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Constantinople
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1mag1na1re
Études sur le recueil des
Patria
CONSTANTINOPLE
IMAGINAIRE
BIBLIOTHÈQUE BYZANTINE
PUBUÉE SOUS LA DIRECTION DE PAUL LEMERLE
ÉTUDES - 8
CONSTANTINOPLE
IMAGINAIRE ,,.
GŒLBERT DAGRON
Professeur au Collège de France
Les jugements portés sur les Patria de Constantinople par les très rares
historiens qui ont eu la paùence de les étudier sont, on le voit, sans indulgence :
folles légendes écrites dans un style barbare et parfois incompréhensible, œuvres
anonymes où l'on sent plus la main d'un copiste que l'esprit d'un auteur,
recueil dans lequel se confondent les époques, gouffre de fausse science. Ce sont
ces défauts qui m'ont séduit, cette langue rocailleuse et incorrecte qui évoque
le parler de la rue et l'écriture d'une sorte d'écrivain public, ces textes de
père inconnu et de paternité inavouable que des généraùons ont librement
assemblés, recopiés, transformés, ce mélange enfin de réminiscences livresques,
de familiarité avec les lieux décrits et de pure affabulation. Ici les légendes
ne sont jamais gratuites; elles gardent toujours un lien avec ce qu'on pourrait
appeler la mémoire du site : souvenir d'une histoire vécue ou monument
conservé; on les voit naître et l'on peut en démonter les mécanismes. La
lecture fait apparaître une Constantinople aussi réelle qu'imaginaire, sans doute
la Constantinople des Constantinopolitains, comme il y a le Paris des Parisiens.
Byzance, volontiers littéraire, officielle ou théologienne, garde peu de témoignages
d'une telle saveur et pour nous d'un tel prix.
J'ai consacré un précédent volume, dans la même collection des Presses
Universitaires de France, à la naissance de la capitale et à la mise en place de
ses institutions. Autre ton, autres sources, autres siècles. Il s'agissait alors de
comprendre l'étrange greffe de Rome en Orient aux ive et ve siècles. La
Constantinople des Patria, aux vme-xe siècles, a largué les amarres; elle
présente le spectacle assez rare d'une ville en train de digérer ou d'éliminer
6 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE
un lourd passé; une ville et l'image d'une ville. Nous n'apprendrons pas ce que les
habitants de Constantinople pensaient de leur cité et de son histoire (aucun
texte n'autorise sans doute pareille introspection), mais la pratique qu'ils en
avaient, le langage qu'ils s'étaient formé, qui prend ici forme écrite et
valeur de genre, la culture qui a permis cette éclosion, la finalité, peut-être,
de ces apparentes divagations. On ne peut vivre en société sans se situer dans
l'espace et dans le temps; et c'est pour mieux vivre dans leur capitale sans
avoir à souffrir ni de trop de souvenirs, ni de trop d'oubli, ni des mensonges de
l'idéologie, que des Constantinopolitains, par bribes et morceaux, de génération
en génération, ont confectionné ce petit chef-d'œuvre truqué. Leur monde.
Si les byzantinistes ont le plus souvent méprisé les Patria, sauf pour
quelques renseignements ponctuels (et généralement douteu.,) qu'ils en tiraient,
les historiens d'autres horizons se sont depuis longtemps attaqués à des œuvres de
même texture. Ils ont défriché et montré l'exemple. C'est justice de le dire ici.
Comme tous ceux de ma génération, j'ai suivi cette formidable « conquête de
l'Ouest » qui a décuplé notre territoire et nos thèmes de recherche : le
folklore, les traditions orales, l'imaginaire, la littérature ( qu'il ne faut surtout
pas dire) populaire, ont maintenant droit de cité. Je reconnais volontiers ma
dette; mais par goût - et accessoirement par principe -, je sacrifierai peu
au.,'C subtilités méthodologiques et encore moins au.,'C délices du comparatisme.
La recherche de 1 'historien diffère peu, à mes yeu.,'C, de l'expérimentation du
biologiste; pour être précise elle doit se faire au microscope; pour être rigoureuse,
elle suppose la maîtrise des éléments dont on étudie les corrélations, ce qui
justifie ici comme ailleurs les spécialités; pour être profitable, elle doit être
bien choisie et poser les bonnes questions : tout n'est pas historique, parce que
tout n'est pas intéressant. Je fonderai mes analyses, pour l'essentiel, sur un
petit corpus de moins de trois cents pages. Mon objet est limité, on jugera
s'il est exemplaire.
Encore faut-il préciser que je ne prétends pas épuiser ici la matière de ce
mince volume de textes. D'autres, je n'en doute pas, sauront élucider certaines
difficultés de langue et d'interprétation dont je n'ai pas trouvé la solution,
serrer de plus près les problèmes de datation et de tradition manuscrite, tirer
de ces notices sur les statues, les monuments, les églises, les quartiers, tout cc
qu'elles apprennent d'original sur la topographie et l'histoire de la ville.
Il est certain également que les Patria, pour être mieux compris, devront être
replacés dans un contexte historique encore insuffisamment connu. Lors de confé
rences qu'il a données au Collège de France en 1983 et qui seront prochai
nement publiées, Cyril Mango a montré que Constantinople sort des crises
qui l'atteignent atL'C vne et vme siècles exsangue et délabrée, avec une population
brutalement ramenée au niveau d'une ville moyenne de 30 ooo à 50 ooo habi-
AVANT-PROPOS 7
tants; elle flotte dans son enceinte redevenue trop large, ses édifices tombent en
ruine et ne sont plus restaurés, sa mémoire aussi fléchit. C'est à ce moment que
les patriographes prennent la plume pour tenter d'établir un lien entre ce qui
fut et ce qui est, entre ce qui se lit, ce qui se dit et ce qui se voit. Leur
culture naît de la destruction et de l'oubli, mais elle n'en est pas moins
cohérente; elle se consolide lorsque Constantinople a repris son essor; on la
retrouve pendant des siècles largement diffusée dans les chroniques, les ency
clopédies, les récits de voyageurs et les innombrables petits textes que des
générations de copistes découpent et rapiècent; à chaque nouvelle crise elle
refleurit : 1204, 1453. Elle mérite donc bien d'être étudiée pour elle-même.
1. Rhelorts Gra,ci, éd. Spengel, III, p. 346-367, éd. \\'alz, IX, p. 164-212; voir aussi
C. Bursian, Der Rhetor Aft11a11dros und seine Schriften, Ahh. bayer. Al.ad. d. Wiss. philos.-philol. Cl.,
16, Abt. 3, !'1.1unich, 1882. Bon résumé dans E. Fenster, Laudes Constantinopolitanae, :Munich,
1968, p. 5-13.
10 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE
Il
« ÉLOGES » E T « RÉC I TS DES O RIGINES » 11
curiosités diverses, comme les pierres des monuments qu'ils décrivent, dans
des histoires, des excerpta moraux, des lexiques. Ils sont bien attestés et mal
connus. Photius, au 1xe siècle, lit dans des « extraits variés » de Sôpatros des
passages des IIch·pw: µ<Xxe:�ovLxx de Théagène le Macédonien 6, dont nous
retrouvons quelques lignes dans les Ethnika d'Etienne de Byzance : un mélange
de mythologie et d'histoire partant de l'étymologie du nom des villes; du
même auteur on garde le souvenir d'œuvrcs semblables sur la Carie et sur
Egine s. Aréthas, au 1xe -xe siècle, connaît des II(hpt<X BLOuvwv 7 ; un peu plus
tard, le De thematibus de Constantin Porphyrogénète est nourri de cette littérature
dont le découpage dans les encyclopédies du temps achève la désagrégation 8 •
A l'origine se trouve sans doute la tradition alexandrine des x-:-lcrw; ou épopées
de fondation 9 ; mais le genre, mi-poétique mi-historique, semble connaître
un renouveau et avoir des spécialistes au..x v e -v1e siècles : Claudien écrit des
Patria de Tarse, Anazarbe, Bérytos, Xicée; Christodôros des Patria de Thessa
lonique, Milet, Xaklè, Tralles, Aphrodisias 1 0• Tout ou presque est perdu, et il
n'est pas sûr que sous le titre de Patria nous n'ayons pas som·ent affaire à de
simples éloges 11 , à des ekphraseis ou à des épopées en vers 12 • l\.Iais le genre existe
et s'enrichit dans cette dernière floraison de la vie provinciale; il nourrit
]'Histoire d'Agathias 13 et la Chronique de Malalas u. Les fragments collectés par
K. Muller puis F. Jacoby 16 suffisent à révéler ]'ampleur de cette littérature
5. Photius, Bibliothèque, cod. 161, éd. Henry. II, p. 127; cf. Christ-Schmid-Stahlin, Griechische
Literalurgeschichte, 11 1 , p. 216; FHG, I\', éd. :-.!ülkr, p. 509-510.
6. FHG, IV, éd. :-.!üllcr, p. 510-5 1 1 .
7. l\ientionnés dans son Commentaire d e l'Apoca/_;pse.
8. Par exemple dans le chapitre sur la l\!acédoinc, éd. Pertusi, p. 86-88.
9. Christ-Schmid-Stahlin. op. czl.. 111, p. 147-148 et 213-234.
10. Ibid., 112, p. 960-961 ; Souda, s.v. Xp:cr-:6Sw�'lç. Citons encore des Patria d'Hermoupolis
par Herrnias d'Hermoupolis et des Patria d'Alexandrie par Horapollûn, cf. Photius, Bibliothèque,
cod. 279, éd. Henry, \'III, p. 187-188; Christ-Schmid-Stahlin, op. cil., IF, p. 973.
1 1 . C'est le cas du discours Etç -:x ::i-:pix 'Pwµ:r,ç de Kallinikos, dont un extrait est publié
par H. Hinck dans son édition de Polémôn (Leipzig, 1873. p. 43-44).
12. Ainsi les Patria de Constantinople et de Thessalonique composés en vers épiques par
Christodôros (Souda, /oc. cil.} et les lsaurzka qu'écrivent, à la gloire de Zénon !'!saurien ou
d'Anastasc vainqueur des !sauriens, Pamprépios, Christodôros. Candidus et, peut-étre un peu
plus tard, Kapitôn (Souda, s.u.; Photius, Bibliothèque, cod. ï9, éd. Henry, I, p. 161-166;
FHG, IV, éd. Müller, p. 133-137).
13. Référence, à propos d'une inscription de Tralles, à f; ::i-:pt'lç -:c.ü o1cr-:Eoç icr-:0p[x,
Agathias, Hist., II, 1 7, 6, éd. Keydell, p. 63.
14. Cf. G. Downey, References to Inscriptions in the Chronide of 1falalas, Transactions
of the American Philological Association, 66, 1935, p. 55-72.
15. Die Fragmmte der griechischen Historiker, III : Geschichte l'On StiidtC11 und Vôlkem, Auloren
über verschiedenen Stiidte, A (texte et commentaire des n°• 262-296), B (n°• 297-6oï) et C
(n°• 608-856).
12 CONSTANTINOPLE IMAGINAIRE
16. Etienne de Byzance, s.v. B6cmopoç : ol -.à r.:6:-.pL(l( �µwv è;71youµcvoL; Constantin
Porphyrogénète, De thematibus, 0cc. 12, éd. Pertusi, p. 100 : ol -.:l: r.::i-:-pw. auyye:yp'X96-.e:ç
Bu�mr:-[ou.
17. Hésychios, Patria, 2 (H 2) ; voir plus bas, p. 25-26.
18. Jacoby, op. cit., III B, p. 266 (n° 389).
1 9. Jacoby, op. cit., II B 1 (Zeitgmhichte; Spe::ialgeschichten, Autobiograpllien, Ztitafe/11) .
p. 676 (n° 132) ; Hésychios, Patria, 26 (H 26).
20. Jacoby, op. cil., II B, p. 889 (n° 162). Il n'en subsiste rien.
2 1 . Justin, 9, 1, 3.
22. Dio,rysii Byzantini Anaplus Bospori, éd. Wescher, Paris, 1874; éd. Güngerich, Berlin,
1 958; les commentaires d'Eustathe sont publiés par K. l\.füller dans ses Geograph1 Gratci
A1inores, II.
« ÉLOGES » E T « RÉCITS DES ORIGINES » 13
entre !'Antiquité et le Moyen Age, puisque leur auteur les concevait comme
un résumé des écrits anciens et que la tradition a fondé sur eux un genre
nouveau 23 .
25. Ed. Laborde, op. cil., § 1, p. 1 7 : l'Acadc'mie se trouve Èv zw;;(c,> -:c�,v �:tcn).Lxc';,v,
l'école des Eléates d; ":()'JÇ rxµ;:EÀr,;ci;rr,,•1�. et celle de Platon d� -:o
;::xp8dcnov.
26. Ibid., § 9, p. 19. Le nom d',\baris, l'hyperboréen qui parcourait If' monde saru
nourriture et volant comme une flèche d'or, peut dériver d'Hfrodoti:, I\', 3G ou de Platon,
Charmidt, 158 b.
27. Ibid., § 5, p. 18.
28. lb,d., § 3, p. 18. Confusion avec Actts 8, 38 (baptême d'un eunuque éthiopien par
Philippe en Palestine) ?
29. Ibid., § 1 0- 1 1 , p. 19-20.
« ÉLO GES » ET « RÉC I TS DES O R I GINES »
30. S. G. }.fercati, �oterella sulla tradizione manosrritta dei Afirabilia urbis Athmarum,
Studi e Testi, 233 }.1élanges Tisserant, III), Vatican, 1964, p. 77-84; PG, 28, col. 681-684
et 1428-1432. C'est le Vatic. gr. 1896, qui réunit les deux textes. Sur les oracles chrétiens
d'Apollon, voir plus bas, p. 102 et 153 n. 102.
31. Voir plus bas, p. 34-40 et 58-6o.
32. Trad. Carra de \'aux, Paris, 1898. L'auteur n'a pas écrit en 1 209 comme on le dit
souvent, mais vraisemblablement deux siècles plus tôt, cf. A. l\fiquel, La géographie du monde
musulman jusqu'au milieu du XI0 siècle, I, Paris, 1967, p. xxxv. Je ne connais aucune étude
approfondie sur cet ouvrage. Qui voudrait retrouver les traces de Patria d'Alexandrie à travers la
littérature arabe, devrait partir du long compte rendu de G. l\faspero dans le Journal des
Savants, 1899, p. 69-86 et 154-172, et de la riche introduction de G. \\ïet à L'Eg;pte 1U
Murtad1 fils du Ghaphiphe, Paris, 1953.
33. }.louche de cuivre qui éloigne les mouches, représentation de lion qui empêche les
lions d'approcher, statue d'Isis qui contraint les femmes à avouer leur adultère, Abrégé des
Afen·tilles, trad. Carra de \'aux, p. 184, 201 -202, 243, 285. Voir plus bas, p. 111 et 140.
16 C O NS TANTIXOPLE HfAGI.\'A IRE
3-1,. Codict topografico della città di Roma, I-l\- Fo11li per la storM d'Itr.lia, rnl. 81, 88, 90
et 91), Rome, 1910-1953.
35. Loc. cit., II (rnl. 88}, p. 157-175 : 8_r/loge epigraphica conscrvl'C au couvent d'Einsicdrln
dans un manuscrit du x1v•-x\•c sièdc; le modèle semble remonter au 1x•-x• siècl e et s'111spir�r:11t
d'une- c-ompilation du vm• {De Rossi. Inscr. Christ., II, p. 18 s.).
36. Mirabilia, III (vol. 90), p. 3 s.
37. .\Iirabilia, 11, ibid., III (vol. go), p. 28-29. La légende C!ôt ch:j.i connue de :-Jalal.LS
(Bonn, p. 231-232), qui se rffüe à un certain Timothfos; die est reprise par la Souda, s t·.
A·�yo'J0"7',:;; elle apparait en Occident <l,lfü le Latnculris 1mJ,tratnrwn ,\la/alianu.s, ,-.l. �louuns�n,
AflIG a.11., XIII, p. 4i8-.p9. Son origme et son <l<'\'clopp<"mtnt 0111 ,té <:tLd1és notamment
par K. Pracchtcr. B:::_, 5. 18�6, p. -1,9;, n. 3, et par li. Aurenhammcr, m Lnrkon dtr
christlichm lko11ograph1r, l (\'irnnc, 1 9ti8}, p. 226-227.
38. •\lirabi/111, 12, ibid., III (,· ol. go), p. 30-31.
« ÉLOGES » E T « R É CITS DES OR IGINES » 17
d'abord que « récit des origines » , itinéraire concerté, description des curiosités
urbaines, est devenu une littérature originale, un genre qui vit, se transmet,
se transforme, se nourrit de propos entendus autant que de références livresques,
profite de la moindre confusion, ressemblance ou ignorance pour s'envoler.
Dans les deux capitales s'instaure un jeu déconcertant et fascinant entre un site
dont la permanence tient lieu de continuum historique, des hommes dont la
mémoire est imparfaite, en tout cas sélective, mais qui ont conscience d'être là
par droit de succession, et des monuments d'époques diverses qui, par leur
présence et leur juxtaposition, servent de support à une libre reconstitution du
passé.
Dans les textes qui nous intéressent ici, le monument n'est pas un souvenir;
il est d'abord un sens oublié. Et à la limite de cet oubli (que l'on peut souvent
croire volontaire), du spectacle d'un passé qui n'est plus vraiment histoire, naît
une culture; une culture faite par et pour les habitants d'une ville.
39· Collection des Afisctlla11,a By.::anti,,a Afonacensia, 19, Institut fur Byzantinistik und
neugr iechische Philologie, ;\lunich, 1968.
G. DACRON
CO.NS TA.NTJ.\'OPLE IMAGI.VAIRE
sur dix siècles d'histoire littéraire dans tel poème de Grégoire de Xazianze ou
de Jean le Géomètre, dans telle lïe de saint (Théophanô, Jean Akatzios), en
préambule d'une Novelle impériale, d'une Chronique, d'un traité, ou au détour
d'un commentaire de l'Apocaf;pse. On peut tirer de ces formules répétées une
sorte de définition « idéologique » de Constantinople : antique cité de Byzas,
construite sur le « bon côté » du Bosphore, c'est-à-dire sur la rive européenne et
non asiatique 40 ; ville éponyme de Constantin ; reine de l'Empire et centre du
monde puisqu'elle abrite l'empereur en son palais ; « Deuxième » et « Nouvelle
Rome », qui doit sa haute destinée à sa piété et à son orthodoxie; « Nouvelle
Jérusalem », donc, et « Nouvelle Sion », protégée par Dieu, par la Vierge et par
ses innombrables reliques; par ses remparts aussi, réputés imprenables; phéno
mène urbain sans précédent; ville riche, luxueuse, consommatrice de biens; mais
aussi nouvelle patrie de la beauté et de la culture, « foyer des Muses »,
« Nouvelle Athènes » sur laquelle le monde a les yeu.x fixés. Tous ces éléments
ne sont pas d'égale importance d'un siècle à l'autre : le religieux recouvre
progressivement le politique et la 6eoi:puÀixx,oç 1t6Àtç supplante peu à peu la
« Nouvelle Rome » 41 ; la référence à l'hellénisme apparaît surtout à partir des
Comnènes 42 • Il ne s'agit pourtant que de dosages, de variations lentes et
contrôlées, avec parfois les échos discordants d'auteurs qui dénoncent en
Constantinople une ville d' « illusions », corrompue, sans vrai passé 43,
trahissant l'Empire et détournant l'empereur de son rôle, tous griefs qui, en
substituant une idéologie anticonstantinopolitaine à l' « idée de Constantinople »,
font mieux sentir le poids de cette dernière.
A ces formules martelées mécaniquement, les historiens modernes ont fait
trop bon accueil. Les Byzantins s'en accommodaient moins bien et savaient
mieux reconnaître ce qu'elles dissimulaient de contradictions et de faux
semblants". L'un des principaux intérêts des Patria qui s'élaborent entre
le vme et Je xe siècle est peut-être de nous montrer comment à chaque élément
Les Patria de Constantinople ont sans doute sur les lvfirabilia de Rome
l'avantage d'une plus grande cohérence. Le recueil qu'ils constituent est
cautionné, avant l'intervention et le choix de la critique moderne, par une
large tradition manuscrite qui avait déjà au x e siècle opéré le regroupement
des textes sous un titre générique et procédé à leur refonte, mais d'une façon
grossière et maladroite qui laisse apparaître les emprunts, sutures et remanie
ments. Se devinent ainsi la progressive élaboration du corpus et, au-delà, la
genèse d'un genre qui acquiert peu à peu ses thèmes, ses modèles, son vocabulaire.
Fort heureusement, l'édition donnée au début du siècle par Theodor Preger
suit d'aussi près qu'il est possible ce lent travail de recomposition et de réécriture,
et au lieu de fournir la version moyenne, dans un style uniformisé, de cc qui eût
dès lors fâcheusement ressemblé à une œuvre d'écrivain, laisse bien visibles
les strates successives et le travail du temps. Le choix du philologue sert ici
l'historien en gardant au.x Patria de Constantinople leur originalité la plus
précieuse : le mouvement de création continue dont ils témoignent du vie
au xie siècle.
Le volume ainsi composé comprend 1
398 (xe siècle) ; 2) P 'Preger, p. 19-73) : une suite de « Brè\·es notice� histo
riques » (Tio:pcxa,œcrelç cruv-roµol zpovLxcx[) sur les monuments et mcrYcilles de
Constantinople; un manuscrit unique, le Parisinus gr. 1336 (x1e siècle) nous
en donne ce qu'on serait tenté d'appeler le texte « original » du vme siècle,
s'il ne s'agissait plutôt d'une étape dans la transmission et de la provisoire
stabilisation d'une tradition qui semble partir du vie siècle et qui aboutit,
assagie et remodelée, au corpus du xe ; 3) D (Prcgcr, p. 71-108) : un récit
difficilement datable entre le vme et le x c siècle, sur la construction de
Sainte-Sophie par Justinien (�l�y-t;crlç n-epl 'T'Îj c; otxoôoµ'r,c; ·roG V!Xov -:r,ç µey&À"t)Ç
-roü 0eoü ÈxXÀ"t)cr(cxc; 'T'Îj c; brnvoµcx�oµÉv"t)c; 'Ay(o:ç �oip[o:ç), où renseignements
historiques précis et observations directes sont pris dans la trame d'une légende.
L'œuvre a une tradition manuscrite propre; elle se trouve reprise non seulement
dans les Patria du xe siècle, mais aussi dans certaines chroniques postérieures :
Glykas, Dorothée de Monemvasie.
2. Le plus intùc-ssant est sans doute le Sùzaïtiws gr. , , 17, <lu cJ,.but du x1v• siêck,
,
fol. 280 -o - 2ca ,-<>; rf. \'. I. Bcnc'cnè, Opisa,.ie greéesl.ih ruJ.1,pisej mornzsllr;a SijatoJ Ll.aterin_r,
I, p. 266-293 (n° 483), où ks Pa!ria sont signalés p. 279. I l s'agit d'un recueil principalement
c::monique dont le copiste a une belle i·criturc de professionnel. Le texte est proche <le
celui de G (Paris. Suppl. gr. 657).
3. Cf. J. �{unitiz, Synoptic Greck Accounts of the Se,·cnth C.ountil, RI li, <J2, 191,},
p. 1.17-186.
GENÈSE DES TEXTES E T NAISSANCE D ' UN GENRE
4. Le Palati,1us gr. 398, de la première moitié du x• siècle, réunit des excerpta de mytho
graphes, géographes, épistolographes, paradoxographes, des lettres d'Hippocrate, une chresto
mathie de Strabon et, aux fol. 209 r0 - 215 r0, l'extrait d'après Hésychios. Cet important
manuscrit a été rattaché à une « collection philosophique » qui remonterait aux dernières
décennies du 1x• siècle et nous permettrait de saisir, sinon l'activité d'un groupe de lettrés
animé par Photius, au moins l'un des aspects de la renaissance des lettres à cette époque.
Cf. T. W. Allen, Palaeographica Ill, A Group of Ninth-Century Greek Manuscripts, The
Journal of Philolog)", 2 1, 1893, p. 48-55; A. Dillcr, The Scholia of Strabon, Traditio, IO, 1954,
p. 29-50; J. Irigoin, L'Aristote de Vienne, JOB, 6, 1957, p. 5-10, et la mise au point de
P. Lemerle, Le premier humanisme byza11ti11, Paris, 1971, p. 218-219. Un récent article de O. Musso
(Sulla struttura del cod. Pal. gr. 398 e deduzioni storico-lctterarie, Prometheus, 2, 1976, p. 1-10)
apporte peu et aboutit à la conclusion douteuse que le recueil fut commandé par Constantin
Porphyrogénète. L'extrait « d'après Hésychios », qui porte dt'j à le titre de Patria dans le manus
crit de Heidelberg, a été édité par Jean Meurs (Lyon, 1613), Orelli (Leipzig, 1820), repris
par K. :\1uller (FHG, IV, p. 146-154), Preger que nous suivons, et F. Jacoby (Die Fragmente der
griechischen Jlistorik,r, III B, p. 266-272, n° 390).
5. Photius, Bibliothèque, cod. 69, éd. Henry, I, p. 101.
6. Souda, s.v. 'IIauzwç �lLÀ+,moç.
C0NSTANTIX0PLE l.HA CI.V.1 /RE
premier livre, déplaçait tout à coup l'intérêt de l'Orient vers l'Italie; la fondation
de Rome, l'instauration du pouvoir consulaire après le renversement de la
royauté, et l'établissement du pouvoir personnel de Jules César formaient le
corps de l'ouvrage; s'ouvrait enfin, en 330, une nouvelle page de l'histoire de
Rome dans le décor de Constantinople 7 • Cette vaste architecture mettait la
nouvelle capitale en point de mire. Orientale, elle revenait au berceau de la
civilisation ; romaine, elle héritait toute légitimité politique; chrétienne, elle
signait une nouvelle traite sur l'avenir. Le fragment isolé et seul conservé sous
le titre de Patria avait dans cet ensemble un but très précis. Il se situait soit
à la fin de la cinquième « section » (« depuis la dictature de Jules César
jusqu'au moment où la ville de Byzance atteignit à un grand renom de
puissance, au début de la CCLXVIIe olympiade »), soit au début de la
sixième (« qui commence au moment oü Constantinople eut le bonheur d'avoir
Constantin pour souverain »), et il donnait un arrière-fond au transfert de
capitale, une préhistoire locale à Constantinople, dont la véritable histoire,
avant 330, devait être cherchée à Rome. De l'ample chronique on n'a donc
retenu et conservé qu'une transition, un maladroit rattrapage destiné à faire
se rejoindre deu.x lignes distinctes, l'une historique qui menait de Romulus à
Constantin en ignorant Byzance, l'autre géographique qui allait de Byzance
à Constantinople en ignorant Rome. Une histoire d'un côté, un site historique
de l'autre.
Qu'il y ait eu là une sorte de parenthèse dans la Chronique primitive, le
texte conservé l 'indique bien, qui commence par une récapitulation (II r) :
« 362 années s'étaient écoulées pour l'ancienne Rome depuis la monarchie
de César Auguste, et les affaires de la ville touchaient désormais à leur
fin 8, lorsque Constantin, fils de Constance, se saisit du pouvoir et fonde la
Nouvelle Rome, prescrivant qu'elle aurait égalité de titres avec la première.
Déjà elle avait connu tyrans et rois en grand nombre, avait fait l'expérience
de régimes aristocratiques et démocratiques, pour parvenir finalement à la
grandeur susdite. Il nous faut donc dire quelles furent ses origines et qui la
colonisa. » Et après une rapide esquisse qui s'attarde un peu sur Byzas,
raconte quelques épisodes de la guerre de Byzance contre Philippe de !\facédoine,
croise Rome avec Septime Sévère et la rejoint avec Constantin, la parenthèse
se referme (H 42) : « C'est ainsi que Constantinople parvint :1 cc haut degré,
devenant reine (c'est-à-dire capitale) par droit de succession, jusqu'à notre
7. Photius {ibid., p. 101- 102) cst le seul à nous faire connaitre le contenu de l'o·mTc.
8. Entre la ,·ictoire d'Actium, en 3 1 avant J .-C., et 330 qui est le terme assi�né à ce
court récit (H 42 : la 25• année du règne de Constantin). On trouver,\ plus bas (p. 3i5) un
parallèle entre cette phrase et l'introduction de certaines Apocalypses.
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE
époque. » Les mêmes mots, à peu près, au début et à la fin; à ceci près que
Byzance est devenue entre-temps Constantinople et Nouvelle Rome, ce qu'il
fallait démontrer. Nous constatons que Photius avait fidèlement résumé l'œuvre
du vie siècle.
Ce morceau était écrit d'une autre encre que le reste de la Chronique,
et à partir de sources qui ne sont pas habituellement celles des historiens.
Hésychios les désigne lui-même, sans malheureusement les citer (H 2) : « Il nous
faut dire ce que fut l'origine de Byzance en nous fondant sur les poètes et
historiens anciens (Èx --:wv &px.o:(wv TTOL'Yï7WV :x.o:t cruyypix9Éwv --:·r,v tm60E:crtv
1totouµÉvoiç). » On reconnaît là les mythographes et patriographes à l'ancienne
mode ; pour le temps des légendes, ceux que nous avons déjà rencontrés : un
vieux fonds d'anecdotes, d'oracles, de parétymologies qui passe ensuite chez les
lexicographes et dans les excerpta; certains historiens romains pour 1 'époque
de Septime Sévère; une littérature historique plus dense pour la fondation
constantinienne. :i\.Iais assez vite l'étude des sources tourne court, tandis que
s'allonge la liste des remplois. La proximité de bien des passages avec
l'Anaplus Bospori de Denys de Byzance fait conclure à des emprunts, peut-être
indirects 9 ; les historiens du règne de Septime Sévère connus de nous, Dion
Cassius ou Hérodien, ne semblent pas mis à contribution 10 • Hésychios avait
encore à sa disposition une tradition large et diffuse, peut-être déjà épaissie de
commentaires ou découpée en excerpta, que sa brève synthèse a oblitérée, et
c'est un jeu pour lui de discuter les opinions de devanciers qu'il ne cite pas.
Ainsi sur l'origine de Byzance (H 5-6) : « Les uns racontent que des Mégariens
descendants de ::'\isos vinrent en ce lieu par mer sous la conduite de Byzas, dont
le nom fut donné à la cité; d'autres imaginent que Byzas était le fils de
Sémestrè, une nymphe locale. Chacun adopte une version différente, mais nous,
nous voulons présenter au lecteur une histoire crédible, et nous plaçons
l'origine à Iô, fille du roi des Argiens Inachos. » Suit en effet l'histoire d'Iô
persécutée par Hèra, et l'étymologie qu'elle suggère des toponymes Bosporos,
Kéras, etc. 1 1. Entre Hésychios et ses sources, il y a non seulement une zone déjà
g. H 3-4 et 6-g, sur l'oracle délivré au.x Argiens et la mythologie locale, à rapprocher de
l'A11aplus, 23-25, éd. \\"escher, p. 10-13, et remployé par Ltienne de Byzance, s.1•. 13-J�xv-;:r,v;
H , 1, sur Chrysopolis proche de l'A11aplus, 109, éd. \\'escher, p. 33, et repris dans Etienne
de Byzance, s.u. .Xp-,al,;-:,;i.iç; pour les vers de dédicace d'une statue reproduits en H 30,
voir plus bas, p. 150 cl n. go.
10. Sinon peut-être en H 13-14, à propos des anciennes tours, avec une allusion à -roi:ç
T-xÜ-r-x CJ'Jyyp-xy-xcr:, qui peut renvoyer à Dion Cassius, LXXIV, 14. H 36 ne fait qu'un très
vague r6umé du siège par Septime Sévère, voir plus bas, p. 70.
1 1. Zeus, amoureux d'Iô, la transforme en génisse pour tenter de déjouer la jalousie de
son épouse; mais Hèra n'est pas dupe de la métamorphose et obtient de Zeus que la génisse
COXSTANTIXOPLE HfAGI.VA IRE
lui soit consacrée. Elle la fait garder par Argos « aux cent yeux », qu'Hermès pan·icnt à tromper.
Alors commence pour Iô poursuivie par un taon une pénible errance. En Thrace, dlc donne
son nom au Bosphore (compris comme « gué de 1:\ vache ») et à la « Corne d'or) » parc«.' qu'elle
accouche à cet endroit de la nymphe Kérocssa. �lais Hc'sychios se n'füc à d'autres t'xplic.1tions
de cc dernier toponyme : « corne d'Amalthée » à cause de la richesse du lieu ou tout simplement
« corne » à rnuse de la forme du bras de mer (H 7-8).
12. R. Janin, Constm,t11wple by,:a11tme", p. 1 1 ; G. Dagron, .\"aissar:ce d'1111t caJ,itale, p. 15.
13. Voir plus bas, p. 70-71.
1.1. De H 13-1+ et 24-25 a <'té tiré un court rfrit q,u a connu i..ne tradition à part;
cf. éd. Pregcr. p. 5-6, 10, apparat, d plus bas p. 6} et G8.
15. cr. Pio Franchi de' Cavalieri, D, un framrnento du una Vita di Costantiuo, Studi t
Documwti di Storia t Dtritto, 1 7-18, 18:Jti-189ï, p. 89-1:p ; i'<l. Opitz, fi>.: , q, 1934, p. 5fi8-5ï6
(§ 38-48). li n'y a dans cette Vit anonyme de Const.rntin que trois ,1dditions notables par
rapport à l'extrait d'Hésychios (Pio Franchi de' Ca,·alicn, op. nt .. p. 102-104).
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE
il croit donner la preuve d'un travail critique. Mais Constantin n'est plus,
dans le nouveau projet, le terme d'une « histoire des origines » et le point de
départ de l'actualité; le remanieur croit devoir descendre plus bas et saute
allègrement de 330 au règne de Théodose II pour évoquer l'hérésie mono
physite, appelée par lui hérésie des Amalécites et Chatzizarioi 2 \ le blasphème
contre le Trisagion qui provoque un séisme et la chute des remparts de la ville 23,
la construction des nom·eaux murs par les dèmes 2\ l'expulsion des hérétiques
K I, 72-73). L'histoire des origines s'arrête là : Constantinople a désormais ses
structures définitives, sa légitimité politique, son orthodoxie, ses dimensions
urbaines définies par sa nouvelle enceinte, et son organisation dualiste, celle
des dèmes de l'Hippodrome, qui lancera le jeu politique et fournira aux
patriographes leur langage de prédilection.
Il ne faut pas voir dans ce remaniement un simple avatar de la tradition
manuscrite, mais la mise en place d'un genre. Sans doute Hésychios avait- i l
déjà déformé ses sources pour les adapter a u but e t au plan de son ouvrage;
sans doute aussi l'extrait du Palatinus, si fidèle au texte original qu'on puisse
l'imaginer, en trahissait-il le sens par le seul fait qu'il donnait à un fragment
isolé de son contexte une existence autonome. Le remanieur du xe siècle,
par quelques suppressions et quelques additions, le dénature encore plus
complètement. Et nous comprenons par ce premier exemple quels rapports
Eutropius 2. Eleusios est-il confondu avec l'é\·êque homoiousien de Cyzique. bien connu des
sources de la deuxième moitié du 1v• siècle et cité dans la Souda (s.t.} ? Trôïlos, sophiste
enseignant à Constantinople, compte parmi les correspondants de Syn{-sios et apparait en
plusieurs occasions dans l'Hist. eccl. de Socrate; cf. l'LRE, II, Troilus 1. Quant à Ilésychios
de 11ilet, il est né sous Anastase, mais le patriographe ne connait de lui qu'un extrait qu,
s'arrête au règne de Constantin. Toutes ces références sont donc ficti\·es.
22. Les Am:dfrites sont, dans l'Ancien Testament, le peuple le plus hostile au,c Juifs et
qui fait obstacle à la mission d'Israël (D.:ut. 25, 17-19); les Chat::.iznrioi sont une secte armt'
nienne du vn• siècle dont différents auteurs font déri\·cr le nom de chat::.i la croix (cf. Di-mètnos
de Cyzique, PC, 127, col. 860-885: Constantin Stilbès, cf. J. Darrouzès, REB, 21, 1963, p. 89;
l\ïcéphore Calliste, Hùt. tccl., XVIII, 54-, PC, I.J.7, ml. 4-.p-4+4-, dans u11 chapitre sur les
jacobites et les théopa�chites). Ces grossiers anachronismes s'expliquent sans doute par le fait
que, pour un Byzant111 du xe sit'clc, ks monophysites expulsé, par Thcodose li s'identifient
avec les Syri,·ns jacobit<"s d'une part (Amall'citcs) et les Arménil'ns d'autre part (Chnt::izarioi) .
23. L<' 25 septembre .J.37, un séisme êbranle l a ville (sans pour autant détruire k s
muraille s); l a vision miraculeuse d'un t·nfant fait comprendre qu'il s'agit d'une punition dhinc
sanctionn:rnt l'addition théopaschite du c;-:-.2u;;wOd; lh' r,µi; au Trisagion; cf. 'l'ht'ophane,
éd. de Boor, p. 93: Sywwire dt Co11sta11tinople, éd. Ddchayc, p. 79-80.
24-. Il y a ici confu sion entre la construction de la muraille théoclosi<-nne en 4 1 2, l'épisod e
de +37 mentionné ci-dessus, et la reconstruction d'urgence des tours t"t des murs renversb lors
des secousses sismiques de novembre 447 - janvier 448. Cf. K II, 58 et K 1II, qo, et plus
bas, p. 183.
GENÈSE DES TEXTES ET N AISS ANCE D ' UN GENRE
existent entre les Patria et l'histoire. Nous voyons naître le récit patriographique
dans une faille du temps historique, lorsque la trame temporelle, qui traçait
une ligne bien droite de Romulus à Auguste et d'Auguste à Constantin,
s'interrompt pour laisser la primauté à un site : Byzance devenue paradoxale
ment Nouvelle Rome. Sans doute la distorsion est-elle particulièrement évi
dente dans le cas de Constantinople, dont le site est sur le Bosphore et dont
la véritable histoire, avant 330, doit être cherchée à Rome ; mais les Patria
de n'importe quelle ville, par leur projet d'écrire l'histoire d'un lieu, ne font
sous couleur d'histoire que l'archéologie d'un passé discontinu et n'exposent
qu'une préhistoire de la ville, disponible à toute imagination, à toute reconsti
tution à partir de quelques souvenirs épars et de quelques traces monumentales.
Hésychios parcourait cet entre-deux à grandes enjambées pour retrouver au
plus vite la diachronie romaine ; les patriographes y campent : ils sont sur
leur terrain.
Les Parastasei.;
25. Sur cette notice, voir plus bas, p. 145. Le nom devait être ici encore Konôn, mais
le texte des Paras/astis est reconstitué d'après K II, go, par suite de la perte d'un feuillet dans
le PariJ. gr. 1336. !<.fa rapide analyse ajoute peu à celle de Preger, exposée dans sa première
édition des Parastaseis (Programm des Kimiglichm i\,faximilia11s-Gpnnasiums für das Schuhljahr 1898,
Munich, 1898) et reprise dans son édition complète des Patria (I, 1901, p. vm-x).
CO.VS TA.VTISOPLE I.\L1 CJN.11RE
26. G. �fillet n'est guère convaincant lorsqu·il fait du moine Ana5tase un partisan de
l'u,;urpatcur Artavasdc et conclut que les l'araslascis ont été composées entre ;42 et ;46
(Parar/auis s;·ntomoi dmmikai, essai sur la date. BCH, 70, 1 946, p. 393-402): Alan Cameron
ne l'est pas davantage l orsqu'il suppose qu',\nastasc est l'auteur d'un florilège iconodoulc (,\
Quotation from S. :--:ilus of Ancyr., in an Iconodulc Tract?. Joumal of Theologic<il Studies, 'l 1,
1 976, p. 128- 1 3 1 ) . Les Chroniques parle-nt bien d'un moine André le Kalybite, exécuté lui
aussi pour amir été trop sinrèrc, vers ï61, à !" hippodrome de Saint-�1.imas (Théophane,
éd. de Boor, p. 432), mais 11 est difficile de !"identifier à Anastase sans cxpliquc-r uuc double
erreur de nom et de lieu.
27. \'oir plus b:is, p. 1 1 9 - 1 20.
28. Voir plus bas le chapitre consacré à !'Hippodrome.
29. \'oir notamment les notices concernant Constantin {plus bas. p. 45-47) et le, statue.s
le:. plus célèbres {p. 135).
30. Le Parir. gr. 1336. fol. 1 1 1 r0 - 13.1 r0, dont on connait deux apographcs tardifs, le
Paris. gr. 1789 (xv1• s.) et le Parir. Suj>pl. gr. 565 (xvrr• s.).
GENÈSE DES TEXTES E T XAISSAXCE D ' CJ.V GENRE 31
n'était pas destiné à durer sous cette forme transitoire, puisque seule s a réécriture
dans les Patrza du xe siècle lui assure une large diffusion; un maillon parmi
d'autres, et pas forcément dans la chaîne la plus directe, puisque l' « Anonyme
de Maximilien Treu » (Paris. Suppl. gr. 607 A, xe siècle) nous conserve une
partie des mêmes notices sous une forme assez différente, dont s'inspirent
parfois les Patria du xe siècle 31 • Mais cette fragilité fait le prix du document ; il
nous présente l'ébauche d'un ouvrage qui ne trouve sa forme littéraire définitive
que deux siècles plus tard, la première élaboration d'un texte patriographique
dont nous avons failli ne connaître qu'une version recuite et édulcorée. Grâce
à lui nous remontons non pas certes à une source originale, mais au temps où
un copiste un peu imaginatif retranscrit pour ses contemporains ce qui n'est
encore que tradition diffuse, où commence à naître un genre dont cet écrit est
le plus ancien et le plus authentique produit, où nous sommes à même d'observer
les mécanismes de cette naissance.
31. M. Treu, Exctrpta Anonymi By:a11tini ex codice Parisino Suppl. Gr. 607 A. Stàdtische�
Gymnasium zu Ohlau, 1880, Progr. 167. L'éditeur ne consacre qu'une très brève postface
à l'étude des manuscrits, des sources et des remplois postérieurs (p. 57-58). Ce curieux
recueil, fait de fragments anonymes, est composé à peu près comme suit : t) ?..otices sur
des noms commençant par la l�ttre alpha (Iîzpt '.\3,,xôr,•17,ç, Aùyouo-:-dc,u, !i-:-p,xfh·rn«7iv,
cxy,xÀµi-:-wv, d:v3pd,xç) pour la plupart extraites de Lydos et que l'on rctroU\·e dans K II, 1- 1 5 ;
2) Notices prises à la même source que les Parastaseis, mais sélectionnées et corrigées, sous le
titre Ikpl d:yûµ±-:-w v; 3) Après l'indication TD.o; -:-wv o-:--r,).wv, le copiste reprend l'ordre
alphabétique (' Apz·� -:c,G B o-:,;nzd,;•J, p. 2 t) avec qu,·lqucs notices brè,·es puis des textes
plus longs tirés de Lydos ou de di,·ers auteurs (Ihpl �po•Jµû.[wv, �,oé;-:-ou, y.:vfo.:wç
civ0pw1t,n...) ; 4) Enfin des scolies à Denys le Périégète et à Aratos. Sur la place de ce recueil,
voir plus bas, p. 56, 60. Preger reproduit en apparat le texte de !'Anonyme de Treu lorsqu'il
diffère de façon significative de celui des Parastasûs.
32. Elle n'est guère douteuse, même si le recueil du vm• siècle est truffé d'emprunts.
CONSTANTIJ,fOPLE IMAGINAIRE
43. Cf. éd. Preger. p. 35, apparat; K II. 2+; Souda. s.l'. Kuvl;yio,J.
44. Il s'agirait donc d'un auteur du vm• siècle ayant écrit après 718. L'indication n'est pas
reprise en K I I , 1 10.
45. Sur cette notice, Yoir plus bas, p. 93 s. Les noms d'Hérodote et d'Hippolyte figurent
aussi en K II, 93.
46. Je ne crois pas qu'il faille suivre Alan Cameron lorsque, après a\"oir proposé de
reconnaître dans Ankrrianos (corrigé en Ankyranos :'.\il d'Ancyre, il pense que le moine
GENÈSE DES TEXTES ET NAISSANCE D ' UN GENRE 35
Anastase (cf. P 63) aurait cité des extraits de cet auteur dans un florilège iconodoule (A Quotation
from S. Nilus of Ancyra in an Iconodulc Tract ?, Journal of Theological Studies, 27, 1976, p. 128-
131). Il ne me· parait pas non plus probable que l'ouvrage désigné par l'expression Èv TÏi 3exo:My<:>
(Èv T<:> 3cxi-:i:, My<:>, K lI, 1 06) soit un Décalogue.
47. Théodore le Lecteur, auteur au v1• siècle d'une Historia trip11rtita faite d'extraits de
Socrate, Sozomène et Théodore!, et d'une Histoire ecclésiastique en quatre livres; cf. RE, V, A 2,
col. 1869-1881 (Opitz, 193-1), et surtout G. Ch. Hansen, Theodoros Anagnostes Kirchengeschichte,
Berlin, 1971, dont l'introduction (p. 1x-xxx1x) fait le point sur tous les problèmes de la tradition.
Théodore est encore cité en P 27, 29 (titre), 68, 74, et apparaît donc comme la source la
plus souvent invoquée.
48. Références fantaisistes et anachroniques. Faut-il reconnaître dans Je « chronographe
Milichios » Hés}'chios de l\1ilet ? Dans cc cas on serait tenté de corriger "Enr;voç en 'EÀÉlll)<;
et de penser à la statue érigée par Constantin à sa mère Hélène sur la place de l'Augoustéion (H 40).
Alexandre pourrait être Alexandre le :-.Ioine, qui a transmis une partie de J'œuvre de Théodore le
Lecteur et semble a,·oir vécu au v1• ou au vu• siècle; cf. K. Krumbacher, Geschichte der
byza11ti11iscl1t11 Literatur2, p. 164; Opitz, B;·z., 9, 1934, p. 539-540 et 588-590. La notice n'est pas
reprise dans les Patria du x• siècle.
49. Notice non reprise dans les Patria du x• siècle; sur le Stratègion, cf. R. Janin, Consta11-
tinople byza11ti11e2 , p. 431-432.
350 CONSTANTINOPLE I.\fAGINAIRE