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La place du ministère public (parquet) au sein du système répressif

Les magistrats sont des organes investis de fonctions d’ordre judiciaire au sein des juridictions instituées à cet effet. A l’exception du tribunal
militaire qui comprend des juges officiers militaires (aux côtés de juges civils), les juridictions sont composées de magistrats professionnels,
c'est-à-dire de juges de carrière relevant du statut de la magistrature constitué, depuis 2016, par la loi organique n°106-13 du 24 mars 2016.
Les magistrats soumis à ce statut sont tous des ex-lauréats de l’Institut supérieur de la magistrature (I.S.M) et sont nommés par le conseil
supérieur du pouvoir judiciaire.

Sous l’angle notamment de leurs statuts et rôles respectifs, il est possible de distinguer deux catégories de magistrats  : d’une part, les
magistrats du siège qui exercent soit en qualité de juges d’instruction, soit en qualité de juges de jugement et d’autre part, les magistrats du
ministère public, dénommés aussi magistrats du parquet ou encore magistrats debout.

Ces derniers, objet de cette analyse, n’ont, contrairement aux magistrats du siège, pas la mission de mener une instruction ni de juger. Il ne
leur appartient pas de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’inculpé. Ils présentent l’originalité d’être des organes du pouvoir
judiciaire représentant la société, veillant à la préservation de l’ordre public et luttant contre la criminalité notamment en exerçant des
poursuites contre les auteurs soupçonnés d’infractions.

Aussi, tout en relevant du statut commun de la magistrature, les magistrats du ministère public obéissent, dans l’exercice de leurs fonctions, à
un régime particulier, distinct à bien des égards de celui gouvernant les magistrats du siège.

Ceci dit, il parait judicieux de se poser les questions suivantes :

- Quelles sont les caractéristiques du statut particulier du ministère public ?


- Quelles sont les attributions de ce dernier ?
- Dans quelle mesure ce statut particulier et ces attributions sont-ils compatibles avec les exigences en matière de sauvegarde des
droits de la société et de respect des droits de la défense ?

En réponse à ces questions, il est possible de dire que le ministère public est certes, de par son statut particulier et ses attributions, une
superpuissance au sein du système répressif (I), toutefois, cette superpuissance est remise en question (II).

I) Une superpuissance au sein du système répressif

La superpuissance du ministère public au sein du système répressif est essentiellement due à son statut privilégié (A) et à ses attributions
multiples (B).

A) Un statut privilégié

Les magistrats du ministère public relèvent, certes, du statut commun de la magistrature, toutefois, ils obéissent, dans l’exercice de leurs
fonctions, à un régime particulier, distinct à bien des égards de celui gouvernant les magistrats du siège. En effet, de par leur qualité de
représentants de la société et de protecteurs de l’ordre public, ces magistrats forment un corps hiérarchisé, indivisible, indépendant,
irrécusable et irresponsable.

Le caractère hiérarchisé du ministère public signifie que les magistrats du parquet sont, contrairement aux magistrats du siège, placés sous
l’autorité et le contrôle de leurs supérieurs hiérarchiques et sont donc, en principe, tenus dans l’exercice de leurs fonctions, de se plier aux
ordres et injonctions conformes à la loi émanant de ces derniers. Ainsi, le procureur général du Roi est le supérieur hiérarchique du procureur
du Roi qui est le supérieur hiérarchique des substituts, leur chef hiérarchique commun étant le procureur général du Roi près la cour de
cassation qui peut leur adresser des instructions ou des injonctions écrites telle que l’injonction d’exercer des poursuites dans l’intérêt de la
Loi. Le principe de la subordination des magistrats du parquet a pour conséquence notamment qu’ils sont amovibles, contrairement aux
magistrats du siège qui sont inamovibles conformément à l’article 108 de la Constitution.

L’indivisibilité du ministère public, quant à elle, signifie que les membres d’un même parquet sont considérés comme constituant un même
et unique défenseur de l’ordre public. Par conséquent, ils sont admis à se remplacer au cours de la même instance sans pour autant entacher
la régularité de la procédure. Or, tel n’est pas le cas pour les magistrats du siège qui ne peuvent au cours du jugement d’une affaire se
remplacer, sous peine de nullité de la procédure.

En ce qui concerne l’indépendance du ministère public, celle-ci se manifeste, tout d’abord, vis à vis des juridictions d’instruction et de
jugement qui ne sauraient lui donner des instructions ou lui adresser des injonctions. Au contraire, ces juridictions ne peuvent, en principe, se
saisir d’office d’une affaire ; elles doivent attendre les réquisitions du ministère public. L’indépendance se manifeste, ensuite, vis à vis des
parties privées au procès, le parquet ayant l’opportunité des poursuites. Enfin, le parquet est indépendant non seulement vis-à-vis des
autorités parlementaires, mais aussi, depuis l’entrée en vigueur en 2016 de la loi organique n°106-13 portant statut des magistrats, vis-à-vis
des autorités administratives ; ce corps de magistrats étant désormais placé sous l’autorité et le contrôle du procureur général du Roi près la
cour de cassation et non plus, comme ce fût le cas auparavant, sous celles du ministre de la justice.

Pour ce qui est de l’irrécusabilité du ministère public (contrairement aux magistrats du siège), celle-ci s’explique par le fait que le parquet est
une partie principale au procès pénal agissant au nom et dans l’intérêt de la société et qu’il est donc impossible de récuser son propre
adversaire.

Enfin, l’irresponsabilité du ministère public implique que le parquet ne peut être condamné ni aux frais du procès, ni à des dommages -
intérêts lorsque ses accusations se sont révélées non fondées suite à l’acquittement de l’inculpé. Cette sorte d’immunité instituée au profit du
parquet s’expliquerait par le fait que celui-ci agit au nom de la société dont il défend les intérêts et qu’à cet effet, il importerait de lui laisser
les mains libres. Reste cependant à préciser que cette irresponsabilité n’est pas sans limite : le magistrat du parquet qui commet une fraude ou
une faute volontaire (tout comme, d’ailleurs, les magistrats d’instruction et de jugement) engage sa responsabilité civile selon la procédure de
« la prise à partie ».
B) Des attributions multiples

Le ministère public exerce plusieurs fonctions : Ayant la haute main sur la police judiciaire, le procureur général du Roi et le procureur du
Roi assurent la direction et la supervision de l’activité des membres de la police judiciaire relevant de leur ressort et peuvent ainsi, leur
donner des ordres et des instructions concernant la constatation des infractions et la recherche des auteurs. Il leur appartient d’ailleurs
d’apprécier souverainement la suite à donner aux procès-verbaux qu’ils reçoivent à cet effet.

Le magistrat du parquet peut, en sa qualité d’officier supérieur de police judiciaire, accomplir lui même des actes d’enquête et recevoir des
plaintes et des dénonciations dont il apprécie la suite à donner.

Il peut aussi placer sous mandat de dépôt la personne inculpée d’une infraction punissable d’emprisonnement lorsqu’il s’agit d’une infraction
flagrante ou si l’inculpé ne présente pas de garanties suffisantes de représentation ou s’il est jugé dangereux.

Le parquet est également chargé de l’exécution des décisions de justice, y compris les ordonnances des juges d’instruction et exerce, le cas
échéant, contre les décisions rendues les voies de recours légales.

Bien d’autres prérogatives constituent des innovations de l’actuel code de procédure. Ainsi, en cas de crime ou de délit punissable d’un
emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à 2 ans, le procureur général du Roi et le procureur du Roi sont habilités à ordonner, pour
les besoins de l’enquête préliminaire, le retrait du passeport de la personne soupçonnée et le blocage des frontières à l’encontre de celle-ci,
tout comme ils sont en droit de délivrer des mandats d’arrêt internationaux pour les besoins de la procédure d’extradition.

Le procureur général du Roi est également admis, pour certaines infractions graves (atteinte à la sûreté de l’Etat, infraction terroriste, trafic
de drogue, enlèvement, prise d’otages…), à requérir le premier président de la cour d’appel d’ordonner, pour les besoins de l’enquête
préliminaire, des écoutes téléphoniques, l’enregistrement de communications et l’interception de courriers ; tout comme, il peut ordonner lui-
même ces procédés notamment en cas d’urgence.

Hormis ces prérogatives, la fonction première du parquet consiste à lancer des poursuites et à exercer l’action publique, et à ce titre, il joue à
la fois le rôle de partie principale et de demandeur privilégié au procès pénal.

En tant que partie principale agissant au nom et dans l’intérêt de la société, le parquet exerce l’action publique même au cas où celle-ci a été
mise en mouvement par suite d’une constitution de partie civile.

En tant que demandeur privilégié au procès pénal, le parquet dispose de prérogatives particulières et extrêmement importantes à différents
stades de la procédure.

Au stade de l’instruction préparatoire, c’est le parquet (plus précisément le procureur général du Roi ou le procureur du Roi selon les cas) qui
répartit librement les dossiers à instruire entre les juges d’instruction (en cas de pluralité) et saisit le juge choisi par un réquisitoire
introductif. D’autres prérogatives sont dévolues au parquet en cours d’instruction, à tel point qu’il est possible d’affirmer qu’il a un pouvoir
de direction et de supervision sur l’instruction.

A l’audience, le ministère public exerce en tant que demandeur particulier au procès pénal, trois attributions : il développe ses conclusions
dans un réquisitoire oral ; il présente les preuves de ses allégations ; il requiert selon les cas, soit la condamnation de l’inculpé et l’application
de la peine prévue par la loi, soit l’acquittement de celui-ci.

Après le jugement, le ministère public assure l’exécution de la décision rendue. Il peut, par ailleurs, s’il le juge utile, exercer les voies de
recours contre cette décision (appel ou pourvoi en cassation, selon les cas) et à cet effet, il dispose de délais de recours particuliers.

II) Une superpuissance remise en question

Si le ministère public représente une superpuissance au sein du système répressif en raison de son statut privilégié et de ses attributions
multiples, ces attributions et ces privilèges demeurent discutables (A) et impliquent, par conséquent, des réformes à rehausser (B).

A) Des attributions et des privilèges discutables

A la lumière de ce qui précède, on ne peut manquer d’être frappé par la place privilégiée voire envahissante du parquet au sein du système
judiciaire de par les pouvoirs exorbitants qui sont conférés à ce corps, non seulement aux différents stades du procès pénal, mais aussi lors de
la phase préparatoire (enquête policière). Or cette superpuissance risque de tourner à l’omnipotence et d’être nuisible à une bonne
administration de la justice soucieuse à la fois de la sauvegarde des droits de la société et du respect des droits de la défense.

En fait, avant même l’élargissement de ses attributions par le code de procédure entré en vigueur en 2003, l’institution du parquet n’a guère
été ménagée par les critiques doctrinales portant sur son utilité même au sein du système judiciaire marocain ; sur la qualité d’officier
supérieur de policier judiciaire conférée aux membres du ministère public; sur le pouvoir dévolu au chef du parquet de désigner pour chaque
affaire le magistrat instructeur qui en sera chargé et son droit de regard démesuré sur le déroulement de l’instruction préparatoire ; et enfin
sur le délai d’appel excessif (60 jours) qui lui est réservé (à la différence du délai étriqué de 10 jours fixé aux autres parties au procès pénal)..

B) Des réformes à rehausser

Malgré ces aspects critiquables, le législateur s’est obstiné à y faire la sourde oreille non seulement lors des réformes ponctuelles de l’ancien
code, mais aussi à l’occasion de la refonte concrétisée par l’adoption du nouveau code. Bien plus, ce dernier est venu renforcer et élargir de
manière parfois injustifiée et menaçante les attributions du parquet, de sorte que le déséquilibre se creuse davantage au détriment non
seulement des autres organes judiciaires, mais aussi des autres parties au procès pénal. Ce qui n’est guère de nature à favoriser les conditions
d’un procès équitable et d’une application correcte du Droit.

Aussi, est-il nécessaire de s’inscrire dans une réforme de nature à établir un certain équilibre entre les attributions des différents organes
judiciaires et entre toutes les parties au procès, réforme qui devrait notamment s’orienter dans le sens de la redéfinition des rapports entre les
différentes autorités judiciaires , le rattachement de la police judiciaire à l’autorité du juge d’instruction, l’élargissement du domaine de
l’instruction préparatoire et la soustraction du magistrat instructeur à toutes formes de tutelle de la part du parquet , la suppression de tout
privilège à même de nuire aux droits de la défense et aux intérêts de la victime….

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