La première partie traite des propriétés corpusculaires de la lumière (les photons) et de leurs liens
avec les propriétés ondulatoires de la lumière.
On commence tout d’abord par la mise en évidence de la notion de photon (rayonnement de corps
noir et effet photoélectrique), puis on aborde les propriétés « dynamiques » d’un photon, c’est-à-dire
son énergie (E = hν) et sa quantité de mouvement (p = λh ), qui ne sont pas nulles bien que chaque
photon soit de masse nulle (m = 0). Ces photons jouent un rôle crucial lors des processus d’interaction
entre matière et lumière : un atome (ou, d’une façon générale, tout système matériel possédant des
niveaux d’énergie quantifiés) peut ainsi passer, par absorption ou émission d’« un » photon, d’un niveau
d’énergie possible à un autre niveau d’énergie possible, la différence d’énergie étant égale à hν l’énergie
du photon concerné.
On aborde ensuite dans une seconde partie les propriétés stochastiques (aléatoires) des photons,
c’est-à-dire comment et dans quel cas le hasard et les probabilités interviennent pour caractériser leur
présence. Dans essentiellement deux cas : (1) la probabilité pour un photon de traverser une vitre ou un
miroir semi-réfléchissant ; (2) la probabilité de détection en un point de l’espace lorsque l’éclairement
est modulé de façon quasi-sinusoïdale en sortie d’un interféromètre et le lien de proportionnalité entre
cette probabilité et l’intensité lumineuse au point considéré.
Le cas de la détection d’un photon en sortie d’un interféromètre permettra également d’aborder
les implications troublantes - et parfois déroutantes - d’une « mesure quantique ». Concernant par
exemple : l’absence de trajectoire des photons dans l’interféromètre lorsque l’on ne cherche pas à les
observer ; le lien entre l’observateur et l’objet observé ; la possibilité de différer le choix d’observer
(« expériences à choix retardé ») et l’apparente violation de causalité qui semble en découler, etc.
Quantification de l’énergie : photon. Depuis environ cent ans, il a été suggéré, puis démontré,
que l’énergie d’une onde lumineuse pouvait être absorbée ou émise par la matière sous forme de quanta,
1
Chapitre 2 – Dualité onde-corpuscule pour la lumière
c’est-à-dire de petits grains d’énergie, qu’on est alors légitimement tenté de considérer comme de vraies
« particules » de lumière (nommées aujourd’hui « photons »). C’est d’ailleurs sous la dénomination d’
« atomes de lumière » qu’Einstein a historiquement introduit en physique la notion de photon en 1905
(le mot « photon » est apparu au cours des années suivantes, pour définitivement supplanter le terme
d’atome de lumière en 1926 suite à un célèbre article dans la revue Nature du physicien et chimiste
américain Gilbert N. Lewis).
La description théorique de cet effet de quantification de l’énergie lumineuse nécessite de faire
appel à la physique quantique et de ne plus se contenter d’utiliser les équations de Maxwell de l’élec-
tromagnétisme classique. Dans le cadre de l’électrodynamique quantique, un photon est alors « défini »
comme une excitation élémentaire du champ électromagnétique quantique (plus formellement, comme
un état propre de l’opérateur nombre pour la valeur propre 1). C’est également le boson de jauge de
l’électromagnétisme, c’est-à-dire la particule élémentaire qui véhicule l’interaction électromagnétique
entre les fermions constituant la matière.
Techniquement parlant, un photon est donc une notion subtile 1 et ressemble en fait plus à une
onde plane délocalisée dans tout l’espace qu’à un petit corpuscule bien localisé... De plus, comme un
photon est par nature relativiste (il se déplace dans tout référentiel à la vitesse limite c), on ne peut en
toute rigueur se contenter de la mécanique quantique non-relativiste pour décrire les processus dans
lesquels il intervient (comme l’absorption et l’émission par la matière par exemple).
Le photon en pratique. Néanmoins, dans la suite du cours (et ce, généralement jusqu’en Master),
on considère une version simplifiée, plus pratique, de la notion de photon. Ainsi, dans cette UE, un
photon sera simplement décrit comme
— une particule insécable (non séparable ou cassable en d’autres particules)
— et stable (ne pouvant pas spontanément se transformer en d’autres particules si elle n’interagit
avec rien), 2 ,
— ayant une énergie et une quantité de mouvement bien définie,
— pouvant être absorbé ou émis par la matière (électrons, atomes, molécules...),
— pouvant être détecté en un endroit précis sur un photodétecteur,
— et pouvant être décrit par un état quantique tels que ceux que l’on rencontre et manipule en
mécanique quantique non-relativiste habituelle.
Précautions :
1. Face à la dualité onde-corpuscule de la lumière, il serait tentant de dire qu’une onde électro-
magnétique est « constituée » de photons ou « contient » des photons... On se gardera d’un tel
raccourci et on parlera davantage de photons « associés » à une onde électromagnétique.
2. Ce n’est que très récemment que des sources fiables de photons uniques ont pu être créées,
essentiellement par la désexcitation spontanée d’atomes, mis préalablement (de façon contrôlée)
dans un état excité. Ce n’est donc pas en considérant une lumière « atténuée » que l’on crée
des photons uniques... Néanmoins, pour éviter toute complication, on continuera très souvent à
parler de lumière atténuée comme image d’une source lumineuse délivrant des photons un par
un.
— de charge nulle 3 : q = 0
— de vitesse v = c si le photon se déplace dans le vide 4
— d’énergie E = hν (formule appelée parfois « relation d’Einstein »), avec ν la fréquence de l’onde
électromagnétique associée (supposée, donc, être monochromatique de fréquence ν). On peut
aussi ré-écrire cette formule avec la pulsation de l’onde ω = 2πυ : E = ~ω avec ~ = h/2π la
constante de Planck réduite :
E = hν = ~ω
→
− →
−
— de quantité de mouvement → −p = ~ k avec k le vecteur d’onde de l’onde électromagnétique
associée (supposée, donc, être plane de longueur d’onde λ = 2π/k) :
h
p = ~k =
λ
(c’est donc la même constante, h, qui relie les aspects ondulatoires (ν, ω, λ, k) et corpusculaires
(E, p) des photons).
— et dont la relation de dispersion est linéaire :
c
E = pc ⇐⇒ ω = kc ⇐⇒ ν=
λ
3. Tous les autres « nombres quantiques » du photon, excepté celui lié à polarisation, sont également nuls : nombre
leptonique, nombre baryonique, saveurs...
4. Dans un milieu d’indice optique n, cette vitesse devient c/n.
5. D’où le nom de corps « noir » . En effet, la couleur des objets courants est principalement donnée par la lumière
qui est réfléchie par ces objets. Par exemple, un objet absorbant les rayonnements électromagnétiques de couleur bleue
et réfléchissant les autres rayonnements (du jaune au rouge) sera perçu comme orange par un œil humain.
Généralisation. Chaque corps dont la température T est à peu près constante émet un rayon-
nement électromagnétique (à diverses fréquences, s’étalant continûment de zéro à l’infini) dont la
composante principale, le maximum, dépend directement de cette température T : rayonnement jaune
à T ∼ 5 800 K émis par la surface du Soleil, rayonnement infrarouge à T ∼ 33 °C émis par la surface
de la peau, rayonnement micro-onde à T ∼ 2, 7 K émis par le fond diffus cosmologique... Cet effet est
en fait bien connu depuis des millénaires par les métallurgistes qui savent relier la couleur des métaux
chauffés (du rouge sombre au blanc bleuté) à leur température.
Historique. C’est en 1859 que Kirchhoff introduit le concept de corps noir et établit que l’énergie
(en fait, la densité spectrale d’énergie) émise par un corps noir est une fonction universelle u (ν, T ) ne
dépendant pas de la forme ou de la composition du corps noir, mais seulement de sa température. Puis,
en 1896, Wien établit de façon empirique une loi qui rend compte du comportement de u (ν, T ) mais
seulement pour les hautes fréquences. Entre 1900 et 1905, Rayleigh et Jeans montrent alors comment
obtenir l’expression de u (ν, T ) en comptant les « modes » de vibration électromagnétique qu’un corps
noir peut contenir (de tels modes étant très proches de ceux que l’on rencontre pour les cordes vibrantes
ou les instruments de musique). Ils établissent que u (ν, T ) est égale au produit de l’énergie moyenne
hEiν,T d’un mode de fréquence ν par le nombre 8πν 2 /c3 de modes possibles par unité de volume.
2
Si la formule uclassique (ν, T ) = 8πν
c3
kB T qu’obtiennent Rayleigh et Jeans rend bien compte de la
courbe expérimentale de u (ν, T ) pour les basses fréquences, il en est tout autre aux hautes fréquences
pour lesquelles la fonction uclassique (ν, T ) diverge à l’infini (inconsistance appelée par la suite « catas-
trophe ultraviolette »). Leur calcul s’appuie uniquement sur des notions de physique classique : l’énergie
E variant de façon continue d’un mode de vibration à l’autre et obéissant à la Rstatistique de Boltzmann,
2 ∞
on peut en effet écrire uclassique (ν, T ) = 8πν k T puisque hEiclassique = A 0 Ee−E/kB T dE = kB T ,
c3 RB
∞
avec kB la constante de Boltzmann et A = 1/ 0 e−E/kB T dE une constante de normalisation.
En = nhν , n∈N
c’est-à-dire que l’énergie absorbée ou émise par un mode de fréquence ν est égale à un multiple entier
d’un « quantum » d’énergie hν, avec h ' 6, 63.10−34 J.s une nouvelle constante physique appelée par
la suite « constante de Planck ». Attention, ce n’est pas la fréquence ν qui est quantifiée, ce sont les
énergies possibles qui lui sont associées.
C’est la première utilisation connue en physique d’une quantification de l’énergie, même s’il a fallu
encore quelques années et les travaux d’Einstein en 1905 pour que l’hypothèse de quantification ne
s’applique pas qu’aux échanges d’énergie entre lumière et matière mais bien à l’énergie du rayonnement
en elle-même.
P∞
Avec cette
P∞ −nhν/k T hypothèse, la valeur moyenne de l’énergie devient égale à hEi Planck = 0 nhνe
−nhν/kB T
8πν 2 hν
uPlanck (ν, T ) = 3 hν/k
c e BT − 1
qui redonne bien l’expression de Rayleigh-Jeans aux faibles valeurs de hν/kB T et qui s’est révélée en
accord quasi-parfait avec les résultats expérimentaux dans toute la gamme de fréquences.
Caractéristiques.
— (la plus importante !) le phénomène ne se produit que si la fréquence de la lumière est supérieure
à une fréquence seuil : ν ≥ νs
— et ce, quelle que soit la puissance lumineuse P ;
— le phénomène est alors instantané (typiquement en moins de 10−18 s, à l’allumage ou à l’extinc-
tion) ;
— l’énergie cinétique des électrons arrachés est alors proportionnelle à ν mais indépendante de P ;
— par contre, le nombre d’électrons arrachés est bien proportionnel à P.
Exceptée la dernière, toutes ces propriétés sont en complet désaccord avec l’explication classique
selon laquelle l’énergie lumineuse serait progressivement transférée aux électrons du métal (un peu à la
manière de l’énergie thermique qui est progressivement transférée aux molécules d’eau d’une casserole
en train de chauffer, permettant à certaines de s’échapper hors de la casserole).
Historique. Bien que des effets similaires à l’effet photoélectrique étaient connus dès le milieu du
XIXème siècle (effet photovoltaïque et photoconductivité en particulier), c’est officiellement à Hertz
que l’on doit la découverte de l’effet photoélectrique en 1887. Dans les années qui suivirent, Stoletov,
puis Hallwachs et, surtout, Lenard firent une étude expérimentale poussée du phénomène pour en
dégager ses caractéristiques principales. Aucune explication théorique « classique » n’était cependant
capable de rendre compte du phénomène. Jusqu’à l’intervention d’Einstein en 1905.
L’explication d’Einstein. Suivant l’idée de Planck sur la quantification des échanges d’énergie
entre lumière et matière, c’est en effet Einstein en 1905 qui proposa le premier une explication perti-
nente de l’effet photoélectrique. Pour lui, les quanta d’énergie électromagnétique de Planck ne devaient
pas être considérés comme une astuce mathématique mais comme une réalité physique : toute onde
électromagnétique de fréquence ν est ainsi quantifiée sous forme de « photons » (appelés initialement
« atomes de lumière » par Einstein) dont l’énergie vaut hν pour chaque photon.
L’effet photoélectrique se comprend alors comme une simple collision entre un photon et un élec-
tron : l’électron ne peut échapper de la surface du matériau éclairé que si l’énergie hν du photon
incident est au moins égale à l’énergie de liaison W de l’électron dans le matériau, et dans ce cas, le
surplus d’énergie hν − W est emporté par le photoélectron sous forme d’énergie cinétique :
Ecin = hν − W
Nombre de photons dans une onde. L’énergie d’une onde électromagnétique monochromatique
(c’est-à-dire ayant une longueur d’onde, donc une fréquence, unique et bien définie) de fréquence ν peut
généralement 6 s’exprimer sous la forme N hν où N est le nombre de photons associés à cette onde.
Une autre onde électromagnétique monochromatique (dont la fréquence ν 0 est différente de ν) peut
très bien avoir la même énergie totale, mais dans ce cas le nombre N 0 de photons associés est différent :
N 0 hν 0 = N hν. Ainsi, à énergie totale fixée, une onde de plus haute fréquence sera associée à un nombre
plus faible de photons, chaque photon ayant une énergie plus importante.
Remarques :
1. L’électron qui absorbe le photon a en fait une faible probabilité d’être éjecté hors du maté-
riau. Son mouvement est préférentiellement dirigé selon l’orientation du photon incident (donc
« vers » le matériau) et il peut perdre son énergie par collision avec les autres éléments (élec-
trons, atomes...) du matériau : seule une certaine fraction (appelé rendement quantique)
des photons incidents donnent donc naissance à des photoélectrons. Pour ces mêmes raisons,
l’énergie cinétique du photoélectron émis est généralement inférieure à la quantité optimale
hν − W .
2. L’effet photoélectrique n’est en fait que l’un des nombreux mécanismes d’interaction entre
la lumière et la matière : diffusion Rayleigh, diffusion Compton, création de paires électron-
positron... En fonction de l’énergie des photons incidents, tel ou tel mécanisme dominera. Ainsi,
un photon incident de faible énergie (hν < W ) subira principalement une diffusion élastique
(c’est-à-dire sans perte d’énergie) de type Rayleigh (la diffusion habituelle de la lumière qui
permet par exemple d’expliquer la couleur bleue du ciel). Pour des énergies plus importantes,
l’effet photoélectrique dominera et des photoélectrons seront émis. Si W hν < 2me c2 , un
autre mécanisme domine : la diffusion Compton, diffusion inélastique qui est généralement
abordée dans une UE de relativité restreinte. Enfin, si hν ≥ 2me c2 ' 1 MeV, un photon
approchant un noyau atomique peut se convertir en matière et donner naissance à une paire
électron-positron.
3. L’atome qui a perdu l’un de ses électrons par effet photoélectrique est dans un état « excité »
qui ne dure pas. Il y a désexcitation (ou relaxation) par ré-arrangement interne des électrons
de l’atome. Ceci conduit à l’émission d’un photon (appartenant au domaine du visible ou des
rayons X typiquement) ou conduire typiquement à l’éjection d’un autre électron (effet Auger).
6. Dans de nombreux cas, le nombre de photons associés à une onde électromagnétique n’est pas bien défini, en
particulier pour beaucoup d’états quantiques de la lumière (états cohérents par exemple).
Figure 2.2 – Absorption (à gauche) et émission (à droite) d’un photon par un atome : ce dernier passe
de l’énergie E1 à l’énergie E2 si le photon possède l’énergie hν = E2 − E1 .
7. Nous n’avons pas le temps hélas de détailler le processus d’ « émission stimulée » qui est à la base du fonctionnement
des lasers. C’est également Einstein (entre 1916 et 1924) qui en a posé les fondements.
8. La réflection d’ « 1 » photon par un miroir se révèle être en fait très complexe...
Diverses lois de probabilités quantiques. Dans les quatre aspects listés ci-dessus, les lois de
probabilités ne sont en général pas uniformes. Par exemple, et comme on le verra en détail par la suite,
on obtient typiquement : (1) une loi en exponentielle décroissante dans le cas d’une désexcitation ato-
mique ou d’une transformation radioactive ; (2) une loi de type Poisson dans le cas d’une détection en
un endroit donné ou à un instant donné pour un éclairement uniforme ; (2bis) une loi proportionnelle
à l’éclairement dans le cas de franges d’interférences en sortie d’un interféromètre ; (3) une loi binaire
9. ou lorsqu’un élément radioactif se transforme en un autre élément plus stable
10. ou, pour une particule quelconque, dans le cadre de l’effet tunnel
Définition. Une lame semi-réfléchissante (appelée aussi « lame séparatrice ») est une lame de
verre dont une face a subi un traitement anti-réfléchissant de telle sorte que la moitié de la puissance
lumineuse incidente soit réfléchie et que l’autre moitié soit transmise.
C’est un élément essentiel de presque tous les dispositifs optiques utilisés en mécanique quantique,
en particulier dans l’étude des interférences lumineuses. De façon plus prosaïque, on peut imaginer
cette lame semi-réfléchissante comme une « vitre » particulière qui ne laisserait passer que la moitié
de l’intensité lumineuse et réfléchirait l’autre moitié (pour rappel, une vitre ne laisse que partiellement
passer la lumière, typiquement 70%).
Cas de la traversée d’un photon unique. On peut se poser la question suivante : que se passe-
t-il si ce sont des photons que l’on envoie un par un sur cette lame semi-réfléchissante ? Les photons
incidents sont-ils « coupés » en deux photons ? Les expériences montrent que non. Par exemple, en
mesurant l’énergie des photons en sortie : s’ils étaient coupés en deux, ils devraient avoir une énergie
moindre (par conservation de l’énergie totale). Ce n’est pas ce qui est observé. De même, on peut
disposer 2 détecteurs de photon après la lame séparatrice (à égale distance de celle-ci) et enregistrer
avec précision les possibles détections en coïncidence de photons sur les appareils. Le résultat est
qu’aucune coïncidence n’est obtenue. Par contre, les photons sont détectés aléatoirement par l’un ou
l’autre détecteur, dans des proportions 50%-50%. On en conclut que :
un photon incident sur une lame semi-réfléchissante est soit transmis soit réflé-
chi, avec des probabilités égales (= 0, 5)
La nécessaire égalité des probabilités étant justifiée par le fait de retrouver la proportion 50%-50%
pour de fortes puissances lumineuses.
Imprévisibilité quantique des comportements individuels. Cet exemple montre l’un des
phénomènes typiques (et troublant) de la mécanique quantique : deux objets « identiques » (des pho-
tons) arrivant sur un même appareil (la lame semi-réfléchissante) peuvent ne pas se comporter de la
même façon. Ainsi, avec deux photons identiques, l’un traversera peut-être et l’autre sera réfléchi, ou
les deux traverseront, ou les deux seront réfléchis... Chaque comportement individuel est totale-
ment imprévisible ! Seules les probabilités de traversée et de réflexion sont prévisibles, et, par
conséquent, les nombres moyens de photons qui traversent ou sont réfléchis.
Remarque : Pour tout milieu partiellement réfléchissant, le même phénomène aura lieu, mais selon
les proportions propres au milieu. Par exemple, pour une vitre dont le coefficient de transmission est
typiquement de 70%, la probabilité de passage d’un photon unique est de 0, 7 (et sa probabilité de
réflexion est de 0, 3).
Comme application importante, on peut citer les générateurs de « vrais » nombres aléatoires (pour
le calcul scientifique, les jeux de hasard, le fonctionnement d’Internet...).
Rappels sur les ondes et la notion d’intensité lumineuse. Sans entrer dans les détails (qu’on
verra un peu plus tard), on peut représenter une onde lumineuse typique par l’expression mathématique
suivante : −
→→
i k .−
→
−
A ( r , t) = A e
r −ωt+ϕ
0
avec :
A0 = l’amplitude de l’onde
ω = 2πν = la pulsation de l’onde
→
−
k = le vecteur d’onde
→
−
r , t = le vecteur position et le temps
ϕ = la phase de l’onde
Cette onde est en fait une onde plane (car ayant un unique vecteur d’onde déterminant à la fois la
direction de propagation et la longueur d’onde λ = 2π/k) et monochromatique (car ayant une unique
pulsation), et ne peut donc pas représenter une vraie onde lumineuse qui, en toute rigueur, devrait
s’écrire comme une superposition continue de telles ondes planes monochromatiques (un « paquet
d’ondes », cf. le prochain cours).
On a également adopté ici la notation complexe des ondes : par exemple, l’onde −lumineuse
→−
.→
« réelle » A →
−
( r , t) est en fait égale à la partie réelle de « l’amplitude complexe » A e
i k r −ωt+ϕ
:
réelle 0
−
→→
i k .−
Aréelle (→
− r −ωt+ϕ
r , t) = <e A0 e
→
− −
= A0 cos k .→
r − ωt + ϕ si A0 ∈ R
Attention, cette notation complexe est un « choix » ici. Choix très pratique en électromagnétisme, mais
que l’on pourrait éviter au besoin. En mécanique quantique, on sera contraint d’utiliser une notation
complexe des amplitudes.
L’éclairement (parfois nommé intensité lumineuse) mesuré par les détecteurs de lumière est en
fait proportionnel à la moyenne temporelle du carré de l’amplitude réelle de l’onde électromagnétique :
1 t0 +T h →− −
Z i2
I ∝ A0 cos k .→ r − ωt + ϕ dt
T t0
le coefficient global c.n.ε0 /2 (que l’on prend donc égal à 1), on peut exprimer l’éclairement en fonction
de l’amplitude complexe sous la forme :
I = | amplitude complexe |2
c’est-à-dire que l’intensité lumineuse est égale au module au carré de l’amplitude complexe
de l’onde. √
Ainsi, une division par 2 de l’amplitude de l’onde lumineuse conduit à une division par 2 de
l’intensité lumineuse.
Lien entre amplitude classique et probabilité quantique. Le résultat précédent sur l’inten-
sité d’une onde lumineuse classique va se révéler être crucial en mécanique quantique, l’amplitude de
l’onde devenant une amplitude de probabilité. Par exemple, dans le cas d’une lame semi-réfléchissante,
la probabilité de traversée égale à 0, 5 √
est directement reliée au fait que l’amplitude de l’onde trans-
mise est divisée
√ par un facteur égal à 2. On dira que l’amplitude de probabilité est elle-aussi mul-
tipliée par 1/ 2. Ces facteurs se multiplient bien sûr dans le cas d’une succession de telles lames
semi-réfléchissantes. Ainsi, après traversée (réussie !) de 3 lames semi-réfléchissantes, l’amplitude de
√ 3
probabilité est multipliée par 1/ 2 correspondant à une probabilité totale de passage égale à 1/8.
comme LISA pour détecter les ondes gravitationnelles, les interféromètres utilisés en science
des matériaux ou en électronique pour mesurer/contrôler des petits déplacements, des écarts
d’indice optique ou des petits défauts de surface, et bien sûr tous les interféromètres utilisés
dans les laboratoires pour tester les principes et prédictions de la mécanique quantique et de la
relativité restreinte.
Il est à souligner que chacune des ondes lumineuses en sortie possède une amplitude égale à la
moitié de l’amplitude de l’onde initiale. En effet, chacune de ces ondes est passée deux fois à travers
une lame semi-réfléchissante : une fois en réflexion et une fois en transmission par exemple pour le
détecteur de droite.
φ 1 + cos (φ)
= |A (→
− 2
IDétecteur r , t)| = A20 cos2 = A20
2 2
Remarque : quelle est l’expression du déphasage φ ? C’est généralement l’une des deux quan-
tités importantes à déterminer dans un interféromètre (l’autre étant le contraste des franges d’interfé-
rences). C’est la différence entre les « phases » accumulées sur chacun des chemins. Elle est fonction de
la longueur parcourue (cf. les fentes d’Young), du nombre et du type d’éléments optiques rencontrés (cf.
Michelson et Mach-Zehnder, et le rôle de la « compensatrice » dans un Michelson), de l’environnement
(gravité, rotation, indices optiques différents, perturbations diverses). Il est commun de l’exprimer sous
la forme
φ = kδ
où δ est la « différence de marche » (réelle ou équivalente), c’est-à-dire la différence de chemin
parcouru entre les 2 ondes. Dans le cas des fentes d’Young, on obtient facilement δ ' Da
x où a est la
distance entre les deux fentes, D a la distance entre ces fentes et l’écran d’observation, et x une
coordonnée repérant un point le long de cet écran.
C’est encore plus déroutant si l’on considère que les photons entrent un par un dans l’interféromètre.
On observe alors que ces photons sont détectés en sortie en des lieux aléatoires... Mais, quand
on accumule ces données d’arrivée, on voit les franges d’interférences se construire petit
à petit. Les photons « s’organisent » donc de telle sorte qu’ils reproduisent la figure d’interférence que
l’on aurait obtenue avec de fortes puissances lumineuses.
Plus précisément, la valeur moyenne du nombre de photons mesurés en un point de l’écran varie
comme l’intensité lumineuse en ce point, qui elle-même, on l’a vu plus haut, varie comme le module
au carré de l’amplitude complexe de l’onde. On en conclut le résultat suivant très important :
Figure 2.6 – Construction progressive des franges d’interférences en envoyant un à un les photons (ou
électrons ou atomes ou...)
Une question d’interprétation(s). Bien entendu, ce résultat choque notre intuition classique, et
des questionnements « classiques » surgissent aussitôt :
— Comment le photon « sait » où il doit aller sur l’écran ? Comment les photons « savent » comment
s’organiser sur l’écran ?
— Le photon passe-t-il par les deux bras/chemins/fentes de l’interféromètre en même temps ? N’y
a-t-il pas moyen de savoir si le photon se comporte comme une onde ou un corpuscule dans ces
bras/chemins/fentes ?
La réponse la plus proche de notre vision classique du monde serait que l’onde (ici électromagnétique)
« guide » en quelque sorte le photon dans l’interféromètre, et, d’une façon générale, dans tout disposi-
tif où l’aspect « onde » est prédominant 11 . Cependant, l’interprétation « standard » de la mécanique
quantique (interprétation la plus commune, appelée aussi « interprétation de Copenhague ») se refuse
à répondre à ce genre de questions en affirmant que cela n’a en fait pas de sens de parler de « tra-
jectoire » de photon au sein de l’interféromètre : ainsi, tant qu’il n’est pas détecté en tant que
corpuscule (sur un écran par exemple), la mécanique quantique affirme que le photon est
un être quantique dont l’aspect (ondulatoire ou corpusculaire) est indéfini. L’observation
d’interférences en sortie de l’interféromètre nous suggère à la rigueur qu’il se comporte comme une
onde « dans » l’interféromètre (chaque photon interférant avec lui-même), et l’observation d’un impact
sur l’écran nous suggère qu’il se comporte comme un corpuscule à cet endroit, mais on ne peut rien
dire de plus sur sa « nature propre ».
Principe de complémentarité. De plus, il semble (et c’est même l’un des principes quasi « phi-
losophiques » de la mécanique quantique appelé « principe de complémentarité ») qu’il soit impossible
d’observer simultanément le double aspect onde « et » corpuscule 12 .
11. Cette vision est d’ailleurs renforcée par plusieurs expériences récentes (utilisant un type de mesure légèrement diffé-
rent de celui habituel, fondée sur la notion de « mesure faible ») qui tendent à redonner vigueur à certaines interprétations
de la mécanique quantique, en particulier celle de de Broglie-Bohm. De façon très surprenante, ces chemins interférants
ont pu également être récemment visualisés à l’aide de petites gouttelettes et d’ondes hydrodynamiques (cf. FILM : The
pilot-wave dynamics of walking droplets), même s’il n’y a pas consensus sur la réalité et la réplicabilité du phénomène.
Quant à la notion de mesure faible, elle est au cœur du « paradoxe de Hardy » (qui est davantage un théorème qu’un
paradoxe en fait), dont une démonstration expérimentale a été réalisée récemment. HardyParadox-WikiHardy
12. Citons néanmoins l’astucieuse expérience d’Afshar (cf. Expérience d’Afshar) qui semble violer le principe de com-
plémentarité et soulève beaucoup de questions et critiques.
Plusieurs expériences (et de nombreuses « expériences de pensée ») ont cependant été réalisées pour
tenter d’obtenir cette double information onde-corpuscule au même instant. Dans le cas des fentes
d’Young, par exemple, on peut mesurer la quantité de mouvement acquise par les fentes (montées sur
ressort) lorsque le photon les traverse 13 . En effet, par conservation de la quantité de mouvement du
système photon-fentes, le photon peut communiquer une petite quantité de mouvement à la plaque où
sont taillées les fentes : par exemple, pour un photon impactant le centre de l’écran, si le mouvement
de la plaque est mesuré aller vers le haut, alors le photon est nécessairement passé par la fente du
haut (par effet de recul), et si le mouvement de la plaque est mesuré aller vers le bas, alors le photon
est nécessairement passé par la fente du bas. Dans ce cas, on observe expérimentalement le résultat
suivant : si l’information « par quelle fente est passé le photon » est déterminée sans ambiguïté, alors
les franges d’interférences cessent d’être visibles !
Mieux encore : en jouant sur la précision avec laquelle on détermine le mouvement des fentes, on
observe que la netteté des franges d’interférences est inversement proportionnelle à la qualité de l’infor-
mation « par quelle fente est passé le photon »... Ainsi, conformément au principe de complémentarité,
plus on mesure avec précision l’aspect corpusculaire d’un système physique moins son aspect onde se
manifeste avec précision (et inversement).
Un autre aspect troublant a trait au fait qu’on n’a pas besoin d’observer les « deux » chemins/fentes
pour faire disparaître les franges d’interférences : il suffit de placer un capteur devant une seule fente
ou sur un seul chemin. Si le capteur ne détecte rien, on en déduit que le photon est nécessairement
passé par l’autre chemin/fente et cela suffit à faire disparaître les franges d’interférences en sortie de
l’appareil. Cette non-mesure (appelée aussi « mesure non-destructive ») agit sur le photon de la même
façon qu’une mesure normale. Simplement parce que le capteur « aurait pu » détecter le photon s’il
était passé par le chemin/fente où le capteur était positionné... En physique quantique, on est contraint
d’accepter que « des événements qui auraient pu se passer mais ne se sont pas passés » ont un effet
physique sur les choses. Cette caractéristique est appelée « contrafactualité ».
13. Pour savoir par quelle fente est passé le photon, on peut également mesurer la quantité de mouvement de l’écran
après l’impact, ou bien mettre des « polariseurs » différents derrière les fentes et mesurer la polarisation du photon détecté
sur l’écran.