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Le mémorial
des saints
Traduit d'après le ouïgour
par À. Pavet de Courteille
Éditions du Seuil
Du même auteur
Le Livre de l'épreuve
Fayard, 1581
Le Livre divin
Albin Michel, 1990
La loi du 11 mars 1957 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation
collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque
procédé quece soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite
et constitue une contrefaçon sanctionnée parles articles 425 et suivants du Code pénal.
Introduction
1. Mémorial, p. 42.
2. Djaläl-od-Din Rümi, Odes mystiques. traduction par E. de Vitray-
- Meÿeréich Khncksieck, p. 31-32 (Ode 18).
3. Mémorial, p. 43.
10 Le mémorial des saints
divine par l'abandon de tout le créé: « L'univers de
l'Amour, dit ‘Attar dans le Livre divin, n'a que trois
chemins : le Feu, les Larmes et le Sang. »
Dans la préface du Mémorial, ‘Attar explique pourquoi
il a composé cette anthologie. C'est, dit-il, parce qu'aprèsle
Qor'än et les Hadith (traditions du Prophète Mohammed),
nen ne surpasse les paroles des saints, et que plusieurs
raisons l'incitaient à le faire :
Eva de Vitray-Meyerovitch.
Le mémorial des saints
1. Selon les traditions, elle mourut l'an 135 (752-753), ou l'an 185 (801-
802).
Le mémorial des samis 83
unecréature. Îl se leva donc, alla jusqu'à la porte du voisin
et revint sur ses pas en disant que tout le monde dormait;
et lui-même se coucha, bien chagrin de n’avoir que des
filles, et s'endormit. Dans son sommeil il vit l'Envoyé, sur
lui soit le salut! qui lui dit : « Ne te chagrine pas; car, au
jour de la résurrection, ta nouvelle fille intercédera pour
soixante-dix mille de mes fidèles. Demain, à l'aurore,
rends-toi chez le beg de Basra, ’Iça Razän, et dis-lui de ma
part en signe de ta mission : Tu m'adresses chaque nuit
cent bénédictions et quatre cents dans la nuit du vendredi.
Cependant, dans la nuit de vendredi dernier, tu ne m'as
rien adressé par oubli; eh bien, en expiation de ces quatre
cents bénédictions que tu as oubliées, donne-moi sur ce qui
t'appartient légitimement quatre cents pièces d'or. » A son
réveil le père de Räbi'a pleura beaucoup. Lorsque le jour
parut, il écrivit sur un morcœæau de papier les paroles qu'il
avait entendues en songe, se rendit à la porte d’Iça Razän
et le lui fit remettre dans ses appartements intérieurs. ‘Iça
Razän n'eut pas plus tôt lu ct écrit qu'il donna en
aumônes dix mille pièces d'or et en envoya quatre cents au
père de Râbi'a, en lui présentant ses excuses : « Je veux
aller te rendre visite, car je ne suis pas assez grand seigneur
pour te demander de venir en personne; c'est moi-même
qui irai et qui me présenterai humblement devant vous, en
balayant de ma barbe le seuil de votre porte. De plus,
chaque fois que vous aurez besoin de quelque chose, je
vous en conjure au nom de Dieu, envoyez nous le demander
et nous vousle ferons parvenir. » Pour le moment, le père
de Râbi’a emporia cet or et le consacra aux dépenses de sa
maison.
Lorsque Räbi'a fut devenue grande, son père et sa mère
moururent. À cette époque il y eut à Basra une grande
disette par suite de laquelle toutes les sœurs ainées de
Räbi'a se séparèrent de leur cadette et partirent. Pour elle,
un méchant homme la vendit comme une esclave lui
appartenant. Le maitre qui l'acheta la traitait durement et
lui faisait faire toute sorte de services. Un jour qu'elle
voulait se dérober aux regards d’un étranger, elle s'écarta
du sentier frayé et tomba en se brisant une main. Aussitôt,
84 Le mémorial des saints
appuyantsa face contre terre, elle dit : « Mon Dieu, je suis
loin des miens et captive, sans pére ni mère, ma main vient
de se briser, et cependant rien de tout cela ne me chagrine.
Ce qui m'inquiète, c’est que j'ignore si, oui où non, tu es
satisfait de moi. » Aussitôt une voix se fit entendre : « Ne
te chagrine pas, ô Râbi'a! car, au jour de la résurrection,
nous t'assignerons un tel rang que tous les anges qui nous
approchent de plus près l’envieront. » Räâbia, le cœur
satisfait, retourna au logis.
Elle observait un jeüne perpétuel, tout en faisant le
service de son maitre. Une fois la nuit venue, elle priait
jusqu'aux premiers rayons de l'aurore. Une nuit le maître
de Räbia s'étant éveillé entendit le son d'une voix. Il
aperçut Râbi'a, la tête en adoration et disant: « Mon
Dieu, tu sais que le désir de mon cœur est dansla recherche
de ton approbation et qu'il ne souhaite rien tant que
d'obéir à tes commandements. Mon œil s'éclaire à la
lumière des hommages que je rends à ta suprême majesté.
Si j'avais la liberté de mes actes, je ne voudrais pas rester
un seul instant en dehors de ton service : mais tu m'as
livrée aux mains d'une créature, et voilà pourquoi j'arrive
si tard comme ton humble servante. » Le marchand vit
aussi, suspendue au-dessus de la tête de Räbi'a, une lampe
brillante dont l'intérieur de la maison était tout éclairé. Il se
dit aussitôt en lui-même qu'il n'était pas possible de la
traiter plus longtémps en esclave: et, dès que l'aurore
parut, s'adressant à elle : « O Räbï'a! je te fais libre, Sitel
est ton désir, reste ici, et nous serons tous à ton service. Si
tu ne veux pas demeurerici, va partout où il te plaira. »
Alors Râäbi'a, prenant congé d'eux, partit et s'adonna
entièrement aux œuvres de piété.
On rapporte que Räâbi'a, dansl'espace d'une nuit et d'un
jour, faisait une prière de mille rik ar ‘ et que, de temps en
temps,elle se rendait auprès de Haçan Basri. D'après un
autre récit, elle exerça d'abord le métier de joueuse de flûte
pendant un certain temps; ensuite elle fit pénitence. Elle se
1. Harouner-Rechid.
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cœur. » Puis il dit à sa femme : « Je compte partir pour la
Ke’abeh. Si tu le désires, je vais te rendre Ja liberté. — Je
ne me séparerai pas de toi, lui dit celle-ci; partout où tu
seras, je m'y trouverai pour te servir. »Ils se rendirent donc
tous deux à la Ke’abeh, dontils devinrentles hôtes les plus
assidus. Fuzeïl y fit la connaissance d'un grand nombre de
docteurs et eut avec Abou Hanifch, entre autres, des
relations dont il profita beaucoup pour son instruction.
Lorsqu'il se fut livré à la pratique de l'ascétisme, le
Seigneur très haut ouvrit devant lui les portes de la science,
à tel point qu'il prononçait sans cesse des homélies à la
Mecque.
Un jour des gens de Bâverd, qui étaient parents de
Fuzeïl, se rendirent à la Ke‘abeh pour le voir; mais il ne les
admit pas auprès de lui. Jls se mirent à pleurer et ne s’en
allaient pas. Fuzeïl, étant monté sur le toit de la Ke‘abeh,
les vit; eux, de leur côté, l'aperçurent et versérent des
larmes; puisils s'en retournérent aussitôt.
On raconte qu'une nuit Haroun er-Rechid dit à Fuzeïl
Mekki : « Mets-moi cette nuit en relation avec un homme
grâce auquel je puisse sortir un moment de la torpeur
morale où je suis et trouver le repos. » Fuzeïl Mekki et
Haroun er-Rechid allèrent frapper à la porte de Sofiän ben
‘lyna. « Qui est là? demanda celui-ci. — L'émir des
croyants, répondit Fuzeïl Mekki. — Pourquoi ne m'avez-
vous pas prévenu? reprit ‘lyna, je serais venu en personne
me mêttre à sa disposition. » Haroun er-Rechid, entendant
ces paroles, s'écria : « Ce n'est pas là celui que je cherche. »
Ils se retirèrent alors et se rendirent à la porte de Fuzeïl ben
’Ayäz. Celui-ci était précisément en train de réciter le verset
suivant : Se sont-ils imaginé, ceux qui ont pratiqué le mal,
que nousles mettrions sur le même pied que les hommes qui
ont pratiqué le bien? (Qoran, xLv, 20.) Haroun er-Rechid
n'eut pas plus tôt entendu ce verset qu'il dit : « Si c'est un
conscil que nous cherchons, en voilà assez. » Et aussitôtils
frappèrent à la porte, « Qui est là? demanda Fuzeïl, fils
d'Ayäz. — L'émir des croyants, répondirent-ils. — Que me
voulez-vous? Je n'ai rien à faire avec vous, moi. Retirez-
vouset ne me faites pas perdre mon temps. — Maisil faut
Le mémorial des saints 105
traiter le pâdichâh avec honneur, reprirent-ils, et nous
permettre d'entrer. — Ne me fatiguez pas, continua Fuzeïl,
Je ne vous permets rien; à vous de voir si vous voulez
entrer malgré moi. » Haroun er-Rechid étant entré, Fuzeil
éteignit la lampe pour ne pas voir la figure de ces intrus.
Haroun er-Rechid ayant touché de sa main la main de
Fuzeïl, celui-ci s'écria : « Que cette main est douce! Ah! si
elle pouvait échapper au feu de l'enfer! » Et, ayant ainsi
parlé, il se leva pour faire la prière. Quant à Haroun, il se
mit à pleurer et dit: « Adresse-moi au moins un mot. »
Fuzeïl, après avoir prononcé la salutation finale de la
prière, lui dit: « O Haroun! ton ancêtre, qui était l'oncle
paternel] de l'Envoyé, sur lui soit le salut! lui dit un jour : O
Envoyé de Dieu! établis-moi prince sur un peuple. L’En-
voyé lui répondit: Je t'ai fait prince sur toi-même. Si,
régnant sur la personne sensuelle, tu la maintiens constam-
ment au service du Seigneur très haut, tu seras supérieur à
ceux qui auraient exercé pendant mille années le principat
parmi les hommes. Omar, fils d’Abd el-Aziz', une fois
installé sur le trône du khalifat, fit appeler auprès de lui
Sâlim ibn Abd Allah, Ridjà ben Hayât et Mohammed ben
Ke’ab,et leur dit : Me voilà pris dansles liens du khalifat;
comment ferai-je pour m'en débarrasser? Si le peuple
considère le pouvoir comme un bien, moi, jele considère
comme une calamité. » Puis Fuzeïl ajouta : « O Haroun! si
tu veux échapper au châtiment le jour du Jugement,
considère chacun des vicillards parmi les musulmans
comme ton père, les jeunes gens comme tes frères, les
enfants commetes propresfils, les femmes comme ta mère
et tes sœurs, tant ainées que cadettes; visite sans cesse ton
père et ta mère; fais du bien à ceux qui ont avec toi des
liens de parenté et montre-toi bon pour tes jeunes enfants.
Ô Haroun! j'ai bien peur que ton beau visage ne brûle au
feu de l'enfer. Crains le Seigneur très haut et sache qu'il te
fera un interrogatoire au jour de la Résurrection. Si une
vieille femme se couche un soir sans avoir mangé, elle se