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POUR UN HUMANISME DU DIVERS

Martine Abdallah-Pretceille

ERES | « VST - Vie sociale et traitements »

2005/3 no 87 | pages 34 à 41
ISSN 0396-8669
ISBN 2-7492-0448-8
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2005-3-page-34.htm
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Martine Abdallah-Pretceille, « Pour un humanisme du divers », VST - Vie sociale et
traitements 2005/3 (no 87), p. 34-41.
DOI 10.3917/vst.087.0034
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Dossier

34 Pour un humanisme
du divers
MARTINE ABDALLAH-PRETCEILLE

Il s’agit de comprendre pourquoi la composition plurielle de la société est


aujourd’hui posée comme un problème. Il s’agit aussi de trouver les modes de
traitement possibles sur les plans politique, social et éducatif.

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Notre époque est marquée autant par le de la question sur le mode d’une crise
retour des intégrismes, des nationalismes sociale et culturelle. Il s’agit donc de com-
et des ethnismes que par une internatio- prendre pourquoi la composition plurielle
nalisation et une mondialisation du quoti- de la société est aujourd’hui posée
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dien. De manière paradoxale, la diversité comme un problème. Il s’agit aussi de


culturelle est à la fois banalisée et dramati- trouver les modes de traitement possibles
sée. Dans les deux cas, c’est essentielle- sur les plans politique, social et éducatif.
ment la culture de l’Autre qui fait l’objet En réalité, la pluralité s’énonce dans des
soit d’un rejet, soit d’une acceptation, au termes et dans un contexte totalement
détriment d’une meilleure reconnaissance différents par rapport au passé. Les diffi-
de l’Autre en tant qu’Autre, en tant que cultés surgissent à partir du moment où
sujet singulier et universel. En effet, l’autrui l’on cherche à répondre au défi de la plu-
culturel est très souvent, trop souvent ralité en utilisant des concepts et des ana-
appréhendé selon une approche différen- lyses qui, s’ils avaient une quelconque
tialiste qui privilégie la culture en tant pertinence dans le passé, n’en ont plus
qu’entité homogène dans laquelle vien- aujourd’hui.
nent s’inscrire les comportements. La plu-
Apprendre à penser l’hétérogénéité
part des travaux procèdent par éviction du
L’hétérogénéité est devenue la norme,
principe d’altérité au profit d’études sur la
l’homogénéité est le produit soit d’une
culture qui conduisent à une connaissance
action volontariste et autoritaire, soit
par catégorisation, description et identifi-
d’un enfermement.
cation. Conscience d’autrui et connais-
sance d’autrui sont souvent confondues. La diversité s’énonce au pluriel
Confusion dommageable sur les plans Le développement des contacts mais
scientifique et éthique car ce type de aussi la prolifération des groupes d’ap-
connaissance n’épuise pas le sujet et n’at- partenance, la pérennisation du fait
teint au contraire que des objets figés. migratoire ainsi que la mondialisation
On assiste actuellement à une résurgence provoquent une recomposition en pro-

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fondeur du tissu social à partir des prin- réponse, on aura une configuration
cipes d’hétérogénéité et de pluralité. Par sociale différente. Elle s’organisera, soit 35
ailleurs, toute identité (individuelle ou col- sur le mode additif comme une juxtaposi-
lective) est en fait plurielle. On ne revien- tion d’identités singulières (avec ses
dra pas sur les travaux de G. Devereux qui dérives « naturelles » qui sont l’exclusion
a démontré depuis longtemps que toute et les rapports de pouvoir), soit sur le
identité unidimensionnelle n’est pas loin mode fusionnel qui conduit à la négation
d’être pathologique. La réalité sociale est, des singularités et qui a pour corollaire, à
elle aussi, polychrome. Et, ce n’est pas plus ou moins longue échéance, le refus
parce que nous avons choisi de travailler et le rejet. Cette alternative maximaliste
sur la dimension anthropologique du pro- s’enracine dans un usage et un dosage
blème qu’il faut en nier les autres aspects, inapproprié de la différence, par excès ou
notamment sociologique, politique, psy- par défaut.
chologique. Dans un cas comme dans Le multiculturalisme n’est qu’une gestion
l’autre, il convient de ne pas remplacer les mathématique des différences. Il entraîne :

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déterminismes sociaux par des détermi- – une politique des quotas et de discrimi-
nismes culturels (culturalisme ou biologi- nation positive, le développement de juri-
sation du culturel). dictions en faveur de la multiplication des
L’hétérogénéité actuelle qui s’accompagne droits. C’est ce que j’appelle une technici-
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d’une différenciation maximum générée sation du social par la rencontre entre la


par la multiplication des pôles d’identifica- dynamique des droits et la reconnais-
tion et d’appartenance (européen, natio- sance des différences ;
nal, régional, religieux, professionnel, etc.) – un danger de dérive « tribaliste » par la
n’induit pas une négation des valeurs mais primauté de l’appartenance à une com-
plutôt leur prolifération anarchique et munauté sur la reconnaissance de l’indi-
donc un problème de cohérence lié aux vidu. C’est une forme d’apologie de l’ato-
dissonances entre les différents modèles misation traduite par la métaphore de la
culturels. Chaque individu participe à plu- mosaïque ;
sieurs univers sociaux et culturels qui sont – un enfermement sur le groupe (social,
parfois en contradiction sur le plan des géographique, ethnique, religieux, etc.)
normes. Cette co-existence, cette co-pré- qui interdit toute mobilité. Or, une société
sence de systèmes différents repose donc bloquée est justement une société où la
la question des valeurs et de leur rôle dans mobilité sociale et culturelle n’est pas
la cohésion d’un groupe. possible, voire interdite. La réponse à la
La pluralité n’implique pas nécessairement diversité ne peut donc être davantage de
le pluralisme groupes, de stabilisation, d’enfermement
Si ces différentes formes de pluralité puisque c’est le remède opposé qu’il fau-
nécessitent une volonté politique, sociale, drait appliquer.
éducative qui implique une certaine tech- La pluralité actuelle ne se réduit pas à une
nicité, une mise en forme, elles renvoient accumulation de différences. On ne peut
aussi à une question fondamentale qui déduire du simple constat, de la simple
est celle du statut et du traitement de la évidence qu’une société est composée de
diversité dans nos sociétés. Selon la groupes, une organisation de l’État à par-

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tir d’une logique additive. L’accentuation prendre de la distance par rapport aux
36 du principe de différenciation réintroduit groupes d’appartenance (nationale,
la question des valeurs comme condition régionale, religieuse, professionnelle…)
de la structuration identitaire collective. tout en ne niant pas ces attachements
Dès lors, l’invite est claire, il nous faut multiples. L’individu n’est pas que la
apprendre à penser la pluralité et la diver- somme de ses appartenances. Additive
sité selon un autre paradigme : entre la et non plus soustractive ou antagoniste,
mosaïque et le melting-pot, il ne faut pas susceptible d’évolution permanente en
choisir mais au contraire innover, repen- fonction de l’histoire individuelle et col-
ser l’hétérogénéité et le complexe, non lective, multiréférentielle et à « géomé-
pas à partir des notions de norme et de trie variable », l’identité se pense en
structure mais à partir de celles de marge, termes de pluralité, de complexité, de
de passage des frontières, d’échange, de négociation et de stratégie. Quels sont
chemin de traverse, de diagonale, etc. les éléments fédérateurs ainsi que les
Danger de la confusion entre identité éléments centrifuges d’une identité col-

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et appartenance lective ? Cette interrogation invite à
On évoque souvent une dissolution des reconstruire un civisme fondé sur une
identités. Ce n’est pas aussi simple que volonté générale plutôt que sur le mar-
cela et la réalité est beaucoup plus com- ché et le droit.
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plexe. En effet, on assiste, dans le même Le concept de culture ne permet plus


temps, à une multiplication des apparte- de penser la diversité culturelle
nances par référence à des groupes de On lui préfèrera celui de « culturalité »
plus en plus petits (classe d’âge, profes- qui renvoie davantage à un processus
sion, région, idéologie…) ainsi qu’à des dynamique, à des échanges, des métis-
groupes de plus en plus grands (Europe sages et des transgressions. On assiste
par exemple) et à une mondialisation du actuellement à des formes de manipula-
quotidien. Il y a, à la fois, un regain tions de la culture par le biais notamment
d’identification à une ethnie, une culture, de sa naturalisation (dans cet esprit, tout
un groupe, une bande…, et internationa- ce qui est culturel devient acceptable car
lisation. Dans un système républicain à la naturel !). Or, la culture s’appréhende
française, les compétences priment sur non pas à partir de constructions a priori,
les caractéristiques groupales ou les de modèles totalisants mais au niveau des
appartenances. Cela conduit à reléguer pratiques, des usages, des actions, qui
au second plan toutes les formes de pré- sont autant de formes discursives pour
férence, régionales, religieuses, eth-
s’exprimer et communiquer. L’évocation
niques…, à l’opposé du principe de dis-
de traits culturels est davantage le symp-
crimination positive développé dans le
tôme d’une situation dégradée que le
monde anglo-saxon.
signe d’une appartenance culturelle.
En accordant la primauté aux groupes,
on risque de voir la société réduite à la Des cultures à une altérité plurielle
confrontation d’intérêts particuliers et Les approches culturelles inspirées d’un
partisans, au lieu de la recherche de l’in- modèle culturaliste survalorisent la
térêt général. Il faut donc apprendre à variable culturelle et présupposent l’exis-

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tence et donc la cohabitation de groupes tion. L’individu n’est plus au cœur d’une
culturels homogènes. Le culturalisme, par seule identité mais de plusieurs, identités 37
son accentuation systématique de la qui ne sont pas exclusives les unes des
variable culturelle, débouche sur une autres et qui sont, parfois en harmonie,
forme de « scientisme culturel », une parfois en contradiction.
forme de dogmatisme, voire d’intégrisme On se trouve dans une réalité sociale
culturel qui induit la négation de la polychrome, labile et mouvante. C’est
dimension universelle de tout individu. pourquoi il devient de plus en plus diffi-
Ces études ne tiennent pas assez compte cile de définir l’individu à partir de sa
du fait que la complexité actuelle du tissu seule appartenance culturelle, ethnique
social s’explique par des processus de ou même nationale. Les marqueurs tradi-
métissage, de bricolage et d’acculturation tionnels d’identification (nom, nationa-
réciproque. lité, âge, culture, statut social et écono-
En effet, plus personne n’échappe à la mique…) ont perdu leur pertinence et ne
diversité culturelle. La construction euro- permettent plus d’identifier autrui,

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péenne, l’immigration, les voyages, la encore moins de le catégoriser. La for-
mondialisation, par contacts directs ou mule d’Emmanuel Levinas « rencontrer
indirects via les médias notamment, sont un homme, c’est être tenu en éveil par
autant d’occasions de rencontrer l’Autre. une énigme » prend tout son sens. Les
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Celui-ci est omniprésent. L’abolition du cultures n’existent pas en dehors des indi-
temps et des distances par la connais- vidus qui les portent et les actualisent.
sance immédiate des événements se Elles n’existent pas en dehors des discours
déroulant à l’autre bout du monde bana- et des usages dont elles font l’objet.
lise l’expérience de l’altérité tout en la Ainsi, en focalisant l’analyse sur les cul-
rendant de plus en plus difficile. tures, on occulte paradoxalement le rap-
Par ailleurs, l’individualisation de plus en port à autrui. Ancrées dans l’histoire,
plus forte de références par la personnali- dans les contextes, dans les relations, les
sation des conduites et l’autonomisation cultures sont des lieux de mise en scène
par rapport au groupe d’appartenance de soi et des autres. Elles sont théâtrali-
constituent un contrepoids à ce que l’on sées à travers des comportements, des
appelle trop facilement la mondialisation discours et des actes. Elles se jouent des
des cultures. La multiplication des enfermements et des catégorisations, et
contacts pulvérise la notion d’accultura- le « faux en écriture culturelle » affleure
tion qui sort ainsi d’une logique binaire en permanence. Il existe une distance
pour s’inscrire dans une multipolarité. indéniable entre les modèles culturels
Plus aucun individu ne se situe dans un théoriques et les usages de la culture au
cadre culturel unique et homogène. Les quotidien dans la communication, dans
emprunts, provisoires ou non, les trans- les relations, c’est-à-dire dans les diffé-
gressions, les créations conduisent à des rentes occasions de rencontres d’autrui.
pratiques de « zapping culturel » et au C’est dans cet écart que se situe une édu-
« butinage ». On assiste à une définition cation à la diversité et à l’altérité. C’est
de l’appartenance culturelle non plus par aussi dans cet écart que se situent les
filiation mais par personnalisation et créa- sources de dysfonctionnements et de

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conflits. En situation de diversité et de racines et les origines. Entre les concepts


38 diversification culturelles, l’enjeu ne peut de culture et de culturalité, il n’y a pas
être de connaître les cultures mais de qu’un simple jeu sémantique mais surtout
comprendre l’expérience humaine dans le passage d’une analyse en termes de
ses singularités mais aussi dans sa totale structures et d’états à celle des processus
universalité. Ce qui compte, ce sont complexes et aléatoires. Le pluralisme
moins les connaissances que l’expérience moderne s’accompagne d’une dyna-
de l’altérité qui s’appuie inéluctablement mique d’où la coordination d’ensemble
sur l’éthique. Si la reconnaissance des cul- est exclue. Chaque individu participe en
tures a, dans un premier temps, déve- même temps à plusieurs univers sociaux
loppé une demande de formation en eth- et culturels qui sont parfois en opposition
nographie, une demande d’informations (la famille par rapport au quartier et à
sur les spécificités culturelles des commu- l’école, par exemple). Une telle implosion
nautés et des groupes, les perspectives pose des problèmes de cohésion et sur-
sont désormais davantage du côté de la tout de cohérence. Nul ne peut plus nier

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reconnaissance de l’individu et donc les dissonances entre les modèles en pré-
d’une philosophie du sujet adossée à une sence. La vulgarisation du relativisme cul-
éthique. L’objectif est d’apprendre à inter- turel a accentué cette impression d’ano-
préter et à comprendre les informations mie : toutes les normes et morales étant
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culturelles qui sont ambiguës car elles posées comme équivalentes, l’individu se
sont manipulées par les acteurs et les trouve dans l’incapacité de choisir et donc
locuteurs. En termes de formation, il d’agir. C’est en fonction de ces contradic-
s’agit d’apprendre à passer du stade des- tions que se pose la question des conflits
criptif à la compréhension des processus de norme. L’approche interculturelle est
en s’appuyant sur des savoirs mêlés, sur une tentative de réponse, il est vrai, très
ce qu’Ed Glissant appelle « la créolisation francophone. Un des principes est de res-
des cultures », c’est-à-dire sur l’imagi- pecter la tension entre l’universalité et la
naire d’une identité-relation et non sur singularité de l’individu. De même, la
l’imaginaire d’une identité-racine. Plus reconnaissance de la diversité n’implique
que le métissage des cultures, c’est une pas l’éclatement du consensus social,
culture du métissage qui reste à d’un « vouloir-vivre ensemble ». Les Qué-
construire. bécois cherchent ainsi à définir une « cul-
Face à une « culture ouverte » pour ture publique commune » censée servir
reprendre en la transposant une formule de ciment à des communautés qui finis-
d’Umberto Eco, le concept de culture sent par cohabiter, par co-exister faute de
devient obsolète et nous lui préférons projet commun. Parallèlement, la ques-
celui de « culturalité » qui renvoie à tion de l’intégration en France ne devrait
l’émergence d’une pensée complexe, pas occulter la définition d’un projet com-
d’une pensée qui suit les chemins de tra- mun de société. L’intégration n’est pas
verse, les interstices, les diagonales de la une simple question sociale ou scolaire,
communication et de la culture. Le c’est une question politique au sens
« baroque culturel » est une invitation à éthique du terme. Une telle orientation
sortir du piège identitaire, de récit sur les permettrait d’envisager une définition de

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Pour un humanisme du divers

l’intégration par affiliation, par un « vou- l’Autre, même si cette action est géné-
loir-vivre ensemble » et non pas par une reuse, juste, voire charitable. Toute dissy- 39
simple filiation. métrie dans la relation transforme les uns
en acteurs, les autres en agents et entraîne
Pour une éthique de la diversité
une relation de pouvoir, réel ou symbo-
E. Levinas fait reposer l’éthique sur l’ex-
lique, source en retour de violence, poten-
périence de l’altérité car « le lien avec
tielle ou exprimée. Il s’agit bien d’agir avec
autrui ne se noue que comme une res-
ponsabilité, que celle-ci soit acceptée ou et non pas sur autrui et donc d’un exercice
refusée, que l’on sache ou non comment de solidarité qui est un exercice difficile,
l’assumer, que l’on puisse ou non faire jamais achevé et toujours à reconstruire.
quelque chose de concret pour autrui ». Il C’est ce qui rend l’action éducative pénible
s’agit bien de l’Autre en tant qu’Autre et mais aussi riche car elle ne se situe pas sur
non pas de sa culture, ni de ses apparte- une logique de maîtrise.
nances, de son histoire ou encore de son La réflexion éthique débouche sur une
expérience. Ces éléments peuvent au interrogation identitaire (pour tous les par-

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contraire constituer des filtres qui font tenaires) ainsi que sur une activité commu-
obstacle à la rencontre, à la compréhen- nicationnelle. Il s’agit bien d’un travail sur
sion. En effet, la connaissance d’autrui, à soi autant qu’un travail avec autrui. Il faut
partir de ses caractéristiques culturelles, voir dans cette incapacité à travailler nos
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psychologiques ou sociologiques ne sont relations avec autrui l’impasse dans


que des attributions, des catégorisations. laquelle se situent les politiques d’intégra-
La diversité culturelle renvoie donc non tion, les politiques éducatives. La logique
pas à la connaissance des cultures à par- du contrat ne saurait remplacer l’adhésion
tir de descriptions ethnographiques, mais à des valeurs communes.
à la découverte d’autrui en tant que sujet La fuite en avant à laquelle nous assis-
singulier et universel. Les informations tons, dans tous les domaines, école, poli-
psychologiques, sociologiques ou cultu- tique, social…, avec la multiplication des
relles ne sont pas premières dans la ren- initiatives en tout genre malgré leur inef-
contre. Elle ne sont, tout au plus, que des ficacité, traduit bien l’urgence d’un travail
« béquilles » qui nous permettront éven- sur le sens. Si la société civile et laïque ne
tuellement de mieux comprendre à condi- cherche pas à combler dans un projet de
tion que l’on sache les utiliser, les analyser société clair et partagé, le vide éthique, il
et non pas les plaquer sur une situation. est à craindre que ce que l’on appelle le
On ne peut penser à partir de la logique retour du religieux, mais aussi des sectes
du même, encore moins à partir de la et des intégrismes, ne soit qu’un palliatif
logique de la différence. L’éthique est jus- et surtout un prélude à des conflits dont
tement cette rencontre de l’Autre comme l’histoire est malheureusement riche.
Autre. Elle s’appuie sur une exigence de J’aimerais, par ailleurs, insister sur l’im-
la liberté d’autrui et donc sur le respect de portance et la force de la laïcité qui est
sa complexité, de sa non-transparence, jusqu’à présent la seule forme de traduc-
de ses contradictions. L’éthique de la tion hors du sacré de la notion d’éthique.
diversité a comme lieu propre la relation Il s’agit bien évidemment de la laïcité en
entre des sujets et non pas l’action sur tant que valeur et non pas en tant

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qu’idéologie. La laïcité permet, en effet, l’instrumentation et des mesures, mais


40 de transcender les particularismes, de exige une réponse sur le terrain éthique.
permettre leur expression sans pour La solution consisterait à renouveler l’ac-
autant perdre le principe d’un « vouloir- cord sur la validité et le partage des réfé-
vivre ensemble ». C’est au nom du plura- rences. Aucun groupe, aucun système,
lisme que la laïcité s’est imposée – plura- aucune éducation ne peut se passer de
lisme religieux –, c’est au nom de la référence éthique qu’il ne faut pas
pluralité et de la diversité qu’elle devra se confondre avec un listing d’obligations
renouveler et être affirmée. La fin de ce morales. Tout contrat, y compris tout
que l’on appelle communément, et à contrat éducatif, non relié à une visée
mon avis trop rapidement, la fin des idéo- éthique n’est qu’une pragmatique,
logies et des récits totalisants, la fin des qu’une technique qui, pour réussir,
systèmes unitaires d’explication a favo- demandera de plus en plus de règle-
risé, dans un premier temps, l’éclosion ments, de moyens, d’alinéas, d’évalua-
des individualismes et des replis sur soi ou tions, autant de mesures dont l’objectif

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sur son groupe, mais appelle dans un est justement de remplir le vide. Ce ne
second temps, le recours au débat démo- sont pas les actes qui fondent l’éthique
cratique pour fonder ou refonder les mais, au contraire, l’accord éthique qui
bases d’un « vouloir-vivre ensemble » fonde la validité des actes. C’est en ce
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sans lequel il ne peut y avoir ni solidarité, sens que l’on peut dire que l’éthique
ni groupe. À l’opposé des sociétés tradi- d’une société n’est pas une éthique appli-
tionnelles, au sens anthropologique du quée à une société mais qu’elle est le fon-
terme, ou des groupes qui fonctionnent dement même de cette société. Le déficit
sur le mode de la tradition (sectes, par éthique hypertrophie la logique instru-
exemple), les sociétés modernes ont de mentale par la recherche de moyens cen-
moins en moins de références com- sés canaliser, corriger les dysfonctionne-
munes, d’implicites et d’évidences parta- ments. Cette logique renforce les
gées. En conséquence, c’est à un travail pouvoirs externes (juristes, experts,
d’explicitation et d’objectivation auquel consultants, médiateurs, etc.) alors qu’il
nous sommes invités. Plus que jamais le conviendrait de remettre la réflexion
besoin de développer une philosophie éthique aux acteurs eux-mêmes car
éthique objectivée et rationnelle se fait l’éthique ne s’impose pas, elle s’incarne à
sentir. C’est en ce sens que l’on peut s’in- travers des comportements et des
terroger sur l’utilisation excessive d’argu- actions. Pour qu’une coordination des
ments d’expertise et d’arguments prag- actions soit possible, cela suppose l’exis-
matiques qui tendent à suppléer ainsi aux tence d’une cohérence qui est de l’ordre
défaillances de sens. L’action sociale et des valeurs et non plus seulement du
éducative suppose une orientation fixée fonctionnement. Cette cohésion et cette
sur une volonté commune des acteurs, cohérence ne peuvent être le fruit d’une
sur la reconnaissance de normes et de imposition, d’une décision autoritaire et
valeurs communes. La question d’actua- arbitraire. Cela nécessite un accord sur
lité sur la violence sociale et scolaire ne des bases reconnues par tous les acteurs,
peut être résolue sur le seul terrain de accord obtenu par la délibération et la

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Pour un humanisme du divers

communication. Dans une société mar-


quée par une pluralité structurelle, l’ob- 41
jectivation des normes et des valeurs est
d’autant plus indispensable que les impli-
cites ne sont plus autant partagés que
dans le passé. De fait, plus la transmission
par l’héritage et la tradition est faible,
plus le risque de dissension est fort et plus
la délibération est indispensable.
Ces quelques réflexions sont en fait une
invitation à construire ce que j’ose appe-
ler un Humanisme du divers.

MARTINE ABDALLAH-PRETCEILLE
Professeur des universités

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Bibliographie
ABDALLAH-PRETCEILLE, M. 2003. « Enseigner et former
dans un contexte hétérogène », dans Pour un
humanisme du divers, Paris, Anthropos.
L’éducation interculturelle. 1999. Paris, PUF, coll.
« Que sais-je ? »
Éducation et communication interculturelle. 1996.
Paris, PUF, 2001.
Éthique de la diversité et éducation. 1998. Paris
PUF.

Note

Texte issu d’une intervention dans le cadre de la Fédé-


ration Internationale CEMEA, Forum mondial de Dun-
kerque-Zuidcoote 2003.

VST n° 87 - 2005

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