Blandine Benet1 Résumé. L’ARC syndrome (Arthrogryposis Renal Fanconi syndrome and
Elodie Lainey2 Cholestasis) est une affection extrêmement rare (soixante-deux cas rapportés)
et difficile à diagnostiquer. Il s’agit d’une maladie génétique, fatale avant l’âge
Odile Fenneteau2
d’un an, qui touche de nombreux organes. Les trois cas rapportés ici illustrent
Véronique Baudouin3 cette pathologie méconnue et montrent comment l’examen de la morphologie
Marie-Françoise Hurtaud-Roux2 plaquettaire sur frottis sanguin par l’œil averti du cytologiste peut aider le
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Service d’immuno-hématologie, clinicien à poser le diagnostic d’ARC syndrome. Les trois cas ont été observés
Hôpital Bichat, Paris à l’hôpital parisien Robert Debré sur une période de 20 ans. Pour le premier,
<blandine.benet@bch.aphp.fr> le diagnostic n’a pu être posé qu’au décès de l’enfant. Dans les deuxième et
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Laboratoire d’hématologie, troisième cas, l’observation de plaquettes grises, associée aux signes cliniques
Hôpital Debré, Paris
3 évocateurs, a permis de poser plus rapidement le diagnostic.
Service de néphrologie
et d’hémodialyse, Mots clés : ARC syndrome, plaquettes, frottis sanguin, hémorragie
Hôpital Debré, Paris
augmentation des phosphatases alcalines (PAL : 891 UI/L ; ter. Elle présente une diarrhée grave rebelle. D’autre part,
N : 105-365 UI/L), sans augmentation des transaminases ni depuis l’âge de 3 mois, plusieurs épisodes infectieux graves
de la gamma glutamyl transpeptidase (γ-GT). La biopsie à type de septicémies à Staphylococcus aureus et à Candida
hépatique révèle une fibrose portale. Au même âge, une sp. se sont succédé. Néanmoins, aucun déficit immunitaire
tubulopathie proximale apparaît avec augmentation de la n’a pu être mis en évidence chez cet enfant (test du nitrobleu
diurèse, glycosurie (21,5 mmol/L), protéinurie (0,27 g/L ; de tétrazolium ou NBT normal, concentration sérique des
immunoglobulines normale et dosages des fractions du azurophiles est observée. Cette anomalie morphologique
complément normaux). C. présente, par ailleurs, une luxa- des plaquettes associée au tableau clinique permet d’évo-
tion bilatérale de hanche qui a nécessité la mise en place quer un ARC syndrome.
d’une traction pendant plusieurs semaines. L’évolution clinique est marquée par une dénutrition
Par la suite, une hémorragie digestive avec déglobulisa- avancée malgré la prise de compléments alimentaires,
tion importante à 50 g/L a fait rechercher l’existence par des septicémies répétées sur cathéter et des douleurs
d’une thrombopathie, qui sera confirmée par un temps à la moindre mobilisation nécessitant l’administration de
de saignement par IVY incision très allongé (> 17 minutes ; morphine. Le petit N. décède à l’âge de trois mois.
N : 2-8 minutes). Les tests d’agrégation plaquettaire mon-
trent l’absence d’agrégation à l’ADP et au collagène ainsi
qu’une hypoagrégabilité à l’acide arachidonique. Observation 3
C. décède à l’âge de dix mois, dans un tableau d’hémorragie
Le patient C. est né à terme de parents consanguins, d’ori-
massive compliquée d’un sepsis grave à Pseudomonas mal-
gine kurde. Sa taille et son poids de naissance sont normaux.
tophilia. Le diagnostic initial de maladie de Byler est alors
Le pH mesuré sur sang de cordon révèle une acidose lac-
reconsidéré et le diagnostic d’ARC syndrome est évoqué.
tique (pH : 7,0 ; lactates : 11 mmol/L ; N : 0,6-1,9 mmol/L).
A posteriori, le frottis sanguin est revu. Les plaquettes sont
C. est hypotonique et refuse de s’alimenter. A 8 jours de vie,
totalement grises après coloration au May-Grünwald-
un syndrome rénal de Fanconi avec protéinurie (0,44 g/L),
Giemsa (MGG).
phosphaturie (2,03 mmol/L), glycosurie (23,9 mmol/L) et
un ictère cholestatique (bilirubine totale : 143 μmol/L,
PAL : 374 UI/L) sans augmentation de la γ-GT, apparais-
Observation 2 sent. L’hémogramme est normal, hormis une anémie micro-
cytaire arégénérative à 95 g/L. Le cytologiste est alerté par la
L’enfant N. est né à terme de parents consanguins origi- présence de plaquettes grises sur le frottis sanguin coloré au
naires de la Côte d’Ivoire. A 18 semaines d’aménorrhée, MGG (figure 1). L’expérience des deux patients précédents
l’échographie a révélé un intestin grêle hyperéchogène. et la symptomatologie clinique lui permettent d’évoquer un
ARC syndrome.
Le caryotype réalisé alors est normal, la mutation
MTHFR est absente et aucune infection virale n’est détec- L’étude des glycoprotéines plaquettaires membranaires est
tée. A la naissance, N. a une taille et un poids normaux. réalisée par cytométrie en flux, avant et après activation par
A quatre jours de vie, il est hospitalisé en réanimation un agoniste du récepteur à la thrombine. La P-sélectine n’est
néonatale pour une septicémie à Escherichia coli K1. pas retrouvée à la surface des plaquettes activées du patient
Il présente une hypotonie axiale, une arthrogrypose des (figure 2). L’expression des glycoprotéines GPIIb/IIIa
genoux et un ictère à bilirubine conjuguée (bilirubine (intégrine αIIbβ3) et GPIb est normale à l’état basal et après
totale : 185 μmol/L ; bilirubine conjuguée : 153 μmol/L ; activation. L’exploration de l’hémostase révèle une throm-
bopathie avec un temps de saignement par IVY incision
PAL : 520 UI/L) sans augmentation des transaminases ni
modérément allongé (11 minutes pour une normale entre
de la γ-GT.
2 et 8 minutes).
L’évolution est favorable sous antibiothérapie. Une aci-
Une IRM cérébrale révèle une agénésie des corps calleux
dose métabolique (pH : 7,22 ; bicarbonates : 9,7 mmol/L)
et un céphalhématome en voie de régression. Une arthro-
révèle une tubulopathie (créatininémie : 76 μmol/L ; N :
grypose minime est suspectée a posteriori devant une
27-66 μmol/L) proximale avec protéinurie (0,96 g/L), hypertonie périphérique. Une nutrition entérale continue
hyper-amino-acidurie globale, glycosurie (19,7 mmol/L) est instaurée. Le patient décède à deux mois de vie d’un
et phosphaturie (4,05 mmol/L). En outre, N. a des diffi- sepsis grave à Pseudomonas aeruginosa, malgré une
cultés à s’alimenter et présente une sécheresse cutanée antibiothérapie efficace.
sévère. La biopsie hépatique permet d’écarter les diagnos-
tics de maladie de Byler ou de cytopathie mitochondriale
mais révèle une fibrose hépatique partielle avec une Le point de vue du clinicien
diminution des canaux biliaires.
Les paramètres de l’hémogramme et le bilan d’hémostase En 2006, 62 cas d’ARC syndrome étaient recensés dans la
sont normaux. Après coloration du frottis sanguin au littérature [1]. Ce syndrome létal de transmission auto-
MGG, les plaquettes apparaissent anormalement grises. somique récessive est extrêmement rare. Il est caractérisé
Le myélogramme est normal, excepté pour la lignée par la triade classique : arthrogrypose, syndrome rénal de
mégacaryocytaire où une nette diminution des granulations Fanconi et ictère cholestatique sans élévation de la γ-GT.
A B
Figure 1. Frottis sanguins colorés au May-Grünwald-Giemsa. A : plaquettes grises d’un patient (observation 3) atteint d’ARC
syndrome. Grossissement x 400 à gauche et x 1 000 à droite. B : plaquettes azurophiles d’un sujet sain. Grossissement x 400.
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driale ou d’une maladie des peroxysomes a été émise
témoin avant d’évoquer un ARC syndrome, pathologie plus rare
patient
Nombre de plaquettes (G/L)
Tableau 1. Principales caractéristiques cliniques et biologiques observées dans l’ARC syndrome et recherchées dans les
3 observations.
souvent évoqué tardivement du fait de son extrême rareté. sur un deuxième prélèvement veineux ou capillaire. Dans
L’expertise du cytologiste peut permettre d’émettre cette les plaquettes normales, les granules α contiennent des
hypothèse diagnostique. Dans chacun des trois cas pré- protéines basiques qui apparaissent azurophiles après
sentés, des anomalies des plaquettes étaient visibles sur coloration au MGG. Chez les patients atteints d’ARC
le frottis sanguin sans thrombopénie associée. Les équipes syndrome, la microscopie électronique a montré un déficit
d’Eastham et al. [3] et Gissen et al. [1] rapportent que en granules α [4], responsable de l’aspect gris pâle des
des plaquettes dysmorphiques sont présentes dans plaquettes. Dans le GPS, c’est le contenu des granules α
25 % des cas. Cependant, dans la dernière étude citée, qui est absent, la membrane délimitant les granules
cette anomalie n’a été recherchée que chez la moitié des semble intacte [5]. L’étude en cytométrie en flux de la
patients. Ces plaquettes ont, en général, une taille légère- P-sélectine, protéine spécifique de la membrane des gra-
ment supérieure à la normale. Les études en microscopie nules α plaquettaires permet d’étayer le diagnostic.
électronique mettent en évidence une taille moyenne de A l’état basal, chez un sujet sain, la P-sélectine est norma-
3,2 μm au lieu de 2,2 μm chez le sujet sain, et les auto- lement absente de la surface des plaquettes. Après activa-
mates de numération visualisent un volume plaquettaire tion des plaquettes par un agoniste du récepteur à la
moyen de 12 fL au lieu de 7 à 10 fL chez le sujet sain thrombine, le TRAP (Thrombin Receptor Agonist
[4]. De plus, elles apparaissent grises, dépourvues de gra- Peptide), l’exocytose des granules α se traduit par la
nulations azurophiles, à la coloration au MGG (figure 1). sécrétion des protéines qu’ils contiennent (VWF, PF4,
Cet aspect est indépendant du type d’anticoagulant utilisé β-TG, TSP-1, fibrinogène…) et par l’incorporation de
pour le prélèvement (EDTA ou citrate). La morphologie P-sélectine à la membrane plaquettaire [6]. Chez les
plaquettaire est similaire à celle observée dans le syn- patients atteints d’ARC syndrome, la P-sélectine est
drome des plaquettes grises (Gray Platelet Syndrome, absente de la surface des plaquettes après activation par
GPS). Toutefois, la présentation clinique différente et le TRAP (figure 2). D’après Lo et al., il semble exister un
l’absence de thrombopénie permettent d’éliminer l’hypo- déficit des protéines liées à la membrane des granules α et
thèse du syndrome des plaquettes grises chez ces patients. des protéines solubles contenues dans ces granules α,
Il faut rappeler que des plaquettes grises peuvent être qu’il s’agisse de protéines synthétisées par la lignée
retrouvées de façon artéfactuelle sur le frottis sanguin : mégacaryocytaire ou de protéines plasmatiques présentes
l’activation du prélèvement in vitro entraîne le relargage à un taux normal dans le plasma du patient (fibrinogène).
du contenu des granules plaquettaires. Ce phénomène est Ceci est en faveur d’une absence de membrane des gra-
secondaire aux difficultés de prélèvements et à l’hyper- nules α [4]. Diverses équipes ont montré l’existence d’une
coagulabilité physiologique du nouveau-né. Il est donc thrombopathie associée, caractérisée par un défaut d’agré-
indispensable de contrôler ces anomalies morphologiques gation à l’ADP et à l’acide arachidonique. Ces plaquettes