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L’existentialisme

Quoiqu’il n’y ait plus de grandes écoles littéraires dans l’après-guerre, on


peut qualifier les œuvres dans la période 1945-1955 comme
existentialistes.
Au début, l’existentialisme est plutôt un mouvement philosophique que
littéraire.
L’existentialisme est le produit d’un climat négatif et pessimiste qui s’est
constitué sous l’influence de divers éléments : la crise économique en
1929, la guerre destructive, l’angoisse et les progrès techniques qui
réduisent l’individu à un individu producteur.

Les écrivains ne croient plus à un homme idéal, gouverné par des valeurs
morales. L’homme est jeté sans raison dans un monde qui n’a pas de
sens.
Ils ne peuvent que se raccrocher à leur propre existence individuelle.
La solitude de leurs héros est absolue : ils ne participent ni à la société, ni
à l’histoire.
La vie littéraire de l’après-guerre est fort marquée par les œuvres de Jean-
Paul Sartre et d’Albert Camus.
Albert Camus et Jean-Paul Sartre sont les principaux représentants d’un
courant de pensée qu’on appelle « l’existentialisme » (1945-1960): la
philosophie de l’existence.

L’existentialisme est souvent appelé la philosophie de l’absurde: l’existence


n’a pas de sens.

Ce courant est né de la confusion des guerres mondiales: l’homme ne sait


plus d’où il vient, ni où il va. La seule chose dont il est encore sûr, c’est le
moment actuel, et c’est là que se trouve toute la liberté de l’homme.

L’existentialisme semble être la philosophie de la liberté absolue: la seule


force qui nous domine, est le hasard, et non pas la religion ou la morale.
C’est nous qui sommes par nous-mêmes responsables de ce que nous
faisons.

Dans l’existentialisme il y a en gros deux tendances:

 Celle qui met en valeur l’absurdité de la vie.


 Les ouvrages de Jean-Paul Sartre: Le mur, La nausée, Les
Mouches, Huis Clos, Les Mains sales, …
 Certains livres d’Albert Camus: L’Étranger, Le mythe de Sisyphe.
 Celle qui met en valeur la solidarité, l’engagement, le service social qui
peut surmonter l’absurdité originelle de la vie.
 Le féminisme de Simone de Beauvoir: Mémoires d’une jeune fille
rangée, Le deuxième sexe.
 D’autres livres d’Albert Camus: La Peste, L’homme révolté.
L’absurdité de notre monde à la
lumière de “L’étranger” de Camus
Troisième roman francophone le plus lu dans le monde, “L’étranger” d’Albert
Camus raconte l’absurdité du monde qui se révèle à un homme qui n’a jamais
trouvé de sens à l’existence. Étranger à soi-même, étranger au monde,
étranger à la société, étranger à l’autre Meursault est. Paru en 1942, le premier
livre du Nobel de la littérature fait partie de la tétralogie que Camus nommera le
« cycle de l’absurde », un cycle dans lequel notre monde est depuis bien
longtemps empêtré, mais qui, peut-être, se dépêtra de certaines de ses
absurdités suite à une crise sanitaire qui l’a plongé à l’arrêt ? 

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas ». Célébrissime, la


première phrase de L’étranger est restée gravée dans les annales de la littérature.
La mère de Meursault, placée en maison de retraite, vient de mourir. Mais aucune
émotion ne transparait chez le fils. Ce sentiment d’apathie, de détachement et
d’indifférence que nous procure ce personnage traversera l’ensemble du livre,
jusqu’à, presque, la dernière page. 

Un homme qui vit pour la vérité

L’étranger est fractionné en deux parties. Dans la première, Camus nous relate la vie
ordinaire d’un employé de bureau, blasé et taciturne, qui se moque des mœurs de
son voisin proxénète mais qui accepte d’être son ami car cela faisait plaisir à
Raymond. De la même façon, il veut bien épouser sa copine Marie, qu’il apprécie
réellement, mais seulement pour lui faire plaisir. Rien ne semble avoir de
l’importance pour Meursault. La deuxième partie s’ouvre suite à un meurtre qu’il a
commis, sans motif aucun, ou peut-être à cause du soleil aveuglant et de la sueur
qui coulait sur ses paupières. S’ensuivit alors un procès aux allures d’une pièce de
théâtre de l’absurde, où « on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de [lui]. Tout
se déroulait sans [s]on intervention ». De toute façon, Meursault n’a rien à dire. C’est
un homme qui ne sait que dire la vérité. Et la vérité est que ce meurtre était un
hasard, et qu’il n’avait pas de motif.

Absurde acceptée, bonheur possible

L’étranger montre un homme confronté au non-sens du monde, mais qui, dans les


toutes dernières pages, semble comprendre. Condamné à mort à la guillotine et
alors qu’il reçoit la visite de l’aumônier, Meursault se révolte contre cet homme qui
essaie de lui faire croire en Dieu, chose qu’il rejette violemment. Dans la nuit, il
entend des sirènes qui annoncent sa mise à mort. À ce moment-là, Meursault
accepte son sort, il accepte cette absence d’issue, et, par là même, se réconcilie
avec la vie : « Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir,
devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à
la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai
senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore ». Meursault prend ici
conscience de sa propre vie en la confrontant avec sa propre mort. Il réalise que, si
lui s’est toujours senti étranger au monde, c’est que le monde est tout aussi étranger.
Ainsi, Meursault est pareil au monde. Une fois l’absurde acceptée, le bonheur est
désormais possible.

Un monde absurde

 Des personnes qui se comptent sur le bout des doigts détiennent plus de 50% des
richesses mondiales, et pendant que l’obésité tue dans les pays riches, la sous-
nutrition, en fait tout autant dans les pays pauvres. 
 Les pays les plus riches voient des populations pauvres proliférer dans leurs
métropoles, s’agglutiner autour de repas offerts par des mouvements citoyens, pour
survivre, alors que les plus riches de la pyramide s’arrachent des œuvres d’art au
prix de dizaine de millions d’euros ou de dollars. Un exemple de l’absurdité à l’état
pur : rappelons-nous de cette exposition à Miami en 2019, où un artiste a scotché
une banane dans un mur, et qu’un visiteur l’a… mangée. L’œuvre se vendait à
120.000 dollars. 
 Des immigrés fuyant la misère dans leur pays sont rejetés à la mer comme des
bouteilles de plastique, pendant que leurs dirigeants accumulent fortune et biens
dans les pays riches.
 Des médias nous rabâchent les oreilles quotidiennement avec des sujets bateaux,
en occultant l’essentiel, afin de fabriquer un consentement de masse (exemple :
voile), rappelant une époque où une autre religion avait été stigmatisée, entraînant
un massacre indigne de l’humanité. 
 Un nombre croissant de personnes ne croit plus en la parole officielle (les politiques,
…).
 Des superpuissances détruisent des puissances naines, sous de faux prétextes
(exemple : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie). Les nouvelles des populations civiles
croulant sous les bombes sont rapportées brièvement, sonnant le deux poids deux
mesures lorsque des occidentaux sont touchés. 
 Des vols à destination de l’espace sont réservés par les nantis de la planète à des
prix mirobolants pour tuer l’ennui sur notre humble terre. Le premier voyagiste vers la
lune avait fixé à 1.5 milliard de dollars un vol aller-retour pour deux passagers avec
une promenade sur l’astre. Si on considère que le SMIC est de l’ordre de 150
dollars/mois/personne, cela correspond à 8.333 siècles de revenus annuels pour une
personne des pays en voie de développement : le comble de l’absurdité.
 La concurrence entre superpuissances pour rester le premier dans le monde nous
fait prendre à tous des risques de guerres mondiales au minimum, et font récolter
des sommes astronomiques en armement pour parer à ces éventuelles guerres.
Alors que les vrais problèmes qui guettent la planète en termes de changement
climatique, de pénuries d’eau, de maladies incurables, de faim dans le monde,
restent minimisés. 
Analyse de L’étranger de Camus

  L'après-midi, les grands ventilateurs brassaient toujours l'air épais de la salle et les petits
éventails multicolores des jurés s'agitaient tous dans le même sens. La plaidoirie de
mon avocat me semblait ne devoir jamais finir. À un moment donné, cependant, je
l'ai écouté parce qu'il disait : « Il est vrai que j'ai tué. » Puis il a continué sur ce ton,
disant « je » chaque fois qu'il parlait de moi. J'étais très étonné. Je me suis penché
vers un gendarme et je lui ai demandé pourquoi. Il m'a dit de me taire et, après un
moment, il a ajouté : « Tous les avocats font ça. » Moi, j'ai pensé que c'était
m'écarter encore de l'affaire, me réduire à zéro et, en un certain sens, se substituer à
moi. Mais je crois que j'étais déjà très loin de cette salle d'audience. D'ailleurs, mon
avocat m'a semblé ridicule. Il a plaidé la provocation très rapidement et puis lui aussi
a parlé de mon âme. Mais il m'a paru qu'il avait beaucoup moins de talent que le
procureur. « Moi aussi, a-t-il dit, je me suis penché sur cette âme, mais,
contrairement à l'éminent représentant du ministère public, j'ai trouvé quelque chose
et je puis dire que j'y ai lu à livre ouvert. » Il y avait lu que j'étais un honnête homme,
un travailleur régulier, infatigable, fidèle à la maison qui l'employait, aimé de tous et
compatissant aux misères d'autrui. Pour lui, j'étais un fils modèle qui avait soutenu
sa mère aussi longtemps qu'il l'avait pu. Finalement j'avais espéré qu'une maison de
retraite donnerait à la vieille femme le confort que mes moyens ne me permettaient
pas de lui procurer. « Je m'étonne, Messieurs, a-t-il ajouté, qu'on ait mené si grand
bruit autour de cet asile. Car enfin, s'il fallait donner une preuve de l'utilité et de la
grandeur de ces institutions, il faudrait bien dire que c'est l'État lui-même qui les
subventionne. » Seulement, il n'a pas parlé de l'enterrement et j'ai senti que cela
manquait dans sa plaidoirie. Mais à cause de toutes ces longues phrases, de toutes
ces journées et ces heures interminables pendant lesquelles on avait parlé de mon
âme, j'ai eu l'impression que tout devenait comme une eau incolore où je trouvais le
vertige.
     À la fin, je me souviens seulement que, de la rue et à travers tout l'espace des
salles et des prétoires, pendant que mon avocat continuait à parler, la trompette d'un
marchand de glace a résonné jusqu'à moi. J'ai été assailli des souvenirs d'une vie
qui ne m'appartenait plus, mais où j'avais trouvé les plus pauvres et les plus tenaces
de mes joies : des odeurs d'été, le quartier que j'aimais, un certain ciel du soir, le rire
et les robes de Marie. Tout ce que je faisais d'inutile en ce lieu m'est alors remonté à
la gorge et je n'ai eu qu'une hâte, c'est qu'on en finisse et que je retrouve ma cellule
avec le sommeil. C'est à peine si j'ai entendu mon avocat s'écrier, pour finir, que les
jurés ne voudraient pas envoyer à la mort un travailleur honnête perdu par une
minute d'égarement et demander les circonstances atténuantes pour un crime dont
je traînais déjà, comme le plus sûr de mes châtiments, le remords éternel. La cour a
suspendu l'audience et l'avocat s'est assis d'un air épuisé. Mais ses collègues sont
venus vers lui pour lui serrer la main. J'ai entendu : « Magnifique, mon cher. » L'un
d'eux m'a même pris à témoin : « Hein ? » m'a-t-il dit. J'ai acquiescé, mais mon
compliment n'était pas sincère, parce que j'étais trop fatigué.
Extrait du chapitre 4 de la deuxième partie de L'Etranger - Albert Camus

Camus ( 1913 – 1960, décédé dans un accident de voiture ). Son père, ouvrier
algérien, meurt pendant la bataille de la Marne dans la première guerre mondiale. Il
grandit dans un quartier pauvre d'Alger, il fait des études de philosophie. En 1939, il
se rend à Paris et termine son premier roman : « L'étranger » qui sera publié en
1942. Pendant la guerre, il entre dans la clandestinité et participe pleinement à la
résistance. Il devient célèbre en 1947 avec son roman la peste. En 1957, le prix
Nobel de littérature consacre son œuvre mais meurt 3 ans après dans un accident
de voiture.

L'œuvre de Camus est marquée par deux thèmes principaux : le sentiment de


l'absurde et la révolte. Il a le thème de la mort au cœur de sa vie. En effet, dans son
enfance il a été atteint de tuberculose ce qui a fait contempler le caractère fragile de
l'existence. C'est de là que naît le sentiment de l'absurdité de l'existence. Ses
romans affirme la nécessité de l'amour des autres, de la solidarité, qui sont le seul
moyen de lutter contre la mort. Meursault le héros de l'étranger est indifférent au
monde et ne parvient pas à donner de sens à son existence. Au contraire, le docteur
Rieu, le narrateur de la Peste trouve dans le combat contre l'épidémie de peste une
façon de combattre l'absurdité de l'existence. Son attitude est l'attitude d'un homme
révolté, celle de Camus lui-même, qui trouve dans la vie, dans la nature et dans
l'homme, des raisons d'espérer, le sentiment de l'absurde permet ainsi de
revendiquer une liberté essentielle.

I : Un personnage décalé : le sentiment d'étrangeté au Monde.

1 : Un personnage solitaire et décalé.

2 : La polyphonie du texte.

3 : Un personnage incompris.

II : Le sentiment de l'absurde, condition de l'existence humaine.

1 : Une existence sous le signe de l'incommunicabilité.

2 : Le jugement humain comme entrave à la liberté individuelle.

3 : L'indifférence : un personnage trop lucide ?

Camus n'appartient pas au mouvement existentialiste mais on retrouve certaines des


problématiques du mouvement dans ces œuvres. La montée du fascisme marque la
fin de l'humanisme, ainsi que la seconde guerre mondiale ont joué un rôle très
important dans le développement de l'absurde qu'on retrouve également chez
Ionesco et Beckett. La seule certitude est celle de la mort.

Au sentiment de la solitude et à l'expérience du désespoir s'oppose l'exaltation de la


vie dans un contexte de sensation ( ombre, odeur, lumière ). La tension est
constante entre lyrisme et de désespoir, entre ennui et vitalité. Cette tension aboutie
à une volonté d'agir, de mener un combat contre l'oppression, et de croire encore en
une solidarité future.

→ Comment à travers son personnage de Meursault, Camus montre-t-il l'absurdité


de la condition humaine ?

Meursault s'est rendu coupable d'un crime sans en connaître véritablement le motif. Il
semble assister en spectateurs à son propre procès, retranché en lui-même devant
la réquisitoire du procureur qui lui reproche son insensibilité au moment de la mort de
sa mère, mais aussi devant le plaidoyer de son avocat face auquel il semble aussi
dubitatif.

Meursault donne une image de passivité : la narrateur exprime son étonnement


devant ce qui lui arrive. Les moments d'absence et de retour au tribunal sont
nombreux : « à moment, cependant je l'ai écouté » ( ligne 3 ) « je crois que j'étais
déjà très loin de cette salle d'audience » ( ligne 8 et 9 ) « tout devenait comme une
eau incolore » ( ligne 23 ) « une vie qui ne m'appartenait plus » ( ligne 27 ). D'autre
part, Meursault semble ne pas comprendre ce qui se déroule sous ses yeux. Au-delà
de son « étrangeté », ce qui caractérise son rapport au monde c'est son
incompréhension « je lui ai demandé pourquoi » ( ligne 5 et 6 ) « j'ai acquiescé mais
mon compliment n'était pas sincère » ( ligne 32 ). Cet étrangeté de Meursault
apparaît au jury comme celle d'un homme indifférent, celle d'un « monstre »
méprisant à l'égard de ceux qui l'entoure.

Ce texte polyphonique ( à plusieurs voix ) renforce l'image d'un personnage perdu


face au discours des autres sur lui-même. Le narrateur raconte son histoire à la
première personne et fait alterner 3 formes de discours rapportant les paroles
prononcée lors de son procès.

Le discours direct : citation des propos des avocats et de ceux du gendarme : «  il est
vrai que j'ai tué »...

Le discours indirect : élément de la plaidoirie : ligne 13 à 16 ; ligne 31 à 35.

Le discours indirect libre : ligne 16 à 18 : « pour lui j'étais un fils modèle ». Absence
de conjonction de subordination ( que ) + utilisation de la troisième personne ( pour
lui ) font glisser le discours du style indirect à l'indirect libre.

Ce passage apparaît comme un discours des autres plaqué sur ses propres
pensées. Ce qui démontre à nouveau que ses juges veulent lui imposer une façon
de penser qui n'est pas la sienne.

Meursault est un personnage qui ne comprend pas les autres, mais aussi un
personnage incompris. Camus fait de son personnage une sorte d'énigme, il montre
une totale absence de sens des conventions sociales et des discours convenu, le
personnage apparaît méprisant et ne porte son attention que sur des détails anodins
et sans rapports avec la gratuité des faits « les grands ventilateurs... » ; « les petits
éventails » ; « disant « je » à chaque fois qu'il parlait » ; « même son avocat semble
ne pas le comprendre » ; « il a plaidé la provocation » ; « lui aussi a parlé de mon
âme ». Cette fracture entre les personnes et les autres renvoie à une vision du
monde propre à l'univers de Camus : le sentiment de l'absurde.

Chez Camus, le sentiment de l'absurde est à la fois tragique et plein d'espoir :


marqué par la maladie, il ne peut oublier que la vie est fragile. Meursault est
indifférent au monde et ne parvient pas à trouver un sens à l'existence, le docteur
Rieux dans la « peste » trouve au contraire au combat contre l'épidémie, une
occasion de combattre l'absurde. Selon Camus, la dignité de l'homme est de se
révolter contre l'injustice et l'absurde de la condition humaine. Finalement, cette
expérience de l'absurde est fondatrice du sentiment de liberté chez l'homme. L'écart
est particulièrement grand entre l'ampleur du discours sur lui et leur manque de
pertinence qui lui donne un sentiment de vertige : « mais à cause de toutes ces
longues phrases... Je trouvais le vertige » ( ligne 23 ).

Camus dénonce le jugement humain qui classifie une personne en fonction de son
apparence, en établissant un profil type du meurtrier désigné. Même le discours de
son avocat apparaît à Meursault comme une injustice qui le dépossède de sa liberté
et du sentiment intime de sa propre personnalité : « c'était m'écarter encore de
l'affaire, me réduire à zéro et en un certain sens se substituer à moi » ( ligne 7 et 8 ) ;
« il n'a pas parlé de l'enterrement et j'ai senti que cela manquait dans sa plaidoirie » (
ligne 21 et 22 ). Même celui qui le défend n'est pas fidèle aux idées de Meursault :
« J'ai été assailli de souvenirs d'une vie qui ne m'appartenait plus, mais où j'avais
trouvé les plus pauvres et les plus tenaces de mes joies ». A la fin de la plaidoirie, le
flot de souvenir fait irruption dans l'esprit de Meursault. Les odeurs, les lieux, les rires
redonnant au personnage une profonde humanité qui reste son seule espace de
liberté face à un monde qui le méprise.

L'indifférence n'apparaît pas dans le texte comme une donnée constitutive de la


personnalité de Meursault mais comme la résultante de son incompréhension des
autres et de leurs normes : Après l'irruption de souvenirs le personnage retombe
dans un état de fatigue et d'indifférence, sorte de résignation désabusée : « je
n'avais qu'une hâte, celle qu'on en finisse et que je retrouve ma cellule avec le
sommeil » ( ligne 30 et 31 ). Le personnage sait qu'il est déjà condamné : il est à la
fois trop lucide sur la justice des hommes et sur sa personnalité atypique pour oser
croire qu'on peut le comprendre ou trouver des circonstances atténuantes à son
geste.

Le sentiment de l'absurde de sa condition humaine le renvoie à une forme


d'indignation silencieuse qui est son dernier espace de liberté : la pensée.

Ce texte est un moment clé du roman. Meursault est au centre des discours qui le
rate car il n'arrive pas à le savoir dans sa vérité propre. C'est un personnage
hermétique qui se résout à l'arbitraire de la justice des hommes sans illusions. Son
seul coin de lumière sont ses souvenirs.
Ce thème de l'absurde et de la difficulté à communiquer fonde chez Camus la
nécessité de la révolte qui, seul, donne à l'homme sa dignité selon lui...

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