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Leçons 1 à 5

Claude Dorgeuille

'angoisse c’est bête comme chou. Ce n’est pas moi qui le dit,
c’est Lacan qui l’annonce comme ça dans la leçon seize du
séminaire sur l'Identification, où il fait part déjà du thème du
séminaire de l’année suivante, ce qui montre bien le lien très
étroit qui existe entre les deux séminaires. Et dans cette leçon
seize on y trouve également cette définition de départ concernant
l’angoisse que, c’est la sensation du désir de l’Autre et la petite
fable qu’il a construite que vous connaissez tous par coeur qui
est une approximation, bien entendu, mais qui est la fable de la
mante-religieuse pour illustrer, en somme, ce qu’il entend par
cette sensation du désir de l’Autre. À la deuxième leçon qui traite
d’une façon un petit peu inattendue, j’essaierai de dire pourquoi,
de la question de l’enseignement, Lacan déclare que, tout
enseignement doit viser un idéal de simplicité. J’ai trouvé la
formule très commode, bien qu’un peu énigmatique ; il nous dit
que cet idéal de simplicité est lié à quelque chose de très précis
qui justement a été tout spécialement élaboré dans le séminaire
sur l’identification, c’est à dire à ce qu’il appelle l’initium subjectif,
qui est constitué comme vous le savez par le trait unaire, le trait
unaire c’est à dire, un signifiant, rien d’autre et n’importe lequel
en plus de ça. Alors, cet idéal de simplicité me fournit un alibi
extraordinaire pour vous présenter d’une façon, je dirai relativement
simple et un peu sommaire, ces cinq premières leçons. Je vais
le faire parce que je me suis aperçu que ça n’apparaissait pas
d’une façon évidente à beaucoup, à mol non plus d’ailleurs, ça
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ne m'est pas apparu tout de suite ; je vais indiquer le thème
de chacune de ces cinq leçons qui sont déjà indicatifs dune
certaine progression dont Lacan a le souci le plus grand dans
tous scs séminaires.
La première leçon est une mise en place qui commence par
une affirmation à laquelle on n'est pas assez attentif; c’est que
l'angoisse est à la même place que le fantasme. Elle est donc
déjà située dans un cadre qu'il a élaboré dans les années antérieures
d’une façon relativement précise, et la leçon conclura sur ceci
que l'angoisse c'est un affect. Que l'angoisse soit un affect va
faire le thème principal de la deuxième leçon. Je reprendrai tout
cela, mais quand même avec un peu plus de détails, évidemment.
Ce sera le thème de la deuxième leçon, et j’en dirai plus après.
La troisième, elle, va se montrer un peu plus précise. Lacan
a déjà évoqué ceci que l’angoisse se trouve en quelque sorte en
suspens entre deux éléments essentiels de son élaboration doctrinale
qui sont représentés sur le graphe du désir, d'une part l’étage
du fantasme et d’autre part l’étage spéculaire, c’est à dire $
<> a et d du côté droit pour le fantasme et le désir et i(a) et
i’(a) pour l’étage spéculaire.
La quatrième leçon va traiter de la question de la perte de
l’objet et elle sera l’occasion de rectifications qui semblent au
premier abord subtiles, qui sont en réalité absolument capitales,
puisque pour ceux qui ont lu un peu attentivement le séminaire,
la position de Lacan sera là, comme sur un certain nombre de
points, sans pour autant être contradictoire, quand même différente
de celle de Freud puisque, dans Freud, l’angoisse serait liée à la
perte de l’objet, et dans Lacan, au contraire, ça n’est pas à la
perte de l’objet mais à cette imminence méconnue de l’objet qu’il
appelle petit a.
Quant à la cinquième leçon elle sera consacrée là encore, à
préciser un peu plus la place de l’angoisse au regard des termes
qui sont tout à fait fondamentaux dans l’élaboration lacanienne
ce qui justifie qu’ils ne puissent rigoureusement pas être confondus,
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à savoir : la Jouissance, d’une part, l’angoisse en second et le
désir. On peut les étager de cette façon là.
Nous allons comprendre ce qui me semble être dans chaque
leçon le point important, en laissant dans l’ombre un certain
nombre de choses, ça sera des oublis intentionnels, d’autres ne
sont pas forcément intentionnels, ça vous donnera l’occasion
comme ça d’argumenter et l’occasion de discuter.
La première leçon donc entre brutalement dans le sujet par
cette affirmation que l’angoisse est à la place du fantasme. À la
place du fantasme si on fait un petit peu attention, ça implique
dans un rapport très particulier avec ce que Lacan appelle l’objet
petit a. Il y rappelle cette définition qu’il a déjà donnée quelques
mois auparavant dans l’identification, à savoir, que l’angoisse
c’est la perception du désir de l’Autre, il y rappelle sa fable de la
mante-religieuse et une de ses formules très importantes qui
est qu’en effet dans ce rapport avec l’autre ce qui surgit au premier
plan comme élément essentiel c’est la grande question Che quoi?
Que veut-il? Que me veut-il?
Ça sera pour lui l’occasion d’apporter tout de suite cette précision
que l’angoisse va se trouver située entre d’une part le désir et
d’autre part l’identification narcissique. Et ça l’introduit dans
la dialectique qui noue étroitement ces deux étages. Et ce nouage
des deux étages est à mon avis un des points les plus difficiles
de ce début du séminaire, dont je dirai quelques mots seulement
puisqu’il sera développé dans les leçons qui vont suivre. C’est
effectivement la question du rapport entre l’objet petit a et l’image
spéculaire, i(a).
À cette occasion, Lacan évoque deux auteurs qui sont à la
fois contemporains et philosophes et par rapport auxquels il
estime nécessaire de se situer, Heidegger et Sartre. Ensuite il
passe à Freud, puisque, un des textes importants qui lui serviront
de référence sera Inhibition symptôme et angoisse. Une remarque
importante est faite tout de suite, c’est que les trois termes
freudiens ne sont pas du même niveau. D'où l’origine en quelque
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sorte du tableau qu'il va construire dans cette première leçon,
qui à mon avis pose pas mal de questions, et autour duquel
nous pourrons discuter. Je ne vous le rappelle pas, sauf très
sommairement : un certain nombre de termes sont repartis
selon deux axes de coordonnées, - l’un horizontal qu'il appelle
la dimension de la difficulté dont le maximum est représenté
par le terme d’inhibition avec l’exemple qu’en donne Freud, la
locomotion, l’empêchement et l'embarras ; et d'autre part la
dimension du mouvement avec donc l'inhibition qui est en
quelque sorte à cheval sur les deux : l'émotion et l’émoi. Il y
a deux cases vides dont il ne parlera que beaucoup plus tard,
Je laisse tomber là aussi, et 11 y a une remarque là qui est
intéressante, c’est que son commentaire lui a permis de constater
que l’angoisse n’était pas une émotion. Alors, c’est un point
important parce que vous savez que dans le texte de Freud, en
effet, le rapport entre les trois termes inhibition, symptôme
et angoisse est extrêmement délicat dans la mesure où, en
fait, ils ne sont pas séparables d’une façon rigoureuse et se
superposent, la dimension de l’angoisse étant par exemple présente
dans tout symptôme de façon plus ou moins évidente et l’inhibition,
à la limite, pouvant être considérée, elle aussi, comme un
symptôme. Tout dépend là encore du sens que l’on donne à ce
terme et il y a du point de vue clinique puisque nous sommes
sur un terrain descriptif, il y a évidemment une différence tout
à fait considérable entre cet aspect descriptif et cette terminologie
et puis la hiérarchisation, la définition extrêmement précise des
trois termes que j’ai évoqués tout à l’heure -, la jouissance, l’angoisse
et le désir. Lacan fait, à ce moment là, un saut, pour dire ceci,
c’est que, si on essaie de situer l’angoisse dans un travail conceptuel,
eh bien, c'est un affect, dit-il. C’est assez inattendu mais cela
vient confirmer les embarras que nous pouvons constater concernant
cette question dès le départ, c'est un affect et ça veut dire que
ce n’est pas le seul. Ça veut dire que les autres termes du
tableau sont effectivement, d’une certaine manière susceptibles
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d'être considérés comme un affect et il y a quelques remarques
très rapides à la fin de la leçon qui sont capitales, c’est que
l'angoisse n’est pas l’être dans son immédiateté, le sujet brut,
et d'autre part que l'affect n'est pas refoulé. Vous savez que
c’est un point de discussion qui est un peu oublié actuellement
mais qui était un des motifs d’hostilité aux thèses de Lacan
d'un certain nombre d’analystes, cette affirmation lacanlenne
que seul le signifiant était refoulé et il précise bien ici que
Freud dit la même chose que lui, que simplement ce qui est
refoulé ce sont les signifiants et les signifiants auxquels cet
affect est amarré, ce qui n’est évidemment pas du tout la même
chose.
Un dernier point intéressant. Il renvoie à la Rhétorique d’Aristote
qui, dans son livre II, traite des passions et pour ajouter ensuite
que, pour nous, il s’agit du désir et non pas de quelque chose de
l’ordre de la passion dans ce qui est en question ici, ce qui donne
à l’angoisse toute son importance puisque le désir est au cœur
même de l’expérience psychanalytique.
La deuxième leçon dont le thème est 'l’angoisse, est un affect',
démarre d’une façon un peu inattendue et troublante par la question
“Qu’est-ce que c’est qu'enseigner?" Évidemment, à la réflexion,
on voit bien pourquoi Lacan tout de suite pose cette question.
La psychanalyse déjà c’est une expérience singulière dont
l’enseignement fait problème, parce qu’il s’agit en l’occurrence
de savoir quoi enseigner quand on sait. Au fond, la position du
sujet c’est plutôt de réticence quand il s’agit de savoir de quoi il
retourne en l’occurrence.
En réalité, si on accepte que l’enseignement soit possible, on
se trouve mis sur le terrain de faire comprendre quelque chose,
que le sujet s’il n’est pas partie prenante à l’expérience, ne peut
pas appréhender. Là nous tombons sur une question que j’ai
déjà évoquée implicitement, à savoir, que, contrairement à l’idée
commune que l’angoisse serait de l’ordre du vécu, ce qui à la
fois faisait qu’on ne pouvait pas en dire grand chose mais
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qu’en même temps on pouvait dire tout et n'importe quoi, ce
dont il va s’agir pour nous ça ne va pas être la compréhension
d'un vécu, mais la compréhension d’un ressort. Là aussi
l’expression prend sa valeur simplement de l'opposition qui
est faite avec la compréhension d'un vécu. Lacan fait remarquer
que dans le texte de Freud il est question à peu près de tout
sauf de l’angoisse, mais dans les textes de Lacan dans la mesure
où il s’agira simplement de mettre en évidence un ressort, on
pourrait dire qu’il sera question de tout, de ce qui l’entoure,
mais relativement peu de l'angoisse au sens qui voudrait, que
soit explicitée son essence, sa nature.
Or, ce qui va donner son sens et sa valeur à l'effort de
Lacan, c’est Justement de la situer par rapport à un certain
nombre d’autres termes que j'ai déjà évoqués, de la distinguer
de ces termes et de montrer comment elle est, ce qui sera dit
non pas dans ces cinq premières leçons mais plus tard, et ce
que je crois le terme qui, du point de vue pratique est le plus
essentiel pour nous, plus utile, le plus immédiatement applicable,
à savoir, que l'angoisse est l’indice du réel, au sens de Lacan.
Pour aborder son thème, que l’angoisse est un affect, il examine
trois modes possibles. Il y a trois techniques, celle du catalogue,
celle de l’analogue et celle de la clé. Celle du catalogue, elle
était amusante parce qu’il y oppose un auteur que les analystes
ne songeaient pas à solliciter, Saint Thomas d’Aquin, pour
faire remarquer que dans sa subdivision entre le concupiscible
et l’irascible, Saint Thomas d’Aquin dit des choses plus
intéressantes pour nous dans la mesure où il donne la primauté
au concupiscible, tandis que le grand rapport de Rappaport
de 1953, publié dans l’Internationale Journal, avère d'une façon
extraordinaire son impuissance total à dire quoi que ce soit
qui ait le moindre intérêt sur cette question de l’angoisse.
Quant à la technique de l’analogue, il la récuse également, ce
serait celle qui distinguerait des niveaux, un niveau biologique
de l’angoisse, un niveau sociologique, un niveau individuel,
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pour en venir à ce qu'il appelle la méthode de la clé. Je me
suis demandé pourquoi ce terme. La clé c'est cc qui ouvre tout
simplement ; la clé. c'est cc qui ouvre la porte du bon côté,
c'est à dire là où on va pouvoir dire quelque chose qui tienne
de l’angoisse, à savoir celle à laquelle nous conduit l'expérience
et il ne le dit pas d'ailleurs directement comme ça mais c’est
celle qui s’appuie justement sur ceci que la psychanalyse est
une expérience de parole et donc que la dimension signifiante
y est prévalente. Le signifiant y est l’élément assuré auquel on
peut s’accrocher, à condition effectivement de le faire d’une
façon sérieuse et rigoureuse.
Et c’est là que se trouve avancée cette formule audacieuse
qu’il n’y a pas d’enseignement qui ne se réfère à un idéal de
simplicité avec la question pourquoi le réel scrait-il simple ? Le
réel est simple à cause de cet initium subjectif qui est le trait
unaire. Cette réponse paraît simple et claire, pourtant elle fait
problème et j’avoue que en ce qui me concerne je ne trouve de
réponse que dans cette sorte de rêve, de fantasme qui m’est
particulier, à savoir, cette attitude qui voudrait toujours réussir
à faire tenir dans une formule de type mathématique l’essentiel
des choses, étant entendu qu’une fois qu'on aurait cette formule,
après on peut la déployer, et puis dérouler ses conséquences et
ne rien perdre du réel qui est ici enjeu. Mais peut-être que vous,
vous avez d’autres façons de comprendre cette chose. Il y a une
petite remarque à laquelle on n’est pas assez attentif et qui est
importante pour la suite des développements aussi, c’est que
cet initium subjectif, cette introduction du trait unaire est d’avant
le sujet. C’est un petit peu difficile, c’est ce que dans l’identification
il appelle identification primaire, identification au signifiant.
C’est effectivement cet isolement d’un signifiant qui peut être
n’importe lequel, pour chacun de nous, et qui ne peut pas être
compté dans l’ensemble des signifiants qui sont en jeu pour
un sujet donné et qui, de ce seul fait, va se trouver en quelque
sorte représenter le sujet pour tous les autres. C’est là que le
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tore se constitue c’est-à-dire que les lacs qui représentent ces
éléments signifiants répétitifs vont se boucler, ce qui n’est pas
obligé d’ailleurs. Mais si ça se fait, vous savez alors que le
sujet arrive à l’identification primaire ; le tore est constitué
mais en même temps, évidemment, le tore du sujet et le tore
de l’Autre. C’est dans cette dialectique particulière du tore du
sujet et du tore du grand Autre que va venir s’inscrire toute
l’élaboration de la deuxième partie du séminaire sur l’identification
qui est reprise de façon très cursive implicitement dans celui
là. Donc, premier point, cet idéal de simplicité, cet initium
subjectif et cette autre affirmation que effectivement au départ,
et dès le départ nous avons la présence de l’Autre. Je ne commente
pas ça, c’est une affirmation répétitive chez Lacan depuis fort
longtemps.
Ceci va donner lieu à l’introduction d’une discussion qui n’est
pas purement formelle, mais qui donne du relief à la position
de Lacan. A partir de cette formule “le désir de l’homme c’est le
désir de l'Autre” qui est reprise de Hegel, nous avons la démonstration
de l’incompatibilité de la fonction qu’elle assume chez Hegel d’une
part, chez Lacan d’autre part. Ici la réponse donnée à cette question,
qui lui était d’ailleurs constamment posée, à savoir qu’il ne faisait
que reprendre ce que ce philosophe avait pu dire. Elle est assez
simple. Dans Hegel, nous avons affaire à l’opposition entre deux
consciences et chez Lacan, l’Autre est là comme inconscience
constituée. Et l’Autre, le grand, intéresse mon désir dans la mesure
de ce qui lui manque et qu’il ne sait pas.
Il n’y a donc pas de sustentation possible de mon désir qui
soit pure référence à un objet. Petite remarque là aussi à laquelle
on peut ne faire pas attention et qui est évidemment tout à fait
capitale ; dans Hegel il y a cette médiatisation du rapport à l’objet
par le désir de l’Autre, sans aucun doute, mais il y a ce rapport
direct qui débouche tout simplement sur la violence, ce qui
n'est pas le cas dans notre expérience et dans l’élaboration
lacanienne. Il n’y a donc pas de pure référence à un objet, c’est
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a dire, que nous allons avoir affaire, quel que soit notre Idéal
de simplicité dans cet enseignement, à un montage qui s’avérera
tout de môme assez complique. Ce qui l'amène à dire ‘le désir
de désir' au sens lacanlen, est désir de l’Autre ouvert à une
médiation. Là nous avons deux remarques qui sont très
Importantes, qui sont d'ailleurs délicates à comprendre et à
manier. La première c'est que dans les formules dont nous
pourrons discuter après, les formules algébrisées qui sont
dans cette leçon ; dans les deux premières formules c’est un
objet petit a qui désire. Au premier abord l’objet qui désire
paraît scandaleux, scandaleux ou incompréhensible. C'est éclairé
effectivement par la référence à Hegel puisque Lacan va pouvoir
dire que dans Hegel le Selbstbewusstsein en fait, c’est un objet.
En effet, c’est dans cette lutte mythique, promue par Hegel,
c'est l'autre conçu comme l’objet par le biais de qui l'un des
protagonistes pourra être reconnu. Alors, si on le prend comme
ça, effectivement ça devient plus facilement recevable,
compréhensible, en sachant toujours que, quand on comprend
on est toujours exposé à se tromper. Or, c'est le point commun
avec Hegel, dit Lacan, à cause de l’inconscient nous pouvons
être cet objet affecté du désir. Et le désir ici est désir en tant
qu’imagé support de ce désir. Nous avons l’amorce de cette
discussion, compliquée et difficile, du rapport, de ce qu'il appelle
le nouage entre les deux étages - l'étage spéculaire et l’étage du
fantasme - c’est à dire que c’est par le biais de cet étage spéculaire,
c'est à dire, donc, de cette conception du moi qui est celle de
Lacan, c’est-à-dire de cette identification à l'image dans le miroir,
que nous pouvons comprendre.
La remise sur le chantier de l’élaboration doctrinale par Lacan
à partir d’autres termes que ceux de Freud n’est pas sans
conséquence. Pour Freud, dans AnalyseJlnle et analyse Infinie,
le rôle de la castration et le penisneid, sont considérés comme
indépassables, pour le sujet et pour l’opération analytique alors
que Justement chez Lacan, ce n’est pas l’angoisse de castration
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qui constitue l'impasse dernière, elle est déjà là au niveau de
la cassure imaginaire de l'image du semblable en petit a et -
cp. Voyez, vous avez un déplacement qui est tout à fait capital,
ce qu'il appelle d'une formule très Jolie puisque - <p c'est la
présentification du manque, et petit a c’est ce quelque chose
qui va se trouver construit par le sujet pour le combler sans
pour autant y réussir totalement. Alors, oui, j’avais noté de
lire ce passage parce que je le crois là aussi très important.
C’est en haut de la page 56. “Ce n’est pas l’angoisse de castration
qui constitue l’impasse dernière du névrosé car la forme de la
castration dans sa structure imaginaire elle est déjà faite ici
dans l’approche de l’image libidinalisée du semblable en petit
a et - cp. Elle est faite au niveau de la cassure qui se produit
à quelque temps d’un certain dramatisme imaginaire, et ce
qui, c’est ce qui fait l’importance des accidents de la scène
qu’on appelle pour cela traumatique, il y a toute sorte de variations,
d’anomalies possibles dans cette cassure imaginaire qui déjà
indique quelque chose dont le matériel utilisable - pour quoi
? Pour une autre fonction qui, elle, donne son plein sens au
terme de castration. Ce devant quoi le névrosé recule, ce n’est
pas devant la castration, c’est de faire de sa castration, la
sienne donc, ce qui manque à l’Autre, grand A, c’est de faire
de sa castration quelque chose de positif qui est la garantie de
cette fonction de l’Autre.” Je crois que ces quelques lignes sont
tout à fait essentielles à noter pour ne pas faire de contre-sens
dans la lecture de ce que Lacan est amené à dire et dans ce qu’il
propose. Et, en fait, ce qui manque à l’Autre, ce qui assure
une jouissance à ce rapport à l’univers des significations qu’est
I'Autre, la castration n’est en fin de compte, que le moment
d’interprétation de la castration.
Et nous venons à Freud et à l'Unheimlich, l’angoisse donc
chez Freud, tout au moins dans les additifs à Inhibition, symptôme
et angoisse, nous est donnée comme ayant comme principale
fonction d’être signal d’un danger. Nous avons un nouveau
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commentaire du texte de Freud sur VUnhelmllchkett, et la place
de l'angoisse c’est ça qui est helrn, c’est à dire qui est le plus
intime. Cette place c’est la reine du jeu, dit Lacan, et i’(a)
devient l’image du double en nous faisant apparaître comme
objet.
Mon désir, dit-il, entre dans l’Autre où il est attendu de toute
éternité sous la forme de l'objet que je suis, c’est toujours cette
même thèse, qu’il a expliqué d’une façon un peu plus précise à
la leçon précédente, à savoir que c’est un objet petit a qui désire
et que je peux très bien être cet objet petit a pour l’Autre. Les
deux modes d’écriture du fantasme $< >a par rapport au miroir
grand A correspondent au pervers et au névrosé. Avec la célèbre
formule que le pervers, sans savoir ce qui lui arrive, se voue
loyalement à la jouissance de l’Autre, mais que si nous savons
quelque chose de toute cette mécanique c’est parce que le névrosé
nous la révèle. Et ce petit a qu’il se fait être il n’en fait rien, c’est
un petit a positif, dit-il, et il illustre cette formule du petit a
positif par le célèbre rêve de la belle bouchère d’une part et
également par le style de l’analyse d’Anna O, dont il dit que c’est
l’appât avec lequel le sujet tient l’autre.
Le pas suivant, et là aussi c’est encore un passage capital, ce
qui fait la limite du névrosé et des autres, c’est qu’il a pu faire le
transport de la fonction du petit a dans l’Autre. La réalité qu’il
y a derrière cette usage de fallace de l’objet dans le fantasme du
névrosé, c’est la demande.
J’en profite pour faire une petite parenthèse pour ceux qui
sont moins entraînés. Dans le discours parlé de Lacan sauf
quand il prenait la peine de le préciser ce qu’il ne faisait pas
toujours, lorsque le terme “autre” apparaissait, vous étiez obligés
de vous poser la question de savoir si c’était le petit ou le
grand. Mais il y a aussi les situations, où les questions du
rapport à l’autre en général Incluent à la fois le petit et le
grand, d’où la difficulté de la transcription et de la lecture. Et
le vrai objet du névrosé, ça a déjà été développé dans le séminaire
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précédent, c'est une demande. Simplement, l’ennui c'est qu'il
ne veut pas en payer le prix. En effet, il faudrait que le névrosé
donne quelque chose, et éventuellement rien, je vous rappelle,
là aussi, je ne sais pas trop comment la qualifier d'ailleurs
cette forme, personnellement Je me suis arrêté provisoirement
a appelé cela une sorte de forme primitive de l'objet petit a,
le rien. Donc ce rien qui serait à ranger dans les objets petit
a minimal, qui serait simplement demandé au névrosé et qu'il
n'acccptc pas de donner puisque, dit Lacan, en fait, ça serait
donner son angoisse ou tout au moins son équivalent c’est à
dire, un peu de son symptôme. Une analyse commence par la
mlse-en-forme d’un symptôme. Plus loin nous avons un très
beau commentaire sur la célèbre triade dont je ne dirai pas
quel est l'auteur, frustration-agression-regression, à laquelle
Lacan va donner une interprétation tout à fait différente et fort
intéressante, c’est à dire que l’analyse consiste, en somme, en
une répétition de demandes régressives qui vont justement aboutir
à cette demande plus originelle historiquement parlant, où se
module la régression comme telle.
La castration, elle, est inscrite comme rapport à la limite de
ce cycle régressif de la demande, et c’est ce qui est à expliquer
topologiquement, ce qui sera fait au cours du séminaire dans
Inhibition, symptôme et angoisse donc, Freud dit que l’angoisse
est la réaction'signal à la perte d’un objet et là Lacan reprend
l’énumération de tous les objets cités par Freud à cette occasion.
Mais l'angoisse n’est pas le signal d’un manque elle est le défaut
de cet appui du manque. Et ce n’est pas la nostalgie du sein
qui donne l’angoisse, c’est son Imminence.
Donc, vous voyez la différence de positions, mais différences
qui découlant de cette formulation devenue possible chez Lacan
sans pour autant annuler celle plus grossière de Freud, grâce
Justement à l’élaboration de l’objet petit a, de la dimension
du manque, telle qu'elle est effectuée ici.
Cette confusion, donc, est liée à la difficulté d'identifier l’objet
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du désir, que nous touchons du doigt, en effet, et cet objet du
désir est situé entre trois termes, ce qui va faire l’objet de la
cinquième leçon, entre la jouissance de l'Autre, la demande de
l’Autre et le désir de l’analyste. Alors, ce dernier terme, j'ai
laissé tomber ce qu’il introduisait dès la première leçon, et
qui est également quelque chose de très important qui distingue
le discours analytique de tous les discours sur l’angoisse que
nous pouvons lire, philosophique, sociologique ou autre. C’est
que ce discours est très rigoureusement lié à l’expérience qui
lui donne son support. Lacan fait valoir ceci, c’est que l’angoisse
est présente dans la relation analyste-analysé dès le départ.
Et il a dit cela comme ça puisque le terme d’analysant n’avait
pas été promu encore à ce moment là. Il se dépêche d’ailleurs
de faire remarquer à ses auditeurs que, contrairement à ce
qu’ils pourraient croire, je pense que cette remarque visait la
célèbre formule que nous n’entendons presque plus maintenant
concernant la communication de l’inconscient, que bien sûr,
l’angoisse du sujet et celle de l’analyste ce n’est pas la même.
Mais que, d’une certaine manière, l’analyste, lui, ne peut pas
être non plus en face de son analysé sans être affecté par cette
dimension particulière, au moins à certains moments, et les
exemples qu’il citera ultérieurement dans le courant du séminaire
l’illustreront largement.
Donc, en fait, au point où nous en sommes du discours de
Lacan, petit a et désir c’est la même chose. Ce qui nous fait
commencer la cinquième leçon par cette formule, que la place
du désir nous pose des problèmes en permanence. Et il évoque
évidemment le scandale qu’il avait provoqué lorsqu’il avait promulgué
cette formule que Je croyais plus tardive “la guérison vient de
surcroît” qui avait suscité une colère phénoménale chez ses auditeurs.
Donc, nous avons assigné à l’angoisse la place de -<p. Il rappelle
la ies trois termes qu’il a énoncé à la fin de la leçon précédente
è'iitre lesquels il va s’agir de la siiucr et il rappelle aussi effectivement
que nous pouvons nous élider du texte même de l’expérience, et
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ça va nous permettre une fois de plus de faire valoir l’originalité
de sa position en évoquant ce que d’autres ont pu tenter d’approcher,
en particulier Pavlov et ses élèves, à l'occasion des névroses
expérimentales provoquées chez l’animal et où Lacan fait remarquer
que même dans ces cas-là la dimension de l’autre est présente
même si elle est, par principe, intentionnellement éliminée par
les expérimentateurs eux-mêmes.
Et même si l’animal, lui aussi, n'en sait rien, il ajoute que
nous sommes comme l’animal sur ce point, c’est à dire, que
nous n'en savons rien non plus. Le Selbstbewusstsein que j’ai
nommé le sujet-supposé-savoir est une illusion trompeuse. Et
même si c’est le point origine du transfert, et c’est une source
d’erreur qui affecte le sujet connaissant, il ne commence qu’avec
l'entrée en Jeu de l’image du corps propre. Ce qui est repris
sous une forme renouvelée, à partir de quoi il va aller un petit
peu plus loin puisque, en fin de compte, nous n’avons pas affaire
à ce rapport direct à l’objet.
C’est ça la chose qui est capitale. Le surgissement de l’étrange
fait vaciller l’assurance du sujet de la connaissance ; Lacan fait
remarquer que, même sans l’analyse, les occasions d’expériences
troublantes qui auraient pu alerter des gens qui réfléchissent,
étaient à la portée de n’importe qui, et pour nous, donc, l’objet
se constitue dans la dépendance de la reconnaissance de notre
propre forme qui laisse échapper un reste. Nous sommes en
accord là avec un auteur qui n’est plus beaucoup lu, qui a été
pour moi un objet d’admiration ; il s’agit de Goldstein dont
La structure de l’organisme a été publiée chez Gallimard en
1949. C'était donc un ouvrage relativement récent. Goldstein
est un neurologue tout à fait remarquable, qui s’est beaucoup
intéressé à l’aphasie. La fameuse réaction catastrophique qui
est évoquée là, c’est un comportement de certains aphasiques
qui, comme le dit très simplement et très clairement Lacan,
sous l’effet d’une demande, celle d’articuler un certain nombre
de choses et constatant l’impossibilité de le faire, s’effondre
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Leçons 1 à 5
25
en larmes ; c’est très spectaculaire. Et il rapproche cette situation
donc, c’est une condition expérimentale, de la fameuse situation
de détresse du sujet humain dans les premiers temps de son
existence, de la fameuse Hilflosigkeit.
Un autre exemple est fourni par le cauchemar, Lacan a une
formule simple, à savoir, que l’angoisse de cauchemar est éprouvée
comme une jouissance de l’Autre et il en rapproche les formes
anciennes de l’inccube, du succube, et de tous ces petits êtres
qui pèsent sur la poitrine du questionneur. Cet aspect clinique
de l’angoisse, celui de l’oppression thoracique qui peut être
extraordinairement pénible et s’éclaire de cet être questionneur
; les questions effectivement qu’il pose au sujet, c’est très évidemment
la forme de l’énigme qui est en fait, dit Lacan, la forme la plus
primordiale de la demande.
Ce qui nous ramène à un autre terme que nous allons donc
devoir mettre à l’épreuve. Je vous rappelle ces termes qui sont
donc le signifiant, l’image spéculaire et l’objet petit a, et il prend
soin à cette occasion de rappeler la différence qu’il a toujours
faite entre le signifiant qui représente un sujet pour tous les
autres signifiants tandis que le signe désigne quelque chose pour
quelqu’un et c’est utile, concernant notre rapport angoissé à l’objet
perdu, là où on ne sait plus le reconnaître. En fait il n’est pas
vraiment perdu, il est là, mais il est invisible, il est camouflé, il
en donne deux exemples, le symptôme hystérique où l’angoisse
n'apparaît que dans la mesure où le manque est méconnu,
c’est à dire, ce qu’on appelle les petites hystéries et vous savez
tous, c’était une remarque de la clinique classique, que ce qui
sidérait les cliniciens c’est que les grandes hystéries, les grandes
paraplégies hystériques, les scotomes, les aphonies,
s’accompagnaient d’une absence totale d’angoisse chez le sujet,
tandis que les petites hystéries en général sont justement très
angoissées et deuxièmement l’obsessionnel qui, lui, recherche
le signe, sous le signifiant. Lady Macbeth en est l’exemple le
plus célèbre.
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Claude Dorgeutlle
26
C'est la différence avec l’animal qui peut, lui aussi, effacer
scs traces, qui peut faire des traces fausses à l’occasion, mais
qui ne fait pas de trace particulière pour nous faire croire
qu'elles sont fausses. Là il y a un sujet, et ce qui nourrit
l’émergence du signifiant c'est que l’Autre réel ne sache pas. 'Il
ne savait pas’, s’enracine dans un ‘il ne doit pas savoir’, le
signifiant révèle le sujet mais en effaçant sa trace. Donc, on a
d'abord un petit a et un grand A, dans l’intervalle desquels le
sujet apparaît mais comme non-su. Ça vous explique la disposition
de la division subjective. L’angoisse est liée à ceci que toute
demande a toujours quelque chose de leurrant par rapport au
désir, et cela explique l'angoisse qu’induisent les réponses
comblantes, avec tout un commentaire sur la mère qui, comme
dit Lacan, elle passe son temps à torcher le cul de son gosse
du matin au soir et qui ne lui laisse pas un millimètre d’espace
libre. Le point essentiel donc, c’est l’aspect partiel de ces objets,
leur rapports avec une zone érogène séparée de tout le système
fonctionnel.

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_eçons 6 à 1
J

Etienne Oldenhove

A lors pour introduire ces leçons six à dix qui vont, c’est la
XA-presentation, je vais partir de la première phrase de Lacan
au début de la leçon six où Lacan dit ceci : «Donc, ce que j’évoque
ici pour vous n’est pas de la métaphysique». Alors, c’est une
phrase qu'il va répéter à plusieurs reprises au long de ces leçons,
puisque un peu plus tard il va dire aussi bien, «aujourd'hui je
m’abstiendrai de faire de la métaphysique». Alors, si je parle de
cela au tout début de cette séance c'est pour dire à quel point,
moi c’est quelque chose qui m'a frappé dans ce séminaire, cette
volonté de Lacan, malgré les apparences parce que ses élaborations
sont extrêmement complexes, de rejoindre le réel de la clinique
par ce biais de l'angoisse.
Il va se démarquer également de la science, ça se trouve dans
la dernière leçon, où commentant le, introduisant l’article de
Szasz, il va nous dire ceci : «s’il y a quelque chose que j’ai maintes
fois mis en cause, c'est justement le rapport du point de vue
scientifique en tant que sa visée est toujours de considérer le
manque comme comblable. En tout cas, avec la problématique
d’une expérience incluant celle de tenir compte du manque comme
tel*. 11 parle là de l’expérience analytique.
Bon, alors la façon dont je vais procéder, c’est reprendre les
mots même de Lacan, c’est aller de trébuchement en trébuchement,
ça vous le verrez très vite, et je vais essayer de faire un collage,
un collage comme il en parle à un moment donné quand on
parle de l’enseignement en disant que après tout, un enseignement,
Étienne Oldenhoue
28
c’cst un type d'enseignement, en tout cas ça ne peut être qu’un
collage, mais qu’il garde son intérêt si ce collage ménage la place
du manque, ménage la place du vide. Et je vous garantis que
cette place du manque, que cette place du vide elle sera ménagée
par ce que je vais vous amener.
Ce que je voulais dire également avant de commencer, c’était,
en relevant ces remarques de Lacan sur le «je ne fais pas de la
métaphysique», c’est quelque chose qui, je pense, a pu vous frapper
à la première lecture de ce séminaire, c’est à quel point il est
question du corps dans ce séminaire. Je trouve que c’est un
séminaire où Lacan cherche à donner toute sa place au corps.
Et moi, c’est une question qui m’a beaucoup retenu et qui, d’ailleurs,
a eu une incidence sur mon travail, et notamment sur ce que
J’avais amené lors des journées d’études sur la communité. Le
rapport de la communité au corps, cette spécificité là.
Alors j’ai fait un choix, lorsque j’ai su que je devrais présenter
ces cinq séances du séminaire. Mon choix a été de ne pas les
suivre pas à pas, donc de ne pas faire une présentation longitudinale
comme M. Dorgeuille l’a fait hier, une présentation qui à tout
son intérêt; moi j’ai choisi de faire plutôt une présentation
transversale de ces cinq séances, donc je vais naviguer dans ces
cinq séances en prenant quelques thèmes que je vais essayer de
suivre d’un bout à l’autre de ces cinq séances.
Alors, quels seront ces thèmes, j’en laisserai tomber certains,
le premier ce sera évidemment l’angoisse à qui le séminaire fait
honneur, le second, qui fait un peu l’axe de toutes ces séances,
c’est finalement le schéma optique que vous avez là inscrit au
bas du tableau, c’est à dire cette distinction que Lacan a déjà
amené dans les premières leçons, cette distinction entre le monde
et la scène sur laquelle on fait monter le monde. Là s’arrête de
plus la question de l’Introduction, la question de l’objet.
Alors je ferai, je reparlerai aussi également de la question de
la castration qui est tout à fait centrale ici, je parlerai également,
oui, de la façon dont Lacan Introduit la question du sadisme
Leçons 6 à 10
29
et du masochisme dans ces leçons-ci, ce que J'cn dirai sera
relativement bref puisque c’est plus dans les leçons suivantes
qu’il va vraiment aborder cette question et l'approfondir, mais
enfin il y a déjà une esquisse dans ces leçons-ci de la façon
dont il faut aborder cette question du masochisme et du sadisme.
Enfin, dernier point que j’aborderai, qui là est tout de même
largement abordé par Lacan dans ces leçons, c’est la question
du passage à l’acte et de l’acting-out.
Il y aurait d’autres points que j’aurai pu aborder mais il y en
a un que je laisserai pour les séances suivantes puisqu’elles seront
consacrées, les séances suivantes, seront consacrées à l’analyse
du contre-transfert et à la discussion des articles sur le contre-
transfert, donc la question du transfert qui est aussi un type de
lecture de ces séances, je ne l’aborderai pas. Malgré l’intérêt
que cela aurait.
Une autre question que je ne ferai qu’effleurer et qui pourtant
à mon avis est importante et est également un fil de ce séminaire,
c’est la question du deuil. Il y a plusieurs remarques importantes
de Lacan sur la question du deuil.
Voilà un peu pour mon introduction.
Alors, j’en viens donc à ce premier fil : l’angoisse. Quelques
petits rappels de ce que M. Dorgeuille vous a déjà amené hier,
je veux énoncer devant vous comme ça en espérant que ce ne
soit pas trop abrupt, une série de formules que Lacan amène
à propos de l’angoisse. Une des premières choses qu’il en dit
c’est que l’angoisse c’est un affect. Un affect dont il dit qu’il
n’est pas refoulé mais qu’il est désarrimé. Il s’en va à la dérive
n’étant plus amarré à des signifiants. Disant cela je pense
qu’il reprend une idée très freudienne, que Freud amène déjà
dans ses écrits métapsychologiques, notamment dans Pulsions
et destins des pulsions, où à propos de refoulement Freud
distingue bien le destin différent des représentations et de l’affect.
Alors, dans le séminaire l’Identification lorsque Lacan consacre
déjà une séance, où il annonce ce qu’il fera l’année suivante en
Etienne Oldenhoue
30
disant que ‘je vous parlerai de l’angoisse l’année prochaine’, et
à ce moment là il a même déjà une formule très générale pour
situer l’angoisse, ce qu’il va dire à ce moment là, c’est que
l’angoisse c’est la sensation du désir de l’autre. Ce qu’il va
illustrer par ce fameux apologue de la mante-religieuse, que
vous connaissez tous. Donc, lui, Lacan, face à une mante-
religieuse qui avait trois mètres de hauteur - pour respecter
un peu les restrictions, les proportions - pardon, entre mâle
et femelle et disant bien que l’angoisse surgit là du fait qu’il
ne sait pas ce qu’il est pour elle. Il ne se voit pas dans le
miroir de ses yeux, et que la question que pose de l’angoisse
c’est «que me veut l'Autre?»
Alors, autre point qu’il a déjà amené dans les séances précédentes
c’est de dire que l’angoisse surgit quand le manque vient à manquer.
Ce qui me permet de situer l’angoisse de façon très précise au
niveau de - cp. Donc de la partie droite du schéma optique, au
niveau de l'image virtuelle. Donc, angoisse quand le manque
vient à manquer; angoisse quand vient à manquer toute norme,
dit-il. La norme étant corrélative de l’idée du manque. Angoisse,
quand quelque chose vient se manifester de façon irrepérable
en - (p. De façon irrepérable ça veut dire de façon non spéculaire.
Autre point qui déjà était rappelé hier c’est la similitude de place
entre l’angoisse et le fantasme. Dès le début, dès la première
page du séminaire, Lacan rappelle qu’angoisse et fantasme sont
à la même place. Ça ne veut évidemment pas dire qu’il s’agisse
des mêmes choses, mais que par contre les enjeux sont identiques
- pour l’angoisse et pour le fantasme - ces enjeux étants le rapport
du sujet à l’objet petit a.
Alors, venons-en peut-être à ce qui est un peu plus nouveau
par rapport aux premières séances, aux cinq premières séances
du séminaire, c’est la question du signal. Lacan va constamment
insister sur le fait que l’angoisse est signal - il reprend là
d’ailleurs une thèse freudienne - signal dans le moi. Il s’agit
d’un signal dans le moi, signal de l’intervention de l’objet petit
Lx^ns 6 à 10
31
a au niveau de la partie droite du schéma optique; au niveau
de ce qu'il appellera la scène du monde. Cette scène sur laquelle
nous pouvons, on peut faire monter le monde.
Alors, de façon peut-être plus spécifique l'angoisse est le
signal de certains moments de cette relation entre le sujet et
le petit a. Plus loin dans les leçons qui suivent, dans la dixième
leçon, donc vous voyez que là je passe déjà à la dernière, il va
préciser les choses en disant que l’angoisse est le signal des
deux modes sous lesquels dans le rapport à l’autre le petit a
peut apparaître.
Alors, quels sont ces deux modes d'apparition du petit a ?
C’est une question qui a déjà été soulevée hier, c’est la question
du bord simple et du bord redoublé, c’est la question que Bernard
avait amené. Il suppose cette question entre rendre le paradoxe
de la façon dont il est parlé dans la littérature analytique de
l’angoisse, dans le discours analytique donc, il en est parlé, ce
paradoxe consistant dans le fait que de l’angoisse on n’en parle
aussi bien comme de la défense ultime contre la menace, contre
la détresse originelle ou même contre des dangers beaucoup plus
infimes, l’angoisse comme défense et par ailleurs la défense contre
l’angoisse, ou les défenses contre l’angoisse. On a là un discours
paradoxal constant dans la littérature psychanalytique. Alors,
ce qui va se remarquer à ce moment là c’est que la défense n’est
pas contre l’angoisse, mais contre ce dont l’angoisse est le signal,
c’est à dire, le signal d’un certain manque, le signal de l’imminence
de l’apparition d’un certain objet qui n’a rien à faire dans un
certain champ.
Mais de ce manque dit-il, il y a des structures différentes et -
ça Je pense qu’il faudra y revenir dans la discussion - le manque
du bord simple, c’est à dire celui du rapport avec l’image spéculaire,
et le manque du bord redoublé, c’est celui du rapport à la
coupure la plus loin poussée, celle qui concerne l'objet petit
a. Voilà ce rappel pour l’angoisse comme signal, signal de
l’imminence de l'apparition de l’objet petit a dans le champ
Étienne Oldenhove
32
spéculairc.
Alors, venons en maintenant aux séances que j’avais à vous
présenter, la première chose que Lacan va rappeler et sur laquelle
il va insister, il va insister lourdement, c’est de dire qu’il y a une
structure de l’angoisse. Que l’angoisse est encadrée ; elle est
encadrée exactement comme le fantasme. Il va d’ailleurs faire
une comparaison à ce moment là en disant que le fantasme,
d’une certain façon, c’est comme le tableau qui serait dans la
fenêtre à travers laquelle nous voyons, nous pourrions voir le
monde, mais justement le fantasme vient là comme, nous voiler
du monde, faire que nous ne le voyons pas. Il va faire remarquer,
qu’est-ce que ça veut dire que l’angoisse est encadrée ? Il nous fait
remarquer que ce miroir plan, le miroir du grand Autre n’est pas
du tout un miroir infini ; c’est un miroir qui a des limites. Alors,
moi, la façon dont je comprends les choses là, puisqu’il fait également
référence à la question du heim et du Unheimltch, je dirais moi
que ce qui fait cadre, ce qui fait le cadre c’est le heim.
Le heim ne pouvant se constituer d’une certaine façon, que à
situer quelque part en son sein YUnheimlich, à situer dans, en
son centre, cet Unheimlich, cet inquiétant qui doit être rejeté,
mais c’est comme ça que le heim se constitue, il se constitue de
cette exclusion là. Et l’angoisse c’est lorsque cet Unheimlich resurgit
au sein de ce heim. Donc, dans ce cadre là. L'Unheimlich que
Lacan va ici traduire par l’Autre, en rappelant cette proximité
entre l’Autre et l’hostile, dans la langue française, il dit de
l'Unheimlich que c’est de hostile admis, c’est de l’hostile qui a
été quelque part situé même s’il échappe, il a été situé dans le
heim. Il va le traduire également par l’inhabitant ou par l’inhabitué
- c’est ce qui est passé par les tamis du signifiant mais sans
avoir pu y être véritablement retenu. Il fonctionne comme reste
par rapport à ce passage.
Quand Lacan, donc, nous dit que l’angoisse est encadrée, il
amène cette autre formule, a savoir, que c’est un phénomène
de bord. Un phénomène de bord dans le champ imaginaire du
Leçons 6 à 10
33
moi. Phénomène de bord qui marque la limite illusoire de ce
monde de la reconnaissance, du monde de la scène, c’est à dire
du heim. Mais ce bord il faut le concevoir comme un bord
interne essentiellement - c’est à dire que l'angoisse se produit
justement au moment où ce bord interne est effacé, au moment
où, comme il l’a dit auparavant, le manque vient à manquer.
Lorsque - cp ne fonctionne plus en tant que tel, lorsque ce vide
qui est indispensable au fonctionnement du désir, est comblé
d’une façon ou d’une autre.
Autre trait de l’angoisse que Lacan relève, brièvement - c’est
le cas de le dire - c’est son caractère de soudaineté. L’angoisse
survient toujours «soudain», tout d’un coup, et c’est à ce moment
là d’ailleurs qu’il va nous rappeler cette fonction des trois coups
à l’ouverture d’une pièce de théâtre. Ces trois coups qui viennent
nous rappeler justement cette séparation entre le monde et la
scène. Cette séparation entre la salle et la scène. Il parle de ce
temps introductif, vite éludé de l’angoisse. Il en reparlera plus
tard lorsqu’il positionnera l’angoisse dans son tableau de la division,
dans une position médiane entre jouissance et désir, en disant
que ce temps de l’angoisse est toujours là, même si on ne s’en
aperçoit pas, même si le plus souvent on ne le compte pas. Mais
ce temps, ce temps est essentiel.
Autre point sur lequel Lacan revient constamment dans ces
leçons, c’est qu’il est faux de dire que l’angoisse est sans objet.
Il va nous marteler constamment que «l’angoisse n’est pas sans
objet». En insistant d’ailleurs sur la formule assez typique qu’il
emploie, puisque cette formule nous rappelle évidement celle
qu’il utilisait à propos du phallus, lorsqu’il disait: «il n’est pas
sans l’avoir». Ce «ne pas sans» est une formule bien particulière.
Alors, il est bien évident que l’objet de l’angoisse, il ne va pas
arrêter de nous le dire, c'est, mais il ne le dira pas, il le dira
rarement d’une façon positivée comme je vais vous le dire
maintenant, c’est l’objet petit a. Mais s’il utilise cette formule
«l’angoisse n’est pas sans objet», c’est justement parce qu’il va
Étienne Oldenhoue
34
remettre profondément en question la notion d’objet dans ce
séminaire en introduisant ce qu’est l’objet du désir et la différence
entre cet objet du désir et l’objet conçu selon certaines conceptions
traditionnelles.
Autre formule qu’il amène, qui est une formule difficile mais
à laquelle il tient, c’est de dire que l’angoisse, c’est cette coupure
même sans laquelle la présence du signifiant dans le réel, son
fonctionnement du signifiant, son entrée, son sillon dans le réel,
est impensable. Langoisse, il la définit comme coupure même
par laquelle le signifiant s’introduit dans le réel. Et c’est une
question qui le travaille: constamment, il fait référence à cette
difficulté de rendre compte de l’entrée du signifiant dans le réel.
Et c’est à ce moment là qu’il va amener cette formule qui moi
m’interpelle, c’est de dire que ce qui permet au signifiant de
s’incarner, c’est notre corps. On a là un nouage qui me paraît
tout à fait essentiel. Ce corps comme permettant au signifiant et
au réel de se nouer. Il y a également cette formule à laquelle on
a déjà fait allusion, qui est de dire que la véritable substance de
l’angoisse, c’est le «ce qui ne trompe pas». Lacan nous parle de
ce qui dans l’angoisse se tient d’affreuse certitude, ce qui est le
hors de doute de l’angoisse, et c’est à ce moment-là qu’il va nous
dire que agir, c’est arracher à l’angoisse sa certitude.
Alors, le «ce qui ne trompe pas», la façon dont moi je le comprends,
c’est que justement l’angoisse est là pour nous dire que tout ne
passe pas du côté du champ spéculaire, du champ droit, tout ne
passe pas sur la scène du monde - j’y reviendrai par après en
reparlant de cette distinction entre le monde et la scène sur laquelle
on fait monter le monde - c'est qu’il y a un reste à cette opération.
Autant la scène du monde est une scène faite pour la duperie,
une duperie qui est à la fois spéculaire et à la fois signifiante,
autant l’angoisse est là pour situer le fait que, il y a du «hors de
doute».
Autre formule qu’il amène d’ailleurs, dans le fil de ce qu’il
vient dire là sur le fait que la véritable substance de l’angoisse,
Leçons 6 à 10
35
c'est le «ce qui ne trompe pas», il aura cette formule où il dit
«l'angoisse, c’est ce qui regarde», ce qui justement échappe à
ce jeu de la duperie, dit-il, de la reproduction par le signifiant
du phénomène. Donc, ça n’est pas du tout du côté du vu, ça
n'est pas du tout du côté de l’image, c’est du côté de ce regard
qui est porté sur nous. Et, enfin, dernière formule que j’ai
extraite de ces séances - il y en aura d’autres qui viendront
dans les séances suivantes, mais que je trouvais importante -
c'est lorsqu'il relève que «l’angoisse est la seule traduction
subjective de l’objet petit a.» Il l’amène posé d’une façon interrogative,
ce qu'il nous dit à ce moment là, «l’angoisse ne serait-elle pas
le mode de communication absolu entre le sujet et le grand
Autre, ne serait-elle pas ce qui est commun au sujet et au
grand Autre?»
Voilà, ça c’était le premier axe que je voulais ramener, - je
l’ai fait d’une façon un peu abrupte, mais on va y revenir dans
la discussion.

R. Schindler :
- Tu va sans doute revenir sur une distinction plus nette entre
- tp et petit a ?

E. Oldenhove
Je vais amener maintenant par bribes et morceaux, cette question
tout à fait énorme qui est celle de l’objet, en la reprenant on va
tomber là sur la distinction entre - (p et petit a - en la reprenant
à partir de cette distinction amenée dès le début du séminaire
entre le monde et la scène sur laquelle nous faisons monter le
monde. Lacan se réfère là au schéma optique : pour simplifier
les choses, on pourrait dire que le monde, il est du côté de
l’image réelle, tandis que la scène sur laquelle on fait monter
le monde, elle est du côté de l’image virtuelle, donc le i’ de
petit (a). Ce schéma optique, il est omniprésent dans ce séminaire,
et je pense que par après, Lacan, d’une certaine façon, y reviendra
fctlennc OUlenhov<?
36 ’

beaucoup moins, c'cst là une des dernières fois qu’il travaille


autant ce schéma optique. 11 l’abandonnera, me semble-t-il,
par apres, peut-être parce que du fait qu'il est écrit sur une
surface plane, il se prête plus difficilement aux élaborations
qu’il tente de faire, à ce moment là. Il fera beaucoup plus
recours à la topologie. Enfin peut-être un tout petit rappel,
mol. c’est un schéma qui continue à m'interroger. Je le trouve
malgré tout bien utile, mais il faut essayer de le lire, il faut
essayer de voir ce qu’on peut en faire; un simple petit rappel,
c'est que lorsqu’il l'introduit par exemple dans le Séminaire 1,
me semble-t-il, à ce moment là, la question de Lacan, c’est
d'essayer de rendre compte de la possibilité pour l’imaginaire,
représenté par le vase, par l'image du vase, de venir donner
corps à quelque chose qui est conçu comme étant éparpillé,
comme étant en morceaux, à savoir, les fleurs, à savoir le réel.
Donc, à ce moment là, me semble-t-il, ce sur quoi Lacan met
plutôt l'accent, c’est sur un nouage entre imaginaire et réel. En
simplifiant de façon extrême les choses, je dirais que de l’autre
côté, du côté de la scène, du côté de l’image virtuelle elle est
faite de quoi essentiellement cette scène ? Elle est faite évidement
d’imaginaire et de signifiant, puisque le miroir plan, c’est en
même temps ce passage par l’Autre, ce passage par le signifiant.
Donc, on a à gauche, un nouage entre imaginaire et réel, on a à
droite un nouage entre imaginaire et symbolique, enfin quelque
chose dont la texture est faite essentiellement de l’imaginaire et
du symbolique; mais il faut bien que d’une certaine façon, la
place du réel soit ménagée par cette organisation. Je pense que
justement ce qui vient ménager au minimum cette place du
réel, ce qui ne veut pas dire qu’il y soit, mais que sa place y
est Indiquée par - <p ; elle y est indiquée par ce manque. Mais
nous y reviendrons par après, c'est une question extrêmement
difficile, mais moi, c'est un peu comme ça que Je vois les
choses; - (p est là l’index de l’absence du réel dans le champ
de la représentation, dans le champ de la scène du monde.
Leçons 6 à 10
37
C’est pas tellement facile à présenter ça, il y a énormément
de choses qui m’échappent. Bon, Lacan reprend la question
de libidinal à Freud. Freud nous fait remarquer que - je n’ai
pas été relire le texte - qu’il y aurait toujours un reste dans
cette réversibilité de l’investissement de la libido du corps
propre aux objets. Il y a quelque chose qui ne peut pas être
investi narcissiquement. La façon dont Lacan va le conceptualiser
est la suivante: ce reste, c’est évidemment cet objet petit a,
non spécularisable, qui justement ne peut pas passer du côté
d’une spécularisation, n’y passe que sous cette forme négative
du - cp. Le monde sur scène, ou la scène du monde, est toujours
anthropomorphique. Nous voyons le monde, c’est une chose que
nous savons tous, nous le voyons à notre image, nous le faisons
à notre image. Tout objet est toujours, d’une certain façon, façonné
à notre image, mais il y a un reste à cette opération. Et c’est de
ce reste dont Lacan nous dit qu’il faut toujours tenir compte.
Donc, Lacan amène, dans cette séance, la distinction entre
l’objet commun, si je peux dire, et l’objet petit a. Il va essayer de
préciser les choses progressivement. Il va opposer justement les
objets qui apparaissent sur la scène du monde, ces images virtuelles
si vous voulez, auxquelles nous avons constamment affaire, puisque
l’objet pour nous, c’est comme ça qu’il va se présenter. En disant
qu’il s’agit là de l’objet commun, de l’objet qui est situable, il est
situable parce qu’il est situé par un signifiant, il est situable
parce qu’il est spécularisé. Il le définit donc comme un objet
repérable et un objet échangeable. Par contre, l’objet petit a,
lui, est un objet privé. Il insiste beaucoup sur le caractère
tout à fait privé de cet objet là. Ce n’est pas un objet commun,
c’est un objet incommunicable, nous dit-il.
Dans la leçon sept, par exemple, il revient sur cette question
en disant qu’il faut bien distinguer deux sortes d’objets : ceux
qui peuvent se partager (du côté droit dans le schéma optique),
ceux qui appartiennent à la scène sur laquelle nous avons fait
monter le monde, les objets du partage et de la concurrence,
Klhmnn Oldrnlun
38
et ceux rjul ne peuvent pas se partager. Ceux qui ne peuvent
pixh ne partager, ce «ont, dlt-IJ à ce momcnt-là, le phallus, le
scyballc, Je mamelon et II nous annonce qu’il y en aura deux
autres dont II parlera par après et qui sont, comme vous le
savez, le regard et la voix. Faisant référence là aux cinq formes
de perte, auxquelles Freud avait fait allusion, dans Inhibition,
Symptôme et Angoisse.
Donc, ees objets petit a n'ont rien à faire dans le champ du
partage. EL lorsque, d'ailleurs, lorsque d’aventure, Ils y apparaîtraient,
d’une façon ou d’une autre, Ils vont susciter l’angoisse. C’est la
raison pour laquelle on peut dire que l’angoisse est la seule traduction
subjective de ces objets petit a. Ces objets sont antérieurs à la
constitution de l’objet commun, de l’objet socialisé. Donc, l’objet
petit a est à distinguer radicalement de l’objet créé, construit à
partir de la relation spéculairc.
Qu’est-ce qu’il va amener aussi? C’est de nous dire que cet
objet petit a, c’est un objet qui est externe à toute définition
possible de l’objectivité. Donc, bien sur, il va l’appeler objet
petit a, mais il ne s’agit pas Justement de le confondre avec la
notion habituelle que nous avons de l’objet. Ça n’est pas
véritablement un objet, même s’il va l’appeler objet ; c’est un
objet d’avant la distinction sujet-objet à laquelle nous sommes
habitués. Et c’est à ce moment là qu’il va nous dire que l’objet
petit a est la cause du désir. Et nous devons vraiment revenir
à celte notion de cause. IJobJct n’est pas en avant du désir,
l’objet dont 11 parle, nous dit-il, n’est pas visé par le désir,
comme on pourrait le concevoir par exemple si l’on se réfère
à une intentionnalité. C’est à ce moment là qu’il parle de Husserl,
de la philosophie de Husserl en disant que c’est l’aboutissement
d’un certain type de conception de l’objet. Donc l’objet n’est
pas ce qui est visé, n’est pas ce qui est devant nous, n’est pas
ce qui est dans ce miroir, que le miroir soit là ou pas. Il n’est
pas ce qui est sur la scène du monde. L’objet, il est derrière
le désir. L’objet du désir, d’une certaine façon, il est derrière
Leçons 6 à 10
139
nous, il est ce qui nous fait désirant.
Je vais peut-être un peu me répéter parce que mes notes ne
sont pas extrêmement claires - bon, enfin, je pense que la
répétition a sa fonction aussi. Donc il va insister sur le fait
que l'objet petit a est à l’extérieur, d’avant une certaine
intériorisation. C’est dire que l’objet petit a, c'est du côté gauche
du schéma optique, qu'il se constitue et c’est à ce moment-là
qu'il va faire cette comparaison, qu’il va nous dire que
fondamentalement l’objet petit a, c’est un morceau du corps
propre. On pourrait dire que ce qui en est l’équivalent c’est le
placenta. C’est-à-dire que l’unité de départ, au niveau de l'embryon,
comprend le placenta, comprend les enveloppes, et que la première
séparation, elle passe entre le sujet et ses enveloppes, qui
sont perdues à tout jamais. Donc, l’objet petit a est un extérieur
d’avant une certaine intériorisation, d’avant la construction
du moi, d’avant cette distinction entre moi et non moi, cette
distinction entre extérieur et intérieur au niveau droit du schéma
optique.
Cet objet petit a se constitue dans le rapport du sujet à l’Autre
comme reste et ce reste est abhorré par l’Autre. Ce sur quoi il va
beaucoup insister également, c’est sur le caractère non spécularisable
de l’objet petit a; c’est un élément pré-spéculaire, ce que je viens
d’indiquer donc, cet intérieur qui est à l’extérieur. Voilà!

R. Schindler :
- Il me semble à moi tout à fait important, cette distinction
entre l’objet antérieur à toute objectalité et l’objet commun, et
tu as dit: «l’objet qui préexiste même à la scission du moi / non-
moi, et même à la constitution du sujet dans l’Autre. Il me
semble qu’il y a là toute une difficulté qu’il ne faut pas oublier
quand on parle de cet objet qui n’est que métaphoriquement
un objet, petit a, que c’est en même temps, c’est ce qui préexiste,
le sujet en tant qu’il se constitue dans l’Autre et en même
temps c’est le reste de cette confrontation. Alors, c’est comme
deux temps de l’objet et cela a été dit hier: il s’agit de toute la
Étienne Oldenhov*
40
problématique de VUruerdrangung. Il y a une formule où Lacan
dit: ça revient, c’est revenir dans le réel d’où... C’est le reste,
ce qui est le préexistant, qui revient comme reste, comme reste
de cette préexistence, dans un..., mais c’est comme un deuxième
temps, on a tout à fait le sentiment pour quoi il faut deux
coupures. On ne peux pas le dire... avant / après.

R. Chemama :
- Au fond, tu voudrais dire que c’est une coupure double
plutôt que deux coupures. Car deux coupures, ça voudrait dire
que c’est successif, mais une coupure double, qui donne à la
fois cette dimension temporelle mais sans la présenter justement
dans l’ordre d’une succession. Une temporalité, mais inscrite
dans la structure elle-même, inscrite logiquement. C'est au fond
ça.

R. Schindler :
- Une petite remarque, simplement: ce qui me semble un
petit peu drôle c’est ce que Lacan dit là sur la castration, ça
n’a l’air de rien cette petite histoire qu’il raconte sur le Petit
Hans, c’est ce passage de cet objet privé à l’objet commun et
c’est là, l’angoisse de castration, et il s’agit de ça; c’est la question:
mais quand elle l’a coupé, ça va être où ? Où ça va être ? Ça va
être dans les mains de la mère, ça veut dire que c’est un objet
du marché et c’est là le point de l’angoisse de castration. Du
côté mâle, on sent déjà qu’il y a quelque chose de pas tout à fait
pareil peut-être.

E. Oldenhove
Bon, c’est très bien, ce que Régula ramène. Je l’avais noté
et puis, je l’ai laissé tomber, je ne sais pas très bien pourquoi,
mais effectivement cette façon dont Lacan revient sur cette question-
là, de la castration, la façon dont il va la présenter dans le
Petit Hans, il a des formules en disant : «la castration du
Leçons 6 à 10
41
complexe n'est pas une castration ; donc que l’essentiel de la
castration, ça ne consiste évidemment pas à couper le petit
zizi.
Par contre dit-il, il y a tout de même une chose de très juste
dans ce que dit Freud, c’est évidement le rapport de la castration
avec la coupure. Et c’est à ce moment là qu’il va nous dire que,
comment, rappelez-vous mon commentaire du Petit Hans, à partir
du moment où son petit organe aura été coupé, justement le
problème qui se pose, ce qu’il élabore parfaitement le Petit Hans,
c’est que ça devient justement un objet de partage, un objet qui
peut circuler, qui peut passer de main en main, un objet
«Zuhrndenheit» comme dit Lacan, un objet qu’on peut avoir
sous la main, et que ça c’est une illustration de la castration.
La castration, c’est ce passage de l’objet privé à l’objet socialisé,
si l’on peut dire.
Bon, ce sera peut-être là la dernière grande question que je
vais essayer d’aborder ici, et vous verrez tout mon embarras,
et en même temps mon intérêt par rapport a cette question,
c’est la question de la castration. Puisque, je ne comprends
pas bien ce que Lacan nous dit, mais ça me paraît tout à fait
essentiel, où à la fois il n’arrête pas de nous dire: Freud s’arrête
là, c’est sa limite, mais cette limite est dépassable. Et il nous
faut la dépasser, on voit bien qu’il donne quelques indications
par rapport à ça, mais ça n’est quand même pas si évident que
ça.
Je vais peut-être commencer par simplement vous dire quelques
petites réflexions qui me sont venues à propos de la castration,
en relisant ces leçons-ci, c’est que la castration, ça n’a rien à
voir avec ce qu’en philosophie, on pourra appeler la finitude.
Je reviens là à ce que j’ai rappelé au début, la citation où
Lacan dit «je ne suis pas en train de faire de la métaphysique,
je m’abstiendrai de faire de la métaphysique».
La castration, ça n’est sûrement pas à confondre avec ce
que souvent, en philosophie, on désigne par la finitude. La
Étienne Oldenhove
42
castration concerne le corps, on ne peut pas en faire quelque
chose d’abstrait, et elle concerne et elle concernera toujours le
corps, je pense qu’elle concerne le corps, qu’elle passe par là,
parce que c’est tout de même là que s’inscrit la différence des
sexes pour nous, du genre humain. Et ce qui est aussi toujours
étonnant, c’est cette nécessité du passage par l’imaginaire, pour
la castration. Quand on voit la façon dont Freud l’amène, c’est
tout de même toujours d’abord comme castration imaginaire
qu’elle est repérée.
J’ai dit que la castration concerne notre corps, j’ajouterai quelle
concerne le corps de l’Autre aussi, le corps du grand Autre, car
au grand Autre, nous ne pouvons que donner un corps. Et notre
corps ne fonctionne que pris dans un autre corps, que pris dans
le corps de l’Autre, que pris dans le corps du symbolique. Ce
qu’illustre la problématique transsexuelle où me semble-t-il, là,
on a un rapport au corps qui prétendrait se contenter d’une définition,
d’un repérage du corps comme soit simplement réel, soit simplement
imaginaire, et qui ferait fi de la façon dont le corps est toujours
marqué par sa prise dans un autre corps, dans le corps de l’Autre.
Je pense qu’il ne faut pas craindre le ridicule en disant que
même si nous n’arrêtons pas de parler de la castration, depuis
un siècle. La question de la castration n’est pas amenée
immédiatement par Freud, je pense qu’il ne l’amène, que ça ne
devient quelque chose de central dans son œuvre qu’à partir
des années 1907-1908, je n’ai pas retravaillé ça, mais je ne pense
pas que avant ces années-là, elle ait une place aussi centrale
dans son œuvre qu’elle l’aura par après.
Car il me semble me souvenir que Lacan lui-même, après trente
ans d’enseignement, dans, si mon souvenir est bon, c’est dans le
séminaire Le savoir du Psychanalyste, a la simplicité de dire
mais: «moi je me demande toujours ce que c’est que la castration».
C’est vraiment une question que nous avons à nous reposer
constamment.
Revenons un peu maintenant à ce séminaire-ci où Lacan nous
Leçons 6 à 10
43
dit que le complexe de castration peut être remis en question.
Et il ajoute: «qu’il soit dernier, n’est pas nécessaire». Cette limite
à laquelle Freud s’est arrêté n’est pas nécessaire.
J’ajouterais personnellement que je pense que cette question
- ne nous faisons pas d’illusions - la question de la castration
reste et restera toujours un passage obligé.
Alors, comment est-ce que je vais ramener cette question
difficile, comment est-ce que Lacan, ce n’est pas du tout moi
qui la ramène de cette façon là, c’est par quelques rappels qui
viennent compliquer la question. Dès les premières leçons,
dès la leçon trois, Lacan nous dit: il n’y a pas d’image du manque.
Il est très catégorique là dessus et c’est d’ailleurs à ce moment
là qu’il introduit cette notation. S’il l’écrit - <p c’est justement
parce qu’il n’y a pas d’image du manque. Il nous dit le phallus
n’est pas représenté au niveau de l’imaginaire. Il va y apparaître
comme en pointillés qui viennent justement situer une place vide,
mais en tant que tel, il n’y apparaît pas. Je pense que ça rejoint
un peu. Régula, la question de cette différentiation entre objet
petit a et - cp, parce que le phallus comme objet petit a, et le
phallus comme - tp sont à deux places tout à fait différentes: ce
n'est pas exactement le même phallus, si je peux dire.

R. Schindler :
- Il est évident que dans le petit a, il ne s’agit pas du phallus
de la même manière. Le phallus peut bien circuler, le phallus,
vient comme ça, comme quelque chose qui bouche ce trou réel
de la privation. Pour moi c’est peut-être un peu simpliste, pour
moi il y a les deux étages, il y a l’étage de la privation réelle
- où l’objet a, c’est pas là - et il y a l’étage de la castration;
c’est le - (p. C’est le phallus qui vient négativer les objets a.

E. Oldenhove :
Donc, premier rappel : il n’y a pas d’image du manque. On
pourrait dire qu’il y a là, que Lacan relève clairement là un discord,
Étienne Oldenhoue
44
je dirais, entre imaginaire et symbolique. Alors, ce «il n’y a
pas d’image du manque», il y aurait moyen également d’en
retrouver... C’est quelque chose que Lacan amène à partir de
- enfin je n’y fais qu’allusion - mais qu’il amène à la fin du
séminaire sur le transfert, lorsque justement il commente l’article
d’Abraham : Esquisse d’une histoire du développement de
la libido, basé sur la psychanalyse des troubles mentaux » où
Lacan ramène ces rêves d’hystériques où dans le rêve, il n’y a
pas de représentation (du phallus).

Donc :
1- il n’y a pas d’image du manque ;
2- ce sur quoi Lacan va insister également, c’est de nous
rappeler que «il n’y a pas de manque dans le réel».
Donc, là, on pourrait dire qu’il relève ce discord entre Réel et
Symbolique. Il nous rappelle que le manque n’est saisissable
que par l’intermédiaire du Symbolique, le symbole désignant la
place, l’absence. Le symbole présentifie ce qui n’est pas là. Et,
c’est à ce moment là qu’il va soutenir un peu notre réflexion
avec un petit apologue qui est celui du livre qui manque dans la
bibliothèque et des gravures qui manquent dans ce livre en disant
qu’il ne s’agit peut-être pas du même manque, dans l’un et l’autre
cas. Et qu’il a cette formule, extrêmement importante je trouve,
qui est de dire que la fonction de trou n’est pas univoque. Il y a
deux types de manque, nous dit-il : le manque que le symbole
comble facilement (pour revenir à l’exemple de la bibliothèque,
il est bien évident qu’on voit que le symbole là comble facilement
le manque du livre à sa place, dans la bibliothèque). Donc, premier
type de manque, c’est le manque que le symbole comble facilement.
Deuxième type de manque, c’est cette structure qui ne comporte
pas le comblement du trou. Et là évidement, Lacan, va recourir
à la topologie et notamment à la coupure en huit intérieur sur
un tore qui ne peut être réduite à un point, à la coupure du
crosscap également, donc distinguant un type de manque tout à
leçons 6 à 10
45
fait irréductible. Et c’est ce manque Irréductible, ce manque
que le symbole ne peut pas combler, ce manque radical, et
radical à la constitution même de la subjectivité, c’est cette
pièce perdue dès le départ, qui nous constitue comme sujet.
Je ne peux pas manquer de vous citer une phrase, extrêmement
importante je trouve, à la page 152 dans mon édition qui est la
seconde de ce Séminaire L’Angoisse, où, ayant parlé de ce
manque radical, de ce second type de manque, Lacan dit ceci:
«dès que ça se sait, dès que quelque chose du réel vient au
savoir, il y a quelque chose de perdu et la façon la plus certaine
d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le concevoir
comme un morceau du corps».
C’est après qu’il va revenir avec la question de la privation, en
disant que s’il n’y a pas d’image du manque, et s’il n’y a pas de
manque dans le réel, la privation, elle, est quelque chose de réel,
c’est un manque réel, tandis que la castration est symbolique.

R. Schindler :
- Il n’y a pas de manque réel, il y a un trou réel, et qui est
symbolisé comme manque.

E. Oldenhove :
Je dois dire que j’ai trouvé difficile à faire, cette distinction
entre manque et trou.

R. Schindler :
- Mais c’est tout à fait ce que fait Lacan Et je citerai
Lacan. Il dit : moins phi (- (p), c’est la symbolisation du
manque». Et c’est uniquement comme dernier terme qu’il projette
à Freud, que ça peut être mis en question par ce petit a,
manque auquel le symbole ne s’y prête pas. Tu as dit ça, mais,
c’est tout à fait important. Il va se nouer - le manque, et le
trou et la perte - le manque et la perte. Mais c’est quand même
tout a fait important d’obtenir dans un premier temps, de
Étienne Oldenhoue
46
(11I lcrencler ce niveau de la symbolisation du manque, du - cpt
qui esl le niveau de la castration et cet autre niveau où 11 y a
une perte qui n'est pas symbollsablc.

R. Chcmama :
- Mol, Je voudrais Juste revenir un petit peu plus haut sur
celle distinction, Justement sur cette question que tu as posé
de - <p et petit a. Je dois dire, Il me semble que, nous souhaitons
pouvoir d'emblée séparer très nettement ces deux écritures ou
ces deux, comment dirais-je, oui, ces deux écritures dit Lacan,
puisque même petit a, c’est une écriture, il dit qu’il prend un
signe algébrique justement parce que objet c’est presque déjà
trop de métaphore. S’il prend une écriture algébrique, c’est pour
qu’on ne sc fixe pas meme sur quelque chose qui serait une
représentation d’un objet.
Alors, il me semble que ce sur quoi il faut insister c’est que
les deux termes varient, comment dirais-je, dans leur fonctionnement
tout au long du séminaire. C’est peut-être ça qui fait que nous
avons du mal à fixer, une fois pour toutes, leur usage. Il me
semble que ça varie. Pour prendre tout simplement deux exemples,
à un moment où ça va être plus clair ça va être le moment où il
va inscrire la série des objets petit a, où il va inscrire un rôle au
phallus, d’une certaine façon, où à ce moment là le manque phallique
va intervenir comme une des grandes formes de ce qui peut manquer
au niveau donc de l’objet, de l’objet cause du désir, et bien sûr,
tous les autres vont être là ordonnés par ce manque phallique,
par la castration, mais enfin ils peuvent sembler aussi s’inscrire
dans la série. Et puis alors, c’est vrai, il va des points qui
sont, où les choses semblent fonctionner d’une manière moins
simple, puisque dans ce chapitre du 16 janvier 1963, où Lacan
a présenté l’objet petit a avant tout comme cause du désir -
Je crois que tu as tout à fait justement insisté sur cette opposition
entre la cause et puis l’objet qu’on croit être celui du désir,
alors que finalement nous sommes commandés par une cause
Leçons 6 à 10
47
qui est derrière nous etc., tout ce qu’il a amené là, et après
avoir amené différentes choses à propos de cet objet petit a,
il dit qu’il va amener cette dimension d’objet petit a comme
manque. Alors, bien sur, à ce moment-là, il dit, on voit apparaître
dans le schéma la notation - <p à la place où petit a manque.
C’est a dire, - 9, ça vient simplement indiquer à ce moment-
là en quelque sorte, ce petit a, mais dans sa dimension de
manque, et du coup il va en arriver à dire que l’objet petit a,
c’est le roc dont parle Freud, autrement dit, le roc de la castration.
Autrement dit, là vraiment on a l’impression qu’on n’est au point
où les choses entre petit a e - cp sont plus confondues. C’est a dire
... Non ? Tu ne l’entends pas comme ça?
Enfin, le roc, c’est - cp, enfin, c’est petit a, ce roc c’est la même
chose, je crois, à ce moment là. C’est une difficulté que j’ai peut-
être.

(Commentaire inaudible)
Mais enfin, là, le roc c’est le petit a, c’est à dire, ce n’est pas
une des formes privilégiées, ce n’est pas - cp...

(Question inaudible sur l’impuissance et sur l’impossibilité.)

R. Chemama :
- Je voudrais juste signaler aussi une petite difficulté de
plus, c’est que dans un passage plus loin dans le séminaire • • •

un petit peu plus loin dans le séminaire, dans un passage que


je vais essayer de présenter, il distingue très précisément en
ce qui concerne le côté masculin et féminin, quant à cette articulation
entre - cp et petit a, c’est à dire que c’est pour les hommes que
la dimension de petit a est reversée dans le vide de la castration,
on aura vraiment à s’interroger là-dessus. Ce qui là distingue,
ce qui fait que c’est à partir du côté mâle que la dimension de
petit a, nous ne pouvons l’aborder que dans le noeud de la
(tt terme Oldenhoijf;
48
castration, alors que nous aurons à le différencier du côté
féminin. Mais enfin ça on ne va pas trop anticiper peut-être.

R. Schindler :
- Pour moi, c'est évident que les femmes ont un rapport
beaucoup plus direct avec ce petit a, alors que chez les hommes,
il y a toujours cette défense parce qu'il faut, pour les hommes,
le mettre dans ce vide de la castration. Il me semble que Lacan,
c’est par le biais plutôt féminin qu’il est arrivé à ces histoires
de petit a et d’aller plus loin que Freud, que le - (p de Freud.
Il dit aussi que c’est ça, le roc de la castration mais justement
il ...(inaudible)
Et peut-être une petite remarque sur cette... analyse, l’analyse
infinie et ...le roc de la castration et penisneid.
Déjà la traduction, on dit le roc biologique je crois, enfin je
crois que chez Freud c'est une expression assez paradoxale, c’est
que le ...on dit de l’organisme, c’est l’enfant qui vexe, c’est les
plantes qui vexent. Alors c’est le paradoxe. C’est quelque chose
qui a poussé mais qui est en même temps un roc pétrifié. Oui,
Freud commence avec ça, c’est ça le roc de la castration, déjà on
pourrait dire que s’il appelle angoisse de castration là, du côté mâle,
c’est quand même spécifié comme la résistance envers la soumission
de se mettre à la position féminine à propos de l’autre homme.
Alors, avec le penisneid chez les femmes, dans les deux cas il
s’agit d’un refus de se mettre dans la position féminine pour
l’autre. Alors, après ça, paradoxalement il ne parle pas du
tout de ce penisneid et de cette angoisse de castration, mais
il parle de la réaction thérapeutique négative. Il parle du transfert
négatif profond, la réaction thérapeutique négative. Il parle
d’un moment dans l’analyse, où il a une expression, l’analyste
est devenu rien qu’un étranger (Unheimlich). Et tout ce qu’il
dit, enfin ça n’arrive plus, chez l’analysant. Ce sont des femmes
donc qui parlent. Cette situation quand le désir n’y est plus,
le désir n’y est plus et l’analyste peut dire ce qu’il veut, ça
Leçxiôâ 10
49
n arrive plus. Et c’est là, Il rne semble. 0 0 0 Freud parle de ce «en
dehors du phallique* du désir phallique aussi, dans une certaine
manière négative; c’est ça la réaction thérapeutique négative, et
il ne sait pas quoi faire avec ça, il ne peut rien faire.
Oui, pour dire que, on peut très bien avec Lacan lire certains
textes de Freud du point du vue de «ce en dehors du phallique
c'est la où ça échoue. Comme cela a échoué avec Dora. C’est
parce que Freud a insisté sur le - 9 que ça ne marche plus, et
c’est un moment très, très difficile.

R. Chemama :
- Ca, ça me parait très important parce que c’est vraiment
une des thèses de Lacan quant à la direction de la cure, quand
a la fin de l’analyse et notamment pour une femme, j’en parlerai
jeudi - que de dire que est-ce qu’il faut vraiment la ramener
toujours à cette, comment dirai-je, à cette envie du pénis, enfin
à cette façon de penser quelles vont reprendre le flambeau masculin
pour faire mieux que l’homme, etc... ? C’est nous au fond qui
induisons que c’est ça qu’il y a au terme. Et de quelle façon
nous l’induisons, c’est quelque chose comme ça qui sera tout à
fait à reprendre et à questionner. Mais, alors, je crois, je ne sais
pas s’il y a une question tout de suite dans la salle, ou une remarque,
une intervention... Sinon on va continuer un petit peu, il paraît
qu’aujourd’hui on va s’arrêter à 10h30. Ça laisse la possibilité
à Étienne de développer encore un point ou deux.

E. Oldenhove
Le point que moi j’ai complètement laissé tomber, et pas
pour rien - c’est le rapport entre le désir et la loi. Peut-être un
petit rappel parce que moi je trouve que ce n’est pas si évident
que ça, je me contenterai simplement de vous dire que Lacan
insiste beaucoup pour dire que le désir et la loi ne sont qu’une
seule et même barrière pour nous barrer l’accès de la chose,
il nous dit le désir et la loi sont la même chose en ce sens que
Étienne Oldenhoue
50
désir et loi ont leur objet commun. C’est la signification du
complexe d’Oedipe.
Le désir pour la mère, le désir du père pour la mère, est
identique à la fonction de la loi, nous dit-il. Le désir du père
et la loi ne sont qu’une seule et même chose, seule la fonction
de la loi trace le chemin du désir, la loi qui interdit la mère
impose de la désirer, on désire au commandement. Le désir
du père est cela qui a fait la loi. Et puis alors, il dit que l’effet
central de cette identité qui conjugue le désir du père à la loi,
c’est le complexe de castration. Bon, - (p à la place où a manque.
Je ne peux pas vous en dire plus. Je n’ai pas bien compris là
ce qu’il voulait amener. Donc on pourra y revenir dans la discussion.
Alors il me reste peut-être quand même deux questions, ne
fût-ce qu’à les introduire parce qu’elles vont être largement
retravaillées dans les séances suivantes, qui sont, d’une part la
question qu’il a introduit dans ces séances, qui sont la question
du sadisme et du masochisme, mais il va beaucoup plus la développer
dans les séances qui vont suivre, et il fait plus qu’introduire
cette distinction entre acting-out et passage à l’actc. Et je pense
que c’est maintenant qu’il faut le faire parce que ça tient tout à
fait à cette distinction autour de laquelle on n’a pas arrêté de
tourner aujourd’hui entre le monde et la scène du monde. Alors
commençons peut-être par le sadisme et le masochisme.
Du sadisme, Lacan ne va pas dire énormément dans ces
séances-ci, si ce n’est qu’il va tout de même déjà en relever ce
qui en est sans doute l’essentiel, c’est que le désir sadique,
fondamentalement, ce qu’il cherche, c’est l’angoisse de l’Autre.
Il nous dira que le masochiste également, c’est cela sa véritable
structure, c’est de chercher à susciter cette angoisse chez l’Autre,
l’angoisse du grand Autre. Alors, j’ai peut-être mal compris
mais il me semble que ce qu’il nous indique, en tout cas dans
ces séances-ci à propos du sadique, c’est que lui va chercher
à se faire apparaître sur scène, parce qu’il y a toujours cette
dimension de la scène, qui reste capitale que ce soit dans le
Uçonsôà 10
51
sadisme et dans le masochisme, il va essayer de se faire apparaître
sur scène comme objet petit a, comme pur objet, comme fétiche
noir nous dit Lacan.
Alors, moi je trouve ça extrêmement important et ça nous
permet même d’aborder cette question du sadisme et du
masochisme d’une façon tout à fait différente de la façon dont
on conçoit habituellement ce couple comme s’il était centré
autour de la souffrance, comme si le but du sadique était
d’infliger une souffrance à l’autre, d’en jouir, etc. Tout de même,
de nous dire que ce qui est recherché, c’est l’angoisse de l’Autre
(fondamentalement c’est ça ce qui est recherché); c’est beaucoup
plus éclairant.
Alors, du côté du masochisme, là également ce qui est recherché
c’est l’angoisse de l’Autre mais l’identification est tout à fait différente,
puisque l’identification du masochiste, même si sa visée, c’est
d’apparaître comme l’objet déchet, il va tenter d’y arriver en
s’identifiant à l’objet commun. D’où cette façon dont le masochiste
va accepter d’être traité comme un objet du partage, un objet
échangeable, un objet sur lequel on peut faire des traites, un
objet qu’on peut jeter au rebut. Lacan amène cette formule qui
est de dire que «se reconnaître comme objet de son désir, c’est
toujours masochiste», nous fait-il remarquer.
Dernier point que je vais aborder, et je vais conclure là-
dessus, c’est la distinction entre passage à l’acte et acting-out.
Je ne ferai pas tous les rappels que fait Lacan, puisqu’il va
étayer cette distinction, sur les cas cliniques célèbres de Freud
(que ce soit Dora, ou que ce soit la jeune homosexuelle). Pour
ce qui en est du passage à l’acte (pour la jeune homosexuelle),
le passage à l’acte, c’est évidement ce moment où elle se laisse
choir, niederkommen comme il est dit en allemand, (c’est sa
tentative de suicide où elle se jette dans ce ravin où passe un
chemin de fer, si mon souvenir est bon). Chez Dora, le passage
à l’acte, Lacan le repère au niveau de la gifle que Dora donne
à M. K au moment où celui-ci lui dit d’une façon un peu légère
Étienne Oldenhoue
52
que sa femme n'est rien pour lui. Autre exemple de passage à
l’acte, c’est celui de la fugue.
Lacan nous rappelle à quel point justement la fugue épouse
ce qui est la structure même du passage à l’acte, puisque la
façon dont il va définir le passage à l’acte, c’est d’être une
sortie hors de la scène. Ce qui est illustré si je peux dire, bien
que le mot ait quelque chose de malheureux, par ces passages
à l’acte que nous connaissons bien, notamment dans la mélancolie,
à savoir la défenestration, ce passage justement par la fenêtre,
cette identification absolue du mélancolique à l’objet petit a, et
sa sortie hors de la scène.
Voilà pour ce qui en est du passage à l’acte d’une façon
extrêmement brève.
Pour ce qui en est de l’acting-out, ça a aussi à voir avec ce
rapport entre le monde et la scène; là également Lacan va s’appuyer
sur le cas de la jeune homosexuelle en disant que toute son
aventure avec cette dame de réputation douteuse à laquelle elle
se lie, toute cette aventure est un acting-out. Dans le cas de Dora,
il va nous dire que c’est le comportement paradoxal de Dora
dans le ménage de Mr. et Mme. K. qui est un acting-out, et il va
également s’appuyer sur le célèbre exemple qu’il avait déjà donné
dans le Séminaire 1 si mon souvenir est bon, des cervelles
fraîches d’Ernst Kris, comme illustration de ce qu’est un acting-
out. Alors, ce sur quoi il va insister dans ce séminaire-ci,
c’est que la structure de l’acting-out, c’est quelque chose dans
la conduite du sujet essentiellement qui se montre. L’acting-
out a toujours un accent démonstratif, nous dit-il, un accent
d’orientation, d’adresse à l’autre. L’acting-out est toujours public
et c’est ce qui est recherché, on le voit bien dans le cas de la
jeune homosexuelle, d’où toute l’importance pour elle, que
toute la ville soit bien au courant de cette relation qu’elle a
avec cette femme à la réputation douteuse.
Ce qui se montre dans l’acting-out se montre essentiellement
comme autre que ça n’est. Et ce que ça est, nous dit Lacan,
personne ne le sait, mais que ce soit autre, personne n’en doute.
C’est comme ça que l’acting-out va se présenter.
Leçons 6 à H)
53
Donc, l’acting-out est essentiellement monstration, montrant
sa cause, c'est ce reste, c’est sa chute, c’est ce qui tombe dans
l’affaire qui est l’essentiel de ce qui est montré. Donc, Je dirais,
enfin moi c'est la façon dont je comprends l’acting-out: autant le
passage à l'acte est une sortie hors de la scène, autant l’acting-
out est une tentative de faire monter, d’une façon ou d’une autre,
sur scène ce qu’il en serait de l'objet petit a, ce qu’il en serait du
reste.
Assez curieusement, Lacan nous dit que l'acting-out appelle
l'interprétation, à la différence du symptôme qui lui, ne l’appellerait
pas, en tout cas dans un premier temps, puisqu’il va dire que le
symptôme, lui, il est Jouissance fourré qui se suffit à elle-même,
il n’est pas appel à l’autre, ça n’est justement que par la réintroduction
de l’Autre, par le biais du transfert qu'éventuellement il pourrait
être interprétable alors que de l’acting-out, il nous dit, qu’il appelle
l’interprétation. Mais quelques pages plus loin, il va préciser
que nous n’avons pas d’illusions à nous faire sur l’interprétation
à faire dans ce type de situation, et il nous met en garde en
disant bien, ce qui est valable d’ailleurs pour toute interprétation,
que ce n’est pas le sens de ce que vous interpréterez qui compte,
mais c’est le reste. Donc, je pense que la position à prendre
par rapport à un acting-out c’est justement de tenir compte de
cette dimension du reste, qui ne peut pas monter sur la scène.
Dernière formule comme ça pour terminer maintenant à propos
de l’acting-out, enfin je résume les choses d’une façon extrême
vous savez, il nous dit que l’acting-out c’est l’amorce du transfert,
c’est vraiment, adresse à l’autre, c’est le transfert sauvage; le
transfert sans analyse c’est l’acting-out, l’acting-out sans analyse
c’est le transfert.
Autre petit remarque clinique qu’il amène à la toute fin de
la dixième leçon lorsqu’il parle d’un cas, je ne sais plus lequel,
je pense que c’est celui de Barbara Low, de ces fameuses névroses
de caractère, à l’époque on appelle névrose de caractère ce que
peut-être actuellement on appellerait état limite, c’est un cas
Éllenne Oldenhooe
54
de cleptomanie, dont il va nous dire qu'il ne s’agit pas d’une
espèce de sujet mais d'une zone de rapport. Cette zone de rapport
c’est l'acting-out. On pourrait dire que l’indication qu’il donne
là, peut-être, enfin une des indications qu'il donne, c’est que ce
que nous appelons état limite, est peut-être à référer à une clinique
de l'acting-out.
Dernière formule que je vais utiliser pour conclure et pour
introduire la discussion, je vous ai dit que ma façon à moi de
lire ce qu’il disait de l’acting-out c’est d’essayer de faire monter
quelque chose du monde sur la scène, il nous dit «l’acting-out
c’est que les spectateurs - et pour l’instant vous êtes dans cette
position là - montent sur la scène et ils disent ce qu’ils ont à
dire». Alors, un peu d’acting-out s’il vous plaît!

C. Melman :
- Ce que nous avons entendu hier après-midi, grâce à nos
amis belges, une excellente conférence sur la littérature (belge)
par M. Quaghebeur - et ce qui me touchait particulièrement,
c’est que, sans le savoir, il nous parlait très exactement de notre
séminaire sur l’angoisse, et en particulier de la question de la
castration et du roc de la castration. Et en retrouvant ce que
Régula Schindler évoquait à l’instant à propos de Freud, ce que
Freud spécifiait par ce terme, c’est à dire, ce sentiment générateur
de révolte, de la part d’un certain nombre d’élèves, ou d’hommes
de son entourage, d’être maintenus par lui dans une position
féminine et de ne pas parvenir, de son fait, à accéder à ce qui
serait, appelons ça l'indépendance... combien d’ailleurs ce que
ce terme veut dire. Et il est évidemment facile de rappeler que
Lacan tenait ce séminaire sur l’angoisse au moment où la question
se posait de façon algüe entre lui même et ses élèves, qui étaient
en train, en 1963, d’essayer de l’exclure du champ du monde,
par un certain nombre de mesures administratives prises par
le milieu analytique international. II s’en est d’ailleurs failli
d’assez peu que ça réussisse.
t
/
i
Leçons 6 à 10
55
Alors, nous étions donc, grâce à ce merveilleux conférencier
d’hier après-midi, nous étions d'une certain façon au coeur de
notre problème et de celui qui Étienne Oldenhove a essayé de
remettre en place ce matin, en particulier à propos de la distinction
de <p et de petit a, et il me semble que ce qui nous gênait peut-
être ce matin, c’était de ne pas faire la distinction claire entre
grand $, qui comme le disait Régula est un symbole, aucunement
un objet, mais qui est le symbole de ce que va inévitablement
rencontrer l’enfant (..) à son entrée, je dirais, dans le monde
de la parole, rencontrer ce manque dans l’Autre, qui aussitôt
va évidemment l’intriguer, l’intéresser, le capter, le concerner,
et petit a - les objets, cette fois là, petit a - dont fait partie
moins petit phi (- (p) et par lesquels il va tenter de répondre
à cet appel perçu dans l’Autre, auquel il va donc tenter de
répondre, souvent par le biais de cet objet, du même coup sa
place ou le moyen de se faire reconnaître par l’autre, d’assurer
par cet objet, comme nous le dit Lacan, la garantie, en quelque
sorte, de la jouissance, qui le noue à l’Autre.
Le problème du roc de la castration c’est, bien entendu,
cette coupure que i(a) auquel l’enfant a affaire, et aussi bien
pourquoi pas l’analysant, c’est que i(a), cet objet, il l’a et il
me semble que c’est bien ce qui constitue le roc de la castration.
Ce que Lacan semble estimer dépassable, c’est ce mouvement
qui permettrait au sujet de reconnaître que cet objet petit a,
dont ainsi se supporte i(a), que cet objet, ce n’est jamais que
le sien. Autrement dit, ou encore comme le dit Lacan, que
c’est lui, l’analysant qui sait.
C’est donc effectivement, comme je crois si ce que je vous
rappelle ici est juste, exact, le point qui permettrait à l’analyse
de s’arrêter sur un autre divorce que celui du «ou lui ou moi»,
ou bien qui consiste bien entendu à attendre la mort de l’autre
pour que enfin ça advienne, que ça se réalise, autre position
bien entendu plus classique, ou encore qui puisse, je dirais dans
les passions collectives qui ne sont pas moins, comme nous le
Étienne Oldenhoue
56
savons, importantes et décisives, entraîner là aussi dans un
type d’engagement organisé autour du «ou lui, ou moi». Et, c’est
aussi pourquoi je me suis permis très rapidement de signaler à
notre conférencier d’hier que l’affirmation de l’identité par le moyen
de la langue, l'affirmation de l’identité de soi, passe inévitablement
par la mise en place d’une police de la langue. C’est-à-dire, cela
même qui se trouve ordinairement dénoncé par ceux qui s’estiment
laissés en marge par cette langue, mis dans une position de marginalité.
Et Je crois que c’est une de nos questions toujours vive, toujours
ouverte que celle que nous sommes en train de traiter, avec ce
problème auquel Je suis, je dirais, moi-même, évidemment cette
difficulté à laquelle Je suis soumis comme chacun d’entre nous,
c'est que ce séminaire porte très exactement sur tout ce que nous
ne voulons pas savoir. Car le savoir n’est fait précisément, ne se
soutient que de ce qui ici lui échappe et qui ici se trouve traité et
f figuré, c’est-à-dire de ce qui fait sa Jouissance. Car sans quoi, il
n’y a pas de savoir.
Donc, une fois encore, je crois que notre problème sera d’apprécier,
s

f' X de mesurer nos limites, la tolérance, je dirais, devant ce qui est, en


1 dernier ressort, très simple et de savoir si cette simplicité, qu’il évoque
d’ailleurs, Claude Dorgeuille, hier, s'en étonnait un petit peu, pourquoi
se met-il à parler de l’enseignement, de l’idéal de simplicité de
l’enseignement, de ce que c'est qu’un enseignement, mais un
enseignement ça n’est jamais que contourner, que mettre en place,
ceci sans Jamais pouvoir le dire. Alors, jusqu’à quel point nous
mêmes, les tolérons nous, Je veux dire jusqu’à quel point nous
n’avons pas nos inhibitions, nos empêchements, nos embarras,
pour accepter de renoncer à cette dualité du «ou lui, ou moi,» qui,
9

elle, n'est pas du tout angoissante et qui laisse effectivement, dont


on voit bien comment elle permet d'échapper, d’éviter la castration.

R. Schindler :
- Je voudrais poser une question à Charles Melman sur cette
formulation de «II l'a». C’est quand même étonnant parce que
u.
57
t\ habit tulr on cl II *c r qu'on n'.i p.in*. Cr.nt rc qu'on nu jm.s. rl
r'csl rn tant qur rr qu'on a pas que c’cit l'iivilriimcnt de l'amour,
Alors. c‘cM là où ça se noue à l'Autrc.

C. Mclman :
- Alors, c'est là qu'il faudrall. Je dirais, que Je n’élidc, Je
n’élidc pas le court circuit dont Je me suis autorise, c’est à
dire que. comme Lacan essaie de le souligner, singularité de
ce qui est un objet, un objet réel, une partie du corps, cette
singularité, c’est que du fait de sa prise par grand <t>, il ne sera
jamais cet objet présent que par son manque. Que par son
manque. C'est là la dimension qu'il y a à appréhender. Et ça
n'est en quelque sorte que par ce biais, c'est-à-dire en tant
qu’objet réel. Et. du même coup frappé de cette qualité singulière
que lui accorde grand <P. et bien de disparaître du champ du
monde, ne serait-ce que parce qu’il n'est pas spécularisable.
Le crosscap peut servir ici de pense-bête ou de support extrêmement
facile puisque l'objet petit a, le suaire qui a été découpé, ne
saurait être découpé autour de - 9, de ce que Lacan arbitrairement
isole, enfin arbitrairement parce que pour les topologues, il
n'y a pas de trou dans le crosscap. c’est lui qui. en haut et en
bas de la ligne verticale représentée sur le schéma, c’est lui
qui met là un petit trou en disant: c’est - 9. ce qu’il appelle
aussi le sens commun. Et ce qu’on pourrait dire c’est que le
sens particulier, eh bien, ça va être cet objet que chacun, à son
gré. va pouvoir découper comme objet petit a organisé par ce
point, par ce point - 9, et qui va donc du même coup être
frappé, pris par cette qualité singulière de - 9, c’est-à-dire de
n'être présent, de n'être évocable qu’en tant que faisant défaut.
Un défaut qui n’est pas celui de la privation, ni non plus de la
frustration, mais qui est le défaut de ce que nous appelons la
castration. De ce sur quoi on ne mettra pas la main, et c'est
pourquoi 11 dira aussi bien que plus on voudra s’approcher
de a plus on n’aura que l(ci), c’est-à-dire son image.
ms 1.1. si j.5

Du contre-transfert au désir de l’analyste

Mario Fleig

ien que je n’aie pas participé au Séminaire d’Été traitant


B du Séminaire sur l’Angoisse de Lacan, j’ai accepté l’invitation
de Leticia Fonseca à écrire sur ces leçons, à partir de l’étude que je
développe autour de ce Séminaire avec un groupe de collègues de
l’Association Psychanalytique de Porto Alegre (APPOA) depuis quelques
années.
Dans une première approche, nous voyons que ces cinq leçons
se développent autour du passage du concept de contre-transfert
au problème du désir de l’analyste. Et cela se produit à partir
de la discussion des articles de Barbara Low, Les compensations
psychologiques de l’analyste (1935) ; de Margaret Little, Le
contre-transfert et la réponse qu’y apporte le patient (1951),
R - La réponse totale de l’analyste aux besoins du patient
(1956) ; de Lucy Tower, Contre-transfert (1956) et de Thomas
Szasz, De la théorie du traitement psychanalytique (1957).
Lors de la leçon 11, Lacan n’est pas présent et il charge
Granoff et Perrier de commencer la présentation de ces articles
; il demande également à Mme. Aulagnier de présenter l’article
de M. Little lors de la leçon suivante. Lintérêt de ces articles
se trouve dans leur thématique : ils abordent le dernier stade
des opinions sur l’analyse, c’est-à-dire le problème du contre-
transfert. Quel est l’intérêt, dans ce séminaire de Lacan, à
aborder cette thématique ? Or, c’est à travers l’examen de la
question du contre-transfert que Lacan va introduire le problème
de l’angoisse et du désir de l’analyste, dans la mesure où ces
auteurs se penchent sur leurs difficultés portant le nom de
contre-tranfert, mais qui en fait concernent le problème du
Mârlo Flelg
60
désir de l’analyste.
Nous n’allons pas reprendre ces textes, car il faudrait, pour
ce faire, un développement qui dépasserait les limites de notre
intervention. Cependant, ce qui y est souligné, c’est la présence
du désir de l’analyste. Aulagnier souligne que “c’est (...) le
désir de l’analyste, le désir de Margaret Little, c’est-à-dire
d'être cette espèce de sujet qui a quelque chose en plus, quelque
chose avec quoi elle peut nourrir (...), elle peut combler un
vide, une sorte de béance réelle, qu’elle voit comme telle, au
niveau du sujet qui vient en analyse’’ (p. 191 )'. Par conséquent,
ici le désir de l’analyste se met dans la position d’être l’objet
de l’autre, d’être ce qui manque à l’autre. Or, l’effet que cela
produit se vérifie dans la position que prend l’analysée, qui
répond d’un lieu ayant “comme seul but, de provoquer l’angoisse
de l’analyste, afin qu’à chaque fois, l’analyste la rassure et
lui dise qu’elle, l’analysée, est l’objet de son angoisse” (p.
193). Les choses tendraient à rester comme cela, si l’opération
de la fonction de la coupure ne se produisait pas, lorsque
l’analyste parle de sa place d’analyste. Cela se passe, dans le
cas de sa patiente Frieda rapporté par M. Little, quand elle se
soustrait au lieu d’objet de l’angoisse de la patiente. À savoir
quand elle lui dit : “Ce que vous pensez m’est tout à fait
indifférent’’, en faisant référence à ses commentaires concernant
la décoration de son cabinet. À partir de cette coupure, opérée
“accidentellement”, le fantasme fondamental de la patiente, de
la capsule ronde, sphérique, parfaite, qu’elle a construite justement
parce qu’elle est incapable d’accepter une castration, un manque
que personne n’avait jamais pu symboliser pour elle, peut être
énoncé et l’analyse prendre un nouveau tournant.
Aussi Lacan montre-t-il la relation intime existant entre
l’angoisse et le désir de l’analyste, qui se présente autour de
la notion de contre-transfert. Le rapprochement entre angoisse
et désir se donne en raison du fait qu’ils ont le même objet,
l’objet a, et le choix de textes anglo-saxons concernant cette
thématique, presque tous écrits par des femmes, est dû au
Uv,ns U A 15
6
fait que "s’il y a quelques personnes qui ont dit sur le contre-
transfert quelque chose de sensé, ce sont uniquement desfemmes"
(p. 205).
La relation entre le contre-transfert, l’angoisse et le désir
de l'analyste sera articulée par Lacan à travers une discussion
sur une position très particulière des femmes dans la direc­
tion du traitement. Se trouveraient-elles dans une meilleure
position pour aborder le contre-transfert ? Quelle serait cette
position particulière des femmes analystes ? Afin de l’étudier,
Lacan fera un long détour de la thématique de l’angoisse, si­
tuant la question du désir de l’analyste à partir de la position
particulière des femmes par rapport au désir, et remettant en
question la fonction du désir dans l’amour. Nous n’allons aborder
que partiellement la compléxité de ces relations.
Lacan resitue explicitement le problème, en attirant l’attention
sur le problème du désir de l’analyste :
“C’est qu'effectivement ce propos sur l’angoisse ne saurait se
tenir plus longtemps éloigné d’une approche plus précise de ce
qui vient, d’une façon toujours plus insistante depuis quelque
temps dans mon discours, à savoir le problème du désir de l’analyste.
Car, enfin de compte, au moins cela ne peut manquer d’échapper
aux oreilles les plus dures, c’est que, dans la difficulté de l’abord
de ces auteurs concernant le contre-transfert, c’est ce problème
du désir de l’analyste qui fait obstacle, qui fait obstacle parce
qu’en somme, prise massivement, c’est-à-dire non élaborée comme
ici nous l’avons fait, toute intervention de cet ordre, si surpre­
nant que cela paraisse après 60 ans d’élaboration analytique,
semble participer d’une foncière imprudence” (p. 199).
Nous voyons que la thématique de la résistance à l'analyse,
située du côté de l’analyste, est désormais reprise dans une
articulation entre angoisse et désir de l’analyste. Ainsi, ce qui
peut faire obstacle au progrès dans l’analyse concerne le désir
de l’analyste, surtout lorsque celui-ci n’est pas élaboré. Et la
valeur des articles choisis pour la discussion se trouve dans
bl Màrto

le fait que "... aucun de ces auteurs ne peut éviter de mettre


les choses sur le plan du désir" (p. 199).
Une autre conséquence importante dans l'interprétation de
ces articles est l'affirmation que le vrai problème ne se trouve
pas dans la notion de contre-transfert, mais dans la question
du désir de l'analyste, et ce n'est que l’élucidation de celui-ci
qui pourrait dissoudre la confusion qu’une telle notion intro­
duit en analyse.
“Il ne s'agit pas, en effet, de définition, même d'une exacte
définition du contre-transfert qui pourrait être donnée très simplement,
définition qui n’est tout simplement que ceci, qui n’a qu'un inconvénient
comme définition, c'est de décharger complètement la question
qui se pose de sa portée, c'est-à-dire qu'est contre-transfert tout
ce que, de ce qu’il reçoit dans l'analyse comme signifiant, le
psychanalyste refoule. Ce n’est rien d'autre, et c’est pourquoi cette
question du contre-transfert n'est pas véritablement la question"
(p. 200).
De cette façon, Lacan ne refuse pas la confusion que la notion de
contre-transfert produit, mais souligne que cette confusion a une
signification qui ne peut échapper à aucun auteur : le désir de l’analyste.
Cependant, il ne suffit pas de l’affirmer. Ce que Lacan reconnaît
c'est que “si cette question n’est non seulement résolue, mais fina­
lement pas même commencée d’être résolue, c’est simplement
pour ceci qu'il n’y a Jusqu'à présent dans la théorie analytique, je
veux dire Jusqu’à ce séminaire précisément, aucune exacte mise
en position de ce que c'est que le désir” (p.200). Ainsi, apparaît ici
un objectif ambitieux, la question du désir, et plus que cela, la ques­
tion de l’analyste. Alors, à partir du problème du contre-transfert
sujet présent dans la formulation de nombreux analystes, Lacan
avance vers la question du désir de l'analyste dans la direction du
traitement, abandonnant la notion de contre-transfert.
La construction de la mise en position exacte de ce qu’est le
désir a déjà trouvé des formulations précédentes, que Lacan
reprend et développe principalement à partir de deux axes : le
désir par rapport à la demande et l’identité entre le désir et la
Leçons 11 à 15
63
loi. Seront examines le désir névrotique dans l'hystcrle et dans
l'obsession, tout comme le désir et la jouissance dans le
masochisme et le sadisme, afin de chercher l'explicitation de
leurs articulations. Dans le sadisme et dans le masochisme,
"le désir s’y présente comme volonté de Jouissance (...)” (p.
201).
Même dans la subversion de la loi, dans le cas de la perversion,
l’exercice du désir se fait sous le support de la loi. “S'il y a
quelque chose que nous savons maintenant du pervers, c'est
que ce qui apparaît du dehors comme satisfaction sans frein
est défense, et bel et bien mise en jeu, en exercice, d’une loi
en tant qu’ellefreine. Qu’elle suspend, qu’elle arrête, précisément
sur ce chemin de la jouissance. La volonté de jouissance chez
le pervers comme chez tout autre, est volonté qui échoue, qui
rencontre sa propre limite, son propre freinage, dans l’exercice
même comme tel du désir pervers.” (p. 201).
Le névrosé a permis de trouver le chemin pour découvrir
que “(...) c’est (...) l’institution de la loi elle-même qu’il a
besoin de passer pour donner son statut à son désir, pour
soutenir son désir. Le névrosé, plus que tout autre, met en
valeur ce fait exemplaire qu’il ne peut désirer que selon la
loi. Il ne peut, lui, soutenir, donner son statut à son désir que
comme insatisfait de lui, ou comme impossible.» (p.201).
Ce que cherche Lacan, quand il présente les diverses structures
de désir, c’est ce qui se trouve voilé dans chacune, autrement
dit de savoir quel est le mécanisme du désir dans chaque articulation
spécifique. Et il cherche également, dans ce sens, à élucider la
névrose d’angoisse, que Freud n’a pu réaliser, car sa mort ne
lui en a pas laissé le temps. Le retour au thème de la névrose
d’angoisse est proposé par Lacan à travers un curieux chemin

“Nous sommes donc placés, aussi paradoxalement que cela


vous paraisse, concernant ce sujet de l'angoisse, nous sommes
placés, nous sommes ramenés sur ce plan crucial, sur ce point
Mârlo Fleig
64
crucial que J'appellerai le mythe de la loi morale, à savoir
que toute position saine de la loi morale serait à chercher
dans le sens d’une autonomie du sujet.» (p.202).
Donc, l'autonomie en tant que mythe de la loi morale est une
défense, car “(...) la loi morale est hétéronome (p. 202),
parce quelle provient du réel. Qu’est-ce que cela signifie ? La loi
morale provient de l'intervention du réel, appelée refoulement.
“(...) ce dont II s'agit est, non pas l'effacement des traces, mais
le retour du signifiant qui est constitué par ce que fai essayé de
vous faire sentir, de vous décrire par une mise entre parenthèses
de la trace, un soulignage, un barrage, une marque de la trace”.
(p. 202).
Le réel intervient en abolissant le sujet dans l’opération du
refoulement. “Le réel renvoyant le sujet à la trace, abolit le
sujet aussi du même coup, car il n’y a de sujet que par le
signifiant, que par ce passage au signifiant, un signifiant est
ce qui représente le sujet pour un autre signifiant.» (p.202).
Une fois encore, qu’est-ce qu’on traite dans la question du
mythe de la loi morale, ainsi que dans l’articulation subjective
du masochiste ou du sadique ? Qu’est-ce qui est oublié ? Quel
est le ressort de l’oubli ? Or, ce que Lacan cherche c’est la
structure du désir, dans son articulation avec l’angoisse et la
jouissance, à partir de ce que l’on peut vérifier dans différentes
structures subjectives. Ce qui est visible dans le masochisme,
c’est qu’il s’agit de faire jouir l’autre. Cependant, qu’est-ce qui
lui échappe ? Il croit chercher à faire jouir l’autre, “mais justement,
parce qu’il le croit, ce n’est pas cela qu’il cherche(p. 203).
Lacan affirme donc que le secret de l’articulation du désir
masochiste “(...) c'est qu’il cherche l'angoisse de l’autre.” (p.
203). Cette première formulation sera reprise plus loin, lors
d’une différenciation par rapport à la position du désir sadique.
Toujours dans la Leçon 12, dans sa partie finale, Lacan
reprend le thème freudien de l’angoisse-signal se produisant
dans le Moi concernant un danger interne, nous attirant l’attention
Leçons 11 ù 15
65
sur une correction importante : il n’y a pas de danger Interne
dans la mesure où l’appareil psychique a la structure d'une
bande de Moebius. Puisqu’il ne s’agit pas du problème de se
situer dedans ou dehors, Lacan affirme que l’angoisse est une
manifestation spécifique au niveau du désir de l’Autrc en tant
que tel, comme il avait déjà dit dès le début de ce séminaire. Que
représente l’Autre en tant que survenant par ce biais ? “Le Mol
est le lieu du signal. Mais ce n'est pas pour le Moi que le signal
est donné. C’est bien évident. Si ça s’allume au niveau du Mol,
c’est pour que le sujet (...) soit averti de quelque chose. Il est
averti de ce quelque chose qui est un désir, c'est-à-dire une
demande qui ne concerne aucun besoin, ni ne concerne rien
d'autre que mon être même, c’est-à-dire qui me met en question,
disons qu’il l’annule en principe (...) qui s'adresse à moi, bien
plus encore comme perdu, (...) sollicite ma perte, c'est cela qui
est l’angoisse.” (p.204).
De cette articulation de l’angoisse avec le désir de l’Aulre,
dans la mesure où il demande “ma perte", on déduit la dimension
temporelle de l’analyse comme étant liée à la dimension temporelle
de l’angoisse pendant qu’il attend. Le désir de l’Autre “me met
en cause, m’interroge à la racine même de mon désir à moi
comme a, comme cause de ce désir et non comme objet ; c’est
parce que c’est là qu’il vise, dans un rapport d’antécédence,
dans un rapport temporel, que je ne puis rien faire pour
rompre cette prise sauf à m’y engager. C’est cette dimension
temporelle qui est l’angoisse, et c’est cette dimension temporelle
qui est celle de l’analyse. C’est parce que le désir de l’analyste
suscite en moi cette dimension de l’attente que je suis pris
dans ce quelque chose qui est l’efficace de l’analyse.» (p.204).
S’introduit donc la différence essentielle entre prendre l’autre
comme objet ou interroger l’autre à la racine même de son
désir. Certes, chacun aimerait que l’Autre le voit comme tel et
en fasse un objet. Le désir ne se résout pas non plus par la
solution hégélienne, qui propose le désir comme désir de
reconnaissance, qui débouche sur la lutte et la violence, comme
Màrlo Flctg
66
élan! des formes de résistance contre le désir de l’autre. En
analyse, une bonne part de la résistance glisse, dans la mesure
où l'on Interroge la cause du désir. Ainsi. Lacan resitue la
manière d'aborder le désir, déplaçant la problématique du champ
de la lutte par le désir de reconnaissance sur le plan de l’amour.
“Seulement, pour cela, il faut savoir ce que c'est que le
désir, et voir sa fonction, non pas seulement sur le plan de la
lutte, mais là où Hegel, et pour de bonnes raisons, n’a pas
voulu aller le chercher, sur le plan de l'amour." (p. 204-5).
Or. ce que Lacan nous présente, notamment dans son com­
mentaire sur l’article de Lucy Tower, auquel il fait référence dans
ce contexte, c’est que les femmes analystes travaillent mieux avec
le contre-transfert que les hommes et, donc, le désir de l’analyste,
dans la mesure où elles savent se servir de l’amour par la voie
du transfert pour avoir accès au désir du patient. Et, dans ce
sens, nous pouvons comprendre l’observation sur la façon spé­
cifique des femmes à occuper le lieu d’analyste : “s’il y a quel­
ques personnes qui ont dit sur le contre-transfert quelque chose
de sensé, ce sont uniquement des femmes." (p. 192). Et il le
met en rapport avec la fonction du désir dans l’amour, affir­
mant que “(...) c’est que, pour autant que le désir intervient
dans l'amour et en est, si je puis dire, un enjeu essentiel, le
désir ne concerne pas l’objet aimé." (p. 205).
La disjonction entre désir et amour tourne autour d’un ma­
lentendu structural, qui traverse les relations entre homme et
femme. Étant donné que l’objet du désir n’est pas l’autre en tant
que semblable, amour et désir ne se rencontrent pas.
ici il fait explicitement allusion aux textes freudiens concer­
nant la "Psychologie de l'amour”, notamment à la problémati­
que de la dépréciation (Ernledrlgung) dans la vie amoureuse. Il
s’agit donc de la différence déjà remarquée par Freud entre
l’objet d’amour et l’objet de désir. Cela sera repris plus tard,
au début de la leçon 15, où Lacan affirme que les dégradati­
ons dans la vie amoureuse “sont les effets d’une structure fon-
| AWl II À \S
67
damcntale Irréductible(p. 237). Effets de quelle structure ?
Or, l'angoisse se situe entre la Jouissance et le désir, dans U
mesure où “a [est] substitut de A" (p. 237), c’est-à-dire que s'y
produit une dégradation de l'Autre dans son reste Irréductible.
Dans la leçon 13. reprenant la thèse selon laquelle l'angoisse
n’est pas sans objet, Lacan attire l’attention sur la phrase de
Freud dans l’appendice B de Inhibition, symptôme et angoisse
: “Langoisse est angoisse devant quelque chose" [Angst Ist Angst
vor Etwas). De quoi s’agit-il ? Afin de situer ce quelque chose,
on reprend la différenciation entre peur ou frayeur et angoisse.
La peur se produirait-elle devant un objet ? La peur a-t-elle un
objet ?
Lacan introduit la différence entre angoisse et peur ou frayeur
à partir des contes de Tchekov et de la discussion d’un article
de Goldstein : la peur concerne quelque chose de méconnu, qui
n’est pas l’objet qui se présente, mais quelque chose d’autre qui
se trouve derrière l’objet. Ainsi, la peur n’a pas d’objet, tandis
que l'angoisse n’est pas sans objet, dans la mesure où le sujet se
trouve intéressé par le plus intime de lui-même.
Vor Etwas : l’angoisse est signe de quelque chose. Ce quelque chose
devant lequel l’angoisse opère en tant que signe est “de l’ordre de l’irréductible
de ce réel’ ; c’est pourquoi nous pouvons affirmer que l’angoisse est le signe
qui ne trompe pas. Langoisse est signe du réel. “Ce réel et sa place, c'est
exactement celui dont, avec le support du signe, de la barre, peut s’inscrire
l'opération qu’on appelle arithmétiquement de la division” (p. 211).
Ainsi, à partir de “l'intervention du réel”, Lacan nous introduit dans sa
proposition d’articulation de trois étages oui sont trois moments de l’ooération
de structuration du sujet désirant : jouissance, angoisse et désir.

A S X (jouissance)
a A angoisse
$ désir

Langoisse se situe à l’étage intermédiaire et n'a pas de fonction


Màrlo Fleig
68
de médiation, mais tout simplement elle se trouve entre le X,
opération seulement saisissable rétroactivement, en direction
de l’Autre et l’avènement de l’effet sujet, en tant que désirant.
Aussi la fonction de l’angoisse émerge dans l’opération de division,
dans le processus de subjectivation, entre A et S, ayant comme
résultat un reste, a, irréductible. “(...) a est ce qui reste d’irréductible
dans cette opération totale d’avènement du sujet au lieu de
l’Autre, et c'est de là qu’il va prendre sa Jonction.’’ (p. 211).
Quelle fonction ? Dans ce reste, donc, en tant que chute de l’opération
subjective, nous reconnaissons en lui “ (...) l’objet perdu ; c’est
ça à quoi nous avons ajjaire, d’une part dans le désir, d’autre
part dans l’angoisse.’’ (p. 212). Ainsi, au premier étage, le X se
montre, rétroactivement, comme étant l’opération de la jouissance.
Lavènement de la fonction de a, reste irréductible, situe le niveau
de l’angoisse, et au troisième moment advient le sujet barré,
désirant.
Afin d’illustrer ce qu’est l’angoisse, dans l’articulation de
ces trois moments, Lacan se réfère à l’objet irréductible lorsqu’il
se présente dans l’ordre de l’image. Au début, l’angoisse chez
OEdipe, qui devient visible à partir du moment où son objet
a se montre détaché, c’est-à-dire lorsque ses yeux sont par
terre : “c’est qu'une impossible vue vous menace de vos propres
yeux par terre. C’est là, je crois, la clé la plus sûre que vous
pourrez toujours retrouver, sous quelque mode d’abord que se
présente pour vous le phénomène de l’angoisse.’’ (p. 213).

Etant donné que cela ne nous permet pas très bien de


comprendre de quoi il s’agit, même si nous savons que le
désir d’OEdipe était complément pris par le désir de voir, de
*. voir loin, de déchiffrer les énigmes, Lacan nous présente une
autre image : les tableaux de Zurbarân, portraits de Sainte
Lucie et de Sainte Agathe - avec ses yeux et ses seins dans un
plat. Qu’est-ce qui caractérise l’angoissant dans ces peintures
? L’objet de désir se présente détaché, mis et offert dans un
plat. C’est ça l’angoisse : la présentation de l’objet a, dans
l’imminence de sa chute. Si le sujet se situe dans la position
U'çons liais
69
de cet objet, il prend son destin, c’est-à-dire qu’il tombe, sortant
de la scène comme dans le passage à l’acte. Si les images de
Sainte Lucie et de Sainte Agathe fournissent la clé de l'angoisse,
comment cela s’articule-t-il dans la position sadique et masochiste?
Or, le masochiste vise à “(...) être objet d’une jouissance de
l'autre qui est sa propre volonté de jouissance (p. 214).
Qu’est-ce que cela masque ? “Ce qui est cherché, c'est chez
l'autre la réponse à cette chute essentielle du sujet dans sa
misère dernière et qui est l’angoisse.” (p. 214).
Dans le masochisme se produit le culte du non-acte en tant
que défense primordiale, dans une tentative d’extorquer à l’autre
un signe de ce qui l’anime, afin qu’il se manifeste en tant que
sujet, qu’il ait une âme, comme preuve de son angoisse. Ici
nous trouvons le rapprochement surprenant entre le masochisme
et le christianisme, vu que le Christ, selon Lacan, introduit
dans la divinité l’âme ; il y reviendra lors de l’examen du Baroque,
Séminaire 20. Ce que le masochiste vise est de se soulager, de
décharger le poids de l’objet a de façon à ce que l’autre porte
le poids de la livre de chair qui noue chacun en tant que corps.
“Dieu n’a pas d’âme. (...) Pourtant, le changement, total, radical de
la perspective du rapport à Dieu a commencé avec un drame, une
passion, où quelqu’un s’est fait l’âme de Dieu. Car c’est pour situer
aussi la place de l’âme à ce niveau a, de résidu d’objet chu (...).” (p.
215).
Aussi Lacan nous montre-t-il que le christianisme est
profondément masochiste, dans la mesure où il s’agit de la
tentative d’articuler la jouissance de l’Autre à l’angoisse de
l’Autre. Et il situe Kierkegaard comme quelqu’un qui articule
les repères structuraux de ce changement radical introduit par
le Christ en tant qu’âme de Dieu. Tandis que la lecture freudienne
de la religion se fait par une approximation avec la névrose
obsessionnelle, Lacan propose un fondement religieux des
perversions.
Si Lacan commence par l’examen de la structure du masochisme,
c’est parce que c’est plus difficile, alors que dans le sadisme
Mario Flelg
70
l’angoisse est moins cachée. Il s’agit, dans ce cas, de faire de
l'angoisse de la victime une condition absolument exigée. Cependant,
cela peut conduire à une méprise. Qu’est-ce que, en fin de
compte, le sadique cherche dans l’autre ? Lacan souligne que,
dans tous les écrits de Sade, il y a un trait surprenant et qui
apparaît comme le trophée recherché : “J’ai eu la peau du
con.” (p. 216). Il s’agit d’extraire un objet, tenacement cherché,
donnant un travail important au sujet. Ce qui est voilé c’est
que cet objet caché, quand il est apporté au dehors, masque
le trait de l’angoisse du sujet. Ce qui s’y articule également,
affirme Lacan, c’est le caractère instrumental auquel se réduit
la fonction de l’agent. Le sadique “se donne, lui, un mal fou,
considérable, épuisant, Jusqu’à manquer son but (...) pour
réaliser la Jouissance de Dieu.’’ (p. 216).
Ainsi, c’est par le travail de l’opération sadique que se mon­
tre son rapport à la divinité, dans la mesure où la référence à
l’être suprême en méchanceté, comme nous le voyons dans tous
les textes de Sade, fait voir qu’il s’agit toujours de Dieu.
Lobjet devant lequel l’angoisse se produit comme signe est ainsi
l’objet a en tant que détaché, coupé, et dans cette position suivant
son chemin naturel : la chute. À partir de cette structure fonda­
mentale, il est possible d’examiner le statut réel de ces objets, en
tant qu’objets détachables, séparables. Nous pouvons également
comprendre pourquoi les parties du corps qui sont séparables sont
plus aptes à exercer cette fonction d’objet du désir.
Avec ces articulations, Lacan nous dit quelque chose de surpre­
nant, reprenant des thèses anciennes de Freud sur le coït inter­
rompu comme source d’angoisse. Or, dans le coït interrompu la
subjectivité se trouve mise sur la chute du phallus, en tant qu’objet
séparable, dans la mesure où l’éjaculation se produit au dehors.
Larllculalion entre l’angoisse et l'objet a conduit également
Lacan à montrer la valeur des formulations précoces de Freud,
qui a compris la fonction de la castration liée à l’objet caduc,
ainsi que le rapport entre l’orgasme et l’angoisse. Ou encore,
Leçons 11 à 15
71
comment se produit l’érotisation de l’angoisse.
Dans la leçon 14, après avoir repris la distinction entre
angoisse et peur, ainsi que le tableau de la division du sujet
et les trois moments de l’opération de division - Jouissance,
angoisse et désir -, Lacan avance dans l’élucidation du méca­
nisme de la position masochiste et sadique, vers la question
du désir. “J'ai dit de l’angoisse en tant que terme intermédi­
aire entre la jouissance et le désir, en tant que c’est, franchie
l’angoisse, fondé sur le temps de l’angoisse que le désir se
constitue." (p. 227).
Affirmant que l’essentiel ne se trouve pas dans ce qui paraît
être la finalité, c’est-à-dire la fonction de la douleur, mais dans
ce qui apparaît dans les manoeuvres masochistes dans le trans­
fert, à savoir que ce qui est visé c’est l’Autre. Néanmoins, cela
ne suffit pas encore pour appréhender le mécanisme en oeuvre.
Tout comme Freud, qui dans son analyse de la structure du fantasme
situe un deuxième moment toujours élidé, l’angoisse se situe
comme un deuxième moment entre la jouissance et le désir. Lors
du dépassement de l’angoisse, et fondé dans le temps de l’angoisse,
le désir se constitue.
Et alors, comment s’articule l’angoisse dans le masochisme
et le sadisme ?
Le sadique vise clairement l’angoisse de l’autre, mais il y a un terme
élidé, c’est-à-dire qu’il masque la jouissance de l’Autre. Cependant, ce
qui se cache derrière la recherche de l’angoisse de l’Autre est dans le
sadisme, la quête de l’objet a, de manière que c’est ce temps qui est
élidé. La preuve s’en trouve dans le terme expressif pris des fantasmes
sadiques : “la peau du con”.
Le masochiste vise explicitement la jouissance de l’autre, mais ce qu’il
cherche en fait est l’angoisse de l’autre, comme temps qui est élidé.
Le sadisme n’est pas le revers du masochisme, mais ce sont
des fonctions à quatre termes et le passage de l’un à l’autre se
fait par une rotation d’un quart de tour. Lacan n’explicite pas
les termes de cette opération, mais il se réfère sans doute à ce qu’il
n Mario Flelg

a développé à cette époque dans son texte Kant avec Sade, qui
servirait de préface à l’ouvrage de Sade, La philosophie dans le
boudoir.
Après ce parcours dans les rapports entre jouissance, angoissse
et désir, notamment dans le masochisme et le sadisme, Lacan
reprend la question du contre-transfert, soulignant à nouveau
combien les femmes analystes “semblaient s’y déplacer plus
à Valse.’’ (p. 231), parce qu’elles comprennent fort bien ce
qu’est le désir de l’analyste.
Pourquoi les femmes se situent-elles beaucoup mieux que
les hommes dans la question du désir ? Sur ce sujet, dans les
rapports entre femmes et hommes, se produit un malentendu
structural dans la disjonction entre désir et amour. En tant
que tel, l’accès au manque est différent chez l’homme et chez
la femme.
Tandis que l’homme a accès au manque par la négativisation
du phallus, c’est-à-dire par le complexe de castration, la femme
n’est pas obligée de passer par le - (p, ce qui lui détermine une
position particulière par rapport au désir de l’Autre. Cette
position particulière concerne le fait que la valeur de l’objet phallique
vient en second plan. Voyons comment Lacan le formule :
“Ce domaine, le domaine de la jouissance, c’est le point où,
grâce à ce point, la femme s’avère comme supérieure justement
en ceci que son lien au noeud du désir est beaucoup plus lâche.’’
(p. 237). Cela se vérifie par le fait que la femme n’a pas besoin
de passer par le complexe de castration, par la négativisation du
phallus, comme c’est le cas de l’homme. “Voilà ce qui pour la
femme n’est pas un noeud nécessaire.’’ (p. 238). Ainsi, la femme
se trouve confrontée au désir de l’autre d’une façon beaucoup
plus simplifiée que l’homme ; il en résulte qu’elle n’y tient pas
aussi essentiellement que l’homme pour ce qui est de la jouissance.
Cette différence posée, qui reprend la différence freudienne
entre menace de castration pour l’homme et envie de pénis
pour la femme, quels sont les effets sur la position de la
Leçons 1I à 15
73
femme en tant qu’analyste ? D’où vient son avantage sur l’homme
analyste ? Comment Lacan peut-il affirmer que la question du
désir se simplifie pour la femme et que cela lui apporte beaucoup
moins de complications dans la direction du traitement ? Afin de
résoudre cette énigme, il annonce que lors de la leçon suivante, il
analysera la fonction de la femme à la lumière du titre : Des
rapports de la femme comme psychanalyste avec la position de
Don Juan (p. 235).
Le développement de la leçon 15 se poursuit dans la leçon 16.
Il s'agit d’établir la particularité de la position de la femme en tant
qu'analyste, de ce “noeud du désir plus lâche”. Cela situe la femme
comme étant davantage confrontée au désir de l’Autre, dans une
relation plus simplifiée, l’objet phallique venant en second plan.
En tant que psychanalyste, cela permet à la femme d’aborder le
désir et le contre-transfert avec une plus grande liberté. Voilà les
raisons structurales qui permettent à la femme de mieux aborder
le désir de l’analyste.
Le texte de référence pour l’examen de la position de la
femme en tant qu’analyste est celui de Lucy Tower, Contre-
transfert, de 1956. Dans la partie clinique, l’auteur fait le
récit de quatre cas cliniques, dont deux repris par Lacan. Dans
un cas, qui lui semblait au début défavorable, elle réussira ;
et avec l’autre, qui ne lui semblait pas aussi défavorable, elle
reconnaît son échec et l’achemine vers un autre analyste. Qu’est-
ce qui a déterminé la réussite du premier et l’échec du deuxième
? Dans ce dernier, elle affirme que sa difficulté transférentielle
se situait dans une illusion de vouloir le traiter, alors que,
dans le premier cas, elle arrive - après avoir fait un rêve de la
femme du patient - à se resituer, sortant du lieu statique et
mortel où elle était confinée par le patient dès le début du
traitement. Il en résulte une offensive sadique du patient par
rapport à l’analyste, comme s’il voulait l’écarteler lentement.
Or, ce qui se passe est que l’analyste s’engage dans le traitement
en tant qu’objet, et non pas en tant que sujet ; cela permet au
Màrlo Flelg
74
patient de se replacer par rapport à son désir, pouvant avancer
dans l’analyse. Le sadisme déclenché chez le patient par le
changement de position de l’analyste, affirme Lacan, “c’est d’une
recherche de l’objet dont il s’agit, dans la façon dont, une
fols la vérité de son désir reconnue, le patient se comporte.”
(p. 251).
Le patient pourra chercher l’objet, isoler ce petit morceau
qui manque et qu’il ne trouvera jamais, et l’analyste, étant
donné qu’elle se trouve dans la position de femme, sait très
bien qu’il ne lui manque rien, que la recherche du - cp est une
affaire de mâle. Et cette position de l’analyste va permettre au
patient de pouvoir faire sa recherche et de faire le travail de
deuil de ce qu’il lui manque, en ayant, par conséquent, accès à
sa castration.
Quel est le rapport avec la position de Don Juan ?
Si Don Juan représente un fantasme féminin, Lacan nous
surprend aussi quand il dénonce le pseudo-masochisme féminin,
en affirmant qu’il s’agit d’un fantasme masculin. Les hommes,
y compris Freud, aiment-ils nourrir ? Le mythe de la passivité
féminine se dérobant ainsi de ce qu’ils pourraient interpréter
imaginairement dans leur comportement sexuel comme un acte
coupable, dans la mesure où celui-ci est agressif ou dominateur.
En quoi Don Juan est-il un fantasme féminin ? En prenant
la dialétique de l’avoir et de l’être développée par Lacan, Don
Juan est un homme qui a pour la femme et ne le cède jamais,
étant l’homme idéal, auquel rien ne manquerait. C’est un fantasme
féminin dans la mesure où il a ce qu’aucune femme ne pourrait
prendre, car il ne le cède jamais à aucune ; en plus, ce que la
femme a pour l’homme, elle ne le cède jamais, puisque en fait
elle ne l’a pas. Étant un fanstasme féminin, Don Juan n’est
pas un personnage angoissant pour la femme, pouvant donc
s’insinuer si facilement. Ce qui se passe est qu’il entre en
scène non par le désir, mais en se plaçant toujours à la place
de l’autre, fait évident dans les épisodes répétés du roman.
t cy*"^ M A IJ
75
Or. il y remplit la môme fonction de la femme, qui se sent
comme objet au centre du dcslr. De môme que Don Juan peut
toujours être à la place de l'autre, l'objet absolu porteur du
petit a. l'analyste peut egalement occuper cette position pour
son patient. C'est parce que Don Juan entre en scène en tant
qu'objet et non pas en tant que sujet qu'il peut se retirer si
facilement. Or, c’est cette position qu'occupe Lucy Tower après
le rêve qu'elle a fait de son patient, qui lui permet de percevoir
quelle n’est pas impliquée en tant que sujet.
“Partant en vacances lors d’une des pauses annuelles, eh!
Bien, mon Dieu, elle s’aperçoit que, de cette ajjalre, Il n'en
reste rien ; cette affaire ne l’intéresse absolument pas, c'est
à savoir qu’elle est véritablement l’incarant dans la position
mythique du plus libre et du plus aérien Don Juan au sortir
de la chambre où il vient de commettre des siennes.” (p. 252).
Ce qu’il cherche c’est le -j- ce qui manque à elle. “Ayant
donc, elle, cherché le désir de l’homme, ce qu'elle rencontre
comme réponse, ce n’est pas la recherche de son désir, à elle,
c’est la recherche de a, de l’objet, du vrai objet, de ce dont II
s'agit dans le désir qui n’est pas l’Autre A, qui est ce reste, le
a, le vrai objet.” (p. 254).
De cette manière, elle peut, dans ce traitement, donner ce
qu’elle n’a pas, tout en se présentant comme supposée avoir,
dans la position de mieux supporter le désir du patient.

Traduçâo: Patricia Ramos


Leçons 16 à 2

Roland Chemama

'ous avons découpé le séminaire de façon assez arbitraire,

N en cinq séries de cinq leçons. En principe donc la leçon


16, par laquelle je dois commencer, n’est pas mise en tête
d’une série de leçons en raison de son contenu. Je pense pourtant
qu’il faut savoir y lire un tournant du séminaire.
Un tournant en quel sens? Lacan va être amené dans cette
leçon à faire une distinction entre hommes et femmes qui peut
tout à fait nous questionner. Le problème dont il tente de
traiter, c’est celui des rapports de l’homme aux divers objets
a. Mais il ne faut pas ici entendre homme au sens de «membre
de l’espèce humaine». C’est dit-il, l’homme, lui seul, et il faut
bien sûr entendre alors que c’est l’individu de sexe masculin,
c’est l’homme donc qui peut nous donner la clé du rapport à
ces objets a. Bien sûr il précise dans le paragraphe que je
cite, qu’il s’agit de l’objet a dans son rapport à la castration.
Mais comme c’est cette castration qui donne à l’objet a son
statut d’objet du désir - ou d’objet cause du désir mais dans
ces pages là il ne le dit pas forcément ainsi - nous pouvons
nous demander comment Lacan, s’il aborde ce qu’il en est de
l’objet a exclusivement du côté masculin, va pouvoir situer ce
qu’il en est du côté féminin. Nous pouvons d’autant plus nous
poser cette question que les leçons qui suivent sont tout à fait
importantes quant à la présentation de l’objet a. Lacan propose
en effet dans ces leçons une sorte de description des objets a
dont on trouve peu d’équivalents dans ses autres séminaires.
Et c’est à ce moment là qu’il se réfère exclusivement à l’homme!
NiWmitff Clu'mamu
J8
Vous voyez comme c'est problèmatique. Notons cependant que
la leçon 20, sur laquelle Je finirai, est assez éclairante en ce
qui concerne le côté féminin.
Alors évidemment on pourrait prendre un autre point de
départ. Il y a dans la leçon Immédiatement précédente, au tout
début de la leçon, un paragraphe qui est essentiel i\ la
compréhension de la leçon 16. Pour l'homme, dit Lacan, sa
liaison à l'objet doit passer par le complexe de castration.
Pour la femme le passage par la négativatlon du phallus n'est
pas un noeud nécessaire. Entendons qu'elle peut dans son
désir être confrontée de façon plus directe au désir de l'Aulre
comme tel. Nous eu avons parlé hier. Quoi qu'il en soit, nous
avons donc à différencier très nettement le rapport des hommes
et des femmes à - 9, et conséquemment le rapport des hommes
et des femmes A a.
Entrons un peu plus dans le détail du texte. Lacan nous a
montré que Lucy Tower peut ne pas être trop affectée par les
exigences transférentielles de son patient. Quand ça s'arrête elle
s’ébroue et pense à autre chose. Pourquoi? C'est qu elle sait bien
d'une certaine façon que - 9, l'objet de la recherche de l'homme ça
ne concerne que lui.
Comment comprendre ça? Robert Huet a parlé hier de Lucy
Tower. Je crois cependant devoir reprendre quelque chose de ce
que Lacan amène à partir de sa lecture de cet auteur. La question
en effet se pose. Lorsqu’il parle du désir de l'homme à partir du
texte de Tower est-ce que ce qu'il avance reste particulier, ou est-
ce qu'à travers cela on a des indications sur le désir masculin en
général?
Que dit Lacan? Il part de - 9, qu’il appelle Ici la « castration
primaire fondamentale de l'homme », expression qui semble
désigner quelque chose qui est à situer au niveau biologique,
nu niveau des particularités de la copulation. Soyons clairs :
il s'agit de ce fait que la fonction sexuelle n'est pas continue
chez l'homme, qu’elle a diverses limites, normales ou pathologiques.
Leçons 16 à 20
79
Lacan nous dit qu’à partir de là l’homme va tenter de faire
surgir chez sa partenaire ce manque lui même. Mais il présente
alors cela à partir de ce que laisse entrevoir le sadisme. C’est
en effet le sadique qui cherche à faire apparaître ce qui doit
être chez le partenaire à la place supposée du manque. C’est lui,
souvenons nous de la leçon 13, qui va chercher, dissimulée dans
la femme, ce qui serait son envers, c’est lui qui veut faire passer
à l’extérieur ce qui est le plus caché - j’ai eu la peau du con
s’exclame un des personnages de Sade. Le désir sadique serait-
il à l’horizon du désir masculin en général? Y-a-t-il une dimension
sadique dans la recherche de - (p au niveau du partenaire, voire
dans la recherche de a que Lacan désigne ici comme le vrai
objet? Je laisse cette question ouverte.
Quoi qu’il en soit, en règle générale, la femme n’a pas beaucoup
à s’en faire. Cette recherche, qui concerne l’homme comme tel
ne laissera guère de trace sur la femme. Pas plus que le sillage
du navire dans la mer. C’est peut-être que ce manque que l’homme
cherche en elle, eh bien il est chez elle très problématique.
Lacan revient très souvent, dans ses séminaires sur ce qui
spécifie le rapport des femmes à la castration. Comment aborde-
t-il ici les choses? Il part de la question de l’objet. Bien sûr
pour une femme il y a aussi constitution de l’objet a du désir.
Une femme veut elle aussi l’objet, et même un objet en tant
qu’elle ne l’a pas. Mais cela, dit-il, cela fonctionne surtout au
niveau du rapport à la mère, c'est à dire au niveau de la demande
: ainsi sa revendication du pénis est liée au rapport à la mère,
à la tentative pour s’approprier ce que celle-ci possède. Lacan
va dès lors dire que l’insatisfaction foncière dans la structure
du désir féminin est précastrative. En somme la castration
concerne moins directement les femmes. Une femme, le phallus
on ne peut pas le lui prendre - puisqu’elle ne l’a pas.
Je passe rapidement sur l’idée que la castration ne concerne
une femme que pour autant qu’elle va rentrer dans les problèmes
de l’homme. On pourrait dire par exemple que souvent une
Roland Chemama
80
femme fait état de la rencontre de certaines limites seulement
à partir de ce quelle peut dire des limites de son partenaire.
Mais nous en reparlerons à propos du chapitre 20. Je passe
aussi sur la référence à Jones. J’y ai consacré une intervention
à nos journées en Mars, intervention qui a été publiée dans le
Courrier de Belgique, n°48, et qui est dores et déjà disponible
sur internet, adresse : www.oceanet.tm.fr/afi En tout cas
Lacan va revenir au thème de Don Juan dont il a parlé à la
leçon précédente. Je vous rappelle qu’il faisait de Don Juan
un homme auquel on ne peut jamais « le » prendre, et donc un
homme auquel il ne manquerait rien - équivalent en ce sens
d’une femme. Ici il reprend les choses d’une façon un peu
différente. Il nous rappelle que pour une femme un homme se
perd avec une autre femme. Don Juan donnerait alors l’idée
d’un homme qui ne se perd en aucun cas. Il s’agit donc de
nier toute perte.
Je ne vais pas m’attarder pour l’instant sur ce qu’il en est
des femmes. Le chapitre introduit plutôt, je vous l’ai dit, à la
question des rapports de l’homme aux différents objets a. Ceux-
ci, nous l’avons dit, doivent être abordés à partir de la castration.
La castration du petit garçon. « Le petit garçon, lui, pauvre
couillon, regarde ce petit robinet problématique ». Ce robinet,
dit Lacan, ça n’existe pas. D’une part dans la comparaison, par
rapport à celui de papa ou des frères. D’autre part parce que ça
n’en fait qu’à sa tête. Il lui faut donc le rayer de la carte de son
narcissisme pour qu’il puisse servir à quelque chose. Nous
connaissons assez bien tout cela. Notons cependant au passage
que l’homosexualité semble ici donner une illustration, seulement
accentuée de tout cela : « c’est dans la mesure où il perd qu’il
gagne ».
Je vais aller très vite sur la fin de la leçon, bien qu’elle soit
importante. Je ferai valoir trois idées.
La première s’appuie, chez Lacan sur le schéma des deux
vases, des deux pots où il inscrit d’un côté - <p, de l’autre a.
/
Leçons 16 à 20
81
Ce dessin lui sert d’apologue pour accentuer, dit-il que « l’objet
du désir, pour l’homme, n’a de sens que quand il a été reversé
dans le vide de la castration primordiale ». Disons que l’objet
ne vaut pour un homme comme cause du désir que s’il vient
s'inscrire à la place de ce manque déterminant que constitue la
castration.
Il y a d’ailleurs une autre approche possible. Prenons un
vase avec cette coupure qui l’isole comme vase. Vous savez
qu'en faisant se conjoindre les points opposés de ce bord nous
obtenons une surface équivalente à la bande de Moebius, un
cross-cap. Dès lors nous nous trouvons devant un vase un
peu particulier puisqu’on peut passer de la face interne à la
face externe sans avoir à franchir le bord. Au fond nous ne
pouvons distinguer ni intérieur ni extérieur et cela peut figurer
pour Lacan le rapport du désir du sujet et du désir de l’Autre.
Or cette indistinction est porteuse d’angoisse et le sujet va
souhaiter en revenir, il appelle alors à un temps premier de la
castration. Lacan semble donc illustrer ce que le sujet souhaite
retrouver par la coupure du vase sous sa forme première.
Cela pose certainement des questions. En tout cas Lacan va
dire que le sujet n’a « qu’un désir par rapport à cette castration
première, c’est d’y retourner ».
Cette formule, nous pourrions bien sûr nous y arrêter
longuement. Comment l’accorder avec ce que nous disons souvent,
à savoir que le sujet ne cesse de tenter d’éviter la castration?
Je vous propose une réponse partielle. On a déjà dit plusieurs
fois ici qu’une des grandes questions de Lacan dans ce séminaire
porte sur la fin de la cure. Le sujet vient-il au bout du compte
buter contre le roc de la castration ou bien peut-il aller au
delà? Si la cure ne le mène pas au delà de ce point, il peut
bien tant qu’il veut protester contre la castration, il peut bien
comme Lacan le formule dans la leçon 18 réclamer à son
analyste le phallus, malgré tout cela on pourra dire qu’il reste
attaché à la castration, ou que toute sa satisfaction sera liée
Roland Chemama
82
à ce manque produit par la castration. En revanche Lacan
semble bien, au fil du séminaire, et surtout à la fin, amener
l'idée d'une réalisation du désir qui serait au delà de la limite
de l’angoisse, au delà du roc de la castration. Là il ne s’agirait
plus de retourner à la castration.
Je laisse cependant de côté cette question, ainsi que beaucoup
d’autres, questions topologiques, mais aussi cliniques. La dernière
idée importante du séminaire concerne la circoncision. Celle-
ci est présentée comme apportant un ordre dans le trou de la
castration primordiale. Je ne me substituerai pas à Bernard
qui doit présenter de façon très précise la lecture que Lacan
fait des textes bibliques. On peut noter en tout cas l'insistance
que met Lacan à dire que la circoncision a une origine très
lointaine, néolithique. Et d’autre part la remarque qu’il peut
faire quant au fait que dans un milieu aussi judaïque que le
milieu de la psychanalyse les textes relatifs à la circoncision
n’aient pas été réinterrogés. Mais il y aurait bien sûr à commenter
ce qu’il nous dit du sens du rite lui-même Lacan nous dit que
le circoncis est consacré à l’Autre, au grand A plus encore
qu’à une loi. Cela peut étonner. Dans le chapitre qui suit en
effet, il va parler à propos de la circoncision, d’une loi de la
dette et du don. Mais précisément je pourrais sans doute tenter
de commenter cette opposition à partir du chapitre suivant.

Leçon 17
Alors, effectivement, Lacan va reprendre la question de la
circoncision dans la leçon 17. Il annonce tout de suite cependant
qu’il va élargir la question. Les termes circoncis et incirconcis
ne renvoient pas seulement dans la bible au petit bout de chair
qui fait l'objet du rite. On trouve en effet des expressions
comme « incirconcis des lèvres, incirconcis du coeur ». Mais
il s’agira toujours, dit-il, d’une séparation avec une certaine
partie du corps, consacrée dans cet usage symbolique.
Par ailleurs Lacan annonce surtout qu’il va élargir la question
Leçons 16 îï 20
83
à la suite d’un voyage qui l’a confronté de nouveau à la rencontre
avec le bouddhisme. Et en fait sa leçon va porter à la fois sur
certains aspects du judaïsme, du christianisme et du bouddhisme.
Lacan reprend les choses à partir du désir et de son rapport
à un objet, à savoir, a. Cet objet, pour lequel nous promouvons
le terme d’objectalité plutôt que d’objectivité, nous renvoie à
la dimension de la cause, à cette fonction qu’aucun formalisme,
fut-il kantien, ne peut réduire totalement. Et si nous ne pouvons
pas nous passer de cette notion de cause, c'est quelle renvoie
à quelque chose qui est notre corps. Lacan énonce dès lors
une thèse fondamentale : « nous ne sommes objectaux - ce qui
veut dire objets du désir - que comme corps ». Et il l’illustre
d’un exemple saisissant. On peut dire certes « c’est ton coeur
que je veux, et rien d'autre ». Mais à ce moment là il faut
prendre la métaphore au pied de la lettre. On ne peut pas
oublier que le coeur est un organe, qu’il fonctionne comme
tripe. Et si on l'oubliait l’hystérique, chez qui l’organe, le bras
par exemple peut se manifester hors de tout contrôle conscient,
serait là pour le rappeler.
Je vais essayer de préciser un peu ce que Lacan essaie de
faire entendre. Il nous dit que la racine de la connaissance
c’est l’engagement du corps. Mais cela non pas au sens d’un
Merleau-Ponty par exemple, pour lequel dans toute perception
la totalité de la présence corporelle est engagée. C’est plutôt
que lorsque nous nous engageons dans la dialectique signifiante
il y a toujours dans le corps quelque chose de séparé, quelque
chose qui est, dit-il, inerte, il y a la livre de chair?
Comment comprendre cela? Il me semble que Lacan reprend
là une de ses thèses essentielles, à savoir que chaque fois que
nous énonçons quelque chose de notre désir, nous ne pouvons
le faire qu’au prix d’une perte, ou d’un renoncement. Faisons
cependant une distinction, même si elle nous paraît aujourd’hui
triviale. Cette perte, ce renoncement, ce n’est pas par le mythe
de l’Oedipe que nous pourrons l’aborder au mieux. Sans doute
Roland Chemama
84
est-ce à cela que renvoie cette formule du chapitre précédent
selon laquelle le circoncis est consacré non à une loi, mais à
l’Autre. En réalité c’est du simple fait que nous parlons, du
fait donc que nous nous constituons au lieu de l'Autre qu’il y
a une perte, ou un reste. Ce reste, cette part, qui est prélevé
de la dialectique signifiante, c’est cela que nous appelons a.
Plus loin dans le séminaire Lacan va présenter les différentes
formes de la cession de cet objet a. Pour l’instant il montre surtout
que cette perte s’illustre particulièrement dans la circoncision, et
c’est sans doute cela qui peut éclairer le thème du Marchand de
Venise, dans lequel c’est un juif, Schylock, qui réclame l’enjeu du
pacte, cette livre de chair à prélever « tout près du coeur ».
Lacan va d’ailleurs plus loin quant au judaïsme. Pour lui ce qui
est enjeu ici permet de mieux comprendre les sources de l’antisémitisme.
Ce que l’antisémite peut haïr chez le juif ce serait alors ce qui lui
rappelle qu’il y a une dette pour chacun, et que chacun la paie par
un sacrifice, par le sacrifice d’une partie de son propre corps.
Après avoir évoqué le judaïsme Lacan va en venir à ce qu’il
appelle « la solution chrétienne », ou « l’atténuation chrétienne
». Pour schématiser :
C’est le Christ qui s’est fait identique à l’objet a, au déchet
laissé par la vengeance divine.
Le chrétien peut dès lors s’identifier idéalement au Christ.
De là le masochisme chrétien, qui comme tout masochisme
consiste à provoquer l’angoisse de l’Autre, l’angoisse de Dieu.
Enfin c’est cette position masochiste qui pousse le chrétien
à se croire plus de coeur que les autres.
Lacan cependant s’arrête assez peu sur cette solution chrétienne
et il en vient à une toute autre forme de rapport au désir, celle
du bouddhisme.
Nous avons eu là-dessus, en Mars, à nos journées de
préparation, un très bel exposé de Catherine Ferron, qui nous
a bien rappelé à la fois quelques principes des théories bouddhistes,
et la façon dont Lacan pouvait s’y être intéressé, notamment
Leçons 16 à 20
85
avec Pierre Demiévlllc, à propos du livre qui s’appelle Le lotus
de la vraie loi. Ici Lacan parle surtout de statues, statues rencontrées
dans un temple de femmes, à Nara. Ce sont de statues très nombreuses
- un millier d’exemplaires - qui représentent un Boddisattva, un
presque Bouddha, une divinité qui n’est pas encore au stade
ultime ou qui y a renoncé. Celui dont il s’agit ici est à l’origine,
en Inde, une divinité mâle, nommée Avalokiteçvara, «celui qui
entend les pleurs du monde», mais il prend plus tard, en Chine
et au Japon, une forme féminine, et se nomme alors Kwan yln
ou Kuan yin, de Kwan, «celle qui considère», et yln «son, gémissement».
Qu'est ce que Lacan veut faire saisir, à partir de la rencontre
de ces statues? Sans forcément suivre tous les détours du
texte de Lacan Je ferai ressortir trois questions.
- La première concerne la question du désir tel qu’il apparaît
dans le rapport à ces statues et à ce qu’elles incarnent. Le
désir pour le bouddhisme est illusion et la doctrine semble
aller vers l’extinction du désir (Nirvana veut dire extinction).
Mais Lacan souligne que la négation est bien particulière, qu’elle
va dans le sens d’un « ne pas avoir ». En revanche 11 est clair
que dans l’univers des statues qu’il nous décrit on pourra
retrouver, je cite, « ce qu’il peut y avoir de plus vivant, de plus
réel, de plus pathétique, bref toutes les variations du désir ».
On peut notamment s’en convaincre à partir de la description
que donne Lacan du regard d’effusion que peut porter un homme
simple sur cette statue d’Avalokiteçvara dont il fait circuler la
photo.
- La seconde idée nous permettra de spécifier un peu mieux
ce que Lacan tente de faire saisir. Il s’agit d’une dimension du
désir qui fonctionne au niveau scopique, une relation où le
sujet doit retrouver ce qu’il y a de plus lui même dans l’extérieur,
une relation qui ne se confond pas pour autant avec une relation
en miroir. En fait ce qu’il doit retrouver c’est quelque chose
qui a été coupé de lui, l’objet a et plus précisément ici le
regard. Ce regard est sans doute d’autant plus présent dans la
Roland Clwmama
86
statue dont parle Lacan qu’il n’est presque plus apparent, qu’il
a peu à peu disparu au cours des siècles à cause des massages
que lui font subir les nonnes du couvent. Notons cependant
que ce n’est que dans le chapitre suivant que Lacan formulera
de la façon la plus précise ce qu’il en est du regard dans l’expérience
qu'il décrit.
- Enfin la troisième idée est liée à l’ambiguïté sexuelle des
statues dont parle Lacan. Lorsqu’il demande à ses interlocuteurs
: enfin est-ce un homme? est-ce une femme? Il s’aperçoit que
cette question ne s’est jamais posée pour eux. Or Lacan va
reprendre cette idée d’une façon tout à fait intéressante. Nous
en sommes, ne l’oublions pas au point où l’on passe du niveau
phallique au niveau du scopique. Lacan nous introduit alors
à la dimension de mirage qui peut être celle du scopique. Ce
mirage, il le désignera un peu plus loin comme mirage de
puissance, mais ici il pose simplement la question : « Quelle
est la fonction de la castration dans ce fait étrange que l’objet
du type le plus émouvant puisse apparaître comme sans rapport
/ avec le sexe? » Il me semble que là aussi la réponse se trouve
dans le chapitre suivant. C’est que ce niveau scopique est celui
où la castration, en tant que normalement elle règle la différence
y sexuelle, se trouve facilement suspendue, ou annulée. Lambiguïté
sexuelle des statues bouddhiques en donne sans doute une
illustration particulièrement saisissante.

Leçon 18
La leçon 18 va introduire une distinction importante, mais
peut-être difficile à saisir entre point de désir et point d’angoisse.
Pierre Marchai doit en parler plus en détail. J’ai cru cependant
devoir en parler rapidement pour ne pas rompre le fil de la
présentation du séminaire. Cette double présentation facilitera
peut-être la discussion.
Comment Lacan lui même présente-t-il les choses? Il y a,
dit-il, dans la dialectique du rapport du sujet à l’Autre, un
reste. Ce reste, qui anime le désir, il le présente encore dans ce
Leçons 16 A 20
87
texte à partir de l’objet partiel freudien. Mais il s’agit bien sûr de
l’objet a : objet oral, anal, phallique, mais aussi scopique, et
enfin ce dernier objet qui est la voix, mais qu’il amène dans le
séminaire à partir de l’impératif catégorique, ou du surmoi. Et
puis il nous dit qu’il faut distinguer, de cet objet, le manque
auquel est liée la satisfaction. C’est à partir de cette distinction
entre l’objet partiel et le manque qu’il va amener la distinction
entre point de désir et point d’angoisse.
Je me suis demandé pourquoi Lacan amenait là ces distinctions,
pourquoi il les accentuait, quelle était la fonction de ces distinctions
dans le séminaire. Il m'a semblé qu’elles pouvaient éclairer
deux types de questions.
La première question, c’est que certaines formes du désir, par exemple
au niveau scopique, peuvent masquer l’angoisse de ce qui pour chacun
constitue un manque radical. Mais cela ne signifie pas pour autant que
la visée de l’analyse soit simplement de reconnaître ce manque, en tout
cas sous la forme dans laquelle il se présente habituellement, au
niveau de la castration phallique. Dès lors la distinction du point de
désir et du point d’angoisse va servir surtout à reprendre cette question.
Disons cela autrement. A propos de cette dimension du manque
Lacan nous dit, dans cette leçon XVIII, que « l’angoisse seule se trouve
viser la vérité de ce manque ». Je souligne cette formule parce qu’il me
semble que c'est une des formules qui indiquent un virage dans le
séminaire.
Lacan en effet a d’abord lié, dans la première partie du
séminaire l’angoisse avec le fait que le manque se mette à
manquer. Quand l’objet a vient se présentifier dans la réalité
il y a angoisse. Mais dans la fin du séminaire il va davantage
lier l’angoisse au manque lui même. Qu’est-ce qui explique
cette inflexion?
Eh bien il me semble que c’est lié à une tentative pour résoudre
ce qu’il désigne comme une impasse de Freud. Freud disait
que le névrosé en fin de cure semblait buter contre le roc de
la castration, qu’une femme ne pouvait dépasser l’envie du
Roland Chemama
88
pénis, qu’un homme ne pouvait dépasser la protestation virile.
Lacan déplace un peu la question. Pour lui l’impasse est tout
autant celle de Freud lui même. Il ne nie pas la place, pour
chacun, de la butée contre la castration. Il doit dès lors reconnaître
aussi la place de l’angoisse de castration comme forme particulière
d’une angoisse liée à un manque ou à une perte. Mais il va
poser la question de la façon dont l’analyse peut aller au delà.
C’est d’ailleurs à partir de cette question de la butée contre
la castration que Lacan introduit sa présentation du niveau
oral. Ce serait du fait de cette butée, du fait de cette butée
freudienne que l’analyse aurait cherché en dernier ressort le
fonctionnement le plus radical de la pulsion au niveau oral.
Alors, le niveau oral, Lacan nous en propose réellement une présentation
très complexe, sur différents plans que je ne peux qu’énumérer :
- la bouche comme image de la coupure
- mais aussi la bouche comme pouvant elle même être percée,
triturée, etc. dans les rites d’initiation
- les mots fondamentaux ( papa, marna ), comme articulés
au niveau labial.
- les dents avec la thématique agressive, mais surtout ce
qu’elles permettent, à savoir le fantasme de l’extrémité du sein
comme sectionnée
Et tout cela, eh bien ce n’est pas encore l’essentiel. C’est à
dire qu’à travers des réflexions très générales comme celle qui
concerne le développement de l’oeuf chez les mammifères Lacan
va en arriver à distinguer deux points originels.
Premier point : il faut concevoir le sein, en tant qu’objet a,
comme quelque chose dont l’enfant est séparé d’une façon en
quelque sorte interne à son existence. Il y a d’un côté l’enfant
et la mamme, et de l’autre la mère, sur laquelle la mamme est
en quelque sorte plaquée.
Deuxième point, le point d’angoisse est au delà de cette sphère,
il est au niveau de la mère, là où le sujet a rapport avec son
manque, avec ce à quoi il est suspendu.
Je pense que Pierre Marchai nous expliquera mieux tout
Leçons 16 à 20
189
cela. Il y a par exemple une question que je lui poserais volontiers.
Comment comprendre ce que Lacan appelle l’angoisse de tarissement
du sein? En quoi est-il si évident qu’il faille la situer au delà de
la sphère de l’existence propre du sujet, au delà de ce point où
il est déjà séparé, d’une façon interne, d’avec a? En quoi le thème
du vampirisme éclaire-t-il cette question? Enfin, on verra.
Quoi qu’il en soit, l’idée d’une séparation à l’intérieur, d’une
sépartition, est essentielle pour penser la structuration du
désir. Lacan insiste là dessus, et il affirme aussi que ce n’est
sans doute pas un hasard si on va chercher cette sépartition
d'abord au niveau oral qu’au niveau de la phase phallique. Et
puis il semble reprendre, sous une forme légèrement modifiée,
son schéma de la division subjective avec

S A
a angoisse

Langoisse donc du côté de l’Autre


En revanche je saisis mal la valeur particulière de l’écriture

A
angoisse

qu’on trouve au dessus.


Après cela Lacan aborde donc de front le niveau où se produit
le complexe de castration.
Là aussi je vais aller très vite puisque Pierre Marchai va en
parler. Le passage me paraît assez complexe. Lacan parle d’un
véritable renversement du point de désir et du lieu de l’angoisse.
Comment le comprendre?
Lacan situe d’abord la castration à partir de l’Autre. S’il n’y
avait pas mère castratrice ou père interdicteur il n’y aurait pas
de castration. Quant au point d’angoisse il va être situé du
côté du sujet, à partir de la présentation de la copulation. Inexistence
même de la détumescence indique la liaison de l’orgasme avec la
Roland Chemama
90
coupure, voire avec la disparition de la fonction de l’organe. Dès
lors nous dit-il, l’homologue du point d'angoisse c’est l’orgasme
lui-même. C’est même l’angoisse, en tant quelle ne trompe pas, en
tant quelle a une dimension de certitude, qui donne à l’orgasme sa
prééminence. Ainsi tout se passe comme si ce que le sujet recherchait
dans l’orgasme c’était une satisfaction liée à l’angoisse, au manque,
au - cp. Mais alors en quoi peut-on dire que point de désir et point
d’angoisse sont intervertis? Ne devrait-on pas dire plutôt qu’ils se
confondent?
Je passe cependant au plan scopique, sur lequel Lacan est
assez bref alors qu’il en fait la visée principale de la leçon. Il
distingue, au delà de ce qui fait la symétrie au moins apparente
de ce champ la dimension de la tâche, la dimension de fascination
qui caractérise le regard comme objet a. Et surtout il en revient
à l’image bouddhique. J’ai déjà relevé que pour lui celle-ci
suspend d’une certaine façon la castration, en tout cas qu’elle
met entre parenthèses la question de l’identité sexuelle. Mais
que veut dire Lacan quand il dit qu’elle annule le mystère de
la castration? Par ailleurs on comprend assez bien que cette
image, où le regard est présent mais voilé puisse protéger de
la fascination et de l’angoisse. Mais en quoi point de désir et
point d’angoisse peuvent-ils être dits ici coïncider et non pas se
confondre. C’est ce que je laisserai à la discussion de Pierre
Marchai.

Leçon 19
La leçon 19 va être consacrée essentiellement à la voix, mais
elle nous permettra aussi de revenir sur le niveau scopique.
Pour aborder l’objet voix Lacan s’attarde assez longuement
sur le Shofar, dont Bernard nous parlera aussi.
Le texte est assez complexe puisqu’on y trouve des éléments
informatifs, généralement précis et exacts, des références aux
thèses de Reik, qui a écrit sur le Shofar une assez longue
étude, et des réflexions qui sont celles de Lacan lui-même.
Leçons 16 à 20
9
Le Shojar constitue dans la religion juive un instrument
très ancien, une corne d’animal, dans laquelle on souffle et qui
fait entendre des sons précis. Ce peut être comme le dit Lacan
une corne de bouc, ça pourrait d’ailleurs être aussi bien une
corne d’antilope ou de gazelle, mais généralement c’est une corne
de bélier, qui rappelle le sacrifice d’Abraham. En revanche ça ne
doit pas être une corne de boeuf, qui rappellerait le culte du veau
d’or.
Le Shojar est surtout utilisé dans les jours de fête consacrés
à la pénitence, au repentir, et au pardon. On en sonne en particulier
à la fin du jour de Kippour, Yom Kippour, le jour du grand
pardon, un jour de jeune et de prières destiné à l’expiation
des péchés, plus particulièrement des fautes envers Dieu. Je
pense qu’on ne peut pas manquer de relever que Lacan insiste
sur la dimension d’émotion qu’il peut y avoir à entendre le
son du Shojar. Cette émotion, selon lui, n’est pas seulement
liée à l’atmosphère de recueillement ou de repentance. Elle se
présente aussi comme un affect proprement auriculaire.
Lusage du Shojar est mentionné de nombreuses fois dans
La bible. Les premières mentions, dans l’exode », sont sans
doute parmi les plus intéressantes. Il s’agit du dialogue que
Moïse engage avec Dieu, au moment où celui-ci va formuler
les dix commandements. Il est à noter que dans ce texte on ne
trouve pas seulement son du Shojar mais voix du Shojar : le
peuple entend la voix du Shojar. Dans le dialogue entre Moïse et
Dieu par ailleurs il est dit littéralement que Moïse parle et que
Dieu lui répond dans la voix, même si c’est parfois traduit par
« Dieu lui répondait dans le tonnerre ». Le contexte autorise
même à se demander si la voix de Dieu, ce n’est pas la voix du
Shojar elle même. En tout cas nous sommes très proches de ce
qu’amènera Lacan.
C’est sur Reik que je passerai le plus vite. Après quelques
louanges Lacan lui reproche un usage purement analogique du
symbole. Lacan n’a cessé d’ailleurs de nous prévenir contre
Roland Chemama
92
un usage intuitif du symbolisme, usage où tous les symboles
renvoient toujours à un même contenu, généralement phallique,
d’une façon mécanique, souvent à travers de simples ressemblances
formelles. Que la fonction phallique soit intéressée au niveau du
Shojar, pourquoi pas, dit Lacan. Mais c’est là non pas une réponse
ultime, mais le point où la question commence. Or il juge que
Reik ne dispose pas des moyens pour aller au delà, comme il se
voit dans son analyse de la question du veau d’or et du repas
totémique.
Venons en maintenant aux thèses de Lacan. Dans le son du
Shojar, qu’il rapproche d’ailleurs d’autres instruments rituels,
Lacan situe la voix comme objet a, c’est à dire la voix détachée
de la phonématisation, du système d’opposition des phonèmes
qu’étudie la linguistique. Le Shojar renvoie au mugissement,
au rugissement de Dieu. L’important sans doute est de noter
que ce qui fait saisir au mieux ce qu’il en est de la voix c’est
un son que nous repérons au niveau du rapport au grand
Autre.
C’est d’ailleurs également des rapports du sujet et de l’Autre
qu’il s’agit sans doute dans le passage qui suit et qui concerne
le souvenir. Une des grandes occasions où l’on sonne du Shojar,
c’est le jour de Rosh Hachana, à la fin de l’office supplémentaire.
Or la bénédiction centrale dans cet office fait appel aux souvenirs
- Rosh Hachana est d’ailleurs appelé aussi Yom ha-zikkaron,
jour du souvenir. Et il est parfaitement vrai que dans cette
bénédiction c’est Dieu qui a à se souvenir. On rappelle qu’il se
souvient de tout, on le prie de se souvenir de son alliance avec
le peuple juif. La question serait plutôt de savoir quel usage
Lacan va faire de cette remarque. Selon lui cela nous mène à
reprendre la question freudienne de la répétition. Si j’entends
bien ce qu’il nous dit, la répétition ne serait pas seulement ce
qui est véhiculé de façon automatique par le signifiant. Elle
renverrait au champ de l’Autre et à la place de l’objet voix dans
ce champ. Mais pour mieux saisir ce qu’a de spécifique l’objet
Leçons 16 «1 20
93
voix 11 faut revenir d'abord à l’objet regard.
En ce qui concerne l'objet regard Je dois dire qu'à l'occasion
de la lecture de la fin de cette leçon, Je me suis posé quelques
problèmes sur des questions que je croyais Jusque là bien saisir.
La première concerne l’usage que Lacan fait du terme d'élision
ou d'ailleurs d’élusion. Il me semble que dans ces quelques
pages il est double. Lacan dit d’abord que l'objet a est toujours
élidé au sens où serait toujours séparé, toujours ailleurs que
la où le désir le supporte. Cela peut faire penser à la dimension
métonymique du désir en général, meme si Lacan nous dit
que c’est à cet égard le niveau visuel qui donne le ton de notre
vie désirante. Cet usage de la notion d'élision m’a cependant
un peu surpris. En effet ce qui est surtout sensible dans le
champ visuel, c’est que le sujet en vient à méconnaître cette
dimension de séparation : dans ce champ rien en apparence
n’est séparé et c’est en cela que nous disons que c’est au niveau
visuel que la castration, ou l'objet a lui meme sont le plus
élidés. Il me semble qu'il y a ici un glissement dans l’analyse
qui m'a réellement posé problème.
Un autre problème pendant que J’y suis. Nous répétons donc
sans cesse qu’au niveau du spéculaire le manque se trouve
occulté. « Je ne peux voir, dit Lacan, ce que j’y perds ». C’est
finalement assez curieux. Est-ce que ce n’est pas dans ce champ
que l’envie fait des ravages? Puis je supposer qu'il y ait pour
le sujet même un point, un moment, où il se reposerait dans
une contemplation pacifiée de son image dans l’autre?
Quoi qu’il en soit, nous le savons, quelque chose vient révéler
ce qu’il y a d’apparence dans le caractère satisfaisant de l’image
spéculaire, c’est la tâche ou le grain de beauté, bref le regard lui
même. Mais Lacan par ailleurs continue à parler d’un désir visuel
qui masquerait l’angoisse de ce qui manque essentiellement au
désir.
C’est à ce désir visuel qu'il va alors finalement opposer la
voix. Ici c’est l’interdit qui est primordial. Lacan fait ici allusion
au mythe du meurtre du père. Ce qu’il faut savoir y saisir c’est
un interdit impossible à transgresser, à partir duquel se constitue
Holarul Chrtnamu
94
dans sa forme la plus fondamentale le désir originel. Notons
cependant que la toute dernière leçon semble Indiquer un chemin
qui permettrait de ne pas en rester à ce mythe freudien.

Leçon 20
En ce qui concerne la leçon 20 je me permettrai de négliger
tout à fait, pour aller plus vite, ce qui concerne la dimension
de l’enseignement, ce qui serait dépendant de la maturation de
l'enfant, de ce qui viendrait en rupture avec celle-ci, etc. Lacan
se réfère explicitement à William Stcrn et à Piaget, mais 11 a
vraisemblablement en tête bien d’autres références. Catherine
Ferron doit d'ailleurs parler demain d'un auteur qui intéresse
sans doute Lacan à ce moment là et qui est Vigotsky.
L'essentiel de la leçon va porter sur la castration et sur la
jouissance.
Sur la question de la castration, et plus précisément de
l’angoisse de castration, Lacan reprend les choses à la base,
comme si nous avions tout à apprendre sur ce dont il s’agit.
En fait ce qu’il va nous dire c'est que le phallus comme imaginaire
fonctionne partout - sauf là où il est attendu pour fonctionner.
Là où on l’attend, il disparaît, il s’escamote. Ce serait là que
se situerait le principe de l’angoisse de castration. Cela on peut
l’illustrer d’une nouvelle reprise du rêve de l’homme aux loups.
C’est une page, je dois le dire, assez superbe, qu’on aurait envie
de lire dans son entier. Nul besoin, dit Lacan, de chercher le
phallus au niveau de la fourrure cinq fois répétée de la queue
des loups - là où on la chercherait dans une conception naïve,
analogique, du symbole. Lacan dit plutôt qu’il se trouve au niveau
de la catatonie de l'image, au niveau de cette image figée et cent
fols reproduite d’un arbre couvert de loups. À quoi il faut ajouter
que cette image c’est aussi bien celle du rêveur lui même, fasciné
par ce qu’il voit. On peut dire que le phallus, ici, c’est le sujet lui
meme, figé, arborifié. Mais on peut dire aussi que le phallus
s’éclipse, disparaît. De même que le regard omniprésent ici est
| i^OUN lOft JO
95
en même lumps IiivInII>1o. De même le plmlliiN, «ni (uni <|u'll est
partout, disparaît, s'escamote.
Il y n loi, du Lacan, quelque eliose <pii fait écho à In Jouissance
île l'homme aux rais, h oolle Jouissance qui dépasse lonl repérage
possible pour le sujet. Ce qui nous Introduira au thème de la
naissance, dont II esl question dans la suite.
Venons en en effet aussi rapidement que possible à cette
question. Lacan revient en effet sur des choses qu’il a déjà dites
concernant l'orgasme et la Jouissance. Apparemment II avait été
mal compris. On s’étalt demandé si ce qu'il avait dit sur la certitude
liée à l’orgasme ne ramenait pas à la prétendue fusion du génital.
11 va alors parler de ce qui est demandé au niveau génital. C’est
une demande qui ne se confond en rien avec le besoin. Elle renvoie
à la mort, puisque aussi bien ce sont les organismes qui se
reproduisent sexuellement qui meurent. Dès lors Lacan va développer
ce lien entre pulsion sexuelle et pulsion de mort à travers une
série d’assonances et de Jeux de mots. Nous demandons à faire
l'amour, nous demandons l’amourir. Mais si c’est à mourir, c’est
à mourir de rire. Quelque chose ici est source d’angoisse, mais
on s’en tire.
Comment comprendre tout cela? L'acte sexuel, et plus
précisément la détumescencc, renvoie ici à l’angoisse de castration.
Celle-ci n’est pas une angoisse de mort. Mais il y a un point
de nouage entre sexualité et mort. Disons que dans la sexualité
le sujet, à travers qui la vie se transmet et se soutient, est
confronté avec ce qui dépasse ses limites. Nous pouvons appeler
Jouissance cette dimension où nous éprouvons confusément
que la sexualité est nouée au registre de la mort. Mais peut-
être, à la suite de cela, va-t-il falloir distinguer ce qui concerne
les hommes et ce qui concerne les femmes.
En ce qui concerne les hommes la réalité de la détumescence
d’une certaine façon les protège. « Eorgane, rappelle Lacan, n’est
Jamais susceptible de tenir très loin sur la voie de l’appel de la
jouissance ». Au moment où il pourrait être l'objet sacrificiel, eh
Roland Chemama
%
bleu dans le cas ordinaire il y a longtemps qu’il a disparu de la
scène. Il n’est plus qu’un petit chiffon, un souvenir de tendresse
pour la partenaire.
Qu'en est-il, maintenant du côté féminin? Je laisse de côté
ce que Lacan amène à partir d’une référence à ElioLL. Je laisse
même de côté ce qu’il dit du désir féminin qui serait tubaire, ce
qui semble bien renvoyer aux trompes de Falope et à la façon
dont elles se trouvent concernées dans le désir hystérique. De ce
désir Lacan prend soin de distinguer la jouissance. Il va nous
dire qu’une femme se trouve beaucoup plus près de la jouissance
que l’homme, mais aussi que par la jouissance elle se trouve
doublement commandée. On peut penser que ce passage anticipe
sur le séminaire Encore, Il le fait toutefois dans des termes
assez particuliers.
Lacan en effet dit que le lieu de cette jouissance est un point
assez archaïque pour être plus ancien que le cloisonnement
actuel du cloaque. Il se réfère à une femme analyste - sans
doute Lou Andréas-Salomé, qui soulignait la proximité de l’anal
et du sexuel, et qui disait que chez la femme l’appareil génital
n’est, par rapport au cloaque, qu’une partie prise en location.
Sans doute à travers Lou Andréas-Salomé Lacan poursuit-il
aussi son dialogue avec Jones, qui donnait une place importante
à l’anus, un anus confondu avec le vagin, dans le développement
spécifique de la libido chez une femme. On peut se demander
cependant quel est le sens à donner à la reprise de ces thèses
par Lacan, reprise qui ne me paraît pas fréquente.
Comment répondre à cette question? Il me semble qu’il y a plusieurs
niveaux de réponse.
Le premier c’est celui de l’expérience qui nous montre l’importance
dans de nombreuses cures de femmes de ce fantasme d’un non
cloisonnement du cloaque qui apparaît par exemple assez nettement
dans certains rêves. Mais précisément quel est le sens de ce fantasme?
Lors de nos journées de mars, Charles Melman a proposé
l’idée selon laquelle il y aurait pour une femme un modèle de la
séparation d’un objet qui dispenserait d’une référence au phallus
et donc à la castration. Lexonération de l’objet fécal répondrait à
I I f» 20
97
ce modèle.
Cette Idée me paraît d'ailleurs s’accorder avec ce dont 11 est
question pour Lacan dans toute cette partie du séminaire.
N'oubltons pas en effet que depuis la leçon 15 Lacan tente de
montrer que la négallvallon du phallus qui est au centre du
désir de l'homme n'est pas pour la femme un noeud nécessaire.
Enfin au delà de cette dimension cloacale, et précisément
parce que la castration ne fonctionne pas ici comme chez l’homme,
c'est bien à quelque chose comme une Jouissance Autre qu’une
femme a aussi affaire, une Jouissance qui concernerait davantage
le corps, une jouissance devant laquelle l’homme recule. La
Jouissance de l’homme et de la femme ne se conjoignent pas
organiquement.
J'accélère un peu. L’homme, lui, est donc davantage assujetti
à la jouissance phallique, dans ce quelle peut avoir de limité.
C’est ce qui fait son échec. L’homme n’est pas tout puissant.
Et c’est pour cela que les femmes vont reprendre, si J’ose
dire, le flambeau. C’est le fameux thème de la mascarade. Une
femme en vient à présenter ses attributs féminins d’une certaine
façon, elle en fait l’équivalent d’un objet non-détumescent. Lacan
dit que c'est au prix de faire bon marché de sa jouissance.
Entendons que c’est au prix de renoncer à une Jouissance qui
serait féminine, ou comme il le dira plus tard, pas toute phallique.
Mais ce qui ici m’intéresse particulièrement c’est que ce
développement reprend sans doute celui sur lequel nous en
étions resté dans la leçon 16. Est-ce que nous ne comprenons
pas mieux à présent ce que cela veut dire, qu’une femme ne
s’intéresse à la castration qu’en tant qu’elle va entrer dans les
problèmes de l’homme? Nous dirons que c’est parce que l’homme
ne peut aller plus loin dans la jouissance sexuelle, parce qu’il
y a un échec masculin sur ce plan, qu’une femme veut faire
mieux que l’homme. C’est cela seulement qui la vouerait à la
mascarade comme forme privilégiée de la revendication phallique.
Et enfin une toute dernière idée, puisque la dernière question
du chapitre concerne l’action de l’analyse. Est-ce que nous
devons laisser une femme en analyse arrêtée en ce point où
elle est l’otage de l’autre, ou elle prend en charge son échec?
Voila comment on peut reprendre, au point où nous en sommes,
la question de la fin de l’analyse, envisagée du côté féminin.
Leçons 21 a 25

Valentin Nusinovici

acan commence par expliciter la structure qui sous-tendait


L ses derniers propos sur l’union de l’homme et de la femme,
des propos qu’il qualifie lui-même de pas très encourageants.
Représentant l’homme et la femme par deux cercles d’Euler, il
fait valoir que la zone intermédiaire, celle où ils devraient s'atteindre,
s’unir, où ce qui serait leur médium - le phallus - est attendu, cette
zone est vide, que le phallus y fait défaut (-9).
Si phallocentrisme il y a, on voit que dans la théorie analytique
telle que Lacan la promeut, il est bien différent de ce que l’on entend
d’ordinaire sous ce terme. On voit également que la structure est
incompatible avec une conception du rapport entre les sexes où l’un
aurait ce qui manque à l’autre. Lacan évoque ici E. Jones qui prend
appui sur la Bible pour situer symétriquement les deux sexes - « Il les
créa homme et femme » - contre ce qu’il appréhende comme le
phallocentrisme freudien. Et il objecte que Jones n’a pas médité, dans
le texte hébreu, le verset auquel il se réfère1. Si le phallus, comme le
dit Lacan, « n’est pas fait pour l’union sexuelle », il s’en suit que chaque
sexe est devant cette alternative : l’autre ne peut être pour lui que
l’Autre ou le phallus. Le rapport est soit à l’Autrc (au prix de l’angoisse)
soit au phallus, (c’est-à-dire, à quelque forme positivée du phallus
car pour ce qu’il en est du phallus « c’est ce que je désire et que je ne
peux avoir qu’en tant que -9 »). Pour l’homme, la femme peut être le
phallus... mais dès lors elle n’est plus la femme, l’Autre féminin. La
femme quant à elle peut prendre l’objet a ou le clitoris pour le phallus
et partager fantasmatiquement la jouissance du partenaire, mais
ce faisant elle s’écarte de sa propre Jouissance.
Valentin Nuslnovlcl
100
Le manque du phallus là où 11 est attendu fait de l’angoisse
la vérité de la sexualité. Mais c'est une vérité Intolérable et c’est
pourquoi la castration (Imaginaire), avec ses revendications Illusoires
s’y substitue. La structure s’en trouve masquée puisque, comme
le dit Lacan d'une façon qui peut apparaître provocatrice mais
qui n'est que rigoureuse « il n’y a pas de castration parce qu’au
lieu où elle a à se produire il n’y a pas d’objet à castrer ». Le
phallus se trouve ainsi appelé à fonctionner comme instrument
de la puissance, d’une puissance qui ne défaillerait pas, d’une
toute puissance. Alors que, comme le souligne Lacan, ne pouvoir
Jouir que de cet instrument relève très exactement de l’impuissance.
Le premier temps de la leçon est donc la mise en place de
l’alternative fondamentale entre le phallus et l’Autre, que Lacan
reprend comme alternative entre le désir (dont le phallus est
le support) et la jouissance (l’Autre étant le lieu où la chose
dont la Jouissance est interdite a été effacée). Cependant Lacan
va ensuite parler d’une impasse de l’accès du désir à la jouissance,
impasse qui s’incarne dans l’objet a. Il semble donc que l’alternative
fondamentale soit réduite, par la constitution du fantasme,
au seul choix de l’objet a en tant que symbole du phallus. La
question que pose alors Lacan et qui l’occupe dans la plus
grande partie de la leçon est de repérer s’il y a un passage
» vers la jouissance - non pas une levée finale de l’antinomie
désir-jouissance par une synthèse de type hégélien, mais un
passage rendu possible par la constitution même de l’objet a.
A quel niveau de la constitution du a une telle possibilité
s’ouvre-t-elle ? L’hypothèse que ce soit au niveau scopique étant
d’emblée écartée - puisque a y est occulté et que, s’il ne l’est
pas, il détermine l’angoisse sous la forme de 1 ’Unheimlich -
c’est le niveau de la voix que Lacan explore. La voix en tant
qu'elle est liée à la parole, articulée, impérative et non pas la
voix liée aux sonorités, modulée, musicale.
11 évoque le monologue hypnopompique du nourrisson et y
repère, toute fonction de communication étant ici exclue, le
Leçons 21 a 25 01

libre Jeu de la parole au lieu de l'Autre (A) et ses conséquences


: la constitution de la voix (a) et celle du sujet ($).
A partir de là 11 élabore avec des références diverses,
métaphoriques et analogiques, le rapport de la voix au vide de
l'Autre et son rapport au désir de l’Autre. De l’anatomophysiologie
de l’appareil auditif il retient que le limaçon est un tuyau (c'est-
à-dire un vide) dont la structure détermine les caractéristiques
de ce qui, venant de l’extérieur, y résonne. Pour ce qu’il en est
de la voix objet a elle résonne, si on utilise cette métaphore,
non dans le vide du limaçon mais dans le vide de l’Autre, et
non de l’extérieur mais en tant qu’incorporée. Car pour être
articulée à la parole la voix, souligne Lacan, doit être incorporée
comme l’altérité de ce qui se dit (ce pourquoi celui qui parle
ne reconnaît pas sa voix).
Eanalogie amusante des grains de sable introduits dans l’utricule
d’un petit crustacé et qui assurent son équilibre, avec la constitution
du surmoi est amenée pour faire valoir que l’incorporation se
distingue de l’assimilation et pour donner une idée de ses
effets. Le problème difficile posé par la première identification
freudienne - dont Lacan avait indiqué qu’elle devait être abordée
à partir de références concernant le Père dans la tradition
sémitique2 - est ici repris. Lacan avance que le Shojar permet
la résolution de l’angoisse et l’introduction d’un autre ordre
parce que le désir de l’Autre s’y manifeste et modèle le lieu de
l’angoisse c’est-à-dire le vide de l’Autre. Le rapport avec la
fonction paternelle n’est ici qu’effleuré et Lacan ne va pas au
delà de cette indication sur le « passage » qu’il a entrepris de
situer.
Il termine en indiquant la signification du sacrifice par rapport
au désir de l’Autre. Le sacrifice, qui se différencie du don et
de l’offrande, tente d’apprivoiser le désir de l’Autre. Il consiste
à faire comme si le dieu désirait comme nous, l’important
étant de ne pas éveiller son angoisse par la résurgence de ce
Leçons 21 a 25
09
là où ils sont, pour nous, dans la suite de la reprise du platonisme
par le christianisme, Dieu est devenu tout puissant : puissant
partout en même temps et du même coup omnivoyant. C’est là
qu'est la racine du fantasme ubiquiste de l’obsessionnel. Même
si l’incroyance est professée16 il n’est pas de structure
obsessionnelle, affirme Lacan, qui n’implique l’existence d’un
tel Dieu. Et donc l’athéisme, du point de vue psychanalytique,
ne peut être que la négation de cette présence de la toute puissance,
une négation, dit Lacan, qui est de l’ordre de l’ascèse.
Il indique à la fin de la leçon qu’il a développé la structure du
désir obsessionnel, désir soutenu dans une « assiette impossible»
entre «l’objet perdu du type le plus dégoûtant» et «la plus haute
production idéaliste», mais que le circuit n’est pas achevé,
qu’il lui reste à préciser la relation de la structure du désir
obsessionnel avec l’angoisse qui le détermine. Ce qu’il fera dans
la leçon suivante.

Leçon 24
Lacan reprend ici le tableau à double entrée (introduit dès la
leçon 1 puis complété dans la 6) dont la première visée est de
rendre sensible le décalage existant entre inhibition, symptôme
et angoisse, décalage qui tient à la différence de leurs coordonnées.
Il fait d’abord valoir « l’étrange ambiguïté » de l’angoisse : l’angoisse
est sans cause mais elle n’est pas sans objet, elle désigne
même l’objet dernier. On peut, je crois, être familiarisé avec
cette assertion, avoir bien compris qu’il n’y a de cause que
séparée, avoir retenu que cette séparation faisant défaut dans
l’angoisse c’est logiquement que celle-ci est dite sans cause ;
et cependant rester déconcerté par cette « étrange ambiguïté »
tant notre besoin d’explication causaliste est enraciné. 17
Ce tableau que Lacan propose comme un instrument à faire
travailler, montre l’angoisse « suspendue » entre l'embarras —
moment où s’ouvre la question de la cause, où se formule qu’« il
y a une cause à ça » et l’émoi moment où s’indique que le
Leçons 21 a 25
21
20 Chez l'homme aux loups le figement du sujet lors de cette cession (leçon
20) Indique l’obstacle à quoi « le chemin du retour à l’objet dernier »
dans l’analyse se heurtera.

21 « IJldée de nature est un fruit de la culture », J. Lacan, Congrès de


l'EFR Alx en Provence, mal 1971.

22 D’autant qu’il est possible que le verbe latin cedere d'où vient le premier
soit apparenté à cadere d'où vient le second.

23 Voir leçon 13.

24
« Abraham, disons, voulait être une mère complète » Les quatre concepts,
éd. du Seuil, p. 145.

25 Voir leçon 23.

26
Angoisse parfois Immaîtrlsable, leçon 22.

27
Ce qui n’opère pas Ici, semble-t-il, c’est le tracé signifiant en double
boucle par lequel l’objet a se détache. La double boucle est tracée
par Lacan à propos des mécanismes de défense de l’obsessionnel
dans la leçon 10.

28
Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, chapitre VIII.

29
Lacan, L’identification, leçon 16.

30 Freud avait écrit, dans «l'Esquisse » que « la propre information du cri


sert à la spécification de l'objet » lequel comporte « une part Inassimilable
(la chose) ».

31
Inhibition, symptôme, angoisse, chapitre IL
VttlrnUn Suslnovlci
0?
qui, par son occultation, soutient cc désir.
Leçon 22
Dans celle leçon ou Lacan annonce d'emblée qu'il ne va pas
manier son algèbre mais procéder « louche par louche *. il
faut avoir présent îi l'esprit le schéma algébrique de la leçon
13 :

A S
a A
$

Schéma qui reprend celui de la leçon 9 mais en Inversant les


places respectives de $ et de a et qui met bien ainsi l’accent
sur deux points : 1 - c'est en raison de son rapport au désir
de l'Autre que l’objet a provoque l’angoisse ; 2 - c’est parce
qu’il antécède sur la constitution du sujet, que a est la cause
du désir et non l'objet visé par celui-ci. Au coeur de cette
leçon il y a cette affirmation de Lacan que c’est la cause du
désir, en tant qu'elle est masquée, qui soutient et anime, de
façon tout à fait générale, la fonction de la cause, cette fonction
qui a donné lieu à tant de débats philosophiques.
Il commence par faire valoir l’importance de la question de
la cause à propos du symptôme, et spécialement du symptôme
obsessionnel. Pour que le symptôme soit analytiquement constitué,
il faut, Freud y a insisté, que le sujet s’aperçoive de la façon
dont celui-ci fonctionne3. Lacan ajoute que le pas vraiment
essentiel est fait lorsqu’il se formule qu’il y a une cause à ça,
car alors l'implication du sujet dans sa conduite symptomatique
se rompt, et 11 se produit la « complémentation » nécessaire
pour que le symptôme devienne analysable. Le symptôme, dont
Lacan a souligné qu’il « est de sa nature jouissance », et * se
suffit à lui-même ne se suffit plus, une « moitié » en est
prise en charge par le clinicien, moitié sans laquelle, dira
Lacan. Il n’est pas de symptôme achevé6.
ï 71 >75
103
De ce pas essentiel que constitue l'ouverture du symptôme
au transfert on peut noter qu’il n'apporte aucun gain Immédiat
en compréhension (ou. comme on dit souvent, en Inslght).
C’est à une cause opaque que le sujet se trouve Intéressé'1.
Lacan avance encore autre chose de tout à fait neuf : c'est
autour de la cause, de l'objet a, que doit se faire l'analyse du
transfert, et le problème posé par celle-ci est à l'ordre du Jour
des qu’émerge la dimension de la cause. Ceci va bien sûr tout
à fait à l’encontre des Idées habituelles sur le déroulement de
la cure, en particulier d'un déroulement qui se ferait selon
trois phases : établissement de la névrose de transfert, résolution
du symptôme, analyse du transfert. Se moquant de la demi
réussite que constituerait l'Instauration d'une névrose de transfert.
11 va Jusqu’à dire que la névrose de transfert est déjà là chez
tout un chacun (même chez Alcibiade qui n’est pas névrosé !)
Et donc que la question n'est pas de prendre le soin de l'établir
mais bien celui d'empêcher quelle se fixe sur un mode Irréductible
où le psychanalyste reste pour l'analysant le contenant de l'objet7.
Le problème posé et « certainement pas résolu *, étant celui
d'une « soustraction * dont Lacan dit seulement Ici que le
désir de l’analyste s’y trouve Impliqué. 11 n’y a de cause - cause
mentale, ayant une signification subjective - qu'insaisissable,
séparée par une béance. Lobjet-cause a certes un effet, qui est
le désir, mais c'est un effet très particulier puisqu’il reste non
effectué*. La science (et les explications non scientifiques) qui
établissent des connexions signifiantes comblent la béance causale
cl volatilisent la dimension de la cause. En ce qui concerne
l'Histoire, Lacan dit que moins la cause y est saisissable,
plus tout y apparaît causé, d’où l'Importance fâcheusement
attribuée à ce qu'on appelle le - sens de l'Histoire
Quant au symptôme 11 ne peut apparaître comme un effet -
il faudrait pour cela que la cause en soit saisie - il apparaît
comme un résultat.
Lacan s’amuse un peu en disant qu’il transfère la fonction de la
Valentin Nuslnoulcl
04
cause, de l’Esthétique transcendantale de Kant à son Ethique
transcendantale à lui. Ceci pour dire qu’il n’y a pas de Chose en
sol, et que la Chose, ou cause, est du registre du réel.
Il est ainsi amené à préciser sa conception de l’espace par rapport
à celle de Kant. Lespace n’est pas, pour lui, une catégorie a priori de
l'intuition sensible, ce n’est pas « un trait de notre constitution subjective
au-delà de quoi la Chose en soi trouverait un champ libre » : l’espace
fait partie du réel. Il le fait valoir de deux façons :
- il évoque les formes que réalise le développement embryonnaire
et suggère que ces formes (qui rappellent les structures topologiques
: tore...} pourraient être expliquées par la contrainte qu’impose
à leur développement l’espace réel. Espace réel qui n’est donc
évidemment pas l’espace euclidien.
- Il dit qu’il y a une réalité de l’espace euclidien - l’espace du
champ scopique10 - et que cette réalité, qui est celle du fantasme,
s’inscrit dans l’espace réel qui constitue son cadre (la « fenêtre
» du fantasme est réelle)11.
Il est assez longuement question dans cette leçon (et déjà dans
les précédentes et encore dans les suivantes) du livre de Piaget
Le langage et la pensée chez l’enfant12. Piaget est pris comme
l’exemple éminent d’une démarche qui se veut scientifique dans
le champ psychologique, et dont Lacan s’emploie à montrer qu’elle
l’obscurcit en voulant ignorer le rapport de la causalité avec le
désir. Ainsi, en ce qui concerne la compréhension et la transmission
du fonctionnement du robinet, c’est davantage la mise en jeu
des désirs que le robinet provoque qui permet à l’enfant d’accéder
à « l’essence de la fonction du robinet comme cause, c’est-à-dire
au concept de robinet », que le mécanisme étroit qu’on lui présente
sous la forme d’un schéma. Et Lacan souligne que la
méconnaissance de la fonction de la cause tient à un préjugé
: on croit que la parole a essentiellement pour effet de communiquer
(et de transmettre intégralement une chaîne causale) alors que
son effet est de faire surgir dans le sujet la dimension du
signifié (qui ne va pas sans un reste qui va animer la fonction
de la cause).
Leçons 21 a 25
05
La leçon se termine avec un tableau de la constitution subjective
dont les différents niveaux sont représentés par des cercles d’Euler.
Le niveau 1 est celui du besoin dans l'Autre et donc de la
dépendance par rapport à la mère ; a, qui est dans la zone
intermédiaire, fait partie du monde intérieur du nourrisson et
le sujet n’est pas encore barré. C’est la dépendance à la mère
qui fait que le nourrisson va abandonner le sein.
Le niveau 2 est celui de la demande dans l’Autre, de l’éducation
de la fonction excrémentielle ; a y prend sa fonction de reste de
la demande, et donc d’objet perdu, le sujet barré, identifié à cet
objet, est dans la zone intermédiaire.
Le niveau 3 est celui de la jouissance dans l’Autre, dont le
corrélât est le manque phallique (-cp).
Le niveau 4 celui où le mirage de la puissance dans l’Autre
est soutenu par le fantasme. Le niveau 5 est celui où le désir de
l’Autre, présent aux étages précédents, doit émerger sous « forme
pure ». Formulation que Lacan dit provisoire et qu'il n’accompagne
d’aucun schéma. La question sera réévoquée à la fin de la dernière
leçon et reportée au séminaire prévu pour l’année suivante.
Du névrosé obsessionnel, sur lequel les leçons suivantes seront
axées, il est précisé qu’il se défend du désir dans l’Autre en le
couvrant par la demande dans l’Autre. Raison pour laquelle l’objet
anal, qui est celui sur lequel porte la demande, occupe une place
prééminente dans cette névrose. C’est pour la même raison que
dans toute tentative d’accomplissement du désir l’autorisation,
voire la demande expresse de l’Autre, est quêtée.

Leçon 23
La leçon commence avec le schéma des positions relatives
des cinq niveaux de la constitution de l’objet a. Ce schéma que
Lacan dit « circulaire » ne l’est pas vraiment puisque le niveau
3 situé en pointe lui confère une forme phallique et que cette
forme, comme celle du graphe qu’elle évoque, n’est pas fermée
à son extrémité inférieure. Mais « circulaire » indique qu’il ne
s'agit pas de stades évolutifs comme dans la conception de
Valentin Nunlnuvtcl
106
Karl Abraham, mais de niveaux qui sont en relation les uns
avec les autres, Les corrélations privilégiées que la clinique
met en évidence entre niveaux 1 cl 5 et entre niveaux 2 cl 4
sont prises en compte, comme l'est ce fait sur lequel Lacan
Insiste : qu'il n’y a pas de phase analytique régressive qui ne
comporte une face progressive et inversement13.
Quelque soit le niveau considéré, l'objet a a la même fonction
qui est de représenter le sujet au Heu de l’Antre, mais la place
qu’il tient dans la subjectivité n’est pas la même à chaque niveau.
Dans celle leçon 11 est essentiellement question de la place de
l'objet anal dans la subjectivité en général, et plus particulièrement
dans la constitution du désir obsessionnel (Lacan commençant
par souligner que, contrairement à ce qui pourrait sembler évident,
cet objet n’est pas l’effet, mats la cause du désir anal).
La subjcctlvation ne sc réduit ni au développement psychologique,
ni au développement organique. Elle implique qu'« à des accidents
du développement » sc conjoignc « l’effet d’un signifiant dont,
dès lors, la transcendance est évidente par rapport au dit
développement ». En parlant d’« accidents du développement »,
Lacan se situe du point de vue de l’évolution des espèces pour
détailler les particularités anatomophysiologiques qui, dans l’espèce
humaine - qu’elles lui soient spécifiques ou non - permettent à
la fonction de l’objet a de trouver sa matérialité corporelle. 11
s'agit de la mamme « plaquée » sur le thorax (qui appartient au
monde intérieur du nourrisson et non à celui de la mère) du
caractère érectile de l’organe copulatoire (qui implique sa «
caducité ») de la plasticité du larynx humain (condition de
l’émission de la voix) et de la prématuration néonatale du
système nerveux (dont Lacan a montré qu’elle a pour conséquence
la valeur anticipatrice de l’image spéculaire)1L’oeil est laissé
de côté. Quant à l’excrément il a comme particularité d’être
présent depuis le début de l’évolution des espèces.
Le terme de transcendant appliqué au signifiant n’implique
aucun lieu transcendantal car le lieu du signifiant, lieu de
Lrçrcs -11
07
l'Antre, ne saurait être situé ailleurs que dans l’espace réel (le
langage, dit ailleurs Lacan, est dans le réel). Il indique que
c'est le signifiant qui met en place le cadre dans lequel les
faits anatomiques interviennent. Chacun de ces faits, dit Lacan,
vient occuper «une place-clé sur un échiquier», autrement dit
leurs places respectives et leur mise en jeu sont réglées par le
symbolique.
Lacan pointe que le nourrisson ne se reconnaît pas dans l'objet
oral - lequel est pourtant de son appartenance - et que le premier
objet dans lequel le petit sujet a l'occasion de se reconnaître est
l'objet anal, celui autour duquel tourne la demande de l’Autre
(la mère). Cette demande fait de l'objet une partie du corps de
l’enfant, mais une partie à rejeter dans certaines conditions et
circonstances, si bien quelle est ainsi valorisée et désavouée.
Ainsi cet objet : c’est lui et ce ne doit pas être lui. Et en définitive
la méconnaissance prévaut : ce n’est pas lui. Si l’on raisonne en
terme de stades on peut penser que ce qui est déjà une ambivalence
obsessionnelle se trouvera effacé par l’accession au stade génital,
or il n’en est rien : le désir sexuel ne balaie pas cette organisation
parce que l’objet anal, qui peut si bien symboliser le phallus et
sa chute, se prête parfaitement à soutenir le désir génital.
Pour montrer que la littérature analytique aborde tout autrement
la question du rapport à l’objet a et du phallus, Lacan évoque
deux exemples.
Il cite un article (Madonna’s conception through the ear) où
E. Jones ramène le souffle divin fécondant à une origine anale
sans tenir compte de la valeur érotique du souffle respiratoire,
ce qui montre bien que l’explication par la seule régression est
insuffisante à rendre compte de la complexité des faits. Il souligne
ensuite que la littérature analytique accentue l’importance de l’éducation
de la propreté dans la genèse de la névrose obsessionnelle alors
que toute la question est de savoir ce qui motive l’intérêt de la
mère et son attachement à l’excrément de sa progéniture. Ce qui
se trouve là méconnu - méconnaissance symptomatique - c’est
Valentin Nustnovlcl
108
que l’objet anal est symbolique du phallus.
Dans cette leçon apparaît un nouveau tableau des cinq niveaux
de la constitution subjective qui présente évidemment des similitudes
avec celui, eulérien, de la leçon 22 : tous deux comportent trois
zones à chaque niveau15. La colonne de gauche concerne, me semble-
t-il, ce qu'il y a du côté du sujet, celle de droite ce qui dans l’Autre
n'est pas directement accessible au sujet, et celle du milieu ce à
quoi, de l’Autre, le sujet a directement affaire. Demande et puissance
de l’Autre sont ainsi décalées par rapport à désir et à jouissance
de l’Autre qu’elles couvrent (contribuant à barrer l’angoisse).
Le niveau central (- (p) est le lieu de l’angoisse et celle-ci motive
les symbolisations névrotiques qui empruntent aux autres niveaux
pour pallier à la disjonction du désir et de la jouissance et à la
non conjonction des jouissances de l’homme et de la femme.
Le désir de l’homme, vectorisé par le phallus, doit rencontrer
la castration avant qu’il puisse entrer dans la jouissance du partenaire
féminin. Chez la femme, que son désir porte vers le même symbole,
la jouissance s’écrase dans la nostalgie phallique sans se conjoindre
à l’autre, et l’amour se porte au-delà du partenaire vers un Autre
castré ou au contraire incastrable. Rien, ni d’un côté, ni de l’autre,
ne permet de parler de don à propos de l'acte sexuel, si ce n’est
par métaphore mais c'est une métaphore qui est propre au registre
anal.
Le désir de l’obsessionnel qui est soutenu au niveau anal,
s’achève dans sa constitution au niveau scopique où il prend
appui dans la puissance (fantasmée) de l’Autre. Avec cette
conséquence qu'un désir, auquel est associé un Autre idéalisé
dans sa toute puissance, reste un désir impossible : quoique le
sujet fasse pour le réaliser il ne s’y trouvera jamais véritablement
engagé.
Lacan insiste sur le fait que la structure de la névrose
obsessionnelle, (et pas seulement sa phénoménologie), dépend
de l’évolution des croyances et des discours. Si, à l’origine, les
dieux-Apollon, Elohim, Yahwé - sont réels, c’est-à-dire puissants
Valentin Nuslnovlcl
110
principe du pouvoir est posé au dehors, où l’objet a se retire. 18
L'émergence première de l’objet a Lacan la repère dans
l’observation de l’homme aux loups ce qui lui permet d’éclairer
la structure de la névrose obsessionnelle. Il la repère dans cet
élément que Freud reconstruit et qui ne sera jamais remémoré
: la défécation lors de la scène primitive, un élément qu’il tient
pour «structurellement nécessaire à toute la détermination
ultérieure». Ce qui rend la scène traumatique, soutient-il, c'est
que «le champ de l’Autre se fend» : le phallus fait défaut là où
il est attendu pour faire copule dans l’union des sexes, 19 A ce
manque dans l’Autre répond une cession subjective, cette cession
constitue l’objet a comme tel.20 L’angoisse produit son objet.
Lobjct a dans ses diverses formes, a comme caractère fondamental
d'ôtre un objet cessible. Ce qui anatomiquement se prête à la
coupure va faire l’objet d’une cession. Le terme, juridique, indique
bien le caractère symbolique de l’opération. Et Lacan souligne
que si la fonction de l’objet cessible nous apparaît comme une
fonction naturelle ce n’est qu’en raison de cette opération
symbolique. 21
On peut, Je crois, rapprocher les termes de cession et de caducité. 22
Le premier définit ici l’objet a, le second a été utilisé à propos
de l'objet partiel.23 Lintérêt de ce rapprochement est de les opposer
: la cession de l’objet a est la conceptualisation par Lacan de la
réponse du sujet au manque structural de l’Autre tandis que la
théorie de l’objet partiel est, selon Lacan, une réponse à la caducité
de l’organe, réponse qui reste dans le registre de la névrose. 24
Langoisse de sevrage n’est pas la conséquence de la frustration
du sein, elle marque le moment de cession par l’enfant de ce
qui n’est pas encore un objet mais une part de lui-même à
laquelle il est appendu. L’objet transitionnel, bout arraché à
quelque chose, est le suppléant du sujet et le précède.
D’être cessible, l’objet en devient remplaçable, fabricable,
échangeable, stockablc avec toutes les conséquences individuelles
et sociales que cela implique et que Lacan évoque, de la fabrication
Leçons 21 a25
i
des biberons et de l'enregistrement de la voix à la reproduction
de l'Image du corps sans oublier le traitement industriel des
ordures ni la réduction d'une grande part d'un peuple à l’état de
déchet25. 11 évoque également le problème des comas dépassés
et des prélèvements de greffes pour noter qu’il réactualise une
question religieuse et philosophique de toujours : le sujet est-
il d'abord une âme ou un corps ? Sa réponse est qu'il est d’abord
un objet et que cet objet «véhicule quelque chose de l'identité du
corps».
Revenant au tableau à double entrée il y situe le désir dans
la case de l’inhibition puisque le désir est à l'origine de l’inhibition
qui l'occulte. Au même lieu il situe l’acte puisque celui-ci est
«une action où se manifeste le désir qui aurait été fait pour
l'inhiber». Seul ce fondement de la notion d’acte dans son
rapport à l’inhibition, dit-il, justifie qu’on parle d'acte sexuel
ou d'acte testamentaire. L’exemple par lequel il montre comment
désir et inhibition interviennent dans l’acte sexuel indique bien
qu'il y a à se déprendre de toute idéalisation à propos de l'acte
même si celui-ci est à entendre au sens fort de réalisation du
sujet. II choisit en effet d'évoquer la défécation consécutive à
un rapport sexuel, par laquelle le désir de retenir intervient
(en tant qu’il est empêché) comme défense par rapport au désir
génital. Il y a là une manifestation signifiante où s'inscrit l'écart
du désir.
Dans le tableau tel qu’il le réécrit alors «ne pas pouvoir»
vient à la place de l’empêchement (empêchement du désir de
retenir) et «ne pas savoir» à celle de l’émotion (émotion devant
la signification de ce qui ne peut être retenu). Ces deux coordonnées
du symptôme obsessionnel déterminent les deux faces de celulci:
la compulsion et le doute.
Le symptôme obsessionnel est un «effort pour retrouver la
cause authentique de tout ce processus» c’est-à-dire l’objet a,
mais cet effort est arrêté par la procrastination, les fausses pistes
(acting-out) et par le doute qui frappe tous les objets de substitution.
Valentin Nuslnoulcl
112
C'est donc dans ce «chemin de retour à l’objet dernier» que l’analyse
doit être conduite et cela ne peut que faire surgir l’angoisse20
puisque cet objet dont l’émergence a été en rapport avec le manque
de l’Autre a pris fonction de bouchon à l’endroit de ce manque.
A l'autre niveau corrélatif du niveau phallique, au niveau scopique
l'image spéculaire prend une fonction similaire : elle soutient un
amour de l’autre idéalisé et oblatif en se proposant comme le
don auquel l'autre pourra se raccrocher. La « distance » que M.
Bouvet qui s’appuie sur une théorie de la relation d’objet, tente
de réduire dans la cure de l'obsessionnel, Lacan la situe dans ce
rapport à l’autre imaginaire, rapport défensif contre la castration.
Lobsessionnel, comme tout névrosé, a accédé au niveau
phallique, mais il se maintient « sur le bord du trou castratif
» : ses désirs dessinent un cercle qui va d’un niveau à l’autre
sans jamais revenir sur lui-même sinon en repassant par son
point de départ. 27

Leçon 25
Lacan termine le séminaire en confrontant sa conception de
l’angoisse à celle de Freud, envisageant ce qu’elle implique
quant au rôle du psychanalyste et indiquant la direction dans
laquelle il compte poursuivre... si les circonstances le permettent.
Nous savons, bien sûr, que les « Noms du Père » dont la
préparation en cours se manifeste dans plusieurs leçons de «
l’Angoisse » ne comptera qu’une seule leçon.
L’angoisse est signal, mais de quel danger ? Celui-ci doit
bien avoir quelque rapport avec la situation de danger originelle de
la naissance. Mais que peut-il subsister comme indice du danger
vital encouru à la naissance ? FYeud affirme qu’il n’a pu être enregistré
alors qu’un indice d’ordre économique, concernant l’augmentation
- considérable à la naissance - des quantités d'excitation. Selon
lui, ce sont des perturbations économiques qui constituent le «
noyau » de la situation de danger dont l’angoisse sera dorénavant
le signal. Il voit donc dans le cri par lequel le nourrisson appelle
leçons 21 a 25
13
la mère qui s’en va une réaction au signal d'angoisse déclenché par
la menace de la réapparition de perturbations de son économie
libidinale, et une reprise de la réaction respiratoire et phonatoire
de la naissance.28
Lacan, lui, cherche quel est le fondement structural des variations
économiques et aboutit à la conclusion que la situation de
danger correspond au moment de cession de l’objet a et que
le signal d’angoisse précède donc ce moment de cession.
La cession de l'objet a, on l’a vu tout au long du séminaire,
est en rapport avec le désir de l’Autre. C'est d’ailleurs en commençant
par pointer son rapport au désir de l’Autre que Lacan a entrepris
l’étude de l’angoisse. Il l’avait fait avec l’apologue de la mante
religieuse où disait-il « je ne sais pas quel objet a je suis pour
l’Autre »29. Il précise maintenant la signification de ce « je ne sais
pas : l’Autre n’étant pas d'une espèce étrangère mais humain,
si je ne sais pas quel objet a je suis pour lui, c’est parce que je
méconnais ce qui est, dans l’économie de mon désir d’homme,
l'objet a.
Il reprend ensuite, une dernière fois le rapport de l’objet a
au désir de l’Autre, aux différents niveaux:

Au niveau 1 : l’angoisse n’est pas déterminée, contrairement


à ce qu’on dit habituellement, par la rupture du lien avec l’Autre
(la mère), elle est en rapport avec l’émergence de ce lien et
l'objet a en constitue le premier signe. Il s’en suit que l’enfant
n’est pas sevré, comme on le répète, mais se sèvre et que la
cause de ce désir de sevrage (Lacan dit aussi : de séparation)
est l’objet a.
C’est seulement à ce niveau, considère Lacan, qu’il peut y avoir
une situation de danger articulée. Mais alors comment penser
le rapport de l’angoisse signal du danger à ce qui est «plus
primitif que l’articulation de la situation de danger» : la naissance.
Ce ne peut être «un rapport de phénomènes qui se recouvrent,
comme pour Freud, mais plutôt un rapport de «contemporanéité».
Valentin Nuslnovlcl
14
Voici comment j’essaie de comprendre les indications de
Lacan. Pour lui. le trauma de la naissance est provoqué par la
modification des conditions respiratoires, par «l’aspiration
en soi d’un milieu foncièrement autre ». Il parle d’une conjonction
paradoxale du point de départ et du point d’arrivée. Le point
de départ c’est « le cri qui échappe au nourrisson» (je crois
qu’il faut lire ici non pas nourrisson, mais nouveau-né). «Il ne
peut rien en faire, dit-il, s’il a là cédé quelque chose, rien ne
l’y conjoint». Autrement dit : il n’y a pas à la naissance de
cession subjective car il n’y a pas d’Autre, l’émission de méconium
ne peut prendre la signification d’une cession. Le point d’arrivée,
c’est le cri du nourrisson : ce cri qui évide l’Autre en son
centre en effaçant la Chose30 et par lequel le rapport à l’Autre
se constitue comme achevé. Je comprends ainsi la conjonction
entre le point de départ et le point d’arrivée : l’aspiration brutale
du milieu aérien a laissé une inscription, celle-ci exercera ses
effets dans le cadre du rapport constitué à l’Autre. Ce n’est
pas un affect qui a été incorporé comme sédiment d’un événement
traumatique ancien et qui dans une situation analogue est rappelé
au titre de symbole mnésique, sur le modèle de l’accès hystérique31.
Cette trace laissée par le trauma de la naissance n'intervient
pas parce qu’il y aurait analogie de situation mais parce qu’elle
se trouve conjointe, associée, à ce qui caractérise la structure
de l’Autre, à savoir son manque.

Au niveau 2 : l’objet anal est la cause de la «première forme


évolutive du désir » : le désir de retenir qui s’oppose à la
fonction - elle-même déterminée par le désir de l’Autre - qui
a introduit sa cause.
Ici Lacan apporte une indication sur la « fonction technique
» de l’analyste dans la cure de l’obsessionnel. L’obsessionnel
oscille entre sa compulsion à retenir - une compulsion empêchée
- et son doute quant à l’objet retenu. Ce qu’il faut prendre en
compte c’est que cette oscillation passe par un point zéro qui
Leçons 21 a 25
15
est le moment de cession de l’objet. Cachée par l’ambivalence
de l'oscillation il y a l’angoisse de ce moment de cession où le
sujet se trouve à la merci de l'autre. Lanalyste qui peut alors
revêtir cette figure du petit autre ne doit pas se tromper sur ce
qui met en jeu l’agressivité. Ce moment où il se révèle que le
sujet n'a pas en lui la cause de son désir, Lacan l’écrit d(a) :
o < d(o) - le désir du sujet équivaut à l'objet chu qui est sans
ambiguïté le support du désir de l’Autre. Il y voit le ressort
structurel de l’impossibilité de la coexistence des consciences
de soi chez Hegel et ce pourquoi la lutte à mort que celle-ci
conditionne n’est qu’une lutte pour rien. La structure de ce
moment lui permet aussi de pointer comme fantasmatique la
notion théologique et scolastique de « causa sui » et, a contrario,
d'apprécier la pertinence de la formule de l’Ecclésiaste traditionnellement
traduite par « tout est vanité ». Cet objet qu’on refuse de laisser
choir n’est que « buée, chose qui s'efface » (termes qui traduisent
mieux l’hébreu Hévèl que ne le fait celui de vanité 32).
Sur le plan de la direction de la cure Lacan conclut ici une
critique engagée depuis plusieurs années contre M. Bouvet, en
opposant deux façons de conduire la cure de l'obsessionnel.
D’un côté, celle de M. Bouvet qui consiste à tourner autour de
l'agressivité afin de plier le désir de l’analysant à celui de
l’analyste (terme qui ici signifie le désir du sujet analyste,
désir enraciné dans son idéal du moi) laissant ainsi l’objet a
intouché. De l’autre, la sienne où il s’agit de faire monter l’objet
a sur la scène jusqu’à le dégager en tant que reste irréductible
à la symbolisation.

Au niveau 3, il situe comme à chaque autre niveau un désir


: ici désir de castration qui ne prend sa signification menaçante
que reconnu dans le désir de l’Autre. La femme est plus angoissée
que l’homme - Lacan en est d’accord avec Kierkegaard - parce
que cette menace ne trouve pas chez elle l’organe auquel elle
Valentin Nuslnovlct
116
pourrait dire référée.

Au niveau 4 est repris le tableau à double entrée33. L'élément


qui y est le plus Inattendu est, me semble-t-il, le « concept
d'angoisse » venant à la place de l'embarras. En disant que le
concept n’a pas de prise véritable sur le réel et que l’angoisse
est «la seule appréhension dernière et comme telle de toute
réalité», Lacan donne à l’expression, forgée par Kierkegaard,
de «concept d’angoisse» tout son poids 34.
11 s’est appuyé sur les avancées de Kierkegaard. Et
particulièrement celles-ci : l’objet de l’angoisse qui est le rien, le
rapport de l’angoisse à la temporalité, la position intermédiaire
de l'angoisse.35 Et sa conclusion - l’angoisse précède la chute
du a - fait écho à ce qu’a dit Kierkegaard de l’angoisse précédant
la chute, en l’occurrence le péché et du saut qualitatif et non
quantitatif que celui-ci représente. Mais Lacan considère que la
psychanalyse peut aller plus loin : le concept d’angoisse étant,
dit-il, donné à la limite d'une méditation qui rencontre très vite
sa butée, il s’agit - le séminaire se clôt là-dessus - d’«offrir
à la question du concept d'angoisse une garantie réelle».
Au niveau 4 le deuil vient à la place de l’acting-out. La distinction
entre i(a) et a permet à Lacan de reprendre la question du
travail du deuil et de préciser le rapport qu’il y a entre
surinvestissement de l’objet et détachement de la libido. Pour
Freud, dont Lacan retient tout à fait la description du travail
de deuil, c’est après le surinvestissement d’un objet qui n’existe
plus mais dont l’existence se poursuit psychiquement, que la
libido va pouvoir s’en détacher. Pour Lacan ces deux opérations
n’ont pas le même objet. La restauration du lien libidinal concerne
l’objet fondamental, masqué, l’objet a et elle fait renaître le
désir. Le détachement libidinal en devient possible parce qu’il
concerne l’image de l’autre, i(a), le deuil étant un lien
narcissiqucmcnt structuré et idéalisé. 36
La même distinction entre a et i(a) soutient l’analyse que
leçons 21 a 25
11/
fait Lacan de la mélancolie : ici a n’est pas méconnu, mais il
n'est pas en fonction, il ne «leste» pas le sujet, lequel de ne
pouvoir atteindre cet objet dont la commande lui échappe risque
de passer à travers sa propre image par le cadre de la fenêtre.

Au niveau 5 a «se retaille»37 devenant le support manifeste


«ouvertement aliéné du désir de l'Autre, qui cette fois se
nomme. L’étude de ce niveau qui n’a été qu’amorcée, à propos
en particulier du Shofar (leçon 21) Lacan se propose de la
poursuivre l’année suivante en abordant la fonction paternelle
qui se trouve spécialement impliquée dans le registre de la
voix.
Il pose quand même encore quelques jalons. Il pointe la
discordance qu’il y a entre la façon dont Totem et Tabou »
présente le désir du père comme écrasant le désir des fils 38, et
l’expérience qui enseigne que la fonction du père est de normaliser
le désir selon la loi. Et il s’y appuie pour éclairer la fonction
paternelle : le père, dit-il, est celui qui a poussé la réalisation de
son désir assez loin pour le réintégrer à sa cause pour savoir à
quel objet a il se réfère, autrement dit celui qui ne s’est pas
laissé arrêter par la castration. Ainsi la contradiction entre le
mythe freudien et l’expérience n’est qu'apparente, mais elle permet
de focaliser la réflexion sur un point précis : le mythe présente
le désir du père comme sans limite parce qu’il ne bute pas sur
la castration et c’est bien là qu’est le ressort de la fonction paternelle. 39
Cela ne signifie pas que le désir du père, pas plus qu’aucun
autre, soit infini. L’objet a est un objet fini et le désir dont il
est cause ne peut être que fini. Les désirs prennent l’apparence
de s’infinitiser quand ils s’écartent de leur centre (la béance
phallique) et les uns des autres, et c’est ce qui en empêche
toute réalisation authentique. C’est pourquoi l’interprétation
ne porte pas, comme le disent les post freudiens, sur tel ou
tel niveau (oral, anal...) mais sur le plus ou moins de dépendance
des désirs les uns par rapport aux autres.
Valentin Nuslnovtcl
18
Ce qui fonde la possibilité du transfert c’est que l’objet a
est situé dans le champ de l’Autre et que sa fonction dans le
désir est méconnue. Mais le transfert reste «inopérant» 40 jusqu’à
ce que l'Autre se nomme car «il n'y a d’amour que d’un nom».
La nomination de l’Autre a donc la plus grande importance
et elle peut prendre un caractère sacré (cf la Bible), néanmoins
elle n'est qu’une trace, « une trace de ce quelque chose qui va
de l’existence du a à son passage dans l’histoire » (l’objet a,
comme reste irréductible à la significantisation, existe dans
l’Autre et il « passe dans l’histoire » en ce sens que, partie
cessible du corps, il est au coeur des tournants historiques
de la subjectivation 41 ). Quand l’Autre se nomme, l’angoisse
est surmontée... tant qu’on n’approche pas de la limite que
fixe le fantasme. Lacan pose pour finir la question de savoir
ce que doit être le désir du psychanalyste pour qu’au-delà de
la limite de l’angoisse, le travail soit possible. Il répond qu’il
convient que le psychanalyste, en quelque façon, fasse entrer
son désir dans le a (celui du fantasme de l’analysant) pour
offrir à la question du concept d’angoisse une garantie réelle.
Là où il n’y a pas, faute de signifiant dernier, de garantie symbolique
(d'où l’angoisse) le désir de l’analyste peut offrir une garantie
réelle à la possibilité d’appréhender par l’angoisse la réalité
dernière.
Leçons 21 a 25
19
Jones ne cite pas à proprement parler un verset puisqu’il écrit « Au
commencement • • • Dieu les créa mâle et femelle » (The phallic phase
1933). Il laisse de côté ce qui concerne la création première d'un être
unique dans le verset I, 27 de la Genèse (« Dieu créa l'homme à son
image, c’est à l'image de Dieu qu'il le créa, mâle et femelle il les créa »).
A quel terme hébreu de ce verset Lacan fait-il allusion ? Est-ce tselem (l’image)
que les kabbalistes rapprochent de tsel (l’ombre). ?

2 L'Identification, leçon du 28 mars 1962.

3 « Le patient doit trouver le courage de fixer son attention sur les


manifestations morbides » Remémoration, répétition, élaboration.

4 Leçon 9

5 Problèmes cruciaux pour la psychanalyse. Leçon du 5 mai 1965. Et


dans une conférence à Yale le 24 novembre 1975 : « il faut avoir été
formé comme analyste... formé, c’est-à-dire avoir vu comment le symptôme
ça se complète. » Sclllcet 6/7, p. 35.

Dans la leçon 21 Lacan parle d’insight à propos du stade du miroir


et de la tension spéculaire. Ce qu'on verrait « au dedans de soi » n’a
donc pas un statut différent de ce qui est vu dans le champ scopique.

7 Leçon 7.

Il n'est effectif qu’en ce qu’il rend cohérente la chaîne signifiante en


y introduisant la métonymie (leçon 24).

« L’Histoire est précisément faite pour nous donné l’idée qu’elle a un


sens quelconque », Encore, éd. du Seuil, p. 45.

10
Leçon 19, « l’espace c’est quelque chose qui a un certain rapport non
pas avec l’esprit mais avec l’oeil ».
Valentin 1/unlnouUt
120
11 Dann Encore (Seuil p, 122) Lacan dira que l'espace n’est pas Intuitif,
qu'il «ait compter, et qu'il semble faire partie de l'Inconscient.

12 cf l'exposé de C. Ferron.

13
Leçon 4 «Jamais on n’a vu une analyse si réussie qu’on la suppose
dans le procès de la régression repasser par les étapes contraires comme
Il serait nécessaire s’il s’agissait de quelque chose comme une reconstruction
génétique*.

14
Dans la leçon 24 II montrera que l’Image spéculalre peut entrer dans la
catégorie des objets cessibles.

,n Et 11 faut bien sûr les lire en gardant présent à l’esprit le schéma «circulaire*
dont Ils sont des mises à plat.

10 Une anecdote qui circule en ce moment : le petit Levy fréquente en


Amérique une école non confessionnelle et revient enthousiasmé d’un
cours où a été expliquée la Trinité chrétienne. Son père auquel il en
fait part n’appréele pas : «Souvlens-toi bien, Jérémie, que nous n’avons
qu’un SEUL Dieu ! • • • et nous n’y croyons pas.*

17
On verra dans la dernière leçon que l’angoisse précède le moment de
cession de l’objet a. Dlra-t-on que c’est la cession de l’objet a qui la
cause ? Non puisque cette cession faite, l’angoisse cède. Dlra-t-on que
c’est la non cession ? Pas davantage puisqu’elle peut protéger de l’angoisse.
On volt que l’angoisse a un objet et qu’elle est liée à un moment.

i« «Emoi, c’est retrait d’une puissance ». Les non-dupes errent, 11 Juin


1974.

10 Voir leçon 20.


Leçons 21 n 25
21
20 Chez l'homme aux loups le figement du sujet lors de cette cession (leçon
20) Indique l'obstacle à quoi « le chemin du retour à l’objet dernier »
dans l'analyse se heurtera.

21 « Lldée de nature est un fruit de la culture », J. Lacan, Congrès de


l'EFP, Aix en Provence, mal 1971.

22 D'autant qu’il est possible que le verbe latin cedere d’où vient le premier
soit apparenté à cadere d’où vient le second.

23 Voir leçon 13.

24 « Abraham, disons, voulait être une mère complète » Les quatre concepts,
éd. du Seuil, p. 145.

25 Voir leçon 23.

26 Angoisse parfois Immaîtrisable, leçon 22.

27
Ce qui n’opère pas Ici, semble-t-il, c'est le tracé signifiant en double
boucle par lequel l’objet a se détache. La double boucle est tracée
par Lacan à propos des mécanismes de défense de l’obsessionnel
dans la leçon 10.

28
Freud, Inhibition, symptôme, angoisse, chapitre VIII.

29
Lacan, L’identification, leçon 16.

30 Freud avait écrit, dans «l'Esquisse » que « la propre information du cri


sert à la spécification de l’objet » lequel comporte « une part inassimilable
(la chose) ».

31
Inhibition, symptôme, angoisse, chapitre II.
Valentin Nustnovlcl
122
32 A. Nehcr, que Lacan a sans doute lu indique que « la traduction usuelle
de l'hébreu Hévèl par vanité est bien trop positive : elle implique un
Jugement, une option rationnelle qui marque notre supériorité sur Hévèl
et notre possibilité de la dominer » ajoutant que « Hévèl est une notion
tragique ». Il rappelle aussi que Hévèl désigne le deuxième fils d'Adam,
Abel et que le nom de Caïn de façon antithétique signifie acquisition.
Notes sur le Qohelet, (L’Ecclésiaste), éd. de Minuit. 1951

33 On peut toutefois se demander s’il est encore ici à double entrée.

34
Cette expression a pu être tenue pour une « provocation » au motif que
l’angoisse ne pouvait être l'objet d’un concept (J. Wahl). Il me semble
que Lacan en fait valoir le génitif aussi bien dans le sens subjectif que
dans son sens objectif : il ne s’agit pas seulement de conceptualiser
l’angoisse mais encore d’approcher ce que l’angoisse atteint et même
d’améliorer les conditions de cette atteinte.

35
Kierkegaard remarque que s’il est facile de dire dans un système logique
que la possibilité se transforme en réalité, c’est parce qu’on ne tient
tout simplement pas compte du fait que la possibilité... consiste à
pouvoir et que c’est là que surgit l’angoisse. L’angoisse est donc
l’intermédiaire, omis par la logique, entre possibilité et réalité. Ainsi la
réalité de l’esprit se montre comme une « forme qui tente sa possibilité »
mais quand l’esprit veut la saisir, elle se révèle comme un rien uniquement
capable d'angoisser. « Le Concept d'Angoisse », oeuvres complètes, éd. de
l’Otrante, 1973.

36
Lacan reprend ainsi à propos du deuil, la distinction que Freud introduit
à propos de la mélancolie : le mélancolique sait qui il a perdu mais ne
sait pas ce qu’il a perdu dans cette personne. Lacan fait valoir que
l’endeuillé retrouve le lien avec ce qu’il a perdu, que lui aussi ignore.

37
Cette expression indique t-elle que là s’effectue la double boucle ?

38
Lacan met ici l’accent sur le désir, par la suite il parlera plutôt à propos
de * Totem et Tabou » de la Jouissance du Père primitif.
lx>pes 21 a 25
123
11 parlera plus lard de 1 au moins un qui échappe à la castration.

° Les Noms du Père.

« Toute fixation à un prétendu stade lnstinctuel est avant tout stigmate


historique *. Écrits, p 261.
Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan

L'Angoisse
Éditions de l’Association Lacanienne Internationale
Juillet 2021.

Le Mardi 05 octobre 2021


Nouvelle formule

Leçon 1 présentée par Marc Darmon


Nouvelle formule de 15 minutes – Discutant Stéphane Thibierge

Marc Darmon – C’est un séminaire qui commence, je trouve, avec beaucoup de difficultés.
Ce séminaire commence avec beaucoup de difficultés, il sera question de difficulté tout à
l’heure, c’est un démarrage un peu difficile. Le titre de ce séminaire c’est l’Angoisse et Lacan
ne manque pas d’interroger les psychanalystes sur leur attitude face à l’angoisse qu’ils doivent
en quelque sorte tamponner chacun selon sa méthode. Mais Lacan trouve tout à fait normal
d’être angoissé à cette place de psychanalyste. Alors il va présenter l’angoisse en essayant de
situer l’angoisse parmi d’autres choses. C’est au niveau du sens, sur la face signifiée de
l’algorithme saussurien, que Lacan s’avance en essayant de trouver, en apparence, la
signification de l’angoisse.
Il s’adresse d’abord aux philosophes qui ont traité de l’angoisse, il en cite une bonne demi-
douzaine. Et il dit que les philosophes nous attendent au tournant : est-ce qu’on sera capable
d’être plus intéressant qu’eux-mêmes dans l’abord de l’angoisse ?
C’est le sens du petit schéma que vous voyez page 8 [fig. I-4] où il y a deux flèches, un cadran
et deux flèches, une vise le signifiant Souci, l’autre le signifiant Sérieux et en bas il y a noté
Attente.
Ce schéma éclaire la démarche de Lacan vis-à-vis de la philosophie. Puisqu’il s’intéresse à ces
philosophes touchés par cette explication de l’angoisse. Le sérieux est un terme qui est
important chez Sartre, et il va surtout développer ce qu’il entend par souci, c’est-à-dire un
concept éminemment heideggérien. Alors on le voit, il inscrit aussi attente qui là se présente
comme le troisième larron puisqu’il nous raconte une aventure avec André Green, ou il avait
chargé André Green de lui amener un texte et André Green lui a amené au dernier moment, il
y a cette dimension de l’attente. Qui apparaît ici.
Alors il nous dit vous pensez cerner, que j’ai essayé de cerner l’angoisse en fonction de ces
différents signifiants, il n’en est rien. Quand on essaye de cerner une notion, la signification de
n’importe quel terme, vous le faites avec des termes voisins, lorsque vous essayez de cerner
cette notion par d’autres significations, eh bien, vous mettez la main sur le nid et l’oiseau s’est
déjà envolé.
C’est un des points qui m’avait intéressé dans ce séminaire c’est la distance prise par rapport
aux philosophes.
Autre point c’est à partir d’Inhibition, symptôme et angoisse, il essaye de situer son angoisse
par rapport à ce que nous donne Freud dans ce texte. En prenant aussi beaucoup de précautions,
en disant qu’il n’a pas fait de commentaire de cette leçon pour partir parce qu’il travaille sans
filet, et le filet est fait de mailles tellement grosses que ces mailles présentifient le vide dans
lequel il y a l’angoisse. Et dit-il dans Inhibition, symptôme et angoisse, on parle de tout sauf de
l’angoisse.
Il nous invite à construire un tableau, page 15 [fig. 1-6], où Inhibition, Symptôme, Angoisse,
sont inscrits en décalage, parce que dit-il, ils ne sont pas du même plan.

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Ce tableau, il en fait une sorte de matrice où il va situer les termes Angoisse, Symptôme,
Empêchement, Inhibition, avec des cases vides pour le moment. On pourrait dire c’est un
tableau qui ressemble au tableau de Mendeleïev, tableau qui était obtenu logiquement, par la
voie de la logique et qui avait des cases vides mais qui étaient prêtes pour accueillir une nouvelle
matière, un nouvel atome. C’est un petit peu sur ce modèle que se construit ce tableau en
question, [en page 16, fig. I-7].
Et Lacan se lance dans une tâche très périlleuse, où il prend appui sur l’étymologie des mots en
question destinés à remplir les cases vides. Alors il va distinguer deux dimensions.
La dimension de la difficulté en haut et la dimension du mouvement, sur le côté. C’est un
tableau représentant les coordonnées cartésiennes, [p 16, p17, fig. I-7, I-8]. Alors il situe à côté
d’Inhibition, Empêchement et à la fin de la ligne Embarras [fig. 1-8]. C’est à partir du terme
inhibition que se situe une difficulté croissante que se termine dans la colonne de l’angoisse.
Là l’étymologie lui donne l’avantage en évoquant le terme embarrazzare, il retombe sur le
terme espagnol embarazada qui signifie la femme enceinte en espagnol. « Ce qui est une autre
forme bien significative de la barre à sa place. »
Une trouvaille que permet cette inscription au tableau et je dois dire que cela m’a beaucoup
intéressé la façon dont il dispose les signifiants, inhibition, symptôme, angoisse, entourés des
signifiants Émotion, Émoi, en analysant très finement l’étymologie à chaque fois qui le conforte
dans cette mise en place des termes autour de l’angoisse
Autre chose qui m’a intéressé c’est ce qu’il dit sur l’affect : c’est-à-dire que l’angoisse est un
affect. Et là il se trouve d’accord avec Freud, un affect ne subit pas le refoulement, un affect est
déplacé, transformé en son contraire, subit des tas de variations possibles, sans être refoulé. Ce
qui est refoulé ce sont les signifiants auxquels il était arrimé cet affect. Le signifiant c’est un
représentant-représentatif. Son vœu est refoulé, mais du coup l’affect, l’angoisse en
l’occurrence est libérée, et susceptible de s’accrocher ailleurs.
Alors je dois dire que cela m’a fait penser à une lecture que l’on peut faire de cette leçon avec
le nœud borroméen. Vous savez qu’il y a une représentation du nœud borroméen où inhibition,
symptôme et angoisse, sont inscrits. Par exemple inhibition c’est une intrusion du rond de
l’Imaginaire dans le Symbolique.
L’angoisse est située en haut à gauche c’est une intrusion du Réel dans le rond de l’Imaginaire
C’est une façon peut être abusive parce qu’anachronique mais c’est une façon d’ouvrir une
lecture éclairante de ce tableau.
Stéphane Thibierge – Merci Marc [Darmon] et alors du coup tu as respecté la règle des quinze
minutes que je tâcherai de respecter tout à l’heure, tu as uniquement insisté sur les points qui te
semblaient les plus importants. Je ne vais chercher à relever ceux que tu n’as pas soulignés,
mais je me demandais quand même pourquoi tu n’avais pas, l’intérêt de cette façon de faire et
ce qu’on choisit d’évoquer et ce qu’on choisit de laisser de côté. Toi tu t’es avancé en disant
tout de suite Lacan va essayer d’aborder l’angoisse sur le versant des significations par rapport
à l’algorithme saussurien. Et ça l’amène à rencontrer les philosophes, comme tu l’as évoqué
dans cette direction.
Cependant il y a un point qui peut-être tempère un peu ce que tu as dit c’est vrai que tu l’as fait
entendre aussi, on a l’impression que dans cette première leçon Lacan n’est pas tout à fait à
l’aise, si tant est qu’il ne le soit jamais, ça semble particulièrement difficultueux pour lui de
situer, d’ailleurs il le dit presque textuellement, à propos du petit rond que tu as commenté où
il y a le sérieux, le souci et l’attente,
Il dit qu’on peut disposer des signifiants pour essayer d’attraper l’angoisse, tu l’as cité l’oiseau
s’est envolé. On essaye de le situer et on ne l’attrape pas. D’ailleurs il dira dans la leçon où est
vraiment l’angoisse, comme s’il y avait une difficulté tout à fait spécifique, et liée à notre
pratique, à la fin de la leçon il dira notre pratique c’est une praxis qui a à faire à une érotologie

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c’est-à-dire à une pratique qui concerne le désir. Ce n’est pas une psychologie et ce n’est pas
de cette façon qu’on peut l’amener.
Alors la question que je voulais te poser c’est qu’est-ce qui t’as amené à laisser de côté deux
aspects qui me semblent tempérer un peu le côté Lacan avance dans les significations c’est
d’une part le rappel du Che voï, c’est-à-dire le graphe et la question du désir de l’Autre. Qui est
quand même dès la première leçon très fortement posée, et puis cette remarque qu’il fait et qui
va être dépliée dans tout le séminaire, c’est-à-dire la question de l’angoisse est liée à la question
du désir, elle nous amène à distinguer le désir et la jouissance, la jouissance c’est pas d’hier
qu’il a commencé à en explorer le champ, et il dit sur le chemin problématique qui sépare le
sujet de sa jouissance, il y a le piège d’une capture narcissique et ce piège il va vraiment lui
donner un développement fondamental dans tout le séminaire.
Voilà je voulais te poser la question mais c’est peut-être que quinze minutes c’est très court.
Marc Darmon – Tu as tout à fait raison c’est le point essentiel de cette leçon, qui rappelle ce
qu’il avait dit dans l’Identification, c’est-à-dire l’angoisse, est une sensation devant le désir du
grand Autre, et c’est aussi sur les graphes, il a aussi dessiné le graphe, que cela se passe,
l’angoisse étant la charnière entre les deux étages du graphe, c’est-à-dire il situe pas encore
l’angoisse entre le désir et la jouissance mais il le situe comme point de bascule, et en soulignant
les deux lignes du graphe où l’imaginaire est prévalent, c’est-à-dire la ligne du bas, entre M le
moi, et i(a) l’image spéculaire et puis là, la ligne du haut où il y a petit d, la ligne du désir, qui
prend appui sur ce qui est en face, c’est-à-dire le fantasme. Alors c’est tout à fait important.
Merci de m’avoir donné l’occasion de corriger.
Stéphane Thibierge – Le but c’est aussi de faire que les auditeurs et auditrices puissent
intervenir.
Pierre-Christophe Cathelineau – J’ai une question qui rejoint ce qui a été développé juste à
l’instant, et que tu as développé très rapidement en début d’intervention « et pourtant ce n’est
pas trop dire que ça devrait dans la logique des choses, c’est-à-dire de la relation que vous avez
avec votre patient après tout sentir ce que le sujet peut en supporter de l’angoisse, c’est ce qui
vous met à l’épreuve à tout instant c’est donc supposer qu’au moins pour ceux d’entre vous qui
sont formés à la technique, la chose a fini par entrer dans votre régulation la moins aperçue, il
faut bien le dire. Pourquoi l’angoisse est-elle inhérente à la position analytique ? »
Marc Darmon – Il faudrait, il en parle un petit peu il y a une sorte de transfusion d’angoisse,
l’angoisse se déplace et si elle se déplace en étant désamarrée des signifiants, elle pourrait aussi
se déplacer du côté de l’analyste. Alors chacun a sa façon de se défendre de ça. Et c’est
principalement ce que fait l’analyste n’en est pas moins un homme, un sujet, une femme aussi,
qui est structuré de la même façon que son patient avec les variations cliniques que l’on connaît.
Il n’est pas étonnant qu’il y ait une résonnance de cette angoisse de l’un à l’autre. Et puis il y a
une troisième raison, c’est que l’analyste est en position d’objet a, c’est-à-dire il est le lieu de
l’angoisse. C’est ce qu’il va nous expliquer dans cette leçon, dans ce séminaire c’est que
l’angoisse n’est pas sans objet et celui qui tient le rôle de l’objet dans la relation analytique c’est
l’analyste. Alors après il prend de la bouteille, il a tellement l’habitude d’entendre il est moins
angoissé, il s’est fait sa recette personnelle. Alors ça peut être n’importe quoi, il n’écoute plus,
il s’endort, il abrège un petit peu trop vite les séances. Voilà ce que je dirais sur cette question.
Stéphane Thibierge – Je partage tout à fait les remarques que tu viens de faire. Et tu disais
l’analyste est en place d’objet a autrement dit si on se fie aux premières leçons de l’Angoisse,
où c’est souligné par Lacan, pas seulement les premières leçons, il est en place d’objet petit a,
il est en place éminemment de représenter la question du désir et elle est angoissante, forcément
angoissante puisque la psychanalyse consiste en une pratique qui repose sur le fait de ne pas
boucher la faille dans le savoir et de ne pas la fermer avec des significations justement. Cela va
dans le sens de ce que tu disais, l’analyste a vocation à non pas susciter l’angoisse ce serait trop
dire, mais à s’en faire le destinataire parce qu’il s’y prête.

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Marc Darmon – Je ne sais plus qui a dit, si c’est Dolto ou Lacan qui disait en contrôle, s’il y a
de l’angoisse c’est qu’il y a du travail. C’est-à-dire l’angoisse n’est pas quelque chose de négatif.
Il ne faut pas que cela aille trop loin évidemment.
Stéphane Thibierge – Non mais comme tu le rappelais tout à l’heure, quand Lacan dit aux
analystes qui l’écoutent, je trouve qu’en tant qu’analyste je ne vous trouve pas extrêmement
angoissés. C’est une façon de le dire que la question de ce qu’ils font eux dans ce dispositif
peut-être ne se la posent-ils pas de manière suffisamment ouverte. Parce que c’est vrai qu’il y
a lieu parfois d’être angoissé, c’est vrai aussi comme tu l’as rappelé qu’on peut être facilement
amené en tant qu’analyste à être tenté de fermer ça et de roupiller pépère. Alors qu’on a quand
même à faire à quelque chose non seulement de très ouvert mais qui peut être très nouveau, très
innovant, très ébouriffant et très angoissant. Pourquoi pas le dire comme ça. Mais sans qu’on
soit obligés de trop poussé le bouchon dans cette direction. C’est une question de tact et de style
de chaque analyste.
Mathilde Marey Semper – Mais alors du coup par rapport à la question que pose Lacan, je
reprends ce que Pierre Christophe [Cathelineau] disait, c’est-à-dire, cette angoisse que vous
avez semble-t-il si bien réglée audible, est-ce la même que celle du patient ? Parce que quand
même les places ne sont pas les mêmes, et là justement il cherche à situer comme on le voyait
avec l’émoi, l’émotion, différents niveaux des différentes notions, et là ça m’a donné
l’impression qu’il a posé même pour l’angoisse, comme s’il interrogeait que même pour
l’angoisse, l’angoisse puisse avoir un statut différent selon la position que l’on a dans l’analyse.
En tout cas il l’interroge.
Marc Darmon – Oui, vous rappelez une phrase, ce n’est pas forcément la même angoisse, que
celle du patient,
Mathilde Marey Semper – Il n’est pas en position d’être face à la mante religieuse l’analyste,
à priori.
Stéphane Thibierge – Oui il n’en est pas dispensé non plus.
Marc Darmon – Mais c’est vrai que si la source de l’angoisse… Lacan dit aussi une chose
intéressante l’angoisse n’est pas protopathique. La première leçon, l’angoisse n’est pas la
première. Protopathique c’est quand il y a une maladie qui commence et puis les autres maladies
qui s’y rattachent arrivent bien après, donc protopathique l’angoisse ne l’est pas dans la mesure
où l’angoisse je ne sais pas si c’est logiquement va s’accrocher, s’amarrer au signifiant
complexe, à propos de l’affect. Mais l’angoisse.
Il reprend le mot protopathique pour parler du sujet
Valentin Nusinovici – Oui le sujet, celui qui était d’avant la barre.
Bernanrd Vandermersch – L’angoisse du psychanalyste il y en a deux sortes : celle qui, après
tout celle du désir de l’Autre se pose aussi pour lui, certains patients évoquent des choses qui
font résonnance avec sa propre question, et qu’il a tendance peut-être à boucher. Mais il y a
aussi peut-être cette angoisse, l’analyste devant le pervers, le patient pervers, là où il est
vraiment pris dans sa tripe, et il est sollicité là ? Ce n’est pas tout à fait la même chose mais ça
peut arriver quoi. Mais c’est un mode particulier d’angoisse. Ce n’est pas tout à fait celle de…
parce que d’autres peuvent l’éprouver en dehors de la cure analytique mais ça arrive. Mais à
mon avis il n’a pas intérêt à s’en défendre trop vite, il a plutôt intérêt à entendre ce qui se passe
et à tenir compte de son angoisse. Parce qu’on dit aussi que l’analyste doit priver l’analysant de
son angoisse à lui. Il faut qu’il trouve un truc, mais le pire c’est de ne pas l’être du tout. À mon
avis.
Marc Malka – Je vais faire juste, si vous le permettez, une petite remarque technique sur un
point sur lequel vous avez insisté et à juste titre qui est ce que Lacan appelle le maximum de
difficulté c’est-à-dire l’embarras. Vous dites et il le dit lui-même, il y a une sorte de
Schwärmerei j’emprunte son mot à Lacan quand il parle de Platon, il y a une sorte d’exaltation
étymologique de Lacan, il dit embarras, on trouve la barre à l’intérieur, ça vient de l’espagnol

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embarrazar, sauf que à son époque il n’avait que le dictionnaire étymologique et il le cite,
d’ailleurs, de la langue française de Bloch et von Wartburg, il n’y a pas du tout écrit ça dedans,
et un peu après l’étymologie qui apparaît c’est un étymologie portugaise et [ baraçao?] en
portugais ça veut dire la corde. Être embarrassé ça veut dit être pris dans des cordes et pas du
tout être barré et quand il nous dit la femme enceinte elle a la barre au bon endroit c’est purement
du Lacan, il se laisse un peu emporter et je dirais il déforme l’authenticité de ce sur quoi il
travaille. Mais c’est intéressant sur la façon dont Lacan travaille, on voit qu’il a lu assez
rapidement l’étymologie des principaux signifiants qui tournent autour de : angoisse émoi etc.
Émoi c’est très beau mais il va un peu vite. Et il force les choses, il y a un effet de forçage.
Marc Darmon – Oui d’ailleurs il prend des précautions il s’appuie sur l’étymologie à chaque
fois, il dit que c’est un coup de chance, que l’étymologie lui sourit, c’est-à-dire ça met en valeur
cette différence entre les liens étymologiques qui sont des faits et les associations qui sont le
pain quotidien dans l’analyse. C’est-à-dire il n’est pas nécessaire que ça passe par l’étymologie.
Ceci dit Saussure dans son Cours de linguistique général évoque cela, des signifiants qui n’ont
pas du tout la même origine étymologique et qui viennent contrer pour des raisons de son. Et
donc les notions qui sont transportées se trouvent confondues.
Mathilde Marey Semper – Je vous propose qu’on poursuive ces échanges avec l’exposé de
Stéphane Thibierge.

Avec l’accord de relecture de Marc Darmon.

Transcription Dominique Foisnet Latour


Relecture Érika Croisé Uhl

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Discussion de la leçon 2

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan


L'Angoisse
Éditions de l’Association Lacanienne Internationale
Juillet 2021.

Mardi 05 octobre 2021

Leçon 2 présentée par Stéphane Thibierge


Discutant Marc Darmon

Stéphane Thibierge – Il me reste combien de temps ?

Mathilde Marey Semper – Moins de deux minutes… Rires

Stéphane Thibierge – Alors j’arrête, je me tiens à la règle.

Mathilde Marey Semper – Oui, alors peut-être que Marc [Darmon] aura l’occasion de relancer les
points manquants.

Stéphane Thibierge – Oui, oui. Donc voilà j’ai essayé de dire ce qui me semblait le principal.

Marc Darmon – Merci. Tu as parfaitement éclairé cette leçon et montré comment l’objet a
, en fait c’est une leçon inaugurale pour l’objet a, c’est-à-dire comment il apparaît en se distinguant
de i(a) justement. Et Lacan en vient à dire que l’objet a, c’est lui qui désire.

Stéphane Thibierge – C’est ça.

Marc Darmon – C’est--à-dire, c’est l’objet qui est premier.

Alors aussi la façon que tu as de distinguer la dialectique hégélienne du travail de Lacan, ça c’est
remarquable, comment il situe cette dialectique hégélienne du maître et du serviteur d’une façon à
montrer strictement ça n’a qu’une lointaine ressemblance, puisque chez Hegel il s’agit pour les
consciences qui sont consciences d’elles-mêmes, d’obtenir la reconnaissance de l’Autre et je dois
dire la reconnaissance de l’Autre à partir de ce débat, c’est impossible puisque la conscience n’est
conscience que d’elle-même. Donc il faudrait que cette conscience sorte d’elle-même pour
reconnaître l’Autre. Et puis on est au niveau de consciences alors que chez Lacan c’est des
inconsciences. Évidemment. Des inconsciences.

Pierre Christophe Cathelineau – Ce sur quoi tu as insisté à juste titre, Stéphane [Thibierge],
c’est que le désir de grand A, c’est un désir de A non barré chez Hegel.

Stéphane Thibierge – C’est ça, c’est un savoir absolu.

Pierre-Christophe Cathelineau – C’est un savoir absolu…


Stéphane Thibierge – que l’esclave s’emploie à maintenir complet. C’est d’ailleurs pour ça qu’il
parle de perversion je crois.

Pierre-Christophe Cathelineau – Exactement, et ça c’est un point essentiel parce que le fait qu’il
clôture la formule par désir de A barré, donne un sens à ce qu’il en est de cette Autre troué par la
castration et qui est absent littéralement de La phénoménologie de l’esprit.

Stéphane Thibierge – Totalement.

Pierre-Christophe Cathelineau – absente de La phénoménologie de l’esprit. C’est-à-dire qu’on a


toujours une consistance de l’Autre qui n’est pas troué.

Stéphane Thibierge – Absolument.

Julien Maucade – À partir du schéma que tu as repris, c’est-à-dire le sujet pose la question de ce
qui manque chez l’Autre, puisque tu évoques la question de l’enseignement et du savoir, Lacan à
l’époque, il s’adresse à des freudiens et l’embarras, il me semble, c’est comment éclairer la
question qui n’est pas claire dans le texte de Freud et qui est, est-ce que l’angoisse de castration
vient de la fusion avec la mère ou de la séparation avec la mère. Et c’est pour ça qu’il est
embarrassé.Comment transmettre ce savoir à ceux qui ne peuvent pas savoir à l’époque ?

Stéphane Thibierge – Oui tu as raison d’évoquer ce point, simplement ce que je trouve fort et
très intéressant pour nous dans l’articulation de Lacan, c’est qu’il ne fait pas de ce non-savoir, un
non- savoir substantiel qui porterait sur des contenus, tu vois, il fait de ce non-savoir, un non-
savoir nécessaire et c’est vrai que c’est à ça que nous avons affaire dans notre rapport à
l’enseignement en tant qu’analyste. C’est pour ça d’ailleurs que je trouvais que cette deuxième
leçon venait à point nommé pour nous éclairer nous-mêmes dans notre rapport à l’enseignement.

C’est toujours à reprendre ces choses-là parce que, comme vous le savez, et nous en faisons
tous l’ expérience à un moment ou à un autre, tout enseignement a tendance à se fermer et Lacan
ici, on peut dire, que dans cette deuxième leçon, alors je ne sais pas quelles réactions il a reçues
après sa première leçon, mais dans cette deuxième leçon je trouve qu’il enfonce le clou et avec en
même temps beaucoup de tact, c’est-à-dire qu’il ne se laisse pas du tout dérouter de son chemin
mais il rappelle quelques vérités premières. Et j’ai essayé de dire celles qui me semblaient les plus
importantes, il y en a une autre qui est très importante. Il dit « moi je vais tenter… », c’est rare que
Lacan dise cela, « je vais tenter à partir de notre expérience de vous faire passer quelque chose
dans le registre du faire comprendre. » C’est important de l’entendre aujourd’hui, nous, parce
qu’on est dans un contexte culturel où plus personne, ou très peu de gens, à l’extérieur de nos
cercles, est en mesure de lire et d’entendre quelque chose à Lacan. Là il dit, « je vais tâcher
d’aller vers quelque chose de l’ordre du faire comprendre ». C’est en toutes lettres mais il dit « je
vais le faire en sachant très bien que c’est le fourvoiement possible, toujours régulièrement
récurrent de la psychologie. Donc j’essaierai de le faire d’une manière qui ne tombe pas dans ce
travers et… »

Bon, il y arrive parce que ces formules à la fin… Et puis là il y a la fin de la leçon qui est vraiment
extrêmement féconde quand il dit, en revenant à l’histoire hégélienne, quand il dit la formule
habituelle de la reconnaissance du désir dans son rapport à l’Autre c’est « je t’aime même si tu ne
le veux pas ». Bon ça c’est la formule lourde, comme on dit maintenant c’est quand même relou
quand on a affaire à quelqu’un comme ça, « je t’aime même si tu ne le veux pas ». Mais c’est
effectivement la reconnaissance d’une conscience exigée de l’autre conscience. Aujourd’hui je
dois dire que par rapport à 1962 quand Lacan disait cela, on a fait beaucoup, beaucoup… Je
n’ose pas dire de progrès parce que ce n’est pas vraiment un progrès mais on va beaucoup plus
loin dans le face-à-face meurtrier dans le domaine du désir, entre notamment les hommes, les
femmes, enfin… on va encore beaucoup plus loin dans une exigence de reconnaissance qui est
violente et qui est beaucoup plus violente encore qu’à l’époque de Lacan.

Ce qui rend la fin de cette leçon salutaire, parce que tout ce qu’il dit à la fin, quand il dit « je vais
vous donner une petite recette » pour capturer justement l’objet du désir, le problème c’est que
cette recette, je peux vous l’articuler mais elle n’est pas articulable, ce n’est pas parce que je vais
vous la donner que vous allez pouvoir en faire des propos qui vont livrer l’Autre à votre filet
comme ça de désir.

Mais il y a quelques formules qui sont très éclairantes, très belles, très fortes. « Je te désire même
si je ne le sais pas » premier point. Et deuxième point « Je t’identifie toi à qui je parle, toi-même à
l’objet qui te manque à toi-même ». C’est vrai que ça fait un peu vaciller mais c’est à l’épreuve de
ce dont il s’agit, c’est vrai ça. Simplement c’est moins brutal et moins bête, il faut bien le dire que
la demande d’amour ou le désir exigé comme ça dans la forme de la reconnaissance.

Bernard Vandermersch – C’est une formule qui est supposée déclencher le désir de l’Autre.

Stéphane Thibierge – Voilà.

Bernard Vandermersch – Parce que je voudrais te questionner sur justement cette étrange façon
de dire, c’est l’objet qui désire, qui est désirant. Le désir de l’objet… À vrai dire on pourrait penser
que c’est un désir pour l’objet. Mais là il entend le désir au sens, comme on dit en grammaire,
subjectif. Comment entendre à la fois que cet objet est cause du désir et qu’il serait en même
temps le désirant dans l’Autre, enfin dans l’Autre. Est-ce que ça veut dire simplement que dans la
mesure où l’Autre est une sorte, j’allais dire, de fiction, c’est quand même le lieu de l’Autre, mais
que nous n’y avons accès affectivement, par l’affect, que par la dimension de l’objet, que c’est
pour ça qu’on peut dire que l’objet désire ?

Stéphane Thibierge – Si je puis me permettre, on y a accès par l’affect mais on y a affaire aussi
logiquement, c’est-à-dire que A divisé par S, donne S barré qui produit dans la colonne de droite
l’inconscient, un savoir faillé si je puis dire et qui produit nécessairement de l’autre côté le petit a
qui va être le support effectif du désir du sujet, c’est-à-dire le désirant, c’est désir de petit a, c’est
petit a qui désire, petit a, c’est le reste du sujet dans l’Autre. Et ce reste, tout notre travail, je
pense, consiste, enfin part de là.

Bernard Vandermersch – Ce n’est pas tout à fait la même chose de dire que l’objet petit a
est mis en place de cause du désir, c’est-à-dire que c’est l’interprétation en quelque sorte du désir
de l’Autre, et de dire que c’est lui qui désire. D’ailleurs on peut peut-être cliniquement avoir une
petite idée de cela, dans la phobie où l’objet peut se présenter comme dans l’histoire de Thomas
l’obscur. Mais ça me semble un peu difficile d’avoir les deux choses dans la main, à la fois comme
cause du désir et en même temps que c’est lui qui serait désirant.

Stéphane Thibierge – Je pense que tu as raison de poser la question, elle est très questionnante
mais elle est stimulante aussi et elle rejoint des formulations de Lacan, où, je cite de mémoire, je
ne sais plus où c’est, mais quand il dit que en fait quand il s’agit de désir, Je, dit-il, parle petit a
. Ce qui fait vaciller un peu quand même.

Bernard Vandermersch – On voit bien que chacun a son style, hein, et que le style est
vachement déterminé par le type d’objet qui cause l’affaire.

Stéphane Thibierge – Bien sûr, bien sûr.


Bernard Vandermersch – Mais enfin entre ça et le dire de cette formule que je trouve assez
choquante que cet objet… Pourquoi ce n’est pas S barré qui désire ?

Stéphane Thibierge – Non ce n’est pas S barré

Bernard Vandermersch – Parce que S barré, il aurait de quoi désirer, il n’a même pas d’être. Il
pourrait désirer au moins avoir un être, d’ailleurs c’est bien pour ça qu’il y a un objet a, ça lui sert
de substitut. Moi je mets quand même le désir du côté de ce pauvre malheureux qui n’a d’autre
existence au monde que de se parer d’une merde ou d’un regard ou de…, tu vois. C’est parce que
j’ai un autre Lacan qui me vient.

Marc Darmon – C’est ça, il y a peut-être un tournant.

Bernard Vandermersch – Oui. Mais bon je trouve que c’est très stimulant comme tu dis de situer
le désir même dans l’objet.

Stéphane Thibierge – Il me semble, oui. En tout cas c’est ce à quoi invite Lacan dans ce
séminaire. Il y a aussi une chose qui m’est venue en préparant ce soir, c’est tout bête, c’est que
l’enchaînement, enfin, la suite des titres des séminaire de Lacan, L’Identification, l’identification à
mais aussi bien l’identification de, puisque c’est une différence à laquelle je suis sensible, mais je
ne suis pas le seul. L’identification de, il va identifier l’objet a dans l’angoisse et c’est ça qu’il
appelle l’angoisse, au moment où il identifie, juste après L’identification, vient, comme vous
l’évoquiez, du côté du sujet, l’angoisse. L’identification de l’objet petit a, elle est tout à fait proche
du séminaire l’identification, c’est dans le sillage. C’est là que l’angoisse surgit.

Valentin Nusinovici – La question du désir, elle est, j’ai l’impression d’après l’écriture, d’avant
l’objet dans l’Autre. Parce que Lacan n’écrit pas d’appui sur a dans sa formule pour le désir de
l’Autre. J’ai l’impression que la question du désir de l’Autre, elle est d’avant, elle est, je ne sais pas
comment le dire puisque le sujet, justement lui, pour répondre à cette énigme, il va l’y mettre cet
objet petit a. Mais J’ai été frappé par cette écriture-là, que justement il n’y est pas.

Stéphane Thibierge – Non.

Valentin Nusinovici – Il n’y est pas, on a que le trou.

Stéphane Thibierge – Exactement.

Valentin Nusinovici – Que la barre

Stéphane Thibierge – Cette écriture, laquelle Valentin ?

Valentin Nusinovici – La deuxième ligne

Stéphane Thibierge – Oui c’est ça.

Valentin Nusinovici – Tandis que quand il écrit la formule hégélienne, il appuie ce A non barré,
enfin moi j’ai une vieille édition, je n’ai pas réussi à avoir la nouvelle encore, il appuie ce A non
barré sur un petit a.

Stéphane Thibierge – C’est ça.

Valentin Nusinovici – Mais pas, mais pas pour la sienne


Stéphane Thibierge – Non

Valentin Nusinovici – Ce n’est pas petit a qui désire dans l’Autre primordialement et quand il y
sera, il désirera pour le sujet. Il sera la cause de son désir au sujet. Quand il en aura fait, comme il
le dira plus loin, « le transport dans l’Autre. » Parce que cette écriture-là, ce tableau dont tu as
parlé, il peut ne pas aboutir tout à fait si je me souviens bien des leçons suivantes. Enfin on en
reparlera la prochaine fois, il ne va pas forcément jusqu’au bout j’ai l’impression de la division ou
en tout cas il y a cette place du petit a puisqu’il va dire le névrosé lui il a fait le transport de ce petit
a dans l’Autre et ce que j’ai compris moi que le pervers lui ne l’avait pas fait. En tout ça, il a à le
faire, enfin c’est ma lecture pour le moment, donc c’est mobile tout ça.

Stéphane Thibierge – Oui mais enfin la division que j’ai marquée à l’écran là, c’est une division
sur laquelle Lacan s’appuie dans tout le séminaire.

Valentin Nusinovici – Oui oui je suis tout à fait d’accord, c’est à ça que ça aboutit mais je trouve
que le texte d’une des leçons suivantes justement la montre en chemin si tu veux.

Stéphane Thibierge – Oui, oui

Bernard Vandermersch – Valentin [Nusinovici], ça voudrait dire quoi, que le névrosé situe par
exemple le regard dans l’Autre et donc se vit dans l’angoisse de ce regard éventuellement alors
que du côté du pervers, si je te suis, c’est lui, sans angoisse, il procéderait, ou alors je ne sais pas
si c’est avec une angoisse quelconque, il procéderait dans une scène à la restituer à l’autre alors
que jusque-là, il n’aurait pas fait cette interprétation, ce transport…

Valentin Nusinovici – Mais oui c’est pour ça que tu disais très bien tout à l’heure, que lui il peut
angoisser, parce que lui son but, c’est de t’extraire cet objet pour le placer dans l’Autre. C’est bien
ça, c’est bien pour ça qu’on est angoissé éventuellement par le pervers parce qu’il s’agit pour lui
d’extraire cet objet de son interlocuteur ou d’un petit autre, éventuellement de l’analyste à
l’occasion s’il se laisse faire. Pour comme il le dit, d’une façon que je trouve formidable, pour
s’offrir loyalement à la jouissance de l’Autre. Je trouve ce loyal qui viendra dans une des leçons
ultérieures, tout à fait savoureux et en même temps structuralement on sait pourquoi il le dit, mais
c’est quand même très intéressant puisque…

Mathilde Marey Semper – Oui. Est-ce que peut-être nous aurions des collègues sur le Zoom
qui souhaiteraient réagir, poser des questions, faire des remarques avant qu’on s’arrête ?

Ou d’autres collègues dans la salle aussi également ?

Bon, écoutez s’il n’y a pas d’autres questions, je vous propose qu’on s’arrête là pour ce soir alors.

Merci Marc [Darmon] et Stéphane [Thibierge] pour vos exposés et merci pour vos réactions.
Bonne soirée. Au revoir.

Transcription Véronique Bellangé

Relecture Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 3

Association lacanienne Internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 19 octobre 2021


Leçon 3 présentée par Didier de Brouwer
Discutant : Valentin Nusinovici

Transcription

Pierre-Christophe Cathelineau – Les nouvelles règles que nous nous sommes données pour ces soirées.
L’idée c’est que chaque intervenant fait son intervention en un quart d’heure, en insistant sur les points
saillants du texte et que chaque intervenant discute l’autre intervenant. Je ne serai qu’un président de séance
qui dirai le temps qui passe et qui distribuera autant que faire se peut la parole. Je dis ça parce que la dernière
fois la parole n’a pas vraiment circulé et donc je sollicite à l’avance tous ceux qui ont des questions, puissent-
elles leur paraître naïves ou trop simples, je sollicite tous ceux qui ont des questions de les poser et de les
poser en ligne si c’est possible, comme on le faisait autrefois, l’année dernière. N’ayez crainte, on voudrait
essayer autant que faire se peut de dynamiser ce séminaire et de faire en sorte que ce ne soient pas que les
organisateurs du séminaire qui prennent la parole mais que plusieurs personnes issues des assistants à ce
séminaire puissent prendre la parole et discuter le séminaire. Voilà à peu près le cadre dans lequel nous
travaillons. Didier de Brouwer, je vous passe la parole pour l’explication de la leçon III.

Didier de Brouwer – Merci, je vais essayer d’être le plus exhaustif possible et précis par rapport à cette
leçon III.

Lacan commence la leçon par la nécessité dans laquelle il se trouverait de répondre à une question qui lui est
posée : « on me presse d’en dire plus sur ce qu’on désigne comme un dépassement à accomplir », nous dit-il.
En fait on trouve qu’il y a un hiatus entre l’identification telle qu’elle est présentée dans le stade du miroir et
puis toute la théorie du signifiant qu’il nous a développée par après. Au fond c’est vraiment deux dimensions
hétérogènes qu’il s’agit de mettre ensemble ou en tous cas d’interroger dans le hiatus que cela comporte.
L’idée n’est évidemment pas du tout de réduire ce hiatus et Lacan précise bien entendu que cet écart, il s’agit
plutôt d’en faire quelque chose c’est-à-dire que c’est dans ce lieu même de coupure que va s’inscrire
progressivement l’objet a que Lacan fait valoir et au fond en faisant valoir l’apparition de l’objet a
dans ce hiatus entre, on pourrait dire la dimension imaginaire présente dans le stade du miroir et la
dimension symbolique de par la logique du signifiant, c’est toute la question du réel au fond qui va surgir à
travers cette place de plus en plus importante que Lacan va donner à son objet a.

Alors il nous dit que ce message a été reçu déjà très difficilement dans des temps plus anciens puisqu’il parle
déjà, il nous explique que déjà dans les « Propos sur la causalité psychique » de 1946, la question de l’imago
était déjà largement débattue ; enfin c’était débattu à travers la question de l’imago freudienne qui est au
fond, qu’est-ce que l’imago ? Une survivance imaginaire de relation à tel ou tel personnage. Imago, il ne
parle plus tellement de ce terme qui est essentiellement dans la théorie freudienne.

Alors il est intéressant de relever que cette leçon aussi s’inscrit en réaction, en développement par rapport à
un travail d’André Green auquel je n’ai pas eu accès mais qui est un travail très attendu par Lacan sur la
question de la parade chez les animaux et qui s’inscrit probablement dans un débat ou en tous cas une
discussion avec Lévi-Strauss à l’époque où il avait écrit La pensée sauvage. Je trouvais intéressant de
ramener quand même que cette discussion s’inscrit aussi bien dans un débat avec un anthropologue comme
Lévi-Strauss qu’avec un philosophe très en vogue à l’époque et très écouté, j’en parlerai plus tard, qui est
Jean-Paul Sartre.

C’est bien dans ce hiatus aussi entre ces deux positions que Lacan va s’inscrire. Alors contrairement à Lévi-
Strauss, Lacan ne fait pas le constat qu’il y a le monde, le monde qui est donné. Mais de ce que la découverte
freudienne a frayé, ce monde c’est monté sur une scène que nous le faisons entrer et de ce qu’il y est entré en
redescendent des sédiments, on pourrait dire, qui vont à leur tour reformuler le donné originaire du monde,
qui est un donné mythique pour Lacan ; qui est un donné mythique aussi quelque part pour Lévi-Strauss
puisque « ce que la culture nous véhicule comme étant le monde [qui] est un empilement, un magasin
d’épaves, de mondes qui se sont succédés », il n’y a pas de Cosmisme à priori de l’objet.

Lévi-Strauss reprend lui-même dans sa discussion avec Sartre, vous savez qu’il y a un chapitre important de
La pensée sauvage, qui est le chapitre IX, c’est d’ailleurs mis en commentaire dans le séminaire, qui
comporte une discussion et une confrontation, un véritable disputatio entre Lévi-Strauss qui conteste
l’opposition très nette que Sartre fait entre la raison analytique qui incomberait à la seule anthropologie et la
raison dialectique valorisant l’Histoire avec un grand H, dialectique qui s’inscrit dans la pensée hégélienne,
on pourrait dire, reprise par Marx et influençant grandement Sartre, seule à même au fond de faire advenir
une vérité quelque part. C’est ce contre quoi Lévi-Strauss s’inscrit en faux, on pourrait dire. Lévi-Strauss
nous dit dans La pensée sauvage, et en cela il est d’accord avec Lacan, on pourrait dire, « les super structures
sont des actes manqués qui ont socialement réussi ». Je trouvais que la phrase valait la peine d’être citée.
Actes manqués qui ont socialement réussi, je pense que ça fait parfaitement écho à ce que Lacan vient de
dire que « le monde est un empilement, un magasin d’épaves de mondes qui se sont succédés ».

Alors hiatus, il y a d’ailleurs un schéma ici [fig. III-2] dans ce chapitre qui montre très clairement que Lacan
va s’inscrire dans un écart, on pourrait dire, dans un hiatus ; hiatus, c’est une action d’ouvrir, en latin, de
désirer avidement aussi un objet du désir ; je trouvais intéressant de relever qu’il y a deux traductions dans
hiatus en latin, c’est-à-dire non seulement l’action d’ouvrir, une action très forte d’ouvrir et en même temps
c’est aussi désirer ardemment. Et c’est donc entre deux démarches, qui est celle de la démarche du
Cosmisme attribuée à Lévi-Strauss, c’est-à-dire il y a le monde et les structures que l’ethnologue va
retrouver dans la manière dont les sociétés dites sauvages s’organisent, peuvent aboutir à déterminer, à
trouver des lois qui sont inscrites dans la matière elle-même si pas dans le cerveau, et quelque part c’est ça le
Cosmisme de l’objet, l’objet s’inscrit dans un tout dont on accepte l’hypothèse d’emblée, sans contestation.
Ce contre quoi Lacan s’inscrit en faux. Alors que la démarche pathétique comme on le voit dans ce schéma,
c’est le schéma de la figure III-2 qui est p. 53 dans mon édition et vous voyez que le chemin que va
emprunter Lacan se situe entre le Cosmisme et le pathétisme, et que c’est bien à travers une praxis
analytique, c’est-à-dire l’acte analytique, que quelque chose d’un objet complètement résorbé et éludé dans
le Cosmisme et peut-être envahissant dans le pathétisme, c’est le seul chemin possible pour Lacan pour venir
nous parler de cette véritable question que fait surgir l’angoisse dans le rapport à l’identification et dans le
rapport au désir. C’est une voie moyenne donc qui est indiquée par une flèche vers cet objet qui est celui de
l’angoisse.

Le développement suivant, je pense que c’est très fondamental, par quelle voie Lacan va-t-il aborder cette
voie moyenne ? Alors J’ai parlé de la scène sur la scène, et il va faire référence au Hamlet de Shakespeare et
reprendre ce qu’il a développé dans le séminaire VI sur Le désir et son interprétation. Alors il y a un
moment tout à fait clé, je pense qu’on ne peut pas ne pas le développer ici, qui va conjoindre, justement pas
conjoindre mais en tous cas montrer l’importance des deux axes qui nous sont présentés dans le schéma
optique que Lacan reprend c’est-à-dire la ligne rouge en pointillés et la ligne noire en pointillés dans la
figure III-4 et ce moment qui est tout à fait fondamental reprend évidemment la scène dans la scène où
Hamlet a engagé une troupe d’acteurs qui vont mimer l’assassinat de son père le roi. Lacan nous fait
remarquer deux choses. D’abord l’acteur qui va jouer le meurtre du roi est dans un rapport de doublure à
Hamlet. Pourquoi doublure ? Parce que le personnage qui entre en scène et qui verse le poison dans l’oreille
de ce roi de comédie s’appelle Lucianus, il est dans une position homologue dans la mesure où il est neveu
du roi de comédie comme Hamlet se trouve neveu du roi félon. Il y a d’autre part, nous dit Lacan, comme
détermination pour lever l’inhibition de Hamlet et enfin arriver à venger son père, il faut qu’il s’identifie,
nous dit-il, à l’âme furieuse d’Ophélie. Au fond, Ophélie s’est suicidée, on pourrait dire, comme offerte aux
mânes de son père, Claudius, cyniquement occis par Hamlet dans la scène du rideau. Il y a, nous dit Lacan,
identification à l’objet du deuil, et cet objet est l’objet du désir comme tel, d’un désir que Hamlet méconnaît.
Alors ça c’est évidemment un terme essentiel que cette question de la méconnaissance.

Le dernier point que je voudrais aborder parce que le temps passe déjà très vite, c’est deux points, la
question de l’identification à l’objet du deuil et le rapport homologique de doublure. C’est-à-dire que
quelque chose de la méconnaissance, si je puis dire, par rapport à son désir ne peut être franchi chez Hamlet
qu’en gagnant sur l’image narcissique quelque part, c’est-à-dire cette confrontation à une doublure, on
pourrait dire, doublure qui se trouve chez Lucianus et doublure qui se trouve en face de lui aussi dans la
scène du cimetière avec Laërte qui est le frère d’Ophélie et avec lequel il y a une contestation de l’intensité
du deuil que le frère vivrait par rapport au deuil que Hamlet réalise tout à coup par rapport à Ophélie.

Alors le dernier point que je voulais déplacer, déplacer non, que je voulais discuter, c’est évidemment ce
schéma qui se trouve à la figure III-3 qui est assez particulier, le schéma je l’appelle en bosse de chameau, il
y a une sorte de bosse de chameau et au fond que se passe-t-il dans ce schéma ? Tout l’investissement
libidinal ne passe pas par l’image spéculaire, il y a un reste, nous dit Lacan. Alors je me suis beaucoup
interrogé sur la raison de cette bosse de chameau et au fond la seule chose que j’ai trouvée c’est qu’à mon
avis, ça correspond quelque part à l’éminence phallique, on pourrait dire, éminence phallique qui est
évidemment l’image… le phallus ne peut s’inscrire qu’en creux, nous dit Lacan, c’est « une réserve
opératoire », mais il est coupé de l’image spéculaire en tant que telle. On le voit bien évidemment dans ce
schéma mais on ne peut pas dire que ce n’est pas uniquement le phallus qui est en cause ici mais qu’il y a
quelque chose d’autre et qui comporte cet objet a.

Pourquoi, nous dit-il, cet objet a ? Il s’appuie au fond sur ce qu’il a déjà démontré dans ce qu’il appelle un
trans-espace qui n’est plus l’espace de l’optique mais qui est l’espace de la topologie et dans ce qu’il a très
bien décrit dans le séminaire que nous avons étudié l’année dernière (séminaire IX, L’identification) et qui
est la découpe du cross-cap.

Dans la découpe du cross-cap, on avait vu qu’on avait la bande de Mœbius plus cet objet particulier qui va
incarner l’objet a et qui est ce reste. Alors c’est bien à la place de l’unheimlich que Lacan vient d’inscrire
cette place d’un réel, celui de l’objet a et c’est en s’appuyant sur ce trans-espace de la topologie qui mêle
intuition et logique qu’il a construit toute la dialectique du sujet. Au fond, il fait partir une dialectique qui
s’appuie sur un sujet parlant, c’est-à-dire qui essentiellement fait entrer le trait unaire, qui va faire entrer le
trait unaire et qui se base sur une logique signifiante c’est-à-dire ce qui est retenu de l’objet qui est le seul
trait unaire s’inscrivant, réel du trait unaire, toujours le même, un par un, nous dit-il, il faut bien partir d’un
Un quelque part. S’il commence à parler, le trait unaire entre en jeu, dit Lacan, si l’homme commence à
parler, le trait unaire entre en jeu. L’identification primaire, ce point de départ que constitue le fait de
pouvoir dire un et un et encore un et c’est toujours d’un Un qu’il faut qu’on parte. Voilà ça c’est un point
important parce que cette question du Un je trouve qu’il y revient beaucoup ultérieurement comme dans le
séminaire Ou pire par rapport à cette logique du trait unaire et c’est toute la question du réel. Je m’en
tiendrai là, j’ai peut-être un peu débordé mais je vais m’arrêter ici.

Transcription Inès Segré


Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan
L'Angoisse

Mardi 19 octobre 2021


Leçon 3 présentée par Didier de Brouwer
Discutant : Valentin Nusinovici
Discussion

Didier de Brouwer – Si l’homme commence à parler, le trait unaire se met en jeu dit Lacan.
L’identification primaire, ce point de départ que constitue le fait de pouvoir dire un et un encore
un et c’est toujours d’un un qu’il faut qu’on parte. Voilà ça c’est un point important parce que
cette question du un y revient beaucoup ultérieurement comme dans le Ou pire par rapport à
cette logique du trait unaire et c’est toute la question du réel. Voilà, je m’en tiendrai là, j’ai
peut-être un peu débordé, je vais m’arrêter ici.
Pierre-Christophe Cathelineau – Merci beaucoup pour cette excellente intervention
synthétique et je vais tout de suite passer la parole à Valentin [Nusinovici] qui va la discuter.
Valentin Nusinovici – Je ne vais pas beaucoup la discuter parce que je la trouve vraiment tout
à fait claire et très complète. En t’écoutant, Didier, je me suis rappelé d’un coup que, je me suis
souvenu du titre du poème de Lacan, Hiatus [Irrationalis]

Après, j' ai eu un petit moment de doute, je ne savais plus s' il était rationaliste ou irrationaliste
mais je crois qu' il est irrationaliste et ça vient pas mal là dans le contexte de ce Hiatus et du
type de raison qui est en jeu et peut-être comme tu n' as pas eu le temps, peut-être, je peux dire
quelques phrases de Levi-Strauss qui montrent bien, parce que je crois que c' est très important
ça, qui montre sa position. Déjà dans Anthropologie structurale, « l’identité postulée des lois

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du monde et de celle de la pensée », les choses sont d’une clarté parfaite. Et dans La Pensée
sauvage, quelque chose comme : « La congruence du réel avec l’élément signifiant », voyez
pareil. Et encore plus développé dans La Pensée sauvage, « Les énoncés de la mathématique
reflètent au moins le fonctionnement de l’esprit, c’est-à-dire les activités des cellules du cortex
cérébral, comme l’esprit est une chose, le fonctionnement de cette chose nous instruit sur la
nature des choses. Même la réflexion pure se résume en une intériorisation du cosmos. » Voilà
comment il s’agit toujours d’un cosmos, Didier [de Brouwer] l’a très bien dit que rappeler que,
comme Lacan le disait l’année précédente, l’objet, lui, il est acosmique. Et, une question que je
me pose, c’est que, au fond, bien sûr, ces citations de Levi-Strauss ont de quoi hérisser un
lacanien mais est-ce que ce n’est pas justement la voie et éventuellement avec succès, qu’a pris
le développement de la science ? C’est-à-dire qu’il n’est pas de côté-là et je ne pense pas du
tout qu’il soit en retard. Nous pouvons ne pas être d’accord sur tout un tas de points. Lacan
disait qu’il devait ne devait pas tout à Levi-Strauss mais quand même beaucoup, ce pas tout,
c’est cette incongruence de la combinatoire signifiante que Levi-Strauss a si bien mis en valeur
avec, avec quoi, avec ce qui serait le matériau vivant ou non vivant sur lequel la science
travaille. Alors quand Lacan le pique un peu en disant que c' est le matérialisme du 18ème
siècle, moi, je me demande si c' est pas le matérialisme d' aujourd'hui mais je ne suis pas capable
de juger de ça et ce qui est amusant, c' est que, amusant si on peut dire, c' est que Green qui est
là, c 'est à Green qu' il reproche d' une certaine façon de louper ce qu' il y a de vouloir articuler
sans tenir compte de la béance et, si vous vous souvenez du Séminaire 11, Green lui posera une
question tout à fait du même tabac et bien, évidemment, c' est Green que Lévi-Strauss préférait
comme interlocuteur quelques années plus tard, pas du tout étonnant. Bon voilà, je m’excuse,
Didier, de ne pas avoir poser de questions mais j’ai trouvé, vraiment, que l’exposé était tout à
fait remarquable mais je pense que la salle va discuter.
Pierre-Christophe Cathelineau – Julien [Maucade] ?
Julien Maucade – J’ai trouvé très intéressante l’intervention, merci beaucoup. J’ai, justement,
une question par rapport au cosmos et ce que j’ai cru comprendre être l’apparition du monde,
c’est que Lacan, au début, parle du moi idéal et l’idéal du moi et à partir du schéma optique, il
montre comme une apparition du Moi, c’est-à-dire le monde n’est pas toujours là, il y a un
moment où, je ne sais pas si dans votre lecture, vous avez pu observer ce moment, dans le stade
du miroir, où le monde apparaît, en passant du moi idéal à l’idéal du moi.
Didier de Brouwer – Il me semble que quand Lacan parle d' une origine, il parle d' un initium,
c' est d'abord par rapport au trait unaire, il me semble, c' est-à-dire, au trait signifiant, c' est ça
qui va, pour lui, fonder quelque part, cette origine dans laquelle quelque chose du moi idéal va
pouvoir se constituer donc il y a une logique, la logique, l'optique, la métaphore optique procure
mais seul le trait réel inscrit par le trait unaire réel va vraiment susciter cet initium, cette origine.
Donc qu’est-ce qu’il en est d’un cosmos au préalable pour Lacan, il n’y a pas de cosmos au
préalable. Mais je trouvais intéressant, je suis content que Valentin [Nusinovici] ait réagi
beaucoup en écho avec cette discussion sur l’anthropologie et sur la discussion avec Lévi-
Strauss. J’ai relevé une phrase qui se trouve dans « [Propos sur] la causalité psychique » et qui
date donc de 46 et qui je trouve, est déjà très intéressante dans le champ de l’anthropologie, « Il
n’y a aucune antinomie, nous dit Lacan, entre les objets que je perçois et mon corps », dit-il.
Aucune antinomie entre les objets que je perçois et mon corps « dont la perception est justement
constituée par un accord, avec eux, dit naturel. » Alors c' est page 153, pour ceux qui veulent s'
y référer, page 159, pardon, des Écrits et je trouve que pour des anthropologues, déjà que des

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psychanalystes puissent se prononcer comme ça sur le rapport à l' objet, je trouve ça vraiment
très intéressant parce que ça fait écho à ce qu' on peut dire du totémisme, de l' animisme et, d'
ailleurs, j' ai eu un peu travaillé l’ouvrage de [Philippe] Descola, Par-delà nature et culture et,
vraiment, le cœur de son propos tourne autour de cette question de la manière dont un homme
s' identifie, non seulement aux autres mais aux différents objets du monde et ça, je trouve que,
y compris quelque chose de son corps peut s' y trouver dans ces objets. Et alors, il y a toute une
logique qu' il développe autour de cette question de l' identification donc je trouve que Lacan
articule vraiment une question tout à fait essentielle et ce hiatus dans lequel il va développer
cet objet a entre moi idéal et idéal du moi, il le fait d' une façon assez magistrale et qui n'est pas
sans écho encore actuellement par rapport à tout le champ de l' anthropologie, puisque cette
césure habituelle qu' on fait quand on dit nature et culture, est-ce qu' on ne présuppose pas qu'
il y a un cosmisme préalable quand on parle de nature au fond, ça c'est déjà une question
intéressante et qui est, d' ailleurs, franchie par des anthropologues comme Descola actuellement.
Voilà, je m’arrête là.
Pierre-Christophe Cathelineau – Qui d'autre voudrait prendre la parole dans la salle, n' hésitez
pas, posez des questions, fussent-elles naïves, moi, j' ai une question naïve à poser et je me
permettrai de la poser alors, j' aimerai saisir pourquoi dans le schéma de la figure III.6, on passe
d' un moins phi qui est sous la barre de la ligne rouge à un moins phi de l' autre côté et du côté
de l' idéal qui est au-dessus de la ligne rouge et qui se substitue à l' objet a, qu' est-ce que veut
faire entendre Lacan en disant cela, c' est une curiosité pour moi et si vous avez la réponse, j'
en serai très content ?
Jorge Cacho – Je voudrais intervenir un instant si c’est possible ?
Pierre-Christophe Cathelineau – Oui allez-y
Jorge Cacho – D’abord, je voulais remercier Didier De Brouwer parce que j’ai trouvé son
exposé assez exemplaire au sens qu’il souligne les points d’une manière très précise, les points
les plus aigus de cette leçon mais je voudrais lui poser une question que, en l’écoutant, m’est
venue à l’esprit. C’est que, évidemment, il parlait de la scène sur la scène comme lieu
identificatoire et aussi autour de l’objet du deuil mais Lacan parle aussi de l’autre scène. Est-ce
que c’est pareil, cette autre scène de la scène et de la scène sur la scène ?
Didier de Brouwer – Comment articuler, écouter, voilà, il a pris cette métaphore-là, il me
semble que ce qui est d' abord essentiel dans la façon dont il l' articule cette scène sur la scène,
c' est de montrer que le franchissement pour Hamlet ne peut s' opérer qu' à deux conditions, une
condition qui concerne le rapport à l' objet du deuil et une condition qui ne peut se franchir qu'
à se confronter à quelque chose d'une image de lui-même que lui renvoie l' autre et je trouve
que c' est une indication clinique intéressante et qu' il me semble que dans les pathologies d'
angoisse, on va peut-être, Valentin [Nusinovivi] va peut-être le développer dans le chapitre IV
quand Lacan développe à la fin du chapitre, les différents avatars de la manière dont, je ne sais
plus où c'était, oui, c'est ça, la façon dont la perte de l'objet peut se vivre. Il me semble que,
c’est par le franchissement de quelque chose de l’image narcissique que quelque chose de
l’angoisse peut se résoudre et il me semble que dans la clinique, on entend régulièrement cette
question-là. Dans les syndromes anxieux et dans une époque où, justement, Lacan le souligne,
l’angoisse peut surgir justement que quand il n’y a non pas perte de l’objet mais justement
présence que ceci que les objets, ça ne manque pas. Évidemment ici, c’est de l’objet du deuil
qu’il s’agit. Mais bon sur la question de la congruence exacte entre l’autre scène freudienne et

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la scène dans la scène que vous interrogez, j’aurai un peu de difficulté à répondre, je n’ai pas
vraiment examiné ce point-là, je l’ai pris un peu comme acquis comme Lacan nous y invite.
Pierre-Christophe Cathelineau – Et pour la question que je posais, de l’inversion de la position
de moins phi entre la partie du côté du sujet et la partie du côté de l’idéal, c’est un schéma qui
s’explique comment ?
Christine Robert – Moi, je voudrais vous proposer une réponse Pierre-Christophe, je ne sais
pas si c’est une réponse ou si c’est un redoublement de la question mais je me demandais si
justement ce moins phi, qui est donc la castration imaginaire dont parle Lacan, est-ce que ça
correspond au refoulement du phallus ? Et à ce moment-là, ça expliquerait que sans doute que
ce soit sous cette barre qui est la barre du Symbolique. Voilà, c’est la question que je me pose.
Est-ce que c’est le temps du refoulement du phallus aussi chez l’enfant ?
Pierre-Christophe Cathelineau – C'est- à-dire du côté du Réel, là où se situe l’objet a comme
séparé du phallus, le phallus est refoulé et du côté de l’idéal, là où la totalité de l’image est
saisie dans l’image virtuelle, il y a quelque chose du phallus qui se trouve entre parenthèses et
qui n’est pas saisi par l’image.
Christine Robert – Oui, absolument, il y a un blanc, c’est un blanc dans l’image. Mais c’est ce
refoulement du phallus, à gauche, qui fait tenir l’image.
Pierre-Christophe Cathelineau – C'est ça.
Didier de Brouwer – Il me semble qu'il en dit quelque chose aussi dans le séminaire sur le
désir, il nous dit que, au fond, Hamlet rencontre le phallus dans le Réel, c’est dans le Réel qu’il
le rencontre et le rencontrer dans le Réel, c’est dans la lutte à mort, au fond, c’est dans la lutte
à mort avec Laërte, il ne peut pas le symboliser quoi.
Pierre-Christophe Cathelineau – D’autres questions ?
Fabrizio Gambini – Oui, si je peux poser juste une question à propos de cette fonction du
phallus, est-ce que le fait qu’il passe, dans cette leçon, à travers le Unheimlich, ça n’est pas ça
donc justement le phallus en tant que refoulé qui détermine le fait qu’un signifiant se présente
sous la forme de Unheimlich, parce sinon, ça serait un signifiant quelconque ? Donc, c’est le
phallus au centre de l’objet a, le phallus, le moins phi qui est là et qui détermine la fonction de
l’objet ?
Bernard Vandermersch - C’est un schéma particulièrement difficile à lire parce que, d’une
part, ça ne reproduit pas tout à fait, la question du stade du miroir. Il y déjà manifestement une
subjectivité constituée. C 'est difficile, on a l’impression que moins phi est en bas et cause de
ce que le petit a apparaît en haut et, en même temps, du fait qu’a apparaît en haut, fait que dans
l’image spéculaire, il me semble, c’est moins phi qui apparaît à cette place-là. On a l’impression
qu’à la fois, moins phi est le résultat de la constitution de l’objet a et dans la partie gauche, on
a vraiment l’impression que l’objet a est le résultat de la constitution de moins phi en bas. Que
veut dire ce moins phi dans le Réel ? C’est ça la question ? Que veut dire ce moins phi dans le
Réel ? Est-ce que c’est déjà l’idée d 'un investissement particulier qui ne passera pas dans la
constitution de l’image réelle ? Et alors et à ce moment-là viennent mais c’est ça où c’est
compliqué, la version intérieure, c’est l’idéal du moi qui se règle sur les objets a, qui sont dans
l'encolure, dans une première phase, donc cet objet a, c'est ceux de l'Autre, autour de quoi, se
règle, c'est ça qui est difficile, enfin, c'est ceux de l'Autre, c'est la cause du désir de l'Autre qui

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fait que cette image réelle va se constituer. Dans le stade du miroir, il y a quand même ceci que
l’enfant ne s’identifie à l’image que si quelque part, il sent que le désir de l’Autre est concerné.
Voilà, effectivement, je n’ai pas de solution à cette, mais c’est le paradoxe, c’est que ça n’est
pas le même moins phi. Tu veux répondre, Valentin, tu veux répondre.
Valentin Nusinovici – Non mais ça tombe bien parce que c’est un petit peu le commencement
du petit topo que je voulais faire, personne de nous ne lit ça pareil. C’est ça qui est formidable.
Moi je ne lis pas le petit a si voulez de mettre les petits schémas vilains que j’ai tracé tout à
l’heure… ».
Transcription Sophie Perrot
Relecture Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour

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SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 4

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 19 octobre 2021

Président de séance : Pierre-Christophe Cathelineau


Leçon 4 présentée par Valentin Nusinovici

TEXTE

Discutant Didier de Brouwer

Lacan se propose dans cette leçon de désigner la place de l’angoisse par rapport à l’Autre et à l’image du
corps, en s’appuyant sur le schéma optique. Sa visée est, non seulement de mettre en question que le roc de
la castration soit, comme le disait Freud, une butée indépassable, mais de montrer comment il est possible
d’aller au-delà.

L’article « Subversion du sujet et dialectique du désir » vient de paraître. Il y a là, dit Lacan, le cadre de la
fonction de l’objet. Il rappelle que ce texte avait été qualifié de diabolique (il avait même été traité, on peut
le lire dans les Écrits, d’ « ahumain » !) Eh bien puisque qu’il va parler de l’objet a qui est, il le dira dans
une leçon ultérieure, à concevoir comme un morceau de corps, Lacan commence par évoquer l’objet de la
technique, à savoir la pièce détachée. « Quelle est sa subsistance, demande-t-il, en dehors de son emploi
éventuel par rapport à un certain modèle ? » La question, évidemment, concerne l’objet a.

L’image du corps réfléchie dans le miroir de l’Autre est « problématique, fallacieuse ». Son pouvoir de
captation dépend d’un manque (– j). Le phallus, en tant qu’objet du désir, ne peut y apparaître. Cela
correspond au fait qu’une part de la libido reste investie sur le corps propre, n’est pas « transfusée » sur
l’image (narcissisme primaire ou auto-érotisme, Lacan ne les distingue pas ici). Le désir est ainsi « mis en
rapport à une absence ». Quant à ce qui « commande » le désir, c’est « une présence qui est ailleurs », qui
est « pour le sujet insaisissable » (l’objet a).

Lacan entend montrer que la dialectique analytique ne devrait pas buter sur l’angoisse de castration.
Pourquoi ? Parce que « la castration dans sa structure imaginaire (– j) est déjà faite ». Dans « Subversion du
sujet et dialectique du désir » il était dit que « la castration imaginaire le névrosé l’a subie au départ ». Ici
Lacan dit qu’elle « est faite dans l’approche de l’image libidinalisée du semblable ». Il évoque le
traumatisme lié à la scène primitive. Dans la leçon XX, il sera plus précis disant que dans cette scène le
phallus disparaît, s’escamote. Il y a, dit-il sans préciser, des « variations », des « anomalies possibles dans
cette cassure imaginaire ». Ces variations, il me semble qu’elles relèvent non de l’imaginaire mais du
symbolique, que ce seraient les signifiants en rapport avec cette cassure.

Le point essentiel est que ces variations soient utilisées « pour une autre fonction qui elle donne son plein
sens au terme de castration », qui est de « faire de sa castration ce qui manque à l’Autre », d’en faire
« quelque chose de positif qui est la garantie de cette fonction de l’Autre. » C’est là que le névrosé s’arrête
« pour une raison interne à l’analyse, c’est que c’est l’analyse qui l’amène à ce rendez-vous. »
Pourquoi s’arrête-t-il ? Que devrait-il donner et pourquoi ? Quelle est cette fonction de l’Autre qu’il s’agit de
garantir ? Je pense que l’article « Subversion du sujet et dialectique du désir » et le séminaire s’éclairent
mutuellement.

Dans l’article il est dit que le névrosé ne veut pas sacrifier sa castration parce qu’il se figure que l’Autre la
lui demande (il prend donc l’Autre pour un sujet, lequel prend la figure de l’analyste). Dans l’article, la
fonction de l’Autre est précisée. La castration fait du fantasme une chaîne souple et inextensible, elle assure
la jouissance de l’Autre qui passe au sujet cette chaîne dans la Loi. Le défaut de la jouissance, est-il dit,
« rendrait vain l’univers ».

Dans le séminaire on voit que l’univers en question est celui des significations. Il s’agit d’assurer un rapport
du sujet à l’univers des significations faute de quoi il y a renvoi indéfini des celles-ci et le destin du sujet n’a
pas de terme.

Pour que le sujet ait un rapport à l’univers des significations il faut que quelque part il y ait jouissance. Elle
ne peut être assurée au moyen du signifiant ?, il manque là où on le voudrait, dans l’Autre. « C’est l’appoint
à cette place manquante que le sujet est appelé à faire par le signe que nous appelons de sa propre
castration. » Un « appel » de l’analyste dont on comprend, on y reviendra plus loin, qu’il ne peut être une
demande.

Quel signe à donner pour l’analysant ? Peut-il s’agir d’un signe qui, définition lacanienne, représenterait
quelque chose pour quelqu’un ? Je le comprends comme un dire où passerait l’impossible de la possession
du phallus. La suite montre que c’est aussi la cession de l’objet a. « La castration (symbolique) n’est en fin
de compte que le moment de l’interprétation de la castration ».

Le texte de Freud que Lacan choisit comme appui est Das Unheimliche. Il ne faut pas perdre le mot Heim
ce pourquoi Lacan n’use pas de la traduction française (L’inquiétante étrangeté). La place du sujet dans
l’Autre c’est son Heim, son lieu familier. Lorsque se révèle là « la présence ailleurs qui fait cette place
comme absence » (la présence de l’objet a) le Heimlich tourne à l’Unheimlich, c’est-à-dire à « l’étrangeté
radicale » (« radicale » : là est la racine de l’étrange).

Freud évoque deux écrits du romantique allemand E. T. A. Hoffmann. Longuement L’Homme au sable.
Probablement parce que l’angoisse pour les yeux, qui est au cœur du texte, est pour Freud l’équivalent de
l'angoisse de perdre le membre sexuel. Lacan problématise le complexe de castration, distingue la castration
de la menace de perdre le membre sexuel. Il retient de L’Homme au sable que le terrifiant dans l’affaire c’est
qu’il place les yeux qu’il arrache dans les orbites de la poupée. Le petit a en comblant le manque déclenche
l’angoisse.

L’autre texte que cite Freud, plus brièvement, c’est Les Élixirs du diable. Lacan s’y intéresse davantage. Le
thème central est celui du double, il sera repris plus loin dans le séminaire pour en faire valoir le fondement
topologique. Mais le double n’est pas une manifestation habituelle de l’angoisse. Lacan dit qu’on voit dans
Les Élixirs du diable que le sujet n’accède à son désir qu’à se substituer toujours à l’un de ses propres
doubles. Je l’ai compris ainsi : le double marquant le moment de l’angoisse, franchir celle-ci en se
substituant au double ouvre le champ du désir. J’admets que je n’ai pas su le lire dans ce roman (qui est plus
épais que Lacan le dit).

Lacan avance en tournant autour de ceci : l’objet a est l’objet de l’angoisse, il est aussi l’objet cause du désir.

Si l’objet a se manifeste dans le Heim c’est l’angoisse. Il se manifeste ainsi faute d’avoir été cédé à l’Autre.
Car « en ce point Heim mon désir [...] est attendu […] sous la forme de l’objet que je suis […] résolvant par
lui-même tous les signifiants à quoi cette subjectivité est attachée ».
Il y a deux répartitions possibles des termes du fantasme. \$ est toujours au lieu de l’Autre (à droite du miroir
plan). Le petit a peut-être à gauche, cas du pervers (et du psychotique dira plus loin Lacan) ou à droite, cas
du névrosé, lequel a fait le « transport du a dans l’Autre ».

Le pervers « s’offre loyalement (en tant qu’objet) à la jouissance de l’Autre ». Il est loyal à l’égard de
l’Autre (pas de l’autre), la jouissance est pour Lui.

Le névrosé lui ne s’offre pas loyalement à la jouissance de l’Autre. Son vœu est « que l’Autre (l’Autre ou
l’autre) s’évanouisse, se pâme, devant cet objet que je suis, déduction faite de ce que je me vois ». S’il se fait
objet c’est d’abord pour sa propre jouissance.

La différence dans le fonctionnement du fantasme (au sens structural) doit permettre de ne pas prendre un
névrosé pour un pervers (au sens structural du terme) quand il a des fantasmes (au sens courant) pervers ce
qui n’est pas rare.

Le névrosé, dit Lacan, n’en fait jamais rien de son fantasme, autrement dit il ne réalise pas son désir.
Pourquoi ? Parce qu’il ne fait pas fonctionner \$ ? a, S coupure de a. Il use d’un a postiche, un substitut. Ce
substitut c’est sa demande, il s’en sert comme d’un objet pour accrocher le désir de l’Autre (cf. la topologie
du tore dans l’Identification). La demande, il la module à la place du Heim. Moyennant quoi, dit Lacan, « il
vous couillonne ».

Exemple princeps : Breuer. En deux mots : Breuer avait fait l’objet de son désir de ce que lui déversait Anna
O. à jet continu, soit sa demande. Jusqu’à ce que son objet à elle surgisse sous la forme du ballon de sa
grossesse imaginaire venu crever l’écran de son fantasme à lui. Il s’enfuit. Anna O. dira : « c’est un enfant
du Dr Breuer ».

Freud, dit Lacan, était, comme Breuer, intelligent et névrosé, mais de plus courageux. Il a pu s’y retrouver
dans ce que lui voulait l’hystérique, il a commencé à repérer ce qui se joue dans le transfert. Il a su
reconnaître qu’elle le visait au lieu même de son angoisse de névrosé devant son désir, angoisse qui était
recouverte par son attachement (par sa demande) à sa femme. « Angoisse qui était au principe de son
attachement ridicule à cette impossible bonne femme qui d’ailleurs l’a enterré » dit Lacan ! Fichtre. Le
symptôme de Lacan, au programme de l’année, ne pointerait-t-il pas là un bout de son nez ? Un petit bout ou
un gros bout, pour reprendre la distinction que faisait Charles Melman la semaine dernière ?

L’offre du névrosé est fallacieuse (comme l’image du corps) en tant qu’elle vise à susciter la demande. On
l’accepte, mais on ne lui demandera rien (sauf, mais Lacan commence juste à introduire le terme, si peut
passer par là le désir de l’analyste, dans ce qu’il a d’énigmatique).

Lacan interprète la séquence classiquement recommandée : frustration-agression-régression. Ce que la non


réponse à la demande de l’analysant déclenche c’est son agressivité (et non une agression) à l’endroit de
l’image de l’autre et la succession des demandes vers des demandes plus originelles, historiquement parlant
(et non génétiquement). L’accent est mis sur l’historicité. Il y a régression mais pas régression génétique (
Écrits p.261 « toute fixation à un stade prétendument instinctuel est avant tout stigmate historique »). Par
cette voie régressive le sujet est amené à un temps « historiquement progressif ». Historiquement progressif
parce que « la castration se trouve inscrite comme rapport à la limite de ce cycle régressif de la demande ».
Ce qui est à comprendre topologiquement, dit Lacan. C’est-à-dire comme la fin du tore névrotique, ce dont
Flavia Goian nous a parlé cet été, et le passage au cross-cap.
Lacan parle d’une « demande zéro ». N’est-ce pas la situer comme fondamentale, d’avant la première
demande articulée ? Dans la dernière leçon il dira : « l’angoisse paraît avant toute articulation comme telle
de la demande de l’Autre ». Il évoque le cri « ce cri qui échappe au nourrisson, il ne peut rien en faire. S’il a,
là, cédé quelque chose, rien ne l’y conjoint ». Une perte sèche. Ce qu’il a cédé c’est ce qui sera le petit a,
c’est la naissance de la pulsion.

N’y a-t-il jamais de réalisation du désir (au sens d’un fonctionnement selon la topologie du cross-cap
) avant qu’on soit arrivé au bout de la demande ? N’y a-t-il jamais rien de la castration dans les
interprétations qui sont faites sur les demandes ? J’avais demandé à Christian Fierens après un exposé qu’il
avait fait aux Mathinées lacaniennes [Le nouage RSI

Pas a? pas vers RSI. Pourquoi RSI alors que nous avions déjà ISR ? du 14/01/2012] si la possibilité d’un
fonctionnement en allers-retours entre le tore et le cross-cap lui semblait soutenable. Il pensait que oui.

Lacan termine en accentuant à nouveau ce qu’il a dit à la fin de la leçon précédente : l’angoisse n’est pas le
signal d’un manque, mais celui du manque du manque, du défaut de l’appui qui est pris dans le manque. La
trop grande proximité de la mère, de son désir, engendre l’angoisse. Au contraire la possibilité de son
absence fait la sécurité de sa présence. La mère toute présente, si l’on peut le dire ainsi, c’est l’angoisse. La
suite du séminaire lui permettra de complexifier ce premier abord, car la menace qu’elle soit toute absente
est aussi source d’angoisse.

Avec l’accord de Valentin Nusinovici.


Discussion de la leçon 4

L'Association lacanienne internationale


Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse Mardi 19
octobre 2021

Président de séance : Pierre-Christophe Cathelineau


Leçon 4 présentée par Valentin Nusinovici
Discutant Didier de Brouwer

DISCUSSION

Didier de Brouwer – Bon merci beaucoup Valentin [Nusinovici], mais je, voilà ces développements, il y a
des moments où je me perds un peu sur cette distinction à faire entre objet a et phallus. Il est beaucoup
question encore du phallus dans cette leçon. Il me semble que quand il parle de l’usage fallace de l'objet,
dans le fantasme du névrosé et qu’il dit un nom très simple, c’est la demande, c’est bien toute la question, je
dirais, de la névrose.

Comment, peut-être que ma question tourne autour de cette présence ailleurs qui fait cette place comme
absence et qui est à l’origine de la question de l’angoisse. Alors comment entendre cette présence ailleurs
qui fait cette place comme absente, alors est-ce qu’il s’agit de quelque chose qui reste du côté d’un Autre
refoulé, on pourrait dire ? Alors, il y avait peut-être un point que j’avais envie, enfin, j’en ai déjà un peu
discuté dans ma présentation, qui concerne le double, tu disais, le double n’est pas une manifestation
habituelle de l’angoisse. Ce qui est probablement vrai, on le trouve plutôt dans les romans ou Lacan l’a bien
développé à d’autres occasions. N’empêche qu’il me semble que la manière dont, dans une cure, l’angoisse
peut, petit à petit, se dissoudre ou, en tout cas, se résoudre ou aboutir à quelque chose d’autre que le pur
manque ou que le vide absolu auquel l’angoissé, parfois phobique, peut se confronter, ne peut se résoudre
qu’en passant par les carences du moi-idéal et la manière dont cette carence du moi-idéal peut transparaître
dans le discours. Je trouve que c’est un indice clinique qui est tout à fait important dans le déroulement
d’une cure, que c’est vraiment en passant par-là que quelque chose peut s’en résoudre, c’est-à-dire qu’on
doit passer par ce signifiant refoulé. Voilà.

Alors peut-être que, il me semble que quand tu parles de la question de ce bout de corps, d' objet a
qui est repris par Lacan ultérieurement, en tout cas, dans les développements ultérieurs, sur la question,
entre autres, de la circoncision me semble-t-il, est-ce que ça ne fait pas écho, aussi, enfin, je crois que j' ai
déjà ma réponse puisque la belle bouchère entre en jeu par rapport à la question de l' objet petit a postiche
mais je trouve que c' est très en réponse, très en écho avec ce que Freud développe sur l' hystérie, c' est-à-
dire que c' est quelque chose qui reste incarcéré au niveau du corps mais qui le cisaille en quelque sorte.
Voilà, je n’ai pas d’autres remarques à faire.
Valentin Nusinovici – Oui, je pense comme toi que, si le moi-idéal peut prendre moins d’importance la
vulnérabilité à l’angoisse peut diminuer. Peut-être cela va-t-il de pair avec le fonctionnement du fantasme.
Lacan dit que le névrosé, de son fantasme, il n’en fait rien. En faire quelque chose (et par là réaliser son
désir) implique de faire de sa castration la garantie de la fonction de l’Autre, c’est-à-dire céder l’objet a.
Il me semble que les deux lignes de l’imaginaire que présente le graphe (le faux imaginaire : le moi-idéal
, et le vrai : le fantasme, comme Lacan les nomme dans L’identification) ne fonctionnent pas
indépendamment l’une de l’autre...

« La présence ailleurs qui fait la place (– j) comme absente », il me semble que c’est celle du petit a
en tant qu’il a été cédé à l’Autre, je pense que cela correspond à la structure du cross-cap.

Le a « postiche » que constitue la demande (ou qui répond à la demande de l’autre comme tu le rappelles en
citant la Belle bouchère) couvre l’angoisse. Lacan dit parfois qu’il défend contre l’angoisse, mais plus
rigoureusement il dit qu’on ne se défend pas contre l’angoisse, que c’est elle qui est à l’origine des défenses.
Il dit qu’il faut que le névrosé donne son angoisse. Évidemment celui-ci voudrait en être débarrassé, mais
pour cela il faut qu'il parle de façon à mettre effectivement son petit a (pas le a postiche) en jeu. À défaut
qu’il donne un peu son symptôme, dit Lacan, c’est-à-dire qu’il ne se contente pas de décrire ce qui ne va pas,
mais qu’il s’y implique subjectivement, c’est un point essentiel, autrement il n’y a pas d’analyse.

Julien Maucade – Oui alors deux questions, deux remarques, en t’écoutant, je pense, c’est-à-dire Lacan
parle de l’article de Freud dans Inhibition, symptôme et angoisse, je me demandais si ce que tu disais, c’est
la question du manque en l'Autre posé par le sujet parce qu’il y a un moment où l’enfant, le sujet, s’identifie
à sa question : qu’est-ce qui manque à l’Autre ? Et la deuxième question, c’est que, je l’avais posée, il y a
deux semaines à la première réunion, c’est que, est-ce que Lacan tente de répondre à la question de Freud, là
où l’article de Freud termine où le questionnement de Freud qui est la castration, est-ce qu’elle apparaît de la
fusion avec la mère ou de la séparation avec la mère ?

Valentin Nusinovici – Est-ce que l’enfant s'identifie au manque de l’Autre ? Il me semble qu’il s'identifie
imaginairement au phallus, comme étant le manque de la mère. Il en devient le représentant. C’est une
position où il est très sensible à l’angoisse.

Julien Maucade – Oui mais il ne le voit pas le manque dans l’Autre, c’est une question...

Valentin Nusinovici – Oui, le manque dans l’Autre c'est que l’Autre ne peut pas répondre à tout, c’est pour
ça que l’enfant répète sa demande, mais il y a des mères qui donnent le sentiment qu’elles peuvent répondre
à tout et ça ne simplifie pas l’évolution.

Le bon cas, c’est celui où l’enfant peut percevoir qu’il y a ce manque dans l’Autre, qu’il n’y a pas, comme
dit Lacan, de garant de la vérité, et c’est aussi le cas où la demande n’est pas automatiquement comblée. Du
besoin, tout ne peut pas passer dans la demande, il y a un reste, mais si on s’applique à combler la demande,
ça donne des résultats qui ne sont pas les meilleurs. Pour la deuxième question, je n’ai pas très bien saisi ce
que tu m’as dit, que la castration, ça passait aussi bien au niveau de la fusion que de la séparation ?

Julien Maucade – C’est un peu sur quoi j’ai cru entendre, sur quoi tu as terminé qui est, la question de
Freud : « Est-ce que la castration apparaît à partir de la fusion avec la mère ou la séparation avec la mère ? »

Valentin Nusinovici – Je me suis mal expliqué, je n’ai pas voulu dire ça.

Julien Maucade – Je parlais de l’article de Freud.

Valentin Nusinovici – Je n’ai pas le texte en tête. J’ai voulu parler de la clinique ordinaire. Lacan accentue
dans cette leçon que ce n’est pas, comme on le répète souvent, d’être séparé de la mère qui angoisse, mais
que c’est au contraire l’excès de sa présence qui angoisse. S’il y a alternance de la présence et de l’absence,
l’enfant y trouve la sécurité, cela est évident. Je me suis permis d’ajouter que ce n’est pas seulement l’excès
de présence, de demande, de désir de la mère, qui cause l’angoisse, ce peut être aussi la menace de la
disparition de celle-ci. C’est ce qu’il y a de totalisant dans un cas comme dans l’autre qui angoisse. Et les
deux peuvent s’associer, l’excès de présence qui est angoissant prépare l’angoisse de l’absence. Cela donne
des pathologies difficiles à traiter.

Julien Maucade – Mais on dit la même chose, c’est-à-dire que la toute présence (inaudible).

Valentin Nusinovici – La castration c’est la cession de l’objet a. L’angoisse c’est la précession de ce


moment. Quand il a été cédé il n’y a plus d’angoisse.

Pierre-Christophe Cathelineau – Marc [Darmon], est-ce que tu aurais des choses à...

Marc Darmon – Ce que vous nous exposez est tout à fait éclairant et remarquable alors il m’est venu des
questions au cours de cette soirée, déjà sur ce schéma optique qui court tout au long du séminaire et qui pose
certaines énigmes.

Je vous proposerai la réflexion suivante, c’est que la toute première apparition du schéma optique dans ce
séminaire, c’est une reprise du schéma optique de Bouasse. C’est-à-dire que Bouasse mettait les fleurs dans
la caisse du bas et le vase au-dessus et Lacan a inversé les choses puisqu' il a mis les fleurs au-dessus et la
caisse contenant le vase en bas.

Alors on peut se demander quel est le dispositif suivi dans ce séminaire ? Il me semble que c’est, non pas le
schéma optique tel qu’il est traité dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » mais il prend pour
point de départ le schéma de Bouasse. C’est-à-dire que dans le schéma de Bouasse, il y a les fleurs qui sont
en bas, dans la caisse et apparaissent comme par magie, au niveau du col du vase en question. Donc le
phénomène optique, c’est que les fleurs éclairées fortement dans la caisse du bas, il faut un éclairage,
Bouasse précise quelle est, quelle sorte d’éclairage il faut pour produire le phénomène. Donc ces fleurs
vont, grâce à la propriété du miroir sphérique, ces fleurs vont réaliser, en haut, donc au niveau du col du
vase, une image réelle. Une image réelle, c’est-à-dire une image qui émet des rayons lumineux comme un
objet réel émettrait des rayons lumineux donc il n’y a aucune distinction possible sinon qu’il faut que l’œil
s’accommode à ce point et occupe une certaine portion de l’espace. Donc il faut une certaine condition, il
faut qu’une certaine condition soit réalisée. Alors si on veut traduire ce qui se passe dans ce premier
dispositif, les fleurs se sont les objets petit a dans le sens, disons, courant, dans le sens de Lacan mais dans
une première apparition, c’est-à-dire, comme tu disais, des morceaux de corps, des objets partiels qui
correspondent aux pulsions partielles. Il va le noter d’un petit a sur le bord du miroir sphérique et tout près
du sujet, dans la première position du sujet, c’est-à-dire qu'il nous explique que le sujet avec ce petit a
du sujet, ce sujet est très proche, au départ, du petit a mais il est, à la fois, très proche et très éloigné. Il nous
raconte comment ce sujet va caresser son objet petit a mais il en est radicalement éloigné. C’est là où
intervient le miroir plan qui va offrir au sujet une vue indirecte sur ce phénomène du schéma optique de cette
expérience de Bouasse, donc le sujet va avoir accès, non pas à une image réelle mais à une image virtuelle
qui est le reflet de l’image réelle dans le miroir plan. C’est très présent mais il n’a pas accès à ce qui est tout
proche de lui et il a accès, il doit passer par le spéculaire, par le miroir plan pour y avoir accès.

Valentin Nusinovici – Et pas accès à l’objet.

Marc Darmon – Pas accès à l’objet non sauf dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » où il y a
une bascule du miroir.

Valentin Nusinovici – Oui mais c’est parce que l’objet petit a, ce n’est pas tout à fait celui qu’on aura après.

Marc Darmon – Non mais il n’est quand même pas tout à fait étranger.

Valentin Nusinovici – Non, non, il n’est pas étranger non plus. Il n’est ni familier, ni étranger.
Marc Darmon – Oui. Alors il y a le grand I là que le sujet va rejoindre à un moment. Ce grand I, il faut
signaler que Lacan parlait du signe de l’Autre, du grand Autre dans je ne sais plus quel séminaire,
Les formations de l’inconscient, peut-être, il parle de l’idéal du Moi comme insigne de l’Autre.

Valentin Nusinovici – Oui, oui. Dans les « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » aussi.

Marc Darmon – Dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » aussi. Donc c’est avec une
disposition très particulière dans le schéma optique. C’est-à-dire que le sujet, pour avoir accès à l’illusion du
bouquet inversé doit se placer sur une ligne S barré grand I qui déborde le miroir plan. C'est-à-dire, il doit se
placer dans une position symbolique, c’est-à-dire qui est définie par le point de grand I, qui doit se définir
par rapport à la symétrie de ce point grand I dans un espace, qu’on va dire, symbolique qui déborde l’espace
du miroir plan. Alors ce n’est pas dit dans, je rassemble un peu les éléments, sur le miroir, sur le schéma
optique qui sont, sans doute, tout au long du séminaire et il ne faut pas oublier que le point de départ de
Lacan est particulier et différent. Je ne sais pas pourquoi je vous ai parlé de tout ça.

Valentin Nusinovici – C’était très bien.

Pierre-Christophe Cathelineau – Merci beaucoup et merci à tous. Bonne soirée.

Transcription Sophie Perrot

Relecture Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour

Didier de Brouwer – Bon merci beaucoup Valentin [Nusinovici], mais je, voilà ces développements, il y a
des moments où je me perds un peu sur cette distinction à faire entre objet a et phallus. Il est beaucoup
question encore du phallus dans cette leçon. Il me semble que quand il parle de l’usage fallace de l'objet,
dans le fantasme du névrosé et qu’il dit un nom très simple, c’est la demande, c’est bien toute la question, je
dirais, de la névrose.

Comment, peut-être que ma question tourne autour de cette présence ailleurs qui fait cette place comme
absence et qui est à l’origine de la question de l’angoisse. Alors comment entendre cette présence ailleurs
qui fait cette place comme absente, alors est-ce qu’il s’agit de quelque chose qui reste du côté d’un Autre
refoulé, on pourrait dire ? Alors, il y avait peut-être un point que j’avais envie, enfin, j’en ai déjà un peu
discuté dans ma présentation, qui concerne le double, tu disais, le double n’est pas une manifestation
habituelle de l’angoisse. Ce qui est probablement vrai, on le trouve plutôt dans les romans ou Lacan l’a bien
développé à d’autres occasions. N’empêche qu’il me semble que la manière dont, dans une cure, l’angoisse
peut, petit à petit, se dissoudre ou, en tout cas, se résoudre ou aboutir à quelque chose d’autre que le pur
manque ou que le vide absolu auquel l’angoissé, parfois phobique, peut se confronter, ne peut se résoudre
qu’en passant par les carences du moi-idéal et la manière dont cette carence du moi-idéal peut transparaître
dans le discours. Je trouve que c’est un indice clinique qui est tout à fait important dans le déroulement
d’une cure, que c’est vraiment en passant par-là que quelque chose peut s’en résoudre, c’est-à-dire qu’on
doit passer par ce signifiant refoulé. Voilà.

Alors peut-être que, il me semble que quand tu parles de la question de ce bout de corps, d' objet a
qui est repris par Lacan ultérieurement, en tout cas, dans les développements ultérieurs, sur la question,
entre autres, de la circoncision me semble-t-il, est-ce que ça ne fait pas écho, aussi, enfin, je crois que j' ai
déjà ma réponse puisque la belle bouchère entre en jeu par rapport à la question de l' objet petit a postiche
mais je trouve que c' est très en réponse, très en écho avec ce que Freud développe sur l' hystérie, c' est-à-
dire que c' est quelque chose qui reste incarcéré au niveau du corps mais qui le cisaille en quelque sorte.
Voilà, je n’ai pas d’autres remarques à faire.

Valentin Nusinovici – Oui, je pense comme toi que, si le moi-idéal peut prendre moins d’importance la
vulnérabilité à l’angoisse peut diminuer. Peut-être cela va-t-il de pair avec le fonctionnement du fantasme.
Lacan dit que le névrosé, de son fantasme, il n’en fait rien. En faire quelque chose (et par là réaliser son
désir) implique de faire de sa castration la garantie de la fonction de l’Autre, c’est-à-dire céder l’objet a.
Il me semble que les deux lignes de l’imaginaire que présente le graphe (le faux imaginaire : le moi-idéal
, et le vrai : le fantasme, comme Lacan les nomme dans L’identification) ne fonctionnent pas
indépendamment l’une de l’autre...

« La présence ailleurs qui fait la place (– j) comme absente », il me semble que c’est celle du petit a
en tant qu’il a été cédé à l’Autre, je pense que cela correspond à la structure du cross-cap.

Le a « postiche » que constitue la demande (ou qui répond à la demande de l’autre comme tu le rappelles en
citant la Belle bouchère) couvre l’angoisse. Lacan dit parfois qu’il défend contre l’angoisse, mais plus
rigoureusement il dit qu’on ne se défend pas contre l’angoisse, que c’est elle qui est à l’origine des défenses.
Il dit qu’il faut que le névrosé donne son angoisse. Évidemment celui-ci voudrait en être débarrassé, mais
pour cela il faut qu'il parle de façon à mettre effectivement son petit a (pas le a postiche) en jeu. À défaut
qu’il donne un peu son symptôme, dit Lacan, c’est-à-dire qu’il ne se contente pas de décrire ce qui ne va pas,
mais qu’il s’y implique subjectivement, c’est un point essentiel, autrement il n’y a pas d’analyse.

Julien Maucade – Oui alors deux questions, deux remarques, en t’écoutant, je pense, c’est-à-dire Lacan
parle de l’article de Freud dans Inhibition, symptôme et angoisse, je me demandais si ce que tu disais, c’est
la question du manque en l'Autre posé par le sujet parce qu’il y a un moment où l’enfant, le sujet, s’identifie
à sa question : qu’est-ce qui manque à l’Autre ? Et la deuxième question, c’est que, je l’avais posée, il y a
deux semaines à la première réunion, c’est que, est-ce que Lacan tente de répondre à la question de Freud, là
où l’article de Freud termine où le questionnement de Freud qui est la castration, est-ce qu’elle apparaît de la
fusion avec la mère ou de la séparation avec la mère ?

Valentin Nusinovici – Est-ce que l’enfant s'identifie au manque de l’Autre ? Il me semble qu’il s'identifie
imaginairement au phallus, comme étant le manque de la mère. Il en devient le représentant. C’est une
position où il est très sensible à l’angoisse.

Julien Maucade – Oui mais il ne le voit pas le manque dans l’Autre, c’est une question...

Valentin Nusinovici – Oui, le manque dans l’Autre c'est que l’Autre ne peut pas répondre à tout, c’est pour
ça que l’enfant répète sa demande, mais il y a des mères qui donnent le sentiment qu’elles peuvent répondre
à tout et ça ne simplifie pas l’évolution.

Le bon cas, c’est celui où l’enfant peut percevoir qu’il y a ce manque dans l’Autre, qu’il n’y a pas, comme
dit Lacan, de garant de la vérité, et c’est aussi le cas où la demande n’est pas automatiquement comblée. Du
besoin, tout ne peut pas passer dans la demande, il y a un reste, mais si on s’applique à combler la demande,
ça donne des résultats qui ne sont pas les meilleurs. Pour la deuxième question, je n’ai pas très bien saisi ce
que tu m’as dit, que la castration, ça passait aussi bien au niveau de la fusion que de la séparation ?

Julien Maucade – C’est un peu sur quoi j’ai cru entendre, sur quoi tu as terminé qui est, la question de
Freud : « Est-ce que la castration apparaît à partir de la fusion avec la mère ou la séparation avec la mère ? »

Valentin Nusinovici – Je me suis mal expliqué, je n’ai pas voulu dire ça.

Julien Maucade – Je parlais de l’article de Freud.

Valentin Nusinovici – Je n’ai pas le texte en tête. J’ai voulu parler de la clinique ordinaire. Lacan accentue
dans cette leçon que ce n’est pas, comme on le répète souvent, d’être séparé de la mère qui angoisse, mais
que c’est au contraire l’excès de sa présence qui angoisse. S’il y a alternance de la présence et de l’absence,
l’enfant y trouve la sécurité, cela est évident. Je me suis permis d’ajouter que ce n’est pas seulement l’excès
de présence, de demande, de désir de la mère, qui cause l’angoisse, ce peut être aussi la menace de la
disparition de celle-ci. C’est ce qu’il y a de totalisant dans un cas comme dans l’autre qui angoisse. Et les
deux peuvent s’associer, l’excès de présence qui est angoissant prépare l’angoisse de l’absence. Cela donne
des pathologies difficiles à traiter.
Julien Maucade – Mais on dit la même chose, c’est-à-dire que la toute présence (inaudible).

Valentin Nusinovici – La castration c’est la cession de l’objet a. L’angoisse c’est la précession de ce


moment. Quand il a été cédé il n’y a plus d’angoisse.

Pierre-Christophe Cathelineau – Marc [Darmon], est-ce que tu aurais des choses à...

Marc Darmon – Ce que vous nous exposez est tout à fait éclairant et remarquable alors il m’est venu des
questions au cours de cette soirée, déjà sur ce schéma optique qui court tout au long du séminaire et qui pose
certaines énigmes.

Je vous proposerai la réflexion suivante, c’est que la toute première apparition du schéma optique dans ce
séminaire, c’est une reprise du schéma optique de Bouasse. C’est-à-dire que Bouasse mettait les fleurs dans
la caisse du bas et le vase au-dessus et Lacan a inversé les choses puisqu' il a mis les fleurs au-dessus et la
caisse contenant le vase en bas.

Alors on peut se demander quel est le dispositif suivi dans ce séminaire ? Il me semble que c’est, non pas le
schéma optique tel qu’il est traité dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » mais il prend pour
point de départ le schéma de Bouasse. C’est-à-dire que dans le schéma de Bouasse, il y a les fleurs qui sont
en bas, dans la caisse et apparaissent comme par magie, au niveau du col du vase en question. Donc le
phénomène optique, c’est que les fleurs éclairées fortement dans la caisse du bas, il faut un éclairage,
Bouasse précise quelle est, quelle sorte d’éclairage il faut pour produire le phénomène. Donc ces fleurs
vont, grâce à la propriété du miroir sphérique, ces fleurs vont réaliser, en haut, donc au niveau du col du
vase, une image réelle. Une image réelle, c’est-à-dire une image qui émet des rayons lumineux comme un
objet réel émettrait des rayons lumineux donc il n’y a aucune distinction possible sinon qu’il faut que l’œil
s’accommode à ce point et occupe une certaine portion de l’espace. Donc il faut une certaine condition, il
faut qu’une certaine condition soit réalisée. Alors si on veut traduire ce qui se passe dans ce premier
dispositif, les fleurs se sont les objets petit a dans le sens, disons, courant, dans le sens de Lacan mais dans
une première apparition, c’est-à-dire, comme tu disais, des morceaux de corps, des objets partiels qui
correspondent aux pulsions partielles. Il va le noter d’un petit a sur le bord du miroir sphérique et tout près
du sujet, dans la première position du sujet, c’est-à-dire qu'il nous explique que le sujet avec ce petit a
du sujet, ce sujet est très proche, au départ, du petit a mais il est, à la fois, très proche et très éloigné. Il nous
raconte comment ce sujet va caresser son objet petit a mais il en est radicalement éloigné. C’est là où
intervient le miroir plan qui va offrir au sujet une vue indirecte sur ce phénomène du schéma optique de cette
expérience de Bouasse, donc le sujet va avoir accès, non pas à une image réelle mais à une image virtuelle
qui est le reflet de l’image réelle dans le miroir plan. C’est très présent mais il n’a pas accès à ce qui est tout
proche de lui et il a accès, il doit passer par le spéculaire, par le miroir plan pour y avoir accès.

Valentin Nusinovici – Et pas accès à l’objet.

Marc Darmon – Pas accès à l’objet non sauf dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » où il y a
une bascule du miroir.

Valentin Nusinovici – Oui mais c’est parce que l’objet petit a, ce n’est pas tout à fait celui qu’on aura après.

Marc Darmon – Non mais il n’est quand même pas tout à fait étranger.

Valentin Nusinovici – Non, non, il n’est pas étranger non plus. Il n’est ni familier, ni étranger.

Marc Darmon – Oui. Alors il y a le grand I là que le sujet va rejoindre à un moment. Ce grand I, il faut
signaler que Lacan parlait du signe de l’Autre, du grand Autre dans je ne sais plus quel séminaire,
Les formations de l’inconscient, peut-être, il parle de l’idéal du Moi comme insigne de l’Autre.
Valentin Nusinovici – Oui, oui. Dans les « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » aussi.

Marc Darmon – Dans « Remarques sur le rapport de Daniel Lagache » aussi. Donc c’est avec une
disposition très particulière dans le schéma optique. C’est-à-dire que le sujet, pour avoir accès à l’illusion du
bouquet inversé doit se placer sur une ligne S barré grand I qui déborde le miroir plan. C'est-à-dire, il doit se
placer dans une position symbolique, c’est-à-dire qui est définie par le point de grand I, qui doit se définir
par rapport à la symétrie de ce point grand I dans un espace, qu’on va dire, symbolique qui déborde l’espace
du miroir plan. Alors ce n’est pas dit dans, je rassemble un peu les éléments, sur le miroir, sur le schéma
optique qui sont, sans doute, tout au long du séminaire et il ne faut pas oublier que le point de départ de
Lacan est particulier et différent. Je ne sais pas pourquoi je vous ai parlé de tout ça.

Valentin Nusinovici – C’était très bien.

Pierre-Christophe Cathelineau – Merci beaucoup et merci à tous. Bonne soirée.

Transcription Sophie Perrot

Relecture Érika Croisé Uhl, Dominique Foisnet Latour


L'Association lacanienne internationale
Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,
L'Angoisse

Mardi 16 novembre 2021

Président de séance : Valentin Nusinovici

Leçon 5, du 12 décembre 1962, présentée par Julien Alliot


Texte

Julien Alliot – Dans un article publié en mars 2020 dans la revue Harvard Business Review, le
psychiatre américain Jud Brewer s’intéresse à l’angoisse face au coronavirus. Dans une
approche phylogénétique, il décrit un processus mental en trois temps hérité de nos ancêtres :
d’abord, un élément déclencheur (nous voyons un tigre à dents de sabre), suivi d’un
comportement (nous fuyons), et d’une récompense (nous racontons cette histoire à nos enfants
et leur demandons d’éviter cette partie de la jungle). La peur, nous dit-il, nous aide donc à
survivre mais seulement si elle n’est pas associée à de l’incertitude, puisque l’incertitude,
explique-t-il, active les circuits de la peur dans notre cerveau. Il explique alors qu’il résulte de
cette combinaison entre peur et incertitude « quelque chose de très mauvais pour notre santé
mentale : de l’angoisse. »
En lisant cet article alors que je travaillais le leçon V du séminaire L’Angoisse, j’y ai
retrouvé plusieurs des enjeux de cette leçon. En effet, l’angoisse est ici dépréciée (elle est « très
mauvaise pour notre santé mentale ») en même temps que l’incertitude qui en serait à l’origine.
En guise de réponse à cette incertitude, Jud Brewer suggère de s’en remettre aux connaissances
apportées par l’imagerie médicale (et Lacan insiste sur cette notion de « connaissance » dans la
leçon) et de méditer pour diminuer l’activité des zones du cerveau affectées par la peur.
Dans la leçon V du séminaire, Lacan suggère une démarche un peu différente par rapport
à cette attitude qui consisterait à s’en remettre à la connaissance. Il propose au contraire une
« mise en question de la connaissance. » Cette mise en question confère au discours
psychanalytique « une certaine teinte » (p.79), dit-il, philosophique. C’est ce premier enjeu
épistémologique sur lequel j’aimerais insister pour présenter ma lecture de cette leçon.
Plutôt que de se précipiter sur une réponse, sur des connaissances, plutôt que d’ériger la
guérison en cause finale de la pratique analytique, Lacan invite à laisser résonner la question, à
se situer au niveau d’un « en-deçà de la connaissance ». Il s’inscrit ainsi dans le sillage de Freud
qui distingue d’un côté la conscience, bewusst, et de l’autre le savoir, qui (je cite) « laisse
ouverte la question de savoir d’où peut bien provenir l’existence de ce champ défini comme
champ de la conscience. »
Cette leçon fait écho à ce qu’a pu écrire Lacan sur la connaissance dans son texte de 1949
sur le stade du miroir, lorsqu’il parlait d’une « structure ontologique du monde humain qui
s’insère dans nos réflexions sur la connaissance paranoïaque » (Écrits, p. 93), ou bien de « la
dialectique sociale qui structure comme paranoïaque la connaissance humaine » (Écrits, p. 95).
Le geste de se précipiter vers des connaissances, de boucher le trou, d’avoir « horreur du vide »,
comme Lacan le dit à la fin de la leçon lorsqu’il évoque Pascal, n’est pas sans lien avec ce qu’il
décrit dans le « Stade du miroir [comme formateur de la fonction du je] » comme l’attrait exercé
par la « forme totale du corps ». En effet, le stade du miroir est présenté comme un « drame
dont la poussée interne se précipite de l’insuffisance à l’anticipation ». Autrement dit, il y a là
une réponse précipitée à l’angoisse de la situation de désaide, de Hilflosigkeit.
En mettant radicalement en cause la connaissance et en rappelant les conditions dans
lesquelles elle advient, Lacan s’attache dans cette leçon à éclairer les points aveugles, les erreurs

1
et les errements du Selbsbewusstsein, du « sujet supposé savoir » (p. 84), les « illusions » du
sujet « supposé transparent dans son propre acte de connaissance » (p. 84). Il en veut pour
preuve l’expérience commune du surgissement de l’étrange qui peut faire vaciller le sujet, du
« surgissement d’un inconnu comme éprouvé », dit-il (p. 85).
Ainsi, la psychanalyse reste le seul domaine à non seulement mettre en cause le désir de
connaître en même temps qu’elle ne méconnaît pas la structure paranoïaque de la connaissance,
à accueillir « toutes les questions (Lacan souligne) qui peuvent se poser. » La psychanalyse
prend en compte ce qui surgit dans l’angoisse, c’est-à-dire ce que Lacan décrit comme « ce
reste, ce résidu non imaginé du corps », « cette place prévue pour le manque », qui intéresse
pour autant qu’elle n’est « pas spéculaire » et qu’elle est « irrepérable ». Lacan va jusqu’à dire
que réaffirmer cette place prévue pour le manque, ce « moins phi », c’est là « dire quelque chose
non seulement de raisonnable mais de contrôlable ». Cet adjectif « contrôlable » m’a fait penser
à l’acception scientifique d’une expérience « contrôle », que l’on peut définir comme une
expérience non soumise à l’effet d’une variable. Subversif, Lacan reprend ici le vocabulaire
scientifique pour situer le « contrôle », le « raisonnable », les invariants du côté de la
psychanalyse et non plus de la science, comme pour mieux mettre en valeur cet objet que la
science, elle, a tendance à oblitérer.

Cette mise en cause de la connaissance, cette subversion qu’opère la psychanalyse, va


donc amener Lacan à un dialogue avec différents domaines scientifiques à propos de la question
de l’angoisse pour :
– Premièrement, faire valoir au sein de ces approches phénoménologiques les
points aveugles et y mettre au jour le champ du manque
– et deuxièmement : réhabiliter la dimension de tromperie, de leurre, et sa
dialectique avec les différents champs de la connaissance

C’est là, me semble-t-il, un deuxième enjeu épistémologique dans cette leçon : isoler ce
que Lacan appelle « les lignes de mire », les « points de maintien » (p. 81) qui font la spécificité
de la psychanalyse quant à la question de l’angoisse.
Il évoque par exemple avec Pavlov et ses successeurs la reproduction de l’angoisse « chez
l’animal dans le laboratoire ». Placé dans un dispositif expérimental déterminé qui le sollicite
d’une manière bien particulière, l’animal peut manifester un « déficit » de réponse possible. Ce
« déficit » apparaît lorsqu’aucune fonction ne peut répondre à la demande faite à cette fonction.
Le scientifique peut alors observer chez l’animal, dit Lacan, des « réactions névrotiques », une
« forme dite ‘angoissée’ » (p. 83). Le champ du manque est là bien présentifié. Mais notons
que Lacan utilise ici des adjectifs (« névrotiques », « angoissé ») plutôt que les noms
« névrose » ou « angoisse ». En effet, il y a certes dans ces expériences une certaine qualité de
l’angoisse qui apparaît, mais Lacan va souligner que ce travail élude quelque chose : le rapport
du sujet parlant à l’Autre, même si l’Autre est bel et bien présent dans l’expérience, en tant qu’il
en organise les conditions.
Autre exemple de la manière dont Lacan fait dialoguer différentes approches
épistémologiques avec la psychanalyse : l’analyse des phénomènes lésionnels par Kurt
Goldstein. Dans son ouvrage La Structure de l’Organisme, Goldstein a distingué ce qu’il
appelle le « comportement ordonné » (adapté à son milieu, procurant bien-être et sentiment
d’harmonie) avec la « réaction catastrophique », désordonnée, provoquant de l’angoisse. En
commentant cette « réaction catastrophique », Lacan insiste sur le fait qu’il y a apparition d’un
déficit qui place le sujet en situation de désaide, de Hilflosigkeit. Autrement dit, il y a un
surgissement du manque. Mais là encore, Lacan souligne une deuxième dimension dans cette
phénoménologie en plus de ce surgissement du « champ du manque », qu’il appelle la
« question posée [au sujet] dans ce champ », l’effet de la demande.

2
Dernier exemple, Lacan fait référence aux travaux de Ernest Jones, élève de Freud, sur
le cauchemar, là encore pour faire un pas de plus. Pour Jones en effet, « une attaque de
cauchemar exprime un conflit psychique relatif à un désir incestueux ». Le cauchemar a donc
partie liée avec le complexe d’Œdipe. Lacan ne dit pas le contraire, mais reformule ainsi :
« l’angoisse du cauchemar est éprouvée à proprement parler comme celle de la jouissance de
l’Autre ». Comme dans la symptomatologie de l’angoisse, il y a dans le cauchemar sensation
d’écrasement de la poitrine. Cet écrasement se produit sous l’effet d’une « jouissance
étrangère », dit Lacan. Mais ce que Lacan va souligner, c’est le fait que cet être (succube ou
incube) qui « pèse par sa jouissance » est aussi un être « questionneur », qui met le dormeur à
la question. Ce que Lacan met donc en avant par rapport à Jones, c’est la dimension de la
« demande de l’Autre », la question de l’Autre, et même l’énigme, en tant que cette énigme
précède l’Œdipe. Autrement dit, une question vient de l’Autre au sujet, sous la forme d’une
énigme. On entend déjà ici l’implication pratique de cette observation, puisque cette énigme
posée à chacun est susceptible de donner lieu à un travail autour de la demande, et pourquoi pas
d’ouvrir à la dimension du désir.

Pour terminer, je souhaiterais insister sur un dernier point : le fait qu’à ce dialogue
épistémologique est étroitement articulé un enjeu éthique qui court dans toute la leçon. Si
comme le dit Lacan, « la psychanalyse, sur le plan théorique, met en cause le désir de
connaître », quelles sont les incidences pratiques d’une telle subversion ?
Face au phénomène de l’angoisse, il est une dimension trop souvent éludée selon Lacan,
qui est celle du grand Autre, en particulier dans les trois points de repère qui conditionnent le
rapport à l’angoisse et que Lacan liste : la demande de l’Autre, la jouissance de l’Autre, et
surtout « le désir de l’Autre ». C’est là, nous dit Lacan, que l’analyste « intervient comme
terme », dans le « texte de l’expérience que nous interrogeons » (p. 82). Il y a donc lieu de
préserver ce rapport déterminant à l’angoisse, qui comme nous l’avons vu a toujours partie liée
avec l’Autre, puisque c’est là que le psychanalyste trouve sa place et son efficace. Mais dans
quel but ? S’agit-il de remédier à l’angoisse, comme le préconise le psychiatre américain Jud
Brewer, puisque d’une certaine manière, il ne me semble pas faux de dire qu’elle peut
effectivement être « mauvaise pour notre santé » ? Ou s’agit-il de cultiver cette angoisse en tant
qu’elle fait valoir la dialectique du sujet avec l’Autre ? Mais jusqu’à quel point ?
Évoquant le but de l’analyse, Lacan préfère à la « guérison » du symptôme la formulation
suivante : « notre justification comme notre devoir est d’améliorer la position du sujet » (p. 80).
Ainsi, contrairement à « l’abord objectif du problème de l’angoisse » (p. 81) dans le registre
expérimental, que serait un abord qui tiendrait compte de la subjectivité du sujet parlant, qui se
laisserait guider par ce que Lacan appelle « le plan de la vérité » (p. 80) sans nécessairement
chercher à faire du sujet un sujet connaissant ?
Ce serait peut-être un abord qui tiendrait compte de la dimension du signifiant, de la
dimension de leurre et donc de jeu que ce signifiant implique. Car, nous dit Lacan, le sujet se
révèle lorsqu’il fait des « traces faussement fausses » (p. 90), ces traces étant, qui plus est,
adressées dans des demandes comme celles du névrosé qui sont de « fausses demandes ». À ces
fausses demandes, il ne s’agit pas d’apporter de réponse comblante, mais bien de préserver la
place du vide, de ne pas céder comme les savants de l’époque de Pascal à l’« horreur du vide ».
Car cette place du vide, qui se manifeste dans l’expérience de l’angoisse, a une fonction
« structurante ». Elle est précieuse, en ceci que cette place du vide dit quelque chose de la
structure du sujet, de son rapport à l’objet, et de son inscription dans le langage.
Voilà les points qu’il m’a paru intéressant de souligner ce soir en vous proposant ma
lecture de la leçon, informée par le travail fourni dans le groupe de lecture du lundi animé par
Solveig Buch. Je vous remercie.

3
L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,


L'Angoisse

Mardi 16 novembre 2021

Président de séance : Valentin Nusinovici


Leçon 6, du 19 décembre 1962, présentée par Bernard Vandermersch
Texte

Je retiens deux propositions de Lacan dans cette leçon :


L’angoisse est encadrée – le fantasme est encadré et donc pose la question du cadre.
– Préliminaire :
L’angoisse névrotique est encadrée. Est-ce que la détresse, l’Hilflosigkeit, l’est ? L’Hilflosigkeit
de Freud entendue comme l’état promis à la mort d’un nouveau-né sans secours ne semble pas
l‘être avant qu’apparaisse la figure encadrée du prochain secourable. Dès cet instant, selon
l’Esquisse, apparaît une séparation, sinon un cadre, entre un noyau fixe, das Ding, et une partie
variable. Mais le schéma vaudrait tout autant pour un petit animal.
Avec Lacan, ce prochain secourable parle et introduit dans le futur sujet un monde langagier
structuré autour d’une faille. Une faille le plus souvent déjà bordée par l’éclat phallique. À la
détresse devant la menace de la mort physique annoncée par une tension croissante puis
décroissante au niveau du corps, se substitue l’angoisse du futur sujet devant l’énigme du désir
de l’Autre : Che vuoi ? Cette superposition de l’angoisse à la détresse est propre à faire
confusion entre mort du corps et aphanisis du sujet par le signifiant. Dans le séminaire, Lacan
montre que l’angoisse est passage obligé entre jouissance et désir.
Lacan insiste sur le cadre du fantasme dans lequel va apparaître l’angoisse. De quoi est fait ce
cadre ? L’angoisse, comme le fantasme sont-ils toujours encadrés ? La faille dans l’Autre que
recouvre le fantasme est-elle toujours encadrée ? Cette faille est-elle toujours bordée ? Qu’en
est-il de l’angoisse, phénomène de bord, si cette faille n’apparaît plus encadrée ?
Ces questions sont sous-jacentes au souci de nombreux analystes concernant le cadre de la cure
et son aménagement selon les structures. C’est en effet par l’inhabituel ou l’inhabitable du cadre
de la cure que se signale la psychose, mais aussi d’autres positions subjectives comme dans la
psychosomatique. Je pense à Joyce qui évoque une vue de la ville de Cork dont le cadre est en
liège (cork).
– Voyons dans cette leçon ce qui implicitement ou explicitement concerne le cadre :
Lacan réfute d’abord l'objection qu'on pourrait lui faire d'entretenir deux « rapports avec lui
» sous-entendu incompatibles avec ses analysants : dans la séance et au séminaire. Il évoque
« une limite où le contrôle externe s'arrête ». Son idée est d’opérer un « lavage de cerveau » et
permettre à ceux qui participent de ces deux positions de mieux lire. En tout cas ces deux
rapports, « celui où l'on m'entend et celui où de moi l'on se fait entendre », sont encadrés :
Dans la cure, il y a le fantasme de l'analysant qui structure son symptôme. Au séminaire, il y a
celui de Lacan mis au travail de sa déconstruction.
Un analysant peut d'ailleurs alimenter la recherche du séminaire au prix d'une inflation
passagère de son narcissisme : « Tu as été cité au séminaire ! ». Un analysant lui rapporte une
remarque de Ferenczi :
« Le développement de la sexualité génitale, dont nous venons chez l’homme mâle de
schématiser les grandes lignes, subit chez la femme…eine meist ziemlich unvermittelte
Unterbrechung, une interruption meist le plus souvent ziemlich assez unvermittelte sans
médiation, non négociée, sans intermédiaire. Cette interruption est caractérisée par le
déplacement de l'érogénéité du clitoris (pénis féminin) à la cavité vaginale. L’expérience
analytique nous incline cependant à supposer que, chez la femme, non seulement le vagin mais

1
aussi d’autres parties du corps peuvent se génitaliser nach Art der Hysterie à la façon de
l’hystérie en particulier le mamelon et la région qui l’entoure. »
Autrement dit, pour Ferenczi, ce déplacement du clitoris au vagin est équivalent à tout autre
mécanisme hystérique. Ce qui peut surprendre à deux titres : 1) l’accès à une génitalité aboutie
serait un fait hystérique, 2) ce déplacement consiste à quitter une zone hypersensible pour
occuper un lieu qui dans ses trois-quarts supérieurs est strictement insensible au toucher et à la
chaleur.
Ceux qui s’intéressent aux fantasmes de Lacan, après son « lavage de cerveau », ne manqueront
pas de relever cette idée intéressante de « déverser [dans un vagin] des déluges d'eau
brûlante... » (idée qui pourrait faire regretter la disparition du flot urinaire de la liste des objets
a).
Relevons plutôt l’occasion qu’il y prend de résoudre une difficulté de la théorie génétique de la
psychanalyse devant l'hystérie : est-elle le stade le plus précoce (névrose la plus primaire) ou le
plus tardif (névrose la plus avancée de l'achèvement génital). Il n’y a pas lieu de s’étonner que
c’est en un lieu vide et insensible que la physiologie offre son point fonctionnel le plus favorable
au désir génital si l’on prend un point de vue structural et qu'on reconnaît « la fonction
essentielle de la place du blanc, la place du vide » pour tout désir (quel qu’en soit le stade). Ce
vide n’est pas l’apanage du vagin. Il est structural mais, dit Lacan, « il y a obstacle à ce que
nous le voyions directement ». Pour le voir il faut faire un détour nécessaire par l'angoisse.
Laquelle est encadrée.
– Un miroir a des limites (p. 101)
Est-ce que les limites du miroir A dans le schéma optique sont celles du fantasme ?
Autour du miroir : rien de visible. Un premier manque à voir entoure le cadre. Dans le cadre du
miroir se cache un autre manque : l'œil ou le regard qui organise le tableau est absent du tableau
(dans le schéma optique).
(Note B. V. : La constitution du fantasme ce serait l’identification entre le bord quasi ponctuel
du regard absent au-dedans et le bord du vide extérieur au cadre : cross-cap.)
Par cette opération naît l’illusion d’un monde réel sans contours et la dévalorisation
conséquente de toute image faite par l’homme : « L’image parfaite est sans contour » aurait
écrit Lao-Tseu dans le Tao-Te-King1. Autrement dit : elle n’existe pas. C’est une des raisons
pour laquelle de nombreuses traditions portent suspicion sur l’image. Le cross-cap est la
structure du fantasme névrotique selon Lacan. Il n’est apparemment pas bordé mais il contient
un bord interne masqué qui va se révéler, en même temps que son hétérogénéité, au-delà de
l’angoisse, par le cauchemar, le passage à l’acte et l’acting-out.
Cependant, d’être sans contours n’implique pas que ce soit un plan projectif (cross-cap). Ce
peut être un plan infini, une sphère, un tore etc. L’objet a y prendrait d’autres aspects.
– L'angoisse est encadrée parce que le fantasme lui-même est encadré et que l’angoisse en
révèle le cadre :
Lacan dit (p. 102) que, dans le fantasme qui apparaît encadré dans les fenêtres du rêve de
l'Homme aux loups, « vous y reconnaîtrez, sous ses formes les plus diverses, la structure qui
est telle que ce que vous voyez ici dans le miroir de mon schéma [optique] ». Ce n’est pas tout
à fait exact puisque dans ce schéma l’objet a n’apparaît pas. Dans Remarque sur le rapport de
Daniel Lagache Lacan introduit un mouvement de bascule du miroir pour que se livre le ressort
de l’illusion du fantasme, laquelle se dissipe crûment dans le rêve de l’Homme aux loups.
Deux aspects structuraux du fantasme apparaissent dans ce rêve :
Le premier : Le fantasme est encadré : le fantasme recouvre la fente dans l’Autre qui est une
des apparitions du réel. Mais ça n’apparaît que dans des épiphanies singulières comme le
cauchemar.
Le deuxième : Il est hétérogène, fait d’un support plus un objet que Lacan va imager par son
vase troué complété d’un cross-cap. (P.103).

1
D’après Abdelwahab Meddeb, Contre-prêches.

2
L’Homme aux loups : arbre et loups qui regardent.
Lacan associe alors sur le dessin d’une schizophrène fait également d’un arbre mais où des mots
remplacent les regards pour écrire : « Io sono sempre vista » : « Je suis toujours vue ». Lacan
rappelle que vista, c’est aussi une vue, au sens de la carte postale. Il y a plusieurs différences
entre le cauchemar de l’Homme aux loups et le dessin de cette jeune femme :
Pour elle c’est sempre, dans la vie ordinaire, et non pas subitement, dans un cauchemar et dans
l’encadrement d’une fenêtre.
Ensuite ce n’est pas une irruption de regards dans l’image mais des mots qui disent que son être
se réduit en permanence à un objet de jouissance de l’Autre. Cet état permanent ne peut être
qualifié d’Unheimliche, car l’Unheimliche suppose un Heimlich or elle semble plutôt souffrir
de la perte de son Heim.
Il va se poser un problème dans la suite du séminaire de distinguer cette hétérogénéité du
fantasme ($  a) de celle de l’image spéculaire entre i () et a. C’est une question clinique
cruciale.

– L'Unheimliche est encadré mais ce n’est pas par l’attente de sa survenue. « Soudain ce qui ne
se dit pas (Man darf nicht) va se dire (Man kann). Le rideau va se lever et lever le petit moment
d’angoisse qui précède. « Allons-nous dire que je sollicite l'encadrement de l'angoisse dans le
sens de la ramener à l'attente, à la préparation, à un état d'alerte ? » ... « Ce qui va arriver, on va
bien le recevoir. ».
« C'est l'Erwartung, la constitution de l'hostile comme tel, c’est le premier recours au-delà de
l'Hilflosigkeit, la détresse. ». « Mais l'angoisse est autre chose ». « L'attente peut servir
d'encadrement mais « pour tout dire pas besoin de cette attente, l'encadrement est toujours là ».
(p.104). Le cadre ne serait donc pas lié essentiellement à une disposition préalable de la
conscience. Il serait de toute façon là puisque notre réalité elle-même est encadrée.
– Une difficulté du texte.
L'angoisse « c'est quand apparaît dans l'encadrement ce qui était déjà là, à la maison, Heim »
Mais qui était déjà là ? Quel hôte2 ? Quel hôte hostile ? Ce n’est pas, semble-t-il, de cet hôte
hostile qu’il s’agit. Car celui-là est déjà passé par les tamis de la reconnaissance.
C’est le surgissement de l’Heimlich (p. 105, ou plutôt du Geheimnis, resté unheimlich) dans le
cadre qui est le phénomène de l’angoisse.
« Ce qui est de l’Heim, du Geheimnis n’est jamais passé par ces détours, par ces réseaux par
ces tamis de la reconnaissance, il est resté unheimlich, moins inhabituable qu’inhabitant, moins
inhabituel qu’inhabité ».
(Note B. V. : Quelle sorte d’objet non pas rare mais « inhabitant et inhabité », hors de tout
habitus, i.e. de toute façon de paraître, peut donc surgir ainsi ?)
Une patiente me raconte : « Ma fille ouvre la valise personnelle où elle range ses vêtements de
sport : Cri, recul de trois mètres, appel au secours ! Un tout petit escargot est accroché à la paroi
interne de la valise. Je lui dis : « Arrête, ce n’est qu’un escargot ! Si encore c’était un serpent,
je comprendrais ! »
Pour la patiente, c’est sûr, l’escargot avec sa petite maison sur le dos est tellement passé par les
tamis de sa reconnaissance qu’il est sympathique. Le serpent aussi y est passé, mais lui reste
hostile, trop près du Geheimnis, du secret non-sens du sexuel, de la coupure qu’occupe en
urgence un regard phallicisé.
L’escargot c’est le surgissement soudain de l’objet a qui a répondu pour le sujet lui-même au
Che vuoi ? et cela par un des objets de jouissance propres à se détacher d’un orifice du corps.
En fait c’est l’objet a encore dans sa coquille mais qui pourrait surgir. Il est déjà-là lové dans

2
Hôte vient de hospes, itis, lui-même contraction de hostis-ipse, l’ennemi lui-même. En fait, ce n’est pas à
proprement parler l’ennemi mais l’étranger (et donc éventuellement ennemi) soumis à une loi d’hospitalité
réciproque.

3
l’escargot qui, lui, est plus ou moins apprivoisé dans le monde interprété mais c’est d’apparaître
unvermittelte dans le plus intime que la menace s’allume dans le moi.
L’angoisse n’est pas sans objet, elle « a une autre sorte d’objet que toute appréhension structurée
par la grille de la coupure, du sillon du trait unaire, du « c’est ça », qui toujours, en opérant, si
l’on peut dire, ferme leur lèvre. » …
« La lèvre ou les lèvres de cette coupure deviennent lettre close sur le sujet, pour, comme je
vous l’ai expliqué la dernière fois, le renvoyer sous pli fermé à d’autres traces.
Les signifiants font du monde un réseau de traces, dans lequel le passage d’un cycle à l’autre
est dès lors possible. Ce qui veut dire quoi ? … Le signifiant engendre un monde, le monde du
sujet qui parle dont la caractéristique essentielle est qu’il est possible d’y tromper. »

Le cadre contient donc un monde interprété, i.e. fait d’un tissu signifiant et de signifiés
stabilisés. Dans ce monde il est possible de tromper grâce à cet objet a hors signifié qui fait
pivot, aiguillage aux chaînes signifiantes. Mais ce même objet a, Lacan l’assimile à ce roc de
la castration dont parle Freud. (Leçon VIII). Parce que lui, ne trompe pas, non pas qu’il dise la
vérité mais que le sujet ne puisse nier que là, il est concerné. Il est remarquable que son
surgissement dans le cadre soit aussi le surgissement du cadre lui-même. Ce qui identifie le
bord du miroir à ce qui n’apparaît pas dans l’image.
(Note B. V. : Une question récidivante : cet objet qui menace de surgir aussi bien dans le monde
interprété que dans mon image spéculaire est-il le même hors des névroses ?)
Un homme raconte que dans son enfance, fouillant dans le grenier, il trouve une malle. Il l’ouvre
et découvre des vêtements de bébé moisis qui sentent horriblement la pourriture. À l’âge adulte
après des épisodes de rupture répétant les abandons de l’enfance, il fait un délire qui oscille de
la paranoïa à la mélancolie : de « on m’accuse » à « je répands de mauvaises odeurs ». Il finira
par se suicider. Le cadre ne tient pas. L’objet ne répond pas pour maintenir dans l’invisible le
désir du sujet : le sujet s’y est réduit et inclus
– L’angoisse n’est pas un sentiment.
Cet abord structural de l’angoisse, en faire « cette coupure même sans laquelle la présence du
signifiant, son fonctionnement, son entrée, son sillon dans le réel, est impensable », permet de
dire que l’angoisse n’est pas un sentiment mais un « pré-sentiment, d’avant tout sentiment ».
(p.105) Distinguons l’affect qui ne trompe guère du senti-ment.
L’angoisse est ce qui ne trompe pas, le hors de doute. Le doute « obsessionnel », apparemment
angoissant n’est fait que pour la combattre. (Cf. le climatoscepticisme non scientifique).
La sortie de l’angoisse se fait par l’acte, c’est-à-dire une sortie du cadre, en éclipse ou parfois
définitive.
« Agir c’est arracher à l’angoisse sa certitude », ce qui veut dire que l’action soulage de
l’angoisse tout en lui volant sa certitude. Sans doute faut-il distinguer. L’acting-out évite
l’angoisse, alors que le passage à l’acte la résout… momentanément ?

Un dernier mot : Lacan rappelle que le désir et la loi c’est la même chose : c’est une seule et
même barrière contre l’accès à la Chose. Autrement dit le cadre de la loi est le même que celui
du désir et préserve de l’invasion de l’Autre.

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L’Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d’été 2022 : Étude du séminaire X de Jacques Lacan,


L’Angoisse

Mardi 07 décembre 2021

Leçon 7, leçon du 9 janvier 1963


Christian Fierens
Texte

1) Partie gauche et partie droite


2) Qu’est-ce qui fait passer de gauche à droite
3) En jeu dans le transfert
4) Et la topologie

1) L’incidence du narcissisme égal le schéma optique égal le signifiant


a) L’étoffe de toute pratique psychanalytique suppose la structure de la réceptivité et de la
rencontre. Cette structure est donnée par Freud dans son introduction au narcissisme par le Moi :
le Moi ne se réduit aucunement à une enveloppe faisant l’unité imaginaire, ce n’est rien d’autre
qu’un développement, un devenir, c’est-à-dire du temps qui survient.

Ce temps comme tendu entre une rétention, ce qui nous viendrait comme du passé et une
protension, l’art de faire des projets, ce qui porte vers du futur. La question « que suis-je ? que
vaux-je ? » est présente dès le début de la vie. Et elle a toujours pour schéma : il y a quelque
chose de donné, déjà projeté (qui vaut comme un vase, morceau de sphère, plein d’imaginaire)
qui ouvre une projection vers le futur (qui implique la structure du cross-cap). Du côté strict du
Moi perplexe devant son propre devenir : il y a dans le passé un germe de perfection passée (his
majesty the baby), c’est le moi idéal et à partir de cela, que puis-je m’offrir comme perspective
future, comme idéal du moi.

1
Ce devenir a commencé avant le Moi, c’est le mouvement inhérent au ça qui suppose la même
structure de rétention et protention : le Moi ne peut devenir que dans cette structure du Ça : Wo
Es war soll Ich werden.

b)

Lacan développe cette structure narcissique dans son schéma optique : à gauche (du côté du
passé) i(a), qui vaut comme le moi idéal, rassemblant dans l’unité du vase toutes les parties du
corps morcelé par le truchement du miroir sphérique. À droite (du côté du futur) i’(a), qui a

2
déjà la structure de la bande de Mœbius, la répétition de i(a) par le truchement du miroir plan
du grand Autre, qui bascule et s’escamote : entre A et S de grand A barré
c) Le signifiant est (…) pour un autre signifiant. L’incidence du signifiant suppose un devenir,
un auto-développement. Le « signifiant doit s’incarner » (p. 104), dans « notre corps » et celui-
ci se joue dans l’expérience du miroir. Traduisons : le signifiant s’incarne dans le
développement du moi (Freud) ou dans le schéma optique ou des deux miroirs (Lacan).
On peut entendre « un signifiant pour un autre signifiant », comme S1 le moi idéal pour S2
l’idéal du moi ; ou encore, dans le schéma des deux miroirs, S1 la partie gauche du schéma pour
S2 la partie droite.

2) Comment se fait cette différence entre S1 et S2, S1 pour S2 ? Cette « mue », cette
« transformation » ?
La transformation implique l’objet a dont il est dit : « l’angoisse n’est pas sans objet ».
Tant qu’on reste dans le champ du moi idéal (partie gauche et sphérique du schéma optique),
on reste dans une identification spéculaire, y compris dans le transitivisme, où mon image vaut
celle de mon semblable et réciproquement. Dans ce champ (partie gauche et sphérique du
schéma optique), les objets peuvent appartenir « à moi ou à toi » (p. 107), on peut partager les
objets. Ils sont échangeables dans une logique de sacs sphérique. Quand ils se montrent comme
non échangeables, « quand ils entrent en liberté »… nous avons l’objet a.
« L’angoisse nous signale la particularité de leur statut » (p. 108).
a) la différence moi idéal/idéal du moi : l’idéal du moi ne peut être la simple répétition
imaginaire du moi idéal. Il contient en lui-même un trou (qui peut malheureusement être comblé
par l’imagination d’un leader, d’un Führer, d’un grand Autre bien consistant). Pour faire passer
le moi idéal à l’idéal du moi, il faut le vider de tout son contenu imaginaire, sans quoi l’idéal
du moi n’est que la reproduction du moi idéal, tout comme le surmoi féroce et méchant n’est
que la reproduction des interdits (il n’acquiert sa force de « jouis » que par le vidage de tout
contenu imaginaire).

b)

3
de i(a) à i’(a), il faut la bascule du miroir plan, le grand Autre, la mère qui se retourne sur
l’enfant. C’est l’incidence de S de grand A barré au cœur même de l’incarnation de A. Le regard
qui n’est pas l’œil de Dieu qui voit tout, mais qui implique l’absence de réponse. L’échec radical
de tout ce qui pourrait se prétendre résumer les conditions générales de l’expérience disons
« normale ».

c) entre S1 et S2, ce qui se joue c’est une épuration de tout imaginaire ; S2, c’est le signifiant
barré de tout signifié, sans sens, pas de sens ; et c’est cette absence de sens, qui est le seuil
d’entrée pour un sens nouveau : pas de sens, passage du sens.
Toutes ces différences n’apparaissent que par le rien absolu au cœur de l’objet [comme] l’objet
a, entendu d’abord dans sa forme vocale.
La couleur préférentielle – entendons la sexualité – se situe chaque fois du côté droit : de l’idéal
du moi, de i’(a), de S2. Comment ? « Par le branchement de l’investissement érogène originel
qu’il y a ici en a, présent et caché à la fois » (p. 110). C’est la place de l’angoisse.
Du côté gauche, moi idéal, i(a), S1, nous avons un « encadrement de l’objet », coincé dans un
espace ferme sphérique. Tout est canalisé, plus rien ne bouge. C’est la place de l’inhibition.
Lacan a placé l’inhibition, le symptôme et l’angoisse dans un tableau dont les deux axes sont
le mouvement et la difficulté. L’inhibition tient dans la case où le mouvement est minimal et
où la difficulté est minimale (la position statique ne fait pas de difficulté). L’angoisse s’anime
dans la case où le mouvement est maximal et la difficulté maximale. Quel est ce mouvement ?
Quelle est cette difficulté ?
La difficulté est que l’angoisse ne correspond pas au fonctionnement du principe de plaisir et à
son corollaire le principe de réalité. Freud l’a senti lorsqu’il délaisse sa première conception de
l’angoisse (comme transformation automatique de la libido refoulée en angoisse) pour sa
seconde (l’angoisse comme signal, c’est-à-dire déjà dans la structure du signifiant lacanien qui
implique la pulsion de mort et le principe de jouissance). L’angoisse implique que tous les
repères centrés sur le plaisir et la réalité défaillent. C’est la survenue de l’objet a comme rien
radical, comme vocal, qui invite et oblige à inventer. Qui invente ? Non pas tel ou tel agent,
mais bien l’insu et c’est toute la force motrice de l’inconscient : c’est le maximum de
mouvement et c’est de là que s’aile l’amour (s’aile à mourre).

3) Le transfert
« Le transfert n’est pas la répétition », ou la projection de situations, de sentiments vécus
antérieurement. « À force d’insister sur l’élément historique (et diachronique), sur la répétition
du vécu », on oublie la dimension synchronique » (p. 110), qui implique la fonction de l’objet
a.
Le psychanalyste tient la place de l’objet a, mais pas de n’importe quelle manière. C’est la place
du vide, du rien absolu, à partir duquel surgit et s’invente le désir, l’amour en tant
qu’improbable, jailli de l’impossible. Ce n’est pas la répétition de l’amour, c’est le surgissement
de l’amour à partir de l’impossible, du rien : il y a la main qui se tend vers la bûche, mais surtout
« dans la flamme une autre main apparaît, qui se tend vers la première » (p. 111). Dans la
métaphore, nous avons le rien (a-t-on jamais vu une main surgir d’une bûche ?), et le
surgissement et l’invention du désir. C’est ce qui se joue dans le transfert (« la dimension
synchronique du transfert »). C’est dans ce surgissement que se créent véritablement à la fois
l’analysant et l’analyste.
Ce surgissement n’est pas un événement particulier dans la diachronie de la vie ou de l’analyse
de l’analysant. Il est potentiellement là depuis toujours – Freud dirait depuis la plus jeune
enfance (la scène primitive de l’Homme aux loups par exemple) – c’est l’événement par
excellence toujours là (c’est pourquoi Lacan parle de la dimension synchronique) et la vraie

4
fonction de l’analyste est de lui donner toute la place. C’est le statut éthique de l’inconscient.
C’est centrer la psychanalyse sur le principe de jouissance (et non sur le plaisir-déplaisir ou la
réalité).
Si l’analyse selon Freud bute sur le roc de la castration, c’est un roc qui a grandi – erwachsene
Feld – en une théorie et pratique faussées dans le sens de la dimension diachronique
d’explication et d’interprétation dépendant d’un grand Autre supposé savoir. L’introduction de
l’objet a – dans sa forme vocale – à la place vide de l’Autre S de grand A barré donne à l’analyse
la force du faire (et non de l’expliquer dans un savoir cumulatif) et cet objet a vocal devient un
point de relance pour l’invention de l’inconscient.
La pratique proprement lacanienne est une façon de se situer, de recevoir et d’agir avec ce qui
se présente dès le premier moment de la cure et de la séance. Ça suppose de lâcher le savoir
explicatif et interprétatif pour le degré zéro du savoir. Le psychanalyste doit savoir ignorer ce
qu’il sait pour ouvrir l’invention de l’inconscient dans son mouvement d’approche,
d’approximation, de voisinages. C’est un mouvement tournant topologique.

4) La topologie du cross-cap et de l’objet a, qui constitue la dernière partie de la leçon ne fait


que reprendre tout ce que je viens de dire :
a) le moi idéal, i(a), S1 fonctionne comme une collection d’imaginaires enfermé dans un vase,
c’est-à-dire un morceau de sphère,
b) si l’on bouche le col du vase par un morceau de plan projectif ou un cross-cap, c’est ce qui
se fait dans le transfert : on suppose déjà l’objet a et toute la structure se transforme en plan
projectif,
c) une coupure en huit intérieur de ce plan projectif différencie deux parties : la bande de
Mœbius (ou le sujet barré) et un morceau de surface bilatère (l’objet a).

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L'Association lacanienne internationale
Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,
L'Angoisse

Le Mardi 07 décembre 2021

Président de séance : Marc Darmon


Leçon 8 présentée par Christine Robert
Texte

Lacan débute cette leçon en nous disant que l’angoisse est « la seule traduction subjective de
l’objet a comme cause ». Autrement dit l’angoisse est une modalité fondamentale de notre
rapport au Réel, modalité recouverte la plupart du temps par la fonction de la reconnaissance.
Il part du malentendu concernant ce qu’il convient d’appeler l’objet du désir dans le champ
philosophique, malentendu porté à son point extrême avec le dégagement de la fonction de
l’intentionnalité par Husserl, où cet objet serait celui du monde d’un sujet conscient tourné vers
l’idéal. Par rapport à cela la psychanalyse a quelque chose à dire de sorte que Lacan pose cette
question majeure : « Est-ce que l’objet du désir est en avant » comme i’(a), ou bien n’est-il pas
à rechercher « derrière le désir » ? C’est par cette question topologique que Lacan va introduire
dans cette leçon, de façon explicite, l’objet a comme cause du désir.
Cette topologie est déjà présente chez Freud dans ses formulations concernant la pulsion où le
but et l’objet de la pulsion sont repérés à des places différentes. Freud s’appuie sur la différence
entre extérieur et intérieur du corps : l’objet comme situé à l’extérieur du corps et la satisfaction
de la tendance comme intérieure au corps. Mais pour résoudre cette impasse il faut considérer
la notion d’un extérieur – corps morcelé où l’on « manque à soi-même » –, avant
l’intériorisation que représente la constitution du Moi au stade du miroir. C’est à cet extérieur,
i(a), lieu de l’objet, qu’appartient la notion de cause. En résumé a se situe dans la partie gauche
du schéma optique, à l’encolure de i(a), donc extérieur au Moi i’(a), la partie droite du schéma,
avant d’être intériorisé, en tant que manque, dans l’image spéculaire.
Pour imager cette topologie Lacan évoque le fétiche, la petite chaussure par exemple qui n’est
pas l’objet désiré mais l’objet qui cause le désir, et il suffit qu’il soit présent aux environs de
celle qui est désirée. L’important c’est que le fétiche soit présent et ensuite le désir s’accroche
là où il peut.

Après ce retour à Freud, Lacan va tenter de nous faire « bien entendre » ce dont il s’agit, à
savoir de changer nos habitudes mentales, de changer d’esthétique transcendantale, puisque,
nous dit-il « là où vous dites je, c’est là qu’au niveau de l’inconscient se situe a. » Or c’est cela
qui est intolérable, cette articulation du Réel du sujet dans l’Autre, impossible à reconnaître
sauf peut-être dans l’acte assumé.

Donc Lacan en arrive au deuxième point de la leçon : « se reconnaître comme l’objet de son
désir c’est toujours masochiste », dit-il ; formulation qui n’est pas évidente à lire même si Lacan
nous fait d’abord passer par un éclairage sur les tentatives du désir sadique et du désir
masochiste, désirs qui se jouent toujours sur une scène, dans un scénario. On a là des remarques
cliniques très intéressantes : sadisme et masochisme ne sont pas des positions d’agression
réversibles, mais ce que leur structure fait apparaître c’est qu’il s’agit chaque fois de rechercher

1
moins la souffrance de l’autre que son angoisse : recherche de l’angoisse de l’Autre, se faire
objet consistant pour venir boucher la faille dans l’Autre et le rendre, à son tour consistant, sauf
que :
– Le sadique ignore que c’est ce qu’il cherche, se faire le fétiche noir, se faire apparaître comme
pur objet, sous une forme éventuellement pétrifiée comme en rend bien compte le portrait de
Sade par Man Ray. Le sadique met hors champ l’objet a et ses incidences et c’est là que se situe
l’affinité de la position sadienne avec celle de Kant qui par sa loi morale « tu dois donc tu
peux » met également hors champ l’objet a.
Un petit schéma vient représenter comment le désir sadique, cherchant à susciter l’angoisse de
l’Autre, introduit une schize chez le sujet en court-circuitant la fonction du fantasme par un
court-circuit du poinçon, en introduisant à la place un scénario, un autre bord Imaginaire/Réel
qui défait la nodalité, qui disjoint les éléments du sujet.
– Le masochiste, contrairement au sadique, sait, lui, qu’il cherche à se faire apparaître comme
pur objet mais le ratage c’est qu’il ne peut se saisir que comme objet d’échange, comme
marchandise, comme objet dans le champ des représentations, puisqu’il ne peut se saisir comme
objet a, comme manque.
C’est là que Lacan nous dit que « se reconnaître comme objet de son désir c’est toujours
masochiste ».
Fait-il référence à une position masochiste de structure dans l’analyse qui serait la
reconnaissance par le sujet de sa prise dans le champ de l’Autre, au niveau du corps et du
langage, autrement dit reconnaitre qu’il a été objet pris dans la jouissance de l’Autre ? C’est
une question.
Lacan poursuit en nous disant que le masochisme évoque le poids du Surmoi qui peut être mis
en fonction d’objet cause. Mais soyons prudents, dit-il, avant de l’inscrire au catalogue des
objets a, évitons la liste des contenus, le risque de positivation déclencheur de l’angoisse.
L’objet a c’est un objet dangereux, c’est un manque.
Lacan va embrayer sur ce qu’il avait déjà avancé dans la leçon VI, à savoir que le désir et la loi
c’est la même chose, « ils sont une seule et même barrière, la barrière de l’accès à la chose » ;
mais c’est en tant que la loi interdit la mère qu’elle impose de la désirer et que pour tout dire
« on désire au commandement » : voilà ce que veut dire le complexe d’Œdipe dont l’effet est
le complexe de castration, au moment « où la loi naît par cette mue, mutation mystérieuse du
désir du père, après qu’il ait été tué ». C’est-à-dire qu’après le mythe du meurtre du père, le
signifiant « père » vient s’articuler à quelque chose qui a force de désir.
Or quand le Surmoi fait la loi, nous sommes dans une forme dépréciée du complexe de
castration – c’est-à-dire du moins phi – et pour tout dire dans une forme dépréciée de petit a
puisque c’est moins phi qui ménage la place et la fonction de a.

On arrive ensuite au troisième point de la leçon qui concerne la possibilité des manifestations
de l’objet a comme manque.
Le névrosé tâchant d’essayer de se reconnaître comme objet de son désir, cherchant à lire dans
l’Autre de quoi il retourne, ne rencontre que X, la place vide au-dessus de i’(a), le manque qui
fait tenir l’image spéculaire. C’est à cette place vide, pas sans lien avec « le plus lointain », le
refoulement originaire, que se structure l’agalma. Ce qui est visé dans le transfert c’est cette
place vide, lieu de l’agalma, et c’est souvent cette dimension qui est négligée.
Cette place vide est cernée par un bord, bord du miroir, bord de l’encolure du vase, bord du
poinçon : encadrement du fantasme, fenêtre qui s’ouvre venant marquer la limite illusoire entre
Réel et Imaginaire et désigner le lieu de l’angoisse.
Phénomène de bord sur lequel le transfert vient opérer et nous savons que souvent l’analysant
est saisi d’angoisse au moment d’entrer dans le cabinet de l’analyste. Transfert en tant qu’amour
présent dans le Réel, permettant non seulement la répétition mais aussi la possibilité pour le

2
sujet d’interroger ce qui lui manque puisque c’est avec ce manque qu’il aime. Bord
Réel/Symbolique du transfert qui se noue au lieu de l’angoisse Imaginaire/Réel.
Est-ce que ce n’est pas cet amour présent dans le réel, dans le transfert, qui vient muter en fin
d’analyse en « amour de bord » comme seul heim du sujet et est-ce que le désir de l’analyste ne
se constitue pas de cette reconnaissance impliquant une mise en acte ?

Pour terminer la leçon en relation avec le statut de l’objet cause qui peut chuter, tomber, Lacan
va reprendre le cas de la jeune homosexuelle, amenée en consultation à Freud après qu’elle se
soit laissée tomber du haut d’un petit pont dans les circonstances que nous connaissons :
passage à l’acte où le sujet, « subitement » confronté à la conjonction du désir et de la loi et
réduit à son identification à a, s’éjecte de la scène. Tout se passe « subitement » dans une toute
autre temporalité que celle de la cure qui permet la mise en place d’une identification, non à a
mais par a.
La jeune fille se trouve abolie comme « sujet absolu » c’est-à-dire comme la porteuse de ce
phallus absolu qu’elle s’était faite, pour et vis-à-vis de la dame tout en sacrifiant dans le même
temps cette position afin de la lui conférer, se posant ainsi comme garante d’une loi du désir,
d’une loi du père qui l’a déçue, mais dans un renversement : car toute l’affaire est adressée au
père et ce que la jeune fille lui dit c’est que puisqu’elle n’a pas pu être son objet, sa femme, eh
bien elle va soutenir la position inverse, celle du phallus pour la dame. Mais quand elle croise
le regard courroucé du père, le montage s’effondre et la jeune fille sort de la scène.
La confusion chez la jeune homosexuelle de l’objet a et du phallus qui n’est plus pour elle
l’instrument du désir mais sa cause, est ce qui vient rendre problématique la mise en place chez
elle du complexe de castration, et pour finir c’est Freud lui-même qui la laissera tomber.

C’est vraiment la question, le souci de Lacan de montrer, dans ce séminaire, comment il est
possible de dépasser la butée freudienne sur le roc de la castration en fin de cure, par un
maniement correct du transfert fondé sur un repérage éclairé de la place et de la fonction de
l’analyste situé au lieu de l’objet a.

3
Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,


L'Angoisse

Mardi 4 janvier 2022

Président de séance : Henri Cesbron Lavau


Leçon 9 présentée par Patricia Le Coat
Texte

Nous avons terminé la dernière fois en insistant sur le rapport entre l’objet cause du désir,
émergence à partir d’un vide et des exemples que Lacan donne des objets a … objets
corporels qui mettent en place un savoir, savoir sur cet objet qui nous gouverne à partir du
moment où il vient à manquer. C’est dans la perte, qui est aussi perte de jouissance, que
l’objet se manifeste.

Dans cette neuvième séance, Lacan travaille encore plus près de la clinique.

Dans cette clinique, la question qui se pose à nous, analystes, concerne le rapport de l’objet a
au sujet. Y a-t-il une différence ou est-ce le même pour un homme et pour une femme ? Sans
le dire expressément, la question s’entend entre les mailles d’une clinique marquée par les
tempêtes de l’amour et de quelque chose qui ne va pas. Ce que Lacan va élaborer petit à petit,
et bien plus tard inscrire en tant que : « il n’y a pas de rapport sexuel. »

Mais d’abord, il se pose ici en observateur de ces effets d’un réel issu du rapport du sujet au
grand Autre. Pour cela il relit Freud. Confronté à l’être, la lettre, petit a, en dépit de toute prise
qu’il puisse avoir sur cet objet, le sujet se fait sujet du manque dans l’amour.

Pourtant, il ignore ce que c’est, cet objet qui d’un côté lui échappe et de l’autre lui sert d’objet
de l’identification.

Le rapport du sujet à l’objet passe par le rapport du sujet à l’Autre et ouvre sur une dialectique
avec la vie et à la mort, sur ce qui sera son histoire, son roman.

Passage à l’acte, acting-out et symptôme


Ce sont les trois manifestations cliniques qui bordent l’angoisse dans le tableau que Lacan
nous a donné dès le départ et dont il suit rigoureusement la lecture dans la diagonale :
inhibition, symptôme, angoisse. Comme vous le savez, un tel tableau produit en
mathématiques une courbe, une fonction f(x). Nous pouvons écrire en x soit la difficulté, soit
le mouvement. Les champs ainsi inscrits tendent vers l’infini. N’est pas ainsi que Lacan décrit
l’angoisse comme étant commune au sujet et à l’Autre ; de l’infiniment petit à l’infiniment
grand ?

Christian Fierens avait souligné la dernière fois : du moi idéal, Ideal-Ich narcissique, à l’idéal
du moi, Ich-Ideal il n’y a pas qu’un seul pas mais il y a bien un changement qui opère, un
changement de statut, de l’identité en tant qu’image, par l’intermédiaire d’une instance Autre
et de l’objet.
S1 n’est pas égal à S2. Et entre les deux signifiants se creuse la place prévue pour le manque,
l’objet a s’inscrit de l’autre côté du miroir plan par un petit x, voire le moins phi, (- φ).

1
L’angoisse est donc inscrite là, dans ce quelque chose qui ne trompe pas ! Je dirais même
dans ce quelque chose qui relève d’un certain savoir du sujet !

Le Moi, le moi idéal en est la protection, une projection de surface – telle qu’elle apparaît
dans le rêve de Freud (Deckerinnerungen), un champ, un lieu sur lequel se joue la scène –
bordée de couleurs, de la sexualité, de l’effet d’une altérité radicale sur le sujet du fantasme,
celui vivant dans l’ambiguïté de l’identification et de l’amour, celui qui ne sait pas ce qu’il
sait. Il ne sait pas ce que l’Autre lui veut, ce que l’Autre sait, ce qu’il en est de son désir.
Il sait se constituer amant en donnant ce qu’il n’a pas, à celui qu’il reconnaît en tant que sujet
du manque. Dans l’amour il est objet pour l’Autre.

Un des phénomènes cliniques accompagnant l’angoisse et qui est fort bien connu des
analystes est celui de la dépersonnalisation. Dans un certain éloignement du sujet avec lui-
même (narcissique), grâce à la dimension de l’Autre, l’introduction dans un champ Autre,
l’émergence d’un objet ou des objets qui prennent une forme non-spécularisable en constitue
la forme la plus connue dans l’analyse, aussi bien pour l’analyste que pour son analysant.

Néanmoins « quand c’est la structure même de ces objets qui les rend impropres à la
moïsation » c’est-à-dire quand l’image reste fixée sur ces différents « objets morceaux du
corps originel » inaccessibles à toute dimension Autre, le corps se présente en tant que
morcelé (ainsi reflété par le miroir concave, c'est-à-dire projeté dans une représentation
mentale), et ceci soulève en dehors de l’angoisse bien d’autres questions ; notamment celle de
la relation du sujet au grand Autre dans la psychose.

Concentrons-nous sur : Passage à l’acte, acting-out et symptôme.

Dans le cas Dora, la gifle qu’elle adresse à Mr. K en réponse à « Ich habe nichts an meiner
Frau » est passage à l’acte qui illustre une autre approche de la clinique, de notre rapport à
l’objet. Mais, nous dit Lacan, le comportement paradoxal de Dora dans le ménage des K. est
un acting-out.

Tout comme la relecture du « Cas de la jeune homosexuelle », illustre et laisse entendre dans
le « niederkommen lassen », « laisser tomber » la dimension clinique du passage à l’acte.
Le corps tout entier est assimilé à l’objet de l’Autre, « le sujet est au maximum effacé par la
barre » – là, où habituellement il se trouve organisé par rapport à un trou qui s’impose à lui en
tant que parlêtre – il disparaît, précipité corps et âme, hors langage et entièrement identifié à
ce qui constitue la condition même de son rapport à l’Autre. Autrement dit, « il bascule hors
de la scène » comme le dit Lacan. « C’est l’évasion de la scène ». Dans le passage à l’acte la
division subjective n’est pas opérante et l’acte se fait sur un mode automatique, précipité.

Pourtant, « toute l’aventure avec la dame de réputation douteuse » est un acting-out.

Obligée de renoncer à la réalisation de son désir, à avoir un enfant du père, à accéder au


phallus paternel, Ersatz de ce quelque chose qu’elle n’a pas et qui lui manque, l’objet a
comme chu.
Elle s’identifie à l’objet phallique, se pose dans ce qu’elle n’a pas, le phallus, et le donne !
Elle sacrifie ainsi son corps tout entier assimilé à l’être, non pas l’objet en tant qu’objet chu, le
petit a manquant mais d’abord sous sa forme phallique.

2
L’acting-out se montre, c’est un acte démonstratif qui s’adresse à l’Autre. Ici, à la Dame.
Dans le cas du jeune intellectuel hanté et culpabilisé par l’idée d’être plagiaire, à Kriss. Mais
ce qui se montre, ce n’est pas cela, il y a un déplacement par rapport à la chose.

Le désir en action, se trouve ainsi engagé dans une voie de dérive au moyen d’un drôle de
dépôt. Un dépôt, qui se transforme en démonstration d’un désir inconnu. Il fait signe à
quelqu’un.

C’est la voie (chemin) d’un désir articulé à l’objet cause du désir. Il ne s’agit pas de réaliser
(ce désir) mais de lui donner une certaine visibilité, tout en respectant son inaccessibilité, le
voile qui sépare le sujet de ce qui constitue la vérité de l’objet. Et c’est ce reste, ce qui surgit
là dans l’acting-out, entre le sujet S barré, celui de son histoire et l’Autre troué, tel un
prélèvement fait à la jouissance, la « livre de chair », un petit bout prélevé du corps,
inscription dans le corps d’un objet chu, du manque.

Et le symptôme ?
Le symptôme a la particularité de dépendre en ce qui concerne son interprétation, du transfert,
c’est-à-dire de l’introduction d’un Autre. La différence entre acting-out et symptôme réside
dans le transfert.

Contrairement à l’acting-out, le symptôme n’appelle pas l’interprétation. Il se fait


naturellement oublier. Il n’est pas ce qui se montre à l’Autre.
Le symptôme dans sa nature est jouissance. Unterbliebene Befriedigung. Cette jouissance est
une jouissance ignorée en tant que telle, qui ne demande pas à se faire reconnaître, tout en se
manifestant dans les symptômes. Elle correspond à ce que Freud a appelé la satisfaction en
reste (unterbliebene Befriedigung), que Lacan traduit par « jouissance fourrée ». Le
symptôme va directement vers la Chose – sans tiers – passant la barrière du bien, du principe
du plaisir, dit Lacan – et voilà pourquoi il est pénible … provoque du déplaisir, Unlust. 

Un transfert dit sauvage, un transfert hors situation analytique, c’est l’acting-out.


Pour le dire autrement : l’acting-out en dehors de toute situation d’analyse c’est un transfert et
il s’agit donc de trouver comment faire avec. L’acting-out s’adresse à l’Autre et ce grand
Autre en analyse, c’est donc l’analyste.

Dans le cas d’homosexualité féminine, Freud pourtant bute. Il bute car l’Autre, l’inconscient
serait sensé dire la vérité sur le sujet. Serait-ce possible que l’Autre puisse feindre, mentir,
nous tromper ? Et du coup comment pourrions-nous encore lui faire confiance ?
Et Freud s’arrange avec cette affaire : le rêve n’est pas l’inconscient mais exprime le désir
venant de l’inconscient. C’est donc le désir qui pourrait mentir ? Nous tromper ?
Rappelons-nous : l’angoisse ne trompe pas, disait Lacan.

C’est donc un point sensible, point aveugle chez Freud, qui reste figé dans la question : que
veut une femme ? Et disons alors : quel est son rapport à cet objet ? D’où lui viendrait son
savoir ?
Dans le paradoxe d’Épiménide : « Tous les Crétois sont des menteurs », Épiménide est lui-
même un Crétois. C'est donc un menteur, et il n'est pas exact que tous les Crétois soient des
menteurs... L'affirmation se contredit donc elle-même.
Ainsi se désigne une zone inapprochable, un trou. C’est à ce niveau-là que Lacan situe le
rapport Autre d’une femme avec l’agalma, cet objet précieux de l’Autre.
La féminité s’y dérobe.

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Association lacanienne internationale
Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,
L'Angoisse

Mardi 4 janvier 2022

Président de séance : Henri Cesbron Lavau


Leçon 10 présentée par Thierry Florentin
Texte

La leçon X commence par un Witz. Un Witz qui nous intéresse parce qu'il cerne exactement
de par sa structure la place de l'objet a. L'angoisse, nous dit Lacan est définie par Freud
comme une crainte sans objet. Une crainte, et non une peur, qui, elle a un objet.
Il s'agit là d'un discours qui se rapproche de celui de l'enfant qui se rassure.

L'angoisse est une peur sans objet, mais, premier retournement, elle n'est pas sans objet.

L'angoisse est une peur sans objet qui n'est pas sans objet.
Structure mœbienne de cette proposition, sur laquelle la fourmi qui s'y promène n'y trouvera
son chemin qu'à la condition d'y trouver sa petite pièce manquante, à savoir l'objet a.

Car ce rapport de l'angoisse à l'objet ne s'appréhende que par la fonction du manque, notion
non appréhendée par la logique classique, et pourtant fonction pour le champ de la
psychanalyse, si radicale, et pour laquelle Lacan nous met en garde de ne pas la manquer.
Il s'amuse, mais comme toujours pour Lacan, il s'amuse toujours sérieusement, nous devons
réussir à ne pas manquer au manque. Réussir là où la logique a échoué, dans son acte
manqué.
Ne pas le combler.

Ce n'est pas dans le Réel que réside ce manque, ce n'est pas par-là que nous allons pouvoir
l'appréhender d'aucune sorte, mais dans le symbolique, c'est-à-dire dans le fait langagier.
C'est de lui que dépend que se constitue ce manque, ce trouage.
Opération, fonction du trou qui n'est pas univoque, puisqu'elle provoque un reste, qui sera
l'objet a.

Pour en donner un exemple, Lacan prendra l'apologue célèbre des volumes qui manquent à
leur place dans la bibliothèque, il s'agit déjà d'un premier manque désignant une place et
une absence facilement identifiable, « présentifiant ce qui n’est pas là », dit Lacan. Mais à
l'intérieur de ce premier manque, de ces volumes identifiés comme manquants, il existe un
deuxième manque, puisqu'on y trouve une petite note indiquant que quatre gravures sont
manquantes.

Quel statut accorder alors à ces gravures manquantes ? Si l'on suit les règles classiques de
la logique, celles de la double négation par exemple, il faudrait alors affirmer que puisque
le volume est manquant à sa place, le manque des quatre gravures est levé. Or, il saute aux
yeux qu'il n'en est rien.
C'est ce que Lacan appelle le manque inclus.

1
Que Lacan va essayer de formuler topologiquement.
Avec le tore, tout d'abord.
Où que vous y dessiniez un cercle, et quel que soit son axe, sagittal ou perpendiculaire à
son âme, il n'y pas moyen de réduire à zéro sa limite évanouissante, son trou central.
C'est de structure, et il y a des structures qui ne comportent pas le comblement du trou.
De même pour le cross-cap, particulièrement bienvenu, puisque sa découpe donne une
bande de Mœbius, unilatère, parfaitement spécularisable, et un disque bilatère, donc non
spécularisable.
Illustration parfaite de la place manquante, celle de l'objet a, que nous allons retrouver un
peu plus loin, avec le schéma optique.

Mais pour l'heure, ce reste irréductible à toute coupure, Lacan va le qualifier de


punctification concentrique.

C'est le souverain ponctife.

Autre voie d'abord au manque irréductible, et radical à la constitution même de toute


subjectivité, dont on ne pourra jamais qu'en dessiner les contours et les bords.
Et Lacan a cette phrase superbe : « Dès que ça se sait, que quelque chose vient au savoir,
dans le réel il y a quelque chose de perdu. Et la façon la plus certaine d'approcher ce
quelque chose de perdu, c'est de le concevoir comme un morceau du corps. »
Ce savoir, c'est celui auquel donne accès la jouissance du corps, telle que la découpe l'objet
a dans sa chute, trouant les orifices du corps, afin de les mettre en adéquation avec leur
fonction.
Vérité insoutenable, puisque de ces trous, nous ne faisons jamais qu'en dessiner les
contours, un vice de structure, non pas un vice dans la structure, mais un vice inaugural,
constituant, structurant, d'où surgit notre rapport à l'Autre, mais dont aucun signifiant ne
saurait répondre.
Point, écrit Lacan, d'où surgit qu'il y a du signifiant, mais qui, en un sens ne saurait être
signifié. Point manque de signifiant.

Il y a quelque paradoxe à ce que le signifiant ne surgisse d’aucun support imaginaire, ni


intuitif d'aucune sorte, mais d'un trouage du corps, d'un vice de structure, d'un point
manque de signifiant, qui vient bien illustrer le signifiant comme pure différence, c'est-à-
dire immatérielle, mais question d'espace, de manque, et de place, non pas dans le réel,
mais dans le symbolique.
Ce qu'à tort, parce que les mots y manquent, à défaut d'autre terme, on nomme manque
dans le Réel, à savoir la privation, manque réel d’un objet symbolique, n’apparaît en tant
que manque que du fait du symbole que représente l'objet.
Il est clair qu'une femme n'a pas de pénis, dit Lacan. Mais si vous ne symbolisez pas le
pénis comme l'élément essentiel à avoir ou ne pas avoir, de cette privation elle n'en saura
rien.

C'est ici qu'intervient le phallus, puisqu'en fonction de la place du phallus dans l'Autre, et
du rapport qu'elle entretient avec lui, elle se tournera du côté de la castration, forme de
symbolisation de ce manque, ou du côté du moins phi, imaginarisation d'un manque à être
de son vice de structure d'être au monde.

2
C'est pourquoi, complexe de castration chez l'homme, ou penisneid chez la femme, ce
manque, il faut y revenir maintes fois dans sa fonction en tant que structure originelle,
pour ne pas la manquer dans notre expérience analytique.
Un manque, auquel le symbole ne supplée pas, voilà comment Lacan va définir l'objet a,
cette petite pièce manquante.
Et que les défenses obsessionnelles telles que sont l'annulation et la dénégation, attaquent,
visent, sans jamais pouvoir l'atteindre. Ils ne font jamais que redoubler la fonction du
signifiant, en tant que le signifiant ne s'efforce jamais qu'à effacer une trace, qui de ce fait
en insiste d'autant plus.

Dès lors, la fonction de l'objet a reste ambigüe et problématique dans son rapport au grand
Autre, si tant est que I 'angoisse peut être définie comme le signal de l'irruption de l'objet
a dans le grand Autre.
D'un côté, l'angoisse est la manifestation de l'Hilflosigkeit, de la détresse la plus absolue de
l'entrée au monde.
De l'autre, elle est signal de danger sans aucune mesure avec la précédente, menace du ça,
que Jones appelait buried desire, désir enterré.

Alors, défense contre l'angoisse, ou Angoisse corps dernier de toute défense ?

Il faut prendre les choses autrement, et considérer que la défense se tient contre ce dont
quoi l'angoisse est le signal, à savoir le manque.
Lacan nous dit qu'il y a deux sortes de manque.
Un manque de bord simple, celui du Moi, en rapport avec l'image narcissique, dit-il.
Et un manque de bord redoublé, lié à la coupure du cross-cap telle que nous l'avons évoqué
tout à l'heure, avec une bande mœbienne, et un disque bilatère comme reste, et qui de ce
fait n'est pas spéculaire, et n'apparaît pas dans le schéma optique.
Et c'est à lui que nous avons affaire dans le transfert, et qu'il convient souligne Lacan de ne
pas manquer.
Le manque de maniement n'est pas le maniement du manque...

En tous les cas, Lacan insiste sur le maniement de la relation transférentielle comme devant
tourner autour de l'objet a, constitutif du désir de l'analysant.
Avec deux orientations différentes, d'une part chez le psychotique ou le pervers, l'analyste
incarne le petit a, l'incorpore, en tant que cause du manque du patient.
D'autre part, chez le névrosé, où le petit a n'est là qu'en tant que substitut, du fait même de
sa non-spécularité, qui empêche définitivement toute saisie.
Mais qui favorise l'acting-out.

Mais si le petit a se retrouve du côté de l'analyste, soit comme devant l'incarner, soit
comme support, alors l'angoisse également se retrouve de son coté, et c'est dans ses
manifestations contre-transférentielles, celles de l'analyste qu'il conviendra de le chercher.
Ce qui aura des effets nécessairement pour le patient. Non pas tant de la vérité de telle ou
telle interprétation, mais dans le déplacement que l'interprétation ou l'intervention entraîne
pour le propre rapport du patient de son objet a au grand Autre.

Une observation de Margaret Little qu'il avait déjà commenté dix ans plus tôt, dans les
Écrits Techniques, donne I 'occasion à Lacan de fournir une indication très précieuse sur

3
le deuil, qui se démarque de ce qu'en disait Freud. Contrairement à ce qu'il affirmait, ce
n'est pas l'objet perdu qui est en jeu dans le deuil, objet auquel le patient s’identifie, mais
le manque qui a été perdu.
Nous ne sommes en deuil que de quelqu'un dont nous pouvions dire j'étais son manque, et
dont nous ne savions pas que nous remplissions cette fonction, d'être à la place de son
manque.

Par renversement, il en est de même dans l'amour, où nous donnons à quelqu'un qui n'en
veut pas ce que nous n'avons pas, cette fonction d'être son manque, qui rend cette place
d'autant plus précieuse et indispensable...

C'est intéressant, car c'est cela la place de l'analyste dans la cure, ce n'est pas du tout la
belle interprétation, et c'est ce que Lacan va exemplifier en reprenant cette observation
très détaillée et honnête de Margaret Little qui s'appelle « La réponse totale de l'analyste
aux besoins du patient », et qui par ce terme, qu'elle nomme le symbole R, engage tout
à la fois sa présence, ses sentiments contre-transférentiels, conscients et inconscients,
et l'engagement et sa responsabilité qu'elle assume.
Il s’agit d'une patiente kleptomane, réfugiée d’Allemagne nazie, et qui arrive un jour à
sa séance, bouleversée par le décès d'une amie de ses parents avec qui elle n'entretenait
pourtant pas de lien privilégié.
Margaret Little essaie les interprétations classiques et pourrait-on dire attendues, y compris
celles de déplacement d'un vœu de mort sur la personne de l'analyste.
Mais quelque chose se déclenche lorsque Margaret Little avoue à sa patiente n'y rien
comprendre et éprouver de la peine elle aussi de ne pouvoir l'aider.
Et donc que la patiente occupe cette place du manque chez l'analyste, ce dont l'analysante
n'avait pu se saisir chez personne auparavant, à commencer par sa propre mère.
Lacan va repérer ces moments chez Margaret Little comme moments de coupure.
Il y en aura deux autres, lorsqu'elle interrompt sa patiente en lui disant qu'elle l'ennuie
avec sa complainte incessante de différends d'argent avec sa mère, et une autre où elle
lui dit qu'elle se contrefiche des commentaires de la patiente sur la nouvelle décoration
de son cabinet.
C'est cette fonction de la coupure qui sera décisive dans l'évolution de la patiente, qui
saisira combien l'écart impensable avec le désir de ses parents, la mère la considérant
comme un prolongement d'elle-même, et le père trop admirable et admiré pour pouvoir
supporter la différence, pouvait avoir déterminé le symptôme, la kleptomanie, et
empêcher la patiente d'acquérir, par la force ou la ruse, un objet qui lui aurait appartenu
en propre.

Et Lacan prend bien soin de différencier ce type d'écart avec la frustration dans le
maniement de la cure qui était à l'époque préconisé. Mais de la frontière, de la limite,
métonymique, où s'instaure la place du manque.

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SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 11

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 18 janvier 2022

Leçon 11, du 20 février 1963


Juliana Castro
Texte

Lacan n’est pas présent à la réunion du 20 février 1963, ce sont Wladimir Granoff et François Perrier qui en
ont la charge et qui discutent des textes de Barbara Low, Margaret Little, Thomas Szasz et Lucia Tower sur
le contre-transfert. Granoff propose de voir dans ces articles ce qui était relevant à l’égard de ce que Lacan
enseignait dans le séminaire à ce moment-là, et d’en parler entre eux devant l’auditoire, en prenant ceux-ci
comme témoins.

Avant d’entrer dans la discussion de ces textes, on peut relever que, pour aborder des questions sur le contre-
transfert, on doit tenir en compte le désir de l’analyste, c’est-à-dire, il faut porter les choses sur le plan du
désir et sortir de la perspective de l’analyse en tant que relation intersubjective entre deux personnes.

Dans le Dictionnaire de la psychanalyse établi par Roland Chemama et Bernard Vandermersch, on peut lire
que le contre-transfert est « l’ensemble des réactions affectives conscientes ou inconscientes de l’analyste
par rapport au patient. » Le problème de la théorie du contre-transfert, c’est la symétrie établie entre analyste
et patient comme si tous deux y étaient également engagés comme ego. Dans la cure, l’analyste n’est pas un
sujet, mais il fait fonction d’objet petit a. Le désir de l’analyste a à voir avec la différence absolue qui sépare
l’objet petit a – qui constitue l’étoffe du sujet – de l’image idéalisée.

La question du désir de l’analyste est quelque chose qui se dessine dans le séminaire dès la leçon IV (p.76)
par exemple, quand Lacan dit : « cette sorte de désir qui se manifeste dans l’interprétation, dont l’incidence
même de l’analyste dans la cure est la forme la plus exemplaire et la plus énigmatique, (…) celle qui fait
poser la question : que représente, dans cette économie essentielle du désir, cette sorte privilégiée de désir
que j’appelle le désir de l’analyste? »

En tenant compte qu’il ne s’agit pas d’une analyse du transfert, mais toujours dans le transfert, nous nous
sommes interrogés, dans notre cartel sur l’angoisse, pourquoi Lacan, pour élaborer le petit a, éprouve la
nécessité de se référer aux psychanalystes britanniques et américains. En dehors des questions politiques,
pourrait-on envisager que cela aurait à voir avec le fait que Lacan part de la discussion sur la théorie du
contre-transfert, où l’analyste est dans le tableau en tant que sujet, de ego à ego, et où le petit a n’est pas en
cause, pour, dans une toute autre direction, proposer un dispositif où l’analyste fait fonction de petit a ?

Un autre point est le fait que Lacan, avant d’aboutir dans la discussion de ces articles sur le contre-transfert,
venait juste de traiter de la question du corps : pourrait-on y lire un certain parcours de Lacan qui venait de
parler du corps, du petit a et de l’angoisse, avant d’entrer dans la question du contre-transfert ?

Par exemple, dans la leçon V (p.85), Lacan parle du reste, « ce résidu non imaginé du corps qui vient par
quelque détour (...), à cette place prévue pour le manque, se manifester d’une façon qui, pour n’être pas
spéculaire, devient dès lors irrepérable », d’où l’angoisse.
Dans la leçon VII (p.119) : c’est le corps qui permet au signifiant de s’incarner.

Dans la leçon VIII (p.147) : « L’objet petit a au niveau de notre sujet analytique, de la source de ce qui
subsiste comme corps ».

Dans la leçon IX (p.172) : « les maladies de courte durée sont rares pendant les analyses » – ce qui peut faire
penser aux effets corporels du transfert.

Dans la leçon X (p.183) : « La façon la plus certaine d’approcher ce quelque chose de perdu, c’est de le
concevoir comme un morceau de corps. » Ce qui peut nous remettre à nos journées sur « La Troisième » :
c’est corporellement que les morceaux du petit a sont identifiables, ils sont identifiés comme éclats du corps.
Voici le dernier détour que je me suis permise de faire, dans une tentative de vous faire l’ébauche des
difficultés face auxquelles nous nous trouvons à ce point du travail, dernier détour avant de nous concentrer
sur ce que nous apporte Granoff et Perrier dans la leçon XI du séminaire.

Granoff débute la discussion de l’article de Barbara Low de 1935 intitulé « Les compensations
psychologiques de l’analyste » Elle vise à assimiler l’exercice de l’analyse à celui d’un art : « L’analyste est
dans une position particulièrement difficile à soutenir sans que dans sa position il n’ait à faire intervenir des
satisfactions », des compensations psychologiques, des dédommagements. Elle recommande à l’analyste une
tranquillité et un certain équilibre, il s’agit, dans le torrent du tourbillon des passions, d’acquérir une
tempérance. « Ne soyez pas trop timorés », conseille Hamlet aux acteurs. Ils ne devaient pas exagérer et
dépasser Termagant, celui dont le soleil n’ose pas éclairer ou maître de tout homme, il s’agit de ne pas
dépasser celui qui est investi d’une toute puissance, qui ne contient aucune lacune, qui est de l’ordre de la
totalité.

Low assimile l’exercice analytique à une activité artistique étant donné qu’elle est créatrice. Ce qu’elle
nomme le « vivre de » serait le ressort de la valeur créatrice de l’analyse en tant qu’activité artistique. Selon
elle, sauf dans les activités artistiques, on n’éprouve pas de satisfactions dans l’exercice même de l’activité
en question. Un exemple de ce « vivre de » serait prendre un repas : « si manger à côté de quelqu’un son
propre repas est une chose, manger en commun avec quelqu’un, c’en est une autre. (…) L’issue, c’est une
sorte de fraternité mystique qui résulte du repas pris en commun. »

Et du brotherhood de la fraternité du bon repas, Granoff arrive à Lucia Tower et le « repas délicieux qu’elle
prend à la suite véritablement de toutes les vertus empoisonnantes de l’objet que lui propose sa patiente » –
« une femme extrêmement embêtante, qui l’injurie au-delà de tout ce qu’elle peut endurer ». Elle arrive en
retard après ce repas délicieux, tandis que la patiente venait de partir de son cabinet très en colère. À la
séance suivante, contrariant tout ce que Tower pouvait attendre, la patiente lui dit qu’elle ne la blâme pas –
et là se situe un virage.

À la suite, Granoff différencie la position de Low, pour qui sa position par rapport à l’analysée est d’être
curieuse, elle est intéressée – on pourrait y écouter un désir de savoir – de celle de Szasz qui dit : « J’ai le
droit de voir parce que vous avez besoin de moi en raison de ce que j’ai, mon savoir ». D’après celui-ci, il y
aurait une résistance à reconnaître les satisfactions liées à l’exercice d’un certain pouvoir.

Granoff pointe une corrélation entre la dégradation du statut de l’angoisse et la promotion de l’armure
génitale avec une corrélative oblativité, surtout chez les Américains. Il relève également que c’est
« simultanément, au moment où l’egopsychology va prendre tout son essor et donner tous ses fruits, que se
situe la discussion concernant le contre-transfert ».
Pour Granoff, la mise en cause du contre-transfert est la mise en cause de toute l’entreprise analytique. Il
différencie la position selon laquelle parler de l’échec de l’entreprise analytique se rapporte à une dialectique
rattachée au complexe de castration, de celle « pour l’analyste de manquer, lui, à l’être ou à être le parfait
analysé ».

Ensuite, François Perrier va aborder l’article de Thomas Szasz, « De la théorie du traitement


psychanalytique », de 1957. Ceci est, selon lui, limité par rapport au niveau d’articulation où se trouvait à ce
moment-là le séminaire de Lacan. Il s’agit d’une « référence à laquelle nous avons à nous opposer, pour
reprendre courage dans l’exploration qui nous est proposée maintenant », dit-il. Avant d’y entrer, Perrier
débute en reprenant Granoff : « du fait que d’autres analystes sont ceux qui ont été analysés, le problème du
contre-transfert ne peut plus ne pas être posé et en même temps remettre en question toute la structure même,
tout le problème de la formation de l’analyste, donc toute la théorie analytique en elle-même » – ce qui
définit la taille de la question en cause.

Selon Perrier, Freud a été, dans Analyse terminée et interminable, plus loin que la capture narcissique pour
voir se profiler à travers la question de la pulsion de mort toute une question du désir, qui justement est celle
qui est toujours abordée dans le séminaire.

Si d’un côté, Low s’interroge sur les satisfactions de l’analyste, Szasz par contre veut l’effacer. Perrier traite
du souci de celui-ci de fonder une discipline analytique sur des bases scientifiques, ayant des termes sur
lesquels tout le monde pourrait s’entendre et permettant donc de faire de l’analyse une science presque aussi
exacte que les sciences exactes. L’objet principal de la visée de Szasz, c’est le understanding, la position de
compréhension scientifique, qu’il oppose à la position médicale d’aider le patient. Il a le souci de ramener
l’analyse à un champ précis, ce qu’il appelle le traitement psychanalytique « au sens restrictif ».

D’après Szasz, ce sont les règles qui structurent la situation et le but est inhérent à ces règles, c’est-à-dire que
faire un échec et mat est en effet inclus dans les règles du jeu. Selon lui, on ne peut pas analyser n’importe
qui, il faut que l’analysé ait un moi solide – sinon, si on ne sait pas jouer aux échecs, on pourrait apprendre à
jouer aux dames (une référence aux psychothérapies). La visée de l’analyse serait ainsi une attitude
scientifique, une recherche toujours plus approfondie du vrai en termes de sciences exactes, inhérente aux
règles mêmes de l’analyse.

Il y a chez Szasz, en ramenant la situation analytique à des normes scientifiques, un grand souci d’éviter tout
ce qui serait exercice d’un pouvoir de l’analyste envers l’analysé. C’est-à-dire, il « se défend d’une
gratification des satisfactions que procure à l’analyste l’exercice du pouvoir de son propre savoir », parce
que c’est là pour lui que peut se produire le contre-transfert, dans sa position manifestement très
obsessionnelle donc. « Que le désir soit toujours extérieur au champ analytique, toujours extérieur au jeu
d’échec, à l’échiquier que nous propose Szasz ». Mais, comme l’on a vu chez Lady Macbeth, plus on dit que
ça n’est pas là, plus c’est là …

Avant de conclure, je vous soumets deux dernières questions. Si, sur l’échiquier, la règle définit un
impossible, c’est-à-dire, certains mouvements ne peuvent pas se faire, que pourrions-nous dire de la règle
fondamentale de l’analyse ? « Dire ce qui se passe dans la tête » porte en soi-même l’impossible à tout dire,
en d’autres termes, il y a en même temps la règle et l’impossible de la règle, l’impossible correspondance
point à point dans la transcription d’un récit. Là-dessus, j’aimerais dire un mot sur l’expérience de faire une
analyse en langue étrangère. Cela rend ce décalage plus clair, mais dans un certain sens cela ne fait que
mettre en évidence l’impossible inhérent à la lalangue elle-même, qui est également en jeu dans des analyses
en langue maternelle.
Si ce n’est, comme pour Szasz, « la maturation émotionnelle » ou « le développement non entravé de la
personnalité » – échec et mat – pourrait-on parler de but de l’analyse? Cela concernerait-il le processus en
soi-même et les effets d’une parole adressée? Ou encore, non pas une résolution mais un déplacement d’un
impossible et les effets de cela?

Je vous soumets ces deux interrogations – sur la règle fondamentale de l’analyse et sur le but de l’analyse –
lesquelles viennent s’ajouter aux deux autres interrogations posées tout au début : pourquoi Lacan a besoin,
dans son élaboration du petit a, d’aborder ces articles sur le contre-transfert ? Et pourrait-on lire un certain fil
lorsqu’il parle du corps tout au long des leçons précédentes ?
SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 12

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Éditions de l’Association Lacanienne Internationale


Juillet 2021.

Mardi 18 janvier 2022

Président de séance : Pierre-Christophe Cathelineau


Leçon 12 présentée par Nathalie Delafond

TEXTE

J’ai choisi de m’intéresser dans cette leçon à ce que Lacan nous enseigne, et j’ai donc laissé de côté les
enjeux politiques des tractations avec l’I.P.A. [International Psychoanalytical Association] qui en 1963
avaient cours en arrière-plan.

La première partie de la leçon est dédiée au commentaire que fait Piera Aulagnier de l’article sur le contre-
transfert de Margaret Little : « R, la réponse totale de l’analyste aux besoins du patient », article de l’I. J. of
P. [l’International Journal of Psychoanalysis] de 1956. Lacan avait choisi cet article et l’avait déjà
commenté dans la leçon du 30 janvier 1963. Ce qui fait que je ferai des allers-retours entre les deux
commentaires du cas.

Il s’y réfère « non pas comme un modèle de technique, mais pour suivre les problèmes qui se posent à une
analyste expérimentée et brûlante d’authenticité ». Que nous apprend la lecture de cet article sur le contre-
transfert ?

Sur la partie théorique, Piera Aulagnier relève trois points :

Le contre-transfert est « tout ce que l’analyste fait, dit, ou pense et ressent pour son patient », et d’abord des
éléments refoulés, non analysés, ce qui d’ailleurs la mène à des réactions impulsives, qui lui échappent, mais
qu’elle préconise cependant dans certains cas avec des effets bénéfiques, dit-elle.

Elle relève aussi cette formule de Margaret Little qui donne le ton : « quelqu’un qui a quelque chose à
donner rencontre quelqu’un qui a des besoins » something to spare, quelque chose en plus, quelque chose de
disponible, à donner volontairement, puisque l’analyste doit se manifester en tant que personne réelle, il doit
faire état de ses sentiments vis à vis du patient. Il s’agit, dit Piera Aulagnier du « dévoilement du désir de
l’analyste », ce que nous verrons.

Et enfin, l’analyste doit être engagé à cent pour cent dans la cure. Il n’a pas à reporter sa responsabilité sur
son patient.

On peut penser que la partie théorique est inspirée en partie par Mélanie Klein et Sandor Férenczi, et en
partie par le matériel clinique qui suit.

Il s’agit d’une jeune femme d’origine allemande, Frieda, dont la famille a émigré en Angleterre. Elle est
adressée à Margaret Little pour des vols. Mais Piera Aulagnier curieusement la classera parmi les structures
psychotiques…alors que Lacan parle le 30 janvier d’un cas d’acting-out, de kleptomanie. Il nous dit même
comment il entend, dans ce cas, le vol répété d’objets anodins, qui vise simplement, en réaction au champ
d’induction de la présence maternelle, « à montrer, à isoler un objet, le sien, qui mériterait qu’on le
considère ».

C’est une analyse difficile, dit Margaret Little où durant sept ans, aucune des interprétations transférentielles
qu’elle fait n’atteint les défenses de la patiente. Nous savons juste qu’il y a deux moments précis où
l’analyste fait état de ses sentiments de façon assez impulsive, une première fois où devant la répétition du
récit de ses problèmes d’argent avec sa mère, elle finit par dire à la patiente « finissez-en avec cette histoire,
vous m’endormez ! », et une autre fois où la patiente en fin de journée critique la décoration de son cabinet,
et où, excédée, elle lui dit « ce que vous pouvez en penser m’est parfaitement égal ! », ce qui provoque
ensuite la fureur puis les excuses de la patiente. Mais tout reprend ensuite comme avant, comme le souligne
Piera Aulagnier.

Lacan insiste le 30 janvier, sur ce qui fait coupure dans le propos de la patiente, mais aussi dans le propos de
l’analyste. Fonction de la coupure, qui est facteur de progrès et indique que quelque chose a été mobilisé.

Piera Aulagnier continue : C’est au moment de la mort subite en Allemagne d’une amie de ses parents, Ilse,
que le tableau se transforme. La patiente arrive dans un état de détresse et de désespoir, elle ne mange plus,
ne dort plus, ne peut plus rien faire. Dans les séances elle tourne en rond en se tordant les mains, et aucune
des interprétations classiques ne l’atteint. Cela se prolonge pendant plusieurs semaines. L’analyste considère
qu’à l’évidence sa vie est en danger, par suicide ou par épuisement, et elle se décide à lui dire qu’elle ne sait
plus quoi faire, que ça lui fait vraiment de la peine de la voir comme ça. Surprise : Ces paroles ont un effet
immédiat : elle se lamente puis se reprend, et quelque mois plus tard entreprendra même de déménager avec
bonheur.

Que s’est-il passé ? Piera Aulagnier fait remarquer que Margaret Little pense avoir exprimé là les sentiments
d’une personne réelle, et que cela a eu un effet.

Mais Piera Aulagnier suit le commentaire de Lacan : par ce qu’on peut appeler une interprétation
involontaire – quelque chose de son inconscient lui a échappé – l’analyste est devenue le lieu de l’angoisse
et a instauré Frieda comme objet de cette angoisse, dit Mme Aulagnier. Elle l’instaure en fait comme objet-
cause de son angoisse.

« Quelque chose désigne alors dans l’analyste la place du manque » (Lacan, le 30 janv.) Il y a une personne
pour laquelle la patiente peut représenter un manque, pour laquelle elle peut venir à la place de son manque.

Car Frieda n’a jamais pu faire le deuil de son père, se découvrir à la place de son manque, pour la bonne
raison qu’il n’était pas question que quoi que ce soit manque à cet homme (Lacan évoque là le souvenir du
petit bâton pénien que son père lui arrache des mains pour le jeter à l’eau sans mot dire). Pas plus qu’elle
n’avait pu appréhender le manque chez sa mère, qui ne l’avait jamais traitée que comme le prolongement
d’elle -même.

C’est donc sur ce mode que le transfert s’engage enfin. Et les acting out qu’elle fait ensuite sont
manifestement adressés à l’analyste, dit Piera Aulagnier : elle se fait prendre par le contrôleur dans le bus
sans billet, elle manque de se faire écraser par une voiture ; Mme Aulagnier dit qu’elle vient justifier et
alimenter l’angoisse de son analyste, mais il me semble aussi qu’elle joue avec sa vie comme si elle essayait
de symboliser quelque chose de la question : peut-elle me perdre ?

À partir de cette position transférentielle, les acting out devenant plus risqués, M. Little fait une autre
intervention pour dire à la patiente que si les choses devaient continuer comme ça, elle serait amenée à
interrompre le traitement. C’est là que Piera Aulagnier considère que Margaret Little parle vraiment depuis
sa place d’analyste, en prenant en compte ses propres limites. Elle y voit « le pivot du traitement », la
fonction de la coupure.

En réponse, dit-elle, la patiente lui fait cadeau de ce que Piera Aulagnier appelle son « fantasme fondamental
» la capsule ronde, sphérique, défensive, dans laquelle elle s’est construite, car « incapable d’accepter un
manque que personne n’avait jamais pu symboliser pour elle. » Et « se dessine peut-être l’acceptation d’être
sujet d’un manque, et peut-être l’acceptation de la séparation d’avec l’analyste ».

On peut se demander si Ilse n’avait pas déjà dans l’enfance témoigné de cette place du manque pour la petite
Frieda. Ce qui n’échappe pas à Margaret Little puisqu’elle note que « c’était sur Ilse que s’était reporté
l’essentiel du transfert » (p. 163 du Livre-compagnon [du séminaire 1962-1963, L’Angoisse, Textes
psychanalytiques sur le contre-transfert 1935-1957])

On peut aussi se demander si Frieda ne fait pas là un épisode de deuil pathologique, ce que Lacan décrit très
bien comme la révélation de ce en quoi on a manqué pour représenter ce manque, avec toute la culpabilité,
très notable dans l’observation, qui peut être ressentie lors d’un deuil, d’avoir manqué au défunt, d’avoir
manqué à représenter son manque.

Car ce qui reste alors caché, méconnu, nous dit Lacan, c’est que « nous ne sommes véritablement en deuil
que de quelqu’un dont nous pouvons nous dire : « j’étais son manque ». « Nous croyons pouvoir traduire ce
« j’étais son manque » en ceci que nous lui avons manqué alors que c’était justement en cela que nous lui
étions précieux et indispensable » (30 janvier 63).

Ce qui est spécialement enseignant dans cette observation, c’est de repérer ce qui a permis le transfert dans
ce cas. À partir de là, la patiente lâche, l’analyse peut avoir lieu, avec ses avancées et ses difficultés.

À remarquer aussi que Lacan dans ce cas ne s’arrête pas au côté défensif de la patiente, mais s’attache au
témoignage de la monstration des acting out, amorce d’un transfert, dira-t-il, et donc de la possibilité d’une
analyse.

Je passe sur l’intervention de Granoff, à qui Lacan demande en quelque sorte de prendre position, ce qu’il
obtient d’ailleurs, puis intervient Lacan.

Pourquoi la référence à ces articles de l’I.P.A. centrés sur le contre-transfert dans la perspective de la
référence à l’angoisse ? Le contre-transfert était très en vogue à cette époque et l’été précédent il y avait eu
un congrès international de l’I.P.A. à Barcelone sur ce thème.

Or, nous dit Lacan le contre-transfert, c’est tout simplement « tout ce que, de ce qu’il reçoit dans l’analyse
comme signifiants, le psychanalyste refoule ». Façon de recentrer la fonction de l’analyste sur la question
des signifiants à l’œuvre dans la parole du patient.

C’est parce que la vraie question, plus essentielle que son engagement, dit Lacan est celle, incontournable,
du désir du psychanalyste, de sa participation dans la cure.

Lacan en veut pour preuve la remarque de Lucia Tower, il arrive qu’un petit changement se produise chez
l’analyste, et cela a des effets.

Mais parler du désir de l’analyste exige de mettre en place, le désir :

Par rapport à la demande, puisqu’il ne s’agit pas là du manque imaginaire de la frustration.

Et par rapport à la loi. Le désir c’est la loi, au sens où la loi c’est le désir pour la mère, et ce qui normative ce
désir c’est la loi de l’interdiction de l’inceste.

Même dans la perversion, « où le désir se présente comme ce qui fait la loi, comme une subversion de la loi,
le pervers est soumis comme volonté de jouissance à une loi en tant qu’elle arrête sur ce chemin de la
jouissance ».
« La volonté de jouissance échoue, rencontre sa propre limite dans l’exercice comme tel du désir pervers ».
(Par exemple dans le fait que le masochiste ou les femmes des livres de Sade, quels que soient les sévices,
n’en meurent pas) Le désir y fonctionne comme support d’une loi et non comme subversion. Subvertere
, ce serait mettre sens dessus dessous, détruire, bouleverser.

Et « le mythe de la loi morale », nous dit-il, au sens où « une position saine serait à chercher dans
l’autonomie du sujet, n’est qu’une défense contre la vérité à avaler : la loi morale est hétéronome (de heteros
, autre), elle dépend d’une entité extérieure au sujet ». « Elle provient du réel, en tant qu’il intervient en
élidant le sujet, et en déterminant par son intervention le refoulement. » Il me semble qu’il s’agit là de la
fonction de la coupure qui constitue le sujet, S barré, dès son passage par le lieu de l’Autre, qui le constitue
comme sujet de l’inconscient. Fonction synchronique, ajoute-t-il. (Il ne savait pas… qu’il était à la place de
son manque)

Elle provient à mon sens des lois du langage, en tant qu’elles ont pour effet de déterminer un réel, que Lacan
appelle ici un « vice de structure », qui fait que « le point d’où il surgit qu’il y a du signifiant est un point qui
en un sens ne saurait être signifié. » (30 janvier 63) Point du manque de signifiant et, ajoute-t-il, point qu’on
ne cesse de contourner.

Lacan se réfère ensuite à l’angoisse-signal de Freud, pour faire remarquer que si le signal se produit dans le
Moi, c’est, dit-il, pour avertir le sujet d’un désir, c’est-à-dire d’une demande qui ne concerne aucun besoin,
qui ne concerne que mon être et qui sollicite ma perte. C’est cela l’angoisse.

En effet, Lacan avait d’abord introduit l’angoisse comme angoisse du désir de l’Autre.

« Le désir de l’Autre ne me reconnaît (Hegel) ni me méconnaît, il me met en cause, m’interroge à la racine


de mon désir à moi, comme a, comme cause de ce désir et non comme objet. »

« C’est là qu’il vise, dans un rapport d’antécédence, dans un rapport temporel » et « je ne puis rien faire pour
rompre cette prise, sauf à m’y engager, c’est cette dimension temporelle qui est l’angoisse et c’est cette
dimension temporelle qui est celle de l’analyse. »

Pourquoi cette insistance sur la dimension temporelle, alors qu’il semble que l’angoisse met plutôt hors du
temps ?

Il reste à voir la fonction du désir non seulement dans la lutte, comme Hegel l’a fait, mais dans l’amour, y
compris dans l’amour de transfert. Lacan nous laisse sur cette formule énigmatique : « C’est que, pour
autant que le désir intervient dans l’amour, […] [le désir] ne concerne pas l’objet aimé » formule sur laquelle
il reviendra.
SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 13

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 1er février 2022

Président de séance : Julien Maucade


Leçon 13 présentée par Alice Massat
TEXTE

Cette leçon commence avec la notion « d’approche ». Elle se conclut sur celle de « caducité ».
Étymologiquement, c’est le fait de choir. L’objet caduc, objet qui choit, est mis en lien dans cette conclusion
avec la fonction de la castration.

Pour cette leçon XIII, nous en sommes au milieu de ce séminaire sur l’angoisse, et Lacan s’intéresse de plus
en plus précisément au passage, au frayage au-delà de l’impasse freudienne, au-delà du penisneid et du roc
de la castration. C’est dans cette leçon que se trouve la fameuse formule qui dit que : « L’angoisse n’est pas
sans objet ».

Ce « pas sans », nous pouvons aussi l’entendre comme un caractère possible de ce mystérieux objet, celui de
l’angoisse, pour y voir un objet passant et frayant par son passage un au-delà de la castration. L’objet
démarque alors, par le tracé de ce passage, une distinction entre jouissance et désir. Car Lacan est en train de
préciser la situation de l’angoisse, qu’il va qualifier, dès les leçons suivantes, de béance entre jouissance et
désir. Cette distinction essentielle entre jouissance et désir va s’inscrire après bien d’autres séparations,
coupures, disjonctions, divisions, dont la barre, celle de l’opération, écrit le réel dont l’angoisse est le signal.

Pour éviter les confusions, entre autres divisions, nous trouvons donc la distinction entre le (-phi) et le petit a
, bien sûr, une distinction qui n’a pas toujours été évidente au début du séminaire mais qui s’est établie. Et
cette distinction entre le (-phi) et le petit a va être ici mise en lien, conjuguée, par ce rapport de caducité.
D’autres distinctions sont faites encore entre la peur et l’angoisse, entre l’objet de la peur et l’objet de
l’angoisse, entre le danger extérieur et le danger interne, le danger inconnu et celui qui est su, et entre autres
encore : c’est-à-dire entre le grand A et le grand A barré.

La division s’écrit page 258, nous l’avons déjà vue, mais elle se complète ici : grand A non barré mais divisé
– par grand S non barré :

Dans le grand Autre, combien de fois S ? questionne Lacan. Et de la prise en compte de la répétition de la
demande du sujet s’inscrit l’embarras du A : grand A barré. De cet embarras choit un reste : petit a
, un reste irréductible : « un réel irréductible du sujet » dit Lacan. Des trois étages de cette division se situent
alors comme nous le voyons : X, angoisse et désir.

Après ce que je viens de dire nous pouvons supposer à quoi correspond l’inconnue X, mais pour sa
démonstration ici, Lacan la laisse masquée, occultée, inconnue. Cette X ne pourra être nommée que
rétroactivement, selon l’abord, l’approche, qui sera faite de l’Autre.

C’est-à-dire que ce « réel irréductible du sujet », irréductible, donc non divisible, (petit a) vient passer depuis
le côté de l’Autre (à gauche de la division) vers le côté du sujet (à droite). Il se met en rapport avec grand S
non barré, pour un rapport subjectivé, qui embarrasse le S (c’est le niveau de l’angoisse) et qui le barre, et
l’inscrit S barré : le sujet du désir :

Le (petit a) est donc passé devant. Il a franchi la barre de la division pour se trouver du côté du sujet et pour
« boucler l’opération » comme le répète Lacan. Ce (petit a) venu en avant, résonne avec la formule de
Freud : l’angoisse est angoisse devant quelque chose (« Angst ist Angst vor etwas »). L’angoisse n’est donc
pas sans objet. Elle n’est pas Objektloss. Car ce devant, ce « vor » implique bien alors un etwas, un quelque
chose, un objet, dont c’est effectivement l’étymologie littérale ob-jectum, d’être placé devant.

C’est en creusant la question de ce passage au-devant – tandis qu’il est plutôt démontré durant la première
partie du séminaire que l’objet, comme cause du désir « promouvant le désir » se situe en arrière du désir,
mais le voilà, avec l’angoisse, qui se signale devant – c’est donc en posant carrément la question de son
passage au-devant que Lacan inscrit au tableau l’opération de cette division que nous venons de voir, et son
bouclage, par l’écriture du sujet désirant, embarrassé, barré.

De cette opération, ce passage du a au-devant, dans ce rapport subjectivé (à droite de la division), de ce


franchissement, s’opère un changement de registre. Parce que ce « réel irréductible du sujet », ce caractère
irréductible – réel – vient se présenter par l’image : « Cet irréductible du petit a est de l’ordre de l’image »
dit Lacan page 259. « L’indicible fait surgir l’image » dit-il encore.

Et il illustre aussitôt l’opération par le mythe : c’est la réaction d’Œdipe après avoir pris connaissance. Sa
réaction au fait de savoir. Ses yeux arrachés par lui-même, tombés au sol, vont alors montrer ce que Lacan
appelle la clé : « la clé du phénomène de l’angoisse ». Cette clé, c’est la menace d’un impossible. Une
menace provenue d’un irréductible qui a chu, et qui vient faire passer le sujet au-devant, en position d’objet :
vu.

La clé, c’est ceci, je cite, quand : « Une impossible vue vous menace de vos propres yeux par terre ». Qui
voit ? Qui est vu ? Œdipe voit-il son propre aveuglement ? Devient-il voyant d’avoir perdu ses yeux ?

Nous nous souvenons de la démonstration de la leçon X sur le fait que : « dès que quelque chose vient au
savoir, quelque chose est perdu du côté du corps » (page 183). Et voilà donc l’image impossible, et
cependant courante, et encore plus concrètement illustrée maintenant par les deux exemples des deux
martyres – témoins – Agathe et Lucie, peintes par Zurbaràn, ces jeunes femmes qui présentent des parties de
leurs corps découpées, posées sur un plateau.

Nous nous retrouvons, avec ces œuvres d’art, ces œuvres visuelles, au bon milieu de la leçon. Et j’ai cinq
minutes pour conclure. Mais j’ai décidé de mettre en avant la division et le passage du (petit a) qui vient
barrer le sujet, parce qu’il m’a semblé que cette opération structure l’ensemble de la leçon, qui est très riche.
Mais je voudrais tout de suite marquer, pour la suite de la démonstration que s’il fallait en extraire un seul
mot, je choisirais celui d’amboception (page 265), de ambo : double, et de -ception : recevoir (n’oublions
pas, qu’au départ, c’est de l’Autre que le sujet reçoit son propre message sous une forme inversée).

Donc après cette affaire de division que j’ai mise en avant, la question du point de vue vient se poser,
comme avec Œdipe. Point de vue : pas de vue, aveuglement ou voyance, il s’agit de marquer le fait que le
passage d’une perception d’un côté ou de l’autre sera distinct et non symétrique. Distinct selon, par exemple,
que le sein pompe le lait de la mère, ou qu’il est pompé par le nourrisson. On repense bien-sûr au
développement syntaxique de Freud dans son article sur les pulsions et leurs retournements. Et d’ailleurs,
avant de parler d’« éléments ambocepteurs », Lacan se sert d’une autre paire duelle, autre que les seins ou
les yeux, autre que la voix passive ou la voix active, autre que le côté du grand Autre ou le côté du Sujet. Il
se sert d’une paire, qu’on aurait tort aussi de vouloir rendre réversible ou symétrique, qui celle du
masochisme et du sadisme. Il s’en sert en prenant en compte ce que révèlent leurs mécaniques. C’est-à-dire
qu’il pose ce qu’elles montrent surtout de ce qu’elles occultent chacune, et de ce qui est masqué dans leur
dispositif : leur point aveugle.

Je ne détaille pas ce passage important, car il est encore développé dans la leçon suivante et je suppose que
nous aurons l’occasion d’en discuter. Mais j’en relève surtout ceci (et c’était déjà amorcé dans la leçon
précédente), que bien différemment de ce qui semble évident, le masochiste ne recherche pas la jouissance
de l’Autre en se faisant objet, déchet, objet chu, ou déchu par exemple, mais : « La visée du masochiste est
l’angoisse de l’Autre ». Cette visée est masquée, occultée. Elle lui est inconnue.

Quant au sadique, si l’angoisse vient en avant et semble manifeste, évidente (il vise l’angoisse d’un autre,
son (petit a) ; car ce que le sadique recherche en effet, c’est « le passage à l’extérieur de ce qui est le plus
caché »), mais lui, le sadique masque sa propre angoisse en se faisant l’agent, l’instrument de cette opération
de passage. Cela dans l’intention de réaliser la jouissance d’un grand Autre.

Voici donc encore des distinctions-divisions, et des points aveugles, qui donnent à cette notion
« d’amboception » une portée autre qu’un rapport symétrique ou biface. Car la chute intervient et donne à
l’objet chu, dans sa réalité, cette part irréductible, non spéculaire, dont l’image s’empare pour s’ériger, tout
en occultant ce qui la promeut.

Les éléments organiques correspondants à ces objets caducs se présentent comme plaqués sur le corps,
séparables : le placenta, l’œil, le sein. Ils supportent ici surtout la démonstration qu’une perception différente
en sera faite selon leurs bords et leurs coupures. Et si leur propriété de caducité est homologue à celle du (-
phi), à celle de la castration, ou plus concrètement ici, à celle de la détumescence consécutive à l’orgasme, il
s’agit encore d’éviter les confusions, parce que Lacan est en train d’avancer pour conclure, ce qui va se
confirmer avec la leçon suivante, que l’angoisse et l’orgasme se trouvent en un même lieu et se conjoignent.
Alors : « Quels sont les versants respectifs de cette angoisse, du côté de la jouissance et du côté du désir ? »,
c’est la question qu’il pose pour conclure cette leçon, et qui augure la suivante.

Voilà ce qui aura marqué, à mes yeux, le trait de cette leçon. Un trait passant par ces quatre notions
d’« approche », de « division », d’ « amboception » et de « caducité » pour en venir au lieu d’une
conjonction entre orgasme et angoisse.
SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 16

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,


L'Angoisse

Mardi 15 février 2022

Président de séance : Omar Guerrero


Leçon 16 présentée par Alexandra Lenormand

Texte

Je me suis demandée comment entrer dans cette leçon d’une façon qui vous permette d’en
retenir, ce qui me semble-t-il, constitue des points d’appuis précieux, autant pour notre
pratique que pour se repérer dans ces préoccupations sociétales qui provoquent un certain
nombre de turbulences non sans retentissement aussi bien du côté des femmes que des
hommes.

Alors ce qui me semble tout de suite pertinent à relever c’est un point capital de la leçon
précédente quand Lacan nous dit qu’« Une femme ne manque de rien » et la façon dont il
nous fait entendre dans quelle proximité elle se trouve en lien avec le réel dont il a pu nous
dire que « le réel, lui non plus, il ne lui manquait rien, qu’il fourmille de creux, et qu’on peut
même y faire le vide ». Ce point je vous le propose d’emblée parce qu’il me semble que c’est
un passage vers plusieurs éléments de notre leçon, qu’il va ensuite développer pour nous, en
les cernant parfois de façon assez énigmatique mais, en tout cas ici, dans cette leçon d’une
manière qui renverse les perspectives. L’objet de ce séminaire déjà dans son intitulé c’est
donc l’angoisse. Angoisse qui se trouve entretenir une relation de grande proximité avec le
désir. Puisqu’il a pu nous dire que c’était le moyen, la voie d’accès vers le désir. Vous l’avez
peut-être en mémoire mais au tout début du séminaire il est allé jusqu’à parler d’une
érotologie. C’est un peu le fil que je m’efforce de suivre quand je me trouve parfois plongée
au milieu de la forêt obscure dans certaines leçons. Disons que ça permet de s’orienter quand
on garde en mémoire cette visée qui est la sienne.

Alors, « une femme ne manque de rien », ce qui devrait en réjouir plus d’une au passage
d’apprendre cela, et en face nous avons notre homme, moderne par exemple, qui lui se
trouve marqué et quelque peu embarrassé on le suppose aisément, du signe moins. Pourquoi
« moins » parce que, Lacan nous le rappelle, il n’a pas d’autres choix que d’en passer par
cette négativation du phallus, par le complexe de castration, pour pouvoir ensuite accéder à
l’utilisation de son objet. On y reviendra dans un moment à partir de ce que propose Lacan
sur la question de la circoncision et de la lecture qu’il en donne à ce stade du séminaire.

Alors pour le moment arrêtons-nous sur ce court passage p. 316 dans lequel Lacan évoque
pour nous ce documentaire anglais ou le baby mâle et le baby femelle sont confrontés à
l’expérience du miroir, chacun aux prises avec sa nudité. Lacan en parle comme d’une image
saisissante dans le souvenir qu’il en a, et en particulier du geste de cette petite fille : « cette
main qui passe rapidement sur le gamma de la jonction du ventre et des deux cuisses comme
en une espèce de moment de vertige devant ce qu’elle voit » tandis que « le petit garçon, lui,
le pauvre couillon il regarde le petit robinet problématique en se doutant qu’il y a une
bizarrerie mais il faudra qu’il apprenne à ses dépens plusieurs choses à commencer par celle-
ci, que son objet pour s’en servir il va devoir passer par un certain nombre de difficultés et
une qui n’est pas des moindres, qu’il va devoir le rayer de la carte de son narcissisme. »

On en a un résumé dans le titre assez évocateur du roman de Moravia que vous connaissez
certainement tous : Moi et lui.

Cette incursion à ce stade du texte et devant ce que remarque Lacan chez ces très jeunes
enfants devant le miroir me semble nécessaire. Parce qu’à partir de ce que chacun découvre
dans l’image de ce qui lui apparaît comme une castration première, il ou elle, le petit garçon,
la petite fille, en tant qu’être parlant, va du fait de la structure du langage qui implique une
coupure ; d’abord entre les signifiants, ensuite une coupure entre le signifiant et l’objet qu’il
manque, et bien à partir de ce trou, il ou elle va venir ensuite mettre en place cette dialectique
de l’être et de l’avoir sur son versant imaginaire. Et cela vient avec à la clé un grand nombre
des modalités problématiques que l’on connait et qui pourraient être drôles si elles n’étaient
pas déjà tristes quant à leur retentissement sur nos existences.

Alors justement à propos de drôlerie et d’invitation à entendre là quelque chose de la part de


Lacan, il y a également ce passage dans la leçon qui me semble important à relever pour
vous. C’est celui dans lequel Lacan nous indique que ce patient de Lucie Tower, une fois ce
deuil réalisé à l’endroit de l’objet qu’il recherche c’est-à-dire, (– ?), ce qui serait supposé lui
manquer à elle, et bien une fois ce parcours de deuil réalisé « Tout va bien marcher » dit
Lucie Tower. Et là Lacan nous dit que nous allons pouvoir en conséquence entrer dans la «
comédie œdipienne » et plus encore qu’on va même pouvoir « commencer à rigoler ».
Jusqu’ici je ne me souviens pas qu’Œdipe soit répertorié dans le registre comique. Et il
insiste en poursuivant ce registre un peu plus loin : on va pouvoir jouer la comédie de la loi
avec ce bonhomme, le patient de Tower, dont le désir trouve maintenant sa place ce qui
jusque-là n’était pas le cas, c’était même la cause de sa névrose d’angoisse et qui s’engage
désormais sur « les routes toutes tracées » celles où papa a fait tout ça ! (C’est-à-dire celles
qui font marcher ensemble le désir et la loi.)

Donc là on a un Lacan qui attire notre attention sur le caractère factice de ce rapport à la loi
du père. C’est probablement un point sur lequel il faudrait revenir. Parce qu’il y quelque
chose qui laisse entendre qu’on peut là aussi aller plus loin. Alors et pour ce qui concerne la
petite fille et la femme ensuite ?

Il a cette formule qui n’a pas manqué de me faire rire, vous aussi j’espère, que pour elle aussi
– une femme – il y constitution de l’objet petit a du désir « puisqu’il se trouve que les
femmes parlent, qu’on peut le regretter mais c’est un fait… La femme veut elle aussi un
objet et un objet en tant qu’elle ne l’a pas. »

Donc l’objet les fait causer, elles aussi, et c’est vrai qu’elles aiment bien parler les femmes,
on leur en fait d’ailleurs souvent le reproche. Mais pour une femme et ça c’est important,
elle, dans la comédie œdipienne, elle vise à avoir l’objet et la difficulté c’est que pour elle cet
objet se constitue dans la dépendance de la demande à sa mère, c’est là qu’il se constitue cet
objet a. Lacan nous dit p. 313 que son insatisfaction, elle est précastrative. On voit à peu près
le type de difficultés que cela occasionne entre mère et fille, le type de confrontation aussi.

À ce stade je crois que Lacan a posé certains des points où il souhaite nous amener avec en
perspective une volonté qui est celle de ne pas en rester au penisneid pour une femme et au
complexe de castration pour un homme. Souvenez-vous dans la leçon précédente, là où
fleurissaient ces deux-là, c’était sur la béance de la structure.

J’en viens maintenant à la fin de cette leçon et au traitement que Lacan fait de cette question
de la circonsision. Alors là c’est très intéressant parce qu’il va amener cela depuis ce qui fait
problème, c’est-à-dire cette béance, ce trou, en nous disant que le rituel de la circoncision
tenterait « d’apporter un ordre dans ce trou, dans cette défaillance constitutive de la
castration primordiale, c’est nous dit-il ce que je crois que la circoncision incarne au sens
propre du mot. »

Et je crois que c’est précieux pour nous parce que ça touche aussi bien l’image spéculaire, du
fait de la marque mais dans le même mouvement ça touche aussi à l’ordre symbolique et à ce
qui choit dès lors qu’on le met en mouvement cet ordre symbolique. Je dirais que ça incarne
quelque chose par le biais de ce que la coupure laisse, c’est-à-dire par l’absence. Et ça rejoint
peut-être d’ailleurs ce que j’avais esquissé à propos du rapport à la loi, ce qui m’avait
questionnée plus tôt dans la leçon, cette « comédie de la loi », dont il parlait. Parce que le
sujet, le circoncis, il l’est « moins à une loi qu’à un certain rapport à l’Autre », dit-il p. 322.
Et quand il va se servir, pour expliciter cette fonction de la circoncision de ces inscriptions
égyptiennes qui ont été retrouvées dans ce tombeau et qui attestent que c’était une pratique
qui avait cours chez les égyptiens, voire antérieurement à l’époque du néolithique, il va
insister et mettre l’accent sur les trois lettres et sur l’articulation signifiante « être séparé de :
en l’occurrence ici de son prépuce ». En hébreu, le prépuce se dit la Orla je vous laisse
apprécier, sans entrer pour autant dans le registre de la signification, comment ce signifiant
vient lui aussi résonner de l’hébreu à notre langue comme indicateur à la fois de la présence
et de l’absence. Mais ce qu’il veut nous amener à considérer je crois, c’est ce que vient
désigner cette circoncision, c’est-à-dire sa fonction, le fait qu’elle introduise le sujet dans un
ordre qui aussi bien témoigne de ce qui l’affecte en tant que sujet parlant, c’est-à-dire d’un
manque, mais aussi de cette séparation d’avec l’Autre et cela depuis cette marque inscrite sur
son corps.

Avec l’accord de l’auteur.


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 17

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 15 mars 2022

Président de séance : Jean-Pierre Rossfelder

Leçon 17, du 8 mai 1963, présentée par Flavia Goian


Texte

Malgré le caractère en apparence disparate de cette leçon, il existe un axe qui va du point de départ : l’abord
de la circoncision en rapport avec la structuration de l’objet du désir, ensuite discussion avec les philosophes
sur la fonction de la cause, considération sur l’objet cause du désir, aphanisis du petit a dans le fantasme, à
une démonstration s’appuyant sur l’expérience esthétique faite par Lacan lors de son voyage au Japon.

« Il s’agit, au point où nous en sommes, de remotiver bien ce dont il est question : de ce lieu subtil que nous
tentons de cerner (…) ce lieu jamais repéré jusqu’ici, central de la fonction, si l’on peut dire, pure du désir ;
ce lieu ou? nous advenons un peu plus loin cette année, avec notre discours sur l’angoisse (et où) je vous
démontre comment se forme (?), l’objet des objets, pour lequel notre vocabulaire ? promu le terme d’«
objectalité » en tant qu’il s’oppose à? celui d’« objectivité ».

L’objectivité est le corrélat d’une « raison pure », articulable au dernier terme de la pensée analytique
occidentale dans un formalisme logique. L’a priori kantien procède d’un impératif catégorique qui ne doit
rien par principe à une cause extérieure à son pur enchaînement formel. C’est la raison pour laquelle il
échoue à réduire la fonction de la cause, pourtant irréfutable ; et qui anime depuis toujours le progrès critique
de la philosophie occidentale : « Si cette cause s’avère aussi irréductible, c’est pour autant qu’elle se
superpose, qu’elle est identique dans sa fonction, a? ce que je vous apprends cette année a? manier, a?
cerner. » La critique de la démarche kantienne va permettre à Lacan d’opposer ce formalisme logique pur à
ce qu’il définit comme objectalité. « L’objectalité est le corrélat […], d’un pathos de coupure. » Celui-là
même par ou? le formalisme logique kantien rejoint son effet méconnu dans la Critique de la Raison Pure
. Lacan évoque ici la fonction de l’objet a cause du désir, comme cette part de nous-mêmes, morceau de
chair resté nécessairement pris dans la machine formelle. Cette machine formelle, on peut l’entendre comme
l’écriture logique déployée dans les chaînes de Markoff du Séminaire sur la Lettre volée, qui rendent compte
des lois du symbolique venant mordre sur le réel du corps.

La recherche de la connaissance elle-même est animée d’un désir qui n’a d’autre source que cet objet cause
du désir « cette part de nous-même, a? jamais irrécupérable, objet perdu aux différents niveaux de
l’expérience corporelle ou? se produit sa coupure, (…) support, […] authentique de toute fonction comme
telle de la cause. » Là où tout formalisme logique fonctionne comme une chaîne causale qui cherche sa
raison d’être en elle-même, Lacan souligne que la cause véritable de tout désir de connaissance implique un
changement de registre, révélant que l’a priori kantien n’est en fait qu’un a posteriori, « l’ombre, le pendant
de ce qui est point aveugle dans la fonction de cette connaissance elle-même. » (L’on se rappelle les
explications de Freud sur la pulsion épistémologique infantile.)

Bien avant Freud, la mise en question de ce qu’il ? ? de désir sous la fonction de connaître avait eu ses
émules : Platon et Aristote, à leur façon l’ont invoquée, et ont proposé : pour l’un, le Souverain bien ; pour
l’autre, le premier moteur immobile, remplaçant le Noûs d’Anaxagore, c’est-à-dire l’Esprit, principe
spontané de mouvement, de pensée, de connaissance et de vie – toutes élaborations s’employant à purifier la
pensée, l’Esprit, dans ses causes originelles ou dernières, de l’incandescence de l’âme ou du pathos ! Ainsi,
c’est un mythe d’origine psychologique qui endossera les égarements de la raison kantienne, sous-tendu par
l’impératif de la morale, tout ce qui relève d’autre chose que de la raison pure : instincts, aspirations,
enthousiasmes religieux, constituant ce que Kant appelle « le pathologique ». Aussi la Schwärmerei
kantienne recouvre-t-elle les égarements de la raison au sens où, dans le langage de Luther, les Schwärmer
sont les dissidents de l’orthodoxie protestante, qui rejetaient l’Église de l’État et ses normes, au nom de la
fluidité éthique des communautés chrétiennes d’origine. La pensée des Lumières achèvera ce rejet en
généralisant le postulat de cette « sympathie », ou affinité morale entre les hommes, qui avait été au principe
des formations sectaires protestantes d’après la Réforme.

Lacan semble prendre lui-même la voie de donner une certaine portée à ce pathos, mais, au-delà de toute
considération psychologique, ce qui lui importe, c’est une nécessité structurale : le rapport du sujet au
signifiant nécessite la structuration du désir dans le fantasme, et le fonctionnement de celui-ci implique une
aphanisis du a qui, a? telle phase du fonctionnement fantasmatique, s’efface et disparaît.

Descartes comme saint Anselme avant lui, cherche à fonder la certitude de l’existence de Dieu dans la
perfection objective de l’Idée : c’est la preuve ou l’argument ontologique[1], essentialiste. Mais cette
certitude liée à la cause première est essentiellement précaire, elle n’est que l’ombre de la véritable certitude,
seule qui ne trompe pas, « celle de l’angoisse […] à l’approche de l’objet, » mais en tant qu’elle ne l’atteint
jamais. L’on remarque que le vocabulaire de Lacan qui met en avant les notions de « certitude » et de
« tromperie » est pris dans une dialectique cartésienne.

Outre la mise en cause radicale de la fonction de la connaissance opérée par Lacan par ce biais, l’on peut
entendre de quelle façon l’angoisse est ce temps (de la constitution) du désir où l’objet a au fondement, à la
racine de la cause, se trouve syncopé, caché, évanoui, et cette disparition de l’objet est ce qui structure un
certain niveau du fantasme. Caché, déguisé, c’est tel qu’il reparaîtra dans le fantasme, recouvert de son
manteau agalmatique.

Structure de l’objet a et structure du fantasme sont analogues, c’est la fenêtre ou le cadre qui relèvent du
caractère topologique de cette critique de l’esthétique transcendantale, qui rebat les cartes de l’espace et du
temps.

C’est que pour Lacan « il ? ? déjà connaissance dans le fantasme » et elle porte l’empreinte de l’engagement
du parlêtre dans son corps : « La racine de la connaissance, c’est cet engagement de son corps. »

La démarche de la phénoménologie contemporaine (de l’époque du séminaire) n’aboutit pas davantage, pas
plus que les philosophies antérieures, à rendre compte de ce que Lacan connote par cette prise du corps dans
la fonction de la cause. Malgré le renversement qu’elle accomplit du dualisme corps-esprit : en faisant du
corps une espèce de double, d’envers, des fonctions de l’esprit, l’on bascule d’une conception séculaire de
l’âme comme « corps spiritualisé » à un engagement total du corps dans les catégories de l’esprit,
aboutissant à une « âme corporéisée », selon la formule de Lacan. Loin de s’intéresser à un fonctionnement
du corps qui permettrait de tout réduire à un non-dualisme de l’Umwelt et de l’Innenwelt, au contraire, Lacan
met en évidence dans l’engagement du corps dans la dialectique signifiante, « quelque chose de séparé,
quelque chose de sacrifie? », « livre de chair », selon Le Marchand de Venise, « a? prélever tout près du
cœur ».

Il s’agit ici de ce à quoi doit aboutir l’opération de la castration – opération symbolique, dont l’agent est le
père réel, portant sur un objet imaginaire, moins phi – opération que Lacan tente d’éclairer ici en
interrogeant la fonction de la circoncision dans quelques passages de l’Ancien Testament. Or, nul livre sacré
mieux que la Bible hébraïque ne parvient à faire vivre cette zone sacrée, l’heure de vérité où de notre propre
chair nous devons solder la dette.

Ce sont des textes, nous dit Lacan, restés énigmatiques, mettant en difficulté les traducteurs, et en échec, les
interprètes. Comment comprendre, en effet, que Moïse, qui rentre en Égypte pensant que tous avaient oublié
son meurtre de l’Égyptien, et poursuivi par l’ire implacable de Yahvé, soit sauvé par le contact avec le
prépuce de son fils que Sephora venait de circoncire avec un couteau de pierre ? Comment entendre l’enjeu
du paradoxe qui organise cet énoncé prélevé dans les paragraphes 24-25 du chapitre 9 de Jérémie : « Je
châtierai tout circoncis dans son prépuce », traduit par Édouard Dhorme par la tournure : « Je sévirai contre
tout circoncis a? la façon de l’incirconcis » ?

Comment peut-on punir quelqu’un dans une partie séparée de son corps ?

La consultation d’autres traductions apporte d’autres éléments de compréhension de ce paradoxe, mais nous
permet également de mesurer le propos de Lacan soulignant ce qui est en jeu chaque fois que le terme de
« circoncis » ou d’ « incirconcis » est employé dans la Bible, et qui n’est pas obligatoirement localise? au
petit bout de chair en question : une relation permanente a? un objet perdu, une séparation essentielle d’avec
une partie du corps qui vient commémorer dès lors symboliquement pour le sujet sa relation au corps propre.

La traduction du Segond 21 propose : « Voici que les jours viennent, dit l’Éternel, où j’interviendrai contre
tous les faux circoncis. »

Ostervald : « Voici, les jours viennent, dit l’Éternel, où je punirai tous les circoncis qui ne le sont pas du
cœur. »

Martin : « Voici, les jours viennent, dit l’Éternel, que je punirai tout circoncis ayant encore le prépuce. »

Cela témoigne de l’embarras des traducteurs et des commentateurs devant ce paradoxe. Il semble difficile
d’entendre que l’on puisse châtier quelqu’un dans une partie manquante, or c’est précisément cette
articulation qui intéresse Lacan, qui y voit l’objet perdu en tant qu’il devient le lieu central de la fonction
pure du désir, selon ses mots : ce lieu subtil, jamais repéré jusqu’ici dans son rayonnement ultra-subjectif.

Incirconcis des lèvres, incirconcis du cœur… Lacan nous rappelle que cette part corporelle de nous-mêmes
est essentiellement et par fonction, partielle, que c’est en tant que corps que nous sommes objectaux. Dans
« c’est ton cœur que je veux », c’est comme tripe que le cœur est à prendre ! On peut songer tout de même à
une métaphore sexuelle, comme il le suggère avec la référence au livre de Dhorme, L’emploi métaphorique
de noms des parties du corps en hébreux et en akkadien, en relevant que la composition de celui-ci exclue
l’organe sexuel masculin et le prépuce. Cela ne nous paraît pas tellement étonnant dès lors qu’il s’agit d’un
complexe de signifiants qui précisément supportent la métaphore, la signification et ce vers quoi convergent
toutes les significations.

Le passage de Jérémie, suivi du passage de Shylock, est également rapproché, peut être métaphorisé dans
l’image de la souche, du tronc coupe? d’où? le nouveau tronc ressurgit, dans cette fonction vivante du nom
du second fils d’Isaïe, Shear-yashouv : « un reste reviendra », où le signifiant « juif » incarne la fonction du
reste, de l’objet a.

C’est toujours par le cœur que l’on arrive dans la leçon à ce point de l’évocation par Lacan de son voyage
dans l’île du Japon – et notamment par la remarque d’un chrétien occidental qui estime que du cœur, les
orientaux n’en ont pas !

Lacan interrogera, à propos des pratiques bouddhistes Zen, une phrase qui ne lui paraît pas hors de saison
« dans ce que nous essayons de définir du rapport du sujet au signifiant. » Une phrase qui se trouve au cœur
de la pensée Zen, à savoir « Le désir est illusion ». Les statues à fonction religieuse qu’il rencontre aussi
comme des œuvres d’art au monastère des moinesses de ??? Chu?gu?-ji a? Nara, important lieu de l’exercice
de l’autorité impériale, l’intéressent justement en ce qu’elles peuvent représenter d’un « certain rapport du
sujet humain au désir. » Ce sont des statues de bois datant d’avant le Xe siècle, dont il choisit de nous
montrer l’une des plus belles.
Lacan relève cette phrase, mais l’écho qu’elle peut avoir pour nous, psychanalystes, n’est pas le même que
pour les bouddhistes : pour eux, le désir fait partie des illusions de la vie, source de souffrance, qu’il s’agit
de (chercher à) combattre en visant l’état de nirvâna.

Un peu plus loin, il précise « Ce dont il s’agit, au moins dans l’étape médiane de la relation au nirvâna, est
bel et bien articule? d’une façon absolument répandue dans toute formulation de la vérité bouddhique, et
c’est articule? dans le sens toujours d’un non-dualisme : « s’il y a objet de ton désir, ce n’est rien d’autre que
toi-même. », l’énoncé original étant « c’est toi-même », sous-entendu « que tu reconnais dans l’autre ». Cette
relation semble être caractéristique du rapport des bouddhistes à cette statue, et c’est une expérience que
Lacan estime « utilisable » pour nous.

L’expérience bouddhique suppose une référence éminente, dans notre rapport a? l’objet, a? la fonction du
miroir. Lacan rappelle l’allusion qu’il avait faite dans « Propos sur la causalité psychique » à un « miroir
sans surface dans lequel il ne se reflète rien » : « Quand l’homme cherchant le vide de la pensée s’avance
dans la lueur sans ombre de l’espace imaginaire en s’abstenant même d’attendre ce qui va en surgir, un
miroir sans éclat lui montre une surface ou? ne se reflète rien »[2].

Il opère une différence entre la projection , qui est de l’ordre de l’imaginaire d’un reflet, d’un double, et le
rapport au désir dès lors qu’on introduit dans ce dualisme l’objet a où, si l’on retrouve ce qu’il ? ? de plus
moi-même dans l’extérieur, c’est comme partie coupée de moi-même. La référence au schéma optique peut
nous éclairer ici, parce qu’elle implique tout à la fois la spécularité, i(a), le reflet dans le miroir plan, et la
non-spécularité de l’objet, a, qui est cette part perdue de moi-même qui ne se réfléchit pas dans le miroir.

« L’œil est déjà un miroir, [que] l’œil, irai-je a? dire, organise le monde en espace… [qu’]il reflète ce qui
dans le miroir est reflet ». Ainsi, il n’y ? pas besoin de deux miroirs opposés pour que soient déjà créées « les
réflexions a? l’infini du Palais des Mirages ». Lacan se rapporte ici à un dispositif de deux miroirs en face à
face, ce qui produit un déploiement infini d’images entre-reflétées. Mais un des deux miroirs peut être
remplacé par l’œil qui est un miroir lui-même. Cet œil est l’objet a, mais ce rien est reflété et ce reflet est
reflété à son tour. L’œil est réfléchi par le miroir. Le rien, c’est le 0, mais ce 0 étant réfléchi, il peut être
compté comme 1 qui se multiplie à l’infini. On retrouve les fondements de l’arithmétique de Frege. Avant
l’espace, il y a donc un Un qui contient la multiplicité comme telle.

Pour nous faire entendre ce qu’il veut dire quant a? ce « Un », ????? [poly], tous, et non pas ???? [pan],
Lacan fait allusion au mille et une statues, qui sont en réalité trente-trois mille trois cent trente-trois mêmes
êtres identiques et éveillés, c’est le même Bouddha, enfin Bodhisattva. Pourquoi trente-trois mille cent trente-
trois ?

Serait-ce parce que dans le bouddhisme Mah?y?na, d’où dérive le Zen, il y a trois corps ou manifestations du
Bouddha, qui ne sont pas des entités séparées mais des expressions de l’ainsité (tathat?) qui est une. Ainsité
, parce que non-soi immuable, vérité ultime et absolue, domaine de la suprême sagesse de la vacuité.

- le Nirm?nak?ya, le corps physique ou corps de manifestation, d’émanation.

- le Sambhogak?ya, corps de félicité, ou de jouissance.

- le Dharmak?ya, corps du Réel, ou corps ultime.


Lacan termine cette excursion en précisant que le miroir dont il s’agit ici n’est pas celui de l’expérience
narcissique du miroir, mais « celui du champ de l’Autre », ou? doit apparaître pour la première fois, sous une
forme voilée – sous forme de i(a) – sinon le ?, du moins sa place, bref : le ressort radical qui fait passer du
niveau de la castration au mirage de l’objet du désir, c’est-à-dire le point de jonction entre le ? fonctionnant
comme (– ?) et le niveau visuel ou spatial où nous pouvons le mieux apprécier ce que veut dire « le désir
comme illusion, » le leurre du désir. La découverte, c’est que cette translation orientale réalise, du rapport du
sujet au désir, à peu près la même chose sans la castration, c’est-à-dire sans rapport au sexe.

Texte relu par l’auteur.

[1] L’argument ontologique est un argument qui vise à prouver l’existence de Dieu. Il est dit ontologique,
car il appuie sa preuve sur la définition de ce qu’est l’être de Dieu : il est dans l’être de Dieu d’exister.

[2] Jacques Lacan, « Propos sur la causalité psychique », in Écrits, Seuil, p. 188.
SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 18

L'Association lacanienne internationale

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan,


L'Angoisse

Mardi 15 mars 2022

Président de séance : Jean-Pierre Rossfelder

Leçon 18 présentée par Lucas Rabsztyn

Texte

Je vous propose un petit parcours de cette leçon en relevant les quelques points qui m’ont
paru importants, la compréhension que j’en ai.

Je dirais que c’est presque une leçon de biologie que nous donne Lacan. Mammifères,
marsupiaux, monotrèmes, ornithorynques, libellules, lépidoptères, chordés, mante religieuse,
pieuvre peuplent d’images son propos. Il va bien-sûr être question de la dialectique du sujet
et du grand Autre, dont l’objet petit a est le reste. Tout cela dans le champ du désir, avec
comme point de référence l’angoisse, un affect.

Alors pourquoi l’appel insistant à la biologie ? Il me semble que Lacan remet en cause, remet
sur le métier les fondements imaginaires, les points d’évidence biologique auxquels nous
pouvons attacher les observations psychanalytiques, voire nos observations de la vie. En
effet il faut bien un substrat biologique. Cela se passe en dernier ressort dans le corps. Le
nourrissage est un échange vital entre la mère et le nourrisson, l’acte sexuel au moins un
frottement, la vision fait appel à des processus cérébraux complexes, et l’angoisse étant un
affect, elle présente des manifestations somatiques. Lorsque je dis fondements imaginaires,
je ne veux pas dire fantaisistes mais disons plutôt d’une trop grande évidence dont il faudrait
peut-être se méfier.

Une remarque encore avant d’entrer dans la leçon, c’est qu’il y fonctionne, tout du long,
l’image du gant retourné, ce qu’il y à l’intérieur peut passer à l’extérieur. Je crois qu’il faut
l’avoir en tête. Lacan en parle en particulier à propos de l’objet phallique mais il me semble
que c’est plus général.

Enfin, je trouve que cette leçon est très articulée, que Lacan procède pas à pas.

Comment procède-t-il ?
À l’aide du concept d’objet petit a, il se propose de continuer à compléter la liste des objets
de la théorie freudienne – objet oral, objet anal, objet phallique ainsi qu’objet génital dont il
conteste cependant l’homogénéité à la série précédente.

Nous venons d’en parler au sujet de la leçon précédente, il avait engagé l’œil en tant que
miroir, par l’abord du bouddhisme, à son retour du Japon. Ici c’est en tant que petit a :
quelque coupure survenant dans le champ de l’œil dont est fonction le désir attaché à l’image.

Dans une introduction qui reprend de manière détaillée son cheminement, il rappelle que le
désir est lié à la fonction de la coupure, que c’est un reste qui l’anime, reste repéré dans la
fonction analytique de l’objet partiel. Nous sommes donc au niveau de la pulsion. Mais, nous
dit Lacan, autre chose que le désir est le manque auquel est liée la satisfaction. C’est la non-
coïncidence du manque avec la fonction du désir en acte qui crée l’angoisse. Il y a donc deux
points, celui du désir et celui de l’angoisse, qu’il s’agit de repérer à chaque niveau de la
structuration du désir du sujet, et dont il va se servir dans la leçon pour développer d’abord la
thématique de l’oralité (objet oral), puis la castration (objet phallique) et enfin l’œil en tant
que petit a.

Alors pourquoi revenir sur l’objet oral ?

Lacan nous fait remarquer que si Freud a buté sur la castration, sur une impasse, elle reste de
ce fait à expliquer. Il en fait une des visées de la leçon.

D’autre part dans la théorie analytique au moment de son enseignement il y a un reflux,


comme il le dit, vers la recherche en dernier ressort du fonctionnement de la pulsion au
niveau oral, alors que c’est le sexuel le point nodal de la formation du désir, tel que cela a été
découvert et affirmé avec force par Freud. Il va même jusqu’à dire que la réduction à la
pulsion orale fonctionne comme une métaphore de ce qui se passe au niveau phallique, qui
de plus permet d’éluder l’impasse de Freud sur le complexe de castration.

Il se propose donc de revenir à la pulsion orale pour faire le passage vers le petit a
fonctionnant comme (– ?), c’est-à-dire vers le complexe de castration.

Pour ce faire il reprend la thématique du nourrisson et du sein.

Quelques points :

– Si les lèvres fonctionnent dans la succion, si elles forment un bord, une coupure c’est que
nous sommes sur le terrain de la topologie de l’objet petit a, nous sommes en terrain assuré
nous dit-il.

– Les lèvres ont aussi pour fonction de découper les signifiants et en particulier les
consonnes labiales (ma, pa, ba), nous sommes donc aussi au niveau de la parole, du
signifiant.
– Derrière les lèvres il y a les dents qui renvoient à la thématique de la morsure, du
morcellement et c’est justement ce que Lacan va tenter de dépasser en se servant de la
biologie des mammifères.

– Au moment de la naissance la coupure se fait entre d’une part ce qui va devenir l’individu
jeté dans le monde extérieur (le nouveau-né quoi) et ses enveloppes qui font partie de lui-
même, qui en sont le prolongement à travers le placenta.

– Or chez certains mammifères moins évolués, le placenta est différent (les marsupiaux) et
surtout chez d’autres (les monotrèmes) il n’y a pas de placenta du tout.

– Cependant chez eux la mamme existe et possède un fonctionnement particulier, c’est-à-dire


que le petit est obligé de s’atteler pendant une huitaine de jours à déclencher la fonction de la
mamme (l’afflux de lait) avec une dent dont il est pourvu à cet effet. Cela veut donc dire que
la fonction de l’organe n’existe que si le petit existe et qu’il agit vers cet objet. Et
inversement, le petit n’existe que si l’organe fonctionne, autrement il meurt. Par ailleurs cette
mamme est plaquée sur le corps de la mère.

– Lacan s’en sert par homologie pour décrire le fonctionnement chez les mammifères plus
évolués, dont l’homme. Cela fonctionne donc comme un petit a. C’est parce que le petit a est
quelque chose dont l’enfant est séparé, d’une façon en quelque sorte interne à la sphère de
son existence propre, qu’il est bel et bien le petit a.

– L’objet de la pulsion orale est le sein de la mère mais le point d’angoisse se situe au niveau
de la mère. L’angoisse du manque de la mère, chez l’enfant, c’est l’angoisse du tarissement
du sein. Le point d’angoisse ne se confond pas avec le lieu et la relation à l’objet du désir. Il
y a donc deux points distincts originels dans l’organisation mammifère :

Le rapport à la mamme comme tel qui restera structurant pour la subsistance, le soutien
du rapport du désir, pour le maintien de la mamme nommément (nous sommes bien au
niveau de la parole pour Lacan : « mama ») comme objet qui deviendra ultérieurement
l’objet fantasmatique.
Et d’autre part, la situation ailleurs, dans l’Autre, au niveau de la mère (et en quelque
sort non-coïncidant, déporté) du point d’angoisse comme étant celui où le sujet a
rapport avec son manque, avec ce à quoi il est suspendu, l’existence de l’organisme de
la mère.
D’ailleurs on peut aussi penser à l’actualité et au gazoduc Nord Stream duquel
dépendent l’Allemagne et quelques autres pays européens : l’angoisse n’est pas au
niveau du tuyau qui arrive en Allemagne, elle est au niveau de l’autre derrière la
frontière russe. Le gazoduc fonctionne aussi comme un petit a, objet de jouissance.
Mais ce n’est pas le propos de la leçon.

Je passe sur le vampirisme, lien direct avec la source chaude de nourriture, mais nous
n’avons pas le temps.

Dans une deuxième partie, pour faire le pas annoncé dans l’introduction, Lacan présente la
situation de la castration, donc avec l’objet phallique, comme un renversement des points du
désir et de l’angoisse par rapport à l’oralité. Il en appelle de nouveau à la biologie : le
mécanisme de la tumescence et détumescence n’est pas en soi essentiel à l’orgasme, il y a
des espèces chez lesquelles cela se passe différemment (par exemple le long-orgasme des
libellules). Mais chez l’homme et les animaux analogues, il y a donc une disparition de la
fonction de l’organe (disparation de la tumescence), tout comme la fonction de la mamme
apparaît lorsque le petit la sollicite, l’érection apparaît lorsque le membre est sollicité.

J’ai eu un peu de mal à lire ce passage mais il me semble qu’on peut dire que si l’on se place
d’un point de vue phallique, voire du point de vue masculin, on peut voir un fonctionnement
inverse par rapport à celui de l’oralité, en suivant l’image du gant retourné.

Le point d’angoisse n’est donc plus au-delà de l’organe mais c’est l’orgasme lui-même
comme expérience subjective, on reste sur le plan subjectif. Cela permet de rejoindre la
clinique : par exemple la possibilité de production d’un orgasme au sommet d’une situation
angoissante recherchée comme telle.

Il y a dans ce passage des affirmations vraiment étonnantes et parlantes je trouve. Par


exemple :

– Dans le fond de l’orgasme il y a quelque chose de la certitude liée à l’angoisse.

– L’orgasme comme réalisation même de ce que l’angoisse indique comme lieu, direction de
la certitude.

– L’orgasme, de toutes les angoisses, est la seule qui s’achève réellement et c’est bien pour
cela que l’orgasme n’est pas d’une atteinte si commune.

Donc que ce soit pour l’objet oral ou pour l’objet phallique les points d’angoisse et de désir
ne coïncident pas.

Une troisième partie commence avec la constatation que fait Lacan que, puisque le désir
n’est pas suffisamment bien articulé dans l’analyse freudienne (je pense ici à la distinction
entre demande et désir, à tous les points sur le contre-transfert et le désir de l’analyste, à la
distinction entre l’objet réel, imaginaire et symbolique), cela pose problème pour la fin de
l’analyse qui bute sur le fait que le patient demande le phallus que l’analyste lui doit. En effet
si la relation du désir à l’objet n’est pas clairement distinguée du manque auquel est liée la
satisfaction, l’analysant attend de l’analyse et donc de l’analyste une satisfaction, une
solution à tous ses problèmes. Et on le voit bien en analyse évidemment, si on a un bon
analyste et si on y reste suffisamment longtemps pour s’apercevoir des effets de la parole, on
voit bien que ce n’est pas l’analyste qui l’a (le phallus), même si on a pu le croire dans le
transfert et que cela peut avoir un effet thérapeutique positif.

À ce moment de la leçon, se trouve une autre phrase intéressante et parlante : « nul phallus à
demeure, nul phallus tout puissant n’est de nature à clore la dialectique du rapport du sujet à
l’Autre et au réel par quoi que ce soit d’un ordre apaisant. » Cela fait un peu biblique je
trouve, un commandement, une loi...

Pour autant, nous dit Lacan, on peut dépasser ce point difficile d’analyse indéfinie. Pour
sortir du piège du « désir est illusion » (parce qu’il s’adresse toujours ailleurs, au reste : c’est
la formule du fantasme S barré poinçon petit a), pour en sortir il introduit le nerf le plus
secret du stade du miroir, l’œil en tant qu’objet petit a.

Pour finir, il fait encore appel à la biologie pour dire que l’œil est présent dans beaucoup
d’espèces très différentes, mais sous une apparence anatomique qui ressemble à nos yeux à
nous humains (souvenons-nous de l’anatomie comme coupure), yeux qui sont toujours deux
donc il y a une symétrie à prendre en compte. Lacan revient sur le fait que l’œil est un miroir.
Il semble abandonner ce point et s’attacher au fonctionnement de l’œil comme petit a : en
effet dans l’espace sensible, celui que nous voyons, le seul point qui doive être exclu c’est
l’œil lui-même, mais en même temps s’il n’est pas là il n’y a pas d’espace sensible.

Lacan s’attache alors à trouver les traces de la fonction exclue :

– Chez les mystiques qui recherchent la vérité derrière l’apparence visuelle trompeuse

– En faisant remarquer que les animaux présentent des tâches comme des yeux dont la
fonction est de fasciner l’adversaire (papillons)

– Dans le bouddhisme donc, avec ce qu’il appelle le point zéro, corrélatif du petit a, vers
lequel la statue, l’image bouddhique, paupières abaissées qui nous préserve de la fascination
du regard, qui nous épargne le point d’angoisse, et qui annule le mystère de la castration
puisqu’elle n’est ni féminin, ni masculin

– Le point de désir et le point d’angoisse coïncident ici mais ne se confondent pas !


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 19

Préparation au séminaire d'été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse (1962-1963)

Le Mardi 05 Avril 2022

Président de séance : Bernard Vandermersch

Leçon 19, 22 mai 1963, présentée par Alexandre Beine

Texte

Lacan propose de compléter les trois objets partiels décrits par Freud (l’objet oral : le sein, l’objet anal : les
fèces et l’objet phallique) et d’affiner dans cette leçon la description des deux autres objets qu’il a repérés :
l’objet de l’œil, c’est-à-dire le regard, et l’objet vocal, la voix.

Lacan précise que chacun des cinq objets est générateur d’un type d’angoisse distinct, tout en notant qu’ils
ont tous des répercussions les uns sur les autres et qu’ils sont tous solidaires, de par le rapport du sujet à
l’Autre, qui est un rapport de « fondation du sujet dans l’Autre par la voie du signifiant ». Pour chaque objet,
il propose de repérer, d’une part, quelle est la fonction du désir et, d’autre part, quel reste est produit. Ce
reste est celui autour duquel « tourne tout le drame du désir » dont l’angoisse permet de dévoiler le sens.

L’objet de l’œil permet « l’occultation de l’angoisse dans le désir, lié à l’œil », où l’angoisse se trouve
dissimulée. L’objet vocal révèle quant à lui « la fonction de sustentation qui lie le désir à l’angoisse dans ce
qui est son nœud dernier », où l’angoisse soutiendrait le désir donc.

Lacan prend bien soin de parler d’étages ou de niveaux objectaux, l’étage de l’œil et l’étage de l’oreille. Il
me semble important de noter ici qu’il ne parle pas de stade, ce qui évite la dimension diachronique du
développement psychique et qui induit la possibilité d’une approche synchronique, assurant une possible
simultanéité des fonctions soutenues aux différents étages objectaux. Il ne parle pas non plus de différentes
formes objectales dans cette leçon, car invoquer la forme amènerait à donner une dimension imaginaire à
l’objet. Or l’exemple qu’il va proposer pour introduire l’objet vocal a manifestement pour visée de faire
entendre que l’objet a est d’une dimension qui échappe à l’imaginaire et au symbolique.

Cet exemple, il le tire d’un article de Theodor Reik qui propose une analyse du rituel dans la religion juive et
qui aborde l’usage du Shofar, une corne de bélier ou de bouc sauvage dont l’extrémité est percée et qui sert
d’instrument à vent lors de certaines cérémonies où il produit un son puissant et inarticulé, tel un
mugissement. Ce son, précise Lacan, provoque chez l’auditeur des émotions, mais aussi un « affect
proprement auriculaire », faisant allusion probablement à l’angoisse qu’il a définie comme affect dans les
premières leçons de ce séminaire. Reprenant les associations de Reik, Lacan souligne que les utilisations du
Shofar dans les textes bibliques correspondent à des moments où il s’agit de renouveler l’alliance d’Israël
avec Dieu. Ainsi, le premier Shofar a été construit par Abraham à partir d’une corne du bélier qu’il sacrifia,
après qu’un ange l’eut empêché de sacrifier son fils Isaac. Et la seconde corne de ce bélier devra être sonnée
quand arrivera Machiah, le Messie. Et quand Moïse remonta sur le Mont Sinaï après avoir brisé les Tables
de la Loi, quand il eut constaté que le peuple juif avait sacrifié à l’idole du veau d’or, il fit sonner du Shofar
pour que tous soient avertis. Le son du Shofar, écrit Reik, c’est en définitive la voix de Dieu lui-même.

Lacan se réfère ensuite à un écrit de Conrad Stein qui, dans une analyse de Totem et Tabou, parle de
« signifiants primordiaux » et de « l’acte » de vocalisation, c’est-à-dire l’émission sonore de la voix. Dans la
parole, les signifiants ne sont pas seulement articulés, où l’articulation renvoie à leur liaison dans la chaîne
signifiante, à la phonémisation qui est un système symbolique d’oppositions permettant des déplacements et
des substitutions (métaphores et métonymies). Mais ils sont aussi vocalisés, supportés par une émission
vocale, une dimension émissive qui plonge dans le corps et qui est à chaque fois isolée. L’exemple du Shofar
permet ainsi à Lacan d’isoler la voix de Dieu dans le son inarticulé de l’instrument rituel. Cet objet permet
de repérer le lieu de la voix, en la présentant sous une forme séparée de la chaîne signifiante. Et si la fonction
rituelle de cet instrument à vent est bien de renouveler l’alliance avec Dieu, elle correspond alors à une
fonction de soutien au souvenir.

Lacan interroge alors la fonction de répétition introduite par Freud : la fonction de répétition n’est-elle
seulement qu’automatique et liée au retour dans la batterie des signifiants, au fonctionnement de la chaîne
signifiante ? Ou la répétition poserait-elle la question de qui a à se souvenir, la question du lieu de l’Autre où
c’est Dieu lui-même qui aurait à se souvenir ? La voix apparaît donc ici comme un type d’objet dévoilé sous
une forme séparable. Comme objet séparé, la voix intervient donc dans l’émergence progressive du sujet en
référence au lieu de l’Autre, au champ énigmatique de l’Autre. Ceci se rapporte à ce que Lacan disait au
début de la leçon sur la fonction de sustentation qui lie le désir à l’angoisse, révélée par l’objet vocal.

La nouveauté de cet objet voix est à articuler et à différencier avec l’étage précédent. À l’étage objectal de
l’œil, l’objet est en effet toujours occulté, éludé, toujours ailleurs que là où le désir le supporte tout en restant
en relation avec lui. Ceci explique que le fantasme, qui est « le support le plus satisfaisant de la fonction du
désir », fonctionne communément selon des modèles visuels. Je crois ici comprendre que le rapport
fantasmatique du sujet à l’objet peut, dans le modèle visuel, se soutenir d’un objet spéculaire, un objet
commun dont l’image voile le réel du a (le rapport simultané de conjonction et de disjonction est contenu
dans le poinçon de la formule du fantasme, qui peut se lire « S barré coupure (ou désir) de petit a », où a est
irréductiblement inconnaissable bien qu’il soit la cause du sujet désirant).

L’étage de l’œil est aussi celui de l’espace, précise Lacan, or l’espace est homogène et rien n’y est en
apparence séparé. Mais l’espace ne peut avoir « d’usage réel » que s’il est discontinu, c’est-à-dire que si une
unité spatiale ne peut pas être en deux points en même temps. L’unité spatiale doit donc être inaliénable,
insécable, indivisible et elle ne peut pas être petit a.

Lacan reprend le schéma optique et y rappelle que l’image du vase réfléchie (dans l’espace réel, c’est donc
une image réelle) par le miroir concave est l’image spéculaire, le moi idéal, qu’il note i(a). L’image du vase
i(a) est le contenant narcissique de l’objet (représenté par les fleurs sur son schéma) et apparaît comme une
« bonne forme ». Mais cette forme est illusoire, comme le montre le grain de beauté par exemple. La tache
du grain de beauté, qui entache la bonne forme, est pourtant ce à quoi peut s’at-tacher le désir. C’est alors le
grain de beauté « qui me regarde », dit Lacan, plus que le regard de sa partenaire qui ne fait que lui renvoyer
son propre reflet. L’illusion de l’image spéculaire empêche de voir que la castration (le grain qui entache la
beauté de la peau) est occultée, au niveau du désir projeté dans l’image. Ainsi, dans le modèle du schéma
optique, l’objet a n’apparaît pas dans l’image du corps propre i’(a), l’image réfléchie au lieu de l’Autre par
le miroir plan A (dans l’espace virtuel, c’est donc une image virtuelle). « Petit a, ce qui manque, est non
spéculaire : il n’est pas saisissable dans l’image », dit textuellement Lacan. Il parle alors du « zéro du petit a
» qui permet au désir à l’étage visuel de masquer l’angoisse de ce qui manque au désir. En cela, on ne peut
jamais saisir un être vivant, au niveau visuel, que comme une apparence. À l’étage de l’œil, désir et angoisse
ont un rapport réciproque sous une forme masquée, révélant la dimension leurrante du désir.

Incidemment, Lacan va faire quelques remarques sur sa méthode d’enseignement et sur la technique
psychanalytique, qu’il lie à la vérité et au désir. Dans son introduction à cette leçon, il évoque l’importance
de la méthode dont il use dans son enseignement. Il définit cette méthode par le fait qu’elle ne se distingue
pas de l’objet qui y est traité. Il affirme qu’elle découle de la nécessité que « la vérité de la psychanalyse […]
n’est accessible qu’à l’expérience du psychanalyste ». Il me semble que son enseignement peut être entendu
comme une expérience actualisée qui vise à traquer la vérité. Il insiste aussi sur la nécessité que l’expérience
psychanalytique soit orientée, sans quoi elle se fourvoierait comme certaines évolutions du champ
psychanalytique en ont donné l’exemple.

Lacan revient ensuite sur la notion de vérité, en s’étonnant de la rigueur de l’analyse de Reik, qui lui a
permis de repérer que Dieu, Yahvé, est identifié au veau d’or et que Moïse l’a tué, détruisant l’idole pour le
faire manger en poudre aux Hébreux et réaliser ainsi un repas totémique. L’analyse de Reik correspond à
une exploration analytique en ce qu’elle consiste à « chercher la vérité dans les détails », mais Lacan précise
que cette recherche doit être guidée par le choix du détail à retenir : ce détail c’est précisément celui qui
paraît échapper à son auteur, qui lui reste opaque. Lacan insiste de manière répétée sur la nécessité de
soumettre la technique psychanalytique à l’examen de ce qu’elle « suppose et effectue en vérité » : il précise
alors que la technique psychanalytique est un « maniement », une « interférence », voire une « rectification
du désir », qui laisse cependant ouverte la notion du désir et qui nécessite sa perpétuelle remise en question.

Lacan conclut cette leçon en évoquant brièvement la question de l’origine du désir. Le désir originel n’est
pas le désir de la mère, le désir originel se constitue fondamentalement dans l’interdit du meurtre du père (au
terme du complexe de castration, d’Œdipe ?), dont le souvenir est rappelé par le « beuglement de taureau
assommé » qu’évoque le son du Shofar où résonne le souvenir du meurtre mythique du père. L’objet voix
apporte ainsi de nouvelles dimensions dans le rapport du désir à l’angoisse, au fondement même de ses
origines.

Avec l’accord de l’auteur


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 20

Préparation au séminaire d'été 2022

Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse (1962-1963)

Le Mardi 05 Avril 2022

Président de séance : Bernard Vandermersch

Leçon 20, 29 mai 1963, Sophie Lee

Texte

Au cours de ma prise de notes des leçons qui s’ensuivent du séminaire l’Angoisse, j’ai fait deux lapsus
calami : s’introuduire et renouevellement, avec cette chute positivée, si je puis dire. J’ai tout de même bien
voulu commencer avec ce bout du trébuchement à l’occasion de vous présenter la leçon XX, ce qui est bien
un propos abordé dans cette leçon. Je vais essayer de desserrer un peu le maillage de Lacan pour vous faire
part de ce qui m’a intéressée. Ses formulations sont assez denses.

Parce qu’ici, il renoue et renouvelle, à partir de cette faille, cette béance, en grand relief, ce qu’est cette
angoisse en rapport à la castration, où, jusqu’alors, se trouvait infranchissable devant le roc de la castration,
devant le Penisneid, donc derrière le primat génital comme achèvement du stade de développement
psychosexuel. Dans son introduction de la leçon XX, le mythe freudien de la maturité génitale en impasse,
sera donc mis en question, et surtout « pas sans » objet petit a : « Au lieu dont je vous parle, il y a mille
traces sensibles que c’est à proprement parler en fonction d’un lien qui peut être fait, concernant la
maturation de l’objet petit a comme tel (c’est-à-dire tel que je le définis) à l’âge de la puberté… (p.391) ».

C’est intéressant, ce déplacement voire dégagement, de la maturité vers la maturation, il se passe quelque
chose en ce lieu en corrélât de l’objet petit a. Toutes ces incidences du désir humain. Lacan nous conduira
justement vers ce versant comique de l’affaire entre l’homme et la femme dans la dernière partie de la leçon.

Donc, en fonction d’un lien où se trace l’objet petit a, « ces milles traces sensibles », par le détour, il se
caractérise par le moins comme passage obligé pour être repéré. Donc les caractéristiques du phallus, dans
son rapport du sujet au petit a, nécessitent d’être articulées à partir du champ visuel. Ces éléments permettent
d’approcher la question de l’angoisse de castration, plus précisément le rapport à l’angoisse de la castration.
Lacan reprendra cette dialectique à partir du cas de l’Homme aux loups par le biais de la fonction phallique.

Alors le phallus imaginaire, fonctionne partout, sauf là où il est attendu par rapport à la fonction médiatrice
qu’est l’acte sexuel, au stade phallique. C’est une présence qui est marquée par une « carence positivée » et
Lacan précise que cette fonction phallique au niveau où elle est attendue, c’est le principe même de
l’angoisse de castration. Par contre, en produisant un effet traumatique, à propos du rêve de la scène
primitive de l’Homme aux loups, la présence phallique n’est pas là, « il [le phallus] disparaît, il s’escamote
». C’est un point saillant à remarquer.
Dans ce mode d’apparition de la scène primitive et dans sa forme la plus angoissante qu’est cette image de
l’arbre avec les cinq loups, Lacan nous dit qu’il ne s’agit pas de savoir où se trouve le phallus car il est
partout comme la « catatonie de l’image » qui regarde le sujet, pétrifié. Le sujet de la jouissance ici, n’est pas
sans l’être phallus. Le phallus est tellement présent qu’il est invisible. Ce sujet est le phallus même. Ça a de
quoi être angoissant. Lacan nous avait déjà dit que, pour le sujet de la jouissance, il n’y a pas de recours
opérable avec ce reste petit a, qui n’apparaît pas sur la scène, d’une part, et c’est qui résiste à la
significantisation, d’autre part.

La défécation de l’Homme aux loups que Freud a donné comme valeur de don ou de passage à l’acte, voire
de sacrifice, Lacan signale ce « quelque chose d’intéressant » au niveau du mode d’apparition de l’objet
excrémentiel. Nous savons que le scybale, renvoie à un caractère spécifique, dans son rapport à la demande.
C’est-à-dire que la demande à la mère s’inverse en une demande de la mère.

Alors, avec la question de la demande dans son mode d’apparition, et celui de notre boussole du séminaire
qui est l’angoisse, Lacan s’intéressera à aborder les dernières parties de la leçon autour de l’acte sexuel. Est-
ce l’ébauche ici de ce non rapport où « Il n’y a pas de rapport sexuel. » ? Ce qui n’est pas sans rapport, c’est
la demande et le désir comme « en-jeux » fondamentaux de l’expérience sexuelle chez les hommes et les
femmes.

C’est ce que Lacan a mis au jour avant tout, la formulation de la pulsion comme le sujet barré dans son
rapport du désir à la demande à ce niveau génital. Il va jusqu’à souligner que « ce que nous demandons en
cet acte, c’est la petite mort » tout en situant l’intrication étroite entre la pulsion et la demande à ce niveau
précis. La demande est une demande de mort, nous demandons dit-il en acte sexuel, à faire « l’amourir/à
mourir de rire ». C’est là qu’il situe le sentiment comique. Cette demande est satisfaite « à si bon compte, et
on s’en tire ».

Lacan souligne que l’angoisse et la fonction de l’orgasme sont des équivalents. La fonction de l’orgasme est
une obtention de la satisfaction au niveau génital. En réponse à des questions posées par « deux personnes
bien formées », Lacan précise les distinctions à faire entre la satisfaction de l’orgasme et le « lieu de la
jouissance » et ce par quoi il introduit cet élément de plus, au niveau du statut de l’objet, en l’occurrence, qui
est l’organe : « il n’est jamais susceptible de tenir très loin sur la voie de l’appel de la jouissance ». Il est
marqué par cette coupure aussi en tant qu’organe ambocepteur, tumescent et détumescent, peut être cédé
prématurément, il disparaît de la scène comme un « petit chiffon »

Par ailleurs, l’angoisse apparaît dans cette « marge de perte de signification » par rapport à la demande de
mort. Lacan relève toujours ce moment de la perturbation où apparaît cette angoisse en question que Freud a
déjà repérée dans le coitus interruptus. Il dit que à ce moment-là, l’orgasme se détache de ce champ de la
demande à l’Autre. Il nous avait rappelé qu’il n’y aurait pas de castration s’il n’y avait pas d’Autre.
L’angoisse nous indique toujours ce qui se rapporte à l’Autre. Pour cela, situer l’angoisse de castration c’est
au niveau de cette angoisse « qui se rapporte au champ où la mort se noue étroitement au renouvellement de
la vie ». Cette propriété de la vie est « de devoir, pour arriver à la mort, repasser par des formes qui
reproduisent celles qui ont donné à la forme individuelle, l’occasion d’apparaître par la conjonction de deux
cellules sexuelles »

Avec l’accord de l’auteur.


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 22

Préparation au séminaire d'été 2022

Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse (1962-1963)

Mardi 19 avril 2022

Leçon XXII de L’angoisse - 12 juin 1963

Fernanda Leite de Paula Machado

Texte

J’ai divisé cette leçon assez dense de la façon suivante : le symptôme, le transfert, la causalité dans la
philosophie et dans la psychologie avec Piaget. Chaque point pourrait être – et éventuellement devrait être –
développé exhaustivement. Néanmoins, il y a la limitation du temps, mais il y a également un intérêt
personnel, le désir peut-être, qui peut aussi nous conduire et nous faire privilégier certains points de la leçon.

Lacan affirme que la question de la cause du symptôme est impossible à articuler si nous ne manifestons pas
d’une façon tout à fait radicale la relation de la fonction de a, cause du désir, à la dimension mentale, comme
telle, de la cause. Cela a déjà été indiqué dans “Kant avec Sade” (1962). Et c’est Lacan lui-même qui dit que
c’est autour de ça que s’articulera l’essentiel de son discours dans cette leçon. Concernant cette « relation de
la fonction de a, cause du désir, à la dimension mentale de la cause », cela m’a renvoyée aussi bien à la
question des pensées obsessionnelles qu’à la question de la voix intérieure de l’impératif catégorique de
Kant (1724 – 1804). Lacan ne l’explicite pas dans la leçon. Voix intérieure qui peut-être laisse le sujet dans
un soliloque et fait que la maxime sadienne soit plus honnête, puisque elle se prononce de la bouche de
l’Autre et démasque la refente du sujet, comme dit Lacan dans cet écrit (« Kant avec Sade »).

Aussi bien Kant que Sade, chacun à sa manière, habitent un ciel déjà vide et, si d’un côté, répresentent une
libération par rapport à l’obscurantisme et, plus encore, configurent déjà la critique de la critique de cet
obscurantisme, d’un autre côté, ils imposent des lois implacables pour le sujet. Que ce soit la loi morale ou
celle de la jouissance dans le fantasme sadienne : l’objet a comme cause, mais comme cause universelle,
comme la catégorie kantienne. En fait, pour le deux (Kant et Sade) : l’objet a comme l’objet de jouissance.
Le même objet tourmente la victime chez Sade et s’impose au sujet chez Kant. Le vel qui unit et divise dans
le schéma Z.

Lacan va se pencher sur la catégorie de la cause philosophique pour comprendre l’objet a, « fonction
originelle de la cause »[1], situant ainsi la catégorie de la causalité comme tributaire de la fonction cause du
désir.[2] Il propose le transfert de la question de la catégorie de causalité du champ de l’esthétique
transcendantale de Kant vers ce qu’il a décidé d’appeler son éthique transcendantale. Dans cette
transposition vers l’éthique transcendantale, l’espace n’est pas du tout une catégorie a priori de l’intuition
sensible. L’espace n’est pas un trait de notre constitution subjective, au-delà de quoi la chose en soi
trouverait un champ libre. Rappelons que l’esthétique transcendantale est du côté du sujet, alors que
l’éthique est du côté de l’objet. Selon l’éthique transcendantale, l’espace fait partie du réel, il est réel. Il faut
dire aussi qu’il ne s’agit pas de l’espace de la bonne forme. Il s’agit d’un espace où l’ambiguïté des relations
freudiennes moi/non moi, contenu/contenant, moi/le monde extérieur peut avoir lieu. Il semble qu’il ne
s’agit pas non plus de l’analytique transcendantale kantienne, avec la cause comme une catégorie, un
concept pur pour la connaissance.

Lacan affirme qu’un indice sur cette origine de la fonction de la cause nous est très clairement donné dans
l’histoire par la critique de cette fonction. Cette critique consiste dans la tentative d’observer qu’elle est
insaisissable, comme nous le voyons, par exemple, chez Hume (1711-1776). Pour lui, tout ce que
l’expérience révèle est une conjonction constante de phénomènes, et pas une connexion nécessaire que nous
appelons causalité. La question de la cause a toujours été présente dans la philosophie, depuis les pré-
socratiques. Et la critique de la causalité est également très présente dans la philosophie depuis longtemps.
Lacan mentionne le sophisme Post hoc, ergo propter hoc, c’est-à-dire, après cela, donc, à cause de cela,
sophisme traité par Aristote (384 – 322 a.C.) dans « Les réfutations sophistiques ». Ce sophisme est
également appelé non causa, pro causa, c’est-à-dire, « ce n’est pas la cause, mais c’est traité comme cause ».
Exemple : si A est un antécédent temporel de B, on considérera donc que A est la cause de B. Mais A peut
être antérieur à B sans être la cause de B. Analogiquement, si B suit temporellement A, on considérera A
comme cause de B. Mais B peut suivre temporellement A sans qu’il ne soit causé par A.

Malgré toute la critique, Lacan observe que plus la cause est critiquée, plus les exigences qu’on peut appeler
celles du déterminisme se sont imposées à la pensée. Moins la cause est saisissable, plus tout paraît causé.
La question de la cause, donc, insiste, même si sous la forme d’une critique.

Les commentaires de Lacan sur Piaget se basent sur l’œuvre Le langage et la pensée chez l’enfant (1923),
livre qu’il qualifie d’admirable et qu’il supplie l’auditoire de s’en emparer. Les récits des enfants des
expérimentations sont passionnants, mais nous nous heurtons fréquemment à la quasi obsession de Piaget
pour la question de la compréhension. Piaget parle d’un « langage égocentrique » et son idée de
l’égocentrisme d’un certain discours enfantin part de la supposition que les enfants ne se comprennent pas
entre eux, qu’ils parlent pour eux-mêmes. Il y a aussi la supposition que la parole est faite pour
communiquer.

Après avoir fait mention du robinet de Hans (l’installateur des robinets) dans le séminaire et, dans cette
leçon, de l’obsessionnel, celui dont la fermeture doit être vérifiée à tout moment, Lacan va aborder le robinet
de Piaget, l’expérimentation de Piaget qui concerne le robinet. La technique de l’expérience consiste, pour
en parler de façon très succincte, à faire raconter ou expliquer le fonctionnement du robinet par un enfant à
un autre. Mais il y a aussi les expériences avec des histoires à raconter.

Dans son livre, Piaget affirme que les enfants évitent d’employer, lorsqu’ils se parlent entre eux, les relations
causales et les relations logiques (« parce que » etc.) et que les « histoires » seraient plus simples.[3] Il est
remarquable de voir comment Piaget insiste sur la difficulté que les enfants éprouvent à donner des
explications causales, même s’ils les comprennent. « L’explicateur paraît donc ne pas s’occuper du
“comment” des événements qu’il expose, ou du moins il n’attribue à ces événements que des raisons
incomplètes, bref, le récit des enfants met l’accent sur les événements en eux-mêmes beaucoup plus que sur
les liaisons de temps ou de cause qui les unissent ».[4] Et Piaget attribue cette situation à l’égocentrisme, en
des degrés divers. « L’enfant sait bien, pour lui-même, dans quel ordre se sont succédés les événements, ou
dans quel ordre se déroulent les actions des pièces d’un mécanisme les unes sur les autres, mais, dans son
exposé, il n’accorde aucun intérêt ni aucune importance à cet ordre (...) L’ordre naturel est supposé connu de
l’interlocuteur, et l’ordre logique supposé inutile. ».[5]

À la place d’une explication causale, Piaget identifie la présence d’une prédominance de la juxtaposition
dans les récits des enfants. Piaget dit que la juxtaposition correspond à ce que Georges-Henri Luquet (1876-
1965) a désigné sous le nom d’« incapacité synthétique », en ce qui concerne le dessin. Selon Piaget,
« l’enfant est inapte à faire d’un récit ou d’une explication un tout cohérent, et a tendance, au contraire, à
pulvériser le tout en une série d’affirmations fragmentaires et incohérentes »[6].

Dans le séminaire L’identification, sur lequel nous avons travaillé l’année dernière et qui précède le
séminaire L’angoisse, en abordant l’Einheit kantien (leçon du 21 février 1962), Lacan nous dit que la
nouveauté de la psychanalyse est de passer des vertus de la norme, c’est-à-dire l’universel, la synthèse, le
transcendantal kantien aux vertus de l’exception, c’est-à-dire, la clinique, la différence et peut-être,
pourrions-nous ajouter, la juxtaposition. Cela serait la fonction du Un qui serait en jeu dans l’analyse.
Lacan ne l’explicite pas dans cette leçon de L’angoisse, mais on peut remarquer que, si d’un côté les enfants
dans les expérimentations de Piaget n’incluent pas dans leurs récits les liens d’ordre causal et ont cette
« incapacité synthétique », d’un autre côté, la fonction originelle de la cause semble être bien présente dans
leurs récits et c’est ce que Piaget semble laisser échapper.

Une autre chose que Piaget laisse échapper, concernant l’expérimentation du robinet (et ça Lacan
l’explicite), c’est qu’il y a le robinet comme cause du désir, à savoir : l’envie de faire pipi ou que l’on se
trouve par rapport à cette eau, un vase communiquant. Le robinet se trouve aussi au niveau de la relation
phallique : « le petit robinet » désigne le pénis du petit garçon et peut avoir, comme nous montre le petit
Hans, un rapport avec le plombier, c’est-à-dire qu’on peut le dévisser, le remonter, le remplacer : (lieu de
l’objet phallique -?). Lacan souligne donc cette dimension de désir dans les expérimentations de Piaget.

Différent de l’effet d’une cause, propter hoc, le désir fait irruption, il n’est pas post hoc. Même s’il reste un
effet – mais un effet très particulier. Il s’agit d’un effet qui n’a rien d’effectué. En fait, il s’agit d’un manque
d’effet. En ce qui concerne la fonction de la cause du petit a, il y a toujours une béance entre la cause et
l’effet. Quand on comble cette béance, la fonction de la cause se dissipe et ce qui l’animait dans son principe
se pulvérise. Et on ne trouve pas ce comblement seulement dans le progrès de la science, mais également
dans la difficulté qui peut être présente dans l’exercice de l’association libre, par exemple. Le besoin qu’on a
de donner des explications et des liens de causalité.

Ce qui semble être central dans la leçon c’est combien la fonction de la cause en psychanalyse s’éloigne
aussi bien de la question de la cause comme liberté et universalité que de la cause comme explication,
comme relation directe de cause et effet, comme antécédence temporelle et quelque téléologie que ce soit. Et
que ces possibilités peuvent être considérées comme « détours » de la cause plus originelle.

Avec l’accord de l’auteur.

[1]LACAN, J. L’angoisse. Éditions de l’Association Lacanienne Internationale. Publications hors


commerce, p. 425.

[2] Il y a un autre moment de la leçon où Lacan semble attribuer une fois de plus au petit a cause de désir
une fonction originelle de la cause, en disant qu’il est antérieur à toute cette phénoménologie. Ibid., p.427.

[3]Chez les garçons de 7 à 8 ans, l’explication mécanique excite un plus vif intérêt. PIAGET, J. Le langage
et la pensée chez l’enfant. Éditions Denoël/Gonthier, Paris, 1984, p. 175.

[4] Ibid., p. 158.

[5] Ibid., p. 159.

[6] Ibid., p. 167.


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 24

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 17 mai 2022

Président de séance : Pierre Coërchon


Leçon 24 présentée par Pierre-Christophe Cathelineau

Lacan annonce qu’il va reprendre les choses concernant la constitution du désir chez l’obsessionnel et son
rapport à l’angoisse. Il revient à la matrice à double entrée qu’il avait donnée dans les premières leçons.

Qu’est-ce que l’inhibition ? Qu’est-ce que l’émotion ? Qu’est-ce que l’émoi ?

La première colonne « Inhibition émotion émoi » va faire l’objet de son étude. L’émoi n’a rien à voir avec
l’émotion, motion hors-de, il renvoie à l’étymologie d’esmayer qui vient du terme allemand mögen
: quelque chose qui pose hors de soi le principe du pouvoir, énigme en rapport avec la puissance. L’émoi
dans cette corrélation n’est rien d’autre que l’objet a lui-même. C’est ce qui est frappant chez l’obsessionnel.
Il me revient le rêve de ce patient qui se voyait assis sur le dos d’un cheval et qui voyait la croupe de ce
cheval pétant et chiant en même temps qu’il ruait. Il disait que ça lui suscitait un certain émoi de triomphe. Il
s’était remis à écrire après avoir fait l’amour avec sa maîtresse. Je lui dis que cet émoi l’avait remis en selle.

Peut-on dire que l’angoisse dépend de cet émoi ?

L’angoisse ne dépend pas de cet émoi, mais le détermine, il n’arrivait pas à travailler auparavant. L’angoisse
se trouve suspendue entre la forme antérieure du rapport à la cause et quelque chose qui, cette cause, ne peut
pas la tenir. C’est l’angoisse qui la produit.

Où l’objet a fonctionne-t-il ?

D’où cette allusion à l’émoi anal de l’Homme aux loups, mais qui s’entend aussi bien dans notre exemple.
C’est parce que le petit a est là dans sa production originelle qu’il peut ensuite fonctionner dans la
dialectique du désir qui est celle de l’obsessionnel.

Pourquoi peut-on alors dire que le sujet est amené à céder l’objet ?

Le sujet est amené à le céder, cet objet, comme dans ce rêve de mon patient, c’est l’objet d’une cession
subjective. C’est aussi ce qui dans le rêve fait se succéder le triomphe à l’angoisse. Même observation pour
le sein qui est lui aussi cessible : c’est la déréliction du sujet qui doit renoncer au sein et le remplacer par une
autre femme que la mère, la nourrice, ou un objet mécanique, le biberon, voire le bout de chiffon ou la
poupée, ce que Winnicott a appelé l’objet transitionnel.

Qu’est-il devenu, cet objet ?

Il est ce rapport petit a sur quelque chose qui réapparaît après sa disparition, qui n’est autre que le sujet
mythique qui réémerge au-delà de l’objet.
À propos de la fonction de l’objet cessible, Lacan évoque les greffes d’organe qui commencent à se répandre
à son époque et les problèmes qui ne manquent pas de se poser. Retirer un organe à un sujet doté d’un
électroencéphalogramme plat pour le transplanter ailleurs, est-ce porter atteinte à l’intégrité de sa personne ?
Est-ce porter atteinte à ce qui pourrait être représenté dans la religion catholique comme la résurrection des
corps ?

Pourquoi peut-on dire que l’objet cessible joue aussi au niveau du regard ?

Y-a-t-il un autre objet cessible : les globes oculaires que nous voyons raviver dans son article sur
« L’inquiétante étrangeté » à propos de Coppélius qui creuse les orbites et va chercher ce qui est l’objet
capital à se représenter comme l’au-delà le plus angoissant du désir : l’œil lui-même.

Y-en-a-t-il encore un autre ? La voix, qui a aussi rapport avec le surgissement de l’angoisse.

L’objet est non pas fin, but du désir, il est sa cause. Ce n’est l’objet du désir comme sa visée dernière, mais
celui qui cause le désir par le réel qu’il fait émerger comme objet cessible. Car le désir est cette sorte d’effet,
fondé sur la fonction du manque qui n’apparaît comme effet que là où en effet se situe seule la notion de
cause : au niveau de la chaîne signifiante où ce désir est ce qui lui donne cette sorte de cohérence où le sujet
se constitue essentiellement comme métonymique. Donc il faut tenir les deux bouts de la démonstration,
d’un objet comme cause du désir qui ne surgit que de la possibilité de la chaîne signifiante où apparaît ainsi
la métonymie du désir. On n’est pas loin des formulations de « La science et de la vérité » dans les Écrits
où Lacan fait surgir la dimension de la cause du signifiant lui-même.

Maintenant voyons pourquoi le désir est à situer au niveau de l’inhibition ?

Freud l’introduit dans son article « Inhibition, symptôme, angoisse » avec la fonction motrice. C’est
l’introduction d’un autre désir que celui que la fonction satisfait. Naturellement. C’est le lieu de l
’Urverdrängung, du refoulement : ainsi la crampe de l’écrivain est-elle l’érotisation de la fonction de la main
qui vient traduire l’inhibition de l’écrivain dans son passage à l’écriture. Il y a donc le désir, l’inhibition dont
est frappé le désir et l’acte qui s’accomplit ou ne s’accomplit pas, qui se passe dans le champ réel, dans
l’effet moteur.

Si l’acte réussit, est-ce la réalisation du sujet ? Pas tout à fait. C’est la réalisation du sujet dans ses œuvres,
des objets a. Et nous voyons ici se profiler la façon dont dans L’Envers de la Psychanalyse l’objet réel sera
aussi bien celui des œuvres fabriquées, comme bien de consommation dans le discours du maître ou dans le
discours capitaliste dans la conférence de Milan.

Qu’est-ce alors qu’un acte pour le sujet ?

Un acte est une action, en tant que s’y manifeste le désir même qui aurait été fait pour l’inhiber, comme s’il
fallait en passer par l’inhibition pour à toutes fins désirer. Ce qui justifie apparemment qu’on continue de
parler d’acte sexuel ou d’acte testamentaire.

Pour revenir à l’obsessionnel que dire de ses désirs ?

Qu’ils se manifestent dans cette dimension que Lacan appelle fonction de défense. L’effet du désir est
signalé par l’inhibition. Il peut s’introduire par la fonction du désir anal qui est désir de retenir. Nous
naissons pour saint Augustin entre l’urine et les fèces, c’est là que nous faisons l’amour, nous pissons avant
et nous chions après. C’est tout le sens sexuel qu’il faut retenir de la libido dans ce lien avec le sexuel des
orifices qu’établit bien l’obsessionnel. C’est tout le sens de la fomentation de la petite merde chez l’Homme
aux loups en lien avec l’acte sexuel.
Que dire alors de ce qui se passe de l’empêchement à l’émotion dans la névrose obsessionnelle ?

Le sujet est empêché de se tenir à son désir de retenir : Lacan dit que chez l’obsessionnel c’est ce qui se
manifeste comme compulsion.

Et l’émotion, c’est un « ne pas savoir ». Le sujet ne sait pas répondre à la tâche qui lui est prescrite et il en
éprouve une émotion.

À partir de là qu’advient-il de l’obsessionnel ?

L’obsessionnel va faire des allers et retours dans le signifiant à la recherche de la récurrence de tout le
processus ; confronté à cet objet anal abject et dérisoire il va être dans le suspens avec ses fausses routes, ses
fausses pistes, dans le doute qui va frapper pour lui la valeur de tous ses objets petit a de substitution.

Il ne peut, il s’empêche, il se vautre dans le doute, recul du moment d’accès à l’objet dernier, qui serait la fin
au sens plein du terme, alors qu’il s’est introduit dans le transfert avec l’embarras comme question sous-
jacente de la cause.

À quel objet fait-il retour ?

Il y a aussi ce retour à l’objet premier avec sa corrélation d’angoisse, motif chez l’obsessionnel du
surgissement de l’angoisse. À mesure qu’il avance dans cette voie, il va se défendre d’un autre désir.
Pourquoi se défend-t-il d’un autre désir, sinon parce que ce désir anal qui se présente à lui comme fin ultime,
il ne peut l’assumer qu’au niveau du doute dont il se défend.

Pourquoi peut-on dire que l’angoisse est au cœur du sujet ?

Ceci est illustratif que pour l’homme, dit Lacan, en fonction de cette structuration propre au désir autour du
truchement d’un objet, il se pose comme ayant l’angoisse en son cœur et séparant le désir de la jouissance.
C’est le petit a, résidu subjectif au niveau de la copulation. Copule du moins j qui n’unit qu’à manquer et
arrivée à l’angoisse de castration qui se produit au lieu du manque de l’objet.

Pourquoi l’obsessionnel se rabat-il sur le don pour accéder sans y parvenir à son désir ?

Il y a un autre désir par rapport au désir génital chez l’obsessionnel qui est désir de retenir, c’est le bouchon
excrémentiel. Lacan raille au passage l’oblativité qui était monnaie courante dans les directions de cure de
l’époque pour souligner que l’oblativité est un fantasme obsessionnel, alors que dans l’acte génital
copulatoire, il n’y a nulle trace de don. Seulement au niveau anal qui empêche la réalisation de la béance
dans l’acte sexuel.

Le rapport à la cause, « qu’est-ce que c’est que ça ? »

Lacan l’a développé dans les leçons précédentes à propos de Piaget. C’est le fameux robinet qui coule,
quand on l’ouvre. Il y a un empêchement qui s’exprime dans un ne pas pouvoir, il y a une émotion qui
s’exprime dans un ne pas savoir.

Où le symptôme se manifeste-t-il avec le robinet pour l’enfant ? Lacan nous dit, c’est la fuite du robinet.

On l’ouvre, sans savoir ce qu’on fait, c’est le passage à l’acte. On l’ouvre et ça coule. Une cause se libère par
des moyens qui n’ont rien à faire avec cette cause. La cause est ailleurs. « C’est parce qu’il y a l’appel du
génital, le phallus, au centre, que tout ce qui peut se passer au niveau de l’anal entre en jeu. » Parce qu’il
prend son sens. La cause est à situer du côté du trou du phallus.
On a vu le passage à l’acte, qu’en est-il de l’acting out ?

Quant à l’acting out, c’est la présence ou non du jet qui le caractérise ici pour le robinet, c’est-à-dire ce qui
se produit toujours d’un fait qui vient d’ailleurs que la cause sur laquelle on vient d’agir.

Cliniquement il faut éviter de tracasser trop franchement la cause du désir, sinon on produit chez le patient
des acting-out.

Ce qu’on peut dire de l’objet a par rapport au don est transposable à l’image.

Que dire chez l’obsessionnel de l’objet d’amour exalté ? Y-a-t-il lieu de le distinguer d’un amour
érotomaniaque ?

L’amour prend pour lui cette forme de lien exalté. Pourquoi ? Parce qu’il veut qu’on aime de lui une certaine
image et qu’il s’imagine que si cette image faisait défaut l’autre n’aurait plus rien à quoi se raccrocher.
Dimension altruiste de cet amour mythique fondé sur une mythique oblativité.

C’est là où émerge la notion de distance du sujet à lui-même qui dans ce jeu ne profite qu’à cette image.

On y voit communément la dimension narcissique où se développe tout ce qui est chez l’obsessionnel de
l’ordre du vécu. C’est le premier temps d’une réalisation de ce qu’il ne lui pas permis de réaliser comme
désir. Car de ce désir, il fait le tour de toutes les possibilités qu’au niveau phallique détermine l’impossible,
car l’obsessionnel soutient son désir comme impossible, au niveau des impossibilités du désir.

On a cette référence à la topologie du tore. Le cercle de l’obsessionnel est un de ces cercles qui ne peuvent
jamais se réduire à un point. De l’oral à l’anal, du phallique au scopique, du scopique au vociféré, rien ne
revient jamais sur soi-même en une quête qui pourrait être infinie au niveau de l’âme du tore. C’est à cause
de cela que jamais rien ne repasse dans son point de départ et que la répétition tourne autour de l’impossible.

Texte relu par l’auteur.


SÉMINAIRE DE PRÉPARATION AU SÉMINAIRE D'ÉTÉ 2022 : L'ANGOISSE - LEÇON 25

Préparation au Séminaire d'Été 2022 - Étude du séminaire X de Jacques Lacan, L'Angoisse

Mardi 07 juin 2022

Président et discutant : Fabrizio Gambini

Leçon 25, 3 juillet 1963

Edouard Bertaud

Je vais tenter de vous présenter le fil de cette dernière séance du séminaire sur l’Angoisse.

Même si j’ai la chance de bénéficier d’un peu plus de temps que d’habitude, puisqu’exceptionnellement
nous ne travaillons qu’une seule séance ce soir du séminaire, je ne vais pas pour autant aborder tous les
aspects de cette séance. Il y aura un reste bien sûr, beaucoup d’éléments et de questions qui resteront pour
nos échanges et la discussion.

Au cours de cette dernière séance, Lacan va reprendre, rassembler – c’est aussi ce qui en fait la densité – de
nombreux éléments qu’il a travaillés durant toute cette année de séminaire sur l’Angoisse. C’est en effet pour
lui l’occasion d’évoquer – à nouveau – les caractères de l’objet petit a et son rapport essentiel (qu’il avait
indiqué dès la première séance de séminaire) au désir de l’Autre.

Mais cette séance à mon sens est essentiellement pour lui l’occasion d’indiquer son originalité.

Il le dit explicitement dès les premières minutes de la séance. Il reprend là « ce qu’il aura articulé
d’original » cette année sur le sujet ; original, dans sa façon de se démarquer de Freud et de renouveler,
préciser la lecture freudienne de l’angoisse, de l’objet, mais également celle du deuil dont il reparlera
également dans cette séance.

Mais ce signifiant « d’original » est d’autant plus important que cette séance – mais nous pourrions le dire il
me semble de tout le séminaire – revient sur la question de l’origine et de la fonction de l’objet petit a
comme étant celle de la constitution du sujet au lieu de l’Autre.

Lacan va donc d’abord reprendre des éléments de la seconde théorie de Freud sur l’angoisse en indiquant
que pour Freud, l’angoisse est signal d’un danger. Lacan marque donc son originalité en précisant que ce
danger est lié au caractère de cession du moment constitutif de l’objet petit a.

L’angoisse est donc liée à ce caractère de cession et tout au long du séminaire, vous avez pu voir comment il
s’est appliqué à nous montrer comment avec chacun des sens et des parties du corps, il y a un reste et que
c’est ce reste qui vient le construire.

Ainsi, le sujet se constitue-t-il dans la fonction de cession.

L’angoisse est signal du danger que représente la cession de l’objet et cette même angoisse se trouve
rapportée au désir de l’Autre en ce que je ne sais pas quel objet petit a je suis pour l’Autre, pour le désir de
l’Autre.
Si l’objet petit a est lié à la constitution du sujet au lieu de l’Autre, et si l’Autre c’est la réalité, c’est-à-dire,
comme le dit Lacan, si l’Autre est toujours là dans « sa pleine réalité », cette réalité de l’Autre, elle ne se
manifeste tout particulièrement que par certains événements, que Lacan va reprendre.

Et cela va l’amener à rechercher à chaque niveau du graphe de l’objet (en forme de poire d’angoisse) qu’il a
présenté le 19 juin 1963, l’accès qui est donné à cette réalité de l’Autre, et qui ne sera pas le même à chaque
fois : à l’étage oral, anal, phallique, scopique, de l’objet, avec un traitement à part réservé au cinquième
niveau, j’en reparlerai.

Je vais tenter de reprendre rapidement ce que Lacan dit de ces étages dans cette séance :

À l’étage de l’oralité, je dirais que grand A et petit a sont confondus.

Au premier niveau, « cette réalité de l’Autre est présentifiée (...) par le besoin ».

En effet, la première demande (de l’Autre) n’est donc pas du côté du sein puisque celui-ci est donné par la
mère. Mais l’enfant ne sait pas qu’il reçoit le sein qui est à l’un et à l’autre. Je vous renvoie à ce que Lacan
disait de l’organe ambocepteur. C’est pour cela qu’il dit encore que le sein est la première forme qui rend
possible l’objet transitionnel en tant qu’il n’est ni à l’un ni à l’autre mais qu’il appartient aux deux.

Toutefois, « l’angoisse paraît avant toute articulation de la demande de l’Autre » et coïncide au cri qui
échappe au nourrisson.

C’est là, selon Lacan, que se situe le trauma de la naissance. Il n’est pas dans la séparation d’avec la mère
mais dans l’aspiration en soi de ce milieu foncièrement autre.

Si Freud parle du traumatisme de la naissance, reprenant Otto Rank, l’important, pour Lacan, c’est le
sevrage, pas la naissance. C’est le sevrage qui va le fonder. L’enfant joue à se détacher et à reprendre le sein.
D’ailleurs, pour faire succion, il faut d’abord faire du vide. L’enfant se sèvre plus qu’il n’est sevré. Il investit
la perte et se trouve investi par la perte.

Passons au deuxième niveau du graphe, dont il a déjà beaucoup parlé aux séances précédentes, le niveau anal.

À ce niveau se situe la première demande de l’Autre maternel. Cette demande dans l’Autre se spécifie par le
manque d’objet : il est question pour l’enfant en effet de retenir l’objet. La première demande se fait du côté
de la propreté. L’objet n’est pas là où il faut, il est nécessaire de retenir l’objet puis de le lâcher, de donner
cet objet d’une grande valeur pour l’autre. Nous retrouvons là tout l’aspect disparate de l’obsessionnel à
travers cette demande hétérogène : C’est moi et ce n’est pas moi, je garde et je donne, etc.

Contrairement au niveau oral[1], il y a à ce deuxième niveau cette fois-ci un sujet, et ce sujet se reconnaît en
quelque sorte dans cet objet. Il s’agit de donner et de retenir ce qu’il est.

Plus exactement, il s’agit de faire cession de son statut de sujet (ce qu’il est). Il doit disparaître comme sujet
pour devenir objet.

Si l’Autre obtient l’objet cessible et que je deviens cet objet, alors je ne peux me supporter en place d’objet
et c’est la violence qui va prédominer.

Lacan reprend là ce qu’il a pu dire dès la deuxième séance du séminaire à propos des formules de désir, sur
le duel à mort avec le petit autre et sur la façon de se retrouver à la merci de l’autre (notamment si nous
n’avons à faire qu’à des consciences comme c’est le cas chez Hegel).
J’évoquais à l’instant la violence, la guerre à mort entre deux autres, Lacan souligne un point technique sur
ce que nous allons trouver chez l’obsessionnel sous le titre de l’agressivité et l’ambivalence.

Lacan ne cite pas Maurice Bouvet cette fois-ci mais la référence est sous-entendue, si l’on valide ou si l’on
pointe – comme peut le faire un Maurice Bouvet – l’agressivité dans le transfert ou si l’on interprète les actes
de l’obsessionnel sur leur aspect anal, nous voyons bien que c’est la meilleure façon de rester, c’est le cas de
le dire, à ce stade, à ce niveau.

Ce n’est pas tant que l’obsessionnel serait à une « mauvaise distance à l’objet » comme dirait Bouvet, ce qui
pourrait se résoudre dans l’identification idéale à l’analyste, que l’obsessionnel prendrait bien sûr comme
une demande provenant de l’Autre de l’analyste, ce n’est donc pas tant cela que de s’apercevoir que la
névrose obsessionnelle est totalement organisée pour lutter contre la perte de l’objet.

Cet objet refusé à donner, à donner ce que l’on est, ne serait en fait que « vanité » (Hêvele), « chose qui
s’efface ».

Si cet objet est bien un reste, il n’est pas vanité, mais ce qui va constituer ce lieu que devient l’écart entre le
désir et la jouissance.

En disant cela, l’on se situe alors au troisième niveau de ce graphe.

L’objet petit a phallique est à l’étage où s’opère cette disjonction du désir et de la jouissance.

Le moins j est symbole de ce qui manque, et donc la désignation de l’ensemble des objets petit a. La
castration est en effet synonyme de coupure.
Si je suis « à jamais cet objet cessible », l’objet d’échange, les objets sont donc remplaçables, alors un
monde s’ouvre à moi et me fait désirer.

« Ce n’est pas un manque du sujet mais le principe qui me fait désirer, c’est un défaut fait à la jouissance qui
se situe au niveau de l’Autre ». C’est en cela que Lacan se propose d’évoquer à ce niveau le désir de
castration plutôt que l’angoisse de castration. Ce n’est plus la crainte de la castration mais craindre le fait
qu’il n’y ait pas de castration.

La cession est une perte mais aussi un bénéfice, celui de ne pas être réduit à l’objet joui par l’Autre.

Au quatrième niveau, Lacan rappelle que c’est à ce stade que l’angoisse peut être repoussée, méconnue car
dit-il nous avons des « yeux pour ne pas voir ». Pas besoin de se les arracher tel Œdipe. C’est un étage
marqué du désir de ne pas voir. Pris dans la capture narcissique de l’i(a), c’est là où l’objet petit a est le plus
masqué.

Pour reprendre l’apologue de la mante religieuse avec lequel il avait ouvert le séminaire et que nous
retrouvions déjà à la fin de celui sur L’identification, nous dirions que quand le sujet ne voit pas son image,
c’est l’angoisse.

Quand il se voit dans le regard de l’Autre, c’est le désir.

À ne pas faire face à un Autre radicalement Autre (comme dans l’histoire de la mante religieuse), mais à un
semblable, à un petit autre dans notre vie courante, alors nous allons là tout loisir d’échapper à l’angoisse et
à masquer l’objet petit a, ce « je ne sais pas ce que je suis comme objet ».

L’évocation de ce quatrième niveau est également l’occasion pour Lacan de l’articuler à sa matrice, le
tableau de référence qu’il a déjà présenté dans d’autres séances.
Je ne vais pas le reprendre dans son détail, on pourra en parler par la suite si vous voulez mais il introduit
dans la reformulation de la matrice le deuil en place de l’acting out.

Effectivement, une grande partie de la fin de la séance sera consacrée à la question du deuil.

Pourquoi cela ? Il y a bien sûr la fin du texte de Freud d’Inhibition symptôme et angoisse et la question qu’il
pose : quand est-ce que la séparation d’avec l’objet donne-t-elle de l’angoisse et quand est-ce qu’elle donne
du deuil ?

Comment faire, en fait, avec ce que l’on n’a plus ?

On voit bien comment Lacan nous oblige à distinguer : perte, séparation, « sépartition » et cession.

Lacan va introduire sa lecture de « Deuil et Mélancolie » en reprenant l’une des références de cet article de
Freud, Hamlet, comme figure du deuil mais également je vous rappelle qu’il avait pu dire, puisqu’il a
beaucoup parlé de la névrose obsessionnelle dans les trois dernières séances du séminaire l’Angoisse, il a pu
dire dans Le désir et son interprétation que le désir d’Hamlet c’est, notamment, le désir d’un obsessionnel.
Pas que cela mais aussi cela. Il a surtout indiqué qu’Hamlet était une plaque tournante concernant le désir.

Lacan ne reprend pas tout le long développement qu’il avait pu faire dans le séminaire Le désir et son
interprétation, mais il va insister sur un seul point autour de quoi tournera sa lecture de « Deuil et
mélancolie » : i(a) et petit a.

Hamlet constate l’absence de deuil de sa mère ce qui provoque l’effondrement de l’idéal chez lui et ainsi la
disparition du désir.

Hamlet s’éloigne d’Ophélie et il aura fallu la vision du deuil du frère d’Ophélie, Laërte, cet épisode
spéculaire, pour retrouver le désir et sortir de sa procrastination.

« Est-ce que ceci ne nous ouvre pas la porte, ne nous donne pas la clé [dit Lacan] qui nous permet de mieux
articuler que ne le fait Freud ce que signifie un deuil ? »

En effet, vous savez dans une lecture je dirais freudienne du deuil, le deuil est une réaction à une perte. Le
travail de deuil consiste alors à faire triompher la réalité (à savoir que l’objet n’existe plus) et à retirer toute
la libido des liens à l’objet. Lacan souligne l’importance que Freud donne au fait que la personne endeuillée
prend beaucoup de temps et accomplit de façon détaillée ce travail de liaison-déliaison à l’objet. C’est-à-dire
que chaque souvenir, chaque trait de liaison à l’objet est repris, surinvesti pour permettre ensuite à la libido
de s’en détacher.

L’originalité de Lacan pourrait-on dire est de proposer un renversement de la logique du deuil en deux
temps : il ne s’agit pas tant de se détacher minutieusement des liens à l’objet que, par ce dit travail du deuil,
de « maintenir, soutenir tous ces liens de détails ».

Il est vrai que celui dont on est séparé par la mort n’est jamais aussi présent que par le deuil. Vous trouverez
la même chose dans les séparations de couple, les deuils d’une relation amoureuse.

C’est ce lien-là qu’il s’agit de restaurer, ce lien à l’objet petit a, véritable objet de la relation au défunt. Un
travail de construction de l’objet perdu, construction de l’objet petit a[2].

Ensuite, nous dit Lacan, et là il retrouve une lecture freudienne, un substitut pourra être donné, mais un
substitut qui concernera l’image de l’autre i(a).

De la même façon, l’introduction de petit a et de i(a) permet de revisiter la psychose maniaco-dépressive.

Qu’est ce qui vient lier ces deux tableaux cliniques que sont la manie et la mélancolie et qui semblent si
différents ? À l’heure actuelle, on a trouvé la réponse dans la perturbation de l’humeur, à l’époque de
Baillarger et Falret c’était la question cyclique ou circulaire (à double forme) de la maladie, et cela avant la
description par Kraepelin de la folie maniaco-dépressive en 1899.

C’est la non fonction de l’objet petit a qui vient lier mélancolie et manie.

Dans la manie, le sujet n’est plus lesté par aucun objet petit a qui le livre à la métonymie infinie et ludique,
pure, de la chaîne signifiante.

Le petit a leste en fait le rapport du sujet au langage. Le sujet n’est plus divisé, tout est possible pourrions-
nous dire sans ce leste. Le maniaque est avalé par le grand Autre à défaut d’être lesté.

Cette non fonction de l’objet petit a dans la manie peut trouver son illustration psychiatrique dans ce que
l’on appelle la fuite des idées du maniaque. Kraepelin en donne une très belle illustration (qui s’ouvre vous
le noterez sur a question de l’objet) :

« Un objet tombe sous leur regard, une inscription, un bruit fortuit, un mot qui résonne à leurs oreilles sont
aussitôt introduits dans leur discours et peuvent susciter une série de représentations soit similaires soit
associées uniquement par une habitude linguistique ou assonante »[3].

Donc non fonction de l’objet petit a dans la manie, en tant que le sujet n’est pas lesté par cet objet, et dans la
mélancolie, le sujet est réduit à être cet objet, et c’est le corps tout entier qui est déchet, rebus, reste qui n’a
pas de découpe. C’est la perte, comme l’indiquait Charles Melman, de toute perte possible.

« L’objet parle en clair » dans la mélancolie, dit Marcel Czermak, et le mélancolique énumère toutes les
caractéristiques de l’objet. Il n’est plus masqué par les parenthèses de l’i(a), cette image spéculaire qui
donne son habillement « à cet objet insaisissable ». Le mélancolique est commandé par l’objet petit a
, et c’est à chercher à l’atteindre qu’il va attaquer son image et passer au travers. Il devient ce qui choit, d’où
le caractère nécessaire quasi automatique du suicide du mélancolique qui passe par une précipitation par la
fenêtre. Tentative d’instaurer une coupure, de se dégager du plein (pensons au délire d’énormité, à l’aspect
sphérique du Cotard). L’objet a pris toute la place, toute la scène laissée vacante par la disparition du sujet.

Marcel Czermak le rappelait souvent, ce que le mélancolique dit être, le maniaque l’est : impudique,
ingérable...

Avant d’évoquer le deuil et la folie maniaco-dépressive, nous avons reparlé des quatre étages du graphe de
l’objet, mais il y en a cinq. Le dernier étage, il va essentiellement l’aborder un peu plus tard dans la seule et
unique séance du séminaire Les noms du père. Il s’agit de l’étage de la voix, de la dimension auditive qui a
déjà été évoquée dans une séance précédente par le biais du schofar et qui implique la fonction paternelle, la
fonction du nom.

On retrouve là encore la question de la cession puisque si l’on nomme, on perd toujours quelque chose en
nommant.

« Il n’y a de surmontement de l’angoisse que quand l’Autre s’est nommé. Il n’y a d’amour que d’un nom ».
On voit bien là toute la référence biblique et la fonction de donner nom.

Plusieurs remarques à ce sujet et qui prendront forme également de conclusion :

Cette question de la nomination est d’autant plus intéressante que l’objet petit a dans son immatérialité ne
peut être nommé. L’appeler, comme le fait Lacan, petit a lui fait perdre son côté imaginaire pour n’en retenir
que sa dimension de fonction, puisque ce séminaire L’Angoisse est, pourrait-on dire, un séminaire non pas
sur l’objet petit a mais sur la fonction de l’objet petit a.
Je vous signale que l’aliéniste de Clérambault n’aura pas procédé autrement dans ce souci d’éviter toute
imaginarisation quand il envisagea pendant un temps nommer le syndrome d’automatisme mental
« syndrome S ».

J’ai indiqué en commençant ce soir cette lecture qu’il s’agissait d’une séance sur l’originalité, sur ce qu’il y a
d’original chez Lacan, en ce sens que l’objet petit a, comme nous l’avons vu, éclaire des questions cliniques
(deuil, psychose) mais indique également ce qu’il en est de l’origine du sujet, se constituant au lieu de
l’Autre.

Dernière séance, et séminaire tout entier sur l’original, l’origine du sujet mais aussi sur l’origine d’une
analyse, son point de départ :

Je vous rappelle que dès la première séance Lacan évoquait la question de l’angoisse du côté de l’analyste
lorsqu’il reçoit un patient.

Reprenons cette phrase : il n’y a d’amour que d’un nom.

C’est souvent ainsi qu’une personne demande les coordonnées d’un ou d’une analyste : pourriez-vous me
donner un nom ? Auriez-vous un nom à me donner ?

Et Lacan dit qu’il y a surmontement de l’angoisse que l’Autre se nomme. Il ne dit pas quand le désir de
l’Autre se nomme mais l’Autre. En tout cas quand on peut identifier l’Autre.

Cette question de nommer est importante aussi si on la rapporte à l’angoisse de l’analysant : Un analysant
qui dit qu’il est angoissé, qui nomme cette angoisse est déjà pourrait-on dire presque sorti de l’angoisse.

Quelqu’un qui est angoissé devient en effet totalement l’angoisse et ne peut parler.

C’est la référence à la poire d’angoisse dont Lacan parlait au début du séminaire. Cet instrument de torture
qui s’ouvre dès que la personne tente de dire, d’articuler quelque chose.

Un dernier mot concernant le deuil et la cession :

Quand nous parlons de la fin de l’analyse, il est très souvent question de cette fin du côté de l’analysant, très
peu du côté de l’analyste.

J’ai déjà entendu Guy Pariente (qui a pendant de un précieux séminaire de lecture des séminaires de Lacan),
dire que quand on reçoit un patient la question n’est pas de savoir comment le garder mais comment s’en
débarrasser.

On retrouve cette question de la cession, de la séparation.

J’ai toujours entendu cette phrase comme une variation de ce que disait Lucien Israël quand il indiquait que
l’analyse ne peut se terminer qu’à condition que l’analyste soit capable de perdre un analysant.

Et avec l’humour qui le caractérisait toujours, il rajoutait : « Dans les moindres des cas, ce sera perdu pour
son portefeuille, dans les cas graves ce sera perdu pour son narcissisme ».

Vous voyez on retrouve petit a et i(a).

Lacan termine ce séminaire en indiquant que c’est le transfert qui permet de mettre en place l’objet petit a.
Bien sûr que l’analyste va être convoqué en place de grand Autre et que la questionu Que vuoi ? se poser.
L’analyse ne pourra se mettre en route que si l’analysant pense, postule qu’il y a bien une cause derrière tout
ça, derrière ses symptômes, derrière ce dont il se plaint. Ça cache quelque chose pourrait-on dire.

Mais le séminaire se termine sur une phrase qui me semble bien énigmatique.

Je vous la cite : « Il convient que l’analyste soit celui qui ait pu (...) assez faire rentrer son désir dans ce (a
) irréductible pour offrir à la question du concept de l’angoisse une garantie réelle ».

Cela convoque bien sûr l’analyste en place d’objet petit a. Si le patient n’entend pas ce qu’il dit dans
l’analyse, alors l’analyste est bien au niveau de ce qui manque au patient.

Mais Lacan reprend dans cette phrase la référence à Kierkegaard dans ce « concept de l’angoisse ».

Le concept c’est ce qui vient faire bord, c’est ce qui contient.

La garantie réelle ce serait peut-être de dire qu’il n’y a pas de signifiant, de signification venant attraper,
cerner l’objet par l’analyse mais seulement la limite que constitue la fonction manquante de l’objet petit a.

L’analyse garantie que l’angoisse n’est pas sans cet objet.

Cela me faisait penser à cette phrase de Marcel Czermak que j’avais retenue, il ne l’a jamais écrite je crois,
mais il disait :

« Une analyse ça ne sert qu’à une chose : à supporter plus d’angoisse ».

Avec accord de l’auteur.

[1] « Le sujet ne sait pas, ne peut pas savoir jusqu’à quel point il est lui-même cet être plaqué sur ce parasite
plongeant ses villosités dans la muqueuse utérine sous la forme du placenta » séance 19 juin 63
[2] Nous sommes en deuil de quelqu’un dont nous pouvons dire : « j’étais son manque ». Nous ne savions
pas que nous remplissions cette fonction d’être à la place de son manque.
Kraepelin La folie maniaco-dépressive (1913), Editions Mollat 1997.

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