Voici qu'un érudit juif vient remettre cette thèse en question. Israël Knohl,
directeur du Département biblique à l'Université hébraïque de Jérusalem,
affirme dans un livre qui vient de paraître que «Jésus s'est réellement perçu
comme le Messie et qu'il s'attendait vraiment, en tant que Messie, à être
rejeté, tué et à ressusciter après trois jours». Aux yeux de l'auteur, un leader
de la secte des Esséniens aurait précédé de peu le Nazaréen dans ce rôle,
rendant ainsi possible l'émergence d'un messianisme «catastrophique»
pour lequel l'humiliation, le rejet et la mort du Messie étaient inséparables
du processus de rédemption. Selon Israël Knohl, ce premier Messie a un
nom, Menahem, et il serait «le chaînon manquant qui nous permet de
comprendre la manière dont le christianisme est issu du judaïsme».
Israël Knohl appuie sa thèse sur les fameux manuscrits de la mer Morte,
découverts en 1947 sur le site de Khirbet Qumrân. Impliqué dans la
publication de plusieurs fragments de ces manuscrits, il s'est penché
attentivement sur le Rouleau des hymnes d'action de grâces, qui contient
un hymne d'un type particulier. Connu sous le nom d'Hymne d'Auto-
Glorification, il est écrit à la première personne. Le rédacteur se perçoit
comme possesseur d'attributs divins et se voit dans l'image du serviteur
souffrant tel que le décrit le prophète Isaïe (Is 53).
Or, affirme Israël Knohl, «la combinaison d'attributs divins et de souffrance
que nous trouvons dans cet hymne est inconnue dans la littérature
hébraïque. En conséquence, il est difficile de croire que quelqu'un a pu créer
un personnage messianique imaginaire aussi inhabituel. La spécificité de
cet hymne nous conduit à penser qu'il est l'expression originale d'un
personnage historique qui agissait au sein de la communauté de Qumrân».
Pour l'auteur, seul un leader de la communauté qui se percevait comme le
Messie et était perçu comme tel a pu écrire un tel texte. Un autre hymne
découvert à Qumrân évoque d'ailleurs ce Messie, régnant non pas dans le
futur mais dans le présent.
Aux yeux d'Israël Knohl, il est donc évident que «la description de Jésus
comme une association du «fils de l'homme» et du «serviteur souffrant»
n'est pas une invention ultérieure de l'Eglise. Peut-être le Jésus historique
s'est-il lui-même considéré de cette façon puisqu'une combinaison de ce
type s'était déjà réalisée chez son prédécesseur, le Messie de Qumrân». En
effet, le messianisme de Jésus ne peut être inféré des traditions de la
Galilée, où le Nazaréen a grandi et vécu la plus grande partie de sa vie.
Seule une rencontre avec ceux qui défendaient l'héritage du Messie de
Qumrân explique l'image messianique qu'avait Jésus de lui-même.