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Examen clinique d’un patient suicidaire


N. Younès, G. Vaiva, C. Passerieux

À défaut d’une nomenclature standardisée, l’expression « patient suicidaire » désigne communément le


patient en crise suicidaire, celui qui présente des idéations suicidaires ou celui qui vient de réaliser une
tentative de suicide, avec pour tous le risque de suicide. L’examen clinique du patient suicidaire fait partie
du quotidien des professionnels intervenant en santé mentale, psychiatres et médecins généralistes. Ses
enjeux majeurs dépassent le cadre d’un examen clinique : il s’agit de s’engager en tant que soignant
pour aller à la rencontre de la personne en crise suicidaire, évaluer le potentiel suicidaire de la situation,
nécessitant s’il est élevé une protection immédiate par l’hospitalisation, et mettre en œuvre une véritable
intervention de crise. La crise suicidaire peut révéler différentes problématiques psychiatriques, psycholo-
giques, environnementales ou sociales. L’intervention de crise passe par la mobilisation d’un réseau de
protection autour du patient avec l’entourage personnel et soignant pour éviter la récidive suicidaire. La
lutte contre le suicide est reconnue en France depuis la fin des années 1990 comme une priorité de santé
publique et concerne tout soignant.
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Mots-clés : Tentative de suicide ; Idée suicidaire ; Suicide ; Examen clinique ; Prise en charge ; Prévention ;
Risque suicidaire

Plan La TS correspond à un acte autoagressif destiné à mettre fin à


sa vie auquel le sujet survit. Le suicidant désigne la personne qui
■ Définition du patient suicidaire 1 vient de commettre une TS.
Le parasuicide a été défini par l’Organisation mondiale de
■ Quand suspecter une crise suicidaire 2 la santé (OMS) comme « tout acte délibéré visant à accom-
■ Temps d’évaluation du potentiel suicidaire 2 plir un geste de violence sur sa propre personne ou à ingérer
Facteurs de risque suicidaires 2 une substance toxique ou des médicaments à une dose supé-
Évaluation de l’urgence et de la dangerosité suicidaire 3 rieure à la dose reconnue comme thérapeutique. Cet acte
Évaluation à la suite d’une tentative de suicide 4 doit être inhabituel (excluant les conduites addictives et les
■ Crise suicidaire révélant différentes problématiques 4 automutilations répétées) » [3] . Le parasuicide se différencie théo-

riquement de la tentative de suicide par l’absence d’intention
Intervention pour crise suicidaire 4
suicidaire. Ce point étant très délicat à déterminer, le terme n’est
■ Prévention du risque à moyen terme 5 pas vraiment usité en clinique quotidienne au profit de celui
■ Suicide : une priorité de santé publique 6 de TS.
Les idées ou pensées suicidaires sont les idées d’un indi-
vidu selon lesquelles le suicide se présente comme une solution
à sa situation qu’il juge insupportable ou bien à sa douleur
 Définition du patient suicidaire morale.
La crise suicidaire, définie dans la conférence de consensus
La suicidologie manque de nomenclature standardisée [1] . publiée par l’Agence nationale d’analyse et d’évaluation des soins
Aucun terme n’étant consacré, nous utiliserons dans ce cha- (ANAES) en 2000, intègre toutes les notions précédemment expo-
pitre l’expression « patient suicidaire » pour désigner aussi bien sées. « Il s’agit d’une crise psychique dont le risque majeur est
le patient en crise suicidaire, celui qui présente des idées suici- le suicide. » C’est un état réversible temporaire (avec une durée
daires, celui qui vient de réaliser une tentative de suicide (TS) moyenne estimée entre six et huit semaines), non classé dans les
que celui qui présente des conduites à risque s’apparentant à des nosographies psychiatriques actuelles. Comme toute crise, la crise
« équivalents suicidaires ». Pour tous, le risque principal est le sui- suicidaire constitue un moment de déséquilibre d’une personne
cide. avec elle-même et son environnement. Ses moyens de défense
Le suicide (du latin suicidare, le « meurtre de soi ») rejoint le sont dépassés, la mettant en situation de souffrance pas toujours
terme d’autolyse (du grec ␣u␶о/auto, « soi-même », et ␭’␷␴␫ς/lúsis, apparente, de rupture et de vulnérabilité. Dans ce modèle, la per-
« destruction »). Dürkheim a appelé suicide « tout cas de mort qui sonne suit une trajectoire qui va du sentiment péjoratif d’être
résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, en situation d’échec jusqu’à l’impossibilité d’échapper à cette
accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire impasse et au vécu d’impuissance majeur ; elle va élaborer des
ce résultat » [2] . Le suicidé est la personne décédée par suicide. idées suicidaires de plus en plus prégnantes et envahissantes, avec

EMC - Psychiatrie 1
Volume 10 > n◦ 3 > juillet 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S0246-1072(13)43506-X
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de moins en moins de recours possibles, jusqu’à la cristallisation Tableau 1.


du plan suicidaire et le passage à l’acte suicidaire. Le passage à Trépied à considérer pour évaluer le potentiel suicidaire d’un sujet (outil
l’acte ne représente qu’une des sorties possibles de la crise pour pragmatique RUD).
apaiser les souffrances mais il lui confère toute sa gravité. La plu- Risque : lister les facteurs de risque et les facteurs de protection
part des personnes vont interrompre ce processus et se donner des
chances jusqu’au dernier moment [4] . Des travaux antérieurs ont Urgence : évaluer la présence d’idées suicidaires, la progression
décrit un syndrome présuicidaire composé de la triade suivante : dans la crise suicidaire et le niveau d’envahissement d’un
sentiment de constriction, agressivité inexprimable par des mots scénario suicidaire
retournée contre soi et production de fantasmes suicidaires [5] , et Dangerosité : déterminer le potentiel de létalité et l’accessibilité
montré qu’il était indépendant des catégories diagnostiques psy- du moyen suicidaire choisi par le sujet
chiatriques [6] .

 Quand suspecter une crise Tableau 2.


Facteurs de risque de suicide versus facteurs protecteurs (à partir de [20] ).
suicidaire [4]

Facteurs de risque
Le suicide est le principal risque de mort en psychiatrie. Il Idées suicidaires, plan
concerne tout professionnel intervenant en santé mentale, psy- Antécédents de tentative de suicide
chiatres (et pas seulement ceux travaillant aux urgences d’un
Désespoir, perte d’espoir
hôpital général), médecins généralistes et autres professionnels
soignants. Des situations cliniques imposent logiquement une Trouble psychiatrique a
évaluation précise du potentiel suicidaire dont nous allons repar- Perte récente ou crise
ler : une TS, une prise médicamenteuse en quantité excessive, des Rigidité, négativité
idées suicidaires exprimées explicitement ou qu’il faut savoir cher- Abus d’alcool
cher derrière des périphrases pudiques telles que « je n’en peux
Sujet âgé
plus, je voudrais partir... », un tableau de dépression. Il y a « des
rendez-vous à ne pas manquer » pour les problématiques suici- Homme
daires dans le cadre des urgences psychiatriques comme nous le Vie seul(e), isolé(e)
reverrons [7] . Souvent, la crise suicidaire n’apparaît pas de prime Symptômes psychiatriques b
abord en tant que telle : si 90 % des suicidés voient un profes- Impulsivité ou comportement violent/agressif
sionnel de santé avant leur geste (souvent un mois avant) [8] , les
Antécédent familial de suicide
idées suicidaires sont rarement le premier motif de consultation
qui peut être une consultation psychiatrique dans 50 % des cas, Chômage
une consultation pour symptôme somatique dans 23 % ou un Facteurs protecteurs
rendez-vous de suivi dans 28 % [9] . Une crise suicidaire devrait être Femme
suspectée et explorée chez tout patient présentant une pathologie
Mariage
psychiatrique, y compris dans son cours évolutif, ce qui montre
à la fois la fréquence et la difficulté pratique pour le clinicien Enfants c
psychiatre ou le médecin généraliste [4] . Grossesse
Soutien
Styles de défense positifs
 Temps d’évaluation du potentiel Activité religieuse ou spiritualité
Satisfaction pour la vie
suicidaire [4]

a
Surtout si en cours ou si hospitalisation récente.
b
L’évaluation du risque suicidaire d’un patient est l’occasion Incluant, sans exclusive, anxiété, agitation et impulsivité.
c
Cela inclut tout patient qui se sent responsable pour ces enfants.
d’une rencontre intense et fondatrice du lien thérapeutique. Il
ne s’agit pas d’un seul examen clinique mais bien déjà d’une
prise en charge de la crise. L’évaluation nécessite un engagement
du clinicien : c’est en donnant de sa personne qu’il pourra aller Facteurs de risque suicidaires
à la rencontre du patient en crise suicidaire, par le temps qu’il
va prendre et sa sollicitude. Rappelons à ce stade que le patient Le risque s’apprécie en fonction des facteurs de risque de décès
en crise suicidaire vit un état réversible de souffrance et de vul- dans les deux ans atténués par les facteurs de protection. Ces
nérabilité où ses moyens de défense sont dépassés et dont il facteurs, corrélés statistiquement au suicide à l’échelle d’une
cherche à sortir. La rencontre humaine avec le clinicien autour population, ne traduisent pas de causalité individuelle ; ils sont
de l’évaluation du risque suicidaire peut l’aider à sortir de son iso- pour certains non spécifiques et ils n’éclairent que partiellement
lement, à le soulager de ses émotions négatives et de la culpabilité la décision à prendre pour un patient donné. Par ailleurs, il
qu’il ressent, et à prendre de la distance avec la crise. n’existe pas encore de modèle pondérant les facteurs de risque
Un outil pragmatique (le RUD), élaboré par les professeurs Terra les uns par rapport aux autres et la liste nombreuse varie selon
et Séguin dans le cadre de la campagne nationale de préven- les études. Les principaux facteurs de risque (Tableau 2) doivent
tion du suicide, mesure le potentiel suicidaire en déclinant ses être renseignés par l’examen clinique d’un patient suicidant
trois dimensions de « risque, urgence, dangerosité ». Il présente qui précisera les antécédents personnels de TS, les antécédents
l’avantage de « décrire des déterminants du processus suicidaire familiaux de suicide, l’âge, le sexe, l’environnement, les diagnos-
à travers des dimensions habituellement amalgamées et pourtant tics psychiatriques actuels, les symptômes psychiatriques dont
en partie indépendantes » [10] . Il ne s’agit pas d’un outil structuré. la perte d’espoir et les événements de vie dans la dernière
C’est au clinicien de le dérouler dans l’échange dans l’ordre qui année.
lui semble naturel et lorsqu’il a établi une ambiance favorisant Le principal facteur de risque est l’antécédent de TS : 30 à 40 %
la confiance du patient. Si, à l’échelle d’un individu, il est impos- des suicidants récidivent, généralement dans l’année qui suit le
sible de prédire avec certitude si un individu va ou non commettre premier épisode, et 10 % décèdent par suicide dans les dix ans (1 %
un suicide, le clinicien peut lister les facteurs de risque et de par an) [11] . Le risque augmente avec le nombre de TS [12] . Toutefois,
protection suicidaires, et investiguer l’urgence et la dangerosité la majorité des morts par suicide surviennent lors d’un premier
suicidaire (Tableau 1). passage à l’acte [13] .

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Un antécédent familial de décès par suicide, parfois tabou, sera Tableau 3.


recherché activement car sa présence augmente le risque indivi- Exemples de questions à poser pour évaluer l’urgence et la dangerosité et
duel de suicide [14] . se représenter le degré d’envahissement des pensées (à partir de [20] ).
D’après les autopsies psychologiques, 90 à 95 % des personnes Avez-vous perdu espoir ?
qui se suicident ont, au moment de l’acte, un trouble psychia-
trique qu’il est possible de diagnostiquer. La présence d’un trouble Avez-vous pensé vous suicider ?
psychiatrique est considérée comme une condition nécessaire Quand avez-vous commencé à penser au suicide ?
mais pas suffisante au suicide. Une méta-analyse a permis un clas-
sement des principaux diagnostics associés au suicide. Il s’agit en Avec quelle fréquence y pensez-vous ?
premier lieu des troubles dépressifs (pour 43,2 % des cas de suicides Comment avez-vous pensé le faire ?
avec un écart-type de 18,5 %, un diagnostic de trouble affectif est
Avez-vous pensé quand le faire ?
porté : avant tout trouble dépressif, puis trouble bipolaire), puis
de l’usage de substances (pour 25,7 % des cas de suicides avec Y a-t-il quelque chose qui vous retient de le faire ?
un écart-type de 14,8 %, avant tout d’alcool), des troubles de la
Avez-vous accès à une arme à feu ou un autre moyen de vous tuer ?
personnalité (16,2 %, écart-type de 8,6 %), et enfin des troubles
psychotiques dont la schizophrénie (9,2 %, écart-type de 10,2 %).
Les répartitions diagnostiques varient selon le genre avec relati-
vement plus de diagnostics de troubles affectifs chez les femmes des questions précises au patient et à son entourage [4, 10] . Il faut
suicidées et plus de diagnostics de troubles d’usage de substances faire passer au patient l’idée qu’il peut parler avec le profession-
ou de troubles de la personnalité chez les hommes suicidés [15] . nel, exposer ses pensées en toute liberté et confiance. En parler
Le risque suicidaire est particulièrement élevé quand les troubles ne va pas lui donner l’idée de se tuer, cela le soulagera de ne
psychiatriques sont associés [16] . plus être seul dans ce projet terrible et il en sera reconnaissant
Les maladies physiques sont également liées aux conduites sui- au clinicien. Les questions du clinicien sont précises. Le clinicien
cidaires, d’autant plus qu’elles sont douloureuses, chroniques, demande au patient s’il « a pensé à se suicider », en évitant des
qu’elles diminuent la mobilité, sont fonctionnellement handica- tournures ambiguës telles que « se faire du mal » ou « disparaître ».
pantes ou réputées incurables. Si le patient rapporte des pensées de suicide, le clinicien lui
Quant au genre, les suicides sont d’abord masculins (sexe fera préciser s’il a pensé « comment » puis « quand » se suicider
ratio homme/femme de 2,9/1), les TS féminines (sexe ratio (Tableau 3).
homme/femme de 1/1,5). La prédominance masculine du suicide Un ordre d’exploration peut être adopté : demander si c’est
tient aux méthodes violentes choisies pour se tuer, à l’intention la crise suicidaire qui motive la consultation, remonter six
de mourir, à de moindres comportements de recherche d’aide et à huit semaines avant, puis questionner sur d’éventuelles
à l’influence de l’alcool [17] . Des idées suicidaires, une TS chez un crises suicidaires passées et, enfin (lorsque le patient a
homme doivent particulièrement alerter le clinicien sur le risque expérimenté le fait qu’il était « permis » de parler du sui-
suicidaire et méritent un examen approfondi. cide avec le clinicien), l’idéation et les plans suicidaires
L’âge est le second facteur démographique à prendre en compte. immédiats [20] :
La répartition des suicides par âge montre que le risque de sui- • la crise suicidaire qui motive la consultation est à abor-
cide augmente avec l’âge. En nombre de suicides en France, il der dans le concret. Si un geste suicidaire a été commis, il
y a un premier pic majeur chez les 35 à 55 ans (et particulière- faut en renseigner la gravité, c’est-à-dire rechercher précisé-
ment les hommes), puis un second pic, moindre en amplitude, ment ce qui s’est passé, même si le sujet voire sa famille
chez les 75 à 84 ans. Les taux de suicide augmentent clairement sont parfois tentés de « tourner la page » : méthode et dan-
avec l’âge, qu’ils soient « officiels », c’est-à-dire établis par le Centre gerosité, sévérité du geste (avec, par exemple, le nombre de
d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Institut comprimés, les conséquences), mode de découverte ou d’arrêt
national de la santé et de la recherche médicale (CepiDc Inserm) de la TS, précautions éventuelles pour ne pas être décou-
à partir des certificats de décès, ou « corrigés ». Selon une étude vert vivant, l’intention suicidaire et le désespoir rattachés au
menée sur un échantillon aléatoire de 500 décès, les taux corrigés geste et enfin, l’opinion du patient sur le fait d’être encore
sont de 3,3 pour 100 000 habitants chez les moins de 25 ans, de vivant ;
19,7 chez les 25 à 44 ans, de 29,1 chez les 45 à 64 ans et de 32,9 • explorer la crise suicidaire dans les six à huit semaines avant
chez les plus de 65 ans [18] . l’entretien vise à en connaître son extension en recensant tous
L’isolement affectif expose plus au suicide le monde rural, les les projets suicidaires échafaudés par le patient, le temps passé
veufs, les célibataires, les personnes divorcées ou séparées. On à y penser et jusqu’où il les a conduits concrètement, avant la
s’inquiétera d’une séparation dans l’année qui précède, notam- présente consultation ;
ment chez l’homme : le risque relatif de suicide est maximal dans • pour les crises suicidaires passées, il faut chiffrer le nombre de
la tranche d’âge de 15 à 24 ans, puis dans celle de 25 à 44 ans, gestes passés, en questionnant sur la TS la plus grave et sur la
en notant alors une association au suicide largement indépen- plus récente. Une expérience suicidaire intense peut entraîner
dante de la présence d’un trouble psychiatrique [19] . Les situations une sensibilisation aux idées suicidaires qui sont plus facile-
de désinsertion ou de fragilisation socioprofessionnelle (chômage, ment activées par la suite [21] . Le clinicien déterminera enfin
emploi précaire, retraite récente), les soucis financiers ou les autres où en est le patient à présent et dans un futur proche vis-à-vis
événements de vie durant l’année passée incluant des événe- des idéations suicidaires. L’urgence est cotée comme élevée si
ments relationnels à type de pertes, de conflits, de menaces ou le geste est programmé dans les 48 heures. L’absence de plani-
d’humiliations constituent des facteurs de risque suicidaires [10] . fication ne protège pas d’un suicide, notamment si le moyen
Les facteurs protecteurs chez les personnes à risque sont les suicidaire choisi est disponible [22] . Les suicides impulsifs non
croyances ou pratiques spirituelles, des objections morales au planifiés sont plus rares mais témoignent des limites de la pré-
suicide, la peur du suicide, des raisons de vivre (dont des préoc- vision du risque de suicide.
cupations pour ses enfants, sa famille), des capacités d’adaptation La dangerosité suicidaire résulte du potentiel de létalité du
et de prise de recul, une capacité à demander de l’aide, l’existence moyen suicidaire choisi et de son accessibilité. Il faut savoir qu’en
d’un confident ou un soutien social [10] . France les hommes se suicident le plus souvent par pendaison,
puis par arme à feu, et les femmes par pendaison puis par médi-
cament.
Évaluation de l’urgence et de la dangerosité L’évaluation d’un patient suicidaire doit comporter un entre-
suicidaire tien avec l’entourage s’il y en a (et il ne faut pas hésiter à
mobiliser un entourage même éloigné) : l’avis, voire l’inquiétude,
L’urgence suicidaire est basée sur l’évaluation de des proches éclairent sur l’intensité de la crise suicidaire, la
l’intentionnalité suicidaire et de la progression de la crise compréhension de son contexte et notamment des dynamiques
suicidaire (idées, intention, plan suicidaire, mise en œuvre) par interpersonnelles qui entourent le geste ; ils renseignent aussi sur

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le soutien social disponible dans l’intervention de crise dont nous tentatives de solution sont utilisées en vain. Éventuellement, une
reparlerons. À défaut d’une rencontre avec l’entourage du patient, certaine forme d’adaptation se produit, qui peut être ou non
il faut tenter de se représenter ces derniers dans le discours du dans le meilleur intérêt de la personne et de ses proches » [27] .
patient. La crise met en tension l’ensemble du système. Il peut alors
s’agir de crises transitionnelles prévisibles dans un moment clé de
l’existence (adolescence, retraite), de crises situationnelles déclen-
Évaluation à la suite d’une tentative chées par des causes externes (séparation, décès, etc.) ou de crises
de suicide structurales d’un système caractérisées par leur chronicité et leur
récurrence [23, 27] .
Dans le cas d’une personne qui vient de réaliser une TS, L’intérêt, dans les années 1990, porté sur les TS et sur les sui-
l’évaluation et la prise en charge somatiques priment. En cas cides sur les lieux de travail, même si les rapports entre suicide et
de TS médicamenteuse par psychotropes, un temps de sur- travail restent à clarifier, montre qu’une crise suicidaire peut révé-
veillance médicale est nécessaire pour confirmer l’absence ou ler une problématique dans le travail [28, 29] . La déstructuration du
la disparition du risque somatique et pour obtenir un niveau vivre-ensemble et le tournant gestionnaire depuis les années 1980
de conscience suffisant à l’évaluation du potentiel suicidaire exposent en effet l’individu – avec une moindre médiatisation
décrite. Une personne qui a pris des benzodiazépines peut par le groupe – à l’organisation, aux exigences qui pèsent sur
présenter un bon contact trompeur : encore sous l’effet des trai- les performances individuelles et à un écart croissant entre le
tements, elle pourrait n’avoir aucun souvenir d’un entretien travail que la personne voudrait faire et celui qu’elle fait. La
prématuré. fragilité psychologique individuelle ne suffit pas à comprendre
les suicides au travail qui résistent à une lecture d’un détermi-
nisme univoque, psychologique ou social [30] . Nombre d’entre eux
touchent des sujets engagés, voire hyperengagés dans l’entreprise,
 Crise suicidaire révélant appréciés par leurs collègues et leur hiérarchie, et stables dans
leur vie privée. En général, le suicide succède à une disqualifi-
différentes problématiques [10, 20, 23, 24]
cation de la contribution que la personne apporte à l’entreprise
et de son mérite, même si elle fait suite à des raisons qui ne
Une TS ou une crise suicidaire débouchent sur des probléma- relèvent pas de son travail (tels un changement de politique de
tiques très diverses que l’examen clinique doit pouvoir envisager. l’entreprise ou des restructurations). Le sujet vit une perte du lien
Comme les suicides sont massivement liés aux troubles psy- et du sentiment d’appartenance ; l’impact sur lui passe par son
chiatriques, au premier rang desquels se trouve la dépression, investissement dans le travail, son histoire, ses mécanismes de
le clinicien qui évalue un patient suicidant pense en géné- défense et son soutien. Mais souvent les tensions dans le travail
ral à rechercher un syndrome dépressif ; il se méfie des idées se répercutent dans l’espace privé qui entre en crise à son tour [27] .
d’autoaccusations délirantes ou des formes anxieuses. À l’inverse, L’échange clinique avec le patient doit donc pouvoir aborder la
le clinicien ne pense pas systématiquement à explorer les idées place du travail dans l’équilibre psychique de la personne et ses
suicidaires devant un tableau de dépression. Une crise suici- expériences.
daire peut survenir à n’importe quel moment de l’évolution de Enfin, des personnes vivent au long cours avec des idées sui-
la dépression, y compris en « queue de mélancolie ». Le clini- cidaires, souvent depuis l’enfance. Il s’agit principalement de
cien peut aussi être amené à constater un épisode maniaque ou personnes présentant un trouble de la personnalité, de type
mixte. Le lien entre suicide et trouble bipolaire est établi, même limite notamment. Le monde interne de ces patients suicidaires
si les troubles unipolaires exposeraient plus au risque suicidaire chroniques est fait d’un haut niveau de détresse psychique,
que les troubles bipolaires (odds ratio [OR] dans une étude de de sentiment de vide, de désespoir. Les conduites de suicides
6,13 [5,37–8,12] et de 3,03 [1,49–9,87] [12] ). Dans les dépendances itératives potentiellement dangereuses sont une tentative de
aux drogues ou à l’alcool, les équivalents suicidaires (overdose contrôle de ce monde interne et revêtent une modalité relation-
toxicomaniaque ou conduites d’alcoolisation massives aboutis- nelle particulière, avec des gestes adressés aux proches ou aux
sant au coma éthylique) se distinguent des TS qui surviennent soignants [31] .
électivement lors d’un état confusionnel par absorption mas-
sive ou à l’occasion d’une dépression et/ou d’une crise aiguë
d’angoisse liées au sevrage. Enfin, la comorbidité alcoolique aug-
mente le risque suicidaire dans les autres troubles psychiatriques,  Intervention pour crise suicidaire
essentiellement par un effet désinhibiteur. Notons, parmi les
addictions, le cas particulier de l’anorexie mentale qui semble L’intervention de crise vise à redynamiser la situation de crise
le trouble psychopathologique qui paie le plus lourd tribu au qui « porte en elle autant de pouvoirs destructeurs que de poten-
suicide [25, 26] . Dans la schizophrénie, le risque suicidaire est tou- tialités de changements. La situation d’urgence, qui appelle un
jours présent (10 % des schizophrènes décèdent par suicide), soulagement, peut déclencher un processus de changement si un
mais plus particulièrement à la phase initiale de la maladie, à travail de crise est opéré [23] . Il n’y a pas de modèle théorique
la phase d’état lors de la prise de conscience de la psychose, unique pour penser cette intervention de crise suicidaire. Dif-
ou lors d’une phase dépressive. Un trouble sévère de la person- férentes références doivent être convoquées pour s’adapter à la
nalité de type état-limite ou antisociale et les troubles anxieux réalité :
sont également clairement identifiés comme facteurs de risque • psychanalytiques, pour orienter l’intervention du soignant et
suicidaires. résister à la violence, l’agressivité, l’angoisse de mort, la souf-
La TS peut aussi révéler une problématique de crise faisant france psychique que concentre la situation de crise suicidaire,
suite à divers problèmes financiers, professionnels ou judiciaires, autant de situations qui interpelleront et éventuellement réac-
ou une problématique relationnelle qui peut être investiguée tualiseront des conflits personnels ;
par exemple par des questions ouvertes au patient sur son • systémiques, pour agir sur l’ensemble du système qui doit idéa-
opinion du ressenti des proches vis-à-vis de ses intentions sui- lement permettre de dégager des solutions à la crise ;
cidaires [20] . Différentes dynamiques ou conflits psychologiques • cognitivocomportementales, en se plaçant dans une recherche
(réactualisation d’un conflit passé, tiraillement vis-à-vis des d’exploration et de formulation des émotions, des événements
exigences d’idéal du Moi, etc.) peuvent conduire à la crise sui- et dans un accompagnement concret au quotidien ;
cidaire au sens premier de crise. Il s’agit d’un état qui apparaît • sociales, parfois intriquées dans la crise.
lorsqu’une personne connaît un obstacle qui complique la réa- Les interventions de crise que nous allons décrire se sont
lisation d’un but important de sa vie et lorsque cet obstacle lui développées dans des « centres de crise » souvent en lien avec
semble pour un certain temps insurmontable par ses méthodes des services d’urgence, visant à donner un cadre au travail
habituelles de résolution de problème. Une période de désorga- de crise (par un lieu idéalement déstigmatisé, doté de moyens
nisation s’ensuit, période d’inconfort durant laquelle différentes humains pluriprofessionnels autorisant ce travail chronophage

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Tableau 4. structures d’urgence lorsqu’il n’y a pas de réseau d’aval mobili-


Intervention pour crise suicidaire selon Seguin et Terra. sable). Il peut s’agir de l’orientation vers un dispositif d’urgence
Étape 1 : Établir un lien de confiance. Cela passe par la capacité
pour, lorsque cela est possible, une admission d’un à trois jours
à entendre l’expérience suicidaire du patient. Le clinicien se dans un dispositif de crise afin de permettre une mise à distance de
méfiera de sa fuite défensive éventuelle devant la détresse sous la la crise suicidaire, de mobiliser l’entourage personnel et soignant
forme de solutions trop vite apportées qui assurera l’accompagnement en aval. Parfois, l’admission en
soins psychiatriques sous contrainte est la seule proposition pos-
Étape 2 : Explorer et nommer la souffrance. Cela implique une sible pour baisser la tension autodestructrice en cours. Entre le
exploration des émotions et des sphères de souffrance qui projet de soin d’abord envisagé et celui qui est réalisé, il peut y
envahissent la vie psychique de la personne avoir un écart en fonction de la négociation avec le patient et son
Étape 3 : Rechercher un événement précipitant. Permettre au entourage. Souvent la situation de crise bouscule les schémas thé-
patient de parler d’un éventuel événement qui a cristallisé sa rapeutiques habituels et oblige à des négociations particulières,
détresse atténuera son impact car le patient va parfois pouvoir parfois très chronophages.
s’en dégager un peu et l’envisager sous un autre point de vue par Selon l’American Psychiatric Association (APA), les critères de
l’échange avec un tiers soignant. Il s’agit de « gagner du temps sur l’hospitalisation sont :
le processus suicidaire » • un trouble psychotique, surtout en début de maladie, ce qui
Étape 4 : Évaluer le potentiel suicidaire (cf. Tableaux 1 à 3. Cela
peut être étendu à tout tableau de décompensation psychia-
inclut tout patient qui se sent responsable pour ces enfants) pour trique ;
déterminer le cadre de soins • un geste violent, avec une forte létalité et qui est prémédité ;
• des précautions pour ne pas être découvert et la persistance d’un
Étape 5 : Formuler la crise. Pouvoir nommer la crise suite à plan suicidaire, le regret d’avoir survécu ;
l’échange avec le patient suicidaire peut « redonner forme à la • des facteurs de risque à type sexe masculin, de plus de 45 ans,
souffrance de la personne ». Parfois la formulation de la crise sans soutien social ;
inclut des hypothèses sur les enjeux de la crise. Cette étape, tout
• une impulsivité marquée, des troubles du jugement et un refus
comme la précédente, peut contribuer à modifier des distorsions
actif des soins [35] .
cognitives induites par la crise suicidaire chez le sujet. Nombreux
L’intervention de crise a d’abord été pensée dans des centres
sont les patients qui vont réaliser qu’ils nuancent différemment
l’expérience d’impasse vécue dans la crise suicidaire et entrevoir
de crise belges ou suisses, par des auteurs comme De Clercq ou
des solutions Andréoli [23, 32] . Elle se décompose en trois phases :
• une phase d’accueil qui recherche l’établissement d’une
Étape 6 : Briser l’isolement. Contacter la famille, organiser un alliance thérapeutique dans la rencontre émotionnelle entre
entretien familial, encourager le patient à informer son le patient en situation de crise suicidaire, son entourage sou-
entourage, famille, proches, voire collègues, permet au patient de vent débordé et les intervenants thérapeutiques. Parfois, seule
réaliser qu’il « compte » pour certains et contribue à mobiliser cet l’hospitalisation même brève permet l’apaisement suffisant à la
entourage pour créer un réseau de protection autour de la mise en œuvre de la deuxième phase ;
personne. Il est possible d’évoquer en parole des personnes
• l’interaction de crise avec le patient et son entourage ; Andréoli
importantes pour la personne, même décédées ou absentes.
en définit les enjeux : ce n’est « pas une thérapie mais une stra-
L’important est de créer une dynamique où la personne est
tégie thérapeutique visant à faciliter l’expression des affects,
invitée à « se protéger elle-même ». Le réseau soignant existant
doit également être mobilisé avec une indispensable
à mieux gérer les relations interpersonnelles, à développer les
« triangulation » dès l’urgence, dont nous reparlerons [7] facultés d’introspection » [31] . Quand les conditions sont réunies
chez le patient et son entourage, une hypothèse de crise peut
Étape 7 : Arrêter le processus autodestructeur. Les moyens de être formulée à l’issue de l’interaction de crise. C’est cette hypo-
suicide seront éloignés lorsque cela est possible, éventuellement thèse qui guidera la troisième phase ;
avec l’aide de l’entourage (jeter les médicaments, éloigner • l’intervention de crise qui, elle, développe une approche thé-
provisoirement une arme à feu par exemple). Les heures et jours rapeutique précise : individuelle, soit psychodynamique dans
qui suivent le début de l’intervention sont délicats, surtout si le le cadre d’un travail préthérapeutique ou d’une psychothéra-
patient est sorti, avec une fragilité persistante et une vulnérabilité
pie brève, soit cognitive, soit pharmacologique ; conjugale ou
à de mauvaises nouvelles supplémentaires. Aborder cette
familiale.
perspective avec le patient permettra d’ « anticiper les difficultés
Terra a élaboré une intervention pour crise suicidaire selon une
éventuelles et de proposer des points de sécurité » (numéros de
contact, rendez-vous programmé, services d’urgences). La durée
approche d’inspiration cognitivocomportementale et à partir des
de la crise suicidaire ne sera pas sous-estimée en mesurant bien ce travaux de Séguin, en huit étapes (Tableau 4) [10, 36] .
qui est « encore difficile » pour la personne En cas de suicidalité chronique, la prise en charge impli-
quera chez le soignant de tolérer cette suicidalité chronique, tout
Étape 8 : Préparer l’après-crise. Cela passe par la lutte contre les en étant vigilant quant au type de relation clinique qui peut
facteurs de risque s’instaurer avec un patient à la recherche d’un sauveur : hyper-
investissement du professionnel au-delà de son cadre d’exercice
habituel ou au contraire fuite [31, 37] .

et émotionnellement chargé) [23, 32, 33] . Les grandes lignes de  Prévention du risque à moyen
l’intervention de crise peuvent également être développées dans
le cadre d’un suivi classique. Dans les quotidiens soignants, elles terme
se recoupent avec l’évaluation du potentiel suicidaire et néces-
sitent un ou plusieurs entretiens avec le patient, un entretien avec Deux enjeux sont majeurs dans l’examen/la prise en charge du
son entourage personnel (au minimum une mise en lien télé- patient suicidant : la prévention tertiaire du suicide pour réduire le
phonique) et un appel téléphonique à ses soignants « naturels » risque de récidive suicidaire et l’engagement dans les soins. Près de
(médecin généraliste, psychiatre, autre). Selon la recommanda- la moitié des suicidants refont une ou plusieurs autres TS au cours
tion de la Haute Autorité de santé (HAS), tout suicidant (a fortiori de leur vie [11] . À un an, le taux de récidive varie entre 12 et 25 %,
adolescent ou jeune adulte) doit être adressé aux urgences géné- dont 2 % de décès par suicide ; il est de 5 % à un mois [28, 33, 38] .
rales d’un établissement de soins en vue d’une triple évaluation Réduire le risque de récidive suicidaire passe par le soutien de
somatique, psychologique et sociale [34] . Ensuite, le projet de soin l’engagement dans les soins car il est problématique au sein de
sera fonction du potentiel suicidaire. Il peut s’agir du retour à cette population, d’autant plus lorsque le patient est orienté vers
domicile, éventuellement prématuré par rapport à ce qu’aurait un professionnel non connu de lui avant la TS [38] . Les suicidants
préconisé le médecin, avec alors la proposition d’une réévaluation qui sortent de l’hôpital général sont majoritairement adressés aux
rapide en consultation (éventuellement de posturgences pour les soins spécialisés mais à six mois, 50 à 80 % des patients ont revu

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37-500-A-30  Examen clinique d’un patient suicidaire

leur généraliste et seulement 30 % ont consulté les soins spéciali-  Références


sés. La moitié n’a pas de suivi sur le plan psychiatrique [39–43] . Il est
donc impossible de ne pas travailler avec les médecins traitants : [1] Ionita A, Courtet P. Peut-on définir des conduites suicidaires ? In: Cour-
les contacter téléphoniquement ou, au minimum, les informer de tet P, editor. Suicides et tentatives de suicide. Paris: Médecine Sciences
l’intervention de crise par un compte rendu. La coordination en Flammarion, éditions Lavoisier; 2010.
réseau semble s’accompagner d’un meilleur engagement dans les [2] Durkheim E. Le suicide. Paris: Quadrige PUF; 1897.
soins et d’un moindre taux de récidive suicidaire [44] . Le lien doit [3] Platt S, Bille Braahe U, Kerkhof A. Parasuicide in Europe: the
évidemment aussi être fait avec les soins spécialisés (libéraux ou de WHO/EURO multicentre study on parasuicide. I. Introduction and pre-
secteur) lorsqu’ils existent, pour les mêmes raisons de continuité liminary analysis for 1989. Acta Psychiatr Scand 1992;85:97–104.
de la prise en charge. [4] ANAES. Conférence de consensus. La crise suicidaire : reconnaître et
Par ailleurs, des dispositifs de veille ont été développés dans prendre en charge, 19–20 octobre 2000. Paris: John Libbey Eurotext;
le cadre de recherches mises en place avec l’objectif de res- 2001.
ter en lien avec les suicidants, d’être mobilisables par eux ou [5] Ringel E. The presuicidal syndrome. Suicide Life Threat Behav
l’entourage sans se substituer aux systèmes de soins (envoi de 1976;6:131–49.
[6] Ahrens B, Linden M. Is there a suicidality syndrome independent
cartes, recontact téléphonique systématique, etc.) et de sou-
of specific major psychiatric disorder? Result of a split half multiple
tenir l’engagement dans les soins. Les études évaluatives de
regression analyse. Acta Psychiatr Scand 1996;94:79–86.
leur effet sont encourageantes sur la prévention de la récidive [7] Debien C, Vaiva G. Urgences psychiatriques et problématiques suici-
suicidaire [45, 46] . daires : un rendez-vous à ne pas manquer. In: Courtet P, editor. Suicides
et tentatives de suicide. Paris: Médecine Sciences Flammarion, éditions
Lavoisier; 2010.
[8] Iometsa ET, Heikkinen ME, Marttunen MJ. The last appointment
 Suicide : une priorité de santé before suicide: is suicide intent communicated? Am J Psychiatry
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publique [9] Luoma JB, Martin CE, Pearson JL. Contact with mental health and
primary care providers before suicide: a review of evidence. Am J
« Rester inquiet » est nécessaire. En France, plus de Psychiatry 2002;159:909–16.
10 000 personnes décèdent chaque année par suicide (10 334 [10] Terra JL. Comment intervenir auprès d’une personne en cas de crise
ont été dénombrées en 2010, soit un taux de 16,5 pour suicidaire ? In: Courtet P, editor. Suicides et tentatives de suicide. Paris:
100 000 habitants, 26,1 pour les hommes et 8,1 pour les Médecine Sciences Flammarion, éditions Lavoisier; 2010.
femmes) [47] . Les chiffres de l’OMS montrent une grande variabi- [11] Nock MK, Borges G, Bromet EJ. Suicide and suicidal behavior. Epi-
lité entre les pays, en plaçant la France parmi les pays à taux élevés demiol Rev 2008;30:133–54.
avec par exemple le Japon (taux de 36,2 pour 100 000 habitants [12] Zahl DL, Hawton K. Repetition of deliberate self-harm and subsequent
pour les hommes et de 13,2 pour les femmes) ou l’Estonie suicide risk: long-term follow-up study of 11,583 patients. Br J Psy-
(respectivement 30,6 et 7,3) ; un groupe de pays présente des chiatry 2004;185:70–5.
[13] Iometsa ET, Lonnqvist JK. Suicide attempts preceding completed sui-
taux plus modérés comme en Allemagne (17,9 et 6,0) ou aux
cide. Br J Psychiatry 1998;73:531–5.
États-Unis (17,7 et 4,5) et un autre groupe des taux plus bas [14] Brent DA, Oquendo M, Birmaher B. Familial pathways to early-onset
comme au Royaume-Uni (10,9 et 3,0) ou à Mexico ou Israël suicide attempt: risk for suicidal behavior in offspring of mood-
(7,0 et 1,5 pour les deux pays) [48] . Depuis plusieurs années, une disordered suicide attempters. Arch Gen Psychiatry 2002;59:801–7.
baisse des taux de suicide est rapportée, inégale selon les âges [15] Arsenault-Lapierre G, Kim C, Turecki G. Psychiatric diagnoses in
car les personnes âgées sont plus concernées par cette baisse 3275 suicides: a meta-analysis. BMC Psychiatry 2004;4:37.
que les jeunes avec, fait inquiétant, une augmentation des taux [16] Guillaume S, Jaussent I, Olié E, Genty C, Bringer J, Courtet P, et al.
pour la seule tranche des hommes entre 45 et 54 ans. Le suicide Characteristics of suicide attempts in anorexia and bulimia nervosa: a
représente la deuxième cause de mortalité des 15 à 24 ans (après case-control study. PLoS One 2011;6:e23578.
les accidents de la route), la première cause de mortalité pour [17] Arcelus J, Mitchell AJ, Wales J, Nielsen S. Mortality rates in patients
les hommes entre 25 et 34 ans, et la deuxième pour les femmes, with anorexia nervosa and other eating disorders. A meta-analysis of
derrière les tumeurs [47] . 36 studies. Arch Gen Psychiatry 2011;68:724–31.
Les TS n’ont pas fait l’objet d’une surveillance nationale en [18] Suicide : autopsie psychologique, outil de recherche en prévention.
France. Le chiffre serait compris entre 200 000 et 250 000. Une Paris: Expertise collective Inserm; 2005. 189 p.
[19] Wyder M, Ward P, De Leo D. Separation as a suicide risk factor. J
étude en 2002 faisait état de 195 000 TS en contact avec le
Affect Disord 2009;116:208–13.
système de soins, dont 105 000 hospitalisations dans des établis-
[20] Shea SC. La conduite de l’entretien psychiatrique. Manuel. Paris: Else-
sements non spécialisés en soins psychiatriques et 64 000 en vier; 1998–2005.
psychiatrie [48] . Quatre-vingt-dix mille TS hospitalisées en méde- [21] Joiner Jr TE, Steer RA, Brown G. Worst-point suicidal plans: a dimen-
cine, chirurgie, obstétrique (MCO) par an ont été chiffrées à partir sion of suicidality predictive of past suicide attempts and eventual death
des données du programme médical du système d’information by suicide. Behav Res Ther 2003;41:1469–80.
(PMSI) avec près de 220 000 passages aux urgences pour TS en [22] Misson H, Bellivier F. Le risque face aux idées de suicide. In: Courtet
2004 [49] . P, editor. Suicides et tentatives de suicide. Paris: Médecine Sciences
Quant aux idées suicidaires, dans la grande enquête en popula- Flammarion, éditions Lavoisier; 2010.
tion générale française Baromètre Santé 2010, 3,9 % des personnes [23] De Clerq M. Urgences psychiatriques et interventions de crise. Paris,
interrogés âgés de 15 à 85 ans ont déclaré avoir pensé à se suicider Bruxelles: De Boeck Université et Larcier; 1997.
au cours des douze derniers mois, 5,5 % ont rapporté avoir tenté [24] Harris EC, Barraclough B. Suicide as an outcome for mental disorders.
de se suicider au cours de leur vie (7,6 % des femmes et 3,2 % des A meta-analysis. Br J Psychiatry 1997;170:205–28.
hommes) et 0,5 % au cours des douze derniers mois [50] . [25] Guillaume S, Jaussent I, Olié E. Characteristics of suicide attempts
En médecine générale, un médecin perd un patient par suicide in anorexia and bulimia nervosa: a case-control study. PLoS One
tous les trois à sept ans [40, 50] mais il rencontre environ six TS dans 2011;6:e23578.
sa patientèle par an [51] et des idées suicidaires sont présentes en [26] Caplan G. An approach to community mental health. New York: Grune
and Stratton; 1961.
moyenne chez 3 % de ses patients (avec une prévalence qui aug-
[27] Pauzé R, Touchette L. Thérapie familiale 2007;28:1–98.
mente à 54,3 % dans le sous-groupe des personnes déprimées) [52] . [28] Desjours C, Bègue F. Suicide et travail : que faire ?. Paris: PUF; 2009.
Le suicide d’un patient fait partie des événements les plus pertur- [29] Lhullier D. Suicides en milieu du travail. In: Courtet P, editor. Suicides
bants pour un médecin, psychiatre ou généraliste, confrontés aux et tentatives de suicide. Paris: Médecine Sciences Flammarion, éditions
limites de leur art de soigner. La moitié des soignants ressentent Lavoisier; 2010.
alors des niveaux de stress comparables à ceux des personnes [30] Owens D, Horrocks J, House A. Fatal and non-fatal repetition of self-
endeuillées par la mort d’un parent [53] . La lutte contre le sui- harm. Systematic review. Br J Psychiatry 2002;181:193–9.
cide reste une priorité en France et concerne vraiment tous les [31] Paris J. Half in love with death: managing the chronically suicidal
soignants. patient. London: Lawrence Erlbaum Associates Inc; 2006.

6 EMC - Psychiatrie
Examen clinique d’un patient suicidaire  37-500-A-30

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[33] Walter M, Vaiva G. Centre de crise et unités pour jeunes suicidants. de suicide. Paris: Médecine Sciences Flammarion, éditions Lavoisier;
In: Courtet P, editor. Suicides et tentatives de suicide. Paris: Médecine 2010.
Sciences Flammarion, éditions Lavoisier; 2010. [47] Institut national de la santé et de la recherche médicale, Centre
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discharged from an emergency department: randomised controlled Organisation mondiale de la santé : www.who.int/mental health/prevention/
study. Br Med J 2006;332:1241–5. suicide rates/en/.

N. Younès, Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier en psychiatrie (nyounes@ch-versailles.fr).


Service de psychiatrie pour adultes, Centre hospitalier de Versailles, EA 4047, Université Versailles-Saint-Quentin, 177, rue de Versailles, 78157 Le Chesnay
cedex, France.
G. Vaiva, Professeur de psychiatrie.
Pôle de psychiatrie, médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire, EA 5995 Neurocognition et santé, CHRU de Lille, Université Lille-Nord, France.
C. Passerieux, Professeur des Universités, praticien hospitalier en psychiatrie, chef de service.
Centre hospitalier de Versailles, EA 4047, Université Versailles-Saint-Quentin, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Younès N, Vaiva G, Passerieux C. Examen clinique d’un patient suicidaire. EMC - Psychiatrie 2013;10(3):1-7
[Article 37-500-A-30].

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