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DIEC Première partie C.

Noblot

Master II «Droit et gouvernance des affaires internationales et européennes»

Année universitaire 2020-2021

Droit international et européen de la consommation (Première partie)

C. Noblot, Maître de conférences HDR à l’Université de Reims

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DIEC Première partie C. Noblot

Droit international et européen de la


consommation

Cyril Noblot

Sommaire

Préambule sur les mots « international », « européen », en tant qu’ils sont


séparés par la conjonction « et », dans l’intitulé de ce cours ............................... 3
Première Partie : Eléments d’une vision générale du droit européen de la
consommation .............................................................................................................. 4
Chapitre 1) La philosophie du droit européen de la consommation........................... 5
Section1) Avant le droit européen : le souffle moral, civiliste et individualiste du droit de
la consommation ..................................................................................................................................... 5
Section 2) Depuis le droit européen : le souffle économique, régulateur et collectif du
droit de la consommation ..................................................................................................................... 8
Section 3) Les répercussions de ce changement de philosophie ........................................... 11
§1) L’originalité de la méthode du droit européen de la consommation ............................ 11
§2) L’autonomie du droit européen de la consommation par rapport aux droits civils
nationaux.................................................................................................................................................. 21
A) L’exemple de la notion de service en droit civiI ................................................................. 22
B) L’exemple de la notion de service en droit européen de la consommation ............. 22
Chapitre 2) Les sources du droit européen de la consommation .............................. 24
Section 1) Le législateur européen .................................................................................................... 26
§1) Les directives .................................................................................................................................... 26
A) Rappel : l'intérêt du recours aux directives en termes d’intégration ............................ 26
B) La liste des principales directives en droit européen de la consommation ................ 27
C) Evolution : de l’harmonisation minimale à l’harmonisation totale ................................ 31
§2) Les règlements ................................................................................................................................. 34
A) L’intégration................................................................................................................................... 34
B) La protection des consommateurs.......................................................................................... 36
Section 2) Le juge européen ............................................................................................................... 37
§1) La protection par la CJUE des droits substantiels des consommateurs ........................... 38
A) Le renforcement de la protection des consommateurs par l’enrichissement du
contenu de leurs droits .................................................................................................................... 39
B) La protection des consommateurs par la sévérité des sanctions en cas de violation
de leurs droits ...................................................................................................................................... 54
§2) La protection par la CJUE des droits processuels des consommateurs .......................... 57
A) La protection processuelle en matière de clauses abusives........................................... 57
B) La protection processuelle au-delà des clauses abusives ............................................... 63

Annexes ....................................................................................................................... 68

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Préambule sur les mots « international »,


« européen », en tant qu’ils sont séparés par la
conjonction « et », dans l’intitulé de ce cours
La signification des termes « international » et « européen » mérite les
précisions suivantes, sachant qu’ils sont séparés par la conjonction « et ».

S’il s’était agi de traiter uniquement le droit international européen de


la consommation, -ce qui aurait pu se concevoir, car le droit international
privé de la consommation est principalement de source européenne- cette
conjonction de coordination n’aurait pas été présente dans l’intitulé de ce
cours. En l’absence de ce « et », il aurait alors simplement fallu s’intéresser au
droit international privé européen de la consommation, lequel résulte
essentiellement de dispositions spéciales figurant dans des règlements
européens (Rome I et Bruxelles I bis). Au DIP européen de la consommation,
nous nous intéresserons, bien évidement, en lui consacrant notre seconde
partie.

Mais, tout le droit européen de la consommation n’est pas international


-entendez par là que le droit européen de la consommation ne s’évertue pas
uniquement à régler les situations comportant un élément d’extranéité, i.e.
souvent un contrat transfrontière, comme l’on dit volontiers en droit européen
de la consommation. En s’intégrant aux droits nationaux de la consommation
des Etats membres de l’Union européenne, le droit européen de la
consommation règle aussi les rapports juridiques purement internes de
consommation, en particulier grâce aux nombreuses directives adoptées en
la matière et transposées dans les ordres juridiques des différents Etats, ainsi
que grâce aux décisions rendues par la CJUE sur questions préjudicielles
soulevées par les juges nationaux. Les dimensions intégratrice, harmonisatrice,
et interprétative, de même que les aspects substantiels aussi bien que
processuels du droit européen de la consommation, méritent aussi d’être
abordés dans le cadre d’une première partie, destinée à donner une vision
générale du droit européen de la consommation.

Dans ces conditions, la première partie s’intitulera « Eléments d’une


vision générale du droit européen de la consommation » et la seconde partie
« Eléments de droit international privé européen de la consommation ».

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Première Partie : Eléments d’une vision


générale du droit européen de la
consommation

Pour avoir une vision générale de la matière, il est nécessaire de


prendre connaissance :

-d’abord de la philosophie du droit européen de la consommation

-puis des sources du droit européen de la consommation.

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Chapitre 1) La philosophie du droit européen de la


consommation

La philosophie du droit européen de la consommation se révèle très


bien par contraste ou par comparaison avec la philosophie qui était celle du
droit de la consommation avant que l’Europe s’en saisisse.
Une étude remarquable, rédigée par le professeur Ph. Stoffel-Munck,
« L'autonomie du droit contractuel de la consommation : d'une logique
civiliste à une logique de régulation » (RTDCom. Revue trimestrielle de droit
commercial et de droit économique, Dalloz, 2013, pp. 705) permet de mettre
au jour une césure entre la période ayant précédé l’advenue du droit
européen de la consommation et celle qui a suivi son essor.
Dans le détail, on pourrait discuter, sur tel ou tel point, la division
proposée. Mais dans l’ordre des généralités, elle reflète assez bien la réalité
de l’évolution du droit contemporain de la consommation, une évolution
marquée par son européanisation.

Section1) Avant le droit européen : le souffle moral,


civiliste et individualiste du droit de la consommation

Le droit de la consommation a évidemment été national avant d’être


de plus en plus européen. Si l’on regarde les choses sous un angle historique
et purement national, du point de vue du droit français par exemple, on
s’aperçoit que le droit de la consommation a été traditionnellement regardé
par le prisme du droit civil.

Généralement considéré comme apparu dans les années 1970 en


France, le droit de la consommation est à l’origine souvent présenté comme
un droit de protection du faible contre le fort.

Cette datation et cette vision sont en fait elles-mêmes discutables. En


réalité, c’est le droit « civiliste » et « contractuel » de la consommation français
qui date de cette époque. Car, cette époque fut précédée, en France,
d’une période où le droit de la consommation avait un caractère plus
économique que civil, c’est-à-dire un caractère plus proche, dans
l’inspiration philosophique, du droit européen de la consommation que nous
connaissons aujourd’hui.

En effet, le professeur Gilles Paisant a observé dans son bel ouvrage


intitulé « Défense et illustration du droit de la consommation », Lexisnexis, 2015,
p. 19 et s.) que jusqu’en 1972, la protection du consommateur a été avant
tout due à des lois relatives à la concurrence (Délit de refus de vente

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adoptée par la loi du 21 octobre 1940 dans un contexte de pénurie ;


réglementation des prix pour éviter l’inflation par l’ordonnance du 30 juin
1945 ; interdiction des ventes liées par cette même ordonnance ; prohibition
des ventes avec prime par une loi du 20 mars 1951 ; prohibition de la vente à
la boule de neige par la loi du 5 novembre 1953 ; interdiction de la vente sans
commande préalable par le décret du 9 février 1961 ; interdiction de la
revente à perte et interdiction de la publicité mensongère par la loi du 2 juillet
1963).
Il s’agissait alors avant tout de policer le marché, dans une optique de
droit de la concurrence, donc de droit économique et de droit du marché,
fort proche, dans l’esprit, de ce qu’a fait par exemple la directive du 11 mai
2005 sur les pratiques commerciales déloyales.

Depuis 1972, sont apparues des lois spécifiquement orientées vers la


protection des consommateurs dans les contrats de consommations (loi du
22 décembre 1972 sur le démarchage à domicile ; création du délit d’abus
de faiblesse ; lois Scrivener I du 10 janvier 1978 sur le crédit mobilier à la
consommation (n° 78–22) et protection contre les clauses abusives (n° 78-23) ;
loi Scrivener II sur le crédit immobilier du 13 juillet 1979 ; loi de protection
contre le surendettement du 31 décembre 89, etc.)

Au bénéfice de ces précisions, il est vrai que dans les années 1970 en
France, un droit de la consommation à coloration civiliste et contractuelle
s’est développée et que ce développement a fini par être regardé comme
l’expression de l’ensemble du droit de la consommation français, l’actualité
civiliste et contractuelle du droit de la consommation ayant en quelque sorte
chassé des mémoires ses aspects antécédents qui avaient une couleur
nettement plus économique.

Quoi qu’il en soit, si l’on part de cette datation (décennie 1970),


l’optique protectrice de la partie faible qui se manifeste dans le droit de la
consommation, n'est pas étrangère au droit des contrats du Code civil.
Comme le rappelle Ph. Stoffel-Munck : inspiré du christianisme de Domat et
de Pothier, le Code civil est pétri de considérations morales. Il protège
l'incapable, l'errans, le trompé, la victime de violence ; il exalte la bonne foi,
admet des délais de grâce, etc.

Si l'esprit du droit (contractuel…) de la consommation réside dans un


parti-pris pour la faiblesse, alors il présente une différence de degré plus que
de nature avec le droit civil des contrats.
On comprend alors pourquoi par exemple l’Allemagne a fait le choix
de ne pas adopter un Code de la consommation, mais de transposer les
dispositions protectrices des consommateurs dans son Code civil (BGB).
On comprend la longue hésitation qui a eu cours chez les juristes
français au moment de choisir le code (civil ou de la consommation ?) dans
lequel il fallait transposer la directive européenne du 25 mai 1999 sur la

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garantie de conformité dans la vente des biens de consommation. Ce fut


finalement, en 2005, le Code de la consommation.
On comprend qu’aujourd’hui encore, le magistral « Contrats de
consommation », dirigé par le professeur Natacha Sauphanor-Brouillaud (N.
Sauphanor-Brouillaud, C. Aubert de Vincelles, G. Brunaux et L. Usunier, Les
contrats de consommation. Règles communes, Traité de droit civil, J. Ghestin
(dir.) : LGDJ, 2e éd., 2018) soit présenté comme un « Traité de droit civil ».

Si on considère que la philosophie du droit de la consommation est


civiliste, cela signifie, comme le souligne Ph. Stoffel-Munck, qu’elle est aussi
individualiste et que la méthode du droit de la consommation serait une
méthode concrète.

M. Stoffel-Munck écrit que le droit des contrats qui figure dans le Code
civil protège celui qui en a concrètement besoin. C'est un droit individualiste
qui ne protège pas les catégories de manière aveugle ; le contractant est
protégé si son consentement a été effectivement vicié (erreur, dol, etc.).
Et le droit civil est également un droit fortement imprégné de
considérations morales ou la bonne foi joue un rôle important. Dans la
logique civiliste, un consommateur de mauvaise foi ne mérite aucune
protection (songeons par exemple à celui qui voyage en train sans jamais
acheter de billet, comme dans l’affaire CJUE, 7 nov. 2019, aff. jtes C-349/18 à
C-351/18, Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen (NMBS)). On
concevrait mal qu’un consommateur se rétracte sans raison et de manière
discrétionnaire (sur ce point précis v. infra). Un droit potestatif est peu
admissible en droit civil.

Dans la période qui a précédé la montée en force du droit européen


de la consommation, id est avant le milieu des années 19901, il y a eu
d’ailleurs des débats en France concernant le champ d’application de la loi
de 1978 sur les clauses abusives. Il fut un temps où on admettait que ce
dispositif bénéficie au profane ; une personne, physique ou morale,
contractant pour des besoins d'ordre professionnel se trouvait possiblement
protégée comme un consommateur si elle contractait hors de son champ de
spécialité. Il y avait cette idée que devaient être protégés tous ceux qui
avaient un besoin concret d’être protégés contre les clauses abusives
résultant de l’abus de puissance économique du cocontractant. Deux
éminents civilistes, Ch. Jamin et D. Mazeaud osèrent intituler un colloque « les
clauses abusives entre professionnels » au début des années 2000. C’était
provocateur, mais très justifié du point de vue concret du droit civil. D’ailleurs,
notre droit civil a fini par accueillir la notion de clause abusive dans les
contrats d‘adhésion en 2016 (art 1171).

C’est au regard de ce souvenir remontant aux années 1970 et c’est au


regard de cette vision civiliste et contractuelle du droit de la consommation

1C’est à partir du traité de Maastricht du 7 février 1992 sur l’Union européenne qu’une avancée importante dans la
politique européenne de protection des consommateurs a eu lieu (v infra).

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qu’apparaît de façon très nette la philosophie spécifique du droit européen


de la consommation, qu’il soit contractuel ou non.

Section 2) Depuis le droit européen : le souffle


économique, régulateur et collectif du droit de la
consommation

Le droit européen de la consommation n’est pas sous-tendu par une


logique civiliste et individualiste mais par une logique économique et
collective de régulation du marché. L’esprit qui l’anime rompt avec celui qui
y présidait en France depuis les années 1970, mais renoue avec celui qui y
soufflait antérieurement.

Bien sûr, cela ne veut pas dire que le droit européen est entièrement
imperméable ou réfractaire aux principes du droit civil ; il s’y réfère d’ailleurs
ponctuellement (ex : CJUE, 23 septembre 2009, C-489/07 Pia Messner pt 29
« (…) ces mêmes dispositions ne s’opposent pas à ce que le payement d’une indemnité
compensatrice pour l’utilisation de ce bien soit imposé au consommateur dans l’hypothèse
où celui-ci aurait fait usage dudit bien d’une manière incompatible avec les principes de
droit civil, tels que la bonne foi ou l’enrichissement sans cause, à la condition qu’il ne soit pas
porté atteinte à la finalité de ladite directive et, notamment, à l’efficacité et à l’effectivité du
droit de rétractation, ce qu’il incombe à la juridiction nationale de déterminer. ).

Cela signifie que le droit européen de la consommation, même quand


il édicte des normes contractuelles, est avant tout inspiré par d’autres
considérations que celles du droit civil.

« Au moins depuis que l'Europe en a pris les commandes, ce droit s'est


donné le développement du BtoC comme philosophie » (Ph. Stoffel-Munck).

Son souci n’est pas de protéger la partie faible contre la partie forte
dans une logique concrète de protection des individus, mais dans une
logique fonctionnelle.

Ph. Stoffel Munck signale que « le droit européen de la consommation


envisage le rapport entre le consommateur et le professionnel comme une
relation anonyme de marché. Il vise à réglementer ce marché spécifique
qu'est le BtoC : il définit ses institutions, sa police. Il régule les pratiques
essentielles, pratiques commerciales, ainsi que les contrats de
consommation ».

Dans la législation d'inspiration européenne « le consommateur n'est


pas tant protégé pour lui-même qu'en raison de sa fonction dans les
échanges. Par ses achats, il alimente le marché, d'où la nécessité de le

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protéger. Confiant dans le marché, le consommateur stimule les échanges »


(Ph. S-M). Il faut donc obtenir sa confiance.

Ce qui est novateur est que cette relation anonyme de marché se


retrouve jusque dans l’approche du droit contractuel européen de la
consommation. Il y a une rupture philosophique par rapport à l’approche
civiliste du droit des contrats de consommation apparue dans les années
1970.

Madame le professeur Carole Aubert de Vincelles, éminente spécialiste


française de droit européen des contrats de consommation, écrit en ce sens
que « les raisons de la protection des consommateurs contractants au niveau
européen sont bien connues : en les protégeant, puisqu'il est admis qu'ils se
trouvent dans une situation d'infériorité économique par rapport aux
professionnels, le droit européen favorise leur confiance dans les transactions
nationales et surtout transfrontières au sein du marché intérieur. Sûrs de leurs
droits et certains de leur protection, les consommateurs n'auront plus peur de
contracter au-delà de leurs frontières pour construire de manière effective le
grand marché européen ».

Elle ajoute que « les institutions européennes et particulièrement la


Commission, dans tous les exposés de motifs de la législation contractuelle,
relèvent toujours la diversité des droits des États membres comme un obstacle
aux relations transfrontières. Les professionnels craignent ainsi de voir leurs
contrats annulés pour le non-respect de règles dont ils n'auraient pas
connaissance, et s'ils veulent se conformer au droit de tous les États membres
avant d'y commercer, ils devront supporter un coût dissuasif. Quant aux
consommateurs, ils n'auraient pas confiance dans la protection dont ils
pourraient jouir en dehors de leur territoire national ».

Ce discours qui révèle la philosophie spécifique du droit européen


contractuel de la consommation prête parfois le flanc à la critique. Madame
le professeur Laurence Usunier a ainsi fait une critique de certains effets
d’annonce du législateur européen, en montrant les limites du discours de
l’harmonisation maximale en droit des contrats au nom de considérations
d’échanges économiques (L. Usunier, Du droit commun européen de la
vente aux propositions de directives sur les contrats de vente en ligne et de
fourniture de contenu numérique : la montagne accouche d'une souris, RTD
civ. 2016. 304)

Ainsi, elle y signale que « l'idée selon laquelle il serait souhaitable que
l'internationalité se banalise, serait-ce dans le cadre limité des frontières de
l'Union européenne, pose question. Les situations internationales demeurent
un phénomène intrinsèquement marginal, même à l'heure de la
mondialisation, car l'internationalité présente de multiples inconvénients,
indépendamment même de sa dimension juridique, du fait des distances
géographiques et des différences linguistiques et culturelles séparant les
parties. Dès lors, si l'on peut comprendre que la Commission souhaite

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permettre aux rapports transfrontières de se nouer sans entrave au sein de


l'Union, le fait qu'elle s'inquiète de leur caractère minoritaire et nourrisse
l'ambition de faire de ces opérations des opérations toujours plus fréquentes
appelle plus de réserves. Car il pourrait au contraire apparaître souhaitable,
ne serait-ce que dans une perspective environnementale, que les échanges
économiques demeurent a priori locaux (sur les rapports complexes entre
internationalisation des échanges et environnement, v. not. S. Monjon et J.
Hanoteau, Mondialisation et environnement, Cahiers français, mars-avr. 2007,
n° 337, p. 34) ».
La Commission invoque aussi souvent l’idée que l'harmonisation totale
renforcerait la confiance des consommateurs.

Qu’en pensez ?

Laurence Usunier nous livre une intéressante critique : « l'idée que


l'harmonisation maximale des droits des États membres renforcerait la
confiance du consommateur, apparaît discutable dans la mesure où la
confiance du consommateur est d'ores et déjà garantie par le droit
international privé. En vertu de l'article 6 du règlement Rome I (Règl. CE n°
593/2008 du 17 juin 2008), le consommateur bénéficie en effet de la
protection de la loi de son État membre de résidence habituelle lorsqu'il
conclut un contrat électronique international, dès lors que le site du
professionnel est dirigé vers cet État membre (ce qui s'établit aisément en
vertu du test établi dans l'arrêt Pammer et Hôtel Alpenhoff : CJUE 7 déc. 2010,
aff. C-585/08 et C-144/09, D. 2011. 990, obs. C. Manara, note M.-E. Pancrazi ;
ibid. 908, obs. S. Durrande ; ibid. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-
Brouillaud). Et si une clause de choix de loi soumet le contrat au droit d'un
autre État, en général celui du professionnel, la loi ainsi désignée ne peut
s'appliquer que si elle accorde au consommateur une protection supérieure
à celle que lui offre la loi de son État de résidence habituelle » (sur ces
aspects v la deuxième partie de ce cours).
« Couplé avec des directives d'harmonisation minimale, un tel dispositif
garantit déjà de manière optimale la confiance du consommateur dans le
marché intérieur, puisqu'il lui permet a priori de bénéficier de la protection de
sa propre loi, si elle a prévu un niveau de protection supérieur à celui des
directives, tout en rendant applicable la loi du pays d'établissement du
professionnel lorsque cette dernière est encore plus favorable au
consommateur. En somme, le seul risque que prend le consommateur à
conclure un contrat transfrontière est celui de se trouver mieux protégé qu'il
ne l'est dans les contrats internes ! Dans ces conditions, on voit mal ce que le
consommateur aurait à gagner d'une harmonisation maximale et comment
sa confiance pourrait être mieux garantie. Si la Commission soutient
néanmoins que l'harmonisation totale va renforcer la confiance du
consommateur, c'est peut-être qu'elle considère que le consommateur
ignore la protection que lui apporte déjà le droit international privé de l'Union.
Mais alors, pourquoi serait-il davantage averti du fait que le droit matériel de
l'Union unifie la garantie de conformité dans les contrats de vente en ligne et

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DIEC Première partie C. Noblot

de fourniture de contenu numérique et à même d'apprécier l'incidence de


cette garantie sur sa situation ? »

Pour discutable qu’elle puisse donc être parfois, comme on vient de le


voir, la philosophie de ce droit européen de la consommation viserait ainsi
non pas tant à protéger un individu qui en a besoin qu'à renforcer la
croyance de la collectivité des consommateurs en une protection forte et
indiscutable (automatique) de façon à les inciter à consommer sans trop de
méfiance ou d’excès de scrupules. Autrement dit, « la protection de la partie
faible n'intervient plus comme celle d'un individu, mais au nom d'un intérêt
collectif : celui du fonctionnement du marché » (Ph. Stoffel-Munck).

Ce n'est donc pas tellement la règle morale chère à Ripert ou la dignité


humaine chère à Kant, qui inspire le législateur européen en droit de la
consommation ; c'est plutôt l'objectif économique de croissance par la
consommation.

Il s’agit de stimuler la confiance dans le commerce, le commerce


électronique notamment, le marché numérique, etc., dans le droit fil de la
philosophie du « doux commerce » que défendaient notamment les Lumières,
à l’instar de Voltaire et Montesquieu en France ou d’Adam Smith en Ecosse
(pour un excellent éclairage de cette idéologie, v. Albert O. Hirschman, La
passion contre les intérêts, Quadrige, 2014 qui permet aussi de comprendre
les origines profondes de l’ordo-libéralisme européen2).

Ce changement de philosophie du droit de la consommation n’est pas


sans répercussions juridiques sensibles.

Section 3) Les répercussions de ce changement de


philosophie
Il y a deux sortes de répercussions notables.

La méthode du droit européen de la consommation présente des traits


qui, à certains égards, l’éloignent de la méthode classique du droit civil.

Il existe ensuite une autonomie des concepts du droit économique en


général et du droit de la consommation en particulier, par rapport au droit
civil, dont les civilistes eux-mêmes ont parfois du mal à prendre conscience.

§1) L’originalité de la méthode du droit européen de la


consommation

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On n’oubliera pas que l’une des origines du droit de l’Union européenne était la CECA (instituée en 1951 par
le traité de Paris), qui visait à la communautarisation du charbon et de l’acier (matière première qui permet
notamment la fabrication d’armements), spécialement en vue d’éviter un nouveau conflit militaire entre la
France et l’Allemagne.

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DIEC Première partie C. Noblot

A) En premier lieu, le droit européen de la consommation protège la


catégorie des « consommateurs » face à la catégorie des « professionnels »,
sans tenir compte des capacités du consommateur ou de la puissance
concrète du professionnel. Ce binôme est aussi une opposition : le
professionnel est, en droit européen, « toute personne physique ou morale,
qu’elle soit privée ou publique, qui agit, y compris par l’intermédiaire d’une
autre personne agissant en son nom ou pour son compte, à des fins qui
entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou
libérale » (art. 2, 3 dir. 2019/771). On regrettera l’oubli du mot « agricole », les
agriculteurs étant aussi des professionnels. Dans la directive sur le crédit à la
consommation, le prêteur est « toute personne physique ou morale qui
consent ou s'engage à consentir un crédit dans le cadre de l'exercice de ses
activités commerciales ou professionnelles » (art 3, b dir 2008/48/CE).

Le consommateur agit à des fins inverses. Il y a comme une


présomption irréfragable de faiblesse du consommateur personne physique
face au professionnel.

Cette méthode « binomiale » n’est pas propre au droit européen de la


consommation. Le droit français l’utilisait déjà.

1) Mais ce qui a été une spécificité de droit européen était la


conception restrictive du consommateur. Avant la montée en puissance du
droit européen, le droit français n’était pas toujours hostile à ce que certaines
personnes morales soient protégées comme un « consommateur ».

En droit européen, le consommateur est nécessairement une personne


physique (CJCE, 22 nov. 2001, aff. jtes C-541/99 et C-542/99, Cape). C’est
« toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre
de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale » (dir.
2011/83/UE, art. 2, 1 ; dir. 2019/771, art. 2, etc.). Cette définition reprend
d’ailleurs une définition quasi identique depuis la directive du 20 décembre
1985 sur les contrats négociés en dehors des établissements commerciaux.
Deux critères déterminent le consommateur. Il doit s'agir d'une personne
physique et la finalité de l'acte en cause ne doit pas être professionnelle.

Il y a deux exceptions notables au second critère, conduisant à


protéger toute personne physique en général, dans des textes pourtant
d’esprit consumériste. La première est la directive sur les voyages à forfait. Elle
étend la protection à tous les voyageurs, personnes physiques y compris les
voyageurs d'affaires (ex. VRP, agents commerciaux) : dir. 90/314/CEE, préc.
n° 5, art. 2. – PE et Cons. UE, dir. (UE) 2015/2302, 25 nov. 2015, cons. 7, art. 3.6).
La seconde est le règlement RGPD n° 2016/679/UE du 27 avril 2016 qui n’exige
pas que la personne physique victime soit un consommateur.

Depuis l’avènement du droit européen et le milieu des années 2000, le


droit français a pris acte de ce qu’en droit européen, le consommateur est

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DIEC Première partie C. Noblot

toujours une personne physique, et a fini par reprendre cet élément de


définition à son compte dans son droit légiféré.

art. liminaire du Code de la consommation : « - consommateur : toute


personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son
activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », cette
définition étant inspirée de la Directive 2011/83/UE du 25 oct. 2011, à
l’exception du rajout, nécessaire, de l’adjectif « agricole »

Cela étant, la notion de « non-professionnel », propre au droit français,


permet à notre droit de la consommation de protéger, ça et là, les personnes
morale de droit privé n’ayant pas d’activité professionnelle (ex : un syndicat
de copropriétaire est protégé contre les clauses abusives, ou contre la
reconduction tacite d’un contrat…). art liminaire : « non-professionnel : toute
personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles ».

Cette notion française de « non-professionnel », que ne connaît pas le


droit européen, est-elle compatible avec le droit européen ? Oui. Car les
États restent libres d'étendre la protection à d'autres personnes, qu'elles soient
morales (dir. 2011/83/UE, cons. 13) ou professionnelles (en ce sens, dir.
2011/83/UE, cons. 13. – CJCE, 14 mars 1991, aff. C-361/89, Di Pinto). La
possibilité de telles extensions est en outre indifférente au degré d'intensité de
l'harmonisation, que celui-ci soit minimal ou maximal, puisque ce degré ne
touche que le « champ harmonisé ». Dans la mesure où c’est la notion de
consommateur qui sert à définir ce champ, les personnes ne rentrant pas
dans le champ de cette définition, telles les personnes morales, se trouvent
en dehors du domaine harmonisé. Dès lors, les États membres sont libres de
réglementer ce « hors champ », pour autant qu'ils ne compromettent pas les
objectifs du droit de l'Union. Ce qui serait interdit aux Etats ayant à transposer
une directive d'harmonisation maximale serait de modifier la définition même
du consommateur pour y inclure d'autres personnes (sur la notion de directive
d’harmonisation maximale, v. infra).

S’il n’est pas toujours indifférent au droit européen que telle personne
physique ait besoin d’une protection dans telle ou telle situation, (Dumitras, pt
30 : « Cette protection est particulièrement importante dans le cas d’un contrat de garantie
ou de cautionnement conclu entre un établissement bancaire et un consommateur. Un tel
contrat repose en effet sur un engagement personnel du garant ou de la caution à payer la
dette contractée par un tiers. Cet engagement entraîne pour celui qui y consent des
obligations lourdes qui ont pour effet de grever son propre patrimoine d’un risque financier
souvent difficile à mesurer (ordonnance du 19 novembre 2015, Tarcău, C-74/15,
EU:C:2015:772, point 25), en revanche, peu importe au droit européen de la
consommation que, dans un litige donné, le destinataire concret de la règle
protectrice n'ait eu nul besoin de protection.

Dans l’arrêt « Schrems » du 25 janvier 2018 (C-498/16), par exemple, la


CJUE a rappelé, à propos de l’interprétation du Règlement Bruxelles I, que « la
notion de « consommateur » se définit par opposition à celle d’« opérateur
économique » (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa, C-269/95,

13
DIEC Première partie C. Noblot

EU:C:1997:337, point 16, et du 20 janvier 2005, Gruber, C-464/01, EU:C:2005:32,


point 36) et est indépendante des connaissances et des informations dont la
personne concernée dispose réellement (arrêt du 3 septembre 2015, Costea,
C-110/14, EU:C:2015:538, point 21) » pour décider qu’ « un utilisateur d’un
compte Facebook privé ne perd pas la qualité de « consommateur », (…)
lorsqu’il publie des livres, donne des conférences, exploite des sites Internet,
collecte des dons et se fait céder les droits de nombreux consommateurs afin
de faire valoir ces droits en justice ».

« Même un avocat, quand bien même il serait considéré qu’il dispose


d’un niveau élevé de compétences techniques, peut être considéré comme
étant un « consommateur », au sens de l’article 2, sous b), de la directive
93/13, lorsqu’il conclut un contrat qui n’a pas trait à son activité
professionnelle » (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2015, Costea,
C-110/14, EU:C:2015:538, points 26 et 27). Comme le relève Ph. Stoffel-Munck,
si Bill Gates achète un ordinateur dans un supermarché pour ses besoins
personnels et familiaux, il est un consommateur. Remarquons d’ailleurs qu’il y
a là quelque chose qui facilite l’adhésion collective au droit de la
consommation. Comment être contre, puisque, comme l’avait dit J-F.
Kennedy, chacun d’entre nous est un consommateur ? La qualité de
consommateur est une qualité changeante, intermittente, qui par définition
nous concerne tous. C’est une différence avec la qualité de salarié et la
qualité d’employeur, qui renvoient à des statuts sociaux.

En cas d’acte mixte (professionnel et personnel à la fois), la qualité de


consommateur est susceptible d’être reconnue, s'il est fait un « usage
essentiellement non-professionnel » dès la conclusion du contrat, sans que
celui-ci acquiert « par la suite un caractère essentiellement professionnel » (pt
37 de l’arrêt Schrems, préc. ; v. aussi CJCE, 20 janv. 2005, aff. C-464/01,
Gruber : si la partie professionnelle est insignifiante, marginale, au point d'avoir
un rôle négligeable dans le contexte global de l'opération, la qualité de
consommateur est reconnue). Peut donc aussi s’appliquer la théorie de
l’accessoire (v. égal. cons 17 de la dir. 2011/83/UE).

2) L’autre tendance du droit européen a été d’exclure en principe


systématiquement de la protection le professionnel.

Le droit civil conçoit que le professionnel d’une autre spécialité que le


vendeur professionnel soit parfois protégé autant qu’un consommateur.
Certains juges du fond français admettaient autrefois, notamment pour le
démarchage à domicile ou les clauses abusives, de protéger le professionnel
qui agissait en dehors de son domaine de spécialité (ex : fleuriste achetant un
lecteur de chèques ou le coiffeur commandant un matériel de
télésurveillance pour lutter contre l’intrusion des cambrioleurs dans sa
boutique).
Dans les dispositions européennes de droit de la consommation visant à
rapprocher les droits nationaux, l’acheteur professionnel n’est en principe pas
protégé par le droit de la consommation, même s’il est petit ou d’une autre
14
DIEC Première partie C. Noblot

spécialité que le vendeur. Ce principe est, cela étant, assorti de certaines


libertés et d’une exception.
Concernant les tolérances ou libertés, elles tiennent au champ
d’application matériel des directives et à l’articulation entre droit de l’Union
et droits nationaux. Le considérant 13 de la directive 2011/83/UE précise en
ce sens que « les États membres peuvent, par exemple, décider d’étendre
l’application des règles de la présente directive à des personnes morales ou
physiques qui ne sont pas des «consommateurs» au sens de la présente
directive, comme les organisations non gouvernementales, les jeunes
entreprises ou les petites et moyennes entreprises ». Le droit français a saisi
cette possibilité pour étendre la protection contre le démarchage aux petits
professionnels n’employant pas plus de cinq salariés et qui concluent un
contrat hors établissement en dehors du champ de leur activité principale
(art. L. 221-3 C cons.) Bien que d’harmonisation maximale, la contrainte du
champ harmonisé se limite au champ d’application matérielle de la
directive. Dans le champ harmonisé, les Etats perdent leur compétence. Ils ne
peuvent par exemple définir le consommateur en y incluant les personnes
agissant dans le cadre de leur activité professionnelle ou sanctionner une
clause pénale abusive par la réduction de son montant (car le droit
européen prévoit qu’elle ne lie pas le consommateur, v. CJUE, 30 mai 2013,
Asbeek Brusse et de Man Garabito, aff. C-488/11). Hors champ, les Etats
membres retrouvent leur compétence législative et peuvent conserver ou
introduire des dispositions nationales qui correspondent à celles de la
directive pour les étendre à d’autres personnes ou à d’autres situations que
celles visées par le texte européen. En matière de pratiques commerciales
trompeuses par action, le droit français a également étendu la protection au
professionnel (art. L. 121-5 C conso).
L’exception se rencontre, comme nous l’avons signalé, dans la
directive 2015/2302 relative aux voyages à forfait, applicable même aux
voyageurs d'affaires (PE et Cons. UE, dir. (UE) 2015/2302, 25 nov. 2015, cons. 7,
art. 3.6).

Enfin, si le droit de la consommation ne protège pas le professionnel en principe, le


droit européen se montre soucieux de développer une législation applicable aux rapports
entre professionnels, pouvant conduire à protéger certains d’entre eux.
On peut songer en ce sens à la directive 2019/633//UE du 17 avril 2019 « sur les
pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne
d'approvisionnement agricole et alimentaire » instaurant les prémices de pratiques
contractuelles loyales entre professionnels.
Dans le même sens, s’inscrit le règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 « promouvant
l'équité et la transparence entre les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en
ligne », dit « règlement PtoB -plateforme to business- » (sur lequel, v. F. Sabrinni, La notion de
plateforme au cœur des nouvelles relations entre professionnels : RTD com. 2020, p. 215. –
L. Idot, Le règlement européen sur les plates-formes : Une nouvelle limite au droit français des
pratiques restrictives ? : Europe 2020, alerte 1 ). S’il ne s’agit pas là de droit européen de la
consommation, il s’agit de droit européen économique et, sur le modèle de la protection des
consommateurs, le règlement 2019/1150 prévoit par exemple des règles contractuelles
relatives à la clarté et la compréhensibilité des clauses contractuelles, un contenu
informationnel minimal, un formalisme contractuel, des règles encadrant la modification des
conditions générales (art. 3), des dispositions relatives au classement opéré par les

15
DIEC Première partie C. Noblot

plateformes d'intermédiation et les fournisseurs de moteurs de recherche dans un but de


transparence et de loyauté (art. 5), ou bien encore un traitement extrajudiciaire des litiges
(art. 11 s.). La CJUE pourrait aussi s’inspirer de son travail interprétatif mené en droit de la
consommation pour interpréter ce genre de dispositions et développer une politique de
protection des professionnels les plus faibles (v. en ce sens, C. Aubert de Vincelles, CCC juillet
2020, spéc n° 36).

Le droit international privé européen se montre tout aussi rigoureux. Par


exemple, l’art 6 du Règlement Rome I du 17 juin 2008 définit le professionnel
comme la personne « agissant dans l'exercice de son activité
professionnelle ». Il n’est donc pas question de tenir compte de la spécialité
de ce professionnel. Un médecin achetant du matériel informatique pour son
cabinet médical sera ainsi privé de toute protection, au sens de ce texte,
puisqu’il est un « professionnel ».

Le professionnel, dont la présence est nécessaire pour que le


consommateur soit protégé, vise traditionnellement « toute personne
physique ou morale agissant dans le cadre d’une activité rémunérée » (CJUE,
3 oct. 2013, aff. C-59/12, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs.,
pt 32.), qu'elle soit publique ou privée. Cette définition s’accorde bien avec
l’idée de protection des intérêts économiques des consommateurs. Il faut
donc traditionnellement un prix pour être en présence d’un contrat de
consommation.
Ce critère du prix pose toutefois problème dans les contrats de service
numérique (ex : réseaux sociaux). C’est pourquoi une définition ad hoc a été
posée en la circonstance par la Directive 2019/770 du 20 mai 2019, relative à
certains aspects concernant les contrats de fourniture de contenus
numériques et de services numériques pour étendre la qualité de
professionnel.

art. 3

1. La présente directive s’applique à tout contrat par lequel le professionnel fournit ou


s’engage à fournir un contenu numérique ou un service numérique au consommateur et le
consommateur s’acquitte ou s’engage à s’acquitter d’un prix.

La présente directive s’applique également lorsque le professionnel fournit ou s’engage à


fournir un contenu numérique ou un service numérique au consommateur, et le
consommateur fournit ou s’engage à fournir des données à caractère personnel au
professionnel, sauf lorsque les données à caractère personnel fournies par le consommateur
sont exclusivement traitées par le professionnel pour fournir le contenu numérique ou le
service numérique conformément à la présente directive ou encore pour permettre au
professionnel de remplir les obligations légales qui lui incombent, pour autant que le
professionnel ne traite pas ces données à une autre fin.

C’est donc une contrepartie qui est exigée, mais pas nécessairement
sous forme de prix (cela peut être un transfert de données à caractère
personnel).

16
DIEC Première partie C. Noblot

3) A la différence du droit civil, qui en droit français n’hésiterait pas à


qualifier de « professionnel » un vendeur particulier répétant un grand nombre
d’opérations de vente sur internet, le droit européen de la consommation
retient du professionnel une définition moins encline à la souplesse. Par
exemple, dans l’arrêt Kamenova du 4 oct. 2018 (aff. C-105/17), interprétant la
notion de professionnel au sens de la directive sur les pratiques commerciales
déloyales, la CJUE a retenu qu’une « personne physique, qui publie sur un site
Internet, simultanément, un certain nombre d’annonces offrant à la vente
des biens neufs et d’occasion (…) ne saurait être qualifiée de « professionnel »
et une telle activité ne saurait constituer une « pratique commerciale » que si
cette personne agit à des fins qui entrent dans le cadre de son activité
commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, ce qu’il appartient à la
juridiction de renvoi de vérifier, au vu de toutes les circonstances pertinentes
du cas d’espèce ».

v. point 38. Il faudrait vérifier si la vente en ligne a été réalisée « de manière organisée,
si cette vente a un but lucratif, si le vendeur dispose d’informations et de compétences
techniques relatives aux produits qu’il propose à la vente dont le consommateur ne dispose
pas nécessairement, de façon à le placer dans une position plus avantageuse par rapport
audit consommateur, si le vendeur a un statut juridique qui lui permet de réaliser des actes
de commerce, et dans quelle mesure la vente en ligne est liée à l’activité commerciale ou
professionnelle du vendeur, si le vendeur est assujetti à la TVA, si le vendeur, agissant au nom
d’un professionnel déterminé ou pour son compte ou par l’intermédiaire d’une autre
personne agissant en son nom et pour son compte, a perçu une rémunération ou un
intéressement, si le vendeur achète des biens nouveaux ou d’occasion en vue de les
revendre, conférant ainsi à cette activité un caractère de régularité, une fréquence et/ou
une simultanéité par rapport à son activité commerciale ou professionnelle, si les produits en
vente sont tous du même type ou de la même valeur, en particulier, si l’offre est concentrée
sur un nombre restreint de produits ».

L’approche casuistique que semble illustrer cette motivation est à notre


avis un trompe-l’œil. Il s’agit avant tout de dissuader les juges nationaux de
sortir des catégories rigides par lesquels le droit européen police le marché
de la consommation via la notion de pratique déloyale. Le droit français de
la consommation d’autrefois, d’influence civiliste, admettait de soumettre au
démarchage (en vertu d’une loi de 1972) « quiconque » et non les seuls
« professionnels ». De même, la publicité mensongère pouvait en vertu d’une
loi de 1963 sanctionner un simple particulier, ce qui n’est plus le cas depuis la
transposition de la Directive sur les pratiques commerciales déloyales qui l’a
remplacée.

En matière de clause abusive, un peu plus de souplesse se conçoit,


permettant d’admettre que le salarié d’une entreprise et son conjoint, qui
concluent avec cette entreprise un contrat de crédit, réservé, à titre
principal, aux membres du personnel de ladite entreprise, destiné à financer
l’acquisition d’un bien immobilier à des fins privés, soient considérés comme
des « consommateurs », au sens de cette disposition (art 2 b. de la directive
93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993) et que ladite entreprise soit considérée

17
DIEC Première partie C. Noblot

comme un « professionnel », au sens de cette disposition (art. 2 c) (v. CJUE, 21


mars 2019, aff. C-590/17, Pouvin et Dijoux). Ici, « l’interprétation large de la
notion de « professionnel », au sens de ladite disposition, sert à mettre en
œuvre l’objectif de cette directive consistant à protéger le consommateur en
tant que partie faible au contrat conclu avec un professionnel et à rétablir
l’équilibre entre les parties (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2018, Sziber,
C-483/16, EU:C:2018:367, point 32). »

L’approche sectorielle du droit de la consommation empêche


d’aboutir à une parfaite homogénéité d’interprétation des catégories du
droit européen de la consommation. Cette homogénéité est cependant
assez forte. La plus grande rigidité et la plus grande homogénéité du droit
européen de la consommation s’accompagnent d’une plus grande
automaticité des sanctions.

B/ En deuxième lieu, la régulation du marché a besoin de sanctions


automatiques.

Il ne s’agit pas de sonder les reins et les cœurs des individus


professionnels, d’apprécier des fautes subjectives, comme un droit civil et
moralisateur y inciterait peut-être.
N’a-t-on pas, en matière de pratiques déloyales, vue la CJUE,
sanctionner un professionnel, parce qu’il avait menti « objectivement », mais
sans aucune mauvaise foi ? On songe là à un arrêt de la Cour de justice de
l’Union européenne du 19 septembre 2013 (aff CHS Tour Services GmbH, C
435/11) montrant que la condamnation d’un professionnel peut être
prononcée sur la base d’éléments purement objectifs. Une brochure de
vente contenant une information fausse et déloyale est interdite même si elle
n’est pas contraire aux exigences de la diligence professionnelle. La cour
juge dans son point 42 que quand une pratique commerciale satisfait à tous
les critères de l’article 6 § 1 pour être qualifiée de trompeuse à l’égard du
consommateur, il n’y a pas besoin de vérifier si elle est contraire aux
exigences de la diligence professionnelle au sens de l’article 5 § 2 pour être
considérée comme déloyale et interdite au titre de l’article 5 §1. En l’espèce
une agence de voyages mentionnait sur son site avoir une exclusivité
contractuelle avec un hôtelier. Or celui-ci avait déjà passé un contrat avec
une agence concurrente, sans le signaler. C’est lui qui avait menti. Mais c’est
le voyagiste qui fut condamné pour pratique trompeuse, indépendamment
de toute faute de sa part.

Extrait :

46 L’interprétation qui précède est la seule qui soit de nature à préserver l’effet utile des
règles particulières prévues aux articles 6 à 9 de la directive sur les pratiques commerciales
déloyales. En effet, si les conditions d’application de ces articles étaient identiques à celles
énoncées à l’article 5, paragraphe 2, de la même directive, lesdits articles seraient
dépourvus de toute portée pratique, alors même qu’ils ont pour but de protéger le

18
DIEC Première partie C. Noblot

consommateur contre les pratiques commerciales déloyales les plus fréquentes (voir point 40
du présent arrêt).

47 Ladite interprétation est en outre corroborée par la finalité poursuivie par la directive sur
les pratiques commerciales déloyales, consistant à assurer, conformément au considérant 23
de celle-ci, un niveau commun élevé de protection des consommateurs en procédant à une
harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales, y
compris la publicité déloyale, des entreprises à l’égard des consommateurs (voir,
notamment, arrêt Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag, précité, point 27), étant
donné que l’interprétation retenue est de nature à faciliter l’application effective de
l’article 6, paragraphe 1, de cette directive dans un sens favorable aux intérêts des
consommateurs destinataires d’une information fausse figurant dans les brochures
publicitaires diffusées par un professionnel.

48 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la


question posée que la directive sur les pratiques commerciales déloyales doit être interprétée
en ce sens que, dans le cas où une pratique commerciale satisfait à tous les critères énoncés
à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive pour être qualifiée de pratique trompeuse à
l’égard du consommateur, il n’y a pas lieu de vérifier si une telle pratique est également
contraire aux exigences de la diligence professionnelle au sens de l’article 5, paragraphe 2,
sous a), de la même directive pour qu’elle puisse valablement être considérée comme
déloyale et, partant, interdite au titre de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive. »

Un pur civiliste aurait de quoi rester interloqué devant une telle décision,
mais non un juriste sensibilisé à la philosophie du droit européen de la
consommation.

On retrouve l’automaticité de la nullité en cas de violation d’un


formalisme contractuel (comme dans le contrat hors établissement) ou de la
déchéance des intérêts (qui peut toutefois être partielle), dans un contrat de
crédit. Le formalisme abstrait requis pour former le contrat de crédit (« FSE »)
consiste peut-être moins à protéger le consentement qu’à instaurer des
pratiques contractuelles standardisées à l’échelle de l’Union européenne. La
sanction frappera donc tout professionnel qui ne les respecte pas. Sous cet
aspect, le formalisme consumériste présente un caractère qu'on pourrait
qualifier, selon Ph. Stoffel-Munck, de disciplinaire. Ce formalisme sert à policer
le marché de la consommation.

C'est sévère, mais cela est efficace pour standardiser les pratiques et
adapter les documents contractuels aux relations de masse que sont les
relations de consommation.

Sauf cas exceptionnels, les contrats de consommation ne se négocient


pas ; parce que les produits et les services font l'objet d'une distribution
standardisée, il y a intérêt à ce que l’instrumentum et le negocium soient
également standardisés. Le droit du crédit à la consommation et son
formalisme documentaire tatillon se comprennent bien dans cette
perspective. Mais le formalisme s’explique semblablement dans les contrats
hors établissement ou les contrats à distance dans la directive de 2011. Dans
ces contrats, doit figurer un bordereau détachable, pour faciliter la
rétractation. Même si l’absence de ce bordereau n’a concrètement aucune

19
DIEC Première partie C. Noblot

incidence sur le comportement du consommateur, c’est un cas de nullité du


contrat. Encore l’automaticité !

Le droit européen s'intéresse au contrat de consommation dans cet


esprit. Autrement dit, il ne s'intéresse pas au contrat en tant qu'accord
reflétant le particularisme d'une relation interindividuelle concrète. Il le
considère comme l’instrument d'un processus de distribution de masse
qu'orientent les pouvoirs publics et les représentants des catégories
économiques intéressées, secteur par secteur, en vue de dynamiser le
marché.

« Ce droit tient également compte de ce que, au moins pour la


distribution des services et des biens mobiliers, le contrat s'insère dans un
processus décisionnel généralement très rapide, d'enjeu financier limité, et
n'est donc généralement lu par le client qu'en présence d'un incident
d'exécution ultérieur, de sorte que ses clauses sont d'une grande pauvreté en
volonté commune par rapport à ce qui est censé se rencontrer dans la
théorie civiliste du contrat ». C’est un point souligné par Ph. Stoffel-Munck. Le
formalisme disciplinaire ne sert pas tant à informer pour protéger le
consentement d’un contractant qu’à accélérer le processus de formation du
contrat, à gagner du temps (le temps, c’est de l’argent), l’intérêt du
formalisme se révélant après coup, en cas de litige, parfois des années après.

L'ensemble invite à une uniformisation de la documentation, à une


réglementation accrue du contenu de l'acte, à une automaticité des
sanctions et à une orientation résolument pro-consumériste de façon à
favoriser la confiance des clients et à simplifier le règlement des contentieux.

La sanction doit en outre être dissuasive, pour que le calcul coût de la


violation du droit/ avantage de la violation du droit, que font les opérateurs
économiques, ne tourne pas en leur faveur. L’école de Chicago et l’analyse
économique du crime (Becker) est très influente en droit économique.

La directive « Omnibus » UE 2019/2161 du 27 novembre 2019 modifiant


la directive 93/13/CEE et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE en
ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles
de l’Union en matière de protection des consommateurs publiée le 18
décembre 2019 préconise d’ailleurs un renforcement de l’aspect dissuasif des
sanctions, notamment en incitant les Etats membres à assortir de sanctions
civiles (résiliation du contrat, une réduction de prix, et/ou des dommages et
intérêts) les pratiques commerciales déloyales (art 11 bis).

C) Enfin, un droit de la régulation économique comme l’est le droit


européen de la consommation, loin de tout esprit « colbertiste », voue un
culte au commerce, à l’échange, et à la liberté d’entreprendre, qui le
conduit à interdire de poser des interdictions trop générales.

20
DIEC Première partie C. Noblot

La tradition française colbertiste (Colbert fut un Ministre influent de Louis


XIV), tradition de méfiance pour le commerce, avait discrètement pu nourrir
la conception française du droit de la consommation. Elle avait incliné parfois
le législateur à adopter des règles protectrices des consommateurs sous
forme d’interdits généraux, quitte à assortir ces interdits d’exceptions
multiples. Par exemple, en droit français, on avait ce système avec la
prohibition de principe des ventes avec primes, la prohibition des ventes liées
ou la prohibition des loteries publicitaires payantes.
La méthode du droit de l’Union européenne est autre.
A l’interdit général et abstrait formulé dans un principe tenant en une
phrase, est préféré le système de la liste exhaustive d’interdits.
La directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales
déloyales est une bonne illustration de cette philosophie libérale et de son
prolongement méthodologique en droit économique.
En dehors des pratiques précisément décrites en annexe de la
directive, les pouvoirs publics perdent leur pouvoir d’énoncer des interdictions
absolues.
C’est donc la technique de la liste contre celle du principe, ce qui a
conduit aussi à voir essaimer dans le code de la consommation français des
articles extrêmement longs !
La liste en question s’est d’ailleurs un peu allongée avec la directive
« Omnibus » de 2019, qui a ajouté « toute activité de commercialisation
présentant un bien, dans un État membre, comme identique à un bien
commercialisé dans d’autres États membres, alors que ce bien a une
composition ou des caractéristiques sensiblement différentes, à moins que
cela ne soit justifié par des facteurs légitimes et objectifs.» (art 3,3)
Ce souci d’un plus grand libéralisme, renforcé par l’exigence
d’harmonisation totale, a conduit en France à une loi du 17 mai 2011 pour
corriger les textes français concernant la prohibition des loteries, la prohibition
des ventes avec primes et la prohibition des ventes ou prestations de services
liées, pour les mettre au diapason de cette méthode du droit européen de la
consommation.

Il existe ensuite une autonomie du droit économique en général et du


droit de la consommation en particulier, par rapport au droit civil

§2) L’autonomie du droit européen de la consommation


par rapport aux droits civils nationaux
Entre droit économique et droit civil, les rapports sont complexes :
d’influence réciproque, de complémentarité, etc. Mais, il existe aussi, à
certains égards, une possible et souhaitable autonomie des notions du droit
économique, inhérente à la différence de philosophie entre ces deux
matières.

21
DIEC Première partie C. Noblot

Célèbre à cet égard est l’exemple du concept « d’entreprise ». La


logique individualiste du droit civil conduit à ne reconnaître l’entreprise qu’à
travers une personne physique ou morale déterminée. Le droit de la
concurrence conduit à une approche différente, fondée sur la continuité de
l’entité économique, et permet de faire peser une sanction sur le repreneur
d’une entreprise n’ayant pourtant pas commis l’entente (v. CJUE, 14 mars
2019, aff. C-724/17 ; A Constans, JCP Entreprise et Affaires n° 24, 13 Juin 2019,
1286)

Evocateur est aussi l’exemple de la notion de « service ».

L’interprétation qu’il convient de donner à cette notion diffère en droit


civil et en droit de la consommation.

A) L’exemple de la notion de service en droit civiI

Dans le Code civil français, il y a une définition conceptuelle de la


« prestation de service », c’est-à-dire que cette notion est définie une fois
pour toutes à partir de critères précis. Elle repose sur le critère du travail
indépendant.
Dans cette conception civiliste du service, le contrat de bail ne
s’analyse pas en une « fourniture de service ». L’interprétation stricte donnée
de la notion de service dans le contexte de la détermination du prix qui est
celui de l’article 1165 du Code civil (« contrat de prestation de service »),
n’est pas forcément adaptée dans un autre contexte. Que le bail soit exclu
du champ des « contrats de prestation de service » au sens de l’article 1165
du Code civil se comprend fort bien. C’est que, comme pour le prix dans la
vente isolée, il n’y a aucune raison d’admettre que le loyer (prix) ne soit pas
déterminé par accord des parties lors de la formation du contrat de bail.

B) L’exemple de la notion de service en droit européen de la


consommation

En droit économique, la notion de service est différente.


Il s’agit là d’une terminologie englobante et davantage économique
que juridique, qui désigne tout avantage appréciable en argent (ouvrage,
travaux, conseil, etc.) autre que procédant de la fourniture de produits en
pleine propriété.
En outre en droit économique, la notion de service n’est pas
conceptuelle mais fonctionnelle.
Selon le doyen Vedel, les notions fonctionnelles procèdent
« directement d’une fonction qui leur confère seule une véritable unité ». Les
notions fonctionnelles ne peuvent pas être définies a priori. Elles se définissent
par rapport au « besoin » auquel elles répondent. Remplissant une fonction

22
DIEC Première partie C. Noblot

dans un contexte donné, c’est alors le contexte et le but de la règle dans


lesquels la notion est employée qui doivent en guider le sens.
Le droit européen de la consommation adopte l’approche
fonctionnelle et souple de la notion de service.
Le mode d’interprétation téléologique est d’ailleurs privilégié par la
jurisprudence communautaire en général, la CJUE affirmant souvent que les
notions doivent se définir en se référant aux objectifs des règlements ou
directives, en vue de leur assurer une pleine efficacité.
C’est ainsi que la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre
2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose en
son article 24, qu’est « considérée comme “prestation de services” toute
opération qui ne constitue pas une livraison de biens ».
Autre texte, autre notion : la directive n° 2006/123/CE du 12 décembre
2006 relative aux services dans le marché intérieur définit le service comme
« toute activité économique non salariée, exercée normalement contre
rémunération, visée à l’article 50 du traité ».
En ce sens, l’activité de commerce de détail de produits constitue un
« service ». Au nom de l’interprétation finaliste, la Cour de justice de l’Union
européenne a considéré que « l’article 3, paragraphe 2, de la directive
n° 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 1997,
concernant la protection des consommateurs en matière de contrats à
distance, doit être interprété en ce sens que la notion de “contrats de
fourniture de services de transports” inclut les contrats de fourniture de
services de location de voitures ».
Dans l’étude qu’il a consacrée à la notion de fourniture de service au
sens de l’article 5-1, b), du règlement Bruxelles I, Pierre Berlioz a pu insister sur
le fait « qu’il n’existe pas de différence de nature entre la mise à disposition
d’une chose et l’exécution d’un travail » (Berlioz P., « La notion de fourniture
de services au sens de l’article 5-1, b), du règlement Bruxelles 1 », JDI 2008,
doctr. 6. Ce texte se retrouve à l’article 7, § 1, du règlement n° 1215/2012
Bruxelles I bis, Contra Cayol A., « La fourniture de services au sens de
l’article 5-1 b du règlement Bruxelles 1 : de nouvelles précisions », JCP E 2010,
2009, spéc. nos 13-16. Exprimant la tendance à considérer la notion de
service comme de nature conceptuelle, et donc comme devant être définie
précisément une fois pour toutes, l’auteur considère qu’« un travail humain
est nécessaire à l’existence du service »), pour mieux suggérer, à la fin de son
étude, une définition ad hoc adaptée aux objectifs assignés à cet instrument
juridique de coordination : « toute opération ayant pour finalité
l’accomplissement par une personne, au profit d’une autre, d’un acte, positif
ou non, à titre onéreux ou non ».
Le bail y entre, parce qu’il n’y a aucune raison de l’y soustraire ici, sauf
pour le cas particulier du bail d’immeuble, qui est spécialement réglé plus loin
(art 22, § 1, devenu art. 24, § 1). Il serait, dans cet autre compartiment précis
de l’ordre juridique, regrettable de s’en tenir à une conception de la
fourniture du service arc-boutée sur l’exigence d’un travail du débiteur
comme c’est le cas en droit civil.

23
DIEC Première partie C. Noblot

Dans le même sens, Carole Aubert de Vincelles (in Éclairage européen


sur la banalisation de la notion de « service » en droit de la consommation. À
propos de la modification du champ d’application de l’action de groupe
par la loi ELAN, D. 2019, p. 548) signale que « le double objectif poursuivi de la
réalisation du marché intérieur et de la protection des consommateurs ne
peut être atteint que si le champ d'application est interprété largement, ce
que la Cour de justice réalise notion après notion. Dès lors qu'un contrat n'est
pas expressément exclu, sachant que l'interprétation de toute exclusion en
matière de consommation doit être restrictive, il doit être inclus dans l'intérêt
des consommateurs, quelle que soit la qualification nationale. Il faut dès lors
en conclure que toutes les règles de protection des consommateurs issues du
droit européen doivent s'appliquer au bail, qu'il soit mobilier ou immobilier,
sauf exclusion expresse. La perspective européenne du droit de la
consommation conduit donc à renouveler la lecture du droit français de la
consommation pour en tirer certaines conséquences ».

On voit ainsi que mieux connaître la philosophie du droit européen de


la consommation, mieux considérer son éloignement du droit civil, n’est pas
sans répercussions herméneutiques.

Pour avoir une vision générale de la matière, il est aussi nécessaire de


prendre connaissance des sources du droit européen de la consommation.

Chapitre 2) Les sources du droit européen de la


consommation

Les sources du droit européen de la consommation dominent


aujourd’hui fortement les droits nationaux européens. Plus de 75 % du droit
français de la consommation est d’origine européenne.

L’émergence du droit européen de la consommation repose sur une série d’étapes


dont les principales sont les suivantes.
La première a été une résolution du 14 avril 1975 concernant un programme
préliminaire de la communauté économique européenne pour une politique de protection
et d’information des consommateurs. S’y trouvent énoncés des droits fondamentaux du
consommateur (protection de la santé, de sa sécurité, de ses intérêts économiques, droit à
l’information, à l’éducation, à la représentation).
La deuxième est l’arrêt CJCE du 20 février 1979, Cassis de Dijon. La défense des
consommateurs est visée, à côté de la santé publique et de la loyauté des transactions
commerciales, en tant que motif permettant aux Etats de poser des législations nationales
faisant obstacle à la circulation intracommunautaire des produits. Aucun de ces motifs ne fut
cependant caractérisé en l’espèce pour une loi ouest-allemande qui exigeait une teneur
minimale en alcool (25°) pour diverses catégories de boissons, dont la liqueur de cassis de
Dijon qui en contient à un degré s’élevant entre 15 et 20. La Cour envoyait aussi un message
au législateur communautaire en relevant qu’en « vertu des articles 3,alinéa h), et 100 du
traité (auj 114 TUE), les entraves au commerce qui en résultent devraient être réduites par un
recours à la procédure du rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des États membres qui ont une incidence directe sur l'établissement ou le
fonctionnement du marché commun ». Message reçu : sur le fondement de l’article 100,

24
DIEC Première partie C. Noblot

furent adoptées une directive 84/450/CEE en matière de protection des consommateurs


contre la publicité trompeuse et une directive 85/577/CEE du 20 décembre 1985 relative aux
« contrats négociés en dehors des établissements commerciaux ».
Troisième étape : le Traité de Maastricht du 7 février 1992 comporte un TITRE XI intitulé
« Protection des consommateurs » et son unique article 129 A prévoit notamment que « La
Communauté contribue à la réalisation d'un niveau élevé de protection des consommateurs
par :a) des mesures qu'elle adopte en application de l'article 100 A dans le cadre de la
réalisation du marché intérieur ; b) des actions spécifiques qui appuient et complètent la
politique menée par les États membres en vue de protéger la santé, la sécurité et les intérêts
économiques des consommateurs et de leur assurer une information adéquate.

De nos jours, la compétence partagée3 de l’Union pour édicter des


règles en matière de droit de la consommation est prévue par les articles 4 f)
et 169 du TFUE (Titre XV). A la protection de la santé, de la sécurité et des
intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur
droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs
intérêts, l’Union contribue de deux façons :
d’une part par des mesures qu'elle adopte en application de l'article
114 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur
et d’autre part par des mesures qui appuient et complètent la politique
menée par les États membres, et en assurent le suivi.
L’article 12 TFUE précise enfin que « Les exigences de la protection des
consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en
œuvre des autres politiques et actions de l'Union ».
L’article 38 de la Charte européenne des droits fondamentaux répète
l’objectif visé à l’article 169 TFUE : atteindre un « niveau élevé de protection
des consommateurs »4.
3
L’intégration européenne implique des transferts de compétences par les Etats membres de l’Union. En matière
de droit de la consommation, ce transfert n’est pas total mais partiel ; d’où l’expression « compétence partagée ».
4
En théorie, si cet objectif n’est pas respecté par une norme adoptée par législateur européen, un recours en
annulation de cette dernière est ouvert aux Etats membres, à la Commission, au Parlement européen et au
Conseil, sur le fondement de l’article 263 TFUE. Mais la CJUE conserve la main sur l’interprétation de cette
expression vague, qui n’implique pas de prendre en compte le niveau le plus élevé existant dans un Etat membre,
mais le contexte de l’espèce, lui-même apprécié par la Cour (v. CJCE, 13 mai 1997, RFA c Parlement européen
et Conseil de l’Union, aff 233/94. Extraits : « 46 Le gouvernement fédéral souligne que, en application de
l'article 3, sous s), du traité, la protection des consommateurs est un objectif contraignant de la Communauté et
que, avec l'article 129 A, un titre spécifique «Protection des consommateurs» a été ajouté au traité. Par ailleurs, il
résulterait également des premier et seizième considérants de la directive [94/19/CE relative aux systèmes de
garantie des dépôts] que cette dernière vise à accroître la protection des épargnants, laquelle serait d'autant plus
importante que le montant de la garantie est élevé. 47 Or, selon le gouvernement allemand, l'«interdiction
d'exportation», édictée par l'article 4, paragraphe 1,deuxième alinéa, désavantagerait non seulement les
épargnants d'un État membre dans lequel la couverture est minimale et qui ont des dépôts dans une succursale
d'un établissement de crédit agréé dans un État membre exigeant un niveau de protection élevé, mais aussi les
épargnants qui détiennent des dépôts dans un État membre à niveau de protection élevé et qui souhaitent les
transférer à une succursale dans un État membre où la protection est moindre. Dès lors, la disposition précitée
serait contraire à l'objectif du traité. 48 A cet égard, il suffit de constater que si la protection des consommateurs
constitue l'un des objectifs de la Communauté, elle n'en est évidemment pas le seul. Il a déjà été exposé à cet
égard que la directive vise à promouvoir la liberté d'établissement et la libre prestation de services dans le secteur
bancaire. Certes, ces libertés doivent être accompagnées d'un niveau de protection des consommateurs élevé
dans la Communauté; aucune disposition du traité n'oblige cependant le législateur communautaire à entériner le
niveau de protection le plus élevé qui puisse être rencontré dans un État membre déterminé. La réduction du
niveau de protection qui peut dès lors se produire dans certains cas, par application de l'article 4, paragraphe,1,
deuxième alinéa, de la directive, ne met pas en cause le résultat général que la directive vise à atteindre
,consistant à améliorer sensiblement la protection des déposants à l'intérieur de la Communauté (…) »).

25
DIEC Première partie C. Noblot

Les sources du droit européen de la consommation jaillissent de la


plume du législateur européen (Section 1) et de celle du juge européen
(Section 2).

Section 1) Le législateur européen

Les choix législatifs européens s'ordonnent principalement autour de la


directive et du règlement.

§1) Les directives


« La directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à
atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la
forme et aux moyens » (TFUE, art. 288).
Par exemple, la directive 93/13 sur les clauses abusives précise
l’objectif : les clauses abusives ne lient pas les consommateurs (art. 6). Le droit
français a choisi comme moyen la technique du « réputé non écrit »5 pour
atteindre cet objectif, le droit belge la nullité6, le droit luxembourgeois les
deux en même temps7.
Au point 39 de son arrêt Banca B SA du 25 novembre 2020 (aff. 269/19),
la CJUE a rappelé que « la directive 93/13 ne vise pas à préconiser des solutions
uniformes en ce qui concerne les conséquences à tirer de la constatation du caractère
abusif d’une clause contractuelle. Ainsi, dans la mesure où, en application de l’article 6,
paragraphe 1, de la directive 93/13, les clauses abusives ne sauraient lier les consommateurs,
ces objectifs ont pu être réalisés, selon le cas et le cadre juridique national, par la simple non-
application à l’égard du consommateur de la clause abusive concernée ou, lorsque le
contrat n’aurait pas pu subsister sans cette clause, par la substitution de celle-ci par des
dispositions de droit national à caractère supplétif ».

La politique consumériste européenne reste majoritairement construite


à partir de directives, celles-ci étant les instruments idéaux de l'harmonisation
des droits nationaux.
Après un bref rappel de l’intérêt du recours aux directives (A), nous
dresserons la liste des principales directives (B). Enfin, nous aborderons le
fameux passage de l’harmonisation minimale à l’harmonisation totale qui
caractérise l’évolution du droit européen de la consommation (C).

A) Rappel : l'intérêt du recours aux directives en termes


d’intégration

Le choix d'une harmonisation par directive présente deux avantages


du point de vue de l’intégration du droit européen dans le droit national.
5
art. L. 241-1 du code de la consommation français.
6
art. VI. 84 du Code de droit économique belge.
7
art. L. 211-2 du Code de la consommation luxembourgeois.

26
DIEC Première partie C. Noblot

Il permet, d'abord, en théorie, de ménager les sensibilités culturelles et


juridiques nationales, dans la mesure où l’harmonisation laisse une marge de
liberté aux États par le biais de la transposition, permettant d'instiller par ce
biais des éléments de culture nationale.
Par ailleurs, les directives ont l'intérêt de modifier les droits nationaux de
l'intérieur, par les États membres eux-mêmes. L'action des États est donc
sollicitée deux fois, pour l'adoption de la directive européenne (phase
politique), et pour la transposition de la directive (phase juridique).

B) La liste des principales directives en droit européen de la


consommation

1) En ce qui concerne la sécurité des consommateurs, on peut citer la


directive du 25 juillet 1985 sur la « responsabilité du fait des produits
défectueux » et la directive sur la « sécurité générale des produits » dans sa
version 2001/95/CE du 3 décembre 2001 (D. 2001/95/CE). La première
concerne le volet compensatoire ou indemnitaire et la seconde le volet
préventif de la sécurité.

2) En ce qui concerne la protection des intérêts économiques des


consommateurs, notamment dans leurs relations contractuelles avec les
professionnels, les directives sont très nombreuses :

-directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales


déloyales. Elle vient d’emblée à l’esprit car c’est celle que le législateur
français a eu le plus de mal à transposer ! C’est une pièce maîtresse de
l’ordre juridique consumériste européen.

-Les autres directives sont souvent des directives contractuelles.


Parmi celles-ci, la plupart sont sectorielles, et appelées « verticales », en
ce qu’elles sont applicables à un secteur contractuel déterminé et ciblé :
-85/577/CEE du 20 décembre 1985 relative aux « contrats négociés en
dehors des établissements commerciaux » (JOCE n° L 372, 31 déc. 1985,
p. 31),
-87/102/CEE du 22 décembre 1986 sur le crédit à la consommation
(JOCE n° L 42, 1er févr. 1987, p. 48),
-90/314/CEE du 13 juin 1990 relative aux « voyages, vacances et circuits
à forfait » (JOCE n° L 158, 23 juin 1990, p. 59),
-94/47/CE du 26 octobre 1994 « concernant la protection des
acquéreurs pour certains aspects des contrats portant sur l'acquisition d'un
droit d'utilisation à temps partiel de biens immobiliers » (JOCE n° L 280, 29 oct.
1994, p. 83),
-97/7/CE du 20 mai 1997 sur les « contrats à distance » (JOCE n° L 144,
4 juin 1997, p. 19),
-99/44/CE du 25 mai 1999 sur « certains aspects de la vente et des
garanties des biens de consommation » (JOCE n° L 171, 7 juill. 1999, p. 12),

27
DIEC Première partie C. Noblot

-2002/65/CE du 23 septembre 2002 sur les « services financiers » (JOCE


n° L 271, 9 oct. 2002, p. 16),
-2008/48/CE du 23 avril 2008 concernant les « contrats de crédit aux
consommateurs » (JOUE n° L 133, 22 mai 2008, p. 66) et abrogeant la directive
87/102/CEE,
-2008/122/CE du 14 janvier 2009 relative à « la protection des
consommateurs en ce qui concerne certains aspects des contrats d'utilisation
de biens à temps partagé, des contrats de produits de vacances à long
terme et des contrats de revente et d'échange » (JOUE n° L 33, 3 févr. 2009,
p. 10), abrogeant la directive 94/47/CE,
-2014/17/UE du 4 février 2014 « sur les contrats de crédit aux
consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel » (JOUE n° L
60, 28 févr. 2014, p. 34), et (UE)
-2015/2302 du 25 novembre 2015 relative « aux voyages à forfait et aux
prestations de voyage liées » abrogeant la directive 90/314/CEE (JOUE n° L
326, 11 déc. 2015, p. 1).

D’autres directives contractuelles sont dites « horizontales », en ce


qu’elles rayonnent de manière transversale sur un ensemble indéterminé de
relations contractuelles de consommation.
-93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives (JOCE n° L 95, 21 avr.
1993, p. 29),
-98/6/CE du 16 février 1998 sur l'indication des prix (JOCE n° L 80,
18 mars 1998, p. 27), celle-ci a été réformée par la directive 2019/2161 du 27 novembre
2019, de manière à ce que le nouvel article 6 bis de la directive 98/6/CE impose que « toute
annonce d'une réduction de prix indique le prix antérieur appliqué par le professionnel »,
c'est-à-dire « le prix le plus bas appliqué par le professionnel au cours d'une période qui n'est
pas inférieure à trente jours avant l'application de la réduction de prix ». Cette solution
s'avère assez proche de l'ancien arrêté français du 31 décembre 2008 relatif aux annonces
de réduction de prix à l'égard du consommateur (mod. A. 11 mars 2015) dont les dispositions
avaient été jugées contraires à la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales au
nom de son harmonisation maximale, cette directive n’ayant pas prévu ce cas dans son
annexe (CJUE, 10 juill. 2014, aff. C-421/12, Commission c/ Belgique : JurisData n° 2014-019623 ;
RTD eur. 2014, p. 730, n° 7, obs. C. Aubert de Vincelles ; Europe 2014, comm. 412, obs.
M. Meister ; Contrats, conc. consom. 2015, chron 2, obs. C. Aubert de Vincelles. – CJUE, ord.,
8 sept. 2015, aff. C-13/15, Cdiscount : AJCA 2015, p. 479, obs. C. Pecnard ; D. 2016, p. 617,
obs. NSB. )
-2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux « droits des
consommateurs » (JOUE n° L 304, 22 nov. 2011, p. 64), abrogeant les directives
85/577/CEE et 97/7/CE,
Cette directive de 2011 est horizontale par la transversalité de son
obligation générale d'information et l'unification du régime des contrats à
distance et conclus hors établissement qu'elle a entraînée. Cette directive a
été adoptée après avoir constaté que la segmentation de la législation
européenne avait conduit à des incohérences, des redondances et des
contradictions entre les différentes directives qui pouvaient, parfois, avoir un
champ d'application commun (pour le relevé de certaines incohérences,
V. Communication de la Commission, 12 févr. 2003, COM(2003) 68 final,
pt 16). Considérant que la « fragmentation des règles européennes et

28
DIEC Première partie C. Noblot

nationales en matière de protection du consommateur empêche le bon


fonctionnement du marché intérieur pour les transactions entre entreprises et
consommateurs » (COM(2002) 289 final, § 1.1, p. 3), la Commission
européenne s’est alors orientée vers un instrument nouveau d'harmonisation,
horizontal et non plus sectoriel, de manière à rendre plus cohérent le droit
contractuel européen. Ainsi naquit la directive 2011/83/UE.

En 2019, d’importantes directives réformatrices ont été adoptées :

-2019/771 du 20 mai 2019, relative à certains aspects concernant les


contrats de vente de biens, modifiant le règlement (UE) 2017/2394 et la
directive 2009/22/CE et abrogeant la directive 1999/44/CE
-2019/770 du 20 mai 2019, relative à certains aspects concernant les
contrats de fourniture de contenus numériques et de services numériques
Ces deux directives doivent être transposées avant le 1er juillet 2021,
pour une application à compter du 1er janvier 2022.

Pourquoi ces réformes récentes ? La directive du 25 mai 1999 était


cantonnée aux objets mobiliers corporels et avait laissé de côté les contenus
numériques fournis sans supports matériels (type VOD, ou téléchargement).
L’adaptation de la notion de conformité au monde numérique était devenue
nécessaire. Il fallait prendre en compte les attentes des consommateurs
notamment en termes de fonctionnalité, de compatibilité, et
d’interopérabilité. Ces notions sont désormais définies clairement et assorties
d’un régime dans chaque directive (2019/770 et 2019/771).

Cohabiteront ainsi bientôt deux régimes distincts concernant la


garantie de conformité, celui issu de la directive « vente » 2019/771 et celui
issu de la directive « numérique » 2019/770. Avec des difficultés d’articulation
à prévoir. La directive « vente » s’appliquera aux biens intégrant du contenu
numérique en vertu d’une assimilation de tels biens à des biens corporels
traditionnels (objets connectés ou utilisant des logiciels intégrés). Ex : une
montre connectée.

[5)«bien»:
a)tout objet mobilier corporel; l’eau, le gaz et l’électricité doivent être
considérés comme des biens au sens de la présente directive lorsqu’ils
sont conditionnés dans un volume délimité ou en quantité déterminée;
b)tout objet mobilier corporel qui intègre un contenu numérique ou un
service numérique ou est interconnecté avec un tel contenu ou un tel
service d’une manière telle que l’absence de ce contenu numérique ou
de ce service numérique empêcherait ce bien de remplir ses fonctions
(«bien comportant des éléments numériques»);
v aussi art 3.3]

29
DIEC Première partie C. Noblot

Mais si le bien est le seul véhicule du contenu numérique embarqué (tel


un CD ou un DVD), c’est la directive « contenus et service numérique » qui
s’appliquera à ce bien (v. art 2.5 D 2019/771 et 3.4 D. 2019/770).

-Dernièrement, a enfin été adoptée, dans la perspective du « New Deal


for consumers » (le marketing politique existe aussi chez le législateur
européen…), la directive « omnibus » Cons. UE, dir. (UE) 2019/2161, du 27 nov.
2019 modifiant la directive 93/13/CEE et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et
2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une
meilleure application et une modernisation des règles de l'Union en matière
de protection des consommateurs.

Quatre directives horizontales ont ainsi été modifiées : celle sur les
pratiques commerciales déloyales, celle sur les droits des consommateurs,
celle sur les clauses abusives et celle sur le prix.

Sabine Bernheim-Desvaux résume ainsi l’apport de la directive Omnibus


à la revue CCC de février 2020, com. 33 : « Afin de mieux appliquer les règles
existantes et les adapter à l'ère du numérique, les États membres devront
veiller à mettre en place des sanctions plus efficaces, proportionnées,
dissuasives et harmonisées afin de lutter efficacement contre les infractions
transfrontières et généralisés. Dans chacune des quatre directives modifiées
est inséré un nouvel article relatif aux sanctions répressives selon lequel, d'une
part, les États membres déterminent le régime des sanctions applicables en
tenant compte de plusieurs critères indicatifs (nature et gravité de l'infraction,
récidive du professionnel, avantage obtenu ou perte évitée par le
professionnel, etc.) et, d'autre part, le montant maximal des amendes est fixé
à au moins 4 % du chiffre d'affaires annuel du professionnel dans l'État ou les
États concernés, et à au moins deux millions d'euros en l'absence
d'information sur le chiffre d'affaires (ce deuxième point ne figure pas pour la
directive 98/6/CE). En cas de pratiques commerciales déloyales, les États
membres devront également envisager des recours individuels pour les
consommateurs leur permettant d'obtenir la résiliation du contrat, une
réduction de prix, et/ou des dommages et intérêts. En outre, est renforcée la
transparence à l'égard des consommateurs lors de leurs achats en ligne sur
les places de marché et via les sites comparateurs. Elle prévoit enfin
l'extension de la directive de 2011 aux contrats de fourniture de services
numériques (stockage en nuage, réseaux sociaux, compte de courrier
électronique) et aux contrats de fourniture de contenu numérique (fichier
audio, vidéos, etc.) contre les données personnelles du consommateur, en
considérant que ces contrats ne sont pas gratuits et que le consommateur
doit avoir les mêmes droits à l'information précontractuelle et à la rétractation
de son contrat. Elle devra être transposée au plus tard le 28 novembre 2021,
pour une application à compter du 28 mai 2022 ».

3) À ces directives relatives au droit substantiel de la consommation,


s'ajoutent des directives relatives au droit processuel de la consommation

30
DIEC Première partie C. Noblot

Elles visent à prévoir des actions pour la défense des droits des
consommateurs, individuels ou collectifs, dans les litiges, notamment
transfrontaliers les opposants aux professionnels.
-directive 98/27/CE du 19 mai 1998 relative aux « actions en cessation »
(JOCE n° L 166, 11 juin 1998, p. 51) abrogée et remplacée par la directive
2009/22/CE du 23 avril 2009,
- directive 2013/11/UE adoptée le 21 mai 2013 relative aux règlements
extrajudiciaires des litiges de consommation (JOUE n° L 165, 18 juin 2013,
p. 63)
-directive 2020/1828/UE du Parlement européen et du conseil du 25
nov. 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts
collectifs des consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE. Le
champ d’application de la directive est particulièrement vaste puisqu’il
couvre les actions en cessation et en réparation (action de groupe) à
l’encontre des infractions aux droits des consommateurs dans des domaines
variés visés dans son annexe 1, tels que le droit de la consommation, la
protection des données, les services financiers, le transport aérien et
ferroviaire, le tourisme, l’énergie, les télécommunications, l’environnement ou
encore la santé (consid. 13, art. 2).

C) Evolution : de l’harmonisation minimale à l’harmonisation totale

L’article 169 TFUE énonce que l’Union contribue à la réalisation des


objectifs de protection des consommateurs par deux sortes de mesures :
-celles adoptées en application de l’article 114 dans le cadre de la
réalisation du marché intérieur d’une part (objectif est alors d’ordre
économique et concurrentiel) ;
-celles qui appuient et complètent la politique menée par les États
membres, et en assurent le suivi d’autre part, étant précisé que ces mesures-
là ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d’établir des
mesures de protection plus strictes.
A la différence de celles de l’autre catégorie, les directives adoptées
sur le fondement de l’article 114 peuvent éventuellement exiger une
harmonisation totale, interdisant alors aux Etats tout écart (en plus ou en
moins) dans leurs textes de transposition. Or, la plupart des directives actuelles
de droit de la consommation sont adoptées sur le fondement de l’article114.

Jusqu’aux années 2000, les directives étaient pour la plupart


d’harmonisation minimale (ex. directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984
relative à la publicité trompeuse ; Dir. du 85/577/CEE sur les contrats négociés
en dehors des établissements commerciaux ; Dir. 93/13/CE du 5 avril 1993 sur
les clauses abusives ; Dir. 97/7/CE du 20 mai 1997 en matière de contrats à
distance ; Dir. 1999/44/CE du 25 mai 1999 sur certains aspects de la vente et
de la garantie des biens de consommation).

31
DIEC Première partie C. Noblot

Il s’agissait d’établir une sorte d’ordre public minimum. Les directives


mentionnaient ainsi que les Etats étaient libres d’adopter des dispositions
visant à ménager une protection plus étendue aux consommateurs via des
dispositions plus favorables.
Il s’agissait bien alors d’harmonisation puisque l’harmonisation suppose
le maintien de différences entre les droits nationaux et un simple
rapprochement, une simple convergence de ceux-ci autour de principes
communs. L’harmonisation n’est pas l’uniformisation.

Cette politique de rapprochement a fini par paraître insuffisante pour


parvenir au résultat souhaité, à savoir la réalisation du marché intérieur.

C’est à partir des années 2000 et singulièrement de décisions rendues


par la CJCE le 25 avril 2002 (CJCE, aff. C-52/00, Commission c. France), dans
le secteur de la responsabilité du fait des produits défectueux, que le
phénomène d’harmonisation maximale s’est mis en place.
La directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits
défectueux ne précisait pas le degré d’harmonisation qui était le sien. La
cour de justice a donc eu à se prononcer sur ce point relatif à la marge de
liberté laissée aux Etats pour transposer cette directive. Or la cour s’est
prononcée dans le sens de l’harmonisation maximale, interdisant (sur la base
de l’art. 13 de la directive en question) ainsi aux Etats membres de maintenir
un régime général de responsabilité du fait des produits défectueux fondé sur
l’obligation de sécurité différent de celui prévu par la directive.
La cour, dans son raisonnement, expliquait d’abord qu’à la différence
d’autres directives comme celle sur les clauses abusives, celle sur la
responsabilité des produits défectueux ne contenait aucune disposition
autorisant explicitement les Etats membres à adopter ou à maintenir, sur les
questions qu’elle règle, des dispositions plus strictes pour assurer un niveau de
protection plus élevée au consommateur.
Elle expliquait ensuite que l’établissement d’un régime de responsabilité
civile harmonisée des producteurs entendait assurer une concurrence non
faussée entre les opérateurs économiques, faciliter la libre circulation des
marchandises et éviter les différences dans le niveau de protection des
consommateurs.

Désormais donc, dans le silence de la directive, l’harmonisation doit


être totale.

Par la suite les instances européennes ont privilégié les directives


d’harmonisation maximale. Ainsi de la directive 2002/65 du 23 septembre
2002 sur la commercialisation en ligne des services financiers aux
consommateurs qui consacre ce changement d’orientation (et sur les
conséquences de cette harmonisation maximale, v. CJUE, 11 sept. 2019, aff.
C-143/18, Romano, pt 34 et s.). Il en sera de même avec la dir. du 11 mai 2005
sur les pratiques commerciales déloyales, ou avec les directives du 23 avril

32
DIEC Première partie C. Noblot

2008 sur le crédit à la consommation et du 25 octobre 2011 relative aux droits


des consommateurs, etc.
Ce n’est donc plus tant d’harmonisation que d’uniformisation ou
d’unification des droits nationaux que l’on devrait parler, car transposer
signifie alors pratiquement faire des copier-coller.

Parfois, l’harmonisation totale exigée est ciblée, c’est-à-dire que sur des
points où la directive l’admet spécifiquement, un droit national peut être plus
protecteur que la directive.

Ex. D. 2019/771 (DIRECTIVE (UE) 2019/771 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du


20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les contrats de vente de biens, modifiant
le règlement (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE et abrogeant la directive 1999/44/CE))

« Article 4

Niveau d’harmonisation

Les États membres ne maintiennent ni n’introduisent dans leur droit national des dispositions
divergeant de celles établies par la présente directive, y compris des dispositions plus strictes
ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des consommateurs, sauf
disposition contraire prévue dans la présente directive ».

Ex. art 10 sur durée du délai de garantie

1. Le vendeur répond vis-à-vis du consommateur de tout défaut de conformité qui existe au


moment de la livraison du bien et qui apparaît dans un délai de deux ans à compter de ce
moment. Sans préjudice de l’article 7, paragraphe 3, le présent paragraphe s’applique
également aux biens comportant des éléments numériques.

2. Dans le cas de biens comportant des éléments numériques, lorsque le contrat de vente
prévoit la fourniture continue du contenu numérique ou du service numérique pendant une
certaine période, le vendeur répond également de tout défaut de conformité du contenu
numérique ou du service numérique qui survient ou apparaît dans un délai de deux ans à
compter du moment où les biens comportant des éléments numériques ont été livrés.
Lorsque le contrat prévoit une fourniture continue pendant plus de deux ans, le vendeur
répond de tout défaut de conformité du contenu numérique ou du service numérique qui
survient ou apparaît au cours de la période durant laquelle le contenu numérique ou le
service numérique est fourni en vertu du contrat de vente.

3. Les États membres peuvent maintenir ou introduire des délais plus longs que ceux visés
aux paragraphes 1 et 2.

Art. 11 : sur la présomption idem :

Charge de la preuve

1. Tout défaut de conformité qui apparaît dans un délai d’un an à compter du moment où
les biens ont été livrés est présumé avoir existé au moment de la livraison des biens, sauf
preuve du contraire ou à moins que cette présomption ne soit incompatible avec la nature
des biens ou la nature du défaut de conformité. Le présent paragraphe s’applique
également aux biens comportant des éléments numériques.

33
DIEC Première partie C. Noblot

2. Au lieu du délai d’un an prévu au paragraphe 1, les États membres peuvent maintenir ou
introduire un délai de deux ans à compter du moment où les biens ont été livrés.

Cela étant, il ne s’agit que d’une tendance lourde, mais il arrive qu’une
directive moderne soit expressément considérée comme d’harmonisation
minimale, à l’exemple de la directive 2013/11/UE adoptée le 21 mai 2013
relative aux règlements extrajudiciaires des litiges de consommation.
Il existe aussi la figure de « l’harmonisation minimale ciblée », selon la
formule d’Elise Poillot, comme l’illustre la Directive 2014/17/UE du 4 fév 2014
sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers (art
2), qui n’exige l’harmonisation totale que sur certains points précis : fiche
d’information standardisée européenne « FISE » et norme de calcul du taux
annuel effectif global « TAEG »).

§2) Les règlements


« Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses
éléments et il est directement applicable dans tout État membre » (art 288
TFUE).
Les règlements européens s’imposent non seulement aux Etats mais
aussi aux citoyens. Un règlement communautaire doit être considéré comme
une disposition de droit national et sa violation doit être sanctionnée de la
même façon.

En droit de la consommation, les règlements ont essentiellement deux


objets.

Le premier concerne l’intégration et la bonne réalisation du marché


intérieur, la coopération nécessaire entre autorités européennes et nationales
dans la mise en place du droit européen de la consommation.

La seconde fonction est la protection des consommateurs et rejoint par


là la préoccupation des directives examinées ci-dessus.

A) L’intégration

Le règlement UE 2017/2394 du 12 décembre 2017 (abrogeant celui


portant le n° 2006/2004) concerne la coopération entre les autorités
nationales et la commission européenne que requiert l’application de la
législation en matière de protection des consommateurs. Il pose des règles
procédurales et organisationnelles.
Il est entré en vigueur le 17 janvier 2018 et a été retouché par la
directive 2019/771 du 20 mai 2019 relative à certains aspects concernant les
contrats de vente de biens. Son but est d'améliorer la coordination des
actions de coopération des entités nationales de protection des
consommateurs entre elles et vis-à-vis de la Commission, assurée par des
34
DIEC Première partie C. Noblot

bureaux de liaison uniques (en France la DGCCRF), en élargissant


notamment les pouvoirs minimaux de ces entités (faculté de procéder à des
achats tests et des évaluations mystères, pouvoir d'arrêter des mesures
provisoires, de bloquer des sites web, pouvoir d'infliger des sanctions et
d'assurer l'indemnisation des consommateurs).
Il modernise le système d'alertes existant en matière de produits en
instituant un échange plus vaste d'informations et place sous la coordination
de la Commission les actions de surveillance et d'enquête relatives aux
infractions de grande ampleur8.

Sont notamment évoquées les : «opérations “coup de balai”», art. 3.16)


une enquête concertée sur les marchés de consommation au moyen
d’actions de contrôle coordonnées et simultanées pour contrôler le respect
des dispositions du droit de l’Union en matière de protection des intérêts des
consommateurs ou déceler les infractions auxdites dispositions.

Cons. 37 : « Les opérations «coup de balai» constituent une autre forme


de coordination du contrôle de l’application de la législation qui a prouvé
son efficacité contre les infractions aux dispositions du droit de l’Union en
matière de protection des intérêts des consommateurs et qui devrait être

8Art. 3
2)«infraction interne à l’Union», tout acte ou omission contraire aux dispositions du droit de
l’Union en matière de protection des intérêts des consommateurs, qui a porté, porte ou est
susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs résidant dans un
État membre autre que celui:
a) où l’acte ou l’omission en question a son origine ou a eu lieu;
b)sur le territoire duquel le professionnel responsable de l’acte ou de l’omission est établi;
ou
c)dans lequel se trouvent des éléments de preuve ou des actifs du professionnel en rapport
avec l’acte ou l’omission;
3)«infraction de grande ampleur»,
a)tout acte ou omission contraire aux dispositions du droit de l’Union en matière de
protection des intérêts des consommateurs, qui a porté, porte ou est susceptible de
porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs résidant dans au moins deux
États membres autres que celui:
i) où l’acte ou l’omission en question a son origine ou a eu lieu;
ii)sur le territoire duquel le professionnel responsable de l’acte ou de l’omission est établi;
ou
iii)dans lequel se trouvent des éléments de preuve ou des actifs du professionnel en
rapport avec l’acte ou l’omission; ou
b)tous les actes ou omissions contraires aux dispositions du droit de l’Union en matière de
protection des intérêts des consommateurs, qui ont porté, portent ou sont susceptibles
de porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs et qui présentent des
caractéristiques communes, dont la pratique illégale identique, la violation du même
intérêt et la simultanéité de l’infraction, commise par le même professionnel, dans trois
États membres au minimum;
4)«infraction de grande ampleur à l’échelle de l’Union», une infraction de grande ampleur
qui a porté, porte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs des
consommateurs dans au moins deux tiers des États membres représentant une population
cumulée d’au moins deux tiers de la population de l’Union;

35
DIEC Première partie C. Noblot

maintenue et renforcée à l’avenir, aussi bien dans les secteurs en ligne que
dans les secteurs hors ligne. Des opérations «coup de balai» devraient, en
particulier, être menées lorsque les tendances du marché, les réclamations
des consommateurs ou d’autres éléments indiquent que des infractions aux
dispositions du droit de l’Union en matière de protection des intérêts des
consommateurs ont été commises ou sont commises ».

D’autres règlements visent la police du marché européen :


ex : règles liées à l'application du contrat dans l'espace européen (PE
et Cons. UE, règl. (UE) 2017/1128, 14 juin 2017 relatif « à la portabilité
transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur » :
JOUE n° L 168, 30 juin 2017, p. 1. – PE et Cons. UE, règl. (UE) 2018/302, 28 févr.
2018 « visant à contrer le blocage géographique injustifié et d'autres formes
de discrimination » : JOUE n° L 60 I, 2 mars 2018, p. 1).

B) La protection des consommateurs

Concernant les dispositions protectrices des consommateurs, on


rencontre des règlements dans trois secteurs du droit européen de la
consommation.

1) En ce qui concerne le droit alimentaire. Ex : règlement INCO (UE) n


1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011
concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires ;
règlement CE n° 178/2002 du 28 janvier 2002 relatif à la sécurité alimentaire.
Plus largement les règlements sont très nombreux en ce qui concerne les
produits alimentaires et les services.

2) En ce qui concerne le droit des transports (PE et Cons. UE, règl. (CE)
n° 261/2004, 11 févr. 2004 en matière « d'indemnisation et d'assistance des
passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard
important d'un vol » : JOUE n° L 46, 17 févr. 2004, p. 1. – PE et Cons. UE, règl.
(UE) n° 1177/2010, 24 nov. 2010 concernant « les droits des passagers
voyageant par mer ou par voie de navigation intérieure » : JOUE n° L 334,
17 déc. 2010, p. 1. – PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 181/2011, 16 févr. 2011
concernant « les droits des passagers dans le transport par autobus et
autocar » : JOUE n° L 55, 28 févr. 2011, p. 1).

3) Enfin, des règlements concernent la protection des consommateurs


en litige.

Ceux qui ont conclu un contrat en ligne peuvent bénéficier du


Règlement 524/2013 du 21 mai 2013 qui prévoit des modalités de RLL
(Règlement en ligne des litiges).

36
DIEC Première partie C. Noblot

Dans les contrats transfrontières, les règles européennes de droit


international privé qui protègent les consommateurs sont aussi issues de
règlements :

-Bruxelles I bis : PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 1215/2012, 12 déc. 2012


concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale : JOUE n° L 351, 20 déc. 2012, p. 1.
–Rome I : PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 593/2008, 17 juin 2008 sur la loi
applicable aux obligations contractuelles : JOUE n° L 177, 4 juill. 2008,
p. 6).
Ce sont ces instruments que l’on examinera dans la seconde partie du
cours.

Enfin, même s’il ne peut être considéré comme un texte applicable aux
seuls litiges de consommation, on peut mentionner le règlement no
861/2007/CE instituant une procédure européenne de règlement des petits
litiges. Ce texte intéresse les litiges dont le montant de la demande ne
dépasse pas 2 000 € au moment de la réception de la demande par la
juridiction compétente, hors intérêts, frais et débours - ce qui est souvent le
cas en matière de droit de la consommation. Il permet que la décision
rendue dans le cadre de cette procédure soit reconnue et exécutée dans les
autres États membres, sans qu’il soit nécessaire de produire une déclaration
constatant sa force exécutoire. La procédure est facultative et s’ajoute aux
possibilités prévues par la législation des États membres.

Tous ces règlements, ajoutés aux directives à visée processuelle, ont


pour finalité plus ou moins directe l’effectivité du droit de la protection des
consommateurs, en ce qu’ils contribuent, par leur contenu, à favoriser un
accès effectif à la justice.

Les textes européens protègent les consommateurs par l’attribution


d’un certain nombre de droits subjectifs : droit à une information
précontractuelle, un droit de rétractation, protection contre les clauses
abusives, etc.

Dans le cadre de leur application, la jurisprudence de la CJUE a


tendance à renforcer la protection des consommateurs prévue dans ces
textes. C’est ce que nous allons voir maintenant.

Section 2) Le juge européen

La Cour de Justice de l'Union européenne est une autorité majeure


dans la construction européenne et l’évolution du droit de la consommation.
En droit de la consommation, la cour de justice a joué et joue toujours un rôle

37
DIEC Première partie C. Noblot

déterminant dans l'élaboration des règles, moins par le biais des procédures
en manquement que par celui des questions préjudicielles.

La cour de justice a un rôle ambivalent.

D’un côté, certaines de ces décisions peuvent entraîner une régression


des droits des consommateurs, dans tel ou tel droit national. Par exemple, les
décisions Commission c. France, rendues au sujet de la responsabilité du fait
des produits défectueux, ont diminué le niveau de protection des
consommateurs français (en les empêchant d’agir en responsabilité in
solidum entre le vendeur et le fabricant puisque quand le fabricant est
connu, le vendeur bénéficie d’une immunité, également en ne pouvant plus
agir pendant 10 ans à compter de la manifestation du dommage mais
pendant trois ans seulement). Mais, à dire vrai, c’est moins au juge européen
qu’il faut imputer ce genre de régressions qu’à la politique législative
d’harmonisation maximale.

D’un autre côté, et c’est ce qu’il faut souligner, le juge européen tend,
sinon toujours du moins souvent, à renforcer les droits des consommateurs à
travers les interprétations proposées pour répondre aux questions
préjudicielles.
La CJUE est « la gardienne d’un droit protecteur des consommateurs »
selon Carole Aubert de Vincelles, qui a réalisé une étude synthétique relative
à « la jurisprudence de la CJUE en matière de droit de la consommation » (in
Le droit européen de la consommation, Mare et Martin, ss la dir d’Y. Picod,
2018, p. 35).

Carole Aubert de Vincelles montre qu’il existe une tendance de la cour


de justice, dès qu’est en jeu la protection des consommateurs, à élargir
toujours plus les droits de ceux-ci. « La Cour profite de son pouvoir
d'interprétation pour en faire une arme de renforcement de la protection
déjà entamée dans les textes européens. Cette intensification de la
protection porte à la fois sur les droits substantiels des consommateurs, mais
également depuis quelques années sur la mise en œuvre de ses droits à
travers l'émergence d'un droit européen processuel de la consommation ».

§1) La protection par la CJUE des droits substantiels des


consommateurs
La jurisprudence de la cour de justice renforce la protection des
consommateurs déjà prévue dans les textes, soit par l'interprétation qu'elle
fait du contenu de ces droits, soit en renforçant les sanctions en cas de
mépris de ces droits.

38
DIEC Première partie C. Noblot

A) Le renforcement de la protection des consommateurs par


l’enrichissement du contenu de leurs droits

Le renforcement de la protection des consommateurs par


l’interprétation in favorem de la CJUE se manifeste essentiellement de deux
façons mises au jour par Carole Aubert de Vincelles :
-par l’élargissement de leurs droits
-par la minimisation des coûts mis à la charge des consommateurs.

1) L’élargissement des droits

Sans être exhaustif, peuvent être développées trois séries d’exemples


de cette tendance de la Cour de Luxembourg à retenir des interprétations
extensives et in favorem (pour le consommateur).

a) La première série concerne le droit de rétractation qui a fait l’objet


de nombreuses questions préjudicielles.

Par exemple, dans l’arrêt Tavel Vac, C-423/97 du 22 avril 1999 (rtdco
1999, p 995) : la CJCE affirme, à propos de la directive 85/577 sur les contrats
conclus hors établissement, le caractère discrétionnaire de ce droit, c’est-à-
dire l’impossibilité d’exiger des motifs ou des conditions particulières comme
par exemple l’existence d’une tromperie ou de tout autre élément subjectif
(on rejoint l’aspect objectif du droit de la consommation vu infra).

*Arrêt Tavel Vac , C-423/97 du 22 avril 1999 « Extraits »

4) Le droit de renonciation, consacré par l'article 5, paragraphe 1, de la directive en faveur


du consommateur, trouve-t-il sa justification dans la présomption que la volonté de
l'acheteur-consommateur a été influencée ou manipulée du fait des circonstances
énoncées à l'article 1er de la directive; dans l'affirmative, dans quelle mesure cette
justification du droit de renonciation, protégé par la directive, découle-t-elle du dol général
du vendeur, qui emploie `des paroles ou des manœuvres insidieuses, utilisées par une des
parties et qui induisent l'autre partie à conclure un contrat que, sinon, elle n'aurait pas
conclu' (article 1269 du code civil espagnol), et, en général, du consentement libre et
nécessaire (articles 1254, 1258, 1261 et suivants du code civil espagnol)?

(…) Sur la quatrième question

39 Par sa quatrième question, la juridiction nationale demande en substance s'il suffit, pour
que le consommateur puisse exercer son droit de renonciation visé à l'article 5, paragraphe
1, de la directive 85/577, que le contrat ait été conclu dans des circonstances telles que
celles décrites à l'article 1er de cette directive ou s'il y a lieu, en outre, de démontrer que le
consommateur a été influencé ou manipulé par le commerçant.

40 Le gouvernement espagnol indique qu'il y a lieu de tenir compte du fait que le droit de
renonciation accordé au consommateur est destiné à compenser le risque de pratiques
commerciales abusives, de sorte que ce droit est fondé sur le simple fait qu'il est un
consommateur et que le contrat relève de la directive, sans qu'il ait à prouver que ces
pratiques abusives ont existé et même sans qu'elles aient réellement existé.

39
DIEC Première partie C. Noblot

41 La Commission prétend que le droit de renonciation est inconditionnel dans la mesure où


son exercice n'est nullement lié à l'existence éventuelle d'une manœuvre frauduleuse du
commerçant ni à son intention de manipuler le consommateur pour lui arracher une décision
favorable à ses propres intérêts. Le droit de renonciation serait inhérent à tout contrat
relevant de la directive 85/577.

42 Il convient de relever que la directive 85/577 énonce, en son quatrième considérant, que,
lorsqu'un contrat est conclu en dehors des établissements commerciaux du commerçant, le
consommateur ne s'est en aucune façon préparé aux négociations et se trouve pris au
dépourvu et que, souvent, il n'est pas à même de comparer la qualité et le prix de l'offre
avec d'autres offres. C'est la raison pour laquelle il y a lieu d'accorder au consommateur,
selon le cinquième considérant de cette directive, un droit de résiliation pendant une durée
de sept jours au moins, afin de lui donner la possibilité d'apprécier les obligations qui
découlent du contrat.

43 Il s'ensuit qu'il suffit, pour que le consommateur bénéficie du droit de renonciation prévu à
la directive 85/577, qu'il se trouve dans l'une des situations objectives décrites à l'article 1er de
ladite directive. En revanche, un comportement déterminé ou une intention de manipuler de
la part du commerçant ne sont pas exigés et n'ont donc pas à être prouvés.

44 Dès lors, il convient de répondre à la quatrième question que le consommateur peut


exercer son droit de renonciation visé à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 85/577
lorsque le contrat a été conclu dans des circonstances telles que celles décrites à l'article 1er
de ladite directive, sans qu'il y ait lieu de démontrer que le consommateur a été influencé ou
manipulé par le commerçant.

Il y a là désormais une règle générale que l’on retrouve exprimée dans


d’autres directives, comme par exemple la directive 2011/83 (article 9), ou la
directive 2008/48 sur le crédit à la consommation (article 14), ou la directive
2008/122 sur le timeshare (article 6).
Ex : Article 9 « Droit de rétractation Directive du 2011/83 UE relative aux droits des
consommateurs, modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du
Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la
directive 97/7/CE du Parlement européen et du Conseil (extrait)

1. En dehors des cas où les exceptions prévues à l’article 16 s’appliquent, le consommateur


dispose d’un délai de quatorze jours pour se rétracter d’un contrat à distance ou d’un
contrat hors établissement sans avoir à motiver sa décision et sans encourir d’autres coûts
que ceux prévus à l’article 13, paragraphe 2, et à l’article 14.2 ».

Cet arrêt Tavel Vac a aussi élargi le champ d’application de la


directive 85/577 en considérant qu’un contrat conclu dans une situation dans
laquelle un commerçant a invité un consommateur à se rendre
personnellement dans un lieu déterminé se trouvant à une certaine distance
de l’endroit où ce consommateur habite, doit être considéré comme conclu
pendant une excursion organisée par le commerçant en dehors de ses
établissements commerciaux au sens de la directive. Cette extension a par la
suite été reprise par la directive 2011/83 UE sur les droits des consommateurs
qui a abrogé la directive n° 85/577 (art. 8, c, d).

Par un autre arrêt, le droit de rétractation a été élargi, par la possibilité


de l’exercice sans limitation de durée, sans délai butoir, dans l’hypothèse du

40
DIEC Première partie C. Noblot

non-respect par le professionnel de son obligation d’informer sur l’existence


de ce droit. C’est l’arrêt Heininger du 13 décembre 2001 : à propos de la loi
allemande sur le démarchage à domicile, jugée non conforme, parce
qu’elle limitait à un an l’exercice du droit à compter de la formation du crédit
quand bien même le contrat de crédit n’avait pas été complètement
exécuté.

*Arrêt CJCE C-481/99 du 13 décembre 2001, Georg Heininger et Helga Heininger

Extrait

« (…) Sur la seconde question

41.
Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la
directive sur le démarchage à domicile s'oppose à ce que le législateur national
applique un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat pour l'exercice du
droit de révocation instauré par l'article 5 de cette directive, lorsque le consommateur
n'a pas bénéficié de l'information prévue à l'article 4 de ladite directive.
42.
M. et Mme Heininger, le gouvernement français et la Commission soutiennent que,
en l'absence d'information au sujet du droit de révocation, la directive sur le
démarchage à domicile ne limite pas dans le temps l'exercice de ce droit. L'article 5
de ladite directive s'opposerait à une mesure nationale limitant à un an à compter de
la conclusion du contrat le délai d'exercice du droit de révocation d'un
consommateur qui n'a pas été informé de ce droit. En effet, le délai minimal de sept
jours prévu à cette disposition pour la révocation devrait être décompté à partir du
moment où le consommateur a été informé par écrit de ce droit.
43.
La banque ainsi que les gouvernements allemand, italien et autrichien font valoir
que, compte tenu que l'article 4 de la directive sur le démarchage à domicile dispose
queles États membres veillent à ce que leur législation nationale prévoie des mesures
appropriées visant à protéger le consommateur lorsque celui-ci n'a pas été informé
de son droit de révocation, il est loisible au législateur national de limiter à un an le
délai d'exercice du droit de révocation prévu à l'article 5 de cette directive. En outre,
même si cette directive ne prévoyait pas expressément une limitation dans le temps
du droit de révocation, le principe de sécurité juridique imposerait de fixer un délai
pour l'exercice de ce droit.
44.
À cet égard, il y a lieu, d'abord, de rappeler que l'article 4, premier alinéa, de la
directive sur le démarchage à domicile dispose que «[l]e commerçant est tenu
d'informer par écrit le consommateur [...] de son droit de résilier le contrat au cours
des délais définis à l'article 5» et que l'article 4, troisième alinéa, de la même directive
dispose que «[l]es États membres veillent à ce que leur législation nationale prévoie
des mesures appropriées visant à protéger le consommateur lorsque l'information
visée au présent article n'est pas fournie». L'article 5, paragraphe 1, de cette directive
prévoit que «[l]e consommateur a le droit de renoncer aux effets de son engagement
en adressant une notification dans un délai d'au moins sept jours à compter du
moment où le consommateur a reçu l'information visée à l'article 4 et conformément
aux modalités et conditions prescrites par la législation nationale».
45.
Il convient, ensuite, de souligner que la directive sur le démarchage à domicile
dispose ainsi expressément que le délai minimal de sept jours prévu pour la
révocation doit être calculé «à compter du moment où le consommateur a reçu
l'information» relative à son droit de révocation et que l'obligation de fournir cette

41
DIEC Première partie C. Noblot

information incombe au commerçant. Ces dispositions s'expliquent par la


considération que, si le consommateur n'a pas connaissance de l'existence d'un droit
de révocation, il se trouve dans l'impossibilité de l'exercer.
46.
Compte tenu du libellé de l'article 5 de la directive sur le démarchage à domicile
et de sa finalité, il n'est pas possible d'interpréter l'article 4, troisième alinéa, de cette
directive comme permettant au législateur national de prévoir que le droit de
révocation du consommateur doit en tout état de cause être exercé dans un délai
d'un an, même si le commerçant n'a pas informé le consommateur de l'existence de
ce droit.
47.
Enfin, quant à l'argument selon lequel il est indispensable de limiter le délai
d'exercice du droit de révocation pour des motifs de sécurité juridique, il convient
d'observer que de tels motifs ne peuvent prévaloir dans la mesure où ils impliquent
une limitation des droits expressément accordés par la directive sur le démarchage à
domicile au consommateur pour le protéger contre les risques découlant du fait que
les institutions de crédit ont choisi de conclure des contrats de crédit foncier en
dehors de leurs établissements commerciaux. En effet, si ces institutions choisissent de
telles méthodes pour commercialiser leurs services, elles peuvent sans difficulté
sauvegarder tant les intérêts des consommateurs que leurs propres exigences de
sécurité juridique en se conformant à leur obligation d'informer ceux-ci.
48.
Au vu de ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que la
directive sur le démarchage à domicile s'oppose à ce que le législateur national
applique un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat pour l'exercice du
droit de révocation instauré par l'article 5 de cette directive, lorsque le consommateur
n'a pas bénéficié de l'information prévue à l'article 4 de ladite directive. »

Mais, dans un arrêt du 10 avril 2008, Annelore Hamilton (C-412/06), la


CJUE a précisé qu’une législation nationale pouvait prévoir que le délai de
révocation peut être exercé « au plus tard un mois après l’exécution
complète par les parties contractantes des obligations découlant d’un
contrat de crédit de longue durée, lorsque le consommateur a reçu une
information erronée sur les modalités d’exercice dudit droit ».

46 Cette interprétation n’est pas infirmée par les arrêts Heininger, précité,
Schulte, précité, et du 25 octobre 2005, Crailsheimer Volksbank (C-229/04, Rec. p.
I-9273). En effet, il résulte des points 16 et 18 de l’arrêt Heininger, précité, 26 de l’arrêt
Schulte, précité, ainsi que 24 de l’arrêt Crailsheimer Volksbank, précité, que
l’interprétation de la directive sur le démarchage à domicile que la Cour a donnée
dans ces arrêts concerne les contrats de crédit qui n’ont pas été complètement
exécutés. Or, tel n’est pas le cas dans l’affaire au principal.

47 S’agissant plus particulièrement de l’arrêt Heininger, précité, la Cour a


jugé, dans cet arrêt, que la directive sur le démarchage à domicile s’oppose à ce
que le législateur national applique un délai d’un an à compter de la conclusion du
contrat pour l’exercice du droit de révocation instauré à l’article 5 de cette directive,
lorsque le consommateur n’a pas bénéficié de l’information prévue à l’article 4 de
ladite directive. Or, ainsi que l’ont fait valoir à bon droit Volksbank, le gouvernement
allemand et la Commission, tel n’est pas le cas dans l’affaire au principal. En effet,
dans celle-ci, le législateur national applique un délai d’un mois à partir de
l’exécution complète par les parties contractantes des obligations découlant d’un
contrat. »

42
DIEC Première partie C. Noblot

L’interprétation protectrice de la CJUE sur cette question a été le


moteur de l’évolution de la directive de 2011. Finalement, la directive 2011/83
a en effet instauré une limitation d’une durée d’un an (art 10) à compter de
la fin de la période initiale de rétractation.

Article 10 Directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs, modifiant la


directive 93/13/CEE du Conseil et la directive 1999/44/CE du Parlement européen et du
Conseil et abrogeant la directive 85/577/CEE du Conseil et la directive 97/7/CE du Parlement
européen et du Conseil

Défaut d’information sur le droit de rétractation

1. Si le professionnel omet d’informer le consommateur de son droit de rétractation


comme l’exige l’article 6, paragraphe 1, point h), le délai de rétractation expire au terme
d’une période de douze mois à compter de la fin du délai de rétractation initial, déterminé
conformément à l’article 9, paragraphe 2.

2. Si le professionnel a communiqué au consommateur les informations prévues au


paragraphe 1 du présent article dans un délai de douze mois à compter du jour visé à
l’article 9, paragraphe 2, le délai de rétractation expire au terme d’une période de quatorze
jours à compter du jour où le consommateur a reçu ces informations.

Cela étant, cette tendance à l’élargissement des droits n’a rien de


systématique, car elle doit se concilier notamment avec l’exigence de
sécurité juridique dans les contrats. Dans son arrêt Möbel Kraft GmbH & Co.
KG du 21 octobre 2020 (aff. 529/19), la CJUE a eu l’occasion de faire montre
de ce pragmatisme. En cas de vente à distance par un professionnel à un
consommateur, celui-ci bénéficie d’un délai de rétractation de 14 jours (Dir.
UE 2011/83 du 25 oct 2011, art. 9). Toutefois, en cas de fourniture de biens
confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement
personnalisés, la rétractation est exclue (art. 16, c). La question était la
suivante : le droit de rétractation d’un contrat portant sur la fourniture de tels
biens confectionnés (en l'espèce, une cuisine équipée) est-il toujours exclu
lorsque le professionnel ayant reçu commande n’a pas encore entamé la
fabrication du bien ? Saisie de cette question, la CJUE répond par
l’affirmative :
-d’abord pour des raisons de libellé de l’article 16 de la directive
2011/83, l’opposabilité de cette exception s’imposant à ce consommateur
sans être subordonnée ni la survenance d’un événement postérieur à la
conclusion du contrat hors établissement ni au point de savoir si le contrat est
exécuté ou s’il est en train d’être exécuté par le professionnel.
-En outre, la situation dans laquelle l’existence du droit de rétractation
du consommateur dépendrait d’un événement futur dont la matérialisation
relève de la décision du professionnel ne serait pas conciliable avec
l’obligation d’information précontractuelle du consommateur prévue à
l’article 6, 1-h et k de la directive.
-Enfin, au nom de la sécurité juridique, il faut éviter la situation dans
laquelle l’existence ou l’absence du droit de se rétracter dépendrait de l’état
d’avancement de l’exécution du contrat par le professionnel, état

43
DIEC Première partie C. Noblot

d’avancement dont le consommateur n’est, en règle générale, pas informé


et à l’égard duquel il ne dispose, à plus forte raison, d’aucune prise.

b) Une deuxième série d’exemples peut être prise dans le contrat de crédit.

La cour de justice a lié le sort du crédit à celui du contrat principal. Les


juristes français se souviennent du fameux arrêt Rampion et Godard C-492/05
du 4 octobre 2007, rendu à la suite d'une question préjudicielle posée par la
France concernant les dispositions du Code de la consommation qui faisaient
dépendre l’interdépendance des contrats d’une mention dans l’offre de
crédit, ce qui était moins protecteur que la directive et donc non conforme.

(extraits) LA COUR – (...)

Le litige au principal et les questions préjudicielles : (...)

• 8 Le 5 septembre 2003, à la suite d’un démarchage à domicile, les épx Rampion ont
commandé des fenêtres à K par K pour un prix total de 6 150 euros. Selon le contrat de vente
conclu à cet effet, les fenêtres devaient être livrées dans un délai de six à huit semaines à
compter de la prise des cotes par un technicien métreur.

• 9 Selon la juridiction de renvoi, ce contrat de vente fait état d’un financement total de
l’achat réalisé au moyen d’un crédit consenti par Franfinance.

• 10 Le même jour, les épx Rampion ont souscrit auprès de Franfinance une ouverture de
crédit comportant un plafond égal au montant de la vente. L’offre de crédit indique
l’identité du vendeur par la mention «compte plate-forme K par K», mais ne spécifie pas le
bien financé.

• 11 Lors de la livraison des fenêtres commandées, le 27 novembre 2003, les épx Rampion se
sont aperçus que les appuis ainsi que les dormants étaient infestés de parasites. Les travaux
n’ont pas été poursuivis et, par courrier du 5 janvier 2004, les intéressés ont dénoncé le
contrat de vente.

• 12 Leur demande de résiliation étant restée vaine, les épx Rampion ont, par actes des 29
octobre et 2 novembre 2004, fait assigner K par K ainsi que Franfinance en nullité du contrat
de vente et en résiliation subséquente du contrat de crédit, au motif que le contrat de vente
ne mentionnait pas de façon précise, contrairement à l’exigence posée par le code de la
consommation, le délai de livraison des biens concernés.

• 13 Subsidiairement, les épx Rampion ont conclu à la résiliation du contrat de vente en


raison du manquement de K par K à son obligation de conseil, puisqu’elle avait proposé la
fourniture et la pose de menuiseries alors que le support de celles-ci était défectueux.

• 14 Les défenderesses au principal ont notamment fait valoir qu’il n’existe aucune
interdépendance entre les deux contrats, dès lors que, contrairement à l’exigence posée à
l’article L. 311 20 C. consom., la mention du bien financé ne figure pas sur l’offre de crédit. En
outre, il s’agirait d’une ouverture de crédit et non d’un crédit affecté au financement de la
vente.

44
DIEC Première partie C. Noblot

• 15 La juridiction de renvoi a, à l’occasion des débats devant elle, soulevé d’office plusieurs
moyens tirés des dispositions du code de la consommation relatives au crédit à la
consommation et au démarchage à domicile.

• 16 C’est dans ce contexte que le tribunal d’instance de Saintes a décidé de surseoir à


statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes : « 1) Les articles 11 et 14 de
la directive 87/102/CEE […] doivent ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent au juge
d’appliquer les règles d’interdépendance entre le contrat de crédit et le contrat de
fourniture de biens ou de services financé grâce à ce crédit, lorsque le contrat de crédit ne
fait pas mention du bien financé ou a été conclu sous la forme d’une ouverture de crédit
sans mention du bien financé? 2) La directive 87/102/CEE […] a-t-elle une finalité plus large
que la seule protection des consommateurs s’étendant à l’organisation du marché et
permettant au juge d’appliquer d’office les dispositions qui en découlent ? » (...)

Sur les questions préjudicielles :

Sur la première question :

Sur la recevabilité : (...)

• 25 Or, force est de constater qu’il n’apparaît pas de manière manifeste que l’interprétation
des règles communautaires sollicitée par la juridiction de renvoi n’aurait aucun rapport avec
la réalité ou l’objet du litige au principal ni que les questions portant sur l’interprétation de ces
règles seraient de nature hypothétique. Si la première question posée mentionne, de
manière très générale, l’application des «règles d’interdépendance entre le contrat de
crédit et le contrat de fourniture de biens ou de services», il ne ressort pas de la décision de
renvoi que cette question ne vise, en réalité, que l’application de dispositions du droit
national autres que celles transposant l’article 11 de la directive 87/102 ou relevant du
champ d’application de ce dernier.

• 26 Dans ces conditions, la présomption de pertinence qui s’attache à la première question


posée n’a pas été renversée.

• 27 Toutefois, dès lors qu’il appartient à la Cour, dans le cadre du système de coopération
institué à l’article 234 CE, de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de
trancher le litige dont il est saisi, il lui incombe, le cas échéant, de reformuler les questions qui
lui sont soumises (V., notamment, arrêts 28 nov. 2000, Roquette Frères, C 88/99 : Rec. p. I-
10465, pt 18; du 20 mai 2003, Ravil, C 469/00, Rec. p. I-5053, pt 27, et 4 mai 2006, Haug, C
286/05, Rec. p. I-4121, pt 17).

• 28 Ainsi, il convient de comprendre la première question posée comme visant à savoir si les
articles 11 et 14 de la directive 87/102 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à
ce que le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, § 2, de la directive 87/102 et dont
bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, soit subordonné à la condition que
l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé.

• 29 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer la première question posée comme


recevable.

Sur le fond : (...)

• 42 L’objectif poursuivi par l’article 11, § 2, de la directive 87/102 ne peut être atteint que si
cette disposition s’applique également lorsque le crédit permet une multiplicité d’emplois. En
effet, ladite disposition doit être lue à la lumière du vingt et unième considérant de la
directive 87/102, selon lequel, notamment, «en ce qui concerne les biens et les services que

45
DIEC Première partie C. Noblot

le consommateur acquiert dans le cadre d’un accord de crédit, […] le consommateur


devrait, du moins dans les circonstances définies ci-avant, avoir des droits vis-à-vis du prêteur
en plus de ses droits contractuels normaux à l’égard du prêteur et à l’égard du fournisseur
des biens ou des services».

• 43 Par ailleurs, le fait qu’une acquisition parmi plusieurs financées par la même ouverture
de crédit puisse, en vertu de l’article 11, § 2, de la directive 87/102, permettre au
consommateur de s’adresser au prêteur ne signifie pas nécessairement que ce recours
affecte l’ouverture de crédit dans son ensemble. En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a
relevé aux pts 65 et suivants de ses conclusions, cette disposition de la directive 87/102
permet de moduler d’une façon différenciée la protection offerte au consommateur pour
tenir compte des spécificités d’une ouverture de crédit par rapport à un crédit accordé en
vue d’un seul achat.

• 44 Dès lors, il y a lieu de considérer que l’article 11, § 2, de la directive 87/102 s’applique
tant à un crédit visant à financer une opération unique qu’à une ouverture de crédit
permettant au consommateur d’utiliser le crédit consenti à plusieurs reprises.

– Sur le droit de recours prévu à l’article 11, § 2, de la directive 87/102 :

• 45 Quant à la question de savoir si l’article 11, § 2, de la directive 87/102 s’oppose à ce que


le droit d’exercer un recours qu’il prévoit soit subordonné à la condition que l’offre préalable
de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé, il y a lieu de constater
qu’une telle condition ne figure pas parmi les cinq conditions cumulatives posées au premier
alinéa de cette disposition. (...)

• 48 Cette interprétation est corroborée par l’article 14, § 1, de la directive 87/102, aux
termes duquel «[l]es États membres veillent à ce que les contrats de crédit ne dérogent pas,
au détriment du consommateur, aux dispositions de droit national qui mettent en application
la présente directive ou qui lui correspondent», et par ce même article 14, § 2, selon lequel
«[l]es États membres veillent en outre à ce que les dispositions qu’ils adoptent pour la mise en
application de la présente directive ne puissent être tournées par des formes particulières
données aux contrats […]».

•49 En effet, ledit article 14 souligne, de manière générale, l’importance que le législateur
communautaire a accordé aux dispositions protectrices prévues par la directive 87/102 et à
leur application stricte. En outre, ainsi que l’ont fait valoir les gouvernements français,
allemand, espagnol et italien ainsi que la Commission, le § 2 de ce même article,
notamment, s’oppose à ce qu’une réglementation nationale permette au prêteur d’éviter,
par la simple omission de la mention des biens ou des services financés, de se voir confronté
à un recours exercé par le consommateur en vertu de l’article 11, § 2, de la directive 87/102.

• 50 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question posée


que les articles 11 et 14 de la directive 87/102 doivent être interprétés en ce sens qu’ils
s’opposent à ce que le droit d’exercer un recours, prévu à l’article 11, § 2, de cette directive
et dont bénéficie le consommateur à l’encontre du prêteur, soit subordonné à la condition
que l’offre préalable de crédit mentionne le bien ou la prestation de services financé.

Sur la seconde question :

Sur la recevabilité : (...)

• 54 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence citée au pt 24 du présent arrêt, le


rejet par la Cour d’une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il
apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit communautaire n’a

46
DIEC Première partie C. Noblot

aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de
nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de
droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

•55 Or, dans les motifs de sa décision relatifs à la seconde question posée, le juge de renvoi
relève explicitement que les dispositions des articles L. 311 20 et L. 311 21 C. consom. n’ont
pas été invoquées par les épx Rampion. Dans ces conditions, il n’apparaît pas de manière
manifeste que cette question, qui est relative à la possibilité pour le juge d’appliquer d’office
ces dispositions du droit national, n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au
principal ou que le problème posé est de nature hypothétique. (...)

Sur le fond :

• 60 Au demeurant, le juge de renvoi demande si la jurisprudence de la Cour relative à la


possibilité pour le juge de relever d’office les dispositions issues de la directive 93/13/CEE du
Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs (JO L 95, p. 29), résultant notamment des arrêts du 27 juin 2000, Océano
Grupo Editorial et Salvat Editores (C 240/98 à C 244/98, Rec. p. I 4941), et du 21 novembre
2002, Cofidis (C 473/00, Rec. p. I 10875), est transposable à la directive 87/102. (...)

• 64 À cet égard, il y a lieu de rappeler que cet article 11, § 2, tout en poursuivant le double
objectif évoqué au point 59 du présent arrêt, vise à conférer au consommateur, dans des
circonstances bien définies, des droits vis-à-vis du prêteur en plus de ses droits contractuels
normaux à l’égard du prêteur et à l’égard du fournisseur des biens ou des services (V. pt 42
du présent arrêt).

• 65 Cet objectif ne pourrait être atteint de manière effective si le consommateur devait se


trouver dans l’obligation d’invoquer lui-même le droit d’exercer un recours dont il bénéficie à
l’encontre du prêteur en vertu des dispositions du droit national transposant l’article 11, § 2,
de la directive 87/102, notamment en raison du risque non négligeable que le
consommateur soit dans l’ignorance de ses droits ou rencontre des difficultés pour les
exercer. Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au pt 107 de ses conclusions, le fait que
l’affaire au principal ait été engagée par les épx Rampion et qu’ils soient représentés dans
celle-ci par un avocat ne justifie pas une conclusion différente, le problème devant être
résolu en faisant abstraction des circonstances concrètes de cette affaire. (...)

• 68 À cet égard, il y a lieu de constater que la seconde question posée ne concerne, ainsi
qu’il ressort des points 55 et 57 du présent arrêt, que l’article 11, § 2, de la directive 87/102
ainsi que les dispositions assurant sa transposition en droit interne, en l’occurrence, selon la
juridiction de renvoi, les articles L. 311-20 et L. 311 21 C. consom. Dans sa décision, le juge de
renvoi ne fait aucunement état d’une éventuelle sanction consistant en la déchéance du
prêteur de son droit aux intérêts. Il n’a pas non plus été soutenu devant la Cour que ces
dispositions du C. consom. prévoient cette sanction. Aussi, les arguments repris aux points
précédents ne sont-il pas pertinents dans le cadre de la présente analyse, qui n’englobe pas
la question de savoir si le juge national a la faculté de prononcer d’office une sanction telle
que celle dont fait état Franfinance.

• 69 Dès lors, il convient de répondre à la seconde question posée que la directive 87/102
doit être interprétée en ce sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office les
dispositions transposant en droit interne son article 11, § 2. (...)

Par ces motifs (...) dit pour droit :

• 1) Les articles 11 et 14 de la directive 87/102/CEE du Conseil, du 22 décembre 1986, relative


au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États

47
DIEC Première partie C. Noblot

membres en matière de crédit à la consommation, telle que modifiée par la directive


98/7/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 1998, doivent être interprétés en
ce sens qu'ils s'opposent à ce que le droit d'exercer un recours, prévu à l'article 11, § 2, de
cette directive, telle que modifiée, et dont bénéficie le consommateur à l'encontre du
prêteur, soit subordonné à la condition que l'offre préalable de crédit mentionne le bien ou
la prestation de services financé.

• 2) La directive 87/102, telle que modifiée par la directive 98/7, doit être interprétée en ce
sens qu'elle permet au juge national d'appliquer d'office les dispositions transposant en droit
interne son article 11, § 2. (...)

M. Jann, rapp., prés. ch., MM. Tizzano, Borg Barthet, Ilesic et Levits, juges, M. Ferrante,
avvocato dello Stato, Me Soltner, av.

Commentant cet arrêt, le professeur Gilles Paisant, débuta ainsi son


propos : « Voici une décision qui ne peut manquer de retenir l'attention, au
moins autant par ses interprétations favorables aux consommateurs que par
le désaveu qu'elle apporte à la jurisprudence de notre Cour de cassation en
matière de crédit à la consommation. »

Deux ans plus tard, dans un arrêt Scarpelli C-509/07 du 23 avril 2009, la
cour de justice se permit de réécrire la directive 87/102. Cette dernière avait
conditionné le recours du consommateur envers le prêteur à quatre
conditions cumulatives, la plus restrictive étant l’existence d’un accord
préalable d’exclusivité entre prêteur et vendeur de prestataire de service au
titre duquel les consommateurs obtenu leur crédit. Mais cette condition
d’exclusivité fut gommée par la cour de justice et, lors de la refonte de la
directive, la directive 2008/48, cette exigence fut abandonnée.

Regardez la différence de rédaction des directives entre la version de


1987 et celle de 2008. Cette fois, le législateur européen a encore suivi le juge
européen (sa jurisprudence Scarpelli).

Article 11 directive 87/102

1. Les États membres veillent à ce que l'existence d'un contrat de crédit n'affecte en rien les
droits que le consommateur peut faire valoir à l'encontre du fournisseur des biens ou des
services achetés au moyen d'un tel contrat lorsque les biens ou les services ne sont pas fournis
ou que, pour d'autres raisons, ils ne sont pas conformes au contrat y relatif.

2. Le consommateur a le droit d'exercer un recours à l'encontre du prêteur lorsque,

a) en vue de l'achat de biens ou l'obtention des services, le consommateur conclut un


contrat de crédit avec une personne autre que le fournisseur des biens ou le prestataire des
services

et

b) il existe entre le prêteur et le fournisseur des biens ou le prestataire des services un accord
préalable aux termes duquel un crédit est octroyé exclusivement par ce prêteur aux clients
de ce fournisseur ou prestataire pour l'acquisition de biens ou l'obtention de services fournis
par ledit fournisseur ou prestataire

48
DIEC Première partie C. Noblot

et

c) le consommateur visé au point a) obtient son crédit en vertu de cet accord préalable

et

d) les biens ou les services faisant l'objet du contrat de crédit ne sont pas livrés ou fournis ou
ne le sont qu'en partie ou ne sont pas conformes au contrat y relatif

et

e) le consommateur a exercé un recours contre le fournisseurs ou prestataire sans obtenir


satisfaction comme il y avait droit.

Les États membres déterminent dans quelle mesure et à quelles conditions ce recours peut
être exercé.

3. Le paragraphe 2 ne s'applique pas lorsque l'opération en question porte sur un montant


inférieur à l'équivalent de 200 Écus.

Article 15 directive 2008/48

Contrats de crédit liés

1. Lorsque le consommateur a exercé un droit de rétractation fondé sur le droit


communautaire pour un contrat concernant la fourniture de biens ou la prestation de
services, il n'est plus tenu par un contrat de crédit lié.

2. Lorsque les biens ou les services faisant l'objet d'un contrat de crédit lié ne sont pas fournis,
ne le sont qu'en partie ou ne sont pas conformes au contrat de fourniture de biens ou de
prestation de services, le consommateur a le droit d'exercer un recours à l'encontre du
prêteur s'il a exercé un recours contre le fournisseur sans obtenir gain de cause comme il
pouvait y prétendre conformément à la loi ou au contrat de fourniture de biens ou de
prestation de services. Les États membres déterminent dans quelle mesure et à quelles
conditions ce recours peut être exercé.

3. Le présent article s'applique sans préjudice des règles nationales selon lesquelles le
prêteur est solidairement responsable pour toute réclamation du consommateur à l'encontre
du fournisseur lorsque l'acquisition de biens ou de services auprès de ce dernier a été
financée par un contrat de crédit.

c) La troisième série d’exemples de l’élargissement des droits des


consommateurs procède d’une tendance à l’interprétation audacieuse et
extensive de concepts délimitant le champ d’application des dispositifs
protecteurs.

Prenons ici même trois exemples.

Le premier concerne le contrat de voyages à forfait et le règlement


261/2004 sur le transport aérien.
Dans un arrêt Leitner CJCE du 12 mars 2002, C-168/00 (sur voyages) et
CJUE du 13 octobre 2011 C-83/10 Sousa Rodriguez, la Cour a élargi la

49
DIEC Première partie C. Noblot

protection des voyageurs en interprétant largement la notion de dommages


et en acceptant de réparer les dommages moraux.
Elle a aussi assimilé un retard d’au moins trois heures à une annulation de
manière à faire bénéficier les passagers d’une large indemnisation (Sturgeon,
CJCE 19 novembre 2009, C-402/07).
Elle a d’ailleurs, dans le même sens, retenu l’heure d’arrivée la plus tardive,
l’ouverture des portes de l’avion, pour calculer le nombre d’heures de retard
(Germanwings, 4 sept 2014, C-452/13).

Le deuxième est fourni par l’affaire Wathelet jugée par la CJUE le 9


novembre 2016 (aff C-149/15).

En avril 2012, une femme achète en qualité de consommatrice un


véhicule d’occasion auprès du garage Bietheres, pour 4 000 euros, qu’elle
verse au garage. En juillet 2012, le véhicule en cause est tombé en panne et
a été amené par Mme Wathelet au garage Bietheres afin d’être réparé. Celui-
ci a diagnostiqué une casse de moteur. Le garage présente à l’acheteuse
une facture afférente aux frais de réparation d’un montant de 2 000 euros.
Elle refuse de les régler en estimant qu’il appartenait au garage vendeur de
les prendre en charge, le garage retient le véhicule. À cette occasion,
Mme Wathelet est informée que son véhicule n’avait jamais appartenu audit
garage. Ce dernier l’avait vendu non pas pour son propre compte, mais pour
celui d’un simple particulier. Le garage Bietheres n’avait joué que le rôle
d’intermédiaire dans un classique dépôt-vente.

Dans ces circonstances, la cour d’appel de Liège (Belgique) a décidé


de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La notion de “vendeur” de biens de consommation, au sens de la


directive 1999/44 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens
de consommation, doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle vise non
seulement le professionnel qui en qualité de vendeur transfère la propriété
d’un bien de consommation à un consommateur, mais aussi le professionnel
qui intervient comme intermédiaire pour un vendeur non professionnel, qu’il
soit rémunéré ou non pour son intervention, qu’il ait informé ou non le
candidat acheteur de ce que le vendeur était un particulier ? »

Réponse audacieuse de la CJUE qui fait fit de l’effet relatif des contrats
et qui invente une obligation d’information à la charge de l’intermédiaire
professionnel : « la notion de « vendeur », au sens de l’article 1er, paragraphe
2, sous c), de la directive 1999/44, doit être interprétée en ce sens qu’elle vise
également un professionnel agissant comme intermédiaire pour le compte
d’un particulier qui n’a pas dûment informé le consommateur acheteur du
fait que le propriétaire du bien vendu est un particulier, ce qu’il incombe à la
juridiction de renvoi de vérifier, en prenant en compte l’ensemble des
circonstances du cas d’espèce. L’interprétation qui précède ne dépend pas

50
DIEC Première partie C. Noblot

du point de savoir si l’intermédiaire est ou non rémunéré pour son


intervention ».

Cet arrêt de 2016 peut être considéré comme l’un des inspirateurs de
l’article 4 §5 de la DIRECTIVE (UE) 2019/2161 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU
CONSEIL du 27 novembre 2019 modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et
les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et
du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une
modernisation des règles de l’Union en matière de protection des
consommateurs , dite « Omnibus ».
Ce texte a renforcé l’obligation d’information pesant sur la plateforme de
commerce électronique.

5) L’article suivant est inséré:


«Article 6 bis Exigences spécifiques supplémentaires en matière d’information
applicables aux contrats conclus sur des places de marché en ligne

1.Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat à distance, ou par une
offre du même type, sur une place de marché en ligne, le fournisseur de cette
dernière fournit au consommateur, sans préjudice de la directive 2005/29/CE, les
informations suivantes de manière claire et compréhensible et sous une forme
adaptée à la technique de communication à distance:
a) les informations générales, mises à disposition dans une section spécifique
de l’interface en ligne qui est directement et aisément accessible à partir de la page
sur laquelle les offres sont présentées, concernant les principaux paramètres de
classement, au sens de l’article 2, paragraphe 1, point m), de la directive 2005/29/CE,
des offres présentées au consommateur en réponse à la requête de recherche ainsi
que l’ordre d’importance de ces paramètres, par opposition à d’autres paramètres;
b) si le tiers proposant les biens, les services ou les contenus numériques est un
professionnel ou non, sur la base de la déclaration de ce tiers au fournisseur de place
de marché en ligne;
c) lorsque le tiers proposant les biens, les services ou les contenus numériques
n’est pas un professionnel, le fait que les droits des consommateurs provenant du droit
de l’Union en matière de protection des consommateurs ne s’appliquent pas au
contrat;
d) s’il y a lieu, le mode de répartition des obligations liées au contrat entre le
tiers proposant les biens, les services ou les contenus numériques et le fournisseur de
place de marché en ligne, cette information étant sans préjudice de la responsabilité
que le fournisseur de place de marché en ligne ou le professionnel tiers peut avoir en
lien avec le contrat en vertu du droit de l’Union ou du droit national.
2.Sans préjudice de la directive 2000/31/CE, le présent article n’empêche pas
les États membres d’imposer aux fournisseurs de places de marché en ligne des
exigences supplémentaires en matière d’information. De telles dispositions doivent
être proportionnées, non discriminatoires et justifiées par des motifs liés à la protection
des consommateurs ».

Un dernier exemple peut être trouvé dans l’arrêt CJUE, 7 nov. 2019, aff.
jtes C-349/18 à C-351/18, Nationale Maatschappij der Belgische Spoorwegen
(NMBS). La Cour y juge que le voyageur qui monte sans billet à bord d'un
train belge librement accessible conclut un contrat de transport avec le
transporteur et peut donc se prévaloir de la législation sur les clauses abusives
pour échapper au paiement d'un supplément en sus du prix du transport, qui

51
DIEC Première partie C. Noblot

lui était demandé conformément aux conditions générales du transporteur et


à titre de sanctions de ce genre d’infractions.

2) La minimisation des coûts mis à la charge des


consommateurs

Par ailleurs, en l’absence de précisions législatives, quand une question


se pose sur l'éventuel coût pour le consommateur que représente l'exercice
d'un droit, la cour de justice tend à conclure à l'absence de frais
supplémentaires ou à la gratuité de l'exercice de ses droits.

Il est vrai que dans un droit dominé par une philosophie économique
libérale, il est prêté au consommateur une rationalité se traduisant par une
recherche de sa satisfaction à moindre coût. La question des coûts du droit
de la consommation est donc centrale.

Ainsi, pour l’exercice du droit de rétractation du consommateur, la cour


de justice a d'abord refusé aux professionnels :
- la possibilité de demander une indemnité pour le seul exercice du
droit de rétractation (Tavel Vac précité)
-ou de demander une indemnité pour le seul usage du bien pendant la
période précédant l’exercice du droit de rétractation (à propos de la
directive 97 /7, CJUE, 23 septembre 2009, C-489/07 Pia Messner pt 29 « Eu
égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question
posée que les dispositions de l’article 6, paragraphes 1, deuxième phrase, et 2, de la
directive 97/7 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’une
réglementation nationale prévoie de manière générale la possibilité pour le vendeur de
réclamer au consommateur une indemnité compensatrice pour l’utilisation d’un bien acquis
par un contrat à distance dans le cas où ce dernier a exercé son droit de rétractation dans
les délais. Toutefois, ces mêmes dispositions ne s’opposent pas à ce que le payement d’une
indemnité compensatrice pour l’utilisation de ce bien soit imposé au consommateur dans
l’hypothèse où celui-ci aurait fait usage dudit bien d’une manière incompatible avec les
principes de droit civil, tels que la bonne foi ou l’enrichissement sans cause, à la condition
qu’il ne soit pas porté atteinte à la finalité de ladite directive et, notamment, à l’efficacité et
à l’effectivité du droit de rétractation, ce qu’il incombe à la juridiction nationale de
déterminer.).

Elle a également exigé, en cas de rétractation dans le contrat à


distance, le remboursement par le professionnel des frais de livraison initiaux
afin que le consommateur soit intégralement remboursé de ce qu’il a versé
(CJUE, 15 avril 2010, C-511/08 Heine « pt 59 Eu égard à l’ensemble des considérations
qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 6, paragraphes 1,
premier alinéa, seconde phrase, et 2, de la directive 97/7 doit être interprété en ce sens qu’il
s’oppose à une réglementation nationale qui permet au fournisseur, dans un contrat conclu
à distance, d’imputer les frais d’expédition des marchandises au consommateur dans le cas
où ce dernier exerce son droit de rétractation ».). Il ne peut être tenu que des frais de
renvoi.

52
DIEC Première partie C. Noblot

Il y a toutefois une exception quand la rétractation porte sur un crédit,


dans un souci bien compréhensible d’équilibre des intérêts en présence.
Dans ce cas, le consommateur restitue au prêteur le capital auquel
s’ajoutent les intérêts cumulés sur ce capital depuis la date à laquelle le
crédit a été prélevé jusqu’à la date à laquelle le capital est payé, le tout sans
retard indu et au plus tard 30 jours calendaires après l’envoi de la notification
de la rétractation. (Article 14, 3 b de la directive 2008/48 et CJCE, 25 oct
2005, C-229/04, Crailsheimer Volksbanket).

Dans un arrêt récent Lexitor (C-383/18, du 11 septembre 2019), la CJUE


a, toujours dans ce souci de minimiser les coûts du consommateur, rendu la
décision la plus favorable pour lui, en cas de remboursement anticipé de son
contrat de crédit à la consommation (pt 36 Compte tenu de l’ensemble des
considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question préjudicielle que l’article
16, paragraphe 1, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens que le droit du
consommateur à la réduction du coût total du crédit en cas de remboursement anticipé du
crédit inclut tous les frais imposés au consommateur. (…) »). Tous les frais doivent faire
l’objet d’une réduction proportionnelle, y compris ceux liés à la formation du
contrat.

Il en est allé de même en ce qui concerne la mise en œuvre de la


garantie de conformité prévue par la directive du 25 mai 1999. Ainsi, la cour a
refusé que le vendeur puisse exiger une indemnité pour l'usage d'un bien non
conforme jusqu'à son remplacement par un nouveau bien (CJCE, 17 avril
2008, C-404/06, Quelle).

De même encore, le consommateur doit pouvoir exercer son droit à


l’exécution en nature (réparation ou remplacement) sans frais, c’est-à-dire
que le professionnel doit non seulement enlever à ses frais le bien défectueux
mais également installer le bien remplacé (CJUE, 16 juin 2011, C-65/09 et C-
87/09 Weber et Putz., à propos d’un carrelage)
À cette règle de principe, la cour a, là encore dans un souci
d’équilibre, apporter une limite. C’est dans l’hypothèse ou le mode de mise
en conformité choisi serait le seul possible mais entraînerait des coûts
disproportionnés au regard de la valeur qu’aurait le bien s’il était conforme et
de l’importance du défaut de conformité : dans un tel cas, la prise en charge
des frais d’enlèvement et d’installation peut être limitée à un montant
proportionné. Mais, même en ce cas, le consommateur peut encore éviter
d’avoir à mettre la main à la poche en recourant finalement à la résolution
du contrat ou à la réduction du prix.

C’est, toujours au nom de la minimisation des coûts que, dans le même


sens, va l’arrêt CJUE C-487/12 Vueling Airlines, du 18 sept 2014 : le prix du
transport aérien inclut les bagages à main (« pt 40 : En revanche, s’agissant des
bagages non enregistrés, à savoir les bagages à main, il convient de relever, afin d’apporter
une réponse complète à la juridiction de renvoi, que ces bagages doivent être considérés,
en principe, comme constituant un élément indispensable du transport des passagers et que
le transport de ceux-ci ne saurait, par conséquent, faire l’objet d’un supplément de prix, à

53
DIEC Première partie C. Noblot

condition que de tels bagages répondent à des exigences raisonnables en termes de poids
et de dimensions et satisfassent aux prescriptions applicables en matière de sécurité »).

Le coût pour le consommateur a aussi servi de fil conducteur au


raisonnement suivi dans l’arrêt CJUE Banca B SA du 25 novembre 2020
(aff. 269/19 ; Europe n° 1, Janvier 2021, comm. 30, V. Bassani), rendu en
matière de clauses abusives.
En l’occurrence, la cour d'appel de Cluj, en Roumanie, posait à la CJUE
des questions préjudicielles soulevées par suite de la constatation du
caractère abusif de clauses définissant le mécanisme de fixation du taux
d'intérêt variable dans un contrat de prêt conclu entre un consommateur et
un établissement bancaire.
En droit français, à la même époque, le taux légal constituait une
disposition supplétive pouvant être substituée à la clause d'intérêt déclaré
abusive (Cass. 1e civ. 13-3-2019 n° 17-23.169 précité). Mais, le juge roumain ne
pouvait pas procéder ainsi. Ne trouvant pas de disposition supplétive dans
son droit pour remplacer la clause d’intérêt abusive annulée, le prêt ne
pouvant pas subsister sans cette clause, l'annulation du contrat de prêt
exposant le consommateur à l'obligation de rembourser le capital sans tarder
(solution très coûteuse et préjudiciable pour lui), le juge roumain interrogeait
la CJUE sur les conséquences qu'il convenait de tirer de la constatation du
caractère abusif de cette clause et sur les solutions permettant, dans ce
contexte, d'assurer la protection des consommateurs.
La Cour a répondu que « l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être
interprété en ce sens que, à la suite de la constatation du caractère abusif des clauses
définissant le mécanisme de fixation du taux d’intérêt variable dans un contrat de prêt (…) et
lorsque ce contrat ne peut subsister après la suppression des clauses abusives concernées,
que l’annulation dudit contrat aurait des conséquences particulièrement préjudiciables pour
le consommateur et qu’il n’existe aucune disposition de droit national à caractère supplétif,
le juge national doit prendre, en tenant compte de l’ensemble de son droit interne, toutes les
mesures nécessaires afin de protéger le consommateur des conséquences particulièrement
préjudiciables que l’annulation dudit contrat pourrait provoquer. Dans des circonstances
telles que celles en cause au principal, rien ne s’oppose notamment à ce que le juge
national invite les parties à négocier en vue de fixer les modalités de calcul du taux d’intérêt,
pourvu qu’il fixe le cadre de ces négociations et que celles-ci visent à établir entre les droits
et les obligations des cocontractants un équilibre réel tenant notamment compte de
l’objectif de protection du consommateur sous-tendant la directive 93/13 ».

Si les solutions ne doivent pas être trop coûteuses pour le


consommateur, les sanctions du professionnel doivent être dissuasives.

B) La protection des consommateurs par la sévérité des sanctions


en cas de violation de leurs droits

La protection des droits substantiels des consommateurs se réalise


également par les sanctions de ces droits. La CJUE veille à assurer des
sanctions efficaces et dissuasives. On ne reviendra pas sur l’arrêt Heininger
dont on a vu supra qu’il allait très loin dans la dissuasion ! On se contentera
d’exemples pris en droit des clauses abusives et en droit du crédit.

54
DIEC Première partie C. Noblot

1) L’exemple des clauses abusives

A propos de la directive 93/13 relative aux clauses abusives, plusieurs


arrêts témoignent clairement d’une interprétation en faveur des
consommateurs et de la protection de leur droit sous l’angle des sanctions.

La directive sur les clauses abusives précise que la clause doit être
privée d'effet, tout en laissant aux Etats membres le soin de transcrire
juridiquement la sanction selon leur culture juridique (v. annexes : sanctions
du droit européen de la consommation).

La cour de justice a précisé à plusieurs reprises que la sanction doit


conduire à l’inapplication de la clause et non à sa simple révision : le juge
national ne peut donc pas annuler une clause fixant les intérêts moratoires
d’un contrat de crédit pour ensuite appliquer le taux légal. (CJUE 4 juin 2012,
C-618/10 Banco Espanol de Crédito). Un tel pouvoir de révision du juge
national d’une clause abusive serait contraire à la directive 93/13 tant au
regard de la lettre du texte que de ses objectifs, parmi lesquels celui d’assurer
un effet dissuasif à la sanction.

Dans le même sens, une clause pénale abusive doit être supprimée et
non seulement réduite, CJUE, 30 mai 2013, C-488/11 Brusse ; CJUE 21 janvier
2015, C-482/13, C-484/13, 485/13 et 487/13 Unicaja Banco et Caixabank ;
CJUE, 7 nov. 2019, aff. jtes C-349/18 à C-351/18, Nationale Maatschappij der
Belgische Spoorwegen (NMBS).

Emblématique aussi est l'arrêt Invitel du 26 avril 2012, C-472/10, par


lequel la cour de Luxembourg a donné un effet erga omnes à la suppression
des clauses abusives dans les modèles de contrat ordonnée à la suite d'une
action d’une association de consommateurs.
En se fondant sur l’article 7.1 de la directive 93/13 et sur la mise en
œuvre effective de l’objectif dissuasif des actions en cessation, la cour de
justice décide que les clauses déclarées abusives dans le cadre d’une action
en cessation ne lient ni les consommateurs qui sont parties à la procédure en
cessation, ni ceux qui ont conclu avec ce professionnel un contrat auquel
s'appliquent les mêmes clauses.
Ainsi, même les contrats déjà conclus bénéficient automatiquement de
l'élimination des clauses jugées abusives dans le modèle de contrat,
contrairement à la jurisprudence française de l’époque. La loi Hamon du 17
mars 2014 a modifié le droit français dans le sens voulu par le juge européen
(art L. 621-8 al 2).

2) L’exemple du crédit

55
DIEC Première partie C. Noblot

Affaire LCL le Crédit Lyonnais , C-565-12 du 24 janvier 2014.

Etait en cause l’application de l’article L. 313-13 du CMF français.

« En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt


légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la
décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Cet effet est attaché de
plein droit au jugement d'adjudication sur saisie immobilière, quatre mois après son
prononcé.

Toutefois, le juge de l'exécution peut, à la demande du débiteur ou du créancier, et


en considération de la situation du débiteur, exonérer celui-ci de cette majoration ou en
réduire le montant ».

Dans un contexte où le consommateur débiteur bénéficiait de la


déchéance du droit aux intérêts, pouvait-il, en cas de condamnation à payer
prononcée contre lui, être sanctionné par cet article L. 313-3 ?

« L’exigence de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives


prévue par l’article 23 de la [directive 2008/48], en cas de manquements des
prêteurs aux obligations énoncées par la directive, s’oppose-t-elle à
l’existence de règles permettant au prêteur, sanctionné de la déchéance de
son droit aux intérêts tel que le prévoit la législation française, de bénéficier,
après le prononcé de la sanction, d’intérêts exigibles de plein droit à un taux
légal, majoré de cinq points deux mois après une décision de justice
exécutoire, sur les sommes restant dues par le consommateur?»
La Cour prend en compte la nécessaire dissuasion de la sanction du
professionnel pour répondre.
Pt 55 « Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de
répondre à la question posée que l’article 23 de la directive 2008/48 doit être interprété en
ce sens qu’il s’oppose à l’application d’un régime national de sanctions en vertu duquel, en
cas de violation par le prêteur de son obligation précontractuelle d’évaluer la solvabilité de
l’emprunteur en consultant une base de données appropriée, le prêteur est déchu de son
droit aux intérêts conventionnels, mais bénéficie de plein droit des intérêts au taux légal,
exigibles à compter du prononcé d’une décision de justice condamnant cet emprunteur au
versement des sommes restant dues, lesquels sont en outre majorés de cinq points si, à
l’expiration d’un délai de deux mois qui suit ce prononcé, celui-ci ne s’est pas acquitté de sa
dette, lorsque la juridiction de renvoi constate que, dans un cas tel que celui de l’affaire au
principal, impliquant l’exigibilité immédiate du capital du prêt restant dû en raison de la
défaillance de l’emprunteur, les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le
prêteur à la suite de l’application de la sanction de la déchéance des intérêts ne sont pas
significativement inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier s’il avait respecté son
obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur ».

Depuis une vingtaine d'années, la Cour de justice a même doublé la


protection des droits substantiels des consommateurs d’une protection
processuelle.

56
DIEC Première partie C. Noblot

§2) La protection par la CJUE des droits processuels des


consommateurs
On oppose classiquement le droit étatsunien de la consommation au
droit européen de la consommation par le caractère procédural du premier -
les remèdes primant les droits- et le caractère substantiel du second -les droits
primant les remèdes ainsi que le veut la tradition juridique romano-
germanique.
Bien que les remèdes de droit processuel échappent à l’harmonisation
par le droit européen, le principe étant celui de l’autonomie des Etats
membres sur ce point, la cour de justice a su développer une jurisprudence
qui oblige les Etats membres à faire en sorte que la mise en œuvre des droits
substantiels ne soit pas empêchée par des raisons de procédure.

L’idée est que si des droits sont reconnus au consommateur par le droit
européen, mais que des règles procédurales nationales empêchent leur
exercice, ces droits deviennent ineffectifs. De nombreuses questions
préjudicielles liées aux règles de procédure ont ainsi été soulevées par les
juges nationaux. Les réponses vont souvent dans le sens d’un renforcement
procédural des droits des consommateurs.

Le principe d'autonomie procédurale des Etats membres [voir annexe]


est tempéré par deux principes : celui d'équivalence et celui d'effectivité.
En vertu du premier, les modalités procédurales des recours destinés à
assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union
ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations
similaires soumises au droit interne.
En vertu du second, ces modalités procédurales ne doivent pas rendre
impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits
conférés aux consommateurs par le droit de l’Union.
Ces principes ont d’abord été introduits pour renforcer l’efficacité de la
lutte contre les clauses abusives, puis, ils ont essaimé dans l’ensemble des
droits substantiels reconnus par le droit européen de la consommation.

A) La protection processuelle en matière de clauses abusives

Bien connu en droit de la consommation est le constat suivant, souvent


rappelé par la CJUE : le consommateur est dans une situation d'infériorité à
l'égard du professionnel, particulièrement en ce qui concerne son pouvoir de
négociation et son niveau d'information, conduisant à un risque que, par
ignorance, il n’invoque pas la règle de droit destinée à le protéger.
Une conception neutre du principe d’égalité des armes et de l’office
du juge (juge neutre spectateur du combat que se livrent les protagonistes
« dans l’arène ») est dès lors inadaptée quand les plaideurs sont de forces
inégales.
Sous l'angle du principe d'effectivité, le juge européen en a déduit que
la directive 93/13 imposait une intervention positive extérieure aux parties au
57
DIEC Première partie C. Noblot

contrat, ne pouvant être que celle du juge national intervenant d'office, pour
suppléer cette carence du consommateur.
Cette interventionnisme du juge se traduit par l’obligation qui lui est
faite (CJCE, 26 oct 2006, C-168/05, Mostaza Claro, CJCE, 4 juin 2009, C-
243/08, Pannon , CJUE, 9 juillet 2015, C-348/14, Bucura) et non plus la simple
faculté qui lui est reconnue (Oceano Grupo, 27 juin 2000, C-240/98 et C-
244/98), de relever d'office les clauses abusives dans les actes dont il a à
connaître, ce relevé d’office étant fondé sur l'intérêt public.
Cela étant, cet intérêt public passant par un procès privé, la main du
consommateur ne peut être forcée. Si celui-ci refuse sa protection, après
avoir été informé de ses droits, le droit européen s’incline (aff. Mostaza Claro,
pt 2 ; aff Gómez del Moral Guasch, 3 mars 2020, C-125/18, pt 58).

Les Etats ont été contraints d’adapter leur droit interne en


conséquence.

En ce sens, v. l’art. R 632-1 al 2 C conso. pour le droit français.

Cette obligation pèse sur le juge national, dès lors qu'il dispose des
éléments de fait et de droit nécessaires. Mais, si les faits sont insuffisants pour
se forger sa conviction sur le caractère abusif d’une clause, le juge doit
prendre d'office les mesures d'instruction nécessaires (CJUE, 9 nov 2010, C-
137/08 VB Pénzügyi Lizing Zrt).

Extraits :

Sur la troisième question posée à titre complémentaire

45 Par cette question, qui est libellée dans des termes très généraux, la juridiction de renvoi
cherche à déterminer les responsabilités qui lui incombent, en vertu des dispositions de la
directive, à partir du moment où cette dernière s’interroge sur le caractère éventuellement
abusif d’une clause contractuelle attributive de compétence juridictionnelle territoriale
exclusive. Ladite juridiction demande notamment si, dans une telle situation, le juge national
a l’obligation de procéder à une instruction d’office afin d’établir les éléments de fait et de
droit nécessaires aux fins d’apprécier l’existence d’une telle clause, dans le cas où le droit
national ne prévoit une telle instruction que si l’une des parties le demande.

46 Afin de répondre à la question posée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence
constante, le système de protection mis en œuvre par la directive repose sur l’idée que le
consommateur se trouve dans une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui
concerne tant le pouvoir de négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit
à adhérer aux conditions rédigées préalablement par le professionnel, sans pouvoir exercer
une influence sur le contenu de celles-ci (voir arrêts du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial
et Salvat Editores, C-240/98 à C-244/98, Rec. p. I-4941, point 25; du 26 octobre 2006, Mostaza
Claro, C-168/05, Rec. p. I-10421, point 25, ainsi que du 6 octobre 2009, Asturcom
Telecomunicaciones, C-40/08, Rec. p. I-9579, point 29).

47 La Cour a également jugé que, eu égard à une telle situation d’infériorité, l’article 6,
paragraphe 1, de ladite directive prévoit que les clauses abusives ne lient pas les
consommateurs. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, il s’agit d’une disposition impérative qui
tend à substituer à l’équilibre formel que le contrat établit entre les droits et obligations des

58
DIEC Première partie C. Noblot

contractants un équilibre réel de nature à rétablir l’égalité entre ces derniers (voir arrêts
précités Mostaza Claro, point 36, et Asturcom Telecomunicaciones, point 30).

48 Afin d’assurer la protection voulue par la directive, la Cour a souligné que la situation
d’inégalité entre le consommateur et le professionnel ne peut être compensée que par une
intervention positive, extérieure aux seules parties au contrat (voir arrêts précités Océano
Grupo Editorial et Salvat Editores, point 27, Mostaza Claro; point 26, ainsi que Asturcom
Telecomunicaciones, point 31).

49 Ainsi, dans le cadre des fonctions qui lui incombent en vertu des dispositions de la
directive, le juge national doit vérifier si une clause du contrat faisant l’objet du litige dont il
est saisi entre dans le champ d’application de cette directive.
Dans l’affirmative, ledit juge est tenu d’apprécier, au besoin d’office, cette clause au regard
des exigences de protection du consommateur prévues par ladite directive.

50 En ce qui concerne le premier stade de l’examen devant être effectué par le juge
national, il ressort des dispositions combinées des articles 1er et 3 de la directive que cette
dernière s’applique à toute clause attributive de compétence juridictionnelle territoriale
exclusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur qui n’a
pas fait l’objet d’une négociation individuelle.

51 Afin de garantir l’efficacité de la protection des consommateurs voulue par le législateur


de l’Union, le juge national doit donc, dans tous les cas et quelles que soient les règles de
droit interne, déterminer si la clause litigieuse a fait ou non l’objet d’une négociation
individuelle entre un professionnel et un consommateur.

52 S’agissant du second stade dudit examen, il y a lieu de constater que la clause du contrat
qui fait l’objet du litige au principal prévoit, ainsi que l’a indiqué le juge de renvoi, la
compétence territoriale exclusive d’une juridiction qui n’est pas la juridiction dans le ressort
de laquelle la partie défenderesse a sa résidence ni celle dans le ressort de laquelle se trouve
le siège de la partie requérante, mais celle qui est située à proximité du siège de cette
dernière tant sur le plan géographique que du point de vue des possibilités de transport.

53 En ce qui concerne une clause qui avait été insérée sans avoir fait l’objet d’une
négociation individuelle dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel
et qui conférait une compétence exclusive au tribunal dans le ressort duquel était situé le
siège du professionnel, la Cour a jugé, au point 24 de l’arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat
Editores, précité, qu’une telle clause devait être considérée comme abusive au sens de
l’article 3 de la directive, dans la mesure où elle crée, en dépit de l’exigence de bonne foi,
au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations
des parties découlant du contrat.

54 Il convient de relever que la clause au sujet de laquelle le juge national s’interroge dans
l’affaire au principal, à l’instar d’une clause qui a pour objet de conférer compétence, pour
tous les litiges découlant du contrat, à la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le
siège du professionnel, fait peser sur le consommateur l’obligation de se soumettre à la
compétence exclusive d’un tribunal qui peut être éloigné de son domicile, ce qui est
susceptible de rendre sa comparution plus difficile. Dans le cas de litiges portant sur des
sommes limitées, les frais afférents à la comparution du consommateur pourraient se révéler
dissuasifs et conduire ce dernier à renoncer à tout recours judiciaire ou à toute défense. Une
telle clause entre ainsi dans la catégorie de celles ayant pour objet ou pour effet de
supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice par le consommateur, catégorie visée
au point 1, sous q), de l’annexe de la directive (voir arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat
Editores, précité, point 22).

59
DIEC Première partie C. Noblot

55 En outre, une telle clause attributive de juridiction exclusive permet au professionnel de


regrouper l’ensemble du contentieux afférent à son activité professionnelle devant une
juridiction unique, qui n’est pas celle du ressort du consommateur, ce qui tout à la fois facilite
l’organisation de la comparution dudit professionnel et rend cette dernière moins onéreuse
(voir, en ce sens, arrêt Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, précité, point 23).

56 Il y a lieu, dès lors, de répondre à la troisième question posée à titre complémentaire que
le juge national doit prendre d’office des mesures d’instruction afin d’établir si une clause
attributive de compétence juridictionnelle territoriale exclusive figurant dans le contrat faisant
l’objet du litige dont il est saisi, et qui a été conclu entre un professionnel et un
consommateur, entre dans le champ d’application de la directive et, dans l’affirmative,
apprécier d’office le caractère éventuellement abusif d’une telle clause. »

On s’aperçoit également qu’au nom de l’effectivité de la lutte contre


les clauses abusives, les procédures diligentées contre un consommateur (ex :
injonction de payer ou saisie hypothécaire pour non remboursement d’un
crédit immobilier) sur la base d’une clause abusive doivent être neutralisées.

C'est surtout dans le cadre des procédures civiles d'exécution que ce


courant peut être observé, notamment dans l’arrêt Aziz du 14 mars 2013 (C-
415/11).

extrait

(…) 59 Force est donc de constater qu’un tel régime procédural, en ce qu’il
institue une impossibilité pour le juge du fond, devant lequel le consommateur a introduit une
demande faisant valoir le caractère abusif d’une clause contractuelle constituant le
fondement du titre exécutoire, d’octroyer des mesures provisoires susceptibles de suspendre
la procédure de saisie hypothécaire ou d’y faire échec, lorsque l’octroi de telles mesures
s’avère nécessaire pour garantir la pleine efficacité de sa décision finale, est de nature à
porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive (voir, en ce sens, arrêt
du 13 mars 2007, Unibet, C-432/05, Rec. p. I-2271, point 77).

60 En effet, ainsi que l’a également relevé M me l’avocat général au point 50 de ses
conclusions, sans cette possibilité, dans tous les cas où, comme dans l’affaire au principal, la
saisie immobilière du bien hypothéqué a été réalisée avant le prononcé de la décision du
juge du fond déclarant le caractère abusif de la clause contractuelle à l’origine de
l’hypothèque et donc la nullité de la procédure d’exécution, cette décision ne permettrait
d’assurer audit consommateur qu’une protection a posteriori purement indemnitaire, qui se
révélerait incomplète et insuffisante et ne constituerait un moyen ni adéquat ni efficace pour
faire cesser l’utilisation de cette même clause, contrairement à ce que prévoit l’article 7,
paragraphe 1, de la directive 93/13.

61 Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme dans l’affaire au principal, le bien faisant
l’objet de la garantie hypothécaire est le logement du consommateur lésé et de sa famille,
ce mécanisme de protection des consommateurs limité au paiement de dommages et
intérêts ne permettant pas d’empêcher la perte définitive et irréversible dudit logement.

62 Comme l’a également relevé le juge de renvoi, il suffirait dès lors aux professionnels
d’engager, si les conditions sont remplies, une telle procédure de saisie hypothécaire pour
priver, en substance, les consommateurs du bénéfice de la protection voulue par la
directive, ce qui s’avère également contraire à la jurisprudence de la Cour selon laquelle les
caractéristiques spécifiques des procédures juridictionnelles, qui se déroulent dans le cadre
du droit national entre les professionnels et les consommateurs, ne sauraient constituer un

60
DIEC Première partie C. Noblot

élément susceptible d’affecter la protection juridique dont doivent bénéficier ces derniers en
vertu des dispositions de cette directive (voir, en ce sens, arrêt Banco Español de Crédito,
précité, point 55).

63 Dans ces conditions, il convient de constater que la réglementation espagnole en


cause au principal n’apparaît pas conforme au principe d’effectivité, en ce qu’elle rend
impossible ou excessivement difficile, dans les procédures de saisie hypothécaire engagées
par les professionnels et auxquelles les consommateurs sont défendeurs, l’application de la
protection que la directive entend conférer à ces derniers.

64 À la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre à la première question que la


directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation d’un État
membre, telle que celle en cause au principal, qui, tout en ne prévoyant pas dans le cadre
d’une procédure de saisie hypothécaire des motifs d’opposition tirés du caractère abusif
d’une clause contractuelle constituant le fondement du titre exécutoire, ne permet pas au
juge saisi de la procédure au fond, compétent pour apprécier le caractère abusif d’une telle
clause, d’adopter des mesures provisoires, dont, notamment, la suspension de ladite
procédure d’exécution, lorsque l’octroi de ces mesures est nécessaire pour garantir la pleine
efficacité de sa décision finale. »

La loi procédurale espagnole en question a été modifiée après cette


décision, mais insuffisamment pour protéger les consommateurs espagnols,
car ils ne pouvaient pas, au motif de l’existence d’une clause abusive, faire
appel d’une décision de refus de l’opposition à une saisie (CJUE, 17 juillet
2014, C-169/14, Sanchez Morcillo et Abril Garcia). Une nouvelle loi, cette fois
jugée conforme (ord. 16 juil 2015, C-539/14), a dû être adoptée.

Dans le même sens, le juge de l'exécution statuant sur injonction de


payer doit pouvoir soulever d'office le caractère abusif d'une clause même
lorsque l'autorité saisie de la demande d'injonction n'était pas compétente
pour procéder à une telle appréciation (cjue, 18 fév 2016, C-49/14,
Finanmadrid EFC ; ord. 21 juin 2016, Aktiv Kapital Portfolio, C-122/14 ; v. églt
CJUE 14 juin 2012, C-618/10, Banco Espanol de Crédito).

Extrait CJUE, 18 fév 2016, C-49/14, Finanmadrid EFC

« (…) En l’occurrence, il y a lieu de constater que le déroulement et les particularités de la


procédure d’injonction de payer espagnole sont tels que, à défaut des circonstances faisant
intervenir le juge, rappelées au point 24 du présent arrêt, cette procédure est clôturée sans
possibilité que puisse être exercé un contrôle de l’existence de clauses abusives dans un
contrat conclu entre un professionnel et un consommateur. Si, dès lors, le juge saisi de
l’exécution de l’injonction de payer n’est pas compétent pour apprécier d’office l’existence
de telles clauses, le consommateur pourrait se voir confronté à un titre exécutoire sans
bénéficier, à aucun moment de la procédure, de la garantie qu’une telle appréciation soit
portée.

46 Or, dans ce contexte, force est de constater qu’un tel régime procédural est de nature
à porter atteinte à l’effectivité de la protection voulue par la directive 93/13. En effet, une
telle protection effective des droits découlant de cette directive ne saurait être garantie
qu’à la condition que le système procédural national permette, dans le cadre de la
procédure d’injonction de payer ou dans celui de la procédure d’exécution de l’injonction
de payer, un contrôle d’office de la nature potentiellement abusive des clauses contenues
dans le contrat concerné.

61
DIEC Première partie C. Noblot

47 Une telle considération ne saurait être remise en cause lorsque le droit procédural
national, tel que celui en cause au principal, confère à la décision rendue par le «Secretario
judicial» l’autorité de la chose jugée et reconnaît à celle-ci des effets analogues à ceux
d’une décision juridictionnelle.

48 En effet, il y a lieu de relever que, si les modalités de mise en œuvre du principe de


l’autorité de la chose jugée relèvent de l’ordre juridique interne des États membres, en vertu
du principe de l’autonomie procédurale de ces derniers, ces modalités n’en doivent pas
moins respecter les principes d’équivalence et d’effectivité (voir, en ce sens, arrêt Asturcom
Telecomunicaciones, C-40/08, EU:C:2009:615, point 38 et jurisprudence citée).

49 Or, s’agissant du principe d’équivalence, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au
point 70 de ses conclusions, aucun élément de l’affaire au principal ne permet de conclure
que les modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée prévues par
le droit procédural espagnol seraient moins favorables lorsqu’il s’agit d’affaires tombant dans
le champ d’application de la directive 93/13 que lorsque tel n’est pas le cas.

50 En ce qui concerne le principe d’effectivité, dont le respect par les États membres doit
être apprécié au regard notamment des critères énoncés aux points 43 et 44 du présent
arrêt, il y a lieu de relever que, selon le libellé des articles 815 et 816 de la LEC, le contrôle par
le «Secretario judicial» d’une demande d’injonction de payer se limite à la vérification du
respect des formalités auxquelles une telle demande est soumise, en particulier de
l’exactitude, au regard des documents joints à ladite demande, du montant de la créance
réclamée. Ainsi, en vertu du droit procédural espagnol, il n’entre pas dans la compétence
du «Secretario judicial» d’apprécier le caractère éventuellement abusif d’une clause
contenue dans un contrat qui forme la base de la créance.

51 En outre, il convient de rappeler que la décision du «Secretario judicial» clôturant la


procédure d’injonction de payer acquiert l’autorité de la chose jugée, ce qui rend
impossible le contrôle des clauses abusives au stade de l’exécution d’une injonction, du seul
fait que les consommateurs n’ont pas formé opposition à l’injonction dans le délai prévu à
cet effet et que le «Secretario judicial» n’a pas saisi le juge.

52 À cet égard, il importe premièrement de relever qu’il existe un risque non négligeable
que les consommateurs concernés ne forment pas l’opposition requise soit en raison du délai
particulièrement court prévu à cette fin, soit parce qu’ils peuvent être dissuadés de se
défendre eu égard aux frais qu’une action en justice entraînerait par rapport au montant de
la dette contestée, soit parce qu’ils ignorent ou ne perçoivent pas l’étendue de leurs droits,
ou encore en raison du contenu limité de la demande d’injonction introduite par les
professionnels et donc du caractère incomplet des informations dont ils disposent (voir, en ce
sens, arrêt Banco Español de Crédito, C-618/10, EU:C:2012:349, point 54).

53 Deuxièmement, il résulte de l’ordonnance de renvoi que le «Secretario judicial» est


uniquement tenu de saisir le juge lorsque les documents joints à la demande font ressortir que
le montant réclamé n’est pas exact.

54 Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 75
de ses conclusions, il convient de constater que la réglementation en cause au principal,
relative aux modalités de mise en œuvre du principe de l’autorité de la chose jugée dans le
cadre de la procédure d’injonction de payer, n’apparaît pas conforme au principe
d’effectivité, en ce qu’elle rend impossible ou excessivement difficile, dans les procédures
engagées par les professionnels et dans lesquelles les consommateurs sont défendeurs,
l’application de la protection que la directive 93/13 entend conférer à ces derniers.

62
DIEC Première partie C. Noblot

55 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux


première et deuxième questions posées que la directive 93/13 doit être interprétée en ce
sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal,
qui ne permet pas au juge saisi de l’exécution d’une injonction de payer d’apprécier
d’office le caractère abusif d’une clause contenue dans un contrat conclu entre un
professionnel et un consommateur, lorsque l’autorité saisie de la demande d’injonction de
payer n’est pas compétente pour procéder à une telle appréciation. (…) ».

Le droit polonais a lui aussi été condamné, qui enfermait l'opposition à


l'injonction dans un délai de quinze jours, faisait supporter au consommateur
les trois-quarts des frais de justice de cette procédure et ne permettait pas en
pareil cas le relevé d'office des clauses abusives(CJUE, 2e ch., 13 sept. 2018,
aff. C-176/17, Profi Credit Polska, et, rendu par voie d'ordonnance pour la
similarité de la question posée, CJUE, 7e ch., 28 nov. 2018, aff. C-632/17, PKO
Bank Polski).

Ce genre de décisions, apparu à propos de la directive de 1993 sur les


clauses abusives, tend à prospérer aussi au-delà de ce domaine.

B) La protection processuelle au-delà des clauses abusives

En dehors de la directive 93/13, ont été soulevées des questions


préjudicielles portant sur l’office du juge national dans l’application du droit
européen de la consommation, et ce dans trois secteurs :
-le crédit (C-429/05, Rampion et Godard, CJCE, 4 oct. 2007)
-les contrats hors établissement (C-227/08, Eva Martin Martin, CJCE, 17
décembre 2009),
-la garantie de conformité dans la vente (C-32/12, Soledad Duarte
Hueros, CJCE, 3 oct 2013).

Le point commun entre ces trois arrêts est que le juge européen se
contente de reconnaître une simple faculté pour le juge national de relever
d’office respectivement :
-l’interdépendance entre la vente ou prestation de service et le crédit
affecté, en application de la directive 87/102/CEE (art 11),
-l’inobservation par le professionnel de son obligation d’informer le
consommateur de son droit de rétractation, en application de la directive
85/577/CEE (art 4),
-la réduction du prix quand le consommateur n’a pas songé à la
demander en application de la directive 1999/44, (art 3).
Il y avait ainsi une distinction entre le droit des clauses abusives (soumis
à l’obligation du relevé d’office) et le reste du droit européen (soumis à la
faculté du relevé d’office).

Mais, une importante évolution s’est produite à la suite d’un arrêt Faber
du 4 juin 2015 (C-497/13). S’agissant, en l’espèce, de l’application de la
garantie de conformité en matière de vente issus de la directive 99/44, la
CJUE pose une obligation de relevé d’office à la charge du juge national.
63
DIEC Première partie C. Noblot

Extraits

48 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première,


deuxième, troisième et septième questions que la directive 1999/44 doit être interprétée en
ce sens que le juge national saisi d’un litige portant sur un contrat susceptible d’entrer dans le
champ d’application de cette directive est tenu, dès qu’il dispose des éléments de droit et
de fait nécessaires à cet effet ou peut en disposer sur simple demande d’éclaircissement, de
vérifier si l’acquéreur peut être qualifié de consommateur au sens de ladite directive, même
si ce dernier n’a pas invoqué cette qualité.

« La directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains


aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, doit être interprétée en ce
sens que le juge national saisi d’un litige portant sur un contrat susceptible d’entrer dans le
champ d’application de cette directive est tenu, dès qu’il dispose des éléments de droit et
de fait nécessaires à cet effet ou peut en disposer sur simple demande d’éclaircissement, de
vérifier si l’acquéreur peut être qualifié de consommateur au sens de ladite directive, même
si ce dernier n’a pas invoqué cette qualité. »

Cet arrêt était annonciateur d’une ère nouvelle : celle de la


généralisation de l’obligation de relever d’office.

C’est bien en ce sens que s’inscrit l’arrêt Ernst Georg Redlinger et


Helena Redlingerova du 21 avril 2016 (C-377/14). Cet arrêt exige du juge
national un examen d’office en matière de crédit à la consommation.
En outre, le juge européen réécrit en quelque sorte l’histoire de sa
propre jurisprudence, car, dans sa motivation, la CJUE interprète
rétroactivement sa jurisprudence comme ayant toujours conduit à une
obligation de relever d’office (v. le pt 62).

extraits

« (…) Sur la deuxième question

60 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si


l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens qu’il impose
à une juridiction nationale, saisie d’un litige relatif à des créances trouvant leur origine dans
un contrat de crédit au sens de cette directive, d’examiner d’office le respect de l’obligation
d’information prévue à cette disposition et de tirer toutes les conséquences qui découlent,
selon le droit national, d’une violation de cette obligation.

61 À titre liminaire, il convient de souligner que l’obligation d’information, énoncée à


l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48, contribue, à l’instar de celles prescrites aux
articles 5 et 8 de cette directive, à la réalisation de l’objectif poursuivi par cette dernière, qui
consiste, ainsi qu’il ressort de ses considérants 7 et 9, à prévoir, en matière de crédit aux
consommateurs, une harmonisation complète et impérative dans un certain nombre de
domaines clés, laquelle est considérée comme nécessaire pour assurer à tous les
consommateurs de l’Union un niveau élevé et équivalent de protection de leurs intérêts et
pour faciliter l’émergence d’un marché intérieur performant du crédit à la consommation
(voir, par analogie, arrêt du 18 décembre 2014, CA Consumer Finance, C-449/13,
EU:C:2014:2464, point 21 et jurisprudence citée).

64
DIEC Première partie C. Noblot

62 En ce qui concerne la deuxième question, sous a), il convient de relever que la Cour a
rappelé à de nombreuses reprises l’obligation qui incombe au juge national de procéder
d’office à un examen de la violation de certaines dispositions du droit de l’Union en matière
de consommation [voir, en ce sens, s’agissant de la directive 93/13, arrêt du 4 juin 2009,
Pannon GSM, C-243/08, EU:C:2009:350, point 32; s’agissant de la directive 85/577/CEE du
Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de
contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31), arrêt du
17 décembre 2009, Martín Martín, C-227/08, EU:C:2009:792, point 29, et, s’agissant de la
directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, sur certains
aspects de la vente et des garanties des biens de consommation (JO L 171, p. 12), arrêt du
3 octobre 2013, Duarte Hueros, C-32/12, EU:C:2013:637, point 39].

63 Comme l’a relevé Mme l’avocat général aux points 51 et suivants de ses conclusions,
une telle exigence est justifiée par la considération que le système de protection repose,
selon une jurisprudence constante de la Cour, sur l’idée que le consommateur se trouve dans
une situation d’infériorité à l’égard du professionnel en ce qui concerne tant le pouvoir de
négociation que le niveau d’information, situation qui le conduit à adhérer aux conditions
rédigées préalablement par le professionnel sans pouvoir exercer une influence sur le
contenu de celles-ci (arrêt du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C-32/14, EU:C:2015:637,
point 39 et jurisprudence citée).

64 À cet égard, les informations préalables et concomitantes à la conclusion d’un contrat,


relatives aux conditions contractuelles et aux conséquences de ladite conclusion, sont pour
un consommateur d’une importance fondamentale. C’est notamment sur la base de ces
informations que ce dernier décide s’il souhaite se lier par les conditions préalablement
rédigées par le professionnel (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2014, Constructora
Principado, C-226/12, EU:C:2014:10, point 25 et jurisprudence citée).

65 Par ailleurs, il existe un risque non négligeable que, notamment par ignorance, le
consommateur n’invoque pas la règle de droit destinée à le protéger (arrêt du 4 juin 2015,
Faber, C-497/13, EU:C:2015:357, point 42 et jurisprudence citée).

66 Il s’ensuit que la protection effective du consommateur ne pourrait être atteinte si le


juge national n’était pas tenu d’apprécier d’office le respect des exigences découlant des
normes de l’Union en matière de droit de la consommation (voir, par analogie, arrêt du
4 octobre 2007, Rampion et Godard, C-429/05, EU:C:2007:575, points 61 et 65).

67 En effet, comme il a été rappelé au point 53 du présent arrêt, afin d’assurer la


protection voulue par cette directive, la situation d’inégalité du consommateur par rapport
au professionnel ne peut être compensée que par une intervention positive, extérieure aux
parties au contrat, du juge national saisi de tels litiges.

68 L’examen d’office par le juge national du respect des exigences découlant de la


directive 2008/48 constitue par ailleurs un moyen propre à atteindre le résultat fixé à
l’article 10, paragraphe 2, de cette directive et à contribuer à la réalisation des objectifs visés
à ses considérants 31 et 43 (voir, par analogie, ordonnance du 16 novembre 2010,
Pohotovosť, C-76/10, EU:C:2010:685, point 41 et jurisprudence citée).

69 En particulier, selon l’article 23 de la directive 2008/48, les sanctions prévues en cas de


violation des dispositions nationales adoptées conformément à cette directive doivent
présenter un caractère dissuasif. Or, indubitablement, l’examen d’office par les juridictions
nationales du respect des exigences découlant de la même directive revêt un tel caractère.

70 Le juge national étant donc appelé à assurer l’effet utile de la protection des
consommateurs, voulue par les dispositions de la directive 2008/48, le rôle qui lui est ainsi

65
DIEC Première partie C. Noblot

attribué par le droit de l’Union, dans le domaine considéré, ne se limite pas à la simple
faculté de se prononcer sur le respect desdites exigences, mais comporte également
l’obligation d’examiner d’office cette question, dès qu’il dispose des éléments de droit et de
fait nécessaires à cet effet (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2009, Pannon GSM, C-243/08,
EU:C:2009:350, point 32).

71 En outre, lorsque le juge national a constaté d’office une violation de l’article 10,
paragraphe 2, de la directive 2008/48, il est tenu, sans attendre que le consommateur
présente une demande à cet effet, de tirer toutes les conséquences qui découlent selon le
droit national d’une telle violation, sous réserve du respect du principe du contradictoire
(voir, par analogie, arrêts du 21 février 2013, Banif Plus Bank, C-472/11, EU:C:2013:88, point 36,
et du 1er octobre 2015, ERSTE Bank Hungary, C-32/14, EU:C:2015:637, point 42).

72 Dans ce contexte, il convient également de rappeler qu’il découle de l’article 23 de la


directive 2008/48 que les États membres définissent le régime de sanctions applicables en
cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à cette directive et
prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Outre
leur caractère dissuasif, ces sanctions doivent être effectives et proportionnées.

73 À cet égard, dès lors qu’une juridiction nationale a constaté la violation de l’obligation
d’information, celle-ci doit en tirer toutes les conséquences prévues par le droit national, sous
réserve que les sanctions instituées par celui-ci respectent les exigences de l’article 23 de la
directive 2008/48, telles qu’interprétées par la Cour, notamment dans l’arrêt LCL Le Crédit
Lyonnais (C-565/12, EU:C:2014:190).

74 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la


deuxième question que l’article 10, paragraphe 2, de la directive 2008/48 doit être interprété
en ce sens qu’il impose à une juridiction nationale, saisie d’un litige relatif à des créances
trouvant leur origine dans un contrat de crédit au sens de cette directive, d’examiner
d’office le respect de l’obligation d’information prévue à cette disposition et de tirer les
conséquences qui découlent en droit national d’une violation de cette obligation, à
condition que les sanctions satisfassent aux exigences de l’article 23 de ladite directive. »

Il s’en déduit que dorénavant, quelle que soit la disposition de droit


européen de la consommation, l'effectivité de celui-ci justifie l’obligation pour
le juge national de relever d'office le non-respect de cette disposition.

Un arrêt tempère toutefois quelque peu la politique jurisprudentielle


européenne de protection des consommateurs dans le cadre des
procédures civiles d’exécution. Il s’agit de l’arrêt CJUE du 19 sept. 2018, rendu
dans l’affaire Bankia (C-109/17) à propos de la directive 2005/29 sur les
pratiques commerciales déloyales.

Extrait :
« l’article 11 de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11
mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des
consommateurs dans le marché intérieur […], doit être interprété en ce sens qu’il ne
s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui
interdit au juge de la procédure de saisie hypothécaire de contrôler, d’office ou à la
demande des parties, la validité du titre exécutoire au regard de l’existence de pratiques
commerciales déloyales et, en tout état de cause, au juge compétent pour statuer au fond
sur l’existence de ces pratiques d’adopter des mesures provisoires, telles que la suspension de
la procédure de saisie hypothécaire ».

66
DIEC Première partie C. Noblot

Certains observateurs (J.-D. Pellier, Dalloz actualités, 1er oct. 2018 ; E.


Poillot, in Droit de la consommation, Droit interne et européen, sous la dir de
D. Fenouillet, Dalloz, 2021-2022, n° 031-28, p. 56) ont relevé combien cette
décision Bankia jurait avec l’arrêt Aziz précité CJUE du 14 mars 2013, aff. n° C-
415/11 rendu en matière de clause abusive.
Mais, comme le relève la Cour, « 36. (…) si ces deux directives visent à garantir
un niveau élevé de protection des consommateurs, elles poursuivent néanmoins cet objectif
par des modalités différentes. 37 En effet, la directive 93/13 dispose expressément, à son
article 6, paragraphe 1, que les clauses abusives ne lient pas les consommateurs. (…)40 Il en
va autrement en ce qui concerne la directive 2005/29. 41 En effet, (…), cette directive se
borne à interdire les pratiques commerciales déloyales (…) 46 Il s’ensuit que, sur la seule base
des dispositions de ladite directive, une clause contractuelle ne saurait être déclarée
invalide, alors même qu’elle a été convenue entre les parties au contrat sur la base d’une
pratique commerciale déloyale. ».

67
DIEC Première partie C. Noblot

Annexes

*Autonomie procédurale des Etats membres.

Ce principe signifie que les Etats membres de l’Union sont maîtres de la mise
en œuvre procédurale des droits substantiels européens au sein de leur ordre
juridique.

Non visé par les traités, ce principe est prétorien et correspond à une
déclinaison du principe de subsidiarité.

Il a été exprimé à l’occasion de grands arrêts du droit européen de la


consommation : notamment Océano Grupo (aff. C-240/98 à C-244/98),
Cofidis (aff. C-473/00), Mostaza Claro, aff. C-168/05 et Aziz, aff. C-415/11

« cf., par exemple, le point 24 de l’arrêt Mostaza Claro, aff. C-168/05 : « en


l’absence de réglementation communautaire en la matière, les modalités
procédurales visant à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables
tirent du droit communautaire relèvent de l’ordre juridique interne de chaque
État membre en vertu du principe de l’autonomie procédurale des États
membres, (…) ».

Mais ce principe n’empêche pas l’union d’intervenir en matière d’actions


(Dir. 2009/22/CE, sur les actions en cessation (v annexe I) puis Dir. (UE)
2020/1828 du Parlement européen et du conseil du 25 nov. 2020 relative aux
actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des
consommateurs et abrogeant la directive 2009/22/CE)

**Effectivité du droit européen de la consommation (sur ce thème, v. E. Poillot,


L’effectivité du droit européen de la consommation, RLDA juin2015, n° 105, p.
80)

D’où vient cette exigence ?

On la trouve exprimée dans le droit primaire de l’Union à deux endroits en


particulier.

En premier lieu dans l’article 19 §1 du TUE.

Article 19

68
DIEC Première partie C. Noblot

1. La Cour de justice de l'Union européenne comprend la Cour de justice, le


Tribunal et des tribunaux spécialisés. Elle assure le respect du droit dans
l'interprétation et l'application des traités.

Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer
une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le
droit de l'Union.

2. La Cour de justice est composée d'un juge par État membre. Elle est assistée d'avocats généraux.

Le Tribunal compte au moins un juge par État membre.

Les juges et les avocats généraux de la Cour de justice et les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités
offrant toutes garanties d'indépendance et réunissant les conditions visées aux articles 253 et 254 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne. Ils sont nommés d'un commun accord par les gouvernements des États
membres pour six ans. Les juges et les avocats généraux sortants peuvent être nommés de nouveau.

3. La Cour de justice de l'Union européenne statue conformément aux traités:

a) sur les recours formés par un État membre, une institution ou des personnes physiques ou morales;

b) à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l'interprétation du droit de l'Union ou sur la validité
d'actes adoptés par les institutions;

c) dans les autres cas prévus par les traités.

En second lieu, dans l’article 81 du TFUE.

Art 81 TFUE

1. L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles


ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance
mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires. Cette coopération peut
inclure l'adoption de mesures de rapprochement des dispositions législatives
et réglementaires des États membres.

2. Aux fins du paragraphe 1, le Parlement européen et le Conseil, statuant


conformément à la procédure législative ordinaire, adoptent, notamment
lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des
mesures visant à assurer :

a) la reconnaissance mutuelle entre les États membres des décisions


judiciaires et extrajudiciaires, et leur exécution ;

b) la signification et la notification transfrontières des actes judiciaires et


extrajudiciaires ;

c) la compatibilité des règles applicables dans les États membres en matière


de conflit de lois et de compétence ;

69
DIEC Première partie C. Noblot

d) la coopération en matière d'obtention des preuves ;

e) un accès effectif à la justice ;

f) l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au


besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile
applicables dans les États membres ;

g) le développement de méthodes alternatives de résolution des litiges ;

h) un soutien à la formation des magistrats et des personnels de justice.

3. Par dérogation au paragraphe 2, les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontière
sont établies par le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale. Celui-ci statue à
l'unanimité, après consultation du Parlement européen. (…)

Le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision déterminant les aspects du droit de la
famille ayant une incidence transfrontière susceptibles de faire l'objet d'actes adoptés selon la procédure législative
ordinaire. Le Conseil statue à l'unanimité, après consultation du Parlement européen.

La proposition visée au deuxième alinéa est transmise aux parlements nationaux. En cas d'opposition d'un parlement
national notifiée dans un délai de six mois après cette transmission, la décision n'est pas adoptée. En l'absence
d'opposition, le Conseil peut adopter ladite décision. »

***Sanctions du droit européen de la consommation

L’article 114 du TFUE autorise une action du législateur européen pour le


rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives
des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du
marché intérieur.

Les textes de protection des consommateurs adoptés sur le fondement


de la compétence de l’Union en matière de rapprochement des législations
en appellent à l’exigence d’effectivité, par une obligation faite aux États
membres de garantir une sanction efficace proportionnée et dissuasive de la
violation des dispositions nationales prises en application des directives et
celle de prendre toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de
celles-ci. Les directives de protection des droits des consommateurs
rappellent systématiquement cette obligation.

Trois exemples :

Article 7 de la directive 93/13/CE sur les clauses abusives

« les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi
que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces
existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats
conclus avec les consommateurs par un professionnel ».

Article 13 de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales


déloyales :
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DIEC Première partie C. Noblot

« les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux


violations des dispositions nationales prises en application de la présente
directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions
ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ».

Article 24§1 de la directive 2011/83/UE sur les droits des consommateurs :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux


violations des dispositions nationales prises en application de la présente
directive et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre
de celles-ci. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives,
proportionnées et dissuasives ».

L’exigence d’effectivité ou d’efficacité ainsi rappelée par le législateur


européen relève des États membres qui doivent veiller à ce que l’effet utile
du droit de l’Union soit assuré.

On note que le droit européen ne précise pas « les sanctions » (civiles ?,


nullité ?, résolution ?, pénale ? ou administrative ?) ou parle de « moyens
adéquats et efficaces » sans plus de précision.

Pourquoi cette relative imprécision ?

C’est parce que cette exigence d’effectivité posée par les textes de droit
substantiel est limitée par l’existence, en droit européen, du principe
d’autonomie procédurale des États membres.

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