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Après les 

Rougon-Macquart
L'achèvement des Rougon-Macquart approchant, Émile Zola a changé. Le contraste est fort
entre une reconnaissance internationale inégalée et une hostilité générale en France, exprimée
par des attaques continues et le refus obstiné de le voir entrer à l'Académie française. Il
s'interroge sur son activité littéraire :
« L'avenir appartiendra à celui ou à ceux qui auront saisi l'âme de la société moderne, qui, se
dégageant de théories trop rigoureuses, consentiront à une acceptation plus logique, plus
attendrie de la vie. Je crois à une peinture de la vérité plus large, plus complexe, à une ouverture
plus grande sur l'humanité, à une sorte de classicisme du naturalisme 127. »
Cette évolution est dans l'air du temps, avec un « néonaturalisme » illustré par les productions
d'Anatole France et Maurice Barrès qui connaissent une évolution vers le roman à thèse.
Les Trois Villes

« Enfin ! M. Zola arrive au bout de son rouleau en mettant au monde Paris. Le père et l'enfant se portent
bien tout de même. » Caricature de C. Léandre vers 1898.

Théophile Alexandre Steinlen, Émile Zola au pèlerinage de Lourdes, paru dans Gil Blas illustré du 22 avril
1894.

Article détaillé : Les Trois Villes.


Avant même la fin des Rougon-Macquart, Émile Zola décide de se lancer dans la rédaction d'un
roman ayant pour objet la religion en cette fin de XIXe siècle. La révélation se fait à l'occasion d'un
voyage dans le sud-ouest de la France en septembre 1891, où le romancier assiste, interloqué,
au grand pèlerinage de Lourdes et à tout son décorum, avec « ce monde de croyants hallucinésN
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 ». Le but du romancier est de dresser une forme de « bilan religieux, philosophique et social du
siècle » au travers d'un, puis deux, puis finalement trois romans, intitulés chacun du nom d'une
ville : Lourdes, Rome et Paris. Son héros, l'abbé Pierre Froment, personnage sceptique et
désabusé, en crise face à la religion, sert de fil conducteur au cycle ainsi que de porte-parole au
romancier128. C'est le nouveau souffle que recherchait Zola, apte à le relancer après l'énorme
travail fourni sur les vingt volumes des Rougon-Macquart129.
Le dernier trimestre de l'année 1893 et la première moitié de 1894 sont consacrés à l'écriture
de Lourdes. Ce roman s'appuie sur Mon voyage à Lourdes (qui ne sera édité qu'en 1958 chez
Fasquelle130), journal réunissant observations et témoignages recueillis par Zola lors de son
second voyage à Lourdes, en septembre 1892. Le roman Lourdes paraît le 25 juillet 1894. Tiré à
88 000 exemplaires131, il est présenté en avant-première dans Le Figaro132. La critique littéraire
reçoit correctement l'ouvrage, en regrettant parfois l'absence de renouvellement entre les deux
cycles133. La presse conservatrice et religieuse incendie le roman, amenant même des réponses
sous forme de roman ou d'étude-réaction. L'ouvrage est mis à l'Index le 21 septembre, mais
c'est, en revanche, un immense succès de librairie. Émile Zola, qui est athée, ne croit ni aux
apparitions ni aux miracles : « Je ne suis pas croyant, je ne crois pas aux miracles, mais je crois
au besoin du miracle pour l'homme134. » Il est bouleversé, à Lourdes, par la souffrance des
malades : « Les malades de Lourdes, c'est l'humanité, la pauvre, la souffrante
humanité. » Cependant il ne veut pas voir dans leur terrible alignement une dénonciation de
l'échec d'une science arrogante : « La science, dit-on, a fait faillite, elle a promis aux hommes le
bonheur et ne l'a pas donné. C'est faux, la science n'a pas promis le bonheur, mais la vérité […]
Le mysticisme est une réaction où se jettent les esprits indécis, assoiffés d'au-delà, à qui ne suffit
pas la vérité135. » Pour Zola, « ce n'était pas une imposteuse, mais une hallucinée, chez qui la
vision avait été suggérée », l'auteur fait ici allusion à sa propre hypothèse d'une influence de
l'abbé Ader, à Bartrès136 — et les guérisons miraculeuses seraient une illusion.
Rome et Paris suivent à peu de distance, écrits rapidement dans la foulée de la parution
de Lourdes. Rome a pour objet la description du haut clergé moderne, avec le Pape à son
sommet, et son positionnement dans le modernisme social de cette fin de siècle. La rédaction du
roman s'étale entre 1895 et 1896 ; il est publié en volume le 8 mai 1896, déclenchant les mêmes
foudres que Lourdes. Enfin, Paris est le roman de la capitale contemporaine. C'est le contraste
entre la richesse et la misère, la bourgeoisie et le monde ouvrier, l'ordre contre l'anarchie. Le
volume est mis en vente en pleine affaire Dreyfus, juste après le procès intenté contre Émile Zola
à la suite de la publication de « J'accuse… ! ».
Les Quatre Évangiles

Raymond Tournon, affiche créée pour la parution de Fécondité en feuilleton dans L'Aurore, en 1899.

Article détaillé : Les Quatre Évangiles.


Les quatre romans de ce nouveau cycle (Fécondité, Travail, Justice et Vérité) découlent
directement de la série précédente, bâtis autour de chacun des fils de Pierre et Marie Froment.
Mais la mort prématurée de l'écrivain prévient la réalisation du dernier ouvrage, qui reste à l'état
d'ébauche. Zola a voulu ouvertement utopique ce cycle dans lequel il peut donner libre cours à
ses rêves. Mais c'est aussi une conception du monde, sur le plan social, qui a très mal vieilli.
Dans Fécondité, Zola expose ses thèses natalistes. Le roman est basé sur une opposition stricte
et rigoureuse, manichéenne, entre le couple Froment et leurs douze enfants, incarnant le
bonheur, et les autres personnages qui se limitent volontairement à une progéniture réduite, voire
inexistante : à ceux-ci revient la déchéance sociale et les malheurs de la vie. Le roman est publié
en feuilleton dans L'Aurore de mai à octobre 1899, puis en volume le 12 octobre chez Fasquelle.
La valeur morale de l'œuvre est remarquée, plus que ses qualités littéraires, malgré les fortes
critiques de la droite nationaliste.
Travail est un évangile socialiste, dans lequel Zola inaugure un nouveau genre pour lui-même,
puisque c'est une œuvre d'anticipation, construite sur la volonté générale de progrès social et sur
les évolutions industrielles de la fin du XIXe siècle. Alors que les idéaux socialisants appellent à
une lutte des classes sanglante, Zola aspire à une entraide. La rédaction du roman débute
en mars 1900 et s'achève en février 1901 ; le volume paraît chez Fasquelle en mai 1901.
L'œuvre est reçue avec bienveillance à gauche, avec des critiques enthousiastes,
de Jaurès notamment. Les associations coopératives, disciples de Fourier, voient en Zola un allié
de poids et lui organisent un banquet le 9 juin 1901.
Vérité, le troisième roman du cycleN 40 est l'adaptation de l'affaire Dreyfus dans le monde de
l'Instruction publique, qui s'oppose à l'école privée catholique. L'œuvre est conçue dans le
contexte du projet de séparation des Églises et de l'État. C'est la description d'un cléricalisme qui,
envers et contre tout, cherche à conserver coûte que coûte son emprise sur la société civile 137. Le
volume, qui paraît en mars 1903 chez Charpentier, est liseré de noir en signe de deuil. La critique
s'attache à élucider les messages relatifs à l'affaire Dreyfus, en faisant remarquer que la
transposition de la trahison militaire à l'affaire de mœurs fait perdre beaucoup au récit 138. Mais la
critique salue le traitement de l'éducation laïque. Selon le journaliste et homme politique Joseph
Reinach, auteur de l'Histoire de l'affaire Dreyfus, l'identité des principaux personnages de ce
texte à clés139, est la suivante : le maître d'école Simon est Dreyfus, Fulgence est le commandant
Du Paty, le père Philibin est le commandant Henry, le frère Gorgias est le commandant
Esterhazy, Gragnon est le général Mercier. Le procès de Rozan est le procès de Rennes.
Justice, le dernier roman de la série de Quatre Évangiles ne fut jamais commencé. On sait que
Jean Froment devait en être le héros, militaire antimilitariste, certain de la nécessité du
désarmement mondial pour assurer la paix des peuples et leur bonheur. Le but devait être la
création d'une république universelle par la victoire contre les nationalismes et le militarisme.

Adaptations théâtrales et lyriques de l'œuvre de Zola


Toujours dans la perspective d'une amélioration de sa situation matérielle, Émile Zola a cherché
rapidement à adapter ses romans. À la fin du XIXe siècle, un succès sur une scène parisienne
rendait immédiatement riche et célèbre. Mais Zola est aussi attiré par l'effet « tribune » du
théâtre, dont il rêve d'exploiter l'écho potentiel pour son mouvement naturaliste.

Alfred Bruneau, musicien de talent, initie Zola à la musique et lui apporte ses premiers succès de scène.

Auteur dramatique
Zola est attiré par le théâtre dès sa jeunesse en Provence. Il a entrepris dès 1855 des essais
avec ses amis Baille et Cézanne, comme dans la comédie Enfoncé le pion !140. La Laide est sa
première œuvre théâtrale. La pièce met en scène un père aveugle, son handicap lui révélant la
véritable beauté, celle du cœur, incarnée par sa fille aînée. Ses deux filles se marient, l'une avec
Lucien, l'autre avec un sculpteur sensible à la beauté académique de la cadette. La pièce, jugée
naïve, ne sera jamais ni publiée, ni jouée du vivant de Zola. La seconde pièce de
Zola, Madeleine, n'obtient pas plus de succès. Proposée à la direction du théâtre du Gymnase,
elle est refusée. L'auteur la transforme alors en roman, Madeleine Férat.
Ces échecs ne sont pas de nature à abattre l'écrivain, qui devra toutefois attendre ses premiers
succès de librairie pour connaître un succès au théâtre. Thérèse Raquin, drame en quatre actes,
lui en donne l'occasion en 1873. La pièce est représentée neuf fois au théâtre de la Renaissance.
La critique exprime un certain dégoût en même temps qu'une vraie admiration pour le talent de
Zola. Les Héritiers Rabourdin en 1874 est un échec boudé par la critique et le public. Le Bouton
de rose, comédie en trois actes, n'est représenté que sept fois en mai 1878. Sa dernière
pièce, Renée, drame en cinq actes, est écrite à la demande de Sarah Bernhardt d'après le
roman La Curée. Présentée en avril 1887 au théâtre du Vaudeville, c'est une nouvelle déception.
Émile Zola, dès lors, n'écrira plus pour le théâtre et cesse ainsi sa carrière de dramaturge. Le
théâtre est donc un échec cuisant pour l'auteur des Rougon-Macquart.
Auteur lyrique
Émile Zola n'aime pas beaucoup la musique. Clarinettiste dans la fanfare d'Aix-en-Provence dans
sa jeunesse, l'écrivain avouera plus tard « faire profession d'une certaine haine de la
musique141 » ainsi que « le plus grand mépris pour l'art des doubles et triples croches ». Il ira
même jusqu'à contester les subventions accordées à l'Opéra de Paris 142. Mais paradoxalement,
Émile Zola voue une certaine admiration à Richard Wagner. L'écrivain fut sans doute attiré par
l'aspect révolutionnaire du musicien allemand, dont les scandales pouvaient être assimilés à
ceux que provoquaient les publications naturalistes.
C'est sa rencontre avec Alfred Bruneau en 1888 qui marquera un tournant. Celui-ci lui propose
de mettre en musique Le Rêve, en collaboration avec le librettiste Louis Gallet, œuvre à laquelle
Zola participe activement. C'est un succès. Dès lors, les adaptations vont s'enchaîner
régulièrement. L'Attaque du moulin fut créée en novembre 1893 à l'Opéra-Comique. Toujours sur
un livret de Louis Gallet et une musique d'Alfred Bruneau, la trame est un peu modifiée pour
éviter la représentation de Prussiens sur scène. L'argument est donc reporté en 1793 au lieu de
1870. La pièce est représentée trente-sept fois à Paris, ainsi qu'en province et à l'étranger 143.
Suivent Lazare en 1893, Messidor en 1897, Violaine la chevelue, féerie lyrique en cinq actes et
neuf tableaux qui ne sera jamais mise en musique, L'Ouragan en 1901, L'Enfant roi en 1905
et Sylvanire ou Paris en amour, achevée par Zola juste quelques jours avant sa mort. Sans
engendrer des succès de scène phénoménaux, le théâtre lyrique apporte à Zola une renommée
supplémentaire et lui permet de mettre en scène et d'animer son naturalisme.

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