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Pierre Boulez Penser la musique aujourd’hui Denoél/ Gonthier ‘Au Docteur Wolfgang Steinecke, Le dédie es études éerites & Darmstadt, pour Darmstadt, cen témoignage de sympathie et amitié. Eaiions Gonthier © CB. Schot’s Sone Mayence, 19653 De moi & moi — Le musicien est toujours suspect, dés quill a Vinten tion de se livrer @ une introspection analytique. — Je Faccorde, on a volontiers considéré la réflexion sous Vangle éthéré des spéculations « poétiques », position prudente, au demeurant. — Elle a comme supréme avantage de rester dans le vague et de se bercer de quelques formules éprouvées. Les basses besognes techniques ne sont pas jugées dignes de figurer dans les salles dapparat ; elles doivent rester ‘modestement a Voffice, et Ton ne se prive pas de vous reprocher votre incongruité si Venvie vous prend dadop- ter attitude contraire. — De fait, it sest produit quelques exces, avouer-le : Ton a réservé quelquefois plus de temps a Foffice qu'il nen faudrait consacrer; on nous a montré les notes de gaz, délectricté, que saisje... Toutes les factures y sont pastées, généreusement ! Cela ne résout pas davaniage la ‘question ! Qui pourra se targuer, dailleurs, de ta résoudre jamais ? — Cependant, vous auriez mauvalse grace a ne pas le cconstater, Ton se refuse généralement a Tintrospection tant du c6té de chez Guermantes... ot le régime matrimo- nial des sons est réglementé suivant une tradition sociale intouchable, que du c6té de chez Swann... oit 'amour libre est de rigueur entre les notes. Ce qui dénote, finalement, une méfiance de Tintelligence bien symptomatique, des deux cbtés. Citerai-je Baudelaire ? — Il ne vous en empéchera pas. — Cortes... Ecoutez : «Je plains les podtes que guide le seul instinct; je les crois incomplets.. I! est impossible quiun poéte ne contienne pas un critique.» Ecoutez 6 PENSER LA. MUSIQUE — Encore Baudelaire ? Je veux illuminer les choses avec mon esprit et en projeter le reflet sur les autres esprts. » Ecouter toujours ! = Toujours Baudelaire ? Le but divin est Vinfaillibilté dans la production poétique. » Bien sir, on peut jouer longtemps avec les ‘citations. — Quelquefois @ qui perd gagne! — Mais enfin, ract-on pas le droit destimer hautement son opinion... — Ma «fait ses prewves », mest-ce pas? spécialement lorsqu'l refuse de confondre poés et « pature de la raison >, et « ivresse du caeur >? lorsqu'il ‘exige une métaphore « mathématiquement exacte » 2. Bien, fermons Baudelaire ! — Aucune caution ne justifiera jamais quoi que ce soit. —Je ne Yavais point pris comme caution; je trouve ‘chez lui le don décrire supérieur au mien : il a formulé Texigence fondamentale micux que je nespere le faire avec des mots. — La modestie, ce péché capital ! — Vous avez cru a une profession de foi? Personnelle, ‘mime? I! faut bien que je vous détrompe. — Encore la modestie ! — Me croirez-vous le porte-parole, le porte-drapeau. — Quelle débauche de métaphores militaires! Allez vous dire ... de Pavant-garde » ? — d'une école? — Cette école, beaucoup Ia tiennent pour aberrante ! = Quoi? Laissez-moi de nouveau placer une citation ! — En éprowvez-vous une si urgente nécessité 7 — Je veux montrer ma culture! Voici le texte : « Paurais 4 le prier de remarquer sur ce sujet, que quand un senti- ‘ment est embrassé par plusieurs personnes savantes, on ne doit point faire destime des objections qui semblent le DE Mot A Mot 7 ruiner, quand elles sont trds faciles @ prévoir, parce qu'on doit croire que ceux qui le soutiennent y ont déjd pris ‘garde, et qu’étant facilement découverte, ils en ont trouvé Ia solution puisqwils continuent dans cette pensée.> De qui cette opinion ironique et tranchante ? — Polémique pure! — Polémique? Crest un peu court... Pascal scrips. Il parlait de science, et de « personnes savantes » = Ce serait restreindre singulitrement la pensée de Pascal que vouloir la circonscrire a ce cas particulier. N'y aetil pas mille facons d'étre « savant »? — Revenons a Pe école >. Je ne saurais! — Ce mot vous blesse ? — Je le trouve dérisoire. Il y a de Vépicier & vouloi tout classer en écoles; cette répartition sur rayonnages, avec étiquettes et prix, dénote surtout un abus dautorité, de droit, de conflance, bref, de tout ce que vous voudrez ! — Les divergences de personnalités vous induiront ccependant & constate — Hélas! elles maménent & constater cect: que les forces vives de la création se sont massivement portées dans la méme direction. — Vous étes outrageusement partial! — Admetions-le | La critique doit étre passionnée pour dire exacte. Que m'importe le sentiment de tel ramasseur aépaves? Mon opinion compte mille fois plus que la sienne ; c'est elle qu'on retiendra. — Toute discussion est franchement impossible ! — Aussi bien qu'il m'est impossible de croire a cette boutique oi les « tendances » sont répertoriées pour la plus grande gloire de la tolérance. Je me vante déire ant diletante, souverainement. — Ah! voila une réminiscence déconcertante ! — Antidilettante? 8 PENSER LA MUSIQUE — Nroubliec pas quiil se méfiait, ce monsieur a « téte sche et breve», des variations brillantes sur Pair de ‘vous vous étes trompé, parce que vous ne faites pas ‘comme moi » — Oui, mais mon cas est différent... — et quil essayait « de voir, a travers les auvres, les ‘mouvements multiples qui les ont fait naitre et ce qu'elles contiennent de vie intérieure ». Il trouvait cela « autrement intéressant que le jeu qui consiste a les démonter comme de curieuses montres ». — Encore fautil savoir fabriquer des montres pour les donner en piture aux bricoleurs du démontage ! Du reste, Monsieur Croche avait quelque don pour les formules ambigués. Que pensez-vous de cellesla entre autres: «I faut chercher la discipline dans Ia liberté...»? S'il y a deux termes que Ton prend pour antinomiques, ce sont bien : discipline et liberté! — Monsieur Crocke veut briller, faire du paradoxe, é1a- ler sa désinvolture, — Pal Pimpression que vous faites profondément injure sa mémoire. Au demeurant, lassez-moi vous dire que je nne crois pas aux écoles, car je reste persuadé qu'un lan- gage est un héritage collectif dont il sagit de prendre en charge Pévolution, et que cette évolution va dans un sens bien déterminé + mais qu'il peut exister des courants taté- raux, se produire des glissements, des ruptures, des retards, des recouvrements, des.. — Arrétez! vous vous fourvoyez vous-méme dans un «courant » de mots dangereux, qui me justifieraient sans trop de peine. — Sans trop de peine ? Voire ! Il faudrait pour cela que Faccepte pour argent comptant des malentendus acci- ‘mulés — consciemment ou inconsciemment — par les his- toriens de la musique. Ils se sont livrés pieds et poings és au culte du héros! La réaction s'est manifestée natu DB Mot A Mot 9 rellement : on ne peut plus parler que de « nécessité iné- luctable du langage >, de « lois intransgressibles de Pévolu- tion». Comme si la continuité historique n'avait pas a dire « révélée » par la personnalité dexception | — Vous étes done assuré quaucune « personnalité dex- ception» ne surgira hors des données historiques impli quées par une période déterminée ? — La naissance d’Athéna, en quelque sorte? A moins que vous ne trouviec plus séduisante celle d'Aphrodite ? — Soyez done plus réservé ! Aprés votre « révélation », Fattendais déja les langues de feu. — Laissons la mythologie, et convenez que vous seriez bien en peine de trouver ce bloc erratique — «chu d'un désastre obscur » ? — qui ne serait pas « conditionné » par son miliew, comme on dit. Vous savez, du reste, que les historiens et les esthéticiens peuvent, en trois coups de plume, rattacher tout a tout, et n'importe quoi a n'importe quoi: ces subtils raisonnements sont la substance fonda- ‘mentale d'innombrables opuscules... Soit! faisons abstrac~ tion des sophistes ! Je vous prouverai que ce « condition- nement » n'est pas, pour moi, un tabou. Je reprendrat presque @ mon compte: «lenthousiasme du milieu me gate un artiste, tant fai peur quil ne devienne par la suite que Pexpression de son milieu >. — Encore une citation? — Devinez ! — Baudelaire, peut-étre? Le dandy Baudelaire ? — Non, Croche Fantidlettante ! Puisque nous en reve- rnons a lui, je reprends sa formule: « Il faut chercher la discipline dans la liberté », et faffirme, en retour, qu'on ne peut trouver la liberté que par la discipline ! = Peut-itre ne serait-il pas du tout daccord avec vous ? Peuttire vous décocheraitil son sourire «long et insup- portable»? 10 PENSER LA. MUSIQUE = Tant pis! fen serais naveé ; mais nous vivons a quelque cinquante ans de distance. — Le «conditionnement », en somme! — Parfaitement ! la situation est loin d'étre similaire, it nous faut réagir autrement : Vintuition sapplique a des ‘objectifs différents. Il est nécessaire pour cela de montrer quelques notes de gaz et délectricté, de démonter quel- ques montres. — Auriez-vous mauvaise conscience ? Quel vertige vous saisit! Est-ce mol qui dots vous donner courage? — Courage? Non point! Quant au vertige.. It faut Vavouer: la ligne de créte est si étroite quion y avance quelquefois en mettant un pied devant autre. Comme il est malaisé d'étre libre et discipling ! — La mélancolie vous gagne, et Tattendrissement sur vous-méme! Pour peu que vous continuiez ainsi, vous me ‘contraindrez @ partager vos opinions, jusqu'aux plus extrémes! Votre scrupule augmente les miens, et je me reprocke presque de vous avoir tenu pour sectaire.. — Soyez sans crainte! je suis assez sectaire pour ne pas redouter le vertige. — Coup de talon! vous refaites surface! et vous me redevenez terriblement suspect ! = Que vous disais,je: «Le musicien».. Considérations générales Songeant A la somme des études, et articles Jes plus importants parus depuis une dizaine dannées, nous pov- vors, groso modo, Tes départager en deux catégories ceux qui se proposent un bilan critique de Tépoque précé- dente en ses phases différentes, sous ses divers aspects — selon les personnalitis créatrices, les développements ensemble, Tes découvertes de détil; ceux qui satta- cheat A un point particulier du développement actuel, Ta description dune ceuvre récente, & a justification d'un travail en cours. Je ne considére pas comme significatits certains apercus qui se voudraient dé «historiques » sur Ja situation présente et qui tiennent & la fois du reportage journalistique, de la distribution de prix et de la Carte de Tendre; le «bavardage tactique > doat relevent de tels exposés ne peut faire illusion, ni suppléer a la faiblesse de pensSe et au manque total d'études sérieuses & partir des textes. L’on ne saurait, en our, comprendre autre- ment que comme « récitals poftiques » @'acteurs-amateurs, Jes confessions publiques au vieux parfum Dada, « O alter Duft aus Mirchenzeit», of un humour, qui se voudrait radical, se rabaisse A Tesprit de commis-voyageur et & autobiographie exhibitioanste; la matitre en est mince, Ia fagon dilettante: aucun cirque alengagerit ces clowns piles. Au mieux, ils sont parfois rafraichissats..coca cola is good for you! La plupart des études sur la période immédiatement préoédente sont d'un intérét soutenu pour deux raisons : le choix de objet analyse, et Tanalyse elleméme. J, plusieurs fois deja, fait remarquer qu'une analyse a‘avait 2 PENSER LA. MUSIQUE Gintérét veritable que dans la mesure od elle était active et ne saurait étre fructueuse qu’en fonction des déductions et conséquences pour le futur. Il convient ici de préciser mes vues pour éviter tout malenteadu sur la méthode et la fonction analytiques. ‘Nous avons, ¢i et 18, assisté A une abondaate floraison analyses plus ou moins absurdes qui, sous divers pré- textes — phénoménologie, statistique... — ont abouti une dégradation, & une caricature déplorables. I n'y a gudre, les analyses « comptables » étaient presque parve- rues & déconsidérer Vobjet qu’elles se proposaient comme but d'une étude exhaustive; ainsi en va-til, plus récem- ‘ment, pour ces investigations & base de statistique et information, qui reviennent & compter les fruits dun arbre, ou A les décrize sans tenir compte de V'arbre lui- méme et en ignorant impavidement le processus de fécon- dation. Nous sommes saturés de ces immenses tableaux aux symboles dérisoires, miroirs de néant, horaires fictifs de trains qui ne partiront point! On constate existence des phénoménes sans leur chercher d'explication cohé- rente, mais on est bien empéché de déduire de ce constat autre chose que des pétiodicités évidentes ou des irrégula- cits non moins évidentes, c'est-i-dire les profils les plus lémentaires. 11 y a également — mais je n'en parle que pour mémoire — une forme de paraphrase qui consiste a trans- ctire graphiquement les symboles notés dune partition. Cela revient & une transposition sommaire de résultats 62 circonscrits & Taide d'une symbolique plus perfec- tionnée; de Teuvre & sa description, on observe, par conséquent, un notoire affaiblissement: on ne saurait accepter comme moyen d'investigation une démarche qui arrive méme pas a rendre compte des structures étudiées, aussi finement que leur notation originale ; cette manie graphique tourne aisément a la pratique d'analphabéte. Il se produit encore une confusion entre Texposé des (CONSIDERATIONS GENERALES 13 structures résultantes obtenues par un ensemble déterminé de procédés d'engendrement ou de combinaison, et Minves- tigation que suppose étude réelle des procédés cux- mémes, de l'ensemble de leurs caractéres : effets et causes, sont allégrement échangés. L’exposé de telles structures ppeut étre fort bien vu, avec perspicacité méme, présenté clairement et intelligemment ; il n’en reste pas moins que, Von s'en tient 18, on est demeuré fort loin d'une vérita- ble méthode analytique. Constater et décrire ne sont, au mieux, qu'un seuil. Dans le meilleur des cas, nous nous trouvons face & un calcul » des événements musicaux: or, calcul et pensée ne se laissent pas réduire A une méme opération. Com- ment procSder alors? Doit-on retrouver les réflexions de auteur, les voies qui ont amené d'une idée générale sans, doute assez vague — par Ia recherche et application des moyens appropriés, d'une méthode adéquate — jusqu’s Faboutissement d'une forme parfaitement déterminée? Tl rhe me parait point que, hors du cas ob Yon voudrait étu- ier la psychologic elle-méme de T'auteur-en-train-de- composer, cette sorte «approche soit tris fructueuse ; elle a, en outre, le désavantage — si jose dire — de circons- crire fermement Teuvre dans les limites’ de Vimagination eréatrice de cet auteur: contraite paralysante, car il reste primordial, & mon sens, de sauvegarder le potentiel inconau enclos dans un chef-d'euvre. Je demeure per~ suadé que l'auteur, aussi perspicace soitl, ne peut con- cevoir les conséquences — proches ou lointaines — de ce quil a écrit, et que son optique n'est pas foreément plus aigué que celle de lanalyste (tel que je le consois). Cer~ tains procédis, résultats, manitres dinveater, vieilliront fou bien resteront purement personnels, qui lui avaient para primordiaux lorsquill les a découverts ; et il aura considéré comme négligeables ou comme détails secondai- es des apergus qui se révéleront, tardivement, impor 4 PENSER LA MUSIQUE tance capitale, C'est un grave préjudice que de confondre la valeur de Teuvre, ou sa nouveauté immédiate, avec son éventuel pouvoir de fertiliser. Pour conclure, nous allons définir ce que nous estimons comme les constitvants indispensables d'une méthode ana- lytique active: T'on se doit de partir d'une observation ‘aussi minutieuse et aussi exacte que possible des faits ‘musicaux qui nous sont proposés; il s'agit ensuite de trou- ‘ver un schéma, une loi dorganisation interne qui rende compte, avec le maximum de cohérence, de ces fai vient, enfin, Vinterprétation des lois de composition dédui- tes de cette application partculitre. Toutes ces étapes sont nécessaires; c'est se livrer A un travail de technicien tout A fait secondaire que de ne pas poursuivre jusqu’a P'étape capitale: Finterprétation des. structures ; & partir de Ta, et de Ta seulement, on pourra s'assurer que leuvre a 616 assimilée et comprise. Il serait illusion, par incidence, de n'y vouloir chercher que des cautions, qu'une justification — en soi inutile, auteur n'est alors qu'un prétexte, assurément? Michel Butor, & la fin de son essai sur Baudelaire, répond défi tivement a cette objection. « Certains, écrit, estimeront peut-ire que, désirant parler de Baudelaire, je wai réussi a parler que de moi-méme. Il vaudrait certainement mieux dire que clest Baudelaire qui parlait de moi. I! parle de vous. » Si vous interrogez avec persévérance — ou véhé- rence, et conviction, les maitres d'une époque précédente, vous devenez leur médium afin quils puissent vous don- ner leur réponse: ils parlent de vous par vous. Cest done Vévolution, le devenir de notre propre pensée que nous avons vu, tant bien que mal, s'inscrire dans des Etudes qui se proposaient, avant tout, de scruter un proche passé. Au centre de ces « explorations » se place, de toute Evidence, Webern, qui apparut trés t6t comme le point de repite capital permettant de définir sa propre personna- CONSIDERATIONS GENERALES 15 Tie ; les commentaires wéberniens sont wont été utiles que dans la mesure oi ils ont dégagé les lignes de force de la période actuelle: série considérée comme une répartition hiérarchique, importance de Tinter- valle et des proportions dintervalls, rSle du chromatisme et des sons complémentaies, structures combinées des dif- férentes caractéisiques du phénoméne sonore. Naturellement, dans cette premitre eatégorie études, twouve-ton une nette tendance a « géaéraliser > car il est relativement aisé dintégrer le cas particulier au contexte historique ; dans les descriptions du développement actuel, en revanche, on a certainement sousestimé le fait que prendre — au fur et & mesure — une vue ensemble sur TPévolution du langage et de Ia pensée était au moins aussi important qu'entrer dans le détail des dverses découvertes morphologiques ou syntaxiques. Et certes, lorsqu'on vit «au jour le jour » son expérience créatrce, il est difficile, pour ne pas dire parfois impossible, d'loigner ses préoc- ccupations directes, immédiates, pour faire, avec la distan- ciation néeessaire, une critique clairvoyante, impliquant Tucidité et intransigeance, des résultats en cours. Lorsqu'l est enfoncé dans Veeuvre en devenis, il a'y a aucun doute que le compesiteur se forge Iui-méme une psychologic dinfilibilité & court terme ; sans cette bous- sole provisoire — «jai absolument raison » — i bésiterait & saventurer sur des terres vierges. Ce réflexe est un rele sain, il lui permettra de venir A bout du périple impréva qu'il doit accomplir avant achever son travail. ‘Néanmoins, en cours de route, il lui est indispensable stimer les distances parcourves, de relever ses coordon- nées, bref, de s'assurer quil ne dévie pas de son propos. Je ne songe point & insinuer que le résultat final exige une parfite indentification avec le propos initial — on a dessein de faire un portrait et Yon se trouve avoir réalisé ‘une nature morte. (Heary Miller a savoureusement déerit 16 PENSER LA. MUSIQUE Ja gentse d'un chef-<'euvre dans la nouvelle intitulée Je porte un ange en filigrane. Je voudrais au moins citer: « Vous pourrez dite, ce chef-d'euvre, c'est un acti dent — et c'est bien vrai. Mais le Psaume 23 aussi. Toute nnaissance est miraculeuse et inspirée. Ce qui apparait maintenant devant mes yeux est Ie fruit d'innombrables erreurs, de reculs, de ratures, d'hésitations ; c'est aussi le résultat de la certitude»; et: «Le monde du réel et de Ja contrefacon est dertitre nous, nous Iui tournons le dos. Du tangible, nous avons tiré T'intangible. ») Limportant consiste A verifier si toutes les bifurcations, les incidentes ft les retournements sont intégrés au contexte : V'adoption d'un résultat pour une fraction déterminée n’arrive pas & se justifier seulement selon son actualité, sa mise en place ‘opportune — ce résultat peut, au contraire, masquer Ia ‘vraie solution, ou encore rompre la cobésion interne, démanteler la logique de coordination en refusant de Slitégrer au tout; il y a quelquefois antinomie fonciére entre structure globale et structures partielles : bien que Jes secondes aient été « prévues » comme subordonnées A la premiére, elles acquitrent — par leur agencement particulier — une autonomie existence, véritable force centrifuge. (Nous reviendrons sur ce phénoméne, lorsque ‘nous approfondirons les questions de la forme.) Ainsi en , parallélement, des réflexions et des études sur les différents champs de Tévolution actuelle, si l'on ne prend. soin de vérifier les résultats obtenus dans Tun par les recherches opérées dans les autres ‘A ce point de vue, 1a musique actuelle, si elle a résolu parfaitement le probléme de sa paternité, est loin de don- ner liew A une synthése générale : selon les années, oa s'est fixé, hypnotisé, sur tel probléme, tel cas particulier. On ‘peut pratiquement « dater » nombre de partitions — épi- onales, certes — suivant le caractére des préoccupations Quelles subissent, des tentations auxquelles elles cddent, ‘CONSIDERATIONS GENERALES 7 es frénésies qui les possédent; il est & craindre que ce ne soit comme une vague collective qui ait entrainé ces diverses fixations. Epidémies redoutables et régulitres : il ¥ a eu Tannée des séries chiffrées, celle des timbres nou- Vellement entrés dans usage courant, celle des tempi coordonnés; il y a eu Yannée stéréophonique, V'année des actions il y a eu Yannée du hasard; on peut d&ja prévoir année de Vinformel : le mot fera fortune! Que Yon ne soupgonne point, de ma part, une polémique trop facile & ‘mener, car les arguments surabondent, et les talents set- viles et mineurs : pour cette raison, je ne Ventamerai pas je me borne & constater que toute collecivité, surtout lors- quielle est restreinte, comme une collectivité de composi- teurs, engendre ses fétichismes changeants: du nombre, des, grands nombres, de espace, du papier, du graphisme (Ges graffiti, aussi bien) de la (non-)psychologie, de Vinfor- mation, de l'action — en conséquence, de la réaction ! — du peutdtre, du pourquoi pas, du qu’en dira--on.. On a tout Joisir de comparer Ia mentalité d'une pareille collectivité e'épigones A celle des tribus «primitives mémes réflenes & Tégard des fétiches sur lesquels on a jeté soa dévolu. On raconte que, dans certaines tribus Afrique, si idole adoptée s'a pas rendu les services qu’on attendait delle, on la bat, on la mutile et finalement fon la jette aux ordures en Taccablant de crachats et injures, pour en trouver une autre, éventuellement plus bénéfique. La tribu des épigones n’agit pas autrement : elle se précipite avec voracité sur un moyen déterminé, dont elle mapercevra évidemment ni les origines, ni la nécessité, puisquelle Tisole de toute pensée conductrice logiques elle en fera des applications standardisées, et, ayant rapidement épuisé ses charmes apparents, incapable quelle se trouve den saisir la rigueur interne, il lui faut trouver un nouveau ballon Coxygéne, coite que coi Ja fourmiligre attend le cho qui va Vaffoler et la mettre 18 PENSER LA MUSIQUE ‘en remue-ménage. On conviendra qu'une telle pratique it tout crdment) reléve du bordel didées plus que de la composition. Il était utile, sans doute, que ces fétichismes se soient doané libre cours car ils ont eu le mérite de clarifier la ation ; ce n'est point par paradoxe que je Iécris. Une Période comme Ia nétre aura connu leur expansion plus rapide, étant donné Ia plus grande facilité de diffusion ; mais «épigonisme », a vrai dire, n'est pas un fait parti- cculitrement remarquable de nouveauté: c'est méme un mal nécessaire ; il aiguille Yattention plus vite et & mé dres frais sur la caducité de certains procédés, la non- validité de certains raisonnements — démonstration ab absurdo ; il met en garde et tient en éveil toute conscience créatrice qui tendrait & s'éblouir des merveilles nouvelles encontrées, & se laisser prendre au pidge narcissique des miroirs qu'elle se fabrique. L's épigonisme » peut étre con- sidéré comme la critique 1a plus aigué, quoique — ow parce qu’involontaire ; profitant des lesons qui s’en peu- ‘vent tirer, on aurait tort de sen irriter. Aussi bien, le domaine créateur n'a-til pas fini de s'enrichir des résul- tats auxquels il concourt, négativement. Néanmoins, sill faut voir les choses en face, jaffirme que tous ces divers {fétichismes proviennent d'un manque profond dintellec- tualisme. Cet énoncé paraitra étrange, alors quien géné- ral on juge Ia musique de nos jours hyper-intellectuelle ; je puis, au contraire, constater, sous de nombreux aspects, tune régression mentale certaine: pour ma part, je ne suis pas prés de 'admettre. Le choc a un pouvoir dont les ‘vertus s'épuisent vite; Ia sensation s'émousse, T'blouisse- ment s'évanouit, Taissant une irritation certaine, d'avoir G6 « flous ». Qui emploie sommairement Ia stérSophonie, rejoint les délices du Cinérama ; c'est dire qu’on se référe A une idée assez peu relevée de Yespace, anecdotique. Liespace ne siidentifie point avec cet autodrome sonore CONSIDERATIONS GENERALES 9 auquel on a tendance a le réduire ; Nespace serait plutdt potentiel de distribution polyphonique, indice de réparti- tion de structures. L'erreur vient trs probablement de ce que Ton confond mouvement avec moyen de « transport Qui fait usage du bruit sans appel A une mise en condition hhigrarchique, aboutit également & T'anecdotique, méme involontairement, par référence A Ia réalité. Ce que nous jons plus haut du rapport de Ia structure principale avec les structures secondaires, s‘applique avec exactitude au cas du bruit — et des associations quill évelle avec a réalité. Tout objet sonore, s'il marque des affinités trop Gvidentes avec un bruit se rapportant & Ia vie courante (voire la plus actuelle: mécaniques, moteurs, ete. — pro- race inattendue d'esprits si sagaces quills confondent le «modernisme » de la pensée musicale avec le « machi nisme» de la civilisation contemporaine), tout objet de cette sorte, par sa référence & anecdote, sisole absolu- ‘ment du contexte oii il se situe ; il ne saura point s'y inté- arer, la hiérarchie de 1a composition exigeant des étres suf- fisamment souples pour les subordonner & son propos, suf- fisamment neutres pour que Tapparence de leurs carac- téristiques soit susceptible de se modifier suivant les fonc- tions renouvelées qui les mettront en place et les ordonne- ont. Tout élément allusif rompt la dialectique forme- morphologic, rend problématique le rapport des structu- res partielles et des structures globales par apparition incompatibilités irréductibles. De tout cela, je retiens, au premier chef, lancedote : 1a legon des surréalistes — en sens contraire — ne sem= blerait pas encore tout & fait comprise. «Liacte surréaliste le plus simple, écrit André Breton dans le Second Manifeste du Surréalisme (1930), consiste, revolvers aux poings, & descendre dans Ia rue et A tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule. » Mais il ajoute, fen note: « Oui, je m'inquite de savoir si un étre est doug 20 PENSER LA. MUSIQUE de violence avant de me demander si, chez cet étre, la violence compose ou ne compose pas » ; et, plus loin, dans Ia méme note: « Cet acte que je dis le plus simple, il est ‘lair que mon intention n'est pas de le recommander entre tous parce quill est simple, et me chercher querelle & ce propos revient A demander bourgeoisement & tout non- ‘conformiste pourquoi il ne se suicide pas. » L'attitude n'a gutre varié depuis trente ans: on s‘agite et on palabre jusqu’a ce que Ton rencontre les questions essentelles ; fon les esquive alors comme une incongruité : « bourgeoi sement » doit nous suffire, comme réponse — cest bien Iéger! Ainsi nous ne verrous jamais le concert le plus simple: de Vestrade « tirer au hasard, tant qu'on peut » sur la foule des auditeurs, leur donner & entendre Te bruit, supréme — ce concert n'a pas encore et lieu, peut-étre par simple malentendu entre acteur et spectateurs; en Tiew et place, on maltraitrera de braves instruments qui nea peuvent mais: mince compensation que de recveillir Jes ultimes confidences des couvercles de piano sadique- ‘ment torturés ou les gémissements Soliens des harpes que Yon fesse allégrement. Au lieu d'un acte fondamental, absolu, il faudra nous contenter d'anecdotes de choc. Lihistoire bégaye, elle radote ; voyons: « Nous n’aimons art ni les artistes. » (Vaché, 1918); « Plus de peintres, plus de lttérateurs, plus de musiciens, plus de sculpteurs, plus de religions, plus de républicains, plus de royalistes, plus dimpérialistes, plus d'anarchistes, plus de socialistes, plus de bolchéviques, plus de politiques, plus de prolé- taires, plus de démocrates, plus de bourgeois, plus d'aris- tocrates, plus darmées, plus de police, plus de patries, enfin assez de toutes ces imbécilités, plus rien, plus rien, rien, RIEN, RIEN, RIEN. » (Aragon, 1920). Mais, en 1928, dans Ie Traité du Style, le méme Aragon avait déja répli qué: « Cest ainsi que tout le monde se mit & penser que rien n'en vaut Ia peine, que deux et deux ne font pas CONSIDERATIONS GENERALES 2 nécessairement quatre, que Tart n'a aucune espive ¢' portance, que c'est assez vilain dete lttérateur, que le silence est dor. Banalités qu’on porte désormais a la place es fleurs autour de son chapeau. » .. « Pas un sale petit- bourgeois qui renifle encore sa morve dans les jupons de madame sa mire qui ne se mette pas a aimer les pein- tures i «Tuez-vous ou ne vous tuez pas. Mais ne trainez. pas sur le monde vos limaces magiques pour exorciser les questions essentieles et se dérober aux réponses de vérité A mes yeux, elles n'entrent définitivement pas en ligne de compte dans T'évolution et 1a formation de la pensée musi- cale contemporaine, elles ressortisent tout au plus, & la pata-logique. Toutefois, méme si elles s'appliquent & la réalité musicale, les spéculations partilles ne doivent pas dévier vers Tabsurdité en empruntant le dangereux che- min du sophisme ; rien n'est plus trompeur, et plus faux, qu'une déduction hitive ou mal engagée, malgré aspect, Gévidence quiil lui artive de revétit: succession de syle logismes, facilement séductibles & des prototypes trop con- ‘us — Taberration consciencieusement organisée, dune trés superbe faiblesse. Les spéculations, pour garder leur validité, doivent s'intégrer dans un ensemble systématisé 5 alors, par leur contribution & cet édifice théorique, elles, ‘rouvent leur véritable raison d'étre, et tendront delle mémes & la généralité, but essentiel de Ja spéculation. Ce systdme cohérent, il est impérieux, maintenant, de le pro- ‘mouvoir; il donnera une impulsion au développement futur de la pensée musicale, et la mettra en garde contre des déviations ou des hypertrophies inutiles, voire con- tuaignantes. La faiblesse de certains cheminements de pea s6e observés jusqu’a présent est trés précisément ceci fon nest pas allé au bout de la spéculation partielle, d’od, certaines contradictions persistantes et rédhibitoires. On. doit les surmonter pour valider totalement, sans fille, Ja réflexion musicale contemporaine. Le mot « logique », employé plus haut, minvite & faire des comparaisons. Lorsqu'on étudie, sur les nouvelles 28 ‘PENSER LA MUSIQUE, structures (de la pensée logique, des mathématiques, de Ia théorie physique...) la pensée des mathématiciens ou des, physiciens de notre époque, on mesure, assurément, quel immense chemin les musiciens doivent encore parcourir avant d'arriver a la cobésion d'une synthése générale. Nos méthodes empiriques ne favorisent dilleurs point une voie collective menant A cette synthése. Il faut donc, en ce qui conceme Ie domaine musical, réviser sGvérement certaines positions, et reprendre les problimes A leur base pour en déduire les conséquences rGcessaires ; ne nous hypnotisons pas sur tel ou tel cas plus grand risque Gaboutir & une hiérarchie renverée entre un systéme de base et se5 déductions, aboutissements et conséquences. Soit un exemple actuel (nous en aborde- rons quelques autres au fur et & mesure des chaptres i Yon se fixe, au départ, sur la notion action immédiate, de réaction instantanée — dimpulsion stimu- lée Gorte Ws Griture automatique » dans le geste et sa fonction, désleachée sur ordre par des informations pré- cises, mais imprévues) on fausse totalement cette notion adopiée empiriquement ; Yon se doit de trowver un «sy5- me» qui engendre nécesstirement oes + provocations», ces stimuli, et non point décrire « provocations» et stimuli selon une certaine + ordonnance » 0 une lopique de fagade ne saurait, en tout état de cause, assumer des fonctions . Le péril est clairement énoncé, qui nous menace: en se fondant presque uniquement sur le ‘ ilexste des limites périlleuses dont on doit maitriser le contre si Yon ne veut courir le risque de tomber d'une véritable série de hauteurs (sim- ples ou complexes) & une permutation d'échantllons. Je n'ai considéré jusquici que des complexes dinter- valles simples pour étre complet, il me faut signaler Tiniégration de ces mémes intervalles. Cette méthode nous donne, pour ainsi dire, des « surfaces» sonores utilisant soit véritablement Ie continuum, soit une approximation sez grossite dilleurs — de ee continuum par Vagré- gation de tous les intervalles unitaires compris entre des limites données; ce que Yon appelle des clusters dans le sens vertical, ou des glissandi dans un sens diagonal. Nous Gtudierons plus loin comme cette idée primitive et exces 46 PENSER LA. MUSIQUE vement sommaire est Join dune conception élaborée du continuum; on nen retient ici que Vepparence Ia plus superficielle, Je ne me refuse pas & les appeler bandes de fréquences: le glssando étant utilisé en fonction d'un temps x a y, le cluster voit tous ses éléments fonction simultangment «un seul temps x (de la fonction linéaire diagonale de temps on passe 2 un temps sul). I! me faut, ace sujet, rappeler ce que j'ai écrit auparavant & propos des objets défins et des champs ; Ia bande de fréquences représente Je cas d'un champ totalement rempli par un matériel amorphe. Quand bien méme jauraisjustfiéVinté- aration des intervalles dans la higrarchie des hauteurs, et que jen aurais fait une fonction de temps, je ne saurais oublier que cest un easslimite, amorphe, je le réptte, inca- pable de sinsérer dans un contexte, une structure, autre- ment que comme casJimite. En fin de compte, ces clusters et glissandi relevent dune stylistique trop primaire & mon ar6; leur abus récent a tourné rapidement & ta caricature. Ce matériau vite « ficelé» nrest pas garant d'une grande acuité de conception ; il dénote, en revanche, une étrange faiblesse & se satsfaire Gorganismes acoustiques iniffé- reacis. On ne saurait ailleurs, parlant non plus de style, mais de logique, atribuer & des easlimites Tes proprigtés des cas généraux sans leur faire subir adaptation Une remargue, encore, s'impose — toujours & propos des auteurs: Ia conception mettant en jeu la tesiture relative dintervalles absolus — que cette tessiture soit appliquée & une série développée Vintérieur d'un inter- valle de défintion, ou qu'elle soit intégrée au développe- rient méme de Ia série —, cette conception suppose que Tapparence d'un intervalle west assimilable & aucune de ses autres epparences, suivant la tessture quil adopte jervalle absolu de définition devient, ds lors, le plus petit commun multiple de Vintervalle réel, variable. TECHNIQUE MUSICALE a Mentionnons, sans nous y appesantir, Terreur de cons dérer toutes les unités d'une organisation de base — les douze demitons, dans le eas du systéme tempéré habituel — comme devant demeurer rigoureusement et immuable- ment égals entre elles: ce serit une absurdité acoustique et structurelle ; A moins de s'en tenir & une totale fixité de déroulement, & tessiture chaque fois renouvelée entid- rement, ce qui ne saurait mener ts loin. Le malentendu provient de ce que Ton a mal compris le principe de non tion des éléments a Tintérieur d'une série de base; ‘on a confondu avec je ne sais trop quel tabou mécanique ‘ou obsessionnel sur le retour des éléments dans les struc- tures, soit hors de Torganisation de départ. Ds qu'on uilse une des transformations de la série premidre, il va sans dire que cet enchainement mécanique est aussit6t dérangé. Bien au contraire, Tintérét des transformations — ou transpositions — consste & créer certaines régions privilégiges par rapport a d'autres; c'est sur le jeu de ces fonctions de privilége que s'tablira souvent 1a dialect- que de Tenchainement, & proprement parler, entratnant Jes conséquences structurelles qui fonderont la forme. ‘Au surplus, dis Tinstant qu'on place simultanément des Aéments dans leurs tessitures relatives, ils suivent ou contrarient les proportions acoustiques «de plus grande pente» (je veux parler des rapports simples, que novs ‘appelons natures); de ce fait méme, ils acquidrent des fonctions réciproques, qui se corroborent ou se détruisent, S‘ajoutent ow s'annulent, pour donner au matériau son profil interne, son potentiel énergie, sa malléabilité et ses faculés de cobésion : toutes caractérstiques extréme- zment importantes, on le voit, dost les coaséquences struc turelles seront non moins essentielles dans T'établissement une forme que celles de Venchainement. Ainsi, il a'y a quillusion & concevoir des points sonores complétement adliés dun champ direcionnel — sauf cas exception 48 PENSER LA. MUSIQUE bien délimités ; on {era appel A des intervalles relat quant a la tessiture, dont les structures refusent tout pri cipe fonctionnel d'identité dans Jes transpositions comme dans les déformations quils subissent. Qui nous suffise, pour préciser cette notion de principe d'idemtté, de Tillus- tuer d'un exemple. Dans le langage tonal, un accord du premier degré, en position fondamentale, a des fonctions identiques dans tous les tons, majeurs et mineurs, quels que soient Ie registre ot il est employé, Ia distance réelle observée entre ses constituants, les redoublements qui Yamplifient, pourvu qui reste en position fondamentale. On pallie TinadSquation de ce principe & la résonance naturelle par une somme pragmatique dinterdits ou de préférences en ce qui concerne 1a bonne ou mauvaise disposition des accords, de I'écriture en général. Dans Ie systéme sériel, en revanche, aucune fonction ne se mani- feste ainsi identique dune série & autre, mais toute fonc- tion dépend uniquement des caractéres particuliers et de Ia fagon dont on les exploite ; un objet composé des mémes Aléments absolus peut, par Vévolution de leur mise en place, assumer des fonctions divergentes. (Le premier et le quatrigme mouvement de la seconde Cantate de Webern sont, & cet gard, particulidrement explicites ; & les com- aret entre eux, et & les étudier imtrinséquement, on verra ce phénoméne s'y manifester avec une simpli de moyens qui le rend compréhensible et évident.) Dans ce refus du principe d'identité siinscrit également ‘«Toctave évitée ». Encore fautil distinguer entre octave réelle et octave virtuelle. Les rapports doctave réelle sétablissent de point & point dans un contexte aux coor- données homogenes, coordonnées de durées, principale- ‘ment, mais, aussi bien, dintensités ou de timbres; ces ‘octaves réelles créent un affaiblissement, un trou, dans la succession des rapports sonores en ce sens qu‘lles réinstaurent provisoirement un principe d'identité que TECHNIQUE MUSICALE 0 refusent les autres sons, qu’elles sont en contradiction, par conséquent, avec le principe organisateur structurel de Vunivers oi elles apparaisseat ; on doit absolument Gviter les octaves réelles, sous peine de non-sens struc- turel. Exemple 6 Cependant, si nous utilisons un complexe sonore — tour jours & Tintérieur d'un systtme de coordonnées homo- ‘gines — comportant des fréquences en relation «octaves, ‘ou de multiples de Toctave, avec les fréquences d'un autre complexe sonore, nous considérerons ces rapports comme des. octaves virtuelles; assimilation de tels sons aux ‘complexes respectifs dont ils font partie est si forte quis ne sauraient sortir de leur attraction et imposer par eux- mémes un principe didentité, ou donner Timpression, si fugitive soit-lle, quils y obéissent : le complexe a une prégoance supérieure A celle dela relation d'octave. Une fois prises certaines précautions acou octaves virtuelles ne créeront aucune disparate structu relle ou stylistique ; ces précautions ? — Dune part, éviter de placer les notes octaviantes ‘aux extrémités des complexes sonores ; Vattention auditive ry Exemple 7 ne Giant immédiatement attirée vers les rapports les plus simples parce qu'elle les pergoit plus aisément, elle s'atta- chera, ds l'abord, & ces extrémités en relation octave. 50 PEXSER LA. MUSIQUE — Diautre part, lorsque Ie complexe sonore est en posi- tion large, prendre soin dintroduire, & Tintérieur du registre délimité par les rapports octaves, un intervalle ‘ou des intervalles contraires, de plus grande tension, qui affsibliront ou en annuleront effet, et détourneront ainsi Yattention auditive de sa tendance simplificatrice. Exemple 8 Nous pouvons, cependant, considérer Texistence docta- ves virtwelles dans les rapports de point A point, lors- qu'elles se situent dans un systtme de coordonnées non hhomogéres, principalement quant & Vorgansation-emps (@urées.proprement dies, ou vitesses de déroulemen!), organisation-ntensté (et méme le timbre) ayant un pou- voir sélectif moins puissant, une prégaance moins grande. Supposons qu'une structure de points utilise un systéme donné de coordonnées et que se déroule simultanément une auite structure de points dans un systéme de coor données différeat: autre tempo, organisation des hauteurs zon assimilable ; les rapports d'octave entre ces systémes seront virtuels: 1a non-homogénéité des temps, en pre- mier lieu, empfchera de percevoir ees rapports sur le méme plan} en les situant dans un contexte différent, elle renforcera, au contraire, les divergences entre les structures oi ils apparaissent. Des dysamiques opposées TECHNIQUE MUSICALE st fet des timbres radicalement séparés accuseront encore leur diérése. Naturellement, on prendra, ici aussi, certai- nes précautions acoustiques en considération, les mémes, ailleurs, que préeédemment. Exemple 9 we [He ae toe i. Coo dae gly | a sesae Se La ‘A plus forte raison, des complexes, s‘organisant suivant lun systtme de coordonnées non homogénes, engendre- rontils des rapports doctave purement virtuels. Fai écrit, précédemment, que les octaves réelles créent un affaiblis- sement, un trou, dans Ja succession des rapports sonores ; ainsi en va-til dos accords classés, non seulement lors- quils apparaissent dans Ja dimension verticale qui leur est propre, mais également sils sont le produit de Ia super- position de plusieurs structures horizontales. Ils réinstau- rent, non moins que les octaves, le principe didentité que refusent tous les autres sons, ils sont, de plus, « chargés 2 PENSER LA MUSIQUE ation intrinseque entre en con- fit avec les fonctions dont ils dépendent : Ia disparate, en ce cas, est Cordre stylistique non moins que structure. Exemple 10 opal Nous généraliserons cette observation a tous les inter- valles, en général, ou A toutes les combinaisons diater- valles, qui ont tendance A réinstaurer dans Ia dialectique des rapports sonores un principe fonctionnel d'ident Gidenification structorelle: intervalles & forte attraction, combinaisons d'intervalles Sassimilant & une fonction déia Giablie. Loctave et Vaccord classé nen sont que les cas partculiers Tes plus saillants, ‘Nromettons pas, enfin, de signaler que la durée absolue joue, dans Testimation de ces rapports, ua réle primordial lune relation, acceptable lorsquelle apparait t8s britve- reat, devient intolérable si elle demeure présente pen- dant un laps de temps plus étendu. Les los de vitesse de Ja perception se retrowvent 1 comme partout ailleurs; nous Tes étudierons plus loin lorsque nous parlerons. du temps strié, ou pulsé. La complexité ou La simplicité du contexte joue un réle aon moins grand que la durée, pour TECHNIQUE MUSICALE 33 a méme raison : acuité de la perception. Dans un contexte raréfé, les rapports acoustiques individuels sont faces 2 saisit, consciemment ou intuitivement; alors que dans tun contexte surchargé, les événements se succédant & une cadence tr8s rapide empicheront toute perception, méme intuitive, de la plupart des rapports acoustiques indivi- duels. On ne peut, en fin de compte, parler des lois rési- sant les auteurs sans mentionner leur dépendance a Tégard des autres erttres formels; je pense que map- prouveront tous les musiciens qui attachent quelque importance & la phénoménologie de la forme. ‘Nous venons d'étudier longuement certaines applications du systdme général séiel au cas particulier des hauteurs ; ‘ous examinerons maintenant les durées. Le probldme ne se pose pas exactement sous le méme angle, car les quatre catégories que nous avons envisagées sont enveloppées par une qualité supérieure: le tempo. Estce une qualité complétement nouvelle, et sapplique-telle exclusivement A Ia durée? Le tempo estil assimilable A un champ, & une tessiture de temps ob se passe un ensemble donné de phénoménes ? Le tempo est bien spécifique a la durée: Gest, en quelque sorte, Tétalon qui donnera une valeur chronoméirique A des rapports sumériques. Il serait com- parable A Ia transposition totale dans le domaine des hhauteurs; transposer intégralement une structure donnée un intervale queleonque, cela revient & choisit des fréquences cifférentes des fréquences initiates, mais. qui oblissent — toute correction tempérée considérée — aux mémes rapports numériques. Cette dernidre opération rmodifie Ia perception des formes non moins qu'un chan- gement de tempo. (Jouer Vadagio de la Sonate pathétique de Beethoven trois octaves au-dessus du son écrit, ou Ta fin des Noces de Stravinsky trois octaves au-iessous, est pas moins caricatural que de prendre un tempo trois sé PENSER LA MUSIQUE fois plus lent ou trois fois plus rapide. Les transpositions totales — durées et hauteurs — dues & la bande magné- tique nous ont rendu, en les liant automatiquement, sen- sibles & cet aspect de la tessiture — généralement par- lant. Si je n'ai pas parlé tout dabord de la transposition lorsque j'ai étudié les hauteurs, c'est que nous notons des fréquences (absolues ou relatives) entretenant entre elles ‘des rapports numériques trop complexes pour les manier a Taise autrement qu’a état de symboles; en ce qui concerne les durées, j'ai abordé immédiatement fa notion de tempo parce que nous notons des rapports relativement simples qui, par lui, se définiront en quantités. Le tempo ne doit pas se concevoir uniquement comme étalon fi i est susceptible de variabilité, précisément déterminge ‘ou non. Dans le premier cas, on obtiendra:: accelerando ou ritardando, en passant d'un étalon fixe A un étalon fixe différent ; dans le second, T'étalon de durée n'aura pas une valeur définie par un temps chronométrique pré- cis: une structure plobale peut alors s‘inscrire dans un champ chronométrique, délimité ou non. Les délimitations de ce champ chronométrique sont de deux ordres: ils dépendent, ou bien d'une hiérarchie abstraite, ou bien une higrarchie accidentelle: phénoméne acoustique con- ret, geste d'exécution, relation psycho-physiologique de ces deux faits (durée de vibration, temps nécessaire aux intervalles disjoints, longueur de souffle). Ce que je résu- merai sous la forme de tableau suivant: tengo fe dan fe tengo mile 1 diggs lon fice alo fae scales contnaors citine: Géaln fae halon non tid ou ee vera TECHNIQUE MUSICALE ss tempo mobile 2. non dirigé; étalon flottant a) champ chronométrique délimité higrarchie abstraite higrarchie accidentelle b) champ chronométrique non délimité Nous reviendrons ailleurs, plus loin, sur les qualités de ces différents tempi et en quoi les distinguent Ia présence ou l'absence d'une pulsation interne. Néan- moins, ces différentes catégories de tempo étant établies, ‘nous pouvons maintenant envisager les rapports que sont les durées proprement dites. Nous retrouvons alors Ia division établie pour les hauteurs : 1. valeur absolue ; 2. valeur relative; 3. densité fixe de Mengeadrement 4, densité mobile de Vengendrement. Une remarque préa- lable s‘impose habitués que nous sommes au demi-ton, ‘nous croyons avoir affaire A une catégorie spécifique de la durée lorsque nous constatons qu'on multiplie et qu'on ivise Tunité rythmique, alors quion n'effectue pas de telles opérations dans le domaine des hauteurs. que, tout au plus, de l'une & autre organisation, Vimpor- tance se déplace sur tel ou tel phénoméne, parce qu’ cst utilisé dans un sens différent. Ainsi, dans le domaine de Ia durée, on peut partir d'une plus petite valeur et Ia ‘multiplier jusqu’a obtenir Ia plus grande; on parvient par cette méthode A une pulsation réguliére ou irrégu- ligre, réductible, dans ce dernier cas, aux chiffres 2 et 3, Teur somme ou a leur produit. Exemple 1 PO ave Deepep igi 2atg i pa81ag pateag ean 56 PENSER LA. MUSIQUE On peut également prendre la plus grande valeur comme unité et la diviser en un nombre pair ou impair de parties régulitres ; cst exactement la méme opéra- tion que la précédente, mais en sens inverse. Exenpe 12 ree CE cher ences corey CCependant, on parvient, par eette méthode, & une pul- sation régulitre de Vunité, car on ne peut songer & super- poser des parties de ces subdivisions, opération pratique- ‘meat irréalisabe. Exemple 13 77m Opie Si on observe, dailleus, dans toutes les structure, Ja méme subdivision, on change Tunité en changeant de ‘tempo, et l'on est ramené au cas précédent. Exemple 14 Oe oor ol ema ras “Er, Fd. "am. ad TEert cor”) cer cer ‘Au croisement de ces deux méthodes, on choisira une uunité susceptible aussi bien d'étre multipliée que détre subdivisée ; le choix du tempo sera primordial dans Ia per~ ception de la pulsation comme dans le possbilité de réali sation des subdivisions. Pour les hauteurs, le probléme se pose de semblable fagon lorsqu’on entre dans I'univers des micro-distances, inférieures au demi-ton ; si nous conce- vons univers chromatique tempéré comme la multpl ‘TECHNIQUE MUSICALE a cation du demiton, les micro-distances seront, le cas échéant, la division paire ou impaire de cette méme wnité. Les valeurs absolues étant choisies de la fagon que nous venons de décrire, les valeurs relatives siinscrivent dans une tessiture déterminée, obteaue par Ia multiplication ou la division de léchelle de base, car nous retrouvons, & cet Gage supérieur, les mémes méthodes qu'avec V'unité elle ‘méme. Quant & la densité de Teogendrement, nous ne pour vvons que reprendre exactement les termes déja employés pour les auteurs. Ajoutons que les modifications que peut subir une série de durées sont de trois ordres: fixe — mobile non évolutive — mobile évolutive. 1. Fix conserve les proportions de Voriginal en le multipliant ou fen le divisant par une méme valeur numérique ; ce qu'on appelle: augmentation ou diminution (ce ne sera d'illeurs pas forcément une modification du simple au double, elle peut steffectuer, incidemment, avec des valeurs irration- relles). 2. Mobile non évolutive : on modifie les proportions Exemple 15 oo whet ty Sm oe at a poe “bores cena de original en lui ajoutant ou en lui retranchant une valeur fixe; au lieu @avoir une progression géométrique, comme préeédemment, on aura une progression arithmé- 58 PENSER LA. MUSIQUE tique ; les proportions seront irrégulidrement agrandies ou rapetissées mais toujours dans le méme sens. 3. Mobile évolutive : 0 modifie les proportions de Yoriginal par une valeur variable qui est fonction, fixe ou mobile, de ses Constituants ; en pointant, par exemple, toutes les valeurs, Quelles soient d6ja pointées ou non pointées: Pemploi automatique du point entraine des irrégularités puisqu'il ajoute tantét le quart, tant6t Ia moitié de la valeur. ‘Au surplus, le sens des irrégularités ne sera pas foreé- ‘ment constant. Il est facile de déduire, & partir de 1a, les mécanismes une série simple de durées. Nous nous attacherons mai tenant & montrer quels résultats engendre un complexe de proportions. Nous en donnons la forme numérique (orsque nous le transcrirons, nous le ferons en suivant les deux méthodes décrites précédemment). GL GE f Dans la premitre transcription, j'ai choisi la double cro- ‘che comme plus petite unité de base et, par multiplication, Tai obtenu les diverses valeurs respectant Ja proportion ‘lobale originale 5 Exemple 16 a a dtd Exemple 16 dans la seconde transcription, plus grande unité de base et, par division, j'ai obtenu TECHNIQUE MUSICALE 39 es parties égales dont 1a somme respecte la proportion slobale originale. Exemple 16 b od: fd = J 74 Dy |on |mn ee 00h Uinatin lesion IL me reste & placer maintenant ces valeurs les unes par rapport aux autres, en des termes différents, & écrire une répartiion a Tintérieur du champ de durée ae ay 6 a PENSER LA. MUSIQUE peux, au surplus, imposer des « caches» de silence & une figure ainsi consttuée la filer, pour ainsi dire. x 3 Exemple 17k |¥ yar h ir Ae aby aa, TER, aes Ainsi, quel que soit le point de départ, les deux démar- cches se complétent pour créer un ensemble excessivement Fiche organisations du temps, aussi bien en ce qui con- ‘cerme les micro que les macro-structures. L'utilisation rationnelle de Vopposition entre multiplication et division de Tunité donnera naissance, d'alleurs, A des contrastes frappants, grice & Yéventail trés élargi des valeurs mises en jew. Toutes les méthodes de répartition A Vintérieur dun bloe de durée, nous leur donnerons T'extension qu’elles rméritent et les appliquerons & des complexes de complexes, ‘ol. chaque élément réparti sera non plus une valeur sim- ple, mais déj un ensemble; & partir de 1, nous construi- rons de vastes structures obéissant aux mémes principes organisation dans leur constitution comme dans leur arrangement. Ces complexes de complexes prendront pour léments simples, ou bien des blocs de durée, précédem- ‘ment décrits, ou bien des séries entitres ou des divisions de séries ; le croisement des diverses manidres organiser la durée est extrémement fertile, il engendre une varits inépuisable objets — ainsi en allaitil pour les hauteurs. ignalons, enfin, que les complexes de proportions, tels ‘que nous les avons définis, s'appliquent au tempo Ivi- ‘méme, et ce n'est pas une extension forcée ou superti- cielle: 1a subdivision de unité nous en fournit le modele. Questce que le tempo, en effet ? C'est Tinseription dans ‘TECHNIQUE MUSICALE. a un temps chronométrique déterminé, d'un plus ou moins ‘grand nombre d'unités. Si nous prenons, par conséquent, comme unité de valeur Tunité chronométrique, sa subdi- vision nous donnera différents tempi, observant les pro- portions du complexe numérique. Prenons comme exemple Te complexe 3/6/12, et comme unité chronométrique le quinzitme de seconde ; chaque tiers unité équivaudra & lua quarante-cinquidme de seconde, chaque sixitme & un quatre-vingtdixitme, chaque dixiéme & un cent-quatre- vingtitme. Autrement exprimées, nos trois unités de tempo seront: u = 45, u = 90, u = 180, en les écrivant suivant la convention habituelle du métronome (cette unité étant graphiquement choisie, en fin de compte, pour la capacité quelle aura de faciliter la transcription et Ia lecture des Gvénements musicaux). Je naurai garde doublier que, face A cette complexité croissante, je peux mien tenir a de simples séries de champs, ob les événements artive- ront sans étre liés A des valeurs plus précises. Exemple 18 : 2 : Si nous élargissons cette notion, nous obtiendrons de véritables bulles de temps, ainsi que je les ai déja appe- les, od, seules, les proportions des macrostructures seront déterminges. On aura, d¥s lors, toute Féchelle de qualité des durées, depuis la détermination la plus précise et Ia plus complexe jusqu’au phénoméne statistique le plus sommaire. Nous reviendrons plus tard sur les qualités du temps statistique et du temps évalué, étalonné. La remarque faite, & propos des hauteurs, sur les inter- valles & forte prégnance, s‘applique également aux rap- ports de durée qui, par leurs qualités intrinstques ou leurs, attaches stylistiques, sont en contradiction avec T'univers- 4 PENSER LA. MUSIQUE temps défini par la série; Mévocation d'un metre régulier attire tout particulitrement Tattention, spécialement lors- qui se répite. Je ne reviendrai pas sur les causes de ce phénoméne, les ayant longuement expliquées au cours de ce qui préctde. Nous venons «'étudier comment storganise Ia morpho- logic des deux composantes primordiales du phénoméne sonore: la hauteur, Ia durée, fonctions d'intégration. La dynamique et le timbre, fonctions de coordination, ne sau- raient prétendre a a méme rigueur dans leur morphologie, surtout dans 1a musique faite A partir des corps sonores naturels. La dynamique se produit alors dans un champ relativement vaste, avec une marge assez grande d'indé- termination ; le timbre dispose d'ensembles consttués, les instruments — ou la voix, dont les relations sont haute- ment complexes, irréductibles & des proportions numéri- ques simples. On rsisonnera donc, en général, par analo- Bie. Sculs, les moyens électro-acoustiques peuvent assu- ‘mer un contréle rigoureux de Ia dynamique; quant au timbre, ils ne sont pas jusqu'd présent parvenus A des résultats convaincants: ce qui engendre Te peu dintérét des réalisations électroniques & ce point de vu, c'est que les objets créés, beaucoup trop simplistes, ne rec8lent pas une riche multiplicité de phénoménes transitoires ; on en arrive A une uniformisation des produits acoustiques, & partir de quelques normes élémentaires. La musique élec- tronique pistine dans les mémes traces, faute, me semble- tril, de machines perfectionnées lui donnant pouvoir de créer des timbres différenciés, de ne plus se cantonner dans les bruits blancs et colorés, modulations aléatoires, etc., qui se sont rendus aussi rapidement insupportables que leurs homonymes, les clusters et les glissandi; pour Ia méme raison, on est en présence d'un univers amorphe, indifférencié. MI est urgent que les moyens électro-acous- ‘TECHNIQUE MUSICALE 65 tiques sortent de Tatelier du cordonnier oi ils se sont quelque peu enlisés. Etant donné le perfectionnement des techniques électroniques, om peut penser que es machines ne tarderoat gure A voir le jour; certaines ralisations industrielles en montrent plus que les prémices. Que Ton soit dans le domaine « naturel » ou électro- acoustique, organisation de Ia dynamique est identique : dans le second cas, elle sera mesurée par des appareils de contrile, réalisée, par conséquent, avec une approxima- tion trés poussée ; dans le premier, on ne doit pas perdre de we la marge erreur implicite dans 1a réalisation de tout diggramme: serail tr’s différencié, la réalisation fen estompera la prévision, rendra flous ses contours, et donnera de Voriginal une « interprétation > approchante ; serail assez sommaire, interprétation et original seront alors trés pris Tun de Tautre, parce que moins exigeants réciproquement. En fonction de cette vue réaliste des cchoses, on pourra choisir une échelle dynamique décrite avec une précision plus ou moins grande, exprimée par Tes symboles conventionnels habituels, ou par des chiffres, sion met Vaccent sur la variabilité et le champ de la dynamique; dans le premier cas, on aura écriture dynamique absolue (autant qu'il est possible de Ie conce- voir), dans Te second, une dynamique sciemment relative, voire reaversable. Décrire les détails de cette organisation nouvelle serait festidieux. Aussi nous contenterons-nous de mentionner les deux catégories auxquelles elle ressortt, et que nous appellerons: la dynamique-point, ta dynamique-ligne. Par dynamique-point, nous entendons tout degré fixe de Ja dynamique; es enchainements se feront de point & point sur Méchelle choisie, sans qu'il y ait, de Tun a Tautre, parcours, geste. Avec Ia dynamiquesligne, au contraire, fon opérera sur les trajets d'une amplitude donnée A une 6 PENSER LA MUSIQUE nouvelle amplitude : erescendo, decrescendo, et leurs com- binaisons. Cette deunitme catégorie, je la définirai comme ressortissant au glissando dynamique, comparable au glis- sando dans les hauteurs, et dans les tempi (accelerando, ritardando). Remarquons, incidemment, comme les glis- sandi de dynamique et de tempo sont ressentis étroite- ment parallles par la psychologie élémentaire des des édlugués musicalement ou non. Il est bien rare qu'un fort crescendo ne soit pas, selon les cas formels — climax ago- fique ou suspensif, stretto ou cadence — assorti dun rallentando ou d'un accelerando appropriés 5 il est bien rare, également, qu'un grand diminuendo ne Saccompagne pas un rallentando destiné a le « distil» ; seule ne parait pas accordée A la psychologic élémentaire la liaison clu desereseendo et Taccelerando. Dans certaines civlsa- tions — Bali, par exemple — on observe, en revanche, & quel point dindépendance sont congus ces deux plans de Trexpression sonore ; mais nous reviendrons sur ce sujet lorsque nous aborderons Vinterprétation. Pour en revenir a Vorganisation sérielle des dynamiques, ajoutons que les points ou les lignes (sur des valeurs absolues ou relatives) Vordonneront suivant des fonctions linéaires (séries sim- ples) ou complexes (blocs de dynamiques), oblissant aux riémes lois et se déerivant de la méme fagon que précé- demment. La réparition des points, et surtout des lignes, donnera liew a des dispesitions symétriques, régliéres ou ienégulitres, asymétriques, et aux combinaisons de ces diverses formes simples. Les courbes dessinées plus haut pour les durées, sont intgralement appicables la répar- tition des dynamiques (exemple 17). me reste & préciser Ie rapport de ces organismes aver eaux qui sont responsables des auteurs et des durées. Nous savons qu'une durée peut se manifester par un groupe de hauteurs (exemple 19 ), ‘TECHNIQUE MUSICALE o Exemple 19 a ainsi qu'une hauteur peut se réaliser dans un groupe de durées — il est nécessaire, alors, avoir recours a 1a mul- iplicité des timbres, avec une enveloppe dynamique géné- rale (Berg, Wozzeck. Interlude sur Ia note si entre la deu- Exemple 20 xidme et ta troisitme sone de W'acte TIL; mesure 109-113) ‘ou des courbes individuelles (exemple 19 b). Néanmoins, entre ces deux organismes, les rapports stablirout toujours de simple & simple, de simple & com- plexe, de complexe & complexe. Pour les dynamiques, ces relations sont encore valables, mais elles s'agrandiront au plan des ensembles. Alors qu’une hauteur unique ne sau- 6 PENSER LA. MUSIQUE sait controler un ensemble de durées si elle ne se sert de plusieurs timbres, une intensité unique assumera fort bien cette charge sans condition spéciale ; Exemple 21 ie € = SSE a7 ees wo a Jes relations nouvelles entre dynamiques, d'une part, hau- teurs et durées, d'autre part, s%tablissent comme suit: de simple & ensemble, Exemple 22 de simple & ensemble ensembles, Exemple 23 ‘TECHNIQUE MUSICAL 0 de complexe ensemble, Exemple 24 sdy de complexe & ensemble ensembles. Exemple 25 Piano -» 2 [> SHIT 4 4s Bee eee oil 1E Fag bs LAPIS TL Ls DL tinh Bow =2tfia2se4sz9]zeaf-Juasaziay’liizs] olsjel Schéma dynamique d'un extrait de Tombeat, 0 PENSER LA MUSIQUE Les symboles sont variables et offrent les. possibilités \interprétation suivantes : 1 va sans dire que ces signes dy- rnamiques représentent des champs fet que Ton ne dot pas compter aver une stricte exactitude de ces Six degrés, mais avec une approx mation sufisamment poussée de leurs proportions, ue pour Ia tessiture et Ie tempo, on fera appel a des registres de dynamique, qui gouverneront ensemble des rapports relatifs instaurés, dans le détal, objet & objet. Les précautions d'écriture, enfin, sont d'un autre ordre qu'auparavant ; elles ont trait & certains résul- tats acoustiques: effets de masque entre des tessitures voisines affectées de dynamiques extrémes, densités acous- tiques des complexes de hauteurs affectés de dynamiques divergentes, etc. Nombre de ces dispositions pragmatiques ressortissent instrumentation. Dans le monde sonore naturel, les timbres, avons-nous dit, se présentent sous Ia forme d'ensembles constitués. Queestice qu'un instrument, en effet — qu’est-ce que la voix, méme — sinon un ensemble de timbres & évolution restreinte dans une tessiture donnée? Les traités d'instru- ils n'ont jamais donné cette définition, Tont toujours mise en pratique ; ils vous enseignent la tessiture des instruments, et Tes différentes fagons den jouer (sans sourdine, avec sourdine, pizz, arco, etc.) ; ils vous appren- nent, ensuite, comment T'instrument réagit a ces diverses manitres de le traiter suivant la tessiture et Tambitus ‘dynamique. Au contraire de amplitude, il s'avére impos- sible de passer de maniére continue d'un timbre & un autre; tout au plus, arriveton a en donner avec des complexes de timbres, en les variant par d'insen- sibles changements. TECHNIQUE MUSICALE 1 Pour clarifier lemploi de cette dimension sonore, nous la séparerons en deux familles : 1. non évolutive ou, du moins, a évolution restreinte et horogéne (méme timbre ou méme groupe de timbres) ; 2. évolutive non homogene : 2) procédant par intevalles dsjoins, st je puis dite (on passe d'un instrument & Tautre, d'un groupe homo- soe a un autre groupe homogéne, dun complexe non hhomogéne & un autre complexe non homogdne, ole poids des timbres nouveaux est supérieur A celui des timbres communs aux deux ; on passe d'un instrument & un groupe quelconque, d'un groupe homogine & un groupe non omogéne) 5 ) procédant par intervalles conjoints (on passe d'un complexe non homogne & un autre complexe non homo- sine, oit le poids des timbres noweaux est inférieur ou gal & celui des timbres communs aux deux; on passe 'un timbre A une modification de ce timbre). ‘Notons que, bien entendu, ces intervalles seront plus ‘ou moins disjoints suivant Ta relative différence de tim- bre entre tes instruments ou les groupes, homogénes et non homogines, qui se succédent; plus ou moins conjoints, selon que le poids es timbres communs sera nettement inférieur ou avoisnera celui des timbres nou- veaux. Les timbres stordonneront également suivant des fonctions lingares ou complexes. Le timbre aun rile bien particulier: & Vintersection des hauteurs et des dyna miques, il article Te plus souvent ces deux dimensions ; il lui arrive aussi articuler hauteurs et durées (exemple 19%) et, plus rarement, dynamiques et durées (exemple 19b également). Ainsi que pour les dyssmiques, ses rela- tions avec es autres structures s'établissent non seule ment élément & élément, mais délément & ensemble n PENSER LA. MUSIQUE \éments ; nous ne répéterons pas toutes ces combinai- sons décrites au paragraphe précédent. Observons, une fois de plus, que de telles organisations de timbres rendront compte aussi bien des micro que des. macro-structures ; elles satachent & la description de Tobjet, ou plut6t a sa fabrication, en méme temps qu‘elles Iui donnent place dans ensemble cohérent que constituent tous les objets. Dans invention électro- acoustique, les familles de timbres sont susceptibles de la méme classification que les familles instrumentales et vocals; mais il est possible, théoriquement, de passer un timbre A autre sans solution de continuité. Il s prématuré, et présomptueux, de vouloir en déduire davan- tage des expériences et des ceuvres réalisées jusqu’d ce jour de méme, nous sommes réduits & supposer que Yon peut former des timbres différenciés ; car superposer des fréquences en leur donnant des envelopes dynamiques ne saurait atteindre ce but, pas plus que couper des som- mes de fréquences ; faire appel A de vagues notions de répartitions statistiques ne remplacera pas une étude ser- rée des phénoménes transitoires aussi bien dans le profil attaque que dans le corps du son, et application ration- nelle des lois déduites de cette étude. Nul doute que les savants ne s'y emploient au plus grand bénéfice des musi- cciens, condamnés, sur ce terrain, & rester des amateurs. Reste une cinguitme dimension, qui n'est pas & propre- ‘ment parler une fonction intrinstque du phénoméne sonore, mais plut6t son indice de répartition: j'ai nommé Trespace (1). Malheureusement, presque dis le départ, on 1. Rappetons, pour information, que les nremier concerts publics aval rele mobile Curent lew Para en 1981-1553 Diapes un procedt iis au point par Sthacler, on pouvait,iiferemment, avoir ots ‘hates frex,ou'un ceut mobile sur les trols chain I'vals Grit fokméme ute Exade atipan ces posites, parr de deux cults aes et d'un creat mobile Ls eifosonstecoponigue dans les sles ‘ecintoa date Sailours de fa meme époaue (Cicrama a New Yor, ‘TECHNIQUE MUSICALE B Ya réduit & des proportions tout a fait anecdotiques ou <écoratives, qui en ont largement faussé Yemploi et déna- turé les fonctions véritables. (Ce n'est pas pour rien que Yon cite toujours comme ancétres Berlioz et les Vénitiens, Te plus extérieur, et les plus décoratifs des compositeurs.) Lespace ne seraitil qu'un maniérisme dextro ou senes- trogyre? Liabus de tels glissandi despace me parait rele- ver dune esthétique aussi sommaire que emploi immo- aéré de clusters, glissandi et autres bruits blancs, sans parler de Vinconvénient quils offrent de rappeler beau- coup trop fidélement des mouvements réalistes — pro- priétés que les utilisateurs commerciaux nfont pas man- Qué dexploiter. Je ne puis, quant A moi, me résoudre & lune vue aussi simpliste; Ia répartition spatiale me parait mériter une écriture aussi raffinge que les autres types de répartition déja rencontrés. Elle ne doit pas seule- ‘ment distribuer des ensembles éloignés suivant des figu- res gSométriques simples, Iesquelles arrivent toujours, en fin de compte, & sinscrire dans un cercle ou une ellipse: elle doit aussi, et plus encore, disposer Ia microstructure de ces ensembles. On a mis Taccent surtout sur la. vitesse de déplacement, on n'a pas assez prété attention, on a fotalement négligé méme, la qualité des objets répartis statiquement, reliés entre eux par un parcours, ow encore des objets mobiles. I est bien certain que indice de répastition qu’est espace ne joue pas seulement dans Ia durée sur les durées, mais aussi bien sur les hauteurs et les dynami. ques, et sur les timbres ; nous considérerons que Ia répar- tition statique ou mebile entretient avec toutes ces carac- téristiques qui sinteragissent, des rapports autrement sub- fin 1952), Cest également Ie temps od commencent& prendre leur essor Jes spectcles Son et Lamire, Ls aplicaons Indust et eomne ison fe vo, voat 8 peu pees do par avee ls recherches lus

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