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Pour une représentation du peuple
Introduction :
Au fil des révolutions, un nouvel acteur apparaît sur la scène de l’Histoire : le peuple.
Comment le représenter ? La question se pose à la fois du point de vue politique et artistique avec
d’autant plus d’urgence que la révolution industrielle donne une visibilité accrue à la classe ouvrière
toujours plus nombreuse et concentrée dans les villes. Les ouvriers sont de plus en plus nombreux et
les villes sont leurs destinations de prédilection puisqu’elle sont la scène de l’industrialisation. Or, le
peuple apparaît comme une entité qu’on a du mal à circonscrire et à nommer. Il est difficile de
définir et de délimiter le peuple. Tantôt ce peuple est célébré, notamment par les artistes
romantiques et par leurs héritiers qui voit dans le peuple une source d’énergie et les garants d’une
vérité des origines. Tantôt il est déprécié par d’autres qui le compare à un flot barbare qui ravage
tout sur son passage. Le peuple occupe une position ambigüe. Bien que la révolution française à
souhaiter gommer les différences entre les citoyens et faire du peuple souverain la principale force
démocratique, ce dernier n’est pas représenté comme il se doit. Parce qu’il est peu et mal
représenter, le peuple à l’impression de ne pas réussir à faire entendre sa voix, une situation que
conteste en politique comme dans les arts ceux qui souhaite faire entendre les voix du peuple, les
voix d’en bas.
Une majorité de gens craignent le peuple, alors que même parfois ils en font partis.
« Qui connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner » -
Gustave LEBON.
Notions :
Le peuple
La foule Gustave Lebon : processus de contamination
Le roman feuilleton (III.1.)
Sainte-Beuve : regrette que la littérature soit devenue un produit commercial alors qu’elle devrait
être désintéressée, animée par le seul amour de l’art. « De la littérature industrielle » / En se faisant
démocratique et populaire, la littérature est devenue immorale.
Eugène Sue : son roman est à l’image de la démocratie.
Le suffrage dit universel ne satisfait pas à faire une démocratie.
Le crime est souvent le frère de la misère, ce qui est bien montré par Victor Hugo à travers le
personnage de Jean Valjean envoyé au bagne pour avoir voler un pain pour assouvir le besoin naturel
de la faim.
I. Le peuple insaisissable
1. Comment le nommer ?
Longtemps, la définition du peuple est restée instable et problématique et cela pour différentes
raisons. D’abord, parce que derrière cette étiquette se superpose des acceptions sociales, ethniques
ou culturelles. En effet, quand on parle de peuple, on entend à la fois plusieurs choses :
Le peuple souverain, c’est-à-dire la communauté imaginaire à laquelle revient en théorie
l’autorité politique. Cette communauté recherche le bien commun.
Le peuple nation, c’est l’ensemble abstrait qui forme une nation à laquelle on prête certaines
singularités.
Le peuple comme classe social regroupant les non possédants qui ont peu de biens.
Les deux dernières définitions incluent parfois des considérations ethniques. Il est vrai qu’au sens
strict la communauté nationale ne rassemble pas un peuple ayant une même origine géographique
et ethnique mais plusieurs origines unifiées de manière abstraite par la fiction universaliste. Reste
que l’idée que peuple nation a pu entraîner avec elle des caractéristiques géographiques,
linguistiques ou ethniques. De la même manière, les traditions et les coutumes des humbles sont
parfois jugées pittoresques, on va considérer qu’elles forment le folklore d’une nation et que ce
folklore donne une coloration à la nation tout entière. Mais les définitions du peuple classe et du
peuple souverain ont pu s’exclure l’une l’autre après la révolution à une époque où seuls étaient
considérés comme citoyens actifs (pouvant donc voter) les individus qui n’étaient pas pauvres.
Le suffrage universel, après la révolution, n’est pas véritablement universel puisqu’il ne concerne
que les citoyens mâles et exclu toutes les femmes et parce que ce suffrage ne concerne que les
personnes qui possède une certaine quantité de bien et peuvent payer nombres d’impôts.
La majorité de la population n’était pas constituée de citoyens actifs puisque la plupart des citoyens
ne pouvaient pas voter.
Notion :
-Les citoyens actifs
Le mot peuple est très complexe parce qu’il est singulier tout en exprimant un pluriel, la multitude. A
la manière de cette figure de style qui prends la partie pour le tout, le peuple est une synecdoque. A
travers ses différentes acceptions, le mot peuple désigne à la fois un collectif et une fraction donnée
de ce collectif ; la frange la moins aisée de la population. Un même terme est utilisé pour désigner à
la fois l’unité et le nombre, pour dire l’individualisme et les inspirations collectives, pour dire la
puissance politique et la qualité sociologique.
L’historien romantique, Jules Michelet (1798-1874) a écrit « Le Peuple » qui date de 1846. Dans cet
ouvrage, Michelet superpose les différentes acceptions du mot peuple. L’ouvrage fixe la définition de
la notion républicaine. Or, l’image du peuple est difractée. En effet, Michelet considère le peuple
sous des angles très différents et parfois contradictoires :
-Du point de vue national, voir nationaliste :
Le peuple français à des particularités culturelles relatives au climat, à ce qu’il appelle la « race », à la
langue, mais aussi le peuple français à une vocation universaliste c’est-à-dire qu’il est chargé de
montrer la voix de l’émancipation aux autres peuples. Cette croyance est très répandue notamment
après la révolution française.
-Du point de vue social :
Ce qu’il a appelé peuple est l’ensemble des pauvres, des opprimés, femmes et enfants inclus.
-Enfin, du point de vue politique :
Le peuple désigne chez Michelet :l’ensemble des citoyens détenteurs de la souveraineté
démocratique.
Quand on croise les différentes définitions, on se demande qui est exclu du peuple mis à part peut-
être les rois d’anciens régimes ? On se demande aussi à quel moment de l’histoire le peuple au
singulier s’est levé comme un seul homme et si son action a été aussi manifeste et efficace que
Michelet le dit ?
2. Comment le figurer ?
(une statue)
La société d’ancien régime était fondée sur l’organisation en corps avec :
-la séparation des différents ordre (noblesse, clergé et tiers état)
-la séparation des différents métiers
-la séparation des communautés religieuses.
Ces différents corps se réunissaient autour de la figure unificatrice du roi. Quand le roi mourrait, son
corps physique était enterré mais le corps symbolique du roi restait vivant à travers un nouveau roi.
Après la révolution, le peuple remplace le souverain mais il est beaucoup plus difficile de représenter
le peuple que de représenter un roi. C’est dans ce contexte que peu après la révolution française est
lancée le projet d’érection d’une statue à la gloire du peuple qui est présenté par Jacques-Louis
David (1748-1825). Il est un artiste célèbre et respecté qui a notamment immortalisé le serment du
jeu de paume. Cet artiste a siégé comme député à la convention nationale, il a donc des
responsabilités politiques. En 1792, il est chargé des fêtes au sein d’un comité. Dans ce cadre, il
défend la fabrication d’une statue en hommage au peuple français qu’il imagine à Paris. La
convention nationale promu un décret à la suite de cette demande :
Jacques-Louis David, décret inclus dans le Rapport fait à la Convention nationale au sujet d’une
statue symbolique du Peuple, le 27 brumaire an II [17 novembre 1793], Paris, Imprimerie
nationale, s.d., en ligne sur https://inha.revues.org/6163 :
« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du Comité d’Instruction publique, décrète
ce qui suit :
Léon Gozlan, « L’homme du peuple », Les Français peints par eux-mêmes : encyclopédie
morale du dix-neuvième siècle, Paris, L. Curmer, 1840-1842, t. 3, p. 273-276 ; en ligne sur
Gallica :
« […] Mais qu’est-ce que l’homme du peuple ? quel est son état ? où est-il, que fait-il, ou ira-
t-on pour l’étudier ? Sera-ce dans les salons ? Non, sans doute. Sera-ce dans la rue ? Mais la
rue, c’est la mer, tout le monde y passe. Sera-ce au théâtre ? Mais à quel théâtre encore ?
À l’Opéra ou aux Funambules ? À quelle de ces deux grandes scènes enfin, l’une où trône la
royauté du grand monde, l’autre où court s’épancher la lie des faubourgs ? Est-ce
à l’église ? Je ne l’ai aperçu ni à Saint-Roch ni à Notre-Dame. Dirons-nous alors que tout ce
qui n’a ni état ni résidence marquée, ni centre collectif, ni habitudes précises, appartient à la
flottante catégorie de l’homme du peuple ? À beaucoup d’égards la définition
serait flétrissante ; elle tendrait à présenter l’existence de l’homme du peuple comme un
incommensurable vagabondage exercé autour de la société. Quoique toutes les limites de
l’Océan ne nous soient pas encore connues, néanmoins nous l’appelons fièrement une mer et
non un débordement.
Demanderons-nous à la Noblesse ce qu’est l’homme du peuple ? La Noblesse nous
répondra sans hésitation : “L’homme du peuple est le vaincu de l’invasion, l’esclave des races
qui ont triomphé par la conquête du sol ; quand il rampait, il subissait la conséquence de sa
chute ; quand il a été relevé de son humiliation, c’est par une concession graduelle de notre
générosité ; lorsqu’il a voulu monter à notre niveau, il a commis un acte de rébellion ; il a
remplacé le droit, contre lequel rien ne prévaut, par la violence. Devant la consécration des
faits accomplis par l’ordre de la Providence, quand l’homme du peuple obéit, il fait bien, il est
juste ; sitôt qu’il veut commander, il rompt l’anneau, il brise un pacte, il fait mal ; et dès ce
moment de perturbation l’homme du peuple, poussé hors de son centre de gravitation, n’est
plus que l’homme d’une forme sociale qui prend à son origine le nom de révolution, et plus
tard, si cette forme cherche à se raffermir, le nom d’usurpation”. Telle est la réponse de la
Noblesse.
Que la même question soit posée à une plus large fraction de la société, l’aveu sera
celui-ci : “L’homme du peuple a été contre toute justice opprimé pendant des siècles ; ses
vices résultaient de ses malheurs ; sa soumission, de son ignorance ; il était faible parce qu’il
était accablé sous le poids des souffrances ; il n’a pas compté dans notre histoire parce
qu’on l’éloignait du champ de bataille, où se serait manifestée sa bravoure parce qu’on lui
interdisait le droit de se gouverner, droit qui lui aurait permis de montrer et d’appliquer les
ressources de son intelligence. Il n’a rien fait parce qu’il n’était pas. Son émancipation
absolue sera l’œuvre du temps […]
Laissons maintenant se prononcer l’opinion de la généralité, et, il faut le dire aussi, de
la partie la plus intéressée à voir triompher cette opinion : “Toutes les distinctions de classes
et de rangs sont des mensonges en théorie, des crimes dans l’application. L’homme du peuple
est tout ; il n’y a que le peuple. Le nombre, la force, l’intelligence et par conséquent le droit
sont avec lui et en lui ; qui gouverne sans lui est contre lui. Plus tôt il sera rentré dans sa
souveraineté, plus tôt il se sera fait justice. Pour l’homme du peuple, les délais
imposés à l’imprescriptible réalisation de ses droits sont moins un moyen rationnel de les
acquérir, qu’un obstacle qui en retarde le triomphe. Là ou il n’y a pas eu d’engagement, il n’y
a pas eu de terme fixé, de délai consenti. Liberté par tous les moyens et dans tous les temps”.
Il résulte de ces différentes appréciations que, s’il n’est pas facile d’arrêter à main
levée les traits de l’homme du peuple, il est plus difficile encore de ne pas le regarder comme
le représentant d’un vaste assemblage d’individus qui a coexisté avec les diverses phases de la
société française. Au fond de quelle erreur ne tomberait-on pas si l’on confondait l’homme du
peuple dans la commune acception du mot avec le peuple même [sic]. L’homme du peuple
appartient incontestablement au peuple ; mais celui-ci est loin de ne se composer que
d’hommes du peuple. Sauf quelques exceptions à demi noyées, les peintres, les écrivains, les
musiciens, les manufacturiers, les marchands ; montez encore plus haut à l’échelle sociale, les
juges, les avocats, les députés, les ministres même, sont pris parmi le peuple ; mais il serait
d’une singulière inexactitude d’avancer que l’homme du peuple est écrivain, peintre,
musicien, manufacturier, avoué, député, ministre. La conscience de ce que sont les choses et
les mots qui les frappent d’une valeur monétaire se récrierait à cette définition étrange ; car
autant vaudrait dire qu’il n’y a pas d’hommes du peuple si chacun est du peuple. Quelle
distinction resterait-il à faire ? dans l’intérêt de quelle exception stipulerait-on, s’il n’y avait
pas d’exception ? Pourra-t-on même dire qu’on rencontre l’homme du peuple dans les ateliers
à l’exclusion de tout autre lieu ? Mais dans l’atelier règne déjà un chef, et ce chef ne sera pas
assurément pris pour le type de l’homme du peuple ; il y a un vice-roi ou contre-maître [sic]
qui n’est séparé du maître que de l’épaisseur de quelques mille francs ; il y a encore le
premier ouvrier sur le point de passer contre-maître [sic] demain.
Autre confusion à prévoir dans le raisonnement : le chef d’atelier est souvent un
homme d’origine basse enrichi par le hasard d’une spéculation heureuse, et le dernier de ses
ouvriers appartient à une famille distinguée. Le caractère d’homme du peuple s’abolirait-il du
jour au lendemain dans le maître parce qu’il aurait gagné quelques écus à la Bourse ; la
qualification d’homme du peuple serait-elle due à l’autre, seulement enrôlé ouvrier depuis six
mois, l’an passé encore servi par deux domestiques ? L’homme du peuple n’est donc pas
essentiellement l’homme de l’atelier, pas plus qu’il n’est que l’homme des champs ou que le
marin.
De distinction en distinction rigoureuse, d’exclusion en exclusion logique, il nous sera
bientôt démontré ce qu’est l’homme du peuple puisque nous aurons dit tout ce qu’il n’est
pas ».
La crainte du peuple s’accentue au XIXe siècle avec la révolution industrielle, à mesure que le
nombre d’ouvriers augmentent et s’accumulent dans les villes. Les ouvriers acquièrent la réputation
d’être sales et méchant à cause des lieux qu’ils sont obligés de fréquenter, vivant dans des logements
nauséabonds et insalubres. Ces travailleurs appartenant à la classe laborieuse sont estimés comme
dangereux.
Louis Chevalier, historien des années 1950, s’est intéressé à la population d’ouvrier et a démontré
que leurs supposée nocivité n’était pas intrinsèque mais liée à la paupérisation du Paris du 19e siècle
qui sera brutalement touché en 1832 par le choléra qui sera l’un des prétextes pour reconstruire un
Paris plus aéré, le Paris du baron Hausman.
Au 19e siècle, Paris accueille des populations venant à la fois des campagnes et de l’étranger. Cette
population se perds dans la grande ville puisqu’elle a tendance à isoler ces individus. Les conditions
difficiles vont parfois pousser aux crimes et aux vices comme l’alcoolisme. Le crime est souvent le
frère de la misère, ce qui est bien montré par Victor Hugo à travers le personnage de Jean Valjean
envoyé au bagne pour avoir voler un pain pour assouvir le besoin naturel de la faim.
Dans les années 1830-1850, une fraction du peuple à l’image de Jean Valjean est idéalisée par les
artistes romantiques qui en font le nouveau héros de l’histoire. C’est le peuple qui est au cœur des
utopies humanitaires et socialistes notamment dans certaines œuvres de Michelet, d’Hugo ou de
Lamartine.
Une fascination pour le peuple par les écrivains.
Les écrivains romantiques sont fascinés par le peuple puisqu’ils lui prêtent tout une série de vertus :
la simplicité, la vérité, l’humilité, l’énergie, la spontanéité. Ils sont également fascinés parce qu’ils
peuvent se donner le beau rôle en se faisant porte-parole de ce peuple. De fait, l’écrivain romantique
à tendance à s’identifier au peuple de manière opportuniste.
-Une identification du peuple de manière opportuniste.
Michelet, réellement issu des milieux modestes prétends brosser étant donné sa position, un tableau
de la société française plus juste que d’autres tableaux déjà existants. Il emboîte le pas aux écrivains
romantiques et considère qu’eux aussi ont décrit des tableaux vivants du peuple qui en disent
souvent plus que des statistiques abstraites. Michelet fait de l’art et de la littérature des supports qui
en apprendrait autant sur le peuple que certains documents statistiques mais il regrette que les
écrivains romantiques aient eu la tendance de favoriser le spectaculaire.
Il reproche aux romantiques d’avoir privilégier le bizarre, l’exceptionnelle et le laid pour des raisons
esthétiques. Pour Michelet c’est une erreur car ils ont faussé la vision que se faisait les étrangers de
la France.
Plutôt que de décrire des bagnards et des prostituées, Michelet propose de souligner la moralité du
peuple, le fait qu’il soit économe, serviable et prêt à se sacrifier.
Il rappelle qu’après l’épidémie de choléra, ce sont les pauvres qui ont adoptés les orphelins.
Par le peuple, artistes et intellectuels bourgeois ont le sentiment de se purifier sur les plans
politiques et poétiques, le peuple posséderait la créativité, l’éloquence vraie et la poésie naturelle.
Les romantiques reconnaissent donc une légitimité au peuple et contribue à le mythifier mais ces
romantiques eux-mêmes craignent les débordements du peuple. Tout en glorifiant l’énergie du
peuple, ils craignent la puissance de la masse. C’est la révolution de 1848 où le peuple à l’impression
d’être trahi par les intellectuels qui va seller la fin d’une vision sociale utopique, à partir de ce
moment l’artiste n’est plus considéré par le peuple comme un frère, un prophète lui aussi victime du
bourgeois. Certains artistes changent leurs fusils d’épaules et en viennent à détester le peuple qu’ils
glorifiaient précédemment.
PAS TROP COMPRIS
« C’est sur l’imagination populaire qu’est fondée la puissance des conquérants et la force
des États. C’est surtout en agissant sur elle qu’on entraîne les foules. Tous les grands faits
historiques, la création du Bouddhisme, du Christianisme, de l’Islamisme, la Réforme, la
Révolution, et, de nos jours, l’invasion menaçante du Socialisme, sont les conséquences
directes ou lointaines d’impressions fortes produites sur l’imagination des foules.
Aussi, tous les grands hommes d’État de tous les âges et de tous les pays, y compris les
plus absolus despotes, ont-ils considéré l’imagination populaire comme la base de leur
puissance, et jamais ils n’ont essayé de gouverner contre elle. “ C’est en me faisant
catholique, disait Napoléon au Conseil d’État, que j’ai fini la guerre de Vendée ; en me faisant
musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j’ai gagné les
prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon.”
Jamais, peut-être, depuis Alexandre et César, aucun grand homme n’a mieux su comment
l’imagination des foules doit être impressionnée. Sa préoccupation constante fut de la frapper.
Il y songeait dans ses victoires, dans ses harangues, dans ses discours, dans tous ses actes. À
son lit de mort il y songeait encore.
Comment impressionne-t-on l’imagination des foules ? Nous le verrons bientôt. Bornons-
nous, pour le moment, à dire que ce n’est jamais en essayant d’agir sur l’intelligence et la
raison, c’est-à-dire par voie de démonstration. Ce ne fut pas au moyen d’une rhétorique
savante qu’Antoine réussit à ameuter le peuple contre les meurtriers de César. Ce fut en lui
lisant son testament et en lui montrant son cadavre.
Tout ce qui frappe l’imagination des foules se présente sous forme d’une image saisissante
et bien nette, dégagée de toute interprétation accessoire, ou n’ayant d’autre accompagnement
que quelques faits merveilleux ou mystérieux : une grande victoire, un grand miracle, un
grand crime, un grand espoir. Il faut présenter les choses en bloc, et ne jamais en indiquer la
genèse. Cent petits crimes ou cent petits accidents ne frapperont pas du tout l’imagination des
foules ; tandis qu’un seul grand crime, un seul grand accident les frapperont profondément,
même avec des résultats infiniment moins meurtriers que les cent petits accidents réunis.
L’épidémie d’influenza qui, il y a peu d’années, fit périr, à Paris seulement, 5.000 personnes
en quelques semaines, frappa très peu l’imagination populaire. Cette véritable hécatombe ne
se traduisait pas, en effet, par quelque image visible, mais seulement par les indications
hebdomadaires de la statistique. Un accident qui, au lieu de ces 5.000 personnes, en eût
seulement fait périr 500, mais le même jour, sur une place publique, par un accident bien
visible, la chute de la tour Eiffel, par exemple, eût au contraire produit sur l’imagination une
impression immense. La perte probable d’un transatlantique qu’on supposait, faute de
nouvelles, coulé en pleine mer, frappa profondément pendant huit jours l’imagination des
foules. Or les statistiques officielles montrent que dans la même année un millier de grands
bâtiments se sont perdus. Mais, de ces pertes successives, bien autrement importantes comme
destruction de vies et de marchandises qu’eût pu l’être celle du transatlantique eu question, les
foules ne se sont pas préoccupées un seul instant.
Ce ne sont donc pas les faits en eux-mêmes qui frappent l’imagination populaire, mais
bien la façon dont ils sont répartis et présentés. Il faut que par leur condensation, si je puis
m’exprimer ainsi, ils produisent une image saisissante qui remplisse et obsède l’esprit. Qui
connaît l’art d’impressionner l’imagination des foules connaît aussi l’art de les gouverner ».
Le Bon suggère que les foules ne sont pas rationnelles, on ne peut les toucher par un discours mais
par des images.
Les foules sont impressionnables et peuvent être exploités par l’élite puisqu’elles sont puissantes
et peuvent assurer le pouvoir.
« […] quelque hauts services que puissent penser avoir rendus à leur cause les anciens
écrivains du Globe [un célèbre journal] devenus députés, conseillers d’état et ministres, je suis
persuadé qu’en y réfléchissant, quelques-uns au moins d’entre eux se représentent dans un
regret tacite les autres services croissants qu’ils auraient pu rendre, avec non moins d’éclat, à
une cause qui est celle de la société aussi : il leur suffisait d’oser durer sous leur première
forme, de maintenir leur tribune philosophique et littéraire, en continuant, par quelques-unes
de leurs plumes, d’y pratiquer leur mission de critique élevée et vigilante ; aux temps de
calme, l’autorité se serait retrouvée. Leur brusque retraite a fait lacune, et, par cet entier
déplacement de forces, il y a eu, on peut l’affirmer, solution de continuité en littérature plus
qu’en politique entre le régime d’après juillet et le régime d’auparavant. Les talents nouveaux
et les jeunes espoirs n’ont plus trouvé de groupe déjà formé et expérimenté auquel ils se
pussent rallier ; chacun a cherché fortune et a frayé sa voie au hasard ; plusieurs ont dérivé
vers des systèmes tout-à-fait excentriques, les seuls pourtant qui offrissent quelque corps tant
soit peu imposant de doctrine. Beaucoup, en restant dans le milieu commun, exposés à cette
atmosphère cholérique [sic] et embrasée, sur ce sol peu sûr, en proie à toutes les causes
d’excitation et de corruption, ont été plus ou moins gâtés, et n’ont plus su ce que c’était que
de l’être. De là, une littérature à physionomie jusqu’à présent inouïe dans son ensemble,
active, effervescente, ambitieuse, osant tout, menant les passions les plus raffinées de la
civilisation avec le sans-façon effréné de l’état de nature ; perdant un premier enjeu de
générosité et de talent dans des gouffres d’égoïsme et de cupidité qui s’élargissent en
s’enorgueillissant ; et, au milieu de ses prétentions, de ses animosités intestines, n’ayant pu
trouver jusqu’ici d’apparence d’unité que dans des ligues momentanées d’intérêts et
d’amours-propres, dans de pures coalitions qui violent le premier mot de toute morale
harmonie ».
Le roman feuilleton.
Le genre littéraire du roman feuilleton donne à voir, pour le plus grand nombre, le petit peuple des
villes. Néanmoins, le genre reste bourgeois dans la mesure où il est écrit par des auteurs qui
appartiennent à cette classe. Même si elle est en partie destinée au peuple, cette littérature n’émane
pas du peuple. Dans les années 1830-1850 s’ouvrent un débat qui restera vif pendant un siècle
jusqu’à l’apparition en France de la littérature prolétarienne (faites par le peuple et pour le peuple).
Au XIXe, des protestations ont émanées du monde ouvrier qui voulait se faire entendre en politique
et être représentés par des députés issu de ses rangs et pas simplement par des élites. Mais ce
monde ouvrier souhaitait aussi pouvoir s’exprimer dans ses propres journaux, donner à lire ses
propres œuvres littéraires,
-C’est donc un double élan à la fois politique et poétique qui prouve que le suffrage dit universel ne
satisfait pas à faire une démocratie.
Beaucoup souhaite que la représentation politique se fasse plus directe et que ce ne soit pas des
bourgeois qui relaient les revendications ouvrières. Une partie du peuple réclame un rapport plus
direct aux politiques, moins de médiation et surtout que ces médiations ne soient pas le fait des
élites mais que le peuple puisse s’auto représenter.
Ces revendications, des journaux ouvriers vont les faires entendre : ‘L’artisan’, ‘L’écho de la fabrique’,
‘La ruche populaire’. Ces exigences gagnent en visibilité avec les révolutions de 1830 et de 1848 qui
donne au peuple l’impression d’être une force qui peut agir.
Les élites, à cette époque, sont majoritairement hostiles à l’idée que le peuple puisse se représenter
lui-même sur la scène politique, on va dire que le peuple est moins instruit et qu’il sait moins bien
s’exprimer, qu’il n’est pas habitué au pouvoir,… Malgré tout, l’idée qu’on puisse avoir des délégués
ouvriers progressent mais lentement.
Il faudra attendre 1880 pour que soit créé en France les premiers partis ouvriers permettant une
représentation séparée.
C’est la révolution communiste du XXe qui fera bouger les lignes. Dans le domaine littéraire, les
élites (parce que le danger est moins fort), voient d’un moins mauvais œil la production populaire
puisqu’elle leur semble exotique, elle est mieux acceptée que leur potentielle présence sur la scène
politique.
1880 : création des premiers partis ouvriers
« Sans doute, l’homme du peuple n’apprend pas un livre par cœur, mais il apprend une chanson […],
parce qu’il a mille occasions de la chanter, c’est à l’heure du repos, c’est en travaillant, c’est à table,
c’est en marche… ; puis ce qu’il chante, d’autres l’apprennent en l’écoutant, le répètent, cela se répand
avec une incroyable facilité ; de sorte que si la chanson renferme dans une fable intéressante et concise
une pensée généreuse et patriotique, une satire piquante et juste, l’influence, la portée d’idées ainsi
formulées est incalculable […], ou plutôt très calculable ; car, avec des chansons, on exalte si
noblement tout un peuple en lui disant l’amour de la patrie et de ses gloires ; on l’indigne si saintement
en lui disant la haine de l’oppression et du privilège, que dans un temps donné ce peuple est mûr pour
une révolution… »
Lapointe acquiert une importante notoriété dans les années 1840, notamment grâce aux journaux
ouvriers dans lesquels il publie. De nombreuses personnalités de l’époque reconnaissent alors son
talent.
Savinien Lapointe, « Une plainte », poème cité par Edmond Thomas, Voix d’en bas. La
poésie ouvrière du XIX siècle, Paris, François Maspero, 1979, p. 358-359 :
e
Ce poème s’inscrit dans la grande tradition de la déploration, la tradition élégiaque. Lapointe donne
à entendre une plainte collective d’un peuple qu’on a peu l’habitude d’entendre, surtout en poésie.
L’auteur rends compte de la condition misérable des travailleurs qui sont dépendant du climat, à la
merci des catastrophes, leur vie est faite de contraintes et de restriction au point que tout ça suscite
une profonde lassitude. Il se demande pourquoi tant d’injustice alors que le monde regorge de
richesses. Le poème s’achève de façon pathétique au sens strict du terme, sur une image religieuse,
le peuple étant comparé à un prophète prêchant en vain dans le désert.
En conclusion, on a avec ces poètes ouvriers un ensemble de texte très riche mais complétement
ignoré pour plusieurs raisons, notamment celle que la poésie et la chanson qui étaient dominantes
au XIXe sont aujourd’hui considérés comme des genres mineurs. De plus, si cette poésie ouvrière
n’est pas passée à la postérité c’est parce qu’on considère qu’elle est de moindre qualité en
comparaison aux grands textes canoniques mais c’est un prétexte esthétique qui a pour conséquence
d’invisibilisé la littérature ouvrière. En se privant de l’étudier sous le prétexte esthétique qu’elle est
moins de l’avant-garde, on se prive de tout un pan de la littérature.