Vous êtes sur la page 1sur 145

1-1170

1-1170

Allongement du temps
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de saignement
MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de saignement est le seul test d’hémostase réalisé in vivo, qui explore globalement l’hémostase
primaire, c’est-à-dire les interactions entre les plaquettes et la paroi vasculaire, via le facteur Willebrand et le
fibrinogène nécessaire à l’état de traces.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : temps de saignement, hémostase primaire, Willebrand, plaquettes.


‚ Technique de Duke ‚ Choix de la technique
Introduction La réalisation systématique du temps de
Il s’agit d’une incision au lobe de l’oreille. Elle est
largement utilisée mais ses limites sont importantes. saignement n’est plus recommandée dans le bilan
Elle manque de sensibilité et de reproductibilité. La d’hémostase préopératoire, mais il doit être réalisé
Le temps de saignement (TS) est le temps qui
normale est de 2 à 4 minutes. chez les patients ayant une histoire hémorragique.
s’écoule entre la création, au niveau cutané, d’une Une méthode sensible (Ivy-incision) est actuellement
brèche pariétale des petits vaisseaux du derme, et préférée.
l’arrêt du saignement ainsi provoqué. Le TS n’est plus ‚ Technique d’Ivy-incision horizontale
un examen prescrit à titre systématique lors d’un Cette technique, réalisée à l’avant-bras, a été bien


bilan préopératoire, mais il doit être pratiqué chez standardisée. L’incision est réalisée horizontalement,
tout patient ayant une histoire hémorragique si la Interprétation d’un allongement
sur la face antérieure de l’avant-bras après du temps de saignement (fig 1)
numération de plaquettes est normale. désinfection, à l’aide d’un dispositif jetable (type
Pour pallier le défaut de reproductibilité du TS, la Simplatet). Une contre-pression de 40 mmHg est L’interprétation nécessite de connaître la
nécessité de sa réalisation in vivo, au lit du patient, appliquée au bras à l’aide d’un brassard à tension. La technique utilisée et de prendre en compte le
un nouveau test d’exploration de l’hémostase normale est de 4 à 8 minutes. C’est la technique de contexte clinique ainsi qu’une éventuelle prise
primaire, le platelet fonction analyser (PFA) 100TM a référence qui présente l’avantage d’être sensible et médicamenteuse. La première cause d’allongement
été récemment proposé. Il mesure le temps standardisée. Néanmoins, elle laisse une petite acquis du TS est l’aspirine dont la prise, souvent
d’occlusion (TO) de l’orifice d’une membrane par le cicatrice. Enfin, son coût est plus élevé (dispositif méconnue, doit être recherchée à l’interrogatoire.
sang total. Les premiers résultats d’évaluation du jetable). Bien entendu, la prise de tout autre anti-
PFA100TM dans l’exploration de l’hémostase sont inflammatoire ou antiagrégant plaquettaire
prometteurs, plus particulièrement pour le dépistage ‚ Autres techniques (ticlopidine, clopidogrel) est également associée à un
de la prise d’aspirine et du déficit en facteur allongement du TS. Le TS peut être allongé en cas
Willebrand. D’autres techniques peuvent être réalisées, d’anémie profonde (Hb < 7 g/dL) ou lors de la prise
notamment la technique d’Ivy-incision verticale, tout de bêtalactamines à fortes doses (fig 1).
à fait semblable mais dans le sens des microfibrilles, Le TS doit être confronté à une numération


ce qui favorise la confluence des berges de l’incision plaquettaire concomitante.
Réalisation du temps et raccourcit la durée du saignement (normale : 2 à
de saignement et valeurs
normales 5 minutes). ‚ Numération de plaquettes diminuée
La technique d’Ivy-3 points : il ne s’agit plus d’une Précisons d’emblée que si le contexte clinique
Plusieurs techniques (tableau I) sont utilisées, mais incision mais de trois points de piqûre réalisés à suggère qu’un syndrome hémorragique est en
la technique d’Ivy-incision est considérée comme la l’aide d’une microlance. Le temps normal est rapport avec une thrombopénie (c’est-à-dire purpura
technique de référence. inférieur à 5 minutes. pétéchial et ecchymotique diffus, éventuellement
accompagné de saignement muqueux), il vaut
mieux d’abord réaliser une numération de
Tableau I. – Techniques du temps de saignement.
plaquettes. Si la thrombopénie est profonde
Méthodes Techniques Normales (inférieure à 50 G/L), le TS n’est souvent pas utile.
Néanmoins, il ne faut accepter de rattacher
Duke Incision de l’oreille avec un vaccinostyle de 2 à 4 minutes l’allongement du TS à une thrombopénie que si
Recueil de gouttes de sang toutes les - peu sensible celle-ci est franche (inférieure à 100 G/L). Mais il
30 secondes - peu reproductible n’existe pas de véritable corrélation entre la sévérité
- peu spécifique
de la thrombopénie et l’allongement du TS.
Ivy-incision Brassard gonflé à 40 mmHg de 4 à 8 minutes
Incision horizontale sur l’avant-bras - test plus sensible ‚ Numération de plaquettes augmentée
avec dispositif à usage unique
Les hyperplaquettoses secondaires (après
Recueil de gouttes de sang toutes les - meilleure reproductibilité
30 secondes splénectomie, saignements importants, au cours des
maladies inflammatoires, infectieuses ou cancers)

1
1-1170 - Allongement du temps de saignement

différentes situations (infection, grossesse,


1 Allongement du temps postopératoire). Le diagnostic peut alors être difficile
Temps de saignement allongé
de saignement (TS). AINS : et les patients doivent être étudiés à plusieurs
anti-inflammatoire non reprises. Une enquête familiale doit toujours
Artefact technique ? stéroïdien.
Médicaments (aspirine ?)
compléter le diagnostic. Le type du déficit en facteur
Anémie (hématocrite < 25 %) Willebrand est défini sur la réponse à la ristocétine,
l’étude de la répartition des multimères, et par la
biologie moléculaire (centres spécialisés).
Numération plaquettaire
Un syndrome hémorragique per- et postopéra-
toire au cours de la maladie de Willebrand peut être
Diminuée Normale Augmentée traité par des concentrés de facteurs VIII et
Willebrand. L’administration de desmopressine par
voie intraveineuse (Minirint) ou par instillation
Thrombopénies Willebrand Thrombopathies Syndromes
nasale (Octimt) multiplie par trois ou quatre les taux
Diagnostic étiologique Dosage Willebrand myéloprolifératifs
de base de facteurs VIII et Willebrand. La
desmopressine est utilisée lorsque le taux de
Tests fonctionnels plaquettaires
Willebrand est supérieur à 5 %, en dehors du
Willebrand de type IIB.
Anormaux Normaux
Thrombopathies
Thrombopathies acquises Allongement isolé du TS
Elles sont constitutionnelles ou beaucoup plus
Médicamenteuses
- AINS fréquemment acquises, secondaires à une prise
- Aspirine médicamenteuse ou à une pathologie. Clini-
- Ticlopidine, clopidogrel quement, nous retrouvons les caractéristiques d’un
- Antibiotique trouble de l’hémostase primaire avec des signes
Insuffisance rénale
Dysglobulinémie
hémorragiques essentiellement cutanéomuqueux.
Hémopathie La réponse aux différents agents agrégants
Thrombopathies constitutionnelles mesurée par les tests d’agrégométrie permet
d’orienter le diagnostic. Ces thrombopathies seront
ensuite caractérisées par l’analyse des glycopro-
sont faites de plaquettes de qualité normale qui La maladie atteint les deux sexes. La transmission téines de membrane, l’analyse biochimique du
n’allongent pas le temps de saignement. En est autosomale, le plus souvent dominante. C’est la contenu granulaire, l’étude du métabolisme des
revanche, les thrombocytoses primitives observées maladie hémorragique constitutionnelle la plus phospholipides et des prostaglandines. Ces
lors des syndromes myéloprolifératifs (thrombocy- fréquente. La maladie de Willebrand est caractérisée explorations sont réservées à des laboratoires
témie primitive, maladie de Vaquez, leucémie par des hémorragies muqueuses (épistaxis, spécialisés.
myéloïde chronique) s’accompagnent de gingivorragies, ménorragies) et cutanées
¶ Thrombopathies acquises
thrombopathies, sources d’accidents hémorragiques, (ecchymoses, saignements prolongés lors des
qui peuvent entraîner un allongement du TS. coupures). Il n’existe pas de purpura pétéchial à Médicamenteuses
l’exception des thrombopénies. Les ménorragies De nombreux médicaments inhibent les fonctions
‚ Temps de saignement allongé sont présentes chez 50 à 75 % des femmes. Elles se plaquettaires : l’acide acétylsalicylique (aspirine), en
et numération de plaquettes normale manifestent lors des premières règles. Les inhibant la cyclo-oxygénase plaquettaire. Cette
Lorsque le TS est allongé et que la numération de hémorragies muqueuses peuvent apparaître lors de inhibition est irréversible et peut perturber les
plaquettes est normale, deux diagnostics doivent la prise d’aspirine. explorations de l’hémostase primaire pendant 7 à
être évoqués : Le diagnostic biologique associe allongement du 10 jours. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens
– un déficit en facteur Willebrand, souvent TS, allongement du TCA, déficit en facteur (AINS) ont une action analogue à celle de l’aspirine,
héréditaire ; Willebrand. L’allongement du TCA est parallèle à mais elle est rapidement réversible.
– une anomalie qualitative plaquettaire ou l’intensité du déficit en facteur VIII et dépend de la Thrombopathies acquises associées à d’autres
thrombopathie (à l’inverse, le plus souvent acquise). sensibilité du réactif au déficit en facteur VIII. Le TCA maladies
En conséquence, l’exploration comprend, à ce peut être modérément allongé ou même normal
Elles ont été décrites au cours des hémopathies
stade : (tableau II).
(syndromes myéloprolifératifs, dysglobulinémies,
– la mesure du facteur Willebrand et du fac- Le facteur Willebrand est mesuré par son activité
anémies réfractaires), au cours de l’insuffisance
teur VIII (facteur antihémophilique A) puisque cofacteur de la ristocétine (vWF Rcof) ou par
rénale et des cardiopathies congénitales.
l’association TS allongé-numération de plaquettes méthode immunologique (vWFAg). Il est compris
normale, temps de céphaline + activateur (TCA) entre 1 et 50 % (valeurs normales 50 à 150 %). Le ¶ Thrombopathies constitutionnelles
allongé par déficit en facteur VIII, est très évocatrice facteur Willebrand est une protéine de – Dystrophie thrombocytaire de Bernard et Soulier
de maladie de Willebrand ; l’inflammation et son taux augmente dans ou anomalie de l’adhésion des plaquettes : elle est
– l’étude de la morphologie et des fonctions
plaquettaires ; l’étude des fonctions plaquettaires Tableau II. – Diagnostic biologique de la maladie de Willebrand.
n’est disponible que dans des laboratoires
spécialisés. Tests Résultats

Maladie de Willebrand TS (Ivy) : 12 min TS allongé


3
Le facteur Willebrand a deux principales Plaquettes : 312 000/mm Numération plaquettes normale
fonctions : la première est de jouer un rôle dans TCA : 40/T 32 s TCA allongé
l’interaction des plaquettes avec la paroi vasculaire
lésée, et la deuxième d’assurer le transport et la Facteur VIII : 30 % Facteur VIII diminué
protection du facteur VIII (facteur antihémophili- Facteur Willebrand Facteur Willebrand diminué
que A). Le déficit en facteur Willebrand retentit d’une vWF Rcof : 35 %, vWF ag : 30 %
part sur l’hémostase primaire, d’autre part sur la
coagulation (allongement du TCA et déficit en VIII). TS : temps de saignement ; TCA : temps de céphaline + activateur.

2
Allongement du temps de saignement - 1-1170

due à l’absence d’une glycoprotéine membranaire tendance à la désagrégation des plaquettes dont les Le système utilise une membrane de nitrocel-
(GPIb), récepteur du facteur Willebrand et nécessaire granules sont déficients. lulose biologiquement active recouverte de
à l’adhésion des plaquettes. collagène de type 1 et un autre agoniste


plaquettaire, soit l’adénosine diphosphate (ADP), soit
– Thrombasthénie de Glanzmann ou anomalie Exploration des fonctions l’épinéphrine. Cette membrane possède un orifice
de l’agrégation des plaquettes : elle est due à plaquettaires par le PFA100 TM central au travers duquel le sang s’écoule dans des
l’absence du complexe glycoprotéique membranaire
Un test d’exploration rapide de l’hémostase conditions de flux contrôlé. Le système mesure le
IIb-IIIa, récepteur du fibrinogène et cofacteur
primaire réalisé in vivo est actuellement TO, temps nécessaire à l’écoulement du sang
principal de l’agrégation plaquettaire ; l’agrégation
disponible [1]. Le PFA100TM (Dade Behring) est un correspondant à la formation du clou plaquettaire
plaquettaire est toujours nulle, quel que soit son
nouvel automate qui permet d’évaluer la capacité au niveau de l’orifice de la membrane.
inducteur ; les hémorragies à type d’hémorragies
fonctionnelle des plaquettes, en sang citraté, sans Les études ont montré une bonne sensibilité du
digestives, d’épistaxis, sont souvent graves ;
aucune préparation préalable de l’échantillon. PFA100TM pour le dépistage de la maladie de
différentes mutations sont identifiées par biologie
D’utilisation simple, le PFA100TM simule in vitro les Willebrand (allongement du TO avec les cartouches
moléculaire.
conditions rencontrées lors d’une brèche de la paroi ADP et épinéphrine) et le dépistage des patients
– Anomalies de la sécrétion plaquettaire : plus artériolaire. Dans le cadre de l’exploration de ayant ingéré de l’aspirine (allongement du TO avec
fréquentes que les deux précédentes, elles sont troubles hémorragiques évoquant un trouble de la cartouche épinéphrine). En revanche, une
responsables de syndromes hémorragiques plus l’hémostase primaire au cours d’un interrogatoire mauvaise sensibilité du PFA100TM à la prise de
modérés (diminution des grains denses [maladie du systématique, il est capable de détecter de manière ticlopidine et de clopidogrel a été rapportée. Sa
pool vide], des granules alpha [syndrome des sensible les anomalies les plus fréquentes, la prise sensibilité aux autres AINS que l’aspirine et aux
plaquettes grises]) ; elles sont caractérisées par une d’aspirine et un déficit en facteur Willebrand. anti-IIb/IIIa n’a pas encore été étudiée.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama M. Allongement du temps de saignement.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1170, 2001, 3 p

Références

[1] Lasne D, Aiach M. Exploration des fonctions plaquettaires par le PFA100TM : [3] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
performances et limites. Sang Thromb Vaiss 2000 ; 12 : 97-103

[2] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose


(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

3
1-1175

1-1175

Allongement du temps
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de céphaline + activateur
MH Horellou, J Conard, M Samama

B ien standardisé, reproductible, automatisable, le temps de céphaline + activateur est devenu le test le plus
utilisé des tests de coagulation.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : TCA, coagulation, exploration, hémophilie, anticoagulant circulant.


ellagique, silice), et du calcium. Il explore la voie temps de thrombine est allongé. En revanche, les
Introduction intrinsèque de la coagulation ; il est donc sensible réactifs utilisés pour la mesure du temps de Quick
aux concentrations des facteurs de la coagulation contiennent souvent un inhibiteur de l’héparine,
impliqués. Le temps obtenu est exprimé par rapport rendant le temps de Quick insensible à l’héparine. Le
Le temps de céphaline + activateur (TCA) est très
au temps du plasma témoin dont la valeur moyenne TCA est maintenant habituellement isolément
utile à la définition du risque hémorragique puisqu’il
varie entre 28 et 35 secondes selon les réactifs. Le allongé en présence d’héparine comme le montre
est sensible au déficit de la plupart des facteurs de
TCA est allongé lorsqu’il dépasse de 6 à 10 secondes l’exemple suivant :
coagulation (tableau I), sauf au déficit en facteur VII
le temps du témoin.
(proconvertine) ou facteur XIII (facteur stabilisant de
la fibrine). Traitement par l’héparine


Il est également utilisé pour la surveillance des Taux de prothrombine : 95 %
traitements par l’héparine non fractionnée.
Allongement du TCA. Démarche
diagnostique (fig 1) TCA : 50 s/T 33 s
Il permet enfin la détection des anticoagulants Temps de thrombine : 55 s/20 s
circulants de type lupus, recherchés lors de
l’exploration biologique des accidents
‚ Éliminer les causes d’erreur
thromboemboliques. Il existe des causes d’erreur ; les plus fréquentes Les héparines de bas poids moléculaire allongent
concernent la qualité du prélèvement sanguin : peu le TCA, à la différence des héparines non
Tous les réactifs utilisés pour la détermination du
non-respect de la nature ou du volume de fractionnées. Seuls les nouveaux schémas
TCA n’ont pas la même sensibilité à ces différentes
l’anticoagulant utilisé pour le recueil du sang, d’administration utilisant une injection par jour de
pathologies et le choix de l’un d’entre eux doit
présence d’héparine souillant le prélèvement, délai fortes doses (150 à 200 UI/j [Innohept, Fraxodit])
prendre en compte le contexte clinique des patients
trop long entre le prélèvement et la réalisation du peuvent entraîner un allongement important du
explorés.
test, amorce de coagulation. Un traitement TCA.
anticoagulant par l’héparine ou par les antivitamines ‚ Contexte clinique


Réalisation du TCA
et valeurs normales
Le TCA mesure le temps de coagulation à 37 °C
K (AVK) peut allonger le TCA.
La mesure du temps de thrombine est utile, plus
particulièrement en milieu hospitalier, pour éliminer
la présence d’héparine (héparine des cathéters, des
L’allongement du TCA doit être interprété en
fonction du contexte clinique (notion d’antécédents
personnels ou familiaux d’accidents hémorragiques,
existence d’une maladie associée) et des résultats
d’un plasma en présence de phospholipides prélèvements faits parallèlement à la gazométrie...).
des examens de coagulation effectués parallèlement
(céphaline) et d’activateurs (kaolin, célite, acide En présence d’héparine dans le prélèvement, le
(temps de Quick, temps de saignement).
Si le temps de Quick est allongé, il peut s’agir d’un
Tableau I. – Valeurs normales et facteurs explorés par le temps de céphaline + activateur (TCA). déficit acquis (atteinte hépatique, avitaminose K,
coagulopathie de consommation) ou d’un déficit
Test Valeurs normales Facteurs explorés
constitutionnel des facteurs X (Stuart), V
TCA Témoin : 28 à 35 s selon réactif si temps de Quick normal (proaccélérine) et II (prothrombine) et du fibrinogène
Écart malade/témoin inférieur à 6-10 s Prékallicréine (cf fascicule I-1185 de l’Encyclopédie pratique de
Rapport malade/témoin < 1,2 Kininogène de haut poids moléculaire
Facteur XII : facteur Hageman médecine, Allongement du temps de Quick).
Facteur XI : facteur Rosenthal
Facteur IX : antihémophilique B ‚ Allongement isolé du TCA
Facteur VIII : antihémophilique A Un allongement isolé du TCA révèle, soit un
si temps de Quick allongé déficit constitutionnel en facteur de la coagulation
Facteur X : Stuart
appartenant à la voie intrinsèque de la coagulation
Facteur V : proaccélérine
Facteur II : prothrombine (kininogène de haut poids moléculaire,
Fibrinogène prékallicréine, facteurs VIII, IX, XI et XII), soit un
anticoagulant circulant.

1
1-1175 - Allongement du temps de céphaline + activateur

– Le déficit constitutionnel en facteur XI est plus


1 Conduite à tenir devant fréquemment rencontré chez les juifs ashkénazes. La
Conduite à tenir devant un TCA allongé
un temps de céphaline + gravité des manifestations hémorragiques est
Orientation clinique : sexe, antécédents familiaux, origine ethnique, prises activateur (TCA) allongé.
variable d’un sujet à l’autre.
médicamenteuses, manifestations hémorragiques
– Les déficits en facteurs de la phase contact :
TCA allongé facteur Hageman ou facteur XII, kininogène de haut
poids moléculaire, prékallicréine. Diagnostiqués à
l’occasion de la découverte d’un allongement
Temps de thrombine important du TCA à un examen systématique, ce
sont des déficits rares qui n’entraînent jamais de
Temps de thrombine normal Temps de thrombine allongé : héparines manifestations hémorragiques, même lorsqu’ils sont
fibrinogène sévères.

Temps de Quick allongé (V, X, II) TCA et anticoagulant circulant


- atteinte hépatique
- avitaminose K ¶ Anticoagulant circulant
- déficit constitutionnel
Temps de Quick normal La présence d’un anticoagulant circulant est
évoquée sur la non-correction ou la mauvaise
TCA non corrigé par le témoin :
anticoagulant circulant correction du TCA du plasma du patient par le
TCA corrigé par le témoin - VIII, IX, XI, XII normaux : lupus anticoagulant plasma normal (le temps du mélange malade [M] +
Dosages VIII, IX, XI, XII - isolé d'un facteur : inhibiteur spécifique témoin [T] reste allongé). Le résultat peut être
(anti-VIII)
exprimé par l’indice de Rosner.
Indice de Rosner :
VIII : hémophilie A, Willebrand
IX : hémophilie B IR = (M + T) - T × 100
XI : ashkénases M
XII : pas de risque hémorragique < 12 : absence d’anticoagulant circulant
VIII, IX, XI, XII normaux 12-15 : douteux
Dosages prékallicréine, kininogène de haut poids moléculaire
> 15 : présence d’un anticoagulant circulant
Exemple de calcul (tableau III).
Le diagnostic repose sur l’épreuve de correction hémorragiques (hémarthroses, hématomes, Il existe deux grandes familles d’anticoagulants
du TCA par du plasma normal. Si l’anomalie est liée hémorragies postopératoires) dépend de la sévérité circulants: les anticoagulants circulants dirigés contre
à un déficit, l’addition de plasma normal corrige le du déficit (tableau II). On distingue les hémophilies un facteur de coagulation s’accompagnant de
TCA du patient. Si l’anomalie est liée à la présence sévères (taux inférieurs à 1 %), modérées (2 à 7 %) et manifestations hémorragiques et les inhibiteurs de
d’un anticoagulant circulant, le TCA du patient n’est mineures (7 à 30 %). Ce sont ces dernières qui spécificité « antiphospholipides » qui, en principe, ne
pas corrigé par le plasma normal. peuvent être diagnostiquées sur un allongement s’accompagnent pas de manifestations hémorra-
modéré du TCA découvert en préopératoire ou à giques mais peuvent s’accompagner, de manière
l’occasion de saignement postopératoire. Un taux de paradoxale, de thromboses. Ces derniers sont les
TCA : facteur VIII ou IX supérieur à 30 % (50 % en situation plus fréquents. Le dosage des facteurs de la voie
✔ malade 60 s/témoin 34 s chirurgicale) est nécessaire pour assurer une intrinsèque (VIII, IX, XI et XII) et la mesure du TCA
✔ malade + témoin : 36 s → déficit en hémostase normale. après addition de phospholipides permettent de
facteurs Une augmentation du taux de facteur VIII peut différencier ces deux types d’inhibiteurs (tableau IV).
✔ malade + témoin : 52 s → présence être obtenue par administration de concentrés de ¶ Inhibiteurs dirigés contre un facteur
d’un anticoagulant circulant facteur VIII ou administration de desmopressine de coagulation
(Minirint par voie intraveineuse, Octimt par Ils sont découverts à l’occasion de manifestations
instillation intranasale si le taux de facteur VIII est hémorragiques graves. Le diagnostic biologique
La nature du déficit ou la cible de l’anticoagulant supérieur à 5 %). Une augmentation du taux de repose sur l’association d’un allongement du TCA,
circulant est ensuite précisée par le dosage facteur IX peut être obtenue par administration de non corrigé par le témoin, et d’un déficit isolé en un
spécifique des facteurs VIII, IX, XI, XII et des facteurs concentrés de facteur IX. seul facteur de la coagulation (tableau IV). La
du système contact.

TCA et déficits en facteurs de la voie Tableau II. – Différentes formes d’hémophilie selon le taux de facteur VIII ou IX.
intrinsèque
Taux Manifestations
Sévérité de l’hémophilie TCA malade/témoin
Le TCA est très sensible aux déficits en facteurs de de facteur VIII ou IX hémorragiques
la phase contact (facteur XII). En revanche, il est <1% Sévère Hémarthroses sponta- 75 s/33 s
moins sensible au déficit en facteur VIII et surtout au nées récidivantes
déficit en facteur IX. Il faut donc être vigilant sur les
2à7% Modérée Hémarthroses rares 55 s/33 s
allongements modérés du TCA. Hématomes post-
– L’hémophilie A (déficit en facteur VIII) et traumatiques
l’hémophilie B (déficit en facteur IX) sont, après la Complications hémorra-
maladie de Willebrand, les plus fréquentes des giques postopératoires
maladies constitutionnelles de la coagulation. Leur 7 à 30 % Mineure Complications hémorra- 45 s/33 s
transmission est autosomale récessive, de même giques postopératoires
type biologique A ou B, et de même sévérité et post-traumatiques en
l’absence de traitement
biologique au sein d’une même famille.
approprié
L’hémophilie A est cinq fois plus fréquente que
l’hémophilie B. La gravité des manifestations TCA : temps de céphaline + activateur.

2
Allongement du temps de céphaline + activateur - 1-1175

Tableau III. – Allongement du temps de céphaline + activateur (TCA) par déficit en facteur de coa- Tableau V. – Syndrome des antiphospholipides.
gulation ou anticoagulant circulant (ACC).
Critère clinique
Tests Plasma no 1 Plasma no 2
• Thrombose artérielle et/ou veineuse, ou des petits
TCA 67/T 33 s 67/T 33 s vaisseaux. Diagnostic nécessaire par imagerie ou
histologie (présence de thrombose sans inflamma-
Mélange malade + témoin 38 s 50 s tion de la paroi vasculaire)
• Grossesse pathologique
Indice de Rosner (38-33)/67 × 100 = 7 (50-33)/67 × 100 = 25
• une ou plusieurs perte(s) fœtale(s) inexpliquée(s)
Conclusion Absence d’ACC Présence d’un ACC d’un fœtus morphologiquement normal à plus de
10 semaines de grossesse
• une ou plusieurs naissances prématurées d’un
présence d’un anticorps dirigé spécifiquement contre cliniques : syndromes lymphoprolifératifs fœtus normal à 34 semaines ou avant 34 semaines
un facteur de coagulation est confirmée par (lymphomes, dysglobulinémies...), syndromes de grossesse par prééclampsie ou insuffısance pla-
l’inhibition de cette protéine dans le plasma témoin néoplasiques, infections diverses, notamment chez centaire
par le plasma du malade. • trois pertes fœtales inexpliquées ou plus avant
l’enfant ou lors de la prise de certains médicaments
10 semaines de grossesse après avoir éliminé les
Les plus fréquents sont les inhibiteurs dirigés (bêtabloquants, phénothiazine, procaïnamide). Leur causes anatomiques et hormonales chez la mère et
contre le facteur VIII. On les trouve chez les présence peut être transitoire, en particulier au cours les causes chromosomiques chez les deux parents
hémophiles transfusés (alloanticorps), mais aussi en des infections. Ils peuvent être détectés chez les
Critère biologique
dehors de l’hémophilie, dans le post-partum, dans le individus en dehors de tout contexte pathologique.
contexte d’une maladie auto-immune (en particulier Ils ne s’accompagnent pas de manifestations • Anticorps ACL IgG ou IgM à un titre moyen ou
fort, sur deux prélèvements à 6 semaines d’inter-
dans le lupus), associés à des prises médicamen- hémorragiques. Des complications thromboembo- valle en utilisant un Elisa reconnaissant les anti-
teuses (pénicilline) ou sans pathologie sous-jacente, liques sont observées dans un tiers des observations ACL-b2-GPI-dépendants (les anti-b2-GPI, faible
en particulier chez le sujet âgé. Les inhibiteurs dirigés définissant le syndrome des antiphospholipides. Les titre d’IgG, IgM, ACL, IgA, autres antiphospholipi-
contre le facteur IX sont observés chez l’hémophile B thromboses peuvent être veineuses, artérielles ou des ne sont pas reconnus actuellement comme cri-
ou dans un contexte de maladie auto-immune. tère de syndrome des antiphospholipides)
placentaires, responsables de pertes fœtales
• Lupus anticoagulant défini selon les critères de
récidivantes. l’ISTH
¶ Inhibiteurs dirigés contre les « phospholipides »
ou lupus anticoagulants (LA) Le syndrome des antiphospholipides associe un
Les anticorps antiphospholipides forment un critère clinique et un critère biologique retrouvé sur Elisa : enzyme-linked immunosorbent assay ; Ig : immunoglobuline ; ACL :
anticorps anticardiolipine ; b2GPI : b2 glycoprotéine I ; ISTH : International
groupe hétérogène d’anticorps comprenant les deux prélèvements faits à 6 semaines d’intervalle Society of Thrombosis and Haemostasis.
anticorps détectés par méthodes de coagulation et (International workshop, Arthritis Rheum 1999 ; 42
les anticorps anticardiolipine recherchés par (7) : 1309-1311) (tableau V).
méthode immunologique. Les antiphospholipides Les critères du diagnostic biologique Les réactifs utilisés pour la réalisation du TCA
sont des autoanticorps. Ils sont ainsi dénommés car d’anticoagulant circulant de type lupus ou LA ont été n’ont pas tous la même sensibilité aux LA. Du fait de
on avait établi qu’ils étaient principalement dirigés clairement précisés en 1995 par l’International cette différence de sensibilité et de l’hétérogénéité
contre les phospholipides anioniques, et plus Society of Thrombosis and Haemostasis. Quatre des LA, des résultats discordants peuvent être
particulièrement la phosphatidylsérine ou le étapes sont nécessaires pour affirmer la présence observés selon les techniques utilisées. Mieux qu’une
phosphatidylinositol, acide phosphatidique. Il est d’un LA : simple demande de TCA, l’ordonnance de
maintenant démontré que des protéines – dépistage de l’anticoagulant circulant, le plus prescription doit préciser la demande de recherche
plasmatiques ayant une haute affinité pour les souvent sur un allongement du TCA, parfois associé de LA, ce qui permet au biologiste d’utiliser les
phospholipides (b 2 GPI (b 2 glycoprotéine I), à un allongement du temps de Quick ; réactifs et les tests les plus sensibles. La recherche
prothrombine, protéines C, S, annexine...), vont – présence d’un effet inhibiteur défini par la d’anticorps anticardiolipine devrait être faite
exprimer des néoantigènes lors de leur fixation aux non-correction du temps malade par le témoin ; systématiquement, parallèlement à la recherche de
phospholipides, néoantigènes qui seront reconnus – dépendance des phospholipides se traduisant LA, compte tenu de la fréquente association (60 %)
par ces anticorps antiphospholipides-protéines. par un raccourcissement du TCA après addition de de ces deux marqueurs du syndrome des
Les antiphospholipides se rencontrent au cours phospholipides ; antiphospholipides, l’association de ces deux
des pathologies auto-immunes (lupus érythémateux, – absence d’effet inhibiteur spécifique sur les recherches est recommandée pour augmenter la
connectivite...) et dans diverses circonstances facteurs de coagulation dont le dosage est normal. sensibilité de la détection des antiphospholipides.

Tableau IV. – Diagnostic différentiel anticoagulant circulant (ACC) anti-VIII, antiphospholipides.

Tests Plasma no 1 Plasma no 2


Patient de 75 ans sans passé hémorragique, adressé TCA préopératoire chez une patiente de 40 ans sans
pour volumineux hématome de cuisse manifestation hémorragique
TCA 67/T 33 s 67/T 33 s
Mélange malade + témoin 50 s 50 s
Présence d’un ACC Présence d’un ACC
Addition de phospholipides TCA 65 s TCA 50 s
TCA non raccourci en présence de phospholipides TCA raccourci en présence de phospholipides
Facteur VIII 5% 90 %
Facteur IX 85 % 85 %
Facteur XI 75 % 75 %
Facteur XII 80 % 80 %
Conclusion Suspicion d’antifacteur VIII Anticoagulant de type lupus

TCA : temps de céphaline + activateur.

3
1-1175 - Allongement du temps de céphaline + activateur

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama M. Allongement du temps de céphaline + activateur.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1175, 2001, 4 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

4
1-1185

1-1185
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Allongement du temps de Quick

MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de Quick explore de façon globale tous les facteurs de la voie extrinsèque de la coagulation (facteurs
VII, X, V, II et fibrinogène). Il est encore souvent exprimé en « taux de prothrombine » (TP). Des variations
importantes des résultats des TP exprimés en pourcentage sont observées d’un laboratoire à un autre et d’un réactif
à l’autre, pour un même patient. C’est pourquoi l’expression du temps de Quick en international normalized ratio
(INR) est proposée dès 1983 dans la surveillance du traitement anticoagulant oral. L’expression en pourcentage
reste recommandée en dehors de la surveillance des antivitamines K (AVK).
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : taux de prothrombine, temps de Quick, coagulation - traitement par antivitamines K.


Réalisation du temps de Quick
et valeurs normales
Le temps de Quick est le temps de coagulation
Tableau I. – Facteurs de coagulation explorés par le temps de Quick.

Fibrinogène
Taux normaux
2-4 g/L
Taux nécessaires à l’hémostase
0,5-1 g/L
d’un plasma en présence de thromboplastine
tissulaire (mélange de facteur tissulaire et de Facteur II (prothrombine) 70-120 % 40 %
phospholipides) et de calcium. Facteur V (proaccélérine) 70-120 % 10-15 %
Le temps de coagulation est comparé à celui d’un
Facteur VII (proconvertine) 70-120 % 5-10 %
témoin, voisin de 12 secondes pour la plupart des
réactifs. Les Anglo-Saxons expriment le résultat en Facteur X (facteur Stuart) 70-120 % 10-20 %
rapport temps du malade/temps du témoin. Les
pays latins ont l’habitude d’exprimer le résultat en
pourcentage d’activité, en désignant ce pourcentage
Tableau II. – Allongement du temps de Quick : avitaminose K ou insuffisance hépatocellulaire.
sous le nom de « TP ». Le pourcentage est calculé en
utilisant différentes dilutions d’un plasma témoin qui Plasma n° 1 Plasma n° 2
correspond par définition à 100 % de la normale.
Facteur V 100 45
Les valeurs inférieures à 70 % sont considérées
comme pathologiques. Facteurs VII + X 40 40
Facteur II 45 45


Causes d’erreur du temps de Quick Conclusion Avitaminose K Insuffısance hépatocellulaire
et précautions à prendre
Les principales causes d’erreur affectant le temps Les erreurs de mesure, une erreur dans la fibrinogène et/ou la présence d’une antithrombine
de Quick sont le non-respect des conditions détermination de l’indice de sensibilité internationale peuvent influencer le temps de Quick.
préanalytiques : mauvais remplissage du tube et (ISI) ou dans le calcul de l’INR, l’utilisation d’un Un taux de fibrinogène inférieur à 1 g/L allonge le
non-respect du rapport volume de l’anticoagulant et mauvais plasma témoin doivent être maîtrisées par temps de Quick. De même, les anomalies
du plasma, délai trop long (supérieur à 4 heures) le biologiste. qualitatives du fibrinogène (dysfibrinogénémie) sont
entre le prélèvement et la réalisation du test souvent détectées sur un allongement isolé du
entraînant une diminution des facteurs labiles, temps de Quick.
mauvaise conservation des échantillons (le froid
raccourcit le temps de Quick par activation du
facteur VII, la chaleur entraîne une diminution du
facteur V). Le temps de Quick n’est pas sensible à

Facteurs de coagulation explorés
par le temps de Quick

Le temps de Quick explore la voie extrinsèque de


Les facteurs V, VII, X et II sont synthétisés au
niveau du foie, et la dernière étape de la synthèse
des facteurs VII, X et II (facteurs vitamino-K-
dépendants) nécessite la présence de vitamine K. Le
l’héparine du fait de la présence d’un antagoniste de la coagulation (tableau I). Outre les facteurs du temps de Quick est donc allongé dans l’insuffisance
l’héparine dans la plupart des réactifs. complexe prothrombinique (V, VII, X et II), le hépatocellulaire et les avitaminoses K. Un taux

1
1-1185 - Allongement du temps de Quick

Déficits congénitaux en facteurs V, X et II


Conduite à tenir devant un allongement 1 Diagnostic d’un allon-
du temps de Quick (TP ) gement du temps de Quick. Les déficits isolés en facteur II, V ou X sont très
AVK : antivitamine K ; TP : rares. Ils sont congénitaux et transmis classiquement
taux de prothrombine. selon le mode autosomal récessif. Chez les
Orientation clinique : atteinte hépatique, AVK, hémorragies
homozygotes, les manifestations hémorragiques
apparaissent dès les premiers jours de vie. Chez les
hétérozygotes, les manifestations hémorragiques
n’apparaissent qu’à l’occasion d’une intervention,
Temps de thrombine normal Temps de thrombine allongé d’une extraction dentaire ; certains déficits sont
latents et ne sont découverts que lors d’un examen
Dosage V, VII + x, II Dosage du fibrinogène systématique. Les taux de ces différents facteurs
• diminué - hypofibrinogénémie nécessaires à l’hémostase ont été rappelés dans le
• Plusieurs facteurs diminués - dysfibrinogénémie tableau I.
I, V, VII, X, II : atteinte hépatique
défibrination • normal - présence d'une antithrombine
II, VII, X : avitaminose K Anticoagulants circulants
Les anticorps qui entraînent un allongement
• Un seul facteur diminué simultané du temps de Quick et du TCA sont
Déficit constitutionnel
Inhibiteur spécifique exceptionnellement des inhibiteurs spécifiques de
l’un des facteurs de coagulation explorés par les
deux tests (facteur II, V, X ou fibrinogène). Ce sont le
plus souvent des anticorps « antiphospholipides », le
normal de facteur V avec diminution des autres diverses circonstances. La correction du temps de
plus souvent détectés sur un allongement du TCA et
facteurs du complexe prothrombinique oriente vers Quick après administration de 20 à 50 mg de
une avitaminose K (tableau II). du temps de Quick à un degré moindre.
vitamine K (épreuve de Koller) permet de distinguer
l’origine de la vitamine K : carence d’apport si la

■ ■
correction est obtenue après administration orale de
Diagnostic d’un allongement vitamine K, carence d’absorption si, après échec de
Temps de Quick et surveillance du
du temps de Quick (fig 1) traitement par les antivitamines
l’administration orale, la correction est obtenue par K : expression en INR
administration intraveineuse ou sous-cutanée de
‚ Allongement isolé du temps de Quick vitamine K. Le temps de Quick est actuellement le test
avec temps de céphaline + activateur – La maladie hémorragique du nouveau-né : recommandé pour la surveillance des AVK. Cette
(TCA) normal classiquement observée au quatrième jour de vie, surveillance biologique est indispensable en raison
Il oriente vers un déficit isolé en proconvertine ou elle est due à une carence d’apport par le lait de variations de sensibilité observées d’un malade à
facteur VII. Ce déficit est exceptionnel, transmis de maternel et à une absence de synthèse par défaut l’autre, et également chez un même malade, en
façon autosomale et récessive, et s’accompagne de de la flore intestinale. Elle peut être prévenue par raison de l’existence de facteurs de sensibilité ou de
manifestations hémorragiques de gravité variable. l’administration systématique de vitamine K à la résistance.
Un taux de facteur VII voisin de 5 à 10 % est suffisant naissance. Les réactifs utilisés pour la mesure des temps de
pour assurer une hémostase normale. Un – Chez l’adulte, une hypovitaminose K est Quick ont des sensibilités différentes aux facteurs
allongement isolé du temps de Quick peut être exceptionnellement due à une carence alimentaire. vitamino-K-dépendants, ce qui entraîne des résultats
également observé chez les patients recevant un Elle est beaucoup plus souvent liée à une obstruction différents chez un même patient selon le réactif
traitement anticoagulant oral entraînant une des voies biliaires ou à un syndrome de utilisé : la zone thérapeutique est de 25 à 35 % avec
hypocoagulabilité modérée (INR 2) du fait de la malabsorption intestinale, à la destruction de la flore un réactif et de 15 à 25 % avec un autre. Pour
demi-vie plus courte du facteur VII d’une part et intestinale par les antibiotiques.
permettre une meilleure comparaison nationale et
d’une sensibilité du TCA aux facteurs vitamino-K- internationale des résultats, l’expression en INR est
Maladies du complexe prothrombinique ne
dépendants inférieure à celle du temps de Quick. proposée depuis 1983.
réagissant pas à la vitamine K
‚ Allongement associé du temps de Quick Les insuffisances hépatocellulaires (hépatite virale,
( temps du malade ISI
et du TCA infectieuse, toxique, cirrhose) provoquent des déficits
INR =
temps du temoin
)
par défaut de synthèse. Dans les hépatites
Il est observé dans : L’ISI est l’indice de sensibilité internationale.
chroniques et les cirrhoses, on constate une baisse
– les avitaminoses K ; L’ISI est déterminé pour chaque réactif par rapport
plus ou moins marquée des facteurs du complexe
– l’insuffisance hépatocellulaire ; à une préparation de référence et il est fourni par les
prothrombinique, du fibrinogène et des plaquettes.
– les coagulopathies de consommation fabricants de réactifs aux laboratoires utilisateurs. De
Le déficit en proaccélérine témoigne de la gravité du
(coagulation intravasculaire disséminée [CIVD]) ; nouveaux réactifs à ISI voisins de 1 sont
pronostic. Ces anomalies peuvent favoriser certaines
– en présence d’anticoagulant circulant ; actuellement recommandés pour améliorer la
hémorragies, notamment les saignements des
– dans les déficits isolés, constitutionnels en varices œsophagiennes et les hémorragies standardisation de l’INR. L’expression en
fibrinogène, facteurs V, X et II. périopératoires. Les hémorragies dramatiques et pourcentage obtenue avec ces nouveaux réactifs
Les pathologies du fibrinogène, la coagulopathie profuses de l’ictère grave s’accompagnent d’un donne des pourcentages inférieurs à ceux obtenus
de consommation sont décrites dans le fascicule effondrement de tous les facteurs de coagulation. avec les anciens réactifs (par exemple, un INR à 3
1-1187 « Allongement du temps de thrombine ». D’autres déficits, ne réagissant pas à la vitamine K, correspond à un pourcentage à 22 % avec les
peuvent être rencontrés en dehors d’une hépatite nouveaux réactifs, 33 % avec les anciens réactifs). Il
Avitaminose K confirmée : déficit acquis en facteur X dans les est donc nécessaire d’adapter la dose d’AVK sur l’INR
Conséquence d’un défaut d’apport ou amyloses, diminution élective du facteur V dans les et non sur le pourcentage.
d’absorption de la vitamine K ou d’une anomalie de syndromes de défibrination ou en présence d’une Les zones recommandées actuellement sont
son cycle métabolique, elle est observée dans splénomégalie. données dans le tableau III.

2
Allongement du temps de Quick - 1-1185

Tableau III. – Principales indications des antivitamines K (AVK) et zones thérapeutiques recommandées.

Indications Durée de traitement INR


Traitement des thromboses veineuses et embolies pulmonaires 3 à 6 mois minimum 2-3
Cible 2,5
Prévention des embolies systémiques 2-3
en cas de : Cible 2,5
- prothèse valvulaire tissulaire 3 mois après intervention
- fibrillation auriculaire Longue durée
- infarctus du myocarde compliqué Longue durée
- cardiopathie valvulaire Longue durée
Prothèses valvulaires mécaniques Longue durée 2,5-3,5*
Cible 3

* International normalized ratio (INR) à adapter en fonction du type de prothèse, de sa position, de la date d’implantation (3 à 4,5 pour certaines prothèses).

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : MH Horellou, J Conard, M Samama. Allongement du temps de Quick.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1185, 2001, 3 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

3
1-1187

1-1187
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Allongement du temps de thrombine

MH Horellou, J Conard, M Samama

L e temps de thrombine explore les deux premières étapes de la fibrinoformation (action protéolytique de la
thrombine et polymérisation), mais il est indépendant du facteur XIII. Ce test est rarement demandé isolément
en préopératoire ou dans l’évaluation d’un syndrome hémorragique. Il est toujours précédé de la réalisation d’un
temps de Quick et d’un temps de céphaline + activateur.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : fibrinoformation, fibrinogène, coagulopathie de consommation.


Introduction

Comme nous l’avons vu précédemment (cf


Diagnostic d'un allongement du temps de thrombine 1 Diagnostic d’un allon-
gement du temps de
thrombine.

Temps de reptilase
fascicules I-1185 « Allongement du temps de Quick »
et I-1175 « Allongement du temps de céphaline +
activateur »), ce test est la première étape de la Allongé Normal : malade traité par héparine
démarche diagnostique d’un allongement de ces
deux tests : il permet d’éliminer une anomalie de la
Dosage du fibrinogène
fibrinoformation lorsque le temps de Quick est
allongé, et la présence d’antithrombine (héparine) Normal
lorsque le temps de céphaline + activateur (TCA) est Inhibiteur de la fibrinoformation
allongé. Augmenté
Hyperfibrinogénémie
Le temps de thrombine est sensible aux Diminué
héparines, à l’hirudine et aux inhibiteurs de synthèse
antithrombinique.

• D-dimères normaux : synthèse anormale


- Hypofibrinogénémie
- Afibrinogénémie
Réalisation et valeurs normales - Dysfibrinogénémie
• D-dimères augmentés : défibrinations
- Coagulopathie de consommation
- Fibrinolyse
Le temps de thrombine est le temps de
coagulation d’un plasma en présence de thrombine.
Le temps normal est voisin de 20 secondes. ‚ Temps de reptilase produits de dégradation de la fibrine (D-dimères)
L’examen est anormal si le temps du malade sont normaux dans les anomalies de synthèse et
Il est insensible à l’héparine. Lorsque le plasma à
dépasse celui du témoin de plus de 3 secondes. augmentés dans les destructions excessives.
tester contient de l’héparine, le temps de thrombine
est allongé, alors que le temps de reptilase est
Anomalies de synthèse du fibrinogène


normal. L’association temps de thrombine
Interprétation d’un allongement allongé-temps de reptilase allongé est observée en Elles peuvent être quantitatives (hypo-,
du temps de thrombine (fig 1) présence d’anomalies quantitatives ou qualitatives hyperfibrinogénémies) ou qualitatives (dysfibrinogé-
du fibrinogène, d’inhibiteur de la fibrinoformation. némies) : le temps de thrombine dépend du
Le temps de thrombine dépend du fibrinogène. Il fibrinogène. Il est allongé lorsque celui-ci est inférieur
est également allongé par la présence d’un ‚ Anomalies du fibrinogène à 1 g/L ou supérieur à 6 g/L.
inhibiteur de la thrombine (anticoagulant circulant, Elles peuvent être secondaires à une anomalie de Dans le déficit quantitatif isolé en fibrinogène (a-
taux élevés de D-dimères) et notamment de synthèse ou à une destruction excessive ou hypofibrinogénémie), les manifestations
l’héparine ou de l’hirudine. (coagulopathie de consommation, fibrinolyse). Les hémorragiques et le retentissement sur le temps de

1
1-1187 - Allongement du temps de thrombine

Quick et le TCA sont fonction de la sévérité du déficit.


Dans l’afibrinogénémie, affection grave mais Causes des coagulopathies de consommation
exceptionnelle, tous ces tests sont incoagulables. ✔ Infections : infections graves, notamment septicémie à germes à Gram négatif, à
Le déficit isolé en fibrinogène peut être qualitatif méningocoque, pneumocoque, paludisme à Plasmodium falciparum.
(dysfibrinogénémie), constitutionnel ou acquis ✔ Cancers étendus ou métastatiques : cancer de la prostate, adénocarcinome
(atteintes hépatiques, hépatome). Les dysfibrinogé- (pancréas, côlon), leucémie aiguë, notamment à promyélocytes.
némies se caractérisent par un allongement du ✔ Causes chirurgicales : chirurgie hépatobiliaire, thoracique, vasculaire étendue,
temps de Quick, du temps de thrombine, un intervention sur l’utérus et la prostate.
fibrinogène diminué par les techniques de ✔ Causes obstétricales : hématome rétroplacentaire, toxémie gravidique, rétention
coagulation et normal par les méthodes d’œuf mort, embolie de liquide amniotique, placenta praevia.
immunologiques. Elles sont le plus souvent ✔ Réactions d’hypersensibilité : choc anaphylactique, accidents transfusionnels par
asymptomatiques. incompatibilité.
✔ Causes médicales diverses : cirrhose du foie, morsure de serpent, hémangiome
Consommation ou destruction exagérée géant.
du fibrinogène (défibrination)
Les défibrinations sont rarement rattachées à une
consommés au cours du processus de coagulation, normaux (supérieurs à 3 heures) ou peu raccourcis
fibrinolyse primitive. La coagulopathie de
anomalies associées à la présence de complexes dans la CIVD. Les antifibrinolytiques peuvent être
consommation ou coagulation intravasculaire
solubles et d’une augmentation des produits de utilisés.
disséminée (CIVD) est de loin la cause la plus
dégradation de la fibrine (D-dimères).
fréquente.
Le traitement de la cause, lorsqu’il est possible, est
‚ Inhibiteurs de la fibrinoformation
¶ Coagulopathies de consommation le plus efficace. Le traitement substitutif (plasma frais
Ce syndrome, dû à une hyperactivation de la congelé, apports de concentrés de plaquettes et de Les antithrombines et antipolymérases ont une
coagulation, est observé dans différentes situations fibrinogène) s’impose dans les défibrinations action dirigée contre la thrombine et/ou la
pathologiques, chirurgicales, obstétricales ou sévères. L’héparinothérapie est rarement utilisée polymérisation des monomères de fibrine. Ces
médicales : les causes médicales les plus fréquentes dans les défibrinations aiguës en milieu chirurgical
inhibiteurs s’observent en particulier :
sont les chocs, certains cancers et leucémies. ou obstétrical. En milieu médical, elle peut être utile
Les accidents hémorragiques observés dans les dans les septicémies, certaines hémopathies, en – dans les affections hépatobiliaires et les
formes graves de CIVD résultent de la consom- particulier les leucémies à promyélocytes, dans les cirrhoses du foie ;
mation des plaquettes et différents facteurs cancers métastatiques. – dans les dysprotéinémies : maladie de Kahler,
plasmatiques nécessaires à la coagulation. La CIVD ¶ Fibrinolyse primitive maladie de Waldenström ;
peut s’accompagner à la fois d’accidents La fibrinolyse primitive implique la quantité
– des taux élevés de produits de dégradation du
thromboemboliques et hémorragiques. Les excessive d’activateurs du plasminogène. Le
fibrinogène et de la fibrine inhibent la polyméri-
complications hémorragiques peuvent être plasminogène est transformé en plasmine
sation du fibrinogène.
majorées par l’activation de la fibrinolyse responsable de la lyse, des caillots d’hémostase et du
réactionnelle à l’activation de la coagulation. fibrinogène circulant. Ces activateurs sont surtout Le temps de thrombine est allongé, non corrigé
Le diagnostic repose sur l’existence d’une tissulaires et se trouvent dans l’utérus, la prostate et par le témoin. Ces inhibiteurs ne s’accompagnent
thrombopénie, d’une diminution du taux de les poumons. Les temps de lyse (test de von Kaulla) pas de tendance hémorragique franche et ne
fibrinogène et des autres facteurs de coagulation, sont très courts (inférieurs à 1 heure) alors qu’ils sont nécessitent pas de thérapeutique spécifique.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu,1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : MH Horellou, J Conard et M Samama. Allongement du temps de thrombine.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1187, 2001, 2 p

Références

[1] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose [2] Zittoun R, Samama MM, Marie JP. Manuel d’hématologie. Paris : Doin, 1998
(GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 5-14

2
1-1196

Anomalie héréditaire 1-1196


AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

de la coagulation prédisposant
aux thromboses
MH Horellou, J Conard, MM Samama

L a thrombophilie est définie par une prédisposition acquise ou constitutionnelle, génétiquement déterminée
aux thromboses. Depuis la description du déficit familial en antithrombine décrit en 1965, de nombreux
facteurs biologiques de risque thrombotique ont été rapportés, définissant la thrombophilie comme une tendance
congénitale ou acquise à développer des accidents thromboemboliques.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : thrombophilie, thromboses.


Introduction

Une thrombophilie constitutionnelle est retrouvée


Tableau I. – Facteurs de risque de thrombose veineuse.

- Liés au terrain : âge, antécédent thromboembolique, obésité, grossesse


- Liés à la stase : chirurgie, immobilisation, insuffısance cardiaque, infarctus
du myocarde, voyage prolongé
chez environ 35 % des patients présentant une Facteurs favorisants
- Liés à l’hypercoagulabilité : cancer, infections
thrombose veineuse [1]. Ces facteurs de risque de - Causes iatrogènes : contraception œstroprogestative, traitement hormonal
thrombose sont congénitaux ou acquis [5] (tableau I). substitutif, œstrogénothérapie, cathéters et dispositifs veineux centraux
Ils peuvent être associés entre eux et/ou associés à
- Déficit en antithrombine
la présence de facteurs de risque favorisants, - Déficit en protéine C
soulignant l’origine multifactorielle de la thrombose. - Déficit en protéine S
Thrombophilies
- Résistance à la protéine C activée par mutation Arg506Gln du gène
constitutionnelles
du facteur V


- Mutation 20210 GA du gène de la prothrombine
Thrombophilie constitutionnelle - Dysfibrinogénémie
- Syndrome des antiphospholipides
- Polyglobulie primitive et thrombocythémie essentielle
‚ Causes de thrombophilies Thrombophilie acquise
- Hémoglobinurie paroxystique nocturne
constitutionnelles - Syndrome néphrotique
Elles peuvent être dues à des déficits en - Hyperhomocystéinémie
inhibiteurs de la coagulation (antithrombine, - Augmentation du facteur VIII
- Déficit en plasminogène
protéines C ou S), à un défaut de réponse à un
Autres causes possibles - Déficit en deuxième cofacteur de l’héparine
inhibiteur de la coagulation (résistance à la protéi- de thrombophilies consti- - Augmentation de la glycoprotéine riche en histidine (HRG)
ne C activée par mutation du facteur V, facteur V tutionnelle et/ou acquises - Augmentation du fibrinogène
Leiden), à une augmentation d’un facteur de - Augmentation de l’inhibiteur de l’activateur tissulaire du plasminogène
coagulation (augmentation du taux de facteur II par (PAI) ?
- Traitement de la leucémie aiguë lymphoblastique (rôle de la L-asparaginase)
mutation du gène de la prothrombine).

Déficits en inhibiteurs physiologiques inactivation à la surface des phospholipides où elle a été décrite. Cette mutation ralentit
de la coagulation (fig 1) nécessite la présence de protéine S. l’inactivation du Va par la protéine C activée.
L’antithrombine est le principal inhibiteur Mutation ponctuelle du gène de la
physiologique de la coagulation, elle inhibe la Résistance à la protéine C activée prothrombine
thrombine, mais aussi différents facteurs activés de La résistance à la protéine C activée décrite en Un séquençage systématique des gènes
la coagulation. L’héparine agit indirectement en 1993 par Dahlbäck se mesure par un allongement candidats au risque de thrombose a permis
multipliant par un facteur 2000 la vitesse d’inhibition insuffisant du temps de céphaline + activateur (TCA) d’identifier une mutation ponctuelle du gène de la
de la thrombine. La protéine C, après son activation en présence de protéine C. Cette résistance est prothrombine (20210 G → A). Cette mutation est
par la thrombine fixée à la thrombomoduline, associée, dans près de 100 % des cas, à une associée à une augmentation du taux de la
présente à la surface des cellules endothéliales, mutation ponctuelle du gène du facteur V, mutation prothrombine ou facteur II, cette augmentation
inhibe les facteurs Va et VIIIa de la coagulation. Cette Arg506Gln ou facteur V Leiden, du nom de la ville favorisant l’apparition de thromboses.

1
1-1196 - Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses

déficits en protéines C et S. Les thromboses sont


1 Mécanismes physiolo- exceptionnelles dans la petite enfance, en dehors du
XIIa
XIa giques de l’inhibition de la déficit en protéine C homozygote qui peut se
IXa coagulation. TFPI : tissue
manifester dès la naissance par un purpura
Xa factor pathway inhibitor.
VIIa fulminans. Les TVP apparaissent volontiers avant
VIIIa 40 ans, sont souvent récidivantes, peuvent être
Va spontanées ou plus fréquemment favorisées par des
Protéine C
activée circonstances déclenchantes (chirurgie, alitement
Protéine S prolongé, acte chirurgical, immobilisation plâtrée,
facteur Xa
IIa : thrombine TFPI contraception orale, grossesse...). À l’âge de 45 ans,
Facteur tissulaire
selon les études, 30 à 80 % des sujets ayant une
Antithrombine thrombophilie héréditaire ont eu un ATE, et la moitié
Protéine C
d’entre eux ont des récidives. Dans le cas de la
2e cofacteur TFPI résistance à la protéine C, le premier accident peut
de l'héparine survenir plus tardivement. La présence
Thrombine
d’antécédents familiaux de thrombose, le caractère
Héparane sulfate Dermatane sulfate Thrombomoduline Facteur tissulaire récidivant, l’âge du premier épisode thromboembo-
lique avant 40 ans sont des critères qui conduisent à
évoquer le diagnostic.

Cellules endothéliales ‚ Risque thromboembolique


des différentes thrombophilies
constitutionnelles
Autres anomalies constitutionnelles associées ¶ Mutations de la thrombomoduline
à un risque de thrombose Toutes ces thrombophilies n’induisent pas le
La thrombomoduline présente dans les cellules
même niveau de risque thromboembolique. Les
¶ Hyperhomocystéinémie endothéliales fixe la thrombine qui perd ainsi ses
études cas témoins, les études des apparentés
L’hyperhomocystéinémie est reconnue comme propriétés coagulantes et, dans un même temps, le
porteurs ou non porteurs de la thrombophilie ont
facteur de risque de thrombose veineuse : un taux complexe thrombine-thrombomoduline active la
permis récemment de donner une meilleure
supérieur à 18,5 µmol/L multiplie par deux le risque protéine C. Deux mutations de la thrombomoduline
définition du niveau de risque thromboembolique
de thrombose veineuse. L’association de ont été rapportées chez des patients présentant des
associé à ces différentes thrombophilies.
l’hyperhomocystéinémie à une autre altération accidents thromboemboliques (ATE) veineux.
Le déficit en antithrombine est considéré comme
héréditaire pourrait majorer ce risque. L’hyperhomo- ¶ Altération du fibrinogène, du plasminogène la plus sévère des causes de thrombophilie,
cystéinémie peut être due à des causes génétiques Des anomalies du fibrinogène (dysfibrinogéné- notamment pendant la contraception et la
et/ou acquises : carence d’apport vitaminique (B6, mie), du plasminogène (hypo- ou dysplas- grossesse. Le déficit homozygote en antithrombine
B12, acide folique), insuffisance rénale, polymor- minogénémie) sont rarement décrites au sein des de type I est vraisemblablement incompatible avec
phisme d’un des gènes du métabolisme de la cohortes de patients présentant des TVP. Leur la vie. Le déficit de type II-HBS (défaut de liaison de
méthionine. Le plus fréquent est le variant relation au risque veineux est mal démontrée. l’héparine) se distingue des autres types de déficit en
(677 C → T) du gène de la méthylène tétrahydro-
antithrombine par une expression clinique moins
folate réductase (MTHFR) qui entraîne la ‚ Fréquence et expression clinique sévère.
thermolabilité de la MTHFR et l’hyperhomocystéi- de la thrombophilie [3, 4] Le déficit homozygote en protéine C peut
némie. Cette mutation de la MTHFR est très
Ces anomalies se transmettent sur un mode s’exprimer dès la naissance par un purpura
fréquente : 10 % d’homozygotes, 35 % d’hétéro-
autosomal dominant, et sont le plus souvent fulminans et des thromboses extensives dont le
zygotes sont présents dans la population générale.
hétérozygotes. Leur fréquence dans la population pronostic a été amélioré par l’utilisation de
¶ Augmentation du facteur VIII témoin et chez les sujets présentant des thromboses concentrés de protéine C. Des formes homozygotes
Un taux élevé de facteur VIII supérieur à 150 %, veineuses est donnée dans le tableau II. Les déficits à révélation tardive avec des nécroses cutanées à
en dehors de toute pathologie inflammatoire, est en antithrombine, protéines C et S ainsi que les l’occasion de l’introduction des antivitamines K (AVK)
proposé par l’équipe de Leiden comme facteur de résistances à la protéine C activée sont associés à la ont également été décrites.
risque, multipliant par 2,7 fois le risque de survenue de thromboses presque exclusivement La résistance à la protéine C activée par mutation
thrombose veineuse profonde (TVP) : une veineuses. Il s’agit de thromboses profondes ou Arg506 → Glu du facteur V (facteur V Leiden) est la
augmentation du facteur VIII supérieure à 150 % est superficielles, d’embolies pulmonaires. Les plus fréquente des causes de thrombophilie,
retrouvée chez 10 % de la population témoin et thromboses dans d’autres territoires (thrombose retrouvée chez 20 % des patients présentant des
25 % de la population présentant une TVP. De veineuse mésentérique et thrombose veineuse thromboses veineuses. L’expression clinique de la
nouvelles études prospectives sont nécessaires pour cérébrale) sont plus rares et représentent moins de résistance à la protéine C activée semble moins
mieux évaluer le risque thrombotique de 5 % des ATE. Des thromboses artérielles peuvent sévère que les autres thrombophilies, avec une
l’augmentation du facteur VIII. parfois être observées, plus particulièrement dans les première manifestation thromboembolique à un

Tableau II. – Fréquence des principales causes de thrombophilie.

Déficit en AT* Déficit en protéine C Déficit en protéine S Facteur V Leiden** Mutation gène II
Sujets témoins 0,03 % 0,2-0,4 % 3à7% 1-2 %
Patients présentant une thrombose
veineuse (TV)
- sans critère de sélection 1% 3% 1à2% 20 % 6%
- TV récidivantes et/ou moins de 4-7 % 6-8 % 3-13 % 50 % ? 18 %
45 ans, antécédents familiaux

* : déficits en antithrombine de type I ; ** : population caucasienne.

2
Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses - 1-1196

âge plus avancé et souvent en présence d’un facteur prescription d’œstroprogestatifs, la recherche de L’abandon des doses de charge d’AVK, le relais
favorisant. Les formes homozygotes de résistance à thrombophilie n’est actuellement conseillée que héparine-AVK prolongé sont les modalités
la protéine C activée ne sont pas exceptionnelles et chez les femmes ayant des antécédents familiaux de recommandées lors de l’introduction des
sont moins sévères que les formes homozygotes des thrombose. anticoagulants oraux depuis la découverte du déficit
déficits en protéine C. en protéine C. Dans les déficits hétérozygotes en
Deux études faites chez les apparentés des ‚ Diagnostic biologique protéine C (taux voisin de 50 %), le traitement par
propositus ont comparé le risque thromboembo- Seuls le dosage spécifique des inhibiteurs de la AVK ne pose pas de problème particulier. Dans les
lique lié aux différentes thrombophilies : la résistance coagulation (antithrombine, protéines C et S), la exceptionnels déficits sévères (taux inférieur à 10 %),
à la protéine C activée est un facteur de risque recherche de la résistance à la protéine C activée une nécrose cutanée est fréquente en début de
inférieur à celui des déficits en inhibiteurs de la complétée par une recherche de la mutation du traitement par les AVK et peut nécessiter le recours à
c o a g u l a t i o n [ 6 ] . L e d é fi c i t e n i n h i b i t e u r s facteur V Leiden, la recherche de la mutation 20210 la perfusion de concentrés de protéine C lors de
physiologiques de la coagulation (antithrombine, du gène de la prothrombine, permettent le l’introduction des AVK.
protéines C ou S) multiplie par 10 le risque d’ATE diagnostic de thrombophilie constitutionnelle ; Le traitement AVK est poursuivi 3 à 6 mois au
veineux chez les sujets porteurs (incidence annuelle ceux-ci ne retentissent pas sur les tests de minimum, en maintenant un international
10,1/1 000 chez les porteurs versus 1/1 000 chez les coagulation globaux de routine. Lorsque les normalized ratio (INR) entre 2 et 3. La durée du
non-porteurs). En comparaison, le facteur V Leiden méthodes d’activité font suspecter un déficit traitement anticoagulant n’est pas encore bien
multiplie par 2,8 le risque d’ATE (incidence annuelle (antithrombine inférieure à 80 %, protéines C ou S définie chez les patients porteurs de thrombophilie.
d’ATE de 2,8/1 000 chez les apparentés porteurs du inférieures à 70 %), le dosage immunologique
facteur V Leiden, 0,9/1 000 chez les apparentés non permet de distinguer les déficits quantitatifs (dosage


porteurs). Dans cette étude, la contraception immunologique diminué) et qualitatifs (dosage
œstroprogestative associée à la présence du facteur immunologique normal). Thrombophilie acquise
V Leiden multiplie par 3,3 le risque d’ATE, la La recherche d’une résistance à la protéine C
grossesse par 4,2, alors que la chirurgie n’est pas activée se fait par test de coagulation basé sur
associée à la survenue de phlébites. Pour ces l’allongement du TCA en présence de protéine C ‚ Syndromes myéloprolifératifs et autres
auteurs, l’enquête familiale est souhaitable dans les activée. Un test positif (allongement insuffisant du pathologies hématologiques
déficits en inhibiteurs (antithrombine, protéines C ou TCA en présence de protéine C activée) doit être
Les syndromes myéloprolifératifs (polyglobulie et
S). Pour la résistance à la protéine C activée, confirmé par la recherche du facteur V Leiden par
thrombocytémie) et les dysglobulinémies
l’enquête familiale pourrait être réservée aux technique de biologie moléculaire qui distingue de
monoclonales peuvent être à l’origine de
femmes en âge de procréer. plus, avec certitude, s’il s’agit d’une anomalie
complications thromboemboliques par l’hypervis-
Une deuxième étude rétrospective faite chez les hétérozygote ou homozygote.
cosité qu’ils entraînent. Ils sont recherchés par la
apparentés [2] retrouve le caractère plus sévère du Les dosages sont réalisés de préférence en dehors
numération-formule sanguine et l’électrophorèse
déficit en antithrombine III : l’incidence annuelle des de tout traitement par les AVK et à distance de
des protides. L’hémoglobinurie paroxystique
ATE est de 10,7/1 000 chez les patients porteurs l’épisode thrombotique qui peut perturber les
(maladie de Marchiafava-Micheli) et la drépano-
d’un déficit en antithrombine, 5,4/1 000 pour la dosages de protéine S. L’interprétation des résultats
cytose sont recherchées devant un ATE associé à
protéine C, 5,0/1 000 pour la protéine S, 3,0/1 000 doit tenir compte de certaines conditions (phase
une hémolyse par un test de Ham-Dacie et
pour la résistance à la protéine C activée et aiguë de la thrombose, grossesse) et des traitements
cytométrie de flux, et une électrophorèse de
6,7/1 000 chez les patients présentant plusieurs en cours (héparine, anticoagulants oraux,
l’hémoglobine.
anomalies. Les ATE sont observés plus précocement œstroprogestatifs) qui peuvent entraîner des
chez les femmes, 35,1 en moyenne (8 à 81 ans), que anomalies acquises compliquant le diagnostic
‚ Syndrome des antiphospholipides
chez les hommes 36,5 ans (10 à 69 ans). d’anomalie congénitale. La transmission de ces
L’hétérogénéité des manifestations cliniques dans déficits étant autosomale dominante, la recherche Le syndrome des antiphospholipides est défini
les différentes causes de thrombophilie héréditaire de la même anomalie chez les parents et dans la par la présence d’une manifestation thromboembo-
peut être expliquée en partie par l’association de famille est très utile au diagnostic de déficit lique veineuse, artérielle, placentaire, avec pertes
deux altérations génétiques et/ou l’intervention de constitutionnel. fœtales récidivantes, associée à la présence d’un
facteurs de risque acquis. La présence de deux anticoagulant circulant et/ou d’un taux augmenté
anomalies génétiques augmente le risque ‚ Traitement des accidents d’anticorps anticardiolipine.
thromboembolique (notion d’anomalies thromboemboliques Un anticoagulant circulant de type lupus est
multigéniques). La nature de la thrombophilie, le Chez les patients porteurs d’une thrombophilie, le retrouvé chez 5 à 15 % des patients présentant une
caractère isolé ou associé à d’autres facteurs de traitement classique par héparine (héparine non thrombose veineuse. Il est détecté sur un
risque sont des éléments qui seront pris en compte fractionnée ou héparine de bas poids moléculaire), allongement du TCA, non corrigé par le témoin,
dans les décisions de poursuite ou d’arrêt de relayé par les AVK, est celui habituellement utilisé à raccourci par l’addition de phospholipides et sans
traitement anticoagulant et dans la prise en charge la phase aiguë des thromboses. inhibition spécifique des facteurs de coagulation. Les
de situations à risque comme la grossesse en Les patients déficitaires en antithrombine peuvent anticorps anticardiolipine, détectés par technique
particulier. présenter une relative résistance à l’héparine qui enzyme linked immunosorbent assay (Elisa), sont
oblige à utiliser de plus fortes doses d’héparine. Le dirigés contre la b2-glycoprotéine I fixée aux
‚ Chez qui rechercher une thrombophilie recours aux concentrés d’antithrombine est phospholipides. La présence d’un anticoagulant
Seront préférentiellement explorés les sujets rarement nécessaire, mais il est discuté lors de la circulant de type lupus et/ou d’un titre élevé
jeunes ayant des antécédents de thrombose survenue de récidive thromboembolique sous d’anticorps anticardiolipine peut être passagère,
veineuse documentée avec ou sans facteur traitement efficace, lors de situation chirurgicale ou induite par une infection, un traitement, et seule la
déclenchant (pilule, grossesse, chirurgie...), les sujets d’accouchement, lorsque le risque hémorragique ne présence de ces anomalies sur deux prélèvements
de plus de 45 ans ayant une thrombose insolite (en permet pas d’utiliser de fortes doses d’héparine. La faits à 6 semaines d’intervalle, associée à une
l’absence de cancer ou d’intervention chirurgicale), perfusion de 50 unités d’antithrombine par complication thromboembolique, fera évoquer la
les patients présentant des thromboses veineuses kilogramme de poids permet d’augmenter le taux présence d’un syndrome des antiphospholipides. Il
récidivantes ou un accident thrombotique de d’antithrombine de 50 à 120 %. Les doses seront peut être secondaire à un lupus ou à une autre
localisation inhabituelle (thrombose veineuse ensuite adaptées quotidiennement pour maintenir le pathologie auto-immune ou primaire. La diminution
cérébrale, thrombose intra-abdominale). Avant taux d’antithrombine au-dessus de 80 %. de production de prostacycline en présence de

3
1-1196 - Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses

l’anticorps antiphospholipides, la diminution de l’annexine V à la surface des villosités placentaires, physiopathologie des thromboses veineuses
l’activation de la protéine C, la diminution de sont les différents mécanismes impliqués dans la observées dans le syndrome des antiphospholipides.

Marie-Hélène Horellou : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.


Jacqueline Conard : Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Michel Samama : Professeur émérite.
Service d’hématologie biologique, hôpital Hôtel-Dieu, 1, place du Parvis-Notre-Dame, 75181 Paris cedex 4, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou MH, Conard J et Samama MM. Anomalie héréditaire de la coagulation prédisposant aux thromboses.
Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1196, 2001, 4 p

Références

[1] Bertina RM. Molecular risk factors for thrombosis. Thromb Haemost 1999 ; [4] Recommandations du groupe d’études sur l’hémostase et la thrombose
82 : 601-609 (GEHT). Stratégie du diagnostic biologique des maladies hémorragiques et throm-
botiques constitutionnelles ou acquises. Sang Thromb Vaiss 1993 ; 5 : 27-36
[2] Bucciarelli P, Rosendaal FR, Tripodi A, Mannucci PM, De Stefano V, Palareti
G et al. Risk of venous thromboembolism and clinical manifestations in carriers of [5] Rosendaal FR. Risk factors for venous thromboembolic disease. Thromb Hae-
antithrombin, protein C, protein S deficiency, or activated protein C resistance: a most 1999 ; 82 : 610-619
multicenter collaborative family study. Arterioscleros Thromb Vasc Biol 1999 ;
19 : 1026-1033 [6] Simioni P, Sanson BJ, Prandoni P, Tormene D, Friederich PW, Girolami B
et al. Incidence of venous thromboembolism in families with inherited thrombo-
[3] Horellou MH, Conard J, Samama MM. Thrombophilie familiale. Encycl Méd philia. Thromb Haemost 1999 ; 81 : 198-202
Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Angéiologie, 19-
2080, 1997 : 1-6

4
¶ 1-1198

Anomalies de l’électrophorèse
des protéines du sang
C. Brousse

L’électrophorèse des protéines du sang reste un examen d’actualité, simple et de réalisation rapide. Sa
prescription et son interprétation, sous-tendues par le tableau clinique, reviennent le plus souvent au
médecin généraliste. Son indication la plus courante est l’exploration d’une élévation de la vitesse de
sédimentation. Elle permet de confirmer l’état inflammatoire ou infectieux, et oriente les investigations.
Elle est indispensable au suivi des gammapathies monoclonales.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Électrophorèse des protéines du sang ; Gammapathies monoclonales ;


Hypergammaglobulinémie ; Hypogammaglobulinémie

Plan Tableau 1.
Électrophorèse des protéines. Sérum normal.
¶ Introduction 1 Normes % g/l
¶ Modifications de la protidémie totale 2 alb 57 - 65 37 - 42
¶ Modifications de l’albumine 2 a1 2-4 1-3
¶ Modifications des a1-globulines 2 a2 6 - 10 4-7
b 8 - 12 5 -8
¶ Modifications des a2-globulines 2
c 12 - 19 8 - 12
¶ Modifications des b-globulines 2
¶ Modifications des c-globulines 2
Hypergammaglobulinémie monoclonale ou pic en c-globuline 2
Hypergammaglobulinémie polyclonale 4
Hypogammaglobulinémie 4
Profil oligoclonal ou restriction d’hétérogénéité des
gammaglobulines 5
¶ Conclusion 5

■ Introduction
La séparation par électrophorèse des protéines sériques
s’effectuait en routine sur gel d’agarose [1] . Actuellement
l’électrophorèse capillaire tend à remplacer l’ancienne techni- Figure 1. Électrophorèse des protéines. Sérum normal.
que [2]. Conduite sur une veine liquide contenue dans un tube
capillaire, elle autorise un très faible échantillon de sérum et L’électrophorèse doit être interprétée en fonction du taux de
permet une séparation rapide des protéines. L’identification et protéines sériques total qui subit des variations physiopatho-
la quantification se font en une seule étape. Quelle que soit la logiques. L’électrophorèse normale est représentée dans le
technique, la mobilité de chaque protéine est liée à sa charge Tableau 1 et la Figure 1.
électrique. Ainsi, cinq fractions sont individualisées : • Les principales a1-globulines sont : l’a1-antitrypsine (a1-AT)
• l’albumine, biochimiquement homogène, la plus importante (2 à 4 g/l) ; l’orosomucoïde (0,4 à 0,9 g/l) ; l’a1-
des protéines sériques ; antichymotrypsine (0,3 à 0,6 g/l).
• quatre groupes de globulines de migration a1, a2, b et c • Les principales a2-globulines sont : l’a2-macroglobuline (2 à
regroupant des protéines aux fonctions très différentes. 3,5 g/l) ; l’haptoglobine (0,6 à 1,8 g/l) ; la céruloplasmine
Leur variation quantitative apporte des informations quant (0,25 à 0,43 g/l) ; et l’a-lipoprotéine.
aux organes qui les synthétisent : • Les principales b-globulines sont : la transferrine (2 à 4 g/l) ;
• l’albumine, a1, a2 et b sont synthétisées par le foie ; le complément C3 (1 à 1,3 g/l) ; la b-lipoprotéine.
• les c-globulines ou immunoglobulines (Ig) sont synthétisées • c-globuline : IgG (8 à 18 g/l) ; IgA (0,9 à 4,5 g/l) ; IgM (0,6 à
par les lymphocytes B activés. 2,5 g/l) ; IgD ; IgE.

Traité de Médecine Akos 1


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

Tableau 2.
Modifications de la protidémie totale.
Hyperprotidémie Hypoprotidémie
Par augmentation de la masse Par diminution de la masse
protéique circulante : protéique circulante :
hypergammaglobulinémie défaut d’apport : malnutrition
mono- ou polyclonale défaut d’absorption
Par diminution de l’eau déperdition protéique cutanée,
vasculaire ; hémoconcentration : rénale, intestinale
insuffisance d’apport Par augmentation de l’eau
perte liquidienne : diarrhée, vasculaire, hémodilution :
vomissements, coup de chaleur surcharge hydrique

Figure 3. Déficit homozygote en a1-antitrypsine.

Tableau 4.
Modifications des a1-globulines.
Diminution Augmentation
Insuffisance hépatocellulaire Inflammation aiguë ou chronique,
Fuite protéique, associée alors associée alors à une augmentation
à une baisse de l’albumine, des a2-globulines
des a2- et b-globulines
Déficit en a1-antitrypsine

autres fractions globuliniques, elle est bien supportée


cliniquement.
Figure 2. Bialbuminémie génétique.

Tableau 3.
■ Modifications des a1-globulines
Modifications de l’albumine. (Fig. 3)(Tableau 4)
Bialbuminémie (Fig. 2) Hypoalbuminémie
Le déficit en a1-AT, protéase synthétisée par le foie, est une
Bialbuminémie génétique
maladie génétique.
Permanente Diminution de la synthèse Lorsque l’électrophorèse des protéines du sang est évocatrice,
- mutation génétique sans - insuffisance hépatocellulaire : il convient de mesurer la concentration sérique d’a1-AT par
conséquence pathologique cirrhose, hépatite grave dosage immunochimique et de caractériser le phénotype. En
Transitoire - inflammation effet, il existe plusieurs phénotypes dont la forme hétérozygote
- traitement par b-lactamine qui se Insuffisance d’apport PiMZ (2 à 4 % de la population) et la forme homozygote PiZZ
fixe sur une fraction de l’albumine - dénutrition chronique sévère (0,02 à 0,06 % de la population). La forme hétérozygote
et modifie sa migration Perte accrue s’accompagne d’un taux sérique d’a1-AT à 60 % de la normale,
- fistule pancréatique : lyse - urinaire : syndrome néphrotique la forme homozygote d’un taux sérique à 10 % de la normale.
intracavitaire de l’albumine Seuls les sujets homozygotes peuvent développer une sympto-
- digestive : entéropathie
par les enzymes pancréatiques matologie. La manifestation la plus fréquente est un emphy-
exsudative
- cutanée : brûlure sème de l’adulte jeune, mais on rapporte aussi des cirrhoses, des
atteintes pancréatiques et des ostéoporoses.

■ Modifications de la protidémie ■ Modifications des a2-globulines


totale (Tableau 2) Les modifications sont présentées sur le Tableau 5 (Fig. 4).
Le taux moyen de protéines sériques est de 65 à 80 g/l chez
l’adulte.
En pratique, la mesure de l’hématocrite en l’absence d’anémie
■ Modifications des β-globulines
permet le dépistage d’une hémoconcentration ou d’une (Tableau 6)
hémodilution.
Toute protidémie inférieure à 60 g/l ou supérieure à 85 g/l La zone b augmentée dans son ensemble et associée à un bloc
doit être explorée par une électrophorèse. bc traduit l’augmentation polyclonale des IgA observée dans la
cirrhose éthylique (Fig. 5).
■ Modifications de l’albumine
(Fig. 2)(Tableau 3) ■ Modifications des c-globulines
L’hyperalbuminémie est sans signification pathologique ; elle Hypergammaglobulinémie monoclonale
traduit une hémoconcentration ou est en rapport avec une ou pic en c-globuline
perfusion d’albumine.
L’analbuminémie est une affection congénitale exception- Un pic étroit en c-globulines (plus rarement en b-, voire
nelle. Associée à une augmentation réactionnelle des quatre a2-globulines) correspond à une immunoglobuline monoclonale

2 Traité de Médecine Akos


Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang ¶ 1-1198

Tableau 5.
Modifications des a2-globulines.
Diminution Augmentation ou dédoublement
Insuffisance Syndrome inflammatoire
hépatocellulaire
Fuite protéique Syndrome néphrotique : par augmentation
de l’a2-macroglobuline (Fig. 4)
Dénutrition Syndrome néphrotique : hyper-a1 associée
à une hypoalbuminémie par fuite urinaire,
une hyper-b-globulinémie par augmentation
des b-lipoprotéines, et hypo-c-globulinémie,
en particulier dans la néphrose lipoïdique
Hémolyse : effon- Haptoglobine de phénotype différent, Figure 5. Bloc bc d’une cirrhose éthylique.
drement de l’hapto- sans signification pathologique : dédoublement
globine

Figure 6. Immunoglobuline (Ig) A monoclonale migrant en b au cours


d’un myélome.
Figure 4. Syndrome néphrotique : hyper-a1 associée à une hypoalbu-
minémie par fuite urinaire, une hyper-b-globulinémie par augmentation
Tableau 7.
des b-lipoprotéines, et hypo-c-globulinémie en particulier dans la néph-
Examens à réaliser devant un pic en gammaglobuline.
rose lipoïdique.
- NFS, VS
- LDH , b2-microglobuline
Tableau 6. - Créatininémie
Modifications des b2-globulines.
- Calcémie, albuminémie
Diminution Augmentation - Protéinurie des 24 heures avec immunofixation pour recherche
Insuffisance hépatocellulaire Non monoclonale de chaînes légères
Dénutrition Hypertransferrinémie des anémies - Dosage pondéral des Ig
ferriprives - Radiographies du squelette complet
Fuite protéique Augmentation - Myélogramme
de la b-lipoprotéine (ApoB) - Scanner abdominal (si IgM)
Hypocomplémentémie C3 de Monoclonale
NFS : numération formule sanguine ; VS : vitesse de sédimentation ; Ig :
consommation Gammapathie à IgA ou IgM immunoglobulines.
Chaînes légères d’immunoglobulines
du myélome ou de l’amylose (petit pic)
Ig : immunoglobulines. • 3 % maladie de Waldenström ;
• 2 % plasmocytome solitaire.
L’examen clinique recherche une atteinte osseuse, des
adénopathies ou une hépatosplénomégalie. Des examens
intacte, synthétisée en excès [3, 4]. L’électrophorèse capillaire paracliniques simples suffisent le plus souvent à distinguer une
permet par une technique d’immunosoustraction de caractériser GMB d’un syndrome lymphoprolifératif (Tableaux 7, 8).
l’immunoglobuline monoclonale [4] : IgG, IgM, IgA ou plus La présence d’une IgG ou d’une IgA doit conduire à éliminer
rarement IgD ou IgE. Elle est toutefois moins sensible que avant tout un myélome ; la présence d’une IgM oriente plutôt
l’immunoélectrophorèse ou l’immunofixation. vers une maladie de Waldenström ou un lymphome et le bilan
L’immunoglobuline monoclonale est synthétisée par un clone doit alors être complété par un scanner abdominal pour
de cellules B hyperstimulé, survenant au cours d’une gammapa- rechercher des adénopathies ou une splénomégalie. La décou-
thie monoclonale bénigne (GMB) ou MGUS pour monoclonal verte d’une hémopathie maligne nécessite la prise en charge en
gammapathy of undetermined signifiance, ou d’un syndrome milieu spécialisé.
lymphoprolifératif malin. Les étiologies se répartissent de la La signification exacte d’une GMB reste imprécise, mais elle
façon suivante : est très certainement en rapport avec un déficit de l’immunité
cellulaire et/ou une stimulation antigénique chronique. Ainsi,
• 65 % GMB ;
les GMB sont plus fréquentes chez le sujet âgé (1 % de la
• 15 % myélome (Fig. 6); population à 60 ans, 3 % à 70 ans, et 10 % à 80 ans) et au
• 6 % amylose primitive ; cours de certaines affections [5, 6] (Tableau 9).
• 6 % lymphome malin non hodgkinien ; Si certaines GMB sont transitoires (particulièrement au cours
• 3 % leucémie lymphoïde chronique ; des infections), la plupart sont susceptibles d’évoluer vers un

Traité de Médecine Akos 3


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

Tableau 8.
Principales caractéristiques orientant vers un myélome ou une
gammapathie monoclonale bénigne.
Gammapathie mono- Myélome (Fig. 6)
clonale bénigne (Fig. 7) IgA monoclonal
Gammapathie monoclo- migrant en b au cours
nale bénigne du sujet âgé d’un myélome
Taux Ig IgG < 20 g/l IgG > 20 g/l
monoclonale IgA < 10 g/l IgA > 10 g/l
IgM < 5 g/l IgM > 5 g/l
Taux Ig normales Normal Diminué
Chaînes légères Absente ou < 300 mg/24 h > 1 g/24 h
dans les urines
Plasmocytose < 10 %, sans anomalie > 15 %, dystrophiques Figure 7. Gammapathie monoclonale bénigne du sujet âgé.
médullaire nucléaire
Anémie Absente Fréquente
Tableau 10.
Hypercalcémie Absente Possible Hypergammaglobulinémie polyclonale.
Lésions osseuses Absentes Fréquentes
Infections bactériennes
Infections parasitaires (toxoplasmose, leishmaniose, paludisme)
Infections virales (hépatite, VIH, EBV)
Tableau 9.
Maladies auto-immunes : syndrome de Gougerot-Sjögren (Fig. 8), lupus
Affections associées à une gammapathie monoclonale.
érythémateux diffus, cryoglobuline
Infections bactériennes aiguës ou chroniques Sarcoïdose
Infections virales aiguës ou chroniques (VIH, CMV, EBV) Affections hépatiques virales ou toxiques
Infections parasitaires aiguës ou chroniques Néphropathies, en particulier à dépôts d’IgA
Maladies auto-immunes : syndrome de Gougerot-Sjögren, lupus érythé-
VIH : virus de l’immunodéficience acquise ; EBV : virus d’Eptein-Barr.
mateux diffus, polyarthrite rhumatoïde
Déficits immunitaires primitifs
Déficits immunitaires acquis : allogreffe de moelle ou d’organes
Certaines tumeurs solides
Cirrhose, hépatite chronique
Maladies dermatologiques rares : mucinose papuleuse, pyoderma
gangrenosum, xanthome plan normocholestérolémique
VIH : virus de l’immunodéficience acquise ; CMV : cytomégalovirus ; EBV : virus
d’Epstein-Barr.

syndrome lymphoprolifératif : 10 % de transformation maligne


à 5 ans, 22 % à 20 ans. Un suivi régulier permanent est donc
indispensable, 3 mois après la découverte puis tous les 6 mois.
Il repose sur l’examen clinique et des examens biologiques
(électrophorèse des protéines, numération formule sanguine
[NFS], créatininémie, calcémie, protéinurie), qui seront complé- Figure 8. Syndrome de Gougerot-Sjögren.
tés par un myélogramme et des radiographies osseuses en cas de
point d’appel.
Rarement la gammapathie peut être biclonale (deux immu-
noglobulines distinctes). La signification et la conduite à tenir
sont identiques.
Hypergammaglobulinémie polyclonale
Les maladies des chaînes lourdes sont caractérisées par la
Il s’agit d’une augmentation de toutes les immunoglobuli-
présence dans le sérum de chaînes lourdes isolées d’immuno-
nes, témoignant d’une réaction immunitaire humorale poly-
globulines [7] . La présence d’un pic à l’électrophorèse des
morphe. Cette anomalie n’a pas de signification pathologique
protéines est inconstante, eu égard au faible taux de la protéine
précise. Elle est physiologique chez les habitants des pays
anormale (inférieur à 1g/l) et à l’hétérogénéité de sa charge
électrique. Il s’agit de désordres immunoprolifératifs rares, qui tropicaux et les sujets souffrant de malnutrition, par infections
s’accompagnent habituellement d’une hypogammaglobulinémie bactériennes et parasitaires répétées. Les étiologies sont
et dont le diagnostic nécessite une immunoélectrophorèse. Trois diverses [8] (Tableau 10) (Fig. 8).
variétés sont décrites.
• La maladie des chaînes lourdes a : la plus fréquente, touchant
les sujets jeunes. L’infiltration lymphoplasmocytaire diffuse Hypogammaglobulinémie
de l’intestin grêle et des ganglions mésentériques est respon-
sable d’un syndrome de malabsorption sévère. Son évolution Elle est physiologique dans l’enfance, puisque le taux d’IgM
est parfois favorable sous antibiotiques, mais il n’est pas rare adulte est atteint vers 1 an, le taux d’IgG à 6 ans, et le taux
que survienne un lymphome malin immunoblastique. d’IgA à la puberté.
• La maladie des chaînes lourdes c : elle atteint essentiellement Chez l’adulte, il convient avant tout de confirmer l’hypo-
les sujets âgés (Fig. 7). Son tableau polymorphe est proche de gammaglobulinémie par le dosage pondéral des immunoglobu-
la maladie de Waldenström. lines. Les étiologies sont par ordre décroissant de fréquence :
• La maladie des chaînes lourdes µ : c’est la plus rare. Son certains médicaments, les hémopathies lymphoïdes, les fuites
tableau fait évoquer une leucémie lymphoïde chronique mais d’immunoglobulines et les déficits congénitaux de l’immunité
le myélogramme retrouve des plasmocytes vacuolés. humorale (Tableau 11).

4 Traité de Médecine Akos


Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang ¶ 1-1198

Tableau 11.
Hypogammaglobulinémie.
Causes iatrogènes Fuites d’immunoglobulines
- corticothérapie - rénale : syndrome néphrotique
- immunodépresseurs - digestive : entéropathie exsudative,
- chimiothérapie anticancéreuse hémorragie digestive
- radiothérapie Déficit congénitaux de l’immunité
humorale
Hémopathies lymphoïdes
- déficit en IgA : le plus fréquent,
- myélomes à chaînes légères
1 individu sur 700 en Europe
ou non excrétants
- agammaglobulinémie liée au sexe :
- leucémie lymphoïde chronique
maladie de Bruton
- lymphome
- hypogammaglobulinémie
à expression variable

Figure 10. Infection à virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Un suivi régulier de ces patients par électrophorèse et immu-


noélectrophorèse est utile, car il semble que cette situation
puisse précéder l’apparition d’un syndrome lymphoprolifératif.

“ Points importants
• Les protéines identifiées par l’électrophorèse sont
Figure 9. Myélome à chaînes légères. toutes synthétisées par le foie, excepté les c-globulines
sécrétées par les lymphocytes B activés.
• Le déficit homozygote en a1-AT peut être responsable
d’une fibrose pulmonaire.
Au cours du myélome à chaînes légères, l’excès de chaînes
• Le bloc bc qui traduit une augmentation polyclonale
légères j ou k peut donner parfois un petit pic en b ou c-globu-
des IgA se rencontre fréquemment au cours de la cirrhose
lines, mais le plus souvent l’électrophorèse des protéines ne
éthylique.
montre que l’hypogammaglobulinémie en rapport avec la
répression de synthèse des immunoglobulines normales (Fig. 9).
• Un pic étroit en c-globuline correspond à une
L’immunoélectrophorèse ou l’immunofixation retrouve alors la immunoglobuline monoclonale synthétisée par un clone
chaîne légère dans le sang, voire les urines. Beaucoup plus de lymphocytes B. Il s’observe au cours des gammapathies
rarement, il peut s’agir d’un myélome non excrétant. Le bénignes de signification indéterminée ou de certains
diagnostic sera alors fait par l’étude en immunofluorescence des syndromes lymphoprolifératifs malins.
plasmocytes médullaires. • L’hypergammaglobulinémie polyclonale est fréquente
Certains déficits congénitaux de l’immunité humorale chez le sujet de race noire.
peuvent se révéler à l’âge adulte [9]. Ils sont évoqués devant des
infections bactériennes ou à entérovirus à répétition ; ils
s’accompagnent volontiers d’une hyperplasie des organes
lymphoïdes, de manifestations auto-immunes, de malabsorption
et de lymphomes en particulier digestifs. ■ Conclusion
Il faut savoir qu’il existe des hypogammaglobulinémies
transitoires au cours de certaines affections comme les viroses, L’électrophorèse est un examen de routine très informatif. Il
pneumopathies bactériennes et septicémies, diabète sucré permet de préciser les protéines sériques concernées au cours
déséquilibré. d’un syndrome inflammatoire biologique. Il détecte des situa-
tions pathologiques particulières telles que les gammapathies
monoclonales, la cirrhose éthylique et l’hypergammaglobuliné-
Profil oligoclonal ou restriction mie témoignant d’une stimulation humorale polyclonale.
d’hétérogénéité des gammaglobulines
Si l’amélioration des techniques d’électrophorèse de routine .

peut détecter avec une plus grande sensibilité les gammapathies


monoclonales, elle permet aussi de révéler les aspects oligoclo- ■ Références
naux. Ce type de profil est en rapport avec l’augmentation de [1] Le Carrer D. Électrophorèse et immunoélectrophorèse des protéines
plusieurs sous-classes d’immunoglobulines donnant un aspect sériques. Paris: Hatier; 1994.
de bandes monoclonales multiples appelé « profil oligoclonal ». [2] Bossuyt X, Lissoir B, Mariën G, Maisin D, Vunckx J, Blanckaert N,
Il se rencontre chez des sujets immunodéficients comme les et al. Automated serum protein electrophoresis by capillarys. Clin
transplantés d’organe ou de moelle osseuse sous immunosup- Chem Lab Med 2003;41:704-10.
presseurs (azathioprine, ciclosporine, corticoïde), les sujets [3] Yang Z, Harrison K, Park YA, Chaffin CH, Thigpen B, Easly PL, et al.
infectés par le VIH ou sous immunodépresseurs pour une Performance of the Sebia capillary for detection and immunotyping of
maladie auto-immune (Fig. 10). serum monoclonal paraproteins. Am J Clin Pathol 2007;128:293-9.

Traité de Médecine Akos 5


1-1198 ¶ Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang

[4] Litwin CM, Anderson SK, Phillips G, Martin TB, Jaskowski TD, Pour en savoir plus
Hill HR. Comparison of capillary zone and immunosubstraction with
agarose gel and immunofixation electrophoresis for detecting and
identifying monoclonal gammapathies. Am J Clin Pathol 1999;112: Lemoine A, Pham P, Azoulay P, Saliba F, Emile JF, Saffroy R, et al. Detection
411-7. of gammapathy by serum protein electrophoresis for predicting and
[5] Bühler S, Laitinen K, Holthofer H, Jarvinen A, Schauman KO, managing therapy of lymphoproliferative disorder in 911 recipients of
Hedman K. High rate of monoclonal gammapathy among liver transplants. Blood 2001;98:1332-8.
immunocompetent subjects with primary cytomegalovirus infection.
Bergon E, Miranda I, Miravalles E. Blood protein electrophoresis,
Clin Infect Dis 2002;35:1430-3.
instrumentation. Clin Chem Lab Med 2005;43:721-3.
[6] Amara S, Debuze BJ, Cooley T, Pantanowitz L, Aboulafia DM. HIV-
associated monoclonal gammapathy: a retrospective analysis of 25 Chopra GS, Gupta PK, Mishra DK. Evaluation of suspected monoclonal
patients. Clin Infect Des 2006;43:1198-205. gammapathies: experience in a tertiary care hospital. MJAFI 2006;62:
[7] Seligmann M. Maladies des chaînes lourdes. Rev Prat 1993;43:317-20. 134-7.
[8] Willemin B, Blickle JF, Brogard JM, Duchène M. Exploration de la Csako G, Costello R, Shamin EA, O’Hanlon T, Tran D, William HJ, et al.
réaction inflammatoire. Ann Med Interne (Paris) 1990;141:333-9. Serum proteins and paraproteins in women with silicone implants and
[9] Fischer A. Les déficits immunitaires primitifs des lymphocytes B. Rev connective tissue disease; a case-control study. Arthritis Res Ther
Prat Méd Gén 1991;9:790-4. 2007;9:271-9.

C. Brousse, Rhumatologue (c.brousse@hopital-foch.org).


Clinique médicochirurgical Foch, 40, rue Worth, 92150 Suresnes cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Brousse C. Anomalies de l’électrophorèse des protéines du sang. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 1-1198, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1199

Élévation du cholestérol
et/ou des triglycérides
L. Foubert

La prévention des maladies cardiovasculaires passe par une prise en charge précoce et efficace des
facteurs de risque, en particulier lipidiques. Il est indispensable d’établir un diagnostic précis de la
dyslipidémie pour choisir le traitement et fixer l’objectif thérapeutique de chaque patient. Même si les
études de prévention visant à réduire le LDL-cholestérol ont clairement démontré une réduction de la
morbimortalité coronaire et de la mortalité globale, l’hypertriglycéridémie et l’hypo-HDL-émie, qui sont
au carrefour des autres facteurs de risque, doivent être prises en compte. Les seuils d’intervention et les
valeurs cibles dépendent du contexte clinique et des facteurs de risque associés, dont la prise en charge
sera conjointe. L’intervention diététique est le traitement de base pour toutes les dyslipidémies. En cas de
résultats insuffisants, un traitement médicamenteux sera proposé. Dans l’hypercholestérolémie pure et
les dyslipidémies mixtes prédominant sur le cholestérol, les statines représentent la classe thérapeutique
de référence car elle a démontré un bénéfice sur la morbimortalité cardiovasculaire. Dans
l’hypertriglycéridémie pure, les fibrates restent les plus efficaces. Les arguments pour traiter les
dyslipidémies sont maintenant solides et doivent emporter la conviction des médecins avant celle de leurs
patients.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hypercholestérolémie ; Hypertriglycéridémie ; Dyslipidémie mixte ; Statines ; Fibrates

Plan sous l’influence de multiples facteurs, en particulier des hyper-


lipidémies. La prise en charge du patient dyslipidémique doit
¶ Introduction 1
comprendre deux étapes : établir un diagnostic précis de la
dyslipidémie et définir un pronostic pour choisir le traitement
¶ Épidémiologie 1 et l’objectif thérapeutique de chaque patient. La place du
¶ Dépistage d’une anomalie lipidique 2 médecin généraliste est primordiale dans le dépistage et le
¶ Diagnostic des dyslipidémies secondaires et iatrogènes 2 traitement de ces pathologies fréquentes et chroniques, et dans
la prise en charge globale du risque cardiovasculaire.
¶ Évaluation du risque cardiovasculaire global 2
¶ Conduite à tenir devant l’élévation du cholestérol
par augmentation du LDL-C 3
Affirmer le diagnostic d’hypercholestérolémie pure 3 ■ Épidémiologie
Quand traiter ? 3
Comment traiter ? 3 Les hypercholestérolémies sont extrêmement fréquentes
Objectifs thérapeutiques 4 (17 % des adultes français ont une cholestérolémie supérieure à
2,5 g/l dans l’étude Epernon). Les études de prévention primaire
¶ Conduite à tenir devant une élévation isolée ou associée
(éviter la survenue d’un accident coronarien) et secondaire
des triglycérides 4
(éviter la récidive d’un accident coronarien) visant à réduire le
Affirmer le diagnostic 4
low density lipoprotein (LDL)-cholestérol (LDL-C) se sont multi-
Quand traiter ? 4
pliées depuis une vingtaine d’années et ont clairement démon-
Comment traiter ? 4
tré une réduction de la morbidité et de la mortalité coronaires,
Objectif thérapeutique 5
ainsi que de la mortalité globale, mettant fin à près de 40 ans
¶ Contrôle des paramètres lipidiques 5 de controverse. La prévention cardiovasculaire par les hypolipé-
¶ Conclusion 5 miants ne bénéficie pas seulement aux événements coronaires,
mais à l’ensemble des événements cardiovasculaires, en particu-
lier chez les patients à haut risque. L’abaissement du LDL-C
apparaît donc comme le meilleur marqueur de la prévention par
■ Introduction [1-5] les hypolipémiants. Néanmoins, l’hypertriglycéridémie et
l’hypo-high density lipoprotein (HDL)-émie sont au carrefour des
Les maladies cardiovasculaires restent la première cause de autres facteurs de risque (FdR). Leur association peut constituer
mortalité dans la plupart des pays industrialisés. Le plus le syndrome métabolique qui est associé à un haut niveau de
souvent, elles résultent du développement de l’athérosclérose risque cardiovasculaire. Elles doivent donc être prises en

Traité de Médecine Akos 1


1-1199 ¶ Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides

compte. Enfin, diverses anomalies de l’hémostase fréquemment Tableau 1.


associées peuvent favoriser l’athérothrombose et les accidents Dyslipidémies secondaires et iatrogènes.
vasculaires. Hypercholestérolémie Élévation associée ou isolée
pure des triglycérides
Hypothyroïdie Hypothyroïdie
■ Dépistage d’une anomalie Cholestase Diabète
lipidique Syndrome néphrotique Syndrome néphrotique
Insuffisance rénale
Ce dépistage doit être réalisé devant la présence de dépôts Lupus érythémateux
lipidiques extravasculaires et le plus souvent afin d’évaluer le Médicaments : estrogènes per os, certains
risque global chez un sujet ayant d’autres FdR, et a fortiori en bêtabloquants, rétinoïdes, corticothérapie,
cas de complications cardiovasculaires. Il est également conseillé diurétiques thiazidiques, antirétroviraux
chez les apparentés de premier degré d’un sujet dyslipidémique
ou ayant présenté un accident vasculaire précoce. De façon
systématique, ce bilan devrait être demandé entre 20 et 30 ans particules HDL ou LDL) ne peut se concevoir que dans le
chez tout individu ou chez la femme avant prescription d’une cadre de dyslipidémies particulières ou dans le cadre de
contraception orale. Chez l’enfant, le dépistage est justifié en travaux de recherche.
cas de surpoids ou d’antécédents familiaux. S’il n’existe pas
d’âge limite pour la prise en charge des dyslipidémies, il ne
semble toutefois pas utile de « dépister » après l’âge de 80 ans
en prévention primaire (à l’inverse, en prévention secondaire,
■ Diagnostic des dyslipidémies
les dernières études montrent un bénéfice chez les patients de secondaires et iatrogènes
70 à 80 ans, il ne faut donc pas interrompre un traitement
efficace et bien toléré chez un sujet ne présentant pas une autre Les dyslipidémies secondaires et iatrogènes sont fréquentes
pathologie conditionnant son espérance de vie). (Tableau 1) et, compte tenu du caractère asymptomatique de
Le bilan lipidique doit être réalisé après 12 heures de jeûne, certaines pathologies, le bilan de base doit comporter un dosage
à distance (2 à 3 mois) de toute affection aiguë pouvant de la thyroid stimulating hormone (TSH), des phosphatases
modifier les résultats (épisode infectieux, geste chirurgical...). En alcalines et/ou cGT, une créatininémie, une glycémie à jeun et
cas d’accident cardiovasculaire, il doit être réalisé dans les la recherche d’une protéinurie à l’aide d’une bandelette. Il n’y
24 heures qui suivent. a pas lieu de prescrire un traitement hypolipémiant, sauf en cas
de persistance de l’anomalie après traitement de la cause.
Le bilan (EAL : exploration d’une anomalie lipidique) doit
comporter un dosage du cholestérol total (CT), des triglycérides
(TG), du HDL-cholestérol par une méthode fiable comme la
précipitation, afin de déterminer par calcul selon la formule de
■ Évaluation du risque
Friedewald le LDL-C (si le taux de TG est inférieur à 4 g/l cardiovasculaire global
[4,6 mmol/l]).
LDC = CT – HDLC – TG/5 en g/l (CT – HDLC La décision et l’objectif thérapeutiques dépendent du taux de
– TG/2,2 en mmol/l) LDL-C, des FdR associés et de la situation de prévention
Si les TG sont supérieurs à 4 g/l, il faut disposer d’un dosage primaire ou secondaire ou de patients à haut risque cardiovas-
direct du LDL-C. culaire. L’élévation isolée ou associée des TG doit aussi être prise
En l’absence de facteur de risque associé, le bilan lipidique est en compte. Un taux de HDL-C < 0,40 g/l représente un FdR
considéré normal si le LDL-C est inférieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l), supplémentaire, un taux ≥ 0,6 g/l en fait soustraire un.
les TG sont inférieures à 1,5 g/l (1,7 mmol/l) et le HDL supérieur
à 0,4 g/l (1 mmol/l). Il est alors inutile de répéter ce bilan avant
5 ans chez l’homme de moins de 50 ans et la femme non
ménopausée et avant 3 ans dans les autres cas. En cas d’anomalie
pour confirmer et typer la dyslipidémie, il est conseillé de
“ Point important
pratiquer un contrôle 2 à 4 semaines plus tard en période
métabolique stable (régime libre non modifié par le patient et Facteurs de risque cardiovasculaire
stabilité pondérale). • Homme de 50 ans ou plus
Le dosage des apolipoprotéines est finalement peu utile en • Femme de 60 ans ou plus
pratique courante en raison de problèmes de standardisation ne • Antécédents familiaux de maladie coronaire précoce
permettant pas de définir des « normes » et de l’absence (infarctus du myocarde ou mort subite avant 55 ans chez
d’objectif fixé dans le cadre de la prévention. le père ou chez un parent du premier degré de sexe
Les autres examens sont rarement nécessaires en pratique masculin, avant 65 ans chez la mère ou chez un parent du
courante : premier degré de sexe féminin)
• la réalisation d’un lipoprotéinogramme est inutile en cas de • Tabagisme actuel ou arrêté depuis moins de 3 ans
sérum clair et sera limitée aux hypertriglycéridémies (sérum • Hypertension artérielle (HTA) permanente traitée ou
trouble). Il permet de mieux typer les dyslipidémies et de non
rechercher des lipoprotéines anormales ;
• Diabète de type 2 traité ou non
• un taux de lipoprotéine (a), Lp(a), supérieur à 0,45 g/l serait
• HDL-cholestérol < 0,4 g/l quel que soit le sexe
associé à un risque athérogène et surtout thrombogène accru,
et représenterait un FdR indépendant. En pratique, aucune
intervention diététique ou médicamenteuse n’est clairement
efficace sur le taux de Lp(a). L’intérêt serait de moduler Un bilan vasculaire non invasif (électrocardiogramme [ECG]
l’objectif thérapeutique et cela ne se conçoit que dans un de repos, voire d’effort, échographie des carotides) peut être
contexte de prévention secondaire ou de haut risque. La utile s’il s’inscrit dans une stratégie précise. Il peut permettre de
quasi-invariabilité du taux génétiquement déterminé de la moduler l’objectif thérapeutique et de ne pas traiter une
Lp(a) rend inutile le contrôle de ce paramètre ; anomalie mineure quand l’état artériel est normal. Au contraire,
• la réalisation d’examens spécialisés (isoélectrofocalisation des l’objectif thérapeutique sera plus strict en cas d’athérosclérose
apolipoprotéines, ultracentrifugation des lipoprotéines, infraclinique. Le cumul des FdR ou l’existence d’un haut risque
mesures d’activité enzymatique, études des sous-fractions des cardiovasculaire justifient une intervention plus rigoureuse.

2 Traité de Médecine Akos


Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides ¶ 1-1199

Dans l’hypercholestérolémie pure, cinq classes thérapeutiques

“ Point important
sont disponibles. Le plus souvent, le traitement est débuté à
posologie faible et adapté progressivement. La correction des
autres FdR doit être associée.
Catégories de patients à haut risque cardio- Les inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase ou statines représen-
vasculaire tent actuellement la classe thérapeutique de référence car elle a
1. Patients ayant un antécédent cardiovasculaire démontré un bénéfice sur la morbimortalité cardiovasculaire. En
France, nous disposons de la simvastatine (Zocor® et Lodales®),
(prévention secondaire) : maladie coronaire ou vasculaire
de la pravastatine (Elisor ® ou Vasten ® ), de la fluvastatine
(accident vasculaire cérébral [AVC] ischémique et (Lescol ® et Fractal ® ), de l’atorvastatine (Tahor ® ) et de la
artériopathie périphérique à partir du stade II). rosuvastatine (Crestor®). Ce sont des inhibiteurs compétitifs de
2. Patient ayant un diabète de type 2 en prévention l’enzyme clé dans la synthèse du cholestérol (l’HMG-CoA
primaire, mais avec un haut risque défini par une atteinte réductase) qui entraînent par rétrocontrôle une augmentation
rénale (protéinurie > 300 mg/24 h ou clairance de la des récepteurs membranaires des LDL (dont 70 % sont hépati-
créatinine < 60 ml/min) ou au moins 2 FdR parmi ceux des ques) et donc du catabolisme des LDL. Ces médicaments
facteurs de risque cardiovasculaire auxquels on ajoute représentent un progrès majeur dans le traitement de l’hyper-
dans ce cas la microalbuminurie > 30 mg/24 h. cholestérolémie pure : ils sont efficaces dans 95 % des cas,
3. Patients ayant un risque ≥ 20 % de faire un événement entraînant une baisse significative du LDL-C de 25 à 60 %. En
revanche, le HDL-C est peu modifié (élévation de 5 à 10 %). Les
coronarien dans les 10 ans (risque calculé à partir d’une
interférences médicamenteuses sont rares. La tolérance clinique
équation de risque). est en général bonne, à l’exception de myalgies (invalidantes
dans 5 % des cas). Biologiquement, une augmentation des
transaminases hépatiques et des créatines phosphokinases (CPK)
(à distance d’un effort musculaire inhabituel) est possible,
■ Conduite à tenir devant imposant leur surveillance régulière (à l’instauration du traite-
ment, puis tous les 6 à 12 mois lors des contrôles lipidiques
l’élévation du cholestérol pour les transaminases ; en l’absence de signes cliniques, la
par augmentation du LDL-C surveillance systématique des CPK n’est pas nécessaire). Une
élévation supérieure à trois fois la normale des transaminases ou
cinq fois la normale des CPK doit faire interrompre le traite-
Affirmer le diagnostic ment. Ils sont contre-indiqués chez la femme enceinte ou
susceptible de l’être. Chez l’enfant, la sécurité d’emploi n’est pas
d’hypercholestérolémie pure (Tableau 2)
bien établie, limitée aux données d’enfants ayant une hyper-
Le sérum à jeun est clair, le CT et le LDL-C sont augmentés, cholestérolémie familiale homozygote. Ils sont efficaces en une
les TG sont normaux, le HDL-C est variable. Pour la décision de prise unique au repas du soir, point essentiel de l’observance à
traiter, on ne raisonne plus sur le CT, mais sur le taux de HDL-C long terme. Selon la molécule, la posologie initiale est de 5 à
et le LDL-C calculé. 20 mg et la dose maximale de 40 à 80 mg.
La colestyramine (Questran®), molécule très ancienne, est une
résine non absorbée par la muqueuse intestinale. Elle séquestre
Quand traiter ? les acides biliaires, interrompt le cycle entérohépatique et
augmente l’élimination du cholestérol. Elle entraîne une baisse
Une intervention diététique est justifiée chez tous les patients durable des LDL qui se traduit par un abaissement moyen du
dont le LDL-C est supérieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l) et est souvent taux du CT d’environ 25 % et du taux de LDL-C d’environ
suffisante chez les patients sans ou avec 1 seul FdR associé. On 30 %. Une diminution de l’absorption de certains traitements
associe des conseils d’activité physique régulière (marche rapide est possible (antivitamines K en particulier), il est donc primor-
quotidienne de 30 minutes ou équivalent). dial de les prescrire à distance de la prise de colestyramine (au
En cas de résultats insuffisants après 3 à 6 mois de prise en minimum 90 minutes). L’observance est rendue difficile par la
charge diététique, qui sera poursuivie même si l’objectif n’est fréquence d’effets secondaires bénins, mais inconfortables :
pas atteint, un traitement médicamenteux est indiqué selon les constipation, nausées, ballonnement, plénitude gastrique,
éléments suivants : changement du goût. L’augmentation progressive de la posolo-
• chez tous patients sans autre FdR gardant un LDL-C supérieur gie est indispensable pour en améliorer la tolérance (commencer
à 2,2 g/l (5,7 mmol/l) ; par un sachet de 4 g/j en augmentant d’un sachet/j tous les 8 à
• chez les patients en prévention primaire, ayant un autre FdR 10 jours, jusqu’à la dose efficace de 3 à 6 sachets par jour). Il
et dont le LDL-C est supérieur à 1,9 g/l (4,9 mmol/l) ; est préférable de préparer le sachet à l’avance (la veille au soir).
• chez les patients en prévention primaire ayant deux autres L’augmentation possible des TG fait réserver ce traitement à
FdR et dont le LDL-C est supérieur à 1,6 g/l (4,1 mmol/l) ; l’hypercholestérolémie pure. Elle reste intéressante chez l’enfant.
• chez les patients en prévention primaire ayant trois FdR ou L’ézétimibe (Ezetrol®) est une molécule de classe nouvelle qui
plus et dont le LDL-C est supérieur à 1,3 g/l (3,4 mmol/l) ; inhibe l’absorption intestinale du cholestérol (blocage de la
• chez les patients à haut risque cardiovasculaire dont le LDL-C translocation vers l’entérocyte) qui permet une diminution du
LDL-C d’environ 20 % en monothérapie ou une baisse supplé-
est supérieur à 1 g/l (2,6 mmol/l).
mentaire de 20 à 25 % en association à une statine. C’est dans
ce dernier cadre qu’elle a reçu une autorisation de mise sur le
Comment traiter ? marché (AMM) afin de permettre l’obtention de l’objectif chez
les patients insuffisamment contrôlés sous statine seule.
Le régime est le traitement de base comme pour toutes les Les dérivés des fibrates ont actuellement une place restreinte
dyslipémies. Il doit être acceptable, simple à expliquer, compor- dans le traitement de l’hypercholestérolémie. Ils sont utilisés
tant un minimum d’interdits en indiquant les priorités : surtout en cas d’intolérance aux statines ou lorsque le taux du
diminution des apports en cholestérol, consommation quoti- HDL-C est bas, en raison de leur action positive sur ce paramè-
dienne en lipides inférieure à 30-35 % de la ration calorique, tre. L’acide nicotinique est habituellement mal toléré.
apports en graisses saturées inférieurs à 10 % et enrichissement Les associations statine/résine ou statine/ézétimibe sont
en graisses mono- et polyinsaturées, voire en stérols végétaux, synergiques. Ces associations seront donc utiles et remarquable-
augmentation de la consommation de légumes de fruits et de ment efficaces dans les grandes hypercholestérolémies si la
céréales. La consommation modérée d’alcool est autorisée, mais monothérapie par statine est insuffisante. En revanche, il ne
doit être limitée. faut pas en règle associer les statines aux fibrates (en particulier

Traité de Médecine Akos 3


1-1199 ¶ Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides

Tableau 2.
Classification et caractéristiques des dyslipidémies.
Classification Classification Aspect CT LDL-C HDL-C TG Anomalies des Électrophorèse
simplifiée internationale du sérum lipoprotéines sur agarose
Hypercholestérolémie essentielle
Polygénique Type IIa ↑ ↑
Familiale hétérozygote Clair ↑↑ ↑↑ N ou ↓ N ↑ LDL ↑ Bêta
Familiale homozygote ↑↑↑ ↑↑↑
Hyperlipidémies mixtes
Combinée Type IIb Opalescent ↑ ou ↑↑ ↑ ou ↑↑ ↓ ou N ↑ ou ↑↑ ↑ VLDL et ↑ LDL ↑ Bêta
et prébêta
Dysbêtalipoprotéinémie Type III Opalescent ↑↑ ↑↑ ↑ IDL Bloc
(très rare) CT ≈ TG bêta-prébêta

Hypertriglycéridémies
Endogènes Type IV Opalescent N ou ↑ N ↓ ou N ↑ , ↑↑ ou ↑↑↑ ↑VLDL ↑ Prébêta
à lactescent TG/CT > 2,5
(en g/l)
Exogènes (très rares) Type I Surnageant N, ↓ ou ↑ ↓ ↓ ↑↑↑ Chylomicrons Chylomicrons
crémeux
type V id. + lactescent N, ↓ ou ↑ ↓ ↓ ↑↑↑ Chylomicrons + Chylomicrons +
↑VLDL prébêta
CT : cholestérol total ; LDL-C : low density lipoprotein cholesterol ; HDL-C : high density lipoprotein cholesterol ; TG : triglycérides.

le gemfibrozil) en raison du risque de potentialisation de En cas d’échec ou de résultats insuffisants après 3 à 6 mois
toxicité musculaire. Dans de très rares cas, notamment de de prise en charge diététique, un traitement médicamenteux est
dyslipidémies mixtes sévères en prévention secondaire, une telle indiqué :
association peut être néanmoins nécessaire sous surveillance • chez les patients gardant des TG supérieurs à 4 g/l pour
étroite. prévenir le risque de pancréatite ;
• chez les patients gardant des TG supérieurs à 2 g/l en cas de
Objectifs thérapeutiques diabète associé, ou d’hypo-HDL-émie associée (ce qui est
fréquemment le cas), car cela représente alors un risque
Les objectifs thérapeutiques sont individuels car il n’existe pas cardiovasculaire élevé.
de preuve absolue pour définir des seuils. Toutefois, ils peuvent Les niveaux d’intervention pour une élévation associée du
être modulés en fonction des autres FdR associés et du risque LDL-C sont identiques à ceux d’une élévation isolée du LDL-C.
global. En prévention secondaire, la valeur cible est inférieure à
1 g/l avec des données récentes en faveur d’un objectif encore
plus bas. Toutefois, le rapport bénéfice/risque de cette attitude Comment traiter ?
reste à évaluer.
Les dyslipidémies comportant une HTG sont fréquentes et
particulièrement sensibles à la diététique. Il est indispensable
■ Conduite à tenir devant d’obtenir la réduction d’un excès de poids, la réduction des
apports en glucides simples et en alcool. Il est également
une élévation isolée ou associée important d’insister sur la pratique d’une activité physique
régulière.
des triglycérides La diététique est adaptée en fonction de la dépendance :
• suppression de l’alcool et limitation des fruits (sensibilité
Affirmer le diagnostic croisée entre fructose et alcool) dans la forme alcoolodépen-
dante qui n’est pas la plus fréquente ;
On distingue en pratique (Tableau 2) : • limitation plus draconienne des sucres purs dans la forme
• l’hypertriglycéridémie endogène par augmentation isolée des
glucidodépendante ;
very low density lipoprotein (VLDL) (type IV) avec une élévation
• limitation calorique chez les sujets en surpoids.
dominante des TG. Le taux de CT est normal ou élevé par
« entraînement » (les VLDL contiennent quatre fois plus de Dans les hyperlipémies mixtes, on y associe les conseils
TG que de cholestérol) ; donnés dans l’hypercholestérolémie.
• les hyperlipidémies mixtes (type IIb, type III) : le CT et les TG Dans l’hypertriglycéridémie pure restant à plus de 4 g/l
sont élevés dans des proportions voisines par augmentation malgré la diététique, le traitement de première intention est
des particules VLDL, mais aussi LDL (intermediate density représenté par les fibrates de seconde génération. Les mécanis-
lipoprotein [IDL] dans le rare type III). mes d’action des fibrates sont maintenant éclaircis et passent
Nous ne détaillerons pas ici l’exceptionnelle hypertriglycéri- principalement par l’activation du PPARa (peroxisome proliferator
démie (HTG) exogène de type I (hyperchylomicronémie) dont activated receptor de type alpha) entraînant une activation de la
la prise en charge spécialisée est exclusivement diététique lipoprotéine lipase (enzyme primordiale de la dégradation des
(régime avec un apport lipidique limité à 10 % de l’apport particules riches en triglycérides) et une diminution de la
calorique). synthèse des VLDL. On observe ainsi un abaissement des VLDL
et des TG d’environ 50 %, et un abaissement du CT de 20 à
30 % aux dépens du LDL-C alors que le HDL-C augmente
Quand traiter ? d’environ 10 %.
Une HTG supérieure à 10 g/l représente une « urgence » avec Les différents fibrates sont très proches, mais la réponse
un risque de pancréatite pouvant justifier une hospitalisation. individuelle est variable et peut justifier, en cas d’échec d’un
Une intervention diététique est justifiée chez tous les patients premier, l’essai d’un autre. Tous peuvent être donnés en une
dont les TG sont supérieurs à 2 g/l. seule prise : fénofibrate 100 et 300 mg, micronisé 67, 160 et 200

4 Traité de Médecine Akos


Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides ¶ 1-1199

(Lipanthyl®, Sécalip®), ciprofibrate 100 mg (Lipanor®), bézafi-


brate (Béfizal® 200 et 400), ou 2 gélules de Lipur® (gemfibrozil
■ Contrôle des paramètres
450 mg). lipidiques
Leur absorption digestive est quasi complète, leur liaison aux
protéines est très importante (95 %) et peut avoir des consé- Jusqu’à l’obtention de l’objectif fixé, le contrôle des paramè-
quences par le déplacement d’autres molécules associées (en tres lipidiques doit être effectué tous les 2 mois environ. Une
particulier les antivitamines K). fois l’objectif atteint et stabilisé, il n’y a pas lieu de répéter
En pratique courante, ce sont des médicaments bien tolérés. l’examen plus d’une fois tous les six mois. En revanche, la
Les rares effets secondaires sont : impuissance sexuelle de pratique régulière des dosages reste indispensable pour vérifier
physiopathologie inconnue, rares troubles digestifs, élévation le l’adhésion du patient et l’efficacité du traitement, éléments
plus souvent transitoire des transaminases. De façon plus majeurs pour ces traitements indéfiniment poursuivis.
exceptionnelle sont rapportées des manifestations cutanées
allergiques et des hépatites. L’augmentation des CPK et la
survenue de myalgies sont très rares et sont le plus souvent liées
à l’utilisation de posologies excessives, en particulier en cas ■ Conclusion
d’insuffisances rénale ou hépatique sévères ou d’association avec
des statines. Les fibrates restent de principe contre-indiqués chez La prévention des maladies cardiovasculaires passe par une
la femme enceinte et l’enfant. prise en charge précoce et efficace des FdR, en particulier
La place des huiles de poisson (Maxepa®) reste à définir. Elles lipidiques. Cette prévention doit permettre de diminuer l’inci-
peuvent être utiles en cas d’anomalie hépatique gênant la dence et l’aggravation de ces maladies et donc le coût financier
prescription de fibrates. Leur effet hypotriglycéridémiant qu’elles entraînent. Dans le traitement des dyslipidémies, les
(pouvant atteindre 30 %) par diminution de la synthèse seuils d’intervention et les valeurs cibles dépendent du contexte
hépatique et augmentation du catabolisme des VLDL, est net, clinique et des FdR associés, dont la prise en charge sera
surtout à fortes doses (6 capsules par jour) non dénuées conjointe. Les arguments pour traiter les dyslipidémies sont
d’inconfort digestif (nausées, éructations). L’effet potentielle- maintenant solides et doivent emporter la conviction des
ment intéressant en prévention des cardiopathies ischémiques médecins avant celle de leurs patients.
repose essentiellement sur leurs effets favorables sur la
thrombose.
Les statines n’ont pas d’indication dans l’HTG pure, mais, en
revanche, dans les dyslipidémies mixtes, elles représentent le .

traitement médical de première intention (voir supra). Outre la


baisse du LDL-C, elles permettent une baisse plus discrète des ■ Références
TG (15 à 30 %).
[1] AFSSAPS. Prise en charge thérapeutique du patient dyslipidémique.
Objectif thérapeutique Recommandations mars 2005.
[2] Bruckert E. Stratégie thérapeutique devant une hypertriglycéridémie.
Dans le cadre de la prévention des complications cardiovas- Med Ther 1995;1:287-95.
culaires, l’objectif est d’obtenir un taux inférieur à 2 g/l et [3] Bruckert E. Rôle du LDL dans les maladies cardiovasculaires. Nouvel-
idéalement inférieur à 1,5 g/l surtout en présence de plusieurs les données et nouvelles recommandations. Presse Med 2005;34:
FdR associés ou de coronaropathie. Les valeurs cibles d’une 249-55.
élévation associée du LDL-C sont identiques à celles d’une [4] Garg A, Simha V. Update on dyslipidemia. J Clin Endocrinol Metab
élévation isolée du LDL-C. 2007;92:1581-9.
Dans le cadre d’une prévention de la survenue de pancréatite [5] Genser B, März W. Low density lipoprotein cholesterol, statins and
aiguë (possible si le taux de TG dépasse 10 g/l) une HTG cardiovascular events: a meta-analysis. Clin Res Cardiol
inférieure à 5 g/l permet d’être dans une zone de sécurité. 2006;95:393-404.

L. Foubert (lucfoubert@orange.fr).
Hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Foubert L. Élévation du cholestérol et/ou des triglycérides. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de
Médecine Akos, 1-1199, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 5


¶ 1-1200

Conduite à tenir face à un bilan


thyroïdien anormal
M. Izembart

Le bilan thyroïdien est couramment effectué pour diagnostiquer une pathologie thyroïdienne. Des
difficultés d’interprétation peuvent souvent apparaître résultant de dissociations entre les différents
paramètres dosés ou entre la clinique et la biologie. En fait, lors d’hypo- ou d’hyperthyroïdies modérées,
les hormones thyroïdiennes peuvent rester dans l’intervalle de référence. De plus, certains traitements ou
pathologies non thyroïdiennes, en altérant la synthèse, le transport ou le métabolisme des hormones
thyroïdiennes, peuvent modifier la concentration sérique de ces hormones ou exercer une action directe
sur la concentration de thyréostimuline. Enfin, des interférences dans les dosages peuvent engendrer des
concentrations anormales des paramètres dosés. Tous ces facteurs peuvent conduire à un diagnostic
erroné de pathologie thyroïdienne chez des patients qui en sont exempts et il est nécessaire d’effectuer des
investigations complémentaires si de telles anomalies sont suspectées avant de conclure définitivement.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Bilan thyroïdien ; TSH ; T4L ; T3L ; Interférences

Plan pouvant être occasionné par une autre pathologie. De plus, la


sensibilité des récepteurs est variable suivant les organes et
suivant les individus. Le bilan biologique, au contraire, est le
¶ Introduction 1
reflet des concentrations sériques des hormones. Ces concen-
¶ Discordances biologiques ou clinicobiologiques explicables 2 trations peuvent être modifiées par des traitements ou des
Dissociations pouvant survenir en présence de pathologies pathologies non thyroïdiennes (modification du transport
thyroïdiennes 2 membranaire, des récepteurs nucléaires, de l’activité des
Dissociations survenant en dehors d’un contexte de pathologie désiodases, de la liaison aux protéines porteuses, du captage
thyroïdienne 2 et de l’organification de l’iode...) sans que l’état clinique en
Cas particuliers 3 subisse les conséquences. [1, 2]
¶ Interférences analytiques 3 • L’hormone thyréotrope ou thyroid stimulating hormone (TSH)
¶ Valeurs de référence 3 est souvent le premier et le seul paramètre dosé. Cette
En fonction de l’âge 3 hormone hypophysaire répond au rétrocontrôle négatif
En fonction de rythmes biologiques 3 qu’exercent les hormones thyroïdiennes sur sa sécrétion. La
réponse est très sensible (d’où l’importance de ses variations
dans le dépistage d’une pathologie thyroïdienne) mais sa
sécrétion peut subir des modifications sous l’influence de
facteurs autres que les hormones thyroïdiennes. De nom-
breuses dissociations biologiques ou clinicobiologiques
peuvent donc s’expliquer par les situations clinique et
thérapeutique du patient.
■ Introduction • Le dosage de la fraction libre des hormones thyroïdiennes est
un dosage délicat. Il est appréhendé différemment suivant les
Sous le terme de bilan thyroïdien anormal sont regroupées techniques utilisées mais aucune de ces méthodologies ne
plusieurs situations : permet de doser parfaitement les concentrations sériques de
• inadéquation entre le bilan biologique et l’état clinique ces hormones libres. Des variations de concentration peuvent
observé ; en résulter dans certaines situations.
• discordances entre plusieurs paramètres du bilan biologique ; Dans tous les cas, une discussion avec le biologiste est donc
• incohérence avec un bilan précédemment effectué. indispensable. Celui-ci doit, dans un premier temps, contrôler
Trois particularités doivent être prises en compte pour bien que les étapes préanalytique et analytique se sont correcte-
interpréter ce type de bilan. ment déroulées, que les valeurs de référence correspondent
• Les signes cliniques observés résultent de l’action des hormo- bien à l’âge du patient puis dialoguer avec le clinicien afin
nes thyroïdiennes (tri-iodo-thyronine ou T3 et tétra-iodo- d’éliminer toutes les causes pouvant modifier le bilan et enfin
thyronine ou T4) au niveau des tissus cibles. Ces signes ne orienter les recherches vers d’éventuelles interférences ana-
sont pas spécifiques d’une pathologie thyroïdienne, chacun lytiques.

Traité de Médecine Akos 1


1-1200 ¶ Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal

Nous analyserons donc dans un premier temps les discor- Dissociations survenant en dehors
dances les plus fréquentes et les problèmes d’interférences
analytiques puis nous verrons l’importance des valeurs de
d’un contexte de pathologie thyroïdienne
référence. Certains médicaments, par leur action pharmacologique, ou
certaines pathologies non thyroïdiennes par les altérations
organiques qu’elles entraînent peuvent modifier l’un des
paramètres du bilan et conduire à des interprétations erronées.
■ Discordances biologiques Il faut noter que ces modifications, qui dépendent de la capacité
d’adaptation de la thyroïde et parfois du type de dosage utilisé,
ou clinicobiologiques explicables sont variables, voire imperceptibles individuellement car restant
dans l’intervalle de référence.

Perturbations engendrées par une action sur l’axe


Dissociations pouvant survenir en présence hypothalamohypophysaire
de pathologies thyroïdiennes • Lors des premiers mois de grossesse, l’augmentation de
Une concentration sérique de TSH abaissée sans signe clini- l’human chorionic gonadotrophin (hCG), en agissant au niveau
que évident d’hyperthyroïdie peut se rencontrer dans un du récepteur TSH, modifie la concentration sérique des
contexte de pathologie thyroïdienne. Il s’agit le plus souvent de hormones thyroïdiennes. [4] Il peut en résulter un abaisse-
patients présentant, soit un nodule autonome ou des zones ment isolé de la concentration sérique de TSH. Cette situa-
hyperfixantes en scintigraphie, soit une thyroïdite de de tion, qui s’accompagne parfois d’une augmentation de
Quervain, soit une maladie de Basedow avec thyroïde opérée ou volume thyroïdien, [5] ne doit pas être assimilée à une
traitée par irathérapie. Dans ce dernier cas, les concentrations hyperthyroïdie débutante.
• Les médicaments ayant une action au niveau hypophysaire
sériques d’anticorps antirécepteurs de la TSH stimulants sont
peuvent, soit diminuer la concentration sérique de TSH
souvent élevées.
(glucocorticoïdes, dopamine et ses agonistes, antagonistes de
Lors d’une maladie de de Quervain, l’abaissement peut être la sérotonine), soit l’augmenter (antagonistes de la dopamine
suivi d’une augmentation de la concentration sérique de TSH comme la chlorpromazine ou l’halopéridol).
quelques semaines après la phase initiale puis d’une • L’absorption de dérivés de la T3 (ou de T3), souvent difficiles
normalisation. à cerner, provoque, par action sur l’hypophyse, un abaisse-
Dans tous ces cas, il est nécessaire de bien connaître les ment de la concentration sérique de TSH et secondairement
antécédents du patient et éventuellement de pratiquer des une diminution de la concentration sérique de T4L (par la
examens complémentaires pour valider ces bilans. non-stimulation de la thyroïde). Un simple dosage de la
Une concentration sérique de TSH élevée sans signe évident concentration sérique de T3L peut confirmer ce diagnostic.
d’hypothyroïdie peut se rencontrer dans les hypothyroïdies • Les pathologies graves non thyroïdiennes (NTI ou non
frustes ou débutantes. Un bilan d’auto-immunité pourra faciliter thyroidal illness) sont souvent à l’origine d’une diminution
le diagnostic. importante de la concentration sérique de TSH. [6] Plusieurs
Les hypothyroïdies d’origine haute (très rares) sont caractéri- hypothèses ont été avancées concernant ces modifications
sées par un bilan particulier avec abaissement simultané de la (augmentation de la sensibilité de l’hypophyse à la T 3 ,
augmentation de la désiodase de type II, augmentation des
concentration sérique de la TSH et de la T4 libre (T4L).
taux de cortisol circulant, diminution de la sécrétion de
thyrotropin releasing hormone (TRH), accumulation de di-iodo-
Cas particulier des bilans sous traitement à visée thyronine...) mais leur pluralité montre bien la complexité du
thyroïdienne problème.
• Les maladies psychiatriques et les dépressions majeures
Ces bilans ont un profil particulier et les répercussions sur la
peuvent aussi abaisser la concentration sérique de TSH.
biologie doivent être connues.
Traitements par antithyroïdiens de synthèse (ATS)
Perturbations engendrées par une action
sur la thyroïde
La concentration sérique de TSH peut rester abaissée (par • Une surcharge iodée importante et ponctuelle (par exemple
persistance de l’hyperthyroïdie ou par inertie hypophysaire) lors d’un examen avec injection d’un produit iodé) peut
avec une concentration sérique de T4L normale ou abaissée. entraîner, dans les jours qui suivent, une augmentation de la
Il est fréquent de rencontrer un abaissement isolé de la concentration sérique de TSH (voire masquer une hyperthy-
concentration sérique de T 4 L chez les patients traités par roïdie modérée).
carbimazole (les concentrations sériques de TSH et de T3L étant • Les carences iodées ou les médicaments pouvant inhiber la
normales). pénétration de l’iode dans la thyroïde (lithium par exemple)
À noter l’action particulière des thiouraciles qui, par inhibi- entraînent une sécrétion préférentielle de l’hormone la moins
tion de la 5’désiodase, provoquent une diminution de la iodée, donc la T3, au détriment de la T4 qui peut être abaissée
concentration sérique de T3L. (rôle de la désiodase de type II intrathyroïdienne ?).

Traitements par la T4 Perturbations engendrées par une action


au niveau périphérique
En début de traitement, la concentration sérique de TSH peut
rester élevée alors que la concentration sérique de T4 L est Des modifications des récepteurs cellulaires aux hormones
normalisée. thyroïdiennes ou de la liaison de ces dernières aux protéines
porteuses ou encore des modifications de l’activité des désioda-
La concentration sérique de T4L peut être un peu élevée au
ses ont des répercussions sur le bilan.
cours d’une hormonothérapie thyroïdienne substitutive, surtout
• La prise de médicaments qui augmentent le catabolisme
dans les 4 heures qui suivent la prise de thyroxine lévogyre hépatique de la T4 peut abaisser la concentration sérique de
(L-T4). L’amplitude est variable selon les techniques utilisées T4L. Les plus fréquemment rencontrés sont les hydantoïnes,
pour le dosage. la carbamazépine, le phénobarbital, la rifampicine.
À noter la possibilité d’une malabsorption de la thyroxine • La prise d’amiodarone, par action sur la 5’ désiodase qui
lors de la prise simultanée de certains médicaments (sulfate inhibe la conversion de T4 en T3 au niveau périphérique, [7]
ferreux, sels d’alumine) ou l’interférence in vivo [3] d’anticorps est souvent associée à une élévation de la concentration
anti-T4 pouvant entraîner des variations significatives du bilan sérique de T4L (et d’une diminution de la concentration
sous traitement substitutif. sérique de T3L).

2 Traité de Médecine Akos


Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal ¶ 1-1200

• Le jeûne et la diète, par inhibition du transport membranaire En dehors de ces cas classiques, il faut savoir qu’une
au niveau du foie et une inhibition de la désiodase de type I, interférence ponctuelle liée à la présence, dans le sérum,
entraînent aussi une élévation isolée de la concentration d’un composant particulier est toujours possible lors d’un
sérique de T4L. immunodosage et qu’il sera très difficile de la mettre en
• Certaines pathologies graves non thyroïdiennes, en particulier évidence. Le dosage du paramètre incriminé avec des réactifs
l’insuffisance rénale et la dialyse, peuvent entraîner une différents peut parfois résoudre le problème et des tests
diminution de la concentration sérique de T4L, voire dans particuliers (dilutions, surcharges) peuvent en laisser suppo-
certains cas une diminution concomitante des concentrations ser l’existence.
sériques de TSH et de T4L.
• Une diminution de la concentration sérique de T4L peut être
observée au 3e trimestre de la grossesse.
■ Valeurs de référence
Les valeurs de référence, souvent appelées valeurs normales
Cas particuliers ou usuelles, délimitent, pour un examen donné, un intervalle
à l’intérieur duquel les valeurs trouvées seront dites
Des concentrations sériques élevées de TSH et de T4L ou une « normales ».
concentration sérique de TSH normale avec une concentration Lors de l’interprétation d’un bilan, il convient de s’assurer
sérique de T4L élevée peuvent être observées dans les adénomes que les valeurs de référence utilisées correspondent bien à l’âge
hypophysaires avec sécrétion inappropriée de TSH [8] ou les du patient.
résistances aux hormones thyroïdiennes. [9] Ces cas sont très Nous rappelons les cas où des différences peuvent être
rares et il ne faudra les évoquer qu’après élimination des observées.
interférences analytiques et plusieurs contrôles successifs avec
d’autres systèmes de dosage.

En fonction de l’âge
■ Interférences analytiques • Nouveau-né : pic de TSH plasmatique juste après la nais-
sance, élévation progressive de la concentration sérique de
Lorsque les situations précédentes ne peuvent être mises en T3 (pratiquement inexistante à la naissance) et concentra-
cause, il faut penser à d’éventuelles interférences analyti- tion sérique plus élevée de la T4 durant le premier mois de
ques. [10] Une interférence analytique est liée à la présence, dans la vie.
le sérum d’un patient donné, d’un composant qui perturbe le • Enfant : seule la concentration sérique de T3 est significative-
schéma réactionnel et induit un résultat faux. ment plus élevée chez l’enfant que chez l’adulte.
Certaines interférences analytiques sont bien connues et • Adulte : pas de différence entre l’homme et la femme.
peuvent facilement être mises en évidence par des techniques • Personnes âgées : on a pu noter une baisse significative de
appropriées. D’autres sont ponctuelles et ne sont pas facilement la concentration sérique de T 3 par rapport au groupe
détectables. C’est au biologiste, en fonction des indications précédent. Les variations de TSH observées ne sont pas
fournies par le clinicien, d’explorer éventuellement ces constantes et dépendent beaucoup de l’état physique de ces
interférences. personnes.
Citons dans les interférences connues :
• les anticorps anti-TSH (rares) ou antigammaglobulines de souris
(HAMA : human anti mouse antibody) faciles à neutraliser ;
• les anticorps dirigés contre l’un des constituants de la phase
En fonction de rythmes biologiques
solide ou l’un des réactifs (plus difficiles à détecter) ; Ils concernent essentiellement la TSH qui présente un
• les facteurs rhumatoïdes pouvant se comporter comme des rythme circadien avec un maximum de sécrétion entre
anticorps hétérophiles et donner lieu à des interférences dans 1 heure et 2 heure et un minimum en milieu de journée. Ces
le dosage de la TSH ; modifications, qui n’ont en général pas de retentissement sur
• les anticorps anti-T4 ou anti-T3 (dépistage facile) ; les bilans compte tenu de l’heure des prélèvements, peuvent
• la présence d’albumine anormale (dysalbuminémie) ayant cependant avoir une incidence lors de comparaison de bilans
une forte affinité pour les hormones thyroïdiennes ; effectués à des heures très différentes. D’autre part, ces
• des modifications importantes des concentrations sériques rythmes peuvent être perturbés chez des patients travaillant la
protéiques qui perturbent les dosages. nuit.

“ Points forts
• La détermination de la concentration sanguine de TSH est actuellement le meilleur test pour dépister une dysthyroïdie. Cependant,
compte tenu d’interférences toujours possibles, les résultats doivent être confortés par la clinique et/ou l’imagerie.
• En début de grossesse, la concentration de TSH peut être abaissée en dehors de toute hyperthyroïdie et l’interprétation des résultats
doit tenir compte de cette éventualité.
• Les interférences analytiques sont variables suivant les techniques utilisées et parfois difficiles à identifier. Des résultats incohérents
et fluctuants selon les laboratoires doivent alerter le biologiste et le clinicien.
• La détermination de la concentration de la fraction libre des hormones thyroïdiennes est un exercice particulièrement difficile qui
peut être mis en défaut dès que les réactions d’équilibre biologique sont perturbées. Il en résulte des intervalles de référence peu précis
et des perturbations lors de pathologies non thyroïdiennes affectant ces équilibres.
• Lors de l’instauration de traitements à visée thyroïdienne ou de modification de posologie, la normalisation de la concentration
sanguine de TSH demande quelques semaines. La vérification de l’efficacité du traitement doit donc tenir compte de ce délai.

Traité de Médecine Akos 3


1-1200 ¶ Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal

Remarques à propos de ces valeurs de référence. • Les valeurs de référence sont déterminées statistiquement.
• Les paramètres dosés lors d’un bilan thyroïdien sont effec- Il est toujours possible, pour un sujet, de s’écarter de
tués (excepté le dosage de l’iodure) par immunodosages. Ces cette statistique pour un paramètre donné. Il conviendra
techniques peuvent donner des valeurs légèrement différen- cependant de n’arriver à cette conclusion qu’après
tes suivant les réactifs utilisés. Les résultats doivent donc avoir répété le dosage à plusieurs mois d’intervalle et
toujours être interprétés en fonction d’intervalles se référant s’être assuré qu’aucune pathologie n’est sous-jacente
à la technique utilisée et de préférence déterminés au niveau (bilan complémentaire, y compris le bilan immuno-
du laboratoire. logique).

“ Points essentiels
Résumé des principales dissociations du bilan.
Une concentration sérique* de TSH normale avec une concentration sérique de T4L augmentée peut se rencontrer dans :
• les traitements par la T4
• les traitements par l’amiodarone
• les sécrétions inappropriées de TSH ou les syndromes de résistance hypophysaire (très rares)
• les interférences analytiques suivantes : autoanticorps anti-T4 ou anti-T3, hyperthyroïdies avec anticorps hétérophiles
Une concentration sérique de TSH normale avec une concentration sérique de T4L diminuée peut se rencontrer dans :
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse
• les traitements par inducteur enzymatique (barbiturique, carbamazépine, hydantoïne)
• la grossesse au 3e trimestre
• les insuffisances rénales
• les hypothyroïdies d’origine centrale (la T3L est basse)
Une concentration sérique de TSH augmentée avec une concentration sérique de T4L augmentée peut se rencontrer dans :
• les hypothyroïdies traitées par la T4 en début d’équilibration
• les hypothyroïdies avec interférence analytique dans le dosage de T4L
• les sécrétions inappropriées de TSH ou les syndromes de résistance hypophysaire (très rares)
Une concentration sérique de TSH augmentée avec une concentration sérique de T4L normale peut se rencontrer dans :
• les hypothyroïdies non traitées tant que la thyroïde stimulée peut assurer une production suffisante de T4
• les hypothyroïdies traitées par la T4 en phase d’équilibration
• les thyroïdites de de Quervain en phase de récupération
Une concentration sérique de TSH diminuée avec une concentration sérique de T4L diminuée peut se rencontrer dans :
• les traitements par la T3 (ou par un dérivé de la T3) ; dans ce cas, la concentration sérique de T3L est augmentée
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse (concentration sérique de T3L le plus souvent normale)
• les hypothyroïdies d’origine centrale (concentration sérique de T3L normale ou abaissée)
Une concentration sérique de TSH diminuée avec une concentration sérique de T4L normale peut se rencontrer dans :
• les traitements freinateurs par la T4
• les traitements par antithyroïdiens de synthèse
• les hyperthyroïdies autonomes
• les thyroïdites de de Quervain en phase d’évolution
• les maladies de Basedow sur thyroïde opérée ou traitée par irathérapie (situations avec peu de tissu thyroïdien stimulé)
• les traitements par corticoïdes, dopamine et ses agonistes
• les dépressions majeures
• la grossesse au premier trimestre (rôle de l’hCG)
N.B. : lors de pathologies graves non thyroïdiennes ou de pathologies atteignant des tissus jouant un rôle majeur dans les
désiodations et la synthèse des protéines porteuses (rein, foie), des perturbations du bilan thyroïdien sont fréquentes et souvent
difficiles à interpréter.

4 Traité de Médecine Akos


Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal ¶ 1-1200

■ Références
.

[7] Chow CC, Cockram CS. Thyroid disorders induced by lithium and
amiodarone: an overview. Adverse Drug React Acute Poisoning Rev
[1] Davies PH, Franklin JA. The effects of drugs on tests of thyroid 1990;9:207-22.
function. Eur J Clin Pharmacol 1991;40:439-51. [8] Beckers A, Abs R, Mahler C, Vandalem JL, Pirens G, Hennen G, et al.
[2] Wenzel KW. Disturbances of thyroid function tests by drugs. Acta Med Thyrotropin-secreting pituitary adenomas: report of seven cases. J Clin
Austr 1996;23:57-60. Endocrinol Metab 1991;72:477-83.
[3] Izembart M, Dreyfuss M, Dagousset F, Leger A. Problèmes cliniques [9] Refetoff S. Resistance to thyroid hormone. Clin Lab Med 1993;13:
posés par la présence d’autoanticorps anti-T3 et anti T4 (Lettre). Presse 563-81.
Med 1992;21:676. [10] Piketty ML, Lancelin F, Poirier-Bègue E, Le Guillouzic D. Pièges ana-
lytiques en hormonologie thyroïdienne. Méd Thér Endocrinol Reprod
[4] Ballabio M, Poshyachinda M, Ekins RP. Pregnancy-induced changes in
2000;2:311-22.
thyroid function: role of human chorionic gonadotropin as putative
regulator of maternal thyroid. J Clin Endocrinol Metab 1991;73:
824-31. Pour en savoir plus
[5] Vagenakis AG. Pitiutary-thyroid interaction: effects of thyroid Leclère J, Orgiazzi J, Rousset B, Schlienger JL, Wemeau JL. La thyroïde.
hormone, non thyroidal illness and various agents on TSH secretion. Expansion Scientifique Française; 1992.
Acta Med Austr 1988;15:52-6. Nicoloff JT, LoPresti JS. Nonthyroidal illness. In: Bravermann LE,
[6] Glinoer D, de Nayer P, Delange F. Thyroïde et grossesse. In: La thy- Utiger RD, editors. Werner and Ingbars’s the thyroid: a fundamental
roïde. Paris: Expansion Scientifique Française; 1992. p. 456-78. and clinical text. 7th ed. Philadelphia: Lippincott; 1996.

M. Izembart, Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier* (mireille.izembart@wanadoo.fr).


19, rue Charles-Chenu, 92800 Puteaux, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Izembart M. Conduite à tenir face à un bilan thyroïdien anormal. EMC (Elsevier SAS, Paris), Traité de
Médecine Akos, 1-1200, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Traité de Médecine Akos 5


 1-1210

Créatines phosphokinases élevées


R. Laraki

L’élévation des créatines phosphokinases (CPK) traduit une souffrance cellulaire et s’observe dans de mul-
tiples circonstances. En l’absence de toute symptomatologie d’orientation, le dosage des CPK-MB permet
de distinguer les rares infarctus du myocarde silencieux des nombreuses situations pathologiques ou non
à répercussion musculaire, responsables d’une élévation des CPK-MM, qu’il faut envisager méthodique-
ment. L’élévation des CPK peut s’intégrer dans un contexte clinique évocateur où elle constitue un critère
diagnostique de certaines pathologies (cardiovasculaire, neurologique et surtout musculaire). Enfin, une
élévation des CPK est rapportée dans un certain nombre de situations au cours desquelles leur inté-
rêt diagnostique est limité, voire anecdotique. Lorsqu’une affection musculaire est suspectée, un certain
nombre d’examens complémentaires d’orientation, puis de confirmation, au premier rang desquels se
trouve la biopsie musculaire, permettent d’étayer le diagnostic.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Créatine kinase ; HyperCKémie ; Rhabdomyolyse ; Myopathies

Plan La CPK est une enzyme essentielle du métabolisme énergétique,


permettant de reconstituer les réserves cellulaires en adénosine
■ Introduction 1 triphosphate (ATP) et le transfert de l’énergie des mitochondries
vers le cytoplasme.
■ Élévation des créatines phosphokinases en l’absence La CPK est un dimère constitué de deux sous-unités : M (pour
de symptomatologie d’orientation 2 muscle) et B (pour brain : cerveau), ainsi dénommées en raison de
Effort physique 2 l’origine tissulaire de leur isolement initial. L’association de ces
Lésion traumatique 2 sous-unités entre elles permet de constituer trois isoenzymes :
Prise de toxiques 2 • CPK-MM qui représente plus de 94 % des CPK totales et qui
Médicaments 2 provient du muscle strié squelettique (contenant 99 % de CPK-
Hypothyroïdie 3 MM pour 1 % de CPK-MB) ;
Macro-CPK 3 • CPK-MB qui représente moins de 6 % des CPK totales et qui
Pathologie musculaire asymptomatique 3 provient du muscle cardiaque (contenant 20 % de CPK-MB pour
HyperCKémie idiopathique 3 80 % de CPK-MM) ;
■ Élévation des créatines phosphokinases dans un contexte • CPK-BB, normalement indétectable dans le sérum, qui est pré-
clinique évocateur 3 sente dans le cerveau, le tractus gastro-intestinal (muscle lisse)
Pathologie cardiovasculaire 3 et divers organes (poumons, utérus, prostate, rein, foie etc.).
Pathologie musculaire 4 Les valeurs normales varient en fonction de la masse musculaire
Affections musculaires 4 dans différentes populations. Ainsi, elles sont plus élevées chez
Pathologie neurologique 5 l’homme que chez la femme, chez le sportif que chez le sédentaire
■ Élévation des créatines phosphokinases dans des situations et dans la population noire.
particulières 5 À partir d’études de populations [1] a été définie la limite
■ Examens complémentaires 5 supérieure des valeurs normales (en UI/l) : 217 chez la femme cau-
Examens d’orientation 5 casienne, 336 chez l’homme caucasien, 417 chez la femme noire
Examens de confirmation 5 et 801 chez l’homme noir.
Une élévation des CPK est significative et justifie des investi-
gations si elle est supérieure à une fois et demie à deux fois la
normale, et ce sur plusieurs dosages (au moins trois), à distance
de tout effort.
 Introduction Une élévation des CPK supérieure à cinq fois la normale associée
généralement à une myoglobinurie définit une rhabdomyolyse.
L’élévation du taux des créatines phosphokinases (CPK) traduit Pour conforter le diagnostic de l’anomalie musculaire, un
une souffrance cellulaire, avec lésion de la membrane cytoplas- dosage des autres enzymes musculaires, moins spécifiques, est sou-
mique qui libère l’enzyme dans la circulation. L’intérêt du dosage vent effectué : transaminases (aspartate-aminotransférases [ASAT],
des CPK réside essentiellement dans le diagnostic des pathologies plus qu’alanine-aminotransférases [ALAT]), lacticodéshydrogé-
musculaires. nase (LDH) et aldolase.

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 8 > n◦ 3 > juillet 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(13)62045-1
1-1210  Créatines phosphokinases élevées

Tableau 1. Effort physique


Principales causes d’élévation des créatines phosphokinases (CPK).
Si il est particulièrement intense (athlétisme, musculation),
Par atteinte du muscle strié squelettique (CPK-MM)
surtout par temps froid, ou lors d’une modification récente de
Lésion musculaire l’intensité de l’entraînement sportif, il peut entraîner une forte
Traumatisme élévation des CPK (jusqu’à 20 fois la normale), voire une rhab-
Injection intramusculaire domyolyse (marathon). Une activité physique moins intense, y
Électromyogramme compris le travail manuel (jardinage, etc.), le per- et postpartum
Chirurgie peuvent entraîner une élévation modérée des CPK. Dans cette
Convulsions situation, les CPK se normalisent après une à deux semaines de
Affections musculaires repos, voire plus rapidement (en 3 jours dans 70 % des cas). Dans
Dystrophies musculaires le cas contraire, il faut suspecter une myopathie métabolique sous-
Myopathies métaboliques et mitochondriales jacente. L’élévation porte le plus souvent sur la CPK-MM mais des
Myopathies inflammatoires idiopathiques élévations de la CPK-MB, atteignant 8 à 10 %, ont été rapportées
Myosites infectieuses chez le marathonien en l’absence de toute pathologie cardiaque ;
Affections neurologiques elles proviennent de fibres musculaires squelettiques en cours de
Sclérose latérale amyotrophique régénération. Les individus avec une masse musculaire très déve-
Amyotrophies spinales progressives loppée peuvent avoir une élévation modérée des CPK, de l’ordre
de deux à trois fois la normale.
Toxiques
Alcool, cocaïne, ecstasy
Médicaments (Tableau 2) Lésion traumatique
Rhabdomyolyse (Tableau 3) Même minime, elle peut conduire à une augmentation tran-
Affections neurologiques sitoire des CPK. C’est le cas des injections intramusculaires,
Hypothyroïdie notamment d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et de
Hypoparathyroïdie leur éluant, l’éthanol (pic de CPK à la 12e heure et normalisa-
Acidocétose et myonécrose diabétiques tion en 48 heures), de l’électromyogramme (EMG) (augmentation
Hypokaliémie, hyponatrémie des CPK dans 30 % des cas avec un retour à la normale en 48 à
Insuffisance rénale aiguë 72 heures), de la biopsie musculaire, de la chirurgie, de la phy-
Élévation non pathologique siothérapie, de l’acupuncture, d’un prélèvement sous garrot trop
Effort physique intense, prolongé et/ou inhabituel serré ou d’une chute notamment chez le sujet âgé.
Sujet de race noire
Masse musculaire importante
Macro-CPK
Prise de toxiques
Élévation des CPK-MB En premier lieu, l’intoxication alcoolique, est une cause relati-
Infarctus du myocarde vement fréquente d’élévation des CPK. L’alcoolisme est la cause la
Myocardite plus fréquente de rhabdomyolyse. Après un épisode aigu d’ivresse,
Cardioversion, contusion ou chirurgie cardiaques l’élévation des CPK existe dans 40 à 80 % des cas et est habituel-
Accouchement et postpartum lement symptomatique. Une élévation isolée des CPK sans signe
Élévation des CPK-BB clinique est retrouvée chez 18 % des alcooliques chroniques et est
considérée comme le témoin d’une myopathie alcoolique chro-
Accident ischémique cérébral
nique. Les toxiques tels que l’héroïne, le crack, la cocaïne, l’ecstasy
Infarctus intestinal
peuvent entraîner une élévation isolée des CPK. Les toxicomanes
Cancers
à la cocaïne peuvent présenter une myopathie aiguë toxique, avec
myalgies intenses et myoglobinurie, mais dans la moitié des cas
l’atteinte est infraclinique.
Une élévation des CPK peut s’observer dans de multiples cir-
constances (Tableau 1), pathologiques ou non. Si le contexte
clinique est parfois évocateur, dans d’autres cas l’anomalie est en Médicaments [2]
apparence isolée et son interprétation peut s’avérer délicate.
De nombreux produits peuvent causer une élévation des CPK
(Tableau 2). Celle-ci peut être isolée ou associée à des symp-
tômes musculaires (myalgies, fatigabilité) pouvant évoluer vers
 Élévation des créatines une rhabdomyolyse.
Les hypolipémiants, fibrates, acide nicotinique, ézétimibe et
phosphokinases en l’absence surtout statines en sont les principaux pourvoyeurs ; 5 à 6 % des
de symptomatologie sujets consommant des statines vont présenter des CPK élevées.
Le risque de toxicité musculaire, dont le mécanisme est mal élu-
d’orientation cidé, associée ou non à une élévation des CPK, observée chez 10
à 20 % des patients, est augmenté en cas d’insuffisance rénale
L’élévation des CPK est un motif de consultation de plus en plus ou hépatique, de prise concomitante de certains médicaments,
fréquent en raison de bilans biologiques systématiques ou dans le en particulier ceux métabolisés par le cytochrome P450 (ciclo-
cadre de la surveillance de traitements par statines. sporine, antiprotéases, macrolides, antifongiques, antagonistes
La découverte d’une élévation des CPK en l’absence de toute calciques, amiodarone, colchicine, warfarine, etc.), d’association
symptomatologie d’orientation ou de façon fortuite doit conduire fibrates/statines, chez les sujets âgés ou diabétiques, lorsque
à un dosage des CPK-MB afin d’écarter une nécrose myocardique la posologie est maximale, en cas de consommation exces-
silencieuse. sive d’alcool ou de déficit en vitamine D. Il est recommandé
Si les CPK-MB sont élevées (> 6 %), le dosage des troponines d’arrêter le traitement si les CPK dépassent dix fois la limite
et la réalisation d’un électrocardiogramme (ECG) peut mettre en supérieure de la normale (moins de 1 % des patients) ou devant
évidence un infarctus du myocarde, pathologie où, dans 10 à 20 % l’apparition de symptômes musculaires invalidants. La levure de
des cas, la douleur peut manquer totalement, en particulier chez riz rouge, qui contient de la lovastatine, expose aux mêmes risques
le sujet âgé, le diabétique ou le patient débilité. (dose-dépendants). Il faut suspecter une pathologie musculaire
Dans la grande majorité des cas, l’élévation porte sur les CPK- préexistante ou une hypothyroïdie en l’absence de normalisation
MM et différentes possibilités sont alors à envisager (2). des CPK après l’arrêt du médicament, généralement rapide mais

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Créatines phosphokinases élevées  1-1210

Tableau 2. hypolipémiant, peut être également révélatrice d’une hypothy-


Médicaments responsables d’une élévation des créatines phosphokinases roïdie. Cela souligne l’intérêt du dosage de la thyroid stimulating
(CPK). hormone (TSH) dans cette situation. Les CPK se normalisent
Hypolipémiants : fibrates, ézétimibe, acide nicotinique, statines quelques semaines après l’instauration du traitement substitutif.
Une élévation des CPK sans augmentation des autres enzymes
Antidiabétiques : glitazones, insuline
musculaires (transaminases, LDH, aldolase) doit faire rechercher
Analgésiques et anti-inflammatoires : salicylés, paracétamol, une pseudoélévation des CPK ou macro-CPK. Il s’agit d’une CPK
tramadol, opiacés, AINS (en intramusculaire surtout), de poids moléculaire plus élevé que l’enzyme normale dont deux
phénylbutazone types, isolés par électrophorèse, ont été décrits.
Antibiotiques et associés : sulfamides, pénicilline, cyclines,
quinolones, clarithromycine, daptomycine, isoniazide,
amphotéricine B, ketoconazole, itraconazole Macro-CPK
Antiviraux : antirétroviraux, lamivudine Le type 1 constitué d’une immunoglobuline liée à la CPK-BB. Ce
Cytokines : interféron-␣, interleukine-2, anti-TNF-␣ complexe est source d’interférence lors des dosages, responsable,
Immunosuppresseurs : ciclosporine, azathioprine, tacrolimus, soit d’une élévation de la CPK-MB souvent supérieure à 20 à 25 %
cyclophosphamide, léflunomide pouvant induire une suspicion erronée d’infarctus du myocarde
Cytotoxiques : vincristine, hydroxyurée, cytarabine, mitoxantrone, (au cours duquel, en réalité, la CPK-MB se situe entre 6 et 20 %),
5-FU, étoposide, trabectidine soit d’une élévation de la CPK-MB supérieure à la CPK totale.
Agents antiangiogéniques : avastin Le type 2, plus rare que le précédent, est constitué de CPK mito-
chondriale sous forme oligomérique.
Inhibiteurs de la tyrosine kinase
Les macroenzymes sont habituellement dénuées de significa-
Anti-inflammatoires et immunomodulateurs en traitement de tion pathologique. C’est particulièrement le cas de la macro-CPK
fond : chloroquine, hydroxychloroquine, colchicine, de type 1, présente chez près de 1 % des sujets normaux, généra-
D-pénicillamine, sulfasalazine, danazol lement des femmes âgées. Leur présence a été également notée
Anesthésiques : généraux et curares chez des sujets atteints de maladies auto-immunes, de myo-
Hypokaliémiants (diurétiques, laxatifs) et réglisse sites, d’hypothyroïdie, de néoplasies ou de cardiopathies. Les
Psychotropes (neuroleptiques, barbituriques, benzodiazépines, macro-CPK de type 2 sont détectées chez des patients atteints de
carbamates), antidépresseurs (toutes classes), lithium, L-dopa, néoplasies avancées ou de cirrhoses décompensées.
anticonvulsivants (carbamazépine) Une autre cause de pseudoélévation des CPK est l’hémolyse, par
Antithyroïdiens de synthèse : carbimazole, PTU interférence avec l’adénylate kinase érythrocytaire.
Thyroxine
Antiulcéreux : inhibiteurs de la pompe à protons, Pathologie musculaire asymptomatique
antihistaminiques H2
Lorsque toutes les éventualités précédentes ont été écar-
Antihistaminiques H1 : diphénhydramine, doxylamine
tées, il faut envisager des pathologies musculaires cliniquement
Bêtabloquants, IEC, antagonistes calciques, amiodarone, asymptomatiques [3] , particulièrement s’il existe des antécédents
alphabloquants familiaux, ce qui nécessite le recours à des examens spéciali-
Théophylline, terbutaline sés (cf. infra « Examens complémentaires »). En effet, l’élévation
Rétinoïdes, minoxidil des CPK peut précéder l’apparition d’une symptomatologie
Ranélate de strontium musculaire comme dans les dystrophinopathies ou être le signe
révélateur d’une susceptibilité à l’hyperthermie maligne, myo-
Émétine (ipéca)
pathie génétique responsable d’accidents anesthésiques. Les
BCG-thérapie mutations du gène de la cavéoline-3 sont responsables de cas
familiaux d’élévation des CPK parfois asymptomatiques.
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; TNF : tumor necrosis factor ; FU : fluo-
roucarile ; PTU : propylthiouracile ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ;
BCG : bacille de Calmette et Guérin.
HyperCKémie idiopathique [1]
qui peut nécessiter jusqu’à six mois. Plus exceptionnellement, il Elle est évoquée quand aucune cause n’est retrouvée. Bien que
peut s’agir d’une myopathie nécrosante à médiation immune, de pronostic favorable, ces « patients » doivent être surveillés et
persistant ou progressant malgré l’arrêt des statines, associée à les investigations poursuivies au fur et à mesure des avancées de
des anticorps anti-HMG-CoA réductase (enzyme inhibée par les la recherche et de la découverte de nouvelles pathologies muscu-
statines), nécessitant un traitement immunosuppresseur [3] . Cette laires, particulièrement si les CPK restent supérieures à dix fois la
entité peut s’observer en dehors de la prise de statines. normale.
De nombreux autres médicaments sont incriminés : neu-
roleptiques, zidovudine, colchicine, chloroquine, ciclosporine,
amiodarone, bêtabloquants, etc.  Élévation des créatines
Au cours de la myopathie cortisonique, les CPK sont le plus sou-
vent normales, exception faite des rhabdomyolyses des patients
phosphokinases dans un contexte
de réanimation recevant une corticothérapie en bolus. clinique évocateur
Les injections intramusculaires de vaccin renfermant de
l’aluminium (contre l’hépatite B surtout) sont responsables de la L’élévation des CPK peut s’intégrer dans un contexte clinique
myofasciite à macrophages, caractérisée par des myalgies diffuses évocateur où elle constitue un critère diagnostique de certaines
et une augmentation inconstante des CPK. Le diagnostic est assuré pathologies [4] .
par la biopsie du deltoïde.
Pathologie cardiovasculaire
Hypothyroïdie Infarctus du myocarde
Elle peut être révélée par une élévation isolée des CPK, jusqu’à Devant une douleur thoracique d’allure coronarienne, le dosage
dix fois la normale. Des signes musculaires, habituellement dis- des CPK-MB fait partie, au même titre que l’ECG, des éléments
crets, peuvent comporter un déficit proximal, un enraidissement diagnostiques d’un infarctus du myocarde. Une élévation des
musculaire douloureux ou des crampes déclenchées notamment CPK-MB entre 6 et 20 % n’a de valeur indicative d’une pathologie
par le froid. Une rhabdomyolyse, parfois associée à la prise d’un cardiaque que si la CPK totale est augmentée. La CPK augmente

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1210  Créatines phosphokinases élevées

quatre à huit heures après l’événement ischémique, avec un pic Tableau 3.


à 24 à 36 heures et un retour à la normale entre les troisième Étiologies des rhabdomyolyses.
et sixième jours. Les dosages en série, à intervalles de six-huit Drogues : alcool, amphétamines, cocaïne, ecstasy, LSD, opiacés
heures, en augmentent la validité. Il existe une corrélation entre (héroïne, méthadone)
l’évolution du taux de CPK et l’importance de la masse myo-
Toxiques : monoxyde de carbone, éthylène glycol, toluène (sniffeurs
cardique nécrosée. Cependant, le dosage des troponines, plus
de colle), poisons organophosphorés (insecticides, herbicides),
spécifiques du cardiomyocyte, a supplanté celui des CPK-MB dans arsenic, métaux (ingestion ou inhalation de fumées)
le diagnostic biologique d’une nécrose myocardique.
Toxines biologiques : tétanique, staphylococcique (toxic shock
syndrome), venins de serpents, piqûre d’hyménoptères, arachnidés,
Autres causes cardiaques poissons coralliens (ciguatera), intoxication à la ciguë (ingérée par
des cailles), huiles frelatées, kava, cola, spirulline
Myocardite, cardiomyopathie de Takotsubo, tachycardie supra-
ventriculaire prolongée, contusion, massage ou chirurgie car- Médicaments (Tableau 2) : syndrome malin des neuroleptiques,
syndrome sérotoninergique, sevrage brutal en L-dopa
diaques, cardioversion, gestes endoluminaux coronariens consti-
tuent d’autres causes cardiaques de l’élévation des CPK. Activité musculaire excessive : sport, entraînement militaire, état de
mal (épileptique, asthmatique), convulsions, myoclonies prolongées,
dystonie aiguë
Pathologie musculaire Lésion musculaire directe : écrasement (crush syndrome), brûlure,
gelure, électrocution, foudroiement, immobilité prolongée
Celle-ci est à évoquer d’emblée devant des myalgies ou un Lésion ischémique musculaire : compression, occlusion vasculaire,
déficit moteur. Il faut savoir également y penser devant une intolé- drépanocytose
rance à l’effort, des contractures musculaires ou un ptosis. Enfin, il Désordres métaboliques : acidocétose diabétique, coma
faut savoir qu’une élévation isolée des transaminases (sans autre hyperosmolaire, hypothyroïdie, hypophosphorémie, hyponatrémie,
anomalie du bilan hépatique), avec un rapport ASAT/ALAT > 1, hypokaliémie
constatée notamment dans le cadre du bilan étiologique d’une
Infections : bactériennes et virales
asthénie, peut être d’origine purement musculaire et doit conduire
à doser les CPK. Le profil évolutif de la pathologie musculaire est Coup de chaleur
très variable, allant de formes aiguës, voire vues dans un contexte Myopathies métaboliques et inflammatoires
d’urgence, à des formes subaiguës ou chroniques. Cependant,
LSD : diéthylamide de l’acide lysergique.
la normalité des CPK n’élimine pas la possibilité d’une maladie
musculaire.
• médicamenteuses (Tableau 2). Outre les statines, citons parmi
Rhabdomyolyses les produits récemment mis en cause [2] : inhibiteurs de la
tyrosine kinase, trabectidine, léflunomide, daptomycine et pro-
De nombreuses pathologies sont associées à une rhabdomyo- pofol.
lyse pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il est impératif d’en Deux tableaux spécifiques sont à individualiser :
déterminer rapidement les causes exactes pour pouvoir définir, • l’hyperthermie maligne anesthésique, myopathie pharmaco-
à côté du traitement symptomatique, la thérapeutique étiolo- génétique de transmission autosomique dominante, au cours
gique et éventuellement prévenir la récidive. Cliniquement, les de laquelle une élévation des CPK est retrouvée chez 70 %
signes les plus typiques sont des myalgies, des crampes, un déficit des apparentés asymptomatiques de patient ayant présenté
musculaire, parfois une augmentation du volume musculaire, des un accident anesthésique. Chez un patient susceptible à
urines foncées par myoglobinurie. Elle peut être asymptomatique. l’hyperthermie maligne, l’administration de gaz fluorés ou
Biologiquement, outre l’élévation des CPK supérieure à cinq fois d’agents curarisants déclenche une crise hypermétabolique,
la normale (pouvant atteindre plusieurs centaines, voire milliers s’accompagnant notamment d’une acidose lactique, d’une rigi-
de fois la normale) et la myoglobinurie, qui peut cependant être dité musculaire, de fièvre et d’une rhabdomyolyse ;
absente notamment chez le sujet âgé, on peut observer une insuf- • le syndrome malin des neuroleptiques, caractérisé par
fisance rénale oligurique avec hyperkaliémie, une hypocalcémie, une hyperthermie, une déshydratation et une hyperactivité
celles-ci pouvant être source de troubles du rythme cardiaque, ou musculaire.
encore une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD). Ces Dans certains cas, l’étiologie reste inconnue, et dans ce cadre on
complications mettent en jeu le pronostic vital. décrit une forme récurrente appelée myoglobinurie paroxystique
Les causes de rhabdomyolyse (Tableau 3) sont multiples : idiopathique.
• par atteinte directe d’un muscle : traumatisme aigu (écrase-
ment musculaire ou crush syndrome, compression ou occlusion
vasculaire, brûlure, choc électrique, immobilité prolongée)
ou activité musculaire intense (effort physique, convulsions).
Affections musculaires
Un cas particulier est représenté par l’hyperthermie maligne Au cours des myopathies dégénératives, les CPK sont augmen-
d’effort, forme de rhabdomyolyse intermittente au même titre tées dans 75 à 95 % des cas. Exceptionnellement, cette élévation
que l’hyperthermie maligne anesthésique, qui survient après un peut être révélatrice d’une forme asymptomatique [3] .
effort physique intense et soutenu, souvent dans une ambiance Au cours des dystrophinopathies, en particulier les maladies
chaude et humide. Le tableau associe une fièvre intense à des de Duchenne et de Becker, caractérisées par un déficit de la
troubles de conscience suivis d’une rigidité musculaire diffuse et force musculaire d’installation progressive affectant en priorité
d’un collapsus cardiovasculaire. Ces formes récidivantes néces- les muscles des ceintures, on observe d’importantes élévations du
sitent une biopsie musculaire à la recherche d’une myopathie taux de CPK, de dix à 100 fois la normale, et ce de manière per-
métabolique ou dégénérative ; manente. Les femmes porteuses de l’anomalie génique ont une
• toxiques : alcool, amphétamines, ecstasy, cocaïne, etc. ; élévation des CPK dans 70 % des cas et des signes cliniques, en
• métaboliques : acidocétose diabétique, hypokaliémie, hypocal- général modérés, dans 8 % des cas.
cémie ; Une dysferlinopathie peut également être en cause chez
• infectieuses : bactériennes (pneumocoques, mycoplasmes légio- l’adulte.
nelles, salmonelles, ehrlichiose), virales (virus influenzae A Au cours des myopathies métaboliques, comme les glycogé-
– dont H1N1 – et B, coxsackies, Epstein-Barr virus (EBV), adé- noses (maladie de McArdle notamment) ou le déficit en carnitine
novirus, virus hémorragiques, virus de l’immunodéficience palmityltransférase, caractérisées par une intolérance à l’effort, on
humaine [VIH], human T-cell lymphoma virus-1 [HTLV-1]), ou observe des épisodes de rhabdomyolyse avec des CPK pouvant
parasitaire (paludisme), voire par hyperthermie ou hypother- atteindre 100 à 500 fois la normale, avec en intercritique un taux
mie ; de CPK le plus souvent normal.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Créatines phosphokinases élevées  1-1210

Les myopathies mitochondriales, se traduisant par une intolé- • pathologie psychiatrique : élévation des CPK-MM au cours de
rance à l’effort, isolée ou dans le cadre d’une atteinte systémique manifestations psychotiques aiguës ou en rapport avec la prise
(ophtalmoplégie, atteinte neurologique centrale, etc.), entraînent de psychotropes ;
une élévation habituellement modérée des CPK. • pathologie respiratoire : le syndrome d’apnées du sommeil est
La myopathie à bâtonnets, souvent confondue avec une myo- susceptible d’élever du taux de CPK avec normalisation de ce
site sévère, peut être soit héréditaire, soit sporadique associée à paramètre avec le traitement par ventilation à pression positive.
une dysglobulinémie ou plus rarement à une infection par le VIH, L’infarctus pulmonaire et la pneumopathie peuvent entraîner
s’accompagne d’un taux de CPK normal ou faiblement augmenté. une élévation des CPK ;
Au cours des myopathies inflammatoires idiopathiques, • pathologie néoplasique : cancer prostatique (CPK-BB), tumeurs
l’élévation des CPK s’observe dans plus de 90 % des polymyosites, neuroendocrines, dont anaplasiques à petites cellules (CPK-
de 70 à 90 % des dermatomyosites et dans 80 % des myosites à MB), et diverses autres néoplasies au cours desquelles l’élévation
inclusion. Le taux, habituellement de l’ordre de dix fois la nor- porte sur la CPK-BB ou la macro-CPK de type 2.
male, peut parfois dépasser 100 fois la limite supérieure, mais n’est
pas à lui seul un facteur pronostique. Il est plus élevé dans les der-
matopolymyosites que dans les myosites à inclusion où le taux
reste en deçà de 12 fois la normale. Le taux de CPK est généra-  Examens complémentaires
lement bien corrélé à l’activité de la maladie, son augmentation
ou sa diminution pouvant précéder les poussées ou les rémissions Lorsqu’une affection musculaire est suspectée, soit d’emblée
cliniques. Néanmoins, une minorité de patients, particulièrement chez un patient présentant des symptômes musculaires, soit
au cours de stades très évolués de la maladie avec amyotrophie, après exclusion des autres causes d’élévation des CPK chez
présente des CPK normales alors que la myosite est active. Une élé- un patient asymptomatique, un certain nombre d’examens
vation des CPK-MB peut s’observer en l’absence de toute atteinte complémentaires permettent d’étayer le diagnostic [3] .
cardiaque et provient de fibres musculaires squelettiques imma-
tures ou régénératives.
La myopathie nécrosante auto-immune, d’identification Examens d’orientation
récente, mais plus fréquente que la polymyosite, associe une
atteinte musculaire rapidement évolutive et un taux de CPK très
Électromyogramme (EMG)
élevé (souvent > 10 000 UI/l). Il permet de distinguer les atteintes myogènes, myositiques,
Une élévation modérée des CPK est possible avec des signes myotoniques et neurogènes, et oriente la biopsie. En cas
musculaires minimes ou absents au cours des connectivites, des d’élévation asymptomatique des CPK, la présence d’anomalies
vascularites et de la sarcoïdose et exceptionnellement au cours des à l’EMG a une bonne valeur prédictive pour l’existence d’une
spondylarthropathies et de la maladie de Crohn. pathologie organique à la biopsie. L’EMG sur fibre unique a une
Les myosites infectieuses (VIH, HTLV-1, coxsackie, adénovirus, sensibilité augmentée par rapport à l’examen standard.
virus de l’hépatite C [VHC], toxoplasme, trichine, Borrelia burgdor-
feri, etc.) peuvent être en cause.
Imagerie
Il s’agit du scanner (si suspicion de myopathies), de l’imagerie
Pathologie neurologique par résonance magnétique (IRM) (si suspicion de myosite ou bilan
de rhabdomyolyse) qui dépistent une atteinte infraclinique, pré-
La pathologie neurologique [4] est une cause non rare de symp- cisent l’extension des lésions, orientent le siège de la biopsie
tômes musculaires. Le dosage des CPK chez un patient présentant musculaire (ou de la fasciotomie dans le syndrome des loges).
une faiblesse musculaire ou des myalgies est habituellement uti- L’échocardiographie à la recherche d’une cardiomyopathie doit
lisé pour différencier une atteinte primitivement musculaire d’une être systématique, son existence permettant d’orienter le bilan
affection neurologique. Cependant, une élévation modérée des étiologique (myopathie de Becker, etc.).
CPK est rapportée dans 35 à 70 % des cas de sclérose latérale
amyotrophique et dans 30 à 50 % des amyotrophies spinales pro-
gressives. Le type infantile, du fait de sa présentation proximale, Explorations métaboliques
peut constituer un diagnostic différentiel difficile avec les myopa- On les pratique s’il y a intolérance à l’exercice :
thies. Au cours de la forme juvénile, l’élévation des CPK peut être • test de lactacidémie d’effort :
très importante. ◦ absence d’élévation des lactates : myopathie métabolique ;
Une augmentation modérée peut s’observer au cours des neu- ◦ forte élévation des lactates : myopathie mitochondriale ;
ropathies périphériques, du syndrome postpoliomyélitique et de • spectroscopie de résonance magnétique du phosphore : elle étu-
la neuroacanthocytose. die le spectre métabolique du muscle et oriente le diagnostic
À l’exception de l’amyotrophie spinale juvénile, l’élévation des en fonction du pic de phosphocréatine et de la variation du
CPK au cours de ces affections neurologiques est modérée, ne potentiel hydrogène (pH).
dépassant pas six fois la limite supérieure de la normale.
Les crises comitiales généralisées entraînent une élévation de
la CPK-MM qui peut être une aide au diagnostic de l’épilepsie Examens de confirmation
par rapport aux syncopes vasovagales ou cardiaques et aux crises
psychogènes. Plusieurs examens sont réalisables :
• biopsie musculaire : analyses morphologiques, histoenzymolo-
giques, immunocytochimiques, ultrastucturales :
◦ dystrophinopathies (mise en évidence de la protéine
 Élévation des créatines défaillante) ;
phosphokinases ◦ myopathies métaboliques (surcharge en glycogène, déficit
enzymatique) ;
dans des situations particulières ◦ myopathies mitochondriales (ragged red fibers, déficit de
la chaîne respiratoire, mutations de l’acide désoxyribonu-
Une élévation des CPK est rapportée dans un certain nombre de cléique [ADN] mitochondrial) ;
situations au cours desquelles leur intérêt diagnostique est limité, ◦ polymyosite (inflitrats périmyocytaires, cluster de différen-
voire anecdotique : ciation 8 [CD8], tunélisation, expression musculaire diffuse
• pathologie cérébrale : augmentation de la CPK-MB au cours des de human leucocyte antigen [HLA] de classe I) ;
accidents ischémiques cérébraux, des hémorragies cérébrales, ◦ dermatomyosite (atrophie périfasciculaire, infiltrats CD4
des traumatismes crâniens et des méningites ; périvasculaires, lésions vasculaires) ;

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1210  Créatines phosphokinases élevées

“ Point important
L’élévation des créatines phosphokinases (CPK) traduit une souffrance cellulaire le plus souvent du muscle strié squelettique (CPK-
MM), plus rarement du muscle cardiaque (CPK-MB), du cerveau ou des poumons (CPK-MB et BB).
Le dosage doit toujours être réalisé à distance d’une activité physique.
En l’absence de contexte pathologique, il faut rechercher en premier lieu une prise de toxiques (alcool, etc.) ou de médicaments
(statines, etc.).
L’élévation des CPK est un marqueur essentiel des pathologies musculaires héréditaires ou acquises, mais leur normalité ne permet
pas de les éliminer.
En cas d’élévation chronique et isolée des CPK chez des patients a- ou paucisymptomatiques, la biopsie musculaire permet d’obtenir
un diagnostic de myopathie héréditaire ou acquise chez un certain nombre d’entre eux.

◦ myosite à inclusions (vacuoles bordées contenant des dépôts les analyses biochimiques centrées sur le métabolisme du gly-
amyloïdes et/ou des tubulofilaments en microscopie électro- cogène sont indispensables pour confirmer certains diagnostics,
nique) ; chez des patients dont la biopsie est normale ou subnormale en
◦ myopathie nécrosante auto-immune (nécrose/régénération analyse morphologique.
floride, très peu ou pas d’inflammation) ;
◦ susceptibilité à l’hyperthermie maligne (tests de contracture
in vitro à l’halotane et à la caféine) ;  Références
• biologie moléculaire : la caractérisation de l’anomalie génique
à partir du sang périphérique est possible dans certaines myo-
[1] Kyriakides T, Angelini C, Schaefer J, Sacconi S. EFNS guidelines on
pathies (dystrophinopathies, maladie de Steinert, myopathies
the diagnostic approach to pauci- or asymptomatic hyperCKemia. Eur
facio-scapulo-humérale et oculopharyngée, etc.) ; J Neurol 2010;17:767–73.
• dosage de l’activité de la maltase acide leucocytaire (maladie de [2] Mor M, Wortmann RL, Mitnick HJ, Pillinger MH. Drugs causing
Pompe). muscle disease. Rheum Clin N Am 2011;37:219–31.
En cas d’élévation chronique et isolée des CPK chez des [3] Dimitri D, Eymard B. Myopathies inflammatoires, myopa-
patients a- ou paucisymptomatiques [1] , la biopsie musculaire per- thies nécrosantes auto-immunes, myopathies génétiques de
met d’obtenir un diagnostic dans 16 à 63 % des cas selon les l’adulte : frontières diagnostiques. Rev Med Interne 2012;33:
séries. Ce pourcentage est d’autant plus élevé que le taux de 134–42.
CPK est augmenté et que les patients sont jeunes. Trois étiologies [4] Puget M, Zenone T. Interprétation d’une élévation du taux de CPK
dominent : les glycogénoses (42 %), les dystrophies musculaires et LDH. In: Rousset H, Vital-Durand D, Dupond JL, Pavic M, edi-
(21 %) et les myopathies inflammatoires (16 %). Les techniques tors. Diagnostics diffıciles en médecine interne. Paris: Maloine; 2008,
immunohistochimiques permettant d’étudier la dystrophine et p. 197–206.

R. Laraki, ancien Chef de clinique (rachid.laraki@hotmail.fr).


Cabinet de médecine interne, 400, boulevard Brahim-Roudani, Casablanca, Maroc.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Laraki R. Créatines phosphokinases élevées. EMC - Traité de Médecine Akos 2013;8(3):1-6 [Article 1-1210].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 EMC - Traité de Médecine Akos


¶ 1-1224

Fonction rénale : comment la mesurer ?


Comment interpréter les mesures ?
B. Dussol, N. Jourde-Chiche

L’estimation de la fonction rénale est basée sur le dosage de substances endogènes mais aucune de ces
substances ne possède toutes les caractéristiques d’un marqueur idéal. La créatinine sérique reste le
moyen le plus simple pour évaluer la fonction rénale même si son dosage est affecté par de multiples
facteurs qui font varier son taux sérique sans modification de la fonction rénale. Son principal défaut est
de ne pas faire le diagnostic de l’insuffisance rénale débutante (débit de filtration glomérulaire compris
entre 120 et 60 ml/min) du fait d’une sécrétion tubulaire. La créatinine sérique est utilisée par les
formules de Cockcroft et modification of diet in renal disease (MDRD) qui permettent une approche plus
précise de la filtration glomérulaire. La performance relative des deux formules est à peu près identique
avec le même manque de précision dans certaines situations cliniques. L’urée sanguine et la clairance de
la créatinine endogène ne doivent pas être utilisées car ces deux méthodes sont soumises à de
nombreuses causes d’erreur. Les méthodes isotopiques sont précises mais réservées aux essais
thérapeutiques. L’évaluation de la fonction rénale reste un challenge pour le médecin.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Créatinine ; Formule de Cockcroft ; Formule MDRD ; Mesures de référence ; Cystatine C

Plan • les formules permettant d’estimer la clairance de la créatinine


ou le débit de filtration glomérulaire (DFG) ;
¶ Introduction 1
• les mesures de référence isotopiques et non isotopiques.
Cette abondance de moyens masque le fait qu’il reste très
¶ Urée sanguine 1 difficile de nos jours d’évaluer la fonction rénale car aucun test
¶ Créatinine sérique 2 n’est parfait en termes de précision, de facilité d’accès ou de
Variations de génération et d’élimination de la créatinine 2 rapport coût/utilité. Cette revue se propose de faire le point sur
Différentes techniques de dosage et nécessaire calibration les méthodes d’évaluation de la fonction rénale.
des dosages 2 Il faut rappeler que le DFG normal est de 120 ml/min/
¶ Clairance de la créatinine endogène 3 1,73 m 2 . Ce chiffre varie avec l’âge, le sexe et la surface
¶ Cystatine C et b2-microglobuline 3 corporelle. En l’absence de néphropathie et d’atteinte vasculaire,
la diminution du DFG est modeste avec le vieillissement.
¶ Formules permettant d’estimer la clairance de la créatinine
ou le débit de filtration glomérulaire 4
Formule de Cockcroft
Formule MDRD
4
4 ■ Urée sanguine
Performances comparées des deux formules pour évaluer
la fonction rénale 4 L’urée sanguine est un très mauvais marqueur de la fonction
rénale qui ne doit plus être utilisé. En effet l’urée sanguine est
¶ Mesures de référence isotopiques et non isotopiques 5 soumise à d’importantes fluctuations qui ne dépendent pas de
¶ Conclusion 5 la filtration glomérulaire. Les facteurs pouvant influencer l’urée
sanguine sont :
• le contenu du régime en protéines. Un régime riche en
protéines entraîne une augmentation significative de l’urée
sanguine de même qu’une hémorragie digestive ;
■ Introduction • le métabolisme musculaire. Les situations d’anabolisme
(renutrition, musculation) sont associées à une diminution de
L’estimation de la fonction rénale est importante pour le l’urée sanguine. Beaucoup plus fréquentes sont les situations
praticien car elle a des implications diagnostiques, pronostiques de catabolisme musculaire qui entraînent une élévation de
et thérapeutiques. Il existe de nombreux moyens pour évaluer l’urée comme la chirurgie, les infections, les cancers, les
la fonction rénale : traitements par corticoïdes, etc ;
• l’urée sanguine ; • le volume de la diurèse. La réabsorption tubulaire d’urée
• la créatinine sérique ; dépend de la réabsorption d’eau. Ainsi, dans toutes les
• la clairance de la créatinine mesurée ; situations d’antidiurèse (déshydratation par exemple), l’urée
• la cystatine C et la b2-microglobuline ; est réabsorbée en même temps que l’eau le long du néphron.

Traité de Médecine Akos 1


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

Tableau 1. Tableau 3.
Classification de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en Facteurs influençant la génération de créatinine.
santé (Anaes) de l’insuffisance rénale chronique (IRC).
Facteur Effet sur la créatinine sérique
Stade Clairance estimée par la Interprétation Âge Diminution
formule de Cockcroft
Sexe féminin Diminution
1 > 60 ml/min avec marqueurs Néphropathie chronique sans
d’atteinte rénale IRC Race (référence : race blanche)
2 Entre 60 et 30 ml/min IRC modérée - Noire Augmentation
3 Entre 30 et 15 ml/min IRC sévère - Hispanique Diminution
4 < 15 ml/min IRC terminale - Jaune Diminution

Les marqueurs d’atteinte rénale sont : la protéinurie > 0,3 g/j, la microalbuminurie Mode de vie
entre 30 et 300 mg/j, la leucocyturie > 5 103/ml ou 5/mm3, l’hématurie > 5 103/ml - Musculation Augmentation
ou 5/mm3, les anomalies du parenchyme rénal à l’échographie (petit rein,
hydronéphrose, atrophie segmentaire...), les anomalies histologiques (lésions - Amputation Diminution
vasculaires, interstitielles...). - Obésité Pas de modification
Affections chroniques
Tableau 2. - Malnutrition, inflammation Diminution
Classification américaine de la maladie rénale chronique (chronic kidney (cancer, maladies cardiovasculaires, Diminution
hospitalisation)
disease).
- Maladies neuromusculaires
Stade DFG estimé par la formule Description
MDRD Régime alimentaire
- Type végétarien Diminution
1 > 90 ml/min Maladie rénale chronique avec
DFG normal ou élevé - Type carné Augmentation
2 60 à 89 ml/min Maladie rénale chronique avec - Type protéine végétale ou poisson ou Pas de modification
diminution minime du DFG œuf
3 30 à 59 ml/min Diminution modérée du DFG Les variations de la masse musculaire sont le principal facteur de la variation de
génération de la créatinine.
4 15 à 29 ml/min Diminution sévère du DFG
5 < 15 ml/min Insuffisance rénale
DFG : débit de filtration glomérulaire ; MDRD : modification of diet in renal disease. Tableau 4.
La maladie rénale chronique est définie par une protéinurie persistante (> 0,3 g/j) Facteurs influençant les sorties de créatinine.
à deux occasions.
Facteur Effet sur la créatinine sérique
Insuffisance rénale Augmentation de la sécrétion tubu-
À l’inverse, une faible réabsorption tubulaire d’eau (comme laire : baisse de la créatinine sérique
au cours de toutes les polyuries) est associée à une diminu- Insuffisance rénale Augmentation de la sécrétion diges-
tion de l’urée sanguine. tive : baisse de la créatinine sérique
Le dosage de l’urée sanguine est parfois demandé par le
Médicaments (cimétidine Diminution de la sécrétion tubulaire :
néphrologue chez le malade insuffisant rénal chronique au et triméthoprime) augmentation de la créatinine sérique
stade terminal pour évaluer son intoxication azotée (stade 4 de
la classification de l’Agence nationale d’accréditation et d’éva- Orthostatisme/clinostatisme Augmentation en orthostatisme
luation en santé [Anaes] [1] ou stade 5 de la classification Jour/nuit Augmentation durant le jour
américaine de maladie rénale chronique [2]) (Tableaux 1, 2).

marqueur de la fonction rénale. Il en est de même pour


■ Créatinine sérique l’insuffisance rénale débutante. Chez le sujet avec une fonction
rénale normale, la sécrétion tubulaire et digestive de créatinine
La créatinine sérique a été longtemps la référence pour est négligeable mais elle augmente en cas d’insuffisance rénale.
évaluer la fonction rénale. Il s’agit d’une petite molécule (poids Ceci explique que l’insuffisance rénale débutante (DFG entre
moléculaire 113 Da) issue du catabolisme musculaire qui circule 60 et 90 ml/min) ne s’accompagne pas d’une élévation de la
librement dans le sérum et qui est librement filtrée par le créatinine sérique. La relation entre la créatinine sérique et le
glomérule. Ceci en fait à première vue une substance intéres- DFG est une courbe asymptote (Fig. 1).
sante pour évaluer la filtration glomérulaire. En fait, la créati- Plusieurs études se sont attachées à déterminer la valeur de la
nine n’est pas seulement filtrée mais également sécrétée par le créatinine sérique qui correspondait à un DFG inférieur à
tube contourné proximal et dans le tube digestif. Ceci l’empê- 60 ml/min (définition de l’insuffisance rénale). Les résultats
che d’être un marqueur idéal de la fonction rénale [3]. En plus d’une grande étude américaine [4] sont donnés dans le
de cette sécrétion, la créatinine est soumise à des fluctuations de Tableau 5 ; ils concordent avec ceux de l’étude française [5].
son taux sérique qui ne dépendent pas de la filtration
glomérulaire.
Différentes techniques de dosage
et nécessaire calibration des dosages
Variations de génération et d’élimination
de la créatinine Il existe deux techniques de dosage : la méthode colorimétri-
que de Jaffé et la méthode enzymatique. La méthode de Jaffé est
Les facteurs qui modifient la génération et les sorties de la plus utilisée bien que le dosage de la créatinine fasse l’objet
créatinine sont détaillés dans les Tableaux 3, 4. Ils rendent d’interférences avec des chromogènes (protéines, corps cétoni-
compte des fluctuations de créatinine indépendantes des ques, bilirubine...). La méthode enzymatique, plus spécifique car
variations de la filtration glomérulaire. non soumise à ces interférences, donne des résultats sensible-
Certains facteurs sont associés à une diminution de la ment inférieurs à la méthode de Jaffé.
production de créatine comme une atteinte musculaire (sarco- Quelle que soit la méthode de dosage, l’absence de calibra-
pénie du sujet âgé, amputation, maladies neuromusculaires...) tion entraîne des biais de mesure de 20 à 30 µmol/l d’un
ou le régime végétarien qui font de la créatinine un mauvais laboratoire à l’autre [6]. Interférences dans le dosage et biais de

2 Traité de Médecine Akos


Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ? ¶ 1-1224

malade ambulatoire et est difficile chez le sujet âgé, grabataire


10
ou ayant des troubles visuels ou de la compréhension ;
• les fluctuations importantes quotidiennes de la créatinurie.
8
En effet la créatinurie est variable en fonction :
C de l’âge et du sexe. La créatinurie est plus basse chez la
Créatinine sérique (mg/dl)

femme et elle diminue avec l’âge. Elle passe chez l’homme


6 en moyenne de 0,2 mmol/kg/j à 20 ans à 0,08 mmol/kg/j
dans la neuvième décennie. Chez la femme, elle est en
moyenne de 0,16 mmol/kg/j à 20 ans et diminue à
4 0,07 mmol/kg/j dans la neuvième décennie ;
C de situations physiologiques ou pathologiques. Ainsi
2
l’immobilisation, les dysthyroïdies, certains médicaments
(fibrates, corticoïdes, b2-mimétiques...), le régime carné
augmentent l’excrétion urinaire de créatinine.
DFG (ml/min)
0 Compte tenu des multiples causes d’erreur, cette méthode ne
0 20 40 60 80 100 120 doit plus être utilisée pour évaluer la fonction rénale.
Figure 1. Relation entre le débit de filtration glomérulaire (DFG) (me-
suré par une méthode de référence) et la créatinine sérique. Chaque point
correspond à un patient dans l’étude de Levey [4]. Le DFG est en ml/min,
la créatinine sérique en mg/dl (pour convertir en µmol/l, il faut multiplier
par 88,4). Lorsque le DFG passe de 120 ml/min à 60 ml/min, la créatinine
sérique n’augmente pratiquement pas. En revanche, en dessous de
“ Point fort
60 ml/min (ce qui correspond à la définition de l’Agence nationale
d’accréditation et d’évaluation en santé [Anaes] de l’insuffisance rénale, Conditions de recueil des urines des 24 heures
trait vertical gris), la corrélation entre créatinine sérique et DFG est • Le recueil est correct si les conditions suivantes sont
meilleure. respectées :
C j0 à 7 h (au lever) : vider la vessie aux toilettes ;
C à partir de 7 h : mettre toutes les mictions dans le
Tableau 5. bocal ;
Valeurs de créatinine sérique correspondant à un débit de filtration C j1 à 7 h (au lever) : mettre la première miction du
glomérulaire (DFG) < 60 ml/min. matin dans le bocal.
Créatinine sérique correspondant à un DFG • Les erreurs habituelles sont :
< 60 ml/min/1,73m2 (intervalle de confiance C les urines de j0 au lever sont collectées (surestimation
à 95 %) de la créatinurie) ;
Homme C les mictions au moment des selles ne sont pas
- Race blanche 115 à 133 µmol/l collectées (sous-estimation de la créatinurie) ;
- Race noire 124 à 160 µmol/l toujours demander au malade d’uriner avant d’aller
à la selle ;
Femme
C arrêt de la collection des urines une fois le bocal
- Race blanche 90 à 110 µmol/l
rempli (sous-estimation de la créatinurie).
- Race noire 100 à 124 µmol/l

mesures sont d’autant plus importants que la créatinine sérique


est basse. Souhaitant standardiser le dosage de la créatinine, les
américains ont mis au point une nouvelle méthode basée sur la
■ Cystatine C et b2-microglobuline
spectométrie de masse. Des échantillons de référence dosés par
cette technique sont conservés au National Institute of Stan- La cystatine C est une petite protéine sérique de 13 kDa dont
dards and Technology (NIST) [7]. L’ensemble des laboratoires le comportement rénal pouvait en faire un bon marqueur de la
d’analyses américains utilise la spectométrie de masse avec des filtration glomérulaire [8]. En effet, cette protéine, produite de
automates calibrés sur les échantillons de référence. Une telle façon constante par l’ensemble des cellules nucléées, est
évolution est souhaitable en France. librement filtrée par le glomérule puis complètement réabsorbée
par les tubes rénaux où elle est catabolisée. Malheureusement,
son taux sérique n’est pas influencé uniquement par la filtration
■ Clairance de la créatinine glomérulaire [9]. En effet, certaines situations cliniques comme
un indice de masse corporelle élevé, un tabagisme actif, une C
endogène reactive protein (CRP) élevée, une dysthyroïdie ou un traitement
par stéroïdes peuvent modifier son taux sérique. De plus, il
La clairance de la créatinine endogène appelée aussi clairance
semble exister une élimination extrarénale de cystatine C en cas
mesurée a été longtemps l’examen de référence d’évaluation de
la fonction rénale. Elle repose sur la classique formule des d’insuffisance rénale. Enfin, les différentes méthodes de dosage
clairances rénales : clairance = U V/P où de la cystatine C sont coûteuses et n’ont pas fait l’objet d’une
U : concentration urinaire en créatinine (mmol/l) calibration.
V : débit urinaire en l/j La b2-microglobuline a le même comportement rénal que la
P : concentration sérique en créatinine (µmol/l). cystatine C mais pas d’élimination extrarénale, même en cas
Elle nécessite donc un recueil des urines des 24 heures pour d’insuffisance rénale avancée. Cependant, son taux sérique est
déterminer le débit urinaire (V) et la créatinurie (U). influencé par des facteurs extrarénaux comme les infections et
Outre que cette formule reprend les défauts de la créatinine les cancers qui élèvent son taux [10]. Les dosages immunologi-
sérique (cf. supra), elle y ajoute : ques de b2-microglobuline sont par ailleurs coûteux.
• les erreurs (très fréquentes) concernant le recueil urinaire sur La cystatine C et la b2-microglobuline ne doivent pas être
24 heures. Le recueil perturbe beaucoup le quotidien du utilisées au quotidien pour l’évaluation de la fonction rénale.

Traité de Médecine Akos 3


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

■ Formules permettant d’estimer • aux poids extrêmes (index de masse corporelle inférieur à
20 ou supérieur à 30) ou lorsque le poids ne reflète pas la
la clairance de la créatinine masse maigre (œdèmes) ;
ou le débit de filtration • chez les sujets ayant une fonction rénale normale (DFG
supérieur à 90 ml/min).
glomérulaire La clairance de Cockcroft est systématiquement calculée par
les laboratoires d’analyses de ville devant toute demande de
. Il existe de nombreuses formules permettant d’estimer la créatinine sérique depuis février 2003 à la suite d’une recom-
clairance de la créatinine ou le DFG à partir de la créatinine ou mandation de la Haute Autorité de santé (HAS).
de la cystatine C sérique [11-18].
Deux formules sont principalement utilisées : la formule de
Cockcroft [19] et la formule modification of diet in renal disease Formule MDRD
(MDRD) [6, 20].

Formule de Cockcroft
Formule de la clairance de Cockcroft et Gault “ Point fort
(140 – âge) × poids (en kg)
Chez l’homme : ————————————— Formule MDRD (estimation du débit de filtration
0,814 × créatinine (µmol/l)
glomérulaire)
(140 – âge) × poids (en kg) • Formule MDRD complète initiale :
Chez la femme : ————————————— × 0,85 170 × créatinine sérique–0,999 × âge–0,176 × 0,762 (pour
0,814 × créatinine (µmol/l)
une femme) × 1,18 (race noire) × urée sérique–0,170 ×
albuminémie+0,318
La clairance de Cockcroft doit être normalisée sur la surface
Après standardisation du dosage de la créatinine
corporelle.
sérique, le coefficient de correction n’est plus 170 mais
Surface corporelle (m2) : √ Poids (kg) × taille (cm)
————————————
3600
161,5.
• Formule MDRD abrégée initiale :
186,3 × créatinine sérique–1,154 × âge–0,203 × 0,742
Clairance (pour une femme) × 1,212 (race noire)
Clairance de Cockcroft normalisée : ————————— × 1,73
Surface corporelle Après standardisation du dosage de la créatinine
sérique, le coefficient de correction n’est plus 186,3 mais
La formule de Cockcroft est une estimation de la clairance de
175.
la créatinine endogène et non pas du DFG. En effet dans leur
• La créatinine sérique est en mg/dl.
travail, Cockcroft et Gault ont mis au point leur formule chez
• La clairance MDRD n’a pas à être corrigée pour la
des malades dont ils avaient mesuré la clairance de la créatinine
surface corporelle.
endogène à partir de deux dosages de la créatinurie des 24 heu-
res dont les résultats étaient très proches. Ils ont alors fait un
calcul de régression de la créatinurie des 24 heures en fonction
du poids et de l’âge. Les dosages ont été réalisés chez 250 mala-
des hospitalisés de race blanche, âgés de 18 à 92 ans. Il y avait La formule MDRD donne une estimation du DFG. Cette
peu de sujets âgés de plus de 80 ans (7 %) et peu de femmes formule a été mise au point en 1999 à partir de DFG mesurés
(4 %). par une méthode de référence (clairances isotopiques) et des
La corrélation entre la clairance calculée par la formule mise caractéristiques cliniques et biologiques (âge, sexe, poids, taille,
au point et la clairance de la créatinine endogène sur l’ensemble race, urée sanguine et albuminémie) de 1 628 patients. Une
de la population étudiée est bonne (r = 0,83) mais la dispersion grande partie de ces patients avait participé à une étude
des valeurs à l’échelon individuel est parfois importante. Chez conduite aux États-Unis dans les années 1990 sous l’acronyme
la femme, un coefficient de correction (-15 %) est appliqué sur MDRD [21]. Le but de cette étude était d’évaluer chez plus de
la base d’une créatinurie inférieure de 10 % à 20 % par rapport 800 malades insuffisants rénaux l’impact d’un régime limité en
à l’homme. À noter qu’il faut normaliser la valeur calculée par protéine sur la progression de la néphropathie.
la formule sur la surface corporelle. La complexité de la formule (même dans sa version simpli-
Les limites de cette formule sont évidentes car : fiée) nécessite un ordinateur de poche ou une calculatrice on
• elle donne une estimation de la clairance de la créatinine line (www.kdoqi.org → Professionals → Clinical tools → GFR
endogène dont on a vu l’imprécision (cf. supra) ; calculator). À l’inverse de la formule de Cockcroft, la formule
• elle n’est utilisable stricto sensu que chez les hommes, âgés MDRD est normalisée sur la surface corporelle.
de moins de 80 ans, de race blanche et en situation d’agres- La corrélation entre le DFG mesuré par une méthode de
sion (puisque tous les patients étaient hospitalisés). référence et le DFG estimé par la formule MDRD est bonne (r
Malgré ces limites, il faut systématiquement utiliser la = 0,88) et légèrement supérieure à celle de la formule de Cockcroft
formule de Cockcroft car : (cf. supra).
• elle aide à déterminer le stade d’insuffisance rénale chroni-
que, ce qui implique une prise en charge et une thérapeuti-
que adaptée ;
• elle a l’immense avantage d’éviter la surestimation de la
Performances comparées des deux formules
fonction rénale, en particulier chez les sujets âgés. pour évaluer la fonction rénale
En plus des limites liées à la conception de la formule, la
clairance de Cockcroft est imprécise : Plusieurs études ont comparé la performance des formules de
• aux âges extrêmes (plus de 75 ans et moins de 25 ans). Elle Cockcroft et MDRD pour évaluer la fonction rénale dans
n’est par ailleurs pas utilisable chez la femme enceinte et chez différentes populations et dans différentes situations clini-
l’enfant ; ques [20, 22-25]. Les résultats sont discordants. Certaines études

4 Traité de Médecine Akos


Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ? ¶ 1-1224

■ Références
.

trouvent une supériorité de l’une ou de l’autre formule dans


telle ou telle population (diabétique, obèses, sujet âgé...),
supériorité souvent non confirmée dans un autre travail. [1] ANAES. Diagnostic de l’insuffisance rénale chronique chez l’adulte,
Globalement, la formule MDRD semble avoir une performance septembre 2002.
légèrement supérieure à la formule de Cockcroft chez les [2] National Kidney Foundation. K/DOQI clinical practice guidelines for
malades porteurs d’une insuffisance rénale chronique. Chez le chronic kidney disease: evaluation, classification, and stratification. Am
sujet ayant une fonction rénale normale, les deux formules ont J Kidney Dis 2002;39(2suppl1):S1-S266.
une performance équivalente. Au vu de ces résultats, il n’est pas [3] Levey AS. Measurement of renal function in chronic renal disease.
justifié d’abandonner la formule de Cockcroft. Kidney Int 1990;38:167-84.
Les deux formules sont imprécises chez les malades ayant des [4] Levey AS, Bosch JP, Lewis JB, Greene T, Rogers N, Roth D. A more
valeurs extrêmes d’âge et de poids, chez les malades ayant une accurate method to estimate glomerular filtration rate from serum
creatinine: a new prediction equation. Ann Intern Med 1999;130:
faible production de créatine (myopathies, paraplégie, végéta-
461-70.
rien, cirrhose, dénutrition) et en cas de fonction rénale normale.
[5] Couchoud C, Pozet N, Labeeuw M, Pouteil-Noble C. Screening early
Aucune formule n’est adaptée à l’insuffisance rénale aiguë.
renal failure: cut-off values for serum creatinine as an indicator of renal
impairment. Kidney Int 1999;55:1878-84.
[6] Miller WG, Myers GL, Ashwood ER, Killeen AA, Wang E,
■ Mesures de référence isotopiques Thienpont LM, et al. Creatinine measurement: state of the art in
accuracy and interlaboratory harmonization. Arch Pathol Lab Med
et non isotopiques 2005;129:297-304.
[7] Stevens LA, Coresh J, Greene T, Levey AS. Assessing kidney function
– Measured and estimated glomerular filtration rate. N Engl J Med
Ce sont les méthodes de référence (gold standard) de mesure 2006;354:2473-83.
du DFG. Plusieurs traceurs sont utilisés : l’inuline, l’iohexol, [8] Madero M, Sarnak MJ, Stevens LA. Serum cystatin C as a marker of
l’iothalamate marqué à l’iode 125, l’éthylène diamine tétra- glomerular filtration rate. Curr Opin Nephrol Hypertens 2006;15:
acétate (EDTA) marqué au chrome 51 et le diéthylène triamine 610-6.
penta-acétate (DTPA) marqué au technétium 99. L’iohexol est [9] Curhan G. Cystatin C: a marker of renal function or something more?
un produit de contraste iodé utilisé à faible dose non Clin Chem 2005;51:293-4.
néphrotoxique. [10] Schardijn GH, Statius Van Eps LW. Beta 2-microglobulin: its
Le marqueur idéal est l’inuline car cette substance métaboli- significance in the evaluation of renal function. Kidney Int 1987;32:
quement inactive est librement filtrée par le glomérule puis 635-41.
n’est pas sécrétée ni réabsorbée par les tubes rénaux. La mesure [11] Bjornsson TD. Use of serum creatinine concentrations to determine
du DFG par l’inuline est invasive puisqu’elle nécessite une renal function. Clin Pharmacokinet 1979;4:200-22.
perfusion intraveineuse prolongée et la mise en place d’une [12] Jelliffe RW, Jelliffe SM. A computer program for estimation of
sonde urinaire. creatinine clearance from unstable serum creatinine level, age, sex, and
Les autres marqueurs sont soumis à une très faible sécrétion weight. Math Biosci 1972;14:17-25.
tubulaire. L’avantage est que l’on mesure leur clairance plasma- [13] Jelliffe RW. Creatinine clearance: bedside estimate. Ann Intern Med
tique, ce qui évite la perfusion prolongée et le recueil urinaire. 1973;79:604-5.
Quel que soit le traceur utilisé, ces clairances sont coûteuses et [14] Edwards KD, Whyte HM. Plasma creatinine level and creatinine
difficiles à mettre en œuvre. De plus, ces examens sont entachés clearance as tests of renal function. Australas Ann Med 1959;8:
218-24.
par des erreurs de mesure, en particulier dans les laboratoires
[15] Nankivell BJ, Gruenewald SM, Allen RD, Chapman JR. Predicting
peu entraînés. Plusieurs études montrent que les coefficients de
glomerular filtration rate after kidney transplantation. Transplantation
variation intra-essais et inter-essais sont de l’ordre de 5 % à
1995;59:1683-9.
20 % et que les erreurs les plus importantes sont observées pour
[16] Walser M, Drew HH, Guldan JL. Prediction of glomerular filtration rate
les DFG élevés.
from serum creatinine concentration in advanced chronic renal failure.
En pratique, leur utilisation est limitée à la mesure précise de Kidney Int 1993;44:1145-8.
la fonction rénale : [17] Le Bricon T, Thervet E, Froissart M, Benlakehal M, Bousquet B,
• au cours des essais thérapeutiques ; Legendre C, et al. Plasma cystatin C is superior to 24-h creatinine
• chez le candidat à un don de rein dans le cadre d’une clearance and plasma creatinine for estimation of glomerular filtration
transplantation à partir d’un donneur vivant ; rate 3 months after renal transplantation. Clin Chem 2000;46:
• chez le patient à fonction rénale apparemment normale 1206-7.
devant bénéficier d’un traitement néphrotoxique (par exem- [18] Rule AD, Bregstraalh EJ, Slezak JM, Bergert J, Larson TS. Glomerular
ple, traitement d’un psoriasis sévère par ciclosporine A). filtration rate estimated by cystatin C among different clinical
presentations. Kidney Int 2006;69:399-405.
[19] Cockcroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine clearance from
serum creatinine. Nephron 1976;16:31-41.
■ Conclusion [20] Levey AS, Coresh J, Greene T, Stevens LA, Zhang YL, Hendriksen S,
et al. Using standardized serum creatinine values in the modification of
diet in renal disease equation for estimating glomerular filtration rate.
Il est bien difficile encore de nos jours d’évaluer la fonction
Ann Intern Med 2006;145:247-54.
rénale d’un malade puisque aucun marqueur n’est idéal. L’urée [21] Klahr S, Levey AS, Beck GJ, Caggiula AW, Hunsicker L, Kusek JW,
sanguine et la clairance de la créatinine endogène ne doivent et al. The effects of dietary protein restriction and blood pressure control
plus être utilisées. Les méthodes de référence doivent être on the progression of chronic renal disease. Modification of Diet in
utilisées uniquement dans le cadre d’essais thérapeutiques dans Renal Disease Study Group. N Engl J Med 1994;330:877-84.
des laboratoires ayant l’expérience de ces techniques. En [22] Stevens LA, Coresh J, Feldman HI, Greene T, Lash JP, Nelson RG, et al.
pratique médicale courante, la créatinine sérique qui permet de Evaluation of the modification of diet in renal disease study equation in
calculer la clairance de Cockcroft ou MDRD est l’outil de base. a large diverse population. J Am Soc Nephrol 2007;18:2749-57.
Il reste des situations où la créatinine et les formules qui [23] Froissart M, Rossert J, Jacquot C, Paillard M, Houillier P. Predictive
l’utilisent sont mises en défaut. C’est alors au clinicien de tenter performance of the modification of diet in renal disease and Cockcroft-
d’apprécier, dans le contexte clinique, la fonction rénale de son Gault equations for estimating renal function. J Am Soc Nephrol 2005;
patient. 16:763-73.

Traité de Médecine Akos 5


1-1224 ¶ Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?

[24] Verhave JC, Fesler P, Ribstein J, du Cailar G, Mimran A. Estimation of Pour en savoir plus
renal function in subjects with normal serum creatinine levels:
influence of age and body mass index. Am J Kidney Dis 2005;46: Davison AM, Cameron JS, Grunfeld JP, Ponticelli C, Van Ypersele C, Ritz E,
233-41. et al. Oxford textbook of clinical nephrology. New York: Oxford
[25] Cirillo M, Anastasio P, De Santo NG. Relationship of gender, age, and University Press; 2005.
body mass index to errors in predicted kidney function. Nephrol Dial Brenner BM, Rector FC. The kidney. Philadelphia: WB Saunders;
Transplant 2005;20:1791-8. 2007.

B. Dussol (bdussol@ap-hm.fr).
N. Jourde-Chiche.
Centre de néphrologie et de transplantation rénale, Hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13385 Marseille cedex 5, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Dussol B., Jourde-Chiche N. Fonction rénale : comment la mesurer ? Comment interpréter les mesures ?.
EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1224, 2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Traité de Médecine Akos


 1-1245

Élévation des transaminases


en hépatologie
C. Buffet

La mesure de l’activité sérique des transaminases est l’un des tests biologiques les plus couramment
effectués en routine. La situation la plus fréquente dans la pratique quotidienne est la découverte fortuite
d’une élévation des transaminases chez un patient asymptomatique. Lorsque l’on se trouve face à ce type
de patient, il importe d’avoir présentes à l’esprit les quatre questions suivantes : est-ce significatif ? Quelle
en est la cause ? Jusqu’où faut-il aller dans la conduite des explorations chez un patient asymptomatique ?
Quand faut-il adresser le patient au spécialiste ?
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Transaminases ; Virus ; Alcool ; Stéatose

Plan supérieure de la normale, à l’exception de l’hépatite alcoolique


aiguë, affection au cours de laquelle les transaminases ne sont
■ Introduction 1 que modérément perturbées. Les cytolyses chroniques se carac-
térisent par une élévation modérée des transaminases et même
■ Généralités 1 souvent très modérée qui perdure plus de six mois et est observée
■ Causes d’élévation aiguë 2 chez des patients a- ou paucisymptomatiques.
Définition 2
Virus 2
Médicaments 3
Lithiase de la voie biliaire principale 3  Généralités
Hépatite alcoolique aiguë 3
Toxique 3 Les transaminases jouent un rôle important dans le méta-
Autres causes d’élévation aiguë 3 bolisme intermédiaire des acides aminés : ce sont elles qui
Foie de choc 3 catalysent le transfert d’un groupement alpha-aminé de l’alanine

(alanine-aminotransférase [ALAT]) et de l’acide aspartique
Causes d’élévation chronique 3
(aspartate-aminotransférase [ASAT]) sur le groupe alphacétonique
Définition 3
de l’acide alphacétoglutarique, pour former de la glutamine et
Lésions hépatiques du syndrome métabolique 4
de l’acide pyruvique ou oxaloacétique. L’ALAT (anciennement
Alcool 5
dénommée serum glutamic-pyruvic transaminase [SGPT]) est essen-
Virus 5
tiellement localisée dans le foie, au niveau du cytoplasme des
Maladies génétiques 5
hépatocytes, et dans le muscle. L’ASAT (anciennement dénom-
Hépatite auto-immune 5
mée serum glutamic-oxaloacetic transaminase [SGOT]) est présente
Causes extrahépatiques et non liées à une pathologie
dans un grand nombre de tissus : muscle, myocarde, rein, cer-
cardiaque ou musculaire 5
veau et foie, dans le cytoplasme des cellules mais aussi dans la
■ Prise en charge spécialisée 6 mitochondrie.
■ Conclusion 6 Le dosage des transaminases se fait par spectrophotométrie
selon les recommandations de l’International Federation of Clini-
cal Chemistry (IFCC). La limite supérieure à la normale varie selon
chaque laboratoire, habituellement comprise entre 30 et 45 U/l.
 Introduction Les principaux facteurs de la variabilité des transaminases dans
la population de référence sont l’âge, le sexe et l’indice de masse
Les aminotransférases dénommées aussi transaminases font corporelle (IMC).
partie des enzymes les plus fréquemment dosées. Il existe deux Récemment, des auteurs ont proposé de redéfinir la limite supé-
catégories d’élévation des transaminases qui posent des problèmes rieure de la normale à 19 U/l pour les femmes et à 31 U/l pour les
diagnostiques différents : les cytolyses aiguës et les cytolyses chro- hommes [1] . En effet, le taux des ALAT est corrélé à la mortalité
niques. Les cytolyses aiguës se caractérisent par une élévation et, dans la population générale, des valeurs d’ALAT situées dans
des transaminases habituellement à plus de dix fois la limite la partie haute de la normalité, c’est-à-dire entre 19 et 40 U/l chez

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 9 > n◦ 3 > juillet 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(14)66061-0
1-1245  Élévation des transaminases en hépatologie

les femmes et entre 31 et 40 U/l chez les hommes, permettent


d’identifier un groupe à haut risque de maladies cardiovascu-
laires [2] . D’autres études vont dans le même sens, proposant une Élévation aiguë des transaminases
valeur limite supérieure de la normale à 29 U/l pour les hommes
et à 22 U/l pour les femmes [3] .
Les causes d’élévation des transaminases de loin les plus
fréquentes sont les maladies du foie et des voies biliaires. Souvent ≥ 10 fois normale
Avant d’envisager les différentes hypothèses diagnostiques, il
faut éliminer les élévations liées aux maladies musculaires dégé-
nératives, cardiaques, la rhabdomyolyse et l’hémolyse. Elles
portent habituellement sur les ASAT et sont isolées, comme Principales causes
en témoigne la normalité des autres enzymes hépatiques
(gamma-glutamyltranspeptidase [GGT], phosphatases alcalines).
L’élévation concomitante des créatines phosphokinases (CPK) et Virus hépatotropes : Médicaments, se
de l’aldolase permet d’affirmer leur origine musculaire [4] . - IgM anti-VHA renseigner : Lithiase de la
Une élévation des transaminases est significative lorsqu’elle - AgHBs - Vidal® voie biliaire
dépasse la limite supérieure de la normale à deux reprises. - ARN du VHC par - laboratoire principale
Avant d’entreprendre un bilan étiologique exhaustif, il est PCR (hépatotoxicités)
essentiel de pratiquer un examen clinique détaillé qui per- - IgM anti-VHE et/ou
met d’orienter la prescription des examens complémentaires. ARN du VHE
L’interrogatoire recherche la prise de médicaments hépato- par PCR +++ Contexte
toxiques, la consommation d’alcool, son importance, les signes Arrêt du clinique :
qui ont amené à doser les transaminases, les éléments du médicament douleur biliaire
syndrome métabolique (IMC, périmètre abdominal, insulinoré- et fièvre
sistance ou diabète, hypertriglycéridémie, diminution du high Si négatif :
density lipoprotein [HDL] cholestérol, hypertension artérielle), la - Epstein-Barr virus
notion de variations de poids récentes. Il précise les antécédents - CMV Normalisation
du patient, à la recherche de facteurs de risque de contamination - Herpès (rare) rapide des
par le virus de l’hépatite C (VHC) : toxicomanie, même ancienne, transaminases
transfusions de produits sanguins avant la date de dépistage sys-
tématique du VHC (1990), tatouages ou piercing, et pour le virus Figure 1. Arbre décisionnel. Élévation aiguë des transaminases. Ig :
de l’hépatite B (VHB) : une origine d’un pays d’endémie, des par- Immunoglobulines ; VHA : virus de l’hépatite A ; AgHbs : antigène de sur-
tenaires sexuels multiples. L’examen clinique s’attache à la mise face de l’hépatite B ; ARN : acide ribonucléique ; VHC : virus de l’hépatite
en évidence : C ; PCR : polymerase chain reaction ; VHE : virus de l’hépatite E ; CMV :
• de signes de maladie chronique du foie : ictère, hépatomégalie, cytomégalovirus.
splénomégalie, angiomes stellaires, érythrose palmaire, circula-
tion veineuse collatérale ;
• de signes d’imprégnation alcoolique chronique (évocateurs
mais non spécifiques) : couperose, hypertrophie parotidienne,
Tableau 1.
maladie de Dupuytren.
Causes d’élévation aiguë des transaminases.
Au terme de cet examen, on prescrit une échographie hépa-
tique à la recherche de signes évocateurs de maladie chronique du Causes fréquentes Hépatites virales aiguës :
foie (hépatosplénomégalie, ascite, dysmorphie hépatique, hyper- VHA, VHB, VHE,
tension portale) ou d’un foie d’aspect brillant hyperéchogène Epstein-Barr, cytomégalovirus
évocateur d’une stéatose. Hépatites médicamenteuses et
médecines alternatives
Causes moins fréquentes ou Hépatites virales : herpès, virus
 Causes d’élévation aiguë (Fig. 1) survenant dans un contexte
particulier
delta, VHC
Lithiase de la voie biliaire
(Tableau 1) principale
Hépatite alcoolique aiguë
Définition Hépatite auto-immune
Maladie de Wilson
On entend par élévation aiguë des transaminases une augmen- Foie de choc (appelé aussi hépatite
tation habituellement importante (supérieure à dix fois la limite hypoxique ou ischémique)
de la normale), survenant dans un contexte de maladie aiguë.
L’importance de l’élévation des transaminases n’est en aucun cas
un signe d’insuffisance hépatocellulaire et n’est pas corrélée à la
sévérité des lésions hépatiques. alors que l’hépatite E a été identifiée comme la première cause
mondiale d’hépatite à transmission entérique. En France, le VHE
Virus est responsable d’environ 25 % des hépatites aiguës, en particulier
dans la région du sud-ouest [5] .
L’hépatite virale aiguë est la cause la plus fréquente. L’élévation D’autres virus peuvent être en cause : virus Epstein-Barr (EBV),
est habituellement supérieure à dix fois la limite de la normale, cytomégalovirus (CMV), herpès, virus delta chez les malades por-
voire souvent beaucoup plus, et prédomine sur les ALAT. Il existe teurs de l’AgHBs. L’hépatite A n’évolue pas vers la chronicité. En
fréquemment un ictère associé, d’autres symptômes peuvent éga- revanche, les hépatites B et C évoluant vers la chronicité (avec
lement être présents : arthralgies, hépatalgies, vomissements, etc. des pourcentages respectifs de 10 % et 70 %) nécessitent, pour
Les sérologies virales permettent de faire le diagnostic du virus leur suivi, une prise en charge spécialisée. Une hépatite d’allure
en cause : immunoglobulines M (IgM), anti-virus de l’hépatite A aiguë chez un patient positif pour l’AgHBs peut correspondre
(VHA) pour l’hépatite A, positivité de l’antigène (Ag) HBs et des à une authentique hépatite aiguë B de contamination récente,
IgM anti-HBc pour l’hépatite B, polymerase chain reaction (PCR) mais il s’agit le plus souvent d’une réactivation B chez un porteur
sérique du VHC pour l’hépatite C, IgM anti-virus de l’hépatite E chronique du VHB. L’infection chronique peut s’observer en cas
(VHE) et/ou une PCR du VHE dans le sang et/ou dans les selles d’infection à VHE, quasi uniquement chez les malades immuno-
pour le VHE. L’hépatite C revêt très rarement une forme aiguë, déprimés et chez les cirrhotiques.

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Élévation des transaminases en hépatologie  1-1245

Médicaments Autres causes d’élévation aiguë


Devant toute élévation aiguë des transaminases, il faut évo- L’hépatite auto-immune peut se révéler par une importante élé-
quer la possibilité d’une origine médicamenteuse [6] . De nombreux vation des ALAT. Il faut évoquer ce diagnostic chez une femme
médicaments peuvent être responsables d’une atteinte hépatique. le plus souvent, en présence d’un contexte auto-immun parfois,
Il faut se renseigner sur l’hépatotoxicité des médicaments sur devant une très forte élévation des IgG, très évocatrice du diag-
des sites en ligne tel Hepatotox. Il faut citer, parmi les plus fré- nostic, et la présence d’auto-anticorps (antimuscles lisses, facteurs
quemment incriminés, les anti-inflammatoires non stéroïdiens antinucléaires). Le diagnostic est confirmé par la biopsie du foie
(AINS), les antibiotiques, le paracétamol mais aussi l’isoniazide, et le traitement institué rapidement.
les antifongiques (kétoconazole et fluconazole) et les sulfamides. La maladie de Wilson peut aussi être révélée par une hépa-
L’interrogatoire doit également rechercher la prise de médications tite aiguë, associée à une hémolyse touchant l’enfant ou le sujet
en vente libre ou sur Internet et la prise de médecines alterna- jeune, le diagnostic est confirmé par la diminution de la cérulo-
tives. Les hépatites médicamenteuses se rencontrent surtout chez plasmine, l’augmentation de la cuprurie, la présence inconstante
les sujets de plus de 50 ans, polymédicamentés. L’interrogatoire d’un anneau de Kayser-Fleischer et la biopsie du foie permettant
doit s’attacher à dresser une liste exhaustive des médicaments pris ici aussi la mise en route d’un traitement rapide.
avant l’apparition des anomalies. Tout médicament suspect doit L’anorexie mentale, qui s’accompagne souvent d’une élévation
être arrêté afin d’éviter le risque d’évolution vers une hépatite modérée des transaminases, peut se manifester, dans les cas les
fulminante. Il est recommandé d’arrêter le médicament suspect plus sévères, par une élévation massive des transaminases avec
lorsque, arbitrairement, l’élévation des transaminases est à plus baisse du taux de prothrombine réalisant une sorte d’autophagie
de trois fois la limite supérieure de la normale, en l’absence du foie [8] .
d’autre cause. On considère qu’il existe un risque de nécrose
sévère du foie lorsque les transaminases sont à plus de trois fois
la limite supérieure de la normale et la bilirubine totale à plus Foie de choc
de deux fois. Il faut réunir les critères d’imputabilité : la respon-
sabilité d’un médicament est d’autant plus probable qu’il a été Il est aussi appelé hépatite hypoxique ou ischémique. Il s’agit
introduit récemment, la normalisation des transaminases à l’arrêt d’une situation rencontrée chez les patients hospitalisés en
du médicament suspecté est un critère important d’imputabilité. réanimation à l’occasion d’un bas débit ou d’un collapsus car-
L’hépatite médicamenteuse doit être impérativement notifiée au diovasculaire. Il existe souvent une insuffisance rénale associée.
centre de pharmacovigilance. En l’absence de consensus sur les L’hypertransaminasémie est massive et rapidement résolutive.
valeurs de la limite supérieure de la normale des transaminases, la
prévalence des hépatites médicamenteuses peut varier considéra-
blement [7] .

Lithiase de la voie biliaire principale


“ Point fort
L’élévation des transaminases est souvent importante et transi- • En cas d’élévation aiguë des transaminases, la cytolyse
toire (48 heures). Elle accompagne la triade classique : douleurs est souvent importante (supérieure à dix fois la limite de
de type biliaire, fièvre, ictère. Il existe souvent une cholestase
la normale) et symptomatique.
associée. On peut également observer une élévation transitoire • Il peut s’agir d’une hépatite virale aiguë : demander en
et concomitante de la lipasémie, très évocatrice. L’échographie
abdominale recherche la présence d’une lithiase vésiculaire et première intention IgM anti-VHA, AgHBs, anti-VHC mais
l’existence d’une dilatation des voies biliaires intra- et extrahépa- le VHC est plus rarement en cause et IgM anti-VHE.
tiques, caractéristiques d’un obstacle. Elle peut aussi, dans un cas • Il peut s’agir d’une hépatite médicamenteuse. La pro-
sur deux, visualiser le calcul au niveau de la voie biliaire principale. babilité est d’autant plus forte que le médicament a été
En son absence, la cholangio-imagerie par résonance magnétique introduit récemment. Il faut l’arrêter et constater que les
(IRM) ou l’échoendoscopie haute permettent de faire le diagnos- transaminases se normalisent rapidement.
tic. • Il peut s’agir d’une lithiase de la voie biliaire principale,
mais la symptomatologie clinique associée avec douleurs
Hépatite alcoolique aiguë de type biliaire et fièvre fait évoquer le diagnostic.
• Il peut s’agir d’une hépatite alcoolique aiguë, mais
Dans sa forme sévère, l’hépatite alcoolique aiguë survient le plus contrairement à ce que suggère cette dénomination,
souvent sur une cirrhose préexistante. Elle se caractérise par une l’élévation des transaminases est le plus souvent inférieure
encéphalopathie et/ou une cholestase ictérique (avec des taux de
à dix fois la limite supérieure de la normale.
bilirubine conjuguée souvent supérieurs à 100 ␮mol/l) avec chute
du taux de prothrombine et du facteur V. L’élévation des transami-
nases est rarement importante. L’échographie abdominale montre
l’absence de dilatation des voies biliaires intra- et extrahépatiques
et les signes évocateurs de maladie chronique du foie. L’hépatite
alcoolique aiguë nécessite l’hospitalisation en milieu spécialisé  Causes d’élévation chronique
pour la confirmation du diagnostic par une biopsie hépatique par
voie transjugulaire (en raison des troubles de la coagulation). (Tableau 2)

Définition
Toxique
On entend par élévation chronique des transaminases une
Deux situations doivent être présentes à l’esprit compte tenu augmentation habituellement modérée (inférieure à dix fois la
de leur gravité : les intoxications aiguës par le paracétamol et limite supérieure de la normale), retrouvée à plus de six mois
par l’amanite phalloïde. Leur présentation est celle d’une hépa- d’intervalle. Il s’agit de loin de la situation la plus fréquente. Les
tite subfulminante ou fulminante associant une encéphalopathie lésions hépatiques du syndrome métabolique (stéatose et hépa-
hépatique avec des signes biologiques d’insuffisance hépatique tite pseudoalcoolique), l’abus d’alcool et les hépatites chroniques
(chute entre facteur V et complexe prothrombinique en des- B et C en représentent les trois grandes causes. D’autres causes,
sous de 30 %). Elles réalisent une nécrose hépatique pouvant être plus rares, doivent être envisagées systématiquement dans un
mortelle, et nécessitent le transfert urgent en réanimation hépa- deuxième temps. Les différentes causes à rechercher en pratique
tologique. sont résumées sur la Figure 2.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1245  Élévation des transaminases en hépatologie

ALAT > la normale à trois


reprises

Interrogatoire (médicaments,
alcool, diabète)
Examen clinique

Sérologies virales

Négatives Positives

Biologie AgHBs Anti-VHC positif


Échographie hépatique

Hépatite Hépatite
Stéatose chronique B chronique C

Non alcoolique Alcoolique Spécialiste (PBH ou marqueurs non


Diabète GGT invasifs de fibrose, traitement)
Obésité VGM
Dyslipidémie TG

Spécialiste (surveillance, PBH)

Hémochromatose Hépatite
Maladie de
Fer sérique auto-immune
Wilson
Saturation Déficit en Anticorps
Cuprémie
transferrine α1-AT sérique antinucléaires,
Cuprurie
Ferritinémie anti-LKM1,
Céruloplasmine
Étude génomique antimuscles lisses

Spécialiste (PBH, traitement)

Figure 2. Arbre décisionnel. Conduite pratique à tenir devant une élévation chronique des transaminases. ALAT : Alanine-aminotransférase ; GGT : gamma-
glutamyltranspeptidase ; VGM : volume globulaire moyen ; TG : triglycérides ; VHC : virus de l’hépatite C ; PBH : ponction-biopsie hépatique ; ␣1-AT : ␣1-
antitrypsine ; LKM : anticorps antimicrosomes de foie et de rein.

Tableau 2. atteints d’un syndrome métabolique : diabète surtout ou insu-


Causes d’élévation chronique et modérée des transaminases. linorésistance [9] , obésité ou surpoids surtout de type androïde,
Causes fréquentes Stéatose ou hépatite pseudoalcoolique hypertriglycéridémie, diminution du HDL cholestérol, hyperten-
(syndrome métabolique) sion artérielle.
Abus d’alcool À l’échographie, le foie est brillant, hyperéchogène, évocateur
Hépatites chroniques virales B et C d’une stéatose. Biologiquement, le rapport ALAT/ASAT est supé-
Causes rares Hépatites auto-immunes rieur à 1, contrairement au cas de l’hépatite alcoolique. Il s’y
Causes génétiques Hémochromatose, maladie de Wilson, associe souvent une élévation de la GGT, moins élevée qu’au
déficit en alpha-1-antitrypsine cours de l’hépatite alcoolique et, dans la moitié des cas, une élé-
Maladies non hépatiques Maladies thyroïdiennes
vation des paramètres du fer, moins importante qu’au cours de
Maladie cœliaque l’hémochromatose (la ferritine est inférieure à 1000 μg/l et la satu-
Insuffisance surrénalienne ration de la transferrine est normale dans deux cas sur trois). Les
lésions hépatiques du syndrome métabolique regroupent la stéa-
tose isolée de pronostic bénin et l’hépatite pseudoalcoolique de
pronostic plus réservé, car pouvant évoluer vers la cirrhose et se
Lésions hépatiques du syndrome compliquer de carcinome hépatocellulaire. Les lésions ne peuvent
métabolique être distinguées histologiquement des atteintes hépatiques de
l’alcoolisme. Le diagnostic de certitude nécessite le recours à
C’est la cause la plus fréquente d’élévation modérée des trans- une biopsie hépatique, dont l’intérêt est surtout de distinguer la
aminases. Le diagnostic est le plus souvent aisé. Il s’agit de patients stéatose (vacuoles lipidiques, apparaissant optiquement vides en

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Élévation des transaminases en hépatologie  1-1245

microscopie optique, au sein du cytoplasme des hépatocytes) de anormale du fer au niveau du foie et de différents organes. Cette
l’hépatite pseudoalcoolique (fibrose, infiltrat inflammatoire, voire surcharge en fer peut entraîner un diabète, des arthropathies,
cirrhose). une pigmentation de la peau, un hypogonadisme, une insuffi-
La place des marqueurs non invasifs pour éviter la biopsie sance cardiaque et une cirrhose. Cette dernière peut se compliquer
est actuellement croissante. Il n’y a pas de corrélation entre la de carcinome hépatocellulaire. L’élévation des transaminases est
sévérité de l’hépatopathie et l’importance de l’élévation des trans- rarement révélatrice. Lorsqu’elle est présente, elle s’associe à une
aminases [10] . La présence d’une fibrose avancée est un facteur de élévation du coefficient de saturation de la sidérophiline (supé-
risque de cirrhose, mais est aussi un indicateur d’athérome caro- rieur à 50 %), test le plus spécifique et à une élévation du fer sérique
tidien, de maladie coronarienne et d’excès de morbidité et de et de la ferritinémie. La présence d’une mutation homozygote
mortalité cardiovasculaire [2] . du gène HFE1 permet d’affirmer le diagnostic. L’intérêt des mar-
Moins souvent, ces lésions sont en rapport avec une nutrition queurs non invasifs de fibrose (Fibroscan® ) ou de la biopsie n’est
parentérale totale, dénutrition quelle qu’en soit la cause, ou sont plus diagnostique mais d’évaluer les conséquences hépatiques de
d’origine médicamenteuse (amiodarone ou corticoïdes). l’hémochromatose et, en particulier, la présence d’une cirrhose.
La biopsie est à proposer en présence d’une hépatomégalie, d’une
élévation des transaminases et lorsque la ferritine est supérieure à
Alcool 1 000 ␮g/l. Le dépistage familial est recommandé.
L’interrogatoire met en évidence une surconsommation de bois-
sons alcoolisées. La consommation à risque chez les hommes Maladie de Wilson
est estimée à plus de 30 g/j et chez les femmes à plus de 20 g/j. C’est une affection rare du métabolisme du cuivre, à transmis-
L’élévation des transaminases est rarement importante, avec un sion autosomique récessive, qu’il faut évoquer chez un patient
rapport ASAT/ALAT supérieur à 1. La spécificité en faveur de jeune (moins de 40 ans). L’anomalie génétique, située sur le chro-
l’alcool est d’autant meilleure que le rapport est nettement supé- mosome 13, entraîne la production d’une protéine transporteuse
rieur à 1. Elle s’associe à une augmentation du volume globulaire du cuivre anormale, conduisant à l’accumulation de cuivre dans
moyen peu sensible, à une élévation de la GGT sensible mais le foie et d’autres organes, en particulier au niveau du cerveau
peu spécifique et, dans certains cas, à une hypertriglycéridémie et de la cornée (anneau de Kayser-Fleischer). L’association d’une
alcoolo-induite. Une bonne valeur diagnostique doit être accor- cuprurie élevée et d’une céruloplasmine basse est très évocatrice
dée à la diminution de ces anomalies biologiques lors du sevrage. du diagnostic. Il est alors nécessaire d’effectuer une biopsie hépa-
En cas de doute diagnostique, la transferrine désialylée a une tique pour confirmer le diagnostic et quantifier le cuivre hépatique
sensibilité et une spécificité meilleures que les précédents mar- et réaliser l’étude génétique familiale.
queurs. Cependant, son interprétation nécessite de connaître le
statut martial du patient (une carence entraîne une élévation Déficit en ␣1-antitrypsine
de la transferrine désialylée et inversement). Par ailleurs, la sen-
C’est une affection exceptionnelle se manifestant habituelle-
sibilité du test est diminuée en cas de cirrhose. Néanmoins, il
ment dans l’enfance. Cependant, il arrive que ce déficit soit
est parfois nécessaire de pratiquer une ponction-biopsie hépa-
découvert chez un adulte, devant l’association d’une cirrhose et
tique (PBH) pour faire le diagnostic précis du type d’hépatopathie.
d’une maladie pulmonaire. Le diagnostic repose sur une dimi-
L’élévation des transaminases correspond habituellement histo-
nution des taux sériques d’␣1-antitrypsine, avec un phénotype
logiquement à une stéatose ou à une hépatite alcoolique non
pathologique (ZZ). L’attention peut être attirée par une dimi-
sévère (absence d’encéphalopathie, absence d’ictère, taux de pro-
nution ou une absence de la bande ␣1 sur l’électrophorèse des
thrombine normal ou modérément diminué en cas de cirrhose
protides. La biopsie hépatique est indiquée pour mettre en évi-
constituée). Celle-ci doit se faire dans le cadre d’une prise en
dence la présence d’inclusions à l’acide périodique Schiff (PAS)
charge spécialisée.
positives intrahépatocytaires.

Virus Hépatite auto-immune


Même en l’absence de facteurs de risque à l’interrogatoire, il faut Elle touche le plus souvent des femmes. Des manifesta-
envisager systématiquement le diagnostic d’hépatite chronique tions auto-immunes extrahépatiques sont souvent présentes :
virale B ou C devant une élévation chronique des transaminases. thyroïdite, arthrite, rash cutané. Une hypergammaglobulinémie
On estime à 0,84 % le pourcentage de patients infectés par le VHC importante (pouvant excéder 30 g/l) est très évocatrice. Enfin,
en France. Le diagnostic est porté le plus souvent chez des patients l’activité sérique des transaminases peut être franchement élevée
asymptomatiques, devant une élévation modérée des transami- (supérieure à dix fois la limite de la normale), simulant une hépa-
nases (souvent inférieure à trois fois la limite supérieure de la tite aiguë. Le diagnostic est attesté par la présence d’auto-anticorps
normale) prédominant habituellement sur les ALAT. Le caractère sériques (anticorps antinucléaires, antimuscles lisses ou anticorps
fluctuant de l’activité sérique des transaminases, qui peut être antimicrosomes de foie et de rein [anti-LKM1]) à des taux signifi-
normale à certains moments de l’évolution, nécessitant la répéti- catifs. Néanmoins, la pratique d’une PBH est indispensable pour
tion des dosages, est particulièrement évocateur. En pratique, la évaluer le degré et la sévérité de l’atteinte inflammatoire hépatique
recherche d’anticorps sériques anti-VHC et de l’AgHBs permet de et l’existence d’une cirrhose (souvent déjà présente au moment du
porter le diagnostic. En cas de positivité d’un de ces marqueurs, diagnostic).
le patient doit être adressé au spécialiste afin de réaliser des mar-
queurs non invasifs de fibrose pour évaluer la fibrose et l’activité
de l’hépatite (il n’y a pas forcément de parallélisme avec l’activité Causes extrahépatiques et non liées
des transaminases) et poser l’indication d’un traitement antiviral. à une pathologie cardiaque ou musculaire
Quelques maladies extrahépatiques peuvent être à l’origine
Maladies génétiques d’une élévation des transaminases. L’hyper- ou l’hypothyroïdie
Trois maladies génétiques doivent être évoquées systématique- peut s’accompagner d’une élévation des transaminases. Lorsque
ment devant un sujet présentant une élévation des transaminases : le bilan étiologique est négatif, un dosage de la thyroid stimula-
l’hémochromatose, la maladie de Wilson et le déficit en ␣1- ting hormone (TSH) est recommandé. La maladie cœliaque doit
antitrypsine. être évoquée et la recherche d’anticorps anti-endomysium et anti-
corps antitransglutaminase doit être réalisée même en l’absence de
diarrhée chronique [11] . Les insuffisances surrénaliennes primitive
Hémochromatose (maladie d’Addison) ou secondaire (insuffisance hypophysaire)
Elle touche un sujet sur 300 environ. C’est une affection à trans- peuvent être associées à une augmentation de l’activité des trans-
mission autosomique récessive, qui conduit à une accumulation aminases et un test au Synacthène® prescrit.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1245  Élévation des transaminases en hépatologie

Une cause rare d’élévation persistante de l’ASAT est la macro- Tableau 3.


ASAT, complexe d’ASAT et d’Ig [12] . Conduite à tenir devant une élévation chronique des transaminases.
Dans un premier temps Dosage des CK et/ou aldolase : pour
exclure une cause musculaire si signes
d’appel

“ Point fort Mesure de l’indice de masse corporelle, du


périmètre abdominal, de la tension
artérielle, de la glycémie et des
triglycérides à jeun
• En cas d’élévation chronique des transaminases, la cyto- VGM, GGT, éventuellement transferrine
lyse est présente à plusieurs reprises pendant au moins désialylée
six mois, elle est souvent modérée (inférieure à dix fois AgHBs (si présent, faire charge virale B) et
la limite de la normale), voire très modérée. Les symp- anticorps anti-VHC (si présents faire
charge virale C).
tômes qui accompagnent cette élévation chronique des
Échographie du foie
transaminases sont absents ou peu spécifiques.
• L’élévation chronique peut être due à une hépatite chro- Dans un deuxième temps Saturation de la transferrine et ferritine
Électrophorèse des protides
nique virale C (anti-VHC et acide ribonucléique [ARN] du Anticorps antimuscles lisses, anti-LKM
VHC positifs) ou à une hépatite chronique B (AgHBs posi- (liver kidney microsomes), facteurs
tif). antinucléaires
• Elle peut être due aux atteintes hépatiques du syndrome Céruloplasmine, cuprurie, recherche
métabolique. C’est la cause la plus fréquente des élévations d’anneau de Kayser-Fleischer
Alpha-1-antitrypsine
chroniques des transaminases.
TSH
• Elle peut être due à une hépatopathie alcoolique et, dans
Anticorps anti-endomysium,
ce cas, le rapport ASAT/ALAT est souvent supérieur à 1. antitransglutaminase
• Plus rarement, il s’agit de maladies génétiques. Parmi Test au Synacthène®
elles, l’hémochromatose est la plus fréquente mais, au
CK : créatine kinase ; VGM : volume globulaire moyen ; GGT : gamma-
cours de l’hémochromatose, l’élévation des transaminases glutamyltranspeptidase ; AgHBs : antigène de surface de l’hépatite B ; TSH :
est rare. La maladie de Wilson peut se révéler par une thyroid stimulating hormone.
élévation des transaminases aiguë ou chronique.
• L’hépatite auto-immune peut se manifester par une élé-
vation des transaminases, qui peut être très importante,  Conclusion
simulant une hépatite aiguë, ou plus modérée et chro-
nique. Chez un patient asymptomatique qui présente une élévation
Dans les causes rares et extrahépatiques : les affections chronique des transaminases, le bilan étiologique initial, réalisé
par le médecin généraliste, doit s’attacher à la recherche d’un syn-
musculaires (dosage des CPK), la dysthyroïdie (dosage
drome métabolique, dont il faut décliner les items, qui n’est pas
de la TSH), l’insuffisance surrénale (test au Synacthène® ), toujours au complet et dont les éléments les plus importants sont
la maladie cœliaque (anticorps anti-endomysium et anti- l’obésité abdominale et le diabète ou l’insulinorésistance, à recher-
transglutaminase). cher un alcoolisme, les facteurs de risque de contamination virale
et la prise de médicaments hépatotoxiques. Un examen clinique
soigneux recherche des signes de maladie chronique du foie. Les
tests de biologie courants, couplés à une échographie, permettent
le diagnostic des causes virale, auto-immune, génétique et méta-
 Prise en charge spécialisée bolique. Si, au terme de ce bilan, le diagnostic étiologique n’est pas
évident, le patient doit être adressé à un spécialiste. Les indications
La plus grande partie du bilan étiologique d’une élévation de la biopsie hépatique sont posées au cas par cas.
des transaminases peut être réalisée par le médecin généraliste
(Tableau 3). Lorsque le diagnostic d’hépatite chronique virale B
ou C est posé, ou celui de maladie génétique ou auto-immune Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela-
suspecté, une prise en charge spécialisée est nécessaire. La biop- tion avec cet article.
sie du foie a vu ses indications beaucoup diminuer ces dernières
années. Son intérêt est double : diagnostique et pronostique. C’est
Remerciements : à Audrey Boutron-Corriat (praticien hospitalier en biologie à
surtout à visée diagnostique que les indications de la biopsie du
Bicêtre) pour la relecture de la mise au point.
foie ont été considérablement réduites. Elle peut être proposée
lorsqu’après un bilan étiologique exhaustif aucune cause n’a été
trouvée.
L’indication résulte d’une concertation entre le spécialiste, le  Références
généraliste et le patient et se discute au cas par cas. Elle peut
être modulée en fonction de l’âge du patient, de ses comorbi- [1] Prati D, Taioli E, Zanella A, Della Torre E, Butelli S, Del Vecchio E,
dités et, enfin, de l’importance et de la durée de l’élévation des et al. Updated definitions of healthy ranges for serum alanine amino-
transaminases. Lorsque l’on décide de surseoir à la biopsie, il est transferases levels. Ann Intern Med 2002;137:1–10.
raisonnable de suivre le patient régulièrement et de le réévaluer [2] Siddiqui MS, Sterling RK, Luketic VA, Puri P, Stravitz RT, Bou-
semestriellement. L’autre indication de la biopsie est d’évaluer la neva I, et al. Association between high-normal levels of alanine
gravité histologique de la maladie avant d’initier un traitement aminotransferase and risk factors for atherogenesis. Gastroenterology
spécifique. Jusqu’à récemment, la biopsie était l’étalon-or pour 2013;145:1271–9.
apprécier l’activité et surtout la fibrose. Depuis quelques années, [3] Ruhl CE, Everhardt JE. Upper limits of normal for alanine ami-
elle est souvent remplacée par les marqueurs non invasifs de notransferase activity in the United States population. Hepatology
fibrose, dont il existe deux catégories : scores de fibrose calculés à 2012;55:447–54.
partir d’algorithmes utilisant différents marqueurs sériques, parmi [4] Nathwani RA, Pais S, Reynolds TB, Kaplowitz N. Serum alanine ami-
lesquels le Fibrotest® et le Fibromètre® ont été les plus évalués, et notransferase in skeletal muscle diseases. Hepatology 2005;41:380–2.
des méthodes physiques permettant d’apprécier la dureté du foie, [5] Mallet V, Roque-Afonso AM. Hépatite E : l’émergence d’un virus
telle l’élastométrie impulsionnelle ou Fibroscan® . universel. Entretiens de Bichat. Paris, 27 septembre 2013.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Élévation des transaminases en hépatologie  1-1245

[6] Navarro VJ, Senior JR. Drug-related hepatotoxicity. N Engl J Med [10] Verma S, Jensen D, Hart J, Mohanty SR. Predictive value of ALT levels
2006;354:731–9. for non-alcoholic steatohepatitis (NASH) and advanced fibrosis in non-
[7] M’Kada H, Munteanu M, Perazzo H, Ngo Y, Ramanujam N, Imbert- alcoholic fatty liver disease (NALD). Liver Int 2013;33:1398–405.
Bismuth F, et al. What are the best reference values for a normal serum [11] Abdo A, Meddings J, Swain M. Liver abnormalities in celiac disease.
alanine transaminase activity (ALAT)? Impact of the presumed pre- Clin Gastroenterol Hepatol 2004;2:107–12.
valence of drug induced liver injury (DILI). Regul Toxicol Pharmacol [12] Condat B, Buffet C. Macroamylase et macroaspartate amino-
2011;60:290–5. transférase : caractéristiques biochimiques et signification clinique.
[8] Rautou PE, Cazals-Hatem D, Moreau R, Francoz C, Feldman G, Lebrec Hepato-Gastro 1999;6:443–8.
D, et al. Acute liver cell damage in patients with anorexia nervosa: a
possible role of starvation-induced hepatocyte autophagy. Gastroente-
rology 2008;135:840–8. Pour en savoir plus
[9] Fraser A, Ebrahim S, Smith GD, Lawlor DA. A comparison of associa- Pariente A. Cytolyse (augmentation des aminotransférases) chez l’adulte.
tions of alanine aminotransferase and gamma-glutamyltransferase with Hepato-Gastro Oncol Dig 2013;20:629–38.
fasting glucose, fasting insulin, and glycated hemoglobin in women Delasalle P. Conduite à tenir devant une élévation chronique des transami-
with and without diabetes. Hepatology 2007;46:158–65. nases. Post’U FMC-HGE 2013. p. 323–6.

C. Buffet, Professeur des Universités, praticien hospitalier (buffetca@gmail.com).


Service des maladies du foie et de l’appareil digestif, Centre hospitalo-universitaire Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le Kremlin-Bicêtre, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Buffet C. Élévation des transaminases en hépatologie. EMC - Traité de Médecine Akos 2014;9(3):1-7
[Article 1-1245].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 7


 1-1260

Explorations biologiques de la pancréatite


aiguë
P. Lévy

Le seul dosage utile est celui de la lipasémie, qui n’est pas plus coûteux que celui de l’amylasémie.
Il est le plus sensible et surtout le plus spécifique. Ce dosage ne doit être fait qu’en cas de suspicion
clinique de pancréatite aiguë. La lipasémie ne doit pas être dosée dans le cadre d’un check-up, de
dépistage de pancréatite ou de cancer du pancréas, ni pour évaluer la gravité d’une pancréatite. La
lipasémie doit donc être dosée une fois, le plus souvent aux urgences d’un hôpital. Le bilan biologique
initial doit comporter le dosage de la gamma-glutamyltransférase, éventuellement de l’alcoolémie, des
transaminases (dont l’élévation précoce, transitoire, parfois importante, est un fort argument en faveur
d’une migration lithiasique), de la triglycéridémie.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Lipase ; Amylase ; Pancréatite aiguë

Plan à l’échelon national augmentent sensiblement les dépenses de


santé sans aucun retentissement sur la qualité de la prise en
■ Introduction 1 charge.
Devant une suspicion de pancréatite aiguë, seul le dosage de la
■ Rappels physiopathologiques 1 lipasémie devrait être fait.
Amylase 1
Lipase 3
■ Situation particulière : élévation chronique non pathologique
des enzymes pancréatiques 3
 Rappels physiopathologiques
■ Faut-il encore doser... 3 En cas de pancréatite aiguë, de nombreuses enzymes acinaires
... l’amylasémie ? Non ! 3 sont larguées dans le sérum. Les deux plus connues sont l’amylase
... les isoenzymes de l’amylase ? Non ! 3 et la lipase, et leur concentration élevée est un des critères diagnos-
... la macroamylase ? Non ! 4 tiques utilisés. Le seuil de trois fois la normale est retenu dans tous
... la lipasémie ? Oui ! 4 les consensus comme étant significatif. Toute élévation inférieure
■ Faut-il aussi doser la lipasémie... 4
à ce seuil doit être considérée comme non signifiante.
... à plusieurs reprises au cours d’une pancréatite aiguë
La majorité (80 %) des pancréatites aiguës sont bénignes, œdé-
ou pour en évaluer la gravité ? Non ! 4
mateuses, et seules 20 % sont nécrosantes, mettant en jeu le
... au cours de la pancréatite chronique ? Non ! 4
pronostic vital (Fig. 1).
... en cas de suspicion de cancer pancréatique ? Non ! 4
■ Conduite à tenir devant la découverte fortuite d’une élévation Amylase
de la lipasémie 4
L’amylasémie s’élève dans les heures suivant le début des symp-
■ Éléments biologiques utiles au diagnostic étiologique 4 tômes et se normalise rapidement en moins de cinq jours. Des taux
normaux d’amylase peuvent être notés à l’admission jusque dans
19 % des cas [1, 2] , en particulier en cas de pancréatite alcoolique,
les malades retardant souvent leur nième admission.
L’amylase a un poids moléculaire de 50 000 Da. Elle hydrolyse
 Introduction les liaisons internes alpha-1,4 des sucres, résultant en la produc-
tion de maltose et d’oligosaccharides. L’amylasémie est le reflet de
Le dosage des enzymes pancréatiques fait l’objet d’une sur- la balance entre la production d’amylase par tous les organes qui
consommation inadaptée, génératrice de nombreux examens en contiennent, et son catabolisme ou son épuration du plasma.
supplémentaires et d’angoisse inutile. Ces dosages sont peu chers L’amylase pancréatique peut gagner le plasma via trois voies
à titre individuel, mais leur répétition et leur multiplication théoriques :

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 10 > n◦ 3 > juillet 2015
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(15)66062-8
1-1260  Explorations biologiques de la pancréatite aiguë

l’intestin grêle, mais il semble que celle-ci est en fait adhérente à la


muqueuse digestive. L’élévation de l’amylasémie comme on peut
l’observer au cours de l’infarctus mésentérique ou d’une occlusion
du grêle est due à une augmentation de la perméabilité intestinale
et à un passage de l’amylase luminale vers le plasma.
La distinction des contributions relatives du pancréas et des
glandes salivaires est possible grâce aux propriétés physicochi-
miques de ces différentes enzymes en fonction de leur origine,
en particulier leur migration sur des colonnes isoélectriques.
Leur poids moléculaire (environ 55 000 Da) et leur composi-
tion en acides aminés (> 92 % d’homologie) sont grossièrement
identiques. Les différences proviennent de modifications post-
transcriptionnelles portant sur la déamidation et la glycosylation.
L’amylase pancréatique a une clairance rénale supérieure à celle
de l’amylase d’origine salivaire. L’amylase ayant un point iso-
électrique à 7,0 est spécifique du pancréas. On considère ainsi
qu’à l’état normal l’amylase pancréatique représente 30 à 50 %
de l’amylase sanguine. Ceci est bien sûr radicalement différent en
cas de pancréatite aiguë.

Variations physiologiques de l’amylasémie


L’amylasémie est faible chez les enfants et atteint son taux
« adulte » à l’âge de 10 ans, taux qui reste constant jusqu’à au
Figure 1. Scanner injecté montrant une pancréatite nécrosante gravis- moins l’âge de 80 ans où, pour une raison mal connue, il s’élèverait
sime. de 40 %. Il n’y a pas de différence du taux normal entre les sexes.
Le taux des enzymes pancréatiques n’est pas modifié en postpran-
dial. Il a été suggéré que le taux basal de l’amylasémie était deux
• par le biais des acini ou des ductules directement dans les vais- fois plus élevé chez les fumeurs que chez les non-fumeurs. Ceci
seaux perfusant le pancréas ; n’a jamais été confirmé et il est possible qu’une grande part de
• par la circulation lymphatique ; cette élévation soit en fait d’origine salivaire.
• à partir de la lumière intestinale dans les vaisseaux perfusant
la muqueuse. La constatation d’un taux d’amylasémie très dif- Maladies ou circonstances associées
férent (20–40 %) entre l’affluent artériel et l’effluent veineux
à une élévation du taux plasmatique des enzymes
pancréatiques est en faveur d’un passage direct dans les vais-
seaux sanguins péripancréatiques. pancréatiques
Chez les malades n’ayant pas de pancréatite aiguë, la concentra- Il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles le taux
tion de l’amylase dans le canal thoracique est à peine supérieure d’enzymes pancréatiques dépasse la valeur supérieure de la nor-
à celle du plasma, rendant l’hypothèse d’un passage lymphatique male. La situation la plus banale est représentée par les heures
peu probable chez le sujet sain. Plusieurs travaux utilisant de qui suivent un cathétérisme rétrograde endoscopique des voies
l’amylase marquée à l’iode radioactif ont montré que la réabsorp- biliaires et pancréatiques. En l’absence de tout signe de pancréa-
tion intestinale de celle-ci était très faible chez l’homme sain. La tite, les enzymes pancréatiques sont élevées dans plus de 75 % des
première hypothèse semble donc la plus vraisemblable, du moins cas. Ce chiffre montre combien il est inutile de doser ces enzymes
en dehors d’une poussée de pancréatite aiguë. dans cette situation, y compris chez les malades algiques en rai-
Dans un modèle de pancréatite expérimentale chez le chien, il son de leur absence d’intérêt diagnostique. En cas de doute sur une
apparaît que la voie sanguine directe est prédominante au stade pancréatite iatrogène ou une perforation rétropéritonéale, seule la
initial de la poussée, mais qu’une voie lymphatique et péritonéale scanographie permet de trancher.
se met en place dans les jours suivants. Une migration lithiasique est souvent accompagnée d’une élé-
La demi-vie plasmatique de l’amylase est brève (une à deux vation des enzymes pancréatiques, diminuant rapidement dans
heures chez le babouin, et une heure et demi chez le lapin). De les 48 heures suivantes, sans qu’aucune lésion du pancréas ne
ce fait, le débit de production doit être élevé pour que le taux soit visible, ni en scanographie, ni en peropératoire. Ceci peut
sérique se maintienne. Compte tenu du volume de distribution être dénommé « pancréatite biologique » ou « réaction pancréa-
plasmatique, de sa demi-vie et de son taux normal, on peut calcu- tique », deux termes tout aussi inappropriés dont le substratum
ler que la production d’amylase chez l’homme doit être de l’ordre anatomique ne correspond à rien.
de 100 U/h. En cas de perforation abdominale, d’occlusion ou d’infarctus
La clairance de l’amylase plasmatique est assurée par plusieurs mésentérique, on peut noter une élévation généralement modérée
voies. Environ un tiers est excrétée dans les urines sous forme (< 3 N) des enzymes pancréatiques plasmatiques due à une absorp-
intacte, ce qui constitue le fondement du dosage de l’amylasurie. tion des enzymes à travers la paroi digestive dont la perméabilité
Une partie est catabolisée directement par le rein dans les tubules. a augmenté. Cette élévation est le fait de l’amylase pancréatique.
Au total, le rein serait responsable de la moitié de la clairance Toutes les affections des glandes salivaires peuvent
plasmatique de l’amylase. Les autres voies cataboliques ne sont pas s’accompagner d’une élévation de l’amylasémie. Il s’agit alors de
connues, mais le système réticuloendothélial serait impliqué. Il ne l’amylase salivaire. Ceci peut se rencontrer en cas d’infection our-
semble pas que le foie soit impliqué comme cela a été démontré lienne, de tumeur, de traumatisme, d’irradiation ou d’obstruction
chez le lapin hépatectomisé. des canaux excréteurs des glandes salivaires.
Chez 10 % des malades alcooliques chroniques, on note une
élévation de l’amylasémie d’origine salivaire qui est la consé-
Organes contenant de l’amylase quence de lésions modérées des glandes salivaires provoquées par
De nombreux organes ou sécrétions contiennent de l’amylase la prise de quantités importantes d’alcool (souvent associée au
dont l’activité est dosée par les kits commerciaux. L’activité amy- tabagisme). L’amylasémie dépasse rarement trois fois la normale.
lasique dans les tissus est très variée. Les concentrations trouvées Dans ce contexte, la prescription inappropriée de ce dosage peut
dans le pancréas ou les glandes salivaires sont plusieurs dizaines conduire à des erreurs diagnostiques.
de fois supérieures à celles des autres organes. De fait, l’amylase En cas d’acidose métabolique, des taux parfois très éle-
plasmatique est presque exclusivement originaire de ces deux vés d’amylasémie ont été rapportés. En cas d’acidose lactique,
organes. Des quantités élevées d’amylase ont été décrites dans l’hyperamylasémie est le plus souvent d’origine salivaire. Dans

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Explorations biologiques de la pancréatite aiguë  1-1260

les acidocétoses, une élévation de l’amylasémie salivaire, pancréa- Lipase


tique ou des deux a été décrite. Cependant, de véritables cas de
pancréatite aiguë qui semblent être la conséquence plutôt que la La lipasémie est plus spécifique que l’amylasémie. Elle peut
cause de l’acidocétose ont été publiés. Ces pancréatites peuvent cependant s’élever en cas d’insuffisance rénale [3] . Des cas de
être sévères. Il faut donc être prudent avant de n’attribuer qu’à la macrolipasémie ont été décrits dans de nombreuses circonstances,
cétose l’origine de douleurs abdominales et réaliser une scanogra- notamment la maladie cœliaque [4] . Le taux de lipasémie peut res-
phie en cas de doute. ter plus longtemps élevé que celui de l’amylasémie [5] .
Certaines affections gynécologiques ont été associées à une élé-
vation de l’amylasémie, habituellement de type salivaire. Il s’agit
de grossesses extra-utérines rompues, de salpingites ou de kystes
ovariens.
Chez les malades ayant un adénocarcinome pancréatique, on
“ Point fort
peut noter une élévation des enzymes pancréatiques, peut-être
due à une pancréatite en amont de l’obstacle tumoral. Il n’en reste La lipasémie est le seul examen utile. Elle ne doit être
pas moins que le dosage des enzymes pancréatiques ne consti- dosée qu’une seule fois, en urgence, devant des douleurs
tue un examen ni de dépistage, ni de diagnostic positif, ni de typiques, mais jamais chez un malade asymptomatique ou
surveillance de ce type de maladie. ayant des douleurs atypiques.
Il faut noter le cas particulier des exceptionnelles tumeurs du
pancréas à cellules acinaires qui sécrètent habituellement de très
grandes quantités d’enzymes pancréatiques et qui peuvent se révé-
ler par un syndrome de Weber-Christian sévère et un taux de
lipasémie à plusieurs centaines de fois au-dessus de la limite supé-
rieure de la normale.
 Situation particulière :
Certaines tumeurs non pancréatiques sont susceptibles de élévation chronique
contenir de fortes concentrations d’amylase. Il s’agit des tumeurs
pulmonaires, ovariennes, coliques, des phéochromocytomes, des non pathologique des enzymes
thymomes et des myélomes. Dans la plupart des cas, il s’agit d’une
amylase de type salivaire et les études histochimiques ont montré
pancréatiques
que ces tumeurs étaient particulièrement riches en amylase. Cette situation a été appelée « syndrome de Gullo » en raison
En situation postopératoire et quelle que soit l’intervention, du nombre incroyable d’articles publiés par son principal auteur
une hyperamylasémie a été notée dans 10 à 30 % des cas et ceci sur cette situation sans aucun intérêt clinique [6–17] .
a entraîné des diagnostics abusifs de pancréatite aiguë. Cepen- Ces articles semblent malheureusement légitimer le dosage
dant, dans la moitié des cas, elle est de type salivaire. Il est des enzymes pancréatiques dans une population de malades
vraisemblable que ceci est dû à des lésions des glandes salivaires
asymptomatiques. À partir d’une série de 18 malades ayant une
lors de l’intubation trachéale et à la stagnation salivaire pendant
élévation chronique de l’amylase (1,4–4,1 fois la normale), de la
l’intervention.
lipase (1,5–7,7) et de la trypsine sérique (1,6–13,9) et après un
L’insuffisance rénale est associée à une élévation des enzymes
suivi moyen de 8 ans (5–17 ans), les taux d’enzymes sériques res-
pancréatiques qui ne dépassent habituellement pas trois fois la
taient élevés de façon fluctuante et aucune affection pancréatique
normale. Dans un travail portant sur 47 malades hémodyalisés,
n’émergeait. L’électrophorèse de l’amylase montrait que celle-ci
une hyperamylasémie et une hyperlipasémie étaient trouvées
était d’origine pancréatique (critère d’inclusion). Aucune explica-
chez respectivement 68 et 62 % des patients, avec une corréla-
tion claire de cette élévation n’était trouvée, mais trois membres
tion entre le pourcentage de résultats anormaux et la sévérité de
de la même famille avaient cette « anomalie », suggérant un méca-
l’insuffisance rénale. Les maximums atteints pour l’amylasémie
nisme génétique.
et la lipasémie étaient respectivement six et cinq fois la limite
Il n’y a aucune indication dans cette situation à chercher
supérieure de la normale. Bien que le poids moléculaire de ces
des anomalies génétiques (CFTR, SPINK1, trypsinogène catio-
enzymes interdise qu’elles aient une clairance dialytique, les taux
nique) [10, 15] , ni à faire des examens d’imagerie coûteux et
plasmatiques de l’amylase et de la lipase diminuent après dialyse
anxiogènes [7] .
dans respectivement 23 et 56 % des cas. Le mécanisme de cette
Faute de mieux, ces travaux permettent de donner une explica-
diminution est inconnu. L’insuffisance rénale terminale est asso-
tion « fondée sur les preuves » aux malades et aux correspondants
ciée à un risque accru de véritables pancréatites parfois sévères.
inquiets.
Celles-ci seraient plus fréquentes en cas de dialyse péritonéale que
Après ce bref rappel, quelques questions peuvent avoir des
d’hémodialyse.
réponses simples.
La macroamylasémie résulte d’une liaison entre l’amylase
sérique et des protéines sériques sous la forme d’un complexe
de trop grand poids moléculaire pour être filtré par les glomé-
rules rénaux. La taille des complexes protéiques va de 200 000  Faut-il encore doser...
à 2 000 000 Da. La nature de la protéine liée à l’amylase est
variée : il peut s’agir ou non d’immunoglobulines. L’amplitude ... l’amylasémie ? Non !
de l’hyperamylasémie dépend du pourcentage de celle-ci qui est
Les conclusions du jury de la conférence de consensus française
lié à la protéine. Les valeurs sériques sont oscillantes entre une
sur la pancréatite aiguë ont clairement énoncé que, pour le diag-
et 20 fois la normale alors que la lipasémie et l’amylasurie sont
nostic de la pancréatite aiguë, le dosage de la lipasémie seule était
normales. En pratique, la recherche d’une macroamylasémie ne
supérieur en termes de sensibilité et de spécificité au dosage de
devrait plus avoir à être faite depuis la généralisation des dosages
l’amylasémie, de l’amylasurie ou de toute combinaison de ces trois
de lipasémie, bien que de rares cas de macrolipasémie aient été
dosages [18] . La sensibilité et la spécificité de la lipasémie sont res-
décrits, parfois de façon simultanée à une macroamylasémie.
pectivement de 82 à 100 % et 82 à 99 % [19] . Dans ces conditions, le
dosage de l’amylasémie devrait disparaître de la liste des dosages
possibles.

“ Point important ... les isoenzymes de l’amylase ? Non !


Cette situation ne devrait plus être rencontrée dès lors que l’on
Le dosage de l’amylasémie doit être abandonné. ne demande plus les dosages d’enzymes pancréatiques en dehors
du contexte d’une douleur abdominale aiguë. Si l’anamnèse et la

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1260  Explorations biologiques de la pancréatite aiguë

biologie simple ne permettent pas de débrouiller une situation cli-


nique, il est bien démontré que la réalisation d’une scanographie  Éléments biologiques utiles
en urgence (éventuellement sans injection de produit de contraste au diagnostic étiologique
en cas de doute sur la fonction rénale) est l’examen le plus ren-
table en termes d’efficacité, de rapidité et de coût à l’exclusion de La recherche d’une cause commence aux urgences par les pre-
tout autre examen radiologique (radiographie sans préparation de miers prélèvements biologiques.
l’abdomen ou échographie) [20, 21] . Les deux principales causes de pancréatite aiguë sont
l’alcoolisme chronique (40 %) et la migration d’un calcul biliaire
(40 %). La troisième cause à chercher est tumorale, surtout après
... la macroamylase ? Non ! l’âge de 50 ans ; son diagnostic repose surtout sur l’analyse fine de
la sémiologie radiologique.
Ici encore, cette question ne devrait plus être posée. Si mal- L’hypercalcémie (> 3 mmol/l) et l’hypertriglycéridémie
gré tout on se la pose, la constatation d’une lipasémie normale (> 10 mmol/l), dont l’élévation peut être très fugace, sont
et/ou d’une amylasurie normale suffit à faire porter le diagnostic parmi les causes rares qui doivent être cherchées dès l’admission.
de macroamylasémie. Le bilan biologique initial doit donc comporter le dosage
de la gamma-glutamyltranférase (GGT), éventuellement de
l’alcoolémie, des transaminases (dont l’élévation précoce, tran-
... la lipasémie ? Oui ! sitoire, parfois importante, est un fort argument en faveur d’une
migration lithiasique), la triglycéridémie.
La réponse est ici clairement « oui » à condition de réserver ce Les autres dosages peuvent attendre.
dosage au diagnostic positif de pancréatite aiguë. Autrement dit,
ce dosage ne devrait être fait qu’une seule fois, au moment d’une
douleur aiguë, pour affirmer le diagnostic de pancréatite aiguë.

“ Points essentiels
 Faut-il aussi doser • Le seul dosage utile est celui de la lipasémie qui n’est
la lipasémie... pas plus coûteux que celui de l’amylasémie.
• Il est le plus sensible et surtout le plus spécifique.
... à plusieurs reprises au cours • Ce dosage ne doit être fait qu’en cas de suspicion cli-
d’une pancréatite aiguë ou pour en évaluer nique de pancréatite aiguë.
• La lipasémie ne doit pas être dosée dans le cadre d’un
la gravité ? Non !
check-up, de dépistage de pancréatite ou de cancer du
La lipasémie n’a aucun intérêt comme élément de surveillance pancréas, ni pour évaluer la gravité d’une pancréatite.
ou d’appréciation de la gravité d’une pancréatite aiguë. Elle n’est • La lipasémie doit donc être dosée une fois, le plus sou-
sortie comme facteur indépendant de la gravité de la pancréatite vent aux urgences d’un hôpital.
aiguë dans aucune étude. • Le bilan biologique initial doit comporter le dosage de la
GGT, éventuellement de l’alcoolémie, des transaminases,
de la triglycéridémie.
... au cours de la pancréatite chronique ?
Non !
Le dosage de la lipasémie au cours du suivi d’une pancréatite
chronique (en dehors d’une période d’acutisation) n’a aucun inté- Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela-
rêt. tion avec cet article.

... en cas de suspicion de cancer  Références


pancréatique ? Non !
[1] Clavien PA, Robert J, Meyer P, Borst F, Hauser H, Herrmann F, et al.
Le dosage de la lipasémie a encore moins d’intérêt (si cela est Acute pancreatitis and normoamylasemia. Not an uncommon combi-
possible) pour le dépistage ou le diagnostic positif de tumeur du nation. Ann Surg 1989;210:614–20.
pancréas en dehors de l’exceptionnel carcinome à cellules aci- [2] Winslet M, Hall C, London NJ, Neoptolemos JP. Relation of diagnostic
naires. serum amylase levels to aetiology and severity of acute pancreatitis.
Gut 1992;33:982–6.
[3] Masoero G, Bruno M, Gallo L, Colaferro S, Cosseddu D, Vacha
GM. Increased serum pancreatic enzymes in uremia: relation with
 Conduite à tenir devant treatment modality and pancreatic involvement. Pancreas 1996;13:
350–5.
la découverte fortuite [4] Garcia-Gonzalez M, Defarges-Pons V, Monescillo A, Hernandez F,
d’une élévation de la lipasémie Cano-Ruiz A. Macrolipasemia and celiac disease. Am J Gastroenterol
1995;90:2233–4.
[5] Sternby B, O’Brien JF, Zinsmeister AR, DiMagno EP. What is the best
Si cette situation est malgré tout créée (!), la seule précau-
biochemical test to diagnose acute pancreatitis? A prospective clinical
tion à prendre est de vérifier l’absence de tumeur pancréatique
study. Mayo Clin Proc 1996;71:1138–44.
à cellules acinaires. Il s’agit habituellement de tumeur volumi-
[6] Migliori M, Galassi E, Gullo L. Search for celiac disease in
neuse et une simple échographie suffit. En dehors de ce contexte subjects with asymptomatic pancreatic hyperenzymemia. Pancreas
ou d’autres circonstances habituellement évidentes comme une 2011;40:979–81.
insuffisance rénale, il s’agit probablement d’une élévation chro- [7] Gullo L, Lucrezio L, Calculli L, Salizzoni E, Coe M, Migliori
nique non pathologique des enzymes qui ne mérite ni inquiétude, M, et al. Magnetic resonance cholangiopancreatography in
ni surveillance, ni imagerie itérative ou invasive, et encore moins asymptomatic pancreatic hyperenzymemia. Pancreas 2009;38:
une consultation spécialisée. 396–400.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Explorations biologiques de la pancréatite aiguë  1-1260

[8] Gullo L, Lucrezio L, Bassi M, Nestico V, Migliori M. Benign pan- [15] Gullo L, Mantovani V, Manca M, Migliori M, Bastagli L, Pezzilli R.
creatic hyperenzynemia or Gullo’s syndrome. Recenti Prog Med Mutations of the CFTR gene in idiopathic pancreatic hyperenzymemia.
2008;99:367–71. Pancreas 2005;31:350–2.
[9] Gullo L, Lucrezio L, Migliori M, Bassi M, Nestico V, Costa PL. [16] Gullo L, Migliori M, Tomassetti P, Steinberg W. Pancreatic hyperen-
Benign pancreatic hyperenzymemia or Gullo’s syndrome. Adv Med zymaemia and hypertransaminasaemia in healthy subjects. Report of
Sci 2008;53:1–5. three cases. Dig Liver Dis 2003;35:58–60.
[10] Gullo L, Laghi L, Migliori M, Lucrezio L, Bianchi P, Randolph AE, [17] Gullo L. Familial pancreatic hyperenzymemia. Pancreas
et al. SPINK1 and PRSS1 mutations in benign pancreatic hyperenzy- 2000;20:158–60.
memia. Pancreas 2008;37:31–5. [18] Conférence de consensus : pancréatite aiguë. Gastroenterol Clin Biol
[11] Gullo L, Migliori M, Fusaroli P, Caletti G. Familial association 2001;25:177–92.
of benign pancreatic hyperenzymaemia and pancreatic cancer. Gut [19] Moreau J. Quel est le « gold standard » pour le diagnostic? Gastroen-
2007;56:1323–4. terol Clin Biol 2001;25(Suppl. 1), 1S7–11.
[12] Gullo L. Benign pancreatic hyperenzymemia. Dig Liver Dis [20] Basak S, Nazarian LN, Wechsler RJ, Parker L, Williams BD, Lev-
2007;39:698–702. Toaff AS, et al. Is unenhanced CT sufficient for evaluation of acute
[13] Gullo L. Day-to-day variations of serum pancreatic enzymes in benign abdominal pain? Clin Imaging 2002;26:405–7.
pancreatic hyperenzymemia. Clin Gastroenterol Hepatol 2007;5:70–4. [21] Ahn SH, Mayo-Smith WW, Murphy BL, Reinert SE, Cronan JJ. Acute
[14] Gullo L, Migliori M. Benign pancreatic hyperenzymemia in children. nontraumatic abdominal pain in adult patients: abdominal radiography
Eur J Pediatr 2007;166:125–9. compared with CT evaluation. Radiology 2002;225:159–64.

P. Lévy (philippe.levy@bjn.aphp.fr).
Pôle des maladies de l’appareil digestif, Service de gastroentérologie-pancréatologie, Hôpital Beaujon, AP–HP, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92118
Clichy cedex, France.
DHU UNITY, Université Paris-Diderot-Paris 7, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lévy P. Explorations biologiques de la pancréatite aiguë. EMC - Traité de Médecine Akos 2015;10(3):1-5
[Article 1-1260].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 5


 1-1265

Augmentation isolée de l’activité sérique


de la gammaglutamyl-transpeptidase
C. Buffet

Une augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase (␥-GT) est un motif


fréquent de consultation. L’interprétation de celle-ci n’est pas toujours aisée dans la mesure où cette ano-
malie est non spécifique. Cette situation engendre fréquemment des investigations coûteuses et parfois
invasives et d’une mauvaise rentabilité diagnostique. Cette mise au point a pour but de préciser la conduite
à tenir en cas d’élévation isolée de l’activité sérique de la ␥-GT, c’est-à-dire en l’absence d’anomalie des
autres tests biologiques hépatiques, notamment de l’activité sérique des aminotransférases et des phos-
phatases alcalines. Après un bref rappel sur les caractéristiques structurales et fonctionnelles de la ␥-GT,
les causes de variations physiologique et pathologique de l’activité sérique de cette enzyme, ainsi que
l’attitude pratique à adopter sont envisagées.
© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Gammaglutamyl-transpeptidase ; Éthanol ; Syndrome métabolique ; Obésité ; Atteintes hépatiques

Plan consommateurs d’alcool, l’élévation de la ␥-GT est l’anomalie


biologique la plus fréquente, bien que non spécifique. En cas
■ Introduction 1 d’abstinence, elle décroît de manière exponentielle. Le syndrome
métabolique qui peut être ou non complet (obésité abdominale,
■ Généralités concernant la gammaglutamyl-transpeptidase 1 diabète ou insulinorésistance, hypertension artérielle, diminution
■ Variations physiologiques de l’activité sérique de la du high density lipoprotein [HDL] cholestérol, hypertriglycéridé-
gammaglutamyl-transpeptidase 2 mie) est la deuxième grande cause d’élévation de la ␥-GT. Dans
■ Causes d’augmentation isolée de l’activité sérique de la les maladies hépatiques, le pronostic est lié à l’importance de la
gammaglutamyl-transpeptidase 2 fibrose. Étant donné l’absence de parallélisme entre l’élévation des
Alcoolisme chronique 2 enzymes et l’atteinte histologique du foie, l’importance de leur
Hépatopathie non alcoolique et pathologie des voies biliaires 2 élévation ne permet pas de préjuger de l’importance de la fibrose.
Pathologies nutritionnelles 3 Celle-ci est appréciée par la biopsie du foie de moins en moins
Pathologies extrahépatiques 3 utilisée et les marqueurs non invasifs de fibrose.
Médicaments et toxiques 3
■ Élévation de la gammaglutamyl-transpeptidase en tant que
facteur pronostique 4  Généralités concernant
■ Conduite à tenir devant une élévation isolée de la la gammaglutamyl-transpeptidase
gammaglutamyl-transpeptidase 4
La ␥-GT est une enzyme glycoprotéique hétérodimérique dis-
tribuée dans de nombreux tissus et de nombreuses cellules,
l’épididyme, les fibroblastes, les lymphocytes, le poumon, le pan-
 Introduction créas et particulièrement le rein où son activité est maximale [2] .
Bien que l’activité de la ␥-GT hépatique soit beaucoup plus faible,
La gammaglutamyl-transpeptidase (␥-GT) est dosée avec des c’est le foie qui contient la plus grande quantité de ␥-GT de
indications très larges depuis la publication princeps de Rosalki [1] . l’organisme, et l’origine de la ␥-GT sérique est de ce fait majo-
Les taux sériques de ␥-GT augmentent dans presque toutes les ritairement hépatique. Le rôle physiologique de la ␥-GT demeure
maladies hépatobiliaires ; il s’agit d’un indicateur très sensible, imparfaitement connu. Elle joue un rôle pivot dans le cycle de
mais peu spécifique. L’augmentation isolée de la ␥-GT signifie la glutathionylation puisqu’elle catalyse l’hydrolyse du glutha-
donc que les autres enzymes hépatiques, les transaminases et tion extracellulaire en glutamate et cysteinylglycine. Présente à la
les phosphatases alcalines, sont normales. Les deux causes les surface cellulaire, elle peut soustraire le gluthation de son environ-
plus fréquentes d’élévation isolée de la ␥-GT sont la consomma- nement et modifier la balance redox glutathion réduit/glutathion
tion chronique d’alcool et le syndrome métabolique. Chez les oxydé (GSH/GSSG). Le rôle de la ␥-GT dans la formation des

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 9 > n◦ 3 > juillet 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(14)66060-9
1-1265  Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

reactive oxygen species (ROS) a été suggéré en lien avec le maintien Tableau 1.
ou l’augmentation des taux de GSH pour maintenir les défenses Devant une élévation de la ␥-GT, orientation en faveur de l’alcoolisme
antioxydantes, permettant le transport du gluthation extracellu- chronique. Comparaison avec le syndrome métabolique.
laire dans les cellules. La ␥-GT joue également un rôle important En faveur de l’alcool Commentaires
dans le métabolisme de certaines molécules endogènes et exo-
gènes comme les xénobiotiques et les carcinogènes. À côté de son ␥-GT : élevée Spécificité faible (75 %)
activité antioxydante, la ␥-GT peut également avoir une activité Taux en moyenne plus élevé que
dans le syndrome métabolique
inflammatoire et proathérogène. Elle est présente dans les plaques
d’athérome des artères coronaires et cérébrales. Après arrêt de l’alcool : Spécificité élevée en faveur de
Quatre fractions distinctes de la ␥-GT ayant des propriétés phy- - diminution de plus de 50 % de son l’alcool
sicobiochimiques différentes ont été identifiées ; il s’agit de trois taux à 15 jours
complexes moléculaires b, m et s respectivement de poids molécu- - normalisation de son taux à 2 mois
laire supérieur à 2000, 940 et 140 kDa et d’une fraction libre f-␥-GT, Volume globulaire moyen Sensibilité faible (52 %)
qui est la fraction majeure chez les sujets sains [3] . La consom- augmenté Spécificité de 85 % (VGM
mation d’alcool s’accompagne d’une élévation prédominante des pouvant être augmenté dans les
fractions m et s, l’hépatite chronique C de la fraction s suggérant maladies hématologiques,
que celle-ci pourrait être un marqueur d’atteinte hépatocellulaire carence en vitamine B12 et
folates, grossesse)
et la stéatose métabolique de la fraction b [4] . La détermination de
Spécificité élevée dans le
ces fractions par chromatographie n’est pas de pratique courante.
diagnostic différentiel avec le
L’expression de l’enzyme est inductible par certains agents
syndrome métabolique
comme l’éthanol ou les stéroïdes, responsables d’une augmen-
tation modérée de l’activité sérique de la ␥-GT de deux à cinq Transferrine déficiente en Sensibilité 69 % pour une
carbohydrate : valeur augmentée consommation d’alcool > 50 g/j
fois la limite supérieure de la normale (N). La demi-vie de la ␥-GT
Spécificité élevée (92 %)
étant comprise entre 14 et 26 jours, son activité sérique redevient
Coût élevé
normale en quatre à huit semaines après arrêt de l’agent inducteur.
Triglycérides : valeur augmentée Sensibilité faible
Spécificité faible

 Variations physiologiques Après arrêt de l’alcool,


normalisation rapide du taux de
Spécificité élevée

de l’activité sérique triglycérides

de la gammaglutamyl- ␥-GT : gammaglutamyl-transpeptidase ; VGM : volume globulaire moyen.

transpeptidase
une augmentation du volume globulaire moyen, une hypertrigly-
L’activité sérique de la ␥-GT est comprise entre 10 et 40 UI/l chez céridémie et une augmentation de la transferrine déficiente en
95 % des adultes normaux avec les méthodes de dosage les plus carbohydrate (CDT) [7, 8] . L’augmentation de la ␥-GT n’est pas pro-
couramment utilisées. Cependant, elle peut varier en fonction de portionnelle à la quantité d’alcool consommée ni à la durée de
la technique et de la température à laquelle le dosage est réalisé. l’intoxication. La diminution de plus de 50 % de l’activité sérique
C’est pourquoi, comme pour toute enzyme, la normale du labora- de la ␥-GT dans les 15 jours qui suivent l’arrêt de la consommation
toire doit toujours être mentionnée. L’activité sérique de la ␥-GT d’alcool ou une normalisation dans les deux mois sont des argu-
augmente jusqu’à l’âge de 50 ans. Elle est plus importante chez ments de poids pour attribuer l’élévation de l’activité sérique de la
l’homme que chez la femme, et chez le nouveau-né jusqu’à l’âge ␥-GT à une consommation excessive d’alcool. Ce test n’a de valeur
de 1 an. Il existe une association positive entre le taux de ␥-GT que s’il est positif (Tableau 1). La constatation d’une élévation de
et l’indice de masse corporelle, le périmètre abdominal, le taux l’activité sérique de la ␥-GT soulève le problème d’une hépatopa-
de cholestérol total et de low density lipoprotein (LDL) cholesté- thie associée qui peut aller de la stéatose isolée à la cirrhose. Dans
rol, le taux de triglycérides, la glycémie, la pression artérielle, la ce cas, les autres paramètres du bilan hépatique, comme l’activité
consommation d’alcool, le tabagisme et la prise de contraceptifs sérique des aminotransférases, sont le plus souvent anormaux. Il
oraux. semble également qu’en cas d’hépatopathie alcoolique, la valeur
de l’activité sérique de la ␥-GT soit plus constamment élevée et
plus importante (> 2 à 3 N) que chez les malades alcooliques ayant
 Causes d’augmentation un foie sain, sans toutefois être corrélée à l’importance des lésions
histologiques [9] . La décroissance jusqu’à la normale de l’activité
isolée de l’activité sérique sérique de la ␥-GT en cas de sevrage alcoolique est plus lente en
cas d’atteinte hépatique. Enfin, l’alcoolisme aigu n’augmente pas
de la gammaglutamyl- l’activité sérique de la ␥-GT.
transpeptidase Les relations entre valeur de la ␥-GT et consommation de café
et tabagisme ont été étudiées. Il a été suggéré un effet protecteur
Alcoolisme chronique de la consommation de café sur la fonction hépatique en par-
ticulier chez les forts consommateurs d’alcool. Certaines études
L’alcoolisme chronique est la première cause à évoquer devant ont montré une diminution de l’élévation de la ␥-GT induite par
une augmentation isolée de l’activité sérique de la ␥-GT. Cepen- l’abus d’alcool chez les consommateurs de plus de quatre tasses
dant, il ne faut pas systématiquement attribuer cette élévation à de café quotidiennes [10] . Il existe par ailleurs chez les buveurs
une consommation excessive de boissons alcoolisées, car la spé- d’alcool un synergisme avec le tabagisme au regard des valeurs
cificité du dosage de l’activité sérique de la ␥-GT est faible. La de la ␥-GT [11, 12] .
sensibilité de l’augmentation de l’activité sérique de la ␥-GT pour
le diagnostic d’alcoolisme chronique varie de 40 à 90 %, avec une
faible valeur prédictive positive allant de 20 à 65 % [5, 6] . Le dosage Hépatopathie non alcoolique et pathologie
de la ␥-GT ne peut donc pas être utilisé comme test de dépistage de des voies biliaires
l’intoxication alcoolique dans la population générale. Il importe
d’affirmer ou d’éliminer, avec le plus de certitude possible, une L’augmentation de l’activité sérique de la ␥-GT est le témoin le
intoxication alcoolique chronique. Outre l’interrogatoire, il faut plus sensible de l’existence d’une pathologie hépatobiliaire : elle
rechercher des éléments d’orientation cliniques et biologiques est augmentée dans 87 à 95 % des cas, toutes causes confondues.
en faveur de ce diagnostic : au plan clinique, une hypertrophie Cependant, elle est non spécifique. Dans ce cadre, l’élévation de
parotidienne et une maladie de Dupuytren ; au plan biologique, l’activité sérique de la ␥-GT est rarement isolée. Une augmentation

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase  1-1265

Tableau 2. tension artérielle [16] , dyslipidémie et syndrome métabolique. Elle


Devant une élévation de la ␥-GT, orientation en faveur du syndrome est corrélée positivement avec les marqueurs inflammatoires de
métabolique. Comparaison avec l’alcoolisme chronique. risque cardiovasculaire, la protéine C réactive (CRP) [17] , le fibrino-
En faveur du syndrome Commentaires gène, et inversement corrélée avec les valeurs des antioxydants.
métabolique Bien plus, la valeur péjorative de la ␥-GT persiste après ajuste-
ment sur les facteurs de risque du syndrome métabolique et sur la
␥-GT : élevée Spécificité faible CRP [18] et est associée de façon indépendante aux autres facteurs
Taux en moyenne moins élevé à la mortalité cardiovasculaire [19] . Même lorsque la ␥-GT est dans
que dans l’alcoolisme (< 10 N) les valeurs normales, elle est associée au diabète et aux facteurs
Obésité abdominale S’observe aussi en cas d’alcoolisme de risque cardiovasculaire, cela indépendamment de la présence
chronique d’une stéatose à l’échographie [20, 21] . La force de l’association est
Diabète ou insulinorésistance Plus en faveur du syndrome variable selon les études, forte dans l’une [21] et plus modeste dans
métabolique mais non spécifique d’autres [19, 22] , plus prononcée chez les sujets de moins de 60 ans,
HTA S’observe aussi en cas d’alcoolisme buveurs d’alcool et ayant un diabète de type 2 [22] . La ␥-GT est non
chronique ; dans ce cas seulement associée au syndrome métabolique mais prédit aussi sa
normalisation ou diminution après survenue. Ainsi, le risque augmente de 9 % pour chaque augmen-
arrêt de l’alcool tation de 5 U/l de la ␥-GT [23] . Dans les valeurs physiologiques, la
Diminution du HDL cholestérol Plus en faveur du syndrome ␥-GT prédit la survenue d’une microalbuminurie chez les patients
métabolique hypertendus ou diabétiques [24] . De même, la ␥-GT dans les valeurs
Hypertriglycéridémie S’observe aussi en cas d’alcoolisme normales prédit la survenue d’un diabète de type 2 [25] .
chronique ; dans ce cas Une consommation d’alcool modérée et un surpoids ont un
normalisation ou diminution après effet additif sur la ␥-GT [26] .
arrêt de l’alcool
Hyperferritinémie Non spécifique. Dans le syndrome Autres causes nutritionnelles
métabolique, le fer sérique peut être La malnutrition (court-circuit digestif, malnutrition protéique
élevé, le coefficient de saturation de d’origine alimentaire dans le cadre d’un kwashiorkor ou d’une
la transferrine est le plus souvent anorexie mentale, malnutrition d’origine digestive observée au
normal cours de la maladie cœliaque ou des maladies inflammatoires
Normalisation du fer sérique en une chroniques de l’intestin) peut être à l’origine d’une augmenta-
semaine et de la ferritine en 3 mois tion de l’activité sérique de la ␥-GT, essentiellement du fait d’une
après arrêt de l’alcool
stéatose hépatique. Il en est de même chez les malades qui ont
␥-GT : gammaglutamyl-transpeptidase ; HTA : hypertension artérielle ; HDL : une nutrition parentérale totale.
high density lipoprotein.

Pathologies extrahépatiques
isolée de l’activité sérique de la ␥-GT peut exceptionnellement
révéler l’existence d’une tumeur hépatique maligne, primitive Pathologie thyroïdienne
ou secondaire. Bien que rarement révélatrice, l’augmentation de En cas d’hyperthyroïdie non traitée, une augmentation géné-
l’activité sérique de la ␥-GT est parfois la seule anomalie biolo- ralement modérée de l’activité sérique de la ␥-GT est observée
gique hépatique au cours de certaines maladies hépatobiliaires dans 17 à 60 % des cas [27] . Elle peut être isolée, mais elle est plus
comme la cirrhose, notamment la cirrhose biliaire primitive ou souvent accompagnée d’une élévation de l’activité sérique des
la cholangite sclérosante. Ce peut être aussi le cas au cours du foie aminotransférases et/ou des phosphatases alcalines. Une stéatose
cardiaque chronique ou de la lithiase de la voie biliaire princi- peut être associée à ces perturbations biologiques. Les anomalies
pale [13] . disparaissent après normalisation de la fonction thyroïdienne.

Pathologies nutritionnelles Causes rares


Une élévation isolée de l’activité sérique de la ␥-GT peut
Syndrome métabolique s’observer en cas de cardiopathie ischémique (infarctus du myo-
Le diabète, l’insulinorésistance et le surpoids sont des causes carde ou angor instable) ou d’insuffisance cardiaque chronique,
fréquentes d’élévation de la ␥-GT. Le syndrome métabolique est sans que l’on puisse préjuger de l’origine cardiaque ou hépatique
dans ce cas souvent associé à une atteinte hépatique appelée non- de l’enzyme [13] .
alcoholic fatty liver disease (NAFLD) qui regroupe la stéatose de Un cancer, notamment cérébral, mammaire, utérin ou le méla-
pronostic bénin, et des lésions moins fréquentes mais plus sévères, nome malin, peut être à l’origine d’une augmentation de l’activité
comme l’hépatite pseudo-alcoolique (non-alcoholic steatohepatitis, sérique de la ␥-GT, en dehors de toute métastase hépatique déce-
NASH) avec des lésions inflammatoires et de fibrose pouvant se lable.
compliquer de carcinome hépatocellulaire, même en l’absence de Plusieurs cas d’élévation familiale isolée de l’activité sérique
cirrhose. L’élévation de la ␥-GT peut être isolée ou s’associer à de la ␥-GT (jusqu’à plus de 3000 UI/l), sans cause identifiée, ont
une élévation modérée de l’activité sérique des aminotransférases. été rapportés. La transmission semble autosomique dominante.
L’insulinorésistance est le facteur pathogénique le plus important, Les sujets atteints sont asymptomatiques et ne présentent aucune
et une élévation de la ␥-GT prédit l’intolérance au glucose par le anomalie clinique.
biais d’une résistance à l’insuline [14] (Tableau 2). La ␥-GT fait par-
tie d’un marqueur de stéatose, le fatty liver index (FLI), algorithme Médicaments et toxiques
basé sur l’indice de masse corporelle, le périmètre ombilical, le
taux des triglycérides et la ␥-GT [15] . Lorsque le FLI est supérieur ou La constatation d’une élévation isolée de l’activité sérique de la
égal à 60, la probabilité de la présence d’une stéatose est supérieure ␥-GT doit faire rechercher systématiquement une prise de médi-
à 78 %, et inférieure à 91 % lorsque le FLI est inférieur à 20. cament inducteur enzymatique. Les plus souvent incriminés sont
À noter qu’une perte de poids, même peu importante (10 % du les anticonvulsivants, les barbituriques, la phénytoïne ou la car-
poids total), peut suffire à entraîner la normalisation de l’activité bamazépine, les antidépresseurs, les coumariniques, les hormones
sérique de la ␥-GT sérique. stéroïdes et certains hypnotiques [28] . L’augmentation de l’activité
La ␥-GT a été très étudiée, ces dernières années, au cours du syn- sérique de la ␥-GT est, dans ce cas, modérée (2 à 4 N) et réversible
drome métabolique. Son élévation modérée et même des valeurs après l’arrêt du médicament. Le mécanisme à l’origine d’une éléva-
hautes dans la normalité ont été décrites comme associées aux tion de l’activité sérique de la ␥-GT observée chez environ 20 % des
facteurs de risque des maladies cardiovasculaires : diabète, hyper- femmes traitées par estroprogestatifs est imparfaitement connu.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1265  Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

• Interrogatoire (alcool, médicaments)


• Examen clinique (poids, taille, foie,
signes d'alcoolisme chronique)
• Volume globulaire moyen, glycémie,
triglycéridémie
• Échographie hépatique

Médicaments Alcoolisme chronique Obésité Absence d'orientation


Diabète diagnostique
Hyperlipidémie TSH ultrasensible
Malnutrition et
γ-GT < 5 N γ-GT > 5 N anticorps
Suspicion d'hépatopathie Test de sevrage
antimitochondries

Poursuite Arrêt Négatif Positif


du Dysthyroïdie Normaux
traitement
Anticorps
antimitochondries γ-GT < 3 N
Pas de Surveillance Traitement
Normalisation positifs stable
normalisation spécifique et
surveillance
γ-GT > 3 N
ou en
augmentation
Ponction biopsie hépatique
ou marqueurs non invasifs Surveillance
de fibrose

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une élévation isolée de la gammaglutamyl-transpeptidase (␥-GT) sérique.

Cette élévation n’a généralement pas d’incidence pratique. Les Ainsi, dans des cohortes importantes de sujets sains [30] ou de
valeurs de l’activité sérique de la ␥-GT de ces femmes se distri- travailleurs du bâtiment suivis pendant de nombreuses années [31] ,
buent selon un histogramme décalé vers les valeurs élevées par la mortalité est augmentée chez les sujets ayant une élévation de
rapport à l’histogramme du groupe témoin, mais les valeurs des la ␥-GT, après avoir ajusté sur la consommation d’alcool, de tabac
deux groupes sont peu différentes. et le syndrome métabolique. L’élévation de la ␥-GT est associée
En tout état de cause, la normalisation de l’activité sérique de à une mortalité augmentée toutes causes réunies, à la mortalité
l’enzyme après arrêt du médicament responsable établit l’origine par cause hépatique bien sûr, mais aussi par cancer, diabète [30] ,
médicamenteuse de l’augmentation de la ␥-GT. Si l’anomalie per- maladies cardiovasculaires et respiratoires [31] .
siste après l’arrêt d’un traitement inducteur enzymatique, une La ␥-GT est aussi un biomarqueur de risque cardiovasculaire et
toxicité hépatique ou une autre cause doivent être évoquées. peut être utilisée comme marqueur de survenue d’athérosclérose
Une exposition professionnelle à certains toxiques comme chez des sujets bien portants dépourvus au départ de tout syn-
les hydrocarbures utilisés comme solvants (tétrachloréthylène et drome métabolique ou risque cardiovasculaire [32] . L’élévation de
trichloréthylène, tétrachlorure de carbone, trichloroéthane, chlo- la ␥-GT prédit la survenue d’accident vasculaire cérébral [33] , ou
roforme, etc.), le chlorure de vinyle ou le paraquat [29] , doit être coronaire [21] , et de diabète [34] , indépendamment des autres fac-
recherchée devant une élévation isolée de l’activité sérique de la ␥- teurs de risque. Les résultats de ces études suggèrent que la ␥-GT est
GT. Cependant, en cas d’intoxication chronique, l’augmentation un marqueur de risque de ces affections plus qu’une conséquence.
de l’activité sérique des aminotransférases est le signe biologique La ␥-GT pourrait être un marqueur de résistance à l’insuline.
le plus fréquent. L’augmentation isolée de l’activité sérique de la D’importantes études épidémiologiques ont également montré
␥-GT peut être simplement en rapport avec une induction enzy- que l’élévation de la ␥-GT était associée à un risque augmenté de
matique. En cas d’atteinte hépatique, les lésions histologiques, développer un cancer. La ␥-GT est également un facteur prédictif
principalement la nécrose hépatocytaire et la stéatose, ne sont d’une évolution tumorale défavorable.
pas spécifiques. La coexistence d’une symptomatologie extrahé- Les conséquences pratiques de ces constatations peuvent avoir
patique liée à l’atteinte de plusieurs viscères, et la disparition un impact. En effet, ces résultats pourraient être un argument
des anomalies lors des périodes de vacances, suivie de leur réap- supplémentaire pour convaincre les patients ayant des ␥-GT anor-
parition à la reprise du travail, sont en faveur du diagnostic males à mettre en œuvre les mesures nécessaires de prévention.
d’intoxication d’origine professionnelle.

 Conduite à tenir devant


 Élévation une élévation isolée
de la gammaglutamyl- de la gammaglutamyl-
transpeptidase en tant transpeptidase
que facteur pronostique
L’affirmation du caractère isolé de l’augmentation de l’activité
Récemment, un grand nombre d’études ont montré que sérique de la ␥-GT nécessite la réalisation d’au moins deux bilans
l’élévation de la ␥-GT pouvait être un marqueur pronostique biologiques hépatiques espacés de trois mois, permettant de véri-
de mortalité et de survenue de certaines pathologies, à côté des fier la normalité de la bilirubinémie et de l’activité sérique des
atteintes hépatiques. aminotransférases et des phosphatases alcalines (Fig. 1).

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase  1-1265

Le diagnostic étiologique d’une élévation isolée de l’activité


Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela-
sérique de la ␥-GT impose un interrogatoire à la recherche d’une
tion avec cet article.
intoxication alcoolique chronique ou d’une prise médicamen-
teuse, ainsi qu’un examen clinique recherchant des signes en
faveur d’une imprégnation alcoolique ou d’une hépatopathie
chronique (existence d’un foie de consistance dure, signes cli-  Références
niques d’hypertension portale ou d’insuffisance hépatocellulaire).
[1] Rosalki SB. ␥-glutamyl transpeptidase. Adv Clim Chem 1975;17:
Les éléments constitutifs du syndrome métabolique (diabète ou
53–107.
insulinorésistance, périmètre abdominal supérieur à 100 cm chez
[2] Laperche Y. La gammaglutamyl-transpeptidase hépatique. Gastroen-
l’homme et à 90 cm chez la femme, calcul de l’indice de masse terol Clin Biol 1989;13:783–90.
corporelle, diminution du HDL cholestérol, hypertriglycéridémie [3] Franzini M, Bramanti E, Ottaviano V. A high performance gel filtra-
et hypertension artérielle) doivent être recherchés. tion chromatography method for gamma-glutamyltranferase fractions
L’augmentation de l’activité sérique de la ␥-GT, associée à la analysis. Anal Biochem 2008;374:1–6.
prise d’un médicament inducteur enzymatique, ne justifie pas [4] Franzini M, Fornaciari I, Rong J, Larson MG, Passino C, Emdin M,
l’arrêt de ce médicament si l’anomalie est isolée et modérée (< 5 N). et al. Correlates and reference limits of gamma-glutamyltransferase
L’échographie doit être prescrite, elle peut montrer une stéa- fractions from the Framingham Heart study. Clin Chim Acta
tose, plus rarement une dysmorphie hépatique et/ou des signes 2013;417:19–25.
d’hypertension portale en faveur d’une cirrhose et exceptionnel- [5] Hoeksema HL, de Boch GH. The value of laboratory tests for the
lement une tumeur hépatique. screening and recognition of alcohol abuse in primary care patients. J
En présence d’une stéatose, l’utilité d’une confirmation histo- Fam Pract 1993;37:268–76.
logique est controversée. Si l’évolution de la stéatose pure paraît [6] Alte D, Luedemann J, Rose HJ, John U. Laboratory markers
bénigne, lorsqu’elle est associée à des lésions inflammatoires ou à carbohydrate-deficient transferrin, gamma-glutamyltransferase, and
une fibrose, l’évolution peut se faire vers la cirrhose. mean corpuscular volume are not useful as screening tools for high-risk
Chez un alcoolique chronique, la probabilité devant une élé- drinking in the general population: results from the study of health in
vation isolée de la ␥-GT d’être atteint d’une maladie alcoolique Pomerania. Alcohol Clin Exp Res 2004;28:931–40.
du foie (stéatofibrose, hépatite alcoolique aiguë, cirrhose) est [7] Godart B, Menetrey L, Schellenberg F, Pages JC, Bacq Y.
Carbohydrate-deficient transferrin and gamma-glutamyl transpepti-
d’environ 60 %.
dase in the evaluation of alcohol consumption. A five-year retrospective
Si l’alcoolisme chronique apparaît comme le facteur causal ou
study of 633 outpatients in a single center. Gastroenterol Clin Biol
prépondérant, il est licite de discuter une évaluation de la fibrose 2005;29:113–6.
en cas de suspicion d’hépatopathie à l’examen clinique ou écho- [8] Hietala J, Koivisto H, Anttila P, Niemela O. Comparison of the com-
graphique du foie ou lorsque le test de sevrage est négatif. bined marker GGT-CDT and the conventional laboratory markers of
Dans le cas du syndrome métabolique, en particulier en alcohol abuse in the heavy drinkers, moderate drinkers and abstainers.
cas de diabète de type 2, facteur de risque majeur d’hépatite Alcohol Alcohol 2006;41:528–33.
pseudo-alcoolique ou de fibrose, se discute une évaluation de [9] Matsuda Y, Tsuchishima M, Ueshima Y, Takase S, Takada A. The
l’état hépatique. Cette évaluation peut être réalisée soit par la relationship between the development of alcoholic liver and pancreatic
ponction-biopsie hépatique, soit par des moyens non invasifs diseases and the induction of gamma glutamyl transferase. Alcohol
d’appréciation de la fibrose hépatique. Alcohol 1993;28:27–33.
En l’absence d’orientation étiologique, la présence d’anticorps [10] Danielsson J, Kangastupa P, Laatikainen T, Aalto M, Niemelä O.
antimitochondries ou l’existence d’un contexte de pathologie Dose- and gender-dependent interactions between coffee consump-
auto-immune extrahépatique, associées à une élévation isolée de tion and serum GGT activity in alcohol consumers. Alcohol Alcohol
l’activité sérique de la ␥-GT sérique, peut faire discuter la réa- 2013;48:303–7.
lisation d’une ponction-biopsie hépatique, principalement à la [11] Jang ES, Jeong SH, Hwang SH, Kim HY, Ahn SY, Lee J, et al. Effects of
recherche d’une cirrhose biliaire primitive. Après avoir éliminé coffee, smoking, and alcohol on liver function tests: a comprehensive
toutes les causes d’élévation isolée de l’activité sérique de la ␥-GT, cross-sectional study. BMC Gastroenterol 2012;12:145–54.
[12] Breitling LP, Raum E, Müller H, Rothenbacher D, Brenner H. Syner-
une cholangio-imagerie par résonance magnétique (IRM) peut
gism between smoking and alcohol consumption with respect to serum
être discutée à la recherche d’une cholangite sclérosante primitive.
gamma-glutamyltransferase. Hepatology 2009;49:802–8.
[13] Jacobs WL. Gammaglutamyl transpeptidase in diseases of the
liver, cardiovascular system and diabetes mellitus. Clin Chim Acta
1972;38:419–34.
“ Points essentiels [14] Thamer C, Tschritter O, Haap M, Shirkavand F, Machann J, Fritsche
A, et al. Elevated serum GGT concentrations predict reduced insu-
lin sensitivity and increased intrahepatic lipids. Horm Metab Res
• L’élévation de la ␥-GT est un test sensible d’atteinte 2005;37:246–51.
hépatique ou biliaire, mais non spécifique. [15] Bedogni G, Bellentani S, Miglioli L, Masutti F, Passalacqua M, Cas-
• Une élévation isolée de la ␥-GT peut traduire une tiglione A, et al. The fatty liver index: a simple and accurate predictor
of hepatic steatosis in the general population. BMC Gastroenterol
consommation excessive d’alcool ; pour conforter cette 2006;6:33–9.
hypothèse, il faut rechercher les autres anomalies biolo- [16] Liu C-F, Gu Y-T, Wang H-Y, Fang N-Y. Gamma-glutamyltransferase
giques en faveur de l’alcool : augmentation du volume level and risk of hypertension: a systematic review and meta-analysis.
globulaire moyen, hypertriglycéridémie, augmentation de PLoS One 2012;7:e48878.
la transferrine désialylée, et proposer un test de sevrage [17] Lee DH, Jacobs DR. Association between serum
(diminution de 50 % après 15 jours de sevrage ou norma- gamma-glutamyltransferase and C-reactive protein. Atherosclerosis
2005;178:327–30.
lisation après deux mois de sevrage).
[18] Lee DS, Evans JC, Robins SJ, Wilson PW, Albano I, Fox CS, et al.
• Une élévation isolée est fréquente au cours du syndrome Gamma glutamyl transferase and metabolic syndrome, cardiovascular
métabolique dont il faut rechercher les éléments : obésité disease, and mortality risk. The Framingham heart study. Arterioscler
de type androïde, diabète, diminution du HDL cholestérol, Thromb Vasc Biol 2007;27:127–33.
hypertension artérielle, hypertriglycéridémie. [19] Ruttman E, Brant LJ, Concin H, Diem G, Rapp K, Ulmer H, et al.
• Il ne faut pas rapporter de principe une élévation de la Gamma-glutamyltransferase as a risk factor for cardiovascular disease
mortality: an epidemiological investigation in a cohort of 163,944
␥-GT aux médicaments. L’élévation isolée de celle-ci ne
Austrian adults. Circulation 2005;112:2130–7.
nécessite pas l’arrêt du médicament, sauf si on souhaite [20] Kim DJ, Noh JH, Cho NH, Lee BW, Choi YH, Jung JH, et al. Serum
affirmer la responsabilité du médicament lorsque la ␥-GT gamma-glutamyltransferase within its normal concentration range is
se normalise. related to the presence of diabetes and cardiovascular risk factors.
Diabet Med 2005;22:1134–40.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1265  Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase

[21] Meisinger C, Doring A, Schneider A, Lowel H, KORA study group. [28] Aldenhovel HG. The influence of long-term anti-convulsant therapy
Serum gamma-glutamyltransferase is a predictor of incident coro- with diphenylhydantoin and carbamazepine on serum gammagluta-
nary events in apparently healthy men from the general population. myl transferase, aspartate aminotransferase, alanine aminotransferase
Atherosclerosis 2006;189:297–302. and alkaline phosphatase. Eur Arch Psychiatry Clin Neurosci
[22] Lee DH, Silventoinen K, Hu G, Jacobs DR, Jousilahti P, Sundvall J, 1988;237:312–6.
et al. Serum gamma-glutamyltransferase predicts non-fatal myocardial [29] Doutrellot-Philippon C, Haguenoer JM, Capron JP. Affections hépa-
infarction and fatal coronary heart disease among 28,838 middle-aged tiques professionnelles dues à des agents chimiques. Gastroenterol
men and women. Eur Heart J 2006;27:2170–6. Clin Biol 1993;17:66–78.
[23] Liu CF, Zhou WN, Fang NY. Gamma-glutamyltransferase levels and [30] Ruhl CE, Everhart JE. Elevated serum alanine aminotransferase and
risk of metabolic syndrome: a meta-analysis of prospective cohort ␥-glutamyltransferase and mortality in the United States population.
studies. Int J Clin Pract 2012;66:692–8. Gastroenterology 2009;136:477–85.
[24] Lee DH, Jacobs DR, Gross M, Steffes M. Serum [31] Breitling LP, Claessen H, Drath C, Arndt V, Brenner H.
gamma-glutamyltransferase was differently associated with microal- Gamma-glutamyltransferase, general and cause-specific mortality
buminurie by status of hypertension or diabetes: the coronary artery in 19,000 construction workers followed over 20 years. J Hepatol
risk development in young adults (CARDIA) study. Clin Chem 2011;55:594–601.
2005;51:1185–91. [32] Kozakova M, Palombo C, Eng MP, Dekker J, Flyvbjerg A, Mitrakou A,
[25] Lee DH, Silventoinene K, Jacobs DR, Jousilahti P, Tuomileto J. et al. Fatty liver index, gamma-glutamyltransferase, and early carotid
Gamma-glutamyltransferase, obesity, and the risk of type 2 dia- plaques. Hepatology 2012;55:1406–15.
betes: observational cohort study among 20,158 middle-aged men and [33] Weikert C, Drogan D, di Giuseppe R, Fritsche A, Buijsse B, Nöthlings
women. J Clin Endocrinol Metab 2004;89:5410–4. U, et al. Liver enzymes and stroke risk in middle-aged German adults.
[26] Puuka J, Hietala J, Koivisto H, Antilla P, Bloigu R, Niemela O. Addi- Atherosclerosis 2013;228:508–14.
tive effects of moderate drinking and obesity on serum ␥-glutamyl [34] André P, Balkau B, Vol S, Charles MA, Eschwège E, the DESIR
transferase activity. Am J Clin Nutr 2006;83:1351–4. study group. Gamma-glutamyltransferase activity and develop-
[27] Huang MJ, Li KL, Wei JS, Wu SS, Fan KD, Liaw YF. Sequential ment of the metabolic syndrome (IDF definition) in middle-aged
liver and bone biochemical changes in hyperthyroidism: prospective man and women: the DESIR cohort. Diabetes Care 2007;30:
controlled follow-up study. Am J Gastroenterol 1994;89:1071–6. 2355–61.

C. Buffet, Professeur des Universités, praticien hospitalier (buffetca@gmail.com).


Service des maladies du foie et de l’appareil digestif, Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Buffet C. Augmentation isolée de l’activité sérique de la gammaglutamyl-transpeptidase. EMC - Traité
de Médecine Akos 2014;9(3):1-6 [Article 1-1265].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 EMC - Traité de Médecine Akos


 1-1269

Hémostase : physiologie et principaux test


d’exploration
M.-H. Horellou, C. Flaujac, I. Gouin Thibault

Les principaux acteurs mis en jeu dans l’hémostase sont : la paroi vasculaire, les plaquettes et les facteurs
de coagulation (protéines activatrices ou inhibitrices). Les différentes étapes sont décrites et étudiées
séparément mais in vivo de nombreuses interactions entre elles permettent une activation en cascade
ainsi qu’une régulation précise. Il s’agit donc d’un équilibre très finement régulé, que des anomalies
acquises ou héréditaires peuvent déstabiliser et faire basculer dans un versant hémorragique ou au
contraire thrombotique. L’interrogatoire, l’examen clinique, les tests « de base » – taux de prothrombine,
temps de céphaline + activateur (TP, TCA) – sont de première importance pour orienter le diagnostic
étiologique d’un syndrome hémorragique.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hémostase ; Coagulation ; Hémorragies ; Thrombose ; Tests d’exploration

Plan • l’hémostase primaire, appelée aussi temps vasculaire et plaquet-


taire ;
■ Introduction 1 • la coagulation ;
• la fibrinolyse.
■ Physiologie de l’hémostase. Rappel 1 Les principaux acteurs mis en jeu dans l’hémostase sont : la
Hémostase primaire 1 paroi vasculaire, les plaquettes et des protéines (activatrices ou
Processus de coagulation (cascade de coagulation) 1 inhibitrices). On distingue les trois mécanismes précédemment
■ Exploration de l’hémostase en préopératoire ou exploration cités mais il existe in vivo de nombreuses interactions entre eux
d’un syndrome hémorragique 2 permettant une action et une activation en cascade ainsi qu’une
Interrogatoire et examen clinique 2 régulation précise (Fig. 1). Il s’agit donc d’un équilibre fragile,
Principaux tests d’exploration de l’hémostase 4 très finement régulé, que des anomalies acquises ou héréditaires
peuvent déstabiliser et faire basculer dans un versant hémor-
ragique ou au contraire thrombotique. Il est en effet classique
d’opposer la thrombose, phénomène pathologique à celui de
 Introduction l’hémostase, phénomène physiologique. Cependant, les acteurs
sont souvent les mêmes, mais les mécanismes sont différents.
Les anomalies de l’hémostase peuvent être dépistées à l’occasion
de manifestations hémorragiques spontanées ou provoquées ou Hémostase primaire
à l’occasion d’un examen préopératoire systématique. En pré-
opératoire, l’interrogatoire et l’examen clinique sont de première Les vaisseaux, les plaquettes et au moins deux facteurs plas-
importance dans la recherche d’une anomalie de l’hémostase. matiques, le facteur Willebrand et le fibrinogène, sont les acteurs
Le secours du laboratoire ne doit être demandé qu’après un essentiels de l’hémostase primaire. Le fibrinogène, à l’état de traces
examen clinique complet, sans omettre la recherche minu- est également nécessaire à l’hémostase primaire. La vasoconstric-
tieuse d’antécédents personnels et familiaux d’hémorragies. tion réflexe du vaisseau blessé facilite l’adhésion et l’agrégation
L’interrogatoire est considéré comme un des meilleurs « tests » de plaquettaire aboutissant à la formation du thrombus plaquettaire.
dépistage du risque hémorragique.
Processus de coagulation (cascade
de coagulation)
 Physiologie de l’hémostase. Il permet la consolidation de ce thrombus grâce à la génération
Rappel de thrombine qui stabilise l’agrégat plaquettaire en transformant
le fibrinogène en fibrine. Il comporte à la fois des boucles de
L’hémostase assure la prévention des saignements spontanés et rétro-activation positives qui amplifient le processus et négatives
la formation d’un thrombus pour arrêter une hémorragie appa- qui le limitent dans le temps.
rue lors de la rupture de la continuité de la paroi vasculaire. La coagulation nécessite l’intervention de nombreux facteurs
L’hémostase a pour fonction de préserver l’intégrité vasculaire, plasmatiques (désignés de I à XIII). Elle se déroule en trois étapes :
c’est un processus physiologique, dynamique faisant intervenir • la thrombine, enzyme clé de la coagulation, provient de la
plusieurs mécanismes [1–4] : transformation de la prothrombine ;

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 7 > n◦ 2 > avril 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(12)49382-6
1-1269  Hémostase : physiologie et principaux test d’exploration

Figure 1. Schéma simplifié de la coagulation.


Lésion vasculaire
PM : poids moléculaire.

Hémostase primaire Coagulation intrinsèque Coagulation extrinsèque

Activation du XII Facteur tissulaire


Sous-endothélium Facteur XII : Hageman Facteur VII : proconvertine
Prékallicréine VIIa-facteur tissulaire
Kininogène de haut PM
Facteur XI : Rosenthal
Adhésion des plaquettes Facteur IX : antihémophilique B
Facteur VIII : antihémophilique A

Facteur X (Stuart)
Activation :
activité procoagulante Facteur X activé
Facteur V : proaccélérine
Phospholipides plaquettaires, tissulaires

Agrégation :
thrombus plaquettaire Facteur II : prothrombine Thrombine IIa

Facteur I : fibrinogène Fibrine

Figure 2. Schéma dynamique simplifié de la


Sous-endothélium coagulation en excluant les inhibiteurs (initiation,
amplification, propagation) (d’après Hoffman,
Facteur tissulaire VII Monroe : cell mediated hemostasis).

VIIa
Initiation

X Xa
IX IXa Propagation
+ Prothrombine
Premières traces Prothrombine Thrombine
de thrombine
X

V Va VIII VIIIa Va-VIIIa-Xa-IXa-XIa

Amplification Plaquettes Plaquettes activées

XI XIa

• l’activation de la prothrombine est réalisée par la prothrombi- La coagulation doit être appréhendée sous forme dynamique
nase dont le facteur essentiel est le facteur X activé. En amont (Fig. 2) : après son initiation, elle s’amplifie, mais doit rester
du complexe prothrombinase, c’est le facteur tissulaire qui est à localisée à la brèche vasculaire et ne pas être associée à une
l’origine de l’activation de la cascade de la coagulation in vivo. hypercoagulabilité circulante. Des mécanismes régulateurs impor-
Pendant longtemps, on a distingué la voie extrinsèque explo- tants sont pour cela mis en jeu. Les principaux inhibiteurs
rée par le temps de Quick, et la voie intrinsèque explorée par le de la coagulation sont le tissue factor pathway inhibitor (TFPI),
temps de céphaline + activateur (TCA). Cette approche simple l’antithrombine (AT), le système de la protéine C (protéines C
conserve une place essentielle en biologie dans le diagnostic des et S).
principales maladies hémorragiques ; La fibrinolyse intervient pour assurer la perméabilité du vais-
• l’étape finale est la fibrinoformation, résultant de la trans- seau.
formation du fibrinogène en fibrine, par la thrombine et de
stabilisation par le facteur XIII.
Aujourd’hui il est admis qu’in vivo, la coagulation est initiée par  Exploration de l’hémostase
la mise à nu du facteur tissulaire présent dans le sous-endothélium
mais absent de l’endothélium sain et apparaissant lorsque celui-ci en préopératoire ou exploration
est lésé, anormal ou activé. Le facteur VII est le seul facteur de
coagulation dont environ 1 % est présent sous forme activée dans
d’un syndrome hémorragique
la circulation. La rencontre facteur VII activé-facteur tissulaire
enclenche la cascade de la coagulation. Le complexe facteur VII
Interrogatoire et examen clinique
activé-facteur tissulaire est en effet capable d’activer le facteur X Le secours du laboratoire ne doit être demandé qu’après
en Xa et le facteur IX en IXa. un examen clinique complet, sans omettre la recherche

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hémostase : physiologie et principaux test d’exploration  1-1269

Tableau 1.
Score de prédiction de risque hémorragique [4] .
Symptôme -1 0 1 2 3 4
Épistaxis - Aucun ou peu > 5 fois ou >10 min Consultation Méchage ou Transfusion
d’épisodes (< 5) cautérisation ou sanguine ou
antifibrinolytique traitement
substitutif ou
DDAVP
Ecchymose - Aucune ou limitée (< > 1 cm et aucun Consultation
1 cm) traumatisme
Saignement - Aucun ou peu > 5 fois ou > 5 min Consultation Hémostase Transfusion
prolongé de d’épisodes (< 5) chirurgicale sanguine ou
blessures mineures traitement
substitutif ou
DDAVP
Saignement de la - Aucun symptôme Au moins 1 épisode Consultation Hémostase Transfusion
cavité buccale référencé chirurgicale ou sanguine ou
antifibrinolytique traitement
substitutif ou
DDAVP
Hémorragie - Aucune Associée à un ulcère, Spontanée Hémostase
digestive HTP, hémorroïdes, chirurgicale,
angiodysplasie, etc. transfusion
sanguine,
traitement
substitutif,
DDAVP,
antifibrinolytique
Extraction dentaire Aucun saignement Pas d’antécédent Saignement Saignement Suture ou colle Transfusion
lors d’au moins 2 d’extraction ou pas de référencé référencé biologique sanguine ou
extractions saignement lors d’une dans < 25% de dans > 25% de traitement
extraction toutes les toutes les substitutif ou
procédures procédures sans DDAVP
geste ou traitement
Chirurgie Aucun saignement Pas de chirurgie ou pas Saignement Saignement Reprise Transfusion
lors d’au moins 2 de saignement lors référencé référencé chirurgicale ou sanguine ou
chirurgies d’une chirurgie dans < 25% de dans > 25% de antifibrinolytique traitement
toutes les toutes les substitutif ou
procédures procédures sans DDAVP
geste ou traitement
Ménorragie - Aucune Consultation Antifibrinolytique Curetage Transfusion
ou pilule Traitement martial sanguine ou
contraceptive traitement
substitutif ou
DDAVP ou
hystérectomie
Hémorragie du Pas de saignement Pas d’accouchement ou Consultation Curetage Transfusion Hystérectomie
post-partum lors d’au moins 2 pas de saignement lors Traitement martial sanguine ou
délivrances d’une délivrance Antifibrinolytique traitement
substitutif ou
DDAVP
Hématome - Jamais Post-traumatisme Spontané Spontané ou Spontané ou
intramusculaire Pas de traitement Pas de traitement traumatique traumatique
nécessitant nécessitant une
DDAVP ou intervention
traitement chirurgicale ou
substitutif une transfusion
sanguine
Hémarthrose - Jamais Post-traumatisme Spontanée Spontanée ou Spontanée ou
Pas de traitement Pas de traitement traumatique traumatique
nécessitant nécessitant une
DDAVP ou intervention
traitement chirurgicale ou
substitutif une transfusion
sanguine
Hémorragie du - Jamais - - Hématome Hémorragie
système nerveux sous-dural, intracérébrale,
central n’importe quelle n’importe quelle
intervention intervention

DDAVP : desmopressine ; HTP : hypertention portale.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1269  Hémostase : physiologie et principaux test d’exploration

Tableau 2.
Principaux tests d’exploration de l’hémostase.
Temps Test de dépistage Facteurs spécifiques Facteurs Communs
Hémostase primaire Temps de saignement Qualité et quantité des plaquettes
Temps d’occlusion plaquettaire : PFA-100® Facteur Willebrand
Numération de plaquettes
Coagulation intrinsèque Temps de céphaline + activateur (TCA) PK, KHPM, XII V, X, II Fibrinogène
Facteur XI,IX,VIII
Coagulation extrinsèque Temps de Quick (TQ), exprimé en Facteur VII V, X, II Fibrinogène
% = taux de prothrombine (TP)
Fibrinoformation Temps de thrombine (TT) Fibrinogène

PK : prékallicréine ; KHPM : kininogène de haut poids moléculaire.

minutieuse d’antécédents personnels et familiaux d’hémorragies. de la fonction plaquettaire globale est opérateur-dépendante, peu
L’interrogatoire considéré comme un des meilleurs « tests » de reproductible et invasive. Plusieurs automates, analyseurs de la
dépistage du risque hémorragique. fonction plaquettaire, très sensibles au facteur Willebrand, ont
Il faut chercher à préciser les antécédents hémorragiques été développés pour simplifier les explorations plaquettaires et
personnels : conditions d’apparition, caractère spontané ou pro- raccourcir le temps de réponse comme par exemple le PFA-100®
voqué (postopératoire), fréquence, siège et éventuelle aggravation (pour platelet function analyser).
après une prise d’aspirine ou d’autres médicaments responsables Ces tests « de base » (TP, TCA) sont utilisés en première intention
d’altération des fonctions plaquettaires. Le retentissement sur pour orienter le diagnostic étiologique d’un syndrome hémorra-
la numération globulaire, l’apparition d’une anémie et d’une gique (Tableau 2). Les résultats de ces tests doivent être interprétés
carence martiale, la nécessité de reprise chirurgicale ou de transfu- en tenant compte de l’existence de réactions inflammatoires,
sion postopératoire permettent d’affirmer la réalité du syndrome d’une éventuelle grossesse et en sachant que leur sensibilité est
hémorragique. Les antécédents hémorragiques familiaux sont limitée, notamment pour le dépistage des déficits mineurs. De
précisés, orientant vers une pathologie constitutionnelle. En même, certains déficits rares, mais parfois très graves, peuvent ne
revanche, la présence d’une pathologie associée (atteinte hépa- pas être dépistés par ces examens. La clinique prend alors toute
tique, insuffisance rénale, pathologie hématologique, infectieuse, son importance.
etc.) oriente vers une pathologie acquise de l’hémostase. Enfin, Les conditions de prélèvement, de conservation des échan-
les prises médicamenteuses susceptibles de modifier les tests tillons, toutes les variables préanalytiques doivent être prises
d’exploration sont également recherchées. en compte dans l’interprétation de ces résultats. Les facteurs de
L’examen clinique recherche les manifestations hémorragiques coagulation sont labiles et les prélèvements d’hémostase sont
(purpura, ecchymoses, hématomes, gingivorragies) ; l’existence particulièrement sensibles à la chaleur, au froid, au délai de
d’adénopathies, d’une splénomégalie ou hépatomégalie orientant transport et le non-respect de ces conditions préanalytiques est
vers une pathologie hématologique ou hépatique. source de résultats erronés. Ces variables préanalytiques sont
La quantification de ces manifestations hémorragiques par un sous la responsabilité du biologiste. La réalisation des contrôles
score (Tableau 1) est actuellement proposée [5] , un score infé- et l’approfondissement des anomalies auprès d’une consultation
rieur à 3 a une très bonne valeur prédictive négative de risque d’hémostase spécialisée est souhaitable.
hémorragique, l’association de ce score à la mesure du TCA per-
met d’éliminer le risque hémorragique avec une valeur prédictive
négative voisine de 100 %. Ce score n’est pas adapté à toutes les
situations (pédiatrie par exemple).
 Références
[1] Furie B, Furie C. In vivo thrombus formation. J Thromb Haemost
Principaux tests d’exploration 2007;5(suppl1):12–7.
[2] Furie B. Pathogenesis of thrombosis, Hematology 2009. In: American
de l’hémostase (Tableau 2) society of Hematology, Educational Program book; 2009. p. 255-8.
[3] Horellou MH, Flaujac C, Conard J, Samama MM. Hémostase : Physio-
Le TCA, le temps de Quick (exprimé en % = taux de prothrom- logie, Exploration de l’hémostase. In: Traité de médecine vasculaire.
bine ou TP), le temps de saignement (TS) couplé à la numération Paris: Elsevier-Masson; 2010. p. 61-71.
de plaquettes permettent d’explorer respectivement la voie intrin- [4] Elalamy I, Depasse F, Gerotziafas G, Samama MM. Physiologie de
sèque et extrinsèque de la coagulation et l’hémostase primaire. Le l’hémostase. In: Hémorragies et Thromboses, du diagnostic au traite-
TS n’est plus un examen prescrit à titre systématique lors d’un ment. Paris: Masson; 2009. p. 3-13.
bilan préopératoire mais il doit être pratiqué chez tout patient [5] Tosetto A, Castaman G, Plug I, Rodeghiero F, Eikenboom J. Prospec-
ayant une histoire hémorragique si la numération est normale. tive evaluation of the clinical utility of quantitative bleeding severity
Le temps de saignement cutané par la méthode de Duke est aban- assessment in patients referred for hemostatic evaluation. J Thromb
donné depuis plusieurs années, la méthode d’Ivy, mesure classique Haemost 2011;9:1143–8.

M.-H. Horellou, Maître de conférences, praticien hospitalier (marie.horellou@htd.aphp.fr).


C. Flaujac, Praticien hospitalier.
I. Gouin Thibault, Maître de conférences, praticien hospitalier.
Service d’hématologie biologique, Groupe hospitalier Broca-Cochin-Hôtel-Dieu, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Horellou M-H, Flaujac C, Gouin Thibault I. Hémostase : physiologie et principaux test d’exploration.
EMC - Traité de Médecine Akos 2012;7(2):1-4 [Article 1-1269].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

4 EMC - Traité de Médecine Akos


 1-1281

Hyperéosinophilie : étiologies et démarche


diagnostique pratique
F. Ackermann, F. Legrand, Y. Schoindre, J.-E. Kahn

Les polynucléaires éosinophiles sont classiquement retrouvés au cours d’affections parasitaires ou aller-
giques. Longtemps négligés, ils ont acquis au cours des dernières années un statut unanimement reconnu
d’acteur de la réponse immunitaire. Les hyperéosinophilies (HE) sont souvent considérées, à tort, comme
un signe biologique mineur. Cependant, une HE peut être un signe révélateur et un guide précieux pour
l’enquête diagnostique, lorsque les symptômes associés sont pauvres ou peu évocateurs. De nombreuses
étiologies peuvent être en cause mais les hypothèses parasitaires, tumorales et médicamenteuses doivent
être évoquées en priorité. La démarche diagnostique est orientée par les principales manifestations cli-
niques. Lorsque l’enquête demeure infructueuse, l’hypothèse d’un syndrome hyperéosinophilique doit être
évoquée. Conjointement, un bilan du retentissement viscéral, notamment cardiaque, est systématique
en cas de chronicité de l’HE, et ce quel que soit le diagnostic retenu. Concernant l’attitude thérapeutique,
tous les médicaments imputables sont arrêtés et, dans un second temps (ou d’emblée en l’absence de
modification thérapeutique récente), un traitement d’épreuve antiparasitaire est souvent proposé.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperéosinophilie ; Syndrome hyperéosinophilique ; Atteinte cardiaque

Plan  Rappels sur le polynucléaire


■ Introduction 1 éosinophile (PNE) : une cellule
■ Rappels sur le polynucléaire éosinophile (PNE) : une cellule trop longtemps négligée
trop longtemps négligée 1
■ Démarche diagnostique : principes 2 Pendant des décennies, le PNE a été considéré comme un
simple marqueur biologique d’infections parasitaires ou d’atopie.
■ Étiologies 2
De nombreuses découvertes, bien détaillées dans des revues
Diagnostics à ne pas manquer 2
récentes [1, 2] , ont modifié cette vision réductrice en démontrant
Causes fréquentes 3
l’implication du PNE dans l’initiation et la propagation de signaux
Causes rares 4
inflammatoires, la modulation de l’immunité innée et/ou adap-
Syndrome hyperéosinophilique 5
tative.
■ Attitude pratique 6 Le PNE est issu de la moelle osseuse à partir de cellules
■ Conclusion 6 souches hématopoïétiques. Trois cytokines apparaissent essen-
tielles pour la production de PNE matures : l’interleukine (IL) 5,
principale cytokine de l’éosinophilopoïèse, l’IL3 et le granulocyte
macrophage-colony stimulating factor (GM-CSF). L’IL5, majoritaire-
ment produite par les lymphocytes Th2, favorise la production, la
différenciation et le relargage sanguin des PNE. Cette voie de pro-
 Introduction duction de PNE est impliquée dans les HE dites « réactionnelles »
(parasitoses, atopie, cancer, etc.) mais aussi dans les syndromes
Les hyperéosinophilies (HE), parfois méconnues ou négligées, hyperéosinophiliques (SHE) lymphoïdes (cf. infra). Le PNE est
peuvent constituer un signe biologique révélateur de maladies ensuite rapidement attiré vers les tissus cibles sous l’influence
potentiellement graves. L’enquête étiologique, souvent passion- de facteurs chimiotactiques spécifiques (éotaxines) ou non spé-
nante mais complexe, doit être systématiquement réalisée. Nous cifiques (leucotriènes, C5a, C3a, cytokines). L’IL5 intervient aussi
détaillons dans cette mise au point l’ensemble des diagnostics à à cette étape en renforçant l’action chimiotactique de CCL11, en
envisager en mettant l’accent sur les plus fréquents ou sévères. augmentant l’expression de molécules d’adhésion et en favorisant
Nous tentons également de simplifier et standardiser le bilan à la libération de médiateurs inflammatoires par le PNE. L’adhésion
effectuer face à une HE majeure. à l’endothélium puis la migration tissulaire, sous l’influence du

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 7 > n◦ 2 > avril 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(12)56891-2
1-1281  Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique pratique

gradient de chimiokines, font intervenir successivement diffé- sous-jacents et la maladie causale. En d’autres termes, toutes
rentes molécules d’adhésion : P-sélectines puis interaction entre les manifestations cliniques observées dans les SHE peuvent
des intégrines à la surface du PNE et les récepteurs endothéliaux s’observer, théoriquement, dans des HE parasitaires, médicamen-
(intercellular adhesion molecule 1 [ICAM-1] et vascular cell adhesion teuses ou encore tumorales. Pour preuve, on rappelle que la
molecule 1 [VCAM-1] notamment). Enfin, la survie au niveau tissu- description initiale de l’endocardite fibroblastique de Löffler, ou
laire des PNE (par diminution de l’apoptose) est favorisée par l’IL5. fibrose endomyocardique (manifestation cardiaque la plus grave
Le rôle délétère que les PNE sont susceptibles de jouer dans de des SHE) concernait des patients ayant des helminthiases chro-
nombreux états pathologiques est lié à leur capacité à libérer, au niques (et non pas un SHE), et que cette cardiopathie peut
sein de différents tissus, plusieurs types de médiateurs inflamma- compliquer l’HE des hémopathies lymphoïdes telles la maladie
toires : il s’agit principalement des protéines cationiques du PNE de Hodgkin ou les HE médicamenteuses.
(major basic protein [MBP], eosinophil cationic protein [ECP], eosi- L’HE sanguine est définie par un chiffre de PNE circulants
nophil peroxydase [EPO] et eosinophil derivated neurotoxin [EDN]), supérieur à 500/mm3 , mais l’on ne parle d’HE majeure qu’au-delà
mais aussi de cytokines, de médiateurs lipidiques et des radicaux de 1 500/mm3 .
oxygénés. On note toutefois que ces protéines peuvent altérer ou En pratique, toute HE persistante, quel qu’en soit le chiffre,
détruire de nombreuses cibles : larves de parasites helminthes [3] doit faire l’objet d’une prise en charge dont l’objectif est double :
mais aussi cellules tumorales [4–6] , ou encore cellules épithéliales déterminer l’étiologie et rechercher un éventuel retentissement
de l’hôte. Doués d’une « dualité fonctionnelle », les éosinophiles viscéral.
exercent une action bénéfique ou néfaste selon la cible de leur
activité cytotoxique.
Longtemps considérés comme des cellules « témoins » des affec-
tions parasitaires ou allergiques, les PNE ont acquis au cours des
dernières années un statut unanimement reconnu d’« acteurs » de  Étiologies
la réponse immunitaire et sont considérés comme des polynu-
cléaires multifonctionnels [1, 7, 8] . Acteurs des réponses immunes Diagnostics à ne pas manquer
innées, les éosinophiles exercent, en plus de leur fonction cyto-
toxique et pro-inflammatoire, une fonction immunorégulatrice. Certaines maladies peuvent être responsables d’une HE dépas-
Modulateurs locaux des fonctions lymphocytaires T et masto- sant rarement 1 500/mm3 : l’atopie, l’insuffisance surrénale lente
cytaires, les éosinophiles interagissent avec leur environnement (maladie d’Addison), la tuberculose, les parasitoses sans cycle
tissulaire. tissulaire (oxyures, tænia, gale) ou la mucoviscidose. Cependant,
la connaissance d’un état atopique ne permet pas de se dispen-
ser d’investigations, et le diagnostic d’atopie ne doit pas être
 Démarche diagnostique : retenu devant une HE supérieure à 1 000/mm3 sans explorations
complémentaires (Tableau 1), même dans un contexte évoca-
principes teur. Trop souvent, une hypothèse atopique est retenue à tort
devant des manifestations d’allure « allergique » (asthme, prurit,
Les HE ont longtemps été considérées, à tort, comme un signe éruption eczématiforme) et une HE supérieure à 1 000 mm3 ,
biologique mineur. Cependant, une HE peut être un signe révé- faisant méconnaître par exemple un syndrome de Churg-Strauss
lateur et un guide précieux pour l’enquête diagnostique, lorsque (asthme et HE), un lymphome cutané épidermotrope (lésions
les symptômes associés sont pauvres ou peu évocateurs. Le plus eczématiformes et HE).
souvent, l’anamnèse et les premiers examens cliniques et para- Toute HE doit faire éliminer un cancer solide ou une hémo-
cliniques suffisent à définir la cause. Malheureusement, ce signe pathie (maladie de Hodgkin et lymphomes épidermotropes type
biologique capital est trop souvent négligé, avec des conséquen- Sézary), surtout si elle s’associe à une franche altération de l’état
ces cliniques parfois dramatiques. Même asymptomatique, toute général. On insiste sur la maladie de Hodgkin, qui peut se présen-
HE doit être explorée de manière exhaustive. ter, chez le sujet jeune, par un simple prurit avec HE. La recherche
L’autre notion importante à considérer est la possibilité de clinique d’adénopathie périphérique, éventuellement complétée
lésions viscérales liées aux PNE quels que soient les mécanismes par un scanner, est alors systématique.

Tableau 1.
Examens face à une hyperéosinophilie majeure persistante.
En première intention Après traitement À réaliser en centre spécialisé
antiparasitaire d’épreuve
NFS avec frottis sanguin Sérologie HTLV-1 Myélogramme avec caryotype
Ionogramme sanguin, fonction Facteurs antinucléaires Immunophénotypage
rénale, CRP lymphocytaire
Bilan hépatique ANCA Recherche du transcrit de fusion
Électrophorèse Dosage pondéral des Ig FIP1L1-PDGFRA
des protides sériques
Sérologie VIH, VHB, VHC Dosage des IgE totales sériques
Examen parasitologique des selles Dosage de la vitamine B12
3 jours de suite sérique
Sérologie toxocarose Tryptase sérique
Sérologies parasitaires orientées par la
clinique
Radiographie de thorax Scanner
Échographie abdominale thoraco-abdomino-pelvien
Échographie cardiaque
Biopsie d’organe selon la
symptomatologie (digestive, cutanée)

NFS : numération-formule sanguine ; HTLV-1 : human T-cell lymphoma virus ; CRP : C reactive protein ; ANCA : anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles ;
VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; VHB : virus de l’hépatite B ; VHC : virus de l’hépatite C ; Ig : immunoglobuline.

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique pratique  1-1281

Tableau 2. Rappelons que certaines parasitoses fréquemment rencon-


Principales parasitoses responsables d’hyperéosinophilie. trées au retour de zone tropicale ne donnent pas d’HE,
Parasites Mode de Diagnostic comme le paludisme, la leishmaniose, l’amibiase ou encore les
contamination trypanosomiases.
Si le sujet n’a pas quitté la France métropolitaine, on évoque une
Vers ronds toxocarose, surtout chez l’enfant en contact avec des animaux
Intestinaux domestiques (syndrome de larva migrans viscérale), une ascari-
Ascaris a , oxyure a , Orale Parasitologie des diose (syndrome de Löffler et signes intestinaux), une distomatose
trichocéphale a selles/Scotch test hépatique (tableau d’hépatite à la phase d’invasion, manifesta-
Trichine a Orale Sérodiagnostic tions allergiques et angiocholite à la phase d’état), une trichinose
Anguillule, Transcutanée Parasitologie des
(œdèmes, myalgies) ou une myiase due à des larves de mouches
ankylostome selles/sérodiagnostic ou varrons en pays d’élevages bovins (tuméfaction sous-cutanée,
pseudofuronculose, extériorisation à la peau d’une larve). Parmi
Toxacara canis (larva Orale Sérodiagnostic
ces étiologies, seule la toxocarose semble pouvoir être totalement
migrans viscérale)
asymptomatique, et doit donc être recherchée par un diagnos-
Tissulaires (filaires) tic sérologique devant toute HE chronique asymptomatique d’un
Filaires lymphatiques : Transcutanée Sérodiagnostic sujet n’ayant jamais quitté la France métropolitaine. On rappelle
Wuchereria bancrofti (insectes) enfin que la sérologie toxocarose peut rester positive même en
Filaires sous-cutanées : Transcutanée Sérodiagnostic cas d’infection guérie (cicatrice sérologique). L’oxyure et le tænia,
Loa loa, filaire de (insectes) helminthiases autochtones et potentiellement asymptomatiques,
Médine, onchocercose ne doivent être envisagés que devant des HE modérées inférieures
à 1,5 109 /l.
Vers plats
(plathelminthes)
Causes médicamenteuses
Non segmentés
Une cause médicamenteuse doit être recherchée, de principe,
Douves a Orale Parasitologie des selles
devant toute HE sanguine. Le plus souvent, l’enquête est délicate
Bilharzies Transcutanée Sérodiagnostic et l’implication d’un médicament difficile à établir. L’ancienneté
Segmentés de l’HE et le lien temporel entre son apparition et l’introduction
Adulte : tænia a Orale Parasitologie des selles d’un médicament sont des éléments essentiels du diagnostic. Une
Larve : échinocoques a Orale Sérodiagnostic grande variété des produits peut être incriminée, et la liste ne
cesse d’être réactualisée [9] . Les médicaments les plus fréquemment
Ectoparasites impliqués sont les antiépileptiques, les sulfamides, l’allopurinol,
Myase a , sarcopte a Cutanée Sérodiagnostic/frottis la minocycline, les antirétroviraux et, plus récemment, le rané-
cutané late de strontium et le natalizumab. Enfin, il faut mentionner,
a chez les patients hospitalisés, la possibilité, rare, d’éosinophilie
Parasitoses autochtones.
liée aux produits de contraste iodés ou à l’héparine. Les HE médi-
camenteuses, parfois massives jusqu’à 200 000/mm3 , peuvent être
Enfin, une origine virale est envisagée systématiquement avec de découverte fortuite et asymptomatique. Dans d’autres situa-
une recherche du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et tions, elles s’accompagnent de manifestations cliniques parfois
éventuellement du human T-cell lymphoma virus 1 (HTLV-1) pour sévères, comme dans le syndrome drug reaction with eosinophilia
les patients ayant vécu en zone d’endémie. and systemic symptoms (DRESS), défini par l’association d’une érup-
tion cutanée, d’une HE supérieure à 1,5 109 /l, et d’une atteinte
viscérale [10] . Le pronostic vital peut être engagé par hépatite
Causes fréquentes fulminante ou insuffisance rénale aiguë liée à une néphropa-
thie interstitielle immunoallergique. Le délai d’apparition après
Parasites introduction du médicament en cause est classiquement de 2
à 8 semaines. Dans de rares cas, les manifestations cliniques et
Les étiologies des HE découvertes suite à un séjour en zone
hématologiques peuvent durer plusieurs mois (parfois au-delà
tropicale sont nombreuses, mais sont dues le plus souvent aux hel-
de 6 mois) après l’arrêt du médicament incriminé. Les méca-
minthes cités dans le Tableau 2. L’enquête étiologique est orientée
nismes en cause sont variés et ne relèvent pas tous d’un processus
par la durée du séjour, le mode de vie, le type d’alimentation,
allergique. Les études récentes mettent l’accent sur le rôle de la
la zone géographique fréquentée et, surtout, les signes cliniques
reconnaissance spécifique du médicament par des lymphocytes
associés.
T, stimulés de façon polyclonale ainsi que la réactivation de virus
Sont exposés ici les conduites à risque devant être recher-
du groupe herpès, notamment Epstein-Barr virus (EBV) et human
chées de façon systématique, ainsi que certains tableaux cliniques
herpesvirus 6 (HHV6) [11] . Toute HE médicamenteuse nécessite la
typiques :
surveillance biologique (au moins hebdomadaire) d’une dysfonc-
• une baignade en eau douce stagnante exposant à une bilhar-
tion rénale (créatininémie) et hépatique (transaminases et taux de
ziose responsable d’accès fébriles (« fièvre des safaris ») associés
prothrombine) jusqu’à disparition de l’HE, même si la présenta-
à des symptômes urogénitaux ou digestifs ;
tion clinique est parfois faussement rassurante (simple éruption
• l’ingestion de viande peu cuite (trichinose) ou de cresson sau-
cutanée).
vage (douve) ;
Une HE peut aussi s’observer chez des sujets dialysés (emploi de
• la visite de zones d’élevage de moutons. L’ingestion de végé-
membrane de cuprophane ou utilisation de formaldéhyde pour la
taux souillés peut entraîner une hydatidose (ou échinococcose
stérilisation), ou après splénectomie ou radiothérapie. Des intoxi-
hydatique) qui est confirmée par la sérologie et une imagerie
cations chroniques peuvent aussi entraîner une HE (sulfate de
abdominale ;
cuivre, vapeur de mercure, benzène, huile toxique, tryptophane).
• l’association prurit et œdèmes évocatrice de filariose. On
distingue les filaires lymphatiques (filaire de Bancroft) res-
Cancers et hémopathies
ponsables d’œdèmes lymphatiques (pouvant conduire à un
véritable éléphantiasis) et les filaires sous-cutanées, en parti- Hémopathies
culier la filaire Loa loa, donnant un œdème localisé fugace et L’HE médullaire et/ou sanguine s’intègre parfois dans un cadre
migrateur. L’onchocercose (autre microfilariose) est responsable nosologique bien défini. C’est le cas dans la leucémie myéloïde
de lymphœdème d’un ou plusieurs membres mais également chronique, la leucémie aiguë myéloblastique de type LAM4Eo
d’un tableau dit de « gale filarienne » en cas de surinfection des avec l’inversion du chromosome 16 et la leucémie myélomo-
lésions de grattage. nocytaire chronique avec translocation t(5-12) impliquant le

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1281  Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique pratique

récepteur ␤ au platelet-derived growth factor receptor (PDGF). Plus pneumopathie chronique à PNE. On rappelle, une fois encore,
rarement, une HE est constatée au cours d’une myélodysplasie. qu’une origine médicamenteuse doit prioritairement être élimi-
Plusieurs anomalies chromosomiques associées à une HE existent. née devant toute pneumopathie à éosinophiles.
La plupart d’entre elles sont rares, mais leur existence justifie la
réalisation d’un myélogramme avec caryotype devant toute HE Hyperéosinophilies à présentation
prolongée inexpliquée. dermatologique
L’HE sanguine et/ou tissulaire (ganglion, peau, etc.) peut aussi
être un signe précoce qui témoigne de la production en excès Une HE sanguine modérée ou massive, associée à des signes
de facteurs de croissance, de cytokines (IL5 notamment) ou de cutanés, est un motif fréquent de consultation.
chimiokines par le clone malin qui prolifère et/ou par le pro- Le piège principal à éviter, par analogie avec l’association
cessus inflammatoire réactionnel (lymphocytes Th2 sécrétant asthme-éosinophilie, est d’attribuer trop facilement une manifes-
de l’IL5) péritumoral. C’est le cas dans la maladie de Hodg- tation cutanée (éruption eczématiforme, prurit, ou urticaire) avec
kin, les lymphomes malins non hodgkiniens, les lymphomes HE supérieure à 1 109 /l, à une cause « allergique » ou atopique.
T épidermotropes (syndrome de Sézary, mycosis fongoïde), la Parmi les diagnostics à ne pas oublier, on cite, après les causes
lymphadénopathie angio-immunoblastique avec dysglobuliné- médicamenteuses, les lymphomes T cutanés épidermotropes dont
mie (LAID), la mastocytose systémique ou la leucémie à cellules le diagnostic de certitude peut être difficile, et parfois obtenu des
T associée à HTLV-1 [12] . Enfin, il faut signaler l’existence d’HE mois ou des années après les premières lésions cutanées. L’HE est
associée aux maladies du greffon contre l’hôte après allogreffe de inconstante, mais parfois au premier plan, aussi bien sanguin que
moelle osseuse. tissulaire. Dans ce contexte, la recherche de cellules de Sézary sur
le frottis, ainsi que des biopsies cutanées (avec histologie, phéno-
Cancers typage des lymphocytes cutanés et clonalité T cutanée) sont utiles
Une HE peut révéler l’existence d’un processus oncogène. au diagnostic.
C’est, là encore, la production de facteurs de croissance (GM- La pemphigoïde bulleuse, maladie auto-immune principale-
CSF) ou de cytokines (IL3, IL5) par les cellules tumorales ou par ment observée chez le sujet âgé, peut être un piège diagnostique
l’environnement péritumoral qui induit l’HE sanguine et/ou tis- dans sa phase prébulleuse (prurit, lésions pseudo-urticariennes).
sulaire. Celle-ci s’observe au cours du développement de certaines L’HE y est presque constante à la phase d’état.
tumeurs solides (carcinomes digestifs et respiratoires) ou à la suite La mastocytose systémique est une maladie rare où l’HE, consta-
de métastases. tée dans moins de 20 % des cas, est parfois au premier plan et peut
faire errer le diagnostic, d’autant que l’identification histologique
du mastocyte est parfois difficile en l’absence d’immunomarquage
Causes rares spécifique. Outre le diagnostic histologique, indispensable, une
Après avoir éliminé, systématiquement, les causes parasitaires, forte élévation de la tryptase sérique est un argument fort pour
médicamenteuses et tumorales, la démarche diagnostique devant évoquer une mastocytose systémique
une HE majeure persistante est orientée en fonction des symp- Enfin, on cite des entités plus rares : pemphigoïde ges-
tômes et signes cliniques d’accompagnement. Selon l’atteinte tationis, incontinentia pigmenti, dermatite herpétiforme, des
clinique prédominante, différents cadres étiologiques sont iden- proliférations bénignes (maladie de Kimura, hyperplasie angio-
tifiés. lymphoïde avec éosinophilie), folliculite pustuleuse à éosino-
philes (maladie d’Ofugi), cellulite à éosinophiles (syndrome de
Wells) [13] .
Hyperéosinophilies à présentation
oto-rhino-laryngologique ou pulmonaire Hyperéosinophilies à présentation digestive
Devant des signes ORL (rhinite, sinusite) associés à une HE, L’HE peut s’intégrer dans le cadre d’une affection déjà
on distingue les causes allergiques fréquentes des causes non identifiée (hépatosplénomégalie rencontrée au cours des hémo-
allergiques (non allergic rhinitis with eosinophilia [NARES]) et pathies malignes, atteintes digestives des vascularites systémiques
on recherche un syndrome de Fernand Widal (polypose naso- type Wegener ou Churg-Strauss et, bien entendu, parasitoses
sinusienne avec asthme en relation avec la prise d’aspirine ou intestinales). Elle est aussi classiquement présente dans les
d’anti-inflammatoires non stéroïdiens). maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de
Il faut de nouveau évoquer ici le syndrome de Churg et Strauss, Crohn, rectocolite hémorragique), et également dans la maladie
dont les manifestations initiales sont principalement l’asthme, cœliaque.
l’HE, la présence d’infiltrats pulmonaires et une atteinte sinu- Devant une HE sanguine et digestive inexpliquée, le diagnos-
sienne, avant que ne surviennent les manifestations systémiques. tic de gastroentérite à éosinophiles est alors évoqué. Cette entité
Un syndrome de Löffler, aux signes cliniques modestes et hétérogène réalise parfois un tableau aigu, souvent d’origine aller-
fugaces (toux, dyspnée, fébricule), peut être d’origine parasi- gique, d’autres fois un tableau plus chronique sans allergène
taire (migration de larves à travers le parenchyme pulmonaire, identifiable. Dans sa forme chronique, il peut s’agir d’une forme
à l’origine d’images d’infiltrats labiles souvent périphériques, frontière avec un SHE.
parfois multiples et bilatérales), d’origine médicamenteuse ou On cite aussi l’œsophagite à éosinophiles, « nouvelle maladie »
idiopathique. longtemps sous-diagnostiquée, où l’HE est toutefois rarement
L’aspergillose bronchopulmonaire allergique survient dans supérieure à 1,5 109 /l [14] .
un contexte d’asthme ancien avec la notion de toux et
d’expectoration de « moules bronchiques » (émission de bou-
chons mycéliens). On retrouve souvent une élévation très
Maladies inflammatoires
marquée des immunoglobulines E (IgE) sériques avec HE mas- L’HE est habituelle au cours de deux vascularites affec-
sive. Les images radiologiques sont variées : épaississement des tant les vaisseaux de petits calibres associées aux anticorps
parois bronchiques, impactions mucoïdes, atélectasies, infiltrats anticytoplasmes des polynucléaires neutrophiles (ANCA) : la gra-
et surtout bronchectasies proximales. La présence d’IgE spéci- nulomatose de Wegener (HE dans 10 % des cas) et, surtout, le
fiques anti-Aspergillus constitue un critère majeur du diagnostic. syndrome de Churg-Strauss. La fréquence de l’HE est de 95 %
La maladie de Carrington (ou pneumopathie chronique à éosi- dans le syndrome de Churg-Strauss. La présence de signes extra-
nophiles idiopathique) survient le plus souvent chez la femme. respiratoires et les ANCA permettent de distinguer ces angéites
Les manifestations cliniques sont variées (dyspnée, toux sèche, nécrosantes de la pneumonie de Carrington ou de l’aspergillose
HE sanguine inconstante). Les images radiologiques (infiltration bronchopulmonaire allergique. Les ANCA sont présents dans 50 %
périphérique dense, sans systématisation topographique réalisant seulement des syndromes de Churg-Strauss, contre plus de 90 %
un aspect de « négatif photographique de l’œdème pulmonaire ») des patients atteints de maladie de Wegener [15] . Il arrive qu’un
sont très évocatrices, et l’efficacité de la corticothérapie est diagnostic initial de SHE soit « corrigé » quelques années plus tard
spectaculaire. Aucune cause n’est retrouvée au cours de cette en syndrome de Churg-Strauss, mais la distinction entre ces deux

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique pratique  1-1281

Figure 1. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique dans le


Démarche diagnostique cadre d’une hyperéosinophilie (HE). PNE : polynucléaire éosi-
Ne jamais négliger une hyperéosinophilie > 1 000/mm3, même nophile.
asymptomatique

Étiologique Retentissement
Rechercher une infiltration tissulaire de
PNE

Causes fréquentes Causes plus rares


Cœur
Poumons
Peau
Médicaments Maladies systémiques Tube digestif
Parasites, virus inflammatoires Système
Cancers et Maladies spécifiques nerveux central
hémopathies d’organes et/ou
malignes Syndromes périphérique
hyperéosinophiliques

entités est parfois impossible, notamment dans les formes ANCA- en fait plusieurs entités très différentes, tant dans leur physio-
négatives. De plus, des phénomènes vascularitiques ne sont pas pathologie que dans leur présentation clinicobiologique ou leurs
exceptionnels dans les SHE. traitements. Il s’agit d’une pathologie rare dont la prévalence reste
La périartérite noueuse classique se distingue des précédentes inconnue mais est estimée à moins de 2 000 cas en France. Le SHE
par l’absence de signes respiratoires et d’ANCA (présents dans est responsable d’une ou plusieurs atteintes viscérales, avec une
moins de 10 % des cas) et par la fréquence des multinévrites. Une prédilection pour le cœur, la peau et le système nerveux central
HE, parfois massive, est observée dans 30 % des cas. et/ou périphérique. Des progrès récents dans la compréhension
Les emboles multiples de cristaux de cholestérol, qui des mécanismes physiopathologiques sous-tendant certaines HE
s’observent chez un patient athéromateux, sont souvent ont permis d’individualiser plusieurs tableaux clinicobiologiques
déclenchés par une artériographie ou un simple traitement anti- ou variants au sein des SHE. Les progrès nosologiques et théra-
coagulant. Les orteils pourpres et le livedo des membres inférieurs peutiques ont transformé le pronostic de cette maladie réputée,
sont évocateurs, de même que l’insuffisance rénale. jusqu’à présent, sévère. Actuellement, la classification moderne
La polyarthrite rhumatoïde est classiquement citée comme des SHE identifie trois groupes.
cause d’HE, notamment en cas d’atteinte pulmonaire, mais
aucune donnée chiffrée concernant sa fréquence n’est retrouvée
dans la littérature. Syndromes hyperéosinophiliques
Le syndrome de Shulman se manifeste par un état scléroder-
miforme sans phénomène de Raynaud ni atteinte viscérale. La myéloprolifératifs (SHE-M)
biopsie profonde (incluant le fascia musculaire) montre une fas- Les SHE-M représentent environ 15 % des SHE et touchent
ciite avec infiltrats à prédominance lymphocytaire, sans PNE : c’est quasi exclusivement les hommes. Les patients ont des caractéris-
une fasciite avec HE et non une fasciite à éosinophiles. La gravité tiques cliniques et/ou biologiques de syndrome myéloprolifératif
de la maladie est liée au risque de complications hématologiques (hépatosplénomégalie, cytopénies, élévation de la vitamine B12
(aplasie médullaire, survenue d’un lymphome). sérique). Les atteintes fibrosantes viscérales (cardiaque, médul-
Les connectivites (lupus, sclérodermie, syndrome de Gougerot- laire et pulmonaire) ont été décrites comme plus fréquentes dans
Sjögren) et la sarcoïdose s’accompagnent rarement d’une HE, qui ce variant. Le plus souvent, une anomalie moléculaire clonale
reste alors modérée, inférieure à 1,5 109 /l. Des chiffres plus éle- est retrouvée, résultant d’une délétion interstitielle sur le chro-
vés doivent faire remettre en cause le diagnostic ou envisager mosome 4. Celle-ci rapproche le gène Fip1-like1 (FIP1L1) et le
une cause médicamenteuse, une infection parasitaire (notam- gène platelet-derived growth factor receptor, alpha polypeptide (PDG-
ment une anguillulose chez les sujets antillais) ou un lymphome FRA) codant le récepteur ␣ au PDGF, et ayant pour conséquence
associé. l’activation constitutionnelle de PDGFRA, protéine à activité
Parmi les diagnostics différentiels du syndrome de Sjögren ou tyrosine kinase (transcrit de fusion FIP1L1-PDGFRA) [18] . Cette
de la sarcoïdose, il faut mentionner le syndrome hyper-IgG4 , anomalie clonale définit alors la leucémie chronique à éosino-
entité hétérogène dans sa présentation clinique (tuméfaction philes.
des glandes salivaires, pancréatite, cholangite, fibrose rétropéri-
tonéale), qui peut s’accompagner, rarement, d’une HE sanguine
supérieure à 1,5 109 /l [16] , mais plus fréquemment d’une HE tissu- Syndromes hyperéosinophiliques lymphoïdes
laire. Le diagnostic repose alors sur le dosage des IgG4 sériques,
et surtout sur la mise en évidence, sur les biopsies tissulaires, de (SHE-L)
plasmocytes surexprimant en surface l’IgG4 . Le SHE-L constitue 25 % à 30 % des SHE, atteint autant les
femmes que les hommes, et est responsable d’atteinte cutanée
dans la majorité des cas. Le variant lymphoïde est une patholo-
Syndrome hyperéosinophilique gie primitive lymphoïde définie par une expansion lymphocytaire
T non maligne [19, 20] . L’HE résulte d’une sécrétion accrue par les
lymphocytes T d’hématopoïétines spécifiques du PNE (l’IL5 prin-
Le SHE est une pathologie hétérogène définie classiquement cipalement). Actuellement, le critère permettant de classer un SHE
par les critères de Chusid [17] . Ces derniers exigent une éosinophi- en variant lymphoïde est l’existence d’une population lymphocy-
lie supérieure à 1,5 109 /l pendant plus de 6 mois, une atteinte taire T aberrante, parfois clonale. Une hypergammaglobulinémie
viscérale directement liée à l’infiltration tissulaire par les PNE polyclonale ainsi qu’une augmentation des IgE totales sont sou-
et l’absence d’autre étiologie retrouvée. Cette définition englobe vent présentes, mais non spécifiques.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1281  Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique pratique

Syndromes hyperéosinophiliques idiopathiques [3] Nutten S, Papin JP, Woerly G, Dunne DW, MacGregor J, Trottein F, et al. Selectin
and Lewis(x) are required as co-receptors in antibody-dependent cell-mediated
Les patients restés inclassés représentent environ 50 % à 60 % cytotoxicity of human eosinophils to Schistosoma mansoni schistosomula. Eur
des SHE. Dans ce groupe, le sex-ratio est proche de 1. J Immunol 1999;29:799–808.
[4] Costello R, O’Callaghan T, Sebahoun G. Eosinophils and antitumour response.
Rev Med Interne 2005;26:479–84.
 Attitude pratique [5] Lotfi R, Lee JJ, Lotze MT. Eosinophilic granulocytes and damage-associated
molecular pattern molecules (DAMPs): role in the inflammatory response within
tumors. J Immunother 2007;30:16–28.
Il est difficile de retenir un schéma unique d’exploration d’une
[6] Legrand F, Driss V, Woerly G, Loiseau S, Hermann E, Fournie JJ, et al. A
HE en raison de la grande variété des atteintes organiques et functional gamma delta TCR/CD3 complex distinct from gammadeltaT cells is
des étiologies sous-jacentes. Le bilan comporte deux volets (qui expressed by human eosinophils. PLoS One 2009;4:e5926.
peuvent être réalisés dans le même temps) correspondant à la [7] Munitz A, Levi-Schaffer F. Eosinophils: “new” roles for “old” cells. Allergy
recherche d’une étiologie et du retentissement de cette HE (Fig. 1). 2004;59:268–75.
Un bilan de première intention « raisonnable » est proposé dans [8] Blanchard C, Rothenberg ME. Biology of the eosinophil. Adv Immunol
le Tableau 1. 2009;101:81–121.
Concernant l’attitude thérapeutique, tous les médicaments [9] Banque de données sur le médicament Theriaque : www.theriaque.org.
imputables sont arrêtés avant même le résultat des examens [10] Begon E, Roujeau JC. Drug hypersensitivity syndrome: DRESS (Drug Reac-
tion with Eosinophilia and Systemic Symptoms). Ann Dermatol Venereol
complémentaires.
2004;131:293–7.
Dans un second temps (ou d’emblée en l’absence de [11] Picard D, Janela B, Descamps V, D’Incan M, Courville P, Jacquot S, et al.
modification thérapeutique récente), un traitement d’épreuve Drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms (DRESS): a multiorgan
antiparasitaire est donné de façon systématique. Outre son antiviral T cell response. Sci Transl Med 2010;2:46ra62.
action sur une éventuelle toxocarose asymptomatique, le trai- [12] Prin L, Leguern M, Ameisen JC, Saragosti S, Bletry O, Fenaux P, et al. HTLV-I
tement antiparasitaire d’épreuve a pour intérêt l’éradication de and malignant hypereosinophilic syndrome. Lancet 1998;2:569–70.
l’anguillule chez les patients ayant séjourné en zone endémique [13] Staumont-Sallé D, Capron M, Delaporte E. Peau et éosinophilie. EMC (Elsevier
et pour lesquels une corticothérapie pourrait être proposée. Masson SAS, Paris), Dermatologie, 98-705-A-10, 2007.
Il n’existe pas de recommandation concernant les molécules [14] Furuta GT, Liacouras CA, Collins MH, Gupta SK, Justinich C, Putnam PE,
et al. Eosinophilic esophagitis in children and adults: a systematic review
à utiliser : l’albendazole (5 jours consécutifs) ou l’association
and consensus recommendations for diagnosis and treatment. Gastroenterology
d’ivermectine (en prise unique) et de flubendazole (en deux prises 2007;133:1342–63.
à 15 jours d’intervalle) sont suffisants. [15] Sable-Fourtassou R, Cohen P, Mahr A, Pagnoux C, Mouthon L, Jayne D, et al.
En l’absence d’étiologie identifiée et de réponse au traitement Antineutrophil cytoplasmic antibodies and the Churg-Strauss syndrome. Ann
antiparasitaire, la poursuite des explorations est alors conduite Intern Med 2005;143:632–8.
dans un centre spécialisé (Tableau 1). [16] Watson SJ, Jenkins DA, Bellamy CO. Nephropathy in IgG4 -related systemic
disease. Am J Surg Pathol 2006;30:1472–7.
[17] Chusid MJ, Dale DC, West BC, Wolff SM. The hypereosinophilic syndrome:
 Conclusion [18]
analysis of fourteen cases with review of the literature. Medicine 1975;54:1–27.
Cools J, DeAngelo DJ, Gotlib J, Stover EH, Legare RD, Cortes J, et al. A
tyrosine kinase created by fusion of the PDGFRA and FIP1L1 genes as a the-
Toute HE doit faire l’objet d’une enquête diagnostique appro- rapeutic target of imatinib in idiopathic hypereosinophilic syndrome. N Engl J
fondie, mais une cause médicamenteuse ou parasitaire doit être Med 2003;348:1201–14.
systématiquement évoquée. Le retentissement de cette HE doit [19] Roufosse F, Schandene L, Sibille C, Willard-Gallo K, Kennes B, Efira A, et al.
également être dépisté, notamment au niveau cardiaque. Lorsque Clonal Th2 lymphocytes in patients with the idiopathic hypereosinophilic syn-
le bilan de première intention ne permet pas de conclure, ou en drome. Br J Haematol 2000;109:540–8.
cas de SHE, la prise en charge se fait dans un service spécialisé. [20] Simon HU, Plotz SG, Dummer R, Blaser K. Abnormal clones of T cells produ-
cing interleukin-5 in idiopathic eosinophilia. N Engl J Med 1999;341:1112–20.

 Références Pour en savoir plus


Klion AD, Bochner BS, Gleich GJ, Nutman TB, Rothenberg ME, Simon HU, et al.
[1] Rothenberg ME, Hogan SP. The eosinophil. Annu Rev Immunol Approaches to the treatment of hypereosinophilic syndromes: a workshop sum-
2006;24:147–74. mary report. J Allergy Clin Immunol 2006;117:1292-302.
[2] Hogan SP, Rosenberg HF, Moqbel R, Phipps S, Foster PS, Lacy P, et al. Eosi- Simon HU, Rothenberg ME, Bochner BS, Weller PF, Wardlaw AJ, Wechsler ME, et al.
nophils: biological properties and role in health and disease. Clin Exp Allergy Refining the definition of hypereosinophilic syndrome. J Allergy Clin Immunol
2008;38:709–50. 2010;126:45-9.

F. Ackermann.
Service de médecine interne, Hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes cedex, France.
F. Legrand.
Laboratoire d’immunologie, Réseau éosinophile, Centre hospitalier régional universitaire de Lille, 1, place de Verdun, 59045 Lille cedex, France.
Inserm Unité 995, Institut fédératif de recherche 114, Centre hospitalier régional universitaire de Lille, 1 place de Verdun, 59045 Lille cedex, France.
Y. Schoindre.
Service de médecine interne, Hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes cedex, France.
J.-E. Kahn (je.kahn@hopital-foch.org).
Service de médecine interne, Hôpital Foch, 40, rue Worth, 92151 Suresnes cedex, France.
Laboratoire d’immunologie, Réseau éosinophile, Centre hospitalier régional universitaire de Lille, 1, place de Verdun, 59045 Lille cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Ackermann F, Legrand F, Schoindre Y, Kahn JE. Hyperéosinophilie : étiologies et démarche diagnostique
pratique. EMC Traité de Médecine Akos 2012;7(2):1-6 [Article 1-1281].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 EMC - Traité de Médecine Akos


¶ 1-1290

Hyperglycémie de l’adulte
A. Hartemann-Heurtier

On peut distinguer deux conditions de découverte d’une hyperglycémie qui entraînent des démarches
pratiques différentes : soit l’hyperglycémie est découverte sur sa symptomatologie clinique (polyurie plus
polydipsie plus ou moins amaigrissement). Il n’y alors pas besoin de confirmer le diagnostic de diabète, et
la conduite en urgence dépend du contexte ; soit l’hyperglycémie est découverte fortuitement. Il faut alors
rassembler les arguments pour parler de diabète, préciser l’étiologie de celui-ci, et prendre en charge ce
diabète ou cette hyperglycémie non diabétique, avec une thérapeutique adaptée.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperglycémie ; Diabète de type 1 ; Diabète de type 2 ; Syndrome cardinal ; Acidocétose

Plan éventuelle polyphagie. Devant un tableau clinique de syndrome


polyuropolydipsique avec amaigrissement, il faut donc pratiquer
¶ Introduction 1
une glycémie capillaire, ou, en urgence, une glycémie veineuse,
et une recherche d’acétone dans les urines. L’hyperglycémie,
¶ Hyperglycémie cliniquement patente 1 lorsqu’elle est symptomatique, traduit nécessairement la
Patient âgé de plus de 20 ans, avec surpoids androïde, présence d’un diabète. Le degré d’urgence et la conduite à tenir
antécédents familiaux d’obésité ou de diabète de type 2 1 dépendent du contexte et de la présence d’acétone dans les
Patient mince, sans notion familiale de diabète de type 2 2 urines (Fig. 1).
Sujet âgé, sous traitement favorisant la déshydratation
(diurétiques) et/ou l’hyperglycémie (corticoïdes), avec un éventuel
tableau septique aigu (bronchite, gastroentérite, etc.) 2 Patient âgé de plus de 20 ans, avec
Patient plutôt mince, pour lequel on a la notion d’un alcoolisme surpoids androïde, antécédents familiaux
chronique, voire d’antécédents de douleurs abdominales
évocatrices de pancréatite chronique 2 d’obésité ou de diabète de type 2
¶ Hyperglycémie découverte fortuitement 3 Il peut éventuellement présenter d’autres « marqueurs » du
Première question à résoudre : s’agit-il d’un diabète ? 3 terrain favorisant le diabète non insulinodépendant (dit « de
Caractériser le diabète 3 type 2 ») (hypertension artérielle, dyslipidémie). Le diagnostic
¶ Hyperglycémie modérée à jeun 4 est celui de diabète de type 2 décompensé. Le diabète est
découvert par son expression clinique, ce qui traduit alors une
¶ Conclusion 4
carence insulinique et une insulinorésistance importantes. Les
antidiabétiques oraux risquent de ne pas être efficaces dans ce
contexte. Un critère permettant de savoir si le recours à
l’insuline s’impose temporairement mais rapidement est la
■ Introduction présence ou non d’une cétonurie : la présence de corps cétoni-
ques dans les urines traduit l’intensité du métabolisme catabo-
L’hyperglycémie est une urgence diagnostique thérapeutique
lique, lui-même secondaire à la carence insulinique. Il faut alors
lorsqu’elle est symptomatique, car il ne faut pas passer à côté
hospitaliser le patient dans les 24 heures, afin de le traiter
d’une acidocétose ou d’un précoma hyperosmolaire. En revan-
transitoirement par l’insuline et de rechercher le facteur
che, l’hyperglycémie de découverte fortuite laisse le temps de
déclenchant éventuel de cette décompensation.
l’enquête étiologique. Celle-ci repose sur l’interrogatoire et
En l’absence d’acétone, on peut tenter une prise en charge en
l’examen clinique essentiellement.
ambulatoire avec prescription d’un régime hypocalorique et une
suppression des boissons sucrées, associée à un traitement par
■ Hyperglycémie cliniquement biguanides (Glucophage retard®, 2 cp/j) en l’absence de contre-
indications (vérification de la fonction rénale et hépatique, état
patente cardiovasculaire et respiratoire, etc.). Il est nécessaire alors de
revoir le patient dans les 7 jours, avec un contrôle de la
Lorsque la glycémie dépasse 2 g/l à jeun ou en postprandial, glycémie à jeun et postprandiale, et une recherche d’acétone
il existe une glycosurie responsable d’une polyurie. Celle-ci dans les urines, afin de vérifier l’efficacité de ces premières
entraîne une déshydratation globale avec soif et polydipsie. La mesures. Si la prise en charge demeure ambulatoire, il faut
carence en insuline (qu’elle soit absolue ou relative) est respon- compléter le bilan par la recherche d’un facteur déclenchant,
sable d’une augmentation du métabolisme de base avec déper- des complications du diabète et des autres facteurs de risques
dition énergétique entraînant un amaigrissement, malgré une cardiovasculaires (Tableau 1).

Traité de Médecine Akos 1


1-1290 ¶ Hyperglycémie de l’adulte

Hyperglycémie clinique

> 20 ans + < 40 ans + > 60 ans Alcoolisme


surpoids + = diabète type 2 mince + = diabète type 1 ± +
diabète type 2 familial ± décompensé pas de diabète corticoïdes mince
HTA, dyslipidémie type 2 familial ± +
diurétiques pancréatite
± chronique
fièvre
Acétone urines Acétone ?

+ –
Urgences Hospitalisation
+ – Samu Acétone urines dans les 24 h

+ –
Hospitalisation Créatinine
dans les 24 h État cardiorespiratoire Actrapid® 10 UI Actrapid® 10 U sous-cutané
i.v. ou i.m. hospitalisation en 24 h

Régime + biguanides
Urgences

Glycémie à jeun et PP

Acétone urines à j7

+ –

Bilan prise Hospitalisation


en charge diabète type 2

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une hyperglycémie symptomatique. HTA : hypertension artérielle ; i.v. : intraveineux ;
i.m. : intramusculaire ; PP : postprandial.

Tableau 1. S’il n’y a pas d’acétone dans les urines, le degré d’urgence est
Bilan de prise en charge initiale d’un diabète de type 2. moindre, et l’on peut organiser l’hospitalisation du patient dans
Recherche d’un facteur de décompensation : foyer dentaire, ORL, ECBU
les 24 heures en service spécialisé, après avoir injecté 10 unités
si nitrites bandelette urinaire +, ECG, TSH, VS d’insuline rapide en sous-cutané.
Recherche d’une complication : fond d’œil, créatinine, dosage
de microalbuminurie, ECG, Doppler artériel si clinique évocatrice Sujet âgé, sous traitement favorisant
d’athérome la déshydratation (diurétiques) et/ou
Bilan des facteurs de risques cardiovasculaires : cholestérol total et HDL, l’hyperglycémie (corticoïdes),
triglycérides, tension artérielle
avec un éventuel tableau septique aigu
ECBU : étude cytobactériologique des urines ; TSH : thyroid stimulating hormone ;
VS : vitesse de sédimentation ; HDL : high density lipoprotein ; ECG : (bronchite, gastroentérite, etc.)
électrocardiogramme ; ORL : oto-rhino-laryngologique.
Il faut penser au risque de coma hyperosmolaire, et recher-
cher cliniquement des signes de déshydratation (langue sèche,
soif, pli cutané, tension artérielle). L’hospitalisation en urgence
Patient mince, sans notion familiale est alors nécessaire pour assurer la réhydratation et l’insulino-
de diabète de type 2 thérapie qui s’imposent dans ce contexte.

Le diagnostic le plus probable est celui de diabète insulino- Patient plutôt mince, pour lequel
dépendant (dit « de type 1 »). Il faut rechercher des signes
cliniques d’acidose (polypnée, douleurs abdominales, troubles on a la notion d’un alcoolisme chronique,
digestifs), et une cétonurie avec une bandelette urinaire (la voire d’antécédents de douleurs
recherche d’une cétonémie est possible avec certains lecteurs de abdominales évocatrices de pancréatite
glycémie capillaire).
En cas de cétonurie simple (1 ou 2 croix), sans signe clinique
chronique
d’acidose, on peut injecter 10 unités d’insuline rapide en Le diagnostic le plus probable est celui de pancréatite chro-
intramusculaire (elle agit plus vite qu’en sous-cutané), et nique calcifiante. Les biguanides sont contre-indiqués (alcoo-
adresser immédiatement le patient aux urgences. lisme, cirrhose hépatique) et les sulfamides dangereux (risque
En cas de signes cliniques d’acidose métabolique ou en d’hypoglycémie sévère et prolongée). La mise en route d’une
présence d’une cétonurie massive, il faut assurer un transfert insulinothérapie adaptée (petites doses, en évitant les hypogly-
aux urgences en transport médicalisé. cémies) est nécessaire en milieu hospitalier.

2 Traité de Médecine Akos


Hyperglycémie de l’adulte ¶ 1-1290

■ Hyperglycémie découverte présence d’une hypertension artérielle [HTA]) il est surtout


important de prendre en charge les facteurs de risque cardiovas-
fortuitement (Fig. 2) culaire et d’aider le patient à modifier son mode de vie afin de
prévenir l’apparition du diabète.
Première question à résoudre : Il n’y a donc que dans le cas d’une glycémie anormale mais
s’agit-il d’un diabète ? ne dépassant pas 1,26 g/l à jeun, ni 2 g/l en postprandial, qu’il
est licite de demander une HGPO afin de conclure entre le
La définition du diabète repose sur les conclusions de diagnostic de diabète et celui d’hyperglycémie modérée à jeun
plusieurs études épidémiologiques : il existe un risque de (Fig. 3).
rétinopathie à 15 ans, si la glycémie dépasse 1,26 g/l (7 mmo-
les/l) à jeun, ou 2 g/l à la 2e heure de l’hyperglycémie provo- Caractériser le diabète
quée par voie orale (HGPO). Les conséquences du diagnostic
sont donc importantes pour la prise en charge thérapeutique et Il faut maintenant caractériser ce diabète pour une thérapeu-
le suivi. Celui-ci doit être précis. Inversement, il faut éviter les tique adaptée. Tout dépend du contexte (Fig. 2).
prescriptions inutiles d’HGPO. Patient jeune, mince, sans antécédents familiaux
Le raisonnement à suivre est résumé dans la Figure 3. On
peut considérer qu’il existe un diabète, c’est-à-dire un risque de
de diabète de type 2
microangiopathie, si la glycémie à jeun, à deux reprises, dépasse Plusieurs diagnostics sont alors envisageables :
1,26 g/l (7 mmoles/l), ou bien si la glycémie est supérieure à • soit il s’agit d’un diabète secondaire pour lequel il convient
2 g/l à n’importe quel moment de la journée. En cas de valeur de rechercher des arguments par l’examen clinique et l’inter-
glycémique anormale mais ne dépassant pas ces valeurs-seuils, rogatoire : endocrinopathie (acromégalie, hypercorticisme,
on peut demander une HGPO. Mais si le contexte est en faveur hyperthyroïdie), médicaments (corticoïdes quel que soit le
d’un prédiabète de type 2 (présence d’un surpoids de localisa- mode d’administration, salbutamol, estrogènes de synthèse,
tion androïde, antécédents familiaux de diabète de type 2, diurétiques thiazidiques, etc.). Il convient alors d’arrêter, si

Figure 2. Arbre décisionnel.


Prise en charge d'un diabète Conduite à tenir devant un
de découverte fortuite diabète de découverte fortuite.
HTA : hypertension artérielle.

Sujet < 40 ans, mince Sujet > 20 ans, surpoids, > 40 ans, altération état général
Pas d'antécédent diabète type 2 familial ± douleur abdominale
familial de diabète type 2 ± HTA ± ictère
± dyslipidémie ± syndrome inflammatoire

Éliminer diabète secondaire Diabète type 2 Cancer du pancréas


- médicaments
- endocrinopathie

Hospitalisation sans urgence - Bilan initial diabète type 2 (tableau I)


pour bilan initial et décision - Diététique + exercice physique
thérapeutique - Information et éducation du patient
- Prise en charge de tous les facteurs
de risque cardiovasculaire

Figure 3. Arbre décisionnel. Définition du


diabète et de l’hyperglycémie modérée à jeun.
Hyperglycémie asymptomatique HTA : hypertension artérielle ; HGPO : hyper-
glycémie provoquée par voie orale.

Glycémie à jeun > 1,26 g/l à 2 reprises Glycémie à jeun < 1,26 g/l
ou
Glycémie non à jeun ≥ 2 g/l

Surpoids ? HGPO avec 75 g glucose


Antécédent

familial de diabète ?
HTA ?

+ Glycémie à la 2e heure

Prise en charge < 1,26 g/l = normal


comme un prédiabète ≥ 2 g/l = diabète
> 1,26 < 2 g = intolérance
aux hydrates de carbone

Traité de Médecine Akos 3


1-1290 ¶ Hyperglycémie de l’adulte

possible, les médicaments incriminés et de refaire une


glycémie à distance, ou bien de confirmer et de prendre en
■ Hyperglycémie modérée à jeun
charge l’endocrinopathie pour laquelle on a eu suffisamment Cette pathologie ne présente pas le risque de se compliquer
d’arguments cliniques ; de rétinopathie. En revanche, elle évolue dans 25 % des cas vers
• soit il s’agit d’un diabète de type 1 découvert de manière un diabète de type 2 dans les 10 ans, et peut augmenter le
fortuite, avant que l’hyperglycémie ne s’exprime clinique- risque de complications athéromateuses chez les patients ayant
ment ; déjà d’autres facteurs de risque. Elle s’observe dans le cadre du
• soit il s’agit d’un diabète de type MODY (maturity onset type
syndrome métabolique. Il convient donc de prendre efficace-
diabetes of the young) avec alors une notion d’hyperglycémie
ment en charge, sur le plan diététique, et de motiver pour une
familiale sans obésité.
activité physique régulière, les patients à risque, c’est-à-dire ceux
Dans tous ces cas atypiques, des examens spécialisés sont
qui présentent en plus de l’hyperglycémie :
nécessaires afin de préciser le diagnostic (autoanticorps anti-
GAD et anti-IA2 pour le diabète de type 1, recherche de • un surpoids androïde ;
mutation du gène de la glucokinase pour le diabète MODY 2) • des antécédents familiaux de diabète ;
et de proposer une prise en charge thérapeutique adaptée : • une HTA ;
insulinothérapie pour le diabète de type 1, mesures diététiques • un antécédent de diabète gestationnel.
pour les autres. Il faut donc proposer une hospitalisation, sans Enfin, il convient de prendre en charge les autres facteurs de
urgence, en milieu spécialisé, pour un bilan initial et la mise en risque cardiovasculaires : HTA, dyslipidémie, tabagisme. Cette
route, si besoin, d’une insulinothérapie. prise en charge, comme dans le cas du diabète de type 2, peut
être effectuée par une collaboration entre le médecin généra-
Patient présentant une surcharge pondérale liste, le diabétologue, voire d’autres spécialistes (cardiologue,
androïde et/ou des antécédents familiaux etc.).
de diabète, et/ou une dyslipidémie,
une hypertension artérielle, un athérome
Le diagnostic de diabète de type 2 est le plus probable. Il faut ■ Conclusion
alors intervenir à quatre niveaux :
• information et éducation du patient ; La découverte d’une hyperglycémie conduit dans la grande
• prise en charge thérapeutique : diététique, activité physique. majorité des cas au diagnostic de diabète. Il est important de ne
Puis biguanides (Stagid® ou Glucophage®) si nécessaire, dans pas passer à côté du diagnostic d’hyperglycémie aiguë qui est
un second temps, en l’absence de contre-indications ; une urgence médicale. Dans la plupart des cas on découvre le
• bilan des complications car ce diabète évolue certainement diabète de manière fortuite, et il s’agit alors typiquement d’un
depuis plusieurs années : fond d’œil, recherche d’une diabète de type 2 dans 90 % des cas, déjà associé dans 30 % des
microalbuminurie, électrocardiogramme ; cas à une complication chronique.
• bilan et prise en charge des facteurs de risque cardiovasculai-
.

res fréquemment associés : HTA, bilan lipidique, tabagisme


(Tableau 1).
Pour en savoir plus
Grimaldi A. Guide pratique du diabète. Paris: MMI éditions Masson; 2001.
Patient de plus de 40 ans, présentant
Grimaldi A. In: Traité de diabétologie. Paris: Médecine-Sciences
une altération de l’état général, avec Flammarion; 2005. p. 961p.
éventuellement douleur abdominale, voire ictère Young J. Endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques. Connais-
C’est probablement un cancer pancréatique. sances et pratiques. Paris: Elsevier-Masson; 2007.

A. Hartemann-Heurtier, Professeur des Universités, praticien hospitalier (agnes.heurtier@psl.aphp.fr).


Service d’endocrinologie-métabolisme, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Hartemann-Heurtier A. Hyperglycémie de l’adulte. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine
Akos, 1-1290, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

4 Traité de Médecine Akos


 1-1312

Hypocalcémie
H. Boulanger, S. Ahriz Saksi, F. Chhuy, M. Flamant

L’hypocalcémie est une anomalie métabolique fréquente, définie par une calcémie totale inférieure à
2,2 mmol/l ou une calcémie ionisée inférieure à 1,15 mmol/l. Elle peut être asymptomatique et se résumer
à une simple constatation biologique de découverte fortuite ou, à l’inverse, entraîner des manifestations
cliniques sensitives et neuromusculaires pouvant à l’extrême mettre en jeu le pronostic vital. Cette varia-
bilité d’expression dépend de la sévérité de l’hypocalcémie mais également de son mode d’installation,
brutal ou progressif. L’orientation étiologique de l’hypocalcémie, en dehors des situations cliniques évi-
dentes, repose sur la mesure des concentrations circulantes de parathormone (PTH) qui permet de
différencier les causes parathyroïdiennes des causes extraparathyroïdiennes. L’existence d’une hypocal-
cémie et d’une PTH basse et inappropriée est généralement la conséquence d’une chirurgie de la thyroïde
ou des parathyroïdes. Les autres causes sont beaucoup plus rares : infiltration des parathyroïdes, acti-
vation du récepteur sensible au calcium, déficit congénital isolé ou syndromique de la sécrétion de PTH.
L’existence d’une hypocalcémie et d’une PTH élevée et appropriée est généralement secondaire à une
carence en vitamine D, à une insuffisance rénale chronique, ou à une baisse brutale du calcium ionisé
plasmatique par précipitation ou transfert. Les résistances génétiques à l’action de la PTH et de la vita-
mine D sont exceptionnelles. Les hypocalcémies peuvent également être d’origines médicamenteuses
ou secondaires à une hypomagnésémie profonde. La prise en charge thérapeutique de l’hypocalcémie
consiste, après avoir réalisé les prélèvements nécessaires à l’identification de son étiologie, à corriger les
manifestations cliniques si elles existent puis à mettre en place un traitement adapté qui se résume en
pratique à un apport vitamino-calcique.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Hypocalcémie ; Carence en vitamine D ; Parathormone ; Insuffisance rénale chronique ; Paresthésies

Plan biologiques, mais, à l’inverse, peut se traduire par des signes


neuromusculaires pouvant aller jusqu’à menacer le pronostic
■ Introduction 1 vital. Cette variabilité d’expression dépend de la sévérité de
l’hypocalcémie mais également de sa vitesse d’installation. Après
■ Définition de l’hypocalcémie 1 la définition de l’hypocalcémie et le rappel des principaux élé-
■ Régulation de la calcémie 2 ments physiologiques participant à la régulation de la calcémie, il
Déterminants des entrées de calcium dans le pool extracellulaire 2 est proposé ici d’en décrire les causes, les manifestations cliniques
Déterminants des sorties de calcium du pool extracellulaire 2 et la prise en charge thérapeutique.
Système hormonal permettant d’adapter les entrées aux sorties
de calcium 2
■ Diagnostic étiologique
Éléments d’orientation clinique
3
3
 Définition de l’hypocalcémie
Éléments d’orientation biologique 3
Le calcium est présent dans le plasma sous trois formes : une
■ Manifestations cliniques 5 fraction libre ionisée (calcium [Ca]2+ ), une fraction complexée à
■ Prise en charge thérapeutique 6 des anions de faible poids moléculaire (bicarbonate, phosphate,
Prise en charge thérapeutique de l’hypocalcémie aiguë 6 oxalate, citrate, lactate, etc.) et une fraction liée à l’albumine,
Prise en charge de l’hypocalcémie chronique 6 correspondant respectivement à 50, 10 et 40 % du calcium plas-
■ Conclusion 6 matique total. Les deux premières fractions sont ultrafiltrables,
c’est-à-dire qu’elles sont librement filtrées par le rein. La somme
des concentrations de ces trois fractions représente la calcémie
totale. L’hypocalcémie totale est définie par une valeur inférieure
à 2,2 mmol/l (valeurs normales : 2,2–2,6 mmol/l). Le dosage de la
 Introduction calcémie totale s’effectue à jeun à partir d’un prélèvement vei-
neux, et par méthode colorimétrique [2] . Le dosage de la calcémie
L’hypocalcémie est une anomalie métabolique fréquente. Elle totale est une façon indirecte de rechercher une anomalie de la
est rapportée dans 15 % des admissions aux urgences et jusqu’à calcémie ionisée, qui est la valeur physiologiquement régulée. Le
88 % en cours d’hospitalisation en réanimation [1] . Elle est sou- dosage de la calcémie ionisée s’effectue par électrode sélective,
vent asymptomatique et de découverte fortuite sur des examens dans les mêmes conditions de prélèvement que le calcium total

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 9 > n◦ 1 > janvier 2014
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(13)58950-2
1-1312  Hypocalcémie

Tableau 1. circulantes de 1-25 dihydroxyvitamine D (1-25 OH2 D) (calcitriol),


Circonstances de discordance entre calcémie totale et ionisée. qui l’augmente. Au cours des périodes de jeûne, les sorties de
Circonstances Calcémie totale Calcémie ionisée calcium de l’os vers le secteur extracellulaire permettent de com-
penser les pertes obligatoires digestives et urinaires de calcium.
Albumine Basse Normale
Albumine haute Haute Normale
Hypergammaglobuline Haute Normale
(myélome) Déterminants des sorties de calcium du pool
Alcalose aiguë a
Normale Basse extracellulaire
Acidose aiguë a Normale Haute
En dehors de la perte digestive obligatoire de calcium au cours
Élévation brutale des Normale Basse des périodes de jeûne et de la captation par le tissu osseux d’une
phosphates, des citrates b partie de la charge calcique d’origine alimentaire, les sorties de
Gadolinium c Basse Normale calcium sont rénales. L’excrétion urinaire de calcium est condi-
Strontium c Haute Normale tionnée par deux facteurs, sa filtration glomérulaire (charge filtrée)
et son transport par l’épithélium tubulaire rénal après filtration.
a
Les variations aiguës du pH sanguin font varier la calcémie ionisée par liaison Ainsi, 98 à 99 % de la charge filtrée sont secondairement réab-
du calcium ionisé à l’albumine en cas d’alcalose ou libération du calcium ionisé
de l’albumine en cas d’acidose (chaque variation du pH de 0,1 unité entraîne sorbés par le tubule rénal, pour deux tiers par le tube contourné
une variation inverse du calcium ionisé de 0,05 mmol/l). proximal (TCP), pour 20 à 25 % par la branche ascendante large
b
Une augmentation brutale des phosphates ou des citrates diminue, par préci- (BAL) de l’anse de Henlé et pour 5 à 10 % dans les parties dis-
pitation, la calcémie ionisée sans modifier la calcémie totale (augmentation du tales du néphron. La réabsorption dans le TCP est modulée par
calcium complexé).
c
Le gadolinium utilisé en IRM interfère avec la méthode de dosage colorimé- l’état du volume sanguin circulant. La contraction du volume
trique du calcium total et peut donner des pseudohypocalcémies. Inversement sanguin circulant (secondaire à une déplétion hydrosodée) sti-
le strontium peut, avec la méthode colorimétrique, donner des pseudohyper- mule la réabsorption paracellulaire d’eau et de chlorure de sodium
calcémies. (NaCl) et par un effet convectif, celle du calcium. L’expansion
volémique produit l’effet inverse. La réabsorption dans la branche
large ascendante s’effectue par voie paracellulaire suivant un gra-
ou directement sur sang total. Le dosage systématique de la cal- dient électrique favorable. Cette réabsorption est inhibée par les
cémie ionisée se heurte en pratique courante à son coût pour le diurétiques de l’anse (furosémide) ainsi que par l’hypercalcémie
patient, car cet examen n’est pas pris en charge par la Sécurité via l’activation du récepteur sensible au calcium (CaSR) situé sur
sociale. Pour cette raison, il n’est généralement réalisé que dans la membrane basolatérale. Elle est à l’inverse stimulée par la para-
les situations où une différence importante entre la calcémie totale thormone (PTH). La réabsorption distale de calcium s’effectue de
et ionisée est suspectée [3, 4] (Tableau 1). Une hypocalcémie ionisée manière active par voie transcellulaire, par des canaux calciques [7] .
est définie par une valeur inférieure à 1,15 mmol/l (1,15–1,3). Les Elle est inhibée par l’élévation de la magnésémie, de la calcémie
variations d’albuminémie modifiant la valeur de la calcémie totale et par l’acidose, et stimulée par la PTH et le calcitriol.
sans modifier la calcémie ionisée, il a été établi des équations per-
mettant de corriger la valeur de la calcémie totale à partir de la
valeur d’albuminémie (c’est-à-dire estimant la valeur de calcémie
totale qu’il y aurait si l’albuminémie était normale). La plus uti- Système hormonal permettant d’adapter
lisée s’écrit : Ca corrigé = Ca totale + (0,025 × [40 – albuminémie]). les entrées aux sorties de calcium
Néanmoins, ces formules ne permettent pas toujours d’estimer
de manière fiable la vraie valeur de la calcémie ionisée [4] . Les principaux acteurs permettant d’adapter les entrées aux sor-
ties sont la calcémie ionisée, la PTH et la vitamine D active ou
calcitriol. La calcémie ionisée via les CaSR situés sur les glandes
 Régulation de la calcémie parathyroïdiennes et la BAL de l’anse de Henlé, module respecti-
vement la sécrétion de PTH et la réabsorption tubulaire de calcium
La calcémie ionisée est maintenue à une valeur remarqua- de manière immédiate. La PTH est une hormone peptidique de
blement stable, entre 1,15 et 1,3 mmol/l, par une adaptation 84 acides aminés qui exerce également rapidement un effet sur
systématique des sorties de calcium du secteur extracellulaire aux la calcémie en se fixant sur un récepteur transmembranaire cou-
entrées et, inversement, des entrées aux sorties. plé à une protéine G (PTH/PTHrp ou PTH R1) situé dans les tissus
osseux et rénaux [8] . Elle joue donc un rôle dans la régulation aiguë
de la calcémie. La 1-25 OH2 D (calcitriol) est, en revanche, une
Déterminants des entrées de calcium hormone stéroïdienne. Elle exerce par conséquent une action par
dans le pool extracellulaire voie essentiellement génomique sur le rein, l’os et l’intestin, et
un effet sur la calcémie et le bilan du calcium uniquement au
Les entrées de calcium dans le pool extracellulaire (secteurs bout d’un certain délai de temps (24 à 48 heures) en se fixant
interstitiel et vasculaire) sont rythmées, à l’état normal, par sur un récepteur nucléaire, le récepteur à la vitamine D (VDR)
la succession de périodes de jeûne et postprandiales. La cal- lui-même couplé à un autre récepteur nucléaire le récepteur réti-
cémie postprandiale augmente en effet de l’ordre de 0,05 à noïde X (RXR) sous la forme d’un hétérodimère VDR-RXR [9] . La
0,1 mmol/l par rapport à la calcémie à jeun pour un apport en vitamine D active n’intervient donc pas dans la régulation des
calcium élément de 1 g chez un adulte sain. Les apports nutri- variations aiguës de la calcémie. Une concentration suffisante
tionnels conseillés en calcium par les différentes instances sont de calcitriol est néanmoins nécessaire à l’expression normale des
en moyenne de 1 g (25 mmol) par 24 heures chez l’adulte. Ils effets biologiques de la PTH. Les principaux déterminants de la
sont apportés sous forme de produits laitiers pour 60 à 70 % régulation de la PTH, en dehors de la calcémie ionisée qui est
et correspondent théoriquement à une entrée digestive nette de le facteur le plus important dans le contrôle immédiat de sa
calcium de 200 mg (5 mmol) dans la mesure où le pourcentage sécrétion, sont la phosphatémie qui la stimule, le calcitriol et
absorbé net est d’environ 20 %. Les apports alimentaires de cal- le FGF23 qui l’inhibent. Les principaux déterminants de la vita-
cium élément sont, en réalité, d’après les différentes enquêtes mine D active sont la PTH, l’hypophosphatémie, l’hypocalcémie,
alimentaires, souvent plus bas et plutôt de l’ordre de 500 à 800 mg qui la stimulent, le FGF23, l’hyperphosphatémie, l’hypercalcémie
par jour [5] . L’absorption de calcium s’effectue principalement qui l’inhibent. L’adaptation des entrées aux sorties de calcium
par voie active transcellulaire et de manière moindre par diffu- dans le secteur extracellulaire s’effectuant grâce au système cal-
sion passive paracellulaire [6] . Le transport du calcium par voie cium ionisé, PTH, calcitriol et permettant une interaction étroite
transcellulaire dépend de la perméabilité constitutive des canaux entre les flux calciques de l’épithélium, digestif, rénal et du tissu
calciques apicaux, et est sous le contrôle des concentrations osseux est illustrée dans la Figure 1 [10] .

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hypocalcémie  1-1312

2 3
Action résorptive Action résorptive
Stimulation de la sécrétion
de PTH via le CaSR
PTH

Libération osseuse de calcium

Libération osseuse de calcium


Augmentation de de la réabsorption
de calcium dans la BAL et le TD
1 2
2 3

3
Augmentation de l’absorption
digestive de calcium
Calcitriol
Ca2+ Ca2+

2 Stimulation de la production de calcitriol 2

1 3
Diminution de la réabsorption de calcium Augmentation de la réabsorption
dans la BAL via le CaSR de calcium dans le TD

Figure 1. Principales étapes de la boucle de régulation de l’homéostasie calcique. La baisse de la calcémie entraîne via le récepteur sensible au calcium
(CaSR) de la glande parathyroïdienne et du rein respectivement une stimulation de la sécrétion de parathormone (PTH) et une diminution de la réabsorption
tubulaire de calcium (étape 1). L’augmentation de la PTH augmente la libération de calcium d’origine osseuse, la réabsorption tubulaire de calcium et stimule,
par activation de la 1-alpha hydroxylase, la production rénale de calcitriol (étape 2). Le calcitriol stimule l’absorption digestive, la réabsorption tubulaire distale
et la résorption osseuse de calcium (étape 3). Ces trois étapes aboutissent à une restauration de la calcémie. En cas d’hypercalcémie, les systèmes inverses
sont activés. BAL : branche ascendante large ; TD : tube digestif.

 Diagnostic étiologique hypocalcémie par transfert ou précipitation, une diminution de


l’absorption digestive de calcium par carence en vitamine D,
diminution du calcitriol plasmatique ou de son action. Une cal-
Éléments d’orientation clinique ciurie élevée ou inappropriée évoque la prise d’un traitement
La présence d’une hypocalcémie doit, à l’interrogatoire, faire hypercalciuriant (furosémide, cinacalcet) ou une hypocalcémie
rechercher : des antécédents de chirurgie de la thyroïde ou des familiale secondaire à une activation du récepteur sensible au
parathyroïdes, des facteurs favorisant une carence en vitamine D calcium. L’ensemble des étiologies de l’hypocalcémie est énu-
(carence nutritionnelle, d’exposition aux ultraviolets, malabsorp- méré dans les Tableaux 2 et 3. Les différentes entités étiologiques
tion digestive, chirurgie bariatrique, etc.), la prise au long cours d’hypocalcémie ont également été classées selon leurs carac-
de médicaments hypocalcémiants, l’existence d’une insuffisance téristiques biologiques (PTH, phosphatémie, vitamine D native,
rénale chronique, d’une néoplasie sous-jacente avec métastases calcitriol, calciurie) dans le Tableau 4.
ostéocondensantes (prostate, sein), d’une déplétion sévère en
magnésium, d’une pancréatite aiguë. L’examen clinique recherche Hypocalcémies parathyroïdiennes
également des antécédents de chirurgie du cou, un syndrome dys-
La présentation biologique de l’hypoparathyroïdie est, outre
morphique entrant dans le cadre d’une maladie héréditaire ou
l’hypocalcémie à PTH normale ou basse, associée à une hyper-
congénitale pouvant être associée à une hypocalcémie.
phosphatémie d’origine rénale (transport maximal de phosphate
[TmPi]/débit de filtration glomérulaire [DFG] augmenté), et une
Éléments d’orientation biologique calcitriolémie basse. Les formes acquises prédominent sur les
formes congénitales.
Le diagnostic étiologique d’une hypocalcémie repose sur le
dosage des électrolytes et des facteurs circulants (hormonaux ou Hypoparathyroïdies congénitales
vitaminiques) impliqués dans l’homéostasie calcique (magnésé- La forme la plus fréquente d’agénésie parathyroïdienne est celle
mie, phosphatémie, calciurie, PTH, 25 OH vitamine D, calcitriol). qui s’inscrit dans le syndrome de Di George (qui associe apla-
Le premier élément d’orientation étiologique devant une hypo- sie thymique, cardiopathie et facies anormal), en rapport avec
calcémie est la valeur de la PTH. Une PTH basse ou normale est une délétion sur le bras court du chromosome 22. D’autres hypo-
inadaptée à la valeur de la calcémie, et définit donc l’origine para- parathyroïdies congénitales ont un substratum immunologique.
thyroïdienne de l’hypocalcémie (hypoparathyroïdie). Une PTH C’est le cas de la polyendocrinopathie auto-immune de type 1
élevée, adaptée à l’hypocalcémie, atteste de l’origine extrapara- (associant maladie d’Addison, hypoparathyroïdie et candidose
thyroïdienne de l’hypocalcémie. Les valeurs de la phosphatémie cutanéomuqueuse chronique) [11] . Les hypoparathyroïdies fami-
et de la calciurie permettent également d’orienter le diagnostic liales peuvent également être en rapport avec une mutation du
étiologique. Une hyperphosphatémie évoque une hypopara- gène de la PTH ou d’un des facteurs de transcription participant
thyroïdie ou une insuffisance rénale chronique ou, beaucoup à sa synthèse, ou plus fréquemment à une mutation activatrice
plus rarement, une pseudohypoparathyroïdie. Une hypophos- du CaSR. Dans cette dernière forme, la calciurie peut être élevée
phatémie évoque en revanche une carence en vitamine D, et exposer à un risque lithiasique [12] . L’hypoparathyroïdie peut
une hypocalcémie de transfert ou, beaucoup plus rarement, enfin, exceptionnellement, être secondaire à une hypomagnésé-
un rachitisme pseudocarentiel. Une calciurie basse évoque une mie congénitale, qui entraîne une baisse de sécrétion de PTH et

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1312  Hypocalcémie

Tableau 2.
Étiologies des hypocalcémies (cf. les hypocalcémies médicamenteuses dans le Tableau3).
Hypocalcémies parathyroïdiennes Hypocalcémies extraparathyroïdiennes
Congénitales Acquises Diminution des entrées Insuffisance Hypocalcémie par
Agénésie : anomalie du Chirurgicales : chirurgie de la digestives de calcium rénale précipitation et/ou
développement embryologique thyroïde et des parathyroïdes Carence d’apport chronique de transfert
isolée ou s’intégrant dans un Infiltrations, radiothérapie Carence d’ensoleillement Transfusions,
syndrome dysmorphique Fonctionnelles : Malabsorption : insuffisance pancréatite aiguë,
(syndrome de Di George) hypomagnésémie, intoxication pancréatique, Crohn, sprue, syndrome de lyse,
Auto-immunes : isolée ou alcoolique aiguë by-pass gastrique, etc. alcalose aiguë, hungry
s’intégrant dans une Activation du récepteur sensible au Pseudohypoparathyroïdie : isolée bone syndrome
polyendocrinopathie calcium : pharmacologique ou ou associée au syndrome
auto-immune (triade : maladie immunologique dysmorphique de Albright
d’Addison, hypoparathyroïdie, Rachitisme de type I : déficit en
moniliase) 1-alpha hydroxylase
Familiales isolées : anomalies Rachitisme vitaminorésistant de
héréditaires responsables d’un type II : absence de récepteur à la
dysfonctionnement d’une des vitamine D
étapes nécessaires à la synthèse
de parathormone
Hypocalcémie hypercalciurique
familiale : asymptomatique ou
associée à un syndrome de
Bartter de type V
Par déficit congénital en
magnésium : réversible après
correction de l’hypomagnésémie

Tableau 3.
Principales causes d’hypocalcémie d’origine médicamenteuse et mécanismes sous-jacents.
Pseudohypocalcémie Hypocalcémie avec hypoparathyroïdie Hypocalcémie avec élévation de la parathormone
Interférence du gadolinium avec les Hypomagnésémie sévère Chélateurs du calcium : citrate (transfusion, épuration
méthodes de dosage colorimétrique du Cisplatine, aminoglycosides, amphotéricine B extrarénale au citrate, échanges plasmatiques), foscarnet,
calcium total. Effet pouvant être Alcool intoxication à l’acide fluorohydrique
prolongé en cas d’injection de Cinacalcet Bisphosphonates : diminution de l’ostéorésorption
gadolinium pour une IRM réalisée chez Diurétiques de l’anse : diminution de la réabsorption de
le patient insuffisant rénal chronique calcium dans la branche large de l’anse de Henlé
Estramustine et estrogénothérapie : diminution de
l’ostéorésorption (utilisation dans les cancers de la prostate)
Médicaments entraînant une hyperphosphatémie : laxatifs et
lavements à base de phosphate de sodium pour préparation à
la coloscopie, syndrome de lyse secondaire à une
chimiothérapie pour hémopathie maligne
Inhibiteurs de la pompe à protons et antihistaminiques H2 :
diminution de l’absorption digestive de calcium par
diminution de l’acidité gastrique, diminution de la
résorption osseuse, hypomagnésémie a
Injection de calcitonine : augmentation de l’accrétion osseuse
Anticonvulsivants (barbituriques, phénylhydantoïne),
rifampicine : activation du cytochrome P450 hépatique et
stimulation du catabolisme rénal avec la 24 hydroxylase
a
L’hypomagnésémie observée avec les inhibiteurs de la pompe à protons peut entraîner une hypoparathyroïdie, mais également une pseudohypoparathyroïdie. IRM :
imagerie par résonance magnétique.

une résistance à son action. Elle est considérée comme fonction- • les hypoparathyroïdies fonctionnelles, dont la principale cause
nelle car réversible après correction de l’hypomagnésémie. est l’hypomagnésémie profonde (inférieure à 0,4 mmol/l), en
Hypoparathyroïdies acquises rapport avec une intoxication alcoolique aiguë, une malabsorp-
tion digestive ou une perte rénale (ciclosporine) ;
Les plus fréquentes sont le plus souvent dues à une réduction
• les hypoparathyroïdies médicamenteuses, parmi lesquelles se
de la masse parathyroïdienne. On distingue schématiquement :
trouvent les activateurs du CaSR (cinacalcet), qui reproduisent
• les hypoparathyroïdies à la suite d’une chirurgie thyroï-
le tableau d’hypocalcémie hypercalciurique familiale, et les
dienne ou parathyroïdienne. Après chirurgie thyroïdienne,
inhibiteurs de la pompe à protons, qui peuvent induire une
l’hypocalcémie est le plus souvent transitoire. Elle est consi-
hypocalcémie hypomagnésémique à PTH basse [13] .
dérée comme définitive lorsqu’elle persiste au-delà de six
mois. Après une cure d’adénome parathyroïdien ou d’une
hyperplasie, il existe fréquemment une hypocalcémie dont le Hypocalcémie extraparathyroïdienne
mécanisme peut être soit une extinction transitoire de la capa- Pseudohypoparathyroïdie
cité du tissu parathyroïdien restant à sécréter de la PTH, soit Le tableau phosphocalcique est celui de l’hypoparathyroïdie
une réduction excessive du tissu parathyroïdien ; (hypocalcémie, hyperphosphatémie et calcitriolémie basse), mais
• les hypoparathyroïdies organiques par infiltration des para- la PTH est élevée, de manière inadaptée. Cela définit un tableau
thyroïdes (infiltration tumorale, amyloïde, sarcoïdosique, par de résistance à la PTH [14] . Les formes génétiques sont en rapport
maladie de surcharge). Ces causes d’hypoparathyroïdie sont avec des mutations sur les voies de transduction en aval du récep-
exceptionnelles ; teur de la PTH. Il en existe plusieurs formes, mais la plus fréquente

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Hypocalcémie  1-1312

Tableau 4.
Caractéristiques biologiques des principaux syndromes avec hypocalcémie.
Principaux syndromes Phosphatémie Calciurie PTH Vitamine D Calcitriol Magnésémie
d’hypocalcémie

Hypoparathyroïdie Normale Normale ou


Pseudohypoparathyroïdie Normale Normal Normale ou
Insuffisance rénale chronique Normale Normale
Hypocalcémie familiale secondaire à une ou inapropriée Normale
activation du récepteur sensible au
calcium
Carence en vitamine D Normale
Rachitisme pseudocarentiel de type I Normale Normale
Rachitisme pseudocarentiel de type II Normale Normale
Par transfert ou précipitation Normale Normal ou Normale ou

PTH : parathormone.

est la pseudohypoparathyroïdie de type 1a, en rapport avec une rarement après correction d’une hyperthyroïdie et parfois spon-
mutation de la protéine G␣ [15] . Elle associe à l’hypoparathyroïdie tanément après lever d’immobilisation) et de certains processus
un syndrome dysmorphique osseux (ostéodystrophie d’Albright d’hyperminéralisation osseuse (métastases ostéocondensantes de
caractérisée par une bradymétacarpie, un facies lunaire, une obé- certains cancers), ou enfin par saponification du calcium avec
sité, des calcifications extraosseuses, un retard de croissance et un les acides gras libres provenant du mésentère au cours des
retard mental variable). pancréatites aiguës. Dans le cas du hungry bone syndrome postpa-
rathyroïdectomie, l’élévation de la PTH est souvent absente car
Anomalies du métabolisme de la vitamine D active
c’est justement la réduction et la sidération parathyroïdienne qui
ou de son action
initie ce phénomène [17] .
Le tableau est habituellement celui d’une hypocalcémie, d’une
hypophosphatémie, d’une élévation de la PTH et d’une hypocal- Hypocalcémie par fuite rénale de calcium
citriolémie. Elles sont généralement secondaires à une carence Outre l’hypocalcémie hypercalciurique familiale ou secondaire
(inférieure à 10 ng/ml) ou à un déficit (inférieur à 30 ng/ml) en au traitement par cinacalcet, évoquée dans le chapitre des hypopa-
vitamine D, rarement d’origine alimentaire, plus fréquemment rathyroïdies, certaines hypocalcémies ont pour origine une perte
secondaire à un déficit d’exposition solaire, à une malabsorption rénale de calcium. Cette fuite rénale de calcium peut être secon-
digestive (sprue, maladie de Crohn, insuffisance pancréatique, daire à la prise des diurétiques de l’anse, ou rester idiopathique.
chirurgie gastro-intestinale avec by pass). La diminution des En réalité, l’hyperparathyroïdie secondaire rend l’hypocalcémie
concentrations circulantes de vitamine D active peut également peu fréquente, hormis lorsqu’il existe un facteur extrarénal associé
être secondaire à un défaut d’hydroxylation de la vitamine D en (apports restreints, utilisation d’un bisphosphonate).
position 25 au cours d’hépatopathies, ou en position 1 par le rein
dans le rachitisme pseudocarentiel de type I. Ce rachitisme pseu- Hypocalcémie médicamenteuse
docarentiel d’origine génétique est sensible aux formes actives de De nombreux médicaments peuvent induire une hypocalcé-
vitamine D. Enfin, il peut s’agir d’une anomalie génétique portant mie. Les mécanismes en cause sont très variés. La liste des
sur le VDR, définissant le rachitisme pseudocarentiel de type II, principaux médicaments avec leurs mécanismes responsables
vitaminorésistant, uniquement sensible à de très fortes doses de d’une hypocalcémie est répertoriée dans le Tableau 3 [18] .
dérivés actifs de la vitamine D [16] .
Insuffisance rénale chronique
L’hypocalcémie observée au cours de l‘insuffisance rénale chro-  Manifestations cliniques
nique est liée à la rétention de phosphates qui favorise la
précipitation de cristaux de phosphate de calcium dans les tissu L’intensité des manifestations cliniques de l’hypocalcémie est
mous, à la perturbation du métabolisme de la vitamine D avec extrêmement variable et dépend, d’une part, de la profondeur
diminution de la production de vitamine D active (secondaire à de l’hypocalcémie et, d’autre part, de sa rapidité d’installation.
l’augmentation du fibroblast growth factor 23 (FGF23) qui inhibe la L’hypocalcémie observée au cours de l’insuffisance rénale chro-
1-alpha hydroxylase rénale), et à la survenue d’une résistance du nique est par exemple souvent asymptomatique, contrairement
tissu osseux à l’action de la PTH. aux hypocalcémies d’apparition aiguë.
Les manifestations à court terme de l’hypocalcémie sont avant
Hypocalcémie par précipitation et/ou transfert tout neuromusculaires. Le signe le plus fréquent consiste en des
La précipitation intravasculaire de calcium peut être secondaire paresthésies dont la localisation péribuccale et aux extrémités
à l’apport de citrate délivré par les culots globulaires au cours (mains surtout) est évocatrice du diagnostic d’hypocalcémie. Les
des transfusions massives, ou par les circuits extracorporels au troubles moteurs se présentent sous forme de crampes ou de
cours des séances de plasmaphérèses ou d’épuration extrarénales spasme pouvant, à l’extrême, évoluer vers une forme tétanique
utilisant le citrate. L’augmentation rapide des taux sériques de avec dysfonctionnement des muscles lisses (dysphagie œsopha-
phosphates par rétention au cours de l’insuffisance rénale aiguë gienne, douleur abdominale, spasme laryngé et bronchospasme).
ou par apport massif au cours des syndromes de lyse tumorale L’hypocalcémie peut également entraîner des manifestations car-
(chimiothérapie pour leucémie ou lymphome), des rhabdomyo- diovasculaires à type d’hypotension, d’allongement du QT, de
lyses ou de la prise de certains lavements digestifs, peut également trouble de rythme, d’insuffisance cardiaque congestive, réfrac-
entraîner une hypocalcémie par précipitation sous forme de sel de taire aux agents pharmacologiques inotropes et réversible à
phosphate de calcium dans le secteur extracellulaire ou les tissus la correction de l’hypocalcémie. Elle peut également entraîner
mous. des manifestations neurologiques centrales à type de convul-
Les hypocalcémies de transfert peuvent se faire par fixation sions, de troubles psychiques (anxiété, dépression, psychose) et
sur les protéines plasmatiques, comme au cours de l’alcalose une altération des fonctions supérieures à type de démence,
aiguë, qu’elle soit métabolique ou respiratoire, par transfert vers débilité.
l’os au cours du hungry bone syndrome (le plus souvent après À long terme, l’hypocalcémie peut entraîner des troubles tro-
une cure chirurgicale d’une hyperparathyroïdie, beaucoup plus phiques de la peau et des phanères (peau sèche, cheveux rares et

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1312  Hypocalcémie

cassants, diminution de la pilosité axillaire et pubienne, chutes Prise en charge de l’hypocalcémie chronique
des sourcils et des cils), calcification du cristallin (cataracte sub-
capsulaire), altération dentaire, calcifications intracrâniennes. Elle repose sur des apports en calcium associés à la prise de
Outre ces signes spontanés, deux signes provoqués peuvent vitamine D native ou un de ses dérivés actifs hydroxylés. Les
aider au diagnostic d’hypocalcémie et permettre de détecter un apports en calcium sont prescrits de manière fractionnée sous
risque de tétanie, le signe de Chvostek et le signe de Trousseau. Le forme de gluconate, carbonate ou acétate de calcium en trois
premier est peu spécifique (présent chez 25 % des gens normaux), ou quatre prises dans la journée en dehors des repas pour évi-
il s’agit d’une contraction des muscles péribuccaux provoquée par ter leur chélation aux phosphates alimentaires. Les apports en
la percussion du nerf facial en avant de l’oreille. Le deuxième est vitamine D peuvent correspondre à de la vitamine D3 animale
plus spécifique et se manifeste par une contraction des muscles ou cholécalciférol (Uvédose® ), à de la vitamine D2 végétale ou
de la main sous la forme caractéristique d’une main d’accoucheur ergocalciférol (Stérogyl® ), aux dérivés actifs hydroxylés de la vita-
après maintien du brassard tensionnel 20 mmHg au-dessus de la mine D3 en 25 ou calcifédiol (Dédrogyl® ), en 1 et 25 ou calcitriol
systolique pendant trois minutes. (Rocaltrol® ), en 1-alpha ou alfacalcidol (Unalfa® ). La quantité et
le type de vitamine D utilisé dépendent de l’étiologie. Le stock
en vitamine D au cours des carences est généralement recons-
 Prise en charge thérapeutique titué avec des doses journalières, mensuelles ou semestrielles
de Stérogyl® ou d’Uvédose® . Les dérivés hydroxylés, de type
Rocaltrol® ou Unalfa® , sont utilisés dans l’ostéodystrophie rénale,
L’urgence de la prise en charge thérapeutique dépend de la les hypoparathyroïdies, les pseudohypoparathyroïdies, les rachi-
sévérité biologique de l’hypocalcémie, de l’existence de manifes- tismes pseudocarentiels, le Dédrogyl® au cours des traitements par
tations cliniques et surtout de son caractère aigu ou chronique. corticoïdes ou anticonvulsivants. Les apports vitaminocalciques
L’objectif de la prise en charge consiste par conséquent à doivent rester modérés dans l’insuffisance rénale chronique et
distinguer rapidement, dans un premier temps à partir de l’hypoparathyroïdie, car ils exposent au risque de bilan calcique
l’interrogatoire, de la clinique et des circonstances de découverte, positif avec calcifications vasculaires dans le premier cas et, dans
s’il s’agit d’une situation chronique, généralement stable et bien le second, au risque d’hypercalciurie avec maladie lithiasique
tolérée ou d’une situation aiguë, instable nécessitant un traite- et nephrocalcinose. La prescription de diurétique thiazidique
ment immédiat. Le but du traitement de l’hypocalcémie aiguë est permet dans l’hypoparathyroïdie, d’augmenter la calcémie sans
de corriger ou de prévenir les manifestations cliniques neuromus- entraîner d’hypercalciurie. L’administration sous-cutanée de PTH
culaires potentiellement menaçantes pour le patient. Il consiste synthétique permet également de diminuer significativement les
à apporter des quantités importantes de calcium généralement apports vitaminocalciques et l’hypercalciurie, mais n’est pas auto-
par voie veineuse pour ramener et maintenir la calcémie ionisée risée pour cette indication actuellement [21] . L’existence d’une
à une valeur seuil sécuritaire de 1 mmol/l ou la calcémie totale hypomagnésémie profonde doit être systématiquement recher-
à une valeur seuil sécuritaire de 1,8 mmol/l pour s’affranchir de chée et corrigée dans tous les cas pour que le traitement
toutes complications neuromusculaires ou vitales potentielles. En vitaminocalcique soit efficace.
l’absence d’urgence thérapeutique, l’objectif est de mettre en place
un traitement d’entretien généralement par voie orale adaptée à
l’étiologie sous-jacente.
 Conclusion
Prise en charge thérapeutique L’identification d’une hypocalcémie doit amener à savoir si elle
de l’hypocalcémie aiguë est aiguë ou chronique. Les hypocalcémies aiguës sont potentiel-
lement plus dangereuses et doivent, par conséquent, être traitées
Un apport calcique parentéral s’impose généralement au cours rapidement, généralement par voie intraveineuse de calcium. Le
de l’hypocalcémie aiguë, en cas de manifestations cliniques contexte suffit généralement à en définir l’origine étiologique
sévères et/ou si la calcémie ionisée est inférieure à 1 mmol/l ou la (hypocalcémies observées après une chirurgie des parathyroïdes
calcémie totale inférieure à 1,8 mmol/l. Il n’existe pas de schéma ou de la thyroïde, hypocalcémies par précipitation ou de trans-
thérapeutique standardisé. Un traitement d’attaque peut être pro- fert). Les hypocalcémies chroniques ne nécessitent pas de prise
posé avec la perfusion intraveineuse en cinq à dix minutes de deux en charge symptomatique aussi rapide. Elles sont essentielle-
à trois ampoules de gluconate de calcium à 10 % dans 100 ml de ment représentées par les carences en vitamine D, l’insuffisance
soluté glucosé iso-osmotique ou de sérum physiologique. Ce trai- rénale chronique et l’hypoparathyroïdie chronique postchirurgi-
tement pouvant être répété toutes les heures jusqu’à la disparition cale. Leur traitement repose sur un apport vitaminocalcique par
des symptômes. Un traitement d’entretien peut ensuite être réa- voie orale.
lisé avec la perfusion de quatre à huit ampoules de gluconate de
calcium à 10 % dans 500 ml de glucosé ou de sérum physiologique
à passer en quatre à six heures. Ce traitement doit être adapté aux
résultats des contrôles de calcémie réalisés toutes les 4 à 6 heures et  Références
poursuivi tant que la calcémie ionisée reste inférieure à 1 mmol/l
et la calcémie totale inférieure à 1,8 mmol/l. Un relais par voie [1] Cooper MS, Gittoes NJ. Diagnosis and management of hypocalcaemia.
Br Med J 2008;336:1298–302.
orale peut être ensuite entrepris.
On peut édicter ici quelques règles complémentaires à cet [2] Gidenne S, Vigezzi JF, Delacour H, Damiano J, Clerc Y. Direct deter-
mination or estimated value of plasma ionized calcium: indications and
apport calcique parentéral, il faut : éviter la perfusion intravei-
limits. Ann Biol Clin 2003;61:393–9.
neuse directe (risque d’arythmie avec arrêt cardiaque), penser à
[3] Doorenbos CJ, Ozyilmaz A, van Wijnen M. Severe pseudohypocal-
corriger de manière concomitante une éventuelle hypomagnésé-
cemia after gadolinium-enhanced magnetic resonance angiography. N
mie sévère, éviter de corriger préalablement une acidose associée Engl J Med 2003;349:817–8.
qui aggrave l’hypocalcémie ionisée. On suggère également la
[4] Gauci C, Moranne O, Fouqueray B, de la Faille R, Maruani
perfusion sur une veine de gros calibre (si possible une veine G, Haymann JP, et al. Pitfalls of measuring total blood cal-
jugulaire externe) en raison de la veinotoxicité du calcium [19, 20] . cium in patients with CKD. J Am Soc Nephrol 2008;19:
Les ampoules de gluconate de calcium (ampoule de 10 ml à 10 % 1592–8.
contenant 90 mg de calcium élément) sont généralement préfé- [5] Fardellone P, Cotté FE, Roux C, Lespessailles E, Mercier F, Gaudin
rées aux ampoules de chlorure de calcium (ampoule de 10 ml à AF. Calcium intake and the risk of osteoporosis and fractures in French
10 % contenant 180 mg de calcium élément), car elles sont moins women. Joint Bone Spine 2010;77:154–8.
concentrées et donc potentiellement moins veinotoxiques. Enfin, [6] McCormick CC. Passive diffusion does not play a major role
il est important de ne pas perfuser en même temps du bicarbonate in the absorption of dietary calcium in normal adults. J Nutr
ou du phosphate en raison du risque de précipitation. 2002;132:3428–30.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Hypocalcémie  1-1312

[7] Dimke H, Hoenderop JG, Bindels RJ. Hereditary tubular transport [14] Conte-Devolx B, Castinetti F, Lienhard-Roussie A. Hypoparathyroï-
disorders: implications for renal handling of Ca2+ and Mg2+. Clin die de l’adulte : des diagnostics parfois surprenants. In: Mises au
Sci 2010;118:1–18. point cliniques d’endocrinologie. Paris: Éditions Médecine pratique;
[8] Pirklbauer M, Mayer G. The exchangeable calcium pool: physiology 200917–27.
and pathophysiology in chronic kidney disease. Nephrol Dial Trans- [15] Lienhardt-Roussie A, Linglart A. Anomalies génétiques du méta-
plant 2011;26:2438–44. bolisme phosphocalcique. In: Chanson P, Young J, editors. Traité
[9] Brandi L, Egfjord M, Olgaard K. Comparison between 1␣(OH)D3 and d’endocrinologie. Paris: Flammarion; 2007. p. 506–16.
1, 25(OH)2D3 on the Suppression of Plasma PTH Levels in Uremic [16] Garabedian M, N’Guyen M. Résistance à la vitamine D par défaut de
Patients, Evaluated by the “Whole” and “Intact” PTH Assays. Nephron fonction de son récepteur. Metabol Horm diabet Nutr 2006;3:131–8.
Clin Pract 2005;99:128–37. [17] Witteveen JE, van Thiel S, Romijn JA, Hamdy NA. Hungry bone
[10] Peacock M. Calcium metabolism in health and disease. Clin J Am Soc syndrome: still a challenge in the postoperative management of pri-
Nephrol 2010;5(Suppl.):S23–30. mary hyperparathyroidism. A systematic review of the literature. Eur
[11] Eisenbarth GS, Gottlieb PA. Autoimmune polyendocrine syndromes. J Endocrinol 2013;168:45–53.
N Engl J Med 2004;350:2068–79. [18] Liamis G, Milionis HJ, Elisaf M. A review of drug-induced hypocal-
[12] Egbuna OI, Brown EM. Hypercalcaemic and hypocalcaemic condi- cemia. J Bone Miner Metab 2009;27:635–42.
tions due to calcium-sensing receptor mutations. Best Pract Res Clin [19] Dickerson RN. Treatment of hypocalcemia in critical illness–part 1.
Rheumatol 2008;22:129–48. Nutrition 2007;23:358–61.
[13] Kifor O, McElduff A, LeBoff MS, Moore Jr FD, Butters R, Gao P, [20] Dickerson RN. Treatment of hypocalcemia in critical illness–part 2.
et al. Activating antibodies to the calcium-sensing receptor in two Nutrition 2007;23:436–7.
patients with autoimmune hypoparathyroidism. J Clin Endocrinol [21] Cusano NE, Rubin MR, Sliney Jr J, Bilezikian JP. Mini-review: new
Metab 2004;89:548–56. therapeutic options in hypoparathyroidism. Endocrine 2012;41:410–4.

H. Boulanger (h.boulanger@clinique-estree.fr).
S. Ahriz Saksi.
Service de néphrologie, hémodialyse, Clinique de l’Estrée, 35, rue d’Amiens, 93240 Stains, France.
F. Chhuy.
Service des urgences, Clinique de l’Estrée, 35, rue d’Amiens, 93240 Stains, France.
M. Flamant.
Exploration fonctionnelles rénales, Hôpital Bichat–Claude-Bernard, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Boulanger H, Ahriz Saksi S, Chhuy F, Flamant M. Hypocalcémie. EMC - Traité de Médecine Akos
2014;9(1):1-7 [Article 1-1312].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 7


1-1320
1-1320

Hypokaliémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L ’hypokaliémie est un désordre électrolytique fréquent, le plus souvent cliniquement silencieux. Son
retentissement myocardique et musculaire peut cependant engager le pronostic vital. Les causes
d’hypokaliémie sont nombreuses, mais le contexte clinique et, dans certains cas, le ionogramme urinaire orientent
rapidement l’enquête étiologique.
© Elsevier, Paris.


Les troubles du rythme cardiaque sont rares ou – les antécédents personnels et familiaux ;
Physiologie exprimés de façon modérée chez le sujet sain ; ils sont – l’emploi de diurétiques, laxatifs ou autres
plus fréquents, voire préoccupants, chez les patients médicaments ;
porteurs d’une cardiopathie sous-jacente (ischémique – l’existence de troubles digestifs ;
Un rappel de la physiologie du potassium est ou valvulaire), ou bien traités par digitaliques ou – le niveau de pression artérielle.
proposé dans l’article « hyperkaliémie ». Le potassium quinidiniques. Il n’y a pas de parallélisme étroit entre Les éléments précédents permettent d’évoquer
joue un rôle majeur dans la polarisation des kaliémie et modifications et électriques : l’élec- d’emblée, avec une bonne sécurité, la cause de
membranes cellulaires, le potentiel neuromusculaire, troencéphalogramme (ECG), est donc systématique l’hypokaliémie dans plus de 90 % des cas. Il s’agit le
l’automatisme cardiaque et certaines activités devant toute hypokaliémie. plus souvent d’un traitement diurétique mal contrôlé
enzymatiques. L’hypokaliémie est la conséquence ou de pertes digestives basses. Une classification
Muscles striés étiologique des hypokaliémies est indiquée tableau II.
d’une déplétion potassique, ou d’un transfert
intracellulaire de potassium. Lorsque ces signes sont présents, ils se limitent en Dans une faible proportion des cas, le diagnostic
règle à une fatigabilité musculaire, des myalgies ou des n’est pas évident : le ionogramme sanguin sera


crampes ; les parésies ou paralysies des membres complété par un ionogramme urinaire, mesurant
et/ou des muscles respiratoires, ainsi que les notamment la kaliurèse des 24 heures et la chlorurie.
Diagnostic [3]
rhabdomyolyses, sont exceptionnelles. Les Un algorithme décisionnel simple permet de distinguer
fasciculations musculaires ou des signes de tétanie les pertes urinaires et les pertes digestives de
‚ Dosage plasmatique sont davantage en rapport avec une carence associée potassium (fig 1) ; les carences d’apport alimentaire,
L’hypokaliémie est définie par une concentration en magnésium. pertes cutanées et transfert intracellulaire sont très
du potassium plasmatique inférieure à 3,5 mmol/L. Le rares.
Muscles lisses La cause précise d’une hypokaliémie reste parfois
plus souvent, c’est un ionogramme sanguin
systématique qui révèle l’anomalie. L’hypocontractilité digestive par hypokaliémie est obscure. Dans ces cas, l’avis du spécialiste peut être
parfois responsable d’une constipation, avec au utile. Certaines affections sont difficiles à reconnaître
‚ Signes cliniques maximum iléus paralytique. Des rétentions d’urines, ou souvent méconnues. Deux situations méritent ici
Ils sont pour l’essentiel neuromusculaires (dus à une des hypotensions artérielles orthostatiques ont été très d’être individualisées : la prise cachée de diurétiques
hyperpolarisation membranaire) ou rénaux. rarement rapportées. et/ou de laxatifs (tableau III) [2] ; les syndromes de
Bartter et Gitelman (tableau IV).
Myocarde Néphropathie hypokaliémique [2]
L’atteinte myocardique se traduit par des troubles Une tubulopathie fonctionnelle est assez fréquente


de la repolarisation ventriculaire diffus, et parfois des au cours des hypokaliémies sévères prolongées : elle
troubles du rythme, supraventriculaires ou se traduit essentiellement par un syndrome
Traitement
ventriculaires (tableau I). polyuropolydipsique avec polyurie hypotonique,
résistante à l’hormone antidiurétique (ADH) ; des ‚ Traitement curatif
Tableau I. – Anomalies de l’électrocardio- pertes de chlore, d’ammoniaque, ou une rétention
gramme (ECG) au cours des hypokaliémies. Le traitement curatif d’une hypokaliémie est tout
hydrosodée sont aussi possibles. Des lésions
d’abord étiologique. Une supplémentation potassique
histologiques rénales peuvent apparaître, touchant
Troubles de la repolarisation ventriculaire diffus : est nécessaire lorsque l’hypokaliémie est sévère (<
initialement les tubules proximaux (aspect vacuolé)
— aplatissement voire négativation des ondes T 2,5 mmol/L), ou lorsqu’elle survient chez un sujet
puis l’interstitium. Une insuffisance rénale chronique
— apparition d’ondes U digitalisé ou porteur d’une cardiopathie. La quantité de
peut se développer lorsque l’hypokaliémie persiste
— T-U : aspect de double bosse positive ou d’onde potassium à apporter et la voie d’administration
diphasique plusieurs années.
dépendent essentiellement de l’existence ou non de
— sous-décalage du segment ST en cupule à troubles du rythme, de paralysies, et de troubles
concavité supérieure


digestifs (tableau V).
— pseudoallongement de ST (longueur normale
sauf carence en Mg++ ou Ca++) Diagnostic étiologique ‚ Traitement préventif
Troubles du rythme :
— supraventriculaires : extrasystoles, tachycardie, Un traitement préventif est souvent utile chez les
tachysystolie auriculaire, arythmie complète par patients soumis à un traitement hypokaliémiant, par
fibrillation auriculaire L’enquête étiologique est très simple dans la grande exemple corticoïde ou diurétique. En revanche,
© Elsevier, Paris

— ventriculaires : extrasystoles, tachycardie ou majorité des cas observés en pratique courante. Il faut lorsqu’un inhibiteur de l’enzyme de conversion (IEC)
fibrillation ventriculaire, torsade de pointe préciser entre autres : est associé au diurétique, la supplémentation
– l’ancienneté de l’hypokaliémie ; potassique n’est généralement pas utile.

1
1-1320 - Hypokaliémie

Tableau II. – Principales causes d’hypokaliémie. Tableau III. – Maladie des laxatifs et
diurétiques.
Insuffisance des apports alimentaires (3 g/j au minimum)
Situation rare : diminution du stock corporel de K+ dans les anorexies mentales prolongées et certains régi- Maladie des laxatifs
mes amaigrissants Il s’agit de femmes jeunes au profil psychologique
Transfert intracellulaire accru du K+ : particulier, souvent très maigres. L’usage des laxa-
tifs hypokaliémiants (phénolphtaléine, anthraqui-
- alcalose aiguë (métabolique ou respiratoire) nones) et la diarrhée ne sont pas avoués. La biolo-
- insulinothérapie (surtout lors d’une acidocétose) gie indique typiquement une perte digestive basse
- stimulation β2 adrénergique (tout agent β2 mimétique, thérapeutique ou endogène) de potassium, qui assure le diagnostic en l’absence
- intoxication par la chloroquine, la théophylline, le baryum de pathologie organique décelable ; vomissements
- paralysie familiale hypokaliémique (maladie de Westphal, autosomique dominante) provoqués ou prise cachée de diurétiques concomi-
hypothermie tants rendent le tableau biologique moins clair.
- production accrue de cellules sanguines (sous vitamine B12 ou GM-CSF) L’existence d’une mélanose colique lors d’une en-
Pertes rénales de K+ (kaliurèse « inappropriée » > à 20 mmol/24 h) doscopie, ou la découverte de laxatifs dans les sel-
les ou urines confirment la maladie.
Causes médicamenteuses :
- diurétiques : acétazolamide, de l’anse, thiazidiques, osmotiques. Prise cachée de diurétiques
- tubulotoxiques : lithium, cisplatine, amphotéricine B, pénicilline à forte dose...
- corticothérapie Là encore, il s’agit de femmes jeunes au psychisme
Causes endocriniennes (avec hypertension artérielle) particulier, désirant maigrir et ayant accès aux
- hyperaldostéronisme (primaire ou secondaire) médicaments diurétiques. Leur usage est nié, mais
- autres hyperminéralocorticismes * la biologie évoque une fuite urinaire de potassium,
- hypercortisolisme endogène (syndrome de Cushing) et la positivité (inconstante) de la recherche de
Causes rénales : diurétiques dans l’urine affırme la maladie. Il faut
- néphropathies interstitielles avec perte de sel prendre le soin d’éliminer les autres affections avec
- acidoses tubulaires distales, acidocétose diabétique fuite rénale de potassium, en particulier les syn-
- syndrome de Bartter, syndrome de Gitelman (tableau IV) dromes de Bartter et Gitelman.
- polyurie (après levée d’obstacle, nécrose tubulaire, transplantation)
Pertes digestives de K+ (kaliurèse « appropriée » en quelques jours < 20 mmol/24 h)
Hautes : vomissements, aspiration digestive. La perte d’acide chlorhydrique favorise une alcalose métaboli-
que et un profond déficit chloré (chlorémie et chlorurie basses). La kaliurèse est souvent > 80 mmol/24 h
Basses : diarrhée aiguë infectieuse, maladie des laxatifs, tumeur villeuse, vipome, syndrome de Zollinger et
Ellison. Il y a souvent acidose métabolique (perte digestive de bicarbonates), et pas de déficit chloré
Pertes cutanées de K+
Sudation extrême
Brûlures étendues
Hémodialyse, plasmaphérèse

* Accumulations de minéralocorticoïdes autres que l’aldostérone : ici, aldostéronémie et activité rénine plasmatique sont basses. La consommation de
glycyrrhizine (réglisse, pastis sans alcool...), certains blocs enzymatiques (11β ou 17a hydroxylase) chez l’enfant, ou le syndrome de Liddle (mutation
activatrice héréditaire du canal sodium épithélial tubulaire distal, sensible à l’amiloride) peuvent rendre compte de cette situation.

Tableau IV. – Syndrome de Bartter et syn-


Hypokaliémie drome de Gitelman [4].
K+ < 3,5 mmol/L
Points communs
Hypokaliémie
Kaliurèse Alcalose métabolique
Absence d’hypertension artérielle
Fuite rénale « inexpliquée » de potassium
< 20 mmol/24h > 20 mmol/24h Histoire familiale parfois positive : affections héré-
ditaires autosomiques récessives
Différences
Pertes digestives Pertes rénales
de potassium de potassium Bartter
Le diagnostic d’hypokaliémie est porté en période
néonatale ou dans l’enfance ; la magnésémie est
Chlorurie
normale, la calciurie élevée avec parfois néphro-
calcinose. Ce syndrome mime la prise d’un diuréti-
(chlorémie) Avec HTA Sans HTA que de l’anse : il est dû à des mutations inactivatri-
ces touchant les cibles cellulaires de ces produits
- Hyperaldostéronisme - Médicaments : (cotransporteurs Na-K-2Cl de l’anse de Henlé par
Effondrée Normale exemple).
primitif - diurétiques
- Hyperaldostéronisme - tubulotoxiques
Gitelman
secondaire - Néphropathie interstitielle Le diagnostic d’hypokaliémie est porté après l’âge
Pertes digestives Pertes digestives - Hyperminéralcorticisme chronique de 8 ans, souvent chez un adulte ; la magnésémie
hautes (1) basses - Hypercortisolisme - Acidose tubulaire rénale est basse, il y a hypocalciurie et parfois chondro-
- Syndrome de Bartter calcinose articulaire. Ce syndrome mime la prise
- Vomissements - Diarrhée - Syndrome de Gitelman d’un diurétique thiazidique : il est dû à des muta-
- Aspiration gastrique tions inactivatrices touchant les cibles cellulaires
de ces produits (cotransporteurs Na-Cl des tubes
contournés distaux).
1 Arbre diagnostique. (1) Kaliurèse souvent supérieure à 20 mmol/24 h.

2
Hypokaliémie - 1-1320

Tableau V. – Traitement des hypokaliémies [1].

Limiter les risques d’accident cardiaque


Arrêt d’un traitement digitalique si kaliémie < 3 mmol/L
Discuter l’arrêt de médicaments allongeant l’espace QT (risque de torsade de pointe)
Limiter les pertes potassiques
Il s’agit du traitement étiologique, lorsqu’une fuite rénale ou digestive peut être stoppée. Il faut notamment interrompre les médicaments hypokaliémiants. En cas
d’hyperaldostéronisme secondaire, les diurétiques épargneurs de potassium (spironolactone, soludactone) peuvent limiter les pertes urinaires et aider à la correction
d’une hypokaliémie.
Corriger le déficit potassique
Par voie orale en l’absence de troubles du rythme, de paralysie, ou de trouble digestif
Alimentation riche en potassium :
— jus d’orange, pamplemousse, banane, fruits secs, légumes, chocolat.
Supplémentation orale en sels de potassium :
— chlorure de potassium le plus souvent, corrigeant également le déficit chloré ;
- Diffu-K® (8 mmol/gél) : 1 à 6 gél/j
- Kaléorid LP® 600 (8 mmol/cp) : 1 à 6 cp/j
- Kaléorid LP® 1000 (13,4 mmol/cp) : 1 à 4 cp/j
en deux à trois prises à la fin des repas, avec un verre d’eau
— sels alcalins de potassium (bicarbonate, citrate, gluconate) uniquement si une acidose métabolique est associée (situation rare), faute de quoi ils pérennisent l’alca-
lose et donc l’hypokaliémie.
Par voie veineuse en cas de troubles du rythme, paralysie, troubles digestifs
Sous surveillance cardioscopique continue
Diluer dans un soluté salé ou glucosé
Concentration maximale : 4 g/L sur une veine périphérique (irritation, phlébite)
Débit à ne jamais dépasser : 1,5 g/h
Jamais d’injection intraveineuse directe (mort subite)

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie du Professeur Grünfeld, hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hypokaliémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1320, 1998, 3 p

Références

[1] Kruse JA, Carlson RW. Rapid correction of hypokalemia using concentrated [4] Simon DB, Nelson-Williams C, Bia MJ, Ellison D, Karet FE, Molina AM
intravenous potassium chloride infusions. Arch Intern Med 1990 ; 150 : 613-617 et al. Gitelman’s variant of Bartter’s syndrome, inherited hypokalaemic alkalosis,
is caused by mutations in the thiazide-sensitive Na-Cl cotransporter. Nat Genet
[2] Riemenschneider T, Bohle A. Morphologic aspects of low-potassium and low- 1996 ; 12 : 24-30
sodium nephropathy. Clin Nephrol 1983 ; 19 : 271-279

[3] Rose BD. Clinical Physiology of Acid-Base and Electrolyte Disorders (4th
ed). New York : McGraw-Hill, 1994 : 805-808

3
 1-1326

Hyponatrémie
A. Passeron

L’hyponatrémie est un trouble hydroélectrolytique très fréquent, parfois silencieux, pouvant être le pre-
mier signe d’une maladie néoplasique ou un marqueur de gravité dans l’insuffisance cardiaque et la
cirrhose décompensée. L’identification de la cause de l’hyponatrémie est indispensable à une prise en
charge adaptée reposant sur une démarche physiopathologique systématique. Il convient de confirmer
l’hypo-osmolarité plasmatique, d’évaluer la réponse rénale avec l’osmolarité urinaire et d’apprécier le
volume extracellulaire en s’aidant de la natriurèse. Cette analyse permet de distinguer les hyponatrémies
par intoxication à l’eau avec réponse rénale normale de celles liées à la sécrétion d’hormone antidiuré-
tique soit par stimulus volémique, soit par sécrétion inadéquate. Le recours aux solutés hypertoniques
(sérum salé à 3 %) doit être restreint aux hyponatrémies aiguës (moins de 48 heures) ayant des signes de
souffrances cérébrales ; leur prise en charge est alors une urgence. En cas d’hyponatrémie chronique peu
ou pas symptomatique, la correction doit être prudente pour éviter le risque de myélinolyse centropontine
et doit s’adapter au mécanisme retenu : apport sodé ou restriction hydrique. Une classe thérapeutique
d’inhibiteurs des récepteurs V2 de l’hormone antidiurétique des cellules tubulaires rénales (vaptan) a
obtenu une autorisation de mise sur le marché pour le traitement des hyponatrémies par sécrétion inadé-
quate d’hormone antidiurétique. La place de ces molécules aquarétiques dans l’arsenal thérapeutique
reste à définir, en particulier l’impact sur la morbi-mortalité.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Hyponatrémie ; Hormone antidiurétique ou vasopressine ; Antagoniste des récepteurs de l’HAD ;


SIADH

Plan  Introduction
■ Introduction 1 L’hyponatrémie est le trouble hydroélectrolytique le plus fré-
■ Rappels physiologiques 1 quemment observé à l’hôpital et chez les patients âgés. Sa
Régulation de l’osmolarité plasmatique 2 prévalence varie de 5 à 30 % en fonction de la définition choi-
Osmorégulation des cellules cérébrales 2 sie et du service étudié [1, 2] . L’hyponatrémie, qu’elle soit aiguë ou
Physiopathologie de l’hyponatrémie hypo-osmolaire 2 chronique, est associée à une augmentation de la morbidité et de

la mortalité [3, 4] . Elle peut être le premier signe d’une maladie non
Diagnostic positif d’hyponatrémie 2
connue, en particulier cancéreuse. Sa prise en charge diagnostique
Analyse de l’osmolarité plasmatique 2
et thérapeutique est complexe puisqu’elle peut refléter des états
Évaluer la réponse rénale à la charge hydrique 3
d’hydratation opposés. Elle est parfois urgente dans les hypona-
Évaluer le volume extracellulaire 3
trémies aiguës mais doit être progressive dans les hyponatrémies
■ Principales causes d’hyponatrémies hypo-osmolaires 4 chroniques. Un traitement inadapté peut avoir des conséquences
Capacité de dilution du rein dépassée 4 graves, en particulier une myélinolyse cérébrale [4–6] .
Hyponatrémie sous thiazidiques 4
Hyponatrémie avec volume extracellulaire diminué 4
Hyponatrémie avec volume extracellulaire augmenté 4
Hyponatrémie avec volume extracellulaire normal 4  Rappels physiologiques
■ Traitement des hyponatrémies 5
Traitement des hyponatrémies aiguës 5 L’osmolarité plasmatique reflète la concentration des sub-
Traitement des hyponatrémies chroniques 5 stances dissoutes dans le plasma représentées par le sodium (95 %),

l’urée et le glucose. Ces derniers diffusent à travers la membrane
Conclusion 5
cellulaire et n’ont pas de pouvoir osmotique à l’état physio-
logique. L’osmolarité plasmatique comme la natrémie reflète
l’équilibre hydrique de l’organisme [6] .

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 11 > n◦ 3 > juillet 2016
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(16)55740-8
1-1326  Hyponatrémie

Figure 1. Approche diagnostique physiopathologique d’une


Diagnostic d’une hyponatrémie en quatre étapes
hyponatrémie. HAD : hormone antidiurétique ; IC : insuffisance
cardiaque ; SIADH : sécrétion inadéquate d’hormone antidiuré-
tique ; NaU : natriurèse sur échantillon en mmol/l.

Hyponatrémie avec osmolarité N ou ↑ Hyponatrémie par réponse


Osmolarité plasmatique ≥ rénale dépassée
280 mOsm/I Osmolarité urinaire
Triglycérides élevés, adaptée < 80 –150 mOsm/I
hyperprotidémie (myélome) Potomanie
Hyperglycémie par carence insulinique Insuffisance rénale
Mannitol, éthylène glycol, etc. Apport insuffisant d’osmoles

Production d’HAD sans stimulus osmotique

Volume extracellulaire ↓ Volume extracellulaire N Volume extracellulaire ↑


Pertes digestives NaU > 30 NaU < 30 sauf prise de
(NaU < 30) Insuffisance surrénale diurétique IC congestive
Pertes rénales Hypothyroïdie Cirrhose décompensée
(NaU > 30) SIADH Syndrome néphrotique

Régulation de l’osmolarité plasmatique • soit par stimulus volémique : hypovolémie vraie des pertes
digestives, rénales, cutanées ou hypovolémie efficace des insuf-
L’osmolarité plasmatique est finement régulée. La modula- fisances cardiaques congestives, des cirrhoses décompensées ou
tion de la soif par des osmorécepteurs thalamiques permet, en des syndromes néphrotiques ;
cas d’hyperosmolarité, une augmentation de l’ingestion d’eau ; • soit par production inadéquate.
le dégoût de l’eau en cas d’hypo-osmolarité plasmatique est Plus rarement, l’hyponatrémie est le témoin d’une
peu sensible, la prise de boisson dépendant beaucoup des habi- « intoxication à l’eau » : la sécrétion d’HAD est absente ; les
tudes « sociales ». Le contrôle de l’excrétion rénale de l’eau se urines sont diluées au maximum mais les apports d’eau dépassent
fait grâce à l’hormone antidiurétique (HAD), appelée également les capacités de dilution des reins.
arginine-vasopressine (AVP). L’HAD est un nanopeptide produit La Figure 1 résume les grands mécanismes de l’hyponatrémie.
dans les noyaux supranucléaires de l’hypothalamus et sécrété
par la posthypophyse. Son premier stimulus est l’augmentation
de l’osmolarité plasmatique. Sa production peut être stimulée,
malgré une osmolarité normale ou basse, par un volume plas-
 Diagnostic positif
matique diminué (baro- et volorécepteurs) ou par de nombreuses d’hyponatrémie
pathologies. Après fixation sur les récepteurs V2 des cellules prin-
cipales des tubes collecteurs rénaux, l’HAD induit l’expression L’hyponatrémie est définie par une natrémie inférieure à
des aquaporines-2 sur ces cellules, entraînant la réabsorption pas- 135 mmol/l ; elle est modérée jusqu’à 130 mmol/l et profonde au-
sive d’eau libre en fonction du gradient de concentration dans dessous de 120 mmol/l.
la médullaire rénale. En l’absence d’HAD, l’épithélium du tube Aiguë, elle entraîne un œdème cérébral avec souffrance céré-
collecteur est imperméable à l’eau. L’osmolarité urinaire peut brale, révélée par des convulsions, des troubles de la vigilance ou
varier de 80 mOsm/l (dilution maximale en l’absence d’HAD) à un coma. C’est une urgence thérapeutique qui impose la mise en
1200 mOsm/l (concentration maximale lorsque l’HAD est élevée). route d’un traitement par sérum salé hypertonique à 3 % dans une
unité de soins continus.
L’hyponatrémie chronique (plus de 48 heures) même profonde
Osmorégulation des cellules cérébrales est souvent peu symptomatique. Elle peut se manifester par des
L’hyponatrémie aiguë (moins de 48 heures) entraîne une troubles mnésiques et de l’équilibre, des nausées, une anorexie,
augmentation du volume des cellules par influx d’eau, parti- des crampes musculaires, des céphalées, des chutes, une ostéopo-
culièrement grave pour les cellules cérébrales en raison de la rose et des fractures [9] .
boîte crânienne inextensible. L’œdème cérébral est responsable Quand elle est chronique, un diagnostic étiologique est néces-
des signes de souffrances cérébrales et peut entraîner le décès. saire à un traitement adapté (Fig. 2) ; il repose sur la mesure de
En revanche, quand l’hyponatrémie s’installe progressivement, l’osmolarité plasmatique, de la réponse rénale avec l’osmolarité
des mécanismes cellulaires compensateurs se mettent en place urinaire puis de l’évaluation du volume extracellulaire, en s’aidant
en 48 heures : sortie de potassium des cellules et modification des de la natriurèse.
osmoles organiques cellulaires [7] . Le risque d’une correction trop
rapide de l’osmolarité plasmatique est alors l’apparition de lésions
de démyélinisation osmotique [8] favorisées par l’hypokaliémie, la Analyse de l’osmolarité plasmatique
dénutrition et l’alcoolisme. Le patient présente alors des troubles
neurologiques déficitaires, retardés de quelques jours, pouvant Les pseudo-hyponatrémies se voient quand le litre de plasma
aller jusqu’au locked-in syndrome. n’est plus équivalent au kilogramme d’eau par augmentation
de la phase solide comme dans les hypertriglycéridémies ou les
hyperprotidémies majeures (pancréatite, myélome) ; l’osmolarité
Physiopathologie de l’hyponatrémie plasmatique est alors normale [10] .
L’hyponatrémie reflète normalement une hypo-osmolarité
hypo-osmolaire plasmatique (moins de 280 mOsm/l) sauf en cas d’hyperglycémie
La majorité des hyponatrémies hypo-osmolaires sont liées à une aiguë (l’osmolarité plasmatique est alors supérieure à 280 mOsm/l)
sécrétion d’HAD : ou quand il y a des osmoles non mesurées (mannitol ; produits

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyponatrémie  1-1326

Arrêt de l'intoxication tabagique


Exérèse des lésions muqueuses

Na < 130 mmol/I

1. Confirmer l’hypo-
osmolarité plasmatique < Hyperosmolarité
Osmolarité
280 mOsm/I > 280 mOsm/I Hyperglycémie aiguë, mannitol
plasmatique
(OsmP = NaP × 2 + → Fausse hyponatrémie
uréeP + gluP)

≤ 280 mOsm/>
80–150

Hyponatrémie liée au diurétique


2. Rechercher la prise Oui
→ Arrêt du traitement,
de diurétique thiazidique Thiazidique
correction du Na à l’arrêt
et I’arrêter
Oui
3. Rechercher une
Intoxication à l’eau : potomanie,
intoxication à l’eau
Osmolarité apport osmotique bas
OsmU < 150 mOsm/I < 80–150 mOsm/I
urinaire → Restriction hydrique, apport
(OsmU = (Na + K)
d’osmoles (NaCl, urée)
U × 2 + uréeU)

> 80 –150 mOsm/I


4. Évaluer le volume
extracellulaire (VEC)
VEC↑ : OMI, ascite, prise Hyponatrémie de dilution :
Oui insuffisance cardiaque, cirrhose,
de poids
VEC↑
VEC↑ : hypoTA syndrome néphrotique
orthostatique, perte de → Restriction hydrosodée
poids, urée, créatinine >
100 (µmoI/I) Hyponatrémie de déplétion
Natriurèse sur < 30 mmol/l par pertes extrarénales
échantillon → Apport de NaCl (sérum salé)

> 30 mmol/I

Oui Hyponatrémie de déplétion par


perte rénale
Correction de la → Apport de NaCl (sérum salé)
natrémie avec
sérum salé ou
VEC↓ Hyponatrémie de dilution :
SIADH, insuffisance endocrine
→ Restriction hydrique,
Non
substitution hormonale

Figure 2. Arbre décisionnel. Hyponatrémie de l’adulte. OsmP : osmolarité plasmatique ; NaP : natrémie plasmatique en mmol/l ; uréeP : urémie plasmatique
en mmol/l ; gluP : glycémie en mmol/l ; OsmU : osmolarité urinaire ; Na : sodium ; K : potassium ; uréeU : urémie urinaire ; OMI : œdème des membres inférieurs ;
hypoTA : hypotension orthostatique ; NaU : natriurèse en mmol/l ; NaCl : chlorure de sodium ; SIADH : sécrétion inadéquate d’hormone antidiurétique.

de contraste hyperosmolaire, etc.) ; il faut calculer le trou osmo- soit sans stimulus volémique : sécrétion inadéquate d’hormone
laire (osmolarité plasmatique mesurée – osmolarité plasmatique antidiurétique (SIADH), stress, vomissements ou insuffisance
calculée) qui est alors supérieur à 10 [11] . endocrine.

Évaluer la réponse rénale à la charge Évaluer le volume extracellulaire


hydrique L’évaluation du volume extracellulaire (VEC) est difficile en pra-
tique [12, 13] . Les signes cliniques de VEC augmenté sont une prise
En cas de bilan positif en eau libre, la réponse rénale attendue de poids récente, des œdèmes déclives, mous et prenant le godet,
est une dilution des urines au maximum, donc une osmolarité une ascite. Les signes cliniques évoquant un VEC diminué sont
urinaire adaptée à l’hyponatrémie (moins de 80 à 150 mOsm/l). une perte de poids, une hypotension orthostatique (baisse de la
L’hyponatrémie reflète alors une charge en eau dépassant les pression systolique de 20 mmHg de la position couchée à la posi-
possibilités d’excrétion rénale. A contrario, l’absence de dilu- tion debout), une accélération de la fréquence cardiaque entre la
tion maximale des urines (osmolarité urinaire supérieure à position couchée et debout, un pli cutané, une sécheresse axillaire.
150 mOsmol/l) témoigne de la sécrétion d’HAD, empêchant le Les variations de la protidémie et de l’hématocrite permettent
rein d’éliminer l’eau en excès soit par stimulus volémique, de rechercher une hémoconcentration ou une hémodilution. Une

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1326  Hyponatrémie

urée plasmatique élevée et un rapport urée/créatinine plasmatique Tableau 1.


en ␮mol/l supérieur à 100 sont des marqueurs d’hypovolémie Critères diagnostiques de sécrétion inadéquate d’hormone antidiurétique
vraie ou relative. (sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique).
La natriurèse (sur échantillon) basse (moins de 30 mmol/l) est Critères majeurs Osmolarité plasmatique diminuée inférieure à
un signe discriminant d’hypovolémie reflétant la stimulation du 280 mOsm/kg d’eau
système rénine-angiotensine-aldostérone. Osmolarité urinaire inadaptée supérieure à
80–150 mOsm/kg d’eau
Volume extracellulaire normal : pas

“ Point fort d’hypotension orthostatique, de tachycardie,


d’œdème ou d’ascite
Natriurèse supérieure à 40 mmol/l en régime
Examens biologiques indispensables pour le diag- normosodé
Fonctions thyroïdienne et surrénale normales
nostic d’une hyponatrémie Pas de prise récente de diurétique
• Ionogramme sanguin avec glycémie, urémie, créatiné-
Critères mineurs Absence de correction de la natrémie après
mie, protidémie et hématocrite. perfusion de sérum salé à 0,9 %
• Ionogramme urinaire sur échantillon. Correction de la natrémie après restriction
• Osmolarité plasmatique. hydrique
• Osmolarité urinaire. Uricémie inférieure à 230 ␮mol/l

• constitution d’un troisième secteur : péritonite, pancréatite,


iléus ;
 Principales causes • pertes cutanées : brûlures étendues, dermatose bulleuse, suda-
tion du marathonien.
d’hyponatrémies hypo-osmolaires
Pertes rénales de sel
Capacité de dilution du rein dépassée La natriurèse est supérieure à 30 mmol/l :
L’osmolarité urinaire est adaptée à l’hyponatrémie • surdosage en diurétiques ;
(< 80–150 mOsm/l) ; les urines sont très claires. Il n’y a pas • insuffisance surrénale aiguë : un traitement par hémisuccinate
de production d’HAD. Elle se rencontre : d’hydrocortisone doit être débuté au moindre doute diagnos-
• dans la polydipsie primitive d’origine psychogène (schizophré- tique, en attendant la cortisolémie ;
nie) ; • néphropathies tubulo-interstitielles avec perte de NaCl ;
• dans le syndrome du « tea and toast » : l’hyponatrémie peut • « cerebral salt wasting », syndrome qui se voit le plus souvent
se voir pour une ingestion d’eau favorisée par les conseils après la neurochirurgie [17] .
d’hydratation en cas de canicule ou pour prévenir les infec-
tions urinaires chez des patients mangeant peu de protéines et
de sel ;
Hyponatrémie avec volume extracellulaire
• chez les grands buveurs de bière dénutris [14] ; augmenté
• chez l’insuffisant rénal lorsque le débit de filtration gloméru-
laire est inférieur à 20 ml/min ; C’est une hyponatrémie de dilution avec un excès relatif d’eau
• dans l’hyponatrémie iatrogène après perfusions intraveineuses plus important que l’excès de sel. L’hyponatrémie s’accompagne
de solutés hypotoniques (glucosé 5 %). C’est une cause de signe d’hyperhydratation extracellulaire. Elle se voit dans
fréquente en hospitalisation. La prescription de solutés hypo- l’insuffisance cardiaque congestive, la cirrhose décompensée et le
toniques doit être évitée sauf en cas de perte hydrique avérée syndrome néphrotique. C’est un marqueur pronostique péjoratif
(brûlure, fièvre, drépanocytose, néphropathie interstitielle, dia- dans la cirrhose et l’insuffisance cardiaque [18, 19] . Le traitement est
bète insipide) [15] . la restriction hydrosodée et les diurétiques de l’anse (furosémide).

Hyponatrémie sous thiazidiques Hyponatrémie avec volume extracellulaire


normal
Les hyponatrémies imputables aux thiazidiques sont extrê-
mement fréquentes ; ces diurétiques sont souvent donnés en C’est une hyponatrémie responsable d’une hyperhydratation
association avec d’autres classes d’antihypertenseurs [16] . Elles sont intracellulaire pure par production d’HAD inadéquate à la volé-
parfois très aiguës dans les jours suivant l’introduction du médi- mie et à l’osmolarité plasmatique. L’hyponatrémie s’accompagne
cament mais peuvent aussi se voir après un traitement prolongé. d’une osmolarité urinaire inadaptée (plus de 150 mOsm/l), d’un
Elles résultent de l’altération de l’activité du segment cortical de volume extracellulaire normal, d’une natriurèse supérieure à
dilution des urines. L’arrêt du thiazidique doit permettre la correc- 30 mmol/l.
tion de la natrémie en quelques jours et contre-indique sa reprise.
Hyponatrémies d’origine endocrine
Devant un tableau biologique de « SIADH », il faut toujours
Hyponatrémie avec volume extracellulaire rechercher une insuffisance surrénale par un dosage de cortisol
diminué plasmatique à 8 h 00 et un test au Synacthène® rapide. Un traite-
ment substitutif par hydrocortisone est alors indispensable.
L’hyponatrémie de déplétion reflète une perte de chlorure de La recherche d’une hypothyroïdie est classique par le dosage de
sodium (NaCl) plus importante que la perte d’eau. L’osmolarité la thyroid stimulating hormone ultrasensible (TSH-US), même si le
urinaire est inadaptée (> 150 mOsm/l) par stimulation volémique mécanisme de l’hyponatrémie est mal connu.
de l’HAD ; il existe des signes de déshydratation extracellulaire.
Sécrétion inadéquate d’hormone antidiurétique
Pertes extrarénales de sel
Le diagnostic de SIADH est un diagnostic d’exclusion très
La natriurèse est inférieure à 30 mmol/l : fréquent [20] . Les critères diagnostiques de SIADH sont résumés
• pertes digestives : diarrhées sécrétoires, fistules digestives, dans le Tableau 1. Les étiologies des SIADH sont nom-
vomissements ; breuses (Tableau 2). La cause médicamenteuse doit toujours être

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Hyponatrémie  1-1326

Tableau 2.
Étiologies des sécrétions inadéquates d’hormone antidiurétique (HAD).
Pathologies tumorales Carcinomes : pulmonaires, en particulier à petite cellule, mésothéliome, oropharynx, estomac,
duodénum, pancréas, uretère, vessie, prostate, endomètre
Lymphome, sarcome
Affections pulmonaires Infections bactériennes (dont légionellose), virales, tuberculose, aspergillose
Asthme
Mucoviscidose
Affections du système nerveux central Infections : encéphalite, méningite, abcès cérébral, infection par le VIH
Hématome sous-dural, hémorragie cérébrale, ictus
Tumeurs cérébrales
Traumatisme crânien, hydrocéphalie, thrombose du sinus caverneux
Sclérose en plaques, syndrome de Guillain-Barré, syndrome de sevrage, porphyrie aiguë intermittente
Médicaments augmentant la production Antidépresseurs : tricyclique, inhibiteur de la recapture de la sérotonine, inhibiteur de la recapture de la
d’HAD par l’hypothalamus norépinéphrine
Antipsychotiques : phénothiazine, halopéridol
Antiépileptiques : carbamazépine, oxcarbamazépine, acide valproïque
Anticancéreux : alcaloïdes, sels de platine, agents alkylants, méthotrexate, interféron, anticorps
monoclonaux
Antalgiques opiacés : tramadol, morphine
Divers : inhibiteur de la pompe à proton, nicotine, « ecstasy » (MDMA), clofibrate
Médicaments potentialisant l’effet de l’HAD Antiépileptiques : carbamazépine, lamotrigine
Antidiabétique : chlorpropramide, tolbutamide
Anticancéreux : cyclophosphamide intraveineux
Anti-inflammatoires non stéroïdiens
Médicaments ayant une activité HAD Desmopressine, ocytocine, vasopressine
Autres Génétique : mutation activatrice du récepteur de l’HAD
Idiopathique
Transitoire : exercice d’endurance, stress, nausée, douleur, anesthésie

VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; MDMA : méthylène-dioxy-méthamphétamine.

recherchée ; elle est fréquente. Les médicaments susceptibles de hyponatrémie avec VEC diminué, un traitement d’épreuve par
donner un SIADH doivent être arrêtés et les causes curables trai- sérum salé isotonique (1 l/j) peut être tenté pendant 48 heures. La
tées. Les pathologies pulmonaires, neurologiques et les syndromes natrémie ne se corrige pas en cas de SIADH [20] .
paranéoplasiques sont les plus courants. Les médicaments susceptibles de donner un SIADH doivent être
arrêtés et les causes curables traitées. Une restriction hydrique de
750 ml/j permet un bilan négatif en eau si l’on considère que
 Traitement des hyponatrémies les pertes obligatoires (urine et pertes insensibles) représentent
1 l/j, mais elle n’est pas toujours efficace et l’observance est dif-
Traitement des hyponatrémies aiguës ficile au long cours. D’autres traitements peuvent être proposés.
La déméclocycline (600 à 1200 mg/j), dérivé des tétracyclines, et
Ce sont des urgences vitales et l’hospitalisation en réanima- le lithium provoquent un diabète insipide néphrogénique mais
tion doit être envisagée. Une correction rapide doit être entreprise avec des effets indésirables rénaux importants. Des sachets d’urée
jusqu’à disparition des symptômes de souffrances cérébrales. Le (30 g/j per os) sont efficaces en modifiant le gradient de concentra-
traitement repose sur l’administration de sérum salé hypertonique tion rénale. Il faut les donner avec un jus de fruit pour en masquer
à 3 % (30 g de NaCl/l) associé si besoin au furosémide. Une formule le goût désagréable [23] .
peut estimer le volume de NaCl à 3 % à perfuser par heure en mul- Le tolvaptan est un antagoniste spécifique non peptidique des
tipliant le poids du patient par « l’augmentation » désirée de la récepteurs de la vasopressine [24, 25] . Son administration est orale.
natrémie en mmol/l par heure [18] . Par exemple, pour un patient Il a obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) euro-
de 70 kg, si l’on souhaite augmenter sa natrémie de 1 mmol/l par péenne dans les hyponatrémies par SIADH. Son effet est suspensif
heure, il faut perfuser (1 × 70) 70 ml de sérum salé à 3 % en une et corrige la natrémie sans amélioration pour l’instant de la morbi-
heure. Si l’on souhaite augmenter la natrémie de 0,5 mmol/l par mortalité. Son utilisation sur des périodes prolongées n’a pas
heure, il faut perfuser (0,5 × 70) 35 ml. Ce traitement doit être encore été étudiée. L’utilisation des vaptans est contre-indiquée
interrompu dès que les symptômes neurologiques ont régressé. dans les hyponatrémies de déplétion et les études actuelles ne
La natrémie doit être surveillée de façon très rapprochée car le peuvent en recommander l’utilisation dans les hyponatrémies
risque est l’œdème pulmonaire [21] . aiguës avec souffrance cérébrale.

Traitement des hyponatrémies chroniques


 Conclusion
Il n’y a pas d’urgence à entreprendre un traitement sauf en
cas de symptômes neurologiques. Il n’est pas démontré que la L’hyponatrémie est un trouble hydroélectrolytique fréquent
correction d’une hyponatrémie modérée et chronique améliore et parfois négligé nécessitant une démarche diagnostique rigou-
la morbi-mortalité. L’apparition de lésions cérébrales démyéli- reuse [26] afin d’adapter au mieux son traitement. Les causes les
nisantes (myélinolyse centropontine) est le risque majeur de la plus fréquentes sont les hyponatrémies liées à la prise de thiazi-
correction trop rapide d’une hyponatrémie chronique ; elles sont diques, les hyponatrémies en réponse à un stimulus volémique de
favorisées par l’hypokaliémie, la dénutrition, l’alcoolisme. Pour l’HAD et les SIADH.
diminuer ce risque, il ne faut pas dépasser une correction de la Lorsque l’hyponatrémie est aiguë, le risque majeur est l’œdème
natrémie de plus de 8 à 10 mmol/l par jour [22] . cérébral et le traitement urgent repose sur des apports de solu-
Le traitement des hyponatrémies avec VEC diminué repose sur tés hypertoniques avec monitorage fréquent de la natrémie.
un apport de NaCl intraveineux ou oral (6 à 9 g par 24 heures). Lorsqu’elle est chronique, elle est souvent peu symptomatique
L’arrêt des diurétiques et le traitement étiologique des pertes et sa correction trop rapide expose à des lésions démyélinisantes
sodées sont indispensables. En cas de doute entre SIADH et cérébrales. Le traitement repose sur le mécanisme retrouvé.

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1326  Hyponatrémie

[8] Brunner JE, Redmond JM, Haggar AM, Kruger DF, Elias SB. Cen-

“ Points essentiels tral pontine myelinolysis and pontine lesions after rapid correction of
hyponatremia: a prospective magnetic resonnance imaging study. Ann
Neurol 1990;27:61–6.
[9] Renneboog B, Musch W, Vandemergel X, Manto MU, Decaux G.
• L’hyponatrémie aiguë ou avec des signes de souffrance Mild chronic hyponatremia is associated with falls, unsteadiness, and
neurologique est une urgence thérapeutique, traitée par attention deficits. Am J Med 2006;119:e1–8.
soluté salé hypertonique à 3 %. [10] Fortgens P, Pillay TS. Pseudohyponatremia revisited: a modern-day
• L’hyponatrémie chronique est presque toujours le pitfall. Arch Pathol Lab Med 2011;135:516–9.
reflet d’une hyperhydratation intracellulaire. Son diag- [11] Liamis G, TsimihodimosV, Elisaf M. Hyponatremia in diabetes melli-
tus: clues to diagnosis and treatment. J Diabetes Metab 2015;6:560.
nostic étiologique repose sur l’analyse de l’osmolarité
[12] Chung HM, Kluge R, Schrier RW, Anderson RJ. Clinical assessment of
plasmatique et urinaire puis l’évaluation du volume extracellular fluid volume in hyponatremia. Am J Med 1987;83:905–8.
extracellulaire. Le traitement d’une hyponatrémie chro- [13] McGee S, Abernethy WB, Simel DL. The rational clinical examination.
nique repose sur son mécanisme physiopathologique. Is this patient hypovolemic? JAMA 1999;281:1022–9.
La correction de la natrémie ne doit pas dépasser 8 à [14] Sanghvi SR, Kellerman PS, Nanovic L. Beer potomania: an unusual
10 mmol/l en 24 heures. cause of hyponatremia at high risk of complications from rapid cor-
• Le SIADH est une cause fréquente d’hyponatrémie avec rection. Am J Kidney Dis 2007;50:673–80.
[15] Moritz ML, Ayus JC. Maintenance intravenous fluids in acutely ill
des étiologies multiples ; une insuffisance corticotrope doit patients. N Engl J Med 2015;373:1350–60.
toujours être éliminée. Le traitement est celui de la cause [16] Chow KM, Szeto CC, Wong TY, Leung CB, Li PK. Risk factors for
et la restriction hydrique si besoin. Les vaptans sont une thiazide-induced hyponatraemia. QJM 2003;96:911–7.
classe médicamenteuse aquarétique ayant une AMM dans [17] Palmer BF. Hyponatraemia in neurosurgical patient: syndrome of inap-
le SIADH. propriate antidiuretic hormone secretion versus cerebral salt wasting.
Nephrol Dial Transplant 2000;15:262–8.
[18] Chin MH, Goldman L. Correlates of major complications or death in
patients admitted to the hospital with congestive heart failure. Arch
Intern Med 1996;156:1814–20.
[19] Angeli P, Wong F, Watson H, Ginès P, CAPPS Investigators. Hypona-
Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rela-
tremia in cirrhosis: results of a patient population survey. Hepatology
tion avec cet article.
2006;44:1535–42.
[20] Ellison DH, Berl T. The syndrome of inappropriate antidiuresis. N Engl
J Med 2007;356:2064–72.
 Références [21] Janicic N, Verbalis JG. Evaluation and management of hypo-osmolality
in hospitalized patients. Endocrinol Metab Clin North Am
[1] Upadhyay A, Jaber BL, Madias NE. Incidence and prevalence of hypo- 2003;32:459–81.
natremia. Am J Med 2006;119(Suppl. 1):S30–5. [22] Verbalis JG, Goldsmith SR, Greenberg A, Schrier RW, Sterne RH.
[2] Beukhof CM, Hoorn EJ, Lindemans J, Zietse R. Novel risk factors for Hyponatremia treatment guidelines 2007: experts panel recommenda-
hospital-acquired hyponatraemia: a matched case control study. Clin tions. Am J Med 2007;120:S1–21.
Endocrinol 2007;66:367–72. [23] Decaux G, Brimouille S, Genette F, Mockel J. Treatment of the syn-
[3] Upadhyay A, Jaber BL, Madias NE. Epidemiology of hyponatremia. drome of inappropriate secretion of antidiuretic hormone by urea. Am
Semin Nephrol 2009;29:227–38. J Med 1980;69:99–106.
[4] Spasovski G, Vanholder R, Allolio B, Annane D, Ball S, [24] Decaux G, Soupart A, Vassart G. Non-peptide arginine-vasopressin
Bichet D, et al. Clinical practice guideline on diagnosis and antagonists: the vaptans. Lancet 2008;371:1624–32.
treatment of hyponatraemia. Eur J Endocrinol 2014;170: [25] Schrier RW, Gross P, Gheorghiade M, Berl T, Verbalis JG, Czerwiec FS,
G1–47. et al. Tolvaptan, a selective oral Vassopressin V2–receptor antagonist,
[5] Henry DA. Hyponatremia. Ann Intern Med 2015;163. ITC1. for hyponatremia. N Engl J Med 2006;355:2099–112.
[6] Kumar S, Beri T. Sodium. Lancet 1998;352:220–8. [26] Filippatos TD, Liamis G, Chritopoulou F, Elisaf MS. Ten common
[7] Laureno R, Karp BI. Myelinolysis after correction of hyponatremia. pitfalls in the evaluation of patients with hyponatremia. Eur J Intern
Ann Intern Med 1997;126:57–62. Med 2015 [Epub ahead of print].

A. Passeron, Praticien hospitalier (amelie.passeron@aphp.fr).


Service de médecine interne, Hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, 20, rue Leblanc, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Passeron A. Hyponatrémie. EMC - Traité de Médecine Akos 2016;11(3):1-6 [Article 1-1326].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 EMC - Traité de Médecine Akos


¶ 1-1330

Hyperkaliémie
M. Flamant, H. Boulanger

L’hyperkaliémie est définie par une concentration plasmatique de potassium supérieure à 5 mmol/l. En
l’absence d’étiologie évidente ou de signe électrique cardiaque, le diagnostic de pseudohyperkaliémie par
libération cellulaire de potassium au cours du prélèvement doit être évoqué. L’hyperkaliémie vraie expose
au risque de trouble du rythme ou de conduction cardiaque grave. Les capacités d’excrétion de potassium
par le rein sont importantes, expliquant que des entrées exogènes ou endogènes massives de potassium
n’entraînent pas d’hyperkaliémie, sauf en cas de trouble de l’excrétion rénale de potassium associé. Un
défaut d’excrétion de potassium peut être lié à une réduction importante du débit de filtration
glomérulaire au cours de l’insuffisance rénale avancée (DFG inférieur à 20 ml/min/1,73 m2), ou à une
altération de la sécrétion de potassium par le rein. Ce défaut de sécrétion tubulaire doit faire rechercher
une cause médicamenteuse ou une insuffisance surrénalienne, et plus rarement une anomalie génétique
du transport tubulaire distal du potassium. La prise en charge thérapeutique de l’hyperkaliémie dépend
de sa gravité et de son mécanisme. Au cours de l’insuffisance rénale chronique, elle repose avant tout sur
la diminution des apports alimentaires en potassium et l’utilisation des résines échangeuses d’ions.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperkaliémie ; Trouble du rythme cardiaque ; Insuffisance rénale ; Rénine ; Aldostérone ;
Insuffisance surrénalienne

Plan extracellulaire est en revanche très faible, et le rapport de


concentration de part et d’autre de la membrane plasmique est
¶ Introduction 1 nécessaire à l’établissement du potentiel de repos.
Les apports journaliers de potassium varient entre 2 et 6 g
¶ Rappels physiologiques 1
(soit 50 et 150 mmol). L’excrétion extrarénale de potassium
¶ Définition et signes cliniques 2 (pertes sudorales et fécales) est faible (de l’ordre de 10 %) et peu
¶ Diagnostic étiologique 2 modulable. L’excrétion rénale est majoritaire (environ 90 %) et
Excès d’apport 2 modulable. C’est le rein qui assure l’homéostasie du potassium
Sortie cellulaire 3 par adaptation des sorties rénales aux entrées. Malgré cela,
Défaut d’excrétion rénale 3 l’élimination rénale du potassium est lente et retardée, en
¶ Traitement de l’hyperkaliémie 3 opposition aux apports discontinus et rapidement absorbés. Les
variations aiguës postprandiales de kaliémie sont évitées par un
¶ Conclusion 4
transfert cellulaire de potassium, favorisé par l’hyperinsulinémie
et l’alcalose postprandiale.
Le potassium est librement filtré par le glomérule rénal, ce
■ Introduction qui rend compte d’une charge filtrée d’environ 700 mmol/j
pour un débit de filtration glomérulaire normal. Quatre-vingt
L’hyperkaliémie expose au risque de trouble du rythme quinze pour cent du potassium filtré est en réalité réabsorbé
cardiaque grave. Elle est l’apanage de l’insuffisance rénale et dans le tube contourné proximal par voie paracellulaire et dans
plus rarement de troubles de la sécrétion tubulaire du potas- la branche large ascendante de l’anse de Henle par voie para-
sium. Sa prise en charge thérapeutique optimale nécessite d’en cellulaire et transcellulaire. La quantité délivrée au canal
avoir déterminé le mécanisme d’apparition et l’étiologie. Nous collecteur est par conséquent le plus souvent inférieure à la
détaillons ici la démarche diagnostique de l’hyperkaliémie et sa charge à excréter. Une sécrétion de potassium (K+) dans le canal
prise en charge thérapeutique. collecteur est de ce fait généralement nécessaire [1]. Les facteurs
stimulant la sécrétion de potassium dans cette partie distale du
néphron sont l’augmentation du débit de sodium (Na+) (prises
■ Rappels physiologiques de diurétiques en particulier) ou de fluide tubulaire, la présence
de bicarbonates ou d’un anion différent du chlore dans les
Le potassium est le cation majoritaire du milieu intracellu- urines et l’activité minéralocorticoïde. La synthèse d’aldostérone
laire, ce qui lui confère un rôle important dans la croissance et par la corticosurrénale est stimulée par l’hyperkaliémie et par
la division cellulaire ainsi que dans le maintien du volume l’angiotensine II, elle-même sous le contrôle de la volémie via
intracellulaire. La concentration de potassium dans le secteur la synthèse de rénine.

Traité de Médecine Akos 1


1-1330 ¶ Hyperkaliémie

■ Définition et signes cliniques (flutter, fibrillation ventriculaire et arrêt cardiaque) au-delà de


7 mmol/l. Malgré cela, la corrélation entre degré d’hyperkalié-
L’hyperkaliémie se définit par une concentration de potas- mie et signes électriques n’est pas très bonne. Les signes
sium plasmatique supérieure à 5 mmol/l. Une pseudohyperka- neuromusculaires (paralysie flasque) n’apparaissent qu’en cas
liémie doit de principe être recherchée. Elle correspond aux d’hyperkaliémie majeure.
situations de libération cellulaire de potassium dans le tube de
prélèvement (hémolyse, thrombocytose, délai entre le dosage et
le prélèvement) ou d’une libération locorégionale de potassium ■ Diagnostic étiologique (Fig. 1)
par les cellules musculaires au cours du prélèvement sanguin.
L’absence de trouble électrocardiographique malgré l’hyperka- L’hyperkaliémie répond schématiquement à trois grands
liémie évoque ce diagnostic. Par conséquent, toute hyperkalié- mécanismes :
mie sans cause évidente nécessite un nouveau dosage • un excès d’apport de potassium, dépassant les capacités
plasmatique dans des conditions de prélèvements limitant le d’excrétion rénale ;
risque de libération cellulaire de potassium : prélèvement à • une sortie cellulaire de potassium ;
l’aiguille, sans garrot et sans serrer le poing. • une anomalie de l’excrétion rénale de potassium.
Les signes d’hyperkaliémie sont avant tout électriques (ECG).
Les anomalies observées sont, par ordre d’apparition en fonc- Excès d’apport
tion de la gravité de l’hyperkaliémie : ondes T pointues, troubles
de conduction (bloc auriculoventriculaire [BAV] et élargissement Le rein étant capable d’excréter jusqu’à 300 mmol/24 heures
du QRS) au-delà de 6 mmol/l, troubles du rythme ventriculaires de potassium, seul un apport majeur et associé à une limitation

Hyperkaliémie
[K+] > 5 mM

ECG
Contrôle sans garrot

Normaux Hyperkaliémie confirmée

Créatininémie
Pseudohyperkaliémie
DFG

DFG < 20 ml/min/1,73 m2 DFG > 20 ml/min/1,73 m2

IRA ou IRC
Recherche de facteurs [K+]U
associés favorisants GTTK

[K+]U > 40 mmol/j [K+]U < 20 mmol/j


GTTK > 8 GTTK < 2

Origine extrarénale Origine rénale

Excès d’apport Sorties cellulaires Rénine-aldostérone

Rénine
Rénine Rénine
Aldostérone
Aldostérone Aldostérone
Pseudohypoaldostéronismes
AINS Coxibs β-bloquant CsA Insuffisance surrénale
Génétique
VIH, diabète Blocs enzymatiques
Aldactone-amiloride
Syndrome de Gordon IEC Sartans
Bactrim®

Figure 1. Conduite diagnostique de l’hyperkaliémie. K+ : potassium ; ECG : électrocardiogramme ; IRA : insuffisance rénale aiguë ; IRC : insuffisance rénale
chronique ; DFG : débit de filtration glomérulaire ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; VIH : virus de
l’immunodéficience humaine ; GTTK : gradient transtubulaire du potassium.

2 Traité de Médecine Akos


Hyperkaliémie ¶ 1-1330

des capacités d’excrétion rénale de K+ (insuffisance rénale ou Tableau 1.


trouble tubulaire des capacités de sécrétion) peut entraîner une Hyperkaliémie d’origine tubulaire rénale. Principales étiologies.
hyperkaliémie. L’excès d’apport peut être d’origine alimentaire Aldostéronémie basse – Réninémie élevée
(agrumes, bananes, fruits secs, chocolat) ou iatrogène (sels de
K+, nutrition parentérale). Insuffisance surrénalienne Tuberculose
Auto-immune
Sortie cellulaire Amylose
Blocs enzymatiques (21OHase, 11OHase,
La sortie cellulaire peut correspondre soit à un mécanisme de 17OHase)
lyse cellulaire in vivo (rhabdomyolyse, lyse tumorale spontanée
ou secondaire à une chimiothérapie, exercice physique intense), Médicamenteuse IEC, ARAII et inhibiteurs de la rénine
soit à un transfert transmembranaire de potassium (acidose Héparine
métabolique, déficit insulinique, inhibition b-adrénergique). La Inhibiteurs de l’aldostérone synthase
maladie de Garmstorp ou paralysie périodique familiale est une
maladie génétique exceptionnelle de transmission autosomale Aldostéronémie basse ou normale et inadaptée – Réninémie basse
dominante d’hyperkaliémie de transfert, par augmentation de la
Maladies génétiques Syndrome de Gordon (AD)
perméabilité au K+ secondaire à la mutation d’un canal sodique.
Les accès de paralysie flasque et d’hyperkaliémie sont déclenchés Maladies générales VIH
par le froid, et peuvent être prévenus par les b2-mimétiques. Diabète

Médicamenteuse b-bloquants
Défaut d’excrétion rénale
AINS et coxibs
Au cours de la maladie rénale chronique (MRC), l’hyperkalié- Inhibiteurs de la calcineurine (tacrolimus,
mie survient essentiellement aux stades 4 avancé et surtout 5 ciclosporine)
(débit de filtration glomérulaire [DFG] inférieur à 20 ml/min/
1,73 m 2 ). Elle est souvent favorisée par l’utilisation d’un Aldostéronémie élevée – Réninémie élevée
traitement néphroprotecteur (inhibiteurs de l’enzyme de (pseudo-hypo-aldostéronisme ou PHA)
conversion [IEC], Sartan ou inhibiteur de la rénine) ou d’un Maladies génétiques PHA de type 1a par mutation inhibitrice
traitement bêtabloquant. de ENaC (AR)
Au cours de l’insuffisance rénale aiguë, l’hyperkaliémie se voit
PHA de type 1b par mutation inhibitrice
avant tout dans les formes oligoanuriques, et doit faire recher- de MR (AD)
cher une cause supplémentaire associée (rhabdomyolyse, prise
de diurétique épargneur de potassium, acidose métabolique Médicamenteuse Antialdostérone (spironolactone,
sévère, arrêt d’un traitement par insuline). éplérénone)
En l’absence d’insuffisance rénale, l’hyperkaliémie d’origine Amiloride®
rénale traduit une anomalie de la sécrétion de K+ dans le canal
Inhibiteurs de la calcineurine
collecteur. La sécrétion de potassium peut être évaluée par la
kaliurèse des 24 heures ou par le calcul du gradient transtubu- Bactrim®
laire (GTTK) rénal de K+ (rapport de concentration de K+ entre VIH : virus de l’immunodéficience humaine ; IEC : inhibiteurs de l’enzyme de
le fluide tubulaire dans le canal collecteur cortical et le sang). conversion ; ARAII : antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ; AR :
autosomique récessif ; AD : autosomique dominant ; AINS : anti-inflammatoires
Une kaliurèse inférieure à 20 mmol/j et/ou un GTTK inférieur à
non stéroïdiens ; MR : récepteur minéralocorticoïde.
2 traduisent l’origine rénale de l’hyperkaliémie [2]. L’orientation
diagnostique repose, à ce stade, sur l’interrogatoire (prise d’un
médicament hyperkaliémiant, arrêt récent d’une corticothérapie
au long cours, signes d’insuffisance surrénalienne, etc.), les hormonothérapie substitutive au cours de l’insuffisance surré-
dosages de rénine et d’aldostérone et le test au Synacthène® nalienne). Dans les autres cas, la prise en charge symptomatique
(cortisolémie avant et 1 heure après injection de 250 µg de de l’hyperkaliémie répond à trois axes thérapeutiques [4] :
Synacthène®). Les principales étiologies d’hyperkaliémie secon- • l’apport de calcium (Ca) (gluconate de Ca 10 % en intravei-
daires à un défaut de sécrétion tubulaire sont énumérées dans neux lente), en augmentant la valeur seuil de déclenchement
le Tableau 1. Ce défaut peut être en rapport avec une augmen- du potentiel d’action, diminue le risque électrique associé à
tation primitive de la réabsorption de Na en amont du canal l’hyperkaliémie sans modifier la valeur de kaliémie. Son effet
collecteur (hyperactivité du cotransport NaCl dans le tubule est immédiat ;
distal au cours du syndrome de Gordon), à un défaut primitif • le transfert intracellulaire du potassium qui peut être obtenu :
de réabsorption de Na + dans le canal collecteur (mutation C par l’insuline (30 unités de Novorapid® dans 500 ml de
inhibitrice du canal sodique épithélial ENaC au cours du soluté glucosé à 30 % à perfuser en 30 minutes), avec un
pseudo-hypo-aldostéronisme de type 1a), à un défaut de effet rapide (15 minutes) et prolongé pendant plusieurs
production d’aldostérone (hypominéralocorticisme primaire au heures,
cours de l’insuffisance surrénalienne, ou secondaire à un
C par alcalinisation (HCO3Na 14 ‰), avec un effet retardé
traitement médicamenteux) ou de son activité (pseudo-hypo-
(60 minutes) et prolongé pendant plusieurs heures. Ce
minéralocorticisme de type 1b par mutation du récepteur
minéralocorticoïde [MR]) [3]. Dans ces situations d’hyperkaliémie traitement n’est efficace que lorsqu’il existe une acidose
par défaut tubulaire d’excrétion potassique, une acidose méta- métabolique associée,
bolique hyperchlorémique est souvent associée. C par les b2-mimétiques en aérosol avec un effet retardé
Le rôle des médicaments dans le développement de l’hyper- (90 minutes) et prolongé ;
kaliémie est souvent important, notamment depuis la générali- • l’élimination nette de potassium qui peut être obtenue :
sation de l’utilisation des molécules interférant avec le système C par le rein (diurétiques de l’anse essentiellement) avec un
rénine angiotensine aldostérone. Les molécules potentiellement effet retardé et prolongé,
génératrices d’hyperkaliémie et classées par mode d’action sont C par le tube digestif à l’aide d’une résine échangeuse d’ions :
répertoriées dans le Tableau 2. échange de K+ contre du Na+ (polystyrène sulfonate de
sodium ou Kayexalate®) ou du Ca2+ (polystyrène sulfonate
■ Traitement de l’hyperkaliémie de calcium ou Resikali®). L’effet est retardé par voie orale
(plusieurs heures) et plus rapide par lavement (30 minutes),
Le traitement de l’hyperkaliémie modérée est d’abord étiolo- C par épuration extrarénale (hémodialyse). L’effet est rapide
gique si une cause est retrouvée (arrêt d’un médicament, après le début de l’hémodialyse.

Traité de Médecine Akos 3


1-1330 ¶ Hyperkaliémie

Tableau 2. C résine échangeuse d’ion (Kayexalate® ou Resikali®) par voie


Hyperkaliémie induite par les médicaments. orale,
Par modification du transfert Succinylcholine C traitement diurétique de l’anse en cas de surcharge hydro-
cellulaire de potassium Bêtabloquants
sodée ou alcalinisant en cas d’acidose métabolique (eau de
Salvetat ou eau de Vichy).
Digoxine
Mannitol (via l’hyperosmolarité)
Médicaments contenant
du potassium
Suppléments potassiques
■ Conclusion
Sels de régime
Pénicilline L’hyperkaliémie est un trouble métabolique potentiellement
Médicaments diminuant Bêtabloquants grave, nécessitant d’en établir rapidement l’étiologie principale
la synthèse d’aldostérone ou IEC et les facteurs favorisants associés. Cette démarche permet une
antagonisant son action prise en charge thérapeutique optimale.
Sartans
Inhibiteurs de la rénine
AINS
Héparine
Dérivés imidazolés “ Points essentiels
Inhibiteurs de la calcineurine
Spironolactone, éplérénone • À l’état normal, les capacités d’excrétion de potassium
Médicaments inhibant Triméthoprime-sulfamétoxazole par le rein sont importantes, et la présence d’une
l’activité de ENaC (Bactrim®) hyperkaliémie est souvent associée à un défaut
Pentamidine d’excrétion rénale de potassium, en rapport avec une
Amiloride insuffisance rénale ou la prise de traitement inhibiteur du
IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; AINS : anti-inflammatoires non
système rénine-angiotensine-aldostérone.
stéroïdiens. • Compte tenu de la fréquence des pseudo-
hyperkaliémies, toute élévation de la kaliémie sans cause
Compte tenu de l’important arsenal thérapeutique disponible, évidente et sans signe électrique doit être contrôlée dans
on peut dégager quelques stratégies d’utilisation : des conditions particulières de prélèvement.
• hyperkaliémie sévère (> 6,5 mmol/l) au cours de l’insuffisance • En cas d’hyperkaliémie sans insuffisance rénale,
rénale aiguë oligurique et/ou avec signes électriques mena- l’approche diagnostique repose sur l’étude du
çants (trouble de conduction, trouble du rythme) : comportement tubulaire rénal du potassium
C injection de gluconate de calcium, • La principale cause d’hyperkaliémie chronique est
C épuration extrarénale avec bain pauvre en K+, l’insuffisance rénale avancée (DFG < 20 ml/min/1,73 m2).
C en attendant la mise en œuvre de l’hémodialyse : Son traitement repose sur la diminution des apports
– transfert intracellulaire par insuline/glucose, alimentaires en potassium et les résines échangeuses
– ou traitement diurétique intraveineux (furosémide) en d’ions.
cas de surcharge associée ;
• hyperkaliémie entre 5,5 et 6,5 mmol/l et non anurique : .

C injection de gluconate de calcium en cas de troubles


électriques, ■ Références
C choix d’une méthode de transfert :
– alcalinisation en cas d’acidose métabolique associée, [1] Giebisch G, Krapf R, Wagner C. Renal and extrarenal regulation of
– insuline/glucose dans les autres cas, potassium. Kidney Int 2007;72:397-410.
[2] Ethier JH, Kamel KS, Magner PO, Lemann J, Halperin ML. The
– consolidation par résine échangeuse d’ion (Kayexalate®
transtubular potassium concentration in patients with hypokalemia and
ou Resikali®) orale, hyperkalemia. Am J Kidney Dis 1990;4:309-15.
– traitement de la cause ; [3] Furgeson S, Linas S. Mechanisms of type I and type II
• hyperkaliémie au cours de la MRC : pseudohypoaldosteronism. J Am Soc Nephrol 2010;21:1842-5.
C arrêt d’un traitement hyperkaliémiant (IEC), [4] Kim HJ, Han SW. Therapeutic approach to hyperkalaemia. Nephron
C régime pauvre en potassium, 2002;92:33-40.

M. Flamant (martin.flamant@bch.aphp.fr).
H. Boulanger.
Service de physiologie-explorations fonctionnelles, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard 75877 Paris cedex, Université Paris VII, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Flamant M., Boulanger H. Hyperkaliémie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos,
1-1330, 2012.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

4 Traité de Médecine Akos


¶ 1-1340

Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte


non diabétique
A. Hartemann-Heurtier

Le diagnostic d’hypoglycémie est souvent évoqué par le patient lui-même, à l’occasion de malaises, mais
cette hypoglycémie correspond en fait très rarement à une authentique hypoglycémie organique. Cette
dernière doit être suspectée en présence soit d’un contexte favorisant (insuffisance surrénale, cachexie,
sujet âgé polypathologique, etc.), soit de signes de neuroglycopénie évoquant un insulinome. Pour arriver
à ce diagnostic extrêmement rare, il faut d’abord prouver l’existence d’une insulinémie anormalement
élevée en présence d’une glycémie basse, lors d’une épreuve de jeûne en milieu hospitalier.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hypoglycémie ; Iatrogénie ; Insulinome ; Postprandiale ; Sulfamides hypoglycémiants

Plan primordial de l’enquête pour distinguer ce qui est le plus


fréquent, à savoir un « syndrome postprandial idiopathique » et
¶ Introduction 1 qui nécessite une prise en charge thérapeutique sans aucun
bilan, de ce qui est très rarement une « hypoglycémie organi-
¶ Temps primordial de l’interrogatoire 1
que ». L’interrogatoire permet d’avoir, dans la plupart des cas,
Quels sont les symptômes rapportés ? 1
une première orientation diagnostique, évitant la multiplication
Comment sont rapportés les symptômes ? 2
d’explorations complémentaires inutiles, et inversement, mais
Circonstances de survenue des symptômes 2
très rarement, incitant à la recherche acharnée d’une tumeur
Contexte 2
insulinosécrétrice en cas de suspicion d’hypoglycémie organique
¶ Hypoglycémie non organique ou syndrome idiopathique sans cause évidente.
postprandial 2
¶ Éliminer les hypoglycémies organiques de cause évidente 2
Hypoglycémies médicamenteuses et toxiques 2 ■ Temps primordial
Hypoglycémies d’origine endocrinienne 2
Hypoglycémies tumorales extrapancréatiques 3 de l’interrogatoire
¶ Devant une hypoglycémie organique sans cause apparente :
épreuve de jeûne 3 Quels sont les symptômes rapportés ?
Épreuve de jeûne 3
Les symptômes de l’hypoglycémie sont de deux types [1] :
¶ Conclusion 3
• les symptômes neurovégétatifs liés à la stimulation du
système nerveux autonome et survenant pour un seuil
glycémique aux alentours de 0,60 g/l mais qui pourrait être
■ Introduction variable selon les sujets ;
• les symptômes liés à la souffrance du système nerveux
On se trouve rarement confronté, en pratique, à la triade de central, dits neuroglycopéniques, survenant pour un seuil
Whipple (hypoglycémie inférieure à 0,50 g/l, associée à des glycémique inférieur à 0,50 g/l.
symptômes typiques et calmée par la prise de sucre) qui permet Les manifestations neurovégétatives sont secondaires à la
de déclencher les examens complémentaires nécessaires à réponse hypothalamo-hypophyso-surrénalienne à l’hypoglycé-
l’enquête étiologique. Bien plus fréquemment, les patients mie, avec stimulation adrénergique et cholinergique. Les plus
consultent pour des malaises ou bien avec déjà un autodiagnos- fréquentes sont : mains moites, tremblements des extrémités,
tic : « Je fais de l’hypoglycémie ». Or, ce que l’on appelait
pâleur du visage et des extrémités, anxiété, tachycardie, nervo-
antérieurement « l’hypoglycémie réactive » doit être actuelle-
sité, sensation de faim intense, sueurs diffuses. Plus rarement :
ment intégrée dans un tableau clinique plus vaste de « syn-
troubles du rythme, nausées, voire vomissements, crise d’angor
drome postprandial idiopathique ». En effet, la diminution de la
glycémie après un repas est, d’une part rarement constatée chez chez les patients coronariens.
les patients se plaignant de malaises postprandiaux, d’autre part Le type de symptômes rapporté par le patient lors de l’inter-
un phénomène physiologique ! Il faut donc, en pratique, rogatoire est capital : la présence de manifestations neuroglyco-
rassembler le maximum d’arguments cliniques pour ne pas péniques sévères traduisant une glycémie inférieure à 0,5 g/l
passer à côté d’une rare hypoglycémie organique, et une fois ce (troubles psychiatriques, troubles neurologiques déficitaires,
diagnostic récusé, ne surtout pas négliger la plainte du patient crise convulsive) est fortement évocatrice d’hypoglycémie
dont la souffrance, même si on la comprend mal sur le plan organique. Inversement, des symptômes neurovégétatifs isolés
physiopathologique, est réelle. L’interrogatoire est le temps ou associés à des symptômes neurologiques mineurs (sensation

Traité de Médecine Akos 1


1-1340 ¶ Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique

de malaise, vertige, céphalées) sont en faveur d’une hypoglycé-


mie réactive ou d’un syndrome postprandial idiopathique.
■ Hypoglycémie non organique
Enfin, la présence de symptômes non liés à l’hypoglycémie ou syndrome idiopathique
(bouffées de chaleur, diarrhée, douleurs coliques en barre, soif
d’air, polypnée, bradycardie) permet de remettre en question le postprandial
diagnostic. Les symptômes postprandiaux, s’ils sont bien réels, sont en
Les manifestations neuroglycopéniques proviennent essen- fait rarement contemporains d’hypoglycémie et s’intègrent dans
tiellement de la souffrance du cortex cérébral et du cervelet, et un tableau non encore compris de syndrome postprandial
apparaissent pour un seuil glycémique plus bas. Elles peuvent se (hypersécrétion d’hormones gastro-intestinales, hypotension
traduire par : postprandiale ?). La diminution de la glycémie après ingestion
• sensation de malaise avec asthénie ; de glucose en dessous du niveau mesuré à jeun est un fait
• difficulté de concentration, céphalées ; physiologique, connu depuis longtemps, et peut s’observer chez
• vue trouble ; les patients présentant des symptômes postprandiaux, mais
• paresthésies des extrémités ; aussi chez les sujets normaux [2]. L’existence d’une glycémie
• troubles psychiatriques avec changement de comportement, basse dans les temps tardifs d’une hyperglycémie provoquée par
de l’humeur, confusion, agitation, état pseudoébrieux, voie orale n’a donc aucune spécificité et ne s’accompagne pas,
hallucinations, etc ; le plus souvent, de malaise chez les patients souffrant de
• symptômes déficitaires neurologiques avec troubles moteurs, symptômes postprandiaux [3]. Il ne semble donc plus souhaita-
diplopie, aphasie, crises convulsives localisées ou généralisées, ble de demander une hyperglycémie provoquée par voie orale
troubles de la conscience jusqu’au coma. sur 5 heures, source de faux positifs [4] , et inversement ne
Il faut savoir que des épisodes d’hypoglycémie sévère répétés permettant pas d’infirmer un syndrome postprandial idiopathi-
(hypoglycémie organique) conduisent à un abaissement du seuil que. Seule la mesure de la glycémie au moment d’un malaise
(ou après un repas riche en sucre rapide) peut avoir un intérêt :
glycémique de stimulation du système nerveux autonome. Les
le plus fréquemment, elle confirme l’absence d’hypoglycémie
manifestations neuroglycopéniques sont alors isolées, ou
organique en cas de normalité ; très rarement, elle peut montrer
peuvent précéder les symptômes neurovégétatifs qui perdent
l’existence d’une réelle hypoglycémie réactive en cas de glycé-
leur valeur d’alerte. Il faut donc penser au diagnostic d’hypo-
mie inférieure à 0,5 g/l. En cas de doute avec une hypoglycémie
glycémie organique, même en l’absence de symptômes
organique, on envisage alors une épreuve de jeûne (cf. infra).
neurovégétatifs.
Finalement, le plus important est de suivre l’évolution des
malaises (caractéristiques, fréquence) après une prise en charge
Comment sont rapportés les symptômes ? adaptée aux plaintes des patients, le traitement n’étant pas pour
l’instant clairement défini. Après avoir éliminé, par un interro-
Le syndrome confusionnel qu’entraîne la souffrance neuro- gatoire approfondi, un malaise vagal, un syndrome d’hyperven-
glycopénique ne s’observe que lors d’une hypoglycémie organi- tilation, une attaque de panique, on peut proposer : des mesures
que. Il est alors responsable d’une difficulté, pour le patient, à diététiques (fractionnement des repas, diminution de l’apport
décrire précisément ses troubles. Le patient peut même parfois en sucre rapide, augmentation de l’apport en sucre lent et en
avoir du mal à se souvenir des circonstances déclenchantes du fibres au cours des repas, suppression de l’alcool), éventuelle-
malaise ou du mode résolutif de celui-ci : il raconte mal son ment un traitement par bêtabloquants, permettant la diminu-
histoire. Le recours à un tiers peut être nécessaire lors de tion des symptômes neurovégétatifs par anxiolytiques, ou
l’interrogatoire. Ce n’est pas le cas lors des « syndromes inhibiteur de l’alphaglucosidase [5]. On ne connaît pas l’effica-
postprandiaux ». Ceux-ci sont décrits dans le détail par les cité réelle de ces mesures qui comportent certainement une
patients eux-mêmes, avec une certaine richesse symptomatique, grande part d’effet placebo. Cette prise en charge non spéciali-
et leur progression chronologique facilement récapitulée. sée, reposant essentiellement sur une écoute réelle des plaintes
des patients et leur prise en compte, peut être effectuée par le
Circonstances de survenue des symptômes médecin généraliste.

Les manifestations cliniques d’hypoglycémie survenant à jeun


le matin ou à distance d’un repas (plus de 5 h après) et/ou lors ■ Éliminer les hypoglycémies
d’un effort physique sont en faveur du caractère organique de
l’hypoglycémie. Les symptômes cèdent rapidement à la prise de
organiques de cause évidente
sucre rapide. Le patient ne peut pas se permettre de sauter un En cas de suspicion d’hypoglycémie organique, il convient
repas et prévient les malaises avec des collations, entraînant d’éliminer un certain nombre de diagnostics étiologiques, avant
souvent mais pas toujours une prise de poids. d’avoir recours à l’épreuve de jeûne et à des investigations plus
Inversement, les malaises étiquetés « hypoglycémie réactive » poussées.
surviennent 2 à 3 heures après un repas, et ne sont pas forcé-
ment calmés par la prise de sucre rapide. L’évolution pondérale Hypoglycémies médicamenteuses
est variable. et toxiques
Mais dans la mesure où l’insulinome reste sensible aux
stimuli physiologiques de la cellule bêta, une véritable hypogly- De nombreux médicaments (en dehors des médicaments
cémie organique peut aussi se manifester après un repas. hypoglycémiants) peuvent être responsables d’hypoglycémie par
des mécanismes variés [6, 7] (Tableau 1). Mais tous ces médica-
ments voient leur potentialité à déclencher une hypoglycémie
Contexte augmenter sur un terrain facilitant : surtout insuffisance rénale,
L’interrogatoire doit aussi préciser : dénutrition ou cachexie, diarrhée prolongée, infection sévère,
• s’il existe des arguments en faveur d’une pathologie orga- polypharmacothérapie, insuffisance surrénale latente, etc.
nique responsable d’hypoglycémie : endocrinopathie L’alcool, enfin, est bien connu comme pouvant entraîner une
(insuffisance surrénale, insuffisance antéhypophysaire, hypoglycémie, en inhibant la néoglycogenèse hépatique chez
hypothyroïdie), insuffisance hépatocellulaire, syndrome un sujet dénutri, à jeun, ou en potentialisant l’effet de médica-
tumoral, alcoolisme, etc. ; ments hypoglycémiants.
• si le patient prend des médicaments qui peuvent entraîner
une hypoglycémie ; Hypoglycémies d’origine endocrinienne
• si le patient a, dans son entourage, un diabétique (hypogly- L’hypoglycémie fait partie de la symptomatologie de l’insuf-
cémie factice à l’insuline ou aux sulfamides hypoglycé- fisance surrénalienne primitive ou corticotrope, de l’insuffisance
miants) ; antéhypophysaire, de l’hypothyroïdie. Au moindre doute, il est
• s’il a des antécédents de pathologie auto-immune. donc justifié de demander un test au Synacthène® immédiat, un

2 Traité de Médecine Akos


Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique ¶ 1-1340

Tableau 1. mais ne permettent pas d’en préciser la cause, la recherche d’un


Médicaments hypoglycémiants. insulinome devient impérative. Dans un premier temps, il faut
démontrer l’existence d’une sécrétion inappropriée d’insuline
– Sulfamides hypoglycémiants, insuline
lors d’une hypoglycémie. On peut répéter les dosages de
– Disopyramide (Rythmodan®), cibenzoline (Cipralan®) glycémie et d’insulinémie à jeun et au cours de la journée. Les
– Dextropropoxyphène (Di-Antalvic®, Propofan®) résultats sont à interpréter en fonction des techniques de dosage
– Antidépresseurs (fluoxétine, IMAO) utilisées. Si l’on détecte une insulinémie supérieure à 6 µU/ml
– Pentamidine (Lomidine®), cotrimoxazole (Bactrim®) (36 pM/l) en radio-immunosorbent assay (RIA) (dont la limite
– Perhexiline (Pexid®) inférieure de détection est de 5 µU/ml) pour une glycémie
inférieure à 0,40 g/l, le diagnostic de sécrétion inappropriée
– Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (captopril, énalapril)
d’insuline peut être affirmé. Mais, dans la plupart des cas, ces
– Aspirine à forte dose
dosages sont insuffisants, et l’on a recours à l’épreuve de jeûne.
– Dérivés de la quinine Celle-ci dure 72 heures et doit se dérouler en service spécialisé
IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase. hospitalier, dans des conditions standardisées. Les dosages
effectués permettent de conclure à la présence d’un insulinome
dosage de T4 libre et de thyroid stimulating hormone (TSH), ou en cas de sécrétion d’insuline inadaptée à l’hypoglycémie [8, 9],
des tests de stimulation hypophysaire. Ces dosages sont à associée à un taux non freiné de peptide C.
demander, uniquement en cas de suspicion clinique, dans un L’hospitalisation permet d’éliminer les diagnostics différen-
laboratoire spécialisé, au mieux sous le contrôle de l’endocrino- tiels rares de l’insulinome : les hypoglycémies factices (injection
logue qui prend en charge le patient en cas de résultats positifs. d’insuline exogène ou prise de sulfamides hypoglycémiants), les
hypoglycémies auto-immunes.
Hypoglycémies tumorales Une fois le diagnostic d’insulinome posé, différentes techni-
ques servent à sa localisation (échoendoscopie préopératoire,
extrapancréatiques cathétérisme portal, éventuellement injection intra-artérielle de
Leur diagnostic repose sur la découverte d’une tumeur calcium) [10, 11]. La prise en charge thérapeutique sera menée par
volumineuse, parlante cliniquement, associée à des malaises des équipes spécialisées.
fréquents et graves.
■ Conclusion
■ Devant une hypoglycémie
Finalement, l’interrogatoire permet d’aboutir à trois conclu-
organique sans cause apparente : sions (Fig. 1).
• Il n’y a pas d’argument à l’interrogatoire pour une hypogly-
épreuve de jeûne cémie organique. Aucun bilan n’est nécessaire. Le plus
important, mais le moins bien codifié, est le traitement de
Épreuve de jeûne cette « pathologie » dite « fonctionnelle ». Pourtant, lorsque la
Lorsque l’interrogatoire, l’examen clinique et les examens prise en charge est adaptée, l’évolution des troubles vers une
biologiques simples font suspecter une hypoglycémie organique raréfaction et/ou une modification symptomatologique des

Interrogatoire et examen clinique

Pas de médicaments hypoglycémiants Médicaments hypoglycémiants Description malaisée


Pas d'endocrinopathie arrêt À jeun ou après effort
Examen clinique normal Symptômes neuroglycopéniques
Endocrinopathie clinique
Description aisée des malaises Correction rapide par le sucre
test au Synacthène® immédiat
Horaire postprandial
T4, TSH
Pas de symptômes neuroglycopéniques
Insuffisance hépathique grave
Alcoolisme Suspicion d'insulinome
Pas d'arguments pour une origine Contexte auto-immun
organique Ac anti-insuline et antirécepteur
de l'insuline Hospitalisation pour
Syndrome tumoral épreuve de jeûne
Pas de bilan

1) Prise en charge diététique


+ psychologique + médicaments
2) Ordonnance pour glycémie
lors d'un malaise, en postprandial tardif

Suivi de l'évolution :
diminution de la fréquence et
modification de la symptomatologie
des malaises

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à tenir devant une suspicion d’hypoglycémie. TSH : thyroid stimulating hormone ; Ac : Anticorps ; T4 : thyroxine ou
tétra-iodothyronine.

Traité de Médecine Akos 3


1-1340 ¶ Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique

malaises permet de confirmer l’absence d’hypoglycémie [4] Johnson DD, Dorr KE, Swenson WM, Service FJ. Reactive
organique. En cas de persistance, voire d’aggravation des hypoglycemia. JAMA 1980;243:1151-5.
malaises, associée à une hypoglycémie biologique constatée [5] Richard JL, Rodier M, Monnier L, Orsetti A, Mirouze J. Effect of
au moment d’un malaise, il faut recourir à l’épreuve de jeûne. acarbose on glucose and insulin response to sucrose load in reactive
hypoglycemia. Diabete Metab 1988;14:114-8.
• Il y a des arguments cliniques en faveur d’une insuffisance
[6] Pandit MK, Burke J, Gustafson AB, Minocha A, Peiris AN. Drug-
surrénalienne, ou d’une hypothyroïdie, que l’on confirme induced disorders of glucose tolerance. Ann Intern Med 1993;118:
biologiquement. Il y a des médicaments favorisant l’hypogly- 529-39.
cémie que l’on peut arrêter. [7] Larger E, Hillaire-Buys D, Assan R, Blayac JP. Drug-induced
• Il y a une suspicion d’hypoglycémie organique sans cause hypoglycemia in 1995. Pharmacovigilance data, analysis of the
. évidente : il faut confirmer le diagnostic par une épreuve literature. Journ Annu Diabetol Hotel Dieu 1995:89-105.
de jeûne en hospitalisation avant de poursuivre les [8] Service FJ. Hypoglycemic disorders. N Engl J Med 1995;332:1144-52.
investigations. [9] Vezzosi D, Bennet A, Fauvel J, Boulanger C, Tazi O, Louvet JP, et al.
.
Insulin levels measured with an insulin-specific assay in patients with
fasting hypoglycaemia related to endogenous hyperinsulinism. Eur
■ Références J Endocrinol 2003;149:413-9.
[10] McLean AM, Fairclough PD. Endoscopic ultrasound in the localisation
[1] Mitrakou A, Ryan C, Veneman T, Mokan M, Jenssen T, Kiss I, et al. of pancreatic islet cell tumours. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab
Hierarchy of glycemic thresholds for counterregulatory hormone 2005;19:177-93.
secretion, symptoms, and cerebral dysfunction. Am J Physiol 1991;260: [11] Noone TC, Hosey J, Firat Z, Semelka RC. Imaging and localization of
islet-cell tumours of the pancreas on CT and MRI. Best Pract Res Clin
E67-E74.
Endocrinol Metab 2005;19:195-211.
[2] Palardy J, Havrankova J, Lepage R, Matte R, Bélanger R, D’Amour P,
et al. Blood glucose measurements during symptomatic episodes in
patients with suspected postprandial hypoglycemia. N Engl J Med
Pour en savoir plus
1989;321:1421-5. Hartemann-Heurtier A, Chanson P. Hypoglycémies chez l’adulte non
[3] Charles MA, Hofeldt F, Shackelford A, Waldeck N, Dodson Jr. LE, diabétique. In: Traité d’endocrinologie. Paris: Médecine-Sciences
Bunker D, et al. Comparison of oral glucose tolerance tests and mixed Flammarion; 2007. p. 1106.
meals in patients with apparent idiopathic postabsorptive Young J. Hypoglycémie. In: Endocrinologie, diabétologie et maladies
hypoglycemia: absence of hypoglycemia after meals. Diabetes 1981; métaboliques. Connaissances et pratiques. Paris: Elsevier Masson;
30:465-70. 2007. p. 206.

A. Hartemann-Heurtier, Professeur des Universités, praticien hospitalier (agnes.heurtier@psl.aphp.fr).


Service d’endocrinologie-métabolisme, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Hartemann-Heurtier A. Suspicion d’hypoglycémie chez l’adulte non diabétique. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1340, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

4 Traité de Médecine Akos


1-1350
1-1350

Hypercalcémie
Encyclopédie Pratique de Médecine

D Joly

L a découverte d’une hypercalcémie est une situation devenue fréquente avec la généralisation de ce dosage
lors des bilans biologiques. Un individu sur 2 000 est concerné tous les ans.
© Elsevier, Paris.


Introduction Tableau I. – Hormones régulant la calcémie.

Une hormone est hypocalcémiante :


— la calcitonine, produite par les cellules C de la thyroïde. Son rôle physiologique est limité.
L’hypercalcémie aiguë est potentiellement
mortelle. L’hypercalcémie chronique peut se Deux hormones sont hypercalcémiantes :
compliquer d’atteintes viscérales diverses, avec
— l’hormone parathyroïdienne (PTH), qui est un polypeptide de 84 acides aminés produit par les glandes
notamment insuffisance rénale chronique. Il faut parathyroïdiennes et agit grâce à l’intermédiaire d’un second messager (l’AMP cyclique). La PTH est hypo-
hospitaliser sans délai les formes sévères ou phosphorémiante.
symptomatiques, et dans tous les cas, identifier la
— le calcitriol ou 1,25 (OH)2 vitamine D3, dérivé actif de la vitamine D (alimentaire et cutanée) au terme de
cause pour la traiter. L’enquête étiologique est deux hydroxylations (25 hépatique et 1 rénale). Le calcitriol est hyperphosphorémiant.
parfois délicate, mais trois causes principales
représentent plus de 90 % des hypercalcémies.

Tableau II. – Dosage de la calcémie : principales causes d’erreur.


Rappel physiologique Erreur de dosage :
Erreur de prélèvement :
faire un second prélèvement
orthostatisme, période post prandiale et garrot veineux majorent artificielle-
ment la calcémie
Le calcium est le principal élément minéral de Erreur d’interprétation : tenir compte de l’albuminémie ou (à défaut) de la protidémie
l’organisme. Le calcium plasmatique total n’en
Calcémie totale corrigée (en mmol /L)
représente qu’une infime partie (1/1000 e ), = calcémie observée ± (40 - albuminémie) × 0,015.
schématiquement sous trois formes principales : lié à = calcémie observée / (0,55 + [protidémie: 160])
l’albumine (40 %), lié à certains anions (5 %), et libre
ionisé (55 %, biologiquement seul actif). * protidémie et albuminémie exprimées en g/L.
La calcémie totale est maintenue entre 2,2 et
souvent, on parle d’hypercalcémie lorsque la calcémie
2,6 mmol/L. Les « entrées » sont alimentaires
totale dépasse 2,6 mmol/L. Ce taux doit être interprété Tableau III. – Crise aiguë hypercalcémique.
(absorption digestive), osseuses (résorption), et
en fonction de l’albuminémie et du pH. En cas de
rénales (réabsorption tubulaire), tandis que les — Troubles de vigilance avec agitation, délire, et
variation importante de ces facteurs, le dosage de la parfois convulsions
« sorties » sont urinaires et fécales. L’équilibre
calcémie ionisée peut être utilisé : les valeurs normales — Douleurs abdominales pseudochirurgicales,
calcémique dépend principalement de l’action de
sont comprises entre 1,15 et 1,35 mmol/L. La validité iléus, vomissements
trois hormones : calcitonine, hormone parathyroï-
du résultat suppose l’élimination de trois causes — Fièvre, tachycardie, déshydratation globale,
dienne (PTH) et vitamine D (tableau I). voire collapsus ou choc
d’erreurs : erreur de dosage, erreur de prélèvement,
— Insuffısance rénale aiguë
erreur d’interprétation (tableau II).


Le calcul de la calcémie corrigée (tableau II) Devant l’un ou plusieurs de ces items, une calcé-
Diagnostic mie doit être demandée en urgence et le patient
permet de tenir compte des variations de la hospitalisé en réanimation.
protidémie ou de l’albuminémie, sans avoir recours
© Elsevier, Paris

au dosage de la calcémie ionisée. Ceci permet


‚ Biologie ‚ Signes cliniques
d’obtenir un résultat fiable malgré une hyperalbumi-
Le diagnostic est purement biologique et affirmé némie (due par exemple à une déshydratation La crise hypercalcémique aiguë se voit volontiers
lorsque la valeur de la calcémie totale est supérieure sévère) ou une hypoalbuminémie (due par exemple lorsque la calcémie est supérieure à 3,5 mmol/L
aux normes indiquées par le laboratoire. Le plus à un syndrome néphrotique). et/ou que son élévation a été rapide. La présentation

1
1-1350 - Hypercalcémie

‚ Première étape : reconnaître


Tableau IV. – Signes cliniques de l’hypercalcémie. les trois causes dominantes
Signes généraux asthénie, anorexie, amaigrissement
Néoplasie [5]
globale, intra- et extracellulaire avec soif et syndrome polyuropolydipsique. Pos- Il est rare qu’une hypercalcémie soit révélatrice
Déshydratation
sibilité de collapsus voire choc hypovolémique dans les hypercalcémies aiguës
d’une néoplasie ; dans ces cas, la maladie
Troubles neuro- céphalées, insomnie cancéreuse est en règle facilement accessible au
psychiques syndrome confusionnel, troubles de la vigilance diagnostic clinique. Le diagnostic est le plus souvent
syndrome dépressif, syndrome démentiel
porté chez des patients hospitalisés ou porteurs
psychose délirante
hypotonie, hyporéflexie ostéotendineuse d’une néoplasie connue, à l’état général altéré, chez
qui l’hypercalcémie est récente et volontiers sévère
Troubles cardiovasculai- tachycardie
(> 3,5 mmol/L). Une hypercalcémie ancienne écarte
res troubles du rythme
collapsus a priori l’hypothèse d’une néoplasie. La
électrocardiogramme (ECG) : tachycardie, QT court, PR long, ondes T plates, reconnaissance d’anomalies radiologiques d’allure
extrasystoles ventriculaires maligne (thorax, clichés osseux) ou d’un syndrome
Troubles digestifs constipation, voire iléus paralytique, nausées, vomissements inflammatoire est habituelle.
douleurs abdominales diffuses
ulcères (rares) Myélome
Troubles rénaux polyurie osmotique et polydipsie Le myélome multiple est associé à une
lithiase rénale calcique hypercalcémie dans 30 % des cas. Elle est souvent
néphrocalcinose majeure et peut contribuer au développement d’une
insuffısance rénale fonctionnelle (oligurie secondaire) insuffisance rénale. Une ostéolyse radiologique, une
insuffısance rénale chronique
vitesse de sédimentation (VS) élevée, un pic d’allure
Signes osseux en rapport cancer, myélome, hyperparathyroïdie... monoclonale sur l’électrophorèse des protides sont
avec l’étiologie évocateurs du diagnostic. L’immunofixation (sérique
Calcifications ectopiques rein : néphrocalcinose et urinaire) confirme la nature monoclonale de la
artères : médiacalcose gammapathie, tandis que le myélogrammme
yeux : cornée, conjonctives rattache cette dernière à un myélome, en
tympans : surdité
démontrant la présence de plasmocytes tumoraux,
articulations : chondrocalcinose
peau : prurit en nombre le plus souvent très élevé.

Hyperparathyroïdie primitive [4]


Inversement aux deux situations précédentes,
du patient est particulièrement inquiétante (tableau Tableau V. – Causes des hypercalcémies. une hypercalcémie modérée (< 3 mmol/L), parfois
III) et le trouble biologique doit être rapidement connue de longue date chez un patient ambulatoire
diagnostiqué de façon à débuter en urgence le Cancer avec métastases osseuses (rarement prosta- en bonne santé apparente, est le plus souvent due à
traitement symptomatique. En l’absence de tique) une hyperparathyroïdie primitive. Une histoire
diagnostic, la mort survient par arrêt cardiaque en Cancer sans métastases osseuses familiale d’hyperparathyroïdisme, l’évidence d’une
fibrillation ventriculaire. Myélome multiple (rarement autres hémopathies) néoplasie endocrinienne multiple, des antécédents
Les hypercalcémies supérieures à 3 mmol/L sont d’irradiation cervicale, de pancréatite, une
Hyperparathroïdie primaire (rarement tertiaire)
volontiers mais inconstamment accompagnées de chondrocalcinose articulaire sont des arguments en
symptômes (tableau IV). Aucun d’entre eux n’est Iatrogènes : faveur du diagnostic chez un patient dont l’examen
spécifique, et leur apparition dépend de la rapidité — vitamine D physique est en règle normal. Un dosage élevé de
de constitution du trouble biologique ainsi que de la — vitamine A et dérivés (rétinoïdes et isotréti- 1-84 PTH confirme le diagnostic. Une échographie
noïne) cervicale est nécessaire en préopératoire afin de
tolérance individuelle.
— calcium
— lithium tenter de repérer les glandes parathyroïdes et de
— diurétiques thiazidiques localiser une tumeur (adénome 90 %, cancer 2 %) ou


— théophylline une hyperplasie (8 %).
Démarche diagnostique — lait et alcalins (syndrome de Burnett)
— anti-œstrogènes ‚ Deuxième étape : éviter quelques pièges
Sarcoïdose et autres granulomatoses (tuberculose,
Les causes d’hypercalcémie sont nombreuses et histoplasmose, berryliose, coccidioïdomycose) Attention aux hypercalcémies iatrogènes
variées (tableau V). En pratique, trois d’entre elles Endocrinopathies : La consommation d’une dose excessive de
rendent compte de 90 % des cas : les néoplasies, le vitamine D (per os ou en collyres) est hypercalcé-
— hyperthyroïdie
myélome multiple, et l’hyperparathyroïdie — insuffısance surrénalienne miante. Le taux circulant de 25 (OH) D3 est élevé.
primitive. — phéochromocytome Malgré l’arrêt de l’intoxication, l’hypercalcémie peut
La cause d’une hypercalcémie peut être — acromégalie persister plusieurs semaines. La calcémie doit être
approchée de façon simple dans la majorité des cas. Causes rares : régulièrement surveillée au cours d’un tel traitement.
L’histoire clinique, l’examen physique, et quelques — immobilisation Le syndrome des buveurs de lait et alcalins n’a
tests biologiques de première intention (tableau VI) — maladie de Paget pas disparu [1] : décrit à l’époque où les ulcères
permettent de préciser cette cause dans 99 % des — hypercalcémie familiale gastroduodénaux se traitaient par ingestion massive
cas. — hypercalciurique de lait, ce syndrome peut se rencontrer actuellement
Ces explorations peuvent être conduites en chez des patients consommant de fortes doses de
ambulatoire si l’hypercalcémie est modérée et symptomatique, permettant d’assurer simulta- carbonate de calcium, et est éventuellement favorisé
asymptomatique. L’hospitalisation est nécessaire nément prise en charge thérapeutique et par la prise concomitante d’un diurétique thiazidique
devant toute hypercalcémie sévère et/ou investigations diagnostiques. ou l’existence d’une insuffisance rénale. Les

2
Hypercalcémie - 1-1350

nécessitent une hospitalisation et la mise en place


Tableau VI. – Éléments permettant de trouver la cause de 99 % des hypercalcémies. d’une perfusion veineuse, apportant au moins 2 à
Histoire clinique 3 L de solutés salés par jour. Toute hypokaliémie
Examen physique Néoplasie ? Endocrinopathie ? associée doit être corrigée.
Radiographie de thorax Néoplasie ? Sarcoïdose ?
Radiographies osseuses Néoplasie ? Myélome ? Paget ? Modifications du régime et du traitement
Électrophorèse des protéines Myélome ? Lymphome ? ■ Diminuer la ration calcique : éviter lait et
NFS, VS Néoplasie ? Myélome ? Hémopathie ?
1-84 PTH Hyperparathyroïdie primitive ? laitages, fromage, l’impact de cette mesure est
Tests endocriniens (hormone toutefois limité.
Uniquement en cas d’orientation clinique
thyréotrope-TSH-...) ■ Interrompre un traitement par diurétique
thiazidique, vitamine D, carbonate de calcium et
alcalins notamment.
principaux risques sont la survenue d’une lithiase d’une PTH rp élevée a un double intérêt : [5] ■ Interrompre un traitement digitalique en cours
urinaire ou d’une néphrocalcinose avec insuffisance l’évolution de son taux permettra de suivre la (risque d’intoxication).
rénale irréversible. réponse au traitement antitumoral ; [4] un taux très
élevé fait craindre une survie courte et une faible ‚ Diminuer la résorption osseuse
Attention aux associations réponse aux bisphosphonates. du calcium
La prise d’un médicament potentiellement
responsable d’hypercalcémie ne doit pas faire écarter Stock vitaminique D Calcitonine
les autres diagnostics. En particulier, l’hypercalcémie Le calcidiol (25 OH D3) et le calcitriol (1,25 (OH)2 D’origine humaine (Cibacalcinet) ou animale
découverte chez un patient prenant un diurétique D3) devraient être mesurés lorsqu’il n’y a pas de (Calcitart, Calsynt, Miacalcict), la calcitonine inhibe
thiazidique est en fait révélatrice d’un hyperparathyroï- diagnostic étiologique évident, avec des taux de PTH la résorption osseuse de façon rapide (quelques
disme sous-jacent dans 70 % des cas. et PTH rp non élevés. heures) mais modérée, inconstante (20 %
L’immobilisation stimule la résorption osseuse et Dans ces cas, une élévation du calcidiol suggère d’échecs), ou transitoire (échappement). Elle est
s’accompagne d’une hypercalcémie parfois associée une intoxication vitaminique D, tandis qu’une donc volontiers associée quelques jours aux autres
à une maladie de Paget ou un hyperparathyroï- élévation préférentielle de calcitriol, outre une traitements, en particulier aux bisphosphonates
disme primaire. intoxication par ce produit, suggère une activité dont le délai d’action est plus long. La posologie
enzymatique 1-α-hydroxylase importante par une utilisée dans cette indication est de 4 à 8 UI/kg/j en
Les antécédents familiaux maladie granulomateuse ou un lymphome. Il est tout 2 à 4 injections (sous-cutanée, intramusculaire,
ne doivent pas être négligés intraveineuse). Les réactions d’intolérance
à fait rare que ces affections ne soient pas facilement
Des antécédents familiaux (ou personnels !) de accessibles au diagnostic au stade d’hypercalcémie. (nausées, flush facial) ne sont pas rares dans
tumeur exocrine du pancréas, d’adénomes Si le stock vitaminique D est normal, il faut alors l’heure qui suit l’administration, et sont
hypophysaires ou surrénaliens doivent faire suspecter une résorption osseuse de cause efficacement prévenues par le décubitus et
suspecter une néoplasie endocrinienne multiple inattendue (Paget, immobilisation, thyrotoxicose), ou l’adjonction d’un antiémétique.
(NEM) de type I ; s’il s’agit de cancers médullaires de un une prise occulte de calcium à fortes doses.
la thyroïde ou de phéochromocytomes, on Bisphosphonates
évoquera une NEM de type IIa. Bien entendu, Cytokines Ces produits bloquent durablement la résorption
l’hypercalcémie par hyperparathyroïdisme primaire osseuse et normalisent la calcémie de façon un peu
L’hypercalcémie des lymphomes est volontiers en
est probable, et une prise en charge endocrinolo- différée (2 à 3 jours) mais rapide (moins d’une
rapport avec une élévation des interleukines (IL 1 et
gique spécialisée familiale est impérative. semaine) ; le pamidronate (Arédia t) et le clodronate
6) ou du TNF.
Une histoire d’hypercalcémie familiale à (Clastobant) administrés par voie veineuse sont à
transmission autosomique dominante peut faire en usage hospitalier exclusif. Beaucoup d’auteurs les


outre évoquer une « hypercalcémie hypocalciurique réservent aux hypercalcémies d’origine néoplasique,
familiale bénigne », pour laquelle aucun traitement Traitement [2, 3]
et les utilisent volontiers par la suite si un traitement
n’est usuellement nécessaire à l’âge adulte. Le seul d’entretien est nécessaire. Dans ce cas, l’Arédiat est
risque réel est une hypercalcémie néonatale sévère. administré sous forme d’une perfusion mensuelle
‚ Traitement étiologique tandis que le Clastobant (voire le Didronelt),
‚ Troisième étape : examens parfois utiles, La suppression de la cause de l’hypercalcémie est disponibles sous forme orale, peuvent être utilisés
de prescription spécialisée quotidiennement.
bien entendu le traitement le plus efficace : chirurgie
Dans certains cas, malgré les recherches d’une hyperparathyroïdie primitive, chirurgie et/ou
Mithramycine
précédentes la cause de l’hypercalcémie reste radiochimiothérapie d’une néoplasie, corticothérapie
imprécise. D’autres examens peuvent être effectués en cas de sarcoïdose... Cet agent antibiotique et antimitotique
à titre diagnostique mais en seconde intention et en Bien souvent la cause de l’hypercalcémie n’est (administré par voie veineuse) inhibe la
milieu spécialisé. pas connue au moment où le diagnostic biologique différenciation ostéoblastique et bloque la résorption
est porté. Ceci ne doit pas retarder le mise en place osseuse. Son utilisation est exceptionnelle de nos
Dosage de la PTH rp (related peptide) d’un traitement symptomatique adapté à la gravité jours, du fait de ses effets indésirables comparati-
La synthèse de ce peptide rend compte de la de l’hypercalcémie et/ou des symptômes. vement aux bisphosphonates.
majorité des hypercalcémies humorales
néoplasiques. La PTH rp freine la sécrétion de PTH, ‚ Traitement symptomatique ‚ Diminuer l’absorption digestive
du calcium
mais mime la plupart de ses actions cellulaires. Le
dosage est effectué chez le patient hypercalcémique Réhydratation Une corticothérapie orale (prednisone 0,5 à
dans deux circonstances principales : en présence Il s’agit de l’étape première et incontournable du 1 mg/kg/j) peut être utilement prescrite et est
d’une tumeur solide, surtout lorsqu’il n’y a pas de traitement. Les hypercalcémies modérées (< particulièrement efficace dans les hypercalcémies où
métastases osseuses ostéolytiques ; en l’absence de 3 mmol/L) et asymptomatiques relèvent de boissons la résorption digestive est le principal mécanisme
diagnostic étiologique évident, lorsque la PTH est abondantes avec apports sodés. Les hypercalcémies physiopathologique impliqué : granulomatoses,
basse. Outre son rôle diagnostique, la découverte plus importantes, en règle symptomatiques, intoxications vitaminiques, buveurs de lait et

3
1-1350 - Hypercalcémie

alcalins... Elle est peu efficace dans les autres cas,


hormis le myélome multiple.
Hypercalcémie modérée Hypercalcémie Hypercalcémie grave
‚ Éliminer le calcium (< 3 mmol/L) moyenne (> 3,5 mmol/L)
(< 3,5 mmol/L)
ou mal tolérée
Diurèse forcée avec diurétiques de l’anse
de Henle (furosémide, bumétanide)
Réhydratation
Ces diurétiques augmentent la calciurie de façon Régime
nette, surtout lorsqu’ils sont utilisés à forte dose par Modification du traitement
voie veineuse. Ce traitement ne se conçoit qu’en
réanimation, après normalisation de la volémie et
rééquilibration hydroélectrolytique. Les pertes
hydrosodées sont étroitement surveillées et
compensées volume pour volume.
Bisphosphonates Diurétiques de l'anse
Attendre les résultats de l'enquête + Calcitonine EER si anurie
Épuration extrarénale
+ Corticoïdes Bisphosphonates
(hémodialyse ou dialyse péritonéale) Calcitonine
L’effet est immédiat et transitoire. La lourdeur de + Corticoïdes
la technique fait réserver ce traitement aux formes
menaçant le pronostic vital à très court terme ainsi
Traitement étiologique
qu’aux formes oligoanuriques.

1 Arbre diagnostique.
‚ Indications thérapeutiques EER : épuration ectrarénale.
Voir la figure 1.

Dominique Joly : Chef de clinique-assistant,


service de néphrologie (Professeur Grünfeld), hôpital Necker, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : D Joly. Hypercalcémie. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1350, 1998, 4 p

Références

[1] Beall DP, Scofield RH. Milk-alkali syndrome associated with calcium carbon- [4] Consensus Development Conference Panel. NIH Conference.. Diagnosis and
ate consumption. Report of 7 patients with parathyroid hormone levels and an management of asymptomatic primary hyperparathyroidism. Consensus Develop-
estimate of prevalence among patients hospitalized with hypercalcemia. Medicine ment Conference Statement. Ann Intern Med 1991 ; 114 : 593-604
(Baltimore) 1995 ; 74 : 89-96
[5] Rosol TJ, Capen CC. Mechanisms of cancer-induced hypercalcemia. Lab
[2] Bilezikian JP. Management of hypercalcemia. J Clin Endocrinol Metab 1993 ; Invest 1992 ; 67 : 680-702
77 : 1445-1448

[3] Bilezikian JP. Management of acute hypercalcemia. N Engl J Med 1992 ; 326 :
1196-1203

4
¶ 1-1360

Hyperphosphatémie
H. Boulanger, M. Flamant

Le phosphate est majoritairement destiné à la minéralisation osseuse, au métabolisme énergétique et à la


structure d’un certain nombre de molécules. Le phosphate circulant ne représente que 1 % du phosphate
total. Les entrées digestives de phosphate sont sous la dépendance du calcitriol et de la part libre du
phosphate dans la lumière digestive. Les sorties rénales dépendent du débit de filtration glomérulaire et
de la réabsorption tubulaire proximale de phosphate qui est sous le contrôle de la parathormone et du
fibroblast growth factor (FGF-23). L’hyperphosphatémie se définit chez l’adulte par une valeur
supérieure à 1,43 mmol/l. Elle expose, en situation aiguë, à l’hypocalcémie symptomatique et à la
précipitation phosphocalcique dans les tissus mous ; en situation chronique, aux calcifications
extrasquelettiques, notamment cardiovasculaires, et à une augmentation de la mortalité
cardiovasculaire. L’hyperphosphatémie aiguë est secondaire à une entrée massive de phosphate dans le
milieu extracellulaire et/ou à une insuffisance rénale aiguë. L’hyperphosphatémie chronique est avant
tout le fait de l’insuffisance rénale chronique avancée (débit de filtration glomérulaire inférieur à
30 ml/min/1,73 m2) et plus rarement en rapport avec une augmentation inappropriée et primitive de la
réabsorption tubulaire de phosphate (hypoparathyroïdie, pseudohypoparathyroïdie ou déficit des autres
systèmes phosphaturiants). Le traitement de l’hyperphosphatémie chronique repose sur la diminution de
l’absorption digestive de phosphate par des chélateurs calciques ou non calciques ou des inhibiteurs du
transport de phosphate. L’épuration extrarénale ne permet généralement pas de se dispenser des
hypophosphatémiants.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Hyperphosphatémie ; Insuffisance rénale chronique ; PTH ; FGF-23 ;


Calcifications extrasquelettiques

Plan phosphate. Elle s’accompagne d’un risque significativement plus


élevé de calcifications ectopiques et d’une augmentation de la
¶ Introduction 1 mortalité cardiovasculaire. Elle nécessite pour cette raison une
prise en charge thérapeutique précoce.
¶ Physiologie 1
Répartition et rôle du phosphate 1
Régulation des entrées digestives 2 ■ Physiologie
Régulation des sorties 2
¶ Diagnostic biologique de l’hyperphosphatémie 2
Répartition et rôle du phosphate [1-4]
¶ Conséquences biologiques et cliniques 2
¶ Étiologies 3 Le phosphore est présent dans l’organisme sous forme de
phosphate organique et inorganique. Il représente 1 % du poids
¶ Prise en charge thérapeutique 3
du corps, soit environ 700 g chez l’adulte ; 85 % se trouvent
¶ Conclusion 5 dans le tissu osseux sous forme de cristaux de phosphate de
calcium, 14 % dans les cellules des tissus mous où il est
impliqué dans de multiples réactions enzymatiques, le métabo-
lisme énergétique, la synthèse des acides nucléiques et des
■ Introduction membranes lipidiques, la signalisation intracellulaire et la
régulation de l’équilibre acidobasique. Seulement 1 % se situe
L’hyperphosphatémie aiguë résulte d’un apport massif de dans le secteur extracellulaire. Le phosphate plasmatique est à
phosphore d’origine exogène ou endogène. Elle est souvent 70 % sous forme de phosphate organique et à 30 % sous forme
favorisée par l’existence d’une insuffisance rénale aiguë conco- de phosphate inorganique. Seule la fraction inorganique est
mitante. L’hyperphosphatémie chronique est généralement dosée. Elle est pour 15 % liée aux protéines et pour 85 % libre,
secondaire à une réduction du débit de filtration glomérulaire majoritairement sous forme mono- ou dihydrogénée (H2PO4–1
(DFG) en dessous de 30 ml/min/1,73 m2 ou plus rarement à et HPO4–2) et marginalement sous forme complexée au calcium,
une augmentation de la réabsorption tubulaire rénale de magnésium et sodium.

Traité de Médecine Akos 1


1-1360 ¶ Hyperphosphatémie

Récepteur de la vitamine D Augmentation


Récepteur sensible au Ca de la sécrétion de PTH

FGF-23 sérique

1,25 OH2 Vit D NPT2a NPT2a


FGF-23 osseux
1α-hydroxylase 1α-hydroxylase

absorption du
phosphate Diminution de
absorption du la réabsorption
calcium

Hyperphosphatémie Hypophosphatémie

Figure 1. Régulation de l’homéostasie du phosphate par le système fibroblast growth factor (FGF-23), parathormone (PTH), 1,25 OH2 Vit D (calcitriol).
Cotransporteur sodium-phosphate tubulaire (NPT2a).

Régulation des entrées digestives Les autres déterminants de la TmPi/DFG sont l’hormone de
croissance, l’hormone thyroïdienne et les phosphatonines
Les apports alimentaires quotidiens moyens en phosphates secreted frizzeled-related protein-4 (SFRP4), FGF-7, matrix extracel-
sont de l’ordre de 1 000 à 1 500 mg. Le phosphore est essentiel- lular phosphoglycoprotein (MEPE) et intestinal phosphaturic sensor.
lement présent dans les produits laitiers, les céréales, les fruits
secs, les poissons et de façon non négligeable dans les additifs
alimentaires. Soixante à quatre-vingt pour cent du phosphate ■ Diagnostic biologique
alimentaire, soit environ 900 mg, sont absorbés dans le duodé-
num et le jéjunum. L’absorption intestinale se fait pour deux de l’hyperphosphatémie
tiers par voie paracellulaire, de manière passive non régulée et
non saturable selon un gradient de concentration et pour un Le dosage du phosphate plasmatique doit s’effectuer à jeun
tiers par voie transcellulaire de manière active, régulée et (l’apport de glucose entraîne une entrée de phosphate dans les
saturable par l’intermédiaire du cotransporteur sodium- cellules sous la dépendance de l’insuline), de préférence le matin
phosphate apical NPT2b. Les principaux déterminants de (variations nycthémérales) et sur un prélèvement non hémolysé
l’absorption digestive de phosphate sont les concentrations (libération du phosphate intraérythrocytaire). La phosphatémie
circulantes de calcitriol et la disponibilité du phosphate dans la normale de l’adulte varie entre 0,81 et 1,43 mmol/l (2,5-4,5 mg/
lumière intestinale. L’absorption du phosphate est en effet dl). Elle est plus élevée chez l’enfant et la femme ménopausée.
significativement diminuée lorsqu’il est complexé à un cation Une pseudohyperphosphatémie est possible avec les tests
comme le calcium, l’aluminium, le magnésium, le lanthanum, usuellement utilisés, le cas le plus fréquent étant une interfé-
ou à des résines synthétiques. rence avec une protéine monoclonale produite en excès (myé-
lome multiple, maladie de Waldenström).

Régulation des sorties


Le rein assure l’homéostasie du phosphate en adaptant son
■ Conséquences biologiques
excrétion aux entrées dans l’organisme. Le phosphate est et cliniques [5]

librement filtré par le glomérule puis réabsorbé dans le tube


contourné proximal par l’intermédiaire de transporteurs couplés Les signes cliniques de l’hyperphosphatémie aiguë sont ceux
au sodium (NPT2a et NPT2c). Ce transport de phosphate est de l’hypocalcémie, par précipitation phosphocalcique dans les
saturable. Il existe donc une capacité maximale de réabsorption tissus mous. L’hyperphosphatémie chronique expose au risque
tubulaire proximale (TmPi) par le rein qui, rapportée au DFG de calcifications extrasquelettiques. Les paramètres biologiques
(TmPi/DFG), permet d’individualiser la fonction tubulaire du métabolisme minéral (PTH, calcitriolémie, calcémie, FGF-23)
proximale de phosphate, en s’affranchissant de la masse varient en fonction de la cause de l’hyperphosphatémie (Fig. 2).
néphronique. La réabsorption tubulaire du phosphate est Au cours de l’insuffisance rénale chronique, l’hyperphosphaté-
principalement sous le contrôle de la parathormone (PTH) et du mie s’accompagne successivement dans le temps d’une aug-
fibroblast growth factor-23 (FGF-23), dont l’effet biologique est mentation des concentrations circulantes du FGF-23, d’une
dans les deux cas de diminuer le TmPi/DFG. Le FGF-23 est une hypocalcitriolémie puis d’une hyperparathyroïdie secondaire.
hormone polypeptidique ostéocytaire dont la synthèse est Les calcifications ectopiques intéressent la peau (nodules sous-
stimulée par l’hyperphosphatémie. Son activité biologique cutanés ou dépôts diffus pouvant participer au prurit de
nécessite la présence d’un corécepteur appelé protéine Klotho. l’insuffisant rénal), l’œil (dépôts conjonctivaux ou cornéens), le
Le FGF-23 augmente l’excrétion urinaire de phosphate (d’où le système périarticulaire (sous forme de calcinose tumorale ou de
nom d’hormone phosphaturiante ou phosphatonine) et dimi- périarthrite douloureuse) et certains organes (néphrocalcinose,
nue son absorption digestive en inhibant la synthèse de calcinose pulmonaire). Les calcifications intéressent également
calcitriol. Le FGF-23 est également, par rétrocontrôle, inhibé par le système cardiovasculaire, en particulier les valves cardiaques,
l’élévation du calcitriol (Fig. 1). l’aorte, les artères coronariennes et iliaques. L’atteinte des

2 Traité de Médecine Akos


Hyperphosphatémie ¶ 1-1360

Hyperphosphatémie avec TmPi/DFG augmentée et inappropriée

PTH intacte et calcémie

PTH variable
PTH normale
PTH haute et et calcémie
ou basse
calcémie basse normale
et calcémie basse
ou augmentée

Éliminer une hyperthyroïdie


Hypoparathyroïdie Pseudohypoparathyroïdie
ou une acromégalie

Génétique : Résistance à la PTH (mutation du FGF-23 intacte


- mutation du gène GCMB récepteur de la PTH)
(hypoparathyroïdie autosomique - Pseudohypoparathyroïdie de type 1
dominante) (AMPc urinaire basse)
- inactivation du gène PTH FGF-23 intacte FGF-23 intacte
- Pseudohypoparathyroïdie de type 2
- syndrome polymalformatif de di basse normale ou élevée
(AMPc urinaire haute)
George
Acquise :
- postchirurgicale Déficience en FGF-23 Résistance au FGF-23
- dépôts (amylose, etc.) - Mutation inhibitrice de GALNT 3 Mutation inhibitrice de la
- auto-immune - Mutation inhibitrice de FGF-23 protéine Klotho

Figure 2. Arbre décisionnel. Étiologies des hyperphosphatémies chroniques avec augmentation inappropriée de la capacité maximale de réabsorption
tubulaire proximale (TmPi) par le rein rapportée au débit de filtration glomérulaire (DFG) (TmPi/DFG). PTH : parathormone ; AMPc : adénosine monophos-
phate cyclique ; FGF-23 : fibroblast growth factor-23 ; Galnt 3 : N-acétylgalactosaminyl transférase 3.

artérioles est également fréquente et réalise à l’extrême une élevée et TmPi/DFG augmenté). Une anomalie primitive des
calciphylaxie exposant au risque de nécrose sous-cutanée. Les autres systèmes phosphaturiants (FGF-23/Klotho, autres phos-
calcifications vasculaires peuvent être médianes (médiacalcose) phatonines) est exceptionnelle mais doit être évoquée quand les
responsables d’une augmentation de la rigidité artérielle, ou étiologies précédentes on été écartées. L’ensemble des causes
intimales au niveau des plaques d’athérome. Dans ce dernier d’hyperphosphatémie chronique est détaillé dans les Figures 2, 3.
cas, elles sont considérées comme un processus de cicatrisation
et de stabilisation de la plaque. Ces calcifications vasculaires
sont le résultat d’une transformation active des cellules muscu- ■ Prise en charge thérapeutique [6-8]

laires lisses d’un phénotype contractile vers un phénotype


ostéogénique de type ostéoblaste-like. L’hyperphosphatémie et le En cas d’hyperphosphatémie aiguë, le traitement de première
produit phosphocalcique sont les deux principaux facteurs de intention a pour objet d’augmenter l’excrétion urinaire de
cette transdifférenciation, mais celle-ci est également facilitée phosphate. Ceci est obtenu conjointement par l’expansion du
par la réduction des inhibiteurs de calcification comme la volume extracellulaire, l’alcalinisation des urines (bicarbonate de
fétuine-A, le pyrophosphate, la protéine matricielle Gla, sodium isotonique) et éventuellement la prise d’acétazolamide
l’ostéoprotégérine ou l’ostéopontine. L’hyperphosphatémie et (qui inhibe spécifiquement la réabsorption tubulaire proximale
l’augmentation du produit phosphocalcique sont aussi associées de phosphate). Dans les situations particulières où le risque de
de manière significative, notamment au cours de l’insuffisance précipitation est majeur et l’excrétion rénale insuffisante,
rénale chronique, à la mortalité cardiovasculaire. l’épuration extrarénale peut être proposée.
En situation chronique, l’hyperphosphatémie est le plus
souvent secondaire à l’insuffisance rénale chronique. La dimi-
nution des apports alimentaires en phosphore par restriction
■ Étiologies protidique ne doit plus être proposée car elle expose au risque
de dénutrition protéique qui est associée à une mortalité plus
En l’absence de cause évidente, il convient dans un premier importante que l’hyperphosphatémie. La diminution des entrées
temps d’écarter la possibilité d’une pseudohyperphosphatémie. digestives de phosphore repose donc principalement sur la
En cas d’hyperphosphatémie confirmée, on distingue les hyper- chélation intestinale du phosphore ou l’inhibition du transport
phosphatémies aiguës (augmentation massive des entrées dans le actif de phosphate. Les chélateurs du phosphate contenant de
secteur extracellulaire et/ou insuffisance rénale aiguë) des l’aluminium sont efficaces mais ne sont plus prescrits de
hyperphosphatémies chroniques. La principale cause d’hyper- manière prolongée compte tenu du risque d’intoxication
phosphatémie chronique est la réduction importante du DFG aluminique chronique (dont la traduction potentielle est une
(insuffisance rénale chronique stade 4 ou 5 correspondant à un encéphalopathie, une anémie et/ou une ostéomalacie).
DFG inférieur à 30 ml/min/1,73m2). Dans ce cas, la PTH est Les chélateurs calciques, prescrits en milieu de repas, sont
élevée et le TmPi/DFG abaissé de manière adaptée. En l’absence efficaces mais posent le problème dans cette indication de
d’insuffisance rénale chronique avancée, l’association à une l’augmentation potentielle de la charge calcique, du produit
hypocalcémie suggère une hypoparathyroïdie (PTH basse et phosphocalcique et donc des calcifications vasculaires et
TmPi/DFG augmenté) ou une pseudohypoparathyroïdie (PTH extravasculaires. Les chélateurs non calciques, de par leur

Traité de Médecine Akos 3


1-1360 ¶ Hyperphosphatémie

Hyperphosphatémie > 1,45 mmol/l

Éliminer une
pseudohyperphosphatémie

Hyperphosphatémie aiguë Hyperphosphatémie chronique

Apport excessif exogène : DFG > 30 ml/min/1,73 m2


DFG < 30 ml/min/1,73 m2
- laxatifs et lavements riches en phosphates et TmPi/DFG > 1,4
- intoxication à la vitamine D
- brûlures cutanées au phosphore blanc
Apport excessif endogène :
Insuffisance rénale
- rhabdomyolyse cf. Figure 2
chronique
- syndrome de lyse tumorale
- désordres acidobasiques
et/ou

Insuffisance rénale aiguë

Figure 3. Arbre décisionnel. Diagnostic des hyperphosphatémies. TmPi/DFG : capacité maximale de réabsorption tubulaire proximale (TmPi) par le rein
rapportée au débit de filtration glomérulaire (DFG).

Tableau 1.
Caractéristiques des différents hypophosphatémiants.
Dénominations Mode d’action Avantages potentiels Désavantages potentiels
Carbonate de calcium : Chélateur calcique Faible coût Risque d’augmentation des calcifications ectopiques
Calcidia®, Eucalcic®, etc. et notamment cardiovasculaires par augmentation
de la charge calcique

Acétate de calcium : Chélateur calcique Faible coût Risque d’augmentation des calcifications ectopiques
Phosphosorb® Plus efficace que le carbonate et notamment cardiovasculaires par augmentation
de calcium de la charge calcique
en raison d’une meilleure dissolution

Hypochloride Chélateur non calcique Pas de charge calcique donc moins Coût élevé
de sévélamer : Renagel® (résine synthétique) de risque de calcifications vasculaires Troubles digestifs
Diminution du LDL cholestérol Risque d’acidose métabolique hyperchlorémique

Carbonate de sévélamer : Chélateur non calcique Pas de charge calcique donc moins Coût élevé
Renvela® (résine synthétique) de risque de calcifications vasculaires Troubles digestifs
Alcalinisation
Diminution du LDL cholestérol

Carbonate de lanthanum : Chélateur non calcique Pas de charge calcique donc moins Coût élevé
Fosrenol® (lanthanum) de risque de calcifications Troubles digestifs
Accumulation de lanthanum dans l’organisme à long
terme et conséquences potentielles non connues

Nicotinamide : Nicobion® Inhibition du cotransporteur Faible coût Non recommandé par les sociétés savantes (KDOQI
sodium -phosphate NPT2b Augmente le HDL cholestérol et KDIGO) en raison du niveau de preuve insuffisant
Traverse la barrière digestive donc risque d’effets indési-
rables systémiques (thrombopénie, flush, nausée, etc.)
LDL : low density lipoprotein ; HDL : high density lipoprotein ; KDOQI : Kidney Disease: Outcomes Quality Initiative ; KDIGO : Kidney Disease: Improving Global Outcomes.

structure, laissaient présager une moindre augmentation du du fait d’une extraction insuffisante de phosphate. Seule
produit phosphocalcique et des calcifications, mais les études l’augmentation du temps de dialyse (hémodialyses longues ou
sur l’évolution des calcifications vasculaires sous ce type de quotidiennes) permet d’obtenir une balance phosphatée nulle.
traitement sont contradictoires. Par ailleurs, il n’a pas pu être Au total, le choix de l’hypophosphatémiant doit être adapté
clairement montré de supériorité des chélateurs non calciques à la situation clinicobiologique et éventuellement radiologique
sur la mortalité cardiovasculaire. (radiographie de profil et échographie cardiaque à la recherche
Quelle que soit sa technique (hémodialyse conventionnelle, de calcifications de l’aorte et des valves cardiaques) de chaque
hémodiafiltration ou dialyse péritonéale), l’épuration extrarénale patient. Les avantages et inconvénients des différentes classes
ne permet généralement pas l’arrêt des hypophosphatémiants thérapeutiques sont résumés dans le Tableau 1.

4 Traité de Médecine Akos


Hyperphosphatémie ¶ 1-1360

■ Références
.

■ Conclusion
[1] Berndt T, Kumar R. Novel mechanisms in the regulation of phosphorus
La physiopathologie de l’hyperphosphatémie a considérable- homeostasis. Physiology (Bethesda) 2009;24:17-25.
ment évolué au cours de cette dernière décennie avec, en [2] Farrow EG, White KE. Recent advances in renal phosphate handling.
particulier, l’identification de la phosphatonine FGF-23. Nat Rev Nephrol 2010;6:207-17.
L’hyperphosphatémie chronique est un acteur essentiel du [3] Bijvoet OL, Morgan DB, Fourman P. The assessment of phosphate
processus de calcification cardiovasculaire et s’accompagne reabsorption. Clin Chim Acta 1969;26:15-24.
d’une augmentation de la mortalité cardiovasculaire. Ces effets [4] Bergwitz C, Jüppner H. Regulation of phosphate homeostasis by PTH,
vitamin D, and FGF23. Annu Rev Med 2010;61:91-104.
délétères en font une cible thérapeutique importante au cours
[5] Block GA, Hulbert-Shearon TE, Levin NW, Port FK. Association of
de l’insuffisance rénale chronique.
serum phosphorus and calcium x phosphate product with mortality risk
in chronic hemodialysis patients: a national study. Am J Kidney Dis
1998;4:607-17.
[6] Shinaberger CS, Greenland S, Kopple JD, Van Wyck D, Mehrotra R,

“ Points essentiels
Kovesdy CP, et al. Is controlling phosphorus by decreasing dietary
protein intake beneficial or harmful in persons with chronic kidney
disease? Am J Clin Nutr 2008;88:1511-8.
• L’hyperphosphatémie chronique est le plus souvent en [7] Tonelli M, Pannu N, Manns B. Oral phosphate binders in patients with
kidney failure. N Engl J Med 2010;362:1312-24.
rapport avec une diminution importante du DFG (maladie
[8] KDIGO. Treatment of CKD-MBD targeted at lowering high serum
rénale chronique stades 4 et 5). phosphorus and maintaining serum calcium. Kidney Int 2009;113:
• L’hyperphosphatémie aiguë résulte généralement S50-S69 [suppl].
d’une augmentation massive des entrées endogènes ou
exogènes de phosphate, souvent favorisée par la
Pour en savoir plus
coexistence d’une insuffisance rénale aiguë.
• L’hyperphosphatémie chronique expose au risque de KDIGO clinical practice guideline for the diagnostic, evaluation, prevention,
calcifications cardiovasculaires et est corrélée au risque de and treatment of Chronic Kidney Disease-Mineral and Bone Disorder
mortalité cardiovasculaire. (CKD-MBD). Kidney Int 2009;113:S1-130 [suppl].
Prié D, Ureña Torres P, Friedlander G. Latest findings in phosphate
• En dehors de l’insuffisance rénale, l’hyperphosphatémie
homeostasis. Kidney Int 2009;75:882-9.
chronique doit faire rechercher une hypoparathyroïdie ou Mizobuchi M, Towler D, Slatopolsky E. Vascular calcification: the killer of
une pseudohypoparathyroïdie. patients with chronic kidney disease. J Am Soc Nephrol 2009;20:
• Le traitement de l’hyperphosphatémie au cours de 1453-6.
l’insuffisance rénale chronique repose sur l’utilisation de Guérin AP, London GM, Marchais SJ, Metivier F. Arterial stiffening and
chélateurs digestifs, calciques ou non calciques. vascular calcifications in end-stage renal disease. Nephrol Dial
Transplant 2000;15:1014-21.

H. Boulanger.
M. Flamant (martin.flamant@bch.aphp.fr).
Service d’explorations fonctionnelles, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Boulanger H., Flamant M. Hyperphosphatémie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine
Akos, 1-1360, 2011.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

Traité de Médecine Akos 5


 1-1361

Hypophosphatémie
T. Stehle, M. Flamant

L’hypophosphatémie est définie par une concentration plasmatique de phosphate inférieure à 0,85 mM.
Les conséquences cliniques et la prise en charge diagnostique diffèrent en fonction du caractère aigu
ou chronique du trouble. L’hypophosphatémie aiguë est souvent d’origine extrarénale, par transfert
intracellulaire ou osseux de phosphate, ou par perte digestive. L’interrogatoire et le contexte clinique
sont généralement suffisants pour en définir l’origine étiologique. Le traitement est celui de la cause, et
éventuellement l’apport exogène de phosphate. Lorsqu’elle est sévère, l’hypophosphatémie aiguë expose
au risque de défaillance cardiorespiratoire. L’hypophosphatémie chronique est une anomalie métabolique
relativement fréquente. Elle expose à long terme à un risque osseux ou lithiasique rénal. Une carence
en vitamine D native doit être recherchée en première intention. En l’absence de carence, l’étude de la
calcémie, de la parathormone (PTH), de la 1,25 OH vitamine D et du comportement rénal du phosphate
permettent une orientation diagnostique rapide, soit vers une cause extrarénale, soit vers une fuite rénale
de phosphate, qu’elle soit primitive ou secondaire, en particulier au cours de l’hyperparathyroïdie primaire.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Hypophosphatémie ; Vitamine D ; PTH ; Calcitriol ; Tubule proximal ; Rachitisme

Plan  Rappels physiologiques [1–4]

■ Introduction 1 Le phosphate représente 1 % du poids du corps d’un adulte


■ Rappels physiologiques 1 (soit 700 mg pour une personne de 70 kg), réparti pour 80 % dans
Absorption du phosphate et sa régulation 1 le squelette sous forme d’hydroxyapatite, 9 % dans les muscles
Excrétion rénale de phosphate et sa régulation 2 squelettiques, 11 % dans les viscères, et seulement 0,1 % dans

le liquide extracellulaire. Le ratio extra-/intracellulaire est ainsi
Diagnostic biochimique 2
de 1/100.
■ Conséquences cliniques 2 Le rôle du phosphate intracellulaire est multiple : il intervient
Hypophosphatémie aiguë 2 dans le métabolisme énergétique via la synthèse d’adénosine
Hypophosphatémie chronique 2 triphosphate (ATP), dans le transport de l’oxygène via la
■ Étiologies 2 2,3 diphosphoglycérate (DPG), dans la composition des phos-
Causes extrarénales (TmPi/DFG normal ou augmenté) 2 pholipides membranaires, dans la synthèse de l’acide désoxyri-
Pertes rénales de phosphate (TmPi/DFG abaissé) 3 bonucléique (ADN), ou encore dans les voies de signalisation
■ Conduite diagnostique 3 intracellulaire.
Dans les urines, le phosphate joue un rôle tampon, et participe
■ Traitement 4 physiologiquement à environ un quart de l’excrétion de la charge
■ Conclusion 5 acide apportée par l’alimentation.

Absorption du phosphate et sa régulation


L’alimentation occidentale moyenne apporte quotidienne-
 Introduction ment entre 800 et 1 500 mg de phosphate (soit 20 à 40 mmol),
et se trouve dans presque tous les aliments si bien que
L’hypophosphatémie est un trouble métabolique fréquent, qui l’hypophosphatémie par carence d’apport ne peut se concevoir
expose en situation aiguë à des complications cardiorespiratoires, qu’en cas de régime très restrictif. Les aliments particulièrement
et en situation chronique à des troubles osseux. Sa prise en riches en phosphate sont le lait, les œufs, les céréales, la viande
charge thérapeutique optimale nécessite d’en avoir déterminé rouge, le poisson et les sodas. Environ 70 % du phosphate ingéré
son mécanisme d’apparition et son étiologie. Nous détaillons ici est absorbé, et l’absorption a lieu dans l’intestin grêle (duodé-
la démarche diagnostique de l’hypophosphatémie et sa prise en num et jéjunum), par diffusion paracellulaire passive pour deux
charge thérapeutique. tiers, et par voie transcellulaire pour un tiers. Cette absorption est

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 7 > n◦ 3 > juillet 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(12)58951-9
1-1361  Hypophosphatémie

dépendante du cotransporteur phosphate-sodium NPT2b (gène (conduisant à une ischémie tissulaire par diminution de la déli-
SLC34A2). L’expression membranaire de ce transporteur est sti- vrance périphérique de l’O2 liée à l’augmentation de l’affinité de
mulée par la 1,25 OH vitamine D (ou calcitriol). l’hémoglobine pour l’O2 ). Ils associent des troubles neurologiques
centraux (encéphalopathie, convulsions, coma) ou périphériques
(paresthésies), des manifestations musculaires (myopathie à pré-
Excrétion rénale de phosphate dominance proximale avec myalgies, rhabdomyolyse), digestives
et sa régulation (iléus paralytique), cardiaques (insuffisance cardiaque, arythmie),
pulmonaire (insuffisance respiratoire par atteinte musculaire dia-
Le phosphate plasmatique est librement filtré par les glo- phragmatique) et hématologique (hémolyse par augmentation de
mérules, puis majoritairement réabsorbé par le tube contourné la rigidité érythrocytaire secondaire au déficit en ATP).
proximal, le taux de réabsorption du phosphate (ou TRP, corres-
pondant à la part du phosphate filtré qui est réabsorbé) étant
d’environ 10 % à 20 %. La réabsorption du phosphate se fait de Hypophosphatémie chronique
façon couplée au Na+ , par l’intermédiaire des transporteurs NPT2a
Le retentissement de l’hypophosphatémie chronique est
(SLC34A1) et NPT2c (SLC34A3) essentiellement. Cette réabsorp-
essentiellement osseux : ostéopénie par activation ostéoclas-
tion est un phénomène saturable, et la quantité maximale de
tique, rachitisme chez l’enfant. Lorsque l’hypophosphatémie est
phosphate réabsorbée par unité de temps définit le taux maximal
d’origine rénale, elle s’associe souvent à une hypercalciurie (soit
de réabsorption du phosphate (ou TmPi). Le TmPi dépend de la
parce que l’origine du trouble est une hyperparathyroïdie, soit
capacité intrinsèque de chaque néphron à réabsorber le phosphate
parce que l’hypophosphatémie stimule la synthèse de calcitriol
mais également du nombre de néphron fonctionnel. Le TmPi nor-
qui, en réponse, augmente l’absorption intestinale de calcium),
malisé par le débit de filtration glomérulaire (DFG) (TmPi/DFG)
exposant au risque de lithiase calcique ou phosphocalcique (car-
définit par conséquent la fonction cellulaire tubulaire proximale
bapatite, weddellite, brushite, etc.).
de réabsorption du phosphate, indépendamment du nombre de
néphrons fonctionnels.
L’expression membranaire des transporteurs est sous la dépen-
dance de la parathormone (PTH) et du fibroblast growth factor 23  Étiologies
(FGF23). Ces deux peptides ont un effet phosphaturiant
(diminution du TmPi/DFG). La fixation de la PTH au récep- La première étape diagnostique consiste à s’assurer que le pré-
teur PTHR1 induit une endocytose de NPT2a et c par des lèvement est bien réalisé à jeun, et que le prélèvement n’est pas
voies adénosine monophosphate cyclique (AMPc) et phos- hémolysé. Il ne faut pas hésiter à contrôler la phosphatémie avant
pholipase C (PLC) dépendantes. Le FGF23 est une protéine d’engager des examens supplémentaires dispendieux.
appartenant à la famille des phosphatonines. Elle est synthéti-
sée par les ostéocytes-ostéoblastes, cette synthèse étant stimulée Causes extrarénales (TmPi/DFG normal
par l’hyperphosphatémie et l’hypercalcitriolémie. Elle diminue
l’expression membranaire de NPT2a et c, et diminue la calcitrio- ou augmenté)
lémie par inhibition de la 1 ␣-hydroxylase tubulaire proximale. Le contexte clinique est généralement évident, et oriente soit
vers une redistribution interne du phosphate, soit vers une dimi-
nution des entrées digestives.
 Diagnostic biochimique
Redistribution interne
L’hypophosphatémie est définie par une phosphatémie infé-
Elle peut se faire soit vers le secteur intracellulaire, soit
rieure à 0,85 mmol/l. Elle est considérée comme sévère pour une
vers l’os. L’entrée cellulaire de phosphate est favorisée par
valeur inférieure à 0,32 mmol/l, valeur à partir de laquelle existe
l’hyperinsulinisme, de façon physiologique en période post-
un risque cardiorespiratoire. Le dosage doit être réalisé à jeun car
prandiale, mais surtout dans des situations pathologiques ou
l’hyperinsulinémie post-prandiale induit un transfert intracellu-
médicamenteuses telles la perfusion de sérum glucosé, le trai-
laire du phosphate. Par ailleurs, comme pour tous les électrolytes
tement d’une décompensation acidocétosique, ou l’instauration
majoritairement intracellulaires, l’hémolyse dans le tube de pré-
d’une renutrition entérale ou parentérale chez des patients
lèvement entraîne une augmentation factice de la phosphatémie.
sévèrement dénutris (syndrome de renutrition). Elle est égale-
Le comportement rénal du phosphate peut s’apprécier par le
ment favorisée par l’alcalose respiratoire, l’augmentation du pH
calcul du taux de réabsorption du phosphate ou mieux par le
intracellulaire stimulant la glycolyse. Les cancers et surtout les
TmPi/DFG, obtenu à partir de la phosphatémie, du TRP et du
hémopathies malignes à haut renouvellement cellulaire sont éga-
diagramme de Bijvoët (TmPi/DFG, N = 0,8-1,40 mM).
lement des causes d’hypophosphatémie.
L’approche diagnostique est différente en fonction du caractère
Le syndrome de l’os avide (hungry bone syndrome) est un phéno-
aigu ou chronique de l’hypophosphatémie. Devant une hypo-
mène de transfert aigu de phosphate vers l’os, après traitement
phosphatémie chronique, après avoir éliminé une carence en
d’une pathologie ayant entraîné une perte osseuse de calcium
vitamine D native, la mesure du TmPi/DFG permet de définir
(parathyroïdectomie sur hyperparathyroïdie primaire, correction
l’origine rénale (TmPi/DFG abaissé) ou extrarénale (TmPi/DFG
d’une hyperthyroïdie, lever après immobilisation prolongée) et ce
augmenté) du trouble. L’hypophosphatémie aiguë est en revanche
phénomène est aggravé par la prise de biphosphonates.
presque toujours d’origine extrarénale, et le plus souvent diagnos-
tiquée à partir de l’interrogatoire et du contexte clinique
Diminution des entrées digestives
L’hypophosphatémie par carence d’apport est rare, car le phos-
 Conséquences cliniques phate est présent dans une grande variété d’aliments, et parce que
le rein est physiologiquement capable de supprimer quasiment
Hypophosphatémie aiguë totalement l’excrétion de phosphate. Un facteur digestif supplé-
mentaire est ainsi souvent présent, en particulier une diarrhée
Les symptômes cliniques n’apparaissent généralement que chronique ou l’utilisation de laxatifs.
lorsque la phosphatémie est inférieure à 0,45 mM. Ils sont la La carence en vitamine D est la première cause
traduction de la déplétion intracellulaire en phosphate, ce qui d’hypophosphatémie de l’enfant, mais est également fréquente
explique le caractère généralement non symptomatique des hypo- chez l’adulte. L’hypophosphatémie par déficit en vitamine D est
phosphatémies par transfert intracellulaire de phosphate. Mis à en réalité de mécanisme double, par diminution de l’absorption
part les conséquences de l’hypophosphatémie sur l’os et l’état digestive de phosphate mais également par augmentation de
acide base, les signes cliniques sont la conséquence du défi- l’excrétion rénale par stimulation de la PTH. Les déficits en
cit en ATP et de la diminution du 2,3 DPG érythrocytaire vitmaine D peuvent être liés à un défaut d’apport, à un trouble de

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Hypophosphatémie  1-1361

Tableau 1. Tableau 2.
Causes de déficit en 25 OH vitamine D. Causes du syndrome de Fanconi.
Digestives Carence d’apport alimentaire Acquises Métaux lourds (Pb, Cd, Hg)
Résection gastrique Médicaments (isofosfamide, cisplatine, ténofovir)
Insuffisance pancréatique exocrine Chaînes légères (myélome)
Syndrome de malabsorption Hémoglobinurie paroxystique nocturne
Défaut d’hydroxylation Cirrhose hépatique Génétiques Maladie de Wilson
hépatique en position 25 Médicaments (anticonvulsivants) Cystinose
Syndrome de Lowe
Déficit en vitamine D Syndrome néphrotique
Tyrosinémie
binding protein
Galactosémie
Autre Déficit d’exposition solaire Glycogénose de type 1

Fuite rénale de phosphate primitive


l’absorption (vitamine liposoluble) ou à un déficit de sa protéine
porteuse. Les causes de déficit en vitamine D sont résumées dans Elle correspond aux situations où le défaut de réabsorption du
le Tableau 1. phosphate ne dépend pas de sa régulation mais d’une atteinte
Les antiacides (sels de magnésium et d’aluminium) chélatent le des transporteurs eux-mêmes. On distingue schématiquement
phosphate alimentaire, mais ne sont guère plus utilisés. les atteintes globales des fonctions de la cellule tubulaire proxi-
male (tubulopathie proximale ou syndrome de Fanconi), où
l’hypophosphatémie n’est que partie du tableau biologique, des
Pertes rénales de phosphate (TmPi/DFG atteintes isolées du transport du phosphate.
Syndrome de Fanconi
abaissé)
La fuite urinaire concerne l’ensemble des substances réabsor-
De façon schématique, on distingue les fuites rénales de phos- bées par le tube contourné proximal. Outre l’hypophosphatémie,
phate secondaires, c’est-à-dire en rapport avec une anomalie du on peut observer une glycosurie normoglycémique, une hypo-
contrôle hormonal du transport du phosphate, des fuites rénales uricémie d’origine rénale, une aminoacidurie, une acidose
de phosphate par atteinte primitive de ce transport par la cellule métabolique hypokaliémique, entre autres. Même si l’atteinte est
tubulaire proximale. globale, le tableau biologique peut ne concerner que certaines
substances (on parle de syndrome de Fanconi incomplet). Chez
l’adulte, le syndrome de Fanconi est surtout le fait de la toxicité
Fuite rénale de phosphate secondaire tubulaire des chaînes légères au cours du myélome, ou d’origine
Au cours de l’hyperparathyroïdie toxique (ténofovir, isofosfamide, cisplatine). Chez l’enfant, les
Toute cause d’augmentation de la PTH peut s’accompagner causes dysmétaboliques sont les plus fréquentes (cystinose, mala-
d’une hypophosphatémie par fuite rénale (hormis bien entendu die de Wilson). Les causes de syndrome de Fanconi sont résumées
dans l’hyperparathyroïdie [HPT] de l’insuffisance rénale chro- dans le Tableau 2.
nique, où l’élévation de la PTH répond à l’hyperphosphatémie, et Atteinte isolée du transport du phosphate
également au cours des pseudohypoparathyroïdies). L’HPT peut Elle est fréquente et le plus souvent idiopathique. La calcitriolé-
être primitive ou secondaire, et la valeur de calcémie est alors un mie est souvent augmentée, en réponse à l’hypophosphatémie,
élément discriminant pour distinguer ces deux situations. Une et s’associe donc souvent à une hypercalciurie. Une origine
calcémie normale ou augmentée est évocatrice d’une HPT pri- génétique est évoquée lorsqu’il existe un contexte familial soit
maire (ou tertiaire dans la situation particulière du transplanté d’hypophosphatémie, soit de lithiase. La mutation peut concerner
rénal), une calcémie basse d’une HPT secondaire. Dans l’HPT soit les transporteurs NPT2a et NPT2c, soit le facteur de transcrip-
secondaire, le facteur de stimulation de la PTH peut être soit une tion NHERF1.
carence en vitamine D ou en calcitriol, quelle qu’en soit la cause
(carence d’apport, défaut d’exposition solaire, malabsorption), ou
une autre cause d’hypocalcémie (tubulopathie complexe ou prise  Conduite diagnostique
de diurétiques de l’anse).
La démarche diagnostique pratique est présentée dans la
Par excès de FGF23 Figure 1. Quelques points méritent d’être soulignés ici : en cas
Cette situation de fuite rénale de phosphate secondaire d’hypophosphatémie aiguë, les éléments d’interrogatoire, anam-
est beaucoup plus rare que l’HPT. Elle doit être évoquée en nestiques et contextuels sont généralement suffisants pour établir
deuxième intention, et en particulier si la calcitriolémie est l’origine étiologique du trouble et guider la prise en charge théra-
basse, car l’hypophophatémie doit physiologiquement stimu- peutique. Si l’hypophosphatémie est chronique et sans argument
ler la 1␣-hydroxylase. Hormis le cas où l’élévation du FGF23 pour un phénomène de redistribution interne, la recherche d’une
répond à l’hyperphosphatémie (réponse attendue), toute augmen- carence en vitamine D est à effectuer. En l’absence de carence en
tation du FGF23 s’accompagne d’une fuite rénale de phosphate. vitamine D, ou si l’hypophosphatémie persiste malgré la recons-
L’origine du trouble peut être génétique, par mutation activa- titution des stocks, les dosages de la calcémie, de la PTH et
trice du FGF23 (ostéomalacie hypophosphatémique autosomique du calcitriol sont effectués en deuxième intention. Ceci permet
dominante), ou de protéines impliquées dans sa maturation de rapidement s’orienter vers une hyperparathyroïdie primaire
(hypophosphatémie autosomique récessive par mutation de (élévation de la PTH, calcémie normale ou augmentée et hyper-
DMP1, hypophosphatémie liée à l’X par mutation de PHEX1). Elle calcitriolémie) ou vers une atteinte tubulaire primitive. Dans ce
peut également être acquise, par production ectopique de FGF23 dernier cas, il convient de rechercher une atteinte des autres trans-
par une tumeur mésenchymateuse, détectable par le TEP scanner ports proximaux pour différencier un syndrome de Fanconi d’une
au 18-FDG (ostéomalacie oncogénique). atteinte isolée du transport du phosphate. Les autres causes sont
rares et évoquées en cas de tableau biologique atypique (telle une
Pseudohyperparathyroïdie PTH effondrée ou une franche hypocalcitriolémie). Le recours
Ce sont des situations rares, où le récepteur de la PTH est aux explorations fonctionnelles est utile dans les situations où
activé indépendamment de la PTH native. Ce peut être soit par le diagnostic n’est pas évident mais également pour confirmer
la présence d’une substance PTH-like ou PTHrp (syndrome para- le diagnostic d’hyperparathyroïdie primaire par test dynamique
néoplasique), soit par mutation activatrice du récepteur PTHR1 (réponse parathyroïdienne à l’élévation de la calcémie par apport
(chondrodysplasie métaphysaire type Jansen). calcique oral ou parentéral).

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1361  Hypophosphatémie

Hypophosphatémie

Phosphatémie Contrôle de la
normale phosphatémie à jeun
Insulinothérapie
Alcalose respiratoire Hypophosphatémie
Syndrome de l’os avide
Syndrome de renutrition Oui
Contexte extrarénal
Carence d’apport
Perte digestive (stomie)
Non
Intoxication aux chélateurs
de la phosphatémie
Normal ou 25 OH vitamine D Carence modérée
carence légère ou profonde

Explorations Substitution par de la vitamine D


fonctionnelles Recherche de la cause

PTH élevée et/ou


Ca normale et Ca élevée et PTH élevée et Ca basse
Ca augmentée et
PTH normale PTH basse = HPT secondaire
hypercalcitriolémie

Recherche de Pseudohyperparathyroïdie Carence en vitamine D Fuite rénale de


troubles associés : non corrigée phosphate secondaire
- uricémie Fuite rénale de calcium et PTH dépendante
- kaliémie
- protéinurie
- glycosurie
- bicarbonatémie Hyperparathyroïdie
- calcul TmPi/DFG et primaire (fréquent)
EF acide urique

Présent(s) Absent(s)

Fuite rénale de
phosphate primitive ou
Syndrome de Fanconi
par excès de FGF23
cf. Tableau 1
Idiopathique
Génétique

Figure 1. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique pratique. Ca : calcémie ; PTH : parathormonémie ; TmPi : réabsorption maximale du phosphate ;
DFG : débit de filtration glomérulaire ; EF : excrétion fractionnelle ; FGF23 : fibroblast growth factor 23.

 Traitement
Le traitement de l’hypophosphatémie repose avant tout sur le
traitement de la cause, d’où l’importance de bien définir l’origine
“ Point fort
étiologique du trouble. En cas d’hypophosphatémie aiguë sévère, Toute hypophosphatémie sans cause évidente doit être
un apport phosphaté est possible, par voie parentérale le plus
contrôlée avant poursuite des investigations, en vérifiant
souvent. La calcémie doit être surveillée, car il existe un risque
d’hypocalcémie aiguë par précipitation phosphocalcique. le respect du jeûne au moment du prélèvement.
En cas d’hypophosphatémie chronique par fuite rénale de phos- L’approche diagnostique de l’hypophosphatémie chro-
phate, le traitement de la cause est encore au premier plan. Ce peut nique repose sur l’étude du comportement rénal du
être diversement le traitement médical ou chirurgical d’une hyper- phosphate.
parathyroïdie primaire, la correction d’une carence en vitamine D, En cas d’hypophosphatémie chronique, l’examen de pre-
l’exérèse d’une tumeur, l’arrêt d’un traitement tubulotoxique, etc. mière intention est le dosage des taux circulants de
Lorsque le trouble est idiopathique ou la cause génétique ou incu- vitamine D native (25 OH vitamine D).
rable, un traitement symptomatique de l’hypophosphatémie peut En cas d’hypophosphatémie par fuite rénale de phosphate
être proposé, en particulier si l’hypophosphatémie est symptoma- sans carence en 25 OH vitamine D, les valeurs de PTH, de
tique ou s’il existe un risque lithiasique. L’apport de phosphore
calcium et de 1,25 OH vitamine D permettent une orien-
oral est ainsi possible, permettant d’augmenter la phosphatémie
au prix d’une augmentation de la phosphaturie. La tolérance tation étiologique rapide du trouble.
digestive de ce traitement est souvent mauvaise. Le traitement par L’hypophosphatémie aiguë et sévère expose à un risque
dipyridamole (Persantine® ) a été proposé dans les fuites rénales cardiorespiratoire, l’hypophosphatémie chronique à un
de phosphate primitives, mais nécessite une validation à grande risque osseux ou lithiasique rénal.
échelle.

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Hypophosphatémie  1-1361

 Conclusion  Références
[1] Berndt T, Kumar R. Novel mechanisms in the regulation of phosphorus
Les connaissances physiologiques concernant l’homéostasie
homeostasis. Physiology 2009;24:17–25.
du phosphate ont considérablement augmenté ces dernières
[2] Farrow EG, White KE. Recent advances in renal phosphate handling.
années, notamment avec l’identification de nouvelles molé- Nat Rev Nephrol 2010;6:207–17.
cules phosphaturiantes, dont le FGF23. Ceci permet désormais [3] Bijvoet OL, Morgan DB, Fourman P. The assessment of phosphate
de proposer une démarche diagnostique dichotomique assez reabsorption. Clin Chim Acta 1969;26:15–24.
complète de l’hypophosphatémie, le diagnostic étiologique étant [4] Bergwitz C, Jüppner H. Regulation of phosphate homeosta-
le plus souvent nécessaire à une prise en charge optimale du sis by PTH, vitamin D, and FGF23. Annu Rev Med 2010;61:
trouble. 91–104.

T. Stehle.
M. Flamant (martin.flamant@bch.aphp.fr).
Service de physiologie-explorations fonctionnelles, Hôpital Bichat, Université Paris 7, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Stehle T, Flamant M. Hypophosphatémie. EMC - Traité de Médecine Akos 2012;7(3):1-5 [Article 1-1361].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 5


 1-1367

Anomalies biologiques courantes :


lacticodéshydrogénase élevée
R. Goulabchand, P. Guilpain

Le dosage sérique de la lacticodéshydrogénase (LDH) est facile et rapide en pratique clinique courante.
Ce dosage étant très peu spécifique, il convient, dans un premier temps, d’éliminer une hémolyse liée au
prélèvement et, dans un second temps, d’envisager différentes hypothèses étiologiques, guidées par un
examen clinique approfondi et un bilan biologique ciblant les organes suspectés. Si l’origine de l’élévation
du taux de LDH n’est pas identifiée rapidement, une néoplasie profonde doit être recherchée. Le dosage de
LDH, ainsi que de ses isoformes, dans les liquides pleuraux, d’ascite ou encore dans le liquide cérébrospinal
(LCS) pourrait aussi aider le clinicien à différencier les pathologies infectieuses, notamment tuberculeuses,
des pathologies malignes. En outre, ce dosage pourrait être utile pour décider d’immunothérapies ciblées
mais coûteuses au cours de certaines hémopathies et du cancer colorectal. La LDH est non seulement
importante en tant que biomarqueur dans un certain nombre de situations cliniques, mais pourrait
également constituer une cible thérapeutique au cours de certains cancers, comme le suggère la littérature
récente.
© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Lacticodéshydrogénase ; Hémolyse ; Facteur pronostique

Plan dinucléotide hydrogène (NADH) + H+ lactate + NAD+. Cette


enzyme est libérée dans le plasma lors d’une lésion tissulaire.
■ Introduction 1 Elle est très peu spécifique d’organe mais est utile à des fins de
Définition 1 dépistage, ou de pronostic.
Différentes isoenzymes de la lacticodéshydrogénase 1
Méthode de dosage 1 Différentes isoenzymes
Particularités/faux positif 1 de la lacticodéshydrogénase
Variations physiologiques 2
■ Orientations diagnostiques devant une découverte fortuite
La LDH regroupe une famille de cinq isoenzymes, chacune
de lacticodéshydrogénase élevée (dépistage sanguin) 2
catalysant la même réaction enzymatique mais ayant des proprié-
Éliminer une hémolyse artéfactuelle 2
tés physicochimiques différentes : charge électrique, constante
Envisager un processus de lyse cellulaire 2
d’affinité et thermostabilité. Ces propriétés permettent de les
Éliminer une origine néoplasique 3
différencier par électrophorèse ou chromatographie. Chaque
isoenzyme est un tétramère (structure quaternaire), formé par
■ Dosage du taux de lacticodéshydrogénase dans les liquides l’association de quatre sous-unités polypeptidiques. Ces quatre
biologiques à visée diagnostique 3 polypeptides sont constitués de l’association en proportion
Dosage de lacticodéshydrogénase dans l’ascite 3 variable des deux polypeptides de type M (rencontré en grande
Dosage de lacticodéshydrogénase dans le liquide pleural 3 partie dans le muscle) et de type H (rencontré surtout dans le
Dosage de lacticodéshydrogénase dans le liquide cérébrospinal 3 cœur). On peut différencier ces cinq tétramères (ou isoenzymes)
■ Utilisation du taux sérique de lacticodéshydrogénase par séparation électrophorétique, en fonction de leur vitesse de
à visée pronostique et de suivi 3 migration. La répartition des isoenzymes est, en outre, différente
Au cours des hémolyses chroniques 3 suivant les tissus (Tableau 1) [1] .
Pathologie d’organe non néoplasique 3
Sepsis et taux de lacticodéshydrogénase 3 Méthode de dosage
Utilisation du taux sanguin de lacticodéshydrogénase à visée
pronostique en cancérologie 3 Le prélèvement veineux est réalisé sur un tube sec de 5 ml.
Le dosage de l’activité enzymatique est réalisé par spectropho-
■ Conclusion 4
tométrie en suivant la disparition de NADH, mesurée à 340 nm
et à 25 ◦ C. Les valeurs normales usuelles, exprimées en unités
internationales par litre, sont comprises entre 100 et 240 UI/l. La
 Introduction détermination du taux de l’isoenzyme est possible par électropho-
rèse mais n’est pas réalisée en pratique courante et relève de la
Définition recherche dans le domaine des biomarqueurs.
La lacticodéshydrogénase (LDH) est une enzyme cytoplasmique
ubiquitaire, présente dans toutes les cellules de tous les tissus.
Particularités/faux positif
Elle catalyse le transfert de l’ion hydrogène (H+) entre l’acide La LDH est exprimée en grande quantité dans les globules
pyruvique et l’acide lactique : pyruvate + nicotinamide adénine rouges, car elle y joue un rôle dans la protection de l’hémoglobine

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 11 > n◦ 3 > juillet 2016
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(16)56890-2
1-1367  Anomalies biologiques courantes : lacticodéshydrogénase élevée

Tableau 1.
Répartition tissulaire des différentes isoenzymes de la lacticodéshydrogé-
nase (LDH). Taux de LDH
plasmatique élevé
Sous-unités Fractions Répartition tissulaire
H4 LDH1 Cœur, hématies, rein, cerveau
H3 M1 LDH2
Éliminer une hausse
H2 M2 LDH3 Poumons, néoplasies artéfactuelle (hémolyse
H1 M3 LDH4 du prélèvement)
M4 LDH5 Foie, muscles

et de sa membrane contre l’oxydation. Toute hémolyse lors du Orientation clinique ?


prélèvement peut donc conduire à une augmentation du taux
de LDH, qui n’a alors pas de valeur pathologique. Il est donc Oui Non
important de vérifier les conditions de prélèvement et de trans-
port, puis de renouveler le dosage si nécessaire. Une autre cause Examen clinique (adénopathies,
d’élévation « artificielle » des LDH est représentée par la possibilité Hémolyse
Origine cardiaque testicule)
qu’une immunoglobuline monoclonale interfère avec la méthode Bilan enzymatique spécifique
Origine musculaire
de dosage [2] . En revanche, il ne semble cependant pas exister de (hémolyse, cardiaque, hépatique,
Origine hépatique
faux négatif dans le dosage du taux de LDH. musculaire, etc.)
Origine pulmonaire
Origine rénale
Variations physiologiques Origine digestive
Origine néoplasique Oui
On note plusieurs types de variations du taux de LDH : circa- Orientation
diennes, au cours du cycle menstruel, et selon l’âge ; toutefois, diagnostique ?
ces fluctuations n’ont pas d’incidence dans l’interprétation des
Non
résultats. Confirmation avec
enzymes
spécifiques/bilans Échographie testiculaire
 Orientations diagnostiques étiologiques TDM thoracoabdominopelvien
± TEP-scanner
devant une découverte fortuite
Figure 1. Arbre décisionnel. Démarche diagnostique face à une hausse
de lacticodéshydrogénase élevée du taux de lacticodéshydrogénase (LDH) sur un bilan plasmatique de
(dépistage sanguin) dépistage. TDM : tomodensitométrie ; TEP : tomographie par émission de
positons.
La démarche diagnostique devant une élévation du dosage
plasmatique de LDH (Fig. 1) comprend trois étapes successives : hypertension artérielle [HTA], dyslipidémie, diabète, surpoids,
éliminer une hémolyse artéfactuelle, envisager un processus de tabagisme, hérédité) ainsi que la sémiologie d’une douleur thora-
lyse cellulaire et éliminer une origine néoplasique. cique incite le clinicien à réaliser un électrocardiogramme (ECG),
et un dosage des enzymes myocardiques (troponine IC, créatine
Éliminer une hémolyse artéfactuelle phosphokinase [CPK]). L’élévation du taux de ces enzymes est
plus spécifique et plus précoce que ne l’est celle du taux de LDH.
La LDH étant largement présente dans toutes les cellules cir- En effet, les LDH ne sont retrouvées à taux élevé dans le plasma
culantes sanguines, toute hémolyse (liée au prélèvement) peut que 10 à 12 heures après l’infarctus du myocarde, n’en faisant pas
entraîner une fausse élévation du taux de LDH. Elle doit donc être une enzyme utile au diagnostic précoce nécessaire à un traite-
évoquée et éliminée avant de poursuivre toute démarche diagnos- ment d’urgence. Leur élévation présente un pic à 72 heures et
tique. persiste jusqu’à 14 jours, ne permettant pas non plus de suivre
la résolution de l’épisode. En dehors des syndromes coronariens,
il convient de noter que les traumatismes cardiaques ou les car-
Envisager un processus de lyse cellulaire dioversions électriques peuvent aussi être à l’origine d’une hausse
Dans ces cas, le dosage de LDH seul ne permet pas de des LDH.
faire le diagnostic étiologique. L’orientation diagnostique est
anamnestique et clinique, complétée par des dosages sanguins Origine musculaire
cellulaires spécifiques ou des données d’imagerie. Cette étape per- Différentes situations en rapport avec une lyse des cellules
met d’identifier le(s) organe(s) où se développe le processus de lyse musculaires (rhabdomyolyse) peuvent être responsables d’une élé-
cellulaire. vation du taux de LDH : station prolongée au sol avec chute,
traumatisme, injection intramusculaire, prise d’un médicament
Hémolyse à toxicité musculaire comme les statines, maladie musculaire
Une asthénie avec pâleur, tachycardie, douleur lombaire, et congénitale (dystrophie musculaire de Duchenne) ou inflamma-
hémoglobinurie peut orienter cliniquement vers une hémolyse. toire (comme une polymyosite ou une dermatomyosite). Dans
Les explorations sont complétées par une numération de la for- ces cas, l’élévation du taux de LDH s’accompagne habituellement
mule sanguine, des réticulocytes, le dosage de l’haptoglobine, de d’une élévation conjointe du taux de CPK, de l’aspartate amino-
la bilirubine non conjuguée, ainsi que par un frottis sanguin. transférase (ASAT) et éventuellement de l’aldolase.
Dans le cas d’une hémolyse avérée, le dosage des LDH peut aussi
être utile au suivi (cf. « Au cours des hémolyses chroniques »). Origine hépatique
Un voyage, des signes digestifs ou une prise médicamenteuse
Origine cardiaque accompagnant un taux élevé de LDH peuvent orienter le clini-
Le taux de LDH peut être élevé au cours des souffrances myocar- cien vers une hépatite aiguë. Le bilan comprend alors le dosage
diques causées par les syndromes coronariens et les myocardites. des enzymes hépatobiliaires (ASAT, alanine aminotransférase
Ainsi, la présence de facteurs de risque cardiovasculaire (âge, [ALAT], gamma-glutamyl-transférase [␥GT], phosphatase alcaline,

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Anomalies biologiques courantes : lacticodéshydrogénase élevée  1-1367

bilirubine totale et libre, voire 5 -nucléotidase) ainsi que du temps Dosage de lacticodéshydrogénase
de prothrombine et de l’albumine. Le bilan étiologique est réalisé
en fonction de la situation clinique. dans le liquide pleural
Certaines atteintes hépatiques chroniques (cirrhose, métastases Même si ces données sont discutées dans la littérature, il
hépatiques, etc.) peuvent aussi s’accompagner d’une élévation du convient de rappeler ici qu’une élévation du taux de LDH dans le
taux de LDH. liquide pleural, intégré avec d’autres critères diagnostiques (adé-
nosine désaminase, protéine C réactive [CRP], etc.) serait en faveur
Origine pulmonaire d’une étiologie tuberculeuse [6] .
L’embolie pulmonaire peut s’accompagner d’une élévation du
taux de LDH. Le contexte, les données de l’ECG et des gaz du Dosage de lacticodéshydrogénase
sang doivent orienter le clinicien vers la réalisation d’une imagerie
pulmonaire en cas de suspicion diagnostique. dans le liquide cérébrospinal
Certaines pneumopathies et néoplasies pulmonaires peuvent Même si le taux de LDH est plus élevé dans les méningites
aussi s’accompagner d’une hausse du taux de LDH. Il a été proposé bactériennes par comparaison aux méningites aseptiques, les
qu’un taux sanguin de LDH élevé (et notamment de l’isoenzyme isoenzymes de la LDH, bien que non dosées en routine, permet-
LDH3) puisse être un outil de dépistage simple de la tubercu- traient de faire un diagnostic différentiel plus précis [7] .
lose, dans des populations à risque n’ayant pas accès aux examens
microbiologiques [3] . Enfin, chez des patients atteints du virus de
l’immunodéficience humaine (VIH), un taux plasmatique de LDH  Utilisation du taux sérique
plus élevé pourrait être en faveur d’une infection pulmonaire
d’origine tuberculeuse plutôt qu’une autre mycobactérie [4] . de lacticodéshydrogénase à visée
Origine rénale
pronostique et de suivi
L’infarctus rénal, s’accompagnant d’une douleur lombaire et Au cours des hémolyses chroniques
d’une hématurie, entraîne une hausse des LDH. Chez les patients atteints de drépanocytose, le dosage facile et
rapide du taux de LDH est très utile en pratique clinique pour
Origine digestive diagnostiquer une crise vaso-occlusive, en évaluer son intensité,
L’infarctus mésentérique s’accompagne également d’une hausse mais aussi confirmer sa résolution [8] . Par ailleurs, une réascension
du taux de LDH. La symptomatologie peut être dissociée et varie post-transfusionnelle doit faire craindre un accident hémolytique
selon l’étiologie (cardioemboligène, athéromateuse, veineuse ou lié à la transfusion, accident qui peut être possiblement retardé de
non occlusive). L’angioscanner abdominal peut permettre de plusieurs jours.
poser le diagnostic. On peut aussi observer une élévation des taux
de CPK, d’amylase, des enzymes hépatiques, ou une acidose avec Pathologie d’organe non néoplasique
hyperlactatémie.
Enfin, la pancréatite aiguë s’accompagne aussi d’une élévation Au cours de la pancréatite aiguë, le taux de LDH, en s’intégrant
du taux de LDH, qui est péjorative dans le calcul du score pro- dans le score de Ranson, permet d’évaluer le degré de gravité et
nostique de Ranson, lorsqu’elle est supérieure à 1,5 fois la valeur ainsi d’adapter la prise en charge thérapeutique. Au cours de la
normale. fibrose pulmonaire idiopathique, les facteurs pronostiques péjo-
ratifs d’exacerbation respiratoire aiguë incluent le taux de LDH [9] .

Éliminer une origine néoplasique Sepsis et taux de lacticodéshydrogénase


La multiplication cellulaire néoplasique s’accompagne d’une
Le taux de LDH est souvent augmenté au cours d’un sepsis.
mort cellulaire accrue, entraînant une libération de LDH. Le
Il pourrait être un marqueur de sévérité au cours d’infections
taux de LDH peut ainsi être le reflet de la masse tumorale. Les
aussi banales que les rhinopharyngites ou aussi sévères que la
LDH sont augmentées dans toutes les hémopathies proliférantes,
dengue [10] .
ainsi qu’au cours de nombreux cancers solides. Chez le jeune
adulte, la recherche du cancer testiculaire retient particulièrement
l’attention du clinicien. En cas de doute, une imagerie corporelle Utilisation du taux sanguin
totale, voire une scintigraphie au fluorodésoxyglucose marqué de lacticodéshydrogénase à visée
(tomographie par émission de positons [TEP]-scan) peut être réa-
lisée.
pronostique en cancérologie
En cancérologie, le dosage du taux de LDH pourrait présenter Dans le cancer colorectal
un intérêt pronostique ou être utile dans le suivi de certaines néo-
plasies (cf. « Utilisation du taux sanguin de lacticodéshydrogénase Plusieurs scores pronostiques intègrent le taux de LDH, qui
à visée pronostique en cancérologie »). constitue donc un biomarqueur au même titre que l’antigène
carcinoembryonnaire (ACE), les phosphatases alcalines ou le sta-
tut génétique kirsten rat sarcoma viral oncogene homolog (KRAS) [11] .
 Dosage du taux L’utilité des isoenzymes de la LDH est en cours d’étude [12] . Le taux
de LDH pourrait aussi guider l’utilisation des immunothérapies,
de lacticodéshydrogénase comme le bévacizumab, dans le traitement du cancer colorectal
métastatique, car il ressort d’une étude récente que ce sont les
dans les liquides biologiques patients ayant les taux de LDH les plus élevés qui bénéficient le
à visée diagnostique plus de ce traitement en termes de qualité de vie sans progres-
sion [13] .
Dosage de lacticodéshydrogénase Dans les hémopathies
dans l’ascite Dans la leucémie myéloïde chronique et le myélome multiple,
L’élévation du taux de LDH dans le liquide d’ascite pourrait être le dosage du taux de LDH, reflet de la masse tumorale, fait partie
en faveur d’une ascite néoplasique. Le dosage des isoenzymes de des facteurs pronostiques classiques [14] .
la LDH dans le liquide d’ascite pourrait aussi permettre de dif-
férencier différentes étiologies non néoplasiques, notamment la Dans le mésothéliome pleural
tuberculose [5] . Le taux sanguin de LDH serait corrélé à la survie globale [15] .

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1367  Anomalies biologiques courantes : lacticodéshydrogénase élevée

Dans le mélanome métastatique [4] Dos Santos RP, Scheid KL, Goldani LZ. Laboratory features for
presumptive diagnosis of disseminated tuberculosis in HIV-infected
Le bénéfice au long terme de l’utilisation d’une immunothéra- patients. Int J Tuberc Lung Dis 2008;12:1340–3.
pie serait guidé par le taux sanguin de LDH [16] . [5] Sevinc A, Sari R, Fadillioglu E. The utility of lactate dehydrogenase
Enfin, la LDH est un sujet d’actualité en cancérologie puisque isoenzyme pattern in the diagnostic evaluation of malignant and non-
des thérapeutiques ciblées sont en cours d’élaboration : en inhi- malignant ascites. J Natl Med Assoc 2005;97:79–84.
bant l’activité de la LDH, la croissance tumorale, ainsi dépourvue [6] Valdés L, San-José E, Ferreiro L, Golpe A, González-Barcala FJ,
d’énergie, pourrait être largement ralentie [17–20] . Toubes ME, et al. Predicting malignant and tuberculous pleural effu-
sions through demographics and pleural fluid analysis of patients. Clin
Respir J 2015;9:203–13.
 Conclusion [7] Nussinovitch M, Finkelstein Y, Elishkevitz KP, Volovitz B, Harel D,
Klinger G, et al. Cerebrospinal fluid lactate dehydrogenase isoenzymes
La démarche diagnostique devant une élévation du dosage plas- in children with bacterial and aseptic meningitis. Transl Res J Lab Clin
matique de LDH s’articule en trois étapes : après élimination d’une Med 2009;154:214–8.
hémolyse artéfactuelle, le clinicien envisage un processus de lyse [8] Najim OA, Hassan MK. Lactate dehydrogenase and severity of
cellulaire. En l’absence d’étiologie retrouvée, une origine néo- pain in children with sickle cell disease. Acta Haematol 2011;126:
plasique doit être éliminée. Le dosage du taux de LDH dans les 157–62.
liquides biologiques peut se révéler utile à visée diagnostique, tout [9] Kishaba T, Tamaki H, Shimaoka Y, Fukuyama H, Yamashiro S. Staging
comme son dosage plasmatique qui est un biomarqueur pronos- of acute exacerbation in patients with idiopathic pulmonary fibrosis.
tique en cancérologie. Lung 2014;192:141–9.
[10] Sirikutt P, Kalayanarooj S. Serum lactate and lactate dehydrogenase
as parameters for the prediction of dengue severity. J Med Assoc Thai
2014;97(Suppl. 6):S220–31.
“ Points essentiels [11] Faloppi L, Scartozzi M, Bianconi M, Svegliati Baroni G, Toniutto
P, Giampieri R, et al. The role of LDH serum levels in predicting
global outcome in HCC patients treated with sorafenib: implications
• Dosage sérique du taux de LDH simple et rapide en for clinical management. BMC Cancer 2014;14:110.
routine. [12] Bar J, Spencer S, Morgan S, Brooks L, Cunningham D, Robert-
• Éliminer une augmentation artéfactuelle liée au prélève- son J, et al. Correlation of lactate dehydrogenase isoenzyme profile
with outcome in patients with advanced colorectal cancer treated
ment (hémolyse). with chemotherapy and bevacizumab or cediranib: retrospective ana-
• Faible spécificité : examen clinique complet et bilan lysis of the HORIZON I study. Clin Colorectal Cancer 2014;13:
biologique complémentaire nécessaires pour préciser 46–53.
l’origine tissulaire. [13] Passardi A, Scarpi E, Tamberi S, Cavanna L, Tassinari D, Fontana A,
• Recherche d’un cancer sous-jacent indispensable et al. Impact of pre-treatment lactate dehydrogenase levels on prognosis
(hémopathies, cancer du testicule). Imagerie à discuter. and bevacizumab efficacy in patients with metastatic colorectal cancer.
• Utilisation dans le pronostic et le suivi des cancers (can- PLoS One 2015;10:e0134732.
[14] Palumbo A, Avet-Loiseau H, Oliva S, Lokhorst HM, Goldschmidt H,
cer colorectal, hémopathies). Rosinol L, et al. Revised international staging system for multiple mye-
• Nouvelle cible thérapeutique potentielle en cancérolo- loma: a report from international myeloma working group. J Clin Oncol
gie. 2015;33:2863–9.
[15] Najmi K, Khosravi A, Seifi S, Emami H, Chaibakhsh S, Radmand
G, et al. Clinicopathologic and survival characteristics of malignant
pleural mesothelioma registered in hospital cancer registry. Tanaffos
Déclaration d’intérêts : les auteurs n’ont pas transmis de liens d’intérêts en 2014;13:6–12.
relation avec cet article. [16] Kelderman S, Heemskerk B, Van Tinteren H, Van den Brom RR, Hos-
pers GA, Van den Eertwegh AJ, et al. Lactate dehydrogenase as a
selection criterion for ipilimumab treatment in metastatic melanoma.
 Références Cancer Immunol Immunother 2014;63:449–58.
[17] Granchi C, Paterni I, Rani R, Minutolo F. Small-molecule inhibitors
[1] Goulabchand S. Isoenzymes de la lactico-deshydrogénase : aspects of human LDH5. Future Med Chem 2013;5:1967–91.
analytiques et intérêt de leur détermination en biologie clinique. [thèse [18] Fiume L, Manerba M, Vettraino M, Di Stefano G. Inhibition of lactate
d’exercice], Faculté de Pharmacie de Nantes, 1984. dehydrogenase activity as an approach to cancer therapy. Future Med
[2] Barbier A, Vuillaume I, Baras A, Coiteux V, Maboudou P, Rousseaux Chem 2014;6:429–45.
J. Interférences par une IgM monoclonale dans un bilan biochimique : [19] Augoff K, Hryniewicz-Jankowska A, Tabola R. Lactate dehydrogenase
détection et recommandations. Ann Biol Clin 2007;65:411–5. 5: an old friend and a new hope in the war on cancer. Cancer Lett
[3] Sharma PR, Jain S, Bamezai RN, Tiwari PK. Utility of serum LDH 2015;358:1–7.
isoforms in the assessment of Mycobacterium tuberculosis induced [20] Liu X, Yang Z, Chen Z, Chen R, Zhao D, Zhou Y, et al. Effects of the
pathology in TB patients of Sahariya tribe. Indian J Clin Biochem suppression of lactate dehydrogenase A on the growth and invasion of
2010;25:57–63. human gastric cancer cells. Oncol Rep 2015;33:157–62.

R. Goulabchand.
P. Guilpain (p-guilpain@chu-montpellier.fr).
Département de médecine interne, maladies multi-organiques de l’adulte (MIMMOA), Centre de compétence des maladies auto-immunes rares de l’adulte,
Hôpital Saint-Eloi, CHRU de Montpellier, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier, France.
Faculté de médecine, Université de Montpellier, 2, rue de l’École-de-Médecine, 34060 Montpellier cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Goulabchand R, Guilpain P. Anomalies biologiques courantes : lacticodéshydrogénase élevée. EMC - Traité
de Médecine Akos 2016;11(3):1-4 [Article 1-1367].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

4 EMC - Traité de Médecine Akos


 1-1382

Désordres de la magnésémie
A. Blanchard, R. Vargas-Poussou

Le contenu extracellulaire en magnésium représente environ 1 % du contenu total de l’organisme en


magnésium dont la magnésémie n’est donc qu’un reflet approximatif. L’hypomagnésémie, définie par
une valeur inférieure à 0,65 mmol/l, a une incidence de 10 à 15 % en secteur hospitalier classique. La
détermination du mécanisme physiopathologique repose sur le dosage contemporain de la magnésurie
qui est inférieure à 1 mmol/24 h (excrétion fractionnelle inférieure à 1 %) et définit une cause extraré-
nale, par carence très sévère d’apport alimentaire de magnésium, par malabsorption intestinale ou par
détournement osseux du magnésium. Une magnésurie supérieure à 2 mmol/24 h démontre une perte
rénale de magnésium, innée ou acquise. Les pertes rénales congénitales de magnésium sont essentiel-
lement représentées par des tubulopathies héréditaires, classées en fonction de la présence associée ou
non d’une perte rénale de calcium et/ou de sodium. Leur décryptage a permis une avancée majeure
sur la connaissance de la régulation rénale de la magnésémie, ainsi que dans la physiopathologie des
hypomagnésémies toxiques. L’hypermagnésémie est un désordre métabolique plus rare, dont l’incidence
en secteur hospitalier classique est inférieure à 5 %. Asymptomatique au-dessous de 2 mmol/l, elle altère
progressivement la transmission neuromusculaire, le système sympathique et la conduction cardiaque,
et met en jeu le pronostic vital lorsqu’elle atteint des valeurs supérieures à 7 mmol/l. L’hypermagnésémie
résulte soit d’apports de magnésium massifs au volume extracellulaire, dépassant la très bonne capacité
physiologique à excréter ce cation, soit d’une altération marquée de la filtration glomérulaire rénale.
© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Magnésium ; Hypomagnésémie ; Hypermagnésémie ; Pseudo-hypo-parathyroïdie ; Tubulopathies

Plan  Métabolisme normal


■ Métabolisme normal du magnésium 1 du magnésium
Répartition du magnésium dans l’organisme 1
Apports alimentaires et absorption intestinale du magnésium 2 Répartition du magnésium dans l’organisme
Réabsorption rénale du magnésium 2 Le magnésium est, par son abondance, le second cation intra-
Régulation de la balance du magnésium et homéostasie cellulaire après le potassium. Il joue un rôle central dans un grand
de la magnésémie 2 nombre de réactions du métabolisme cellulaire incluant la syn-
■ Hypomagnésémies 3 thèse de l’acide désoxyribonucléique et de l’acide ribonucléique,
Définition et incidence 3 la neurotransmission et les interactions hormone/récepteur. C’est
Signes et symptômes de la déplétion en magnésium 4 un composant de la guanosine triphosphatase (GTPase), et un
Hypomagnésémies extrarénales 4 cofacteur de la sodium–potassium–adénosine triphosphatase (Na-
Pertes rénales héréditaires de magnésium 4 K-ATPase), de l’adénylate cyclase, des phospho-inositides kinases
Hypomagnésémies acquises 5 et de la phosphofructokinase [1] .
■ Hypermagnésémies 5 La magnésémie est physiologiquement régulée et maintenue
Définition et incidence 5 dans des limites étroites, entre 0,75 et 1,4 mmol/l, grâce à une
Signes et symptômes de l’hypermagnésémie 5 régulation couplée de son absorption nette intestinale et de son
Diagnostic étiologique des hypermagnésémies 5 excrétion rénale.
Traitement des hypermagnésémies 6 Le contenu de l’organisme en magnésium est d’environ
1000 mmol (25 g) dont plus de 60 % sont stockés dans l’os, 30 à

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 10 > n◦ 3 > juillet 2015
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(15)63005-8
1-1382  Désordres de la magnésémie

40 % dans les muscles, érythrocytes et autres cellules, et seulement Le flux de sécrétion intestinal passif de magnésium paracel-
environ 1 % (10 mmol) dans le volume extracellulaire. Moins d’un lulaire dans l’intestin grêle est fortement dépendant des flux
tiers du magnésium osseux et intramusculaire est sous forme libre, hydriques transépithéliaux et du gradient de concentration
échangeable. En effet, le magnésium osseux est intimement asso- du magnésium libre entre le liquide interstitiel et le liquide
cié aux cristaux de carboxyapatite, tandis que le pool intracellulaire luminal intestinal. Ainsi, ce flux de sécrétion, estimé à 0,5 à
de magnésium est lié aux lipoprotéines, aux nucléoprotéines, aux 1 mmol/j (12–24 mg) physiologiquement, peut considérablement
acides ribonucléiques et à l’adénosine diphosphate (ADP). Dans le s’accroître lorsque la concentration luminale de magnésium libre
plasma, seulement 20 % du magnésium est lié aux protéines plas- est très faible, comme au cours des malabsorptions lipidiques où
matiques. La magnésémie est donc beaucoup moins affectée par les cations divalents, calcium et magnésium, sont chélatés par les
les variations de protidémie que la calcémie. Elle peut être utili- graisses non absorbées. Au contraire, ce flux paracellulaire passif
sée comme un bon reflet des concentrations en magnésium libre peut s’inverser et augmenter l’absorption nette intestinale lorsque
et ultrafiltrable, en dehors des situations de variations aiguës de la concentration intestinale de magnésium libre est élevée comme
l’état acide-base. au cours de l’administration de sulfate de magnésium per os à visée
La faible quantité de magnésium dans le volume extracellulaire laxative, ou intrarectale à visée tocolytique.
relativement aux stocks intracellulaires et osseux explique que
la magnésémie ne soit pas un paramètre d’une fiabilité absolue
pour juger de l’état de déplétion ou de réplétion en magnésium.
Pour mieux estimer le risque cardiologique potentiel induit par
les variations intracellulaires en magnésium, il a été proposé de
mesurer la concentration intraérytrocytaire de magnésium, qui
“ Point fort
serait mieux corrélée au contenu intracellulaire cardiaque que la
magnésémie, mais cette notion est controversée [1] . L’absorption intestinale nette, physiologiquement
Le stock de magnésium intracellulaire est corrélé au stock intra- d’environ un tiers des apports alimentaires en magnésium
cellulaire de potassium. Au cours d’une déplétion en potassium (4 mmol ou 100 mg par 24 heures), peut être affectée en
chronique, le contenu musculaire intracellulaire en magnésium pathologie dans le sens de la hausse ou de la baisse par une
diminue de 0,5 mmol pour chaque diminution de 10 mmol de modification du flux d’absorption active transcellulaire
potassium par kilogramme de masse maigre [2] . Inversement, la et/ou de sécrétion passive paracellulaire.
déplétion en magnésium induit une déplétion potassique précoce
par perte rénale de potassium [3] .

Réabsorption rénale du magnésium

“ Point fort Le comportement rénal du magnésium a fait l’objet de revues


récentes [6, 7] . Environ 100 mmol de magnésium (soit 2500 mg)
sont filtrés quotidiennement. Alors que 70 % du sodium et du
Le magnésium bénéficie d’une croyance populaire attri- calcium est réabsorbé dans le tubule proximal, seulement 5 à
15 % du magnésium est réabsorbé à ce site à la faveur de la
buant de nombreux signes fonctionnels à une carence
réabsorption d’eau et de solutés, par des voies non définies à
en magnésium supposée. Les cures de magnésium auto- ce jour. La branche large de Henle joue un rôle quantitatif et
prescrites ou prescrites sous la pression des patients qualitatif majeur dans la réabsorption rénale de magnésium. Elle
ont amené au déremboursement des supplémentations réabsorbe, par voie paracellulaire, 50 à 60 % du magnésium fil-
en magnésium avec initialement une exception au tré, ce qui permet de délivrer environ 10 % de la charge filtrée au
déremboursement pour les carences documentées, non tube contourné distal. Ce segment est également un site majeur
renouvelées depuis août 2015, aux dépens de patients de régulation de la réabsorption rénale de magnésium. Les pertes
ayant une réelle carence nécessitant une supplémentation rénales de magnésium héréditaires ou acquises sont liées à des
prolongée, parfois à vie. anomalies de transport dans la branche large de Henle ou le tubule
distal.
Parmi les déterminants majeurs de la réabsorption rénale de
magnésium, on retient :
• les variations de volémies ; l’hypervolémie inhibe la réabsorp-
Apports alimentaires et absorption tion de magnésium, l’hypovolémie la stimule ;
intestinale du magnésium • l’hypermagnésémie et l’hypercalcémie qui inhibent la réabsorp-
tion de magnésium ;
L’apport moyen de magnésium par l’alimentation de type occi- • la parathormone qui stimule la réabsorption rénale de magné-
dental est de 12 à 15 mmol (300 à 350 mg) par jour, dont 24 à 75 % sium. Cet effet explique la tendance hypermagnésémique des
sont absorbés en fonction du contenu en magnésium de la diète et sujets présentant une hyperparathyroïdie.
des besoins de l’organisme. Présent dans approximativement tous
les types d’aliments, le magnésium est particulièrement abondant
dans les oléagineux, les fruits secs et les légumes verts, puisqu’il Régulation de la balance du magnésium
entre dans la composition de la chlorophylle. et homéostasie de la magnésémie
L’absorption intestinale du magnésium est majoritairement
localisée dans l’intestin grêle distal, dans la partie allant du duo- L’étude de l’homéostasie du magnésium comporte deux aspects
dénum distal (D3) à l’iléon, avec une faible absorption colique. distincts bien que complémentaires. D’une part, la balance du
Elle résulte de deux flux inverses : un flux de facilité d’absorption magnésium doit être ajustée aux besoins pour maintenir ou
transcellulaire (40 % des apports) et un flux de sécrétion passif restaurer le contenu en magnésium de l’organisme à sa valeur
paracellulaire (8 % des apports). Au cours des déplétions extra- physiologique, d’autre part, la magnésémie doit être maintenue à
rénales sévères comme au cours de la croissance, l’absorption une valeur suffisamment élevée pour obtenir une concentration
intestinale est stimulée et peut atteindre 70 % des apports [4] . en magnésium libre extra- et intracellulaire adaptée.
Le transport facilité transcellulaire, distinct de celui du calcium, L’acquisition et le maintien d’un contenu en magnésium suffi-
est peu ou pas sensible à la vitamine D. Il implique un canal sant tout au long de la vie requièrent une balance en magnésium
exprimé à la membrane luminale des intestins grêle et large ; positive chez l’enfant et le sujet déplété en magnésium, une
sa perte de fonction conduit à une hypomagnésémie profonde balance équilibrée chez l’adulte sain, ou négative chez le sujet
par malabsorption sélective (hypomagnésémie avec hypocalcé- hypermagnésémique. Au cours de la croissance, le magnésium
mie secondaire) (Tableau 1) [5] . est détourné du volume extracellulaire vers l’os. La magnésurie

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Désordres de la magnésémie  1-1382

Tableau 1.
Principales pertes rénales de magnésium héréditaires.
Pathologie Hérédité Locus Gène Protéine Calciurie Perte de Signes OMIM (réf)
autosomique Na et K extrarénaux
Syndrome de Bartter, type 1 Récessive 5q21.1 SLC12A1 NKCC2 Augmentée Oui Hydramnios, 601678
retard de
croissance
Syndrome de Bartter, type 2 Récessive 11q24.3 KCNJ1 ROMK Augmentée Oui Hydramnios, 241200
retard de
croissance
Syndrome de Bartter, type 3 Récessive 1p36 CLCNKB ClC-Kb Variable Oui 607364
Syndrome de Bartter, type 4 Dominante 1p32.3 BSND Barttin Augmentée Oui Surdité 602522
Syndrome de Bartter, type 5 Dominante 3q13 CASR CaSR Augmentée Oui Hypoparathyroïdie 146200/
ou hypocalcémie 601198
autosomique dominante
Hypomagnésémie Récessive 3q27 CLDN16 Claudine 16 Augmentée – – 248250/
hypercalciurie 1p34.2 CLDN19 Claudine 19 Augmentée – Anomalies 148190
néphrocalcinose oculaires
Syndrome de Gitelman Récessive 16q13 SLC12A3 NCC Basse Oui Chondrocalcinose 263800
Hypomagnésémie avec Récessive 9q22 TRPM6 TRPM6 Basse – Tétanie 602014
hypocalcémie secondaire (hypocalcémie)
MODY5 Dominante 17q12 TCF2 HNF1␤ Basse – MODY5, kystes 137920
rénaux,
hyperuricémie
Hypomagnésémie Dominante 11q23 FXYD2 FXYD2 Basse – – 154020
dominante isolée
Syndrome EAST (connu Récessive 1q23 KCNJ10 Kir 4.1 Basse Oui Épilepsie, ataxie, 612780
également comme SeSAME) surdité de
perception
Hypomagnésémie rénale Dominante 12p13 KCNA1 Kv1.1 Conservée – Ataxie, épilepsie, 160120
dominante myokymie
Hypomagnésémie rénale Récessive 4q25 EGF EGF Conservée – Retard mental, 611718
isolée récessive épilepsie
Hypomagnésémie Dominante CNNM2 Cycline M2 Basse Oui Chondrocalcinose 613882
autosomique dominante

NKCC2 : Na-K-Cl cotransporter 2 ; ROMK : renal outer medullary potassium channel ; CaSR : calcium-sensing receptor ; NCC : Na-Cl cotransporter ; TRPM6 : transient receptor poten-
tial M6 ; HNF1␤ : hepatocyte nuclear factor 1 beta ; EGF : endothelial growth factor ; MODY5 : maturity-onset diabetes of the young 5 ; Na-K-ATPase : sodium–potassium–adénosine
triphosphatase ; syndrome EAST : epilepsy, ataxia, sensorineural deafness, tubulopathy ; syndrome SeSAME : seizure, sensorinal deafness, ataxia, mental retardation, and electrolyte
imbalance.

ne reflète alors plus l’absorption nette intestinale de magné- des pertes rénales de magnésium (diurétiques, inhibiteurs de la
sium, mais l’absorption nette intestinale soustraite du flux net pompe à proton, anti-VEGF [vascular endothelial growth factor],
d’accrétion osseuse. En l’absence d’apport net intestinal de antityrosine kinase, cysplatine).
magnésium, la baisse de la magnésurie précède la baisse de la Le diagnostic d’une hypomagnésémie débute par le dosage de
magnésémie [3] . Cependant, si l’apport net intestinal est négatif, magnésium sérique et/ou globulaire qui, selon les recommanda-
la magnésurie n’est pas nulle, ce qui entraîne une baisse de la tions médicales opposables en vigueur, ne sont licites que dans
magnésémie et donc de la charge filtrée de magnésium. Un nou- les cas de nettes perturbations cliniques ou biologiques, en parti-
vel équilibre est alors obtenu au prix d’une hypomagnésémie. La culier au cours des états de cirrhose décompensée, d’insuffisance
sévérité de cette hypomagnésémie est d’autant plus importante rénale, de syndrome de malabsorption intestinale, de traitement
que la carence d’apport en magnésium est prolongée et qu’il existe diurétique prolongé à fortes doses, de pancréatite aiguë et de
un défaut de réabsorption rénal de magnésium associé. brûlures étendues. Cette recommandation fait que les déplétions
Les déterminants de la magnésémie restent encore largement en magnésium paucisymptomatiques risquent d’être méconnues,
indéterminés. On ne connaît pas, à ce jour, d’hormone ou de par manque de dépistage. La mesure de la magnésémie est indis-
récepteur spécifique au magnésium qui pourrait orchestrer, à pensable dans le bilan d’une hypocalcémie. Une magnésémie
l’instar de ce qui est décrit pour le calcium, l’absorption intestinale normale n’exclut pas l’existence d’une déplétion en magnésium
de magnésium, sa réabsorption rénale ou son flux net osseux. responsable d’une hypocalcémie ou d’une hypokaliémie, en parti-
culier chez le sujet dénutri (éthylique chronique). Il peut être utile
d’avoir recours à un test diagnostique en perfusant du magné-
 Hypomagnésémies sium et en étudiant la quantité relative de magnésium retenue
par l’organisme qui augmente en cas de déplétion [9] .
Définition et incidence La mesure de la magnésurie permet de déterminer si
l’origine de l’hypomagnésémie est rénale (magnésurie supé-
Une magnésémie entre 0,50 et 0,65 mmol/l définit une rieure à 2 mmol/24 h) ou extrarénale (magnésurie inférieure ou
hypomagnésémie modérée. Une hypomagnésémie inférieure à égale à 1 mmol/24 h). Si la magnésurie est comprise entre 1 et
0,50 mmol/l est considérée comme sévère, généralement symp- 2 mmol/24 h, il faut supplémenter le patient et répéter les mesures
tomatique. Lorsqu’elle est systématiquement recherchée, une sanguines et urinaires. On peut également calculer, sur un échan-
hypomagnésémie est présente chez 7 à 20 % des patients hospi- tillon d’urine et un prélèvement plasmatique contemporain,
talisés, cette incidence pouvant atteindre 60 % dans des secteurs l’excrétion fractionnelle du magnésium, une valeur supérieure
de soins intensifs [8] . Cette très forte incidence est alors liée à la à 1 % associée à une hypomagnésémie témoignant d’une perte
combinaison de facteurs nutritionnels et de substances induisant rénale de ce cation.

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1382  Désordres de la magnésémie

fréquemment à la déplétion présente dans de nombreux états

“ Point fort pathologiques, en association avec d’autres facteurs tels qu’une


perte rénale de magnésium. Les déplétions en magnésium par
carence d’apports pure ont essentiellement été décrites chez des
patients hospitalisés sous nutrition par voie parentérale prolongée
Selon les recommandations médicales opposables en
n’intégrant pas un apport suffisant en magnésium. La diminution
vigueur, le dosage de magnésium sérique n’est licite des apports en magnésium joue également un rôle important dans
que dans les cas de nettes perturbations cliniques ou la déplétion en magnésium sévère des alcooliques.
biologiques, en particulier au cours des états de cir-
rhose décompensée, d’insuffisance rénale, de syndrome Stéatorrhées et diarrhées sévères
de malabsorption intestinale, de traitement diurétique
Les stéatorrhées peuvent entraîner une déplétion en magné-
prolongé à fortes doses, de pancréatite aiguë et de brûlures sium sévère par chélation des cations divalents (mécanisme
étendues. de saponification des lipides intestinaux). L’excrétion fécale de
magnésium dépasse alors l’apport alimentaire de magnésium, ce
qui démontre l’inversion du flux passif paracellulaire en faveur
d’un flux de sécrétion net. La déplétion en magnésium peut en
Signes et symptômes de la déplétion réalité apparaître dans tout état diarrhéique sévère secondaire à
en magnésium une colique ulcérative ou amibienne, à une résection intestinale
étendue ou à une fistule biliaire. Dans ces conditions, l’excrétion
Hypokaliémie fécale de magnésium (et également de potassium) devient directe-
Une hypokaliémie est présente chez environ la moitié des ment proportionnelle au contenu total en eau des selles, sachant
patients présentant une hypomagnésémie [7] . Cette forte asso- que la concentration de magnésium fécale est approximativement
ciation est en grande partie liée au fait que hypomagnésémie de 3 mmol/l.
et hypokaliémie possèdent des causes communes telles que la
prise de diurétiques et les diarrhées. Cependant, la déplétion en Malabsorption sélective
magnésium exerce un effet propre sur la kaliémie en inhibant la en magnésium congénitale : hypomagnésémie
réabsorption rénale de potassium. Cet effet rend l’hypokaliémie avec hypocalcémie secondaire (HOMG,
réfractaire à la supplémentation potassique tant que la déplétion OMIM [Online Mendelian Inheritance
en magnésium persiste.
in Man] 602014)
Effets sur le métabolisme calcique et osseux Cette pathologie décrite en 1968 se transmet sur un mode
autonomique récessif. Elle se révèle généralement dans l’enfance
L’effet le plus classique de la déplétion en magnésium est
et occasionnellement chez l’adulte par une hypocalcémie sévère
l’apparition d’une hypocalcémie, qui est particulièrement fré-
symptomatique qui fait rechercher et découvrir une hypomagné-
quente dans les hypomagnésémies sévères. La physiopathologie
sémie sévère (< 0,5 mmol/l). L’excrétion urinaire de magnésium
implique un effet inhibiteur sur la sécrétion de parathormone,
inférieure à 1 mmol/24 h avant traitement témoigne de l’origine
associée à une résistance périphérique aux effets rénaux et osseux
extrarénale de l’hypomagnésémie. Dans la forme la plus sévère
de la parathormone et du calcitriol [10] . La résistance aux effets
de la pathologie, les enfants présentent dans les trois premiers
osseux explique également la diminution du remodelage osseux
mois de la vie des signes neuromusculaires à type de malaise, de
qui a été décrite.
crampes musculaires de tétanie ou de convulsions. En l’absence de
traitement, ces anomalies peuvent être fatales ou peuvent aboutir
Chondrocalcinose à un déficit neurologique définitif.
La chondrocalcinose est une des complications les plus L’hypocalcémie est résistante à l’administration de calcium et
symptomatiques de l’hypomagnésémie chronique, en parti- de vitamine D. L’apport intraveineux de magnésium permet de
culier au cours du syndrome de Gitelman. Elle est due à normaliser rapidement la magnésémie ainsi que l’hypocalcémie,
l’accumulation extracellulaire de pyrophosphate inorganique d’où le nom attribué à cette pathologie.
résultant de la baisse d’activité de la phosphatase alcaline induite
par l’hypomagnésémie [11] . Autres causes extrarénales acquises
d’hypomagnésémie
Effets sur le système cardiovasculaire
Une hypomagnésémie associée à une excrétion urinaire de
Modifications de l’électrocardiogramme (ECG) magnésium inférieure à 1 mmol/24 h, en l’absence de contexte
La déplétion en magnésium potentialise les signes ECG évoquant une origine intestinale, doit faire évoquer un détour-
d’hypokaliémie et expose au risque de torsades de pointe. nement osseux du magnésium. Une telle situation est observée
au cours de la phase réparatrice postchirurgicale d’une hyperpa-
Troubles du rythme
rathyroïdie alors que la baisse brutale de taux de parathormone
L’effet de la déplétion en magnésium sur un cœur sain reste entraîne une diminution de l’ostéolyse et du remodelage osseux
sujet à débat. En revanche, il est clairement établi que la fré- responsables d’un flux net d’accrétion osseux [13] . Ce phénomène
quence des troubles du rythme ventriculaire est augmentée entre est classiquement décrit sous le nom de hungry bone syndrome (syn-
deux ou trois fois par la présence d’une hypomagnésémie dans drome de l’os affamé). L’hypomagnésémie est alors associée à une
les 24 premières heures d’une ischémie aiguë. La conférence de hyperparathyroïdie secondaire. Une supplémentation en calcium,
consensus de l’Association américaine de cardiologie de 1992 vitamine D et magnésium est généralement nécessaire pendant
propose d’inclure l’administration systématique de sulfate de plusieurs mois avant d’obtenir une normalisation de la sécrétion
magnésium dans la prise en charge des torsades de pointes et des de parathormone et du stock de magnésium.
fibrillations ventriculaires réfractaires [12] .

Hypomagnésémies extrarénales Pertes rénales héréditaires de magnésium


Les pertes rénales de magnésium sont le plus souvent acquises.
Carence d’apports en magnésium Cependant, c’est l’analyse systématique des rares patients atteints
Parce que le magnésium est un constituant ubiquitaire des ali- de tubulopathies avec pertes rénales de magnésium qui a permis,
ments, il est difficile de développer un déficit en magnésium au cours de la dernière décennie, de progresser de manière spec-
par une carence d’apport isolée sauf si celle-ci est extrême [2] . taculaire dans la compréhension des mécanismes moléculaires
Cependant, des apports en magnésium insuffisants contribuent des transports transépithéliaux de magnésium chez l’homme [5] .

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Désordres de la magnésémie  1-1382

Leur diagnostic relève d’explorations spécialisées rénales et méta- Tableau 2.


boliques. Il est cependant important de savoir dépister ces Manifestations de l’hypermagnésémie en fonction de la concentration
pathologies pour orienter les patients et leurs familles vers les plasmatique de magnésium.
structures adaptées pour y effectuer les tests diagnostiques et défi- mg/dl mEq/l mmol/l Manifestations cliniques
nir une prise une charge thérapeutique appropriée.
Schématiquement, les pertes rénales de magnésium se subdi- 1,7–2,4 1,4–2,1 0,7–1,2 Asymptomatique
visent en trois catégories : les pertes sélectives de magnésium, 5–8 4–7 2–3,5 Nausées, vomissements, rash
les pertes de magnésium avec hypercalciurie sans perte rénale 9–12 8–10 4–5 cutanés, bradycardie, hypotension
de sodium associée, les pertes de magnésium associées à une > 15 > 12 >6 Abolition des réflexes tendineux,
> 20 > 16 >8 somnolence
perte rénale de sodium avec ou sans hypercalciurie. Les causes
Dépression respiratoire, paralysie,
d’hypomagmésémies héréditaires sont résumées dans le Tableau 1.
bloc complet
Le mode de transmission de la pathologie est un élément capital
Arrêt cardiaque avec asystolie
du diagnostic.

Hypomagnésémies acquises Son incidence est environ deux fois moindre que celle de
l’hypomagnésémie [8] . Tant que la magnésémie reste inférieure
Hypomagnésémies d’origine toxique à 2 mmol/l, elle reste asymptomatique. Comme le rein possède
Une hypomagnésémie par malabsortion (magnésu- physiologiquement une très grande capacité d’excrétion du
rie < 1 mmol/24 h) peut compliquer de manière non rare la magnésium, une hypermagnésémie résulte nécessairement d’un
prise d’inhibiteurs de la pompe à proton. Bien que la physio- apport majeur de magnésium au volume extracellulaire, dépas-
pathologie en reste obscure, cette étiologie doit être connue. sant les capacités rénales d’élimination, ou une altération de la
Cette carence en magnésium peut se cacher derrière un tableau clairance rénale du magnésium, ou d’une combinaison des deux.
d’hypocalcémie avec hyperparathyroïdie secondaire ou parfois
hypoparathyroïdie. Ce tableau se renverse rapidement à l’arrêt
du traitement [14] .
Signes et symptômes de l’hypermagnésémie
De nombreux traitements ont été décrits comme pouvant Lorsqu’elle est très sévère, elle peut entraîner une inhibition de
induire une perte rénale de magnésium. Les premiers cas ont été la transmission neuromusculaire, de la conduction cardiaque et
décrits chez les patients recevant des aminosides. Une hypoma- une inhibition du système sympathique. Cliniquement, ces effets
gnésémie apparaît chez 50 à 75 % des patients selon les séries se traduisent par une vasodilatation avec sensation de chaleur,
de patients traités par cisplatine et peut persister plusieurs mois des nausées et vomissements et, lorsque la magnésémie est très
après l’arrêt du traitement [15] . Le foscarnet induit également des élevée (> 6 mmol/l), une paralysie neuromusculaire, exceptionnel-
hypomagnésémies qui peuvent être sévères [16] . lement un arrêt cardiaque. Ces effets sont aggravés par la présence
Les diurétiques de l’anse entraînent des hypomagnésémies d’une hypocalcémie, améliorés par la présence d’une hypercalcé-
généralement modérées et bien tolérées. Les diurétiques thiazi- mie (Tableau 2) [8] .
diques induisent une hypomagnésémie plus sévère de même que
la prise chronique de ciclosporine et de FK506, deux immunosup-
presseurs capables d’induire des hypomagnésémies chroniques, Diagnostic étiologique
les inhibiteurs de la voie de l’EGF (anticorps anti-EGFR [endo- des hypermagnésémies
thelial growth factor receptor] et inhibiteurs des tyrosines kinases)
dont l’utilisation récente s’est associée à une forte incidence Augmentation des entrées de magnésium
d’hypomagnésémie modérée à sévère. Une hypomagnésémie avec dans le volume extracellulaire
hypocalcémie secondaire apparaît, selon les séries, chez 15 à 45 %
L’administration de sulfate de magnésium per os à visée laxative
des patients et régresse à l’arrêt du traitement, contrairement aux
ou intrarectale à visée tocolytique inverse le flux paracellu-
hypomagnésémies induites par le cisplatine. Il peut s’y associer
laire passif de sécrétion intestinale de magnésium et augmente
d’autres troubles hydroélectrolytiques dont une hypophosphaté-
l’absorption nette intestinale lorsque la concentration intestinale
mie de mécanisme mal élucidé [17] .
de magnésium libre est élevée [18] . Dans cette situation, des hyper-
magnésémies à 9 mmol/l ont été observées, chez des sujets à
Pertes rénales acquises non toxiques
fonction rénale conservée.
Différents états pathologiques peuvent s’associer à une hypo-
magnésémie. Dans l’hyperaldostéronisme primaire comme dans Redistribution du magnésium de l’organisme
le syndrome of inappropriate antidiuretic hormone hypersecretion
(SIADH), l’hypomagnésémie modérée observée a été rapportée à la Ce mécanisme a été en particulier impliqué dans les hyperma-
tendance hypervolémique caractéristique de ces états, qui exerce gnésémies observées au cours de certaines acidoses métaboliques
un effet inhibiteur sur la réabsorption proximale de magnésium. aiguës.
L’éthylisme chronique s’associe à une tubulopathie avec perte
rénale de magnésium, qui disparaît généralement en un mois Diminution de la capacité rénale d’excrétion
après le sevrage. Cette tubulopathie alcoolique n’est pas la seule du magnésium
cause d’hypomagnésémie chez ces patients généralement dénu- Diminution du débit de filtration glomérulaire
tris, qui peuvent également présenter une pancréatite ou des Une hypermagnésémie modérée est banale chez les patients en
diarrhées chroniques. insuffisance rénale préterminale ou en hémodialyse, et fonction
L’insuline stimule la réabsorption de magnésium, ce qui peut de l’état acide-base. La présence en excès accidentelle de magné-
expliquer que le diabète est associé à une incidence accrue de sium dans le dialysat peut être la cause d’hypermagnésémie sévère.
déplétion en magnésium.
L’acidose métabolique est également une cause classique Hypermagnésémie avec hypomagnésurie et alcalose
d’hypomagnésémie rénale. hypokaliémique
Ce tableau a été écrit en 1997 chez un patient présentant une
insuffisance rénale modérée et semble être secondaire à une aug-
 Hypermagnésémies mentation du transport de calcium et de magnésium dans l’anse
de Henle, jugé sur la réponse calciurique et magnésurique exacer-
Définition et incidence bée à l’administration de furosémide. La physiopathologie de cette
pathologie reste à établir, mais un modèle murin d’inactivation
L’hypermagnésémie est un désordre hydroélectrolytique d’une claudine (claudine 14) induit une hypermagnésémie rénale
rare, défini par une magnésémie supérieure à 0,95 mmol/l. avec néphrocalcinose [19] .

EMC - Traité de Médecine Akos 5


1-1382  Désordres de la magnésémie

Traitement des hypermagnésémies [20] Fassler CA, Rodriguez RM, Badesch DB, Stone WJ, Marini JJ.
Magnesium toxicity as a cause of hypotension and hypoventilation.
La survenue d’une hypermagnésémie chez un patient à fonc- Occurrence in patients with normal renal function. Arch Intern Med
tion rénale normale ne nécessite pas de traitement particulier en 1985;145(9):1604–6.
dehors de l’arrêt de toute administration de magnésium. En pré-
sence de signes de dépression clinique ou respiratoire, on peut
adjoindre l’administration intraveineuse de calcium (2 à 5 mmol). Pour en savoir plus
La combinaison insuline–glucose peut également être utilisée Adalat S, Woolf AS, Johnstone KA, Wirsing A, Harries LW, Long DA,
pour promouvoir l’entrée du magnésium dans les cellules. et al. HNF1B mutations associate with hypomagnesemia and renal
Une hypermagnésémie sévère symptomatique chez un insuf- magnesium wasting. J Am Soc Nephrol 2009;20:1123–31.
fisant rénal justifie le transfert en réanimation pour ventilation Alexander RT, Hoenderop JG, Bindels RJ. Molecular determinants of magne-
artificielle, administration de calcium et réhydratation [20] , ou réa- sium homeostasis: insights from human disease. J Am Soc Nephrol
lisation d’une hémodialyse en urgence. 2008;19:1451–8.
Birkenhager R, Otto E, Schurmann MJ, Vollmer M, Ruf EM, Maier-Lutz I,
et al. Mutation of BSND causes Bartter syndrome with sensorineural
Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en deafness and kidney failure. Nat Genet 2001;29:310–4.
relation avec cet article. Blanchard A, Jeunemaitre X, Coudol P, Dechaux M, Froissart M, May A,
et al. Paracellin-1 is critical for magnesium and calcium reabsorp-
tion in the human thick ascending limb of Henle. Kidney Int 2001;59:
 Références 2206–15.
Bockenhauer D, Feather S, Stanescu HC, Bandulik S, Zdebik AA, Reichold
[1] Alfrey AC, Miller NL, Butkus D. Evaluation of body magnesium M, et al. Epilepsy, ataxia, sensorineural deafness, tubulopathy, and
stores. J Lab Clin Med 1974;84(2):153–62. KCNJ10 mutations. N Engl J Med 2009;360:1960–70.
[2] Alfrey A. Disorders of magnesium metabolism. In: DW S, editor. The Brochard K, Boyer O, Blanchard A, Loirat C, Niaudet P, Macher MA,
Kidney. New York: Raven Press; 1992. p. 2357–73. et al. Phenotype-genotype correlation in antenatal and neonatal
[3] Shils ME. Experimental human magnesium depletion. Medicine variants of Bartter syndrome. Nephrol Dial Transplant 2009;24:
1969;48(1):61–85. 1455–64.
[4] Brannan PG, Vergne-Marini P, Pak CY, Hull AR, Fordtran JS. Magne- Dai LJ, Ritchie G, Kerstan D, Kang HS, Cole DE, Quamme GA. Magne-
sium absorption in the human small intestine. Results in normal sium transport in the renal distal convoluted tubule. Physiol Rev
subjects, patients with chronic renal disease, and patients with absorp- 2001;81:51–84.
tive hypercalciuria. J Clin Invest 1976;57(6):1412–8. de Rouffignac C. Renal magnesium handling. Adv Nephrol Necker Hosp
[5] Walder RY, Landau D, Meyer P, Shalev H, Tsolia M, Borochowitz 1997;27:317–42.
Z, et al. Mutation of TRPM6 causes familial hypomagnesemia with Geven WB, Monnens LA, Willems JL, Buijs W, Hamel CJ. Isolated auto-
secondary hypocalcemia. Nat Genet 2002;31(2):171–4. somal recessive renal magnesium loss in two sisters. Clin Genet
[6] Houillier P. Mechanisms and regulation of renal magnesium transport. 1987;32:398–402.
Annu Rev Physiol 2014;76:411–30. Glaudemans B, van der Wijst J, Scola RH, Lorenzoni PJ, Heister A, van der
[7] Konrad M, Schlingmann KP, Gudermann T. Insights into the mole- Kemp AW, et al. A missense mutation in the Kv1.1 voltage-gated potas-
cular nature of magnesium homeostasis. Am J Physiol Renal Physiol sium channel-encoding gene KCNA1 is linked to human autosomal
2004;286(4):F599–605. dominant hypomagnesemia. J Clin Invest 2009;119:936–42.
[8] Whang R, Ryder KW. Frequency of hypomagnesemia and hyperma- Groenestege WM, Thebault S, van der Wijst J, van den Berg D, Janssen
gnesemia. Requested vs routine. JAMA 1990;263(22):3063–4. R, Tejpar S, et al. Impaired basolateral sorting of pro-EGF causes
[9] Hebert P, Mehta N, Wang J, Hindmarsh T, Jones G, Cardinal P. isolated recessive renal hypomagnesemia. J Clin Invest 2007;117:
Functional magnesium deficiency in critically ill patients identi- 2260–7.
fied using a magnesium-loading test. Crit Care Med 1997;25(5): Hoenderop JG, Bindels RJ. Epithelial Ca2+ and Mg2+ channels in health
749–55. and disease. J Am Soc Nephrol 2005;16:15–26.
[10] Fatemi S, Ryzen E, Flores J, Endres DB, Rude RK. Effect of experi- Houillier P, Froissart M, Maruani G, Blanchard A. What serum calcium can
mental human magnesium depletion on parathyroid hormone secretion tell us and what it can’t. Nephrol Dial Transplant 2006;21:29–32.
and 1,25-dihydroxyvitamin D metabolism. J Clin Endocrinol Metab Kantorovich V, Adams JS, Gaines JE, Guo X, Pandian MR, Cohn DH, et al.
1991;73(5):1067–72. Genetic heterogeneity in familial renal magnesium wasting. J Clin
[11] Ea HK, Blanchard A, Dougados M, Roux C. Chondrocalcinosis Endocrinol Metab 2002;87:612–7.
secondary to hypomagnesemia in Gitelman’s syndrome. J Rheumatol Konrad M, Schaller A, Seelow D, Pandey AV, Waldegger S, Lesslauer A,
2005;32(9):1840–2. et al. Mutations in the tight-junction gene claudin 19 (CLDN19) are
[12] Agus ZS. Hypomagnesemia. J Am Soc Nephrol 1999;10(7):1616–22. associated with renal magnesium wasting, renal failure, and severe
[13] Araya V, Oviedo S, Amat J. [Hungry bone syndrome: clinical expe- ocular involvement. Am J Hum Genet 2006;79:949–57.
rience in its diagnosis and treatment]. Rev Med Chil 2000;128(1): Mehrotra R, Nolph KD, Kathuria P, Dotson L. Hypokalemic metabolic
80–5. alkalosis with hypomagnesuric hypermagnesemia and severe hypo-
[14] Famularo G, Gasbarrone L, Minisola G. Hypomagnesemia and proton- calciuria: a new syndrome? Am J Kidney Dis 1997;29:106–14.
pump inhibitors. Expert Opin Drug Saf 2013;12(5):709–16. Meij IC, Koenderink JB, van Bokhoven H, Assink KF, Groenestege WT,
[15] Blachley JD, Hill JB. Renal and electrolyte disturbances associated de Pont JJ, et al. Dominant isolated renal magnesium loss is caused
with cisplatin. Ann Intern Med 1981;95(5):628–32. by misrouting of the Na(+),K(+)-ATPase gamma-subunit. Nat Genet
[16] Huycke MM, Naguib MT, Stroemmel MM, Blick K, Monti 2000;26:265–6.
K, Martin-Munley S, et al. A double-blind placebo-controlled Nijenhuis T, Vallon V, van der Kemp AW, Loffing J, Hoenderop JG, Bindels
crossover trial of intravenous magnesium sulfate for foscarnet- RJ. Enhanced passive Ca2+ reabsorption and reduced Mg2+ channel
induced ionized hypocalcemia and hypomagnesemia in patients with abundance explains thiazide-induced hypocalciuria and hypomagne-
AIDS and cytomegalovirus infection. Antimicrob Agents Chemother semia. J Clin Invest 2005;115:1651–8.
2000;44(8):2143–8. Quamme GA. Magnesium homeostasis and renal magnesium handling.
[17] Izzedine H, Bahleda R, Khayat D, Massard C, Magne N, Spano JP, Miner Electrolyte Metab 1993;19:218–25.
et al. Electrolyte disorders related to EGFR-targeting drugs. Crit Rev Paunier L, Radde IC, Kooh SW, Conen PE, Fraser D. Primary hypo-
Oncol Hematol 2010;73(3):213–9. magnesemia with secondary hypocalcemia in an infant. Pediatrics
[18] Kontani M, Hara A, Ohta S, Ikeda T. Hypermagnesemia induced by 1968;41:385–402.
massive cathartic ingestion in an elderly woman without pre-existing Polzin DJ, Osborne CA, Stevens JB, Hayden DW. Influence of modified
renal dysfunction. Intern Med 2005;44(5):448–52. protein diets on electrolyte, acid base, and divalent ion balance in
[19] Breiderhoff T, Himmerkus N, Stuiver M, Mutig K, Will C, Meij dogs with experimentally induced chronic renal failure. Am J Vet Res
IC, et al. Deletion of claudin-10 (Cldn10) in the thick ascen- 1982;43:1978–86.
ding limb impairs paracellular sodium permeability and leads to Rob PM, Dick K, Bley N, Seyfert T, Brinckmann C, Hollriegel V, et al.
hypermagnesemia and nephrocalcinosis. Proc Natl Acad Sci U S A Can one really measure magnesium deficiency using the short-term
2012;109(35):14241–6. magnesium loading test? J Intern Med 1999;246:373–8.

6 EMC - Traité de Médecine Akos


Désordres de la magnésémie  1-1382

Schlingmann KP, Weber S, Peters M, Niemann Nejsum L, Vitzthum H, Klin- Simon DB, Nelson-Williams C, Bia MJ, Ellison D, Karet FE, Molina AM,
gel K, et al. Hypomagnesemia with secondary hypocalcemia is caused et al. Gitelman’s variant of Bartter’s syndrome, inherited hypokalae-
by mutations in TRPM6, a new member of the TRPM gene family. Nat mic alkalosis, is caused by mutations in the thiazide-sensitive Na-Cl
Genet 2002;31:166–70. cotransporter. Nat Genet 1996;12:24–30.
Scholl UI, Choi M, Liu T, Ramaekers VT, Hausler MG, Grimmer J, Smilde TJ, Haverman JF, Schipper P, Hermus AR, van Liebergen FJ, Jansen
et al. Seizures, sensorineural deafness, ataxia, mental retardation, and JL, et al. Familial hypokalemia/hypomagnesemia and chondrocalcino-
electrolyte imbalance (SeSAME syndrome) caused by mutations in sis. J Rheumatol 1994;21:1515–9.
KCNJ10. Proc Natl Acad Sci U S A 2009;106:5842–7. Vargas-Poussou R, Huang C, Hulin P, Houillier P, Jeunemaitre X, Paillard
Simon DB, Bindra RS, Mansfield TA, Nelson-Williams C, Mendonca E, M, et al. Functional characterization of a calcium-sensing receptor
Stone R, et al. Mutations in the chloride channel gene, CLCNKB, mutation in severe autosomal dominant hypocalcemia with a Bartter-
cause Bartter’s syndrome type III. Nat Genet 1997;17:171–8. like syndrome. J Am Soc Nephrol 2002;13:2259–66.
Simon DB, Karet FE, Hamdan JM, DiPietro A, Sanjad SA, Lifton RP. Voets T, Nilius B, Hoefs S, van der Kemp AW, Droogmans G, Bindels RJ,
Bartter’s syndrome, hypokalaemic alkalosis with hypercalciuria, is et al. TRPM6 forms the Mg2+ influx channel involved in intestinal and
caused by mutations in the Na-K-2Cl cotransporter NKCC2. Nat Genet renal Mg2+ absorption. J Biol Chem 2004;279:19–25.
1996;13:183–8. Vissers RJ, Purssell R. Iatrogenic magnesium overdose: two case reports. J
Simon DB, Karet FE, Rodriguez-Soriano J, Hamdan JH, DiPietro A, Tracht- Emerg Med 1996;14:187–91.
man H, et al. Genetic heterogeneity of Bartter’s syndrome revealed by Wacker WE, Parisi AF. Magnesium metabolism. N Engl J Med
mutations in the K+ channel, ROMK. Nat Genet 1996;14:152–6. 1968;278:712–7.
Simon DB, Lu Y, Choate KA, Velazquez H, Al-Sabban E, Praga M, et al. Watanabe S, Fukumoto S, Chang H, Takeuchi Y, Hasegawa Y, Okazaki R,
Paracellin-1, a renal tight junction protein required for paracellular et al. Association between activating mutations of calcium-sensing
Mg2+ resorption. Science 1999;285:103–6. receptor and Bartter’s syndrome. Lancet 2002;360:692–4.

A. Blanchard (anne.blanchard@egp.aphp.fr).
Centre d’investigations cliniques, Faculté de médecine Paris-Descartes, Université Paris-V, Hôpital européen Georges-Pompidou, AP–HP, 20-40, rue Leblanc,
75015 Paris, France.
R. Vargas-Poussou.
Département de génétique moléculaire, Faculté de médecine Paris-Descartes, Université Paris-V, Hôpital européen Georges-Pompidou, 20-40, rue Leblanc,
75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Blanchard A, Vargas-Poussou R. Désordres de la magnésémie. EMC - Traité de Médecine Akos 2015;10(3):1-
7 [Article 1-1382].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 7


¶ 1-1383

Microalbuminurie :
méthodes de dosage et interprétation
R. Guieu, C. Monserrat

La microalbuminurie est définie comme l’élimination dans les urines d’une quantité d’albumine comprise
entre 30 et 300 mg/24 h ou entre 30 et 300 µg par mg de créatinine sur un échantillon d’urine isolé. Une
augmentation de la microalbuminurie témoigne d’une atteinte glomérulaire. La microalbuminurie
constitue à la fois un indicateur diagnostic, de suivi thérapeutique et de pronostic, aussi bien dans le
diabète de type 1 que de type 2. C’est également un facteur de risque indépendant dans l’hypertension
artérielle et la maladie coronarienne. La microalbuminurie doit être mesurée dans des conditions strictes
de prélèvement, au moins à deux reprises à visée diagnostic, et une fois par an au cours du suivi des
patients. Son dosage actuel ne pose aucun problème, il est bien standardisé. Il fait appel à
l’immunoturbidimétrie ou l’immunonéphélémétrie. Il est très rapide et fiable. Son interprétation est donc
sûre.
© 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Microalbuminurie ; Urines de 24 h ; Ratio albuminurie/créatininurie ; Immunoturbidimétrie ;


Diabète ; Hypertension

Plan particulière. À ce titre on devrait plutôt utiliser le terme pauci-


albuminurie [1] , mais microalbuminurie est resté le terme
¶ Définition 1 d’usage [2]. Physiologiquement, l’albumine est retrouvée dans les
urines, puisque le poids moléculaire de l’albumine humaine
¶ Aspect méthodologique 1 (66 kDa) se trouve juste à la limite de la taille du filtre glomé-
Conditions de prélèvement 1 rulaire. L’albumine est donc l’une des premières protéines à
Techniques de dosage 2
passer dans les urines en cas d’atteinte glomérulaire. La
Recueil des urines et précautions à prendre 2
microalbuminurie s’exprime soit en fonction du débit urinaire,
¶ Valeurs de référence 2 en µg/min, soit en mg/24 h, soit en fonction de la créatininu-
¶ Interprétation clinique 2 rie, si on ne dispose pas de la quantité d’urines émises par 24 h
Dans le diabète de type 1 2 (Tableau 1).
Dans le diabète de type 2 3
En dehors du diabète 3
¶ Conclusion 3 ■ Aspect méthodologique
Conditions de prélèvement
■ Définition Classiquement, l’albuminurie est évaluée à partir des urines
des 24 h. Cependant la mesure du rapport albuminurie/
La microalbuminurie peut se définir comme l’élimination en créatininurie apparaît mieux adaptée. En effet, les urines des
petites quantités d’albumine d’origine plasmatique dans les 24 h ne sont pas toujours faciles à obtenir en pratique courante
urines. Il s’agit de « microquantités » et non d’une albumine (patient en ambulatoire, consultations, etc.). D’autre part, le

Tableau 1.
Valeurs de référence des concentrations en albumine dans les urines. Chez le sujet sain, l’albuminurie physiologique excède rarement 15 µg/min.
Interprétation Échantillons des 24 h Échantillon avec mesure du débit Échantillon ponctuel
Valeur normale < 30 mg/24 h < 20 µg/min < 30 µg/mg a de créatinine

Microalbuminurie 30 à 300 mg/24 h 20 à 200 µg/min 30 à 300 µg/mg de créatinine

Macroalbuminurie > 300mg/24 h > 200 µg/min > 300 µg/mg de créatinine
a
À diviser par 8,8 pour des résultats en µg/mmol.

Traité de Médecine Akos 1


1-1383 ¶ Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation

prélèvement en lui même et le stockage sont source d’erreurs Tableau 2.


(respect rigoureux des 24 h, stockage en dehors de la chaleur, Valeurs de référence de la microalbuminurie en fonction du rythme
etc.). Enfin, pour un même patient, des différences de 20 % circadien ou du sexe.
dans les concentrations peuvent être observées d’un jour à Auteurs Microalbuminurie
l’autre [3] . La variation intra-individuelle est importante à
Mogensen [14] 15 à 150 µg/min, la nuit
souligner et il est primordial de vérifier le caractère permanent
de la microalbuminurie. Ainsi, la microalbuminurie doit être Stone [15] 20 à 200 µg/min, la nuit
mesurée au moins à deux reprises à visée diagnostic, puis
mesurée 1 fois par an pour tous les patients et 2 fois au cours Amin [13] Homme : 3,5 à 35 mg/mmol de créatinine
de la première année d’un traitement antihypertenseur par Femme : 4 à 47 mg/mmol de créatinine
exemple [4]. Pour les patients non diabétiques, le ratio
protéinurie/créatininurie serait la meilleure alternative, tandis Ficociello [16] 30 à 299 µg/min, la journée
que la mesure du ratio albuminurie/créatininurie est plutôt
réservée au patient diabétique [5].
entre les sexes. Chez la femme les valeurs peuvent être 20 %
Techniques de dosage supérieures à celles relevées chez l’homme [12, 13]. Les variations
Lorsque la concentration d’albumine dans l’urine est non individuelles de l’excrétion urinaire d’albumine au cours du
détectable avec les méthodes classiques des bandelettes urinaires rythme circadien a conduit un certain nombre d’auteurs à tenir
(seuil à 0,30 g/l), le dosage quantitatif de la microalbuminurie est compte du moment du prélèvement (Tableau 2) [13-16]. L’excré-
nécessaire. Les méthodes actuelles de dosage de la microalbumi- tion urinaire d’albumine est un peu plus faible au cours de la
nurie sont basées sur les travaux de Hellsing [6], de Fielding [7], nuit, vraisemblablement en relation avec une diminution de la
de Ciret [8] et de Marre [9]. Elles permettent le dosage de concen- pression artérielle et de la filtration glomérulaire.
trations très faibles d’albumine dans les échantillons d’urine. Un
consensus analytique, de la quasi totalité des constructeurs
d’automates actuellement sur le marché, montre que la princi-
pale technique fait appel à l’immunoturbidimétrie ou à l’immu-
nonéphélémétrie, accélérée ou non par le PEG (polyéthylène
glycol) ou des particules spécifiques, selon le fabricant. L’immu-
“ Points importants
nonéphélémétrie reste cependant la technique de référence Définition, méthodologie, valeurs de référence
compte tenu de sa meilleure sensibilité et spécificité. L’utilisation La microalbuminurie est définie comme l’élimination en
d’anticorps antialbumine, mono- ou polyclonal diffère selon le « microquantité » d’albumine dans les urines. Il ne s’agit
fabricant. Au cours de la réaction, l’albumine urinaire (Ag) pas d’albumine particulière.
s’associe avec l’anticorps spécifique (Ac) pour former les comple- Elle doit être mesurée sur des urines fraîches de 24 h, ou
xes Ag-Ac. Le changement d’absorbance est mesuré par turbidi-
sur un échantillon pendant un temps donné ou sur un
métrie à 340 nm ou 380 nm ou par turbidimétrie bichromatique
échantillon ponctuel en utilisant alors le rapport albumine
à 340 nm et 700 nm, ou par néphélémétrie à 670 nm ou
840 nm selon les différents fabricants et les différents automates. sur créatinine.
Ce changement d’absorbance est proportionnel à la concentra- Dans tous les cas, l’urine ne doit contenir ni de
tion d’albumine dans l’échantillon et est utilisé pour exprimer la conservateur ni d’acide. Le pH doit être compris entre 4 et
concentration d’albumine selon une courbe d’étalonnage. 8. L’échantillon ne doit pas montrer de croissance
L’autre système de mesure de la microalbuminurie, beaucoup bactérienne ou la présence de sang.
moins utilisé, est une technique immunoenzymatique par La variation intra-individuelle étant importante, il faut
compétition en phase solide, puis quantification par chimiolu- vérifier le caractère permanent de la microalbuminurie.
minescence (Immulite® 2000). Les valeurs normales sont : < 30 mg/24 h ou < 20 µg/min
ou < 30 µg/mg de créatinine.
Recueil des urines et précautions à prendre
La collecte des urines de 3 h, de la nuit ou de 24 h est faite sans
conservateur, avec les précautions habituelles [10]. L’heure, la durée
et le volume total de la collecte doivent être notés. Il est nécessaire ■ Interprétation clinique
de bien mélanger l’urine et de garder un aliquot pour l’analyse
puis de centrifuger l’échantillon d’urine à 3 000 g pendant La présence d’une microalbuminurie est rare dans la popula-
10 minutes avant l’analyse pour retirer les cellules ou autres tion standard et exceptionnelle avant la puberté, mais augmente
débris. Les échantillons d’urine peuvent être conservés jusqu’à considérablement chez les patients diabétiques ou hypertendus.
72 h entre + 2 °C et + 8 °C. Il est déconseillé d’utiliser des L’albuminurie peut être considérée comme une aide au dia-
échantillons d’urine congelés. Les échantillons ayant un pH gnostic, un marqueur pronostic et une cible thérapeutique. Aide
inférieur à 4 ou supérieur à 8 peuvent donner respectivement des au diagnostic puisque témoin d’une atteinte glomérulaire et
résultats trop hauts ou trop bas. Les échantillons acidifiés ne donc d’une atteinte rénale ; marqueur pronostic dans le cadre
doivent donc pas être utilisés. Le dosage ne doit pas être réalisé si de l’évolution de l’insuffisance rénale chronique [5] ; par ailleurs
l’échantillon montre une croissance bactérienne significative ou si la présence d’une microalbuminurie résiduelle malgré un
le patient a des symptômes d’infection urinaire. Les échantillons traitement adapté (traitement antihypertenseur en particulier)
contaminés par du sang ne doivent pas être utilisés, même après serait de mauvais pronostic [17]. Enfin, la baisse attendue de la
centrifugation. D’autres sources de variations ont été constatées microalbuminurie au cours d’un traitement adapté fait égale-
comme l’exercice physique intense [11]. Il ne semble pas exister ment de la microalbuminurie une cible thérapeutique.
d’interférence avec les médicaments aux doses habituelles.
Dans le diabète de type 1
■ Valeurs de référence La microalbuminurie est présente dans 6 % des diabètes
récents (< 3 ans) et augmente graduellement pour être présente
Les valeurs de référence sont données dans le Tableau 1. chez plus de 50 % des patients après 20 ans d’évolution de la
Il n’existe de valeur spécifique ni pour l’enfant ni pour la maladie [18]. On sait par ailleurs qu’un mauvais contrôle de la
personne âgée. En revanche, il existe une discrète différence glycémie accentue la microalbuminurie [19].

2 Traité de Médecine Akos


Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation ¶ 1-1383

Dans le diabète de type 2 [4] Chugh A, Bakris GL. Microalbuminuria: What is it? Why is it impor-
tant? What should be done about it? An update. J Clin Hypertens 2007;
L’existence d’une microalbuminémie est notée dans 20 % à 9:196-200.
25 % des cas de diabète nouvellement diagnostiqué ou ancien. [5] Taal MW, Brenner BM. Renal risk scores: progress and prospects.
Le diabète de type 2 est une cause fréquente de néphropathie Kidney Int 2008;73:1216-9.
et la microalbuminurie fait partie de la surveillance des patients. [6] Hellsing K. The effects of different polymers for enhancement of the
La réduction de la microalbuminurie, au cours d’un traitement antigen antibody reaction as measured with nephelemetry in protides in
adapté, est corrélée à la diminution de l’atteinte rénale et à la the biological fluid, Oxford: Pergamon Press; 1973. (vol23). p. 579.
diminution du risque cardiovasculaire [20]. Enfin, La microalbu- [7] Fielding BA, Price DA, Houlton CA. Enzyme immunoassay for urinary
minurie est un facteur de risque de mortalité par accident albumin. Clin Chem 1983;29:355-7.
cardiovasculaire aussi bien chez les patients atteints de diabète
[8] Ciret P, Claudel JP, Marre M, Passa P. Early detection of
de type 1 [21], que pour ceux atteints de diabète de type 2 [22].
microalbuminuria by a new technic rapid, sensitive and automatable:
nephelometry. Journ Annu Diabetol Hotel Dieu 1986:313-5.
En dehors du diabète [9] Marre M, Claudel JP, Ciret P, Passa P. Laser immunonephelometry for
the determination of the urinary excretion of Albumin. Presse Med
D’une manière générale, chez le patient non diabétique, la 1986;15:1429.
présence d’une microalbuminurie reste un facteur de risque [10] Dussol B, Jourde-Chiche N. Fonction rénale : comment la mesurer,
indépendant de mortalité par ischémie coronaire [23]. Dans une comment l’interpréter? EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de
méta-analyse portant sur près de 170 000 patients, et incluant Médecine Akos, 1-1244, 2009 : 4p.
près de 7 000 événements cardiovasculaires, Perkovic et al. ont
[11] Raynaud E, Brun JF, Fédou C, Puech-cathala AM, Perez-Martin A,
montré que la présence d’une microalbuminurie augmente de
Orsetti A. Is microalbuminuria, an early marker of clinical
50 % le risque d’événement cardiovasculaire et que ce risque est
nephropathy, also a cardiovascular risk factor? Ann Biol Clin (Paris)
d’autant plus important que l’albuminurie est élevée [24]. La
1998;56:671-9.
présence d’une microalbuminurie est donc un facteur de risque
indépendant de maladie rénale et de mortalité dans le diabète [12] Schultz CJ, Konopelska-Bahu T, Dalton RN, Carroll TA, Stratton I,
et chez l’hypertendu [25] , et constitue un facteur de risque Gale EA, et al. Microalbuminuria prevalence varies with age, sex, and
précoce et indépendant de maladie cardiovasculaire (infarctus puberty in children with type 1 diabetes followed from diagnosis in a
longitudinal study. Oxford Regional Prospective Study Group.
du myocarde ou accident vasculaire) [26, 27]. L’hypertension
Diabetes Care 1999;22:495-502.
augmente l’excrétion urinaire de protéines d’origine tubulaire et
glomérulaire, et augmente en particulier l’albuminurie [28]. Au [13] Amin R, Widmer B, Prevost AT, Schwarze P, Cooper J, Edge J, et al.
cours d’un traitement bien adapté, la microalbuminurie dimi- Risk of microalbuminuria and progression to macroalbuminuria in a
nue [27], et cette diminution est corrélée avec la diminution des cohort with childhood onset type 1 diabetes: prospective observational
complications cardiovasculaires [29], ce qui fait de la microalbu- study. BMJ 2008;336:697-701.
minurie une cible thérapeutique [16]. [14] Mogensen CE. Microalbuminuria : risques cardiovasculaires et rénal.
Diabétol Fact Risq 1997;3:153-8.
[15] Stone ML, Craig ME, Chan AK, Lee JW, Verge CF, Donaghue KC.
Natural history and risk factors for microalbuminuria in adolescents
with type 1 diabetes: a longitudinal study. Diabetes Care 2006;29:
“ Points importants
[16]
2072-7.
Ficociello LH, Perkins BA, Silva KH, Finkelstein DM, Ignatowska-
Interprétation clinique Switalska H, Gaciong Z, et al. Determinants of progression from
microalbuminuria to proteinuria in patients who have type 1 diabetes
La présence de microalbumine est rare dans la population
and are treated with angiotensin-converting enzyme inhibitors. Clin
standard.
J Am Soc Nephrol 2007;2:461-9.
La présence de microalbumine est fréquente chez les
[17] Ruggenenti P, Perna A, Remuzzi G, GISEN Group Investigators..
patients diabétiques ou hypertendus. Retarding progression of chronic renal disease: the neglected issue of
La microalbumine est : residual proteinuria. Kidney Int 2003;63:2254-61.
• une aide au diagnostic puisque témoin d’une atteinte [18] Warram JH, Gearin G, Laffel L, Krolewski AS. Effect of duration of
glomérulaire et donc d’une atteinte rénale ; type I diabetes on the prevalence of stages of diabetic nephropathy
• un marqueur pronostic au cours de l’évolution de defined by urinary albumin/creatinine ratio. J Am Soc Nephrol 1996;
l’insuffisance rénale ; 7:930-7.
• une cible thérapeutique dans le diabète et dans [19] Mogensen CE. Microalbuminuria and hypertension with focus on type
l’hypertension. 1 and type 2 diabetes. J Intern Med 2003;254:45-66.
[20] Araki S, Haneda M, Koya D, Kashiwagi A, Uzu T, Kikkawa R. Clinical
impact of reducing microalbuminuria in patients with type 2 diabetes
mellitus. Diabetes Res Clin Pract 2008;82(suppl1):S54-S58.
■ Conclusion [21] Stehouwer CD, Smulders YM. Microalbuminuria and risk for
cardiovascular disease: Analysis of potential mechanisms. J Am Soc
La microalbuminurie, à condition de respecter strictement les Nephrol 2006;17:2106-11.
conditions de prélèvements et de dosage, est un marqueur [22] Dinneen SF, Gerstein HC. The association of microalbuminuria and
diagnostic, de suivi thérapeutique et de pronostic chez le mortality in non-insulin-dependent diabetes mellitus. A systematic
patient diabétique et/ou hypertendu. overview of the literature. Arch Intern Med 1997;157:1413-8.
.
[23] Borch-Johnsen K, Feldt-Rasmussen B, Strandgaard S, Schroll M,
Jensen JS. Urinary albumin excretion. An independent predictor of
■ Références ischemic heart disease. Arterioscler Thromb Vasc Biol 1999;19:
1992-7.
[1] Trivin F, Giraudet P. ″Microalbuminuria″ or ″pauci-albuminuria″? Clin
Chem 1988;34:209-10. [24] Perkovic V, Verdon C, Ninomiya T, Barzi F, Cass A, Patel A, et al. The
[2] Viberti GC, Keen H. Microalbuminuria and diabetes. Lancet 1983;1: relationship between proteinuria and coronary risk: a systematic review
352. and meta-analysis. PLoS Med 2008;5:e207.
[3] McIntyre NJ, Taal MW. How to measure ptoteinuria? Curr Opin [25] Zamora CR, Cubeddu LX. Microalbuminuria: do we need a new
Nephrol Hypertens 2008;17:600-3. threshold? J Hum Hypertens 2009;23:146-9.

Traité de Médecine Akos 3


1-1383 ¶ Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation

[26] De Zeeuw D, Parving HH, Henning RH. Microalbuminuria as an early Pour en savoir plus
marker for cardiovascular disease. J Am Soc Nephrol 2006;17:2100-5.
[27] Duka I, Bakris G. Influence of microalbuminuria in achieving blood Satchell SC, Tooke JE. What is the mechanism of microalbuminuria in
pressure goals. Curr Opin Nephrol Hypertens 2008;17:457-63. diabetes: a role for the glomerular endothelium? Diabetologia 2008;
[28] Fujimoto T, Takechi S, Machida M, Isu N, Imamura W, Kakinoki S, 51:714-25.
et al. Excretions of urinary albumin and various proteins increase in Halimi JM, Hadjadj S, Aboyans V, Allaert FA, Artigou JY, Beaufils M, et al.
hypertension. Blood Press 2008;17:270-3.
Microalbuminuria and urinary albumin excretion: clinical practice
[29] Ibsen H, Olsen MH, Wachtell K, Borch-Johnsen K, Lindholm LH,
guidelines. Néphrol Thér 2007;3(n°6):384-91.
Mogensen CE. Reduction in albuminuria translates to reduction in
cardiovascular events in hypertensive patients with left ventricular www.esculape.com.
hypertrophy and diabetes. J Nephrol 2008;21:566-9. www.theheart.org.

R. Guieu, Professeur des Universités (rguieu@ap-hm.fr).


C. Monserrat, Praticien hospitalier.
Laboratoire de biochimie et de biologie moléculaire, Hôpital de la Timone, 27, Boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Guieu R., Monserrat C. Microalbuminurie : méthodes de dosage et interprétation. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 1-1383, 2009.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

4 Traité de Médecine Akos


 1-1400

Phosphatases alcalines
P. Houssel

Les phosphatases alcalines sont des isoenzymes membranaires dont le rôle reste mal connu. Elles existent
dans la plupart des tissus. Le dosage sérique des phosphatases alcalines est surtout le reflet de l’activité
des isoenzymes hépatique et osseuse. Les phosphatases alcalines s’ascensionnent de manière physiolo-
gique au cours du troisième trimestre de grossesse et lors de la croissance osseuse (période néonatale
et adolescence). L’augmentation des phosphatases alcalines associée à une élévation des gamma-
glutamyl-transpeptidases signe une atteinte hépatique. La plupart des maladies du foie (hépatite virale,
auto-immune, cirrhose, cirrhose biliaire primitive, tumeur, granulomatose, etc.) et des voies biliaires
entraînent une élévation des phosphatases alcalines. Une obstruction de la voie biliaire principale par
une lithiase ou un cancer est à éliminer. L’ascension isolée des phosphatases alcalines doit faire suspecter
une atteinte osseuse. Les modifications du remodelage osseux (formation osseuse et résorption osseuse)
doivent faire rechercher : une maladie de Paget osseuse, des métastases osseuses (sein, prostate, pou-
mon), une hyperparathyroïdie, une ostéomalacie, une fracture ou un tassement vertébral récent. Il existe
donc une élévation physiologique des phosphatases alcalines (croissance, grossesse notamment) et une
ascension pathologique devant faire rechercher une maladie hépatique ou osseuse en premier lieu.
© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Isoenzymes ; Obstruction biliaire ; Cirrhose biliaire primitive ; Cholangite sclérosante primitive ;
Maladie de Paget osseux ; Ostéomalacie

Plan dosage utilisée, mais également l’état physiologique du patient


(âge, sexe, grossesse, etc.) [1] .
■ Introduction 1 Devant une élévation du taux sérique des PAL, deux questions
s’imposent :
■ Élévation physiologique des phosphatases alcalines 1 • S’agit-il d’une élévation physiologique ou pathologique ?
Au cours de la grossesse 1 • Quelle isoenzyme est en cause ?
Au cours de la croissance osseuse 2
En postprandial 2
■ Élévation pathologique des phosphatases alcalines 2
Phosphatases alcalines et foie
Phosphatases alcalines et os
2
4
 Élévation physiologique
■ Conclusion 5 des phosphatases alcalines
Au cours de la grossesse
L’activité sérique des PAL augmente dès le premier tri-
 Introduction mestre jusqu’à doubler en fin de grossesse. Cela correspond à
l’augmentation de l’activité de l’isoenzyme placentaire, produite
Les phosphatases alcalines sont des métalloenzymes membra- par le syncytiotrophoblaste [2] .
naires regroupant une variété d’isoenzymes présentes dans de Néanmoins, devant une augmentation supérieure à deux fois
nombreux tissus (foie, os, placenta, intestin, cellules germinales, la normale au troisième trimestre (notamment supérieure à dix
rein) et encodées par quatre gènes. Si on connaît leur propriété fois la normale), il faut éliminer : une lithiase biliaire (plus
biochimique (elles hydrolysent les esters phosphoriques en milieu fréquente au cours de la grossesse), une cholestase intrahé-
alcalin), leur rôle physiologique reste mal connu. L’activité sérique patique (cf. infra), une origine tumorale (cystadénocarcinome
des phosphatases alcalines (PAL) correspond donc à l’activité de ovarien notamment), mais également une insuffisance placen-
ces différentes isoenzymes. Son dosage doit être fait à jeun du taire faisant craindre un accouchement prématuré. Dans ces
fait de l’existence d’une isoenzyme intestinale. Sa demi-vie est conditions, la réalisation d’échographies hépatique et foetale est
de 7 jours. Les valeurs de référence diffèrent selon la méthode de indispensable.

EMC - Traité de Médecine Akos 1


Volume 7 > n◦ 4 > octobre 2012
http://dx.doi.org/10.1016/S1634-6939(12)53054-1
1-1400  Phosphatases alcalines

Figure 1. Arbre décisionnel. Conduite à


PAL tenir devant une augmentation des phospha-
tases alcalines (PAL). ␥GT : gamma-glutamyl-
transpeptidase ; VBP : voie biliaire principale ;
IRM : imagerie par résonance magnétique ;
Dosage γ GT PBH : ponction biopsie hépatique.

γGT Dosage normal

Atteinte hépatobiliaire Pathologie osseuse

Échographie hépatique

Obstruction biliaire Infiltration, Normale


masse suspecte

Voir causes extrahépatiques Anticorps antimitochondries


et conduite à tenir de type 2
devant une lithiase de la VBP

Positif Négatif

Biopsie hépatique PAL > 2N


PAL < 2N
Cholangio-IRM
Surveillance
PBH

“ Point important 1 2 3

Élévation physiologique des phosphatases alca-


lines
• Adolescence
• Troisième trimestre de grossesse
• Digestion

Figure 2. Localisation cellulaire des phosphatases alcalines hépatiques.


1. Pôle hépatocytaire ; 2. pôle canaliculaire ; 3. phosphatases alcalines.
Au cours de la croissance osseuse
Il existe un lien entre le taux sérique des PAL osseuses et le
nombre de cellules ostéoblastiques dans l’os (responsable de la
formation de la matrice osseuse). Les PAL interviennent dans la  Élévation pathologique
formation des cristaux d’hydroxyapatite principaux composant
de l’os.
des phosphatases alcalines
Au cours de la croissance osseuse (adolescence notamment), le Il existe des méthodes d’électrophorèse permettant de mesurer
taux de PAL double par rapport à celui d’un adulte sain. l’activité sérique des différentes isoenzymes, mais elles ne sont pas
disponibles en routine.
L’activité des PAL dans le sérum d’un sujet sain est représen-
En postprandial tée majoritairement par les isoenzymes hépatiques et osseuses
(Fig. 1) [4, 5] .
Certains patients de groupe sanguin O et B ont une augmenta-
tion du taux sérique des PAL après l’ingestion d’un repas riche en
graisse (isoenzyme intestinale). Phosphatases alcalines et foie
Également, les PAL intestinales joueraient un rôle immuno-
modulateur en réglementant l’interaction entre la microflore Les PAL hépatiques sont présentes au niveau des canalicules
commensale et l’épithélium intestinal [3] . biliaires et à la surface sinusoïdale des hépatocytes (Fig. 2).
Ont été aussi décrites des formes familiales bénignes L’augmentation des PAL est donc observée dans la plupart des
d’augmentation des PAL liées à l’isoenzyme intestinale. maladies du foie et des voies biliaires. L’augmentation des PAL

2 EMC - Traité de Médecine Akos


Phosphatases alcalines  1-1400

Tableau 1.
Diagnostic et traitement de la lithiase de la voie biliaire principale (VBP).
1
Diagnostic
Première intention Clinique
Biologique (élévation des ␥GT,
PAL, bilirubine)
Échographie hépatique (dilatation
2 de la VBP, calcul de la VBP)

Deuxième intention Bili-IRM (sensibilité 100 % si


calcul > 1 cm, sensibilité 70 % si
< 5 mm)
Échoendoscopie (mais anesthésie
3 générale)
Traitement
Lithiase de la VBP chez un patient cholescystectomisé : traitement
endoscopique
Lithiase de la VBP chez un patient non cholescystectomisé :
cholescystectomie cœlioscopique, ablation de la lithiase dans le
même temps ou traitement endoscopique en périopératoire
En cas d’angiocholite : antibiothérapie, traitement endoscopique
puis à froid : cholescystectomie
Figure 3. Les différents sièges de la cholestase. 1. Cholestase intrahé-
␥GT : gamma-glutamy-transpeptidase ; PAL : phosphatases alcalines ; IRM : ima-
patocytaire ; 2. atteinte des voies biliaires intrahépatiques ; 3. atteinte des gerie par résonance magnétique.
voies biliaires extrahépatiques.

associée à l’élévation des gamma-glutamyl-transpeptidases (␥GT)


définit le syndrome de cholestase qui correspond à l’arrêt ou à la
diminution de la sécrétion biliaire.
On distingue la cholestase d’origine intrahépatique et celle
d’origine extrahépatique (Fig. 3).
“ Point important
Causes extrahépatiques
Causes extrahépatiques • Lithiase
La concentration des PAL s’élève au cours de l’obstruction de la • Cancer :
voie biliaire principale. Les deux principales causes sont : la lithiase ◦ pancréas
biliaire et le cancer. ◦ voie biliaire principale
L’interrogatoire est fondamental : l’obstruction est douloureuse. ◦ ampoule de Vater
Le calcul se bloque dans la voie biliaire principale et est respon- • Pancréatite aiguë ou chronique
sable d’une douleur de type « colique hépatique » associée à un
• Sténose cicatricielle de la voie biliaire principale (VBP)
ictère obstructif. La complication est l’angiocholite (« toute bile
stagnante s’infecte »). (postchirurgicale)
L’échographie hépatique est le premier examen d’imagerie à • Syndrome de Mirizzi qui correspond à une obstruction
réaliser, il met en évidence une dilatation de la voie biliaire d’origine bénigne du canal hépatique commun par un
principale et/ou des voies biliaires intrahépatiques (sensibilité de calcul enclavé dans le cystique ou le collet de la vésicule
60 %). La cholangio-imagerie par résonance magnétique (IRM) biliaire.
et l’échoendoscopie haute permettent également de confirmer • Parasitose :
le diagnostic suspecté cliniquement avec échographie hépatique ◦ ascaridiose
normale. Le traitement est la levée de l’obstacle par cholangiogra- ◦ kyste hydatique
phie rétrograde endoscopique (Tableau 1) [6] . • Adénopathie du hile hépatique par compression extrin-
Les causes tumorales d’obstruction sont : le cancer de la voie
biliaire principale, le cancer de la tête du pancréas et l’ampulome sèque (tuberculose, cancer)
vatérien.

Causes intrahépatiques
L’élévation sérique des PAL est due soit à une obstruction des voies est à évoquer devant une asthénie, un prurit et, biologique-
biliaires intrahépatiques, soit à une altération de l’hépatocyte. ment, une élévation des PAL. Les anticorps antimitochondries
Il existe différentes causes de cholestase intrahépatique. de type 2, détectés par immunofluorescence indirecte (IFI), sont
La cholestase au cours des hépatites virale, auto-immune, alcoo- présents chez 90 % à 95 % des patients atteints de CBP. La biop-
lique, des infections bactériennes chez le patient cirrhotique, et sie hépatique est nécessaire pour évaluer le stade de fibrose. Une
des infiltrations tumorales notamment est fortement liée aux endoscopie œsogastroduodénale doit être réalisée quel que soit
cytokines pro-inflammatoires (tumor necrosis factor beta [TNF-␤], le stade de la maladie à la recherche de signes d’hypertension
interleukine 1 bêta [IL-1-␤], interleukine 6 [IL-6]) qui modifient portale. Le traitement repose sur l’acide ursodésoxycholique
l’expression des transports biliaires [7] . (AUDC). Il améliore les tests hépatiques, freine la progression
Deux maladies sont à considérer. de la maladie en limitant l’apparition d’hypertension portale
et de cirrhose. La posologie optimale efficace est habituelle-
Cirrhose biliaire primitive (Tableau 2) ment de 13 à 15 mg/kg par jour en un à deux prises [8, 9] . La
La cirrhose biliaire primitive (CBP) est une maladie hépatique transplantation hépatique est indiquée chez les patients pré-
chronique inflammatoire et cholestatique avec, à l’histologie, sentant un prurit réfractaire avec atteinte de la qualité de vie,
une destruction non suppurative des voies biliaires interlo- une bilirubinémie supérieure à 100 ␮mol/l, et des complications
bulaires (cholangite destructive non suppurative). Elle touche de la cirrhose (insuffisance hépatocellulaire et hypertension
préférentiellement la femme à partir de 40 ans. Le diagnostic portale).

EMC - Traité de Médecine Akos 3


1-1400  Phosphatases alcalines

à la dose de 25 mg/kg par jour sans bénéfice sur la survie défini.

“ Point important La transplantation hépatique est proposée si la bilirubinémie est


supérieure à 100 ␮mol/l, s’il existe une cirrhose décompensée ou
des épisodes d’angiocholite à répétition.
Causes intrahépatiques
• Cirrhose Phosphatases alcalines et os
• Hépatite aiguë ou chronique
• Cirrhose biliaire primitive Les PAL sont exprimées à la surface cellulaire des odon-
toblastes, des chondrocytes et des ostéoblastes. Elles jouent
• Cholangite sclérosante primitive
un rôle dans la minéralisation de la matrice extracellulaire.
• Amylose L’augmentation des phosphatases alcalines est, dans ce cas, le
• Infiltration hépatique : reflet de l’hyperactivité ostéoblastique [10] . Cette hyperactivité est
◦ hémopathies malignes présente dans de nombreuses maladies osseuses : maladie de Paget,
◦ cancer hépatique primitif ou secondaire (métastases) ostéomalacie, hyperparathyroïdie, métastases osseuses, consolida-
◦ granulomatoses (sarcoïdose, tuberculose) tion de fracture, etc. Toutefois, l’augmentation la plus nette est
mesurée en cas de cancer ostéogénique et dans la maladie de Paget.

Tableau 2.
Cirrhose : étiologies et diagnostic.
Étiologies Diagnostic
“ Point important
Virus VHB (si positif, AgHBs, Ac anti-delta
rechercher VHD), VHC Ac anti-VHC Anomalies du remodelage osseux
• Maladie de Paget
Alcool Interrogatoire, PBH
• Ostéomalacie
NASH Syndrome dysmétabolique (HTA,
• Hyperparathyroïdie
hyperglycémie à jeun, obésité centrale,
diminution du HDL-cholestérol, • Hyperthyroïdie
augmentation des triglycérides) • Métastases osseuses
• Fracture récente
Hémochromatose Coefficient de saturation de la
génétique transferrine, ferritine, mutation C282Y,
• Tassement vertébral récent
H63D • Ostéodystrophie rénale
IRM hépatique de quantification de la
surcharge ferrique
Auto-immune Électrophorèse des protéines sériques, Maladie de Paget osseuse [11, 12]
autoanticorps (Ac anti-LKM, Ac
antinucléaires, Ac anti-muscle lisse) La maladie de Paget est une maladie du remodelage osseux :
hyperostéoclastose avec hyperostéoblastose réactionnelle abou-
Cirrhose biliaire primitive Anticorps antimitochondries de type 2 tissant à une structure osseuse désorganisée (hypertrophie et
Cirrhose biliaire secondaire Antécédents de cholangite sclérosante déformation de l’os). Elle touche plus souvent les hommes et
primitive, traumatisme de la voie biliaire son incidence augmente avec l’âge. Elle peut atteindre un ou plu-
principale, lithiase intrahépatique diffuse sieurs os et préférentiellement les vertèbres, le crâne, le fémur et
Maladie de Wilson Antécédent familial, ceruléoplasmine, le bassin. La maladie est le plus souvent asymptomatique, mais
cuprémie et cuprurie des 24 heures, le diagnostic doit être évoqué devant une douleur osseuse, une
recherche génétique chaleur locale (hypervascularisation), une déformation osseuse.
Déficit en Antécédent familial, déficit en Biologiquement, le taux sérique des PAL constitue le meilleur
alpha1-antitrypsine alpha1-antitrypsine (diminuer reflet de l’activité de la maladie de Paget. L’imagerie apporte
systématiquement au cours de la des arguments diagnostiques (la radiographie standard retrouve
cirrhose), phénotypage de une hypertrophie osseuse, une déformation, une condensation
l’alpha1-antitrypsine globale) et permet le bilan d’extension de la maladie (la scinti-
graphie osseuse au 99mTc corps entier permet une cartographie
Syndrome de Budd-Chiari Échodoppler hépatique (obstruction des des lésions sous forme de foyers d’hyperfixation). Toute mala-
veines sus-hépatiques)
die de Paget symptomatique ou à risque (ex. : compression du
Ac : anticorps ; VHB : virus de l’hépatite B ; VHC : virus de l’hépatite C ; VHD : nerf auditif dans l’atteinte crânienne) requiert un traitement par
virus de l’hépatite D ; NASH : non-alcoholic steatohepatitis ; PBH : ponction biopsie biphosphonates. Les PAL sont un marqueur de l’évolution de
hépatique ; HDL : high density lipoprotein ; HTA : hypertension artérielle ; IRM : la maladie (surveillance biologique), mais aussi de réponse au
imagerie par résonance magnétique ; LKM : liver-kidney microsomal.
traitement.

Cholangite sclérosante primitive Métastases osseuses


La cholangite sclérosante primitive correspond à une atteinte Les cancers du sein et de la prostate sont responsables de
inflammatoire et fibrosante des voies biliaires (fibrose périca- métastases ostéocondensantes (la thyroïde et le rein donnent de
nalaire concentrique autour des voies bilaires). Elle touche les métastases ostéolytiques). En cas de cancer connu, le diagnostic
voies biliaires intra- et extrahépatiques. La présentation clinique est suspecté devant des douleurs osseuses, d’allure inflammatoire,
est polymorphe : du patient asymptomatique (diagnostic évoqué une fracture spontanée, une tuméfaction osseuse. La métastase
devant des perturbations du bilan hépatique) à la cirrhose, en peut également révéler le cancer. La scintigraphie osseuse au
passant par l’angiocholite. Elle est associée à une maladie inflam- 99mTc corps entier fixe les lésions présentant une hyperostéo-
matoire de l’intestin dans 75 % des cas. Il n’y a pas de marqueur blastose.
sérologique spécifique de la maladie. La cholangio-IRM retrouve Le suivi du taux des PAL dans la réponse à la chimiothérapie
des sténoses courtes, irrégulières et des dilatations d’amont des du cancer de la prostate métastasé à l’os semble prometteur (la
voies biliaires. Les complications sont l’évolution vers la cirrhose normalisation des PAL à 3 mois serait liée à une amélioration de
biliaire secondaire et le cholangiocarcinome (incidence de 1 % par la survie globale) [13] .
an et plus fréquent dans les maladies inflammatoires chroniques Le remodelage osseux (résorption et formation osseuse) est
de l’intestin). Le traitement repose sur l’acide ursodésoxycholique permanent chez l’adulte sain. Il est encadré par divers facteurs

4 EMC - Traité de Médecine Akos


Phosphatases alcalines  1-1400

endocriniens, métaboliques et nutritionnels. Des pathologies • une pathologie hépatique (associée le plus souvent à l’élévation
diverses peuvent donc être responsables d’un trouble de la miné- d’autres enzymes hépatiques) touchant le parenchyme ou
ralisation osseuse (d’où une élévation des PAL). Deux pathologies les voies biliaires. L’échographie hépatique reste l’examen
principales sont à retenir. d’imagerie de première intention ;
• une pathologie du remodelage osseux. L’examen clinique (anté-
Ostéomalacie cédent de néoplasie ou facteurs de risque, existence de douleurs,
L’ostéomalacie correspond à une insuffisance de minéralisation de tuméfaction, etc.), les bilans biologique (dosage du cal-
de l’os cortical et spongieux à maturité, secondaire à une carence cium, phosphorémie, calciurie notamment) et morphologique
en vitamine D ou à un déficit phosphoré. La conséquence est un (radiographie standard, tomodensitométrie, IRM et scintigra-
os « mou », responsable de déformations osseuses et de tassements phie osseuse) guident le diagnostic.
vertébraux [14] .
La carence en vitamine D est liée à un défaut d’apport, une
malabsorption, un défaut de 25-hydroxylation hépatique, ou à un
défaut de 1-␣-hydroxylation rénale. Le diagnostic d’ostéomalacie  Références
est suspecté devant l’association : hypocalcémie, hypocalciurie,
et hypophosphorémie. Le traitement reste celui de la cause et [1] Benhamou JP. Hépatologie clinique. Paris: Flammarion; 1993.
l’apport de vitamine D. [2] Jamjute P, Ahmad A, Ghosh T, Banfield P. Liver function
test and pregnancy. J Matern-Fetal Neonatal Med 2009;22:
274–83.
Hyperparathyroïdie [3] Chen KT, Malo MS, Beasley-Topliffe LK, Poelstra K, Millan JL,
L’hypersécrétion de parathormone (PTH), primitive ou secon- Mostafa G, et al. A role for intestinal alkaline phosphatase in
daire, entraîne une augmentation de la résorption osseuse (la PTH the maintenance of local gut immunity. Dig Dis Sci 2011;56:
active les ostéoclastes). L’association d’une hypercalcémie, d’une 1020–7.
hypercalciurie et d’une hypophosphorémie doit faire évoquer ce [4] Pratt DS, Kaplan MM. Evaluation of abnormal liver enzyme
diagnostic. results in asymptomatic patients. N Engl J Med 2000;342:
Les causes à rechercher sont : un adénome parathyroïdien, une 1266–71.
hyperplasie diffuse des parathyroïdes, un cancer parathyroïdien, [5] Limdi JK, Hyde GM. Evaluation of abnormal liver function tests.
une hyperparathyroïdie paranéoplasique (cancer pulmonaire Postgrad Med J 2003;79:307–12.
anaplasique à petites cellules par sécrétion de substance PTH- [6] Prise en charge de la lithiase biliaire, recommandation de pratique
clinique. SNFGE.
like). L’hyperparathyroïdie peut s’inscrire dans une néoplasie
[7] Valla DC. Cholestase inexpliquée. In: Journée d’Hépatologie de
endocrinienne multiple (NEM) devant faire rechercher d’autres
l’Hôpital Beaujon; 2007.
localisations tumorales. [8] Talwalkar JA, Lindor KD. Primary biliary cirrhosis. Lancet
Le taux sérique de PAL est corrélé à l’intensité de la pathologie 2003;362:53–61.
(reflet de l’intensité de la résorption osseuse). [9] Corpechot C, Poupon R. Prise en charge et traitement de la cirrhose
biliaire primitive. AFEF; 2009.
[10] Hart SM, Eastell R. Biochemical markers of bone turnover. Curr Opin

“ Points essentiels [11]


Nephrol Hypertens 1999;8:421–7.
Collège Français des Enseignants en Rhumatologie. La maladie de
Paget. 2010.
[12] Magnusson P, Davie MW, Sharp CA. Circulating and tissue-derived
• Phosphatases alcalines : isoenzymes osseuses, hépa-
isoforms of bone alkaline phosphatase in Paget’s disease of bone. Scand
tiques, intestinales, placentaires, etc. J Clin Lab Invest 2010;70:128–35.
• Élévation physiologique : [13] Sonpavde G. Serum alkaline phosphatase changes predict sur-
◦ troisième trimestre de grossesse vival independent of PSA changes in men with castration
◦ croissance osseuse resistant prostate cancer and bone metastasis receiving chemothe-
◦ postprandial rapy. Urologic Oncology: Seminars and Original Investigations;
• Élévation pathologique : 2010.
[14] Whyte MP. Physiological role of alkaline phosphatase explo-
◦ maladies du foie et des voies biliaires (cholestase intra- red in hypophosphatasia. Ann N Y Acad Sci 2010;1192:
et extrahépatique) 190–200.
◦ anomalies du remodelage osseux
◦ tumeur, etc. Pour en savoir plus
Benhamou JP, Bircher J, McIntyre N, Rizzetto M, Rodes J, eds.
Hépatologie clinique. Paris: Flammarion Médecine-Sciences,
1993.
 Conclusion Fischman W. Perspectives on alkaline phosphatase isoenzymes. Am J Med
1974;56:617-50.
Après avoir éliminé une élévation physiologique des phos- Société nationale française de gastroentérologie : www.snfge.asso.fr.
phatases alcalines (diagnostic clinique), il faut systématiquement Association française pour l’étude du foie : www.afef.asso.fr.
rechercher : Collège français des enseignants en rhumatologie : www.lecofer.org.

P. Houssel (pauline.houssel@bjn.aphp.fr).
Service d’hépatologie, Hôpital Beaujon, 100, boulevard du Général-Leclerc, 92110 Clichy, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Houssel P. Phosphatases alcalines. EMC - Traité de Médecine Akos 2012;7(4):1-5 [Article 1-1400].

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos/ Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

EMC - Traité de Médecine Akos 5


¶ 1-1420

Protéinurie : du symptôme au diagnostic


C. Bertoye, É. Daugas

La recherche et l’étude des protéinuries constituent un outil simple du dépistage et du diagnostic des
maladies rénales. Leur analyse est un contributeur essentiel du raisonnement diagnostique en
néphrologie. La très accessible détermination de leur composition et donc de leur origine (glomérulaire,
tubulaire ou autre) doit être intégrée aux autres données sémiologiques rénales pour une analyse
syndromique qui précise le diagnostic étiologique ou oriente les examens complémentaires nécessaires à
sa détermination. De plus, les protéinuries sont devenues un marqueur pronostique incontournable des
maladies rénales chroniques. Elles doivent faire l’objet d’une attention particulière pour leur suivi et
constituent même une cible obligatoire des interventions thérapeutiques. Enfin, les protéinuries font
actuellement l’objet d’une recherche clinique active qui a pour but de déterminer leur toxicité rénale
propre et ses mécanismes. L’enjeu est le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques des
maladies rénales fondées sur l’inhibition de tels mécanismes.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Protéinurie ; Protéinurie glomérulaire ; Protéinurie tubulaire ; Albuminurie ; Microalbuminurie

Plan Le diagnostic précoce des maladies rénales par l’estimation du


débit de filtration glomérulaire mais également par la détection
d’une protéinurie permet d’entreprendre précocement des
¶ Introduction 1
traitements efficaces. Ceux-ci réduisent les risques d’événements
¶ Protéinurie physiologique et physiopathologie des protéinuries 1 cardiovasculaires, d’insuffisance rénale terminale et de décès
¶ Techniques de détection 2 associés à la maladie rénale chronique [1].
¶ Confirmation de la protéinurie 2
¶ Protéinuries intermittentes
Protéinuries fonctionnelles
2
2
■ Protéinurie physiologique
Protéinurie idiopathique transitoire 3 et physiopathologie
¶ Modes d’analyse d’une protéinurie permanente
Analyse quantitative
3
3
des protéinuries
Analyse qualitative 3 Les reins sont constitués d’unités fonctionnelles, les
¶ Interprétation diagnostique d’une protéinurie permanente 3 néphrons, eux-mêmes constitués de glomérules et de tubules. À
Protéinuries prérénales ou protéinuries de surcharge 3 l’état physiologique, la barrière glomérulaire assure la séquestra-
Protéinuries hémodynamiques 3 tion plasmatique de la quasi-totalité des protéines de haut poids
Protéinuries glomérulaires 3 moléculaire. La filtration des protéines dépend de leur taille, de
Protéinuries tubulaires 4 leur charge électrique et de leur configuration stérique. Les
Combinatoire 5 protéines de poids moléculaire intermédiaire (albumine), peu
¶ Interprétation pronostique 5 filtrées, ont une concentration à environ 5 mg/l dans la capsule
Microalbuminurie 5 de Bowman [2] alors que les protéines de bas poids moléculaire
Protéinuries glomérulaires de débit élevé 5 (inférieur à 40 kDa) franchissent physiologiquement la barrière
glomérulaire [3]. L’urine primitive contient ainsi 2 à 3 g/l de
¶ Conclusion 5 protéines. La plupart de ces protéines filtrées sont réabsorbées
par un mécanisme d’endocytose et catabolisées par les cellules
tubulaires proximales. Un pour cent de ces protéines non
réabsorbées est retrouvé dans l’urine définitive et contribue à la
■ Introduction protéinurie physiologique. Son débit est inférieur à 150 mg/j, en
moyenne 80 mg/j dont moins de 30 mg/j d’albuminurie. Elle
La découverte d’une protéinurie chez un patient asymptoma- est composée de 60 % de protéines plasmatiques (protéines de
tique peut être la manifestation initiale d’une maladie rénale. La taille intermédiaire telles l’albumine et la transferrine, mais
recherche et le suivi d’une protéinurie permettent le diagnostic principalement des protéines de bas poids moléculaire : des
nosologique, l’évaluation du pronostic et de l’efficacité théra- chaînes légères d’immunoglobuline [Ig], de l’a2-microglobuline,
peutique d’une maladie rénale chronique, ainsi que l’apprécia- de la b2-microglobuline) et de 40 % de protéines d’origine
tion du risque cardiovasculaire. tubulaire rénale (protéine tubulaire de Tamm-Horsfall ou

Traité de Médecine Akos 1


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

uromoduline sécrétée par les cellules épithéliales de l’anse de cours du temps, il est préférable de mesurer la protéinurie sur
Henle, du tube contourné distal et du tube collecteur) ou un échantillon d’urine, de préférence sur les premières urines du
urogénitale (IgA sécrétoires de l’urètre, déchets protéolysés du matin [5] , et de rapporter la protéinurie à la créatininurie
tractus urogénital). Cette protéinurie physiologique n’est (résultat exprimé en mg/mmol de créatinine ou en g/g de
habituellement pas dépistée par les bandelettes urinaires. créatinine) [7, 8]. La mesure sur les premières urines du matin est
Sur ce « fond » de protéinurie physiologique peut s’installer privilégiée puisqu’elle est mieux corrélée à la protéinurie des
une anomalie à l’origine d’une protéinurie à la constitution de 24 heures. Si la mesure sur un échantillon des premières urines
laquelle quatre mécanismes non exclusifs peuvent concourir : du matin n’est pas possible, une mesure du ratio protéinurie ou
• la filtration de protéines de bas poids moléculaire en quantité albuminurie sur créatininurie sur un échantillon pris au hasard
anormale ; est cependant valable [5]. Chez les enfants, une protéinurie
.
• une augmentation de la perméabilité glomérulaire ; orthostatique doit être exclue par la mesure de la protéinurie sur
• un défaut de réabsorption tubulaire des protéines ; les premières urines du matin si la recherche initialement
• une augmentation de la synthèse tubulaire protéique. positive avait été mesurée sur un échantillon de la journée [5].
Une protéinurie supérieure à 150 mg/j est anormale chez
■ Techniques de détection l’adulte [9], ou 0,15 g de protéinurie/g de créatininurie. Toute-
fois, en 2009, la Société de néphrologie a adopté les définitions
La détection d’une protéinurie se fait par des bandelettes suivantes pour définir la protéinurie clinique :
imprégnées de bleu de tétrabromophénol (Albustix ® ou • un ratio albuminurie/créatininurie supérieur à 300 mg/g ou
Multistix®). Elles sont colorées en jaune puis en vert puis en 30 mg/mmol ;
bleu en présence de concentrations croissantes de protéines • un ratio protéinurie/créatininurie supérieur à 500 mg/g ou
chargées négativement comme l’albumine. Le résultat est évalué 50 mg/mmol ;
soit de manière visuelle, soit de manière automatisée, exprimé • ou une protéinurie des 24 heures supérieure à 0,5 g.
de zéro à quatre croix. Chez l’enfant, une protéinurie est définie chez le nouveau-né
Cette méthode très spécifique permet de détecter des protéi- (moins de 30 jours), le nourrisson (jusqu’à 12 mois), le jeune
nuries à partir de 100 mg/l (traces) à 300 mg/l (une croix). Un enfant (de 2 à 10 ans) comme étant supérieure à 145 mg/m2/j,
résultat à deux croix correspond à une protéinurie inférieure à 110 mg/m2/j et 85 mg/m2/j respectivement [9]. Certains utilisent
1 g/l, trois croix à une protéinurie inférieure à 3 g/l et quatre néanmoins la même définition de la protéinurie chez l’enfant
croix supérieure à 3 g/l [2, 4]. Toutefois, cette méthode donne que celle chez l’adulte, soit une protéinurie supérieure à
une appréciation trompeuse de la protéinurie en raison de sa 150 mg/j [4].
seule approximation de la concentration de la protéinurie et Les patients ayant une recherche de la protéinurie positive à
non du débit de la protéinurie. Les faux positifs sont possibles, deux reprises espacées de 1 à 2 semaines sont considérés comme
retrouvés en cas d’urines alcalines (pH > 8), trop concentrées ou ayant une protéinurie permanente par opposition aux protéinu-
contaminées (infection urinaire, hématurie, menstruation) [5]. ries intermittentes.
Elle est peu sensible [5] puisqu’elle ne permet pas de détecter les
maladies rénales à un stade débutant lorsque la protéinurie est
inférieure au seuil de détection, ou lorsque la protéinurie est
diluée par un état d’hyperhydratation. De plus, les bandelettes
détectent de manière plus sensible l’albumine et peuvent ne pas
“ À retenir
détecter les autres protéines, notamment les Ig ou les protéines
de bas poids moléculaire. Elles ne détectent pas non plus les Microalbuminurie et albuminurie
chaînes légères d’Ig chargées positivement. • La microalbuminurie est quantifiée par un dosage
Les bandelettes détectant spécifiquement l’albumine [6] ont immunologique spécifique et est définie par une excrétion
un seuil de détection à 30-40 mg/l et sont donc utilisables pour urinaire d’albumine comprise entre 30 et 300 mg/j (ou 30
la détection de la microalbuminurie. à 300 mg/g de créatininurie) contrairement à
On utilise, pour le dépistage des adultes à risque élevé de l’albuminurie définie par un ratio albuminurie sur
maladie rénale chronique ou des enfants pubères ayant un
créatininurie supérieur à 300 mg/g ou un débit supérieur à
diabète évoluant depuis 5 ans ou plus, une bandelette de
détection spécifique de l’albumine sur un échantillon d’urine, 300 mg/j.
l’albuminurie étant en effet un marqueur plus sensible que la • Les patients diabétiques doivent être dépistés une fois
protéinurie totale de la maladie rénale chronique secondaire au par an, dès le diagnostic du diabète de type 2 ou après
diabète, à l’hypertension artérielle (HTA) ou aux maladies 5 ans d’évolution du diabète de type 1, par la mesure
glomérulaires. Au contraire, chez l’enfant non diabétique ou du rapport microalbuminurie sur créatininurie sur
ayant un diabète à l’âge prépubère ou ayant un diabète à l’âge échantillon [10]. En cas de positivité, le dosage doit être
pubère mais évoluant depuis moins de 5 ans, on privilégie une répété à deux reprises sur échantillon à 3 et 6 mois en
détection de la protéinurie totale par une bandelette urinaire dehors de toute infection urinaire afin de confirmer
standard, qui détecte également l’albumine [5]. la présence d’une microalbuminurie ou d’une
Une détection positive (une croix ou plus) doit être confirmée
albuminurie [11].
par une mesure quantitative de la protéinurie dans un délai de
3 mois [5].

■ Confirmation de la protéinurie ■ Protéinuries intermittentes


On réalise un dosage de l’albuminurie ou de la protéinurie. Elles ne sont pas l’expression d’une maladie rénale.
La référence est le dosage de la protéinurie sur un recueil des
urines de 24 heures. Celui-ci étant rarement bien effectué, il est
nécessaire de vérifier qu’il est satisfaisant par le dosage de la
Protéinuries fonctionnelles
créatininurie qui doit être comprise entre 8 et 12 mmol/24 h Une protéinurie peut accompagner une perturbation hémo-
chez la femme et 10 à 16 mmol/24 h chez l’homme [5]. Si la dynamique transitoire. Il s’agit de protéinuries principalement
valeur de la créatininurie est inférieure aux seuils habituels, le composées d’albumine et de débit modéré, en règle < 1 g/j.
recueil est probablement incomplet. À l’inverse, si la créatininu- La protéinurie orthostatique survient chez 2 % à 20 % des
rie est supérieure à la limite habituelle, le recueil des urines a adolescents [12], représentant 60 % des protéinuries de l’enfant
probablement été réalisé sur plus de 24 heures. et 75 % des protéinuries de l’adolescent [13] . D’excellent
Afin de s’affranchir des incertitudes de recueil des urines de pronostic, elle disparaît à la fin de la puberté. Elle prédomine
24 heures et des variations d’excrétion intra-individuelle au chez les garçons âgés de plus de 10 ans [12] et disparaît en

2 Traité de Médecine Akos


Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420

clinostatisme (urines recueillies après 2 h de repos en décubitus rechercher une chaîne d’Ig monotypique. La recherche de
dorsal). Elle est en règle inférieure à 1 g/j et isolée (absence microalbuminurie est également une recherche spécifique et
d’antécédent néphrologique, d’HTA, d’insuffisance rénale et sensible utilisant un anticorps antialbumine (immunonéphélé-
d’anomalie du sédiment urinaire). La ponction-biopsie rénale métrie). De manière similaire, la mesure combinée des principa-
(non recommandée) est normale ou montre des altérations non les protéines informatives par leur quantité relative et leur poids
spécifiques [4] . Son mécanisme est controversé (anomalies moléculaire permet une analyse qualitative précise des protéi-
glomérulaires minimes, anomalies hémodynamiques par nuries : c’est le principe du profil protéique urinaire [15]. Même
obstruction de la veine rénale gauche entre l’aorte et l’artère s’il semble le plus fiable aujourd’hui, le profil protéique urinaire
mésentérique supérieure ou réponse exagérée du système reste coûteux et réservé à l’investigation de situations complexes
rénine-angiotensine) [13] . La mesure de la protéinurie chez en milieu spécialisé.
l’enfant doit donc idéalement être réalisée sur les premières
urines du matin [5].
Une protéinurie intermittente peut également être détectée au
■ Interprétation diagnostique
décours d’un effort prolongé, d’une fièvre élevée, d’une infec- d’une protéinurie permanente (Fig. 1)
tion urinaire, d’une polyglobulie ou d’une insuffisance ventri-
culaire droite [9]. Protéinuries prérénales ou protéinuries
de surcharge
Protéinurie idiopathique transitoire Elles résultent de la présence en excès dans le sérum d’une
Cette forme de protéinurie est très fréquemment retrouvée protéine de bas poids moléculaire qui est librement filtrée par les
chez l’enfant, l’adolescent ou l’adulte jeune [14]. Les patients glomérules. Les mécanismes de réabsorption tubulaire étant
sont asymptomatiques, la protéinurie étant découverte de saturés, cette protéine est détectée dans l’urine terminale. Il peut
manière fortuite à la médecine scolaire ou sportive, au cours du s’agir d’hémoglobine en cas d’hémolyse intravasculaire, de
service militaire ou lors d’une visite médicale d’embauche. Le myoglobine en cas de rhabdomyolyse, d’amylase lors d’une
sédiment urinaire est normal (absence de leucocyturie ou pancréatite aiguë, ou d’une chaîne légère monoclonale kappa ou
d’hématurie) et la protéinurie disparaît typiquement lors des lambda en cas de dysglobulinémie (myélome). Une lysozymurie
nouvelles mesures. Avant d’entamer une évaluation approfon- peut être détectée en cas de leucémie aiguë monocytaire ou
die, il est donc nécessaire de vérifier la persistance de la myélocytaire. Elles peuvent être de débit abondant (parfois
protéinurie. Il n’y a pas de risque à long terme, ce phénomène supérieur à 3 g/j ou 3 g/g de créatininurie) et donc constituer un
reflétant probablement une modification hémodynamique diagnostic différentiel des protéinuries glomérulaires. La distinc-
intrarénale [9]. tion est alors faite grâce à l’analyse qualitative qui révèle une
minorité d’albumine et une prédominance (en règle
> 90 %) de la protéine de faible poids moléculaire. D’un point de
■ Modes d’analyse vue pratique, c’est dans cette situation qu’il existe une dissocia-
tion entre le résultat des recherches de protéinurie à la bandelette
d’une protéinurie permanente urinaire et le dosage quantitatif. L’identification de la protéine
dite « de surcharge » peut être réalisée dans le sang ou dans
Analyse quantitative l’urine : myoglobinémie/myoglobinurie, hémoglobinémie/
hémoglobinurie ou encore chaînes kappa ou lambda d’Ig.
L’analyse quantitative d’une protéinurie est une première
Les protéinuries prérénales ne sont pas l’expression d’une
analyse pour approcher le type de la maladie rénale qu’elle
maladie rénale. Néanmoins, leur excès dans le tubule rénal peut
traduit. Lorsqu’elle est supérieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g de
être toxique pour celui-ci : les myoglobinuries ou les hémoglo-
créatininurie, le plus probable est qu’elle témoigne d’une
binuries des rhabdomyolyses ou des hémolyses, respectivement,
néphropathie glomérulaire. Cela doit être confirmé par l’analyse
peuvent être responsables d’une nécrose tubulaire aiguë ; les
qualitative en vérifiant qu’elle est composée d’une majorité
chaînes légères d’Ig au cours des myélomes peuvent être à
d’albumine (cf. infra). Toutefois, la réciproque est fausse : une
l’origine d’une tubulopathie aiguë myélomateuse (rein aigu
protéinurie inférieure à 1,5 g/j ou 1,5 g/g n’exclut pas une
myélomateux).
maladie glomérulaire et toutes les causes sont possibles :
néphropathie glomérulaire, néphropathie tubulaire et/ou Protéinuries hémodynamiques
interstitielle ou encore une protéinurie de surcharge. L’analyse
quantitative n’est donc qu’insuffisamment informative et doit Elles sont observées en cas de pérennisation d’une situation
toujours être complétée par une analyse qualitative. clinique à l’origine d’une protéinurie intermittente fonction-
nelle (cf. supra). Elles sont principalement composées d’albu-
mine, aussi peuvent-elles en imposer pour une néphropathie
Analyse qualitative glomérulaire. C’est donc la confrontation clinique qui permet le
C’est l’analyse de la composition de la protéinurie. L’électro- diagnostic. Là encore, même s’il n’existe pas de maladie rénale
phorèse des protéines urinaires, réalisée en acétate de cellulose à l’origine de ce type de protéinurie, on ne peut exclure que la
au sodium dodecyl sulfate polyacrylamide gel electrophoresis (SDS- prolongation d’une telle situation puisse être à l’origine
PAGE), permet une analyse qualitative de la protéinurie pour en d’authentiques lésions rénales.
préciser les mécanismes (filtration de protéines de bas poids
moléculaire en quantité anormale, augmentation de la perméa- Protéinuries glomérulaires
bilité glomérulaire, défaut de réabsorption tubulaire des protéi-
nes, augmentation de la synthèse tubulaire protéique) [9]. Microalbuminurie (cf. supra)
L’électrophorèse permet de différencier les protéinuries La microalbuminurie n’est pas la conséquence de lésions
tubulaires, glomérulaires (qui contiennent essentiellement de histologiques, même en microscopie électronique. Elle témoigne
l’albumine) sélectives ou non sélectives et les protéinuries de d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et corres-
surcharge (chaînes légères monoclonales des dysglobulinémies, pond à un stade précoce et encore réversible de la néphropathie
hémoglobine, myoglobine...). L’électrophorèse des protéines diabétique au cours du diabète de type 1. Dans d’autres situa-
urinaires est cependant techniquement imparfaite et produit tions, et particulièrement au cours du diabète de type 2, sa
parfois des résultats erronés, surtout lorsque la concentration présence est associée au risque cardiovasculaire.
des protéines étudiées est faible. Pour y palier, il existe des
dosages spécifiques des principales protéines pouvant entrer Protéinuries glomérulaires
dans la composition des protéinuries. Ces techniques utilisent Elles sont de débit variable, mais une protéinurie supérieure
des anticorps spécifiques. Par exemple, l’immunoélectrophorèse à 1,5 g/24 h suggère une origine glomérulaire. Elles sont
des protéines urinaires ou l’immunofixation permettent de composées essentiellement d’albumine (> 60 %).

Traité de Médecine Akos 3


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

Bandelette urinaire +

Faux positifs : Dosage quantitatif Faux négatifs :


- urines concentrées Protéinurie/créatininurie - chaînes légères d'immunoglobuline
- urines alcalinisées ou albuminurie/créatininurie - urines diluées
- infection urinaire sur échantillon
- hématurie

Protéinurie orthostatique Protéinurie permanente : Protéinurie intermittente


- EPU - fièvre
- analyse du sédiment urinaire - effort prolongé
- créatinine, glycémie, ionogramme - insuffisance cardiaque droite
sanguin, EPP - polyglobulie
- échographie rénale - infection urinaire

Protéinurie prérénale : présence Protéinurie tubulaire : Protéinurie glomérulaire :


d'une protéine de bas poids albumine < 50 % à l'EPU albumine > 60 % à l'EPU
moléculaire en quantité anormale
à l'EPU (chaîne légère
monoclonale, myoglobine,
hémoglobine) Protéinurie sélective : Protéinurie non sélective :
albumine > 80 % albumine < 80 % à l'EPU
à l'EPU

En faveur d'une Toutes les néphropathies


néphropathie à lésions glomérulaires
glomérulaires minimes

Figure 1. Arbre décisionnel. Stratégie diagnostique d’une protéinurie. EPU : électrophorèse des protéines urinaires ; EPP : électrophorèse des protéines
plasmatiques.

Elles sont la conséquence de lésions de la barrière gloméru- à d’autres anomalies (une HTA, une hématurie, une insuffisance
laire : de l’endothélium et/ou de la membrane basale gloméru- rénale) et de caractériser le type de syndrome glomérulaire
laire et/ou des podocytes. Une protéinurie glomérulaire résulte auquel elle s’intègre :
d’une augmentation de la perméabilité glomérulaire et de la • syndrome néphrotique caractérisé par une protéinurie supé-
saturation des mécanismes de réabsorption tubulaire. Leur rieure à 3 g/24 h et une hypoalbuminémie inférieure à
composition dépend de l’importance des lésions glomérulaires : 30 g/l :
soit les lésions sont moindres et l’augmentation de perméabilité C pur (absence d’HTA, d’insuffisance rénale, d’hématurie),
concerne essentiellement l’albumine qui est alors très majori- C impur ;
taire (> 80 % d’albumine) et la protéinurie est dite « sélective », • syndrome néphritique, caractérisé par un début brutal, une
soit les lésions sont importantes et l’augmentation de perméa- HTA sévère, une protéinurie, une hématurie, une insuffisance
bilité concerne également des protéines plus grosses qui rénale aiguë modérée, rapidement résolutive ;
accompagnent alors l’albumine qui reste cependant majoritaire • syndrome de glomérulonéphrite rapidement progressive,
(protéinuries glomérulaires non sélectives). caractérisé par une insuffisance rénale aiguë rapidement
Protéinurie glomérulaire sélective évolutive, une hématurie, une protéinurie glomérulaire
d’abondance variable ;
Une protéinurie est dite « sélective » lorsqu’elle contient au • un tableau de glomérulonéphrite chronique avec une insuffi-
moins 80 % d’albumine (67 kDa). C’est une caractéristique, non sance rénale chronique, une protéinurie, voire une hématurie
spécifique, de la protéinurie du syndrome néphrotique secon- ou encore une HTA.
daire à des lésions glomérulaires minimes. La sélectivité peut L’intégration de cette analyse syndromique à d’éventuelles
également être établie sur la comparaison de la clairance des anomalies systémiques permet d’émettre des hypothèses dia-
IgG (150 kDa) et celle de la transferrine (76 kDa). Un rapport gnostiques à étayer ou infirmer par des examens complémen-
clairance IgG/clairance transferrine (soit [concentration urinaire taires ciblés : dosage sérique des protéines du complément,
IgG × concentration sanguine transferrine]/[concentration recherche d’autoanticorps, recherche d’une Ig monoclonale,
sanguine IgG × concentration urinaire transferrine]) inférieure à sérologies virales... et éventuellement une biopsie rénale.
0,10 traduit une protéinurie sélective [3, 16].
Protéinurie glomérulaire non sélective Protéinuries tubulaires
Une protéinurie glomérulaire est dite « non sélective » Les protéines plasmatiques de bas poids moléculaire sont
lorsqu’elle est composée de moins de 80 % d’albumine, associée physiologiquement filtrées par les glomérules et réabsorbées par
à toutes les classes d’Ig du sérum. Un ratio clairance les cellules tubulaires proximales. En cas d’atteinte tubulaire, on
IgG/clairance transferrine supérieur à 0,2 traduit également une peut identifier une protéinurie de l’ordre de 1 g/24 h, rarement
protéinurie non sélective [3, 16]. En pratique, toutes les néphro- supérieure à 2 g/24 h, secondaire à l’abolition de la réabsorption
pathies glomérulaires primitives ou secondaires peuvent donner proximale des protéines. Cette protéinurie tubulaire est consti-
ce type de protéinurie. tuée principalement de b2-microglobuline (12 kDa), de lyso-
Pour son interprétation diagnostique, il est nécessaire de zyme (15 kDa), de retinol binding-protein et de chaînes légères
déterminer si la protéinurie glomérulaire est isolée ou associée d’Ig (en faible quantité) ; l’albumine représente au maximum

4 Traité de Médecine Akos


Protéinurie : du symptôme au diagnostic ¶ 1-1420

50 % de la protéinurie (sa présence provient de sa minime corrélée au niveau de protéinurie [22] et à la présence de lésions
filtration glomérulaire physiologique et de l’absence de tubulo-interstitielles qu’aux lésions glomérulaires [16]. L’albumi-
réabsorption tubulaire). Les protéinuries tubulaires ne sont pas nurie est un marqueur d’évolution de la maladie rénale chroni-
ou mal détectées par la bandelette urinaire mais quantifiables que et un facteur de risque de morbidité et de mortalité
par les techniques biochimiques habituelles ; elles sont visibles cardiovasculaire en cas de diabète [11] mais également en
à l’électrophorèse des protéines urinaires avec les caractéristiques absence de diabète [1, 23, 24]. L’évaluation du rapport
évoquées ci-dessus. albuminurie/créatininurie est un meilleur marqueur de maladie
Les protéinuries tubulaires sont rarement isolées et fréquem- rénale chronique que l’évaluation de la fonction rénale chez le
ment accompagnées d’autres anomalies des fonctions tubulaires jeune adulte [1] . De même, ce rapport identifie mieux les
(par exemple, un syndrome de Fanconi), d’une protéinurie dite patients à risque d’insuffisance rénale chronique rapidement
« de surcharge » ou prérénale, d’anomalies consécutives à une évolutive [24].
atteinte interstitielle associée (leucocyturie, voire hématurie),
De plus, l’excrétion urinaire de protéines de haut poids
voire même d’anomalies glomérulaires dont une protéinurie. En
moléculaire (IgG et IgM), donc les protéinuries glomérulaires
effet, les protéinuries tubulaires témoignent d’une tubulopathie
non sélectives, est corrélée à la sévérité des lésions histologiques
qui peut être isolée, ou accompagner une néphrite interstitielle,
une néphropathie glomérulaire, ou encore une protéinurie de et permet de prédire une évolution naturelle et une réponse au
surcharge à l’origine de la tubulopathie. Donc, comme pour traitement plus médiocres [3, 16].
l’analyse des protéinuries glomérulaires, c’est l’association à Il est établi par ailleurs que les altérations tubulo-interstitielles
d’autres anomalies rénales et systémiques qui permet son participent à la dégradation du tissu rénal et à la sévérité
diagnostic étiologique. clinique des maladies rénales chroniques. De fait, il n’est pas
étonnant de constater que l’adjonction d’une protéinurie
tubulaire, symptomatique de telles altérations au cours d’une
Combinatoire glomérulopathie, est prédictive d’une évolution naturelle plus
Comme évoqué ci-dessus, une maladie glomérulaire peut être péjorative avec moindre réponse au traitement [3].
associée à des lésions ou une néphropathie interstitielle ou On pourrait donc considérer une classification des protéinu-
vasculaire. De même, une situation clinique occasionnant une ries glomérulaires selon leur sévérité croissante :
protéinurie de surcharge permanente peut être compliquée • microalbuminuries ;
d’une tubulopathie, voire même d’une glomérulopathie (par • albuminuries > 0,5 g/g de créatininurie avec une sévérité
exemple, une maladie à dépôts glomérulaires de chaînes légères proportionnelle à leur importance ;
d’Ig et une tubulopathie myélomateuse compliquant un myé- • protéinuries glomérulaires non sélectives avec une sévérité
lome à chaîne légère). Ces situations complexes sont traduites proportionnelle à leur débit ;
par des protéinuries complexes qui sont une association des • protéinuries mixtes, glomérulaires de débit élevé + protéinu-
situations simples présentées ci-dessus. Il est parfois difficile d’en ries tubulaires.
faire une analyse précise. Là, une mesure combinée des princi- Que ces protéinuries soient un marqueur et un acteur ou
pales protéines informatives par leur quantité relative et leur seulement un marqueur de la progression des maladies rénales,
poids moléculaire (profil protéique urinaire) peut être il est indiscutable que leur réduction est un objectif essentiel de
justifiée [15]. la néphroprotection puisqu’elle limite l’aggravation de l’insuffi-
sance rénale [25]. Un traitement bloqueur du système rénine-
angiotensine doit être proposé à un patient, diabétique ou non,
■ Interprétation pronostique . ayant une albuminurie même en absence d’HTA [1, 11]. L’objectif
doit être une réduction à moins de 0,5 g/g de créatininurie,
voire la disparition de la microalbuminurie chez les diabétiques.
Microalbuminurie Remarque : les protéinuries tubulaires isolées ont une valeur
La définition de la microalbuminurie chez le diabétique avait pronostique moins étudiée mais elles sont probablement moins
historiquement un intérêt clinique, puisque les patients avec péjoratives, comme en témoigne le bon pronostic usuel des
une macroalbuminurie avaient une baisse progressive de leur néphropathies interstitielles chroniques lorsque leur cause est
débit de filtration glomérulaire associée à une HTA, contraire- éradiquée.
ment aux patients ayant une microalbuminurie, considérés
comme ayant une fonction rénale stable mais à risque de
développer une macroalbuminurie et une insuffisance
rénale [17]. Ce concept a été remis en cause par de nouvelles ■ Conclusion
études qui ont montré une possible régression spontanée de la
La détection et l’analyse des protéinuries constituent donc un
microalbuminurie, une proportion moins importante de
outil simple et peu coûteux du dépistage précoce des maladies
patients évoluant de la microalbuminurie vers la macroalbumi-
nurie ou au contraire la présence de modifications structurales rénales, de leur évaluation étiologique, de leur évaluation
rénales importantes en cas de microalbuminurie évoquant le fait pronostique et enfin de leur thérapeutique. De plus, les protéi-
que la microalbuminurie est un marqueur plutôt qu’un facteur nuries constituent une cible prometteuse de la recherche
de risque de néphropathie diabétique [18, 19] . Toutefois, la clinique, avec comme objectif ultime le développement de
microalbuminurie est un facteur de risque indépendant d’insuf- nouvelles stratégies de prévention et du traitement de l’insuffi-
fisance rénale chronique et de la morbimortalité cardiovascu- sance rénale.
laire chez le diabétique [17, 20]. Également chez le non- .

diabétique, elle est un marqueur indépendant du risque


cardiovasculaire [21]. ■ Références
Un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion ou [1] James MT, Hemmelgarn BR, Tonelli M. Early recognition and
antagonistes du récepteur de l’angiotensine 2 doit être proposé prevention of chronic kidney disease. Lancet 2010;375:1296-309.
à un patient diabétique ayant une microalbuminurie, même en [2] Fauvel JP, Laville M. Proteinuria. Nephrol Ther 2006;2:32-40.
absence d’HTA, pour éviter l’aggravation vers une albuminurie [3] D’Amico G, Bazzi C. Pathophysiology of proteinuria. Kidney Int 2003;
plus importante et contenir le risque cardiovasculaire [11]. 63:809-25.
[4] Bergstein JM. A practical approach to proteinuria. Pediatr Nephrol
Protéinuries glomérulaires de débit élevé 1999;13:697-700.
[5] K/DOQI clinical practice guidelines for chronic kidney disease:
Au cours des maladies rénales, quelle(s) que soi(en)t leur(s) evaluation, classification, and stratification. Am. J. Kidney Dis. 2002;
cause(s), la progression de l’insuffisance rénale est mieux 39(2suppl1):S1–266.

Traité de Médecine Akos 5


1-1420 ¶ Protéinurie : du symptôme au diagnostic

[6] Gerber LM, Johnston K, Alderman MH. Assessment of a new dipstick [16] Bazzi C, Petrini C, Rizza V, Arrigo G, D’Amico G. A modern approach
test in screening for microalbuminuria in patients with hypertension. to selectivity of proteinuria and tubulointerstitial damage in nephrotic
Am J Hypertens 1998;11(11Pt1):1321-7. syndrome. Kidney Int 2000;58:1732-41.
[7] Chu NF, Ferng SH, Shieh SD, Fan CD, Shyh TP, Chu PL. Assessment [17] Mathiesen ER, Ronn B, Storm B, Foght H, Deckert T. The natural
of proteinuria by using the protein/creatinine ratio of single-voided course of microalbuminuria in insulin-dependent diabetes: a 10-year
urine. J Formos Med Assoc 1990;89:657-60. prospective study. Diabet Med 1995;12:482-7.
[8] Price CP, Newall RG, Boyd JC. Use of protein: creatinine ratio [18] Perkins BA, Ficociello LH, Silva KH, Finkelstein DM, Warram JH,
measurements on random urine samples for prediction of significant Krolewski AS. Regression of microalbuminuria in type 1 diabetes. N
proteinuria: a systematic review. Clin Chem 2005;51:1577-86. Engl J Med 2003;348:2285-93.
[9] Wingo CS, Clapp WL. Proteinuria: potential causes and approach to [19] Caramori ML, Fioretto P, Mauer M. The need for early predictors of
evaluation. Am J Med Sci 2000;320:188-94. diabetic nephropathy risk: is albumin excretion rate sufficient?
[10] Ng WY, Lui KF, Thai AC. Evaluation of a rapid screening test for Diabetes 2000;49:1399-408.
microalbuminuria with a spot measurement of urine albumin-creatinine [20] Dinneen SF, Gerstein HC. The association of microalbuminuria and
ratio. Ann Acad Med Singapore 2000;29:62-5. mortality in non-insulin-dependent diabetes mellitus. A systematic
[11] KDOQI Clinical Practice Guidelines and Clinical Practice overview of the literature. Arch Intern Med 1997;157:1413-8.
Recommendations for Diabetes and Chronic Kidney Disease. Am [21] de Zeeuw D, Parving HH, Henning RH. Microalbuminuria as an early
J Kidney Dis 2007;49(2suppl2):S12-S154. marker for cardiovascular disease. J Am Soc Nephrol 2006;17:2100-5.
[12] Brandt JR, Jacobs A, Raissy HH, Kelly FM, Staples AO, Kaufman E, [22] Abbate M, Zoja C, Remuzzi G. How does proteinuria cause progressive
et al. Orthostatic proteinuria and the spectrum of diurnal variability of renal damage? J Am Soc Nephrol 2006;17:2974-84.
urinary protein excretion in healthy children. Pediatr Nephrol 2010;25: [23] Wachtell K, Ibsen H, Olsen MH, Borch-Johnsen K, Lindholm LH,
1131-7. Mogensen CE, et al. Albuminuria and cardiovascular risk in
[13] Devarajan P. Mechanisms of orthostatic proteinuria: lessons from a hypertensive patients with left ventricular hypertrophy: the LIFE study.
transplant donor. J Am Soc Nephrol 1993;4:36-9. Ann Intern Med 2003;139:901-6.
[14] Dodge WF, West EF, Smith EH, Bruce 3rd H. Proteinuria and hematuria [24] Halbesma N, Kuiken DS, Brantsma AH, Bakker SJ, Wetzels JF, De
in schoolchildren: epidemiology and early natural history. J Pediatr Zeeuw D, et al. Macroalbuminuria is a better risk marker than low
1976;88:327-47. estimated GFR to identify individuals at risk for accelerated GFR loss
[15] Maachi M, Fellahi S, Regeniter A, Diop ME, Capeau J, Rossert J, et al. in population screening. J Am Soc Nephrol 2006;17:2582-90.
Patterns of proteinuria: urinary sodium dodecyl sulfate electrophoresis [25] Kshirsagar AV, Joy MS, Hogan SL, Falk RJ, Colindres RE. Effect of
versus immunonephelometric protein marker measurement followed ACE inhibitors in diabetic and nondiabetic chronic renal disease: a
by interpretation with the knowledge-based system MDI-LabLink. Clin systematic overview of randomized placebo-controlled trials. Am
Chem 2004;50:1834-7. J Kidney Dis 2000;35:695-707.

C. Bertoye.
É. Daugas (eric.daugas@bch.aphp.fr).
Inserm U699, Université Paris 7, Service de néphrologie, Hôpital Bichat, 46, rue Henri-Huchard, 75877 Paris cedex 18, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bertoye C., Daugas É. Protéinurie : du symptôme au diagnostic. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Traité
de Médecine Akos, 1-1420, 2011.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto- Cas
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations clinique

6 Traité de Médecine Akos


1-1450

1-1450
AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine

Vitesse de sédimentation élevée

J Cosserat

L a vitesse de sédimentation est un paramètre qui ne s’interprète jamais de façon isolée, mais avec les données
de l’examen clinique, du dosage des protéines de l’inflammation et de l’électrophorèse des protides sanguins.
On définit ainsi plusieurs situations biologiques associées au contexte clinique : présence d’un syndrome
inflammatoire, hypergammaglobulinémie isolée, présence d’une gammapathie monoclonale. C’est en fonction de
cette classification que se dessine l’orientation diagnostique.
© Elsevier, Paris.


une interprétation. Le contexte clinique est l’électrophorèse des protides sanguins et, à un
Introduction fondamental, car en dépit du faible coût de sa moindre degré, l’hémogramme et la numération
mesure, la mauvaise sensibilité de ce paramètre en plaquettaire. La connaissance de la physiopatho-
Face à une élévation de la vitesse de fait un médiocre examen de dépistage. Les données logie de la sédimentation globulaire permet de
sédimentation (VS), le clinicien doit disposer de biologiques complémentaires nécessaires sont avant comprendre et d’interpréter les variations de la VS
plusieurs éléments indispensables pour en donner tout le dosage des protéines de l’inflammation et (fig 1).

Élévation physiologique Orientation diagnostique âge en années pour les hommes


âge, sexe féminin, grossesse devant une VS élevée Si VS > 2
âge en années + 10 pour les femmes
2
VS « faussement normale »
Hémoglobinopathies
Anémies hémolytiques
Hypofibrinogénémie
Polyglobulies
Cryoglobulinémies Protéines de l'inflammation
CIVD Électrophorèse des protides
Fortes hyperleucocytoses
Hyperviscosité
Corticoïdes

Syndrome inflammatoire Hypergammaglobulinémie Gammapathie Autres


CRP, orosomucoïde, polyclonale isolée monoclonale
fibrine, haptoglobine

Anémie < 8 g/dL


Infections Myélome Insuffisance rénale chronique
Parasitoses Waldenström Dyslipidémies
Hépatopathies aiguës et chroniques Hémopathies Obésité
Infections Lupus Gammapathies Héparine
Cancers solides Gougerot-Sjögren monoclonales bénignes Œstroprogestatifs
Hémopathies Sarcoïdose Solutés macromoléculaires
Maladies inflammatoires Hémopathies
Médicaments (paracétamol, Médicaments (antiépileptiques,
β-bloqueurs, immunosuppresseurs,
D-pénicillamine, antibiotiques)
amiodarone Cryoglobulinémie mixte
cytotoxiques
© Elsevier, Paris

Néphropathies
méthyldopa...)

1 Orientation diagnostique devant une vitesse de sédimentation élevée.


VS : vitesse de sédimentation ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée ; CRP : protéine C-réactive.

1
1-1450 - Vitesse de sédimentation élevée

lorsqu’il est intense ou prolongé. Les pathologies


L’analyse de ces paramètres apportera les réponses aux questions suivantes : génératrices de syndromes inflammatoires
✔ l’élévation de la VS fait-elle partie d’un syndrome inflammatoire biologique, et persistants sont avant tout infectieuses, tumorales,
quelles en sont alors les grandes causes ? ou dites systémiques (maladie de Horton, lupus
✔ en l’absence de syndrome inflammatoire, existe-t-il une anomalie des érythémateux systémique, polyarthrite rhumatoïde,
immunoglobulines (Ig) (hypergammaglobulinémie polyclonale ou gammapathie périartérite noueuse) [1]. Les diagnostics les plus
monoclonale) expliquant cette élévation ? urgents sont d’une part les maladies infectieuses,
✔ quelles peuvent être les autres situations au cours desquelles la VS est élevée ? dont l’endocardite et la tuberculose, d’autre part la
✔ l’importance de l’élévation de la VS est-elle un indice de gravité ? maladie de Horton, en raison de son risque de
✔ la mesure de la VS peut-elle servir d’examen de dépistage ? survenue d’une cécité.
✔ peut-on faire le diagnostic de pathologies inflammatoires ou de fièvres prolongées La recherche d’une cause infectieuse doit être
avec une VS normale ? rigoureuse, car cette origine est en cause dans plus
de 50 à 70 % des cas. La biopsie de l’artère
temporale doit être systématique après 65 ans, en


et, à un moindre degré, de l’interleukine 1. Ces raison des risques évolutifs majeurs de la maladie de
Vitesse de sédimentation protéines sont très nombreuses, mais celles qui sont Horton. La découverte d’une tumeur maligne au
utilisées en pratique courante sont les suivantes : cours d’un syndrome inflammatoire inexpliqué est
La sédimentation des hématies dépend de leur – l’orosomucoïde ; une éventualité rare, en l’absence de signes
capacité d’agrégation et de formation de rouleaux, – l’haptoglobine ; évocateurs (altération de l’état général, symptômes
dont la chute est plus rapide que celle des particules – le fibrinogène ; d’orientation en faveur d’une atteinte d’un organe).
isolées. L’agrégation est liée aux caractéristiques des – la CRP. Les pathologies dont l’expression infraclinique est
globules rouges, à la viscosité du plasma et aux L’ordre de grandeur de la multiplication de leur telle sont le plus souvent des hémopathies
forces de cisaillement, ainsi qu’aux forces taux est de deux à quatre pour les trois premières, et (lymphomes hodgkiniens et non hodgkiniens), les
électrostatiques des macromolécules qui neutralisent de plusieurs dizaines pour la dernière. Le pic survient dysmyélopoïèses et le cancer du rein. Il n’est pas
les charges négatives répulsives de surface du entre 24 et 48 heures pour celle-ci, alors qu’il est de 2 nécessaire d’entreprendre d’explorations
globule. La variation de chacun de ces paramètres à 5 jours pour les autres. Ceci explique l’importance exhaustives en l’absence de point d’appel clinique.
au cours des situations cliniques influence la VS. Son de la surveillance de la CRP au cours des pathologies Les deux tiers des syndromes inflammatoires
élévation est liée à l’augmentation des protéines de infectieuses, et celles des autres protéines citées au cliniques régressent en effet spontanément en 3 à 6
l’inflammation ou des immunoglobulines dans le cours des maladies subaiguës ou chroniques. Au mois.
plasma. Le fibrinogène influence fortement la VS en décours d’un épisode aigu, la CRP se normalise en Au cours des syndromes inflammatoires
raison du caractère asymétrique de sa molécule, au moins de 10 jours, alors que la VS peut ne revenir à persistants, il faut évaluer soigneusement certaines
contraire de la protéine C-réactive (CRP) qui n’a pas sa mesure normale qu’en 3 à 6 semaines. données de l’interrogatoire, en précisant bien sûr les
d’action sur l’agrégation globulaire aux Dans certaines circonstances, la concentration des antécédents familiaux et personnels, l’origine
concentrations physiologiques. La mesure de la VS protéines de l’inflammation peut être modifiée ethnique, le mode de vie, la présence d’animaux
se fait dans un tube millimétré, avec du sang indépendamment d’une agression. Il s’agit dans l’entourage immédiat ou professionnel, les
anticoagulé. De nombreux paramètres influencent le essentiellement du syndrome néphrotique, au cours voyages récents et en consignant soigneusement les
résultat (température de la pièce, diamètre du tube, duquel leur synthèse hépatique est stimulée en prises médicamenteuses. Les médicaments
qualité de l’anticoagulation, présence de vibrations, raison de l’hypoalbuminémie massive, et de susceptibles d’entraîner un syndrome inflammatoire
verticalité du tube...) et sont donc source de l’insuffisance hépatocellulaire qui diminue la sont essentiellement les suivants : antibiotiques,
variations potentielles. synthèse de l’ensemble des protéines. Il existe, par antifongiques, vaccins, cytotoxiques, antiépilep-
Sa valeur normale est donnée par la formule de ailleurs, une diminution du taux d’haptoglobine tiques, anti-arythmiques, méthyldopa, cordarone,
Miller : sérique au cours des hémolyses et une baisse du d-pénicillamine, inhibiteur de l’enzyme de
– VS = âge (en années)/2 chez l’homme ; fibrinogène au cours des traitements par les conversion de l’angiotensine, méthysergide,
– VS = (âge [en années] + 10)/2 chez la femme. corticoïdes. sulindac, paracétamol, allopurinol, bromocriptine, et
Seule la mesure à la première heure est à En fonction des pathologies concernées, certaines bêtabloquants [4].
considérer, la seconde n’ayant pas d’intérêt en protéines ont une valeur diagnostique particulière.
Le dosage de l’haptoglobine semble être un


pratique.
Les causes d’élévation physiologique de la VS paramètre plus sensible pour la surveillance
évolutive de la maladie de Horton. Au cours du lupus
Électrophorèse des protéines
sont le sexe féminin, l’âge et la grossesse (au cours
des deux derniers trimestres et 1 mois après érythémateux systémique, il est classique d’attribuer
l’accouchement). La température corporelle une élévation franche de la concentration de CRP à Il s’agit d’un examen simple et rapide dont
n’influence pas la VS, tout comme la prise d’aspirine la survenue d’une complication infectieuse, celle-ci l’intérêt essentiel est le dépistage des hypergamma-
ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens. Il est restant minime au cours des poussées de la malade. globulinémies polyclonales (avec parfois
préférable d’effectuer la mesure à jeun. Il faut enfin savoir que le taux plasmatique des hyperbêtaglobulinémie) ou monoclonales IgG, IgM
protéines de l’inflammation s’élève avec l’âge, et IgA. L’élévation du taux d’IgD ou E est souvent
comme la VS. insuffisante pour se traduire par un pic dans la zone


Protéines de l’inflammation des gammaglobulines, où migrent habituellement
les immunoglobulines. L’hypergammaglobulinémie

Elles regroupent les protéines dont la


concentration plasmatique augmente d’au moins
25 % dans les premiers jours de la réaction

Syndrome inflammatoire

Le syndrome inflammatoire biologique désigne


polyclonale est le témoin de la réaction immunitaire
humorale face à une agression. La migration des
protéines de l’inflammation d’usage courant sont en
alpha-1 pour l’orosomucoïde, en alpha-2 pour
inflammatoire, défense non spécifique de les anomalies biologiques accompagnant la réaction l’haptoglobine, en bêtagamma pour le fibrinogène
l’organisme aux agressions. Les deux sources de inflammatoire. Il comporte une élévation de la VS et et en gamma pour la CRP (cf chapitre
synthèse prédominantes sont l’hépatocyte et le des protéines de l’inflammation, ainsi qu’une « Électrophorèse des protéines du sang », fascicule
macrophage, sous contrôle direct de l’interleukine 6 anémie parfois sévère et une thrombocytose 1-1198). Les principales causes d’élévation

2
Vitesse de sédimentation élevée - 1-1450

polyclonale des immunoglobulines sont, en (notamment respiratoire et urinaire), dans 25 % des clinique est négatif, la découverte d’une élévation de
particulier, les infections virales aiguës cas d’une maladie tumorale, et dans les 25 % la VS n’est le témoin d’une affection préoccupante
(cytomégalovirus et virus d’Epstein-Barr), les restants d’une affection inflammatoire, en particulier que chez deux patients sur 1 000. En revanche, chez
infections parasitaires (paludisme, toxoplasmose, une maladie de Horton. des patients pour lesquels il existe une forte
trypanosomiase), les mycoses viscérales, les suspicion de pathologie inflammatoire (prévalence
hépatopathies aiguës et chroniques, les estimée entre 20 et 50 %), les paramètres du test
cryoglobulinémies mixtes, la sarcoïdose et le
syndrome de Gougerot-Sjögren. Au cours des
hépatopathies chroniques, l’augmentation des Ig
porte sur les IgA pour la cirrhose éthylique, les IgM

VS normale et pathologies
organiques

La VS peut être normale au cours d’un certain


s’améliorent. Pour une VS supérieure à 30, la valeur
prédictive positive passe alors à 89 %, soit quatre
diagnostics significatifs pour cinq patients testés [3].

pour la cirrhose biliaire primitive et les IgG pour les nombre d’affections organiques fébriles ou non [2]. Il
hépatites chroniques actives. La glomérulonéphrite à
dépôts mésangiaux d’IgA ou maladie de Berger,
s’accompagne, près d’une fois sur deux, d’une
élévation des IgA sériques. Certains médicaments,
faut alors adopter une démarche diagnostique
rigoureuse avant d’évoquer les hypothèses plus
rares. Il peut s’agir d’un simple retard de l’élévation
des protéines de l’inflammation, de l’existence d’une

La VS est-elle un indice
de gravité ?

L’élévation de la VS correspond à plusieurs


notamment les antiépileptiques, les antibiotiques et CIVD effondrant le fibrinogène, ou d’une hémolyse situations cliniques dont certaines sont aiguës
les immunosuppresseurs peuvent induire une abaissant l’haptoglobine. On recherchera aussi des (infection, maladies inflammatoires diagnostiquées
hypergammaglobulinémie. La découverte d’une anomalies de la morphologie globulaire, telle qu’une puis traitées) ou chroniques (hypergammaglobuli-
immunoglobuline monoclonale fait évoquer les anisocytose, une poïkilocytose, une microcytose némie des hépatopathies chroniques ou du
diagnostics de myélome, de maladie de (alors que la macrocytose augmente la VS). Les syndrome de Gougerot-Sjögren). Elle n’est pas le
Waldenström, de gammapathie monoclonale polyglobulies et les hémoglobinopathies sont aussi reflet de la gravité ou de l’intensité de l’affection,
satellite, de leucémie lymphoïde chronique ou de responsables d’une absence d’élévation de la VS, comme en témoignent les VS normales au cours des
lymphome B, ou encore de signification tout comme les facteurs à l’origine d’une maladies tumorales métastatiques ou des infections
indéterminée, dont la surveillance sera régulière. hyperviscosité (taux élevé de paraprotéine virales sévères. La surveillance itérative de la VS
monoclonale, grande hyperleucocytose, perfusion constitue, en revanche, un témoin évolutif de la


Autres situations

Les autres contextes au cours desquels la VS peut


de soluté hypertonique). Certaines maladies peuvent
évoluer classiquement avec une VS normale, en
particulier la tuberculose, la toxoplasmose, la
typhoïde, la brucellose, la rickettsiose, la
guérison sous traitement ou spontanée. La lenteur
de sa normalisation (2 à 6 semaines) fait que sa
mesure est généralement couplée à celle d’une
protéine de l’inflammation (CRP pour les pathologies
s’élever sont les anémies (elle peut atteindre 40 à leishmaniose, les oreillons, la mononucléose infectieuses, haptoglobine au cours des pathologies
50 mm à la première heure lorsque l’hémoglobi- infectieuse, la rubéole... Certaines fièvres sont enfin inflammatoires, dont la maladie de Horton), dont la
némie est inférieure à 8 g/dL), l’obésité, les de mécanisme non inflammatoire, telles les fièvres cinétique est plus rapide. Au cours de la
dyslipidémies, l’insuffisance rénale chronique, les endocriniennes (hyperthyroïdie et phéochromocy- corticothérapie, la diminution du fibrinogène induite
œstroprogestatifs, l’héparine, les solutés tome), la nutrition parentérale totale, les troubles de par le traitement se traduit parfois par une baisse de
macromoléculaires, la grossesse à partir du la régulation thermique, les hyperthermies la VS, alors que les autres protéines de
deuxième trimestre et 3 mois après l’accouchement. médicamenteuses, les dysautonomies familiales, la l’inflammation restent élevées, témoins d’un
Dans l’ensemble de ces situations, l’élévation reste déshydratation intracellulaire et les tumeurs contrôle insuffisant du processus pathologique.
modérée, le plus souvent inférieure à 50 mm à la hypothalamiques. L’hypothèse d’une fièvre simulée
première heure. En revanche, certains contextes peut aussi être envisagée. Une VS normale n’élimine
cliniques peuvent être à l’origine d’une VS
faussement normale. Il s’agit des polyglobulies, des
hémoglobinopathies, des coagulations intravascu-
laires disséminées (CIVD), de l’insuffisance
donc pas une maladie à composante inflammatoire,
en particulier tumorale. La VS est le plus souvent
normale au cours de la sclérodermie, au cours de
laquelle la découverte d’un syndrome inflammatoire

Conclusion

L’interprétation d’une élévation de la VS se fait à


hépatocellulaire, des hypofibrinogènémies, de la doit faire évoquer avant tout une complication l’aide des données de l’électrophorèse des protides
cachexie, des cryoglobulinémies (qui précipitent à intercurrente, notamment infectieuse. sanguins et du dosage des protéines de
froid et entraînent avec elles les protéines l’inflammation. On peut alors faire le diagnostic de
plasmatiques en empêchant leur interaction avec les syndrome inflammatoire, d’hypergammaglobuli-
hématies), de la corticothérapie à fortes doses et des
traitements par androgènes.
En l’absence de cause identifiée, une simple
surveillance clinique et biologique trimestrielle est

La mesure de la VS n’est pas un
examen de dépistage

Plusieurs études ont montré que la sensibilité de


némie polyclonale ou de gammapathie
monoclonale et orienter les recherches étiologiques.
Certaines situations cliniques s’accompagnent d’une
élévation de la VS en dehors de ces grands cadres et
nécessaire, la normalisation de la VS étant le plus la mesure de la VS n’était que de 50 % au cours des il existe inversement des VS « faussement normales »
souvent spontanée en quelques mois, témoin maladies inflammatoires pour lesquelles elle peut en rapport avec des anomalies des globules rouges
parfois d’une affection infraclinique guérie. Dans servir de test diagnostique (les formes d’emblée ou protéiques. La connaissance de la physiopatho-
environ un tiers des cas, la VS reste élevée pendant graves ou très évolutives étant alors exclues). Au logie de la sédimentation des hématies permet de
plusieurs années, mais la probabilité de diagnostic cours du dépistage systématique, dans une comprendre et de retenir ces particularités. La VS
d’une pathologie causale est faible, entre 0 et 15 %, population non sélectionnée, la prévalence des n’est pas un examen de dépistage dans une
et il s’agit le plus souvent d’une maladie non maladies inflammatoires est estimée à 5 %. Si on population non sélectionnée. Lorsqu’elle est très
cancéreuse. prend comme seuil pathologique la valeur de élevée, il faut chercher en premier lieu une cause
30 mm à la première heure, et si l’on se réfère à une infectieuse, puis une néoplasie ou une maladie


VS très élevée

Lorsque la VS est supérieure à 100 mm, un


étude suédoise poursuivie pendant 6 ans, la
spécificité du paramètre est de 97 %, mais sa valeur
prédictive positive seulement de 46 %. Un diagnostic
ne sera donc établi que chez un patient sur deux se
inflammatoire. Enfin, l’existence d’un syndrome
inflammatoire modéré, sans cause identifiée et sans
signes cliniques de gravité, ne doit pas faire
entreprendre d’explorations invasives. Il faut, en
diagnostic est fait dans plus de 90 % des cas. Dans soumettant à ce type de dépistage. Chez des sujets revanche, instaurer une surveillance clinique et
un cas sur deux, il s’agit d’une pathologie infectieuse indemnes de plaintes spontanées et dont l’examen biologique régulière.

3
1-1450 - Vitesse de sédimentation élevée

Julie Cosserat : Ancien chef de clinique-assistant,


service de médecine interne, institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : J Cosserat. Vitesse de sédimentation élevée.
Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), AKOS Encyclopédie Pratique de Médecine, 1-1450, 1998, 4 p

Références

[1] Grasland A, Pouchot J. Syndrome inflammatoire biologique persistant. Rev [4] Vital-Durand D, Rousset H, Bienvenu J, Sibille M. Syndrome inflammatoire.
Prat 1997 ; 47 : 75-79 In : Diagnostics difficiles en médecine interne. Paris : Maloine, 1992 : Vol 2.
135-152
[2] Mortier E, Pouchot J, Gaudin H, Vinceneux PH. Fièvre avec vitesse de sédi-
mentation normale. Ann Med Interne 1995 ; 146 : 404-408

[3] Vital-Durand D, Levrat R. Vitesse de sédimentation élevée. In : Diagnostics


difficiles en médecine interne. Paris : Maloine, 1991 : Vol 1. 139-153

Vous aimerez peut-être aussi