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LA MÉTHODE

TOOLS

LES OUTILS

POUR TRANSFORMER

VOS DIFFICULTÉS

EN CONFIANCE EN SOI,

JOIE DE VIVRE

ET FORCE INTÉRIEURE

PHIL STUTZ

ET

BARRY MICHELS

Préface de Maude Julien

Traduit de l’anglais par Anatole Muchnik

ROBERT LAFFONT
Titre original :
THE TOOLS

© Phil Stutz et Barry Michels, 2012


© Illustrations Phil Stutz
Encadrés « L’inversion du désir », « L’Amour actif », « Autorité intérieure » et « Le Flux de
gratitude » © Phil Stutz, 2012.
Traduction : © Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2013
ISBN 978-2-221-13528-0
(édition originale : ISBN 978-0-679-64444-6 Spiegel & Grau, New York)
Illustration : © Jamie Keenan
À Lucy Quvus, grâce à qui je n’ai jamais renoncé.

PHIL STUTZ

À ma sœur Debra, combattante spirituelle

du plus haut rang, qui m’a appris à vivre avec grâce, courage et amour.

BARRY MICHELS
On peut retirer de doux fruits de l’adversité ; telle que le crapaud horrible et

venimeux, elle porte cependant dans sa tête un précieux joyau.

WILLIAM SHAKESPEARE,

Comme il vous plaira

Ce qui blesse instruit.

BENJAMIN FRANKLIN
Préface

« Donnez-moi un outil, quelque chose que je pourrais faire pour


aller mieux maintenant ! » Cette phrase, je l’ai entendue bien des fois dans
le cadre de mes consultations.
Vous comprendrez dès lors pourquoi, il y a quelques mois, un livre
rouge intitulé La Méthode Tools a attiré mon attention dans une
devanture de l’aéroport de Melbourne. Curieuse, je l’ai acheté. Et grand
bien m’en a pris, car je l’ai aussitôt dévoré, agréablement surprise par sa
clarté, sa simplicité et son sérieux. Je me disais : « Il y a dans ce livre
quelque chose, quelque chose de différent de tout ce que j’ai pu lire dans
le domaine de la thérapie. »
Bien souvent, les ouvrages de thérapie ou de développement
personnel ne traitent que d’un ou de plusieurs aspects de la souffrance,
sans jamais en présenter une vision globale. Certains décrivent ainsi les
mécanismes de la psyché sur un plan analytique : après en avoir achevé
la lecture, on s’accorde à trouver pertinent ce qui est dit, et on a
l’impression de se sentir moins seul face à son problème. Pourtant, on se
demande  : «  Bon, d’accord mais maintenant je fais comment,
concrètement, pour changer ? »
Il existe également une excellente littérature qui explique par le
menu les dernières découvertes sur le plan médical et scientifique  :
réseaux neuronaux, routes cognitives, synapses, cellules gliales, goulet
d’étranglement de l’information. Ces textes sont passionnants et
réellement instructifs... mais là encore le lecteur se demande en quoi ces
nouvelles informations vont l’aider à régler ses problèmes dans la vie de
tous les jours.
Tous ces ouvrages permettent assurément de mieux comprendre
l’origine de ce qui nous arrive... ce qui est intéressant certes, mais pas
suffisant pour sortir de ses problèmes !
Le cerveau humain est une machine aussi étonnante qu’incroyable,
qui comprend de multiples niveaux d’architecture  : des millions de
processeurs, des milliards de connexions... et pourtant, il est souvent
confronté aux mêmes problèmes, récurrents, qui supposent, pour être
résolus, de recourir à un petit nombre de solutions efficaces.
Et c’est ici que réside tout l’intérêt de La Méthode Tools, qui met à la
disposition de chacun un nombre d’outils limité et judicieux. Ils
pourront sembler peu nombreux pour faire face à l’étendue des
problèmes rencontrés. Pourtant, à y regarder de plus près, c’est souvent
la même difficulté que l’on ne parvient pas à surmonter et qui se répète,
comme en écho et sous des formes différentes, au cours de sa vie.
Quelques outils bien choisis peuvent permettre d’acquérir les
compétences nécessaires à la maîtrise de la plupart de ses problèmes.
La Méthode Tools a pour objet de contribuer à dessiner de nouvelles
routes dans le cerveau de chacun d’entre nous, à créer de nouveaux
réflexes en vue d’apprendre à quitter celles qui conduisent à la répétition
des mêmes erreurs, à réagir à une situation déplaisante et
malheureusement courante en ne déclarant plus : « Encore, ce n’est pas
vrai ! », mais : « Quel outil efficace est-ce que je peux mettre en place
tout de suite  ?  », à faire de chacun de nous non plus des spectateurs
impuissants mais des acteurs bien armés.
Quel outil formidable que celui dit de l’« Inversion du désir » dont
La Méthode Tools explique le fonctionnement  ! Cet outil enseigne que
pour ne plus remettre au lendemain ce qui pourrait être fait le jour
même, il faut d’abord sortir de sa propre « Zone de confort », autrement
dit remettre en cause ce à quoi le cerveau est habitué  : ce qui lui est
familier et qui est aussi porteur de routine. La peur est la vigie de cette
Zone de confort ; pour s’en extraire, il faut être en capacité de s’avancer
en territoire ignoré, de troquer le familier contre le nouveau. Toute
forme d’apprentissage nécessite de quitter le monde connu : l’enfant doit
un jour retirer les petites roues de son vélo s’il veut aller de l’avant sans
tuteur.
Sortir de sa Zone de confort, oser traverser la peur, c’est recevoir en
cadeau une merveilleuse énergie  : la sienne. La peur, on l’oublie trop
souvent, est une énergie fantastique dans la mesure où nous sommes
génétiquement conditionnés à l’associer à la survie. Et un bon usage de
la puissance contenue dans la peur peut permettre, d’une part, de
décupler ses forces et son énergie de façon constructive et, d’autre part,
de ne plus se laisser envahir et submerger par des émotions négatives
comme la frustration ou la jalousie.
Je laisse au lecteur le soin de découvrir les autres outils que contient
La Méthode Tools  : celui dit de l’«  Autorité intérieure  », qui invite à
comprendre certaines contradictions invalidantes dans la vie de tous les
jours, l’outil dit du «  Flux de gratitude  », ou encore celui dit de la
«  Mise en danger  », qui aide à mobiliser les ressources créatrices
inexploitées en chacun de nous.
Comment ces outils fonctionnent-ils ? La recherche l’affirme : agir
sur le cerveau émotionnel, à la manière des outils précités, permet
d’ajuster les flux émotionnels au regard de ce qui se vit au présent – sans
plus se laisser emporter par un torrent dévastateur résultant du cumul
des expériences négatives vécues au cours de la vie. La mise en place
d’une dynamique émotionnelle positive permet la mise en place d’un
bien-être psychologique, propice à la mobilisation de nos ressources
intérieures.
Les auteurs de La Méthode Tools font également très souvent
référence à ce qu’ils nomment les « forces supérieures ». Chacun d’entre
nous se sait capable de se dépasser, toutefois, comme ils l’expliquent très
bien  : «  Les forces supérieures ont un pouvoir [...] qui nous permet
d’accomplir des choses que l’on croyait impossibles. Mais le commun des
mortels n’y accède que dans les situations d’urgence, dans ces moments
où l’on montre un surcroît de courage et de débrouillardise – sauf que
sitôt l’urgence passée, ces pouvoirs s’évaporent et l’on oublie même
qu’ils sont en nous. » La Méthode Tools apprend comment les convoquer
à l’envi. Cette force n’est pas une peau de chagrin qui va s’amenuiser au
fur et à mesure que l’on fera appel à elle : elle va, bien au contraire, s’en
trouver affermie.
Mieux armé, le lecteur va apprendre comment sortir du labyrinthe
dans lequel il lui arrive, comme à nous tous, d’être bloqué.
Dans ma pratique quotidienne de thérapeute, ce livre m’a permis de
mettre des outils plus simples, plus accessibles et plus facilement
utilisables à la disposition de mes patients. Bien entendu, ces outils ne
sont pas faits pour traiter les névroses sévères, qui requièrent une prise
en charge à la fois médicale et thérapeutique. Mais ils sont parfaits pour
traiter les inhibitions handicapantes au quotidien. D’ailleurs, je ne
connais La Méthode Tools que depuis quelques mois seulement et, déjà,
j’ai pu observer son efficacité dans plusieurs situations.
Je pense notamment à Charlotte, une jeune femme de trente-quatre
ans, terrorisée à l’approche d’une prise de parole devant son comité de
direction. En mettant en application l’outil dont elle avait besoin, elle est
parvenue à transformer la perception négative qu’elle avait d’elle-même
en sentiment de confiance et à faire naître en elle une forme
d’enthousiasme. Non seulement son intervention s’est bien déroulée,
mais encore Charlotte a fini par se porter volontaire pour une conférence
où elle devait représenter son groupe à l’échelon européen.
Je pense aussi à Bruno, cinquante-deux ans, chef d’entreprise. Bruno
était très à l’aise dès qu’il s’agissait d’avoir des réunions professionnelles,
aussi ardues fussent-elles, beaucoup moins au moment de communiquer
avec ses proches, au point qu’il ne parlait plus à son père depuis deux ans
et que la relation avec son fils aîné de dix-sept ans devenait de plus en
plus conflictuelle. S’il ne souhaitait pas entreprendre une thérapie, Bruno
désirait ardemment s’améliorer et sortir de ses difficultés. Sur la
demande insistante de son épouse, il a accepté de me rencontrer. Je lui ai
parlé de La Méthode Tools, et il a tout de suite accepté d’essayer. Nous
étions convenus d’un second rendez-vous pour faire le point, et ne le
voyant pas arriver j’ai pensé qu’il avait renoncé. Le téléphone s’est alors
mis à sonner. C’était lui. «  Maude, je suis vraiment confus, j’ai oublié
notre rendez-vous, je viens seulement de m’en souvenir en pensant à
vous car... je suis au restaurant avec mon père et Adrien, et nous passons
un très bon moment. Merci  !  ». Je lui ai dit qu’il devait surtout se
remercier lui-même d’avoir mis en œuvre les outils forgés par les
auteurs de La  Méthode Tools  ! Vous ne devinerez jamais ce qu’il m’a
répondu : « Embrassez-les pour moi » ! Je ne vous dis rien du sourire de
joie qui s’est affiché aussitôt sur mon visage. Bruno va pouvoir continuer
de progresser sur son chemin avec à sa disposition des moyens de
construction et de réparation.
Je pense encore à Carole, très jolie femme de trente-neuf ans,
pétillante, avec de grands yeux marron, une splendide chevelure bouclée,
à l’aise dans son corps, s’exprimant bien... tant qu’elle s’adressait à des
collègues, des amis ou des hommes qui ne l’intéressaient pas  ; cette
même Carole qui se tétanisait, incapable de lever les yeux du bout de ses
souliers, dès qu’elle se trouvait en face d’un homme qui lui plaisait, alors
qu’elle rêvait d’une relation affective stable. Carole a entamé une
thérapie pour approfondir sa relation à elle-même et mieux connaître
son histoire. En parallèle, elle a eu recours à La Méthode Tools sur la
question précise de sa paralysie face aux hommes, qui mettait en péril
son avenir affectif. Aujourd’hui, elle a rencontré Nathan et vit une
histoire qui s’épanouit au fil des jours. Elle peut s’appuyer, dans son
travail thérapeutique, sur ce que lui a apporté La Méthode Tools, qui lui a
ouvert d’autres horizons en vue de se construire elle-même de façon plus
confiante.
Je pense à François et Vanessa, jeune couple d’une trentaine
d’années, heureux, amoureux. Seule ombre au tableau, Vanessa, qui avait
beaucoup voyagé, aurait aimé faire découvrir à François les endroits de
la planète qu’elle préférait. Or François était tétanisé, à l’idée non
seulement de monter dans un avion, mais aussi de se retrouver en
territoire inconnu. Une partie de lui en avait envie, mais chaque fois que
l’opportunité d’un voyage se profilait, il éludait, invoquant toutes les
raisons possibles et imaginables, allant même jusqu’à se retrouver cloué
au lit avec une sciatique la veille de partir. François avait tout aussi peur
d’entrer dans une démarche thérapeutique. La rencontre avec La
Méthode Tools lui a permis de réussir à accompagner Vanessa en Italie. Il
commence à se projeter vers d’autres voyages, considérant à présent le
fait de voyager comme une ouverture sur d’autres mondes et non plus
comme un arrachement au monde qu’il connaît.
Je m’en voudrais de ne pas dire quelques mots de Marguerite,
merveilleuse vieille dame de soixante-dix-neuf ans, petit bout de femme
d’un mètre cinquante, bien campée sur sa canne. J’ai eu l’occasion de la
rencontrer dans un dîner chez des amis communs. Marguerite m’y parla
de son envie de faire du théâtre ; elle en avait toujours rêvé, mais la vie
en avait décidé autrement, dans son « jeune temps ». Cependant, le désir
était toujours présent. «  À quoi cela rimerait-il maintenant  ? À mon
âge... ? » Marguerite évoqua d’autres envies qui l’habitaient. « Mais cela
non plus ne sert plus à rien... » Tandis qu’elle me parlait, je voyais des
étincelles briller dans ses yeux ; il ne s’agissait pas de désirs déçus, mais
de réelles envies. Son expression n’était plus celle d’une vieille dame, elle
incarnait la gourmandise de vie, l’émerveillement que l’on peut voir chez
un enfant ouvert au monde. Je venais de finir de lire La Méthode Tools,
qui se trouvait encore dans mon sac. Je lui en parlai et décidai finalement
de lui donner mon exemplaire. Quelques semaines plus tard, je la
rencontrai de nouveau, elle venait de s’inscrire à des cours de théâtre et
me parla avec passion des textes qu’elle commençait à apprendre. Elle
s’était également inscrite à une chorale qui chantait des «  tubes  »,
comme elle me l’annonça, et où ça «  swinguait  ». Bien sûr, elle avait
encore des doutes, des peurs : serait-elle en forme le jour où il y aurait
une représentation  ? Ne  risquait-elle pas d’être rejetée  ? En tout cas,
m’expliqua-t-elle, les jours de la semaine avaient à présent un sens. Ils
étaient devenus colorés, au lieu de paraître tout gris. Puis elle me parla
d’Henri, rencontré au cours de théâtre et me dit : « Oh, quand même à
mon âge, ce n’est pas raisonnable de penser à des choses comme cela... »
Nous échangeâmes un clin d’œil, et elle me murmura : « Vous croyez
qu’un petit “tools”... ? » On le sait aujourd’hui de façon formelle, grâce
aux techniques d’imagerie cérébrale  : toute expérience, physique,
émotionnelle ou intellectuelle fait naître en nous ou remodèle un réseau
neuronal – quel que soit notre âge  ! Marguerite va donc pouvoir
continuer d’ouvrir de nouvelles routes, de nouveaux chemins de vie, et
peu importe qu’elle ait soixante-dix-neuf ans !
Je vous ai cité ces quelques exemples afin d’illustrer combien le fait
de s’approprier un outil est important, car cela permet de prendre
conscience que l’on peut rapidement gagner en autonomie. Nos
expériences, nos succès nous construisent, c’est ce que l’on appelle le
renforcement positif. Et avoir à sa disposition des outils simples et
concrets permet de devenir davantage « maître de sa vie », quand bien
même aujourd’hui on a tendance à penser qu’il faut passer par le cabinet
du « psy » pour trouver une solution à ses problèmes. Personnellement,
je suis loin de penser que cela soit systématiquement vrai. On peut
guérir de certaines blessures par d’autres voies ; certains choisiront la
peinture, d’autres la musique, d’autres la lecture, la pêche, le sport... Il
existe mille et une voies pour emprunter les chemins de la guérison. En
revanche, un point est indispensable : quelle que soit la voie empruntée,
y compris celle de la thérapie, il convient que les expériences vécues
s’accompagnent de résultats tangibles et concrets afin d’acquérir
confiance en soi. Là se trouve l’antidote au risque d’effondrement de soi.
Certes les rêves enfantent les faits, mais on a besoin de pouvoir agir au
risque que le rêve se mue en frustration. Vivre des nouvelles
expériences, oser, explorer favorise la neuroplasticité.
Je compare souvent le cerveau à un immense château dont nous
n’occuperions que quelques pièces. Quand vos difficultés vous bloquent,
c’est comme si vous étiez enfermé dans une petite chambre. La
neuroplasticité aide à pousser les murs, à sortir et à ouvrir toutes
grandes les fenêtres qui donneront accès à une vue d’ensemble. Vous ne
savez peut-être pas toujours pourquoi et comment vous vous êtes
retrouvé dans cette chambre ; le plus urgent et le plus important est d’en
sortir et d’occuper l’ensemble de votre château intérieur. Vous pourrez
alors regarder vos peurs et vos difficultés en face, et les traiter comme
des visiteurs indésirables que vous raccompagnerez jusqu’à la grille du
parc.
La Méthode Tools va non seulement vous donner des clés pour ouvrir
la porte des pièces que vous pensiez inaccessibles, mais également vous
permettre de découvrir de nouvelles pièces dont vous ne soupçonniez
peut-être pas l’existence. Allez-y ! Osez occuper ces nouveaux lieux, et
rappelez-vous que plus vous le faites, plus vous vous musclez, et plus
vous vous habituez à occuper les beaux espaces de ce merveilleux
château dont vous êtes l’heureux occupant.
L’efficacité de ces outils ne doit rien au hasard, car ce livre est le
résultat de soixante années de travail (deux fois trente) des
psychothérapeutes Phil Stutz et Barry Michels, soixante années de
consultations, de rencontres guidées par la volonté d’apporter une aide
concrète à leurs patients. En vingt ans de pratique, tant auprès
d’adolescents, d’adultes que de jeunes enfants, je n’avais jamais trouvé un
ouvrage aussi révolutionnaire et enthousiasmant.
Ce livre est également pour moi précurseur car il se démarque des
ouvrages de thérapie ou de développement personnel fondés sur
l’individualisme. Il en existe de très bons qui nous apprennent à dire
non, qui nous apprennent à ne pas accepter telle ou telle contrainte.
Mais nous ne vivons pas dans une société où nous pourrions évoluer
coupés les uns des autres. Certaines personnes ont tellement appris à
dire non qu’elles se sont fermées au plaisir de faire plaisir. La Méthode
Tools a le grand mérite d’apprendre à son lecteur à s’accorder avec lui-
même ainsi qu’avec ceux qui l’entourent, tout en sachant trouver et faire
respecter sa place.
Car le plus grand des musiciens, même s’il joue très bien, a besoin
pour s’accomplir de pouvoir jouer en harmonie avec d’autres musiciens.
La Méthode Tools est tout sauf une recette de plus au rayon des livres
de développement personnel. Il renferme un corpus d’outils en action
que chacun s’appropriera à sa façon.
«  Substituer au visible compliqué de l’invisible simple  », comme
l’écrivait le prix Nobel de physique Jean Perrin, telle pourrait être la
devise de La Méthode Tools.
Ce livre est un compagnon de voyage précieux, gardez-le à portée de
main. Utilisez encore et encore les outils qu’il contient : ils sont simples,
concrets et vont vous permettre d’agir au quotidien, même pour
accomplir des actions qui peuvent apparaître comme minimes  : c’est
ainsi que l’on devient plus fort.
Maude Julien
CHAPITRE PREMIER

Révélation d’une nouvelle voie

I l n’a fallu que quinze minutes d’entretien à Roberta, une nouvelle


patiente en psychothérapie, pour me donner le sentiment que j’étais
parfaitement inutile. Elle était venue me voir avec un objectif très précis :
mettre fin à son obsession que son petit ami puisse la tromper. « Je lis ses
messages, je n’arrête pas de le cuisiner ; il m’arrive même de passer devant
chez lui pour l’espionner. J’ai beau ne jamais rien trouver, je n’arrive pas à
arrêter. » J’ai pensé que son problème s’expliquait facilement par le fait que
son père avait abandonné sa famille du jour au lendemain alors qu’elle
n’était encore qu’une enfant. Aujourd’hui, à vingt-cinq ans environ, cet
abandon la terrifiait encore. Mais avant que nous ayons eu l’occasion de
nous engager sur cette piste, me fixant droit dans les yeux, elle a exigé :
« Dites-moi juste comment je peux me débarrasser de mon obsession. Ne
me faites pas perdre mon temps et mon argent sur le pourquoi de mon
manque de confiance – je le connais déjà. »
Si Roberta venait me trouver aujourd’hui, je serais enchanté
d’apprendre qu’elle sait exactement ce qu’elle veut, car je saurais
exactement comment l’aider. Mais cela se passait voici vingt-cinq ans,
alors que je débutais dans la psychothérapie. La franchise de sa requête
m’a transpercé comme une flèche. Je n’ai pas su quoi lui répondre.
Je ne me suis pas tenu pour personnellement responsable de ce
silence. Je venais de passer deux années à dévorer toutes les théories sur
la pratique de la psychothérapie, mais plus j’absorbais d’informations,
moins j’étais satisfait. La théorie était à des années-lumière de la réalité
que vivaient les âmes en détresse qui venaient réclamer de l’aide. Je
sentais tout au fond de moi que je n’avais pas été formé à répondre
directement aux désirs des patients comme Roberta.
Je me suis dit que ces choses-là ne se trouvaient peut-être pas dans
les livres, que c’étaient des facultés qui ne s’acquéraient qu’en consultant
ceux qui avaient vraiment connu l’épreuve du feu. J’étais
particulièrement proche de deux de mes superviseurs – non seulement
ils me connaissaient bien, mais ils cumulaient à eux deux plusieurs
décennies d’expérience. Ils trouveraient forcément quelque réponse à ces
demandes.
Je leur ai fait part de la requête de Roberta. Leur réaction a confirmé
mes craintes. Ils n’avaient aucune solution à m’offrir. Pire encore, ils
considéraient ce que je tenais pour une demande légitime comme une
partie du problème de ma patiente. Ils ont eu recours à des termes
cliniques : Roberta était « impulsive », « rétive », elle « avait faim de
gratification immédiate  ». En cherchant à satisfaire son désir de
l’instant, m’ont-ils prévenu, je n’allais la rendre que plus exigeante
encore.
Ils m’ont donc recommandé de lui faire remonter le chemin jusqu’à
son enfance – nous trouverions forcément là l’origine de son obsession.
Comme je leur expliquais qu’elle connaissait déjà les causes de son
obsession, ils m’ont répondu que l’abandon du père n’était certainement
pas la vraie raison. « Il faut creuser plus profond encore dans l’enfance. »
Ce petit jeu commençait à me lasser. Je connaissais tout ça par cœur –
chaque fois qu’un patient exprimait une demande précise, le thérapeute
la lui retournait en lui demandant d’aller « plus profond ». Cette partie
de bonneteau leur permettait de dissimuler la vérité : en matière d’aide
immédiate, le thérapeute n’a pas grand-chose à offrir au patient. Je
n’étais pas seulement déçu, j’avais le sentiment pesant qu’ils parlaient au
nom de l’ensemble de la profession – jamais personne ne m’avait dit
autre chose. Je ne savais plus vers qui me tourner.
C’est alors que le destin s’en est mêlé. Un ami m’a parlé d’un
psychiatre qui, comme moi, ne pouvait se résoudre à accepter le système.
« Ce type répond vraiment à tes questions – et je te garantis que tu n’as
entendu ce discours nulle part ailleurs.  » L’homme animait des
séminaires, et j’ai décidé de m’inscrire à l’un d’entre eux. C’est ainsi que
j’ai fait la connaissance du Dr Phil Stutz, coauteur de ce livre.
Ce séminaire a transformé ma façon d’exercer – et ma vie.
Tout dans le mode de pensée de Phil m’a paru nouveau. Plus
important, j’avais le sentiment qu’il parlait vrai. C’était le premier
psychothérapeute que je rencontrais qui se centrait sur la solution, pas
sur le problème. Il était entièrement habité par la certitude que l’être
humain est doté de ressources inexploitées qui peuvent lui permettre de
résoudre ses propres problèmes. Contrairement à ce qui m’avait toujours
été enseigné, il ne voyait pas dans la notion de problème un handicap
pour le patient, mais une occasion d’exploiter un potentiel inemployé.
Au départ, j’étais sceptique. J’avais déjà entendu parler de
transformer ses problèmes en opportunités, mais on ne m’avait jamais
expliqué exactement comment il fallait s’y prendre. Phil savait rendre la
chose limpide et concrète. On puisait dans ces ressources cachées par
l’intermédiaire de certaines techniques efficaces et simples, à la portée de
tous.
À ces techniques, il donnait le nom d’« outils » (tools).
En sortant du séminaire, je marchais sur un petit nuage. Ce n’était
pas seulement dû à la découverte d’outils concrets susceptibles d’aider
les gens  ; il y avait dans l’attitude même de Phil quelque chose de
particulier. Il avait tout mis sur la table, sa personne, ses théories, les
outils. Il ne nous avait pas demandé de prendre ses propos pour argent
comptant ; il avait juste insisté pour que nous utilisions ses outils afin de
nous faire notre propre idée de leur valeur. Il nous avait concrètement
mis au défi de le démentir. Je me suis dit que ce type était très courageux
ou alors fou à lier – peut-être bien les deux. Mais son discours avait eu
sur moi un effet catalysant, comme si j’émergeais au grand air après
avoir longtemps subi le dogme de mes confrères les plus orthodoxes.
Plus que jamais, ces derniers m’apparaissaient retranchés derrière un
mur impénétrable d’idées alambiquées, dont aucune à leurs yeux ne
réclamait contestation ni confirmation par l’expérience personnelle.
Au séminaire, je n’ai acquis qu’un seul outil, mais je me suis aussitôt
mis à l’employer. J’étais impatient de le transmettre à Roberta, certain
qu’il lui serait bien plus utile qu’une plongée en eau profonde dans son
passé. Dès la séance suivante, je lui ai dit : « Voilà une chose que vous
pouvez faire dès que vos obsessions vous reprendront  », et je lui ai
expliqué le fonctionnement de l’outil (dont je ferai la description plus
loin). À ma grande surprise, elle s’en est immédiatement emparée et l’a
utilisé sans attendre. Plus incroyable encore, cet outil l’a aidée. Mes
confrères se trompaient. En proposant à Roberta quelque chose qui
puisse lui apporter un secours immédiat, je ne l’ai pas rendue plus
exigeante ni immature ; je l’ai au contraire incitée à s’impliquer de façon
plus active et enthousiaste dans sa propre thérapie.
Très vite, mon sentiment d’impuissance a fait place à un autre, celui
d’exercer une influence très positive. J’ai eu soif de plus – plus
d’informations, plus d’outils  ; une meilleure connaissance de leur
fonctionnement. Ne s’agissait-il que d’un fourre-tout de techniques
disparates ou au contraire, comme je le soupçonnais, d’une approche
totalement neuve de l’être humain ?
Avide de réponses, je me suis mis à harceler Phil après chaque
séminaire pour lui soutirer autant d’informations que possible. Il se
montrait toujours coopératif –  et semblait même prendre plaisir à
dialoguer  –, mais chacune de ses réponses appelait une nouvelle
question. J’avais l’impression d’être tombé sur une mine d’informations,
et je voulais en extraire le maximum. J’étais insatiable.
Ce que j’apprenais de Phil était si puissant que j’ai voulu le placer au
cœur de mon travail avec mes patients. Mais il n’existait pas de
formation à laquelle s’inscrire, pas de cursus académique à suivre. J’avais
manifestement des dispositions pour ce truc-là, mais cela semblait
indifférent à Phil, ce qui du coup me plongeait dans le doute. Que faire
pour mériter de recevoir sa formation ? Allait-il seulement considérer
ma candidature ? N’allait-il pas finir par se lasser de mes questions ?

Peu de temps après que j’eus commencé à dispenser mes propres séminaires, un jeune type

nommé Barry s’y est présenté. Un peu hésitant, il s’est dit thérapeute, mais la précision des

questions dont il me bombardait m’a plutôt fait penser à un homme de loi. En tout cas, c’était

incontestablement un homme intelligent.

Ce n’est pas ce qui m’a incité à lui répondre, toutefois. Jamais je ne me suis laissé impressionner

par l’intelligence ou le CV de qui que ce soit. Ce qui m’a frappé chez lui, c’était l’enthousiasme, le

fait qu’il se mettait à essayer les outils à peine rentré chez lui. Peut-être que je me leurrais, mais

j’avais le sentiment de me trouver face à quelqu’un qui venait enfin de trouver ce qu’il avait

longtemps cherché.

Puis il m’a posé une question qu’on ne m’avait encore jamais posée.

« Je me demandais... qui vous a appris tout ça..., les outils, etc. Je n’ai jamais rien trouvé

d’approchant dans le programme de ma formation.

— Personne ne me l’a enseigné.

— Vous voulez dire que vous l’avez trouvé tout seul ? »

J’ai hésité. « Euh... pas tout à fait. »

Je n’étais pas certain de devoir lui dire d’où me venaient vraiment mes méthodes. L’histoire est

assez peu ordinaire, mais comme le type semblait avoir l’esprit assez ouvert, j’ai répondu à sa

question. Cela avait commencé avec mes tout premiers patients, et plus particulièrement l’un

d’entre eux.
Tony était un jeune interne en chirurgie à l’hôpital où je faisais moi-même mon internat en

psychiatrie. Contrairement à beaucoup de chirurgiens, il n’était pas arrogant ; en fait, quand je l’ai vu

pour la première fois rôder près de la porte de mon bureau, il avait un air de souris prise au piège.

Comme je lui demandais ce qui n’allait pas, il m’a répondu : « Je m’inquiète au sujet d’un examen

que je me prépare à passer. » Il tremblait comme si l’épreuve allait avoir lieu dix minutes plus tard,

alors qu’elle ne devait avoir lieu que dans six bons mois. Les examens lui avaient toujours fait peur –

et celui-là était particulièrement important. Il s’agissait de son certificat d’internat en chirurgie.

J’ai interprété son cas comme on m’avait enseigné à le faire. Son père avait fait fortune dans le

nettoyage à sec, mais il avait auparavant abandonné ses études et restait habité d’un profond

sentiment d’infériorité. Apparemment, il souhaitait que son fils devienne un grand chirurgien pour

vivre une certaine réussite par procuration. Mais plus profondément, son manque d’assurance était

tel que l’idée de voir son fils le surpasser constituait pour lui une menace. Cela expliquait que Tony

soit inconsciemment terrifié à l’idée de réussir : son père allait le considérer comme un rival et ne

manquerait pas de le lui faire savoir. Échouer à ses examens était pour lui un moyen de rester à

l’abri. Telle était en tout cas l’analyse à laquelle me conduisait la formation que j’avais reçue.

Quand j’ai livré cette interprétation à Tony, il s’est montré sceptique. « Ça semble tout droit

sorti d’un manuel théorique. Mon père ne m’a jamais poussé à rien pour son propre bénéfice. Je ne

peux pas lui coller mon problème sur le dos. » Au départ, ça a quand même paru fonctionner ; Tony

semblait aller mieux et faisait état d’un mieux-être. Mais à l’approche du grand jour, ses symptômes

ont resurgi. Il a voulu remettre l’examen à plus tard. Je lui ai assuré que ce n’était que la peur

inconsciente de son père. Il lui suffirait d’en parler pour la faire reculer. C’était la méthode

traditionnelle, elle avait fait ses preuves. J’étais si sûr de moi que je lui ai promis qu’il réussirait à son

examen.

Je me suis trompé. Il a lamentablement échoué.

Nous avons eu une dernière séance après ça. Tony avait toujours l’air d’une souris prise au

piège, mais la souris était à présent en colère. Ses paroles ont remué quelque chose en moi. « Vous

ne m’avez pas donné de méthode réelle pour combattre la peur. En me faisant constamment parler

de mon père, vous m’avez lancé à l’assaut d’un gorille avec un pistolet à eau. Vous m’avez trahi. »

Cette expérience avec Tony m’a ouvert les yeux. J’ai compris à quel point un patient peut se

sentir impuissant quand il affronte un problème tout seul. Ce qu’il fallait, c’était quelque chose qui lui

donne le moyen de faire front. Cela ne se trouve pas dans les théories et les explications ; il faut

vraiment ressentir des FORCES.


J’avais déjà rencontré plusieurs autres échecs, moins spectaculaires. Invariablement, le patient se

trouvait dans un certain état de souffrance – dépression, panique, rage obsessionnelle, etc. Il me
suppliait de lui procurer un moyen de supprimer cette souffrance et je ne savais pas du tout

comment l’aider.

J’avais aussi déjà fait personnellement l’expérience du sentiment d’échec. Enfant, j’avais adoré le

basket, et mes camarades de jeu étaient meilleurs que moi, et plus grands (en vérité, à peu près tout

le monde était plus grand que moi). Cela m’avait valu beaucoup de désillusions, mais la solution

existait et elle était simple ; puisque je jouais mal, il me fallait m’entraîner plus. À présent, c’était

différent. Comme j’avais perdu la foi dans ce qu’on m’avait appris de la thérapie, s’entraîner ne

servait plus à rien. C’était comme si on m’avait confisqué le ballon.

J’avais été formé à la psychothérapie par une kyrielle d’individus brillants et consciencieux.

Malgré une sincérité et un dévouement irréprochables, mes superviseurs n’en ont pas moins

attribué mes interrogations au manque d’expérience. Ils m’ont expliqué que la plupart des jeunes

thérapeutes rencontraient le doute, mais qu’ils finissaient avec le temps par apprendre que la

thérapie n’avait qu’une portée limitée. C’est en acceptant ces limites qu’ils cessaient de trop s’en

vouloir personnellement.

Pour ma part, je ne pouvais m’y résoudre.

Je n’aurais pas de répit tant que je ne serais pas en mesure d’offrir aux patients ce qu’ils

réclamaient : des armes pour se battre. J’ai résolu de trouver une façon d’y parvenir, quels que

soient les chemins à suivre. Avec le recul, cette décision m’apparaît comme l’aboutissement d’un

processus entamé quand j’avais neuf ans.

Cette année-là, mon frère de trois ans avait succombé à une forme rare de cancer. Mes parents,

qui étaient dotés de ressources émotionnelles limitées, ne s’en sont jamais remis. Un nuage

d’accablement s’est posé sur eux. Mon rôle au sein de la famille a changé. Ils ont placé tous leurs

espoirs en moi – comme si j’avais détenu un pouvoir particulier me permettant de chasser le nuage.

Chaque soir, à son retour du travail, mon père s’installait dans son rocking-chair et se rongeait les

sangs.

Il ne le faisait pas en silence.

Assis par terre près de lui, je l’écoutais m’avertir que son affaire risquait à tout moment de faire

faillite (il disait « couler »). Il me posait des questions du genre : « Tu crois que tu pourrais te

contenter d’un seul pantalon ? » ou « Et si nous devions tous occuper la même chambre ? » Aucune

de ses craintes n’était fondée ; c’est juste qu’il n’avait pas trouvé de meilleure manière d’exprimer sa

terreur de voir de nouveau la mort frapper à notre porte. J’ai pris conscience, dans les années qui

ont suivi, que ma mission consistait à le rassurer. De fait, j’étais devenu le psy de mon père.

J’avais douze ans.

On ne peut pas dire que je me représentais les choses de cette façon, car je ne me les

représentais pas du tout. J’étais instinctivement animé par la crainte, si je refusais ce rôle, que

l’accablement nous submerge tous. Pour fantaisiste que cela puisse paraître, cela me semblait
parfaitement vrai alors. Le fait d’avoir subi ce genre de pression durant l’enfance m’a donné de la

force quand, devenu adulte, je me suis frotté à de vrais patients. À la différence de beaucoup de mes

confrères, je n’étais pas intimidé par leurs exigences. Je tenais ce rôle depuis déjà près de vingt ans.

Mais toute ma volonté d’apaiser leurs souffrances ne signifiait pas pour autant que je savais

comment faire. Je n’étais sûr que d’une chose : j’étais seul. Il n’y avait pas de livre à lire, pas de

spécialiste à contacter, pas de formation à suivre. Je n’avais pour guide que mon instinct. Je l’ignorais

encore, mais c’est lui qui allait me conduire vers une nouvelle source de savoir.

Mon instinct m’a ramené au présent. C’est là que se situait la souffrance de mes patients. Le

voyage vers le passé ne constituait qu’une digression ; je ne voulais pas revivre ce que j’avais vécu

avec Tony. Le passé comporte des souvenirs, des émotions et des perspectives, et tout cela n’est pas

sans valeur. Mais je cherchais quelque chose d’assez fort pour leur procurer un soulagement

immédiat. Pour le trouver, il fallait que je me cantonne au présent.

Je n’avais qu’une règle : chaque fois qu’un patient demandait que je le soulage – de sentiments

douloureux, de sa timidité, de l’abattement ou d’autre chose –, je devais m’en occuper sur-le-champ.

Il fallait trouver quelque chose d’immédiat à proposer. À force de travailler sans filet, j’ai pris

l’habitude de dire tout haut ce qui me traversait l’esprit pour aider le patient. C’était comme

l’association libre freudienne à l’envers – pratiquée par le docteur, pas par le patient. Je ne suis pas

sûr que Freud aurait approuvé.

J’en suis arrivé au point où je me mettais à parler sans savoir ce que j’allais dire. J’ai commencé à

éprouver le sentiment qu’une autre force s’exprimait à travers moi. Petit à petit, les outils que

comporte ce livre (et la philosophie qui les sous-tend) se sont fait jour. Le seul impératif, c’était que

cela fonctionne.

Étant donné que j’ai toujours considéré ma quête comme inachevée tant que je n’ai pas trouvé

d’outil spécifique à offrir à un patient, il est essentiel de comprendre précisément ce que j’entends

par OUTIL. Un outil est bien plus qu’un « ajustement d’attitude ». S’il suffisait d’ajuster votre

attitude pour changer votre vie, vous n’auriez pas besoin de ce livre. Le vrai changement requiert

une modification du comportement – pas seulement de l’attitude.

Mettons que vous ayez tendance à vous emporter quand vous êtes contrarié – vous vous

défoulez sur votre conjoint, vos enfants, vos employés. Quelqu’un vous aide à percevoir à quel point

cela est inconvenant et nuit à vos relations. Vous adoptez une autre attitude à l’égard de

l’emportement. Peut-être vous sentez-vous éclairé, mieux dans votre peau... et cela dure jusqu’à ce

qu’un employé commette une erreur grossière. Vous voilà reparti à crier de plus belle sans même

vous en rendre compte.

Changer d’attitude ne vous empêchera pas de crier parce que les attitudes n’ont aucune prise

sur le comportement. La maîtrise d’un comportement exige une procédure précise à suivre à un
moment précis pour combattre un problème précis. Voilà ce qu’est un outil.

Il va falloir que vous attendiez (sans crier si vous le pouvez) le chapitre trois pour découvrir quel

outil mettre en œuvre dans le cas que nous venons d’évoquer. L’idée générale, c’est qu’un outil – à

la différence d’un ajustement d’attitude – vous demande de faire quelque chose. Cela réclame non

seulement du travail, mais un travail qu’il faut faire et refaire sans cesse – dans notre exemple, chaque

fois que vous êtes contrarié.

Une attitude ne signifie rien si elle n’est pas suivie d’une modification du comportement. Le

moyen le plus sûr de modifier un comportement, c’est en recourant à un outil.

Au-delà de tout ce que nous avons dit jusqu’ici, il y a entre l’outil et l’attitude une différence

plus profonde. L’attitude est constituée de pensées qui sont en nous – même si vous en changez,

vous ne travaillez que dans des limites qui sont déjà les vôtres. La grande valeur d’un outil, c’est qu’il

vous emmène au-delà de ce qui se déroule dans votre tête. Il vous relie directement à un monde

infiniment plus vaste que votre personne, un monde de forces illimitées. Peu importe que vous

appeliez cela l’inconscient collectif ou le monde spirituel. Pour ma part, il m’a paru plus simple de

parler de « monde supérieur » et, concernant les forces qu’il contient, de « forces supérieures ».

Il fallait que les outils soient particulièrement puissants, et cela explique que leur mise au point

ait été si laborieuse. L’information émergeait d’abord sous une forme brute, ébauchée, qui réclamait

d’être retravaillée mille fois. Mes patients ne se sont jamais plaints ; en fait, ils éprouvaient un certain

plaisir à participer à la création de quelque chose. Ils ont toujours été partants pour tester une

nouvelle version d’un outil et revenir me dire ce qui fonctionnait ou non. Tout ce qu’ils voulaient,

c’était que l’outil leur apporte de l’aide.

Ce mode de fonctionnement me plaçait en position de vulnérabilité. Je ne pouvais plus garder

mes distances, comme le font les figures d’autorité omniscientes qui transmettent leur savoir du

haut de leur piédestal. Nous nous trouvions plutôt dans le cadre d’un effort partagé – ce qui s’est

finalement révélé soulageant. Je n’ai jamais été très à l’aise avec le modèle traditionnel de la thérapie

qui veut que le patient soit « malade » et que le psychiatre le « soigne » tout en le maintenant à

distance prudente comme du poisson mort. Cela m’a toujours paru offensant – je n’ai jamais eu le

sentiment d’être meilleur que mes patients.

Ce qui me plaisait en tant que thérapeute, ce n’était pas de maintenir le patient à distance ;

c’était de lui remettre du pouvoir entre les mains. La transmission des outils était ma façon de lui

faire le plus beau des cadeaux – la capacité de changer sa vie. Opéré dans un tel cadre, le

perfectionnement de chaque outil était particulièrement réjouissant.

Au cours de ce processus d’élaboration, le stade auquel un outil accédait à sa forme définitive

était étonnamment clair. Je n’ai jamais eu le sentiment de l’avoir tiré du néant ; j’avais au contraire

l’impression très nette d’avoir levé le voile sur quelque chose qui existait déjà. Ce que j’apportais,
c’était ma confiance dans le fait que, pour chaque problème identifié, il existait un outil apaisant à

découvrir. Et je ne m’accordais aucun répit tant que cet outil n’apparaissait pas.

Cette confiance allait être récompensée au-delà de toute espérance.

J’étais attentif à l’évolution dans la durée des patients qui utilisaient les outils de façon régulière.

Conformément à mes espérances, ils se sont montrés peu à peu capables de contrôler leurs

symptômes : la panique, la négativité, l’évitement, etc. Mais je constatais également autre chose –

quelque chose d’inattendu. Mes patients se sont mis à développer de nouvelles aptitudes. Leur

élocution devenait plus assurée ; ils se découvraient une créativité qu’ils ne se connaissaient pas ; ils

voyaient naître en eux un tempérament de meneur. Et puis – souvent pour la première fois de leur

vie – ils constataient qu’ils produisaient un effet sur le monde qui les entourait.

Tout cela n’avait jamais été dans mes intentions. Ma mission consistait, selon moi, à ramener le

patient « à la normale ». Mais ces patients-là dépassaient largement la normale – ils exploitaient un

potentiel insoupçonné. À force d’usage, les outils qui avaient soulagé leurs souffrances se mettaient à

rejaillir sur toutes les facettes de leur existence. Les outils se révélaient plus puissants que je ne

l’avais espéré.

Pour mieux comprendre le phénomène, il m’a fallu porter mon attention au-delà des outils

proprement dits pour observer de plus près les forces supérieures qu’ils véhiculaient. J’avais déjà vu

ces forces à l’œuvre. Vous aussi, d’ailleurs – tout le monde en a fait un jour l’expérience. Elles ont un

pouvoir caché, inattendu, qui nous permet d’accomplir des choses que l’on croyait impossibles. Mais

le commun des mortels n’y accède que dans les situations d’urgence, dans ces moments où l’on

montre un surcroît de courage et de débrouillardise – sauf que sitôt l’urgence passée, ces pouvoirs

s’évaporent et l’on oublie même qu’ils sont en nous.

L’évolution de mes patients a totalement transformé ma vision du potentiel humain. Ils

fonctionnaient comme s’ils accédaient quotidiennement à ces forces, et les outils en permettaient la

convocation à la demande. Cela a bouleversé ma perception du processus de la psychothérapie. Au

lieu de considérer le problème comme l’expression d’une « maladie » dont la cause se situe dans le

passé, il fallait y voir le catalyseur du développement dans le présent de certaines forces déjà

dormantes en nous.

Mais il ne fallait pas que le thérapeute se borne à voir les problèmes comme des catalyseurs. Sa

mission devait être d’offrir au patient un accès concret aux forces nécessaires à leur résolution. Il

fallait que ces forces soient ÉPROUVÉES, pas seulement évoquées en paroles, et cela demandait ce

qu’aucune thérapie n’avait jamais offert : un ensemble d’outils.

Cela faisait près d’une heure que je débitais un flot ininterrompu d’informations et Barry avait

tout avalé d’un trait, approuvant parfois vigoureusement de la tête. Une chose avait du mal à passer,
toutefois. Je sentais en lui une certaine perplexité chaque fois que je prononçais le mot « forces ».

Le sachant peu doué pour la dissimulation, je me suis préparé à entendre les questions inévitables.

Fondamentalement, le discours de Phil a été pour moi une


révélation. Après m’en être imprégné comme une éponge, j’ai tout de
suite eu envie de m’en servir avec mes patients. Mais il y avait quand
même un élément que j’avais du mal à avaler... cette histoire de forces
supérieures sur laquelle il revenait sans cesse. Il me demandait de croire
à quelque chose qu’il est impossible de mesurer ni même de voir. J’étais
pratiquement certain de n’avoir rien laissé paraître de mes doutes, quand
il a interrompu le fil de mes pensées.
« Il y a quelque chose qui vous dérange.
— Non, rien du tout, c’est passionnant. »
Il s’est contenté de me fixer du regard. La dernière fois que j’avais
éprouvé cette sensation, c’était quand, petit garçon, je m’étais fait
prendre à verser du sucre sur mes céréales déjà sucrées. « OK, il s’agit
juste d’un petit détail... bon, pas si petit que ça en fait. Vous êtes
vraiment sûr de ces forces supérieures ? »
Il avait vraiment l’air convaincu. Il m’a demandé : « Ne vous est-il
jamais arrivé de provoquer un grand changement dans votre vie –
d’accomplir une espèce de saut quantique qui vous a emmené largement
au-delà de ce dont vous vous pensiez capable ? »
Il se trouve que ça m’était bel et bien arrivé. Même si j’avais cherché
à l’oublier, c’est en tant qu’avocat que j’avais commencé ma vie
professionnelle. À vingt-deux ans, j’avais été reçu dans l’une des
meilleures écoles de droit du pays. À vingt-cinq, j’avais obtenu mon
diplôme avec une excellente note et trouvé un emploi dans un
prestigieux cabinet juridique. À peine avais-je atteint le sommet de ma
montagne que je me suis mis à détester tout ça, ce milieu guindé,
conservateur et ennuyeux. Je luttais sans cesse contre l’envie de tout
plaquer. Mais je m’étais toujours astreint à une discipline de fer, et le
renoncement ne faisait pas partie de mon vocabulaire. Comment aurais-
je expliqué l’abandon d’un métier qui m’offrait la puissance et l’argent –
notamment à mes parents, qui m’avaient toujours poussé à devenir
avocat ?
J’ai fini par renoncer malgré tout. Je me souviens très bien de ce
jour-là. J’avais vingt-huit ans, je me tenais dans l’entrée de l’immeuble
où se trouvait mon bureau, et je contemplais les visages des passants sur
le trottoir. L’espace d’un instant, j’ai entrevu avec horreur dans la vitre
le reflet du mien. Mes yeux avaient l’air éteints. J’ai senti d’un coup que
je risquais de tout perdre et de devenir un zombie à costume gris parmi
tant d’autres. Puis, tout aussi brusquement, j’ai éprouvé un sentiment
que je n’avais jamais éprouvé jusque-là : une force de conviction absolue,
une assurance totale. Sans avoir à produire le moindre effort, je me suis
senti transporté jusqu’au bureau de mon supérieur. J’ai démissionné sur-
le-champ. En y repensant à travers le prisme de la question que m’avait
posée Phil, j’ai pris conscience que oui, j’avais bel et bien été propulsé par
une force venue d’ailleurs.
À l’écoute de mon récit, Phil s’est animé. Pointant l’index dans ma
direction, il a dit : « C’est de ça que je parle. Vous avez senti une force
supérieure en action. Ça arrive sans arrêt à tout le monde, mais les gens
ne comprennent pas ce qu’ils éprouvent.  » Après une pause, il m’a
demandé : « Vous ne l’aviez pas prémédité du tout, n’est-ce pas ? »
J’ai secoué la tête.
« Imaginez ce que serait votre vie si vous pouviez puiser à volonté
dans cette force-là... Voilà ce que vous apportent les outils. »
J’avais encore du mal à accepter la notion de force supérieure, mais
cela n’avait pas grande importance. Quel que soit le nom qu’on donne à
cette force qui m’avait permis de transformer mon existence, je la savais
bien réelle. Je l’avais ressentie. Si les outils m’y offraient un accès
quotidien, peu m’importait le nom qu’on lui donnait. Et quand j’ai
présenté les outils à mes patients, eux non plus ne se sont pas attardés
sur la façon de nommer le phénomène. Tout à ma joie de découvrir que
je pouvais réellement les aider à changer leur vie, je me suis mis à
témoigner d’un enthousiasme non feint. J’ai captivé leur attention
comme jamais auparavant.
Je n’ai eu que des retours positifs. Beaucoup de mes patients ont
rapporté qu’ils trouvaient nos séances beaucoup plus productives.
« D’habitude, je sortais d’ici dans un genre de brouillard, pas forcément
convaincu d’avoir tiré quoi que ce soit de ma séance. Aujourd’hui, j’en
ressors avec le sentiment de pouvoir faire quelque chose – quelque chose
de pratique, qui va m’aider. » Pour la première fois dans ma brève carrière,
je me sentais capable d’instiller l’espoir chez mes patients. Cela
changeait tout. J’ai commencé à entendre ce qui allait devenir un refrain
familier : « Vous m’avez apporté davantage en une séance que je n’en ai
reçu en plusieurs années de thérapie.  » La liste de mes patients s’est
rapidement allongée. Je me sentais plus épanoui que jamais. Et j’ai
incontestablement observé chez mes patients les mêmes transformations
que Phil lorsqu’il avait découvert les outils. Leur vie prenait une
dimension inattendue. Ils devenaient de meilleurs dirigeants, de
meilleurs parents ; ils s’affirmaient dans tous les domaines de l’existence.
Vingt-cinq années ont passé depuis ma rencontre avec Phil. Les
outils ont accompli ce qu’il avait annoncé : établir un contact quotidien
avec des forces supérieures susceptibles de changer la vie. Plus je les
utilisais, plus il m’apparaissait clairement que ces forces venaient à moi,
pas de moi – c’était un don venu d’ailleurs. Elles étaient porteuses d’un
pouvoir extraordinaire qui rendait possibles des choses que je n’avais
jamais accomplies auparavant. Avec le temps, j’ai fini par accepter le fait
que ces nouveaux pouvoirs m’étaient apportés par des forces supérieures.
Non seulement j’ai moi-même fait l’expérience de ces forces pendant
vingt-cinq ans, mais j’ai eu le privilège d’apprendre à mes patients une
façon tout aussi concrète d’y accéder.
Le propos de ce livre est de vous procurer le même accès. Ces forces
vont transformer le regard que vous portez sur votre vie et sur vos
problèmes, qui vont cesser de vous effrayer ou de vous submerger. Au
lieu de vous demander : « Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour
résoudre tel ou tel problème  ?  », vous allez apprendre à poser une
question très différente : « Quel outil va me permettre de le résoudre ? »
Phil et moi cumulons à nous deux soixante années d’expérience de la
psychothérapie. Sur la base de ce savoir, nous avons identifié quatre
problèmes fondamentaux qui privent les gens de l’existence qu’ils
désirent. Le degré de bonheur et de satisfaction que vous tirerez de la
vie va dépendre de votre aptitude à vous libérer de ces problèmes.
Chacun des quatre chapitres qui suivent traite de l’un de ces problèmes.
Chacun vous présente aussi l’outil qui agit le plus efficacement sur le
problème traité. Nous allons vous expliquer de quelle façon cet outil
vous met en contact avec une force supérieure – et de quelle façon cette
force résout votre problème.
Peut-être ne trouverez-vous pas dans les cas des patients que nous
évoquerons le reflet exact des problèmes qui sont les vôtres. Cela ne
signifie pas que vous ne puissiez pleinement profiter des outils. Vous
allez constater que ceux-ci peuvent vous aider dans de multiples
situations. Pour que cela soit parfaitement clair, nous avons ajouté à la
fin de chaque chapitre une description de ce que nous appelons les
« autres usages » de l’outil abordé. Il est fort probable que l’un de ces
usages au moins s’applique à votre vie. Nous avons constaté que les
quatre forces supérieures qu’invoquent les outils correspondent aux
exigences de base d’une existence épanouie. La forme particulière que
revêt votre problème compte moins que le fait que vous utilisiez les
outils.
Tout ce que contient ce livre est à nos yeux parfaitement avéré, dans
la mesure où nous l’avons conçu et développé à partir d’expériences
vécues. Mais ne prenez pas tout ce que nous disons pour parole
d’évangile ; exercez votre scepticisme. Il vous arrivera ainsi de douter de
certaines notions. Nous avons déjà entendu la plupart de ces
interrogations, si bien que nous répondons à celles qui reviennent le plus
souvent à la fin de chaque chapitre. Mais les vraies réponses se trouvent
dans les outils, dont l’usage vous permettra d’éprouver l’effet des forces
supérieures. Nous avons constaté que ceux qui en ont fait plusieurs fois
l’expérience voient leurs objections s’évaporer d’elles-mêmes.
Le premier objectif de ce livre étant de vous inciter à vous servir des
outils, vous trouverez à la fin de chaque chapitre un rapide récapitulatif
du problème, de l’outil et de son emploi. Si vous entendez sérieusement
mettre tout cela en pratique, vous reviendrez régulièrement à ces
récapitulatifs pour maintenir le cap.
Une fois que vous aurez lu les quatre prochains chapitres, vous aurez
découvert les quatre outils qui vont vous ouvrir la voie d’une existence
épanouie. Peut-être penserez-vous alors que cela suffit. Il n’en est rien.
Aussi surprenant que cela paraisse, la plupart des gens cessent d’utiliser
les outils alors même que ceux-ci fonctionnent. C’est l’un des aspects les
plus exaspérants de la nature humaine  : nous nous détournons des
choses qui nous aident le plus.
Nous sommes vraiment déterminés à vous aider à changer votre vie.
Si vous l’êtes tout autant, vous serez amené à devoir vaincre votre
résistance. Ce sera le moment de vérité. Pour réussir, il va falloir
comprendre ce qui vous retient d’utiliser les outils – et vous aurez
besoin d’un moyen de résister. Le chapitre cinq vous explique comment
faire. Il vous offre un cinquième outil, qui est à certains égards le plus
important. C’est celui qui va garantir que vous continuiez à utiliser les
quatre autres.
Pour être tout à fait sûr de ne pas renoncer à l’usage des outils qui
vous mettent en contact avec les forces supérieures, il vous faudra encore
une chose. La foi. Le mystère des forces supérieures est tel qu’il est à peu
près impossible de ne pas douter par moments de leur existence. Certains
y verront même la question existentielle par excellence de l’ère moderne
– comment croire à quelque chose de complètement intangible ? Pour ce
qui me concerne, on peut dire que j’ai tété le doute et l’incroyance au
sein maternel puisque mes deux parents étaient athées. Le simple mot
«  foi  » les aurait fait rire, pour ne rien dire de tout ce qui peut
ressembler à des « forces supérieures » inexplicables par la science ou la
raison. Le chapitre six traite du combat qu’il m’a fallu mener pour en
venir à placer ma confiance dans ces forces  ; il vous aidera à en faire
autant.
Croyez-moi, si l’homme que je suis a appris à avoir la foi, c’est à la
portée de n’importe qui.
J’ai cru un temps que l’acceptation de la réalité des forces
supérieures serait le dernier acte de foi qui me serait demandé. J’avais
tort. Phil avait dans sa manche une dernière idée saugrenue. Il affirmait
que, chaque fois qu’une personne fait usage des outils, les forces
supérieures invoquées ne profitent pas qu’à lui, mais à tous ceux qui
l’entourent également. Cela m’apparaît de moins en moins saugrenu au
fil des ans. J’en suis venu à penser que les forces supérieures ne sont pas
seulement bénéfiques à l’ensemble de la société, mais que nous ne
survivrions pas sans elles. Inutile de me croire sur parole. Le chapitre
sept vous offre un moyen de vous en rendre compte par vous-même.
Cela signifie que la santé de notre société dépend des efforts de
chacun. Chaque fois que l’un de nous trouve la voie des forces
supérieures, c’est l’ensemble d’entre nous qui en profitons. Cela confère
une responsabilité particulière à ceux qui connaissent le maniement des
outils. Ils sont les premiers à apporter les forces supérieures à la société.
Ce sont des pionniers, les bâtisseurs d’une communauté nouvelle,
revigorée.
Je me réveille chaque matin habité de la gratitude de savoir les forces
supérieures parmi nous. Elles ne cessent jamais de se révéler sous un
nouveau jour. Par ce livre, nous partageons leur magie avec vous. À la
perspective du voyage qui vous attend, nous frémissons d’impatience.
CHAPITRE DEUX

L’outil

l’Inversion du désir

La force supérieure :

le Mouvement en avant

V inny, l’un de mes patients, possédait un don pour le moins


douteux : il était capable de braquer à peu près n’importe qui contre lui
dans les quelques minutes suivant leur rencontre. Dès notre première
séance, alors que je venais l’accueillir dans la salle d’attente, il a aboyé avec
ironie  : «  Dites donc, jolie déco – vous avez trouvé ces merdes dans un
vide-grenier ? IKEA, ce serait déjà un sacré progrès pour vous. » Quand il
n’usait pas de son esprit pour se mettre les gens à dos, Vinny était en fait
un comique de talent. Mais cela n’apparaissait pas à la lecture de son CV. Je
l’ai connu quand il avait trente-trois ans, et il faisait du stand-up depuis
plus de dix ans sans jamais avoir réussi à quitter le circuit des petites salles.
Ce n’était pourtant pas les occasions qui lui avaient manqué. Son
agent s’était évertué à le faire accéder au niveau supérieur – de plus
grandes salles, des talk-shows, des sitcoms. Malgré la concurrence
exacerbée qui règne dans ce milieu, Vinny avait un atout de poids dans
son jeu. Il était très drôle. Le problème, c’est qu’il s’acharnait à saboter
systématiquement les efforts de son agent. Récemment encore, ce
dernier lui avait obtenu un rendez-vous avec un patron d’établissement
de nuit important, le genre d’huile qui fait et défait les carrières – et
Vinny ne s’était pas présenté ; il n’avait même pas pris la peine d’appeler
afin de s’excuser ou de remettre à une date ultérieure. Pour l’agent,
c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase, si bien qu’il l’avait
menacé de ne plus s’occuper de lui s’il ne venait pas me voir. « Je me suis
dit que ça ne mangerait pas de pain de faire comme si », m’a dit Vinny
avec un clin d’œil complice.
J’ai demandé à Vinny pourquoi il ne s’était pas présenté au rendez-
vous. L’excuse qu’il m’a servie – la première d’une longue liste – était
grotesque. « Je ne suis pas du matin, s’est-il plaint d’un ton irrité, et mon
agent le sait parfaitement.
— N’auriez-vous pas pu faire une exception, étant donné que c’était
si important pour votre carrière ? »
Vinny a catégoriquement secoué sa grosse tête. « Non. Je n’ai pas
l’intention de me mêler à la lutte des types prêts à tout pour réussir.
C’est trop stressant. »
S’il était trop stressant pour Vinny de se lever le matin, on
comprenait sans peine que sa carrière fasse du sur-place. Ce rendez-vous
manqué n’était que le dernier en date des épisodes de son entreprise
d’autosabotage. Une autre fois, son agent lui avait obtenu un contrat
dans une grande salle à l’occasion d’une manifestation caritative. Il avait
débuté son numéro sur les chapeaux de roue, mais avait fini par devoir
quitter la scène sous les huées après s’être mis à faire des plaisanteries
douteuses. Il semblait trouver grand plaisir à choquer le public. Le jour
où son agent l’avait fait inviter à une soirée réunissant le Tout-
Hollywood, où il aurait pu séduire des producteurs de sitcoms, Vinny
s’était présenté ivre, ébouriffé et puant le vomi.
«  Vous êtes-vous jamais demandé ce qui vous pousse à saborder
délibérément votre carrière ?
— Je ne saborde rien du tout. C’est juste que je ne suis pas à vendre.
On commence par faire la lèche à un type dans une soirée, ça n’a pas l’air
de trop prêter à conséquence. Si ça se trouve, ce type vous rend même un
service. Et bientôt vous vous mettez à censurer vos meilleurs textes. Et
vous finissez par raconter des blagues Carambar, juste pour ne pas
déplaire. »
Si « ne pas déplaire » consiste à se présenter à l’heure aux rendez-
vous, c’était exactement ce dont Vinny avait besoin, mais il ne le voyait
pas de cet œil.
« Mon boulot, c’est d’être drôle, pas de ne pas déplaire... Si ce que
vous voulez, c’est quelqu’un qui ne soit pas déplaisant, vous n’avez qu’à
embaucher un type qui trouve qu’un peu de mayo sur une tranche de
pain de mie fait un excellent repas. Je lui offre même le sac en papier
pour qu’il l’emporte au travail. »
Vinny était en train de me faire un véritable cours sur la meilleure
façon de détruire sa carrière. Le pire, c’est qu’il s’était persuadé que son
comportement répondait à un certain sens de la vertu. J’ai suivi son
bluff.
« Je vois que vous avez fait le tour de la question. Je pense que vous
devriez retourner dire à votre agent que vous pouvez vous passer de ses
services  ; que vous êtes très content du niveau que vous avez atteint.
Vous pouvez dénicher tout seul vos contrats dans les boîtes de nuit. »
J’ai reposé mon bloc-notes et mon stylo sur le bureau, et me suis levé de
ma chaise. «  D’ailleurs, si nous mettons tout de suite un terme à la
séance, je ne vous ferai même pas payer. »
Vinny a écarquillé les yeux. « Mais je..., a-t-il balbutié, je pensais que
nous... » Il a fermé les yeux et s’est repris. « Ce n’est pas que je ne veuille
pas progresser.
— Alors pourquoi ne pas essayer de me dire sincèrement pourquoi
vous vous savonnez vous-même la planche en permanence ? »
Cela a mis un certain temps, mais il a fini par admettre qu’il détestait
les situations dans lesquelles son sort dépendait d’autrui : les entretiens,
les auditions, jusqu’au moindre coup de téléphone à quelqu’un capable de
donner un coup de pouce à sa carrière. Ces situations le plaçaient en
position de vulnérabilité, alors il les fuyait comme la peste.
Je lui ai demandé ce qu’il y avait de mal à avoir besoin de quelque
chose de la part des autres.
« J’ai horreur de ça », a-t-il grogné. Après quelques questions, il m’a
révélé pourquoi. «  Je suis sorti du ventre de ma mère en costume de
clown, en faisant mon numéro haut et fort, pour attirer l’attention.
Quand j’étais gamin, je n’arrêtais pas de tester mes nouvelles
plaisanteries sur les clients de mon père. Ça le rendait dingue.
— Pourquoi ?
— Il travaillait à la maison.
— Quel genre de profession ?
— Entrepreneur de pompes funèbres. »
J’ai ri. « Allons, Vinny, sérieusement.
— Je ne plaisante pas. Chaque jour, je me faufilais dans la salle
d’attente pour faire mon numéro, et chaque soir, je recevais des coups de
ceinturon. Si jamais je craquais et me mettais à pleurer, il me traitait de
“lavette” et frappait encore plus fort. » Ses yeux se sont embués. « Putain
de cauchemar. »
On voyait bien ce qui le poussait à faire l’impossible pour éviter les
situations où il se serait trouvé en position de vulnérabilité. Il ne voulait
plus jamais laisser à quiconque l’occasion de lui faire du mal. Mais ce
système de défense avait un prix élevé – il y sacrifiait sa carrière.
Peut-être n’avez-vous pas été conduit à faire le même type de
sacrifice que Vinny. Mais je n’ai jamais rencontré personne qui n’ait
renoncé à rien pour éviter de souffrir.
LA ZONE DE CONFORT

Éviter de souffrir ne poserait guère de problème si nous ne le


faisions qu’une ou deux fois par an. Mais il s’agit chez la plupart d’entre
nous d’une habitude bien ancrée. On se barricade derrière un mur
invisible et l’on ne sort pas de sa cachette parce qu’au-delà du mur il y a
la souffrance. Cet espace protégé s’appelle la « Zone de confort ». Dans
les cas les plus extrêmes, l’individu se retranche physiquement derrière
les murs de sa maison et ne s’aventure plus dans le monde extérieur.
C’est ce qu’on appelle l’agoraphobie. Mais pour la plupart d’entre nous,
la Zone de confort n’est pas un espace physique ; c’est un mode de vie
qui nous préserve de tout ce qui peut faire mal.
La Zone de confort de Vinny reposait sur des situations dans
lesquelles il se sentait en sécurité  : de petits clubs où il savait ses
prestations assurées, un petit cercle d’amis de lycée qui riaient à toutes
ses plaisanteries, une petite amie qu’aucune de ses exigences ne ferait
jamais fuir. Il évitait de se prêter à quoi que ce soit qui puisse l’exposer :
une audition en vue d’obtenir un meilleur contrat, une association avec
des personnes susceptibles de faire avancer sa carrière, la rencontre
d’une femme menant son existence de façon indépendante.
Votre Zone de confort n’est peut-être pas aussi apparente que celle
de Vinny, mais vous en avez forcément une – c’est le cas de chacun
d’entre nous. Voyons à quoi ressemble la vôtre. Essayez donc de vous
livrer à ce petit exercice (il est préférable d’accomplir tous les exercices
en fermant les yeux) :
Songez à une activité que vous haïssez. Il peut

s’agir des voyages, des nouvelles rencontres, des

réunions familiales, etc. Comment organisez-

vous votre vie de façon à les éviter ? Imaginez le


lieu où vous vous réfugiez. C’est votre Zone de

confort. Comment vous y sentez-vous ?

Vous vous y êtes probablement senti en terrain familier et sûr, à


l’abri des souffrances que charrie le monde. Nous avons ainsi presque
entièrement recréé votre Zone de confort, sauf qu’il y manque
l’ingrédient final. Aussi étrange que cela paraisse, il ne nous suffit pas
d’échapper à la souffrance. Nous tenons à la remplacer par du plaisir.
Nous procédons à cette substitution à travers tout un  éventail
d’activités de dépendance  : navigation sur Internet, drogues et alcool,
pornographie, ou les bien-nommés aliments-réconfort. La manie du jeu
ou du shopping procure aussi un certain type de plaisir. Tous ces
comportements sont extrêmement répandus – notre culture tout entière
est en quête de sa Zone de confort.
Nous intégrons ces activités à notre routine quotidienne. Vinny, par
exemple, consacrait chacune de ses soirées à fumer des joints avec ses
copains en mangeant de la pizza et en jouant aux jeux vidéo. Il décrivait
ces moments comme une incursion dans un univers parallèle. «  Un
simple clic et le reste du monde disparaît. »
Ce monde parallèle offre la sensation d’un bain apaisant, plaisant,
comme si l’on retrouvait un temps le ventre maternel. Ces activités du
« bain chaud » ne font qu’aggraver encore un peu notre infirmité. Plus
on s’y réfugie, moins on a envie d’affronter la douche froide du réel.
Demandez-vous quelles sont vos activités du « bain chaud ». Plus
vous y cédez fréquemment, plus il y a de chances qu’elles servent en fait
à vous créer une Zone de confort. Livrez-vous à présent à l’exercice
suivant :
Éprouvez les sensations du moment où vous

vous adonnez à l’un ou plus de ces


comportements. Imaginez que ce plaisir vous

transporte dans un monde aussi confortable

qu’un utérus. De quelle façon cet univers affecte-

t-il votre sens de la détermination ?

Quelles que soient ses caractéristiques, votre Zone de confort vous


coûte horriblement cher. La vie offre une  infinité de possibilités, mais
celles-ci s’accompagnent nécessairement de souffrance. Si vous ne
tolérez pas la souffrance, vous ne pouvez vivre pleinement. Le
phénomène peut prendre de multiples formes. Si vous êtes timide et que
vous évitez les gens, vous renoncez à la vitalité qu’apporte le sentiment
d’appartenir à une communauté. Si vous êtes créatif, mais ne supportez
pas la critique, vous évitez de divulguer vos idées. Si vous êtes un
meneur, mais ne savez pas dire les choses en face, personne ne vous
suivra.
La Zone de confort est censée préserver la sécurité de votre existence, mais
elle n’en préserve en vérité que l’exiguïté. Vinny était un bel exemple de cela.
Chaque domaine de sa vie –  sa carrière, ses amitiés, même sa vie
sentimentale – n’était qu’une version miniature de ce qu’il aurait pu être.
Voici une représentation possible de la Zone de confort et de ce qu’il
nous en coûte d’y habiter :
Nous sommes pour la plupart semblables au personnage coincé dans
sa Zone de confort. Pour profiter des possibilités infinies qu’offre la vie,
il faut s’aventurer à l’extérieur. La première chose que l’on trouve au-
dehors, c’est de la souffrance. Quand on ne possède pas de moyen de la
traverser, on se presse de rentrer se mettre à l’abri. C’est ce que
représente la flèche qui approche de la souffrance et fait demi-tour. On
finit par renoncer définitivement à s’évader de sa Zone de confort ; les
aspirations et les rêves qui nous sont le plus chers sont à tout jamais
perdus. L’essayiste et poète du e siècle Henry David Thoreau a écrit à
XIX

ce sujet  : «  La plupart des hommes mènent une existence muette de


désespoir et emportent leur chanson avec eux dans la tombe. »
Mourir sans avoir chanté sa chanson est tragique. Le pire, c’est que
l’on ne peut s’en prendre qu’à soi-même – nous nous imposons le silence tout
seuls. Et malgré le coût terrible de notre Zone de confort, nous ne la
quittons pas. Pourquoi ?
Parce que nous y sommes maintenus par le gros défaut du monde
moderne : le besoin de gratification immédiate. La Zone de confort nous
procure un bien-être instantané. Peu importe alors le prix à payer. Mais
l’addition finit bel et bien par arriver, et avec elle la pire de toutes les
souffrances – le sentiment d’avoir gâché sa vie.
La société nous conditionne pour attendre, voire exiger, des
gratifications immédiates. Et nous avons un talent formidable pour
trouver des arguments en vue de  défendre ce qui est en vérité une
faiblesse. Au lieu de reconnaître que nous ne cherchons qu’à éviter de
souffrir, nous nous drapons dans notre dignité ; Vinny s’était persuadé
que son attitude obéissait au refus de « se vendre ». Nous finissons par
acquérir une vision distordue du monde qui donne à l’évitement des
accents justes, voire courageux et idéalistes. C’est le plus gros des péchés
– se mentir à soi-même. Il rend tout changement impossible.
J’ai expliqué tout cela à Vinny. La simple compréhension de ce qui le
bloquait à ce point l’a quelque peu réconforté. Non sans m’avoir
remercié, il a fait mine de se diriger vers la porte.
« Pas si vite », lui ai-je dit. Il a paru surpris. « Je me réjouis de voir
que vous vous sentez mieux, ai-je dit, mais si nous en restons là, rien
n’aura changé ; vous serez toujours coincé dans votre Zone de confort.
Êtes-vous prêt à en payer le prix ?
— Si vous me laissez filer tout de suite – ouais », a répondu Vinny,
plaisantant à moitié. Mais il s’est rassis. Pour la première fois, j’ai vu
poindre dans son regard l’espoir d’une vie meilleure.

LA FORCE SUPÉRIEURE : LE MOUVEMENT EN AVANT

Rares sont les personnes qui refusent cette existence bridée. Celles-
ci traversent des turbulences considérables liées à la souffrance – rejet
ou échec, moments d’embarras et d’angoisse. Elles composent aussi avec
la petite souffrance agaçante que suppose la discipline individuelle, et se
forcent à accomplir les choses que nous savons nécessaires mais que
nous ne faisons pas – un peu d’exercice, une alimentation équilibrée et
une vie un tant soit peu organisée. C’est parce qu’elles n’évitent rien
qu’elles sont capables de travailler à satisfaire leurs plus hautes
aspirations. Elles paraissent plus vivantes que la moyenne.
Ces personnes-là possèdent quelque chose qui leur donne la force de
supporter la souffrance – un dessein. Ce qu’elles font dans le présent,
aussi pénible que ce soit, trouve son sens dans la perspective de ce
qu’elles veulent pour l’avenir. L’évitant ne se soucie que de gratification
immédiate ; il ne prend aucune responsabilité quant à son avenir.
La détermination à suivre un dessein ne vient pas parce qu’on y a
réfléchi. Elle vient en entreprenant des choses qui nous font avancer
vers l’avenir. Dès l’instant qu’on s’y emploie, on met en marche une force
plus puissante que le désir d’éviter la souffrance  : la «  Force du
mouvement en avant ».
Il s’agit de la première des cinq forces supérieures que nous allons
évoquer dans ce livre. Ces forces sont dites « supérieures » parce qu’elles
se situent au niveau où l’univers ordonne et crée, ce qui leur confère de
mystérieux pouvoirs. Ces pouvoirs sont invisibles, mais leurs effets sont
partout autour de nous. C’est particulièrement prégnant dans le cas de la
Force du mouvement en avant.
Le pouvoir de cette force est le pouvoir de la vie elle-même. Tout ce
qui vit évolue vers l’avenir avec détermination – de l’organisme
individuel à la planète dans son ensemble, en passant par les espèces
animales. Dylan Thomas l’a appelée la «  force qui à travers la mèche
verte donne la fleur  ». La perpétuation de la vie depuis des millions
d’années témoigne de la nature irrésistible de la Force du mouvement en
avant.
Son pouvoir a touché votre vie aussi. Vous êtes entré dans l’existence
comme un bébé impuissant  ; pourtant, dans un intervalle
remarquablement court, vous êtes passé de la position rampante à la
position debout et vous avez appris à marcher. Vous l’avez fait en dépit
des innombrables revers pénibles que vous avez essuyés. Regardez
aujourd’hui un enfant qui apprend à marcher. Peu importe le nombre de
chutes, il se relèvera aussitôt et se remettra à la poursuite de son
objectif. Sa détermination est frappante  ; il la puise dans la Force du
mouvement en avant.
Cette force conduit les enfants à développer les facultés de base qui
les font grandir. Parce qu’elle remplit la même fonction en chacun d’eux,
elle agit comme une présence universelle dont ils n’ont pas conscience. Il
n’en va pas de même chez l’adulte. La tâche centrale de l’adulte consiste
à trouver sa raison d’être dans le monde. Cette raison d’être varie d’une
personne à l’autre – la découvrir est une affaire individuelle. La Force du
mouvement en avant n’opère chez un adulte que s’il choisit
consciemment de l’exploiter  – et s’il accepte la souffrance qui
l’accompagne.
La plupart d’entre nous préfèrent choisir l’évitement. Il en découle
que nous n’exploitons pas notre potentiel, et que nous ne devenons
jamais tout à fait nous-mêmes. Vinny en est un bel exemple. Il a
commencé dès l’enfance à se développer comme un homme de spectacle ;
malgré les coups de ceinture, il faisait son numéro chaque jour devant
les clients de son père. Mais à l’âge adulte, il a choisi de ne plus être
vulnérable. Cette décision a produit une version amère et limitée de lui-
même et de ce qu’il était censé devenir.
Emporté par ma propre exaltation, j’ai dit à Vinny  : «  Dans le
mouvement en avant, votre vie devient une étoile rayonnante, qui se
répand vers l’extérieur. Quand vous vous cachez dans votre Zone de
confort, la vie devient un trou noir, qui s’effondre sur lui-même. »
Vinny ne partageait pas mon enthousiasme. « On dirait ma prof de
catéchisme – une vieille fille dont je sais qu’elle ne s’était jamais fait
sauter. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que ça fait de mettre ses
couilles sur la table devant un tas de connards. »
L’expression était rude, mais j’en ai compris le sens. Pour Vinny, la
Force du mouvement en avant n’était qu’une suite de mots. Pour se
mettre à y croire, il lui faudrait sentir cette force l’animer du dedans.
C’était précisément là, à mes yeux, l’élément manquant de la
psychothérapie traditionnelle. Elle savait faire jaillir des idées et des
émotions – mais ne possédait pas de moyen de mettre directement le
patient au contact des forces nécessaires à changer sa vie. Quand j’ai
rencontré Phil, j’ai immédiatement compris qu’il avait appris à établir ce
contact. Tout était dans la puissance des forces qu’il avait découvertes.
Les outils sont conçus pour tirer parti de la nature peu commune des
forces supérieures. Nous sommes habitués aux forces que nous
maîtrisons : on appuie sur l’accélérateur, on presse l’interrupteur pour
allumer la lumière, on ouvre le robinet d’eau chaude et la réaction
souhaitée se  produit. Ces forces sont distinctes de nous, elles se
contrôlent de l’extérieur. L’état dans lequel on se trouve soi-même ne
compte pas.
Il n’en va pas de même avec les forces supérieures, qui ne répondent
pas au contrôle extérieur. On dompte une force supérieure en faisant
corps avec elle. Il faut pour cela adopter la forme qu’adopte la force –
faire de soi une version réduite de cette force. La pensée seule n’y
parviendra pas, c’est l’être qu’il faut transformer.
Là réside l’aspect génial des outils. Chacun des outils ici présentés
vous permet d’«  imiter  » le fonctionnement d’une force supérieure, il
vous conduit à faire corps avec elle et à puiser dans son énergie. Ce livre
décrit la nature des cinq forces supérieures fondamentales. Puis, pour
chacune, il vous apprend à manier l’outil par lequel vous vous mettrez en
phase avec elles. À force de pratique, vous deviendrez capable de
convoquer ces forces à volonté. Elles vous apporteront ce qui n’a pas de
prix – l’aptitude à dessiner votre propre avenir.

L’OUTIL : L’INVERSION DU DÉSIR

Si nous avons choisi de commencer par la Force du mouvement en


avant, c’est parce que c’est la plus évidente par nature, elle avance
infatigablement dans l’univers, avec toute sa détermination. Pour puiser
dans cette force, il faut que vous avanciez infatigablement dans votre
propre existence – seulement alors en adopterez-vous la forme.
Mais la chose n’est pas si simple. Pour l’heure, vous savez juste que
nous sommes prêts à tout pour éviter la souffrance qui accompagne le
mouvement en avant. Quand j’ai rencontré Phil, cette vilaine faiblesse
humaine ne semblait pas l’impressionner pour un sou. Il m’a affirmé –
 sans l’ombre d’un doute – que tout le monde était capable de maîtriser
sa peur de souffrir. Je lui ai demandé ce qui lui valait une telle certitude.
Il m’a répondu qu’il avait découvert un outil qui conduit l’individu à
désirer la souffrance.
Cela m’a paru étrange, même venant de Phil. Je me suis demandé si
je n’avais pas affaire à un genre de masochiste – voire pire. Puis il m’a
raconté ce qui suit et j’ai compris d’où provenait son grain de folie.
Je suis entré en seconde à treize ans, j’étais un avorton maigrelet dans une

école de garçons où chacun me dominait de la tête et des épaules. L’heure de la

semaine que je redoutais le plus, c’était celle du cours de dessin industriel. Je n’y

faisais jamais que de gros pâtés – on aurait dit des tests de Rorschach.

Mais plus terrifiant encore que le cours, il y avait l’élève assis à côté de moi.

À dix-huit ans, ce type balèze et poilu était la star de l’équipe de football

américain, où il occupait les fonctions de running back et de capitaine. Je voyais

en lui à la fois un dieu et un animal très dangereux. Par bonheur, nous avions au

moins une chose en commun – nous étions les plus mauvais dessinateurs de la

classe. Le lien créé par cette incompétence commune l’a incité à s’ouvrir à moi.

Il m’a parlé d’un sujet qui lui tenait à cœur – le football. Il faisait partie de la

sélection municipale, et passait pour le meilleur running back de la région. Allez

savoir pourquoi, il a tenu à m’expliquer comment il avait obtenu cette

distinction.

Ce qu’il m’a dit m’a marqué – quarante ans après, je ne l’ai pas oublié. Il m’a

expliqué qu’il n’était ni le plus rapide ni le plus insaisissable. Que d’autres étaient

plus costauds que lui. Mais c’était lui le meilleur, et les offres mirifiques de

bourse universitaire qu’il recevait le prouvaient bien. Ce qui faisait de lui le

meilleur, m’a-t-il expliqué, n’avait aucun lien avec ses qualités physiques – c’était

son attitude face aux coups reçus.

Il réclamait la balle dès la sortie de la mêlée et se ruait vers le premier

plaqueur venu. Il ne cherchait pas à le feinter ou à sortir des limites du terrain. Il

fonçait droit sur lui et recevait le choc de façon intentionnelle, aussi douloureux

cela soit-il. « Quand je me relève, je me sens vraiment bien, je vis à fond. Voilà ce

qui fait de moi le meilleur. Les autres ont peur, ça se voit dans leurs yeux. » Il

avait raison ; aucun de ses rivaux ne partageait son désir de se faire broyer par

un défenseur adverse.

J’ai d’abord pensé qu’il était dingue. Il évoluait dans un monde où le danger

et la douleur étaient omniprésents – et il aimait ça. C’était exactement le monde

que j’avais consacré ma vie à fuir. Mais je ne suis plus arrivé à évacuer de ma tête

son idée de cinglé ; en allant tout droit vers la souffrance, on développe des

superpouvoirs. Plus les années passaient, plus je trouvais que cela se vérifiait – et

pas seulement dans le domaine du sport.

Sans le savoir, il m’avait donné à découvrir le secret de la maîtrise de la

douleur – il m’avait livré les bases de l’outil capable de relier n’importe qui à
la Force du mouvement en avant.

Ce footballeur se distinguait des autres parce qu’il avait « inversé »


le désir habituel de l’homme, qui est de fuir la douleur – lui la
recherchait. Chez lui, c’était venu naturellement, mais le commun des
mortels croit que c’est impossible. Ça ne l’est pas. Avec l’outil approprié,
n’importe qui peut apprendre à désirer la douleur.
L’outil en question s’appelle l’« Inversion du désir ». Avant de vous y
essayer, choisissez une situation que vous cherchez à éviter. Il n’est pas
nécessaire que cela suppose de la douleur physique comme dans le cas de
notre footballeur. La souffrance que vous évitez est plus probablement
de nature émotionnelle  ; un coup de téléphone que vous remettez au
lendemain, un projet qui vous paraît insurmontable, ou une tâche
simplement rébarbative. Vinny évitait pour sa part le rejet qu’il aurait
éventuellement à affronter s’il gravissait les échelons du show-business.
Une fois cette situation choisie, imaginez la souffrance qu’elle vous
fera ressentir. Puis, oubliez la situation et focalisez-vous sur la
souffrance elle-même. Essayez alors d’employer l’outil que voici.

L’Inversion du désir

Visualisez la souffrance sous la forme d’un nuage devant vous. Criez

intérieurement à ce nuage :

« VAS-Y, FRAPPE ! » Éprouvez pour la souffrance un désir intense qui vous fait

avancer à travers le nuage.

Criez intérieurement : « J’AIME LA DOULEUR ! » tout en continuant d’avancer.

Entrez profondément dans la souffrance, jusqu’à faire corps avec elle.

Vous allez sentir le nuage vous éjecter et se refermer derrière vous. Dites-

vous intérieurement, avec conviction : « LA DOULEUR ME LIBÈRE ! » En quittant le

nuage, sentez que vous êtes transformé en lumière pure, qui va de l’avant avec

beaucoup de détermination.
Les deux premières étapes vous demandent d’user de votre propre
volonté, mais dans la dernière, vous devriez vous sentir transporté par
une force bien plus grande que vous : c’est la Force du mouvement en
avant.
Quand vous « faites venir » la souffrance, rendez-la aussi extrême
que possible. Quel serait le pire des dénouements possibles  ? Que le
public hue votre discours. Que votre épouse tourne les talons et quitte la
pièce au milieu de la dispute. Si vous êtes capable de maîtriser le pire,
tout le reste devient simple. Plus forte est la souffrance – et plus vous y
pénétrez avec détermination –, plus vous créez de l’énergie.
Apprenez à franchir ces étapes rapidement mais intensément. Ne
vous contentez pas de le faire une fois. Répétez le processus encore et
encore jusqu’à ce que vous sentiez que vous avez complètement
transformé toute la souffrance en énergie. Vous pouvez mémoriser
chaque étape au moyen de la phrase qui s’y rapporte.
1. « Vas-y, frappe ! »
2. « J’aime la douleur. »
3. « La douleur me libère. »
Le simple fait de prononcer ces trois phrases vous aidera.
Vous comprenez à présent pourquoi nous nommons cet outil
l’Inversion du désir. Vous vous êtes emparé de votre désir normal
d’éviter la souffrance et l’avez inversé en désir de l’affronter.

COMMENT L’INVERSION DU DÉSIR MAÎTRISE LA SOUFFRANCE


L’usage régulier de l’outil met au jour l’aspect secret de la souffrance
qui en permet la maîtrise : elle n’est pas absolue. La façon dont on ressent
la souffrance varie selon la façon dont on y réagit. Quand on va vers elle, elle
rétrécit. Quand on s’en éloigne, elle grandit. Comme le monstre du
cauchemar, plus on fuit la douleur, plus elle nous poursuit. Quand on
affronte le monstre, il s’en va.
Cela explique que le désir soit un élément essentiel de l’outil. Il vous
permet d’avancer vers la douleur. Vous ne la  désirez pas par
masochisme ; vous la désirez pour la réduire. Quand vous comprendrez
que vous pouvez le faire chaque fois, vous aurez maîtrisé votre peur de
souffrir.
Le dessin ci-contre illustre ce fonctionnement. Cette fois, quand le
personnage quitte la Zone de confort, c’est avec un tout autre état
d’esprit. Non seulement il ne cherche pas à éviter la douleur, mais il la
désire. C’est ce désir qui le met en mouvement ; nous l’avons dit, quand
on avance vers elle, la douleur rétrécit et devient moins intimidante. On
peut alors la traverser pour entrer dans un monde de possibilités
infinies.
Ma première leçon d’avancée vers la souffrance m’a été donnée par
mon père. Il m’apprenait le bodysurf, et le premier cours a consisté à
savoir entrer dans l’eau glaciale. L’astuce était d’y entrer d’un coup, sans
réfléchir. Ensemble, nous courions à toutes jambes sur la plage et
plongions aussi profond que possible. Ça nous donnait un coup de fouet,
mais nous étions déjà sur nos planches quand les autres nageurs en
étaient encore à se torturer en entrant dans l’eau centimètre par
centimètre. Quand j’y repense, c’est la première fois qu’on m’ait jamais
encouragé à avancer vers la douleur de mon plein gré.

QUAND USER DE L’INVERSION DU DÉSIR

J’ai fait pratiquer à Vinny l’Inversion du désir dans mon cabinet à de


multiples reprises jusqu’au moment où j’ai été sûr qu’il pourrait se servir
seul de l’outil. «  Je me sens gonflé à bloc, comme si j’avais fait de
l’exercice, a-t-il dit. À quel moment faut-il faire tout ça ? »
C’était une bonne question, et elle vaut pour chacun des outils
présentés dans ce livre. Il est aussi important de savoir quand il convient
de faire appel à un outil que de savoir s’en servir. Nous avons pu
constater que la question ne doit pas être laissée au hasard. Pour chaque
outil, il existe une série de moments aisément reconnaissables qui
invitent à en faire usage. Nous parlons de « signal », exactement comme
celui qu’attend un acteur pour dire sa réplique. Utilisez immédiatement
l’outil chaque fois que vous distinguez un signal.
Pour l’Inversion du désir, le premier signal est évident – c’est quand
vous êtes sur le point de faire ce que vous cherchez à éviter. Mettons que
vous deviez appeler une personne qui vous intimide, ou qu’il faille
vraiment que vous vous mettiez au travail mais que vous êtes agité et
distrait. À ce moment précis, focalisez-vous sur la souffrance spécifique
que vous ferait éprouver l’action concernée. Appliquez l’outil à la
souffrance (à de multiples reprises si nécessaire) jusqu’au moment où
vous sentez l’énergie de la dernière étape vous transporter vers l’avant.
Ne vous mettez pas à réfléchir – laissez-vous porter à entreprendre
l’action que vous cherchiez à éviter.
Le second signal n’est pas aussi évident à percevoir, parce qu’il
survient dans les pensées. Nous partageons tous la même mauvaise
habitude. Au moment d’accomplir quelque chose qui nous paraît
extrêmement déplaisant, nous nous mettons à y réfléchir au lieu de le
faire : pourquoi faut-il que je le fasse, au fond ? Ça m’est impossible, je le
ferai la semaine prochaine, etc. Cogiter ne vous aidera pas à passer à
l’action et à affronter la souffrance  ; en vérité, cela ne fera que vous
inciter davantage à la dérobade. La seule façon dont vos pensées peuvent
vous aider à maîtriser la douleur, c’est si elles déclenchent en vous le
recours à l’Inversion du désir. C’est là le second signal : chaque fois que
vous vous surprenez à gamberger autour de la tâche tant redoutée,
cessez de penser et utilisez l’outil.
Ce signal doit vous entraîner à employer l’outil sur l’instant. Aussi
éloigné que soit le moment de l’acte, la force dont vous avez besoin pour
avancer ne peut se générer qu’au présent. Chaque fois que vous répondez
à ce second signal, vous opérez un dépôt dans un compte en banque
invisible ; ce n’est pas de l’argent que vous y déposez, mais de l’énergie –
et vous finirez par en avoir assez pour passer à l’acte.
Vinny a trouvé l’occasion de tester la méthode. Parmi les tâches en
vue de la remise en ordre de sa vie, il y avait un appel à passer au
puissant patron de club auquel il avait précédemment posé un lapin. Le
fait de lui demander de l’embaucher était déjà intimidant en soi, mais il
fallait en plus, à présent, solliciter son pardon. Chaque occasion de se
dire : « Je n’y arriverai pas » s’est transformée en signal à exploiter pour
pratiquer l’Inversion du désir. Après deux semaines de ce traitement,
prenant son courage à deux mains, il a passé le coup de téléphone. Le
type ne l’a pas rappelé avant cinq jours, ce qui a encore donné à Vinny
l’occasion d’utiliser le signal une centaine de fois.
L’appel tant redouté est enfin venu. Le patron n’a pas manqué de lui
remonter les bretelles. « Les cinq minutes les plus longues de ma vie »,
déclarerait Vinny. Puis, comme il recevait un autre appel, le patron a mis
Vinny en attente «  pendant encore cinq minutes de malheur  ».
S’attendant à entendre la suite du sermon, Vinny a pratiqué l’Inversion
du désir comme si sa vie en dépendait – mais l’autre appel concernait en
fait l’annulation d’un comique pour le soir même. Le patron a offert le
créneau à Vinny – qui a « fait un malheur ». Vinny était sidéré par la
tournure des événements – pour reprendre ses propres termes : « J’ai eu
du cul, hein ? »
LE BÉNÉFICE SECRET : FAIRE DE LA SOUFFRANCE UNE FORCE

En vérité, la chance n’y était pour rien. Je l’ai constaté mille fois ; un
patient fait vraiment l’effort d’aller de l’avant et, d’un coup, les gens et
les occasions apparaissent comme par magie pour l’aider sur son chemin.
Je l’ai moi-même vécu avant d’avoir entendu parler des outils. Le
prestige et le salaire inhérents à une carrière juridique m’apparaissaient
comme une prison dorée – une Zone de confort dans son genre. Pour
remettre ma vie sur les rails, il fallait que je quitte mon cabinet
juridique. J’avais décidé de devenir psychothérapeute, mais je savais qu’il
allait me falloir quatre longues années pour obtenir tous les titres
nécessaires. Comment allais-je subvenir à mes besoins pendant ce temps-
là ? Sans trop y croire, j’ai envoyé mon CV à des dizaines d’avocats, à qui
je réclamais un emploi à temps partiel. La plupart m’ont fait une réponse
négative. Au moment précis où je commençais à  désespérer, j’ai reçu
l’appel totalement inattendu d’un avocat qui avait fréquenté la même
école de droit que moi. C’était providentiel. Il m’a permis de travailler
autant d’heures, ou aussi peu, que je le souhaitais. Il m’a même initié au
droit du divorce, un domaine dans lequel j’ai trouvé l’occasion de
commencer à cultiver mes talents de thérapeute. Je n’aurais pas pu
effectuer la transition sans son aide.
J’ai su dès mes débuts dans la pratique de la psychothérapie qu’il
manquait quelque chose à ma formation. Je n’apportais pas aux patients
toute l’aide dont je me savais capable. Je continuais d’attendre que
quelqu’un me montre les ficelles du métier, et la répétition des
déceptions n’a jamais entamé ma détermination à chercher. C’est ainsi
que j’en suis venu à assister au séminaire qu’animait Phil. J’ai tout de
suite eu la certitude qu’il incarnait l’un de ces « coups de chance » que
réserve le destin. Il n’a rechigné à répondre à aucune de mes questions –
et je lui en ai posé des centaines ; et, à la différence des autres, il n’en
faisait pas une affaire personnelle et ne s’est jamais dérobé quand je
contestais certaines de ses réponses. J’avais l’impression d’avoir trouvé
en lui une encyclopédie interactive capable de répondre aux questions
que je me posais depuis toujours.
Si les rencontres heureuses et les opportunités inattendues dans ce
genre ne sont pas le fruit de la chance, que sont-elles donc ? Voici la
description qu’en fait l’explorateur écossais W.  H.  Murray  : «  Dès
l’instant où l’on s’engage pour de bon, la Providence intervient à son
tour [...] en produisant toute sorte de circonstances, de rencontres et
d’aides matérielles imprévues que nul homme n’aurait rêvé trouver sur
son chemin. »
Providence est un terme vieillot, mais c’est bien celui qui convient. Il
évoque le soutien et le guidage par une entité plus grande que soi. Ce
que dit Murray, c’est que le mouvement en avant nous met en
synchronie avec le mouvement plus vaste de l’univers – nous ouvrant
ainsi à la myriade d’opportunités que celui-ci nous fournit. Cette aide
imprévue est l’un des nombreux bienfaits que peuvent nous accorder les
forces supérieures. Elle obéit aux règles que nous avons déjà abordées :
on ne peut pas contrôler ces forces de l’extérieur ; il faut se mettre à leur
diapason pour puiser dans leur énergie.
Ces principes prêtent facilement à la caricature. L’un de mes
patients, après nombre de nuits et de week-ends passés à chercher la
formulation idéale, a fini par trouver le courage de soumettre une
proposition à son patron, et ce dernier l’a rejetée. « Vous m’aviez dit que
si je faisais le premier pas, l’univers viendrait à mon secours », s’est-il
plaint.
On voit là l’incompréhension typique de l’esprit moderne à l’égard
des forces spirituelles, que l’on voudrait prévisibles, contrôlables. Oui,
avancer est un moyen efficace de se mettre au contact de forces
supérieures. Mais ces forces demeurent, en fin de compte, mystérieuses ;
elles opèrent selon des modalités qui se situent souvent au-delà de la
compréhension immédiate. L’univers ne vous récompensera pas chaque
fois que vous ferez un pas en avant, comme un animal de cirque. Cette
croyance naïve n’est au fond qu’une autre version de la Zone de confort.
À mesure que les patients apprennent à travailler avec les forces
supérieures, ils rencontrent un autre mystère. Ils sentent s’accroître
leurs pouvoirs et soudain, contre toute attente, quelque événement
négatif se produit. Cela soulève généralement leur indignation, comme si
leur connexion avec les forces supérieures avait dû leur apporter quelque
immunité magique contre l’adversité.
C’est ce que nous appelons l’immaturité spirituelle. Un vrai adulte
admet qu’il existe une divergence fondamentale entre les objectifs qu’il
caresse pour lui-même et ceux que l’univers lui réserve. En règle
générale, l’être humain souhaite réussir dans le monde social – créer une
entreprise à succès, par exemple, ou rencontrer l’âme sœur. L’univers,
lui, se fiche pas mal de la réussite sociale ; son objectif est de développer
notre force intérieure. Nous avons le souci de ce que nous réussissons au-
dehors ; l’univers s’intéresse à l’être que nous sommes au-dedans.
Ceci explique que l’adversité puisse perdurer malgré le fait que nous
fassions mouvement vers l’avant ; l’adversité est le seul moyen par lequel
l’univers peut accroître notre force intérieure. Chacun comprend
aisément que, pour développer un muscle, il faut lui opposer une
résistance – qui prend la forme d’un poids. Fondamentalement,
l’adversité est le « poids » contre lequel on développe sa force intérieure.
Je suis témoin de la force incroyable qu’acquièrent ceux qui
affrontent l’adversité. J’ai eu l’occasion de traiter une femme dont le
mari gérait l’ensemble des affaires financières du couple  ; lorsqu’il est
mort, elle s’est trouvée devant la tâche intimidante d’apprendre les
rudiments de la finance. Pourtant, un an après, elle n’avait pas seulement
lancé une affaire qui marchait, mais était devenue moins passive dans
l’ensemble de ses rapports à autrui. J’ai même pu le constater chez des
enfants  : une adolescente se réfugie dans l’unique relation d’amitié
qu’elle cultive – avec la petite championne de l’arrivisme social de sa
classe. Celle-ci la largue par un SMS abrupt : « J’en ai marre de faire
semblant d’être ton amie.  » Sa mère redoute qu’il s’agisse d’un
événement traumatisant dont sa fille ne se remettra jamais. Au lieu de
cela, contrainte d’aller vers d’autres camarades, la jeune fille découvre
qu’elle est finalement assez appréciée pour elle-même. Ses relations
s’approfondissent et son estime de soi finit en fait par se renforcer.
Il existe en nous une force intérieure, cachée, que l’on ne décèle pas à
moins de traverser l’adversité. Friedrich Nietzsche l’a parfaitement
exprimé dans son célèbre aphorisme : « Tout ce qui ne me tue pas me
rend plus fort.  » Son idée que l’adversité possède une valeur positive
était novatrice.
Quand j’ai cité Nietzsche à Vinny, pourtant, il a levé les yeux au ciel
et rétorqué : « Écoutez-moi, l’intello, je ne suis pas aussi stupide qu’il y
paraît. Je sais deux ou trois choses à propos de Nietzsche ; c’était sans
doute un beau parleur, mais il n’a pas vraiment mené la vie d’Indiana
Jones.  » Vinny n’avait pas tort – Nietzsche a plus ou moins vécu en
ermite.
Cela ne doit pas nous surprendre. La philosophie est l’œuvre
d’intellectuels qui n’en viennent que rarement à se demander comment
appliquer leurs idées dans la vraie vie. Quand votre sous-sol est inondé,
ou quand votre épouse fait ses valises, ce n’est pas à Nietzsche que vous
pensez. Dans ces moments-là, tout le monde réagit de la même façon :
« Cela ne devrait pas m’arriver à moi. »
Pour aussi naturelle qu’elle soit, cette réaction est en fait absurde : on
refuse d’accepter un événement qui s’est déjà produit. Il n’y a pas plus grande
perte de temps. Plus on se plaint, plus on reste bloqué. La personne qui
se vautre ainsi dans la souffrance porte un nom : c’est une victime.
La victime croit savoir comment l’univers est censé fonctionner.
Lorsqu’il ne la traite pas selon ses « mérites », elle en conclut que le
monde est contre elle. Cela devient sa raison de renoncer et de se
réfugier dans sa Zone de confort, où elle pourra cesser d’essayer de s’en
sortir.
Pas besoin d’être philosophe pour comprendre qu’une fois arrivée là,
la victime ne grandit pas plus qu’elle ne se renforce. La phrase de
Nietzsche peut prêter à croire que c’est l’adversité elle-même qui nous
renforce. Il n’en est rien. La force intérieure ne vient qu’à celui qui, face à
l’adversité, accomplit un mouvement en avant.
C’est une attitude impossible pour une victime, qui dilapide toute
son énergie à déplorer que cela n’aurait pas dû lui arriver. Elle ne pourra
pas récupérer cette énergie tant qu’elle n’aura pas accepté l’événement –
aussi douloureux qu’il ait été. Mais accepter les mauvais coups demande du
travail.
C’est là qu’intervient l’Inversion du désir. Elle court-circuite nos
considérations sur la façon dont les choses devraient se dérouler et nous
offre un moyen d’accepter les faits tels qu’ils sont. Ce n’est pas tout à fait
la même chose que de se préparer à une souffrance à venir. L’outil
proprement dit opère de la même façon, mais la souffrance visée ici se
situe dans le passé (même si ce n’est qu’une affaire de minutes). Il s’agit
en fait de s’efforcer de désirer ce qui de toute façon s’est déjà produit.
Plus on se sert de l’outil précocement et de façon répétée à la suite
d’un événement négatif, plus vite on s’en remet. Certains affronteront
pour la première fois l’adversité sans endosser le rôle de la victime. Avec
l’Inversion du désir, l’idée de Nietzsche devient réalité.
Cela fonctionne en tout cas pour les événements mineurs – les
embouteillages ou la photocopieuse en panne. On commence à se
remettre de ces choses plus vite qu’on le pensait possible ; on acquiert
une plus grande tolérance envers la contrariété. Mais qu’en est-il
lorsqu’il s’agit d’un événement vraiment terrible  ? La perte des
économies d’une vie entière, la mort d’un enfant ? Est-il possible – est-il
même sain – d’accepter un événement qui détruit le tissu même de votre
vie ?
Un homme au moins s’est trouvé en situation de répondre à cette
question ; le célèbre psychiatre autrichien Viktor Frankl. Son autorité ne
lui est pas venue de ses diplômes, mais du fait qu’il avait vécu l’indicible.
Frankl a connu quatre camps de la mort nazis ; sa mère, son père et son
épouse y ont péri. Refusant d’abdiquer, il est devenu l’un des médecins
du camp. Il s’est démené pour favoriser la résilience de prisonniers qui,
comme lui, avaient perdu jusqu’à leur raison d’être. La réponse qu’il
donne à notre question figure dans son livre Découvrir un sens à sa vie
avec la logothérapie.
Frankl est parvenu à la conclusion que même dans des conditions
incroyablement dures – privation de sommeil et de nourriture, menace
omniprésente de la mort – il est possible de cultiver la force intérieure –
 la seule chose que les nazis ne pouvaient pas retirer au prisonnier. Dans
les camps, les nazis contrôlaient tout – vos biens, la vie de ceux que vous
aimiez comme la vôtre. Mais ils ne pouvaient pas vous dépouiller de
votre détermination à grandir de l’intérieur jusqu’à votre dernier jour,
aussi proche fût-il.
Aussi sinistre et précaire qu’ait été la vie dans les camps de la mort,
affirme Frankl, elle continuait d’offrir « une opportunité et un défi. On
pouvait sortir victorieux de ces expériences, transformer sa vie en
triomphe intérieur, ou au contraire ignorer le défi et se contenter
de  végéter  ». Il s’agissait «  de circonstances extérieures
exceptionnellement difficiles qui offrent à l’homme l’occasion de grandir
spirituellement au-delà de lui-même ». Cette force intérieure, spirituelle,
a parfois valu à des prisonniers moins robustes un meilleur sort qu’à
d’autres physiquement plus forts.
Ainsi Frankl énonce-t-il ce que nous avons observé plus haut – quels
que soient nos objectifs, la vie caresse pour nous ses propres projets. En
cas de conflit entre ces deux programmes, c’est la vie qui l’emportera.
Pour reprendre les termes de Frankl, « ce que nous attendions de la vie
ne comptait pas vraiment, [ce qui importait] c’était plutôt ce que la vie
attendait de nous ». Il s’agissait de découvrir ce que la vie demandait de
soi – même s’il n’était question que d’endurer ses souffrances avec
dignité, de se sacrifier pour autrui ou de ne pas céder au désespoir pour
encore vingt-quatre heures – puis de relever le défi.
Ce cheminement permet de développer ce qui fait le plus
cruellement défaut à notre société orientée vers l’extérieur  : la
«  grandeur intérieure  ». Nous sommes conditionnés pour associer la
grandeur aux individus qui ont acquis la puissance ou la gloire grâce à
leur action vis-à-vis du monde extérieur, comme Napoléon ou Thomas
Edison. Nous n’accordons que peu de valeur à la grandeur intérieure qui
est à la portée de chacun, quelle que soit sa situation. Mais seule cette
grandeur intérieure donne un sens à la vie ; sans elle, notre société n’est
qu’une coquille vide.
La vénération de la réussite sociale engendre une fixation égoïste sur
la réalisation de ses propres objectifs. La grandeur intérieure, en
revanche, ne se développe que lorsque la vie nous empêche de les
atteindre. On s’engage alors dans une lutte individuelle, intime, pour
réconcilier ses plans avec ce que la vie nous réserve. On se voit contraint
à l’effacement au meilleur sens du terme – au dévouement de son
existence à quelque chose de plus grand que soi. Le livre de Frankl est
le récit de sa victoire contre une adversité extrême. Sa vraie grandeur a
été de trouver du sens dans le dénuement macabre d’un camp de la mort
– pas d’avoir rencontré le succès en tant que psychiatre.

LA PEUR ET LE COURAGE

Le dernier service que peut vous rendre l’Inversion du désir est


peut-être le plus important de tous –  elle vous aide à alimenter le
courage. J’ai toujours été troublé par le fait que la psychothérapie ne
s’occupe jamais directement de la nécessité du courage  – tous mes
patients ont toujours souhaité en posséder davantage. Mais comme la
plupart d’entre nous, le psychothérapeute considère qu’il s’agit d’un
genre de pouvoir mythique réservé aux héros qui planent très au-dessus
des peurs des mortels – le sujet ne relève pas de la psychologie des
hommes.
Ces héros n’existent pas que dans les films. Le vrai courage se
rencontre chez l’individu ordinaire – celui qui éprouve les mêmes peurs
que nous tous. Le plus souvent, ses manifestations sont mystérieuses –
l’intéressé ignore lui-même comment il a fait.
Pour Phil, le courage n’était pas plus un pouvoir mythique qu’un
mystère. Il en donnait une définition pratique et humaine qui le rendait
accessible à tous. Le courage est l’aptitude à agir face à la peur. S’il semble
inaccessible à beaucoup, c’est à cause de notre façon d’éprouver la peur.
La peur est presque toujours associée à l’image d’un événement
terrible survenant dans l’avenir. Si je sors du rang, je vais me faire
licencier. Si je lance ma propre affaire, je vais faire faillite. Plus on se fixe
sur cette image du futur, plus on se paralyse – on s’interdit d’agir à
moins d’avoir la certitude que l’événement en question ne se produira
pas. Mais ce genre de certitude est impossible à avoir.
Bien que cela soit difficile à admettre, toute notre culture repose sur
le mensonge qui veut que l’on puisse avoir des certitudes quant à
l’avenir. On fréquente l’école qu’il faut, on mange les aliments qu’il faut,
on achète les actions qu’il faut, et l’avenir est garanti. Cultiver le courage
exige qu’on renonce à cette illusion d’un avenir assuré.
Cela permet de se focaliser sur le présent – là seulement peut se
trouver le courage d’agir. J’avais bien lu certaines choses sur le fait de
«  rester dans le présent  » avant de rencontrer Phil, mais j’y avais
toujours vu un cliché New Age. Je ne suis revenu sur cette impression
que lorsqu’il m’a livré une méthode concrète, éprouvée, pour
domestiquer la force du présent.
La première étape consiste à apprendre à faire l’expérience de la peur
sans y associer l’image mentale de l’événement futur tant redouté.
Focalisez toute votre conscience sur ce que vous fait éprouver cette peur
maintenant, au présent. Une fois que vous avez dissocié la peur de ce que
vous redoutez pour l’avenir, elle n’est plus qu’un type de souffrance
parmi d’autres, à laquelle vous pouvez appliquer l’Inversion du désir.
L’outil opère alors exactement comme indiqué précédemment.
Substituez le terme peur à celui de douleur, ou souvenez-vous que la peur
est une forme de souffrance. Dans un cas comme dans l’autre, l’énergie
produite par l’Inversion du désir vous donne l’occasion d’agir. Avec la
pratique, vous prendrez conscience que ce qui vous effraie ne compte
pas ; tout type de peur se traite de la même façon.
Si l’idée de désirer la peur vous paraît folle, souvenez-vous que ce
n’est pas l’événement terrible que vous désirez, mais seulement le
sentiment de peur qu’il suscite. C’est un paradoxe  : ce n’est qu’en
désirant la peur que vous serez en mesure de passer à l’acte en sa
présence – c’est l’essence même du courage.
Mais le courage ne s’accumule pas. La peur est prompte à revenir,
accompagnée de l’image de l’événement redouté, pour vous arracher au
présent. Si vous souhaitez vraiment vivre courageusement, habituez-
vous à user de l’Inversion du désir chaque fois que vous ressentez la
peur. Vous aurez la surprise de constater que lorsque cela sera devenu
un réflexe – et que vous aurez totalement cessé de cogiter sur l’avenir –
vos actes revêtiront un caractère de détermination qu’ils n’avaient
jamais eu jusqu’alors.
Phil décrit ce processus comme un combat pour revenir au présent.
Rester dans le présent ne renvoie pas à un état de passivité mystique,
c’est un processus actif qui réclame un effort. L’objectif est de devenir
assez à l’aise avec la peur pour pouvoir agir. Si c’est de l’intrépidité
surhumaine que vous recherchez, il y a toujours le cinéma.

QUESTIONS

1. Je suis censé recourir à l’Inversion du désir chaque fois que je dois


faire quelque chose dont je me passerais bien, chaque fois que me vient
une pensée dont je me passerais bien et chaque fois qu’il m’arrive quelque
chose de désagréable. Comment voulez-vous que j’accomplisse tout ce
travail en plus de tout ce qui se passe déjà dans ma vie ?

Tous les outils que nous vous présentons dans ce livre réclament une
bonne dose d’efforts. Il est probable qu’à un moment donné vous
trouviez que c’est trop. Il arrive aussi qu’on se sente trop accablé pour
user des outils.
Gardez à l’esprit que toute notre culture est fondée sur l’idée
d’obtenir le plus avec le moins d’efforts possible. Nous consacrerons un
chapitre entier à cette question – le chapitre six. Pour l’heure, il ne sera
pas inutile de bien saisir l’un des curieux paradoxes concernant les
outils  : s’ils requièrent une certaine énergie au départ, ils augmentent
votre énergie à la longue. Alors si vous avez le sentiment que nous vous
demandons d’en faire davantage que ce que vous êtes déjà en train de
faire, c’est parce que nous avons eu l’occasion de voir à quoi cela mène :
la vie devient plus simple quand on se sert des outils.
Si vous considérez les choses honnêtement, vous ne pouvez
qu’admettre que sans l’Inversion du désir vous resterez coincé dans
votre Zone de confort, avec l’énergie réduite qu’elle requiert. Si difficile
que vous paraisse l’emploi de l’outil, vous serez largement récompensé
de quitter cet état de paralysie. Faites-en usage, et voyez par vous-même
le bien-être que cela vous procure.
En outre, l’usage d’un outil ne demande que trois secondes. Si vous
le faites vingt fois par jour, vous n’aurez ajouté qu’une minute à vos
activités quotidiennes. Considérant le résultat que l’on obtient, nous
parions que vous jugerez que le jeu en valait largement la chandelle.

2. J’ai bien suivi les instructions concernant l’Inversion du désir, mais


je n’ai rien ressenti.

Il en va de l’apprentissage du maniement des outils comme de tout


autre apprentissage. Vous ne prétendriez pas savoir jouer du violon dès
la première fois que vous en tenez un entre les mains.
Dans notre société, on exige des résultats immédiats. S’ils ne
viennent pas, on a tendance à laisser tomber. Ces moments-là – où l’on
est tenté de renoncer – sont justement ceux où il est le plus important
de ne pas le faire. En fait, c’est à l’instant précis où vous doutez le plus de
l’Inversion du désir qu’il faut vous y exercer. Non pas pour prouver
l’efficacité de l’outil, mais pour cultiver l’attitude qui sied : « Quand je
n’obtiens pas de résultat immédiat, je m’investis encore plus dans
l’emploi de l’outil. » Cela vous permettra de devenir un vrai utilisateur
de l’outil. Si ce niveau d’engagement ne vous apporte rien, vous pouvez
cesser d’y avoir recours en sachant que vous avez essayé de bonne foi.

3. L’outil n’est-il pas une invitation à ce que des choses désagréables


m’arrivent ?

C’est l’objection à l’Inversion du désir qui revient le plus souvent,


mais c’est aussi la plus facile à réfuter. Songez-y. Qui donc appelle les
événements désagréables – celui qui recourt à l’Inversion du désir pour
affronter la souffrance ou celui qui manque de se présenter à un rendez-
vous susceptible de transformer sa vie ?
Il demeure que le fait de désirer une situation négative conduit
beaucoup de gens à redouter que l’outil finisse en vérité par provoquer la
situation en question. C’est ce que nous appelons l’«  objection de
Californie du Sud  » parce qu’elle est enracinée dans le mysticisme
populaire de la région où nous vivons et travaillons tous deux.
Cette objection repose sur un malentendu. L’outil vous forme à
désirer la souffrance que vous associez à un événement particulier – pas
l’événement proprement dit. C’est la raison pour laquelle les
instructions vous invitent à « oublier la situation et vous focaliser sur la
souffrance elle-même  ». Il s’agit par ce moyen de vous libérer pour
passer à l’acte. S’il existe une façon d’influencer le futur, c’est bien à
travers l’action proprement dite.
On peut trouver un certain réconfort à croire que nos pensées ont le
pouvoir de maîtriser directement les événements futurs, mais nous avons
constaté que les patients qui entretiennent le plus fermement cette
croyance sont précisément ceux qui cherchent à éviter d’agir.

4. J’ai connu bien assez de souffrance dans ma vie. Quand cela


s’arrêtera-t-il ?

Il est dans la nature humaine de se croire capable de déterminer


quand on a assez souffert, de souhaiter trouver un répit. Mais la vie ne
fonctionne pas ainsi. L’avenir vous réserve peut-être de nombreuses
choses positives – beaucoup de joie et d’épanouissement. Mais,
fatalement, la vie ne vous exemptera jamais d’avoir à affronter davantage de
souffrance. Une fois que vous l’aurez admis, votre objectif ne sera plus de
faire cesser la souffrance, mais d’accroître votre capacité de tolérance –
c’est très précisément ce que l’Inversion du désir va vous permettre.
Cela vous conduira à adopter un regard nettement plus positif sur la
souffrance. La souffrance est la façon qu’a l’univers d’exiger que vous
continuiez à apprendre. Plus vous pouvez la tolérer, plus vous pouvez
apprendre. Dans ce premier chapitre, ce que vous apprenez, c’est à ALLER

DE L’AVANT malgré l’adversité. Tout événement douloureux s’inscrit dans


ce programme de formation. Ce n’est qu’en l’acceptant que vous pourrez
pleinement exploiter votre potentiel. Dès que vous poserez ce genre de
regard sur la vie, vous cesserez de demander que cesse la souffrance –
parce que, en vérité, ce serait demander que cesse l’éducation.

5. N’est-il pas masochiste de désirer la souffrance ?


Cela dépend du type de souffrance dont on parle. Il en existe deux –
l’une est utile, l’autre pas. La souffrance utile est celle qu’il faut
nécessairement endurer pour atteindre ses objectifs. Pour un
représentant de commerce, le rejet est une souffrance nécessaire. La
souffrance inutile est celle que nous qualifions habituellement de
masochiste. Non seulement elle ne fait pas partie du voyage vers l’avant,
mais son dessein est de nous maintenir dans l’impasse. Quand le
masochiste s’inflige de la souffrance, il le fait sous son propre contrôle, et
toujours de la même façon, encore et encore. Il se sert du caractère
familier et prévisible de la souffrance qu’il s’est choisie pour se confiner
dans sa Zone de confort.

6. Pourquoi faudrait-il que je me serve de l’outil ? Je n’éprouve pas


plus de souffrance que de peur dans la vie.

Nous avons entendu des patients nous dire cela avec le plus grand
aplomb. Chez certains, il s’agit d’un mensonge – ils tiennent pour une
faiblesse d’admettre qu’ils souffrent ou qu’ils ont peur. Il faut
généralement un certain temps pour convaincre ceux-là qu’il est plus
fort d’admettre ces sentiments et de les dominer que de les nier.
Mais cette objection recèle aussi parfois la complaisance d’une
personne si bien installée dans sa Zone de confort qu’elle ignore
l’existence de tout un monde de possibilités qui lui échappent. Les
personnes de ce type sont généralement plus craintives que la moyenne ;
leur façon de gérer la peur consiste à nier qu’ils attendent davantage de la
vie.
Notre propos consiste alors à amener cette personne à identifier de
nouveaux objectifs. Cela peut ressembler à de l’arrachage de dents, mais
tout le monde est capable d’identifier une chose qu’il n’a pas et qu’il
désirerait peut-être. Quand nous demandons à ceux-là de visualiser les
étapes précises qu’il leur faudra franchir pour atteindre cet objectif, il y
en a toujours au moins une qui leur paraît intimidante – au point qu’ils
sont forcés d’admettre qu’ils cherchent en vérité à éviter de souffrir. Ils
ne le savent pas encore sur le moment, mais cette reconnaissance est le
premier pas de leur retour parmi les vivants.

7. Je connais quelqu’un qui va toujours de l’avant, mais je ne voudrais


pas lui ressembler parce qu’il ne prend jamais le temps de se détendre ou
de sentir le parfum d’une rose.

Ce genre d’hyperactivité n’est pas ce que nous entendons par


mouvement en avant  ; en vérité, il s’agit habituellement d’une autre
forme d’évitement. Ces gens se servent en fait de l’hyperactivité pour se
détourner de certains sentiments intérieurs – la terreur, l’échec ou la
vulnérabilité. Il en résulte qu’ils ne connaissent pas de répit ; comme s’ils
entendaient constamment des pas derrière eux, ils ne cessent jamais de
courir.
«  Mouvement en avant  » revêt un sens différent pour chacun de
nous. L’Inversion du désir vous donne la force d’affronter ce que vous
évitez, quelle qu’en soit la nature. C’est parfois une situation sociale,
mais il est tout aussi possible que ce soit une émotion intérieure qui vous
met mal à l’aise.
Nous avons constaté que les personnes qui n’évitent rien jouissent
en vérité d’une meilleure qualité de repos et de détente que les autres. Ce
n’est qu’en affrontant ce qui nous effraie – à l’intérieur ou à l’extérieur –
que notre esprit peut se détendre. Le monde devient moins intimidant,
on est plus satisfait de ses propres efforts. Cela rend l’individu moins
soucieux, moins anxieux, si bien qu’à l’heure de clore sa journée, il est
capable de mettre son esprit en veilleuse ; il n’est pas harcelé par toutes
ces choses qu’il évite.

AUTRES USAGES DE L’INVERSION DU DÉSIR

L’Inversion du désir permet d’élargir son cercle social et professionnel.


Nous avons tous parmi nos connaissances des personnes auxquelles nous aimerions
être liés, mais que nous n’osons pas aborder. En faisant preuve d’honnêteté avec
vous-même, demandez-vous si vous estimez réellement que vous vous situez à leur
niveau. Il est plus facile de ne se lier qu’aux gens qui ne constituent aucune menace.
Il s’agit en vérité d’une forme d’évitement qui vous empêche de vivre une existence
aussi pleine qu’elle pourrait l’être.
À un peu plus de trente ans, Marilyn était une femme attirante, mais
seule. Les prétendants ne lui faisaient pas défaut, mais aucun n’était
jamais à son goût. Le vrai problème résidait en fait dans la perception
qu’elle avait du monde masculin. Il existait aux yeux de Marilyn des
hommes de classe « A » – plus accomplis, plus attirants –, auxquels elle
n’avait pas accès. Pourtant, chaque fois qu’on lui présentait l’un de ceux-
là, elle faisait son possible pour le repousser ; tout au fond, ces hommes
l’intimidaient, et elle ne désirait pas qu’ils l’invitent à sortir. En
revanche, les hommes qu’elle fréquentait appartenaient à la classe « B ».
Elle se plaignait de leurs défauts, mais ils constituaient sa Zone de
confort. Tant qu’elle continuait à ne fréquenter qu’eux, il n’y avait guère
de chances qu’elle rencontre quelqu’un qui l’intéresse vraiment. Puis elle
s’est mise à pratiquer l’Inversion du désir chaque fois qu’elle se trouvait
parmi des membres de la classe « A », pour combattre l’anxiété qui la
saissisait. Elle a fini par s’ouvrir à eux et à se comporter avec naturel.
L’Inversion du désir vous permet d’exercer de l’autorité. L’un des
aspects les plus difficiles de la fonction de dirigeant – que l’on soit à la tête d’un
service, d’une entreprise ou même d’une famille –, c’est qu’il faut prendre des
décisions qui feront forcément des mécontents. C’est pour cela qu’on parle de la
« solitude du pouvoir ». Le chef efficace est celui qui sait supporter le déplaisir
des autres.
Elizabeth, enseignante à l’université, venait d’être nommée à la tête
de son département. Elle jouissait dans son domaine d’une réputation
nationale, mais n’en restait pas moins accessible et humble. Par
tempérament, elle traitait tout le monde en ami. Et tout le monde, des
étudiants aux professeurs en passant par l’équipe de nettoyage, le lui
rendait. Mais cela signifie en réalité que son milieu professionnel était
une Zone de confort. À présent que lui incombait la responsabilité du
service, la donne était tout autre, car elle était désormais décisionnaire
en matière de programme, d’emploi du temps, de congés, de questions
disciplinaires, etc. Être l’amie de tous n’était plus possible ; chacune de
ses décisions allait forcément déplaire à certains. Cela lui a donné tant de
mal qu’elle s’est mise à régulièrement remettre ses décisions à plus tard,
au point que le département tout entier en a été perturbé. Elle a compris
que si elle voulait conserver son poste, il allait falloir se forcer à faire des
choix impopulaires. Elle s’est mise à exercer l’Inversion du désir sur la
souffrance que lui causait l’inimitié des gens. Cela lui a permis de cesser
d’être l’amie de tous et de devenir une dirigeante efficace.
Elle a alors pris conscience que la question de l’ascendant se posait
dans toute relation et que son entourage aussi avait besoin qu’elle soit
une meneuse autant qu’une amie. Du coup, c’est l’ensemble de ses
rapports qui a évolué. Les amis et collègues qu’elle connaissait depuis
des années ont apprécié la clarté et la minutie qui caractérisaient à
présent ses décisions. Cela lui a apporté une confiance qu’elle n’avait
jamais éprouvée jusqu’alors. Elle a même fait des progrès dans son rôle
de mère ; dès lors qu’elle était capable d’imposer des limites à sa fille
adolescente, leurs échanges sont devenus plus sincères, et toutes deux y
ont trouvé un réel soulagement.

L’Inversion du désir est plus forte que les phobies. La phobie est la
peur ou le dégoût irrationnel qu’on éprouve pour quelque chose – comme les
araignées ou les espaces confinés. Elle a pour effet de vous rendre inaccessibles
certains aspects de l’existence. Même sous sa forme légère, elle peut perturber
votre travail et vos rapports avec les gens. L’outil vous permet de trouver le
courage de vous placer dans des situations que votre angoisse avait décrétées
interdites. La vie s’ouvre alors de nouveau à vous.
Michael était un ingénieur constamment appelé à se déplacer dans
tout le pays pour son travail. Malheureusement, sa peur de l’avion
risquait de compromettre sa carrière. Aussitôt que l’hôtesse avait fermé
la porte de l’appareil, sa respiration s’accélérait et sa poitrine se serrait,
au point de tourner à la crise de panique. Michael se pensait accablé par
la fatalité. Même s’il se trouvait chez lui, la seule idée de prendre l’avion
le remplissait d’angoisse par anticipation. Afin d’éviter ces déplacements,
il a usé de tous les prétextes imaginables jusqu’à ce que son patron se
rende compte du stratagème. À force de recourir à l’Inversion du désir
de façon répétée chaque fois que la peur le prenait, il a fini par
surmonter sa phobie de l’avion. La peur a cessé d’être une entrave à sa
carrière.
L’Inversion du désir vous permet de développer des aptitudes qui
exigent de la discipline et un investissement durable. Ce qui distingue
vraiment les personnes qui réussissent de celles qui échouent dans quelque
entreprise que ce soit, c’est leur degré d’implication. La plupart des gens
voudraient bien s’impliquer, mais dans la pratique, l’engagement requiert une
suite interminable de petits actes pénibles. Lorsqu’il est privé de recours face à
cette souffrance, l’individu voit son engagement s’émousser.
Jeffrey était un de ces policiers qui battent le pavé du matin au soir,
mais ce n’était pas la carrière qu’il avait souhaitée au départ. Avant
d’abandonner ses études universitaires, il avait montré un certain don
pour l’écriture et obtenu de bonnes notes en anglais – il était donc loin
d’avoir exploité son potentiel en la matière, par paresse. « J’ai de bonnes
idées. C’est juste que je ne suis pas sûr de vraiment savoir les transcrire
à l’écrit.  » Le problème n’avait rien à voir avec ses capacités. Il avait
trouvé un expédient facile – dans les bars, après le travail, il racontait
des histoires à ses collègues policiers, avec une aisance proportionnelle à
la dose d’alcool qu’il avait dans le sang. Mais quand il s’agissait de
coucher ces histoires sur le papier, il renonçait. « Quand je rentre à la
maison, je suis fatigué. Si j’essaie de m’asseoir à mon ordinateur, ça me
donne des migraines. » Ce qu’il voulait dire par-là, c’est qu’il n’arrivait
pas à se concentrer. La concentration suppose qu’on se coupe du monde
pour se focaliser sur une seule chose. Cela demande un gros effort,
extrêmement pénible pour la plupart d’entre nous et en particulier pour
Jeffrey. En appliquant l’Inversion du désir sur cette souffrance-là, il a
réussi à rassembler le temps et l’énergie qu’il lui fallait pour amorcer la
carrière d’écrivain qu’il désirait vraiment.

L’Inversion du désir vous apporte un nouveau regard sur les


dynamiques familiales installées depuis l’enfance. Essayez donc ce qui
suit : fermez les yeux et pensez à quelque chose que vous avez pris l’habitude
d’éviter dès l’enfance. Quelle est la nature précise de la souffrance que vous
cherchiez à vous épargner  ? Projetez-vous dans cet enfant et appliquez
l’Inversion du désir sur cette souffrance-là. Imaginez-vous en train d’employer
l’outil alors que vous étiez enfant – automatiquement, chaque fois que vous
cherchez à l’éviter, jour après jour, année après année. Essayez de sentir en quoi
cela aurait changé votre vie aujourd’hui – pas les circonstances extérieures, mais
en vous-même. Qu’est-ce que cela fait d’être un autre ?
Dès un âge précoce, Juanita a entendu sa mère exprimer
ouvertement sa désapprobation chaque fois que son comportement la
décevait. Par crainte de cette désapprobation, Juanita s’est gardée de
partager certaines facettes d’elle-même susceptibles de décevoir sa mère,
qui du coup ne l’a jamais vraiment connue. Grâce à cet exercice, Juanita
a compris que, si elle avait su dépasser la souffrance liée au fait de se
révéler, elle aurait été mieux connue et comprise par sa mère et aurait pu
cesser de dissimuler certains aspects de sa personne. Cela aurait donné
une chance à sa mère de l’accepter et de lui dire l’amour authentique
qu’elle éprouvait pour toutes les facettes de sa fille.

L’INVERSION DU DÉSIR EN BREF

À quoi sert l’outil


Employez-le quand il faut que vous fassiez quelque chose que vous ne cessez d’éviter. Nous fuyons

les choses qui nous paraissent particulièrement pénibles, et préférons passer notre existence dans

une Zone de confort qui limite strictement ce que nous obtenons de la vie. L’outil vous permet

d’agir malgré la souffrance et remet votre existence en mouvement.

Ce que vous combattez vraiment


L’évitement de la souffrance est une habitude bien ancrée. Remettre à plus tard quelque chose de

pénible procure un soulagement immédiat. La sanction – le regret d’une vie gâchée – ne surviendra

pas avant un avenir lointain. C’est ce qui empêche la plupart des gens d’avancer et de vivre

pleinement.
Signaux d’utilisation de l’outil
1. Au moment où vous avez à faire quelque chose de désagréable et éprouvez de la peur ou de

la résistance. Servez-vous de l’outil juste avant d’agir.

2. Le second signal survient quand vous PENSEZ à l’accomplissement d’une tâche pénible ou

difficile. En employant l’outil chaque fois que vous viennent ces pensées, vous accumulez une

force qui vous permettra d’agir le moment venu.

L’outil en bref
1. Focalisez-vous sur la souffrance que vous cherchez à éviter ; voyez-la apparaître devant vous

sous la forme d’un nuage. Criez intérieurement : « Vas-y, frappe ! » pour réclamer la souffrance ;

vous la voulez parce qu’elle possède une grande valeur.

2. Criez intérieurement : « J’aime la souffrance ! » tout en continuant d’avancer. Avancez jusqu’à

ce que la souffrance ne fasse plus qu’un avec vous.

3. Sentez le nuage vous expulser et se refermer derrière vous. Dites intérieurement : « La

souffrance me libère ! » En quittant le nuage, sentez que vous vous transformez en pure lumière,

et que vous avancez avec détermination.

La force supérieure que vous utilisez


La force supérieure qui propulse tout ce qui vit s’exprime sous forme d’un incessant mouvement en

avant. La seule façon de se connecter à cette force est de se mettre en mouvement soi-même. Mais

il faut pour cela affronter la souffrance et la dépasser. C’est ce que vous permet l’Inversion du désir.

Une fois que l’outil vous a mis en contact avec la Force du mouvement en avant, le monde devient

moins intimidant, votre énergie augmente et l’avenir semble porter davantage d’espoir.
CHAPITRE TROIS

L’outil :

l’Amour actif

La force supérieure :

le Déferlement

était ma première séance avec Amanda, une femme


C’

ambitieuse d’une vingtaine d’années, tirée à quatre épingles, qui est entrée
dans mon cabinet avec l’énergie d’une armée d’invasion. Elle avait un
problème avec son petit ami et voulait y trouver une solution immédiate.
« On était à une fête, et il ne m’a pas regardée ni parlé de toute la soirée. Il
a passé son temps dans un coin à draguer une fille qui travaille au rayon des
cosmétiques de Macy’s » – ces derniers mots transpiraient la haine. « Non
mais il se prend pour qui celui-là, il s’imagine peut-être qu’il va s’en tirer
comme ça ! »
Bad Romance de Lady Gaga nous a interrompus. Amanda a saisi
nerveusement son portable et aboyé « Peux pas parler maintenant – je
suis en rendez-vous  » avant de revenir à moi en me disant, sans
reprendre son souffle : « Je m’explique. Je suis en train de lancer une
entreprise de création et de fabrication de vêtements féminins haut de
gamme, et nous sommes dans une phase critique : soit nous arrivons à
lever des capitaux, soit je retourne à mon job de serveuse  », a-t-elle
déclaré en grimaçant de dégoût. «  Tous les soirs, je rencontre un
investisseur potentiel. Blake – mon petit ami –, Blake sait que son rôle
consiste à valoriser mon image, pas à m’humilier en lutinant la pouffe de
service ! »
À ma grande surprise, il est vite apparu à travers nos conversations
que Blake était à bien des égards le partenaire idéal pour Amanda. Sa
beauté éclatante et ses manières raffinées le rendaient particulièrement
« présentable ». Et le fait qu’il n’appartienne pas au monde de la mode (il
était chercheur en médecine) lui permettait de ne pas avoir de problème
d’ego vis-à-vis de sa carrière à elle. Il acceptait de bon gré son
tempérament volcanique. D’ailleurs, il correspondait si bien à ce dont
elle avait besoin qu’elle avait insisté pour qu’ils emménagent ensemble
assez vite après leur rencontre.
« Je me suis plus investie dans cette relation que dans aucune autre
auparavant.
— Ah oui ? Depuis quand êtes-vous ensemble ?
— Quatre mois. » Je me suis mis à rire, pour aussitôt m’apercevoir
qu’elle ne plaisantait pas le moins du monde. Sur la défensive, elle a
répliqué : « Le milieu de la mode n’est pas le plus propice qui soit aux
relations. »
Le milieu n’y était pour rien. Le problème venait d’Amanda.
Quiconque investit mon cabinet comme les troupes du général Patton
est voué à rencontrer des difficultés relationnelles. Malheureusement,
elle ne s’en rendait pas compte.
Aussi gentiment que possible, je lui ai demandé : « Pensez-vous qu’il
y ait dans vos liaisons un schéma récurrent qui les conduise à avorter
aussi vite ?
— Je me fiche pas mal des schémas, a craché Amanda. Mon amie,
l’une de vos patientes, m’a promis que vous n’alliez pas perdre de temps
à parler du passé. Tout ce que je vous demande, c’est de m’aider à
remettre mon petit ami dans le rang. »
Je me suis efforcé de ne pas sourire. « Je peux vous aider, mais ce ne
sera pas en remettant qui que ce soit dans le rang... Laissons cela de côté
pour l’instant. Racontez-moi plutôt ce qu’il s’est passé ensuite. »
Il se trouve qu’après la soirée, sur le chemin du retour, dans la
voiture, Amanda avait infligé à Blake des remontrances telles qu’on
n’oserait pas les faire subir à qui que ce soit. Mais cette fois-là, au lieu de
se taire, Blake lui avait poliment tenu tête. « C’est déjà pénible d’avoir à
me coltiner ce genre de soirée ennuyeuse ; je n’y vais que parce que tu y
tiens. Alors pour une fois que dans notre relation je tire sur la laisse et je
m’amuse un peu, tu me rentres dedans ? »
Amanda en était restée sidérée. Ils n’avaient plus échangé un mot du
reste du trajet, mais, l’esprit en feu, elle ne cessait de penser à la façon
dont il lui avait parlé. Comme un disque rayé, elle se répétait : « Je suis
en train de jouer ma peau, de monter une entreprise pour nous, dans un
milieu où les pressions sont extrêmes – et il n’est même pas capable de
me traiter en femme.  » Elle s’était mise à rêver de vengeance, à
s’imaginer au lit avec un mannequin de GQ de ses connaissances, tandis
que Blake les surprenait juste au moment où elle jouissait. En arrivant à
la maison, malgré l’épuisement, ses pensées suivaient leur cours en
liberté, comme si elles ne lui appartenaient plus. À force de ruminer, elle
n’avait pas dormi de la nuit.
Le lendemain matin, Blake s’était mis en quatre pour détendre
l’atmosphère. Il lui avait apporté son petit déjeuner au lit, avec des fleurs
fraîchement coupées. Amanda n’avait rien accepté. Elle ne lui avait pas
adressé la parole, ni même un regard. Les pensées haineuses de la veille
étaient toujours plus intenses en elle. S’y ajoutait à présent la longue
litanie des défauts du garçon, jusqu’aux plus infimes, comme la façon
qu’il avait de s’éclaircir la voix. Tout cela avait fini par avoir un
retentissement physique sur elle. «  J’avais la chair de poule dès qu’il
m’approchait. Je ne supportais plus d’être dans la même pièce que lui.
— Avez-vous déjà éprouvé une réaction aussi intense avec d’autres
petits amis ? » ai-je demandé.
Elle a relevé les yeux. « Seulement quand ils le méritaient.
— Et c’est arrivé fréquemment ? »
Amanda a fondu en larmes. En fait, toutes ses relations avaient
tourné court de cette façon. Le bougre s’autorisait quelque licence et elle
démarrait aussitôt au quart de tour, comme avec Blake. Elle a haussé les
épaules. « Je suis incapable d’aimer quelqu’un après ça. J’ai une copine
qui appelle ça le “point de non-retour”. »

LE LABYRINTHE

Le comportement de Blake avait été blessant  ; peut-être même


l’avait-il fait exprès. Mais ce sont des choses qui arrivent dans tous les
couples. C’est le genre d’incident qui, dans une relation saine, est
surmontable. Le vrai problème, c’était la réaction d’Amanda – elle s’était
enfermée dans une attitude intransigeante qui rendait toute
réconciliation impossible. À ce stade, ce n’était plus Blake qui contrariait
leur liaison, mais elle. Et c’est ainsi qu’elle avait toujours procédé,
repoussant jusqu’au plus accommodant des hommes.
L’état qui s’était emparé d’Amanda peut revêtir plusieurs formes. En
ce qui la concernait, c’était celle du retranchement ; d’autres explosent
ou contre-attaquent. Mais le problème sous-jacent est le même : piégé
par la douleur et la colère, on ne parvient pas à tourner la page.
Il arrive à tout le monde de connaître cet état, même ceux qui
s’estiment calmes et rationnels. Le déclencheur peut être un proche, qui
vous blesse par un regard ou de la malignité dans la voix. Mais ce peut
être aussi la musique qu’un voisin écoute trop fort ou les opinions
politiques d’un ami.
Nous appelons cet état le «  Labyrinthe  », parce que plus on s’y
enfonce, plus il est difficile d’en sortir. La personne qui vous a « fait du
tort » devient un sujet d’obsession. C’est comme si elle avait élu domicile
dans votre tête et que rien ne pouvait l’en chasser. Vous la maudissez,
vous vous disputez avec elle, vous échafaudez des plans de vengeance.
L’autre devient alors votre geôlier, il vous piège dans le Labyrinthe de
vos propres pensées répétitives.
Prenez maintenant une minute pour songer à une personne qui
déclenche en vous ce type d’état. Puis essayez cet exercice :
Fermez les yeux et visualisez l’autre en train de

vous provoquer. Réagissez avec intensité, comme

si cela arrivait pour de bon. À quoi pensez-vous,

et que ressentez-vous ? Observez qu’il s’agit d’un

état d’esprit caractéristique.

Peut-être que votre réaction est justifiée – mais cela ne compte pas.
Une fois enfermé dans le Labyrinthe, c’est à vous que vous faites du
tort. Dans le cas d’Amanda, les dégâts sur sa vie intime étaient flagrants.
Si elle était incapable de surmonter un incident mineur avec son petit
ami lors d’une soirée, il n’y avait aucun espoir qu’elle y parvienne
lorsque surviendraient les problèmes plus graves auxquels aucun couple
n’échappe. Cela expliquait que ses relations soient si peu durables.
Comment pouvait-elle espérer se marier et avoir des enfants si elle
n’arrivait pas à franchir le cap de la première dispute ?
Mais le Labyrinthe constitue une menace pour tout type de relation,
pas seulement le mariage, parce qu’il déforme notre vision des gens. Une
fois à l’intérieur, on oublie littéralement tous les aspects positifs de
l’autre – seule nous apparaît la faute qu’il a commise. Objectivement,
Blake était le meilleur des hommes qu’Amanda ait jamais rencontrés.
Mais dès qu’elle s’était retrouvée dans le Labyrinthe, il avait été
dépouillé d’un coup de toutes ses qualités ; même sa façon de se racler la
gorge la faisait hurler.
Ce type d’égarement avait aussi parasité certaines de ses relations de
travail. Amanda avait un jour piqué une crise devant le responsable des
achats d’un grand magasin prestigieux qui s’intéressait à sa ligne de
vêtements. Il s’était vengé en passant une commande à son concurrent
direct. Amanda s’était immédiatement vue retourner compter les
pourboires dans un snack-bar. Retrouver son job de serveuse aurait été
pour elle un sort plus cruel que la mort, si bien qu’elle avait passé les
mois suivants à faire amende honorable et à multiplier les offres pour le
faire revenir. Une fois encore, c’est à elle-même qu’elle avait nui.
Le Labyrinthe ne cause pas seulement du tort dans le cadre de vos
rapports avec autrui ; il influence aussi votre rapport à la vie elle-même.
Quand vous êtes dans le Labyrinthe, la vie suit son cours sans vous.
La plupart des fautes que commettent les gens n’occasionnent que
des dégâts passagers  ; si vous passiez outre la douleur initiale, vous
reprendriez le fil de votre existence sans attendre. Mais vous ne le faites
pas. Le mal que l’on vous a fait tourne à l’obsession. En procédant ainsi,
vous tournez le dos à votre propre avenir.
Le cas de ces femmes qui, arrivées à l’âge adulte, continuent de
reprocher à leurs parents d’avoir gâché leur vie en constitue un exemple
classique. Leur entrée dans le Labyrinthe remonte à fort longtemps et
elles n’en sont jamais ressorties, ce qui leur donne une excuse facile pour
systématiquement renoncer dès la première difficulté. Elles ne peuvent
pas écrire un livre parce que leurs parents n’ont jamais reconnu leur
talent. Elles refusent de faire des rencontres parce qu’elles sont trop
timides à cause de leur père, qui ne les aimait pas.
Ces exemples témoignent des dégâts plus ou moins graves que le
Labyrinthe peut provoquer. Amanda était ainsi la marraine de la fille
d’une amie. À la suite d’un différend avec celle-ci, elle était entrée
profondément dans le Labyrinthe. Comme à son habitude, elle avait
coupé les ponts avec son amie. Après plusieurs mois, Amanda s’était
aperçue qu’elle avait laissé passer la date du premier anniversaire de la
fillette. « Ça, je le regretterai jusqu’à la fin de mes jours. »
Il m’a souvent été donné en tant que thérapeute de constater le prix
exorbitant que peut coûter le séjour dans le Labyrinthe –
d’innombrables heures perdues, des opportunités gâchées, une partie
importante de sa vie qu’on n’a pas vécue.
Le plus frustrant, c’est que même lorsqu’on prend conscience de ce
que coûte le Labyrinthe, on ne parvient pas à y échapper. De ce point de
vue, Amanda n’était pas différente des autres. Quelques séances ont suffi
à lui faire comprendre qu’elle était sa pire ennemie. Mais cela ne l’a pas
aidée pour autant à reprendre le contrôle sur son esprit. La colère, les
rêves de revanche et l’orgueil blessé se nourrissaient de leur énergie
propre. « J’en suis au point où je ne peux plus supporter mes pensées.
J’arrive à les interrompre une seconde, puis je revois Blake m’accuser
d’autoritarisme et tout recommence. »

JUSTICE

Pourquoi est-il si difficile de sortir du Labyrinthe ?


Le piège repose sur l’idée profondément humaine et universellement
partagée que le monde est censé être juste. C’est une supposition à
laquelle on croit dur comme fer, comme un enfant – « Si je suis bon, le
monde sera bon envers moi  ». Nous devrions pourtant nous rendre à
l’évidence que ce présupposé est largement contredit au quotidien,
lorsque quelqu’un vous fait une queue-de-poisson sur l’autoroute, par
exemple, ou lorsqu’un client se montre particulièrement désobligeant.
Malgré tant de preuves accablantes, nous restons attachés à ces
croyances puériles.
Tant que l’on s’obstine à attendre que la vie se montre équitable, on
tend à exiger que les plateaux de la balance de la justice s’équilibrent
aussitôt que quelqu’un nous fait du tort. On se campe sur ses jambes,
bras croisés, et rien ne nous fera bouger tant que cela ne se produira pas.
C’est la raison pour laquelle le Labyrinthe produit presque toujours des
fantasmes de revanche ou de réparation. On se lance dans une vaine
tentative de restauration de la justice au regard de son propre monde.
Le plus souvent, cette exigence de voir le monde entier nous traiter
avec justice est parfaitement inconsciente. Mais elle est bien là, présente
en permanence en toile de fond. Cela signifie que l’on bivouaque devant
l’entrée du Labyrinthe, courant le risque de se faire avaler à tout
moment. À la première injustice – n’importe quelle injustice – on se
retrouve piégé et incapable de réagir.

LA FORCE SUPÉRIEURE : LE DÉFERLEMENT

Renoncer à ses croyances puériles de justice immanente n’est pas


simple. Selon ma propre expérience, on n’y parvient vraiment que
lorsqu’on éprouve quelque chose de plus grand et de plus fort que la
justice. La première fois que cela m’est arrivé, j’étais encore petit enfant.
J’avais environ cinq ans, et mes parents nous avaient emmenés ma
sœur et moi voir la neige, ce qui aurait dû être exaltant pour un petit
Californien du Sud comme moi habitué au soleil toute l’année. Mais sur
la route, mon père avait trouvé le moyen de me froisser – je ne me
souviens plus de quelle manière. Ce qui m’est resté, c’est que je suis alors
entré dans le Labyrinthe. Assis à l’arrière de la voiture, mes yeux
transperçaient le crâne de mon père devant moi. Je lui ai souhaité tous
les supplices possibles. Si la haine avait été incendiaire, sa tête aurait
aussitôt pris feu.
Une fois à destination, toute la famille s’est ruée hors de la voiture,
mais je n’ai pas bougé. Je suis resté assis là, bras croisés. Ma mère a
essayé la persuasion douce. Après deux ou trois tours de luge sur la
pente enneigée, ma sœur est venue me dire à quel point c’était amusant.
Même mon père a tenté de m’attirer hors de la voiture, mais plus ils
faisaient d’efforts, plus je m’enferrais dans mon attitude.
De guerre lasse, ils ont fini par renoncer. Il s’est alors produit la plus
étrange des choses. À travers la vitre, j’ai vu un petit chiot, perdu et
grelottant, qui reniflait le sol du parking. Sans réfléchir, j’ai ouvert la
portière et me suis précipité pour le prendre dans mes bras et le ramener
au chaud dans la voiture avec moi. Il m’a léché le visage et d’un coup,
tout a changé. Je débordais d’amour pour cet animal sans défense et
apeuré. J’ai senti mon cœur se débloquer et se gonfler. Tout m’est
apparu sous un jour très différent  ; on aurait dit que l’univers venait
brusquement de changer d’axe. J’avais cessé de haïr mon père –  je
l’aimais, je voulais même lui ressembler : c’est lui qui m’avait appris à
avoir une attitude protectrice envers les animaux. Et mon humeur
grincheuse de sale gosse obstiné s’était totalement dissipée. Je me suis
senti grandir – ces enfantillages mesquins n’étaient plus dignes de moi.
Bondissant hors de la voiture, j’ai appelé mon père. Il est venu, nous
avons cherché ensemble le propriétaire du chien, et il m’a dit qu’il était
fier de moi. Quand j’y repense, la vitesse à laquelle tout a basculé me
stupéfie encore aujourd’hui. Je revois ensuite ma famille m’applaudir
alors que je dévalais la pente sur ma luge. Je pleurais et riais en même
temps. J’avais l’impression de m’être évadé de prison. Sur la route du
retour, je n’ai cessé de chanter et de rire. J’ai même trouvé le moyen de
présenter des excuses maladroites pour m’être montré aussi bête.
Tout enfant que j’étais, j’ai senti qu’il y avait là plus que l’amour que
m’inspirait un petit chien. J’avais fait l’expérience saisissante d’une force
supérieure, si puissante qu’elle m’avait tiré du Labyrinthe, arraché à ma
vexation mesquine et à ma bouderie. J’avais éprouvé une vague puissante
d’amour envers toute chose et toute personne, et elle m’avait donné la
force de surmonter mon orgueil blessé et ma colère.
Ce que j’avais éprouvé était très différent de ce qu’on appelle
ordinairement l’« amour ». Le sens que nous donnons généralement à ce
terme est celui de son acception la plus prosaïque, à savoir ce que l’on
ressent quand un autre nous fait plaisir. Quand votre enfant vous sourit
avec adoration ; ou quand votre partenaire se montre particulièrement
séduisant. Cette forme d’amour est peu élevée, dans la mesure où elle
n’est que le fruit d’une réaction à des circonstances extérieures.
Pour sortir du Labyrinthe, il convient de générer une forme d’amour
indépendante de nos réactions immédiates. Après tout, à bien y réfléchir,
ce sont précisément ces dernières qui nous ont projetés dans le
Labyrinthe.
C’est cet amour-là que j’avais éprouvé à l’âge de cinq ans. Il était
plus grand que mes réactions individuelles, plus grand que moi. Il
s’agissait de la plus haute expression de l’amour. Nous avons donné un
nom à ce type d’amour : le « Déferlement ».
Le Déferlement est une force spirituelle infinie qui se donne sans compter.
Comme le soleil, il brille avec la même intensité pour tout et tous. Dès
l’instant où nous éprouvons ce type d’amour, nous nous élevons au-
dessus de nos vexations mesquines. Nous cessons de chercher réparation
auprès de l’offenseur parce que le Déferlement est une gratification en
soi. À la différence de la justice, cette gratification est porteuse de sa
propre valeur en soi. Elle vous permet de reprendre le cours de votre
vie.
Soyons clairs : puiser dans le Déferlement ne signifie pas pour autant
abdiquer ou rester passif face à l’injustice. Nous ne sommes pas en train
de vous conseiller de vous laisser maltraiter. Le Déferlement modifie
votre état intérieur  ; pour ce qui est de l’extérieur, vous restez libre de
répondre de la façon qui vous conviendra le mieux. En réalité, vous
constaterez qu’en puisant dans cette force supérieure, vous serez même
en mesure de vous montrer plus agressif si vous choisissez l’affrontement.
Tant que vous demeurez dans le Labyrinthe, vous réclamez un dû à celui
qui vous a fait du tort. Cela lui confère sur vous un pouvoir
d’intimidation. Avec le Déferlement, vous vous connectez à une force
supérieure, et ne craignez plus personne.

L’OUTIL : L’AMOUR ACTIF

Représentez-vous le Déferlement comme un raz-de-marée d’énergie


bienveillante qui balaie le monde. Il vous entoure à chaque instant, mais
vous ne le percevez pas tant que vous ne vous trouvez pas vous-même
dans un état de désintéressement. Il faut être en synchronie avec le
Déferlement, comme le surfeur avec sa vague. C’est en donnant avec le
cœur qu’on se met en position de se faire porter par le Déferlement,
comme le surfeur qui pagaie pour aller à la rencontre de la vague.
L’astuce consiste à se mettre dans cet état chaque fois qu’on le
désire, et plus particulièrement quand la colère ou la douleur sont sur le
point de nous submerger. Dans ces moments-là, on ne peut pas attendre
passivement que quelque chose vienne nous mettre du baume au cœur,
comme le petit chien de mon enfance. Il nous faut donc produire l’effort
conscient d’engendrer de l’amour alors même qu’on vient de nous causer
du tort. Ceci paraît très peu naturel à la plupart d’entre nous. Comme
des enfants, nous attendons de l’amour qu’il ne réclame aucun effort.
Comprendre que donner un amour véritable suppose qu’on y travaille
fait partie du développement spirituel.
Pour la majorité d’entre nous, faire l’effort d’aimer n’est pas spontané
– un outil est donc nécessaire  : l’«  Amour actif  ». L’action que l’on
accomplit en usant de l’outil crée en nous une petite vague d’amour.
Laquelle nous met en phase avec un flux plus grand, universel, de
Déferlement cosmique.
Il convient de recourir à l’Amour actif lorsque quelqu’un vous
provoque, vous met en colère ou vous pousse de quelque façon que ce
soit dans le Labyrinthe. Avec cette méthode pour puiser dans le
Déferlement, vous détenez à présent le pouvoir de vous libérer du
Labyrinthe en toute circonstance. Plus personne ne sera en mesure de
mettre votre vie en attente.
Lisez la description suivante de l’outil avant de vous y essayer. Il
comporte trois étapes.

L’Amour actif

Imaginez que vous baignez dans une lumière chaude et liquide, porteuse

d’un amour infini. Sentez votre cœur s’étendre bien au-delà de votre personne

pour ne faire plus qu’un avec cet amour. Alors que votre cœur reprend sa forme

normale, cette énergie infinie se concentre dans votre poitrine. Il s’agit d’une

force d’amour infaillible qui demande à être redistribuée.

Focalisez-vous sur la personne qui vous a mis en colère. Si elle ne se trouve

pas physiquement devant vous (ce qui est généralement le cas), visualisez sa
présence. Envoyez-lui directement tout l’amour amassé dans votre poitrine ; ne

retenez rien. Cela ressemble à l’expulsion d’un souffle profond.

Suivez cet amour alors qu’il quitte votre poitrine. Au moment où il pénètre

l’autre au niveau du plexus solaire, ne vous contentez pas de regarder. SENTEZ-


LE qui entre. Cela vous donnera le sentiment de ne faire qu’un avec l’autre. À

présent détendez-vous – vous allez de nouveau vous sentir entouré d’un amour

infini, qui va vous restituer toute l’énergie que vous avez donnée. Vous allez vous

sentir comblé et en paix.

Chacune de ces étapes possède un nom qui vous aidera à la retenir.


La première est la phase de « concentration ». Vous rassemblez tout
l’amour qui vous entoure et vous le concentrez dans votre cœur – seul
organe capable de le détecter et de le contenir.
La deuxième étape est la phase dite de « transmission ». Votre cœur
fonctionne alors comme un conduit, il transmet l’amour venu d’un
endroit supérieur à notre monde.
Le vrai pouvoir de l’outil réside dans la troisième étape, dite phase de
«  pénétration  ». Quand vous sentez pénétrer dans l’autre l’amour que
vous transmettez, vous éprouvez une sensation d’acceptation absolue ;
une acceptation qui ne vient qu’avec la perception de l’unicité de toutes
choses. Vous avez triomphé en embrassant complètement l’injustice, et
vous êtes libre à présent de vous en détacher. Grâce à ce nouveau
pouvoir, plus personne n’est en mesure de vous plonger dans le
Labyrinthe. Plus personne ne peut vous arrêter.
Cette aptitude à se libérer de l’influence d’autrui fonctionne même
lorsque vous ignorez son identité. L’exemple classique est celui d’un
individu qui vous fait une queue-de-poisson sur l’autoroute et dont vous
ne savez rien. Elle s’applique aussi à des institutions, comme La Poste ou
le Trésor public. Nul n’est besoin de savoir qui vous a mis en colère –
c’est pour vous-même que vous utilisez l’outil. Chercher à imaginer à
quoi ressemble cet individu, ou ces individus, n’enlève rien à sa
puissance ; vous aurez probablement tendance à le faire naturellement.
Ce qui compte est de disposer d’une représentation, réelle ou imaginaire,
vers laquelle déverser l’amour. C’est l’acte proprement dit qui vous
libère.
À présent que vous avez connaissance de l’outil, un choix s’offre à
vous chaque fois que vous vous sentez lésé. Vous pouvez ne rien faire et
redevenir otage du Labyrinthe, piégé dans le passé, et laisser la vie se
dérouler sans vous. Ou alors vous pouvez recourir à l’Amour actif, vous
unir au Déferlement, et reprendre le fil de votre existence. Lorsqu’on se
trouve sous le choc d’un traitement injustifié, on tend à oublier que cette
opportunité existe. Le schéma ci-dessous vous aidera à vous en souvenir.

Le petit bonhomme figuré sur le schéma, c’est vous, au moment où


vous venez de subir une injustice. La flèche du bas signifie que vous ne
faites rien  ; en effet, vous choisissez d’entrer dans le Labyrinthe. La
flèche du haut signifie que vous avez choisi de vous soumettre aux trois
étapes de l’Amour actif. Cela vous met en harmonie avec le
Déferlement  ; vous êtes libre d’avancer vers l’avenir. Nombre de mes
patients, quand ils sont blessés, pensent à cette image pour se rappeler
qu’ils disposent d’un choix.

COMMENT METTRE EN ŒUVRE L’AMOUR ACTIF

Appliquez les trois étapes tout de suite – concentration,


transmission, pénétration. Répétez la procédure un nombre suffisant de
fois pour être capable de la reproduire de mémoire. Vous devriez assez
vite atteindre le stade où vous franchissez les trois étapes de façon
rapide mais intense.
Nous l’avons vu, cet ouvrage vous indique les signaux à repérer pour
employer chaque outil. Le plus évident pour l’Amour actif, c’est lorsque
quelqu’un fait quelque chose qui vous met en colère  : cela peut être
n’importe quoi, votre fils qui n’a pas sorti les poubelles comme vous le
lui aviez demandé ou un collègue qui vous chipe une idée. En général,
vous tendez à surréagir. Soit vous entrez dans une colère
disproportionnée, soit vous n’arrivez pas à passer à autre chose  ;
probablement les deux. Le signal, c’est la colère : dès l’instant où vous la
ressentez, recourez à l’Amour actif et continuez de le faire jusqu’à ce que
vous ayez remis l’épisode en perspective, puis passez à autre chose.
Le deuxième signal est lié à un type de colère moins évident à
percevoir, mais tout aussi fréquent. Cette colère ne naît pas d’un
événement survenant au présent, mais en  réaction au souvenir d’une
chose subie des semaines ou des années auparavant. Se laisser enfermer
dans le Labyrinthe par un souvenir est tout aussi nuisible que lorsqu’il
s’agit d’une réaction quasi immédiate à une provocation. Nous avons
tous une propension à ruminer des injustices passées. Au beau milieu
d’une journée pourtant idéale, on repense à l’attitude hautaine d’un type
rencontré à un mariage, ou à ce collègue qui a cherché à vous couler
auprès du patron. C’est le moment de pratiquer l’Amour actif.
Enfin, l’Amour actif peut aussi être employé à titre préventif
lorsqu’on s’attend à avoir affaire à quelqu’un de difficile. Chacun de nous
connaît au moins une ou deux personnes auxquelles il suffit de penser
pour nous enfermer dans le Labyrinthe. Dans les comédies, c’est
classiquement la belle-mère, mais il peut aussi bien s’agir de votre
conjoint, de votre enfant ou de votre patron. Quand on s’apprête à se
retrouver en leur présence, on perd un  temps considérable à se
demander ce qu’elles nous réservent cette fois-ci et comment on va
réagir. Ce comportement, qui n’est qu’une variante du Labyrinthe, ne
nous prépare pas du tout à ce type de rencontre.
La seule façon de vraiment s’y préparer, c’est en utilisant l’Amour
actif. Idéalement, il conviendrait d’y recourir chaque fois que vous
pensez à ces personnes. Ce serait une façon de leur laisser occuper une
place moins importante dans votre esprit. Dès l’instant où vous êtes
capable de sortir seul du Labyrinthe, l’autre ne détient plus le même
pouvoir sur vous et vous disposez d’une assurance bien plus grande pour
traiter avec lui.
Si vous exploitez bien ces trois signaux, votre vie sera moins
chargée de ressentiment et de colère, libérée des individus qui ont
toujours eu le don de vous mettre hors de vous.
Laissez-moi toutefois vous prévenir  : se persuader soi-même
d’utiliser l’Amour actif n’est pas toujours facile. Quand on se trouve aux
prises avec une colère qui paraît justifiée, on est persuadé qu’il ne faut
surtout pas envoyer de l’amour à celui qui nous a mis dans un tel état. On
a généralement tendance à comprendre l’amour au regard d’un contexte
moral ou religieux ; on s’efforce d’en manifester parce que c’est « bien ».
Mais la notion abstraite du «  bien  » ne suffit pas à modifier le
comportement lorsqu’on se sent lésé. Pour reprendre les termes
d’Amanda : « Si tu me cherches, tu me trouves. Je ne suis pas Gandhi,
moi. Je suis dans le textile. »
Je ne demande jamais à mes patients de raisonner en termes
d’Amour actif parce que « c’est bien ». Je leur dis de le faire parce que
c’est dans leur intérêt. Je leur rappelle qu’on ne gagne rien à vivre dans
la colère – jamais  ; pas parce que c’est mal, mais parce que c’est
douloureux et usant. La morale est certes importante, mais il vient
toujours un moment où elle ne suffit pas à nous motiver. Il faut alors
trouver une incitation plus forte : l’intérêt personnel.
Si l’Amour actif est si difficile d’emploi, c’est aussi parce que la colère
est une émotion réactive – il suffit de voir la tête de l’autre, ne serait-ce
qu’en imagination, pour renforcer l’énervement et rendre impossible
toute fabrication d’amour. Si vous constatez que cela vous arrive, essayez
cette technique simple  : au moment d’employer l’outil, cherchez à
visualiser l’autre, mais sans visage. Le visage d’un individu est ce qu’il a
de plus identifiable. Un corps sans visage peut être celui de n’importe
qui. Au moment où votre Amour pénètre en lui, ne cherchez à voir que
son tronc et focalisez l’énergie directement vers son plexus solaire. Cela
permet d’orienter votre attention sur la tâche qui vous intéresse
directement : produire du Déferlement.
L’objectif étant de susciter le Déferlement, quelles que soient les
circonstances, il peut être utile d’imaginer celui-ci comme une substance
– de l’eau par exemple. Si vous travaillez dans une station de lavage de
voitures, votre tâche consiste à nettoyer consciencieusement chaque
véhicule. Peu importe qu’il s’agisse de celui d’un saint ou de votre pire
ennemi – vous devez appliquer le jet d’eau à chacun sans distinction.
Vous constaterez toutefois que cette forme supérieure d’Amour est
plus gratifiante que toute autre substance. Quand on distribue de
l’amour, on en possède davantage à l’arrivée qu’on n’en avait au départ.
À la différence de l’eau, le verre à moitié plein d’amour que vous tendez à
votre ennemi vous revient totalement rempli. C’est la raison pour
laquelle, arrivé au terme de la dernière étape de l’amour actif, on se sent
comblé et en paix.

QUESTIONS

L’objection la plus courante, et de loin, à propos de l’usage des outils


est qu’ils réclament beaucoup de travail. Nous avons déjà abordé ce point
au cours du premier chapitre, mais cela mérite d’être redit ici. Nous
comprenons que lorsque vous êtes en état de stress, la dernière chose
que vous ayez envie d’entendre c’est qu’il faut encore faire quelque chose.
Mais souvenez-vous que l’usage des outils vous rapporte bien plus
d’énergie que vous n’en avez donné. Il n’y a qu’une explication à cela :
les outils ouvrent la porte aux forces supérieures et à leur énergie
infinie. L’Amour actif vous offre l’occasion d’en faire l’expérience. Vous
donnez toute votre énergie, mais une fois que vous avez fini, vous en
possédez plus que vous n’en aviez au départ. C’est pourquoi votre verre
à moitié vide vous revient toujours rempli. Il s’agit là d’une expérience
immédiate de l’infini.
Redisons-le : nous, êtres humains, sommes en mesure d’accéder à l’infini,
mais cela demande du travail ; ça n’est pas offert gratuitement.
Voici certaines des questions qui reviennent souvent à propos de
l’Amour actif :

1. L’emploi de l’Amour actif ne permet-il pas à celui qui m’a manqué


de respect de s’en tirer à bon compte ?

Quand on sent quelqu’un nous manquer de respect, il est naturel de


vouloir aller à la confrontation. Malheureusement, lorsqu’on procède de
la sorte, on se trouve généralement déjà dans le Labyrinthe. La furie
n’inspire jamais le respect  ; elle suscite éventuellement la colère et la
peur, mais pas le respect. (Si vous en doutez, imaginez simplement
quelqu’un en train de passer sa colère sur vous, et ce que cela peut
provoquer.)
Les gens sont plus perceptifs qu’on ne le pense : quand vous vous
confrontez à eux, ils sentent intuitivement ce que vous éprouvez
intérieurement – l’amour ou la haine – parce qu’il s’agit d’une indication
de la valeur que vous accordez à cette relation. Véhiculer de la colère
leur dit que cette relation ne représente rien à vos yeux  ; vous êtes
disposé à la détruire. C’est la raison pour laquelle la haine est si prompte
à susciter la haine chez l’autre. Cela vaut aussi quand vous êtes en
position d’autorité et que vous avez à superviser des employés. Jouer de
l’intimidation ou de l’invective ne vous attirera pas leur loyauté.
Le bon communicant mise sur la présence en chacun d’un fonds de
bonne volonté, même s’il est provisoirement indisponible. La seule
manière d’activer cette bonne volonté est de se mettre en état de
Déferlement avant de s’adresser à l’autre, qui comprend ainsi que vous
continuez de prêter de la valeur à la relation. Dès lors, il y a beaucoup
plus de chances qu’il se montre réceptif à votre discours et qu’il y
réponde avec respect. Il arrivera de temps à autre que l’Amour actif soit
inopérant parce que l’autre ne témoigne d’aucune bonne volonté. Vous
n’y aurez rien perdu, puisque vous n’auriez de toute façon pas conquis le
respect de cette personne. En fait, à la différence de la réaction émotive
brute qui était la vôtre dans le Labyrinthe, vous pouvez être sûr que
vous êtes en train de percevoir l’autre tel qu’il est vraiment.
Chez la plupart de ceux qui le pratiquent, l’Amour actif crée un
nouveau mode de confrontation. Avant d’avoir dit le premier mot à
l’autre, avant même de vous trouver en sa présence, utilisez plusieurs
fois l’outil jusqu’au moment où vous sentez avoir atteint le Déferlement.
Une fois dans cet état, vous êtes prêt à aller dire à l’autre ce que vous
avez à lui dire. Cela vous permettra de montrer de l’assurance sans
paraître agressif.
Il peut sembler étrange de se préparer à la confrontation en usant de
l’Amour actif. Essayez avec sincérité, et observez ce qu’il en est
réellement.
2. Je ne veux pas utiliser l’Amour actif parce que c’est un mensonge.
N’est-il pas hypocrite d’envoyer de l’amour à une personne qu’en réalité
on déteste ?

La psychologie nous a habitués à penser qu’il faut laisser


transparaître nos sentiments parce que les émotions représentent la
«  réalité  » d’une situation. C’est faux. Les émotions ne représentent
qu’une part de la réalité. Prenez le cas d’Amanda et Blake : quand son
attention à lui a été attirée par une autre lors de la soirée, elle l’a
vraiment haï. Mais avant cette soirée, elle l’aimait. Dire que la haine
représente toute la vérité de leur relation – le tissu même de leur vie
commune  – serait une simplification absurde. La «  vérité  » comporte
toujours plusieurs facettes.
Probablement vous est-il arrivé, en resongeant à une dispute, de
vous étonner d’avoir fait tout un plat à propos d’une chose qui vous
paraît à présent risible. Sous le coup de la colère, on est rempli de
certitudes qui paraissent « vraies » mais ne sont en réalité que le reflet
de l’état dans lequel on se trouve sur le moment. Il est totalement
insensé de passer à l’acte ou de s’exprimer sur la foi de cette « vérité » ;
nulle relation ne peut survivre à ce type de « sincérité » rigide et littéral.
Il est vain de perdre son temps à croire que l’on connaît la vérité
ultime à propos de quelqu’un. On ne recherche jamais que le sentiment
d’« avoir raison », soit la plus belle des médailles en chocolat. La seule
chose vraiment utile, c’est de trouver une façon de remodeler ses
rapports dans un sens plus positif. Cette démarche est impossible à
entreprendre tant que l’on reste la proie de réactions impulsives  ;
l’Amour actif donne la capacité de les dépasser.
C’est ici que réside la grande force de l’approche spirituelle de la
psychologie. Vous apprenez à activer des forces supérieures, plus
puissantes que vos émotions. Ces forces ne vont pas se substituer à vos
émotions, mais elles vont les transformer. À mesure que vous cesserez
de gaspiller votre énergie en petites contrariétés, les choses qui
comptent vraiment vous toucheront plus en profondeur.

3. Lors de la première étape de l’utilisation de l’outil, je n’arrive pas à


me convaincre de l’existence du monde d’amour. Que faire ?

Vous ne vous en rendez pas compte, mais en vérité vous résistez à la


perception de ce monde d’amour. Vous y résistez parce qu’il est vraiment
très puissant. Or, l’ego humain n’apprécie guère de faire l’expérience
d’une chose plus puissante que lui.
Vous pouvez y remédier en vous focalisant sur votre cœur, qui n’a
pas besoin de se faire plus grand qu’il n’est. Imaginez-le rempli d’un
sentiment très fort de vulnérabilité et de nécessité, presque comme s’il
était en état de  supplication. Adressez ce sentiment vers ce monde
d’amour. Plus vous éprouverez intensément ce besoin, plus réel sera le
monde d’amour.
En prenant quelques secondes pour ouvrir ainsi votre cœur, vous
vous disposez à l’emploi de l’outil. À force de pratique, votre cœur va
s’assouplir et devenir une voie de canalisation importante des forces
supérieures.
Il peut sembler a priori étrange de se rendre vulnérable dans une
situation hostile. Prenez-en l’habitude en vous mettant dans cet état
quand vous êtes seul. Tout savoir-faire demande de la pratique. C’est la
raison pour laquelle le sportif passe beaucoup de temps à l’entraînement
avant de se présenter en compétition officielle.
Plus vous serez immergé dans cet état vulnérable, plus vous sentirez
de force en vous. C’est un fait qui surprend la plupart des gens, parce
qu’ils ne comprennent pas ce qu’est vraiment la force. La vraie force
n’émane pas de vous en tant qu’individu. Elle provient du fait que vous
canalisez quelque chose de plus grand que vous.
Quand on dispose d’une puissance réelle, on n’a plus besoin de
prouver quoi que ce soit à qui que ce soit. Délivré de son propre ego, on
produit le meilleur de soi-même. Dans cet état, on parvient à inspirer le
meilleur à ceux qui nous entourent. C’est la seule façon de réellement
régler les conflits.

AUTRES USAGES DE L’AMOUR ACTIF


Mais si je ne suis pas comme Amanda, l’Amour actif peut-il aussi
quelque chose pour moi ?
Oui, parce que, à l’instar des autres outils exposés dans ce livre,
l’Amour actif possède une gamme d’applications bien plus étendue que
ne saurait l’illustrer un cas particulier. Voici la description de trois
patients très différents d’Amanda qui ont utilisé l’Amour actif dans
d’autres situations. À chaque fois, ils ont développé une force qu’ils ne
possédaient pas auparavant.

L’Amour actif engendre la maîtrise de soi. Il n’y a rien de plus


destructeur pour soi et son entourage qu’un tempérament qu’on ne sait pas
maîtriser. Pour reprendre les rênes et désamorcer la bombe qui est sur le point
d’exploser, il faut nécessairement disposer d’un outil qui opère sur le moment.
Les emportements de Roger survenaient essentiellement en public.
Si jamais on le bousculait sur le trottoir ou si on lui coupait la route en
voiture, il démarrait toujours au quart de tour. Et comme il ne
connaissait pas d’autre expression de sa masculinité, aussitôt qu’il se
sentait offensé, il se retrouvait au beau milieu d’une rixe avant même
d’avoir eu le temps de dire ouf. À quarante ans, il lui arrivait encore de se
battre avec des inconnus dans la rue. Le problème avait atteint son
paroxysme le jour où deux jeunes gens lui avaient barré l’accès à une
bretelle d’autoroute. Ils avaient poursuivi leur route en riant, mais il les
avait pourchassés pendant des kilomètres, en les tamponnant par-
derrière. Comme il les suivait encore à la sortie de l’autoroute, les deux
jeunes étaient sortis de leur véhicule, munis de battes de base-ball. Ce
moment avait marqué un tournant dans la vie de Roger. « J’ai compris
que je me faisais trop vieux pour exiger à coups de poing le respect de
tous les petits merdeux de la terre. »
Il lui fallait un outil fonctionnant dès l’instant où il se sentait
provoqué. Je lui ai appris à se servir de l’Amour actif dans ces moments-
là. Non seulement il y a recouvré la maîtrise de soi, mais cela lui a
apporté quelque chose de plus profond. Je lui ai donné à éprouver ce
qu’est la vraie virilité. « Chaque fois que je ne sors pas de mes gonds, je
me respecte un peu plus moi-même. Les petits merdeux peuvent en
penser ce qu’ils veulent. »

L’Amour actif vous permet de mieux dire les choses. Rien n’est plus
énervant que d’éprouver de la colère envers quelqu’un sans pouvoir l’exprimer.
Plus la colère monte, plus la confrontation devient dangereuse. L’outil qui vous
permet de faire désenfler la colère vous permet aussi de vous faire entendre sans
risque.
Marcy travaillait depuis des années à la comptabilité d’un cabinet
juridique. Le service était tenu par Al, un homme plus âgé qu’elle de
vingt ans. Bien qu’autodidacte, Marcy était l’employée la plus
intelligente, la plus fiable dont disposait Al. C’était toujours vers elle
qu’il se tournait en cas de problème, mais cela ne l’empêchait pas de se
montrer rugueux et méprisant le reste du temps. Marcy était d’un
naturel trop passif pour s’en plaindre ouvertement, mais, après trois
années sans augmentation, elle écumait intérieurement et rêvait
régulièrement du jour où elle l’enverrait promener. Al n’en devenait, à
ses yeux, que plus intimidant.
Je lui ai demandé d’appliquer l’Amour actif dès qu’elle se trouvait en
sa présence. À sa stupéfaction, cela a rendu Al moins intimidant, plus
humain. Elle a fini par être capable de lui dire les choses en face. En état
de Déferlement, elle s’est exprimée avec calme et dignité. Et elle a
obtenu l’augmentation qu’elle méritait.
L’Amour actif vous apprend à accepter les autres tels qu’ils sont.
Toutes les personnes qui peuplent votre existence sont imparfaites, que ce soit
pour des choses qu’elles ont faites dans le passé ou pour ce qu’elles ne
parviennent pas à changer dans le présent. Se fixer sur ces choses a un caractère
destructeur envers les relations. Il vous faut un outil qui vous permette
d’accepter l’autre malgré ses défauts.
Mark voulait épouser sa petite amie, mais il ne parvenait pas à
accepter son passé. À vrai dire, il ne s’agissait que d’un épisode très bref
de son passé : bien avant leur rencontre, elle avait eu une liaison avec
une rock star en herbe. Elle avait alors vingt-trois ans, très peu
d’expérience de la vie, et l’avait trouvé cool. Il l’avait entraînée dans son
mode de vie sexe, drogue et rock’n’roll. Lassée au bout de six mois, elle
l’avait quitté. Mais pour Mark, c’était décidément trop dur à avaler. Il
souffrait de savoir qu’elle avait couché avec ce tombeur patenté, et plus
encore qu’elle avait consommé des drogues en sa compagnie. Il la
trouvait d’une certaine façon contaminée, comme marquée d’une tache
indélébile. Le moindre coup de téléphone d’un type qui connaissait son
ancien petit ami, ou la moindre chanson à la radio pouvaient suffire à le
replonger dans son Labyrinthe avec l’obsession de ce qu’ils avaient pu
faire ensemble. Son imagination se mettait à galoper et il l’assaillait de
mille questions sur leurs rapports, traquant la moindre incohérence dans
son récit. Ce qui le dérangeait vraiment, c’était que, quoi qu’il ait pu se
passer, il y avait là quelque chose d’irrévocable, et aucun moyen de
restaurer sa pureté.
La seule solution pour Mark était d’apprendre à l’accepter telle
qu’elle était. Il a utilisé l’Amour actif chaque fois que son obsession le
reprenait. Cela lui a permis de relâcher l’étreinte qu’exerçait sur lui le
passé de sa petite amie. Il a appris à faire confiance à celle qu’elle était
bel et bien devenue à présent.
L’AMOUR ACTIF EN BREF

À quoi sert l’outil


Quand quelqu’un vous fait enrager et que vous ne parvenez pas à l’évacuer de votre esprit. Vous

vous rejouez le film de la maltraitance qu’il vous a fait subir, ou vous entretenez des fantasmes de

revanche. C’est le Labyrinthe, qui met votre existence en suspens pendant que le monde continue

de tourner sans vous.

Ce que vous combattez vraiment


La croyance puérile qu’on va toujours vous traiter de façon « équitable ». Vous refusez de passer à

autre chose tant que justice n’est pas rendue. Or cela n’arrive que rarement, et vous êtes pris au

piège.

Signaux d’utilisation de l’outil


1. Usez de l’Amour actif aussitôt que quelqu’un fait quelque chose qui vous met en colère.

2. Usez-en quand vous vous surprenez à rejouer une injustice, qu’elle soit récente ou plus

ancienne.

3. Usez-en pour vous préparer à un face-à-face avec une personne difficile.

L’outil en bref
1. Concentration : sentez votre cœur s’ouvrir pour accueillir le monde d’amour infini qui vous

entoure. En revenant à sa taille normale, il concentre tout cet amour dans votre poitrine.

2. Transmission : focalisez-vous sur l’autre et envoyez tout cet amour de votre poitrine à la

sienne, sans rien retenir.

3. Pénétration : au moment où l’amour pénètre l’autre, SENTEZ-LE entrer ; éprouvez un

sentiment d’unicité avec l’autre. À présent, si vous vous relâchez, vous allez sentir vous revenir

toute l’énergie que vous avez donnée.

La force supérieure que vous utilisez


L’Amour actif crée du Déferlement. Le Déferlement est la force qui accepte toutes les choses telles

qu’elles sont. Il dissout le sentiment d’injustice de façon à vous permettre de donner sans retenue.

Une fois dans cet état, rien ne peut vous faire reculer. Vous en êtes le premier bénéficiaire ; vous

devenez irrésistible.
CHAPITRE QUATRE

L’outil :

l’Autorité intérieure

La force supérieure :

l’Expression de soi

L e fils d’une de mes patientes venait d’être admis dans l’une des
meilleures équipes locales de football. L’affaire avait fait grand bruit dans
le quartier de West L. A. où ils habitaient. Jennifer, ma patiente, était la
première supportrice de la carrière sportive de son fils. D’ordinaire
hésitante et peu affirmée, elle avait cette fois remué ciel et terre pour peser
sur la décision de l’entraîneur. Elle lui avait parlé à plusieurs reprises,
échangé des e-mails avec un journaliste sportif local et interpellé
quiconque pouvait avoir de l’influence en la matière. Tous ces efforts
avaient pour seul but d’obtenir le douteux privilège de se traîner jusque
dans des coins perdus de la Californie du Sud pour suivre, sous un soleil de
plomb, un sport dont les subtilités lui échappaient totalement. Son fils
avait dix ans.
Originaire d’une petite ville rurale, Jennifer était la première de sa
famille à avoir effectué des études de second cycle. Dès que l’occasion
s’en était présentée, elle avait fui pour la grande ville, où sa beauté
remarquable lui avait permis de travailler comme mannequin. Mais tout
au fond d’elle-même, sa rupture avec le passé n’avait jamais été
totalement consommée. Malgré un succès relatif, elle ne parvenait pas à
se défaire du sentiment que les habitants du quartier chic où elle résidait
valaient mieux qu’elle – ils étaient forcément plus intelligents, plus
sophistiqués, plus sûrs d’eux-mêmes. Dans son esprit, ils constituaient
un cercle qu’elle n’intégrerait jamais.
Elle a agi avec la plus grande détermination afin que son fils n’ait
pas à subir le même sentiment d’exclusion. Contrairement à elle, il irait
à l’université – et pas n’importe laquelle  ; mais un établissement de
première catégorie, si possible de l’Ivy League. Le football n’était que la
première étape de la conquête de la respectabilité. Il était ensuite censé
intégrer une école préparatoire, puis une université huppée, et le tour
serait joué – il ferait partie du cercle.
Le père de Jennifer, qui habitait toujours la petite ville où elle était
née, était choqué par le projet, qui sentait selon lui l’élitisme à plein nez.
«  Mon petit-fils va finir par boire du vin blanc plutôt que de la
Budweiser. » À cela, elle répondait : « Du moment que c’est du bon vin
blanc. »
Il va sans dire que le jour où l’entraîneur l’avait appelée pour lui faire
part de l’admission de son fils, Jennifer avait bondi de joie. Mais cela n’a
pas duré. Dès le premier entraînement, elle s’est de nouveau sentie
exclue. La plupart des autres garçons avaient pour père un avocat ou un
homme d’affaires – celui de son fils était un minable qui les avait
abandonnés dès qu’elle était tombée enceinte. Les autres pères
expliquaient à leur rejeton les subtilités du tacle glissé, du penalty et de
la règle du hors-jeu – Jennifer continuait de confondre carton jaune et
carton rouge.
Quant aux mères, c’était pire. Chaque fois qu’elle arrivait à
l’entraînement, Jennifer les voyait groupées, en grande conversation.
Elle surprenait parfois certains regards obliques dans sa direction. Pas
une fois ces dames n’avaient pris la peine de l’inviter à s’asseoir parmi
elles. « Elles ne m’accepteront jamais. Elles me prennent déjà pour une
moins que rien.
— Comment savez-vous ce qu’elles pensent ? ai-je demandé. Leur
avez-vous jamais parlé ? » Je l’ai encouragée à faire le premier pas. La
semaine suivante s’est tenue une réunion concernant l’organisation des
transports en vue de la prochaine série de matches à l’extérieur. Contre
ce que lui dictait son instinct, elle s’est forcée à y assister. Comme
d’habitude, elle s’y est rendue seule. Ça ne s’est pas bien passé. «  Je
voulais me présenter, mais chaque fois que j’abordais quelqu’un, je me
bloquais... ma bouche s’asséchait, ma voix se faisait tremblotante. J’avais
vraiment l’air d’une folle. Je me suis éclipsée aussi vite que j’ai pu. »
C’est le genre de situation qui arrive à tout le monde : on veut faire
bonne impression, mais on est trahi par son cerveau et par son corps.
Pour désigner ces moments, nous parlons de «  blocage  ». Les
symptômes de Jennifer étaient classiques – bouche sèche, tremblements
et « paralysie du cerveau », incapacité à retrouver des informations ou
même à formuler des phrases cohérentes. Parfois, les gens en arrivent
même à perdre leurs sensations corporelles, ils renversent ou bousculent
les choses sans le vouloir. Ces moments de blocage peuvent être
passagers, quand l’individu se sent simplement emprunté, ou extrêmes,
quand il ne peut littéralement plus bouger ni parler, comme le lièvre
dans la lumière des phares.
Nous avons tous connu quelque type de blocage. On croit souvent
que cela survient forcément en présence de beaucoup de monde, mais
une seule personne peut suffire à vous figer – votre patron ou votre
belle-mère, par exemple. Dans ce chapitre, quand nous emploierons le
terme auditoire, cela ne désignera pas forcément un groupe  ; une
personne suffit. L’auditoire, c’est simplement celui ou ceux dont
l’opinion vous concernant est toujours importante à vos yeux.
On croit aussi communément que ces blocages renvoient à la
situation dans laquelle on se trouve – la rencontre d’une personne
intimidante ou la prise de parole devant une assistance fournie. Mais le
blocage renvoie surtout à une insécurité intérieure ; une insécurité dont
on n’est parfois pas conscient jusqu’au moment où l’on perd la faculté de
s’exprimer.
Voyons quelle forme cela prend dans votre vie :
Fermez les yeux et imaginez-vous devant une

personne ou un groupe qui vous met mal à l’aise.

Focalisez-vous sur votre corps. Identifiez

n’importe lequel des symptômes de blocage

évoqués plus haut. Qu’éprouvez-vous si vous

essayez de vous exprimer malgré ces

symptômes ?

Si vous êtes comme la plupart des gens, «  délicat  » et


« inconfortable » sont les mots qui viennent le plus souvent à l’esprit.
Mais un peu d’inconfort n’aurait guère d’importance si c’était le seul
prix du manque d’assurance. La chose est malheureusement bien plus
grave que cela.

LE PRIX DU MANQUE D’ASSURANCE

Le manque d’assurance sape votre aptitude à communiquer. Il finit


par vous faire passer pour quelqu’un de coincé et d’inintéressant, et il
vous rend peu obligeant. L’individu peu sûr de lui est tellement obsédé
par la façon dont on le perçoit qu’il ne donne quasiment plus rien de lui-
même. Cela ne fait que l’exclure un peu plus.
La mésaventure de Jennifer en est un exemple parfait. À la suite de
la réunion parentale, elle n’avait plus le moindre doute quant au fait que
tout le monde la méprisait. Les entraînements sont devenus une
torture ; dans son esprit elle était persona non grata. Elle gagnait son coin
solitaire au sommet des gradins comme le condamné se rend à
l’échafaud, le regard fuyant et le cœur battant. Elle n’a plus eu en tête
que d’imaginer des stratagèmes pour se faire accepter des autres parents.
Un jour, elle a triomphalement déclaré  : «  J’ai compris. C’est mon
accent ! J’ai déjà pris rendez-vous avec un orthophoniste. »
Heureusement, avant qu’elle gâche ainsi son temps et son argent, le
sort s’en est mêlé. Pour le premier match à l’extérieur, le club a loué un
autocar. Alors que son fils  bavardait joyeusement avec ses copains à
l’arrière, Jennifer a trouvé le courage d’engager la conversation avec des
mères assises devant elle. Après un instant de méfiance, elles ont fini par
se détendre avant de lui avouer la vérité. À chaque entraînement, elles
avaient vu ce mannequin aux mensurations idéales passer
imperturbablement devant elles – dans des tenues qu’elles auraient rêvé
de pouvoir porter. Elle ne daignait même pas leur dire bonjour. « Vous
nous avez paru vraiment bêcheuse et méprisante ! »
La réunion parentale n’avait fait qu’aggraver les choses – elles ne
savaient plus comment faire taire leurs maris qui ne parlaient plus que
de cette mère célibataire si sexy, mystérieusement disparue très tôt dans
la soirée. Certaines d’entre elles en étaient même venues à embaucher un
coach individuel. Quand Jennifer a reconnu qu’elle-même avait envisagé
de recourir aux services d’un orthophoniste, tout le monde a ri de bon
cœur.
Jennifer éprouvait une certaine honte à constater combien sa
perception de la réalité s’était distordue. Elle avait fini par considérer les
autres parents comme un groupe distinct et supérieur qui, outre qu’il
maîtrisait les subtilités infinies du football, avait des rejetons débordant
d’assurance, bien élevés, pouvait compter sur une véritable famille et
était financièrement à l’abri. «  Je m’aperçois maintenant à quel point
tout cela était insensé – ces gens mènent pour la plupart une vie très
désordonnée. »
En outre, Jennifer s’est aperçue qu’elle était obsédée de sa propre
personne, au point d’apparaître prétentieuse. « La vérité, c’est que je n’ai
pas été très amicale », a-t-elle reconnu. Ce qui a incité les autres parents
à se méfier d’elle. Elle leur apparaissait comme une prédatrice ravissante
qui obtient toujours ce qu’elle veut et laisse dans son sillage des
ménages brisés.
La méfiance s’est répandue parmi ce groupe d’adultes pourtant des
plus raisonnables comme une maladie insidieuse. Chacun des camps se
méprenait totalement sur le compte de l’autre, et personne n’avait
clairement perçu la réalité tant que la connexion ne s’était pas faite. Si
Jennifer avait continué d’écouter sa timidité, elle aurait exclu tout un
groupe de familles de sa vie et de celle de son fils.
Le contact avec les autres est aussi un ingrédient essentiel de la
réussite. Les principales opportunités qui s’offrent à nous dans
l’existence viennent des autres. Il serait bon de pouvoir se dire qu’ils
accordent ces opportunités en fonction du mérite, comme une prime au
talent ou au dur labeur, mais le monde ne fonctionne pas ainsi. Les gens
offrent des opportunités aux personnes auxquelles ils sentent qu’un lien les unit.
J’en donnerai un exemple particulièrement révélateur. J’ai pour meilleur
ami un physicien qui enseigne dans une grande université et appartient
à la prestigieuse National Academy of Sciences. L’un de ses collègues le
surpasse largement en termes de compétences, mais sa candidature n’a
jamais été envisagée par l’Académie. Pourquoi  ? Parce que le manque
d’assurance exacerbe en lui l’esprit de compétition et l’envie, ce qui en
fait un partenaire de travail peu recherché. Malgré ses compétences, il a
été freiné dans son parcours professionnel par ce problème.
Jennifer n’avait pas le contact facile non plus, mais c’était pour des
raisons moins évidentes. Avant notre rencontre, elle avait essayé de
quitter le métier de mannequin pour celui d’actrice. Il ne lui avait guère
été difficile de se trouver un agent, mais les auditions étaient une autre
paire de manches. L’essentiel, dans une audition, c’est de créer une
connexion avec les personnes présentes dans la pièce. Elle connaissait
ses répliques par cœur, mais sa prestation était si guindée que l’auditoire
s’ennuyait. Après un énième refus, son agent a jeté l’éponge. «  Tu
travailles dur et ton apparence est irréprochable, lui a-t-il dit. Mais
pendant les auditions, tu te transformes en robot. Il faudrait peut-être
que tu ailles voir un psy. »
Elle n’était pas encore tout à fait mûre pour cela. Pensant qu’elle
allait pouvoir se débarrasser seule de son manque d’assurance, elle s’est
lancée dans une croisade assez semblable à celle qu’elle mènerait en
faveur de son fils quelques années plus tard. Elle a loué les services d’un
professeur d’art dramatique, qui lui a demandé de noter sur une feuille
blanche tout ce à quoi elle aspirait et de se visualiser en train de recevoir
un Oscar. Cette guerre totale au manque d’assurance lui a apporté un
certain bien-être, mais il n’a été que de courte durée. Bien vite, le
sentiment négatif – « personne ne t’aime » – est revenu avec une force
intacte.
Nous avons dit et redit combien le manque d’assurance est difficile à
combler. Les faits et la logique n’y peuvent rien. Les personnes qui en
souffrent sont prêtes à aller vraiment très loin pour atteindre tel ou tel
objectif dans lequel elles espèrent trouver un peu de soulagement –
perdre du poids, décrocher un diplôme, ou travailler sans relâche pour
obtenir une promotion. Mais chaque fois, le sentiment d’insuffisance
resurgit ; le manque d’assurance semble devoir résister à tout.
Pourquoi est-il si difficile de s’en débarrasser ?
La réponse, au premier abord, paraît très étrange. Chacun possède
en soi un autre moi, un être vivant dont il a profondément honte. On a
beau tout essayer, impossible de s’en débarrasser.

L’OMBRE

L’idée qu’un autre puisse vivre en vous peut paraître incroyable.


Mais lisez plutôt ce qui est arrivé à Jennifer.
Une fois que Jennifer a compris que son manque d’assurance n’avait
aucun fondement rationnel, je lui ai demandé de fermer les yeux.
« Retournez à la réunion parentale où vous vous êtes retrouvée en état
de blocage  ; recréez tous ces sentiments pénibles que vous éprouviez
alors. » Elle a acquiescé de la tête. « À présent, expulsez ces sentiments
hors de vous et donnez-leur un visage et un corps. Ce personnage est
l’incarnation de tout ce qui vous rend peu sûre. » J’ai marqué une pause.
« Quand vous serez prête, dites-moi ce que vous voyez. »
Il y a eu un long silence. Puis, en tressaillant, Jennifer a rouvert les
yeux. « Beurk ! » a-t-elle fait en grimaçant. J’ai vu une fille de treize ou
quatorze ans, grosse, pas lavée. Toute pâlotte et couverte de boutons... la
grosse nulle absolue. »
Jennifer venait de voir son Ombre.
L’Ombre est ce que l’on ne veut pas être tout en redoutant de l’être,
rassemblé dans une seule image. On l’appelle l’« Ombre » parce qu’elle
nous suit toujours partout.
Le grand psychiatre suisse Carl Jung est le premier à avoir affirmé
que tout le monde possède une Ombre, en dépit de la réussite, du talent
ou de l’apparence. L’Ombre est un « archétype » parmi bien d’autres que
nous possédons en naissant. Un archétype est un mode schématique de
perception du monde. Tout le monde naît par exemple avec une idée de
ce que doit être une mère. Jung parlerait de mère « archétypale ». Il ne
faut pas confondre la mère archétypale avec sa vraie mère biologique,
mais la première ne manque pas d’exercer une influence sur ce qu’on
attend de la seconde. Les archétypes sont nombreux – la Mère, le Père,
Dieu, le Diable, pour n’en citer que quelques-uns  – et chacun d’eux
possède un effet profond sur la façon dont l’individu perçoit le monde.
L’Ombre se distingue de tous les autres archétypes, qui affectent
notre perception du monde tandis que l’Ombre détermine notre perception
de nous-mêmes. Revenons à Jennifer : les autres voyaient en elle un beau
mannequin, aux mensurations de rêve, toujours impeccablement coiffée
et maquillée. Mais elle n’était à ses propres yeux qu’un vilain petit
canard  ; un rebut de la société. Son manque d’assurance n’avait
finalement rien d’étonnant.
On comprend mieux à présent la difficulté qu’il y a à se débarrasser
de ce mal. Il est possible d’éliminer un défaut donné –  Jennifer avait
depuis longtemps dit adieu à l’acné et à ses rondeurs d’adolescente  –,
mais pas l’Ombre elle-même. Elle relève de la nature humaine.
Voyons à quoi ressemble votre Ombre.
Revenez au sentiment que vous avez éprouvé au

cours de l’exercice précédent – vous vous

trouvez en face d’un groupe de personnes qui

vous intimide et vous fait perdre vos moyens.

Focalisez-vous sur les émotions que cela induit.

À présent, expulsez ces sentiments et imaginez

qu’ils composent un être doté d’un visage et d’un

corps.
Vous venez de voir votre Ombre. Remarquez bien son apparence. Ne
vous inquiétez pas d’avoir ou de n’avoir pas vu la « bonne » image, elle
n’existe pas. Aucune Ombre n’est identique à une autre. Quel que soit
son aspect, elle possède sans doute des caractéristiques désarçonnantes,
comme l’Ombre de ce grand séducteur, qui avait l’allure d’un gnome.
Elle peut inspirer la tristesse, comme l’Ombre de cette patronne d’une
entreprise comptant parmi les cinq cents premières du pays, qui avait
l’apparence d’une fillette solitaire de huit ans en larmes. Elle peut être
déplaisante, laide ou stupide. À mesure que vous travaillez dessus, son
apparence peut venir à changer. (Vous constaterez peut-être ici que
notre approche diffère légèrement de celle de Jung. Nous y reviendrons
en évoquant les questions les plus fréquemment posées sur ce thème.)
L’Ombre renvoie à l’une des contradictions humaines les plus
fondamentales. Tout le monde aspire à se sentir valorisé en tant
qu’individu. Mais quand on regarde au fond de soi, c’est l’Ombre qu’on
voit, et on en a honte. La réaction instinctive consiste à s’en détourner –
à se tourner vers l’extérieur pour y chercher quelque signe de valeur
personnelle. C’est ainsi que l’on s’en va quérir l’approbation et la
confirmation auprès des autres.
Si vous doutez de l’importance de cette quête d’attention, songez
donc au culte que nous vouons à la notoriété. On croit que la
reconnaissance procure le bonheur et une grande confiance en soi à ceux
qui la reçoivent. Malgré les cures de désintoxication à répétition,
l’enchaînement des liaisons sans lendemain et les mea culpa publics, on
persiste à se dire que le fait d’être au centre de toutes les attentions leur
apporte ce sentiment de valorisation que nous recherchons tous.
La publicité mise chaque année des milliards sur la soif
d’acceptation. Le message se réduit souvent à ceci : si vous achetez notre
produit, vous serez accepté, aimé, vous serez membre du club des
privilégiés  ; si vous ne l’achetez pas, vous resterez coincé... seul avec
votre Ombre. Ceci ne fait que renforcer la croyance que l’amour-propre
est un bien qui s’acquiert comme on achète une maison ou une voiture.
Le hic, c’est que l’approbation du monde ne suffira pas à rehausser
l’amour-propre parce que cette validation ne peut suffire à éliminer
l’Ombre. Aussitôt qu’on est seul et qu’on se tourne vers l’intérieur, on
retrouve son Ombre, génératrice de honte et de sentiment d’infériorité.
Phil et moi avons traité des patients très connus qui baignent
constamment dans la célébration et les flagorneries de la presse. Cette
adoration ne fait pas de bien à leur amour-propre  ; elle les rend au
contraire fragiles et puérils. Ils deviennent aussi dépendants à l’attention
d’autrui qu’un bébé à sa tétine.
Que vous soyez ou non une star, le fait de rechercher désespérément
de l’approbation auprès des autres donne à ces derniers beaucoup
d’ascendant sur vous. Ils deviennent la figure d’autorité qui détermine
votre valeur. Comme un empereur romain, ils n’ont qu’à lever ou baisser
le pouce pour former ce qui ressemble fort à un verdict définitif quant à
votre valeur. Il n’est donc pas étonnant que vous ressentiez un blocage
en leur présence.
Le schéma ci-dessous montre comment cela fonctionne.
Ce diagramme représente l’état d’une personne susceptible de
connaître un blocage (c’est-à-dire à peu près tout le monde). Honteux de
son Ombre, l’individu fait son possible pour la conserver en lui, bien à
l’abri des regards. C’est ce qu’illustre ici la boîte qui entoure la silhouette
grisée de l’« Ombre cachée ». C’est quand il cherche à dissimuler son
Ombre que l’individu se bloque.
On le voit bien, porter le regard vers l’extérieur ne fonctionne pas
mieux que le porter vers l’intérieur ; dans les deux cas, la vraie sensation
de valorisation personnelle nous échappe.
Il existe un moyen de la retrouver, qui implique un secret très
enfoui. Ce qui possède l’apparence d’une Ombre faible, inférieure, est en
réalité le canal de transmission d’une force supérieure – et seule cette
force supérieure peut nous procurer un amour-propre durable.
Quelle force supérieure digne de ce nom pourrait bien choisir de
s’exprimer à travers une partie si méprisable de nous-mêmes ? Il vous
sera plus aisé d’en comprendre la nature en songeant à des situations
que vous avez déjà rencontrées  ; des expériences que vous avez
probablement dédaignées et oubliées parce qu’elles vous sont advenues
durant l’enfance.

LA FORCE SUPÉRIEURE : L’EXPRESSION DE SOI

Observez les enfants, notamment quand ils sont en train de jouer. Ils
ne sont pas timides ni mal assurés. Ils s’expriment librement et avec
exubérance. Ils ne se bloquent quasiment jamais.
C’est parce qu’ils sont emplis d’une force supérieure qu’on appelle la
« Force de l’expression de soi ». Elle est dotée d’une vertu magique : elle
nous incite à nous révéler sous un jour vrai, authentique – sans nous
soucier de la réaction des autres. Il en résulte que lorsqu’on est relié à
cette Force on parle avec une intensité et une clarté inhabituelles.
Nous avons tous fait l’expérience de cette force à un moment donné
de notre vie d’adulte. Peut-être était-ce lors d’une discussion enfiévrée
sur un sujet qui nous tenait à cœur, ou en réconfortant un ami qui
traversait une crise, voire en improvisant une histoire pour ses enfants
au coucher. À chaque fois, et dans mille autres circonstances, vous vous
êtes immergé dans l’expérience et avez laissé la Force de l’expression de
soi parler à travers vous. Vous êtes devenu le canal d’une chose plus sage
et plus éloquente que celui que vous êtes habituellement. Vous en avez
conçu une sensation d’apaisement et de bonheur.
La parole n’est pas la seule forme que prend la Force de l’expression
de soi quand elle émerge. On trouve un certain degré de l’Expression de
soi dans quasiment toute activité humaine. Dans l’écriture, par exemple.
Voici la description qu’en a faite l’un de nos patients : « Le jour où j’ai eu
achevé mon scénario, j’ai eu l’impression de n’être l’auteur d’aucune des
phrases. Je n’étais tout bonnement pas assez doué. J’avais l’impression
que tout m’avait été dicté et que je n’avais fait que le copier. »
Nul besoin de mots pour que la Force de l’expression de soi émerge.
Quand un athlète dit qu’il est « en phase », cela veut dire qu’il est en
contact avec cette force. Observez le basketteur qui accomplit une action
surnaturelle. Il n’est pas en train de se demander  : «  Par où vais-je
passer  ?  » ou «  Quelle est la taille de ce défenseur  ?  » Il a cessé de
réfléchir, mis sa personne de côté, et laissé cette force supérieure prendre
le relais. En fait, tout exploit humain est pour cette force une occasion de
s’exprimer.
Quand vous êtes relié à la Force de l’expression de soi, vous laissez
s’exprimer une partie de vous qui est habituellement silencieuse. Vous
parlez depuis votre moi le plus profond, le plus intérieur. Ce moi
intérieur possède sa propre autorité, qui ne dépend aucunement de
l’approbation des autres. Les enfants parlent et agissent naturellement
en harmonie avec ce moi intérieur. C’est ce qui leur permet de
s’exprimer avec autant d’abandon.
C’est en accédant à l’âge adulte que l’on se détourne de ce moi
intérieur. L’attention et l’activité se focalisent entièrement sur le monde
extérieur. On commence à avoir soif d’approbation ; à l’adolescence, on
recherche l’acceptation de ses camarades comme s’il s’agissait du Saint
Graal.
Mais cela pose un nouveau problème : il faut absolument dissimuler
tout aspect de soi qui risque de déplaire aux autres. Étonnamment, on
choisit pour cachette son propre moi intérieur. Il nous tient lieu de
dépotoir, dans lequel on jette tout ce qu’il y a d’inacceptable en nous. Le
moi intérieur est bien là, mais il est à présent enseveli sous la moins
glorieuse de nos facettes.
En procédant de la sorte, on a transformé une chose qui était belle – le moi
intérieur – en une chose qu’on méprise : l’Ombre. Cela ressemble à ce que
nous avons de pire en nous, mais c’est en réalité la porte qui mène au
moi intérieur. On ne peut vraiment s’exprimer que lorsque cette porte
est ouverte.
Mais quand on a passé sa vie à cacher son Ombre, ouvrir cette porte
n’est pas simple ; il faut un outil puissant.
L’OUTIL : L’AUTORITÉ INTÉRIEURE

Cet outil-là est très différent de ceux dont vous avez déjà appris le
maniement. L’Inversion du désir et l’Amour actif invoquent des forces
supérieures indépendantes des obstacles qu’elles permettent de
surmonter. Mais dans l’outil que vous allez découvrir, la force supérieure
provient de l’obstacle lui-même. L’outil transforme l’Ombre en une voie
pour une force supérieure – la Force de l’expression de soi.
Afin de comprendre le fonctionnement de l’outil, il faut expliquer
comment Phil en a fait la découverte :

Je prévoyais de présenter à un séminaire certaines des idées auxquelles je

travaillais, et cela suscitait en moi une certaine nervosité. Il est nettement plus

effrayant d’avoir à s’adresser à un groupe d’inconnus dans un décor formel qu’à

un seul patient lors d’une séance en tête à tête dans le confort d’un cabinet. Les

derniers jours avant l’échéance, j’ai eu des visions terrifiantes dans lesquelles je

me bloquais, je ne trouvais plus mes mots, je restais muet. Pour éviter d’avoir à

subir pareille humiliation, j’ai tout noté sur de petites fiches – en cas de trou de

mémoire.

Le résultat a été catastrophique.

Agrippé à mes fiches comme si ma vie en dépendait, je me suis tenu raide

comme un piquet devant mon auditoire. J’ai lu ce que j’avais écrit d’une voix

monocorde, levant constamment les yeux pour guetter les réactions. Celles-ci

ne pouvaient être plus pénibles – l’assistance souffrait pour moi. J’aurais voulu

disparaître dans un trou de souris.

Après deux heures de cette torture, nous avons fait une pause. Le public

s’est rassemblé par petits groupes où l’on se parlait à mi-voix, comme à une

veillée funèbre. Eux aussi étaient trop gênés pour venir vers moi. Je suis resté
assis seul sur scène, me sentant pestiféré. Je n’avais pas la moindre idée de la

façon dont j’allais bien pouvoir assurer la seconde partie du séminaire.

Mais alors que j’étais au comble du désespoir, quelque chose d’étrange s’est

produit.

En imagination, j’ai vu une silhouette s’approcher de moi. Elle semblait

parfaitement réelle. C’était une version rajeunie et maigrelette de moi-même –

innocente, craintive, et profondément honteuse. Elle représentait mes pires

appréhensions ; passer pour un gamin inexpérimenté et hésitant, alors que je

cherchais à passer pour un expert rempli d’autorité. J’ai voulu la chasser, mais

elle refusait de s’en aller ; malgré son apparence chétive, elle me fixait d’un

regard implacable.

J’ai eu la curieuse sensation qu’elle me proposait de l’aide. Sans savoir

pourquoi, je me suis senti revigoré. Spontanément, je me suis levé et j’ai avancé

avec détermination vers le public. Ce dernier l’a senti et chacun s’est empressé

de regagner sa place, se demandant sans doute pourquoi j’arborais un pareil

sourire alors que j’étais resté de marbre jusque-là. Sans y réfléchir, j’ai remisé

mes notes, ouvert la bouche, et pendant les deux heures qui ont suivi, je me suis

senti investi d’une force que je n’avais encore jamais éprouvée. En totale

improvisation, j’ai exposé mes idées avec beaucoup de passion. Curieusement, je

ne me suis pas interrompu une seule fois pour réfléchir à ce que j’allais dire

ensuite ; ça sortait tout seul de ma bouche. D’un bout à l’autre de la

présentation, j’ai distinctement senti la présence de l’Ombre. En fait, c’était

comme si elle et moi avions parlé d’une seule voix.

J’ai eu droit à une STANDING OVATION.

Mon intuition m’avait toujours dit que l’Ombre recelait forcément quelque

chose de valeur, mais j’en ai fait ce jour-là l’expérience directe. L’Ombre est

apparue au moment précis où je perdais mes derniers espoirs de conquérir

l’assistance – je n’avais plus à la cacher. À ma stupéfaction, son apparition n’a pas

nui à mon expression, elle l’a au contraire stimulée. Débarrassé de la

préoccupation de ce qu’allait penser de moi le public, je me suis exprimé avec

une autorité que je ne me connaissais pas.

Pour saisissant qu’ait été l’épisode, ce n’était là qu’un avant-goût de la

puissance de l’Ombre. Je ne pouvais pas compter sur le fait que cela se

reproduise tout seul. Je me suis donc mis à la recherche d’un outil à la portée de

mes patients et de moi-même, qui permette de dompter la puissance expressive

de l’Ombre.
Cet outil s’appelle l’«  Autorité intérieure  ». Le nom se passe
d’explication. Il ne s’agit pas d’une autorité conférée par l’approbation de
qui que ce soit d’autre que soi-même ; c’est l’autorité que l’on n’acquiert
qu’en s’exprimant depuis son être intérieur.
Pour pouvoir utiliser l’Autorité intérieure, il faut que vous soyez
capable de visualiser une image de votre Ombre. Vous l’avez déjà
aperçue une fois ; dans le passage traitant de l’Ombre, vous avez projeté
devant vous vos sentiments d’insécurité jusqu’à ce qu’ils prennent la
forme d’un être apparent. Essayez de le refaire. Ne vous préoccupez pas
d’obtenir la «  bonne  » image  ; de toute façon, cette image ne va pas
cesser d’évoluer. Ce qui compte, c’est que vous perceviez une réelle
présence devant vous. Exercez-vous à conjurer l’Ombre jusqu’à ce que
cela vous soit facile.
Vous allez vous exercer au maniement de l’outil devant un auditoire
imaginaire. Peu importe qu’il s’agisse d’une personne seule ou d’un
groupe  ; peu importe qu’il s’agisse ou non d’inconnus. Tout ce qui
compte, c’est que l’idée de vous adresser à cet auditoire vous mette mal à
l’aise. Vous allez user de l’outil pour vous débloquer parce que vous avez
quelque chose à exprimer.

Autorité intérieure

Imaginez que vous vous trouvez devant un auditoire composé d’une ou de

plusieurs personnes. Visualisez à vos côtés une image de votre Ombre, qui vous

regarde. Perdez toute conscience de l’auditoire et focalisez-vous sur l’Ombre.

Sentez qu’un lien indestructible vous rattache l’un à l’autre – ne formant qu’un,

vous n’avez plus rien à craindre.

Ensemble, tournez-vous tous les deux vers le public et criez intérieurement :

« ÉCOUTEZ ! » Vous n’êtes pas en train de le demander. Il s’agit d’un ordre, celui

d’écouter ce que vous avez à dire.


Après avoir employé l’outil, vous devriez éprouver la sensation qu’un
espace s’est ouvert dans lequel vous êtes libre de vous exprimer. Il vous
suffit alors de rester concentré sur le lien avec l’Ombre. Si vous ne
percevez pas cette libération, recommencez l’opération jusqu’à atteindre
un sentiment de fluidité.
Le maniement de l’outil se décompose en trois étapes : projection de
l’image de l’Ombre, établissement du lien avec elle et cri intérieur.
Entraînez-vous à franchir ces étapes jusqu’à devenir capable de les
enchaîner rapidement. Il faut qu’elles deviennent naturelles, de sorte que
vous puissiez les accomplir en public, parfois même pendant que vous
êtes en train de parler.
À mesure que vous utiliserez l’outil et ferez venir l’Ombre, il se peut
que son apparence change. Ce n’est pas une mauvaise chose. Comme
tout ce qui vit, l’Ombre évolue. L’essentiel est d’établir avec cette
présence un lien indestructible et de le ressentir.
Le dessin ci-dessous montre comment fonctionne l’Autorité
intérieure.
Le personnage a fait sortir l’Ombre de sa cachette. Elle n’est plus en
lui, et un lien les unit. D’une seule voix, ils invoquent la Force de
l’expression de soi. Cette force supérieure confère à l’individu de
l’Autorité intérieure, symbolisée ici par la flèche pointée vers l’auditoire.
Les personnages représentant ce dernier sont petits et situés en
contrebas de l’individu – ils ont cessé de constituer une menace.
Ainsi l’outil de l’Autorité intérieure libère-t-il la force expressive du
moi intérieur. Une fois que l’on a acquis la maîtrise de l’outil, on devient
capable de s’exprimer librement dans des contextes qui auraient
auparavant provoqué un blocage.

QUAND RECOURIR À L’AUTORITÉ INTÉRIEURE

Il faut recourir à l’Autorité intérieure chaque fois que vous êtes sous
pression parce que vous devez vous retrouver en situation de
représentation. Cela arrive beaucoup plus souvent qu’on ne le croit si
l’on définit la représentation comme toute occasion où l’on est soumis au
jugement et aux réactions des autres. Cela peut être un entretien
d’embauche, une réunion de vente, un exposé ou un événement
inconfortable, comme un rendez-vous avec un(e) inconnu(e) ou une
soirée importante. Parler de représentation pour désigner ces moments-
là ne signifie pas que vous deviez monter tout un numéro. En vérité,
l’objectif ici n’est pas de chercher à vous garantir l’approbation du public.
L’outil vous sert à surmonter la pression et à vous permettre de vous
exprimer librement.
Plus que les autres outils de ce livre, l’Autorité intérieure ne
fonctionnera pas si vous attendez qu’une « grande » occasion se présente
afin de l’employer pour la première fois – avoir à parler devant des
centaines de personnes, par exemple. Les événements de ce type sont si
intimidants que vous avez toutes les chances de connaître un blocage si
vous ne les préparez pas longtemps à l’avance. Si vous testez d’abord
l’outil quand vous êtes seul, et que vous le faites à de multiples reprises
jusqu’à ce que cela vous soit devenu naturel, vous ne tarderez pas à être
prêt à l’employer en public. Commencez alors à vous exercer en présence
d’une personne que vous ne trouvez pas intimidante – un parent, un
collègue, votre meilleur ami ou votre épouse. Nous éprouvons pour la
plupart un certain désir d’acceptation auprès d’eux aussi.
Vous voilà prêt à régler leur compte aux situations qui vous donnent
des angoisses, comme une confrontation, ou une demande d’aide qui
vous met mal à l’aise. Placez-vous intentionnellement dans l’une de ces
situations et utilisez l’Autorité intérieure alors même que l’action se
déroule. Plus vous le faites, moins vous vous sentez intimidé.
Une fois l’Autorité intérieure devenue un élément naturel de votre
vie quotidienne, vous allez pouvoir commencer à l’employer dans les
«  grandes  » occasions, comme prononcer un discours important en
public. À force de pratiquer l’Autorité intérieure dans ce genre de
circonstances intimidantes, il se produira une chose étonnante  : vous
allez vous mettre à attendre la prochaine occasion avec impatience – pas
parce qu’elle aura perdu son caractère stressant, mais parce que vous
éprouverez de l’impatience à la perspective de vous exprimer.
L’apprentissage de l’Autorité intérieure évoque le travail de
musculation dans une salle de gym ; on soulève des poids de plus en plus
lourds, mais il faut que la progression soit constante. Il demeure que,
pour songer à employer l’outil dans sa vie de tous les jours, un signal est
nécessaire. Ce signal, c’est l’angoisse de la représentation. Pour Jennifer,
il s’agissait très manifestement des entraînements de football. Au début,
elle gagnait les gradins sans rien dire à personne, en se contentant de
pratiquer l’Autorité intérieure de façon répétée. Cela lui a d’abord permis
de s’apaiser, puis de trouver la force d’aller parler avec les autres parents.
Mais sa conscience de l’angoisse de la représentation l’a conduite à
s’apercevoir qu’elle manquait aussi de confiance en elle quand elle ne se
trouvait pas devant des gens. Elle a senti l’angoisse que lui donnait la
perspective d’un rendez-vous avec un inconnu, et usé de l’Autorité
intérieure pour se calmer. Elle est allée jusqu’à la pratiquer le matin
devant son miroir. « Je suis l’auditoire le plus intransigeant qu’il m’ait
jamais été donné d’affronter. »
Avec le concours de son Ombre, Jennifer a entrepris de chasser le
manque d’assurance qui l’accablait depuis toujours.
On n’y parvient jamais d’un seul coup. Quand vous pratiquez
l’Autorité intérieure, vous y trouvez parfois une décontraction
instantanée et une élocution inhabituelle. Mais il arrive aussi que l’outil
vous paraisse trop mécanique ou qu’il ne donne rien. Ne vous
découragez pas pour autant ; passez simplement au signal suivant. Le
mieux que vous puissiez faire est de continuer à vous connecter à
l’Ombre sans attendre de rétribution immédiate.
Le besoin de faire plaisir à son auditoire est une habitude
profondément ancrée. Le meilleur moyen de s’en défaire consiste à la
remplacer par une autre, plus saine ; il faut pour cela pratiquer l’Autorité
intérieure chaque fois que l’occasion s’en présente. En y mettant de la
constance, vous vous exercerez à compter sur votre moi intérieur, pas
sur la réaction des autres.
Nous avons tous tendance à nous laisser inhiber par la soif
d’approbation. Les auteurs de ces lignes ne font pas exception. Nous,
psychothérapeutes, sommes des êtres comme les autres, et il est humain
de vouloir sentir que nos patients nous trouvent brillants. Or, ce n’est
pas toujours le cas  ; en fait, il leur arrive de nous regarder comme si
nous étions cinglés. Ce serait mentir que de prétendre que ces moments-
là ne portent pas directement atteinte à notre confiance en nous-mêmes.
Mais c’est précisément dans ces moments – quand il faut que le patient
devienne réceptif à une nouvelle façon de contempler l’existence – qu’il
est important de préserver notre sens individuel de l’autorité.
Contester un argument ne nous confère pas d’autorité – cela ne fait
que témoigner de notre besoin d’avoir raison. Ce qui persuade nos
patients, c’est la profondeur et l’enthousiasme que nous mettons à
expliquer notre perspective – même lorsqu’ils nous remettent en
question. Cela ne peut provenir que de la Force de l’expression de soi ; ce
qui signifie que, comme n’importe qui, nous sommes conduits à utiliser
nous aussi l’Autorité intérieure.

LES BIENFAITS CACHÉS DE L’EXPRESSION DE SOI


C’est après environ deux mois de pratique régulière que Jennifer a
éprouvé toute la magie de l’Autorité intérieure. J’ai su qu’il était arrivé
quelque chose à sa façon d’entrer dans mon cabinet. Au lieu d’avoir les
yeux rivés au sol, elle me regardait la tête haute, radieuse. « Vous n’allez
pas croire la journée que j’ai vécue  », a-t-elle lancé en haletant. Elle
s’était réveillée angoissée, mais c’était cette fois sans rapport avec les
entraînements de son fils. En fait, elle allait passer une audition, la
première depuis des années. Elle s’est retrouvée assise, nerveuse, dans
une petite salle d’attente parmi d’autres candidates.
«  Dès que je me suis mise à lire mes répliques, j’ai senti venir le
blocage, mais j’ai immédiatement pratiqué l’Autorité intérieure, deux fois
de suite. Ça m’a calmée, mais j’ai alors senti autre chose  ; comme si
j’avais enclenché une autre vitesse.  » Elle s’est dressée d’un bond,
occupant l’espace de mon cabinet comme s’il s’était agi d’une scène. Une
certaine musicalité dans sa voix trahissait l’excitation. « Vous savez que
je suis généralement très inquiète de ce que les gens vont penser de moi.
Mais là, c’était comme si j’avais oublié de m’en préoccuper. Mes
répliques, le personnage, ma motivation – tout m’est venu sans le
moindre effort. » Encore éblouie par son exploit, elle s’est mise à pleurer
doucement. Ces larmes ne la rendaient que plus radieuse encore.
Mais ce n’était pas tout. Après l’audition, une amie qui appartenait
au comité de collecte de fonds de l’école de son fils avait dû faire face à
une urgence et lui avait demandé de la remplacer au pied levé lors d’une
rencontre avec un important donateur. «  J’étais terrifiée, mais je ne
pouvais pas refuser – elle m’avait si souvent tirée d’embarras. »
Jennifer avait écouté son amie la bombarder de chiffres qu’elle avait
oubliés aussitôt que le donateur s’était présenté. Elle avait encore
pratiqué plusieurs fois l’Autorité intérieure. «  Je crois bien que j’ai
vraiment apprivoisé mon Ombre, parce que ça s’est encore mieux passé
qu’à l’audition. Il m’a suffi d’ouvrir la bouche pour qu’un discours
particulièrement persuasif jaillisse. J’ai parlé avec mon cœur, expliquant
toute la gratitude que j’avais ressentie le jour de l’admission de mon fils
dans cet établissement, racontant avec quelle facilité il s’y était fait des
amis et le plaisir qu’il prenait à apprendre. Et quand j’ai eu besoin
d’évoquer les statistiques de mon amie, elles me sont revenues d’un
coup.  » Jennifer a souri. «  Le donateur a doublé sa contribution. Ils
veulent que j’intègre le comité de collecte de fonds. »
Pour la première fois de sa vie, Jennifer avait une réelle notion de la
personne qu’elle était vraiment. « Plus que jamais, je me suis sentie moi-
même. » Elle a aussi remarqué un drôle de paradoxe : « Je parlais de ma
propre voix, mais en même temps c’était comme si une autre s’exprimait
à travers moi. Comment est-ce possible ? »
On l’a vu, la Force de l’expression de soi nous vient par
l’intermédiaire de notre Ombre. Mais cette force supérieure possède une
caractéristique merveilleuse : elle s’exprime à travers nous d’une façon
qui nous est propre. Elle donne à chacun une voix distinctive –  et
pourtant, l’ensemble de nos voix dérive finalement de la même source.
C’est ce qui explique cette impression que la véritable expression
provient d’ailleurs – alors qu’elle témoigne dans le même temps de votre
spécificité.
Sa vie durant, Jennifer avait eu toutes les peines du monde à prendre
la parole en public – c’était prendre le risque d’exposer à la vue de tous
ce dont elle avait le plus honte, sa propre Ombre. Les données étaient
désormais inversées  : parler en public lui procurait l’occasion d’être
pleinement elle-même. Selon ses propres termes  : «  J’imagine que je
serais même incapable de trouver le vrai moi autrement qu’en
l’exprimant. »
On ne saurait mieux dire.
D’ailleurs, nos aïeux tenaient l’expression de soi pour la qualité
fondamentale de l’univers. Dans la Genèse, Dieu lui-même est dépeint
comme un être qui s’exprime. Dieu dit que la lumière soit, et la lumière
est. Dieu dit que la terre produise de la verdure, et elle le fait.
C’est donc à travers l’expression que l’on est le plus en phase avec
l’univers. On se sent y appartenir. Pour Jennifer, cela signifiait qu’elle
cessait de remettre en cause sa valeur en tant qu’être humain  ; elle
cessait d’être une spectatrice inférieure qui n’a rien à dire.
Elle a aussi commencé à se sentir appartenir à une communauté, en
découvrant qu’on la respectait et qu’on venait lui demander conseil.
C’est l’Ombre qui lui a permis d’avoir sur les autres cette influence
nouvelle.
L’Ombre rend possible l’établissement du lien authentique entre les
humains – elle est ce que nous possédons tous en commun. Sans elle,
nous tendons à exagérer notre différence avec les autres  ; nous nous
sentons séparés d’eux. Les relations –  entre individus, religions ou
nations – ne peuvent fonctionner que si nous mettons nos Ombres au
service de la création d’un lien universel. En adoptant un état dans
lequel même des adversaires peuvent reconnaître leur humanité
réciproque. C’est la seule façon de jouir de la liberté d’être différent et de
coexister malgré tout.
Tout cela est possible parce que l’Ombre parle une langue commune
à l’ensemble de l’humanité – une langue du cœur plutôt que des mots.
Étant donné que vous possédez une Ombre, c’est une langue que vous
connaissez déjà. Entre deux de vos amis qui emploieraient précisément
les mêmes termes pour vous soutenir, vous sauriez distinguer celui qui
vous comprend vraiment de celui qui n’éprouve qu’indifférence ou
impatience. L’un y met du cœur, l’autre pas.
On trouve une allusion à ce langage du cœur dans l’épisode biblique
de la tour de Babel. Il y est question d’une espèce humaine ancienne qui
ne parlait qu’« une seule langue » et vivait unie.
Cette unité était un don du ciel dont ce peuple a fait mauvais usage,
puisqu’il en est venu à vouloir édifier un monument à sa propre gloire :
une tour qui atteindrait les cieux. Coupant court à pareille ambition,
Dieu « confondit le langage de toute la terre [...] afin qu’ils n’entendent
plus la langue, les uns des autres, et [...] les dispersa sur la face de toute
la terre  ». Selon l’interprétation commune, cette histoire raconterait
l’origine des différentes langues. Mais elle recèle un sens plus profond :
ceux qui parlaient la même langue n’ont plus été capables de se comprendre ; ils
avaient perdu le langage commun du cœur.
La perte de ce langage universel s’est accompagnée de celle de la
notion d’une communauté humaine englobant tout le monde. Nous
avons perdu l’idée que nous appartenons tous à une même équipe et que
nous avons un devoir envers quelque chose de plus grand que nous. Les
représentants des pouvoirs publics ne se sentent plus tenus de placer
l’intérêt général au-dessus du leur, les avocats spécialistes du divorce
attisent le conflit pour faire gonfler leurs honoraires, les médecins
prescrivent des examens inutiles afin de se protéger. Notre discours
commun a dégénéré jusqu’à se transformer en ring où tous les coups
sont permis, plus rien n’échappe aux attaques – pas plus le sentiment
patriotique que l’apparence physique ou la vie privée d’un adversaire.
Mais nous avons encore la possibilité de changer cela. Le langage
commun qui nous offre la compréhension mutuelle subsiste encore dans
l’Ombre. Jennifer en a fait la découverte exaltante. Pour la première fois
de sa vie, elle a senti ce que cela faisait de produire de l’effet sur autrui.
En tant que membres à part entière de la société, nous tendons à
associer l’exercice de l’influence aux personnages importants qui
occupent des positions de pouvoir. Comme le dit Jennifer : « Je pensais
qu’il fallait être connu pour avoir de l’influence.  » C’est une erreur
compréhensible – mais coûteuse. Elle signifie qu’on ignore les occasions
ordinaires, banales, de mutuellement s’encourager, se lier et s’inspirer.
L’Autorité intérieure peut faire de vous une force positive pour ceux qui
vous entourent – que ce soit en inculquant l’obéissance à vos enfants, en
nouant des liens avec une personne âgée solitaire, ou ne serait-ce qu’en
faisant preuve d’un peu de douceur lors d’une rencontre avec un
inconnu.
Une autre idée reçue consiste à croire que l’on ne pourrait vraiment
influencer autrui qu’en le dominant. Manifester de l’empathie pour ce
qu’il ressent est généralement considéré comme un signe de faiblesse.
Pour reprendre la plaisanterie amère de Jennifer, «  Mon père ne
connaissait qu’une façon d’exercer son autorité – avec son ceinturon ».
Ainsi comprise, l’influence fait naître une peur et un ressentiment qui
finiront forcément par l’affaiblir.
On peut être un grand meneur sans susciter de peur ni de
ressentiment. Si l’autorité repose sur l’Ombre, on reste au contact de ce
qu’éprouvent les autres. Quand ils se sentent compris, les gens veulent
bien faire ce qu’on leur demande, même s’ils ne sont pas entièrement
d’accord. L’empathie accroît l’autorité. Cela vaut dans tous les contextes
– que ce soit entre amis, en famille, au sein de la communauté, etc. En
fait, même le monde des affaires reconnaît la valeur qu’il y a à honorer le
point de vue de l’autre – cela engendre un esprit d’équipe réel et durable.
La communauté dont Jennifer commençait à faire l’expérience
s’appelle la «  Matrice sociale  ». C’est un réseau d’êtres humains
interconnectés qui génère une énergie réparatrice impossible à créer
autrement. Plus on se sent connectés les uns aux autres, plus on est
heureux. Certaines études indiquent même que les personnes habitées
d’un sentiment communautaire vivent plus longtemps et jouissent d’une
meilleure santé physique et mentale.
Mais il y a à cela un bénéfice plus profond encore.
Dissimulée dans la dynamique de la Matrice sociale réside la
solution au problème fondamental que connaît l’espèce humaine  :
comment rester unis sans sacrifier la liberté individuelle ? La réponse
est dans l’Ombre, qui porte l’individualité unique de notre moi intérieur,
mais évolue dans un espace de connexion absolue avec les Ombres de
tous les autres. Cependant, à moins que chacun se charge
personnellement d’activer son Ombre, tout cela ne demeure qu’à l’état
potentiel. Si nous ne faisons pas ce choix, nous risquons de connaître
une longue descente aux enfers jusqu’à ce stade primitif et violent que le
philosophe Thomas Hobbes nommait très justement « la guerre de tous
contre tous ».

QUESTIONS

1. Je parviens à sentir la présence de mon Ombre, mais je ne la vois


pas.

Ce n’est pas inhabituel. Certaines personnes sont moins visuelles


que d’autres. Si vous ne parvenez pas à visualiser votre Ombre,
contentez-vous de vous exercer à  ressentir sa présence juste devant
vous.
Puis, au moment de pratiquer l’Autorité intérieure, focalisez votre
attention sur l’endroit où se trouve cette présence. Au fil du temps, ce
qui n’apparaissait que comme une simple présence finira par prendre une
forme possible à visualiser.
Certains rencontrent le problème inverse. Ils voient l’image de leur
Ombre mais elle ne paraît pas vraiment avoir de présence  ; elle
ressemble à un bonhomme en bâtonnets ou à un personnage de dessin
animé.
Selon notre expérience, cela s’arrange toujours à force de répétition.
Traitez l’image comme si elle était réelle, même si elle n’en donne pas le
sentiment, et elle finira par l’être.

2. Je vois bien mon Ombre quand je ferme les yeux, mais pas quand ils
sont ouverts et que je suis devant du monde.

Ce problème-là aussi est commun. Voir l’auditoire de ses yeux tout


en voyant l’Ombre par l’imagination demande un peu d’habitude. Mais
en réalité nous en sommes tous capables. Chaque fois qu’on s’immerge
dans un bon roman, par exemple, nos yeux déchiffrent les mots sur le
papier, mais les personnages et leur environnement nous apparaissent
distinctement en imagination.
Il en va de même de l’Autorité intérieure. À force d’entraînement,
voir votre Ombre de vos propres yeux deviendra naturel.

3. Le fait de me concentrer sur mon Ombre ne va-t-il pas me couper


de mon auditoire et m’isoler dans ma propre bulle ?

En fait, c’est tout le contraire. Le sentiment de connexion intense


avec son Ombre procure une confiance intérieure qui dissout la peur
qu’on a du public, permettant d’établir le contact. C’est quand on
cherche à dissimuler son Ombre que l’on trouve l’auditoire terrifiant. Et
c’est cela qui vous met dans votre bulle.
Dans l’exercice même de la psychothérapie, Phil comme moi-même
voyons régulièrement apparaître notre Ombre, au beau milieu d’une
séance avec le patient. Et personne ne nous a jamais accusés d’avoir l’air
distrait, déconcentré ou dans un autre monde.

4. Cet exercice ne va-t-il pas provoquer en moi un dédoublement de


personnalité ?

L’expression dédoublement de personnalité possède pour les


professionnels de la santé mentale un sens bien précis. Elle désigne des
problèmes psychologiques profonds qui sortent du champ de ce livre.
Lorsqu’un individu ordinaire demande si l’Autorité intérieure va
causer en lui un « dédoublement de personnalité », il parle en fait d’autre
chose. Il redoute qu’il y ait quelque problème à héberger un deuxième
moi, auquel il  trouve embarrassant de s’adresser. Il a peur que cela
le rende fou.
Là encore, c’est le contraire qui est vrai. Tout le monde possède une
Ombre. Ce qui est fou, c’est d’en nier l’existence. C’est une façon
d’ignorer l’ensemble de son être intérieur. Accepter son Ombre constitue
en fait un immense soulagement. Mieux encore, cela vous permet de
développer des capacités que vous ne possédiez pas jusqu’alors.
Au moment de vous engager dans ce processus, ne vous laissez pas
dissuader par la peur qu’il y ait en vous quelque chose qui cloche. Si vous
parvenez à persister ne serait-ce que quelques semaines, vous aurez le
sentiment contraire – celui de devenir sain d’esprit.

5. Établir le contact avec mon Ombre n’aura-t-il pas sur moi un effet
négatif ? Il m’est arrivé à une période de ma vie de devenir mon Ombre, et
cela n’a rien donné de bon. Je n’ai fait que céder à mes plus mauvais
penchants.

C’est l’objection qu’à peu près tout le monde fait à l’Autorité


intérieure. Notre Ombre nous rebute. Et l’on redoute qu’à force
d’échanges avec elle, on finisse par lui ressembler.
Cette crainte est compréhensible, nous avons pour la plupart le
souvenir d’une période trouble de notre vie où l’Ombre a pris le dessus.
Ce sont en général les périodes où l’on se retire du monde ; on devient
apathique, on se sent inférieur ou démotivé, comme égaré. C’est là aussi
qu’on se laisse aller à l’abus de boisson ou de nourriture. Cela peut être
déclenché par n’importe quoi, un simple rejet, un simple échec, ou
souvent même advenir sans qu’il y ait la moindre explication. Cela
survient généralement la première fois à l’adolescence, mais cela peut
arriver n’importe quand.
Dans ces moments-là, nous devenons notre Ombre – elle prend
notre vie en otage.
Lorsque cela se produit, la plupart des individus ignorent qu’il existe
une autre possibilité. Phil avait le sentiment que Jung était très
conscient du potentiel positif de l’Ombre, mais qu’il n’était jamais
parvenu à mettre au point une méthode pratique et fiable pour la faire
apparaître. Il fallait pour cela trouver un moyen de coopérer avec son
Ombre – au lieu de se transformer en elle. C’est ici qu’intervient
l’Autorité intérieure  ; elle fait de votre Ombre une partenaire. Quand
l’Ombre devient votre partenaire, elle change de nature. Ce n’est qu’à ce
moment qu’elle devient la Source d’une expression libre et spontanée.
Sans cet outil, l’Ombre n’est que la somme de vos plus mauvais
penchants.
L’Autorité intérieure fait de votre Ombre votre partenaire. Si vous
en usez avec constance, vous nouerez une relation. Dites-vous qu’il s’agit
d’un partenariat où chacun apporte une chose dont l’autre est dépourvu.
L’Ombre vous offre la possibilité de vous exprimer avec passion –  ce
dont vous êtes incapable. Mais vous aussi apportez quelque chose qui
manque à l’Ombre  – l’aptitude à exercer votre libre arbitre. En
l’occurrence, en faisant ou non le choix de rester connecté à l’Ombre
grâce à l’outil.
Au final, on obtient un tout qui est supérieur à la somme des parties.
Aussi étrange que cela paraisse, le meilleur de vous-même n’apparaît que
lorsque vous exercez ce partenariat avec votre Ombre. C’est là la réelle
signification de l’expression Moi supérieur, qui est en fait l’association de
deux opposés, vous et votre Ombre.
Si ce partenariat est rompu – ou s’il vient à ne jamais se constituer –,
on finit par atteindre un état de déséquilibre. D’un côté, l’Ombre prend
le dessus et vous submerge avec sa propension à l’infériorité, à la
faiblesse et à la dépression. Pour des raisons évidentes, Phil a appelé cela
la « prise de pouvoir ». De l’autre, bannissant totalement l’Ombre, vous
menez une existence superficielle, constamment en quête de
l’approbation des autres et incapable de vous exprimer avec profondeur.
Il est courant d’osciller entre ces deux extrêmes sans jamais parvenir à
faire tenir ensemble les deux morceaux. L’idée que la plupart des gens
croient qu’il n’existe qu’une possibilité est réellement dommageable.
Mais la création d’une relation équilibrée avec son Ombre ne réside
pas dans une option entre deux choix  ; il s’agit d’un processus. Le
partenariat demande en permanence à être cultivé. L’Autorité intérieure
est ce qui vous le permet.
6. Comment travailler avec mon Ombre si elle se montre enragée,
destructrice ou haineuse ?

Souvenez-vous, l’Ombre est une représentation de tout ce que vous


ne voulez pas être. Dans ce chapitre, nous traitons de sa forme la plus
courante, celle que nous appelons l’« Ombre inférieure ». L’infériorité et
le manque d’assurance sont les sentiments les plus courants quand il
s’agit de s’exprimer en public.
Mais il y a autre chose que l’on ne veut pas être. Nous ne voulons
pas avoir à nous trouver « méchants » ou « mauvais ». Par « mauvais »,
nous entendons cette partie de nous-même qui a tendance à n’agir que
par pur intérêt personnel, sans la moindre considération pour ce ou celui
qui se trouve sur son chemin. Cela se manifeste sous la forme de
l’égoïsme, de l’avidité ou, quand vos projets sont contrecarrés, de la
haine ou de la colère destructrice. Ces caractéristiques constituent une
seconde Ombre, celle que nous appelons l’« Ombre mauvaise ». Le fait
de posséder une Ombre mauvaise n’implique pas que vous soyez
mauvais, pas plus que celui de posséder une Ombre inférieure n’implique
que vous soyez inférieur. Elle réside en chacun de nous. Le problème,
c’est qu’elle est socialement inacceptable, et que cela nous rend réticents
à admettre sa présence en nous.
Nous vous enseignerons dans un prochain ouvrage la  façon
d’empêcher l’Ombre mauvaise d’avoir un effet destructeur. En attendant,
si telle est la forme que prend essentiellement votre Ombre, vous pouvez
tout à fait l’utiliser selon la méthode que nous avons décrite pour
l’Ombre inférieure. Non seulement cela fonctionnera, mais ce sera pour
beaucoup la première occasion de faire un usage constructif de l’Ombre
mauvaise.
7. J’ai lu Jung, qui a été pour moi une révélation. Mais votre
application du concept de l’Ombre est très différente de la thérapie
jungienne classique. Pourquoi ?

Je tiens à dire clairement que les travaux de Jung ont représenté un


formidable progrès. Il n’a pas seulement élargi la connaissance de
l’inconscient humain, il a mis au point une façon audacieuse de travailler
avec. Lorsque émergeaient les images de l’inconscient, au lieu de les
analyser intellectuellement, Jung incitait le patient à interagir avec elles.
Il a appelé cela l’« imagination active ». Son propos était d’intégrer ces
images – Ombre comprise – à ce que le patient éprouve à son propre
sujet, de façon à le rendre complet. Il a appelé cet état le « Soi ».
Il s’agissait d’une approche très fructueuse, qui allait bien au-delà de
ce qui se pratiquait alors en matière de psychothérapie. Le seul problème
à mes yeux était qu’elle manquait par moments d’orientation. C’était
particulièrement prégnant quand il s’agissait d’y intégrer l’Ombre. Il
fallait au patient des instructions claires pour qu’il accède à son pouvoir
immense et l’intègre à sa vie quotidienne. La chose était trop importante
pour être laissée au hasard. Phil est allé un cran plus loin en mettant au
point une méthode fiable pour établir cette connexion à l’aide d’une
panoplie d’outils capables de faire jaillir la force de l’Ombre quand cela
s’avère le plus nécessaire.
Les outils prennent en compte le fait que l’Ombre est un être à part,
qui possède sa propre sensibilité et sa propre vision du monde. Elle
requiert et mérite la même attention que l’on accorderait à une relation
avec un autre être humain. Par le recours à l’imagination active, Jung
avait fait un premier pas génial vers la culture de cette relation. Mais un
problème demeurait. Les aléas de la vie nous détournent du monde
intérieur, ils coupent notre relation avec l’Ombre. Phil a senti qu’il était
possible d’utiliser ces mêmes aléas pour approfondir cette relation. Le
blocage devant un auditoire en est un exemple. L’Autorité intérieure
transforme l’Ombre en solution au problème, et cela ne fait que
renforcer la relation que l’on entretient avec elle. Le moyen le plus
profond de reconnaître l’Ombre consiste à la faire participer aux petits
actes du quotidien.

AUTRES USAGES DE L’AUTORITÉ INTÉRIEURE

L’Autorité intérieure vous permet de vaincre votre timidité,


notamment en compagnie de celui ou celle pour qui vous éprouvez des
sentiments amoureux. Bon nombre de personnes qui auraient pourtant
beaucoup à offrir ne saisissent jamais l’occasion de s’engager dans une relation
– le simple fait de rencontrer quelqu’un les effraie. Les personnes qui se
procurent le plus grand nombre d’occasions d’établir des liens sentimentaux ne
sont pas nécessairement celles qui font les meilleurs partenaires ; ces derniers sont
ceux qui montrent le plus d’eux-mêmes.
Jim souffrait depuis toujours d’une timidité maladive. Faire des
rencontres lui était désagréable, les soirées mondaines l’effrayaient. Mais
le pire, c’était avec le sexe opposé. Jim était grand, il avait de la
prestance et ne manquait manifestement pas de sensibilité, si bien que
les femmes se laissaient souvent approcher, mais chaque fois il se
bloquait. Paralysé par la peur de déplaire, il ne parvenait à leur offrir au
mieux qu’un demi-sourire gêné. Prenant cela pour de la condescendance
ou du désintérêt, ces dames ne manquaient pas alors de se mettre sur la
défensive, ce qui ne faisait que le rendre encore plus emprunté. Quand il
s’est mis à travailler sur son Ombre, il y a vu un monstre grotesque,
mais pouvoir clairement la distinguer lui a fait du bien. Il s’est mis à
pratiquer l’Autorité intérieure tout seul –  le simple fait de s’y essayer
devant un miroir était déjà pour lui un exploit. À sa grande surprise, il a
constaté qu’il parvenait pour la première fois à se regarder en face. Il
s’est ensuite exercé auprès des vendeurs des magasins ou des passants,
quand les enjeux n’étaient pas trop lourds. Quelques mois plus tard, il en
est arrivé à pouvoir parler aux femmes sans se figer  – il n’a pas mis
longtemps à avoir une vie sociale normale.

L’Autorité intérieure vous permet d’exprimer la nécessité et la


vulnérabilité. Nombreux sont ceux, surtout parmi les hommes, qui s’abritent
derrière une façade comme pour signifier qu’ils maîtrisent leur existence et n’ont
pas besoin des autres. La vie se charge souvent de faire tomber les masques et de
mettre l’individu en position de devoir réclamer de l’aide. Ceux qui ne s’y
résolvent pas risquent de tout perdre.
Harold était un promoteur immobilier à l’ego surdimensionné. Il se
lançait dans d’immenses projets qui lui faisaient courir d’importants
risques financiers. Tant que la conjoncture économique était favorable,
cela lui souriait. Il menait grand train et ne se sentait en sécurité qu’au
centre de toutes les attentions, lorsqu’il faisait la leçon aux autres. La
crise immobilière est passée par là et la banque d’Harold lui a demandé
le remboursement de ses prêts. Une fois à court d’argent, il s’est aperçu
qu’il n’avait plus beaucoup d’amis. Pour éviter la ruine, il a dû solliciter
son père, qui exerçait le même métier, mais avec plus de modestie et de
prudence – grâce à quoi il s’était constitué une épargne substantielle.
Harold s’était toujours vanté d’avoir fait mieux que son père ; être obligé
de lui demander de l’argent risquait de faire voler en éclats de
trompeuses et flamboyantes apparences. En lui permettant de s’exprimer
depuis son véritable moi intérieur, l’Autorité intérieure lui a enseigné
qu’il pouvait faire fi des apparences. Après beaucoup d’entraînement, il a
fini par être en mesure d’appeler son père à l’aide. «  C’est le premier
moment de sincérité que j’ai connu depuis l’enfance  », dirait-il. Il y a
acquis le respect paternel. En appliquant l’Autorité intérieure chaque
fois qu’il lui parlait, Harold a pu nouer une vraie relation avec son père.

L’Autorité intérieure vous permet de charger d’émotion vos


rapports avec vos proches. La façon dont vous communiquez, et plus
particulièrement l’émotion que vous exprimez, compte davantage que les mots
que vous employez. En parlant sans émotion, vous ne pouvez pas produire sur
l’autre suffisamment d’effet pour installer une vraie relation.
Joe était un radiologue réputé. Ses confrères venaient le consulter
pour établir le diagnostic de leurs patients. Grâce à sa méticulosité, il
décelait des choses que d’autres avaient ignorées. Mais Joe était plus à
l’aise avec les ordinateurs qu’avec les êtres humains, ce qui ne posait en
soi aucun problème pour un radiologue, mais n’était pas recommandé
pour un père. À l’orée de sa treizième année, son aînée s’est mise à ne
plus vouloir passer du temps avec lui. Il en était chagriné, mais chaque
fois qu’il cherchait à lui en parler, elle jouait les courants d’air. Elle avait
dit à sa mère que son père ne l’aimait pas – et que c’était un ringard ; le
jour où, pour la première fois, elle avait porté une robe de femme, il lui
avait à peine jeté un regard distrait. Il avait ensuite cherché à rattraper
le coup en lui disant machinalement qu’il l’aimait, mais ça l’avait laissée
de marbre. Sa femme lui a alors expliqué que ce n’était pas les mots qui
lui manquaient, mais les sentiments. Ces derniers étaient restés pour lui
un grand mystère jusqu’à ce qu’il rencontre son Ombre. C’est elle qui
avait conservé toutes les émotions dont il s’était totalement déconnecté.
Il s’est donc mis à pratiquer l’Autorité intérieure chaque fois qu’il parlait
avec sa fille. L’effet que cela a eu sur leurs rapports l’a stupéfié. À mesure
qu’ils se sont rapprochés, sa fille a acquis l’assurance que procure la
certitude d’être aimée de son père.

L’Autorité intérieure ne fait pas seulement intervenir une force


supérieure dans l’acte de parler. Le blocage de la page blanche survient
quand l’écrivain se préoccupe davantage du résultat de ses efforts que du fait
même d’écrire. Cela se traduit généralement par l’accumulation de tentatives
frustrantes de produire un travail parfait et par une autocritique impitoyable
parce que l’on ne parvient pas à ce à quoi l’on aspire.
Julie adorait écrire des scénarios, au point qu’elle a fini par se
demander si elle ne pourrait pas en faire son métier. À sa grande
surprise, le premier qu’elle a proposé a été accepté et un film très bien
accueilli en a été tiré. On lui a alors offert une somme importante pour
écrire le scénario du prochain film d’un metteur en scène de renom. Et
elle s’est sentie obligée de faire au moins aussi bien que la première fois.
L’écriture a perdu toute sa spontanéité. Au lieu de se fier à son instinct,
elle s’est noyée dans la réflexion, cherchant à deviner ce qui ferait plaisir
aux autres. Elle est devenue hypercritique à l’égard de tout ce qu’elle
écrivait. Le regard qu’elle portait sur son propre travail était si exacerbé
qu’elle a fini par ne plus vouloir écrire du tout. La seule solution était de
renouer avec la part d’elle-même qui adorait écrire pour le simple fait
d’écrire – son Ombre. Elle y est parvenue en pratiquant l’Autorité
intérieure à chaque séance de travail. Elle appliquait l’outil sur
quiconque pourrait être amené à lire le scénario. Elle a mis un soin
particulier à en user aussitôt qu’elle commençait à s’en prendre à elle-
même. L’Autorité intérieure a doté sa plume d’une force supérieure – la
Force de l’expression de soi. Julie a cessé de craindre le jugement des
autres sur son travail ; écrire est redevenu amusant.

L’AUTORITÉ INTÉRIEURE EN BREF

À quoi sert l’outil


Il vous sert dans les situations intimidantes, quand vous avez du mal à vous exprimer ou à établir le

contact avec les autres, dans ces moments où vous « faites un blocage », vous devenez raide ou

amorphe, incapable de vous exprimer avec naturel et spontanéité. Cet état est sous-tendu par un

manque irrationnel de confiance en soi. L’outil vous permet de surmonter ce manque d’assurance et

d’être vraiment vous-même.

Ce que vous combattez vraiment


Le manque d’assurance est un trait humain universel, mais très mal compris. On a généralement

l’impression d’en connaître la cause – son apparence physique, son niveau d’instruction ou son statut

social et économique. En fait, l’origine de n’importe quel manque de confiance en soi loge tout au

fond de nous. C’est ce qu’on appelle l’Ombre – la figure incarnée de tous nos défauts –, et l’idée

qu’elle apparaisse à la vue d’autrui nous terrifie. Nous déployons en conséquence beaucoup

d’énergie pour la cacher, ce qui nous empêche totalement d’être nous-mêmes. L’outil constitue une

nouvelle façon de répondre au problème que pose la cohabitation avec cette Ombre.

Signaux d’utilisation de l’outil


Employez l’outil dès que vous ressentez l’angoisse d’avoir à vous offrir en représentation, que ce soit

lors d’un événement en société, d’une franche discussion en tête à tête ou d’une intervention en

public, par exemple. Faites-le avant l’événement, mais aussi pendant. Autre signal, moins évident, le

moment où vous vous faites du souci par anticipation en songeant à l’événement à venir.

L’outil en bref
1. Au moment où vous vous trouvez devant n’importe quel auditoire, visualisez votre Ombre

sur le côté, en train de vous faire face. (Cela fonctionne aussi bien avec un auditoire imaginaire

ou qu’avec une seule personne.) Détournez toute votre concentration de l’auditoire et


reportez-la sur l’Ombre. Éprouvez le lien indestructible qui vous unit – ensemble, vous n’avez

rien à craindre.

2. Tournez-vous ensemble, l’Ombre et vous, vers l’auditoire et criez-lui intérieurement :

« ÉCOUTEZ ! » Ce n’est pas une demande, c’est un ordre. Vous le sommez d’écouter ce que

vous allez dire.

La force supérieure que vous utilisez


La Force de l’expression de soi permet de se révéler avec sincérité et authenticité – sans se soucier

de l’approbation des autres. Elle s’exprime à travers l’individu avec une clarté et une autorité

inhabituelles, mais elle ne s’exprime pas forcément par le verbe, comme lorsqu’un athlète est « en

phase ». Chez l’adulte, elle est ensevelie par l’Ombre. En vous remettant en contact avec votre

Ombre, l’outil vous permet de ressusciter cette force et de la faire s’écouler à travers vous.
CHAPITRE CINQ

L’outil :

le Flux de gratitude

La Force supérieure :

la Gratitude

E lizabeth, une nouvelle patiente, n’en avait pas dormi de la nuit.


« Toute ma famille vient demain pour Thanksgiving et je suis à peu près
certaine que je vais rater ma dinde, m’a-t-elle dit en se tordant les doigts.
— Vous avez déjà commencé à la préparer ? ai-je demandé.
— Non, mais la dernière fois que ça a été mon tour, mon cousin a eu
une intoxication alimentaire. »
Elle m’a lancé un regard suppliant, mais je n’avais pas eu le temps
d’ouvrir la bouche que son esprit assiégé par les tracas répondait déjà à
d’autres alertes. Un cousin éloigné avait annoncé au dernier moment
qu’il viendrait avec un invité – ce qui n’allait probablement pas manquer
de donner deux fois plus de travail à Elizabeth  ; ensuite, son neveu
allergique au gluten ne pouvait avaler aucun type de farce  ; et puis
comment allait-elle s’y prendre pour asseoir son père à la sensibilité
politique de gauche le plus loin possible de son frère de droite, mais aussi
de sa cousine si susceptible, qu’il trouve toujours moyen de vexer ?
L’un après l’autre, elle crachait ses motifs d’inquiétude comme des
rafales de mitraillette, comme s’il en était allé de sa vie. L’espace d’un
instant, perdant momentanément le fil de son propos, j’ai entraperçu son
univers intérieur – un petit coin d’enfer où un flot permanent d’idées
noires la privait d’oxygène. J’en ai éprouvé de la peine. « Je sens bien
tout le stress qui vous accable, ai-je tenté de la rassurer, mais je doute
fort que la situation soit aussi désespérée que vous le pensez.
— Vous parlez comme mon mari, a-t-elle riposté. C’est facile à dire
pour lui – on ne lui demande que de servir à boire et de veiller à ce que
la télé soit allumée pour le coup d’envoi du match. »
J’ai passé l’essentiel de la séance avec un gros sentiment
d’impuissance, mais à la fin, à ma grande surprise, Elizabeth m’a
remercié en me promettant de revenir la semaine suivante. Le jour dit,
j’ai commencé par lui demander comment s’était passé son dîner de
Thanksgiving, mais elle a balayé ma question d’un geste de la main, car
elle était déjà en proie à une nouvelle crise, une rougeur sur la jambe
dont elle était persuadée qu’il s’agissait d’un lupus.
Elizabeth avait toujours une bonne raison de se faire du mouron.
Quel que soit le sujet – le drôle de bruit de sa voiture au démarrage, les
maux de tête indiquant sans doute une tumeur au cerveau  –, la
préoccupation était le point focal de son existence.
Il lui était bien arrivé de connaître une époque de relative
insouciance – lorsqu’elle faisait ses études. Brillante élève, elle avait
obtenu son master de psychologie avec des notes excellentes. Mais, déjà
mariée et mère d’un enfant, elle avait été obligée de se mettre à travailler
pour nourrir sa famille.
Après avoir longuement recherché un emploi, elle avait fini par
trouver un poste de conseillère d’orientation dans un lycée professionnel.
Le salaire n’était pas mirobolant, mais la fonction lui allait à ravir – elle
connaissait bien l’ensemble des cursus universitaires et se montrait
particulièrement soucieuse du sort des étudiants dont elle s’occupait.
Peut-être trop soucieuse.
Submergée par la demande, elle ne pouvait clairement porter à
chacun toute l’attention qu’elle estimait lui devoir, mais trouvait quand
même le temps de se faire du souci à son sujet. Tel élève était-il
vraiment inscrit dans la bonne discipline  ? Tel autre n’était-il pas en
train de sombrer en silence dans la dépression  ? Ne faudrait-il pas
qu’elle travaille aussi le samedi pour rattraper le retard accumulé ? Mais
comment trouver du temps alors pour sa propre fille ? Son inquiétude à
tout propos ne l’empêchait guère d’être une conseillère très appréciée,
qui depuis maintenant quatorze ans avait toujours échappé à une autre
de ses craintes – le licenciement.
J’ai demandé comment son mari ressentait ses angoisses. « Ça le fait
parfois rire, mais en général, ça le fait plutôt bâiller  », a-t-elle admis.
Depuis quelque temps, toutefois, il ne prenait plus la chose aussi bien. Il
y avait eu à l’école de leur fille une réunion à laquelle aucun des deux
n’avait pu se rendre à cause de leur travail respectif. Le soir, au dîner,
Elizabeth n’avait parlé que de ça, frôlant carrément la panique. Il avait
alors laissé éclater sa colère  : «  Ce ne sont que des problèmes très
ordinaires et tu réagis comme si notre vie entière en dépendait !
— Que vous inspire ce qu’il vous a dit ? » ai-je demandé.
Ses yeux se sont embués. «  Je sais bien qu’il a raison. Mon
inquiétude doit être difficile à vivre pour tous ceux qui m’entourent.
Mais imaginez un peu ce que c’est pour moi. »

LE NUAGE NOIR

Elizabeth avait le regard hanté des pauvres bougres dont l’existence


entière part en quenouille. En réalité, sa vie ne manquait pas de stabilité
– et dans les domaines fondamentaux, elle était même plutôt bien lotie.
Son époux était un officier de police décoré, qui avait assez d’ancienneté
pour ne pas risquer de perdre son emploi. D’un dévouement absolu, il
n’avait d’autre préoccupation que d’assurer à sa fille et à sa femme une
existence sûre et confortable. Pas plus Elizabeth que lui-même n’avaient
le goût du luxe – sur le plan matériel, ils ne manquaient de rien. Mais
aussi attentionné que soit son mari, Elizabeth vivait sa vie comme une
suite de calamités face auxquelles elle était seule.
Si peu réalistes qu’aient été ses appréhensions, elles lui semblaient
bien réelles parce qu’elle vivait dans un monde de sa propre fabrication.
Dans une certaine mesure, nous fonctionnons tous comme elle. Nous
nous plaisons à croire que nos actes sont déterminés par le monde tel
qu’il est, mais ils le sont en vérité par un monde qui n’existe que dans
notre tête. L’influence de ce monde intérieur est telle qu’il supplante
notre aptitude à voir le réel. Ainsi l’exprime John Milton, dans Le
Paradis perdu : « L’esprit est à soi-même sa propre demeure ; il peut faire
en soi un Ciel de l’Enfer, un Enfer du Ciel. »
Souhaitant montrer à Elizabeth comment cela fonctionne, je lui ai
demandé de fermer les yeux et de se rejouer sa dernière préoccupation
en date. « J’ai entendu à la radio un reportage sur la fonte de la calotte
glaciaire... Je me suis dit que nous ferions bien de déménager vers
l’intérieur des terres, en altitude. » Je lui ai demandé de mettre de côté le
sujet spécifique de son inquiétude et de voir si elle éprouvait autre chose
derrière l’inquiétude.
Stupéfaite, elle a soudain ouvert les yeux. «  J’ai senti comme une
obscurité très dense tout autour de moi, comme un nuage de mort. » Je
lui ai demandé de faire la même chose avec un autre sujet d’inquiétude –
sa fille allait-elle recevoir à temps ses formulaires d’inscription à
l’université  ? En s’exécutant, à sa grande surprise, elle a ressenti
exactement la même noirceur l’entourer.
Nous appelons cette présence le « Nuage noir ». Quand on passe son
temps à s’inquiéter, quel que soit le sujet choisi, on fabrique une énergie
négative qui reste suspendue au-dessus de soi comme un nuage. Le
Nuage noir chasse tout ce qu’il peut exister de positif et crée le
sentiment d’une fatalité imminente, qui prend indifféremment la forme
d’une catastrophe naturelle, d’une maladie ou d’une défaillance humaine.
Elizabeth était un cas extrême de la domination que peut parfois
exercer le Nuage noir. Cette emprise ne provient pas du fait que les
prédictions se réalisent –  elles sont presque toujours fausses. La
subjugation du Nuage s’exerce de façon beaucoup plus primitive  – à
force de répétition. Il suffit de se répéter une chose assez souvent pour
qu’elle finisse par acquérir une existence propre – il devient alors plus
facile de la ruminer que de ne pas le faire.
Vous pouvez faire vous aussi l’expérience du Nuage noir.
Commencez par choisir un sujet qui revient assez souvent dans vos
préoccupations – il peut s’agir de votre travail, d’un enfant à problèmes
ou de la santé précaire d’un de vos parents.
Fermez les yeux et recréez les pensées

tourmentées en les ressassant intensément,

comme vous le faites dans la vraie vie. Cela peut

sembler artificiel au départ, mais au bout d’un

moment les pensées vont devenir plus intenses

et s’enchaîner d’elles-mêmes. Focalisez-vous à

présent sur l’état intérieur que ces pensées ont

créé. Qu’éprouvez-vous ?

Vous venez de faire l’expérience d’une version allégée du Nuage noir.


Dans la vie réelle, il est plus sombre et oppressant. En effaçant tout ce
qu’il y a de positif, il vous persuade que seul le négatif est réel. Le dessin
ci-dessous montre le Nuage noir à l’œuvre :

Au-dessus du nuage brille le soleil, symbole universel de positivité,


qui représente ici tout ce que le monde recèle de bon. Nous avons donné
au Nuage noir la forme d’un voile impénétrable qui exclut tout ce qu’il
peut y avoir de positif dans la vie. Le soleil continue de briller, mais pour
la personne qui se trouve sous le nuage, il n’existe pas. Aucune joie n’est
possible, rien que de la négativité. Elle plie sous le poids du monde
ténébreux qu’a créé son esprit. Le coût d’une telle existence est
immense.
L’individu qu’écrase le Nuage noir ne trouve jamais la paix de
l’esprit.

LE PRIX DE LA NÉGATIVITÉ
Pour la plupart d’entre nous, la paix de l’esprit est une sensation
précieuse. C’est le sentiment que les choses sont à leur place, que « tout
est pour le mieux ». Vous l’avez déjà éprouvé de façon fugace – comme
tout le monde  –, c’est une sérénité intérieure, l’impression d’être en
harmonie avec tout ce qui existe.
Le Nuage noir annihile ce sentiment de paix. Sous son influence, on
ne voit plus du monde que ses défauts. Toutes les pensées négatives
produisent le même genre de résultat – le désespoir, le mépris de soi, les
postures moralisatrices  –, mais celle qui y parvient le mieux, c’est la
propension à se faire du souci.
Sans sérénité, tout prend des proportions de crise. On focalise son
énergie entière sur la survie, et la joie de vivre devient un luxe
inaccessible. Elizabeth était incapable de se poser avec un bon livre,
d’apprécier un film ou de retrouver une amie pour déjeuner – il y avait
toujours un problème ou un autre qui sollicitait d’urgence son attention.
Un jour, épuisée, elle a levé les yeux vers moi et admis la vérité : « Je ne
parviens pas à me souvenir de la dernière fois que quelque chose m’a
vraiment procuré de la joie. »
Ce schéma de crise perpétuelle possède un aspect particulièrement
cruel. Dans le Nuage noir, le moindre problème prend des allures de
question de vie ou de mort – mais vous êtes le seul à le percevoir ainsi.
Vous ne pouvez compter sur personne pour vous aider à résoudre vos
problèmes parce que personne ne les prend autant à cœur que vous.
Inévitablement, on en vient à se sentir submergé et seul au monde.
Elizabeth avait atteint le stade où elle ne comptait même plus sur
son mari. À son arrivée à notre séance, elle était au bout du rouleau. « Je
ne tiens plus sur mes jambes, s’est-elle plainte. Je ne suis pas sûre de
pouvoir faire ma lessive aujourd’hui. »
Ça m’a étonné. « Je croyais que votre mari répondait présent quand
vous aviez besoin d’aide pour les tâches ménagères.
— J’ai arrêté de lui demander de m’aider. Il ne plie pas le linge
comme il faut. C’est plus facile si je le fais moi-même. »
Cette attitude ne faisait que rendre son mari – déjà irrité par ses
peurs disproportionnées – plus distant encore. Personne n’aime se sentir
inutile. Ses amis aussi s’éloignaient – elle n’avait jamais de temps à leur
accorder.
Par chance, peu après le début de la thérapie d’Elizabeth, un incident
lui avait administré l’électrochoc dont elle avait besoin – cela concernait
sa fille. Elizabeth n’avait jamais manqué de corriger ses dissertations, de
lui rappeler la date limite d’inscription à l’université, elle était même
allée jusqu’à l’aider à remplir ses courriers et à les affranchir. Elizabeth
avait donc reçu un choc quand elle avait entendu sa fille la traiter de
« mégère égoïste ». Le calme était revenu, et sa fille s’était expliquée.
« Je regrette les mots que j’ai employés, mais il faut quand même que tu
comprennes. Le plus souvent, j’ai l’impression que ce n’est pas pour moi
que tu fais tout ça – tu le fais pour apaiser ta propre angoisse de mon
entrée à l’université. »
Pour Elizabeth, il s’agissait là d’un tournant. Force était de constater
que le Nuage noir avait transformé son élan parental en encombrement
pour sa fille. Et s’il était capable de saper son rôle de mère, il pouvait
tout saper. C’est là qu’elle avait puisé la détermination à se débarrasser
du Nuage noir.
Mais la tâche s’est avérée plus difficile qu’elle ne l’aurait cru.

POURQUOI LA PENSÉE NÉGATIVE EST-ELLE SI FORTE ?


On aimerait pouvoir se dire que transformer son mode de pensée est
facile. Après tout, il devrait suffire de remplacer chaque pensée négative
par une autre, positive. Cette idée a toujours été présente dans la culture
américaine, et elle a trouvé son point culminant dans un livre intitulé La
Puissance de la pensée positive. C’est malheureusement l’une de ces idées
apparemment efficaces qui ne fonctionnent pas, car dans la vie réelle, les
pensées positives n’ont pas l’ombre de la puissance des pensées négatives.
Elizabeth s’en est rendu compte d’elle-même quand l’une de ses
amies lui a prêté un livre traitant du sujet. « Pendant trois jours, je me
suis efforcée d’avoir des pensées positives. Mais chaque fois, a-t-elle
grimacé, je me suis sentie idiote parce que je faisais semblant que tout
allait bien alors que le danger était partout. Je ne comprends pas
pourquoi ils appellent ça la puissance de la pensée positive – ce sont les
pensées négatives qui détiennent tout le pouvoir. »
Quel est donc ce pouvoir ? Pour le savoir, j’ai demandé à Elizabeth
de fermer les yeux et de penser à une série d’inquiétudes. D’un
mouvement de la tête, elle a indiqué que ça y était. « Maintenant, laissez
votre esprit se détendre, comme si vous aviez perdu la capacité de vous
inquiéter. Qu’éprouvez-vous ? »
Soudain, elle a tressailli. « J’ai senti un instant que je me détendais,
puis... j’ai eu l’impression de perdre le contrôle de tout.
— D’accord. Maintenant, au beau milieu de ce sentiment de perte de
contrôle, réintroduisez l’inquiétude. Qu’éprouvez-vous à présent ?
— À vrai dire... je me sens un peu mieux. » Elle a rouvert les yeux.
«  Quand je me fais du souci, c’est comme si je parvenais à tenir les
malheurs à distance. Ça me rappelle ce que je ressentais quand, petite
fille, je passais la nuit à imaginer à quel point ce serait terrible que mes