Calestrémé
… tant que lectrice, lui apparaît alors comme
le moyen de s’adresser « au plus grand nombre, en
distillant des messages importants ». Ainsi naît Le Tes-
tament des abeilles, sur le thème des dérives envi-
ronnementales. Les suivants sont inspirés de son
vécu : Le Voile des apparences aborde l’autisme, Les
Racines du sang, le diabète. Enfin Les Blessures du si-
lence, celui qui lui tient le plus à cœur, est né d’un
drame vécu de près, à la suite de la mort d’épuise-
ment d’une amie après des années de harcèlement
conjugal. Natacha Calestrémé aurait-elle pu la sau-
ver ? Elle cherche à comprendre, émet l’hypo-
thèse qu’il y aurait « un processus qui expliquerait cette
attitude d’impuissance face à l’adversité, aux humilia-
tions, aux silences, aux ­injonctions paradoxales, qui
transforme la personne en victime et alimente la perver-
sion de l’autre ».
Effet (désirable) attendu pour le lecteur : l’iden-
tification aux personnages, mais avec la distance
de la fiction, alliage qui permet, selon « l’expérience
de psychothérapeutes », nous assure-t-elle, de « lever
les résistances des personnes souvent dans le déni ». Et
par là même de « sortir de la culpabilité », d’entrevoir
le bout du tunnel…
Grâce au label « Polars guérisseurs », nous ex-
plique l’autrice, son dernier roman s’est vendu dix
fois plus que sous la simple étiquette « Polar ». Alors
on y croit, ou pas, mais cette nouvelle médecine
douce s’est tout de même déjà écoulée à 150 000 exem-
plaires. Bientôt remboursée ?
Face à elle, dans un registre décapant, le Teuton
« Le polar est le moyen
de s’adresser au plus grand
nombre. » 
Natacha Calestrémé
128 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Karsten Dusse
Natacha tonique Karsten Dusse, difficile à coller au tapis.
Calestrémé Des Meurtres qui font du bien, le premier tome d’une
2005 « Les Héros de série (Les Meurtres zen) qui pulvérise les ventes (2 mil-
la nature : À la lions d’exemplaires), paraît en France. Dusse, 49 ans,
rencontre de ceux
qui se battent pour la avocat de formation, humoriste de renom en Alle-
nature » (Robert magne, propose, tel un Christophe André du polar,
Laffont) une séduisante approche du bien-être : le crime en
2011 Prix Montalem- pleine conscience. Une thérapie qui fonctionne, on
bert pour « Le Testa- en tient la preuve : son personnage, l’avocat d’af-
ment des abeilles »
(Albin Michel) faires Björn Diemel, qui n’avait jamais témoigné de
2020 « La Clé de la moindre violence, ni collé la moindre baffe, se re-
votre énergie : 22 trouve, en seulement six jours, auteur de six meurtres.
protocoles pour vous Et, par une contorsion de la logique – « Je n’avais rien
libérer fait de mal. Bien au contraire, j’avais réussi quelque chose
émotionnellement » de bien en m’abstenant d’agir » – devient meurtrier et
(Albin Michel)
2021 « Trouver ma heureux de l’être, « en pleine conscience ».
place : 22 protocoles Comment atteindre un tel stade de plénitude
pour accéder au par le crime ? Grâce à la mise en application des
bonheur » (Albin 37 préceptes du « coach » de Björn. La femme de
Michel) l’avocat pour barbouzes l’a envoyé suivre une
­formation de pleine conscience pour sauver son
Karsten Dusse
2022 « Des meurtres couple. Bon élève, Björn va appliquer cet enseigne-
qui font du bien » ment à la lettre, en pliant son quotidien à des exer-
(Le Cherche-Midi). cices pratiques… « Percevoir sans juger », « Une chose
Ce premier roman à la fois », « Éprouver de la gratitude », se ménager
est le premier tome des « îlots de temps »… et voilà Dragan, un baron de
de la série « Les
Meurtres zen ».
la schnouff, retrouvé raide mort dans le coffre de
sa voiture. Et d’un. On rit au fil des 37 chapitres
qui tirent leur force de leur logique imparable. Ce
polar ultra-malin, qu’aurait pu signer le bonze
Matthieu Ricard, mêle le savant à l’humour pour
se gausser (enfin, merci !) de cette mode qui vou-
drait que la pleine conscience soit valable pour
tout, tous, et en toutes circonstances §
Le Testament des abeilles, Le Voile des apparences, Les Racines du
SP – VIM/ABACA
sang, Les Blessures du silence, « les polars guérisseurs », de Nata-
cha Calestrémé (Le Livre de poche, 8,40 € chacun).
Des meurtres qui font du bien, de Karsten Dusse. Traduit de l’al-
lemand par Jenny Bussek (Le Cherche-Midi, 400 p., 19,90 €).
 Stephen King et le sniper écrivant
Plus fort que le sexe, l’alcool
et la vengeance : l’écriture.
L
es nuits sont calmes, désormais, dans les œuvres
de Stephen King. À 75 ans – dont près de cin-
quante ans de carrière –, il nous livre un opus
dans lequel la terreur et l’angoisse ont laissé place
au polar. Via une idée totalement excitante :
la quadruple identité d’un personnage, Billy
Summers.
Billy est un « gentil » tueur à gages car il ne tue
que les « méchants ». Une dichotomie fragile, qui
ne tient qu’à ce qu’on voudra lui dire de sa cible.
Ce qu’a bien compris Nick Majarian. Nick ne sait
pas si Billy est « autiste ou crétin », mais il sait
qu’en brossant le portrait de l’homme à abattre
sous les traits d’un assassin d’enfant, Billy accep-
tera le travail. Sauf que le tueur à gages n’est ni
l’un ni l’autre, il est méfiant. Il joue à « Billy l’Idiot »
SHANE LEONARD/SP
quand le terrain est glissant. Et il l’est car Nick lui
propose 2 millions de dollars pour dégommer Joël
Allen, assassin d’un ado de 15 ans, sur les marches
du tribunal.
Le temps de la préparation, on découvre le vrai
Billy : un passionné de littérature qui cache au fond
de son sac un exemplaire de Thérèse Raquin et qui
ne prend ses leçons de vie que chez Zola ou Hardy.
Ironie du sort, pour accomplir la mission, Billy,
qui se planque, se fait passer pour David Lockridge,
un aspirant écrivain. C’est là que Billy/David a
l’idée d’écrire sa vie vue par Billy l’Idiot. Et il re-
vient sans cesse à l’écriture qui, mieux que le sexe,
l’alcool ou l’obsession de venger sa sœur, massa-
Loupe. Si Stephen crée à coups de botte, lui fait ressentir le « soula-
King a ancré « Billy gement » de laisser la voix des souvenirs s’exprimer.
Summers » dans notre Mais c’est sous une quatrième identité que l’in-
époque, il fait trigue se poursuit ! Billy est un geek, Dalton Smith.
aussi dans cet opus On n’est qu’au milieu du roman quand l’histoire
une myriade bascule. Billy ramasse dans la rue une jeune fille
de références victime d’un viol collectif, puis égrène ses souve-
à sa cinquantaine nirs de marine en Irak. Cette moitié de r­ oman est
d’autres livres. comme une traversée du désert tant on ingurgite
de virils « lieutenants-colonels » et de sables de
Falloujah. La preuve que même Stephen King
n’échappe pas à son bain culturel § JULIE MALAURE
Billy Summers, de Stephen King (Albin Michel,
560 p., 24,90 €).
LE NOUVEAU
TA LE NT CR OA TE
À DÉ CO UV RI R AB SO LU ME NT !
“Jurica Pavičić a choisi d’exploser
les codes du genre.”
Le Point
“D’une mélancolie poignante.”
Télérama
“Un roman funambule, hypersensible.”
France Inter
CULTURELIVRES

Vivant un rêve de gosse, celui de « l’école buissonnière

Le blanc géante », ils sont partis de Menton et ont rejoint

Trieste en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche
et la Slovénie, accueillant pendant leur périple amis

de « Blanc » et compagnons de hasard, alternant entre excur-

sions longues de plusieurs semaines et retours tem-
poraires à la réalité, loin de la montagne et de ses
couleurs que l’écrivain décrit si bien. Car tout n’est
Sylvain Tesson a traversé pas blanc dans Blanc. Sous sa plume, véritable pa-
lette de pein­tre, prend vie la neige immaculée, mais
les Alpes à skis, de Menton aussi l’aube « rose clair », le val Ferret « mauve », la
à Trieste. Un périple deve­nu « pointe noire » des montagnes, la « clarté d’huître »
d’un ciel et un lever de soleil couleur « pistache-fraise »…
un récit qui lave l’âme. Arpenteur, écrivain et peintre du sauvage, Syl-
vain Tesson embarque, dans son sillage, écrivains,
artistes et musiciens, qu’il convoque, raconte et
PAR ÉLISE LÉPINE cite, de Rimbaud, omniprésent, à Paul Morand en

«O
ù va le blanc quand la neige a fondu ? »
­demandait Shakespeare, cité par Sylvain
Tesson. Question à laquelle l’écrivain-­
voyageur répond par un livre. Du blanc pur de la
neige dont il s’est repu pendant trois ans, de 2018 à
2021, il a fait Blanc, promenade philosophique et
poétique nourrie par sa traversée des Alpes à skis
avec son ami, le guide de haute montagne Daniel
du Lac de Fugères, et dont les lecteurs du Point
avaient pu suivre, dans nos pages, quelques étapes.
Bivouac. Sylvain Tesson
photographié par son
ami le reporter Thomas
Goisque. Tout au long
de leur traversée des
Alpes, l’écrivain et son
acolyte, le guide Daniel
passant par Nietzsche, Hugo, René de Obaldia,
Stendhal, Mahler, les peintres Nicolas Roerich, Sis-
ley ou Monet… et même Virginie Despentes, dont
il prend au pied de la lettre l’injonction provoca-
trice : « On se lève et on se casse ! » S’il se lève, et s’il
se casse, c’est d’abord pour vivre, « le mariage (…)
entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffine-
ments de l’esprit ».
Ode. Ce « mariage » en blanc entre la nature et les
arts est, de plus, l’occasion de réflexions profondes
sur le sens de la vie et les dérives de notre époque,
qu’il observe depuis les sommets, depuis lesquels
il aura vent des guerres et des tensions, de la pan-
démie et des drames intimes, comme le décès d’une
tante aimée. Face à ce chaos généralisé, Blanc est
un appel à retrouver en nous le goût de l’effort et
celui de la distance, dans un monde absurde où « le
chic est de passer le lundi à Brighton et le vendredi à
Cancun ». Une ode aux vraies satisfactions : « Avoir
chaud quand on a eu froid est plus jouissif que manger
des perles à la truffe dans un Jacuzzi de champagne. »
Cette neige qu’il aime, explore et décrit dans
toutes ses nuances se fait métaphore des bienfaits
auxquels nos âmes aspirent. Son manteau glacé
nous protège de la transparence qui cherche son
chemin dans les réseaux sociaux, qui voudraient
tout dire et tout révéler, faisant fi du mystère et du
respect de l’autre. Méditez plutôt cette « leçon de
vie » : « Ne pas tout savoir. La transparence est cet état
qui, donnant à tout connaître, donne à tout redouter.
La neige masquait l’ensemble et permettait de glisser
dans l’inconscience, c’est-à-dire le bonheur. En ville,
même principe. Si l’on se retrouvait informé de la vie
intime de nos proches, on n’accepterait plus le moindre
contact »… La crevasse qui guette le randonneur est
moins terrifiante, à le lire, que l’ensevelissement
sous les stimuli du consumérisme, la course à la
possession et les flux d’images en couleur. Après
THOMAS GOISQUE

du Lac de Fugères, ont un été caniculaire et dans un monde qui nous livre
accueilli des proches chaque jour sa pelletée de nouvelles anxiogènes,
et des compagnons Blanc lave l’âme, rince le cœur et vivifie l’esprit §
de hasard. Blanc, de Sylvain Tesson (Gallimard, 240 p., 20 €).

130 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

PRIX DES LECTEURS
LAURÉATS
2022
LITTÉRATURE
CE QU’IL FAUT DE
NUIT
LAURENT PETITMANGIN
Ce premier roman est bouleversant
d’amour et de détresse. Amour
inconditionnel d'un père pour ses
enfants et détresse de ne plus parvenir
à les comprendre. D’une écriture
percutante et sans fioritures, l’auteur
raconte ces vies simples. Il parle de
valeurs, de résilience et de pardon.
Voici un petit livre de 142 pages qui,
une fois refermé, vibre en nous encore
longtemps.
Catherine, Reims (51)
DOCUMENTS
À L’AUBE DE LA 6e
EXTINCTION
BRUNO DAVID
En nous donnant les moyens de
comprendre ce qui se passe réellement,
ce livre nous aide à trouver notre place
pour devenir acteur du changement.
En plus d’un document passionnant,
c’est aussi un guide pour se repérer
dans la complexité de l’évolution de la
biodiversité. Un ouvrage indispensable
à lire et partager sans modération.
Marianne, Vannes (56)
POLAR
L’ANGE DE MUNICH
FABIANO MASSIMI
Ce livre contient, pour moi, tout
ce qui fait un bon roman policier.
Une trame historique, l’Allemagne
durant la république de Weimar et
l’ascension d’Hitler, des personnages
forts, une victime hors du commun pour
plein de raisons, des policiers
en quête de vérité, et une énigme
semée d’embûches. On mène l’enquête
en même temps que le commissaire
Sauer, on tombe dans les mêmes
chausse-trappes et on traverse cette
histoire avec délectation.
J’ai adoré.
Camille, Vanves (92)
IMAGINAIRE
DÉVOLUTION
MAX BROOKS
Le livre le plus surprenant dans sa
manière de basculer du réel
à l’imaginaire et le plus original dans sa
forme quasi documentaire.
Il exploite, avec beaucoup d’intelligence,
des réalités absurdes du monde
d’aujourd’hui et des histoires « à dormir
debout » que les individus inventent
pour jouer à se faire peur. Une lecture
intense qui offre de quoi nourrir de
multiples réflexions sur l’humain,
ses peurs, ses désirs, ses fantasmes...
Philippe, Pessac (33)
CULTURELIVRES
Diététique du bonheur
Fragments, esquisses,
aphorismes : avec « Lignes
de vie », Jean-Paul Enthoven
fait scintiller la malice.
PAR MARC LAMBRON,
DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE
O
n peut concevoir un livre comme un herbier
de préférences. Dans Lignes de vie, Jean-Paul En-
thoven choisit sur 280 pages la forme du frag-
ment, de l’aphorisme, de l’anecdote, de l’esquisse,
de l’appel de fiction. Une succession
de brefs éclats de silex, avec des traits
à La Bruyère, des cabrioles de mora-
liste facétieux. Comment donner de
soi-même un « reflet infidèle et flouté à
dessein » quand la loi du mentir-vrai
trahit aussitôt cette proclamation
pour mieux amener des vérités ve-
loutées ? Disons d’abord que l’on tient
ici un traité des gratitudes. Chez En-
thoven, les racines aspirent aux ra-
meaux : la vie présente s’augmente
des tuteurs qui ont su la traverser.
Chez lui, ils sont surtout écrivains.
De Casanova à Fitzgerald, de Flaubert
à Modiano, l’auteur embarque ses li-
cornes dans une arche de Noé selon
les règles d’une posologie stendha-
lienne, ce qui donne une pharmaco-
pée de portraits stylés. Enthoven aime
les vies sculptées, est plutôt pour
Sainte-Beuve, sait que la littérature
infuse de la noblesse dans nos condi-
tions déconcertées. Le prince de Ligne
l’a tôt vacciné contre les ligues,
fussent-elles révolutionnaires. Les pointes-sèches,
les brèves de vie valent leçon. Belle eau-forte d’Ara-
gon en 1981, au-delà de sa « passion-Potemkine » pour
Elsa. Visite à un Cioran souffrant et laconique (« Pa-
ris est un endroit merveilleux pour rater sa vie »). Dé-
ception face à un Julien Gracq morose, tristesse
devant un Kundera diminué, souvenirs d’un Truf-
faut grand lecteur. Là, Enthoven bat le tambour de
la mémoire en faisant tourner la table des fulgu-
rances passées. C’est un spirite qui a l’esprit de prê-
ter son talent aux morts pour mieux les ressusciter,
un émérite scaphandrier des Atlantides littéraires,
citant Byron qui lisait Plutarque pour mieux se ren-
seigner sur l’actualité.
132 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Deuxième ligne de vie, une propédeutique de
l’amour et de la félicité. Autrefois coutumier des
maldonnes sentimentales, Enthoven a appris à
conjurer en lui le gobeur défait. Brodant sa redoute
de maximes dentelées, il nous administre des in-
jections thérapeutiques de casuistique élégiaque.
Les femmes fatales sont-elles des professeures
d’abandon ? Pourquoi Ninon de Lenclos pensait-elle
que les femmes sont moins protégées d’aventures
improbables par leur vertu que par la maladresse
des hommes ? S’il dit avoir accueilli en amour ses
propres indécisions « avec lyrisme et complaisance »,
ce rescapé d’une opération à cœur ouvert s’est dé-
sormais guéri des candeurs mortifères, ayant raf-
finé en la matière des antidotes qui ouvrent sur
une conception de la vie. Français
de syntaxe, Italien pour l’effet, An-
glais par la coupe, Jean-Paul Entho-
ven chasse le nihilisme comme
d’autres les papillons.Cet esthète
n’aime guère l’hiver, autant qu’il re-
doute l’air fâché des trépassés sur
leur lit de mort : « Il est désagréable
de vieillir, même pour un défunt. »
Antipoisons. Chemin faisant,
l’avisé décrypteur livre un portulan
pour naviguer dans la mer des per-
fidies parisiennes : « Ne jamais ou-
blier que les serpents ne changent que
de peau. » L’aristarque bronzé décoche
alors ses flèches contre les fâcheux,
satirise les verbeux « terroristes de
l’authenticité », cite tel proverbe mal-
gache (« Les anciens péchés font de lon-
gues ombres »), fait scintiller des
malices. Est-ce la bravoure britan-
nique pendant le Blitz qui a immu-
nisé cette nation contre le mauvais
art contemporain et le Nouveau Ro-
Esthète. Chez Jean- man, à ses yeux deux fléaux pour gogos ? Pourquoi
Paul Enthoven, le style l’apparence de Michel Tournier avait-elle l’air « tra-
infuse partout : dans les duite de l’allemand » ? Enthoven s’amuse de Lé-
portraits de ses héros vi-Strauss décrivant ainsi son ami Roman Jakobson :
littéraires et intimes « Il parlait une douzaine de langues, mais en russe. »
comme dans les flèches Ou de Freud considérant les succès amoureux du
qu’il décoche aux romancier Arthur Schnitzler comme ceux d’un
verbeux. « dangereux sosie ». Voici un auteur qui concocte
trop d’antipoisons pour ne pas connaître la fragi-
lité du bonheur. Il sait la raffiner dans un laby-
rinthe de grâces. C’est un livre dont la vivacité
ralentit la lecture, tant l’on s’attarde sur les pépites
GRASSET
dont il regorge §
Lignes de vie, de Jean-Paul Enthoven (Grasset, 288 p., 20,90 €).
 Les meilleures ventes de la Fnac La minute antique
Fnac/Le Point du 3 au 7 octobre 2022
VADE-MECUM HELLÈNE. « Un hippopotame aux allures
Rang Nombre de semaines de présence continue ­cacochymes vivait en complète autarcie en Mésopotamie. Il n’avait
Genre Classement précédent qu’un rêve : s’élancer sur un hippodrome tel un dromadaire. »
Titre Auteur Éditeur
La dictée se poursuit. Sur deux pages. Onirique, un rien philo­
1 R Angélique Guillaume Musso Calmann-Lévy 1 3
sophique. Deux mots que l’on aurait pu précisément ajouter
2 R Cher connard Virginie Despentes Grasset 2 7
à la dictée proposée dans ce livre, et destinée à montrer à ses
3 R Billy Summers Stephen King Albin Michel 4 3
jeunes lecteurs que, sans y prêter attention, nous parlons tous
4 R La Fin d’une ère Jane Elizabeth Howard Éd. de La Table ronde - 1
grec ancien. L’ouvrage s’intitule Eurêka. Mes premiers pas en
5 E Survivant des réseaux sociaux Jeremstar Hugo Doc - 1
Grèce antique (Les Belles Lettres, 296 p., 9 €). Il est gourmand,
6 R Le Livre des sœurs Amélie Nothomb Albin Michel 6 7
malin, et surtout joyeux comme le cri prêté à Archimède
7 R La Doublure Mélissa Da Costa Albin Michel 5 2
– Eurêka, « J’ai trouvé », faut-il le préciser ? – découvrant les
8 R L’Archipel des oubliés Nicolas Beuglet XO 7 3 lois qui r­ égissent la poussée que les objets subissent quand
9 E Les lapins ne mangent pas de carottes Hugo Clément Fayard 3 2 ils sont plongés dans l’eau ou tout autre liquide. Grâce à ce
Il n’y a pas de Ajar. petit livre enthousiasmant (encore un mot d’origine grecque !),
10 E Delphine Horvilleur Grasset 14 4
Monologue contre l’identité c’est dans un bain hellène que vont plonger vos enfants. Son
11 R Identités croisées Harlan Coben Belfond - 1 autrice, Caroline Fourgeaud-Laville, a pris soin de le construire
12 R La Diagonale des reines Bernard Werber Albin Michel 10 2 selon quinze thèmes, de l’alphabet à la cuisine, de la monnaie
13 E
Homo numericus.
Daniel Cohen Albin Michel - 1
à la médecine. Que trouvait-on dans un porte-monnaie athé­
La « civilisation » qui vient nien ? Quelle est la recette de la panacée ? À quoi ressemblait
14 R Les Vertueux Yasmina Khadra Mialet-Barrault 11 6 le réveille-matin (hydraulique) de Platon ? Et à quel mot grec
15 E La Cavale Marco Mouly, Julie Madar HarperCollins - 1 doit son nom une célèbre marque de boisson digestive ? ­Pepsis,
Succession. L’argent, Raphaëlle Bacqué, la digestion ! L’étymologie a ici la part belle, la mythologie
16 E Albin Michel - 1
le sang et les larmes Vanessa Schneider
17 R Le Mage du Kremlin Giuliano da Empoli Gallimard 15 16
aussi et l’Histoire évidemment, mais, attention, surtout pas
18 E Vivre et renaître chaque jour Patrick Sébastien XO 13 2
de logorrhée (encore un !) mais de courts chapitres joueurs,
19 R Sa préférée (prix du roman Fnac 2022) Sarah Jollien-Fardel Sabine Wespieser 17 4
soit la meilleure forme pour déclencher dans un jeune esprit
– ou un moins jeune – ce que le regretté Paul Veyne appelait
R : Romans et nouvelles E : Essais et documents Entrée ou retour dans la liste sa « vocation ludique » pour l’Antiquité § CHRISTOPHE ONO-DIT-BIOT

Menace russe
Hacking
Neurosciences

Terrorisme Cyberguerre
international

" Une saga à lire et relire, pour anticiper

les défis géopolitiques de demain ! "
© Sente – Jigounov / Dargaud Benelux 2022

NOUVEL ALBUM AU RAYON BANDE DESSINÉE

CULTURE
> Musique

Crise de la quarantaine
Au printemps, trois chanteurs
ont décidé de casser la routine
urbaine en s’isolant une se-
maine au Studio de la Fabrique,
à Saint-Rémy-de-Provence.
Gaël Faye (également auteur
du roman à succès Petit Pays),
Ben Mazué et Grand Corps Ma-
lade se fréquentent depuis
quelques années mais n’ont
jamais « pris le temps », comme
ils le rappent désormais, de
faire de la musique ensemble.
Lors de cette parenthèse, ils
ont écrit les paroles de sept
morceaux composés par
le DJ suisse Quentin
Mosimann et le com-
positeur greno-
Avec le tome 5 de la saga des Cazalet, Elizabeth Jane blois Guillaume
Howard signait la fin d’une épopée magistrale. Poncelet.
Dans leur
> Livre
mini-album
maxi-bouffée
L’adieu aux Cazalet d’air frais, ils
portent un regard implacable
sur la vie d’artiste, ses écueils
et déceptions, comme celle de
n’avoir pas remporté la Vic-
toire de la musique du meil-
leur album de l’année, pour
laquelle ils étaient tous trois
nommés en 2021, et finalement
attribuée à Benjamin Biolay.
Ils décident alors de se venger
de leur rival à travers une chan-
son pleine d’autodérision, dans
laquelle ils lui volent son tro-
phée et le kidnappent. La vic-
time, amusée par cette farce
pop hip-hop, les a d’ailleurs
autorisés à utiliser un
sample de sa « Su-
perbe ». Une ami-
tié qui risque de
durer  §
ANNE-SOPHIE JAHN
Éphémère
(Anouche
Records)

Ce mois d’octobre a un goût de douce amertume pour les poche

amateurs de littérature anglaise. La Fin d’une ère, dernier vo-
lume de la savoureuse saga des Cazalet, est enfin sur les tables
des libraires. Publiés en Angleterre entre 1990 et 1995, les cinq
tomes de cette saga familiale ont dû attendre 2020 pour être
traduits en français, par les Éditions de La Table ronde. Succès
fulgurant pour les aventures de cette famille de l’aristocratie
anglaise, avec près de 650 000 exemplaires vendus. Leur point
de chute s’appelle Home Place, un manoir du Sussex où règne
la Duche, mère de trois fils eux-mêmes pères de famille, et
d’une fille dévouée. Le premier opus, Étés anglais, commen-
çait en 1937, tandis que la guerre rôdait aux portes de l’Eu-
rope. La famille Cazalet s’apprêtait à encaisser départs pour le
front et bombardements, black-out et pénuries. De sa plume
élégante, d’un pince-sans-rire purement british, Elizabeth Jane
Howard (décédée en 2014) a fait grandir, au gré des trois
tomes suivants – À rude épreuve, Confusion et Nouveau Départ –
En
Les îles absolues
Les Îles Aran, de John M. Synge (Petite Bibliothèque
Payot, 208 p., 8,15 €).
« J’ai rencontré John Synge pour la première fois pendant
l’automne de 1896, raconte Yeats, son meilleur camarade.
Je le pressai d’aller aux îles Aran pour y trouver une vie qui
n’eût pas été exprimée en littérature. Plus d’une année devait
s’écouler avant qu’il ne suivît mon conseil, n’allât s’établir pour
un temps dans une chaumière d’Aran et ne trouvât le bonheur,
ayant enfin échappé, comme il l’écrivit, à la sordidité
des pauvres et à la nullité des riches. » C’est un
YANN ORHAN – NATIONAL PORTRAIT GALLERY, LONDON

les enfants Cazalet. Sans aucun défaut de tempo, l’autrice a
abordé des thèmes sensibles : homosexualité, libido, désir
d’enfant, inceste et deuil… Et imaginé des passions intenses,
des amours brûlantes, des amitiés vives, de flamboyants en-
vols. Dès les premières pages de cette Fin d’une ère, la Duche
ferme les yeux pour toujours. Ses fils et sa fille entrent douce-
ment dans la vieillesse. Leurs enfants sont grands. Une nou-
velle génération pointe le bout de son nez. Nous sommes en
1956. Le champ des possibles est ouvert. La marche de l’His-
toire et des destins croisés des Cazalet nous entraînent, cha-
pitre après chapitre, dans un pur plaisir de lecture § ÉLISE LÉPINE
La Fin d’une ère, d’Elizabeth Jane Howard, traduit de l’anglais par Cécile Arnaud
(La Table ronde, 560 p., 24 €).
nectar d’Écosse, pour les démangés de « choses
celtiques », comme disait Conan Doyle. Ce sont
les îles absolues. Pour elles, tous les grands
peuples du Nord se sont maudits, damnés,
entretués ; les Gaëls et les Vikings, les
Britanniques, les Écossais. Elles étaient ce genre
de havre de paix valant toutes les guerres. Lors de son
séjour aux îles Aran, le poète et dramaturge John Synge
redécouvre le gaélique, écoute les contes et les légendes
oubliés, rêve d’elfes et de fées, touche des mots le monde
primitif. Le récit de son voyage est un enchantement, une
gifle d’air et de magie pure § MARINE DE TILLY

134 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 in du po
co

Le

lar
La bombe Beuglet
L’Archipel des oubliés, de Nicolas Beuglet
(XO Éditions, 400 p., 20,90 €).

La première héroïne, Sarah Geringën (de la trilogie

Geringën, Le Cri, Complot, L’Île du Diable) vient d’Oslo ;
la seconde, Grace Campbell (Le Dernier Message, Le
Passager sans visage) d’Édimbourg. Et rien ne présa-
« Le soleil inonde ma geait qu’elles feraient à ce point décoller les ventes
toile », Gérard en France de Nicolas Beuglet, avec 1,6 million d’exem-
Fromanger, 1966. plaires écoulés en seulement cinq thril-
> Art lers. Suite et fin à présent de ce qui
compose une hexalogie dans laquelle
Face au soleil de Monet les deux inspectrices finissent par faire
équipe. Et ça matche. Avec toujours
une empreinte psychologique forte
Il y a cent cinquante ans, un 13 novembre, Claude Monet peignait des deux flics, une chasse à l’ennemi
au Havre Impression, soleil levant, une des pièces maîtresses de son (le fameux Passager sans visage, insti-
œuvre. Et de la collection du musée Marmottan-Monet qui fête cet gateur d’un complot mondial) dans
anniversaire en nous mettant « face au soleil », ou comment l’astre laquelle Nicolas Beuglet, soudain,
a inspité les artistes depuis l’Antiquité. On s’extasie sur cet orne- greffe des éléments irrationnels. Sa signature. Ce
ment de harnais signé Johann Melchior Dinglinger, on contemple mélange confondant nous emmène dans le passé,
les nuances du Lorrain, de Turner… Et ces contrastes : le sombre avec une étrange invention de Thomas Edison, le
Lever de soleil d’Otto Dix, de 1913, et le Soleil rouge d’Arthur G. Dove, « nécrophone », et vers un futur ultratechnologique,
de 1935. Après avoir admiré les œuvres de Miro, Courbet, Derain, où le virtuel menace de dépasser et d’annihiler l’hu-
Munch et autres grands maîtres, le parcours se conclut par le main. Le présent n’a jamais été aussi inquiétant § 
disque solaire Impression, soleil levant, 2019, hommage de Froman- JULIE MALAURE
ger à Monet. Une célébration radieuse § VALÉRIE MARIN LA MESLÉE
Musée Marmottan-Monet. Face au soleil, un astre dans les arts. Jusqu’au 29 janvier
2023. Catalogue coédité par le musée et les Éditions Hazan (240 p., 140 illustra-
tions, 35 €).
LE POINT STORIES POUR

> BD
À l’ombre du polar
Malraux sur un bateau
Aux armes, assassin !
En 1962, André Malraux voyage tion d’un Fragonard et la dernière

P
aris, août 1789. Tandis que
STUDIO CHRISTIAN BARAJA SLB/FONDS DE DOTATION FROMANGER – ED. CASTERMAN

sur le France et doit veiller sur La
Joconde qui sera exposée à la
­National Gallery de Washington.
Mais le tableau disparaît. C’est le
début d’une enquête délirante
menée sur un tempo effréné par
les duettistes scénaristes Bourhis
et Bourgeron et le dessinateur
Tanquerelle, dont le trait explo-
sif évoque les immenses Martin
Veyron et René Pétillon. Mais der-
rière la drolatique confrontation
du combattant de la guerre civile
espagnole avec la modernité (té-
moin un monumental trip au
LSD) pointe un ton plus mélan-
colique. Malraux se découvre pro-
gressivement étranger à son
temps et à son monde, trouvant
encore refuge dans la contempla-
lutte qui compte à ses yeux : « Pré- la Révolution gronde, la ter-
server la beauté. » § ROMAIN BRETHES reur s’installe rue Voltaire,
Le Ministre et La Joconde, d’Hervé Bourhis, au théâtre de la Comédie-Fran-
Franck Bourgeron et Hervé Tanquerelle çaise où se presse le tout-Paris.
(Casterman, 88 p., 20 €).
Un meurtre y est commis en pleine
représentation, puis un deuxième.
Pour piéger l’assassin, la police
ferme les portes du théâtre : dans
ce huis-clos se mêlent victimes po-
tentielles et tueur sanguinaire. Un
journaliste, le sagace Gabriel Joly, prête main forte à
l’enquête. Dans une atmosphère vibrante de mystère,
Henri Lœvenbruck recréé avec minutie l’esprit du
18e siècle, des coulisses froufroutantes du théâtre
aux tribunes vociférantes occupées par les grandes
figures de la Révolution. De quoi réjouir les amoureux
d’Histoire et les mordus d’énigmes !
L’Assassin de la rue Voltaire, de Henri Lœvenbruck
(Pocket, 512 p., 8,75 €)
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 135
STYLE

SAINT LAURENT

L’élégance Saint Laurent par Anthony Vaccarello, au Trocadéro

136 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 Et le désir aussi…
Les fashion weeks présentant la mode féminine de l’été 2023 ont été l’occasion de conjuguer goût de l’éclat,
pour susciter le désir, et sens du produit. PAR GILLES DENIS ET EDSON PANNIER
U
n champ de boue, à l’odeur âcre,
plongé dans une nuit artificielle
sous un hangar. Autour, 650 per-
sonnes, arrivées au parc des ex-
positions de Villepinte dans un
long cortège de limousines à l’heure de
la messe dominicale. C’est un autre of-
fice, en grande pompe, auquel viennent
assister ce 2 octobre médias, acheteurs
et quelques people déjouant les faux pas
qui les feraient tomber dans la gadoue.
Une précaution inutile pour les 75 mo-
dèles qui soudain déboulent au rythme
lancinant d’une musique assourdis-
sante : sous leur marche forcée, la boue
jaillit, maculant leurs vêtements et leurs
accessoires. Le show Balenciaga ? Sans
doute. Mais surtout la métonymie du
système de la mode lors d’une fashion
week qui s’est déroulée alors que gronde
la guerre – il y a de la fuite et de l’exode
dans le mouvement des premiers mo-
dèles – et que les crises énergétiques me-
nacent. Mais le fracas du monde
s’assourdit au pied des podiums, comme
la boue éclabousse les talons des man-
nequins sans abîmer leur allure. Jamais
la mode n’a paru aussi détachée des
contingences – il faut faire rêver pour
créer le désir d’achat – et, paradoxale-
BALENCIAGA
ment, aussi ancrée dans une réalité in-
dustrielle – le produit est partout très
marketé. Chaque passage du défilé ima-
Le fracas du monde symbolisé par la boue
­éclaboussant les modèles du show Balenciaga.
giné par Demna Gvasalia – qui a décidé
de ne plus expliquer ses collections – est
ainsi une ode au retail, comme on dit
aujourd’hui : sur chaque look, on repère
les chaussures, le sac, le hoodie ou la
robe qui se vendront. Un mix rare où se
lit aussi l’entente entre le créateur et son
PDG, en l’occurrence Cédric Charbit,
connu depuis des années par le biotope
de la mode – de ses débuts d’acheteur au
Printemps à ses armes chez Saint Laurent,
où il fut entre autres responsable du
merchandising.
Les enjeux économiques et financiers
du secteur – la filière contribue plus au
seul PIB français que l’automobile – n’ont
finalement jamais été aussi présents. Plus
de 500 défilés, présentations et événe-
ments, soit pas loin de 25 000 looks et
propositions. Même le décès d’Elizabeth
II, disparue la veille de l’ouverture des
hostilités à New York le 9 septembre,
n’aura pas eu raison de cette frénésie. Et
si Caroline Rush, directrice du British
Fashion Council qui organise la Fashion
Week londonienne, se souvenait « avec
émotion » de la venue de la souveraine au
défilé du créateur Richard Quinn en 2008,
elle précisait : « Nous n’avons pas envisagé
de tout annuler – seuls les événements pré-
vus le jour des funérailles royales ont été dé-
calés. » Logique : dans la course entre les
villes de la mode que sont New York,
Londres, Paris et Milan, la capitale bri-
tannique voulait tenir son rang et son
statut créatif. Une réalité quand on voit
la vivacité du terreau londonien, porté
par ses écoles, dont la prestigieuse Cen-
tral Saint Martins, par ses figures de proue,
comme Edward ­Crutchley, et par le re-
tour à Londres de Jonathan …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 137
STYLE
Chez Dior, Maria Grazia Chiuri rend hommage à Catherine de Médicis, sur fond de grottes baroques sculptées par Eva Jospin. La rave chic d’Hermès (à dr.).
… ­Anderson sous ses propres cou-
leurs. Et peu importe la défection d’un
Burberry – qui décida finalement de dé-
filer en dehors du calendrier pour un der-
nier opus de son créateur italien, Riccardo
Tisci, remercié au lendemain du show…
Dans ce moment de retrouvailles
physiques du secteur, face aux enjeux
financiers et commerciaux – le luxe n’a
jamais été aussi florissant –, l’événe-
mentialisation a été poussée à outrance
pour créer de l’identité et de la valeur
ajoutée. Cela fut vrai à New York avec
le mégashow de Fendi célébrant les
25 ans de son sac baguette – avec Marc
Jacobs et Linda Evangelista en guest
stars – moins d’une semaine avant un
autre défilé à Milan. À Paris, les grands
noms du luxe sont repartis à la conquête
des lieux iconiques de la capitale. Dans
une immense boîte posée sur le bassin
des Tuileries, Eva Jospin a ainsi trans-
formé le défilé de Dior en installation
artistique, en interprétant les grottes
baroques chères à Maria Grazia Chiuri,
qui en profitait pour donner sa version
des escadrons volants de Catherine de
Médicis. Anthony Vaccarello chez Saint
Laurent recréait de son côté des fon-
taines sur l’esplanade du Trocadéro pour
un mégashow à l’ombre de la tour Eiffel,
célébrant les icônes de la griffe ; Chanel
tapissait d’écrans géants le Grand Pa-
lais éphémère pour y projeter un clip
mettant en scène Kristen Stewart, hé-
138 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
roïne de la maison, et des extraits de
L’Année dernière à Marienbad, d’Alain
Resnais, avec en majesté Delphine Sey-
rig en Chanel – une autocitation per-
mettant à Virginie Viard de dérouler les
codes de la marque en les allégeant.
Chez le numéro un mondial du luxe,
Vuitton, Nicolas Ghesquière avait de-
mandé à Philippe Parreno de créer une
installation dans la cour Carrée du
Louvre pour une collection aux allures
de mise en abyme du nerf de la guerre
du luxe, les sacs – l’ironie est une qua-
lité rare à ces altitudes. Milan, souvent
en retrait, n’avait pas été en reste. Gucci
faisait défiler un casting composé de ju-
meaux, deux shows parallèles et iden-
tiques se réunissant lors du final ; Ferrari
abandonnait les circuits pour un théâtre ;
Tod’s avait choisi un champ de sculp-
tures d’Anselm Kiefer pour faire para-
der Carla Bruni et Naomi Campbell.
Modèle du genre, la collaboration entre
Dolce & Gabbana et Kim Kardashian.
L’idée ? Demander à la star de la télé-ré-
Face aux enjeux financiers
et commerciaux,
l’événementialisation
a été poussée à outrance
pour créer de l’identité
et de la valeur ajoutée.
alité de piocher dans les archives de la
maison les pièces les plus iconiques –
et les plus cotées sur le second marché
– pour composer une manière de ves-
tiaire idéal. Rééditer l’ensemble, miser
ainsi sur la tendance du vintage, démul-
tiplier l’impact grâce à la magie des ré-
seaux sociaux, et le tour est joué pour
une collection très tenue…
À ce jeu du people, on peut aussi perdre
gros : après avoir défilé en ouverture du
show Balenciaga, l’ancien conjoint de
Kim Kardashian, Kanye, décidait d’une
présentation impromptue à Paris… Le
tout en arborant un tee-shirt marqué du
slogan « White Life Matters » – slogan des
partisans du suprémacisme blanc
outre-Atlantique – on sait Kanye West
trumpiste et ses capacités à l’auto-ironie
très limitées. L’affaire n’en resta pas là,
générant une vague d’indignation sur
les réseaux sociaux et des réactions en
chaîne d’un Kanye West visiblement
hors de lui-même. La fin des excès d’un
système ? Peut-être…
Est-ce à dire également que la créa-
tion avait abandonné les podiums ? Pas
tout à fait. La mode rime encore avec
créativité, qu’il s’agisse des opus de Mat-
thieu Blazy chez Bottega Veneta, d’An-
thony Vaccarello chez Saint Laurent, de
la petite musique de Nadège Vanhée-Cy-
HERMES – DIOR
bulski chez Hermès, de l’éclat et de la
maîtrise de Jonathan Anderson chez
Loewe, du retour en force de la …
LOUIS VUITTON – CHANEL

Virginie Viard joue de l’allure Chanel sur fond de projection de « L’Année dernière à Marienbad » (en haut).
La mise en abyme du sac par Nicolas Ghesquière chez Louis Vuitton dans une installation de Philippe Parreno (ci-dessus).
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 139
STYLE

… création japonaise – de Sacai à

Comme des Garçons –, de la jeune garde
française, de Ludovic de Saint Sernin à
Charles de Vilmorin. La mode s’affirme
ainsi comme culture. Dont les figures
tutélaires sont prégnantes sans qu’elles
soient forcément identifiées ou reven-
diquées. On pouvait ainsi penser à Mar-
tin Margiela dans les variations autour
du corset et du body de jersey et de soie
de Pierpaolo Piccioli chez Valentino. On
pouvait aussi lire le défilé Balenciaga
comme un palimpseste de la course
­effrénée des mannequins de l’été 2004
d’Alexander McQueen, citant lui-même
le film On achève bien les chevaux, de Syd-
ney Pollack. Une empreinte encore plus
marquée lors du finale du défilé Coperni,
citant sans le dire, et avec un pas de côté,
la fin du défilé printemps-été 1999 du
même McQueen. Le public avait alors
vu deux robots attaquer le mannequin
Shalom Harlow et peindre sa robe… Plus
de vingt ans après, c’est le top Bella Ha-
did sur qui on crée en direct une robe en
spray. Effet garanti. La mode est aussi un
éternel recommencement.

K-POP
Ils électrisent les foules, suscitent l’hys-
térie chez les photographes, volent aux
modèles la vedette et réquisitionnent
les podiums. Avec eux, la fashion week
est un happening permanent. Ils, ce sont
les héros de la pop coréenne – K-pop –,
les icônes de la génération Z, que les mai-
sons les plus sérieuses s’arrachent dans
l’espoir d’obtenir les faveurs de leurs
communautés insatiables, sources de
toutes les convoitises. Si les BTS avaient
largement ouvert la voie – le boys band

TOD’S – DOLCE GABBANA – MATTEO CANESTRARO 2021

est « momentanément » séparé au grand
dam de ses adorateurs –, leurs compa-
triotes sud-coréens ont eu tôt fait de leur
emboîter le pas. Chez Dior, Eunwoo d’As-
tro et Jisoo des Blackpink accaparaient
l’attention. Mark Tuan de GOT7 para-
dait chez Saint Laurent et Givenchy ac-
cueillait le quatuor au complet du girls
band Aespa. Autre performance notable,
celle de la chanteuse Dara, qui compta-
bilise le record de la saison avec une di-
zaine de shows à son actif.

À contre-courant
de l’actualité anxiogène,
Après avoir défilé en parallèle, chacun retrouve son jumeau lors du final Gucci (en haut).
La collection Dolce & Gabbana est composée de leurs pièces les plus iconiques, choisies par Kim la mode choisit
­Kardashian (au centre). Tod’s a présenté ses modèles au milieu d’une installation d’Anselm Kiefer. l’optimisme et la poésie.
140 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
 Épure chez
Emporio Armani.
Le scintillement
chez Giorgio
Armani
(ci-dessous).

L’éclat de Kate Moss

chez Bottega Veneta
(à dr.).
ALFONSO CATALANO/SGP /VERSACE – FILIPPO FIOR /BOTTEGA VENETA – EMPORIO ARMANI – GIORGIO ARMANI

UN PEU DE POÉSIE des plus vibrantes collections de la sai-

À contre-courant de l’actualité anxio-
gène, la mode choisit l’optimisme et la
poésie. Illustration faite chez Dries Van
Noten, qui a livré l’une des palettes les
plus riches de la semaine, dans une ré-
férence au festival indien Holi. Une ode
à la joie et à la couleur, symbolisée par
une explosion d’imprimés floraux, de
plissés et de volants rythmant les sil-
houettes comme autant de pétales
éclos… Idem chez Rick Owens, qui, une
fois n’est pas coutume, a livré un lumi-
neux manifeste aux teintes irisées. Les
fleurs, dans ce qu’elles symbolisent d’es-
poir et de renouveau, sont naturelle-
ment l’obsession de la saison, ou s’agit-il
plutôt de la fleur, l’unique : l’anthu-
rium, plante tropicale érigée en œuvre
d’art monumentale dans l’enceinte de
la Garde républicaine chez Loewe – où
Jonathan Anderson présentait l’une
son –, ou portée XXL en corsage chez
Ludovic de Saint Sernin.
DÉSHABILLEZ-MOI
C’est confortablement installés sur des
lits drapés de satin rose dans les galeries
du palais de Tokyo que les spectateurs
d’Acne Studios ont pu découvrir la der-
nière collection de Jonny Johansson, cé-
lébrant dix ans de défilés parisiens. Le
Suédois explorait pour l’occasion le
thème du mariage, et plus précisément
de la nuit de noces : tulle, organza, crêpe
de Chine et charmeuse de soie envelop-
pant la silhouette pour mieux la dévoi-
ler. Des mariées aussi chez Versace,
l’allure rebelle, moulées dans des den-
telles torrides ou des minirobes paille-
tées à l’instar de Paris Hilton, qui
clôturait le show. Dans la même lignée,
la lingerie et ses attributs … Le sexy selon Versace.
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 141
STYLE

Un grand millésime
de Jonathan Anderson,
que ce soit pour Loewe
(ci-contre) ou pour sa
propre marque, JW
­Anderson (ci-dessous).

BURBERRY – JW ANDERSON – LOEWE – ROCHAS – MIU MIU

Les jeux de transparence chez Rochas et Miu Miu et le goût de l’accessoire chez Burberry (de g. à dr.).
142 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
 Lors du final du show Coperni, une robe est créée sur Bella Hadid : buzz et effet palimpseste garantis.
… ­reviennent en force dans la garde-
robe estivale : bodies en soie épousant
les formes chez Valentino ou ornés de
strass chez Dolce & Gabbana, slip dress
et soutien-gorge en vedette chez Given-
chy, talons résilles chez Chanel, corsets
à l’honneur chez Dior, jambières en sa-
tin lacées chez Rochas…
TOUTE PREMIÈRE FOIS
Parmi les événements les plus atten-
dus de la semaine parisienne, le pre-
mier défilé dans la capitale de Victoria
Beckham avait valeur de test. Challenge
relevé pour l’ex-popstar, qui présentait
dans l’écrin patrimonial du Val-de-Grâce
une panoplie de robes aux lignes acé-
rées et aux teintes printanières, entre
transparence sexy et féminité assumée.
Autre début parisien remarqué, celui
de la marque australienne Zimmer-
mann, qui, au fil d’une cinquantaine
de silhouettes, offrait un concentré des
tendances phares de la saison. De l’autre
côté des Alpes, du sang neuf pour trois
maisons historiques dont les créateurs
faisaient leurs premiers pas cette sai-
DPA/ABACA – GILLES DENIS
son : l’Anglais Maximilian Davis chez
Ferragamo, l’Américain Rhuigi Vil-
laseñor chez Bally et l’Italien Marco De
Vincenzo chez Etro. Dans un savant
équilibre entre rupture et continuité,
ces trois figures montantes de la mode
sont parvenues à rajeunir leur cible.
Des débuts prometteurs également
pour Andrea Incontri, qui dévoilait au
sein du flagship milanais de Benetton
une collection pop, aux teintes satu-
rées rehaussées d’imprimés fruités.
UN PEU DE MÉMOIRE
Les marques ont besoin d’intemporel.
D’où une tendance à l’autocélébration,
comme chez A.P.C., où le fondateur,
Prada, chic, même de dos.
Jean Touitou, fêtait les 35 ans de son la-
bel en « collaborant avec lui-même » le
temps d’une collection capsule de ba-
siques monochromes intemporels, in-
terrompant pour l’occasion le cycle des
­collaborations auquel la marque nous
a habitués (Catherine Deneuve, Jane
­Birkin, Carhartt, Lacoste…).
Moncler, à Milan, fêtait ses 70 prin-
temps avec près de 2 000 mannequins
et performeurs paradant en doudoune
et bonnet blancs sur la piazza del
Duomo. Un avant-goût de la collection
anniversaire dont les pièces seront
­révélées chaque semaine à partir du
15 octobre et qui comprendra des réin-
terprétations en édition limitée de sa
veste phare Maya, par les créateurs
ayant contribué à son h ­ istoire, dont
Rick Owens, Pierpaolo Piccioli, Thom
Browne, ou encore Giambattista Valli.
La fashion week est aussi le temps des
hommages, comme celui rendu à Issey
Miyake, le maître du plissé, disparu en
août dernier, au travers d’une perfor-
mance live au Paris Event Center de la
Villette. Une collection signée Satoshi
Kondo, oscillant entre formes sculptu-
rales et matières en ­mouvement, mar-
quée par la chorégraphie de la troupe
I Could Never Be a D ­ ancer, sur les
­a ccords de piano du J­ aponais Koki
­Nakano. …
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 143
STYLE
La sophistication selon Ferragamo, Valentino et Fendi (de g. à dr.).
… DE BONNE TENUE
L’époque n’est plus au laisser-aller des
années Covid, massivement encouragé
par l’essor du télétravail. Exit joggings,
hoodies et autres sneakers, complète-
ment absents des podiums. Le prin-
temps-été 2023 signe le retour en grâce
du tailoring. La veste, pièce hégémo-
nique de la saison, est ainsi réinterpré-
tée à l’envi, comme chez Prada, en
version trois-quarts portée sur une com-
bi-chemise. Même Chitose Abe chez
Sacai, devenue papesse du streetwear
à la faveur de sa collaboration avec Nike,
renoue avec l’extrême sophistication,
détournant smokings, blazers et che-
mises blanches aux lignes évasées,
jouant sur l’asymétrie et le plissé, avec
une attention particulière portée aux
manches, tantôt bouffantes, tantôt sec-
tionnées sur la longueur. Chez Paul
Smith, maître du tailoring british, les
manches ont tout bonnement disparu
sur des vestes de costume croisées, dans
une collection qui célèbre l’officewear
même en temps de canicule. Les pre-
miers passages sombres du Belge Dries
Van Noten introduisent des variations
de l’iconique veste bar, aux volumes
sculptés et accentués à la taille. De l’élé-
gance et de la tenue aussi chez Saint
Laurent, où Anthony Vaccarello pare
ses silhouettes élancées, moulées dans
des robes en seconde de peau, de longs
manteaux et blousons de cuir à revers
aux épaules oversize. Pour son second
144 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
opus chez Bottega Veneta, Matthieu
Blazy, adepte des matières en trompe-
l’œil, confirme son statut de technicien
de la coupe, en présentant des pièces
hybrides robes et smokings, des vestes
mouchetées et des costumes de cuir
aux lignes saillantes, dans un écrin de
résine aux allures d’œuvre monumen-
tale, conçu par le sculpteur et peintre
Gaetano Pesce.
ÉCO-CONSCIENCE
L’éco-anxiété se propage chez les créa-
teurs, toujours plus nombreux à placer
l’enjeu environnemental au cœur de
leurs collections. C’est le cas notamment
d’Olivier Rousteing chez Balmain, qui
présentait à l’occasion de sa collabora-
tion avec Evian une robe composée de
panneaux plissés en plastique recyclé.
Dévoilée au stade Jean-Bouin lors d’un
défilé-concert – le troisième festival or-
ganisé par la griffe devant près de
7 000 personnes, avec apparition sur-
prise de Cher en guise de grand final –,
la collection printemps-été fait aussi la
L’époque n’est plus au lais-
ser-aller des années Covid,
massivement encouragé
par l’essor du télétravail. Le
printemps-été 2023 signe le
retour en grâce du tailoring.
part belle aux matériaux naturels, pa-
piers, bananes ou raphia… Chez Chloé,
Gabriela Hearst, qui n’en est pas à son
coup d’essai, s’intéresse aux ­solutions,
au travers d’une collection oscillant
entre matières naturelles méticuleuse-
ment sourcées et références technolo-
giques. Mention spéciale également au
duo créatif Botter, lauréat du grand prix
de l’Andam 2022, engagé depuis ses dé-
buts dans la préservation des océans,
qui livre cette saison une collection
d’aqua-tailoring intitulée « Plastic Sea »,
pour alerter sur le désastre de la pollu-
tion au plastique ou encore la fonte des
glaces au moyen de références appuyées,
avec en prime l’utilisation de mailles ré-
alisées à partir de varech.
MAILLES D’ÉTÉ
La maille, best-seller garanti, s’impose
comme jamais dans la garde-robe esti-
vale. Allure intemporelle chez Chanel,
ALDOCASTOLDI – FILIPPO FIOR /FERRAGAMO – VALENTINO
qui décline son tweed fétiche sous toutes
les coutures dans une palette printa-
nière ; chandail porté près du corps chez
Miu Miu ; petite robe en tricot entaillée
chez Fendi ; gilets cropés et cardigans
croisés scintillants chez Armani ; robes
en mailles ornées de broderies chez
Bottega Veneta ; pulls et jupes en tricot
chez Prada… Un incontournable du ves-
tiaire, qui compte parmi les meilleures
ventes du secteur, rappelant à ceux qui
l’oublieraient qu’à la fashion week créa-
tivité rime avec sens du commerce §
 MAISON DE VENTES AUX ENCHÈRES

CALENDRIER DES VENTES

Pour inclure vos œuvres dans nos prochaines
ventes, contactez notre équipe d’experts

OCTOBRE DÉCEMBRE
LIVRES ET MANUSCRITS ESTAMPES
Mardi 18 octobre 2022 Jeudi 1 décembre 2022
50 CÉRAMIQUES 50 ARTS D’ASIE
Mardi 25 octobre 2022 Lundi 5 décembre 2022
TABLEAUX ET DESSINS ANCIENS GRANDS VINS & SPIRITUEUX
Jeudi 27 octobre 2022 Mardi 6 décembre 2022
UNIVERS DE LA BANDE-DESSINÉE
Jeudi 8 décembre 2022
NOVEMBRE JOAILLERIE & HORLOGERIE
Mardi 13 décembre 2022
ART URBAIN
Mardi 8 novembre 2022 MODE ET MAROQUINERIE
Jeudi 15 décembre 2022
ARTS DÉCORATIFS XXe ET DESIGN
Jeudi 17 novembre 2022 TABLEAUX ET DESSINS ANCIENS
Jeudi 15 décembre 2022
ART IMPRESSIONNISTE ET MODERNE
Mercredi 23 novembre 2022
ART CONTEMPORAIN
Jeudi 24 novembre 2022 JANVIER
MOBILIER ET OBJETS D’ART ARTS D’ORIENT
Mardi 29 novembre 2022 Jeudi 19 janvier 2023

Pour tout renseignement, veuillez contacter

Louise de Causans, commissaire-priseur
+33 1 53 30 30 32 estimation@tajan.com

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TAJAN Maison de ventes - 37 rue des Mathurins, 75008 Paris +33 1 53 30 30 30 www.tajan.com
AGRÉMENT N°2001-006 DU 7 NOVEMBRE 2001 COMMISSAIRES-PRISEURS HABILITÉS : F. DAVID - A. DE BENOIST - L. DE CAUSANS - E. KOZLOWSKI
STYLE
Cinquantenaire rugissant
1972 n’est pas que l’année de la création du « Point » : en même temps naissait la première
des Porsche 911 Carrera RS. Un beau millésime. PAR YVES MAROSELLI
L
’originalité stylistique d’une voiture
doit parfois un peu au hasard. Dans
le cas de la Carrera RS 2.7 présentée
au Salon de Paris en 1972, l’une des
­Porsche aujourd’hui les plus recherchées
par les collectionneurs, elle relève en
partie d’un défaut de conception de la
911 originelle. En effet, si la forme très
pure du coupé Grand Tourisme alle­
mand a immédiatement séduit les
­esthètes du monde entier lors de son
lancement en 1963, elle s’est aussi ra­
pidement révélée problématique sur
le plan aérodynamique. Ainsi la pente
douce allant sans interruption du som­
met du pavillon au pare-chocs arrière,
comme dessinée d’un seul coup de
crayon, génère une importante zone de
dépression qui provoque non seulement
de la traînée préjudiciable à la vitesse de
pointe et à la consommation, mais aussi,
à la manière d’une aile d’avion, un phé­
nomène de portance qui a pour effet de
rendre la voiture de plus en plus instable
à mesure que la vitesse augmente.
Or Porsche travaille justement, pour
l’année 1972, au développement d’une
version à hautes performances de la 911.
Baptisée Carrera en hommage à la course
146 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
mexicaine Carrera Panamericana rem­
portée dès 1953 par la marque dans sa
catégorie, cette 911 très spéciale est éga­
lement la première à porter le badge RS
(pour Rennsport) signifiant qu’elle est
destinée aux clients désireux de partici­
per à des compétitions sur circuits et sur
routes. Allégée à 1 075 kg, elle est ­animée
par un 6-cylindres à plat de 2,7 l dont la
puissance atteint 210 chevaux. Une
­cavalerie suffisante pour propulser la
menue 911 jusqu’à une vitesse de pointe
de 240 km/h très élevée pour l’époque,
et sans doute même trop compte tenu
des caractéristiques aérodynamiques
À partir de la Carrera RS 2.7, les versions à hautes
performances de la 911 ont été dotées d’un becquet
ou d’un aileron arrière, fixe ou escamotable.
Le « spoiler » arrière
en forme de queue
de canard permet
de réduire à la fois la
traînée et la portance.
de sa carrosserie. Heureusement, l’in­
génieur Tilmann Brodbeck, alors âgé de
27 ans et fraîchement diplômé en aéro­
nautique, a l’idée d’y ajouter un becquet
arrière, une première sur une voiture de
production. Le pari se révèle ­doublement
gagnant puisque cet appendice, initia­
lement proposé comme accessoire car
jugé alors disgracieux par beaucoup,
permet de gagner 4,5 km/h en vitesse
de pointe tout en améliorant considé­
rablement la stabilité de la 911 dans les
virages rapides. La Carrera RS 2.7 y gagne
au passage le surnom de « Ducktail »
ou « queue de canard », en raison de la
forme caractéristique de ce spoiler qui
est ­depuis devenu sa marque de fabrique
et son principal attrait stylistique.
Contraint par la réglementation spor­
tive de l’époque à produire un minimum
de 500 exemplaires pour que le modèle
DECKBAR.DE PORSCHE – PORSCHE
soit homologué en course, Porsche en
vend finalement un peu plus de 1 500
malgré un prix, jugé élevé pour 1972, de
83 000 francs (soit environ 90 000 euros
d’aujourd’hui en tenant compte de l’in­
flation). Un demi-siècle plus tard, la 911
Carrera 2.7 RS se négocie entre 300 000
et 800 000 euros selon les versions §
www.dastri.fr
STYLE
10 ANS
Bulgari Octo Finissimo
En 2012, Bvlgari, joaillier réputé pour son
design emblématique de l’horlogerie des
années 1990-2000, se rêve en horloger res-
pecté pour ses rouages. La maison se dote
d’une manufacture, en Suisse, et fait de
la ligne Octo sa « bête de concours » pour
gagner en légitimité. Mission accomplie,
elle s’enorgueillit de 60 prix et 8 records,
dont celui de la montre mécanique la plus
fine du monde (1,80 mm d’épaisseur).
Grands millésimes
Soixante ans d’horlogerie en six collections cultes. Flash-back ! PAR CONSTANCE ASSOR
40 ANS
Rolex GMT-Master II
Héritière de la GMT-Master créée en
1955 pour les pilotes d’avion ayant b­ esoin
de connaître l’heure de deux fuseaux,
la GMT-Master II est née en 1982. Grâce
à son calibre optimisé, qui permet de
­régler l’aiguille des heures indépendam-
ment de celle des minutes et de l’aiguille
24 heures, elle touche un public plus
large et figure aujourd’hui au rang des
mythes contemporains.
148 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
20 ANS
Louis Vuitton Tambour
Créer une montre ronde immédiate-
ment identifiable tout en évoquant
­l’univers du voyage cher au malletier,
telle était l’ambition affichée de la pre-
mière ligne horlogère de Louis Vuitton.
Inspiré de la forme convexe du tam-
bour, ce modèle, lancé il y a deux décen-
nies déjà, rend hommage au premier
instrument de musique dont le rythme
­rappelle ­celui du temps qui passe.
50 ANS
Audemars Piguet Royal Oak
À l’aube des années 1970, la manufac-
ture familiale est en perte de vitesse.
Pour se relancer, elle fait appel au f­ ameux
designer Gérald Genta. Sa proposition
est risquée : à une époque où la montre
de luxe se porte comme un faire-valoir
de richesse, il parie sur un octogone
­anguleux intégré à un bracelet en chute,
le tout produit en acier mais vendu… à
prix d’or. Succès fulgurant !
30 ANS
Franck Muller Cintrée Curvex
En 1992, Franck Muller, major de l’École
d’horlogerie de Genève, met la planète
horlogère en ébullition avec le premier
modèle de sa marque : la montre Cintrée
Curvex. Reconnaissable à sa forme ton-
neau, peu exploitée à l’époque, elle se
distingue par sa construction en 3D en-
tièrement incurvée. Elle l’est à 3, à 6, à 9
et à 12 heures, alors qu’un tonneau clas-
sique n’est incurvé qu’à 6 et à 12 heures.
60 ANS
TAG Heuer Autavia
Utilisée pour les compteurs de tableau
de bord dans les voitures et les avions
à partir de 1933, la bien nommée ­Autavia
se mue en montre-bracelet, à l’initia-
tive de Jack Heuer, il y a 60 ans. Plébis-
cité pour sa lisibilité et sa simplicité
SP (X5) – BULGARI
d’utilisation, le modèle s’enrichit de
rouages qu’il ne possédait pas encore :
un chronographe flyback (photo), un
GMT et un calibre certifié COSC.
 SONIA MABROUK
8H13
L’ENTRETIEN
CapaPictures / Europe 1
STYLE

De l’art de recevoir
Sotheby’s disperse les collections de l’hôtel Lambert, dont des trésors d’orfèvrerie. PAR GILLES DENIS

Dans ce décor de Mansart et Le Vau, le faste se déployait aussi à table et sur les buffets... comme à Versailles.

À
la poupe de l’île Saint-Louis, l’hôtel
Lambert, construit par Mansart en
1640 et décoré par Le Vau, est l’acmé
de l’hôtel particulier du Grand Siècle.
C’est aussi une légende d’un certain faste
à la française : ici, les princes succédèrent
aux esthètes comme le baron de Rédé,
qui organisa ici le fameux Bal oriental
de 1969 ; ici, le baron et la baronne Guy
de Rothschild firent briller leurs collec-
tions et leur munificence. Ici, c’est une
image de Paris qui se lit. Autant d’élé-
ments qui séduisirent le prince qatari
Abdullah bin Khalifa al-Thani, qui res-
taura l’ensemble, le remeubla avec l’aide
du cabinet Pinto et décide aujourd’hui
de disperser les collections chez Sothe-
by’s – le fruit de la vente sera versé à la
origines royales (comme une paire de
piédestaux de Boulle livrée pour le Grand
Dauphin à Versailles ou un candélabre
ayant appartenu à Madame de Pompa-
dour) et objets rares clignant de l’œil vers
le luxe moderne, comme un paravent de
Sert ayant appartenu à Coco Chanel.
Plus qu’un musée, l’hôtel Lambert
fut surtout le décor d’une mondanité
d’un autre siècle. L’une des dernières va-
cations (le 14 octobre) est ainsi consa-
crée aux arts de la table, sobre manière
d’évoquer les trésors d’orfèvrerie propo-
sés, comme ces pièces provenant des col-
lections de Catherine II de Russie. On
note en particulier une soupière d’argent
créée en 1770 à Paris par Jacques-Nico-
las Roettiers (estimée entre 700 000 eu-
et l’éclat de sa cour. La tsarine le choisit
pour elle-même avant de l’offrir à son
mythique amant, le comte Grigori Or-
lov, à la fin de leur relation. Un doux et
somptueux cadeau de rupture, qu’elle
racheta par la suite et conserva à Saint-Pé-
tersbourg. Un trophée qui dit un luxe et
un raffinement en voie de disparition.
Pas de panique, quelques maisons et pa-
lais font perdurer cet art d’Ancien Ré-
gime. On en trouve l’écho dans le livre
de Françoise Dumas, Maîtresse de céré-
monies. Cinquante ans d’art de vivre à la
française (Grasset), mélange de souve-
nirs et de conseils de la femme qui orga-
nise depuis quelques décennies les dîners
et réceptions les plus chics de Paris. À
s’offrir, à défaut, ou en complément
SOTHEBY’S (X2)

Fondation Al-Thani, les murs ayant été ros et 1 million d’euros). Un objet de d’une soupière Orlov §
acquis par Xavier Niel. Une vente sur plu- présentation plus que d’usage, fait pour Hôtel Lambert, une collection princière,
sieurs jours, alternant chefs-d’œuvre aux dire le prestige de son commanditaire vente chez Sotheby’s. Jusqu’au 14 octobre.

150 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

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 Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy
Gagner la guerre sans l’aimer
L
e ministre de la Défense, Oleksii Reznikov, est moins
menacé que le président Zelensky ; mais les services
ukrainiens ont, il y a peu, déjoué une tentative d’as-
sassinat, en plein Kyiv, contre lui ; et c’est dans un lieu s­ ecret
qu’il reçoit, ce matin, ses visiteurs.
Un officier d’ordonnance nous attend au bout d’une
longue allée, très verte, très arborée ; il a juste le temps de
nous mener jusqu’à un plan d’eau, sorti d’un paysage de
­Taras Chevtchenko, où le dernier homme que l’on s’attend
à rencontrer est le chef d’une armée en guerre ; et le voilà
qui surgit, presque ponctuel – tête rasée et ronde qu’allonge
un bouc blanc bien taillé, yeux rieurs, silhouette filiforme
qui se déhanche pour la photo de groupe que nous faisons
avec l’ordonnance et Iryna Zolotar, sa conseillère.
Aussitôt, le mot pour rire :
« Alors, vous êtes revenus pour la victoire ? »
Et, sans tarder, une salle de réunion aux fenêtres obtu-
rées par des sacs de sable, un déjeuner improvisé – et la
conversation s’engage.
Son histoire ? son passé ?
Il s’esclaffe.
« Pas de passé. J’étais avocat. Spécialiste en arbitrage. Et
jamais de ma vie je n’aurais imaginé me retrouver un jour
ici, à la tête d’une des meilleures armées du monde. »
N’a-t-il pas fait équipe avec Vitali Klitschko, maire de
Kyiv ?
« Oui. C’était au lendemain du Maïdan. La révolution de
la dignité. Mais savez-vous de quoi je m’occupais ? L’Euro-
vision. La Ligue des champions. Et le vote électronique. Pas
très militaire… Au bout de deux ans, j’ai arrêté. Je suis re-
venu à ce qui m’intéressait vraiment. La plongée sous-­
marine. Les livres de Jules Verne et de Jack London. Les films
américains pour apprendre l’anglais. Mes racines juives par
ma mère. Et ma firme d’avocat. »
Zelensky alors ? Quand l’a-t-il rencontré ?
« L’ancien président Kuchma m’avait associé à la déléga-
tion ukrainienne à Minsk. Il me le présente. Le courant
passe. Le nouveau président me confie le portefeuille du
Donbass occupé. Puis, peu après, je l’accompagne à Lou-
hansk et, de but en blanc, il me propose la Défense…
– Alors ?
– Alors, je tombe des nues. J’en parle à ma femme
qui éclate en sanglots. Et j’explique au président qu’à part
mon service dans l’armée soviétique, où j’ai fini sergent,
je n’ai aucune expérience militaire. Quelques mois passent.
Il ­revient à la charge. Et, comme on ne dit pas deux fois
non à Volodymyr Zelensky, je finis par accepter. Le 3 no-
vembre 2021, le Parlement valide ma nomination. Et
me voilà, à l’aube de cette guerre, chargé de la défense de
mon pays. »
152 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Je pense à la réputation faite à Zelensky d’être un chef
de clan, s’entourant d’hommes de sa génération et qu’il
connaît bien ; il semble lire dans mes pensées.
« Vous me direz que, comme mon père et ma mère étaient
des acrobates, on a ce côté artiste en commun… »
Il rit.
« Non. Je blague. Le fait est que, un an après, je n’ai tou-
jours pas la moindre idée de la raison qui m’a valu d’être
mis à ce poste. »
Il semble réfléchir.
« Peut-être parce que la loi exige que ce soit un civil. Peut-
être aussi parce qu’il voulait mettre à profit mon expérience
de juriste pour réformer le ministère, mettre fin aux abus,
équiper nos troupes en prévision de l’attaque que nous sen-
tions venir et, le moment venu, comme aujourd’hui, négo-
cier la reddition des soldats russes. Je ne sais pas… »
La vérité est que ce faux modeste est l’homme à qui son
homologue biélorusse transmit, deux jours après le début
de la guerre, de la part du ministre de la Défense de Poutine,
une offre de capitulation et qui eut l’esprit de répliquer : « je
suis prêt à accepter la capitulation de la Russie. »
La réalité c’est que, du chef d’état-major Valerii Zaluzhnyi
au patron de la marine, l’amiral Oleiksi Neizhpapa, en pas-
sant par les généraux Syrskyi (héros des batailles de Kyiv
et de Kharkiv), Mirhorodskyi (forces d’assaut aérien) ou
Deyneko (unités d’élite des Border Guards), cet homme qui
fait la guerre sans l’aimer et sans l’avoir voulue est intaris-
sable sur le rôle, le style et les hauts faits de chacun.
Et lorsque je lui parle de mon travail en cours, des zones
que je suis venu filmer et des unités qu’avec mes camarades
Marc Roussel, Gilles Hertzog et Olivier Jacquin nous sou-
haitons suivre, je réalise qu’il les connaît sur le bout des
doigts – là, il rentre d’une inspection sur le front ; ici, il a
veillé à l’évacuation d’un blessé ; et, là encore, il est allé
­décorer un Brave.
Le déjeuner se termine sur l’évocation de ce trésor fran-
çais qu’est, selon lui, le canon Caesar.
« Savez-vous, dit-il, que c’est le meilleur canon du monde ? »
Puis, comme s’il confiait un secret : « un Caesar de plus
égale mille morts ukrainiennes en moins ! »
Et, pince-sans-rire : « les Danois en ont acheté dix-neuf,
que la France s’apprête à livrer – ne peut-on leur expliquer
qu’ils en ont moins besoin que nous, les Ukrainiens ? »
Les Caesar, à l’heure où j’écris, semblent en route pour
le Donbass.
Et malgré les bombardements, à cet instant même, sur
Kyiv et toutes les villes d’Ukraine, le ministre Courage ne
doute pas de la victoire.
La guerre est décidément chose trop sérieuse pour être
laissée aux seuls militaires !
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MOTS CROISÉS PAR ALBERT D’AUNAC

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
HORIZONTALEMENT I. Vous avez dit bizarre ? II. Quittent
I P A R A D O X A L E Solution de la grille
leur mère. III. Pronom. Ne dit rien. IV. Monte si on lève le coude. du numéro 2618
II E M I G R A N T E S V. Pièce instrumentale. VI. Début août. Commence joyeusement. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
III J E A X T U T VII. Entente. Cher avec eux (inv.). VIII. Finit dernier. Lourde I R I B A M B E L L E
charge. IX. Bobines. II U N I F I E R A I T
IV O L E C R A N E E III T A R P O N T O R
V R I C E R C A R E VERTICALEMENT 1. Qui ne flatte pas. 2. Fignoler. 3. Bout IV A M M C A L I N E

VI A O E A V R I L de Bretagne avec les deux lettres suivantes. Voir le précédent. V B I A T H L O N I

VI A C N E I N R N
VII T R U S T R E N O « Cantonné ». 4. Comme les dents par le verjus. 5. Quartier de
VII G A V S D I O T
Londres. Mises à l’arrière. Principe. 6. Belle mexicaine. On peut
VIII I E R A N E E T VIII A L O I P O N T E
l’accrocher au mur. 7. Dans le xénon. Désolés. 8. Très désolées. IX S E C T I O N N E S
IX F R I M O U S S E S 9. Double en queue. Un à Landau. 10. Villa connue. Se tirent.

BRIDGE P AR MICHEL LEBEL

LE PROBLÈME DE LA SEMAINE LE TEST D’ENCHÈRES

Voici les jeux de Nord-Sud : II. Jeu de la carte Le test d’enchères du Point Réponses
Vous jouez 3 SA en Sud. est fondé sur La Nouvelle Majeure 5 e, A 3 ± = 20 ; passe = 10 ; contre = 5.
¿ 75 Ouest entame du Valet de ¿. de Michel Lebel. Avec une bonne ouverture
• R63
\ R2 Réponse et une belle longueur sixième,
± A R 10 6 4 3 Le début des enchères a été : répétez votre couleur d’ouverture
Avec un total de sept levées maîtresses :
trois à \ et deux à ¿ et à •, vous devez Sud Ouest Nord Est au palier de 3 : annoncez 3 ±.
N
affranchir deux levées. Vous n’avez 1± 1\ 1• 2\ B contre = 20 ; 3 ± et 3 \ = 10.
OE qu’une seule couleur à affranchir – ± –, ? Vous avez pratiquement la même main
S où vous possédez un total de neuf cartes. que dans le test précédent, mais avec
Où est le problème ? Avec le Roi de • trois cartes à • au lieu de trois cartes à \
¿ AR6 troisième au mort en face de trois petits, Vous êtes en Sud (tous vulnérables). – la couleur adverse. Contrez 2 \ ; il s’agit
• 872 la contre-attaque à • peut s’avérer Quelle doit être votre deuxième enchère d’un contre fitté, qui montre une bonne
\ AD95 mortelle avec l’As en Est. Ouest avec chacun des cinq jeux suivants ? ouverture et un soutien de trois cartes à •
±872
est donc l’adversaire dangereux. ¿ • \ ± – la majeure de votre partenaire.
Voici le bon plan de jeu : commencez A AR6 7 V93 ADV862 C 3 • = 20 ; 2 • = 15 ; 4 • = 5.
I. Enchères par ne pas laisser passer l’entame. B AR6 V93 7 ADV862 En enchères compétitives,
Sud donneur. Prenez le Valet de ¿ du Roi. Ensuite, il est bien joué de soutenir avec saut
vous devez affranchir les ± avec toujours C A 10 3 D 10 9 2 7 A R 10 8 4
Faites les enchères de Nord-Sud,
D A D 10 3 R 10 10 3 AR984 – 3 • – votre partenaire quand vous
qui se déroulent dans le silence le même objectif : empêcher Ouest possédez un jeu efficace avec la courte à \.
adverse. de prendre la main ! À la deuxième levée, E A V 10 R D 10 3 3 ARV82
jouez le 2 de ± pour le 5 d’Ouest et placez D 2 ¿ = 20 ; contre = 10 ; 3 ± = 5.
Réponse le 6, qui fait la levée. Ouest possédait Vous êtes assez fort pour annoncer
au départ Dame-Valet de ± troisièmes. Infos bridge vos ¿ au palier de 2. L’enchère de 2 ¿
La bonne séquence : Grâce à ce jeu de sécurité, vous réaliserez est forcing pour un tour.
Le retour des réveillons-TGV
Sud Nord onze levées au lieu d’une de chute. E 4 \ et 3 \ = 20 ; 4 • = 10.
À Marseille, Philippe Soulet
1\ 2± Voici les quatre jeux : vous propose un réveillon-bridge Deux bonnes réponses avec ce jeu
2 SA 3 SA ¿ 75 à l’hôtel Radisson Blu, qui surplombe le trop fort pour un soutien direct à 4 • :
• R63 Vieux-Port (du 28 décembre au 2 janvier). le Splinter à 4 \ pour indiquer
Quelques commentaires : \ R2 Tous les après-midi : une conférence la courte à \ avec un puissant jeu
1 \ : ouvrez de votre mineure ± A R 10 6 4 3 sur les enchères avec le champion du de soutien et le cue-bid à 3 \.
la plus longue avec un jeu régulier ¿ V 10 9 4 2 N ¿ D83 monde ou un atelier sur le jeu de la carte
• V94 • A D 10 5 avec Érick Mauberquez, suivi
de 13 points H. OE
\ 10 4 \ V8763
2 ± : changement de couleur en 2 sur 1. S d’un tournoi par paires (open ou mixte). VOTRE RÉSULTAT :
±DV5 ±9 - De 90 à 100 : un excellent résultat.
2 SA : montre un jeu régulier Avec, bien sûr, le dîner de la Saint-
¿ AR6 - De 70 à 85 : un bon résultat.
et une ouverture minimum. • 872 Sylvestre ainsi que de nombreuses - De 50 à 65 : assez bien, travaillez
3 SA : avec une belle mineure sixième, \ AD95 animations. davantage vos enchères.
Nord demande la manche à sans-atout. ±872 Réservations au 01.48.28.72.23. - Moins de 50 : lisez La Nouvelle Majeure 5 e.

LE POINT Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 - 6005 - n° de commission paritaire : 0625 C 79739
1, boulevard Victor, 75015 Paris – Tél. : 01.44.10.10.10 – Fax : 01.43.21.43.24 Impression : Maury Imprimeur SA (45330 Malesherbes). Diffusion : MLP.

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154 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

 Le chant épique
de François Cheng
Né en Chine en 1929, arrivé en France à 19 ans sans parler un mot de notre langue, l’académicien reparcourt la
« longue route » que fut sa vie, à mi-chemin entre les deux pays. Extraits exclusifs de son livre (Albin Michel).
PAR FRANÇOIS-GUILLAUME LORRAIN caractères, la « longue route » domine le reste. Car c’est
cette « aventure poétique », ce périple œuvré tout entier

D
e François Cheng, Claude Roy disait : « Il est un vivant
démenti de l’adage de Kipling selon lequel l’Est et l’Ouest
ne peuvent se rencontrer tout à fait. » En l’occurrence, la
Chine, où il est né en 1929, et la France, où il fut transplanté,
à 19 ans, en 1948, sans connaître un mot de notre langue.
Le titre de son livre ultime dit bien le cheminement pa-
tient, unique, qui l’aura mené de la Chine à l’Hexagone :
Une longue route pour m’unir au chant français. En taille de
autour de l’ouverture au chant, à la langue, à la capacité
à dire le monde, qui tient lieu pour lui de ce que d’autres,
à leur crépuscule, nomment des Mémoires.
Un jour de 1944, dans une Chine bouleversée par la
guerre, alors qu’il gravit une colline placée sur le che-
min de l’école, ce chant s’est manifesté à lui. Une « pré-
sence », « invisible mais évidente, intimidante mais toute
d’intimité ». Illumination ? Épiphanie ? « Chante et …

Ne disqualifions pas Annie Ernaux !

PAR SÉBASTIEN LE FOL

Ne boudons pas notre plaisir : un nouvel
écrivain français décroche le prix Nobel de
littérature. À l’heure où le discours décli-
niste domine, c’est un motif de fierté. Après
Le Clézio en 2008 et Modiano en 2014, An-
nie Ernaux est distinguée par l’Académie
suédoise. Orfèvre de l’autobiographie, elle
a eu pour volonté d’« écrire la vie ». Pour
qui a été bouleversé par la lecture de
La Place, son récit paru en 1983, cette nou-
velle ne prête guère à discussion. Avec son
écriture au scalpel, qui scotche l’époque,
Ernaux a saisi le déchirement de l’être qui
se hisse au-dessus de sa condition, l’humi-
liation sociale dans la France des Trente
Glorieuses. L’image de son père, ouvrier
devenu petit commerçant à Yvetot, en Nor-
mandie, reste gravée dans la mémoire du
lecteur. D’autres retiendront de son œuvre
son premier roman, Les Armoires vides, ou
par la suite Une femme, Passion simple ou
Les Années. Il y a là véritablement une
œuvre, une sensibilité, un monde.
C’est vrai, les Nobel n’ont pas récompensé
qu’une écrivaine. Ils ont aussi voulu mettre
en exergue le parcours d’une femme enga-
gée. Les Nobel s’aventurent rarement en
terre libérale ou tout simplement modérée.
Personnage public et conscience morale,
comme on dit, Annie Ernaux incarne au-
jourd’hui un certain air du temps. « Jusqu’à
mon dernier souffle, je persisterai à venger
ma race », a-t-elle martelé. Sa lutte des
classes a muté en lutte des races. Qu’elle
affiche sa proximité avec Houria Bouteldja,
l’ex-porte-parole des Indigènes de la
­République, ou défende la liberté de porter
le hidjab, elle s’inscrit en rupture avec
­l’universalisme des Lumières.
L’année où Salman Rushdie a été rattrapé
par la terreur islamiste, on pouvait attendre
un autre signal de Stockholm. Le combat
pour la liberté d’expression et de création
se paie au prix fort. Il ne s’agit pas d’abais-
ser notre vigilance sur ce terrain-là.
Bien sûr, on peut regretter que la militante
prenne l’ascendant sur l’artiste. Dans ses
­récentes prises de position, Annie Ernaux
s’est illustrée par son sectarisme. À tel point
qu’il est légitime de se demander ce qui est
arrivé à l’autrice de La Place. Il faudrait
peut-être revenir à ce livre et à la blessure
originelle de l’écrivaine. Il y a comme
un ressentiment qui affleure dans son
­militantisme. Cette lecture politique, qui est
aussi celle des Nobel, ne doit pas nous
­détourner de son œuvre. Ceux qui ne
­partagent pas ses idées politiques feraient
fausse route en la disqualifiant pour des
raisons extralittéraires §

Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 155

 LITTÉRATURE

… tu seras sauvé, et tout sera sauvé », s’entend-il dire. Un Mais il fut encore long, étroit et escarpé, le chemin pour
premier chant naît, sur l’eau, alors qu’il n’a jamais vu la François Cheng avant de bâtir son œuvre-passerelle, sur la
mer. Dès lors, il voguera dans le vaste monde, escorté de ces Chine, son écriture poétique, son langage pictural, comme
vers du poète Du Fu : « Je sais que, lorsque je chante, dieux et sur la France, Le Dialogue, où son œil chinois fait merveilleu-
démons sont présents, Peu me chaut si, mort de faim, mon ca- sement résonner tous les sens de notre langue. À l’heure où
davre comble une fosse. » À l’heure où Mao expédie les poètes la Chine n’est que recroquevillement, à l’heure où les cultures
sinon dans les fosses du moins dans les geôles, la vie – son n’oscillent qu’entre mondialisation et nationalisation, Cheng
père, engagé par l’Unesco en 1948 – lui propose une issue, offre le vivant contre-exemple d’un dialogue permanent,
à Paris. Une halte provisoire qu’il prolonge, lui, « le fils indé- d’un abîme franchi entre Chine et France, d’un ensemence-
finissable et insaisissable », l’unique enfant à ne pas suivre la ment réciproque porté à efflorescence, au nom d’une perpé-
famille, qui émigre aux États-Unis. tuelle exigence. « J’ai mérité la France » : c’est le titre que
Ballotté par l’existence, sa bouée est la langue française, Madeleine Bertaud donne au chapitre qui ouvre le remar-
qu’il découvre, absorbe, respire, celle des poètes dévorés à la quable Cahier de l’Herne consacré aussi à Cheng ; la qualité
bibliothèque Sainte-Geneviève, très tôt rencontrés comme des contributions – notamment celle de Véronique Olmi –
André Gide, vieillard parcheminé, qu’il visite traduit avec émotion la profondeur de l’em-
avec un ami chinois : très incertain de son preinte spirituelle qu’il laissera §
français, il lui murmure cependant ces trois LE LIVRE
mots : « la soif étanchée ». Une soif qu’il étanche
avec Rilke, le poète orphique du dialogue des Extraits
morts et des vivants, en quête de l’Être : dans
Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, Rilke dé- Par-delà les montagnes
crivait justement un jeune poète exilé parmi Partout où il se trouve, [l’exilé] se présente
les livres de cette même bibliothèque, en quête comme un être plus ou moins primaire, pas-
d’un lien avec les êtres, avec le monde : un mi- sablement ridicule quand il emploie un mot
roir troublant pour le jeune Cheng Chi-hsien. inadéquat, quand par malheur sa langue a
Entre deux boulots de misère, Cheng af- fourché. Faute de phrases correctes et d’un ré-
fronte « un métier qui ne s’apprend pas : exister ». cit cohérent, il ne peut dissiper l’impression
Mais sa voix et Rilke le sauvent. Alors qu’il « Une longue route pour d’un être dépourvu d’affects, de consistance,
suit, lui le-sans-diplôme, le séminaire de Paul m’unir au chant français », voire de réalité.
de François Cheng 
Demiéville, grand maître de la sinologie après (Albin Michel, 252 p., 17,90 €).
Si de surcroît ce jeune homme nourrit la
guerre, il lui déclame ces deux vers très taoïstes À lire aussi : Cahier de l’Herne folle ambition de se consacrer à la création
de Rilke : « à la terre immobile dis : je coule/ À « Cheng ». littéraire, personne n’est en mesure de sonder
l’eau dans sa hâte parle : je suis. » Demiéville le le gouffre abyssal qui le dévaste intérieure-
recommande à Gaston Berger, le père de Mau- ment. À 20 ans passés, tel un oiseau en plein
rice Béjart, qui a besoin d’un Chinois dans son Centre d’études vol atteint par une balle, je suis stoppé net dans mon élan
prospectives. Après la mort accidentelle de Berger, c’est son vers un chant personnel. J’aurais pu bien sûr continuer
ami Alexis Rygaloff, fondateur du Centre de recherches lin- d’écrire en ma langue maternelle, mais cela aurait été sans
guistiques sur l’Asie orientale à l’École pratique des hautes aucune perspective, le temps de mon bouleversement per-
études, qui joue le rôle du protecteur ancestral. sonnel coïncidant avec celui du bouleversement gigantesque
Dans cette Longue route, livre de la dette et de la gratitude, qui affectait alors mon pays d’origine. (…)
ode des adieux, la France de Cheng est une terre d’accueil, Au cours de la longue histoire chinoise, même durant les
peuplée d’anges gardiens. Le voilà à 30 ans salarié à traduire périodes les plus sévères, une poésie authentique était assu-
en chinois les poètes français avant d’appliquer la sémio- rée par des ermites réfugiés dans les montagnes. Ces mon-
tique à un des chefs-d’œuvre de la littérature chinoise, Nuit tagnes-refuges n’existent plus à l’époque où le contrôle
de lune et de fleurs sur le fleuve printanier, 36 vers d’un poète du administratif s’étend à tous les recoins de la société, et, de
VIIe siècle. En 1963, en épousant une Tourangelle, il épouse toute façon, je suis loin de la Chine. De plus, je ne saurais
un peu plus notre langue, avant d’être naturalisé français. vivre comme les ermites d’antan. En moi circule un sang en-
L’Université fait appel à lui, ­Lacan aussi pour s’orienter dans fiévré. La vision et le chant qui m’habitent, même confus et
les grands textes chinois. virtuels encore, exigent une incarnation nouvelle. Leur épa-

À l’heure où la Chine se recroqueville, Cheng offre le vivant

contre-exemple d’un abîme franchi entre Chine et France.

156 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619


nouissement ne peut avoir lieu que dans une confrontation
avec la vie réelle, laquelle, cette fois-ci, n’est pas une quel-
conque montagne. Elle résulte d’une autre pensée, d’une
autre culture, d’une autre expérience et d’une autre création,
mues par la passion qui exige que je sorte de moi et que j’en-
treprenne un dialogue au plus haut niveau. Non pas méta-
phore mais métamorphose.
À mesure que l’idée d’exil s’installe en moi, s’impose l’évi-
dence : la terre française sera ma terre ; la langue française
sera ma langue. Ce sera, pour sûr, une route ardue, forcément
longue et tortueuse. Mourrai-je en chemin ? La question ne
se pose pas. Devant moi s’ouvre l’unique voie, il n’y en aura
point d’autre. En attendant, il me faut partir de zéro.
Dialogue à Taïwan
ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »

Vers la fin des années 1960, une mission à Taïwan m’est pro-
posée. Vingt ans après avoir quitté mon pays natal, je foule
ce coin de sol chinois resté libre et ouvert à l’extérieur. Le dé-
but de mon séjour est occupé à visiter les diverses institu-
tions consacrées aux études des mythes, domaine qui m’attire.
Puis, connu par mes articles et traductions parus dans la re-
vue Europe, je suis chaleureusement accueilli par les grands
représentants de la poésie moderne. Ceux-ci, en peu de temps,
ont accompli un formidable travail pour libérer le langage
« La langue française sera
ma langue. Ce sera, pour sûr,
une route ardue, forcément
longue et tortueuse.
Mourrai-je en chemin ? »
poétique de ses carcans traditionnels. Moments de débor-
dante effervescence créée par l’ivresse des échanges. Dans le
giron de ma langue maternelle retrouvée, je savoure les
œuvres offertes par eux, tout en leur montrant mes propres
poèmes anciennement ou fraîchement composés en chinois.
Au cours de ces rencontres, mon cerveau aurait-il été imper-
ceptiblement transpercé par des éclairs de regret pour avoir
déserté ma langue d’origine au profit d’une autre ? Cela est
possible. Mais au plus intime de moi, je me sais ailleurs. Sans
aucunement diminuer la valeur des chants de mes interlo-
cuteurs, je mesure combien leurs références restent chinoises.
Le plus joli mot
De tous les mots français se détache un diamant. Il est ce-
lui qui, longuement compressé, est réduit à une seule syl-
labe. Ce mot monosyllabique – caractère familier à une
oreille chinoise –, d’une extraordinaire densité, se révèle le
plus riche de contenu, porteur qu’il est de trois acceptions,
à savoir « sensation », « direction », « signification ». Il s’agit,
on l’aura deviné, du mot « sens ». Par sa brève prononcia-
tion, il fait entendre un brusque surgissement, un prompt
avancement. Par ses trois acceptions combinées en un tout
organique, il incarne les trois étapes ou les trois étages de
notre existence terrestre, une existence faite de quête en
un mouvement ascendant. La sensation nous éveille dans
un univers vivant et inconnu. Attirés par ce qu’il y a de na-
turellement bon et beau, nous avançons vers une direction.
Du coup, nous ne sommes plus des êtres qui tournent en
rond aveuglément, nous nous engageons dans un proces-
sus de faire et de créer qui donne sens à notre vie. L’accès à
la signification veut dire ici que nous faisons signe à l’Être
en tant que sujets. Nous devenons actifs participants à
l’aventure de la Vie.
Magie du langage humain. Un mot, quand on le prononce,
ne dure qu’une seconde. En une seconde, l’essentiel de ce
qu’implique une destinée est proféré. Il nous reste à inves-
tir notre Voix dans la marche de la Voie. Je sais gré à la langue
française de marier phoniquement ces deux termes, puisqu’en
chinois tao veut dire à la fois « chemin » et « dire ». Dans mon
cheminement du chinois vers le français, semé de tant
d’épreuves, point de cassures, de ruptures, de sacrifices, mais
bien des métamorphoses, des transformations, un accom-
plissement transfigurant §
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 157
 ÉCONOMIE

Philippe d’Iribarne
« La France ressemble à l’Inde
avec son système de castes ! »
Dans « Le Grand Déclassement » (Albin Michel), l’économiste Philippe d’Iribarne ausculte
les motifs profonds du désamour de nos compatriotes pour l’effort. Éclairant.

S
elon le directeur de recherche au CNRS Philippe
­d’Iribarne, les Français apprécient de moins en moins
leur travail. Les raisons ? Cadres comme employés ont
perdu en marge de manœuvre. Et puis il y a ce sens de l’hon-
neur qui fait que l’on accepte moins qu’ailleurs les ordres
des chefs et les desiderata des clients. Lui-même X-Mines,
Iribarne fustige, en outre, notre « société de rangs ». Où les
destins dépendent encore trop des ­diplômes.
Le Point : Selon vous, il existe un mal-être au
travail spécifiquement français…
Philippe d’Iribarne : C’est net dans les compa-
raisons internationales. Les Français interrogés
sur la reconnaissance de leur travail répondent
de manière spécialement négative. Pour qu’ils
apprécient leur travail, il faut qu’ils aient l’im-
pression de réaliser quelque chose de grand, de
relever des défis, et pour beaucoup ce n’est pas
le cas. Cela n’a pas de rapport avec le niveau so-
cial de l’activité. Créer un beau bouquet pour Philippe d’Iribarne
un fleuriste, faire du bon pain pour un boulan-
ger vaut autant que participer au développe-
de recherche au CNRS.
ment d’un avion pour un ingénieur… Les
Français veulent être traités comme des gens
qui sont respectés dans leur capacité à exercer leur métier.
Ne le sont-ils pas ?
De nombreux facteurs ont mis cela en cause ces dernières
années. L’accroissement considérable du poids de la concur-
rence a rendu le travail plus précaire. Le décalage entre
l’augmentation du nombre de diplômés et le niveau des
postes a joué aussi. Autrefois avec un bac + 5, on était sûr
un moment crucial, leur général n’a pas pu prendre seul la
décision d’envoyer ses hommes, pourtant volontaires, dans
les tours attaquées par le feu. Car, s’ils avaient péri, il au-
rait été passible de poursuites pour mise en danger de la
vie d’autrui. Il a fallu que ce soit le président de la Répu-
blique, irresponsable pénalement pendant la durée de son
mandat, qui donne l’ordre !
À vous lire, les cadres ont aussi moins d’autonomie…
Oui. Auparavant, ils se voyaient confier de vastes
responsabilités. Or cela a disparu puisqu’ils sont
soumis à des i­ ndicateurs de performance. Fina-
lement, ils se sentent considérés comme de
simples exécutants, des employés mieux rému-
nérés que les autres. Le directeur d’une banque
de province m’a confié qu’il ne peut plus déci-
der de g­ arder ou non un client. Un algorithme
s’en charge à sa place.
Comment expliquer que chez nous le taux
d’emploi des plus de 60-64 ans soit
nettement au-dessous de la moyenne des
Économiste, pays de l’OCDE ?
directeur Dans la plupart des autres pays développés, on
accepte qu’à un certain âge – autour de 55 ans –
on puisse vous faire redescendre dans la hié-
rarchie ou vous confier une fonction moins opérationnelle.
Mais en France, c’est considéré comme une déchéance, une
petite mort. On trouve chez nous moins déshonorant de
prendre sa retraite que d’accepter une situation déclassée.
Que peut-on faire pour y remédier ?
Certains cadres séniors essaient de se reconvertir dans des
activités de conseil. Une piste intéressante consiste à déve-
JEROME CHATIN/EXPANSION-REA/SP

d’être cadre. Aujourd’hui, ce n’est plus garanti. En 2010,
seuls 35 % des bac + 5 issus des masters 2 littéraires ont dé-
croché un poste de cadre à la sortie. Je ne pense pas que la
situation se soit améliorée. Un autre élément est le poids
de la justice et du principe de précaution. Avant, on admet-
tait qu’il était légitime de prendre des risques dans un monde
complexe. Ce n’est plus le cas maintenant. L’exemple des
pompiers lors de l’incendie de Notre-Dame est frappant. À
lopper des activités de mentor à temps partiel, accompa-
gnant ceux qui débutent, ce qui est très honorable. Ce serait
d’autant plus utile que certains secteurs, comme le ­nucléaire,
sont confrontés à des pertes de précieux savoirs industriels.
N’est-ce pas aussi la faute des entreprises qui ne
veulent pas recruter de séniors ?
Les entreprises cherchent, en effet, à remplacer leurs sé-
niors, qui coûtent cher, par des jeunes. De plus, quand un

158 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619

cadre postule à un poste plus modeste que celui qu’il occu-
pait précédemment, on se demande pourquoi il accepte de
déchoir. Aux États-Unis, c’est le contraire. La presse écono-
mique américaine raconte régulièrement de belles histoires
de personnes expérimentées qui, après la perte d’un em-
ploi prestigieux, ont accepté de repartir en bas de l’échelle
avant de rebondir.
Chacun connaît l’expression « il n’y a pas de sot
métier ». Or vous affirmez que, dans la perception des
Français, c’est le contraire qui est vrai.
« Il n’y a pas de sot métier » mais à condition qu’il s’agisse
d’un métier et les Français ont une vision restrictive des
« vrais » métiers. Ils estiment que certaines occupations,
comme caissière de supermarché, ne demandent pas une
expertise suffisante et que d’autres, qui feraient de vous le
valet des puissants, sont peu honorables.
La situation est-elle vraiment différente dans les pays
comparables ?
Oui. Quand on se rend aux États-
Unis, on est frappé par le
nombre de pompistes, de gens « On a cru que
qui rangent vos courses, ou de
cireurs de chaussures… Il y a là- les ­diplômes allaient
bas quantité de petits boulots.
Mais, en France, ces occupa- ­permettre à tout
tions sont très mal vues, comme
le montre l’expression péjora- le monde d’obtenir
tive « cirer les bottes ». Être à la
disposition d’un patron ou d’un
des postes de ­niveaux
client évoque la vieille expres-
sion qui qualifiait la situation
plus élevés.
des serfs et dont les syndicats
usent beaucoup : « taillable et
Un mensonge ! »
corvéable à merci ».
De nombreux diplômés de
l’enseignement supérieur ne trouvent pas chaussure à
leur pied, ce qui génère un sentiment de
déclassement. Comment en est-on arrivé là ?
On a laissé trop d’étudiants accéder aux diplômes bac + 3 ou
bac + 5. Entre 1967 et 2020, le pourcentage de bacheliers
dans une génération est passé de 15 % à 80 %. On a cru que
cela allait permettre à tout le monde d’obtenir des postes
de niveaux plus élevés. Mais c’était un mensonge ! Ces di-
plômes ressemblent à bien des égards aux assignats d’au-
trefois. De plus, il y a un écart parfois incroyable entre le
niveau du diplôme et la compétence réelle. Certains de mes
thésards ne savent même pas distinguer correctement une
cause d’une conséquence.
Vous comparez les titres scolaires des grandes
écoles aux titres de noblesse de l’Ancien Régime.
En quoi sont-ils comparables ?
Je ne fais que reprendre l’analyse de Pierre Bourdieu. Ces
diplômes donnent un rang social que vous gardez jusqu’à
la fin de vos jours. On le voit jusque dans les faire-part de
décès. « Nous sommes au regret de vous annoncer la dispa-
rition de Monsieur Machin, X-1946, etc. » Nous vivons tou-
jours dans une société de rangs.
Au Royaume-Uni, les diplômés d’Oxford et de
Cambridge trustent aussi les meilleurs postes.
C’est vrai, la société britannique est très stratifiée. Là-bas,
même la manière dont vous parlez peut vous cataloguer,
et l’on se souvient des efforts de la Première ministre
­Margaret Thatcher pour s’exprimer avec le bon accent :
ni trop snob ni trop populaire. Cela étant, je pense que la
France est un pays plus cruel encore dans les manifesta-
tions d’arrogance des puissants. Par contrecoup, ceux qui
n’ont pas accès aux titres scolaires prestigieux se per-
çoivent presque comme appartenant à une autre huma-
nité que les « gens du haut ». Par réaction, ils qualifient
parfois de « traîtres de classe » ou de « bouffons » ceux qui,
également d’origine modeste, réussissent à l’école et pro-
gressent dans la société. Dans
le monde occidental, c’est, je
crois, la France qui ressemble
le plus à l’Inde, avec son
­système de castes !
Dans un précédent entretien
au « Point », au moment de
la révolte des Gilets jaunes,
vous disiez qu’il s’agissait
de gens honorables qui
n’étaient pas honorés.
Où en est-on maintenant ?
De nombreux travailleurs, qui
se lèvent tôt, ont le sentiment
que ceux qu’ils appellent « les
assistés » sont mieux traités et
s’en indignent. Cela se reflète
actuellement à gauche dans
l’opposition entre, d’un côté, Fabien Roussel, qui affirme
que la gauche est attachée à la valeur du travail, et, de
l’autre, Jean-Luc Mélenchon ou, plus encore, Sandrine
Rousseau, avec son « droit à la paresse ». L’argent dépensé
à profusion au temps du Covid a pu donner le sentiment
qu’il était légitime d’avoir des revenus sans travailler, mais
il est douteux que cela subsiste. La vision de la mondiali-
sation de l’économie comme une menace, avec la précari-
sation des emplois qu’elle entraîne, n’est pas près de
disparaître, ­alimentant un rejet du « système ». Nombre
des anciens partisans de la « mondialisation heureuse »
ont aujourd’hui des regrets. Dans son programme de can-
didat malheureux à la présidence de la République en 2002,
Lionel ­Jospin ­parlait encore d’atteindre le progrès social
par le progrès économique et le progrès économique par
la mondialisation. Le réel nous a rattrapés §
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS MIGUET
Le Grand Déclassement. Pourquoi les Français n’aiment plus
leur travail !, de Philippe d’Iribarne (Albin Michel, 176 p., 19,90 €).
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 159
 LITTÉRATURE
Annie Ernaux : une œuvre, un
Si l’œuvre de l’autrice des « Années », première Française à recevoir le Nobel de littérature, est reconnue par
la critique, ses prises de position sont parfois discutables au regard de la portée universaliste de la récompense.
U
ne fois n’est pas coutume, c’est une autrice placée par
les pronostics des bookmakers anglais parmi les favo­
ris, juste derrière un autre écrivain français, Michel
Houellebecq, et la poétesse canadienne Anne Carson, que
l’Académie suédoise a choisi de récompenser. En remettant
son prix à Annie Ernaux, 82 ans, c’est « une écriture d’une
rare puissance », celle d’une « anthropologue d’elle-même » que
les jurés du Nobel de littérature ont entendu honorer, la
comparant même à Marcel Proust.
Sur les 329 propositions (et candidatures directes) par­
venues à l’académie de Stockholm avant l’été, cinq noms
avaient été sélectionnés par les jurés en
octobre, selon les règles en vigueur. L’Aca­
démie suédoise n’a pas révélé le nom
des auteurs finalistes. Mais le poète d’ori­
gine syrienne Adonis ou le romancier
anglais d’origine indienne Salman Rush­
die faisaient partie du lot, assurent plu­
sieurs sources.
L’écriture comme « réparation ».
À l’automne 2021, c’est le Lion d’or à la
Mostra de Venise qui avait indirecte­
ment récompensé Annie Ernaux avec
l’adaptation de son dixième roman,
L’Événement, par Audrey Diwan. Un ro­
man autobiographique tout entier cen­
tré autour de l’interruption volontaire
de grossesse qu’elle avait subie dans les années 1960 alors
qu’elle était étudiante en faculté de lettres. Un prix de plus
pour Annie Ernaux, qui a glané une multitude de récom­
penses littéraires depuis la publication de son premier livre
en 1974, Les Armoires vides. Un récit qui évoquait déjà cet
avortement clandestin, mais sous l’angle de la fiction.
En récompensant Annie Ernaux, l’Académie Nobel a-t-
elle voulu répondre aux critiques formulées à son encontre
quant à son manque de diversité dans le choix de ses lau­
réats ? À ce jour, l’institution suédoise n’a récompensé que
17 femmes, contre 101 hommes. L’académie veille en tout
cas, depuis cinq ans, à alterner prix masculins et féminins.
C’est dans l’épicerie de ses parents à Yvetot qu’Annie Ernaux
confie avoir, pour la première fois, imaginé devenir écrivaine.
160 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
Les deux dernières à avoir été honorées sont l’Américaine
Louise Glück (2020) et la Polonaise Olga Tokarczuk (2018).
Née à Lillebonne à une trentaine de kilomètres du Havre,
le 1er septembre 1940, Annie Ernaux a construit depuis près
d’un demi-siècle un univers très personnel qui puise dans
sa vie intime l’essentiel de sa matière première. Après son
avortement et l’histoire de ses parents, contée dans La Place
(Gallimard, 1983) et Une femme (chez le même éditeur, en
1987), l’autrice a livré à ses lecteurs le compte rendu cli­
nique d’une histoire d’amour avec un diplomate russe dans
les années 1980 : Passion simple (1992). Un autre roman
adapté au cinéma par Danielle Arbid,
en 2020.
C’est dans l’épicerie de ses parents à
Yvetot, où ils s’étaient installés peu après
sa naissance, qu’Annie Ernaux confie
avoir, pour la première fois, imaginé de­
venir écrivaine. « Pour consigner, dit-elle,
les récits chuchotés des clients de (s)es pa-
rents, l’ennui de ces longues journées de
­vacances, passées toujours à la maison, à
meubler ces heures de lectures roma-
nesques. » La découverte, à ses 10 ans,
d’une grande sœur décédée du typhus
deux ans avant sa naissance constituera
un autre des traumatismes dont elle se
délestera grâce à l’écriture (L’Autre fille,
Nil Éditions, 2011).
Un documentaire, actuellement diffusé sur la plateforme
d’Arte, cosigné avec son fils David Ernaux-Briot, revient sur
l’éclosion de cette vocation littéraire. Envisageant la litté­
rature comme une forme de « compensation », voire de « ré-
paration » face aux traumatismes de la vie (dont la violence
de son père, alcoolique, fait partie), Annie Ernaux n’a cessé
de vouloir s’affranchir de la honte qu’elle éprouvait, en­
BRUNO ARBESU/REA
fant, face aux camarades « bourgeois » de sa classe. Le sen­
timent d’appartenir à la classe des « dominés » constitue,
de fait, un autre fil rouge de sa carrière littéraire.
Ses brillantes études, effectuées à l’université de Rouen,
qui la virent devenir professeure agrégée de lettres en 1971,
prix Nobel et des controverses
ne parviendront jamais à éteindre cet inextinguible com-
plexe social. Un complexe de « transfuge de classe » qui s’ex-
primera, tout au long de sa carrière, par des prises de
position iconoclastes, toujours politiquement ancrées à
gauche. Après le succès de librairie de La Place, consacré
par le prix Renaudot, en 1984, Annie Ernaux confiait dans
ses carnets intimes : « Pas de joie particulière, intense […] et
Rousseau, Mélenchon et le hidjab
O n ignore si les jurés du Nobel sont au fait des opinions de
leurs lauréats et des subtilités de la politique intérieure
de leur pays d’origine. S’ils savent au juste, par exemple, qui
est Sandrine Rousseau, « coup de cœur » d’Annie Ernaux à
la primaire écologiste, ou Houria Bouteldja, ex-porte-parole
des Indigènes de la République, dont l’écrivaine est égale-
ment un soutien enthousiaste. Mais s’il est vrai que le Nobel
de littérature affirme couronner aussi la portée politique
d’une œuvre littéraire, alors les jurés ne peuvent ignorer que
dans le champ de mines idéologique qui voit s’opposer de-
puis quelques années, en France, les défenseurs de l’univer-
salisme aux obsessionnels de l’identité de classe, de genre
ou de race, l’auteur des Années a choisi son bord.
« Tu les vaux bien », lui répétait sa mère, évoquant les jeunes
bourgeoises de l’établissement catholique dans lequel An-
nie, issue d’un milieu modeste, faisait sa scolarité. « Émigrée
de l’intérieur », « traître aux siens », comme elle aime elle-même
à se désigner, la petite fille d’ouvriers devenue agrégée de
lettres a fait de cette revendication de « transfuge » de classe,
comme après elle les écrivains Édouard Louis ou Nicolas Ma-
thieu, l’un des motifs de son œuvre. Et de sa position suppo-
sée clandestine, minoritaire, elle tire, dans le même temps,
une saisissante force de frappe médiatique.« Je reste transfuge.
Je suis mal à l’aise, par exemple, dans les locaux de Gallimard »,
dit-elle en 2021 à L’Obs. Pourtant, c’est elle qui, menant la
fronde contre un récit de Richard Millet, obtient, en 2012,
que celui-ci démissionne du comité de lecture de Gallimard.
Or, quelle que soit la répugnance que peut en effet susciter
l’ouvrage de Millet, c’est tout de même, sous la houlette de
l’écrivaine, la première fois qu’une cohorte d’auteurs réclame
et obtient la tête d’un autre… Un peu à la manière dont
Édouard Louis et Didier Eribon, Fouquier-Tinville autopro-
clamés d’une communauté gay essentialisée, réclameront,
des années plus tard, celles du philosophe Marcel Gauchet
ou de la sociologue Nathalie Heinich.
pourtant, je sais que j’ai voulu cela, que ce livre rachète tout […]
les peines de mon père, comme si je retrouvais l’enfance […] et je
me demande quel rapport avec ce que je vis, cette libération et
cette douceur avec ma mère. »
Une apparente froideur qui tranche avec l’émotion in-
tense qu’elle confie avoir ressentie lors de l’annonce de ce
Nobel § BAUDOUIN ESCHAPASSE
Témoin, dans l’épicerie-café familiale, de la dureté des vies
ouvrières d’Yvetot (Seine-Maritime), là même où a en partie
grandi Jean-Luc Mélenchon – pour lequel l’écrivaine a ap-
pelé à voter à deux reprises et qui s’est fendu d’un tweet cé-
lébrant « une langue délicate qui n’est pas celle de l’argent » –,
Annie Ernaux met pour la première fois un bulletin dans
l’urne en 1962, lors du référendum sur la Constitution pro-
voqué par de Gaulle. Elle choisit le « non » et votera désor-
mais toujours à gauche. Mais plus les années passent, plus
celle qui déplore « la droitisation progressive du paysage poli-
tique français » – et un Macron « créé par les puissances de
l’argent » (Libération, 2018) – cède à la maladie si française de
la pétition, multiplie tribunes et appels médiatiques plus ou
moins confus et se déporte surtout vers les lubies intersec-
tionnelles qui divisent son propre camp.
« Je venge ma race ». L’année des cinq ans de #MeToo,
on ne s’étonne guère que les Nobel choisissent une écrivaine
qui a fait de la condition féminine la corde sensible de son
œuvre. Mais alors que les Iraniennes, risquant leur vie, ar-
rachent leur voile, on ne peut que relire avec consternation
les textes dans lesquels Annie Ernaux, au nom de la conver-
gence des luttes, défend celui-ci en France : « J’ai entendu trop
de femmes politiques s’insurger contre le hidjab et pas assez dé-
fendre la liberté de le porter », regrette-t-elle ainsi en 2019 dans
Libération… « Je venge ma race », a-t-elle souvent dit et écrit.
Camus, autre transfuge de classe, disait, dans son discours
de réception du Nobel en 1957, à peu près l’inverse : « L’art
est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur
offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes.
Il oblige donc l’artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité
la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi
son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent apprend bien
vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa res-
semblance avec tous. » § VIOLAINE DE MONTCLOS
Le Point 2619 | 13 octobre 2022 | 161
 CHRONIQUE
La guerre est un couscous
PAR KAMEL DAOUD
Qui a inventé le raï, le caftan, la fantasia ? Algérie et Maroc se livrent une inquiétante bataille culturelle.
D
errière l’Ukraine et sa tragédie, sous le radar des inté-
rêts médiatiques, la tension monte dangereusement
au Maghreb. La grande guerre collatérale au « sud »,
si elle est aujourd’hui imaginaire, implique déjà les grandes
familles de cette région dans une concurrence malsaine :
les islamistes (ils ne sont pas de la même obédience au
Maroc et en Algérie), les hypernationalistes en manque
d’épopées, les jeunesses désœuvrées, les États et les mé-
dias. Il ne manque que l’étincelle pour que des imaginaires
dérisoires et hasardeux se transforment en sang et en
larmes plus d’un demi-siècle après les indépendances.
Grands désastres possibles pour la région, pour le sud de
la Méditerranée et pour la France, qui s’en
retrouvera impliquée de par son histoire,
ses communautés d’immigrés, ses plurali-
tés, ses intérêts. Pour le moment, la guerre
au Maghreb est « culturelle » . C’est-à-dire
qu’on se déchire la propriété du patrimoine
de cette géographie commune, chacun en
réclamant les droits d’auteur et l’invention.
Qui a inventé le couscous ? À qui appar-
tiennent les faïences ancestrales héritées
de l’époque « arabe » de l’Espagne ? À qui
sont les tenues traditionnelles du Maghreb ?
Ses plats ? Ses rimes ? C’est la guerre sur les
réseaux sociaux, dans les médias et dans
les communiqués officiels. De loin, on ne pourrait que
hausser les épaules devant cette tragédie du futile. Pour
les opinions en Europe, la guerre en Ukraine est plus réelle
que ces jalousies horizontales postfrançaises. Mais il ne
faut pas se tromper, c’est la dernière étape : celle où on vide
les meubles, où on se déchire, factures d’achat à l’appui,
la propriété des choses dans le corps du couple maghré-
bin. Ce moment d’huissiers et de cartons qui acte la sépa-
ration et la font basculer dans le cambriolage et la cupidité.
Divorce à l’amiable ? Que non ! Ce n’est pas dans l’air
de l’époque, et les États-nations de la région en sont en-
core aux susceptibilités belligérantes de leur jeunesse his-
torique. Le paradoxe est dans les chiffres. Il faut se
souvenir que les deux pays dépensent plus qu’il n’en faut
Il ne faut pas se tromper, c’est la dernière étape : celle où on
vide les meubles, où on se déchire, factures d’achat à l’appui.
162 | 13 octobre 2022 | Le Point 2619
pour leurs armées, avions, drones, frontières et écoutes
mutuelles. Et pourtant, c’est avec le parent pauvre de leur
nationalisme et de leurs gouvernances, la « culture », qu’il
se font la guerre, tant le populisme aime à se croire cultivé.
On imagine alors un renversement des budgets ! C’est-
à-dire que l’argent donné aux armées « nationales » en
vienne à remplir les caisses pour sauver la culture, les pa-
trimoines et les faire fructifier, pour réintroduire les loi-
sirs et l’amusement dans ces géographies sinistrées par le
martyre et la vanité. Que l’on imagine cet ordre régional
nouveau où la guerre serait un caftan et la bataille, un
boom du zellige andalou d’autrefois. Mais ce n’est que de
l’utopie. Le couscous, le caftan, la fantasia,
voilà des exotismes locaux dont personne
ne voulait depuis des décennies et dont on
découvre aujourd’hui, à l’éclairage de cette
guerre larvée, toute la splendeur utile. Le
raï, par exemple : honni en Algérie par les
conservateurs, chassé, exilé en France, avec
son lot de chanteurs tués et de répertoires
« apurés » par l’islamisme, le voilà redevenu
un porte-drapeau dans l’un et l’autre pays.
C’est dire comment la « culture » est acca-
parée par les castes hyper-urbaines dites
progressistes, détournée par les conserva-
teurs, pourchassée par les islamistes et mise
au pas par les régimes en manque de goût. Voilà que c’est
par elle qu’on commence lorsqu’on veut faire la guerre,
surenchérir sur les identités ou affirmer des dictatures.
Mais peut-être est-ce une erreur que de voir les choses
ainsi. Peut-être que ce n’est pas de culture qu’il s’agit, ILLUSTRATION : DUSAULT POUR « LE POINT »
mais de ce qui reste de ce passé commun, un moment
sublimé par les décolonisations et aujourd’hui dépecé
par les nationalismes virtuels. Le dernier stade avant la
déculturation définitive. Et que, vers la fin des fins, il ne
restera du Maghreb que son souvenir en France, cette
« maghrébinité de la nostalgie » que les irrédentismes
identitaires en France, les fascismes communautaires et
les refus opposés à la république ont déjà restreint à un
refus de vivre et de faire vivre §
LA TECHNOLOGIE INTELLIGENTE ÉTAIT LA PREMIÈRE ÉTAPE.
LA TECHNOLOGIE COGNITIVE EST L’ÉTAPE SUIVANTE.

LA TECHNOLOGIE
COGNITIVE NOUS
PERMET D’ÊTRE
DAVANTAGE
CE QUE NOUS
SOMMES ET
DE METTRE EN
VALEUR CE QUE
L’HUMANITÉ A
DE MEILLEUR.
JOSEPH BRADLEY
PDG DE TONOMUS

Nous ne pensons pas que la technologie

intelligente le soit assez. Nous avons besoin
de solutions proactives, connectées et plus
intelligentes. Alors, nous les construisons.
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L’AVENIR PASSE PAR LA

TECHNOLOGIE COGNITIVE.
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