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Gilbert Dagron

Constantinople
• • •
1mag1na1re
Études sur le recueil des
Patria
CONSTANTINOPLE
IMAGINAIRE
BIBLIOTHÈQUE BYZANTINE
PUBUÉE SOUS LA DIRECTION DE PAUL LEMERLE

ÉTUDES - 8

CONSTANTINOPLE
IMAGINAIRE ,,.

Etudes sur le recueil des Patria

GŒLBERT DAGRON
Professeur au Collège de France

OUVRAGE PUBLIÉ AVEC LE CONCOURS


OU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQ.UE

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


Dépôt légal - 1 re édition : 1984, décembre
© Presses Universitaires de france, 1984
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
AVANT-PROPOS

« Taedet pigetque humanitatis ad tales stu-


pores projectae. »
(C. G. Heyne, 1790.)
« Silly stories. »
(Alan Cameron, 1973.)

Les jugements portés sur les Patria de Constantinople par les très rares
historiens qui ont eu la paùence de les étudier sont, on le voit, sans indulgence :
folles légendes écrites dans un style barbare et parfois incompréhensible, œuvres
anonymes où l'on sent plus la main d'un copiste que l'esprit d'un auteur,
recueil dans lequel se confondent les époques, gouffre de fausse science. Ce sont
ces défauts qui m'ont séduit, cette langue rocailleuse et incorrecte qui évoque
le parler de la rue et l'écriture d'une sorte d'écrivain public, ces textes de
père inconnu et de paternité inavouable que des généraùons ont librement
assemblés, recopiés, transformés, ce mélange enfin de réminiscences livresques,
de familiarité avec les lieux décrits et de pure affabulation. Ici les légendes
ne sont jamais gratuites; elles gardent toujours un lien avec ce qu'on pourrait
appeler la mémoire du site : souvenir d'une histoire vécue ou monument
conservé; on les voit naître et l'on peut en démonter les mécanismes. La
lecture fait apparaître une Constantinople aussi réelle qu'imaginaire, sans doute
la Constantinople des Constantinopolitains, comme il y a le Paris des Parisiens.
Byzance, volontiers littéraire, officielle ou théologienne, garde peu de témoignages
d'une telle saveur et pour nous d'un tel prix.
J'ai consacré un précédent volume, dans la même collection des Presses
Universitaires de France, à la naissance de la capitale et à la mise en place de
ses institutions. Autre ton, autres sources, autres siècles. Il s'agissait alors de
comprendre l'étrange greffe de Rome en Orient aux ive et ve siècles. La
Constantinople des Patria, aux vme-xe siècles, a largué les amarres; elle
présente le spectacle assez rare d'une ville en train de digérer ou d'éliminer
6 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE

un lourd passé; une ville et l'image d'une ville. Nous n'apprendrons pas ce que les
habitants de Constantinople pensaient de leur cité et de son histoire (aucun
texte n'autorise sans doute pareille introspection), mais la pratique qu'ils en
avaient, le langage qu'ils s'étaient formé, qui prend ici forme écrite et
valeur de genre, la culture qui a permis cette éclosion, la finalité, peut-être,
de ces apparentes divagations. On ne peut vivre en société sans se situer dans
l'espace et dans le temps; et c'est pour mieux vivre dans leur capitale sans
avoir à souffrir ni de trop de souvenirs, ni de trop d'oubli, ni des mensonges de
l'idéologie, que des Constantinopolitains, par bribes et morceaux, de génération
en génération, ont confectionné ce petit chef-d'œuvre truqué. Leur monde.
Si les byzantinistes ont le plus souvent méprisé les Patria, sauf pour
quelques renseignements ponctuels (et généralement douteu.,) qu'ils en tiraient,
les historiens d'autres horizons se sont depuis longtemps attaqués à des œuvres de
même texture. Ils ont défriché et montré l'exemple. C'est justice de le dire ici.
Comme tous ceux de ma génération, j'ai suivi cette formidable « conquête de
l'Ouest » qui a décuplé notre territoire et nos thèmes de recherche : le
folklore, les traditions orales, l'imaginaire, la littérature ( qu'il ne faut surtout
pas dire) populaire, ont maintenant droit de cité. Je reconnais volontiers ma
dette; mais par goût - et accessoirement par principe -, je sacrifierai peu
au.,'C subtilités méthodologiques et encore moins au.,'C délices du comparatisme.
La recherche de 1 'historien diffère peu, à mes yeu.,'C, de l'expérimentation du
biologiste; pour être précise elle doit se faire au microscope; pour être rigoureuse,
elle suppose la maîtrise des éléments dont on étudie les corrélations, ce qui
justifie ici comme ailleurs les spécialités; pour être profitable, elle doit être
bien choisie et poser les bonnes questions : tout n'est pas historique, parce que
tout n'est pas intéressant. Je fonderai mes analyses, pour l'essentiel, sur un
petit corpus de moins de trois cents pages. Mon objet est limité, on jugera
s'il est exemplaire.
Encore faut-il préciser que je ne prétends pas épuiser ici la matière de ce
mince volume de textes. D'autres, je n'en doute pas, sauront élucider certaines
difficultés de langue et d'interprétation dont je n'ai pas trouvé la solution,
serrer de plus près les problèmes de datation et de tradition manuscrite, tirer
de ces notices sur les statues, les monuments, les églises, les quartiers, tout cc
qu'elles apprennent d'original sur la topographie et l'histoire de la ville.
Il est certain également que les Patria, pour être mieux compris, devront être
replacés dans un contexte historique encore insuffisamment connu. Lors de confé­
rences qu'il a données au Collège de France en 1983 et qui seront prochai­
nement publiées, Cyril Mango a montré que Constantinople sort des crises
qui l'atteignent atL'C vne et vme siècles exsangue et délabrée, avec une population
brutalement ramenée au niveau d'une ville moyenne de 30 ooo à 50 ooo habi-
AVANT-PROPOS 7

tants; elle flotte dans son enceinte redevenue trop large, ses édifices tombent en
ruine et ne sont plus restaurés, sa mémoire aussi fléchit. C'est à ce moment que
les patriographes prennent la plume pour tenter d'établir un lien entre ce qui
fut et ce qui est, entre ce qui se lit, ce qui se dit et ce qui se voit. Leur
culture naît de la destruction et de l'oubli, mais elle n'en est pas moins
cohérente; elle se consolide lorsque Constantinople a repris son essor; on la
retrouve pendant des siècles largement diffusée dans les chroniques, les ency­
clopédies, les récits de voyageurs et les innombrables petits textes que des
générations de copistes découpent et rapiècent; à chaque nouvelle crise elle
refleurit : 1204, 1453. Elle mérite donc bien d'être étudiée pour elle-même.

C'est d'un enseignement de séminaire (Collège de France, 1976-1978)


que ce livre est issu. J'espère qu'il en garde le sérielLx et la gaieté; il doit
beaucoup, en tout cas, à l'amitié et aux conseils des collègues qui ont
parrainé alors une entreprise téméraire et d'abord malhabile. Du séminaire au
livre il y a, comme on sait, un long et aride chemin, ponctué d'étapes où
Mme Ancttc \Veill, avec gentillesse et dévouement, a pris chaque fois sa
part du fardeau. Au terme, M. Paul Lemerle a bien voulu accueillir le
volume dans la collection qu'il dirige. Je n'aurai garde d'oublier le Centre
national de la Recherche scientifique, dont l'aide a rendu possible la publication.
INTRODUCTION

« ÉLOGES » ET « RÉCITS DES ORIGINES »

De la cité antique dont on voulait vanter l'excellence ou décrire les


singularités, on pouvait dire sans vraie contradiction et en changeant simplement
de registre, comme pour tel homme ou telle femme, soit qu'elle était conforme
à l'idéal que suggéraient la civilisation et ses modes, soit qu'elle était unique
par sa situation géographique, par son nom et par le faisceau d'anecdotes qui,
de sa fondation à son état présent, lui tenait lieu d'histoire. De ces deux
langages sont nés deux genres littéraires bien caractérisés, l' « éloge » et ces
« récits des origines » qu'on désigne du nom de Patria; deux types d'écrits
apparemment voisins, qui se complètent et parfois se confondent, mais qu'il
nous faut ici distinguer l'un de l'autre et opposer trait pour trait afin de
saisir le moment oü, d'une double convention, on passe à un jeu antithétique;
non plus à propos de la cité et de ses origines, mais de la ville et de son histoire.
L'éloge (laudes, È11.:wµLov) relève de la rhétorique; comme tel, il est
strictement codifié : on parlera, nous avertit Ménandre (de Laodicée ?), expert
en la matière du me siècle de notre ère 1, de la « situation » de la cité (0écnc;),
c'est-à-dire de son climat, de sa position géographique, de la campagne qui
l'entoure et des villes voisines, de son acropole, de ses ports naturels ou arti­
ficiels; ensuite de son « peuple » (yévoç), de sa fondation par un dieu, un héros
ou un colonisateur, de son origine barbare ou grecque, de la métropole
dont elle est issue, des bouleversements qui ont marqué son histoire; enfin de
ses « mœurs » (Èm-rriâe:ucre:Lç), autrement dit de sa constitution politique, de
son commerce et de sa culture, du caractère de ses habitants et des honneurs qui
lui ont été décernés. Si large que soit la grille ainsi définie, elle impose une
réduction des différences : l'idéal sera toujours d'équilibre entre montagne et
plaine, entre terre et mer, entre les arts et le commerce; toujours la qualité

1. Rhelorts Gra,ci, éd. Spengel, III, p. 346-367, éd. \\'alz, IX, p. 164-212; voir aussi
C. Bursian, Der Rhetor Aft11a11dros und seine Schriften, Ahh. bayer. Al.ad. d. Wiss. philos.-philol. Cl.,
16, Abt. 3, !'1.1unich, 1882. Bon résumé dans E. Fenster, Laudes Constantinopolitanae, :Munich,
1968, p. 5-13.
10 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE

l'emportera sur la quantité : une ville « trop riche » ou « trop peuplée »


n'est plus une cité 2• Dans tous les cas, sous la fausse apparence d'une description
individualisée, il s'agira de montrer la conformité de telle cité à un modèle auquel
on rapportera ses caractères propres à titre de simples variantes. Non seulement
la cité honorée ne mérite louange que par rapport à ce modèle poliade, mais
ce modèle lui-même n'est conçu que par rapport à l'homme; l'image sous­
jacente de tout éloge de ville est une allégorie, une personnification comparable
à celle qui figure sur ses monnaies. C'est ce qu'indiquait déjà Quintilien :
« Laudantur autem urbcs similiter atque homines; nam pro parente est conditor et
multum auctoritatis affert vetustas... » 3• Le fondateur est le père, l'antiquité de ses
origines confère à la cité l'autorité d'un vieillard, les habitants sont ses enfants.
Tout au contraire, les Patria partent d'un site, de sa toponymie, des
aspérités et contours de sa géographie, des traditions orales ou écrites sur son
passé, pour mêler en une histoire locale fortement contrastée légendes de
fondation, mythologie locale, jeux d'étymologie, souvenirs recueillis sur place :
toute une archéologie et une ethnologie libres et sans règles. Cette fois la
référence n'est pas faite à un modèle, à des idées, à une allégorie, mais à un lieu,
aux traces qu'il porte d'un passé vécu ou imaginé, à d'autres images, donc, et à
des représentations qui tirent leur cohérence des rapports entre la cité et ceux
qui l'habitent. Si l'éloge d'une cité s'adresse le plus souvent, à partir de l'époque
hellénistique, au prince qui l'habite, la conquiert, la visite ou la protège, les
Patria s'adressent au curieux, voyageur et surtout autochtone, et lui fournissent
des repères pour une double exploration dans l'espace et dans le temps.
Démarche apparemment simple, mais en réalité complexe et problématique,
puisqu'elle se situe à la fois, comme nous le verrons, dans la synchronie d'un
site et dans la diachronie d'une histoire. Si l'éloge est l'effigie d'une cité, les
Patria sont sa mémoire concrète et imaginative; concrète parce que fixée au
sol et aux pierres; imaginative parce que apte aux élaborations les plus
complexes à partir de quelques monumenta.
Beaucoup d'éloges nous sont parvenus, parce qu'ils s'apparentent aux
discours funèbres ou royaux, ou parce que leur caractère littéraire permet plus
facilement de les accrocher à un nom d'auteur 4; inversement, nous avons peu
de recueils patriographiqucs, sinon dépecés, en lambeaux, remployés selon des

2. Ain.si pour Libanios, Or., XI (A11tiochikos}, 270-271.


3. 111st. oral., III, 7, 26.
4. Cf. O. Schroder, De laudibu.s Athenarttm, cliss., Gottingen, 1914; \\'. Gcrncntz, Laudes
Romae, cliss., Rostock, 1919; A. D. Nock, The Praises of Antioch, Journal of Egyptian Archaeology,
40, 1954, p. 76-82; le célèbre discours d'Aelius Aristide « A Rome » (éd. Kiel, Or., XXVI).
Voir également la thèse récente de Nicole Loraw,, L'invention d'Athines, Histoire de l'oraisonfunlbrc
dans la « cil! antique », Paris, 1981.

Il
« ÉLOGES » E T « RÉC I TS DES O RIGINES » 11

curiosités diverses, comme les pierres des monuments qu'ils décrivent, dans
des histoires, des excerpta moraux, des lexiques. Ils sont bien attestés et mal
connus. Photius, au 1xe siècle, lit dans des « extraits variés » de Sôpatros des
passages des IIch·pw: µ<Xxe:�ovLxx de Théagène le Macédonien 6, dont nous
retrouvons quelques lignes dans les Ethnika d'Etienne de Byzance : un mélange
de mythologie et d'histoire partant de l'étymologie du nom des villes; du
même auteur on garde le souvenir d'œuvrcs semblables sur la Carie et sur
Egine s. Aréthas, au 1xe -xe siècle, connaît des II(hpt<X BLOuvwv 7 ; un peu plus
tard, le De thematibus de Constantin Porphyrogénète est nourri de cette littérature
dont le découpage dans les encyclopédies du temps achève la désagrégation 8 •
A l'origine se trouve sans doute la tradition alexandrine des x-:-lcrw; ou épopées
de fondation 9 ; mais le genre, mi-poétique mi-historique, semble connaître
un renouveau et avoir des spécialistes au..x v e -v1e siècles : Claudien écrit des
Patria de Tarse, Anazarbe, Bérytos, Xicée; Christodôros des Patria de Thessa­
lonique, Milet, Xaklè, Tralles, Aphrodisias 1 0• Tout ou presque est perdu, et il
n'est pas sûr que sous le titre de Patria nous n'ayons pas som·ent affaire à de
simples éloges 11 , à des ekphraseis ou à des épopées en vers 12 • l\.Iais le genre existe
et s'enrichit dans cette dernière floraison de la vie provinciale; il nourrit
]'Histoire d'Agathias 13 et la Chronique de Malalas u. Les fragments collectés par
K. Muller puis F. Jacoby 16 suffisent à révéler ]'ampleur de cette littérature

5. Photius, Bibliothèque, cod. 161, éd. Henry. II, p. 127; cf. Christ-Schmid-Stahlin, Griechische
Literalurgeschichte, 11 1 , p. 216; FHG, I\', éd. :-.!ülkr, p. 509-510.
6. FHG, IV, éd. :-.!üllcr, p. 510-5 1 1 .
7. l\ientionnés dans son Commentaire d e l'Apoca/_;pse.
8. Par exemple dans le chapitre sur la l\!acédoinc, éd. Pertusi, p. 86-88.
9. Christ-Schmid-Stahlin. op. czl.. 111, p. 147-148 et 213-234.
10. Ibid., 112, p. 960-961 ; Souda, s.v. Xp:cr-:6Sw�'lç. Citons encore des Patria d'Hermoupolis
par Herrnias d'Hermoupolis et des Patria d'Alexandrie par Horapollûn, cf. Photius, Bibliothèque,
cod. 279, éd. Henry, \'III, p. 187-188; Christ-Schmid-Stahlin, op. cil., IF, p. 973.
1 1 . C'est le cas du discours Etç -:x ::i-:pix 'Pwµ:r,ç de Kallinikos, dont un extrait est publié
par H. Hinck dans son édition de Polémôn (Leipzig, 1873. p. 43-44).
12. Ainsi les Patria de Constantinople et de Thessalonique composés en vers épiques par
Christodôros (Souda, /oc. cil.} et les lsaurzka qu'écrivent, à la gloire de Zénon !'!saurien ou
d'Anastasc vainqueur des !sauriens, Pamprépios, Christodôros. Candidus et, peut-étre un peu
plus tard, Kapitôn (Souda, s.u.; Photius, Bibliothèque, cod. ï9, éd. Henry, I, p. 161-166;
FHG, IV, éd. Müller, p. 133-137).
13. Référence, à propos d'une inscription de Tralles, à f; ::i-:pt'lç -:c.ü o1cr-:Eoç icr-:0p[x,
Agathias, Hist., II, 1 7, 6, éd. Keydell, p. 63.
14. Cf. G. Downey, References to Inscriptions in the Chronide of 1falalas, Transactions
of the American Philological Association, 66, 1935, p. 55-72.
15. Die Fragmmte der griechischen Historiker, III : Geschichte l'On StiidtC11 und Vôlkem, Auloren
über verschiedenen Stiidte, A (texte et commentaire des n°• 262-296), B (n°• 297-6oï) et C
(n°• 608-856).
12 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE

bien caractérisée, longtemps accessible, et qui a constitué, du vre au xe siècle,


une part importante de la lecture et de la culture.
La Byzance antique y a sa place : un ensemble d'ceuvrcs cachées bien
souvent sous l'expression anonyme ot 't"O:. Ilchptix cruyye:ypixcp6't"e:c;, que l'on
retrouve d'Etienne de Byzance à Constantin Porphyrogénète 1 • ; écrits poétiques
ou historiques, nous dit Hésychios qui en rebrasse la matière au vre siècle,
peut-être déjà fondus en une sorte de petit corpus 17 • Qu'y trouvait-on ? Des
traditions diverses sur Byzas le fondateur, l'étymologie légendaire de certains
toponymes, quelques souvenirs de la colonisation et des principales guerres,
des inscriptions réelles ou inventées, des oracles. Sans doute aussi quelques
historiettes du genre de celle qu'Athénée emprunte au Ile:pt Bu�ixv't"lou d'un
certain Damon 18 : ses compatriotes, dit-il, sont des ivrognes qui vivent dans les
cabarets en louant leur chambre - et leur femme - aux étrangers ; leur
stratège, Léonidès, pour les forcer à rester à leur poste sur les murailles lors
d'un siège de la cité, y avait fait établir des buvettes. Humour typiquement
patriographique. Il existait des ouvrages plus sérieux : de Léon de Byzance,
Tex XIX't"O:. <PlÀm1tov xd 't"à Bu�&v·nov, non pas des « philippiques », mais une
large monographie en sept livres sur Byzance au temps du siège de Philippe
(340 av. J.-C.) que la Souda connaît encore et qu'Hésychios, avant elle,
utilisait 1 9 ; sous le titre Traversée des Galates d'Europe en Asie, Dèmètrios de Byzance
avait composé lui aussi des Patria de sa cité d'origine 20 ; Trogue Pompée,
selon Justin, était l'auteur, vers la fin du re r siècle avant J.-C., de By.::.antii
origines 21 • Nous possédons surtout l"Ava1tÀouc; Bocr1t6pou de Denys de Byzance,
promenade mythologique écrite au ne siècle après J.-C., lue, connue de tous
les patriographes ultérieurs, commentée par Eustathe de Thessalonique au
xn e siècle 22 • Nous arrivons ensuite à l'époque où Constantinople relance la
curiosité sur Byzance, avec l'ceuvre en douze livres et en vers, maintenant
perdue, de Christodôros de Koptos (sous Anastase) et les Patria d'Hésychios de
Milet, qui seront le point de départ de notre enquête et forment transition

16. Etienne de Byzance, s.v. B6cmopoç : ol -.à r.:6:-.pL(l( �µwv è;71youµcvoL; Constantin
Porphyrogénète, De thematibus, 0cc. 12, éd. Pertusi, p. 100 : ol -.:l: r.::i-:-pw. auyye:yp'X96-.e:ç
Bu�mr:-[ou.
17. Hésychios, Patria, 2 (H 2) ; voir plus bas, p. 25-26.
18. Jacoby, op. cit., III B, p. 266 (n° 389).
1 9. Jacoby, op. cit., II B 1 (Zeitgmhichte; Spe::ialgeschichten, Autobiograpllien, Ztitafe/11) .
p. 676 (n° 132) ; Hésychios, Patria, 26 (H 26).
20. Jacoby, op. cil., II B, p. 889 (n° 162). Il n'en subsiste rien.
2 1 . Justin, 9, 1, 3.
22. Dio,rysii Byzantini Anaplus Bospori, éd. Wescher, Paris, 1874; éd. Güngerich, Berlin,
1 958; les commentaires d'Eustathe sont publiés par K. l\.füller dans ses Geograph1 Gratci
A1inores, II.
« ÉLOGES » E T « RÉCITS DES ORIGINES » 13

entre !'Antiquité et le Moyen Age, puisque leur auteur les concevait comme
un résumé des écrits anciens et que la tradition a fondé sur eux un genre
nouveau 23 .

Tout change, en effet, lorsque la cité devient ville et que le modèle


romain, après avoir repris en le déformant le modèle poliade, disparaît lui-même
dans les mutations de la société urbaine. Le rhéteur n'est plus en présence
d'un prince qui visite la cité et en reçoit l'hommage, mais de l'institution
impériale qui y pèse de tout son poids ; la fiction d'un face-à-face, qui était à
l'origine même de l'éloge, ne tient plus ; les mots s'alourdissent ou font
défaut. De son côté, le patriographc ne peut plus se contenter d'égrener
quelques fables et quelques souvenirs issus des fugitives rencontres de la cité avec
l'histoire; il lui faut présenter conjointement une vision de la ville et du monde,
de la ville dans le monde et dans la continuité du temps. Mais la ville n'est
plus le symbole d'une permanence; clic devient le lieu où se marquent le plus
visiblement les ruptures, les destructions, les abandons. Historiquement, elle
est un paradoxe; les traces laissées par le passé, monuments plus ou moins ruinés,
souvenirs épars sur fond d'oubli, échos déformés d'une littérature savante
qui n'a plus de lecteurs, appartiennent au présent le plus vivace; d'un héritage
contraignant, mais qui n'est plus compris, on fait un imaginaire docile. Qui
habite Athènes, Alexandrie, Rome ou Constantinople, est quotidiennement
convié à ce jeu qui a ses règles et ses réussites. L'histoire urbaine relève avant
tout du mervcillc1Lx : d'oü les titres des recueils qui prennent parfois la relève
des antiques Patria : Mirabilia, 0e:ixµoc7oc, 0ocuµoc7oc.
De cette confrontation du présent et du passé sont nées, à des époques et sous
des formes très différentes, quelques œuvrcs dont l'analyse rapide nous permettra
de mieux comprendre l'originalité des Patria médiévaux de Constantinople.
Cc qu'on appelle un peu pompeusement les 1.Hirabilia d'Athènes ne repré­
sente guère que trois folios dans les manuscrits tardifs qui nous les conservent
sans nom d'auteur et sous le titre ajouté de T?: Oloc7poc xoct 3t3occrxoc).ûoc
7WV 'AO-,ivwv �• : un guide, très sommaire et légendaire, des « curiosités
d'Athènes », composé vers 1460 le duché d'Athènes vient de disparaître; les
Turcs sont là, mais le Parthénon n'est pas encore devenu mosquée) par une
sorte d'érudit local qui tente d'ajuster le nom de personnages célèbres ou la

23. Yoir plus bas, p. 23-25.


24. Le texte, édité pour la première fois par Ludwig Ross en 1840, a été repris par le
comte de Laborde, .!thè11es atL, XV•, XVI•, XVII• siècles, Paris, 1854, I, p. 15-31, par C. \\ achsmuth,
Die Stadt Athen, Leipzig, 1874, I, p. 731 -741, et par G. Konstandinidès, 'lo--;02[:x -;wv ' AO·r,vwv,
Athènes, 18ï6, p. 498-501 ; corrections de R. Forster, Athenischt .\Iitteilu11gm, 8, 1883, p. 31 s.
CO.NSTANTIXOPLE IM AGIXA IRE

mention d'événements historiques encore connus de lui à cc qui reste des


monuments du site, une histoire en ruine à une cité en ruine. L'intérêt du
texte est bien moins dans les indications topographiques qu'il fournit que dans
une maladroite élaboration qui s'accommode de toutes sortes d'erreurs, lacunes et
déformations singulières. La visite part de l'Académie et nous fait reconnaître,
chemin faisant, les lieux où enseignèrent les Eléates, Platon, Polyzèlos, Diodore,
Socrate, les Cyniques, Sophocle, Aristote... , les maisons ou palais d'hommes
célèbres : Thémistocle, Kléonidès, Miltiade, Polémarchos, Thucydide, Solon,
Alkméon, Mnèsarchos. Parfois sont donnés, comme autant de repères, les noms
des lieux-dits auxquels correspondent ces évocations fabuleuses dans la bourgade
du xv e siècle 25• La porte d'Hadrien et le temple de Zeus Olympien sont
englobés dans un « palais des douze rois », parce que l'auteur a cru lire sur
une inscription « les noms d'Hadrien et de Thésée ». Histoire et mythologie se
combinent sous des parrainages douteux, après Cécrops le fondateur, les douze
rois construisent avec soin, « comme disent Abaris et Hérodote », les monuments
qu'on nous désigne 26• Les thèmes de l'iconographie antique ne sont plus iden­
tifiés, et telle sculpture d'un fronton ou d'une frise est décrite naïvement comme
« dix-neuf personnages qui en poursuivent un autre » 2 7 • Le christianisme
a sa part : un temple d'Hèra transformé en église de la Théotokos, « l'endroit
où !'Apôtre Philippe plongea le scribe dans l'eau » 28• Les deux derniers
paragraphes concernent l'Acropole, où le visiteur doit reconnaître en passant
une petite école de musiciens fondée par Pythagore de Samos, le palais et la
chancellerie du duché médiéval, l'école des Stoïciens face à celle des Epicuriens,
le Parthénon enfin, défini comme « le sanctuaire de la Mère de Dieu, que
bâtirent Apollôs et Eulogios sous le vocable du dieu inconnu » 29 •
Cette surprenante contamination, à propos du temple d'Athèna devenu
église de la Vierge, de la référence paulinienne au « dieu inconnu » et de la
légende « théosophique » sur Apollon prédisant la naissance du Christ donne
une des clés de l'œuvre. Silvio Giuseppe Mercati a bien montré qu'il fallait
rattacher les Afirabilia d'Athènes à un texte qui devait les précéder : une
historiette mise sous l'autorité d',\thanase, où l'on voit Apollon fonder à Athènes

25. Ed. Laborde, op. cil., § 1, p. 1 7 : l'Acadc'mie se trouve Èv zw;;(c,> -:c�,v �:tcn).Lxc';,v,
l'école des Eléates d; ":()'JÇ rxµ;:EÀr,;ci;rr,,•1�. et celle de Platon d� -:o
;::xp8dcnov.
26. Ibid., § 9, p. 19. Le nom d',\baris, l'hyperboréen qui parcourait If' monde saru
nourriture et volant comme une flèche d'or, peut dériver d'Hfrodoti:, I\', 3G ou de Platon,
Charmidt, 158 b.
27. Ibid., § 5, p. 18.
28. lb,d., § 3, p. 18. Confusion avec Actts 8, 38 (baptême d'un eunuque éthiopien par
Philippe en Palestine) ?
29. Ibid., § 1 0- 1 1 , p. 19-20.
« ÉLO GES » ET « RÉC I TS DES O R I GINES »

un temple « au dieu inconnu », y réunir sept « philosophes » et leur délivrer


un oracle sur �1arie 30 • Le thème remonte sans doute au ve siècle, et il n'est pas
proprement athénien; mais il est intéressant de constater qu'une légende
« savante », qui se proposait de mettre en accord l'enseignement des grands
philosophes de l'hellénisme et les révélations de la foi chrétienne, est finalement
intégrée à la représentation « populaire » que pouvait donner de sa ville un
Athénien du xv0 siècle. Chrétien, il ne peut comprendre Athènes que si le
christianisme y est en germe dans la cité des philosophes, ce que résume hardiment
l'évocation d'un Apollon qui n'est plus ni dieu ni philosophe, mais simple
bâtisseur d'un temple qui attend la Mère de Dieu. La fonction des Afirabilia
est ici de projeter tous les souvenirs épars d'une ville sur ! 'espace cohérent d'un site.
Les discontinuités disparaissent; Athènes devient tout simplement une cité
païenne faite d'écoles et sur laquelle veille depuis toujours la Vierge. Et l'auteur ?
On aurait envie de dire qu'il importe peu, s'il ne faisait constamment sentir sa
présence par de mauvaises lectures d'inscriptions, par des références absurdes
et par un appareil de fausse culture qui lui donne autorité. Ce niveau de
culture, à mi-chemin entre le folklore et la vraie littérature, est aussi celui des
Patria de Constantinople 3 1 •
Peut-être !'Abrégé des Aferveilles, écrit vers l'an mille par Ibn \Vasif �ah
d'après ce qu'il appelle à plusieurs reprises les « cahiers des Coptes », est-il l'abou­
tissement d'une tradition patriographique ancienne concernant Alexandrie et
l'Egypte 32 ; plus d'un passage sur les talismans et les statues trouvent des
parallèles dans les Patria de Constantinople 33 • Mais l'Islam marque ici une trop
forte coupure, et les traditions locales se fondent dans une littérature du merveil­
leux qui ne connaît même plus les faibles contraintes d'une apparente historicité
et la logique des légendes locales.

30. S. G. }.fercati, �oterella sulla tradizione manosrritta dei Afirabilia urbis Athmarum,
Studi e Testi, 233 }.1élanges Tisserant, III), Vatican, 1964, p. 77-84; PG, 28, col. 681-684
et 1428-1432. C'est le Vatic. gr. 1896, qui réunit les deux textes. Sur les oracles chrétiens
d'Apollon, voir plus bas, p. 102 et 153 n. 102.
31. Voir plus bas, p. 34-40 et 58-6o.
32. Trad. Carra de \'aux, Paris, 1898. L'auteur n'a pas écrit en 1 209 comme on le dit
souvent, mais vraisemblablement deux siècles plus tôt, cf. A. l\fiquel, La géographie du monde
musulman jusqu'au milieu du XI0 siècle, I, Paris, 1967, p. xxxv. Je ne connais aucune étude
approfondie sur cet ouvrage. Qui voudrait retrouver les traces de Patria d'Alexandrie à travers la
littérature arabe, devrait partir du long compte rendu de G. l\faspero dans le Journal des
Savants, 1899, p. 69-86 et 154-172, et de la riche introduction de G. \\ïet à L'Eg;pte 1U
Murtad1 fils du Ghaphiphe, Paris, 1953.
33. }.louche de cuivre qui éloigne les mouches, représentation de lion qui empêche les
lions d'approcher, statue d'Isis qui contraint les femmes à avouer leur adultère, Abrégé des
Afen·tilles, trad. Carra de \'aux, p. 184, 201 -202, 243, 285. Voir plus bas, p. 111 et 140.
16 C O NS TANTIXOPLE HfAGI.\'A IRE

C'est à Rome qu'on aimerait comparer Constantinople. D'une ville à


l'autre, même épaisseur d'histoire, même densité monumentale, des ruptures
historiques que dissimule également la continuité d'une occupation du site et
d'une civilisation. Pourtant la genèse des Mirabilia urbis Romae est très différente
de celle des Patria de Constantinople. Il a fallu le travail d'érudition de
R. Valentini et G. Zucchetti 34 pour montrer les étapes d'une curiosité qui
combine progressivement, mais d'abord très sagement, topographie et histoire.
Aux régionnaires ou inventaires monumentaux antiques, le christianisme ajoute
ses catalogues de lieux saints et la chronique du Liber po11ti.ficalis. La description
de la ville s'organise en itinéraires, au long desquels on relève des inscriptions 3�.
Dès la fin du vme siècle, les ambitions carolingiennes ne sont pas étrangères au
souci de faire fructifier le patrimoine romain; plus tard, la renovatio de l'Empire
occidental et la réforme pontificale expliquent peut-être le climat dans lequel
apparaissent les l\,[irabilia proprement dits, dont la première rédaction semble
dater de 1 1 40- 1 1 43 35 • S'y trouvent réconciliés et brassés tous les passés légués
par Rome am< Romains ; au prix bien sûr de quelques légendes : l'église
Santa Maria Ara Cœli doit son nom au fait qu'Auguste, éclairé par la Sibylle,
y a élevé un autel au fils de Dieu 37 ; Praxitèle et Phidias, « philosophes » venus à
Rome au temps de Tibère, reconnaissent dans une statue de Castor et Pollux
domptant des chevamc l'annonce de la victoire du Christ 38 • L'élaboration
légendaire a donc ici un peu la même fonction qu'à Athènes, et relève du « bon
usage » des monuments.
De Rome à Constantinople, nous verrons combien diffèrent les thèmes,
les intentions politiques, les dates et les étapes de l'écriture. Une chose est
néanmoins frappante : les deux grandes villes de la romanité ont toutes
dem, laissé des textes qui, par sédimentation et strates successives, nous renseignent
sur les rapports qu'ont entretenus d'âge en âge leurs habitants avec les sou\·cnirs
de leur passé et le décor monumental enclos dans leurs murs. Cc qui n'était

3-1,. Codict topografico della città di Roma, I-l\- Fo11li per la storM d'Itr.lia, rnl. 81, 88, 90
et 91), Rome, 1910-1953.
35. Loc. cit., II (rnl. 88}, p. 157-175 : 8_r/loge epigraphica conscrvl'C au couvent d'Einsicdrln
dans un manuscrit du x1v•-x\•c sièdc; le modèle semble remonter au 1x•-x• siècl e et s'111spir�r:11t
d'une- c-ompilation du vm• {De Rossi. Inscr. Christ., II, p. 18 s.).
36. Mirabilia, III (vol. 90), p. 3 s.
37. .\Iirabilia, 11, ibid., III (vol. go), p. 28-29. La légende C!ôt ch:j.i connue de :-Jalal.LS
(Bonn, p. 231-232), qui se rffüe à un certain Timothfos; die est reprise par la Souda, s t·.
A·�yo'J0"7',:;; elle apparait en Occident <l,lfü le Latnculris 1mJ,tratnrwn ,\la/alianu.s, ,-.l. �louuns�n,
AflIG a.11., XIII, p. 4i8-.p9. Son origme et son <l<'\'clopp<"mtnt 0111 ,té <:tLd1és notamment
par K. Pracchtcr. B:::_, 5. 18�6, p. -1,9;, n. 3, et par li. Aurenhammcr, m Lnrkon dtr
christlichm lko11ograph1r, l (\'irnnc, 1 9ti8}, p. 226-227.
38. •\lirabi/111, 12, ibid., III (,· ol. go), p. 30-31.
« ÉLOGES » E T « R É CITS DES OR IGINES » 17

d'abord que « récit des origines » , itinéraire concerté, description des curiosités
urbaines, est devenu une littérature originale, un genre qui vit, se transmet,
se transforme, se nourrit de propos entendus autant que de références livresques,
profite de la moindre confusion, ressemblance ou ignorance pour s'envoler.
Dans les deux capitales s'instaure un jeu déconcertant et fascinant entre un site
dont la permanence tient lieu de continuum historique, des hommes dont la
mémoire est imparfaite, en tout cas sélective, mais qui ont conscience d'être là
par droit de succession, et des monuments d'époques diverses qui, par leur
présence et leur juxtaposition, servent de support à une libre reconstitution du
passé.
Dans les textes qui nous intéressent ici, le monument n'est pas un souvenir;
il est d'abord un sens oublié. Et à la limite de cet oubli (que l'on peut souvent
croire volontaire), du spectacle d'un passé qui n'est plus vraiment histoire, naît
une culture; une culture faite par et pour les habitants d'une ville.

Athènes modestement, Rome glorieusement renouent avec l'histoire et


accommodent leurs restes; les Mirabilia, dans les deux cas, font le pont entre
deux époques séparées par de longs siècles d'oubli et de stérilité. A Constanti­
nople se produit un phénomène comparable, quoique de bien moindre ampleur,
avec la crise des vne-VIne siècles qui fait tomber la population à un niveau
démographique très bas et laisse une partie de la ville à l'abando n ; mais
la coupure la plus importante est d'un autre ordre ; elle se place (ou plus
exactement est placée) en 330. C'est à cette date précise que se réfèrent cons­
tamment la littérature rhétorique qui nous présente une Constantinople idéo­
logique (une Konstantinopelidee comme disent plus commodément que nous
les Allemands) et la littérature patriographique qui nous propose une Constan­
tinople imaginaire. Les Patria continuent donc ici de faire contrepoids à
l' « éloge ». Il nous faut explorer sommairement les points sur lesquels porte
cette opposition, pour comprendre comment on peut parler de la même ville
de deux façons différentes.
Les Laudes Co11Sta11tinopolitanae rassemblées naguère par E. Fenster 39, et qui
s'échelonnent du rve au xv e siècle, comptent assez peu d'ouvrages en forme.
On les rencontre surtout, et ce n'est pas un hasard, lorsque Constantinople n'est
pas encore tout à fait confirmée dans son rôle de capitale (Discours d'Himérios
ou de Thémistios au ive siècle) ou lorsqu'elle en est déjà plus ou moins
déchue, après 1204 (Discours de Manuel Holobolos et de Georges de Chypre).
Mais les thèmes d'lyxwµwv, allusifs ou développés, se reconnaissent facilement

39· Collection des Afisctlla11,a By.::anti,,a Afonacensia, 19, Institut fur Byzantinistik und
neugr iechische Philologie, ;\lunich, 1968.
G. DACRON
CO.NS TA.NTJ.\'OPLE IMAGI.VAIRE

sur dix siècles d'histoire littéraire dans tel poème de Grégoire de Xazianze ou
de Jean le Géomètre, dans telle lïe de saint (Théophanô, Jean Akatzios), en
préambule d'une Novelle impériale, d'une Chronique, d'un traité, ou au détour
d'un commentaire de l'Apocaf;pse. On peut tirer de ces formules répétées une
sorte de définition « idéologique » de Constantinople : antique cité de Byzas,
construite sur le « bon côté » du Bosphore, c'est-à-dire sur la rive européenne et
non asiatique 40 ; ville éponyme de Constantin ; reine de l'Empire et centre du
monde puisqu'elle abrite l'empereur en son palais ; « Deuxième » et « Nouvelle
Rome », qui doit sa haute destinée à sa piété et à son orthodoxie; « Nouvelle
Jérusalem », donc, et « Nouvelle Sion », protégée par Dieu, par la Vierge et par
ses innombrables reliques; par ses remparts aussi, réputés imprenables; phéno­
mène urbain sans précédent; ville riche, luxueuse, consommatrice de biens; mais
aussi nouvelle patrie de la beauté et de la culture, « foyer des Muses »,
« Nouvelle Athènes » sur laquelle le monde a les yeu.x fixés. Tous ces éléments
ne sont pas d'égale importance d'un siècle à l'autre : le religieux recouvre
progressivement le politique et la 6eoi:puÀixx,oç 1t6Àtç supplante peu à peu la
« Nouvelle Rome » 41 ; la référence à l'hellénisme apparaît surtout à partir des
Comnènes 42 • Il ne s'agit pourtant que de dosages, de variations lentes et
contrôlées, avec parfois les échos discordants d'auteurs qui dénoncent en
Constantinople une ville d' « illusions », corrompue, sans vrai passé 43,
trahissant l'Empire et détournant l'empereur de son rôle, tous griefs qui, en
substituant une idéologie anticonstantinopolitaine à l' « idée de Constantinople »,
font mieux sentir le poids de cette dernière.
A ces formules martelées mécaniquement, les historiens modernes ont fait
trop bon accueil. Les Byzantins s'en accommodaient moins bien et savaient
mieux reconnaître ce qu'elles dissimulaient de contradictions et de faux­
semblants". L'un des principaux intérêts des Patria qui s'élaborent entre
le vme et Je xe siècle est peut-être de nous montrer comment à chaque élément

40. G. Dagron, Naissance d'une capitale, p. 18, 29-3 r, 68-70.


4 1 . L e terme apparait dans une Novelle d'Héraclius, Zépos, JGR, T, p. 36 (cf. E. Fcmtcr,
op. cit., p. 104 et n. 2) ; l'idée d'une protection divine est évidemment bil'n antérieure, mais
s'impose dans le vocabulaire officiel après le siège de 626. \"oir aussi P. AlcJ<ander, The
Strength of Empire and Capital as seen through Byzantine Eyes, Speculwn, 37, 1962, p. 345-347.
42. E. Fenster, op. cil., p. 119, 147, 2 1 7, 2.43-244, 276-277, 28� .
43. Par exemple Libanios, ,p. 399, éd. Forster, X, p. 39:1 (cf. E. Fenster, op. cit., p. 42-44);
.\6yoc; YO•JOg-:Lxo; ;:pl,; �xm)hx, 25, in Cecamneni Slratrgicon, éd. \\'assiliewsky-J ernstcdt,
p. 103-104; pour les xu•-xm• siècles, voir les textes analys<'s par H. Ahrweikr, L'expéri<"nce
nicéenne, DOP, 29, 1975, p. 25-28.
44. Cf. G. Dagron, Reprt's entations de !'Ancienne et de la ">cuvelle Rome dans le! sourct·s
byzantines des vn•-x11• siècles, in Roma, Costantinopoli, ,Hosea (Da Rama alla Ter:.a Roma,
Docummti t Studi, I), Naples, 1983, p. 295-306.
« ÉLOGES » ET « RÉCITS DES O R IGINES »

de cette rhétorique officielle correspond un doute, une interprétation divergente,


une image opposée. Constantinople est, dit-on, l a « ville de Constantin » :
c'est oublier un peu trop vite la vieille cité mégarienne, les liens de Byzance
avec la terre de Thrace, tout un passé préromain et préchrétien. Il suffira
de creuser le sol remblayé par l'empereur fondateur pour trouver des stèles,
des tombes, des ossements fabuleux. Là-dessus s'exercera l'imagination des
Constantinopolitains; dépossédés de leur histoire, ils se découvrent un sous-sol
qui recèle toutes sortes de secrets, d'énigmes, de preuves d'une illégitimité
présente : un Byzas prêt à resurgir pour renverser Constantin. Constantinople
est, dit-on, ville impériale, c'est-à-dire ville de l'empereur et reine de l'Empire ;
mais le contentieux entre la cité et l'institution impériale ne se règle pas aussi
aisément ; on rappellera sans cesse que Byzance fut rebelle et dissidente en
prenant le parti de Pescennius Niger contre Septime Sévère, puis de Licinius
contre Constantin le Conquérant; pour décrire le jeu « politique » qui s'organise
dans le champ clos de la capitale, on usera du langage des courses de
!'Hippodrome, qui peut mettre en cause la légitimité de l'empereur, fût-ce
pour rire; on peindra des souverains toujours un peu trop petits et trop frêles
pour les vêtements qu'ils portent, seuls et guettés par un destin dont le peuple
est à la fois le spectateur narquois et l'instrument. Ce discours libérateur que
les Patria tiennent sur Constantinople en mobilisant tout un patrimoine de
pierres et de souvenirs est, en fait, une réponse. Les principales obsessions et les
plus fortes images « patriographiques » que nous étudierons naissent du refus
d'une idéologie qui, comme faisait l' « éloge » antique, dépersonnalise la ville.
Refus, humour et gouaille, ou tout simplement ignorance délibérée. Avant
de pénétrer dans le dédale des textes, étonnons-nous de quelques silences. Le
grand absent des Patria, c'est l'Empire. Constantinople n'est rien d'autre qu'une
ville ; une ville si riche de substance qu'elle peut se passer d'horizon; une
ville qui reste, pour des empereurs qui passent. Le christianisme aussi, cette autre
dimension de la romanité, y est relativement discret; l'orthodoxie et ses saints
n'y font pas la loi : on dénombre les églises des quartiers, on parle un peu de
saint André, plus longuement de la construction de Sainte-Sophie en un
récit de sens ambigu, mais cette religion que Constantin apporte dans ses
bagages est trop présente, trop pesante peut-être, pour s'imposer à la curiosité
et pour faire rêver. On préfère imaginer des temples et faire parler des
philosophes. Dans leur flânerie entre histoire et topographie, les patriographes
ne cherchent pas la réalité mais les mystères du quotidien, les ombres ou l'envers
du décor. Après les antiquaires de la Nouvelle Rome (Lydos au vxe siècle) et
avant les nostalgiques de la vieille capitale (Tzétzès et Nicétas Choniate
aux xue -xxne siècles), ils créent une Constantinople bien à e1Lx .
CHAPITRE PREMIER

GENÈSE DES TEXTES


ET NAISSANCE D'UN GENRE

Les Patria de Constantinople ont sans doute sur les lvfirabilia de Rome
l'avantage d'une plus grande cohérence. Le recueil qu'ils constituent est
cautionné, avant l'intervention et le choix de la critique moderne, par une
large tradition manuscrite qui avait déjà au x e siècle opéré le regroupement
des textes sous un titre générique et procédé à leur refonte, mais d'une façon
grossière et maladroite qui laisse apparaître les emprunts, sutures et remanie­
ments. Se devinent ainsi la progressive élaboration du corpus et, au-delà, la
genèse d'un genre qui acquiert peu à peu ses thèmes, ses modèles, son vocabulaire.
Fort heureusement, l'édition donnée au début du siècle par Theodor Preger
suit d'aussi près qu'il est possible ce lent travail de recomposition et de réécriture,
et au lieu de fournir la version moyenne, dans un style uniformisé, de cc qui eût
dès lors fâcheusement ressemblé à une œuvre d'écrivain, laisse bien visibles
les strates successives et le travail du temps. Le choix du philologue sert ici
l'historien en gardant au.x Patria de Constantinople leur originalité la plus
précieuse : le mouvement de création continue dont ils témoignent du vie
au xie siècle.
Le volume ainsi composé comprend 1

I . Trois écrits indépendants, isolés, antérieurs à la collection patriogra­


phique du xe siècle qui les reprend et les assimile : 1) H (Preger, p. 1 - 1 8) :
sous le titre de IT&-rptix Kwvcr-rixv-.Lvoun:6Ài::wç, qui s'étend plus tard à l'ensemble,
un extrait résumé de !'Histoire d'Hésychios de Afilet, connu par le seul Palatinus

1 . Je ne donne ici qu'une présentation sommaire de l'édition de Th. Preger, Scriptores


originum constantinopolitanarum, Leipzig, 1-11, 1901-1907. Tout au long du livre les différentes strates
du recueil sont désignées par les initiales H, P , D, K I , K II, K III, K IV, suivi du numéro
du paragraphe et éventuellement de la page. Les deux tomes de l'édition ayant une pagination
continue ne sont pas distingués.
22 COJ\'ST.L VTI.\'OPLE I.UAGI.\'.HRE

398 (xe siècle) ; 2) P 'Preger, p. 19-73) : une suite de « Brè\·es notice� histo­
riques » (Tio:pcxa,œcrelç cruv-roµol zpovLxcx[) sur les monuments et mcrYcilles de
Constantinople; un manuscrit unique, le Parisinus gr. 1336 (x1e siècle) nous
en donne ce qu'on serait tenté d'appeler le texte « original » du vme siècle,
s'il ne s'agissait plutôt d'une étape dans la transmission et de la provisoire
stabilisation d'une tradition qui semble partir du vie siècle et qui aboutit,
assagie et remodelée, au corpus du xe ; 3) D (Prcgcr, p. 71-108) : un récit
difficilement datable entre le vme et le x c siècle, sur la construction de
Sainte-Sophie par Justinien (�l�y-t;crlç n-epl 'T'Îj c; otxoôoµ'r,c; ·roG V!Xov -:r,ç µey&À"t)Ç
-roü 0eoü ÈxXÀ"t)cr(cxc; 'T'Îj c; brnvoµcx�oµÉv"t)c; 'Ay(o:ç �oip[o:ç), où renseignements
historiques précis et observations directes sont pris dans la trame d'une légende.
L'œuvre a une tradition manuscrite propre; elle se trouve reprise non seulement
dans les Patria du xe siècle, mais aussi dans certaines chroniques postérieures :
Glykas, Dorothée de Monemvasie.

II. La collection patriographique mise tardivement sous le nom de Kodinos,


et qui semble remonter aux environs de 995. Elle nous donne la forme sous
laquelle les Patria de Constantinople connurent leur plus large diffusion
64 manuscrits recensés par Preger, auxquels on peut en ajouter quelques
autres 2. Le recueil contient : 1 ) K I (Preger, p. 135 - 1 50) : une Yersion remaniée
de l'épitomé d'Hésychios ; 2) K I I (Preger, p. 1 5 1 -209) : un chapitre « sur les
statues », nourri des « Notices brèves » mais aussi d'autres sources concernant les
monuments de Constantinople; 3) K I I I (Preger, p. 2 1 4-283) : après un texte
parasite sur les huit premiers conciles 3, un ensemble de 2 1 5 paragraphes
« sur les fondations », extraits peut-être d'une chronique; 4) K IV (Preger,
p. 284-2 89) enfin, une reprise du « Récit sur la construction de Sainte -Sophie »,
augmenté de quelques additions.

III. Preger, p. 290-313 : un remodelage qui ne touche ni au fond ni à la


forme mais à la seule ordonnance des textes, donné par diverses « recensions
topographiques », dont l'une est dédiée à Alexis I Comnène ( 108 1 - 1 1 18).

2. Le plus intùc-ssant est sans doute le Sùzaïtiws gr. , , 17, <lu cJ,.but du x1v• siêck,
,
fol. 280 -o - 2ca ,-<>; rf. \'. I. Bcnc'cnè, Opisa,.ie greéesl.ih ruJ.1,pisej mornzsllr;a SijatoJ Ll.aterin_r,
I, p. 266-293 (n° 483), où ks Pa!ria sont signalés p. 279. I l s'agit d'un recueil principalement
c::monique dont le copiste a une belle i·criturc de professionnel. Le texte est proche <le
celui de G (Paris. Suppl. gr. 657).
3. Cf. J. �{unitiz, Synoptic Greck Accounts of the Se,·cnth C.ountil, RI li, <J2, 191,},
p. 1.17-186.
GENÈSE DES TEXTES E T NAISSANCE D ' UN GENRE

Les Pa tria « d'après Hésyc/zios »

En tête du recueil, donc, et au point de départ, des Patria au sens le plus


classique du terme : un récit des origines et du lointain passé de Byzance,
s'interrompant lorsqu'apparaît dans sa forme et son actualité historique la
ville de Constantin; un texte qui a le rare privilège d'être rattaché au nom
d'un auteur dans le titre que lui donne le très attentif Palatinus 398 :
Ilchpux KCùVO"TO(V'tWOU7tOÀ€CùÇ XO(TIX 'Hcruxwv ' lÀÀoucr-rpwv; non plus vraiment
l'œuvre d'Hésychios, mais un extrait, résumé ou adapté, taillé dans son œuvre
historique perdue et glissant déjà vers l'anonymat auquel il est ensuite voué'. Le
lien que nous pouvons établir entre ce premier maillon de la chaîne patriogra­
phique et la littérature érudite du vr e siècle, pour nous si précieux, tient à
cette seule mention d'un copiste.
Il nous permet d'abord de comprendre comment la tradition d'une œuvre
peut aller à contre-courant des intentions de son auteur. Hésychios avait
composé une 'fo-roplO( 'PCùµO(LX� -re XO(L 1tO(VToi)0(1t·� 5 autrement appelée Xpov(x�
tcr-rop[0( 8 , une histoire universelle qui partait du règne de Bel !'Assyrien et
s'achevait à l'époque contemporaine avec la mort d'Anastase en 5 1 8, couvrant,
selon le comput adopté, mille cent quatre-vingt-dix années et plaçant la
romanité au cœur d'une continuité et d'une économie temporelle. Les six
« sections » de l'œuvrc sont notées par Photius, qui lisait encore l'œuvre
intégrale vers 838, comme autant de jalons, d'étapes et de difficiles transitions
orientant successivement le destin du monde : la prise de Troie, à la fin du

4. Le Palati,1us gr. 398, de la première moitié du x• siècle, réunit des excerpta de mytho­
graphes, géographes, épistolographes, paradoxographes, des lettres d'Hippocrate, une chresto­
mathie de Strabon et, aux fol. 209 r0 - 215 r0, l'extrait d'après Hésychios. Cet important
manuscrit a été rattaché à une « collection philosophique » qui remonterait aux dernières
décennies du 1x• siècle et nous permettrait de saisir, sinon l'activité d'un groupe de lettrés
animé par Photius, au moins l'un des aspects de la renaissance des lettres à cette époque.
Cf. T. W. Allen, Palaeographica Ill, A Group of Ninth-Century Greek Manuscripts, The
Journal of Philolog)", 2 1, 1893, p. 48-55; A. Dillcr, The Scholia of Strabon, Traditio, IO, 1954,
p. 29-50; J. Irigoin, L'Aristote de Vienne, JOB, 6, 1957, p. 5-10, et la mise au point de
P. Lemerle, Le premier humanisme byza11ti11, Paris, 1971, p. 218-219. Un récent article de O. Musso
(Sulla struttura del cod. Pal. gr. 398 e deduzioni storico-lctterarie, Prometheus, 2, 1976, p. 1-10)
apporte peu et aboutit à la conclusion douteuse que le recueil fut commandé par Constantin
Porphyrogénète. L'extrait « d'après Hésychios », qui porte dt'j à le titre de Patria dans le manus­
crit de Heidelberg, a été édité par Jean Meurs (Lyon, 1613), Orelli (Leipzig, 1820), repris
par K. :\1uller (FHG, IV, p. 146-154), Preger que nous suivons, et F. Jacoby (Die Fragmente der
griechischen Jlistorik,r, III B, p. 266-272, n° 390).
5. Photius, Bibliothèque, cod. 69, éd. Henry, I, p. 101.
6. Souda, s.v. 'IIauzwç �lLÀ+,moç.
C0NSTANTIX0PLE l.HA CI.V.1 /RE

premier livre, déplaçait tout à coup l'intérêt de l'Orient vers l'Italie; la fondation
de Rome, l'instauration du pouvoir consulaire après le renversement de la
royauté, et l'établissement du pouvoir personnel de Jules César formaient le
corps de l'ouvrage; s'ouvrait enfin, en 330, une nouvelle page de l'histoire de
Rome dans le décor de Constantinople 7 • Cette vaste architecture mettait la
nouvelle capitale en point de mire. Orientale, elle revenait au berceau de la
civilisation ; romaine, elle héritait toute légitimité politique; chrétienne, elle
signait une nouvelle traite sur l'avenir. Le fragment isolé et seul conservé sous
le titre de Patria avait dans cet ensemble un but très précis. Il se situait soit
à la fin de la cinquième « section » (« depuis la dictature de Jules César
jusqu'au moment où la ville de Byzance atteignit à un grand renom de
puissance, au début de la CCLXVIIe olympiade »), soit au début de la
sixième (« qui commence au moment oü Constantinople eut le bonheur d'avoir
Constantin pour souverain »), et il donnait un arrière-fond au transfert de
capitale, une préhistoire locale à Constantinople, dont la véritable histoire,
avant 330, devait être cherchée à Rome. De l'ample chronique on n'a donc
retenu et conservé qu'une transition, un maladroit rattrapage destiné à faire
se rejoindre deu.x lignes distinctes, l'une historique qui menait de Romulus à
Constantin en ignorant Byzance, l'autre géographique qui allait de Byzance
à Constantinople en ignorant Rome. Une histoire d'un côté, un site historique
de l'autre.
Qu'il y ait eu là une sorte de parenthèse dans la Chronique primitive, le
texte conservé l 'indique bien, qui commence par une récapitulation (II r) :
« 362 années s'étaient écoulées pour l'ancienne Rome depuis la monarchie
de César Auguste, et les affaires de la ville touchaient désormais à leur
fin 8, lorsque Constantin, fils de Constance, se saisit du pouvoir et fonde la
Nouvelle Rome, prescrivant qu'elle aurait égalité de titres avec la première.
Déjà elle avait connu tyrans et rois en grand nombre, avait fait l'expérience
de régimes aristocratiques et démocratiques, pour parvenir finalement à la
grandeur susdite. Il nous faut donc dire quelles furent ses origines et qui la
colonisa. » Et après une rapide esquisse qui s'attarde un peu sur Byzas,
raconte quelques épisodes de la guerre de Byzance contre Philippe de !\facédoine,
croise Rome avec Septime Sévère et la rejoint avec Constantin, la parenthèse
se referme (H 42) : « C'est ainsi que Constantinople parvint :1 cc haut degré,
devenant reine (c'est-à-dire capitale) par droit de succession, jusqu'à notre

7. Photius {ibid., p. 101- 102) cst le seul à nous faire connaitre le contenu de l'o·mTc.
8. Entre la ,·ictoire d'Actium, en 3 1 avant J .-C., et 330 qui est le terme assi�né à ce
court récit (H 42 : la 25• année du règne de Constantin). On trouver,\ plus bas (p. 3i5) un
parallèle entre cette phrase et l'introduction de certaines Apocalypses.
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE

époque. » Les mêmes mots, à peu près, au début et à la fin; à ceci près que
Byzance est devenue entre-temps Constantinople et Nouvelle Rome, ce qu'il
fallait démontrer. Nous constatons que Photius avait fidèlement résumé l'œuvre
du vie siècle.
Ce morceau était écrit d'une autre encre que le reste de la Chronique,
et à partir de sources qui ne sont pas habituellement celles des historiens.
Hésychios les désigne lui-même, sans malheureusement les citer (H 2) : « Il nous
faut dire ce que fut l'origine de Byzance en nous fondant sur les poètes et
historiens anciens (Èx --:wv &px.o:(wv TTOL'Yï7WV :x.o:t cruyypix9Éwv --:·r,v tm60E:crtv
1totouµÉvoiç). » On reconnaît là les mythographes et patriographes à l'ancienne
mode ; pour le temps des légendes, ceux que nous avons déjà rencontrés : un
vieux fonds d'anecdotes, d'oracles, de parétymologies qui passe ensuite chez les
lexicographes et dans les excerpta; certains historiens romains pour 1 'époque
de Septime Sévère; une littérature historique plus dense pour la fondation
constantinienne. :i\.Iais assez vite l'étude des sources tourne court, tandis que
s'allonge la liste des remplois. La proximité de bien des passages avec
l'Anaplus Bospori de Denys de Byzance fait conclure à des emprunts, peut-être
indirects 9 ; les historiens du règne de Septime Sévère connus de nous, Dion
Cassius ou Hérodien, ne semblent pas mis à contribution 10 • Hésychios avait
encore à sa disposition une tradition large et diffuse, peut-être déjà épaissie de
commentaires ou découpée en excerpta, que sa brève synthèse a oblitérée, et
c'est un jeu pour lui de discuter les opinions de devanciers qu'il ne cite pas.
Ainsi sur l'origine de Byzance (H 5-6) : « Les uns racontent que des Mégariens
descendants de ::'\isos vinrent en ce lieu par mer sous la conduite de Byzas, dont
le nom fut donné à la cité; d'autres imaginent que Byzas était le fils de
Sémestrè, une nymphe locale. Chacun adopte une version différente, mais nous,
nous voulons présenter au lecteur une histoire crédible, et nous plaçons
l'origine à Iô, fille du roi des Argiens Inachos. » Suit en effet l'histoire d'Iô
persécutée par Hèra, et l'étymologie qu'elle suggère des toponymes Bosporos,
Kéras, etc. 1 1. Entre Hésychios et ses sources, il y a non seulement une zone déjà

g. H 3-4 et 6-g, sur l'oracle délivré au.x Argiens et la mythologie locale, à rapprocher de
l'A11aplus, 23-25, éd. \\"escher, p. 10-13, et remployé par Ltienne de Byzance, s.1•. 13-J�xv-;:r,v;
H , 1, sur Chrysopolis proche de l'A11aplus, 109, éd. \\'escher, p. 33, et repris dans Etienne
de Byzance, s.u. .Xp-,al,;-:,;i.iç; pour les vers de dédicace d'une statue reproduits en H 30,
voir plus bas, p. 150 cl n. go.
10. Sinon peut-être en H 13-14, à propos des anciennes tours, avec une allusion à -roi:ç
T-xÜ-r-x CJ'Jyyp-xy-xcr:, qui peut renvoyer à Dion Cassius, LXXIV, 14. H 36 ne fait qu'un très
vague r6umé du siège par Septime Sévère, voir plus bas, p. 70.
1 1. Zeus, amoureux d'Iô, la transforme en génisse pour tenter de déjouer la jalousie de
son épouse; mais Hèra n'est pas dupe de la métamorphose et obtient de Zeus que la génisse
COXSTANTIXOPLE HfAGI.VA IRE

opaque de scolies et de commentaires que nous devinons, mais le remodelage


imposé par le projet de romaniser Byzance dès avant 330 pour mieux renouer
le fil d'une histoire un instant rompu. Ainsi Byzance, pour rejoindre Rome à un
niveau suffisant d'évolution, traverse d'une phrase tout l'éventail des régimes
politiques (H I et 35) : tyrannie et royauté, aristocratie, démocratie, cc qui
donne une singulière emphase à une histoire beaucoup plus modeste et dont
l'exposé d'Ilésychios ne peut dissimuler qu'elle n'est plus conservée que comme
une juxtaposition d'anecdotes. On a souvent relevé celles qui sont calquées par
!'écrivain du vie siècle sur l'histoire romaine : Byzas et Strombos sont frères
ennemis comme Romulus et Rémus (H 20); sept stratèges dirigent successive­
ment Byzance comme sept rois gouvernent Rome; Byzance assiégée est sauvée de
Philippe par l'aboiement des chiens comme Rome des Gaulois par le cri des
oies du Capitole (H 27) 1 2 ; enfin et surtout, nous verrons comment l'intervention
de Septime Sévère, dont les historiens anciens nous disent qu'il détruisit Byzance
rebelle, est traitée comme une préfiguration de la fondation constantinienne 13•
De la grande Histoire d'Hésychios, cette courte digression, peu historique
par ses sources et par son inspiration, tombe comme un parement mal scellé
et subsiste seule, hors du contexte qui lui donnait un sens, et désormais
anonyme. On la retrouve par bribes dans les chroniques, par extraits dans
des récits merveilleux comme celui « sur les sept tours et sur Apollônios » u
ou dans les lexiques, intégralement reprise dans la Vie de Co11sta11ti11 que nous
conserve l'A11gelicus 22 15, et, à la même époque à peu près, dans le corpus en
voie de formation des Patria du xe siècle, qui lui emprunte son titre et, un
peu frauduleusement, sa caution historique.
Les modifications que l'on observe entre l'extrait du Palatmus (II) et
cette seconde version plus nettement patriographique (K I) sont peu nombreuses
mais décisives. Disparaissent les deux paragraphes introductifs qui interrom-

lui soit consacrée. Elle la fait garder par Argos « aux cent yeux », qu'Hermès pan·icnt à tromper.
Alors commence pour Iô poursuivie par un taon une pénible errance. En Thrace, dlc donne
son nom au Bosphore (compris comme « gué de 1:\ vache ») et à la « Corne d'or) » parc«.' qu'elle
accouche à cet endroit de la nymphe Kérocssa. �lais Hc'sychios se n'füc à d'autres t'xplic.1tions
de cc dernier toponyme : « corne d'Amalthée » à cause de la richesse du lieu ou tout simplement
« corne » à rnuse de la forme du bras de mer (H 7-8).
12. R. Janin, Constm,t11wple by,:a11tme", p. 1 1 ; G. Dagron, .\"aissar:ce d'1111t caJ,itale, p. 15.
13. Voir plus bas, p. 70-71.
1.1. De H 13-1+ et 24-25 a <'té tiré un court rfrit q,u a connu i..ne tradition à part;
cf. éd. Pregcr. p. 5-6, 10, apparat, d plus bas p. 6} et G8.
15. cr. Pio Franchi de' Cavalieri, D, un framrnento du una Vita di Costantiuo, Studi t
Documwti di Storia t Dtritto, 1 7-18, 18:Jti-189ï, p. 89-1:p ; i'<l. Opitz, fi>.: , q, 1934, p. 5fi8-5ï6
(§ 38-48). li n'y a dans cette Vit anonyme de Const.rntin que trois ,1dditions notables par
rapport à l'extrait d'Hésychios (Pio Franchi de' Ca,·alicn, op. nt .. p. 102-104).
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE

paient l'histoire romaine pour proposer un retour au passé byzantin : l'ouverture


de la parenthèse de même que le paragraphe terminal qui la refermait.
Hésychios avait à justifier un retour en arrière et un soudain décentrement
d'intérêt; le remanieur, lui, commence directement par l'évocation de la
première colonisation du site (« On dit que les Argiens. . . »), entrant de
plain-pied dans l'histoire de Byzance, de Byzas à Septime Sévère (H, 3-38).
Il compte alors le temps écoulé : « De Byzas à Septime Sévère » 16 et non
plus d'Auguste à Constantin (H 1), ce qui signifie un véritable détournement
de l'histoire et marque une continuité là où Hésychios voyait une rupture;
par une anticipation dont nous chercherons les raisons, la greffe de Rome sur
Byzance se produit alors, dans l 'équivoque du siège de 193-196, et pour un
demi-échec. Le personnage de Septime Sévère a acquis sa place dans l'ima­
gination patriographique, et le remanieur ajoute à son modèle des dévelop­
pements qui nous le montrent festoyant, écoutant les bons mots de « philosophes »,
marquant déjà de son empreinte quelques-uns des monuments clés de Cons­
tantinople (K I, 37-41) 17 • Constantin n'a plus qu'à venir; et comme sa légende
s'est considérablement amplifiée depuis le vie siècle, sont ajoutées au texte
d'Hésychios des allusions empruntées à Malalas sur l'annone civique 18, aux
historiens ecclésiastiques sur les constructions d'églises et la proscription du
paganisme 1 9, à d'autres textes patriographiques sur tel ou tel monument. En
renvoyant explicitement à la suite du recueil, le rédacteur du xe siècle définit
clairement ce premier texte comme une introduction « historique » aux notices
descriptives qui vont suivre 20, et en se référant à toutes sortes d'historiens dont
il affirme absurdement qu'ils furent témoins oculaires des événements du règne
de Constantin (Eutychianos le grammairien, Eutropios le sophiste et secrétaire,
Eleusios diacre et philosophe, Trôïlos le rhéteur, Hésychios le tachygraphe) 2 1,

16. K I, 37 : 655 années; le raccordement à l'histoire de l'Empire se fait en K I,


42 - H 1 : « 362 ans s'étant écoulés depuis la monarchie de César Auguste... ».
17. Voir plus bas, p. 71-73.
18. K I, 47, suit de près l\Ialalas, Bonn, p. 322-323.
19. K I, 48; cette partie des Patria fait en outre de nombreux emprunts à différentes Vies
de Constantin; voir plus bas, p. 86 n. 89.
20. Il fait explicitement référence au Ikpl x-:-1crµ:x-:-wv (K III), dont il se désigne comme
l'auteur (K I, 62, 7 1 , 73 : dç ·ri r.Epl -:-wv x-:-icrµx-:-wv èpoܵEv ) ; emprunt sans référence au
m�me traité : K I, 50 K III, 1, sur la construction des églises de Saint-Agathonikos, de
Saint-Akakios et des Saints-Apôtres. Mais certains passages s'inspirent aussi du Il Epl. tiyû.µ:hwv
(K II) : K I, 49 K II, 96, sur les statues de Sainte-Sophie; K I, 62, qui mélange curieu­
sement K II, 47 et 79 à propos des statues de la hyène et de Bellérophon.
21. K I, 58. Eutychianos peut être identifié avec le Cappadocien dont parle Malalas
(Bonn, p. 332), compagnon de Julien et historien de son règne; cf. PLRE. I, Eutychianus I et 2.
Eutrope fut peut-être magister epistularum de Constance II, mais non de Constantin; cf. PLRE, I,
CONSTANTI.\'OPLE IM AGINAIRE

il croit donner la preuve d'un travail critique. Mais Constantin n'est plus,
dans le nouveau projet, le terme d'une « histoire des origines » et le point de
départ de l'actualité; le remanieur croit devoir descendre plus bas et saute
allègrement de 330 au règne de Théodose II pour évoquer l'hérésie mono­
physite, appelée par lui hérésie des Amalécites et Chatzizarioi 2 \ le blasphème
contre le Trisagion qui provoque un séisme et la chute des remparts de la ville 23,
la construction des nom·eaux murs par les dèmes 2\ l'expulsion des hérétiques
K I, 72-73). L'histoire des origines s'arrête là : Constantinople a désormais ses
structures définitives, sa légitimité politique, son orthodoxie, ses dimensions
urbaines définies par sa nouvelle enceinte, et son organisation dualiste, celle
des dèmes de l'Hippodrome, qui lancera le jeu politique et fournira aux
patriographes leur langage de prédilection.
Il ne faut pas voir dans ce remaniement un simple avatar de la tradition
manuscrite, mais la mise en place d'un genre. Sans doute Hésychios avait- i l
déjà déformé ses sources pour les adapter a u but e t au plan de son ouvrage;
sans doute aussi l'extrait du Palatinus, si fidèle au texte original qu'on puisse
l'imaginer, en trahissait-il le sens par le seul fait qu'il donnait à un fragment
isolé de son contexte une existence autonome. Le remanieur du xe siècle,
par quelques suppressions et quelques additions, le dénature encore plus
complètement. Et nous comprenons par ce premier exemple quels rapports

Eutropius 2. Eleusios est-il confondu avec l'é\·êque homoiousien de Cyzique. bien connu des
sources de la deuxième moitié du 1v• siècle et cité dans la Souda (s.t.} ? Trôïlos, sophiste
enseignant à Constantinople, compte parmi les correspondants de Syn{-sios et apparait en
plusieurs occasions dans l'Hist. eccl. de Socrate; cf. l'LRE, II, Troilus 1. Quant à Ilésychios
de 11ilet, il est né sous Anastase, mais le patriographe ne connait de lui qu'un extrait qu,
s'arrête au règne de Constantin. Toutes ces références sont donc ficti\·es.
22. Les Am:dfrites sont, dans l'Ancien Testament, le peuple le plus hostile au,c Juifs et
qui fait obstacle à la mission d'Israël (D.:ut. 25, 17-19); les Chat::.iznrioi sont une secte armt'­
nienne du vn• siècle dont différents auteurs font déri\·cr le nom de chat::.i la croix (cf. Di-mètnos
de Cyzique, PC, 127, col. 860-885: Constantin Stilbès, cf. J. Darrouzès, REB, 21, 1963, p. 89;
l\ïcéphore Calliste, Hùt. tccl., XVIII, 54-, PC, I.J.7, ml. 4-.p-4+4-, dans u11 chapitre sur les
jacobites et les théopa�chites). Ces grossiers anachronismes s'expliquent sans doute par le fait
que, pour un Byzant111 du xe sit'clc, ks monophysites expulsé, par Thcodose li s'identifient
avec les Syri,·ns jacobit<"s d'une part (Amall'citcs) et les Arménil'ns d'autre part (Chnt::izarioi) .
23. L<' 25 septembre .J.37, un séisme êbranle l a ville (sans pour autant détruire k s
muraille s); l a vision miraculeuse d'un t·nfant fait comprendre qu'il s'agit d'une punition dhinc
sanctionn:rnt l'addition théopaschite du c;-:-.2u;;wOd; lh' r,µi; au Trisagion; cf. 'l'ht'ophane,
éd. de Boor, p. 93: Sywwire dt Co11sta11tinople, éd. Ddchayc, p. 79-80.
24-. Il y a ici confu sion entre la construction de la muraille théoclosi<-nne en 4 1 2, l'épisod e
de +37 mentionné ci-dessus, et la reconstruction d'urgence des tours t"t des murs renversb lors
des secousses sismiques de novembre 447 - janvier 448. Cf. K II, 58 et K 1II, qo, et plus
bas, p. 183.
GENÈSE DES TEXTES ET N AISS ANCE D ' UN GENRE

existent entre les Patria et l'histoire. Nous voyons naître le récit patriographique
dans une faille du temps historique, lorsque la trame temporelle, qui traçait
une ligne bien droite de Romulus à Auguste et d'Auguste à Constantin,
s'interrompt pour laisser la primauté à un site : Byzance devenue paradoxale­
ment Nouvelle Rome. Sans doute la distorsion est-elle particulièrement évi­
dente dans le cas de Constantinople, dont le site est sur le Bosphore et dont
la véritable histoire, avant 330, doit être cherchée à Rome ; mais les Patria
de n'importe quelle ville, par leur projet d'écrire l'histoire d'un lieu, ne font
sous couleur d'histoire que l'archéologie d'un passé discontinu et n'exposent
qu'une préhistoire de la ville, disponible à toute imagination, à toute reconsti­
tution à partir de quelques souvenirs épars et de quelques traces monumentales.
Hésychios parcourait cet entre-deux à grandes enjambées pour retrouver au
plus vite la diachronie romaine ; les patriographes y campent : ils sont sur
leur terrain.

Les Parastasei.;

Malgré l'incertitude d'une tradition qu'on a peine à reconstituer, et avec


les incohérences d'une langue raboteuse et d'une écriture mal fixée, les
IIor.potcr'î&.cre:Lç crunoµoL :;cpovtY.C(L, « Brèves notices historiques » sur les monuments
de Constantinople, sont l'un des plus précieu.'I: documents sur la culture
du vme siècle. Culture populaire ? On en jugera ; à tout le moins bien cir­
conscrite à la ville et en marge de la grande littérature.
La date se déduit, approximativement mais sûrement, de certaines notices.
Léon III (71 7-741), cité sous le nom habituel de Konôn, est le dernier empereur
dont le règne soit évoqué au passé :
P 1 . - on prétend à tort que le sanctuaire de Saint-Môkios « s'est
effondré dans la deuxième année du règne de Konôn l'Isaurien ».
P 5 d. - « Sous Léon !'!saurien, beaucoup de statues (ou figures astro­
logiques ?) anciennes furent détruites, à cause de la stupidité de cet homme . . . » 25 •
P 72. - « Konôn a refait le Néôrion . . . » Proche passé, mais nous sommes
après 741. Et avant 829, comme le prouve l'absence de toute allusion à
Théophile (829-842) à propos de la réfection des murailles maritimes.

25. Sur cette notice, voir plus bas, p. 145. Le nom devait être ici encore Konôn, mais
le texte des Paras/astis est reconstitué d'après K II, go, par suite de la perte d'un feuillet dans
le PariJ. gr. 1336. !<.fa rapide analyse ajoute peu à celle de Preger, exposée dans sa première
édition des Parastaseis (Programm des Kimiglichm i\,faximilia11s-Gpnnasiums für das Schuhljahr 1898,
Munich, 1898) et reprise dans son édition complète des Patria (I, 1901, p. vm-x).
CO.VS TA.VTISOPLE I.\L1 CJN.11RE

P 3. - « Les murailles d u côté de la mer ont été rénO\·ées par Tibère


Apsimar (698-705); avant lui, elles avaient été tout à fait négligées »; à quoi
le remanieur du x e siècle ajoute : « Et une seconde fois elles furent rénovées
par Théophile » (K II, 109).

L'empereur régnant est désigné en un endroit par l'expression elliptique


et comme gênée o Èv ·rnZç ·i;µE-;-kpo\::; zp6vo\ç, « celui de notre temps », pour
signaler qu'il a remisé à Saint-�Iamas trois sirènes (P 1 5); cela conviendrait
bien à Constantin V (741 -775), le grand empereur du premier iconoclasme,
de même qu'une autre notice d'actualité :
P 63. - « A !'Hippodrome se sont produits bien des meurtres et des maiu.:,
surtout dans les temps précédents ; et même de notre temps le moine Anastase,
qui par franchise avait contredit l'empereur, y fut brûlé. » On a cherché, en
vain ou trop imprudemment, à retrouver des mentions de l'événement !5 • Il
n'aide pas à préciser la date; mais cette flamme inquiétante du bûcher,
l'écho donné ailleurs aux pratiques astrologiques 27, le ton gouailleur et
l'humour subversif de certaines pages 28, l'oubli qui a déjà gagné la culture
classique (ou si l'on préfère sa métamorphose dans un folklore urbain) 29,
tout cela correspond bien à la grande crise du vme siècle, à une Byzance qui
se forge une identité nouvelle en rejetant ses héritages contradictoires, et à
une ville à moitié en ruine et repliée sur elle-même, qui semble ignorer le reste
du monde et l'Empire. On conçoit, dès lors, l'importance de l'œuvre.

Il vaudrait mieux dire du témoin. Car, que nous permet exactement


d'atteindre ce texte conservé par hasard dans un unique manuscrit 30 ? Une
œuvre composite, faite d'emprunts encore mal digérés; un état du texte qui

26. G. �fillet n'est guère convaincant lorsqu·il fait du moine Ana5tase un partisan de
l'u,;urpatcur Artavasdc et conclut que les l'araslascis ont été composées entre ;42 et ;46
(Parar/auis s;·ntomoi dmmikai, essai sur la date. BCH, 70, 1 946, p. 393-402): Alan Cameron
ne l'est pas davantage l orsqu'il suppose qu',\nastasc est l'auteur d'un florilège iconodoulc (,\
Quotation from S. :--:ilus of Ancyr., in an Iconodulc Tract?. Joumal of Theologic<il Studies, 'l 1,
1 976, p. 128- 1 3 1 ) . Les Chroniques parle-nt bien d'un moine André le Kalybite, exécuté lui
aussi pour amir été trop sinrèrc, vers ï61, à !" hippodrome de Saint-�1.imas (Théophane,
éd. de Boor, p. 432), mais 11 est difficile de !"identifier à Anastase sans cxpliquc-r uuc double
erreur de nom et de lieu.
27. \'oir plus b:is, p. 1 1 9 - 1 20.
28. Voir plus bas le chapitre consacré à !'Hippodrome.
29. \'oir notamment les notices concernant Constantin {plus bas. p. 45-47) et le, statue.s
le:. plus célèbres {p. 135).
30. Le Parir. gr. 1336. fol. 1 1 1 r0 - 13.1 r0, dont on connait deux apographcs tardifs, le
Paris. gr. 1789 (xv1• s.) et le Parir. Suj>pl. gr. 565 (xvrr• s.).
GENÈSE DES TEXTES E T XAISSAXCE D ' CJ.V GENRE 31

n'était pas destiné à durer sous cette forme transitoire, puisque seule s a réécriture
dans les Patrza du xe siècle lui assure une large diffusion; un maillon parmi
d'autres, et pas forcément dans la chaîne la plus directe, puisque l' « Anonyme
de Maximilien Treu » (Paris. Suppl. gr. 607 A, xe siècle) nous conserve une
partie des mêmes notices sous une forme assez différente, dont s'inspirent
parfois les Patria du xe siècle 31 • Mais cette fragilité fait le prix du document ; il
nous présente l'ébauche d'un ouvrage qui ne trouve sa forme littéraire définitive
que deux siècles plus tard, la première élaboration d'un texte patriographique
dont nous avons failli ne connaître qu'une version recuite et édulcorée. Grâce
à lui nous remontons non pas certes à une source originale, mais au temps où
un copiste un peu imaginatif retranscrit pour ses contemporains ce qui n'est
encore que tradition diffuse, où commence à naître un genre dont cet écrit est
le plus ancien et le plus authentique produit, où nous sommes à même d'observer
les mécanismes de cette naissance.

Les Parastaseis sont anonymes, par accident ou plus probablement par


vocation, comme est anonyme la voix d'un Guide qui nous enjoint de tourner
à droite, de nous arrêter, de regarder, et qui nous dicte ce que nous devons
savoir ; d'un anonymat qui ne signifie donc ni froideur, ni objectivité, ni effa­
cement devant le monument à décrire. L'auteur, disons le rédacteur pour ne
pas trop préjuger de l'unité de composition 32, se veut partout présent et se
manifeste à chaque instant par un « je », un « nous », l'expression d'un
sentiment ou l'évocation d'une enquête qui ne doit pas se laisser ignorer.
Au minimum transparaissent le désir d'expliquer et la volonté d'enseigner.
« Il faut savoir que... » sont les premiers mots du recueil, manière abrupte et
apparemment inutile d'indiquer que les monuments ne parlent pas d'eux­
mêmes, sont décrits par quelqu'un pour quelqu'un, que ce qu'on va dire

31. M. Treu, Exctrpta Anonymi By:a11tini ex codice Parisino Suppl. Gr. 607 A. Stàdtische�
Gymnasium zu Ohlau, 1880, Progr. 167. L'éditeur ne consacre qu'une très brève postface
à l'étude des manuscrits, des sources et des remplois postérieurs (p. 57-58). Ce curieux
recueil, fait de fragments anonymes, est composé à peu près comme suit : t) ?..otices sur
des noms commençant par la l�ttre alpha (Iîzpt '.\3,,xôr,•17,ç, Aùyouo-:-dc,u, !i-:-p,xfh·rn«7iv,
cxy,xÀµi-:-wv, d:v3pd,xç) pour la plupart extraites de Lydos et que l'on rctroU\·e dans K II, 1- 1 5 ;
2) Notices prises à la même source que les Parastaseis, mais sélectionnées et corrigées, sous le
titre Ikpl d:yûµ±-:-w v; 3) Après l'indication TD.o; -:-wv o-:--r,).wv, le copiste reprend l'ordre
alphabétique (' Apz·� -:c,G B o-:,;nzd,;•J, p. 2 t) avec qu,·lqucs notices brè,·es puis des textes
plus longs tirés de Lydos ou de di,·ers auteurs (Ihpl �po•Jµû.[wv, �,oé;-:-ou, y.:vfo.:wç
civ0pw1t,n...) ; 4) Enfin des scolies à Denys le Périégète et à Aratos. Sur la place de ce recueil,
voir plus bas, p. 56, 60. Preger reproduit en apparat le texte de !'Anonyme de Treu lorsqu'il
diffère de façon significative de celui des Parastasûs.
32. Elle n'est guère douteuse, même si le recueil du vm• siècle est truffé d'emprunts.
CONSTANTIJ,fOPLE IMAGINAIRE

d'eux est un savoir acquis et transmis. En plusieurs endroits, le souci péda­


gogique rejoint l a fiction littéraire : l'enquête, nous dit-on, est entreprise à la
demande d'un ami, Philokalos, un « homme de bien » dont le seul nom
trahit l'invention : « La merveille (du Forum du Bœuf), dont si souvent par
lettre tu nous as signifié de te donner l'explication, nous allons te l'exposer
clairement, Philokalos... Je me suis donné bien de la peine, Philokalos, pour
ta vertu, sans rechigner... » (P 27-28, 4 1 , 42). Mais la fiction reste discrète,
elle n'organise pas le texte en causerie et ne réapparaît inopinément, au détour
d'une phrase, que pour rappeler qu'il y eut lente et difficile approche,
embarras devant des traditions divergentes, émotion parfois, et toujours besoin
de communiquer. Le texte est écrit par un homme de culture ou qui voudrait
passer pour tel, qui consulte des spécialistes sans en être un lui-même, qui se
donne la peine d'écrire pour un correspondant studieux ( qnÀoµo:0�c;) 3 3 qui se
donne, lui, celle de lire, ou pour un Constantinopolitain anonyme qui va
marcher à la découverte de sa ville selon un itinéraire ou des hasards qu'on
lui ménage. Moins qu'un auteur d'un côté, plus qu'un lecteur de l'autre; un
aîné qui lie, n..cop1e et s'informe pour une sorte de disciple. Entre eux, la
complicité d'une commune appartenance à la capitale, et la menace de
mystères jamais tout à fait élucidés, qui projettent sur l'avenir les ombres
du passé : « En entendant cela, j'ai pleuré; faut-il que survienne encore à
Constantinople une pareille monstruosité ! » 34 • Voilà qui rattache incontes­
tablement les Parastaseis, et à travers elles les Patria, à la littérature « morale »;
leur sttjet n'est pas l'histoire des monuments, mais la manière de vivre avec eux
et les rapports du regardant et du regardé.
P 27-28. - « Extrait de ce qui a été dit par Théodore à propos d'Himérios
le Chartulaire, lorsqu'il se rendit au Kynègion pour regarder 35• Car j'ai eu
grand souci de mener une enquête exacte sur ce que tu m'as prié d'expliquer
à ta vertu, Philokalos. 'Un jour que nous étions allés au Kynègion avec le
sus-dit Himérios, l'honorable chartulaire, pour expliquer les représentations
qui s'y trouvent, nous avons trouvé entre autres une statue de petite taille,
mais très épaisse et trapue. Comme je me taisais et ne savais qu'expliquer,

33· P iq., p. 34, 1. 7-8 : « ... c:iç fo:tcriv o[ qn).oµ:tOeL°ç. »


34. P 61, voir plus bas, p. 147.
35. Ce iitre est non seulement embrouillé, mais sans doute corrompu; cf. Preger, apparat.
L'Anonyme de Trcu et K II, 24 reconnaissent comme auteur du récit Théodore !'Anagnoste
(voir ci-dessouSJ ; le Kynègion serait l'ancien amphithéâtre réservé aux rcnationes et aux combats
de gladiateurs, mais rapidement désaffecté et de,·enu lieu d'exécution des condamnés à mort
(R. Janin, Consta11ti11oplt by;:antine 0, p. 196-197). « Aller regasder » est la graude affaire des patrio­
graphes et de ceux pour qui ils écrivent; même expression, ÜÉ'.XÇ z&piv, en P 39 et 64, p. 43 et 62;
voir plus bas, p. 41-42, 1 1 6-117.
GE VÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE 33

Himérios me dit : « Tiens 36, voici le fondateur du Kynègion ! » Je


répliquai : « C'est Maximien qui l'a fondé et Aristéidès qui en a fait les
plans » 37, et aussitôt la statue tomba de la hauteur où elle était, qui n'était
pourtant pas bien considérable 38, frappa Himérios et le tua. Jc pris peur,
car il n'y avait personne d'autre sur place que les gens qui gardaient nos
mules, et encore étaient-ils restés en deçà des marches. Craignant donc de
me trouver dans un mauvais cas 39, je trainais le cadavre par le pied droit
et entrepris d'aller le jeter dans la fosse des condamnés à mort 4°, mais j'eus
peur et, laissant mon fardeau au bord de l'escarpement, je courus chercher
asile à la Grande Eglise tSainte-Sophie). Je déclarai en toute franchise ce
qui s'était passé, mais sans parvenir à convaincre, jusqu'à ce que j'en
vienne à l'assurer sous la foi du serment, car il ne me restait plus que ce
moyen de redresser la situation. Les proches du mort et des gens de l'empereur
se rendirent donc avec moi sur place, et avant de s'approcher du corps
gisant du mort, ils regardèrent avec étonnement le corps gisant de la
statue 4 1 • Et un philosophe du nom de Jean déclara : « Par la divine
providence, je trouve dans l'œuvre de Démosthène qu'un homme célèbre
sera tué par cette statue ! » Tout aussitôt il en informa l'empereur
Philippikos (7 1 1 -713), et ordre fut donné d'ensevelir la statue sur place, ce
qui fut fait, parce qu'on n'arrivait pas à la détruire.' Voilà, Philokalos,
ce que j'ai trouvé en menant mon enquête en toute sincérité. Et toi, prie
pour ne pas tomber en tentation et fais attention en regardant les statues
antiques, surtout païennes ! » 4 2
;'\c retenons pour l'instant de cette notice que ses éléments les plus
simples : l'anecdote extraite d'on ne sait quel auteur pour répondre à une
question supposée de Philokalos sur le Kynègion ou sur le danger d'identifier

36. 0'.lt•,µ-:t�E marque ici la surprise plus que l'admiration.


37. Théodore semble réciter une leçon apprise par cœur. La fondation du Kynègion est
attribuée par les sources non pas à l\Iaximicn (l\Iaximicn-Hercule ? Galère !\laxime ? l\faximin
Daia ?; mais a Septime S,'vèrc, qui l'aurait construit à proximité d'un temple d'Artémis (l\1alalas,
Bonn, p. 292; Chro11ico11 Paschale, Bonn, p. 495). L'architecte Aristide n'est pas autrement connu
et n'est sans doute, comme Himérios lui-même, qu'un personnage inventé.
38. Dans J',.cl. Prcgcr, p. 36, 1. 5, c,Z, est éndemmcnt à corriger en où.
39. C'est-à-dire accusé cl� meurtre.
40. L',\nonyme <le Treu cl K II, 24 confirment que les corps des suppliciés étaient jetés
à cet endroit avant que le qu«rtier Ta Pélagiou soit désigné comme leur lieu d'inhumation
(R. Janin, Eglises tl mo11astères2, p. 547).
41. l'.[ême expression, -:/, r:-:i:,µ,x, pour le corps et pour la statue. Sur les chutes et ensevelisse­
ments de statues, voir plus bas, p. 144.-145.
42. Cette notice est traduite et commentée par C. Mango, Antique Statuary and the
Byzantine Beholcler, DOP, 17, 1963, p. 60-61.
0 , OAGR.O:i 3
34 CONSTANTIXOPLE l.\fAGINAIRE

les statues, la présentation et la moralité qui l'encadrent, l'admirable scène


de demc Constantinopolitains explorant les mystères de leur ville à leurs risques
et périls. Littérature morale, en effet, dans cette écriture du \TIIe siècle; mais
il suffira de quelques coups de gomme pour effacer ce trait fondamental, pour
faire disparaître l'enquêteur et son correspondant, leur dialogue implicite,
le conseil final, la prophétie de Démosthène, un peu trop extraYagante et
transformée en un talisman plus banal trouvé sous la statue meurtrière.
Telle est déjà la version de !'Anonyme de Treu ; telle est la pente que suivent
les Patria du x0 siècle et la Souda 43 : sous un titre (« Des statues du Kynègion »
ou « Du lieu-dit Kynègion ») et après une définition (« Au Kynègion on
jetait les corps des condamnés à mort »), une citation sans commentaire. Ce
ton impersonnel et objectif pourrait nous tromper sur la nature de cc qui est dit.
On tend vers le Guide pour tow·iste ; mais il est amusant de constater que la
première forme du Baedeker fut une manière de confidence entre soi et un petit
délire d'imagination à propos de monuments énigmatiques.

Confidence, mais curieusement associée à une érudition voyante et vaine.


Les Parastaseis sont, en effet, bardées de références et leur auteur ne recule
devant aucune cuistrerie. C'est le style laboriemc d'un thésard, et il a au moins
le mérite de nous donner le vocabulaire de la « critique littéraire » de l'époque
P r . - . . . « Marcel le Lecteur se trompe en affirmant que Saint-Môkios
s'est effondré sous Konôn l'Isaurien (Léon III) » 44 •
P 6. - Une statue du port de Cyzique fut enlevée par Chosroès, vers 626,
et fait encore aujourd'hui l'objet d'un culte chez les Perses, « comme l'admi­
nistrateur (awLx"Y)-.�i;) Paradeisios, qui fut prisonnier là-bas et s'enfuit, l'a révélé
dans la troisième édition de la Chronique d'Hippolyte ».
P 7. - « Hérodote et Hippolyte affirment que Constantin le Grand tua
son troisième fils et homonyme Constantin » (au lieu de Crispus) 4 5•
P 1 0 . - Des icônes sur bois de Métrophane, Alexandre et Paul de Constan­
tinople, peintes sous Constantin et exposées au Forum, auraient été brûlées par
les ariens triomphants, « selon ce qu'écrit le chronographe Ankyrianos au
livre X (ou dans son ouvrage en dix fo-Tes), qui nous rapporte une tradition
plus exacte qu'Anastase » 46 •

43. Cf. éd. Preger. p. 35, apparat; K II. 2+; Souda. s.l'. Kuvl;yio,J.
44. Il s'agirait donc d'un auteur du vm• siècle ayant écrit après 718. L'indication n'est pas
reprise en K I I , 1 10.
45. Sur cette notice, Yoir plus bas, p. 93 s. Les noms d'Hérodote et d'Hippolyte figurent
aussi en K II, 93.
46. Je ne crois pas qu'il faille suivre Alan Cameron lorsque, après a\"oir proposé de
reconnaître dans Ankrrianos (corrigé en Ankyranos :'.\il d'Ancyre, il pense que le moine
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE 35

P 4 1 . - A l'Amastrianon, « la statue ou l'idole de Caracalla le préposite


se trouvait déjà dans la cité des Byzantins et date de Trajan, selon Mékas et
Glaukos, sur la lecture desquels se fonde le chronographe Théodore » 47 •
P 68. - « Sous Théodose une autre statue, elle aussi d'argent, fut placée
sur la colonne (de l'Augoustéion), avec celles d'Arcadius et d'Honorius à terre,
d'après ce que dit Théodore. l\fais dans les écrits de Sozomènc, on lit que c'est
Justinien la grande statue que l'on voit maintenant sur la place. Et selon cc que
disent Théodorct et Eusèbe, dans des livres où ils paraissent se tromper, c'est une
statue « d'un hellène », que Constantin le bienheureux consacra en conséquence
d'un vœu. Mais dans les écrits d'Apollinaire et d'Alexandre, il s'agit de la
statue de Constantin le Grand, selon l'explication qu'a donnée le chronographe
Milichios » 48•
P 69. - « La statue sur un trépied, qui est au grand Stratègion, Promountios
dit que c'est Alexandre le Macédonien; il se fonde sur les lettres (de l'inscription
dédicatoire), et tous ceux qui s'intéressent de près à ces lettres, notamment
celLx qui en tirent des prophéties, reconnaîtront que c'est bien Alexandre. Le
même (Promountios) écrit que c'est saint Constantin qui donna ici son premier
forum à notre ville » 49 •

Ce luxe de précautions cntlques inquiète un peu. La plupart des chroni­


queurs byzantins pillent leurs devanciers sans les citer, notre rédacteur de notices
les cite sans les avoir lus, au moins directement. Faisons le compte : on trouve
au total dans les Parastaseis des références à 26 auteurs différents, dont 1 0 tout au

Anastase (cf. P 63) aurait cité des extraits de cet auteur dans un florilège iconodoule (A Quotation
from S. Nilus of Ancyra in an Iconodulc Tract ?, Journal of Theological Studies, 27, 1976, p. 128-
131). Il ne me· parait pas non plus probable que l'ouvrage désigné par l'expression Èv TÏi 3exo:My<:>
(Èv T<:> 3cxi-:i:, My<:>, K lI, 1 06) soit un Décalogue.
47. Théodore le Lecteur, auteur au v1• siècle d'une Historia trip11rtita faite d'extraits de
Socrate, Sozomène et Théodore!, et d'une Histoire ecclésiastique en quatre livres; cf. RE, V, A 2,
col. 1869-1881 (Opitz, 193-1), et surtout G. Ch. Hansen, Theodoros Anagnostes Kirchengeschichte,
Berlin, 1971, dont l'introduction (p. 1x-xxx1x) fait le point sur tous les problèmes de la tradition.
Théodore est encore cité en P 27, 29 (titre), 68, 74, et apparaît donc comme la source la
plus souvent invoquée.
48. Références fantaisistes et anachroniques. Faut-il reconnaître dans Je « chronographe
Milichios » Hés}'chios de l\1ilet ? Dans cc cas on serait tenté de corriger "Enr;voç en 'EÀÉlll)<;
et de penser à la statue érigée par Constantin à sa mère Hélène sur la place de l'Augoustéion (H 40).
Alexandre pourrait être Alexandre le :-.Ioine, qui a transmis une partie de J'œuvre de Théodore le
Lecteur et semble a,·oir vécu au v1• ou au vu• siècle; cf. K. Krumbacher, Geschichte der
byza11ti11iscl1t11 Literatur2, p. 164; Opitz, B;·z., 9, 1934, p. 539-540 et 588-590. La notice n'est pas
reprise dans les Patria du x• siècle.
49. Notice non reprise dans les Patria du x• siècle; sur le Stratègion, cf. R. Janin, Consta11-
tinople byza11ti11e2 , p. 431-432.
350 CONSTANTINOPLE I.\fAGINAIRE

I'ocÇm, 8 1 et n. 71. é:)J,r,v[Çe:tv, 89.


yÉvoç, 9. ˵;-;Àxmç, 203.
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Sdvoux, 290. ÇuyorrMcr-:-r,ç, 43 n. 79.
8L1JYl)µ:x, 38 n. 58. Çwypxc;,o,; , 1 34 n. 34.
.Ô.L71Yl)cr-:-zxç, 165 n. 2 1 . Çw8Lxx6ç, 1 18 n. 70.
.Ô.Lµ:xxf>J,Lv, 3 1 8 et n. 20. ½C:lSLOv, 1 1 7 n. 69, 1 20 - 1 2 1 et n. 84, 1 23 , 134.
8tOLX1J'r�Ç, 34. �XEL\I, I 58 n. 129,
8L6poc;,o,;, 204, 233, 238, 280. r,v[ozoç, r,vtoze:ve:w, 1 76 et n. 77, 177 n. 80.
8LcrX07t071)pLO\I, 249.
8laxo,;, 249. OxÀxcrcrx, 205, 207, 243, 255.
8[c;,(,)70Ç, 202. O±µooç, 1 4 1 .
8ouÀe:h, 230. Oxüµx, 13.
Sp°'xov-rxïov, 1 30 n. 1 5 , 1 3 1 et n. 19. Ox'Jµoc�e:LV, 33 n. 36, 42, 1 1 7 n. 67-68.
SpoµLx6ç, 1 96, 210, 2 1 2 , 263, 3 1 2. Oh, Oh,; x±ptv, 32 n. 35, 1 1 7.
Sucrc;,r,µlxL, 187. Ot°'µx, 1 3 , 41 -45, 47, 76, 80, 134, 1 4 1 , 144,
8(,)Se:x'.iµe:pov, 257. 145, 281.
Oe:xµx-:-LO\I' 1 34.
èyye:yÀuµµtvoç, I.J.6, 154. Oe:µx-:-LOII, 80, 134 et n. 36.
Éyx:x[vL:x, 48, 192 n. 4, 256, 257, 2 7 1 . Oe:µÉÀV)\I, 208.
èy-A:c�µLO\I, 9, 1 7, Oe:oµ±zo;, 142 et n. 72.
Éy-,(U),tf�e;LV, 203, 236-237. Oeoao?lx, 102.
d8(,)ÀOII, 8 1 , 134, 291. Owc;,•jÀ-xx-:-o; ;-;6h;, 18.
dxwv, 42, 1 34, 158 n. 1 29. OfoLç, 9.
d);r, µx, 145, 164 n. 15, 204, 240. Oe:crcr:xÀLx6ç, 2 1 6.
dcroSde:Lv, 257. O·r,oxùc6;, 2 1 5.
Èx-:-6..wµx, 1 3 1 , 226, 300 n. 148; voir aussi O•je;Lv, 306.
1tpoe:x-:-u;rwµx. Oucrt-xcr-:--/;pLov, 198, 1 99, 202, 204, 207, 240,
INDEX DES MOTS GRECS 351

!lhcx.(0011,279 o. 64. xuµÔOCÀLx6ç, 208, 259.


!lhw--rcxL, 40, 58. xwµep8e:i:cr0ocL, 143.
[e:poyÀu<pLxcx., 120, 152 n. 98. Kwvwn:[wv, 109 et n. 40.
î11cx, 235.
!118cxÀµoc, 134 et n. 37. ÀCLXOCflLY.611, 204, 238-239.
tcr6cr--rcx0µoç, 208. Àoc--r6µoç, 229.
!cr-rope:L11,[cr-roploc,41-42,113,127,321 n. 32, Ae:wµaxÉÀÀ"l)Ç, 3 1 9 o. 21.
322 D. 36. À"l)VÔÇ,243•
ÀL0oÀÔyoç, 288.
Kcxôoclli:110,;, 117. ÀL0oç6oç, 229.
xcx.yxe:llcx, xcx.yxe:ÀÀoL, 164 n. 14, 199, 222. ÀoycxpLoccrµôç, 286.
xocyx e:llo0upŒL011,197,214. Àoya:pLOv, 156 Il. 116.
xcxx68oçoç, 302. ÀoyLcr-r-�ç, 118, 158 n. 129.
xcxµcx.pcx, 81, 197, 202-203, 235, 236, 280. Myoç,Myoç --rwv n:ollwv, 38-39.
xaµoü11, 209, 259. ),ou--r-fip, 199, 205, 223, 255.
xcxµ n:tjp, 113 n. 51, 170 o. 49. Àuxv(cx, 206,211, 250-251, 252.
Kcxpcxôl--r(L11 (Vierge du -), 167. ÀU)(VLTIXpLOV, Àuxv(ç, 247.
xcx-:-aµe:-rpe:i:v, 223. Àwo6ç, 45 et o. 88.
xa--rCl'.<pLÀocrocpEi:11, 117.
XCXTCX;(0611LOÇ, 199, µêi(cx, 200.
XCL'TT);(OUµe:vcx, Y.O:'t"IJ;(OUµe:ve:i:ov, 155 n. 113, µocfo-rwp, 199, 209, 226-227, 230.
220, 233. l\1cxxÉÀÀ"l)Ç,318-319 et n. 21.
Y.e:Lµ1)ÀLOV, 301. l\Iocvocupoc, l\Icxy,;ocupcx, 158.
Ke:pCl'.--re:µÔÔÀLV, 140 n. 61. µo:voucx.),LOv, 206, 253.
xe:cpcxÀ-fi, 204, 229, 238. µo:pyapL':"c.l flLO'I, µo:pyc,;p['t"l) Ç, 247.
Xf:<;)Cl'.ÀLX6Ç, 200, 229-230. l\IAPIIOY, 154 n. 108.
XLÔoupLOv, XLÔWpLOv, 240. µe:yLcr--rêive:ç, 71, 81.
XLÔWTÔÇ, 245, 300. µDJ.-ov-roc, 146-147.
XL0\/6XpCl'.VOV, 238. µÉpoç, 164 o. 15, 182-183, 185, 197, 209,
xlw11, XLÔIILOV, 113 o. 51, 197, 202, 204, 229. 314 n. 212.
XÀÏ:µcx�, 204, 207. µfoocuÀ011, 223.
xoi:Àoc --rwv &.ycûµi--rwv,135 n. 39. µ.:cro8-fiµw, 181 n. 92.
XOL\/Cô\lLCI'., 198, 218. µe:crocrullo:ôwv (ou wv, de crullaµôixvw,
XOL"t"WV, 256. crullocÔÉw?), 152 n. 98.
xoµôlvoc, 162 n. 6. µrno--rd;i: Lov, 184.
xocrµ-finiç, 204, 238-239, 280. µhocllov, µe:--raÀÀLxÔç, 241.
XO;(À(ocç, l 68 Il. 36. µe:-rwn:l8Lo11, 93.
XpL--rctpLOV, 164 n. 17. µ·l)xa:v"l)µa, 207.
xp(wµcx,202, 235. µ"1])'.Cl:\ltXÔÇ,µ"1]XCl:VLX071:otÔç,200,208,226-227,
xpuov, xp•'.ioç, 247. 288, 290.
x-rijµ oc, 251. µLcr0cxn:o8ocr(oc, 218.
x·dm.ç, 11. µovoxa:µCl'.poç, 202.
x-rlcrµe1., 201, 202. µ011ÔÀL0ov, 113 n. 51, 164 n. 15.
x--rLcrµcx.--rwv (Ile:pt -),22,27 n. 20,109, 188, µoucrLoü,;, 208.
194 et D. 14, 263, 268, 312, 318. µoxÀoç, 203.
xuxÀ[o11, 204, 240. µu c,;ç, µu &xtv, 202-203, 235.
xuÀ(e:LII, 203. µuçw8"1] Ç, 227.
XUÀLv8pLxcxl xocµa:pCl'.L, 197.

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