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Annales du Midi : revue

archéologique, historique et
philologique de la France
méridionale

Chanoine A. Auriol et Raymond Rey. La basilique Saint-Sernin de


Toulouse. Toulouse, Édouard Privat ; Paris, Henri Didier, 1930
Henri Graillot

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Graillot Henri. Chanoine A. Auriol et Raymond Rey. La basilique Saint-Sernin de Toulouse. Toulouse, Édouard Privat ; Paris,
Henri Didier, 1930. In: Annales du Midi : revue archéologique, historique et philologique de la France méridionale, Tome 44,
N°173, 1932. pp. 84-97;

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COMPTES RENDUS CRITIQUES

Chanoine A. Auriol et Baymond Rey. La basilique


Saint-Sernin de Toulouse. Toulouse, Edouard
Privât; Paris, Henri Didier, 19?0. Uu volume in-16,
de ?67 pages.
L'insigne basilique de Saint-Sernin de Toulouse est la plus
grandiose de nos églises romanes, depuis la destruction de
de Cluny. Elle occupe une place éminente dans
de l'art français au Moyen âge. Architecture et sculpture,
tout y soulève de passionnants problèmes d'archéologie
On l'a beaucoup étudiée. Mais elle attendait toujours une
monographie digne d'elle. On ne peut, en effet, citer que pour
mémoire celle que publia d'Aldéguier en i854. Voici donc une
monographie de Saint-Sernin qui est vraiment la bienvenue.
Nous devons ce volume à la collaboration de deux érudits
toulousains. L'un est le savant abbé Auriol, président de la
archéologique du Midi de la France, qui avait déjà publié
plusieurs articles sur des châsses, des chapiteaux, des fresques
de Saint-Sernin, sans parler d'un excellent petit guide de la
basilique, paru en 1920. L'autre est M. Rey, professeur à la
des Lettres, qui s'est déjà fait connaître par ses études sur
la cathédrale de Cahors et les vieilles églises fortifiées de notre
Midi. L'illustration est aussi copieuse qu'on pouvait la
et, par surcroît, a souvent l'attrait de l'inédit. Sachons gré à
M. le professeur Hamann, de l'Université de Marburg, d'avoir
mis à la disposition des auteurs la précieuse collection de ses
photographies. Il y a là, révélés pour la première fois par
l'image, des, détails d'architecture et de décoration sculpturale
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 85
qui constituent de remarquables documents. Quant ???
claire et soignée, elle fait honneur à la maison
dont cette publication inaugure, je l'espère, une
série de monographies régionales.
L'ouvrage se divise en trois parties. La première, la plus
pour l'histoire de l'art, est consacrée à l'architecture
et à la sculpture; M. Rey étudie successivement les origines de
Saint-Sernin, l'intérieur de la basilique, l'extérieur, le clocher,
l'ornementation extérieure. La seconde partie a pour objet la
décoration et le mobilier. L'abbé Auriol nous conduit d'abord
au chur et à l'abside (tombeau de saint Saturnin et maître-
autel), puis au déambulatoire, au transept et à la nef. Dans la
troisième partie, c'est encore l'abbé Auriol qui nous sert de
guide. Il nous fait descendre dans la crypte et visiter le trésor.
Pour terminer, il nous met sous les yeux les vestiges du cloître
et des cimetières.
Cette monographie exhaustive n'est pas seulement destinée à
satisfaire la curiosité des touristes qui s'intéressent à Saint-
Sernin et à l'art français. Elle rendra service aux érudits, aux
archéologues, aux historiens de l'art. Peut-être ne seront-ils
pas toujours d'accord avec M. Rey; mais il ne prétend point
nous donner une mise au point archéologique. « Notre seule
ambition », écrivent trop modestement les auteurs, « est de
un guide précis et commode ». Je me contenterai donc
de consigner ici les quelques observations dont j'ai pris note
au cours de ma lecture. Elles prouveront du moins aux auteurs
avec quelle attention et quel intérêt j'ai lu et relu ces pages.
Page la : Le tombeau de Saint-Sernin. Ce n'est pas « à
même où le martyr était tombé » que saint Hilaire éleva
un oratoire; c'est, selon la tradition, à l'endroit où la corde qui
le liait au taureau s'est rompue. A ce détail légendaire la
rattache directement le vocable de Saint-Saturnin-du
Taur, de Tauro; et M. Rey paraît l'accepter sans réserve. Cette,
relation immédiate de cause à effet m'a toujours paru peu
En général, ces dénominations sont tirées d'un lieu,
dit ou d'un monument du proche voisinage. Au v" siècle, dans
la Toulouse wisigothique, ou plutôt hors des portes, existait un
86 ' ANNALES DU MIDI.
taureau d'airain qui servait au supplice du feu. En 497, Alaric
y fit enfermer et brûler un certain Burdunclus, qui s'était
roi d'Espagne (Chronique ds Victor de Tunes, append.,
dans Monumenta Hist. German. antiquiss.,Xl,p. 222 : « Tolosam
directus, in tauro aeneo impositus, igné crematus est »; cf.
Hist, du Languedoc, éd. Privât, I, p. 5i4). Si ce taureau se
près de la porte romaine du nord, dont les bases subsistent
encore sous la place actuelle du Capitole, il aurait pu donner
son nom au quartier voisin ; ce qui n'a rien à voir avec le rôle
du taureau dans le martyre du Saint, mais ce qui aurait
facilité la confusion. Je crois que ces cas de
et d'adaptation sont fréquents. Mais non erat his locus.
P. i3 ,: La basilique gallo-romaine. Jusqu'au ixe siècle, nous
n'avons que la documentation suivante : les Actes de la
de saint Saturnin (dans Hist, da Languedoc, éd. Privât, H,
Preuves, col. 33), relatant la construction de la basilique « pul-
chra et speciosa » par saint Sylve, son achèvement et sa consé-
sécration, avec translation des reliques, par saint Exupère;
la pierre tombale du prêtre David, qui paraît bien remonter au
ve siècle; au vie siècle, un passage de Grégoire de Tours
pour la première fois l'existence d'un monasterium ; la
vie de l'abbé Sigiramne (vu0 s.), où il est fait mention de l'atrium
beati martyris Saturnini, rendez-vous des pauvres qui viennent
chercher l'aumône (Monumenta Germaniae, 2e ser., IV, p. 663);
les'chartes de Charles le Chauve, datées de mai et juin 844,
données dans le monasterium ou coenobium S. Saturnini
prope Tolosam, où logeait le roi pendant que son armée
assiégeait la ville; la charte de ce roi, datée du 5 avril 844,
confirmant les privilèges accordés à ce « monastère » par son
père Louis le Débonnaire et par les rois ses prédécesseurs. La
destruction du monument par les Sarrasins, en 721, n'est
qu'hypothèse.
P. 16 : Saint-Sernin et la route de Compostelle. Sans doute
on aurait tort de parler d'une école languedocienne
dérivant de Saint-Sernin. Toulouse est trop à la frontière
occidentale du Languedoc, qui subit d'autres influences ; cf. la
nef de Saint-Nazaire de Carcassonne. Aussi Brutails préférait-il
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 87
ranger Saint-Sernin dans une soi-disante école d'Aquitaine,
tout en avouant que cette école manque de consistance. On a
certainement abusé de ces classifications régionales. Mais il est
exagéré de considérer comme «périmée » la question de savoir
si cette église appartient ou non à l'école auvergnate. Les
surmontant les bas côtés, leurs voûtes en quart de cercle
eu demi-berceau qui contrebutent le berceau de la nef centrale,
cette disposition qui permet de donner à la fois plus de
à l'édifice et des proportions plus élancées à la nef, qui
permet aussi de l'éclairer un peu mieux grâce aux fenêtres
ouvertes dans le mur extérieur des tribunes, telle est bien la
formule auvergnate. Et l'on sait, d'autre part, quelle fut la
de cette école. Saint-Sernin s'y rattache, de toute
comme Saint-Martial de Limoges, comme Sainte-Foy
de Conques. Ces réserves faites, on peut parler des « églises de
pèlerinage », en y comprenant aussi Clermont, Saint-Nectaire,
Issoire, Orcival, Mozac, etc., dont les Vierges miraculeuses et
les reliques attiraient de nombreux pèlerins.
P. 20 : Les basiliques surs de Saint-Sernin, leurs caractères
communs. Je ne puis me résigner à croire que le rond-point
du chur de ces édifices, avec sa demi-couronne de colonnes,
« n'est autre qu'un demi Saint-Sépulcre ». Que certaines églir
ses aient reçu la forme d'une rotonde à l'imitation du Saint-
Sépulcre, c'est un fait bien connu. Celle de Neuvy, dans l'Indre,
fut fondée en io45 « ad formam Sancti Sepulcri Ierosolimitani ».
Mais que, « cette disposition étant peu commode dans les grands
édifices, le demi-cerle du côté de la nef » ait été « supprimé »,
que l'on ait conservé seulement « l'autre demi cercle » pour
en faire « l'hémicycle du chevet », voilà qui paraît peu
et plutôt fantaisiste. Je ne conçois guère un arctn>
tecte roman ou préroman découpant une tranche du
pour l'adapter à son édifice. Un déambulatoire suppose
presque naturellement, j'allais dire logiquement, une
avec le rond-point du chur. Cette communication
ne pouvait s'établir qu'à l'aide d'arcades assez rapprochées,
n'exigeant pas de support massif, permettant donc de
la colonne au pilier. Il y a là un processus logique dont il
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faut d'abord tenir compte, sans exclure des influences possibles
qui ne sont pas nécessairement des imitations.
Je ne suis pas d'accord non plus' avec M. Rey sur la fonction
des tribunes qui surmontent les bas côtés de la nef et du
« Leurs ouvertures faites de deux baies géminées,
une large vue sur l'intérieur de l'église et permettaient
de suivre les offices aux jours de grande affluence». Je persiste
à croire que les tribunes de Saint-Sernin n'ont jamais eu cette
destination liturgique. Même en admettant que les escaliers
actuels, étroits et incommodes, soient d'une date postérieure,
on ne voyait rien ni des offices ni des processions, si l'on n'était
pas des rares privilégiés qui pouvaient se pencher entre les
colonnes des baies.
P. a5 : Leur prototype, Saint-Martin de Tours. Capital fut
son rôle dans l'élaboration du type de ces édifices de
et M. Rey y insiste avec raison. Dans la basilique du
x* siècle on retrouve déjà tous les éléments de Saint Sernin et
de Saint-Jacques. Citant Lasteyrie, M. Rey déclare que nous ne
connaissons pas d'église avec chapelles rayonnant autour du
chevet, qui soit antérieure à cette reconstruction de
Lasteyrie ajoutait prudemment : ce en France ». D'après une
référence qu'il emprunte à M. Mâle, M. Rey signale une
de Basse- Egypte, datant au plus tard du début du v*
qui déjà possédait un déambulatoire à chapelles
et un transept à collatéraux et tribunes (p. 26 et note 2).
Mais M. Mâle ne parle que du transept. Au surplus, pourquoi
ne pas dire que tout ce paragraphe ne fait que résumer deux
pages substantielles de M, Mâle (L'art religieux du XIIe siècle
en France, pp. 299-?00)?
P. 3i : La construction de Saint-Sernin, les étapes. Nous
ignorons quand elle fut commencée : en tout cas, la date de
1060 est assez arbitraire. Vers 1077, il est question de l'uvre
de l'église à construire, opera ecclesiae construendàe (Hist, du
Languedoc, éd. Privât, V, col. 6?1), ce qui ne veut pas dire que
l'on n'y travaillait pas déjà. Si Saint-Martial de Limoges ne fut
commencé qu'après l'installation de l'abbé Adémar (106?) et
était terminé, ce semble, quand Urbain II le consacra, la cons-
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 89
truction n'aurait duré qu'une trentaine d'années. Si
ne fut entrepris qu'entre 1075 et 1080, s'il y eut quelques
interruptions ou quelque ralentissement dans les travaux au
moins jusqu'en 108?, il n'est pas surprenant qu'en 11 18, à la
mort de Raymond Gayrard, on n'ait pas dépassé le niveau
des fenêtres. La construction, jusqu'au narthex et sans
les voûtes de la nef, aurait duré une quarantaine d'années. Je
crois avec M. Rey qu'il s'agit des fenêtres hautes et non pas,
comme le pensaient Anthyme Saint- Paul et de Lahondès, des
fenêtres basses; autrement, il restait encore une tâche énorme
pour terminer l'édifice. Par contre, je ne puis admettre avec
M. Rey que Gayrard « fut chargé de la direction des travaux à
partir de 1080 ». La vie de saint Raymond oppose nettement le
chevet qui était déjà terminé (capitis membrum, quod jam com-
pletum juerat) au corps même de l'église, qui fut son uvre à
partir des fondations (corpus a fundamentis incipiens).
P. 34 : L'originalité de Saint-Sernin. Je ne crois pas qu'ily ait
beaucoup d'églises construites sans « un plan préétabli » ! Un
lapsus p. 35 : c'est en 11 19, l'année qui suivit la mort de
Raymond Gayrard, que le pape Calixte II consacra un nouvel
autel.
P. ?9 : Perspective intérieure. C'était l'occasion de citer la
petite brochure de l'abbé Auriol dont j'ai parlé (Pour visiter
Saint-Sernin, Toulouse, Fournier, 1920), et dont M. Rey
plusieurs lignes sans le dire.
P. 4o : La structure. Les baies jumelles des tribunes ne
pas « au milieu sur deux colonnes engagées », mais
« s'appuient au milieu sur deux colonnettes conjuguées et, de
chaque côté, sur des colonnes engagées »; M. Rey a oublié une
ligne de l'abbé Auriol (op. cit., p. 10), que d'ailleurs il ne cite
pas.
P. 4i : Logique et esthétique. A propos de la lumière et
du jour diffus dont les tribunes éclairent la nef, il y a une
observation très juste de M. Mâle, qu'aurait pu citer M. Rey :
« le clair-obscur fait paraître plus légère la voûte en berceau *
(op. cit., p. 298).
P. 47 : Le transept. A' quelle époque remontent, au carré
90 ANNALES DU MIDI.
du transept, la coupole et ses huit nervures? La note laisserait
croire qu'elle est du xne siècle.
P. 5? : L'abside et les absidioles. Les 17 premières lignes
devraient être signées par l'abbé Auriol; car elles sont
textuelllement à la brochure dont j'ai déjà fait mention.
P. 54 : « Des fenêtres surmontées d'oculus entre les
ajourent le déambulatoire. C'est la partie la mieux
de l'édifice. Ce résultat a été obtenu par une disposition
fort habile et que l'on ne retrouve nulle part. » Je crois au
contraire que cette disposition est fort ancienne et que le
maître d'oeuvre ne l'a point « imaginée ». On la retrouve au
déambulatoire de l'église de la Couture, au Mans, dont les
parties anciennes remontent au x" siècle. Il y avait une rangée
d'oculi surmontant des fenêtres dans l'église carolingienne de
Saint-Riquier.
P. 63 : Les portes. Les deux portes jumelles qui s'ouvrent sur
la façade et sur chaque croisillon ressemblent à des arcs
comme le dit fort justement M. Rey. Faut-il supposer
une influence de monuments romains, comme en voit une
à Saint-Gilles et à la cathédrale d'Autun? Il existe à Saintes
un arc romain à deux baies jumelles; et Saintes se trouvait sur
l'une des routes des pèlerins de Saint-Jacques par Orléans,
Poitiers et Bordeaux. Mais je penserais plutôt à une influence
locale : porte de l'enceinte romaine, par exemple, ou dans
du Château Narbonnais? Ce ne sont là, malheureusement,
que simples conjectures.
D'ailleurs, aux croisillons, la présence des deux baies peut
fort bien s'expliquer d'elle-même, par le seul fait que chacune
correspond à une travée du collatéral du transept. Il y avait là
une raison d'équilibre et d'eurythmie. Pour conserver le même
rythme, on aurait reproduit ce type à la façade, où le groupe
des portes géminées correspond à la largeur de la nef. En
outre, la double porte facilitait -la circulation des pèlerins aux
jours d'affluence. Il convient de noter qu'on ne la retrouve pas
dans les grandes églises abbatiales qui n'étaient pas des centres
de pèlerinage, comme Cluny. Quant à la galerie et à la rangée
d'arcatures qui surmontent les portes de la façade, nous igno-
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 91
rons si elles faisaient partie du plan primitif. Mais c'est très
vraisemblable, puisque ce même dispositif existait à la
romane de Toulouse. Il doit être ancien dans
chrétienne. Car, en Orient, le narthex était souvent
d'un second portique ou d'une terrasse permettant de
communiquer d'une tour à l'autre (cf. de Lasteyrie,
religieuse en France à l'époque romane, p. 118, fig. 96
et p. 119, note 4)- P. 65 : A propos de l'avant-porte de
« style Renaissance », on peut préciser et dire qu'elle est du
style de la première Renaissance, ou style François Ier.
P. 67-75 : Le clocher. Ce chapitre est l'un des meilleurs.
Aussi bien M. Rey avait-il tout spécialement étudié les clochers
toulousains dans un article de la Gazette des Beaux-Arts, dont
il reproduit ici toute la première partie. Très justement îl
fait observer que, si l'origine du plan octogonal n'appartient
pas au Languedoc, si les tours de forme octogone se
un peu partout, mais plus particulièrement en
la nouveauté de Saint-Sernin fut d'adopter le plan
avec retraits successifs de la base au sommet, ce qui
donne au clocher un profil pyramidant, « comme pour mieux
participer au jaillissement de la flèche ». La tour romano-
gothique de Saint-Sernin est le prototype de tous les
polygonaux de brique dont la silhouette se dresse en
Languedoc-, en Gascogne et dans les marches pyrénéennes.
On a pu croire et j'ai cru moi-même que la priorité
au clocher des Jacobins de Toulouse (1299), à cause de la
pureté et de l'unité de son style. Anthyme Saint-Paul avait
émis des doutes (Album des monuments du Midi, 1897, p. 86).
Mais M. Rey me paraît avoir raison. Le surhaussement du
de Saint-Sernin, porté à cinq étages, se rattache à
des grands travaux entrepris sous le règne de saint Louis.
La réfection des cryptes eut lieu entre 1258 (invention et
du corps de saint Saturnin) et 1 285 (déposition du corps
dans sa châsse neuve d'orfèvrerie). Aussi bien, la crypte
est-elle datée par ses clefs de voûte (armes de l'abbé
de Villemur, 1262-1289). Sur *a châsse en forme d'église
se dressait un clocher octogonal, dont les cinq étages en retraite
92 ANNALES DU MIDI.
les uns^ur les autres rappelaient aux fidèles le clocher de
basilique. Celui-ci serait donc bien le contemporain des
nouvelles cryptes. Le projet de surélévation doit même être
antérieur au milieu du xni* siècle, si l'on en juge par un sceau
des consuls cfe Toulouse, où figure une silhouette de
Mais comment, dans cette période qui est la plus belle de -
l'art gothique, n'a-t-on pas imaginé une disposition plus
pour renforcer les piles sous le clocher exhaussé? C'est
là un travail.de maçons, non d'artistes.
P. 76-87 : L'ornementation intérieure. L'auteur indique
mais nettement, les différences de facture et de style qui
distinguent les chapiteaux du chevet, les plus anciens, où
l'inspiration antique avec le type corinthien, où certaines
gaucheries d'exécution révèlent un atelier à ses débuts; les
chapiteaux du transept, les plus beaux de ce vaste ensemble,
avec des scènes historiées et de superbes animaux, avec un
dessin de la corbeille qui manifeste l'étroite relation des
de Moissac et de Saint-Sernin ; les chapiteaux de la nef,
plus uniformes, où l'acanthe romaine s'adapte à la simplicité
majestueuse des lignes archi tectoniques. Seize photographies
nous permettent d'en apprécier les divers types. Mais la
qui est à la fin du volume ne cite pas l'article de Lahon-
dès, Les chapiteaux de Saint-Sernin (avec description de
?94 chapiteaux), paru dans les Mémoires de la Soc. Archéol. du
Midi, XV, 1894-1896, pp. 258-283.
P. 88 : L'ornementation extérieure. A propos des chapiteaux
de la porte des Comtes, M. Rey cite l'intéressant article de
l'abbé Auriol, qui en a donné une claire interprétation.
ne pas ajouter qu'il en reproduit textuellement l'essentiel?
Ces chapiteaux sont consacrés à la parabole du Mauvais Riche et
de Lazare. On la retrouve au portail de Moissac, qui est
et sur plusieurs chapiteaux d'églises du Midi. Dans la
diffusion de ce thème iconographique, il y a une part
clunisienne. Nous savons que l'Ordre de Cluny
beaucoup, par son exemple et sa propagande, à remettre
en honneur les devoirs de charité et à développer les
d'aumônerie. Mais à Saint-Sernin les uvres charitables
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 9?
faisaient partie des plus anciennes traditions. Au vu" siècle
existaient déjà les matricularii basilicae S. Saturnini, ou
inscrits sur les registres de Saint-Sernin, qui venaient
s'asseoir dans l'atrium. Rappelons-nous la vie de cet abbé Sigi-
ramne, que j'ai signalée plus haut; après avoir été moine de
Saint-Martin de Tours et abbé d'un monastère, il était venu
vivre à Toulouse comme pauvre de Saint-Sernin.
P. 100 : Les bas-reliefs du pourtour du chur. Je ne sais
trop pourquoi ils figurent parmi les uvres de l'ornementation
extérieure, puisque l'on ne saurait dire, avoue M. Rey, s'ils ont >
décoré une ancienne porte ou l'autel primitif. Cette seconde
hypothèse, fort séduisante et très plausible, a été présentée par
M. Et. Delaruelle, Les bas-reliefs de Saint-Sernin, dans les
du Midi, 1929, pp. 49-60 : article que je ne vois signalé ni
en note ni dans la bibliographie. Ce qui me ferait volontiers
croire qu'il s'agit d'un décor intérieur, probablement d'un
d'autel (ne pourrait-on penser aussi à un décor de la crypte
ou de l'entrée de la crypte?), c'est : i°) l'état de conservation de
ces marbres; 2°) l'influence de la technique de l'orfèvrerie sur
ces sculptures; 3°) la parenté de style avec la table-d'autel
conservée dans l'église; 4°) la cavité des orbites, destinée
à recevoir des yeux de cristal ou d'émail. Mais le problème
n'est pas définitivement résolu.
P. 108 : La porte des Innocents ou Miégeville. L'auteur a
de dire que dans le tympan de l'Ascension, « plus près des,
origines » que celui de Cahors, il y a déjà un sentiment raffiné
des courbes, et déjà « le mouvement et la vie» qui caractérisent
l'école toulousaine. Il aurait pu ajouter que le linteau s'inspire
des sarcophages paléochrétiens, où l'on voit souvent les Apôtres
groupés ainsi deux par deux, et qu'il est en même temps un
précieux témoignage de la libre interprétation des modèles
par des artistes soucieux avant tout d'expression. Les
chapiteaux sont, comme l'observe justement M. Rey, de la
même époque que ceux du transept. C'est dire qu'ils sont parmi
les plus beaux (voir p. 119 les photographies de l'Annonciation
et du Massacre des Innocents). Aux côtés de l'archivolte, saint
Pierre et saint Jacques sont bien les contemporains du Christ
94 ANNALES DU MIDI.
de l'Ascension; « mais on reconnaît ici une exécution plus
». Le saint Jacques est vraiment l'une des belles
de l'art roman.
P. 12? : Les bas-reliefs du Musée. Le groupe de la femme au
bélier et de la femme au lion reste toujours mystérieux. M. Rey
renonce aux symboles d'un zodiaque. Il n'admet pas une
des attributs du Christ, agneau et lion, puisque l'inscrip^
tion parle, non d'un agneau, mais d'un bélier (signum arietis).
Alors, pourquoi semble-t-il accepter la légende, rapportée par
Bertrandi, des deux vierges toulousaines qui mirent au monde
un lion et un agneau ? Ce n'est pas la légende qui a créé le bas-
relief; c'est le bas-relief qui a créé la légende, de même qu'un
motif semblable créait à Saint-Jacques de Compostelle une
toute différente. Et il reste à expliquer l'inscription :
leonis, signum arietis. Le bélier pourrait être un symbole
du Christ, aussi bien que l'agneau. Saint Ambroise dit qu'il
est pris pour symbole du Verbe (voir les curieuses citations que
donne Martigny. Diet, des Antiq., s. v.). On pourrait penser
aussi, pour expliquer les deux signa, au Printemps et à l'Été,
que deux figures de femmes représentent sur un chapiteau de
Cluny. Mais comment expliquerait-on, en ce cas, le reste de
l'inscription : hoc fuit factum T tempore Iulii Caesaris (on
T par Tolosae; mais c'est pure hypothèse).
P. 1?7-172 : Le tombeau de saint Saturnin et le maître-autel.
C'est un chapitre d'histoire de l'art toulousain, qui nous
du xiii* au xvin' siècle. L'abbé Auriol l'a écrit avec une
compétence qui n'oublie rien et qui souvent nous révèle de
l'inédit. Il reconstitue le tabernacle gothique, en pierre
de plan hexagonal et d'une hauteur d'environ sept mètres,,
qui s'élevait au centre de l'hémicycle. Il nous en rester comme
témoin, le sanctuaire hexagonal qui lui servait de
dans la crypte. C'est du gothique du xin° siècle à son
La châsse était constituée par une âme de bois plaquée
d'argent doré, et avait la forme de la basilique. Les inventaires
permettent d'en reconstituer le décor et les « ymagines ». Elle
mesurait environ 2 m. 20 de long sur 1 m. 10 de large et 1 m. ?2
de haut, sans le clocher. La tête du saint fut mise à part. Vers
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 96
la fin du xive siècle, on la déposa dans un chef-reliquaire en
doré, don de l'archevêque de Toulouse Jean de Cardaillac
(1?78-1?90). Le reliquaire était porté par deux anges; et sur le
soubassement figurait le donateur agenouillé. Au xvne siècle
(1648), on éleva derrière l'ancien autel un grand retable de
bois sculpté et doré dont nous avons la description et qui passa
pour une merveille; c'était l'uvre du sculpteur sur bois
Pierre Affre, l'un des plus réputés de Toulouse. Au début du
xvin* siècle, les chanoines décidèrent de transformer
le tombeau et son décor disparate. C'est alors que
le tabernacle gothique et sa châsse d'orfèvrerie. Les
travaux confiés au sculpteur Marc Arcis commencèrent en 171 8.
Pour la première fois, l'abbé Auriol nous donne la photogra- ,
phie du grand bas-relief, de plomb et étain doré, qui domine
l'autel et qui représente le martyre du saint (p. 161); l'uvre
porte, avec la signature de l'artiste, la date de 1720. Les anges
du maître autel, en bois doré, datent de 172 1. L'autel du chef
de saint Saturnin, uvre de Marc Arcis fils, est de 1746. L'en-?
semble fut terminé en 1769. Pour retrouver des souvenirs de
l'âge gothique, il fallait désormais descendre dans la crypte.
Restaient toutefois les affreux piliers de la croisée, sous le.
clocher. Le xvie siècle les avait habillés de fresques, qui ont
pris l'aspect « de très anciennes tentures aux tons amortis ».
De ces fresques et de celles qui décorent l'abside, l'abbé Auriol
donne une étude détaillée et complète (pp. 17?-190). Sur la
conque absidale, la vision de l'Apocalypse serait la réfection,
« en toute liberté d'interprétation », d'une fresque du xue
Sur le mur en hémicycle, le mystère de la Pentecôte, fête
collective des Apôtres, rappelle que la basilique se glorifiait de
posséder les corps de six Apôtres (la Pentecôte était devenue
grande fête de l'abbatiale au même degré que la fête du saint).
Sur une travée, un char somptueux, suivi d'une nombreuse
rappelle les triomphes de la Renaissance : c'est le
retour du corps de saint Sernin, que le roi Dagobert, disait
une légende, avait jadis fait emportera Saint-Denys. Sur les
dans des niches simulées, sont -figurés les principaux
saints dont la crypte conservait des reliques. Ce décor, où s'at-
96 ANNALES DU MIDI.
tarde l'art de la Renaissance italienne, appartient au même
que les fresques de Sainte-Cécile d'Albi; mais il est
très postérieur. Les peintures d'Albi remontent au temps de
Louis XIII; celles de Saint-Sernin, si l'on en juge par certains
costumes, dateraient du règne de Henri III.
P. 229 : Les statues des « Bienfaiteurs ». L'abbé Auriol
aucune solution nouvelle. « On suppose aujourd'hui que
ces six personnages, dont les somptueux et bizarres costumes
paraissent empruntés aux vestiaire des acteurs de Mystères,
représenteraient des Sibylles et des Prophètes. »
A signaler pp. 240-247 l'étude sur la Table de l'autel roman,
en marbre de Saint-Béat; pp. 268-266 l'étude sur les fresques
de la sacristie nord (légende de sainte Catherine, de la fin
du xiii" siècle? Crucifiement Couronnement de la Vierge,
du début du xiv" s.).
P. 269-29? : La crypte. Les deux chapelles à chevets plats,
s'ouvrant à l'ouest de la crypte inférieure, ne correspondraient-
elles pas au double escalier qui, de la nef, conduisait à la cella
romane ou préromane, à l'ancienne Confession de saint Sernin?
Quelques gravures, tirées des Antiennes et Oraisons de 1762,
permettent de se représenter l'état de la crypte avant la

P. 29?-??? : Le trésor. « C'est une douloureuse étude que la


lecture des Inventaires, qui furent faits depuis le xiii* jusqu'au
xvin» siècle, des pièces d'orfèvrerie accumulées dans la crypte
et le déambulatoire. A peine demeure-t-il quelques épaves. »
L'abbé Auriol nous signale à titre d'exemples, et pour accroître
nos regrets, quelques-unes des uvres disparues : la châsse de
saint Jacques, en forme d'église, et son chef- reliquaire, orné de
pierres précieuses, orfèvreries toulousaines du xiv* siècle,
par le duc de Berry; le chef-reliquaire de saint Honest
(xive s.), enrichi de camées antiques. Il décrit le fameux camée
d'Auguste et nous raconte ses tribulations. Pour l'Évangéliaire
de Charlemagne, rien ne prouve que ce soit un propre don de
l'empereur. Je ne crois pas que le cor de Roland appartienne « à
l'art de la Renaissance carolingienne »; il est beaucoup plus
près du xie siècle.
COMPTES RENDUS CRITIQUES. 97
P. 338-343 : Fresque de saint Augustin. On a laissé dépérir
« cette précieuse fresque, la seule de la période romane que
possède Toulouse. » L'abbé Auriol a raison. Elle méritait
un meilleur destin.
P. 349-355 : Bibliographie. Cette bibliographie n'a pas la
prétention d'être complète. J'ai déjà signalé quelques articles
dont elle aurait dû faire mention. On aurait pu ajouter
: C. Douais, Cartulaire de l'abbaye de Saint-Sernin de
Toulouse (8UU-1200), 1887; Id., Mélanges sur Saint-Sernin de
Toulouse, 2 fascicules, Toulouse, Privât, 1894-1896. Enfin,.
Kingsley Porter, même si l'on n'est pas de son avis, méritait au
moins d'être cité. Henri Graillot.

La chanson de la Croisade albigeoise, éditée et


traduite du provençal par Eugène Martin-Chabot.
T. Ier. La chanson de Guillaume de Tudèle, Paris,
1931; in-8° de xxxv-3o4 pages, 4 pL hors texte,
i carte (Les classiques de d'histoire de France, i3).
Bien qu'il s'agisse ici d'un tome Ier, annoncé comme devant
être suivi de deux autres, nous avons affaire à un ouvrage
en ce sens qu'il comprend toute la première partie de la
Chanson, celle qui constitue l'uvre de Guillaume de Tudèle,
et l'introduction qui précède le texte se rapporte à cette
partie du poème. Après l'édition célèbre, mais devenue
introuvable, de Paul Meyer, M. Martin-Chabot a pu donner uue
édition nouvelle qui reste originale tant par l'étude des
que par le commentaire historique et la traduction.
Si les vers de Guillaume de Tudèle n'ont pas l'accent, la
flamme, la valeur esthétique de ceux qui ont rendu
si illustre la seconde partie de la Chanson; il demeure
que, à se placer au point de vue documentaire et proprement
historique, la première partie présente un intérêt de tout
ordre. Les annotations de M. Martin- Chabot, par des
incessants avec Guillaume de Puylaurens et Pierre
des Vaux de Cernay et aussi avec les autres sources narratives et"
diplomatiques, mettent à tout moment en lumière et rendent
Annales du Midi. XLIV. 7

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